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Sécurité humaine :

Clarification du concept
et approches par les organisations internationales

Quelques repères

Document d’information

Janvier 2006

Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie


Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

Sécurité humaine : Clarification du concept et approches par les organisations


internationales. Quelques repères.1

Dans le renouvellement des concepts des relations internationales faisant suite au


bouleversement des relations internationales depuis la fin de la Guerre froide, celui afférent à
la sécurité humaine figure parmi l’un des plus novateurs. Plus qu’un concept, la sécurité
humaine recèle des approches et des outils nouveaux qui sont mis à la disposition de la
communauté internationale. Toutefois, l’importance grandissante qu’elle présente aujourd’hui
dans les relations internationales, appelle une clarification de son sens réel. Cet exercice est
d’autant plus légitime que les acteurs des relations internationales, en s’en emparant, lui
donne, à chacun une signification le plus souvent différenciée.

Par ailleurs, une revue de l’approche différenciée qu’en font les organisations internationales2,
lesquelles constituent l’un des principaux relais de sa notoriété, permettra, de mesurer la
portée réelle de son autorité alors qu’elle propose une vision alternative des enjeux de la paix
et de la coopération internationale, en prenant les individus et leurs expériences comme le
principal point de référence.

I. LE CONCEPT DE SECURITE HUMAINE

A la fin de la Guerre froide, la communauté internationale a commence à remettre en question


le bien fondé du concept classique de sécurité, fondé sur celle des Etats, lorsqu’elle s’est
rendue compte de l’opportunité d’interpeller et d’appréhender la question de l’insécurité au
niveau des individus. Un consensus s’est progressivement dégagé sur la nécessité d’élargir et
d’approfondir le concept de sécurité, en prenant en compte le contexte politique de la fin de la
bipolarité du monde. Une meilleure collaboration est également devenue possible entre les
instances gouvernementales en charge du développement, des affaires étrangères et de la
défense, offrant ainsi une nouvelle base aux relations Nord/Sud sur ces questions. C’est dans
ce contexte particulier que le concept de sécurité humaine est apparu, pour intégrer, peu de
temps après l’agenda politique mondial du développement3.

1
Rajaona Andrianaivo Ravelona, Responsable de projets, Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie
de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
2
La présentation proposée dans ce document n’a pas l’ambition d’être exhaustive. La finalité du document,
apporter des renseignements utiles sur les principales organisations partenaires de l’Organisation Internationale
de la Francophonie, a commandé le choix de celles-ci.
3
Différents arguments ont été avancés pour expliquer l’inclusion de la sécurité humaine dans la “haute
politique”du développement international. D’après une vision néoréaliste des relations internationales, les
valeurs incarnées par ce concept peuvent être interprétées comme servant les intérêts de la politique étrangère
des pays de puissance moyenne sur la scène internationale, qui cherchent à renforcer leur influence et leur
position dans le système international. D’un autre côté, une perspective constructiviste sociale des relations
internationales met en avant le rôle joué par les institutions mondiales (OI, ONG, médias, acteurs de la société
civile, etc.) pour influencer les intérêts et priorités des Etats dans le sens de la promotion de « l’humanitarisme»,
d’où est issu le concept de « sécurité humaine ». D’autres encore prétendent que l’explication se trouve dans le
mélange des deux perspectives, étant donné le contexte historique spécifique des vingt dernières années. Voir A.
Suhrke, “Human security and the interests of states” in Security Dialogue, 1999, Vol. 30 (3), pp. 265-276.
Suivant cette logique, les changements provoqués par les événements du 11 septembre 2001 sur la scène
internationale vont probablement nuire à la promotion de l’agenda de la sécurité humaine en redonnant
davantage d’importance aux enjeux traditionnels de la sécurité.

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Sur le plan théorique, cette critique porte aussi bien sur les fondements paradigmatiques de la
sécurité, telle que l’école dite « réaliste » des relations internationales, jusque là dominante,
les présente, que sur ses méthodes et ses instruments4. La critique ontologique interpelle
notamment le caractère stato-centrique de l’approche classique articulée exclusivement sur les
raisons de l’Etat et l’absolutisme de sa souveraineté ; et supposait, de façon hobbesienne, que
si celui-ci était en sécurité, ceux qui vivaient dans ses frontières l’étaient aussi. Les Etats s’en
remirent alors à un équilibre des forces entre les États pour garantir la sécurité de leurs
populations et, dans une certaine mesure, celle du monde5.

Après la chute du mur de Berlin, on s’aperçut que la protection des personnes, qui avait été au
cœur de la sécurité, fut trop souvent négligée au profit d’une attention extrême portée à l’État.
La notion classique de sécurité fut, dès lors, contestée par des concepts comme la sécurité
coopérative, la sécurité globale, la sécurité sociétale, la sécurité collective, la sécurité
internationale et la sécurité humaine6. Si toutes ces notions s’éloignent de l’accent qui était
mis sur les relations entre États, la sécurité humaine est celle qui va le plus loin en prenant
pour objet référent non plus l’État, ni la société, ni la communauté, mais l’être humain7. La

4
Sur le plan de la théorie des relations internationales, cette tendance prend date, au milieu de la décennie 70,
avec les travaux de Kenneth Neal Waltz (voir notamment, Theory of International Politics, New York, Random
House, 1979, surtout pp. 102-128), de Robert Keohane (Neorealism and its critics, New York, Columbia
University Press, 1986) et surtout de Barry Buzan dont l’ouvrage, People, States and Fears. The National
Security Problem in International Relations, Chapel Hill. The University of North Carolina Press. 1983- (le sous
titre de la deuxième édition de cet ouvrage phare est beaucoup plus explicite sur son contenu, An Agenda for
International Security Studies in the Post Cold War Area, Londres, Harvester Weatsheaf, 1991)- est présenté
comme celui qui a jeté les fonds baptismaux du concept de la sécurité humaine. L’argumentation qu’il propose
peut être résumée en cette assertion : La sécurité individuelle doit servir de base à la sécurité nationale, et la
sécurité nationale fondée dans la sécurité individuelle doit être la base de la sécurité internationale.
5
Voir, entre autres Kanti Bajpai, « Human Security: Concept and Measurement », University of Notre Dame,
Kroc Institute Occasional, Paper no. 19, 2000, ce document est accessible sur le site internet:
www.nd.edu/~krocinst/ocpapers/op_19_1.pdf .
6
John Baylis, « International Security in the Post-Cold War Era », dans John Baylis et Steve Smith (sous la
direction de), The Globalization of World Politics, Oxford, Oxford University Press, 1997.
7
Sur le plan strictement théorique, il serait opportun de relever que le débat sur l’objet référent de la sécurité,
tout comme celui portant sur les rapports entre les individus et l’État comme axe principal de la sécurité, n’est
pas nouveau. Le concept de sécurité humaine préconise, au fond, un retour au libéralisme du siècle des lumières.
En fait, nombre des principes fondamentaux de la sécurité humaine reprennent des réflexions de Montesquieu,
Rousseau et Condorcet, tout comme les principes de sécurité de l’État se fondent sur les travaux d’intellectuels
comme Kant, Hobbes et Grotius, dont la vision du monde axée sur l’État l’a emporté sur les convictions plus
pluralistes. Une partie du débat du XVIIIème siècle sur la sécurité reposait sur les convictions pluralistes axées
sur la protection des personnes. Pour Montesquieu, il s’agissait de mettre l’accent sur la liberté et les droits
subjectifs des personnes plutôt que sur la sécurité assurée par l’État. Pour Adam Smith, la sécurité était la
protection des personnes contre des « attaques violentes et soudaines de leur personne ou de leurs biens » – cette
sécurité étant une condition indispensable pour une société prospère et « opulente ». De la même façon,
Condorcet décrivait un contrat social dans lequel la sécurité des personnes était le principe fondamental. Selon
lui, si les personnes n’étaient pas à l’abri de la peur, elles ne pouvaient être les membres efficaces d’une relation
politique.
Ce point de vue libéral était courant, mais pas partagé par tous. Même s’ils convenaient du rôle vital de la
sécurité individuelle, d’autres estimaient que le meilleur moyen d’y parvenir était de l’envisager comme une
conséquence de la sécurité de l’État – l’État jouant un rôle de protecteur contre les menaces extérieures et
intérieures. Pour Hobbes, peu importait que la sécurité des personnes soit menacée par un voleur local ou une
armée envahissante. Il estimait qu’il était de la responsabilité de l’État de protéger les personnes contre l’un et
l’autre. En échange de cette protection, le citoyen devait renoncer à toute liberté individuelle pour son pays, son
protecteur – la sécurité primant la liberté. Kant, s’interrogeant sur le rôle de l’État pour garantir la sécurité des
personnes, avait imaginé une autorité supérieure. Il suggérait un ordre international universaliste : une société
mondiale fondée essentiellement sur l’impératif moral du bien commun pour les nations membres. Entre les
deux, Grotius proposait une dynamique internationale plus modérée, qui ne serait pas guidée par un droit

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sécurité n’y est plus simplement associée à la protection de l’Etat, elle est partie intégrante
d’un état d’être (state of being). Il s’agit certes d’envisager la sûreté physique des individus,
mais aussi de leur bien-être économique et social, du respect de leur dignité et valeurs en tant
qu’êtres humains et par de la protection des droits et libertés fondamentaux qui, par essence,
leurs sont rattachés. Le concept de sécurité humaine repose ainsi sur les principes
d’émancipation de l’individu en le « libérant de la peur et du besoin », et de justice sociale8.
Ce changement renverse alors la démarche et l’orientation des analyses et des politiques en
matière de sécurité, en mettant en avant ce qui menace concrètement l’existence des gens, au
détriment de la recherche de la seule stabilité des Etats.

Ainsi, selon l’approche centrée sur la « sécurité humaine », les menaces et les défis pesant sur
la sécurité transcendent la défense nationale, le respect des lois et de l’ordre pour inclure
toutes les dimensions politiques, économiques et sociales permettant de vivre à l’abri du
risque et de la peur. L’attention est passée de la sécurité de l’Etat à la sécurité des personnes,
sans pour autant que ces deux préoccupations soient exclusives l’une de l’autre. La sécurité
peut être envisagée comme un «bien public», répondant au besoin stratégique de favoriser un
développement humain durable tout en promouvant la paix et la stabilité nationales,
régionales et mondiales. Un consensus allant dans ce sens semble s’être dégagé depuis la
dernière décennie du siècle passé lorsque le Secrétaire général des Nations Unies, dans le
Rapport sur l’activité de l’Organisation qu’il a commis pour la 55ème assemblée générale de
l’Organisation, affirme « (qu’) il n’est désormais plus possible de définir simplement la
sécurité collective comme une absence de conflits armés, qu’il s’agisse de conflits
internationaux ou de conflits internes. Les violations flagrantes des droits de l’homme, les
déplacements massifs de population, le terrorisme international, la pandémie du sida, le trafic
de la drogue et des armes et les catastrophes écologiques portent directement atteinte à la
sécurité commune, nous forçant à adopter une approche beaucoup plus coordonnée à l’égard
de toute une gamme de questions ».9

Malgré ce consensus, les acteurs internationaux ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur
une définition unique de la sécurité qui fasse autorité et permette à la communauté
internationale de répondre efficacement à un large éventail de défis et de menaces, y compris
les conflits violents, la privation illégale des droits civils et politiques, la privation
économique et la dégradation de l’environnement.

Le concept de sécurité humaine, qui dénonce le fondement même du modèle traditionnel de


sécurité, ne fait pas toujours l’unanimité10. Beaucoup lui reprochent l’ambiguïté du concept,

supranational, mais par un équilibre des forces entre les États et un contrat social avec les citoyens. Selon
Grotius, les intérêts mutuels d’entités étatiques indépendantes, qui coexistaient, devaient garantir la sécurité de
tous. Sur ce point, voir, entre autres, Emma Rothschild, 1995, « What is Security? », Daedalus, vol. 124, no 43,
pp. 53-90; R. Ullman, 1983, « Redefining Security », International Security, vol. 8, no 1, pp. 129-153; H.
Haftendorn, 1991, « The Security Puzzle: Theory Building and Discipline Building in International Security
»,International Security Quarterly, vol. 35, no 1, pp. 3-17.
8
Kenneth Booth., « Security and Self: Reflections of a Fallen Realist », in Krause K. et M.C. Williams (dir.),
Critical Security Studies: Concepts and Cases, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997, p. 111
9
Voir Rapport du Secrétaire général sur l’activité de l’Organisation, documents officiels de la cinquante
cinquième session de l’Assemblée générale, Supplément No 1 (A/55/1), 30 août 2000.
10
Selon un recensement effectué par Taylor Owen (« Human security. Conflict and Consensus : Colloquium
Remarks and Proposal for a Threshold-Based definition », Security Dialogue, September 2004, 35 (3), p. 374,
accessible sur le site : http://sdi.sagepub.com/cgi/reprint/35/3/373.pdf ), la doctrine propose vingt et une
définitions distinctes du concept de sécurité humaine avancées notamment par : Amitav Acharya,, «Human
Security: East Versus West», International Journal, 2001, 56(3), 442–460; Sabina Alkire, «Concepts of Human
Security», in Lincoln C. Chen, Sakiko Fukuda-Parr & Ellen Seidensticker, eds, Human Security in a Global

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selon lequel la sécurité va bien au-delà de la sauvegarde de l’intégrité de l’État. Ceux qui ne
se rallient pas à la sécurité humaine se demandent ce qui doit être considéré comme une
menace contre la sécurité et ce qui ne doit pas l’être.

Ce concept émergent n’est pas de fait d’une définition aisée. La doctrine s’emploie à
rechercher une définition consensuelle, tout en soulignant le fait que le concept recouvre, à la
fois, un élargissement et un approfondissement de la sécurité dite classique, rendant l’exercice
mal aisé. De nombreuses initiatives ont été tentées pour définir plus précisément ce concept
ambigu qui englobe, par définition, une liste de menaces potentiellement infinies. Dans cette
perspective, deux écoles de pensée susceptibles de regrouper la plupart des définitions sont
apparues avec, d’une part, la sécurité humaine au sens large et, d’autre part, la sécurité
humaine au sens restreint11. Au sens large, la sécurité humaine concerne non seulement les
menaces violentes et classiques comme la guerre, elle englobe aussi des menaces plus axées
contre le développement, comme la santé, la pauvreté et l’environnement. Au sens restreint, la
sécurité humaine, axée elle aussi sur les personnes, intègre beaucoup plus de menaces que la
sécurité classique, mais se limite aux plus violentes comme les mines terrestres, les armes
légères et de petit calibre, la violence et les conflits intra étatiques.

World. Cambridge, (Mass.), Harvard University Press, 2003, notamment pp.15–40; Lloyd Axworthy, «Canada
and Human Security: The Need for Leadership», International Journal, 1997, 52(2), pp.183–196; Lloyd
Axworthy, «Human Security and Global Governance: Putting People First», Global Governance, 2001, 7(1),
pp.19–23; Kanti Bajpai, «Human Security: Concept and Measurement», Kroc Institute Occasional Paper 19,
2000, Notre Dame (Indiana), Joan B. Kroc Institute for International Peace Studies; Barry Buzan , «Human
Security in International Perspective», communication présentée lors de la 14ème table-Ronde Asie-Pacifique,
Kuala Lumpur, 2002; Paul Evans, «Human Security and East Asia: In the Beginning», Journal of East Asian
Studies, 2004; Kyle Grayson, «Re-evaluating Public Goods: Human Security in the Global Era», Robarts
Working Papers; 2001,accessible sur le site: http://www.robarts.yorku.ca/pdf/kylefin.pdf; Osler Hampson, J.
Hay, «Human Security: A Review of Scholarly Literature», communication présentée lors de la Rencontre
annuelle du Consortium canadien sur la sécurité humaine, Ottawa, avril 2002; Keith Krause, «Critical Theory
and Security Studies: The Research Programme of Critical Security Studies», Cooperation and Conflict: Nordic
Journal of International Studies, 1998, 33(3), pp.298–333; Keith Krause, «Une approche critique de la securité
humaine», Institut des Hautes Etudes Internationales, Genève, 2000; Jennifer Leaning et Sam Arie, «Human
Security: A Framework for Assessment In Conflict and Transition», Working paper, Cambridge (Mass.),
Harvard Center for Population and Development Studies, 2000; P. H Liotta, «Boomerang Effect: The
Convergence of National and Human Security», Security Dialogue, 2002, 33(4),pp.473–488; Neil MacFarlane et
Yuen Foong-Khong, Human Security and the UN: A Critical History, Bloomington, Indiana University Press,
2005; Andrew Mack, «A Report on the Feasibility of Creating an Annual Human Security Report», Program on
Humanitarian Policy and Conflict Research, Harvard University, 2002; Andrew Mack, Human Security Report.
Oxford Human Security Center, 2004; Robert Grant McRae, et Don Hubert, Human Security and the New
Diplomacy: Protecting People, Promoting Peace. Montreal: McGill-Queen’s University Press, 2001; Edward
Newman et Oliver P. Richmond, The United Nations and Human Security, London: Palgrave Macmillan, 2001;
Taylor Owen, «Measuring Human Security: Overcoming the Paradox», Human Security Bulletin, 2003, 2(3),
accessible sur le site http://www.prio.no/publications/archive/2003/to002.pdf; Roland Paris, «Human Security:
Paradigm Shift or Hot Air?», International Security, 2001, 26(2),pp. 87–102; , Astrid Suhrke,. «Human Security
and the Interests of States», Security Dialogue, 1999, 30(3), pp. 265–276; Ramesh Chandra Thakur, Edward
Newman et l’UNITAR, New Millennium, New Perspectives: The United Nations, Security, and Governance.
Tokyo, New York, United Nations University Press, 2000, Caroline Thomas, Global Governance, Development
and Human Security: The Challenge of Poverty and Inequality. London: Pluto, 2000; Caroline Thomas et Peter
Wilkin, Globalization, Human Security, and the African Experience, Boulder (Colorado),Lynne Rienner, 1999;
Nicholas Thomas et William T. Tow, «The Utility of Human Security: Sovereignty and Humanitarian
Intervention», Security Dialogue, 2002, 33(2),pp.177–192; William T Tow, Ramesh Chandra Thakur, In-Taek
Hyun, Asia’s Emerging Regional Order: Reconciling Traditional and Human Security. Tokyo, New York,
United Nations University Press, 2000; Peter Uvin, «Difficult Choices in the New Post-Conflict Agenda: The
International Community in Rwanda After the Genocide», Third World Quarterly, , 2001, 22(2): 177–189.
11
Voir Emma Rothschild, 1995, « What is Security? », Daedalus, vol. 124, no 43, p. 53 à 90.

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Mais quelle que soit la portée qui lui est accordée qui est accordée à la démarche, il est
important de souligner que la force de celle-ci réside dans la volonté de leurs promoteurs de
traduire le concept en politiques publiques, élément fondamental pour obtenir un soutien tant
politique que financier de son opérationnalisation. C’est dans la même veine que le concept
de sécurité humaine prolonge le débat (inachevé) sur l’une des questions de politique
internationale les plus controversées de la dernière décennie, le « droit ou le devoir
d’ingérence humanitaire »12 qui a interpellé la communauté internationale au début de la
décennie 90 à la suite des drames de la Somalie, du Rwanda, du Kurdistan et de l’ex-
Yougoslavie (Bosnie et Kosovo). Il relance et vient enrichir ce débat en lui fournissant de
nouveaux fondements13 qui ont permis l’émergence d’une normativité en devenir s’incarnant
dans le concept de la « responsabilité de protéger »14, selon lequel les États souverains ont
l'obligation de protéger leurs propres citoyens contre des catastrophes évitables, mais en vertu
duquel aussi, s'ils refusent ou ne sont pas en mesure de le faire, cette responsabilité incombe à
la communauté internationale. Dans cette entreprise, la sécurité humaine qualifiée de
« concept valise »15, est placé au cœur même de la réflexion sur la responsabilité de protéger,
lui servant de levier. La responsabilité de protéger s’enchâsse dans la sécurité humaine, et se
comprend par le biais de ses déterminants conceptuels16. Ce qui confère, en conséquence, au
concept de sécurité humaine un statut privilégié dans les relations internationales
contemporaines, malgré le regain d’attrait des discours traditionnels des relations
internationales à la suite des événements du 11 septembre.

A. Le concept appréhendé dans son sens large

Dans une acception large, qui inspire la plupart des définitions du concept de sécurité
humaine17, celui-ci repose sur trois éléments fondamentaux: la portée de la sécurité humaine,
l’importance des liens de causalité entre ses différentes composantes, et l’accent mis sur
l’essentiel vital des personnes. Cette approche trouve son illustration à travers le concept de

12
Si le « droit » fait référence à l’aspect juridique, le « devoir » fait quant à lui référence à l’éthique. Sur ce
point, voir Marie-Dominique Perrot (sous la dir.) Dérives humanitaires. Etats d’urgence et droit d’ingérence,
PUF, 1994 ; Lee Feinstein et Anne-Marie Slaughter, « A Duty to Prevent », Foreign Affairs, 2004, n°1, Jan.-feb.,
pp.136 et s. Sur la littérature très foisonnante concernant le thème de l’ingérence humanitaire, voir notamment,
Mario Bettati, Le droit d'ingérence. Mutation de l'ordre international, Éditions Odile Jacob, Paris, 1996 ; Alain
Pellet (éd.), Droit d'ingérence ou devoir d'assistance humanitaire ? Problèmes politiques et sociaux, nos 758-
759, décembre 1995, La Documentation française.
13
Un des promoteurs du droit d'ingérence, le professeur Mario Bettati, relève lui-même que «l'ingérence ne
désigne pas un concept juridique déterminé» ; voir, «Un droit d'ingérence», Revue Générale de Droit
International Public, 1991/3, pp. 639-670, notamment p. 641.
14
Voir, la responsabilité de protéger, Rapport de la Commission Internationale de l’intervention et de la
souveraineté des Etats, décembre 2001, notamment les paragraphes 2.21-2.33. Ce document est accessible sur le
site : http://www.iciss.ca/pdf/Rapport-de-la-Commission.pdf, ou http://www.idrc.ca/openebooks/961-5/
15
Eric Marclay, La responsabilité de protéger. Un nouveau paradigme ou une boîte à outils ?, Etudes Raoul
Dandurand n°10, Chaire Raoul Dandurand en Etudes stratégiques et diplomatiques, novembre 2005, pp.9-11,
document accessible sur le site : http://www. dandurand.uqam.ca
16
Voir Charles-Philippe David et Jean-Jacques Roche, Théories de la sécurité. Définitions, approches et
concepts de la sécurité internationale, Paris, Montchrestien, 2002.
17
Voir, entre autres, G. King et C. Murray, Rethinking Human Security, Harvard University Program on
Humanitarian Policy and Conflict Research, 2000; Sabina Alkire, 2003, « Concepts of Human Security », in L.
Chen, S. Fukuda-Parr et E. Seidensticker (sous la direction de), Human Security in a Global World, The Global
Equity Initiative, Asia Center, Harvard University ; Osler Hampson et J. Hay, Human Security: A Review of
Scholarly Literature, communication présentée lors du Canadian Consortium on Human Security Annual
Meeting, Ottawa, avril 2002.

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Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

sécurité humaine préconisé par le Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD) et par la Commission sur la sécurité humaine.

Selon le Rapport mondial sur le développement humain 1994 du PNUD1994 intitulé :


«Nouvelles dimensions de la sécurité humaine » qui est considéré comme étant la première
initiative importante visant à exposer le concept de sécurité humaine, celui-ci est décrit
comme ayant « deux aspects principaux : d’une part, la protection contre les menaces
chroniques, telles que la famine, la maladie et la répression et, d’autre part, la protection
contre tout événement brutal susceptible de perturber la vie quotidienne »18. Dans cette
définition du PNUD, la sécurité humaine est mise en relation avec sept dimensions auxquelles
correspondent des types spécifiques de menaces. Ainsi,

- la sécurité économique qui recouvre l’accès à l’emploi et aux ressources, est menacée
par la pauvreté ;

- la sécurité alimentaire, signifiant l’accès matériel et économique à la nourriture pour


tous et à tous moments, est confrontée à la menace de la faim et de la famine ;

- la sécurité sanitaire et l’accès aux soins médicaux et à de meilleures conditions


sanitaires a à faire face aux blessures et maladies ;

- la sécurité environnementale affronte les menaces de pollution, de dégradation de


l’environnement mettant en danger la survie des personnes et de l’épuisement des
ressources ;

- la sécurité personnelle est contrariée par des menaces qui peuvent prendre plusieurs
formes: des menaces exercées par l’Etat, des Etats étrangers, d’autres groupes de
personnes (tensions ethniques), des menaces à l’encontre des femmes ou des enfants
en raison de leur vulnérabilité et de leur dépendance.

- la sécurité de la communauté qui signifie que la plupart des personnes tirent leur
sécurité de leur appartenance à un groupe social (famille, communauté, organisation,
groupement politique, groupe ethnique, etc.), peut être menacée par des tensions
survenant souvent entre ces groupes en raison de la concurrence pour l’accès limité
aux opportunités et aux ressources ;

- la sécurité politique qui doit garantir le respect des droits et libertés fondamentaux, est
menacée par l’arbitraire et la répression.

Cette classification établie par le PNUD est importante en ce qu’elle fixe des limites très
larges, qui tranchent par rapport aux tentatives passées de conceptualisation du concept de
sécurité. Elle oblige, en outre, les autres définitions de la sécurité humaine à justifier leurs
restrictions par rapport à ce point de départ. Par ailleurs, cette proposition de définition du
PNUD sous entend l’existence de sous systèmes interdépendants de la sécurité humaine qui
entretiennent entre eux des interactions complexes dont les rapports garantissent l’équilibre et
la pérennité du système lui-même. Ainsi, selon cette présentation, si la causalité du trouble

18
Programme des Nations Unies pour le développement, 1994, Rapport mondial sur le développement humain
1994, Paris, Economica, chapitre 2 intitulé «Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine», pp. 23-26.La
version en anglais du Rapport est accessible sur le site : http://hdr.undp.org/reports/global/1994/en/

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Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

pouvant menacer l’équilibre du système est un élément important, alors les lignes de clivage
du système doivent être définies aussi largement que possible pour tenir compte de toutes les
variables possibles. Pour comprendre les rapports de causalité et prendre des mesures
adaptées, il importe alors de reconnaître l’interdépendance des composantes de la sécurité
humaine, quelle que soit la définition retenue.

Mais ce qui constitue le cœur même de l’acception au sens large de la sécurité humaine réside
dans le primat accordé à « l’essentiel vital des personnes » ; un élément fondamental qui
permet de distinguer la sécurité humaine du développement humain. Alors que celui-ci est lié
au bien être, la sécurité humaine, quant à elle, s’appréhende davantage dans les situations
d’urgence. C’est ce que la « Commission sur la sécurité humaine », créée en janvier 2001 à
l’initiative du gouvernement japonais, en réponse à l’appel lancé lors du Sommet pour le
Millénaire par le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a souligné. En
s’interrogeant sur deux grands thèmes : l’insécurité humaine résultant des conflits et de la
violence d’une part, les liens entre la sécurité et le développement d’autre part, la mission
conférée à la Commission sur la sécurité humaine consistait à élaborer un concept de la
sécurité humaine pouvant servir d’outil opérationnel pour le développement et la mise en
œuvre des politiques. Sur cette base, il fut demandé à la Commission de proposer un
programme de recommandations concrètes pour répondre aux menaces les plus critiques et les
plus répandues pesant sur la sécurité humaine.

Selon la Commission19, « la sécurité humaine consiste à protéger l’essentiel vital de tout être
humain contre les menaces les plus graves et les plus répandues ». Cette définition présente
l’avantage de respecter le sens large de la sécurité humaine, tout en la distinguant clairement
des notions plus générales de bien-être et de développement. En considérant « tout être
humain» comme l’objet référent, elle se concentre non seulement sur les personnes mais
précise aussi le caractère universel de son mandat.

Les expressions «essentiel vital» et «menaces les plus graves et les plus répandues»
permettent de préciser ce qui constitue une menace pour la sécurité humaine et d’inscrire une
notion de gravité dans ce concept. Aux yeux de la Commission sur la sécurité humaine,
« l’essentiel vital» est un niveau minimal de survie. La référence aux « menaces les plus
graves et les plus répandues», quant à elle, indique à la fois la gravité et l’urgence. Les
menaces potentielles étant illimitées, seules donc les plus graves, celles qui prennent des vies
ou les menacent gravement, peuvent être retenues. Mais ce seuil est aussi fondamental
lorsqu’il s’agit de cerner les menaces dans le cadre de la sécurité humaine.

Aussi, pour la Commission, au lieu de dresser une liste de menaces, il serait plus judicieux de
fixer des critères dont le dépassement signifie qu’un problème devient une menace pour la
sécurité humaine. Par conséquent, même si les institutions ne peuvent protéger les personnes
contre tous les fléaux, elles devraient au moins s’attaquer à ceux qui prennent des vies
inutilement.

Selon Amartya Sen, le concept de sécurité humaine constitue un élément fondamental des
processus de développement en général, indissociable de la sécurisation des capacités
humaines, c’est-à-dire « des différentes combinaisons de fonctionnements (identités et
actions) à la disposition d’une personne. (…) Un ensemble de vecteurs de fonctionnements,
reflétant la liberté de la personne à mener tel type de vie, plutôt qu’un autre… à choisir parmi
19
Voir le Rapport de la Commission, Human security Now, New York, 2003, accessible sur le site :
http://www.humansecurity-chs.org/finalreport/Outlines/outline_french.pdf

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Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

plusieurs vies possibles »20. Dans ce contexte, un certain nombre d’éléments facilement
identifiables se trouvent au fondement même du concept de la sécurité humaine. Il s’agit
d’une part, de l’accent qui est mis sur les vies individuelles (par opposition aux modèles de
sécurité de l’Etat) ; d’autre part, d’une appréciation de l’importance de la société et des
dispositions sociales pour renforcer de manière constructive la sécurité des vies humaines ; de
l’importance d’une concentration raisonnée sur les « risques négatifs » pesant sur les vies
humaines21 ; et enfin du choix de se concentrer sur les « risques négatifs », en mettant l’accent
sur les droits humains les plus élémentaires.

Le travail de la Commission s’est divisé en deux vastes domaines de recherche et processus


de concertation afférents. Le premier consistait à étudier les insécurités humaines en lien avec
les conflits et la violence22 ; le deuxième examinait les relations entre sécurité humaine et
développement. Le rapport final de la Commission, intitulé «La sécurité humaine
maintenant » et publié en 2003, déclare : «la notion de sécurité humaine traite de la
sauvegarde des libertés civiles essentielles Il s’agit à la fois de protéger les gens contre les
menaces aigues qui pèsent sur leur sort et de leur donner les moyens de prendre leur destin en
main. Cela signifie également élaborer des systèmes qui donnent aux gens les bases de la
survie, de la dignité et du bien-être minimum. La sécurité humaine concerne plusieurs types
de liberté : liberté de la personne face à ces besoins, face à la peur, liberté d’agir en son propre
nom. »23

La Commission préconisait notamment la mise en place d’un Comité consultatif sur la


sécurité humaine, créé à l’automne 2003. Ce Comité oeuvre à la diffusion et à la mise en
pratique des recommandations de la Commission. Plus particulièrement, il envisage de
formuler des lignes de conduite pour le Fonds fiduciaire des Nations unies pour la sécurité
humaine.

B. Le concept appréhendé dans son sens restreint

L’interprétation restreinte du concept de sécurité humaine se focalise sur les menaces


violentes qui pèsent sur les personnes. La conception de la sécurité humaine au sens étroit
connaît elle-même trois autres variantes. La première visant uniquement à assurer l’intégrité
physique de l’individu contre toute forme de violence, qu’elle résulte ou non d’un conflit. Les
atteintes graves contre les droits des individus n’engendrant pas de violence, généralement
incluses dans le concept de sécurité humaine au sens étroit, ne sont donc pas prises en

20
Cité dans S. Alkire, “The Capability Approach and Human Development”, 9 septembre 2002,
http://hdr.undp.org/docs/training/oxford/presentations/Alkire_HD%20and%20Capabilities.pdf. Voir également
A. Sen, 1989, “Development as capabilities expansion” Journal of Development Planning.
21
Par exemple, au lieu de se concentrer sur l’expansion globale de la liberté en général. A la différence des
objectifs généraux du développement humain, l’expression “les risques négatifs” revient à concentrer son
attention sur les risques immédiats menaçant la survie, la poursuite de la vie quotidienne et la dignité de la
personne. Cette approche nécessite la protection des personnes contre des menaces envahissantes telles que les
conflits, la privation, l’extrême pauvreté, etc.
22
Ce domaine de recherche abordait notamment les besoins particuliers de sécurité des populations et la
protection des victimes, des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Il se concentrait
également sur les interdépendances entre l’insécurité et le besoin de s’assurer que les activités liées au
développement soient maintenues parallèlement aux initiatives entreprises dans le cadre de la résolution des
conflits.
23
La version française du rapport est disponible aux Presses de Sciences-Po, Paris.
http://bief.org/index.cfm?fuseaction=C.Titre&Tid=6147&E=160

9
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

compte24. La deuxième variante consiste à lier les menaces à des situations conflictuelles.
Cette approche concerne les menaces liées aux mines anti-personnelles, à la prolifération des
armes légères, à la protection des civils dans les situations de conflits armés (recrutement
d’enfants-soldats, personnes déplacées dans leur propre pays, sécurité des camps de réfugiés),
au respect du droit humanitaire par les acteurs non étatiques, et aux sanctions internationales
ciblées afin d’éviter de faire souffrir la population civile. Enfin, la troisième variante, celle
adoptée par le Canada, prend en considération les menaces indépendantes à un conflit, mais
qui sont pour autant déstabilisantes pour les individus. La sécurité humaine, ici, se rapporte à
des menaces telles que les atteintes à la sécurité publique, le terrorisme, la cybercriminalité, le
trafic d’êtres humains, les drogues illicites et le blanchiment d’argent25 Comme l’a fait
observer l’ancien ministre canadien des affaires étrangères Lloyd Axworthy, ces menaces
doivent être contrariées essentiellement par les ressources diplomatiques, les méthodes de
persuasion économique, le renseignement et les technologies de l’information26.

Le « Rapport sur la sécurité humaine » du Centre pour la sécurité humaine de l’Université de


Colombie britannique, dont la première édition a été rendue publique en juin 200527, se fonde
sur cette définition restreinte de la sécurité humaine. Les raisons qui sont avancées pour
justifier cette approche sont intéressantes à retenir. La Rapporteur souligne que ce choix a été
retenu afin « de limiter sa portée pour des raisons pragmatiques et méthodologiques »28. Selon
le Rapporteur, comme le Rapport du PNUD sur le développement humain couvre déjà les
questions liées à la volonté de « se prémunir contre le besoin », il a été jugé qu’un autre
rapport de ce type serait redondant. La proposition soutient, enfin, que d’un point de vue
méthodologique, la compréhension des rapports entre sous-développement et violence
implique inévitablement de distinguer les variables dépendantes et indépendantes.

Mais l’argument fort dans le sens d’une définition restreinte de la sécurité humaine réside tout
simplement dans le nombre d’initiatives internationales fondées sur ses paramètres ayant été
couronnées de succès. En fait, la plupart des avancées majeures réalisées au nom de la
sécurité humaine se fondaient sur cette définition restreinte. Ainsi, le Traité d’interdiction des
mines, la Cour pénale internationale, de même que les dernières initiatives internationales sur
les enfants soldats, les armes légères et le rôle des acteurs non étatiques dans les conflits, ont
été engagés selon l’interprétation restreinte du principe de sécurité humaine.

24
Voir le Projet Andrew Mack : www.humansecuritybulletin.info/fr/hsq010205a.htm.
25
Voir : www.humansecurity.gc.ca
26
Lloyd Axworthy, 2001, « Human Security and Global Governance: Putting People First », Global
Governance, vol. 22, no 1, p. 19.
27
War and Peace in the 21st Century. The Human Security Report, Human Security Cetre, The University of
British Columbia, New York, Oxford University Press, 2005, accessible sur le site:
http://www.humansecurityreport.info/index.php?option=content&task=view&id=28&Itemid=63
28
Voir la préface du Rapport, p. viii: « For both pragmatic and methodological reasons, however, the Human
Security Report uses the narrow concept.The pragmatic rationale is simple. There are al-ready several annual
reports that describe and anal-yse trends in global poverty, disease, malnutrition and ecological devastation: the
threats embraced by the broad concept of human security. There would be little point in duplicating the data and
analysis that such reports provide. But no annual publication maps the trends in the incidence, severity, causes
and conse-quences of global violence as comprehensively as the Human Security Report.The methodological
rationale is also simple. A concept that lumps together threats as diverse as genocide and affronts to personal
dignity may be useful for advocacy, but it has limited utility for policy analysis. It is no accident that the broad
con-ception of human security articulated by the UN Development Programme in its much-cited 1994 Human
Development Report has rarely been used to guide research programs.Scholarly debate is a normal part of the
evolution of new concepts, but it is of little interest to policy-makers. The policy community is, however,
increas-ingly using the concept of human security because it speaks to the interrelatedness of security, develop-
ment and the protection of civilians”, http://www.humansecurityreport.info/HSR2005/Front_Matter.pdf .

10
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

C. Le concept de sécurité humaine dans les relations internationales

La sécurité humaine, en se proposant de repenser le concept de sécurité dans son rapport à


l’humain et non à l’Etat, met en avant une approche et une méthodologie nouvelles qui
dépassent et mettent à mal la logique westphalienne qui ordonne, structure et détermine le
fonctionnement du système des relations internationales contemporaines29. Elle offre des
outils nouveaux et génère des changements considérables dans la pratique internationale, pour
prévenir, guérir et supprimer les menaces sur la sécurité.

Ainsi, avec la sécurité humaine, il se construit un droit des relations internationales qui ne
règlera plus seulement les rapports entre Etats dans le respect neutre des souverainetés
étatiques, mais la défense de valeurs et de solidarités privilégiant la souveraineté des individus
sur celle de l’Etat30. Le concept de sécurité humaine se présente comme étant un cadre de
réévaluation du sens et de la signification contemporaine de la souveraineté. Dans son essence
même, il tend à renverser la conception communément admise des rapports existants entre le
citoyen et l’Etat. Si, dans la conception classique de la sécurité, la légitimité et la souveraineté
de l’Etat procèdent davantage du système international lui-même, à travers sa reconnaissance
par les Etats tiers ; l’approche fondée sur la sécurité humaine renverse la logique de la
souveraineté, en la fondant exclusivement sur la finalité ultime de la véritable « puissance de
l’Etat » selon la théorie politique. Aux termes de celle-ci, les gouvernements sont les
instruments des citoyens pour améliorer le bien-être de la population, et aucun gouvernement
ne peut faire valoir sa légitimité, et partant, son droit à la souveraineté si ses activités portent
atteinte à la dignité humaine31. Le concept hier absolu de souveraineté est rivalisé par celui de
responsabilité. La souveraineté ne signifie plus seulement l’imposition du pouvoir, mais
s’entend par la responsabilité de protéger un peuple sur son territoire. Le cas échéant, il
appartient à la communauté internationale de relever, est de déterminer ce qu’il convient de
faire.

Appréhendée sous ces aspects, la sécurité humaine correspondrait à une reconstruction des
normes ainsi qu’à un changement des comportements au sein du système international. Si
l’idéal d’humanité consacre la primauté des droits de l’homme32, l’emportant sur la
souveraineté, le but ultime d’une stratégie de sécurité humaine doit être l’établissement d’une
autorité politique légitime, capable de faire respecter ses propres exigences. Ceci s’applique
autant pour la sécurité physique, pour laquelle le respect de la loi et le bon fonctionnement du
système de justice sont essentiels, qu’à la sécurité matérielle, pour laquelle des politiques
publiques sont nécessaires afin de reconstituer le cadre socio-économique de la société
concernée. En d’autres termes, les entreprises de sécurité humaine sont envisagées comme de
vastes chantiers d’ingénierie politique qui renvoient à la fabrication de structures politiques
qui rétablissent la confiance des individus, « libérés de la peur et du besoin ».

Pour atteindre ces objectifs proposés, la Commission de la sécurité humaine suggère une
approche fondée sur la protection et l’habilitation. La protection se réfère aux normes, aux

29
Voir, Jean-François Rioux (dir.), La Sécurité humaine : une nouvelle conception des relations internationales,
L’Harmattan, Paris, 2001.
30
Daniel Colard, « La doctrine de la sécurité humaine, le point de vue d’un juriste », Arès, avril 2001, pp.11-25.
31
Voir Jr. S.O Gyandoh, « Human Rights and the Acquisition of National Sovereignty », dans Jan Berting et al.
(dir.), Human Rights in a Pluralist World, Westport (Connecticut), Greenwood, 1990, notamment p.172.
32
Voir, entre autres, Agnès Lejbowicz, Philosophie du droit international. L'impossible capture de l’humanité,
PUF, 1999

11
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

institutions et aux procédures nécessaires pour prévenir les violations massives de droits
humains ou atténuer les menaces à l’intégrité physique des victimes en cas de conflit. Elle est
aussi nécessaire dans les situations de détresse économique et d’extrême pauvreté.
L’habilitation, de l’autre côté, équipe les individus pour faire face aux menaces et leur permet
de développer leurs potentialités. Cela requiert donc un mélange de mesures «top down»,
incluant l’existence d’un système de droit, d’institutions responsables et de mesures sociales
d’aide aux plus démunis, en même temps qu’une approche «bottom-up» nécessitant la mise en
œuvre de processus démocratiques dans lesquels les individus et les groupes deviennent les
acteurs de leur propre développement. Ce cadre protection/habilitation doit s’inscrire dans un
processus démocratique et de bonne gouvernance.

Le respect et l’observance des Droits de l’Homme et du Droit humanitaire constituent le


noyau de la protection dont doivent jouir les individus. Comme tels, ils constituent les piliers
sur lesquels se fonde le concept de sécurité humaine. Ne faisant pas de distinction entre les
violations touchant le droit humanitaire et les droits humains, tant dans les domaines civil et
politique que dans les domaines économique, social et culturel, l’approche de la sécurité
humaine permet de promouvoir le respect de ces droits sous tous leurs aspects et d’adresser
leurs violations d’une manière globale et intégrée. Il conviendrait, cependant, de préciser que
la sécurité humaine ne saurait devenir un outil efficace que s’il est relayé par la volonté d’agir
de la Communauté internationale.

Au même titre, il serait aussi à relever que l’éthique de responsabilité que la sécurité humaine
évoque dans le cadre d’un Etat, rejaillit sur la communauté internationale, en cas de carence
des instances nationales. L’inaccomplissement par les autorités de l’Etat de leur responsabilité
de protéger, appelle pour la Communauté internationale, et sur le même registre de l’éthique,
l’exercice d’une « responsabilité de réagir et de reconstruire. Ce nouvel appareil proposé par
le Rapport de la « Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté de Etats »
(CIISE) repose principalement sur les principes cardinaux de la sécurité humaine33. Tout
comme celle-ci, le concept de responsabilité de protéger se base sur la protection des
populations qui transcenderait le principe de la souveraineté des Etats.

Les principales conclusions de ce Rapport seront reprises par le Secrétaire général des Nations
Unies dans son rapport de mars 2005, « Pour une liberté plus grande ». Il invite alors les Etats
à adopter le principe de la responsabilité de protéger selon lequel la communauté
internationale peut et doit intervenir, y compris par des mesures coercitives décidées par le
Conseil de sécurité, pour prévenir ou mettre fin à des violations massives des droits de
l’homme lorsqu’un Etat concerné ne peut ou ne veut agir.

33
Cette Commission composée de 12 personnalités internationales a été créée, à la suite d’une invitation lancée
par le Secrétaire général des Nations Unies à l’Assemblée générale, en 1999 puis en 2000 consécutive à
l’intervention de l’Otan au Kosovo, invitant la communauté internationale à définir sa propre responsabilité en
matière de protection des populations. Les travaux de la Commission se sont tout particulièrement attachés à
délimiter les limites entre la souveraineté des Etats et la responsabilité de protéger. Cette dernière doit reposer
sur un certain nombre de critères avant d’aboutir à une intervention armée. Parmi ces critères, figure notamment
la notion de « la cause juste », à savoir le rassemblement de preuves avant d’intervenir, car il ne peut y avoir
d’intervention militaire que si le seul objectif est de sauver des vies humaines. Voir, la responsabilité de
protéger, Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, document
accessible sur le site : www.iciss.ca/pdf/Rapport-de-la-Commission.pdf .

12
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

Le Document final du Sommet mondial de 200534, en procédant à l’endossement de ce


principe et à la reconnaissance d’une obligation collective de protection des populations face
aux génocides, nettoyages ethniques et crimes contre l’humanité, souligne que cette
responsabilité incombe au premier chef aux Etats, mais face à leur défaillance (manque de
volonté ou incapacité), elle devient celle de la Communauté internationale, incarnée par les
Nations unies. Cette importance du rôle joué par le concept de sécurité humaine dans la
reformulation du droit d’intervention, lequel relativise la portée du principe de la souveraineté
des Etats, illustre la place de choix que celui-ci occupe non seulement dans la réécriture des
sources formelles du droit international public, mais aussi dans la redéfinition de ses sujets.

Il serait, enfin, à observer que l’inscription de la sécurité humaine dans l’agenda international
doit beaucoup aux initiatives prises par les Etats membres du Groupe de Lysøen ou le Réseau
de sécurité humaine. Ce Réseau a été constitué faisant suite à une initiative canadienne et
norvégienne à l’issue de la réunion des Ministres et des représentants des Gouvernements de
l'Autriche, du Canada, du Chili, de l'Irlande, de la Jordanie, des Pays-Bas, de la Slovénie, de
la Suisse, de la Thaïlande et de la Norvège s'est tenue à Bergen et Lysøen en Norvège, les 19
et 20 Mai 1999 afin d'aborder des thèmes liés à la sécurité humaine. L'Afrique du Sud a
participé à la réunion dans sa capacité d'observateur

Se présentant comme étant un « mécanisme informel et flexible, le Réseau de la sécurité


humaine identifie des thèmes concrets en vue d'un action collective. Il se consacre à des
politiques sur la sécurité centrées sur l'exigence de sécurité et de protection de l'individu et de
la société, libérés de la peur et des besoins. Le Réseau joue un rôle catalyseur en dirigeant
l'attention internationale sur de nouveaux sujets émergents. En appliquant une perspective de
sécurité humaine aux problèmes internationaux, le Réseau a l'objectif de dynamiser les
processus politiques destinés à prévenir ou à résoudre les conflits et promouvoir la paix et le
développement »35. Pour mener à bien ces objectifs, le Réseau tient régulièrement des
réunions ministérielles36, et entretient d’étroits contacts avec des organismes scientifiques et
des organisations non gouvernementales qui lui sont utiles dans le travail de lobbying qu’il
effectue principalement.

Depuis sa création, ce Réseau a joué un rôle déterminant dans la promotion au niveau mondial
d’une stratégie « axée sur les personnes ». Elle œuvre actuellement à l'universalisation de la
Convention d'Ottawa sur les mines terrestres anti-personnelles, s’efforce à multiplier la
ratification par les Etats du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale adopté le 17
juillet 1998 , se penche sur les questions relatives à la protection des enfants en situation de
conflits, du contrôle des armes légères, de la lutte contre le crime organisé transnational, du
rapport entre le développement humain et la sécurité humaine, des droits de l'homme dans le
domaine de l'éducation, de la lutte contre le virus du HIV/sida, en soulignant les carences
dans l'application du droit international humanitaire, des droits de l'homme, et celles
rattachées à la prévention des conflits.

34
Document final du Sommet mondial de 2005, A/60/L.1, 15 septembre 2005, accessible sur le site
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/N0551131.pdf
35
Présentation du Réseau sur son site internet, http://www.humansecuritynetwork.org/network-f.php
36
Ces réunions ministérielles se sont déroulées à Lysøen, Norvège, du 19 au 20 mai 1999 ; à Lucerne, Suisse, le
11-12 mai 2000; à Petra, Jordanie, du 11 au 12 mai 2001 ; à Santiago, Chili, du 2 au 3 juillet 2002 ; à Graz,
Autriche, du 8au 10 mai 2003 ; à Bamako, Mail, du 27 au 29 mai 2004 ; à Ottawa, Canada, du 18 au 20 mai
2005. La prochaine réunion ministérielle doit se passer en Thaïlande dans le courant de cette année 2006.

13
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

II. UNE APPROCHE DIFFERENCEE DE LA SECURITE HUMAINE PAR LES


ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Pour les acteurs des relations internationales, et au-delà du débat conceptuel autour de la
sécurité humaine, celle-ci les interpelle, dans une perspective opérationnelle, en ce qu’elle
propose une vision alternative des enjeux de la paix et de la coopération internationale,
prenant les individus et leurs expériences comme le principal point de référence. Ce faisant,
l’irruption de la sécurité humaine vient bouleverser les règles de jeu des relations
internationales reposant, depuis le traité de Westphalie, sur la primauté du principe de la
souveraineté des Etats.

Certes, le bouleversement des relations internationales consécutif à la fin de la Guerre froide


conjuguée avec les effets de la globalisation et de l’émergence de valeurs communes à
l’humanité tendent à atténuer la centralité de l’Etat et contribuent à une relativisation de sa
souveraineté ; toutefois, l’appropriation de ces concepts par les Etats s’effectue de manière
indifférenciée où la préoccupation de l’intérêt national n’est jamais éloignée.

De la même façon, l’on assiste, concernant les organisations internationales, à des postures
différenciées et évolutives dans le rapport avec le concept de sécurité humaine.
L’appropriation du concept par les organisations internationales s’effectue de différentes
manières. La voie la plus simple à identifier serait celle de son endossement par une
organisation internationale qui, de manière explicite, reprend le vocable et traduit son
ralliement au concept en proposant la définition qu’elle s’en donne. C’est le cas de l’Union
africaine et de l’Unesco. Le fruit de cet exercice produit, le plus souvent, des acceptions dont
le contenu est différencié. L’appropriation peut aussi se faire de manière indirecte lorsque
l’organisation internationale, sans pour autant se référer au concept, en épouse l’esprit, le
reformule en des termes voisins et lui donne une dimension opérationnelle en le mettant à
l’œuvre et, l’institutionnalisant, ce faisant.

En tout état de cause, la multiplication vérifiée de l’évocation et des renvois au concept de


sécurité humaine dans la rhétorique internationale semble participer à consolider sa pertinence
dans le débat afférent à la paix et à la sécurité internationales, et contribue à l’amorce de sa
normativité dans l’ordre juridique international. Son évocation directe par le « Document final
du Sommet mondial de 2005 »37, et surtout l’engagement pris par les Chefs d’Etat et de
gouvernement, réunis au Siège de l’Organisation des Nations Unies à New York du 14 au 16
septembre 2005, « à définir la notion de sécurité humaine à l’Assemblée générale »38,
constitue une illustration de cette mutation.

Dans la présentation de l’approche de la sécurité humaine par les organisations internationales


qui est proposée dans les développements qui suivent, il conviendrait, d’emblée, de relever
que le rôle joué par les institutions des Nations Unies, par le biais du PNUD, dans l’apparition
et le mûrissement du concept va influencer le comportement des organisations internationales.
Ce simple fait a largement contribué à l’interpellation directe de l’ensemble des acteurs
impliqués dans la coopération internationale, rendant la dénégation difficile. A analyser leur
comportement, on s’aperçoit que beaucoup, aux premiers moments, avaient adopté une
posture d’attente et d’interrogation quant aux caractères opératoires de ce concept nouveau ;
pour adopter, par la suite, soit une posture d’appropriation directe du concept effectuée par
37
Ibid.
38
Ibid., paragraphe 143 in fine.

14
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

une adhésion pleinement déclarée, soit une attitude d’accompagnement en participant à


l’approfondissement de certains thèmes qui y sont rattachés.

Il serait à relever que la dichotomie conceptuelle, précédemment évoquée, rejaillit ici. Les
organisations qui se sont appropriées la sécurité humaine relaient, le plus souvent, la
conception large ; tandis que celles qui l’accompagnent dans son évolution, privilégieraient
une approche et une démarche sectorielles. Cette distribution n’est pas toujours le fruit d’un
choix délibéré, car elle peut être imposée par le principe de spécialité qui gouverne les
organisations internationales.

L’on remarquera aussi que l’autorité du système des Nations Unies, au sein duquel le concept
a reçu son annonce inaugurale, et où il est le plus éprouvé, semble donner au concept une
envergure de reconnaissance qu’il conviendrait de vérifier. L’effet de capillarité favorisé par
la centralité du système des Nations unies contribue à un étalement du concept, ou du moins
du débat qu’il suscite, qui vient à irradier l’ensemble du cercle des organisations
internationales. Ceci rend alors vaine une quelconque présentation des organisations
internationales selon le degré de leur ralliement au concept de sécurité humaine. Aussi nous
procéderions à une simple revue des organisations internationales en essayant, pour chacune,
de caractériser la nature de ses rapports avec le concept de sécurité humaine.

A ce titre, il est d’emblée à noter que si, pour certaines, il existe un véritable corps de doctrine
cohérent ; d’autres, qui se positionnent par rapport à la sécurité humaine de manière plus
factuelle, voire conjoncturelle, ne peuvent proposer qu’un argumentaire partiel.

A. Le système des Nations Unies

Premier lieu d’expression du concept de sécurité humaine, le système des Nations Unies
s’avère être aujourd’hui celui privilégié de la construction de sa normativité. Dans cette
entreprise, le dialogue permanent entre le Conseil de sécurité et le Secrétaire général occupe
une place capitale.

1. L’Organisation des Nations Unies

a) Le rôle joué par le Conseil de sécurité

Dans l’exercice de son mandat dont les termes sont définis par les dispositions de l’article 24
de la Charte des nations Unies, le Conseil de sécurité, depuis une dizaine d’années, est le
théâtre d’un renouvellement de la problématique du maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Progressivement, on assiste à un glissement de la conception strictement
militaire du maintien de la paix et de la sécurité internationales à une conception plus élargie,
intégrant d’autres dimensions de la sécurité dépassant celles de la sécurité nationale des Etats.
Dans cette « nouvelle approche dans l’exécution de son mandat »39, Le Conseil de sécurité
prend désormais en considération des phénomènes pouvant menacer la paix et la sécurité

39
Conseil de sécurité, Communiqué de presse, CS/2088, 12 janvier 2001.

15
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

internationales autres que des actes de guerre stricto sensu40 prenant en compte d’autres
considérations que les seuls intérêts des Etats. L’initiative de cette mutation revient au
Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, dont l’Agenda pour la paix marque un tournant
essentiel pour l’ensemble du système des Nations Unies41. Dans une pénétrante analyse des
phénomènes conflictuels, il affirme que, « pauvreté, maladie, famine, oppression et désespoir
sévissent (…). Ces problèmes, qui sont à la fois la source et la conséquence des conflits
exigent que l’attention que leur porte l’ONU ne se relâche pas et que les efforts qu’elle leur
consacre constituent l’absolue priorité (…). Sécheresse et maladie peuvent décimer aussi
impitoyablement que des armes de guerre. Alors même que de nouvelles possibilités s’offrent
ainsi à l’Organisation, les efforts qu’elle déploie en vue d’instaurer la paix, la stabilité et la
sécurité doivent dépasser le domaine de la menace militaire (…) »42. Ainsi, le Secrétaire
général propose une nouvelle approche de l’action du Conseil, tendant, non seulement à faire
cesser les conflits en cours, mais surtout à éviter qu’ils surviennent ou qu’ils se reproduisent.
A ce titre, il lui propose la recherche des causes les plus intimes des conflits, y intégrant
d’autres dimensions de la sécurité que celles rattachées à la défense des intérêts de sécurité du
territoire national, de la même façon qu’une division de l’action liée à la sécurité humaine
comprenant cinq volets: la diplomatie préventive, le rétablissement de la paix, le maintien de
la paix, la consolidation de la paix après les conflits, et le traitement des causes profondes de
conflit, la misère économique, l’injustice sociale et l’oppression politique43

Selon une partie de la doctrine, cette démarche proposée par le Secrétaire général des Nations
Unies, que Kofi Annan son successeur a repris dans ses rapports en date du 13 avril 1998 sur
"les causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique"
(S/1998/318) et du 22 septembre 1998 sur "la protection des activités d'assistance humanitaire
aux réfugiés et autres personnes touchées par un conflit" (S/1998/883), en particulier l'analyse
qu'ils contiennent concernant la protection des civils, a notablement influencé le mode
opératoire du Conseil. Comme le souligne Hervé Cassan44, on assiste à un changement dans le
mode de fonctionnement du Conseil de sécurité où, « les résolutions qu’il adopte sont moins
la résultante d’un raisonnement normatif que la traduction d’une analyse politique (…); une
analyse complète, tant sur le plan militaire que politique, humanitaire et économique ». Le
Conseil procède, désormais, à un traitement global et continu des crises. Il se découvre de
nouveaux champs de compétence ainsi que des domaines d’intervention sur le fondement
d’une conception renouvelée de la sécurité où « la sécurité des peuples » et « la protection des

40
Voir, notamment, Hervé Cassan, « L’avenir du Conseil de sécurité : une question de méthode », in Annuaire
français de relations internationales, n° 1, 2000, pp. 805-816, spécialement pp. 807-809 et 814-815. Ce nouveau
rôle a d’ailleurs été entériné, dès 1995, par le Secrétaire général cinquantième année, Supplément de janvier,
février et mars 1995 S/1995/1. qui analyse avec minutie le changement intervenu dans les opérations de maintien
de la paix et dans lequel on peut lire : « Un deuxième changement d’ordre qualitatif tient à l’utilisation des forces
des Nations Unies pour protéger des opérations humanitaires », § 18.
41
Il est à rappeler que ce document constitue la première réponse apportée par le secrétaire général à la
commande du Conseil de sécurité réuni le 31 janvier 1992 au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement, lui
demandant une étude et des recommandations sur « le moyen de renforcer la capacité de l’Organisation des
Nations Unies dans les domaines de la diplomatie préventive, du maintien et du rétablissement de la paix, et sur
la façon d’accroître son efficacité dans le cadre des dispositions de la Charte », Déclaration du 31 janvier 1992
adoptée par le Sommet du Conseil de sécurité, S/23500, p. 123.
42
Agenda pour la paix : diplomatie préventive, rétablissement de la paix et maintien de la paix », Rapport du
Secrétaire général à la réunion du Conseil de sécurité (A/47/277-S24111), 17 juin 1992.
43
David Lee, « Étude de cas : Haïti », dans Rob McRae et Don Hubert (dir.), Sécurité humaine et nouvelle
diplomatie : protection des personnes, promotion de la paix, McGill-Queen’s University Press, Montréal,
Kingston, 2002, note de bas de page, p.115
44
Hervé Cassan, « L’avenir du Conseil de sécurité : une question de méthode », Annuaire Français de relations
Internationales, n°1, 2000, pp. 805-816, notamment pp. 807-809 et 814-815.

16
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

civils dans les conflits internes » accèdent au rang des préoccupations du Conseil de sécurité
dans ses activités normatives45.

Dans ce contexte, les origines de l’insécurité appréhendées par le Conseil de sécurité sont
diverses et peuvent être recherchées inter alia dans des facteurs sociaux, économiques,
environnementaux ou même sanitaires. Comme l’a souligné Amara Essy, l’ancien Secrétaire
général de l’OUA, « (à) l’évidence, le Secrétaire général de l’ONU ne cesse de le répéter, la
problématique de la sécurité internationale, et l’Afrique est concernée au premier chef, se
pose dans des termes souvent différents de ceux posés par la Charte de 1945. C’est désormais
moins la sécurité des Etats qui est en cause, que l’existence même de l’Etat en tant que
système organisé de gouvernement. Il s’agit aujourd’hui tout autant de garantir la sécurité
collective des Etats prévue par la Charte des Nations Unies (…) que d’assurer la sécurité
globale des sociétés mises en danger par des guerres civiles ou diverses autres menaces
comme la grande criminalité ou les pandémies comme le sida »46. Ce que le Conseil effectue
lors de sa réunion du 10 janvier 200047. « Pour la première fois, après plus de quatre mille
séances de travail au cours des cinquante dernières années, (…) le Conseil de sécurité », eu
égard à la « nature changeante des menaces à la sécurité dans le monde » se penche « sur une
question relative à la santé en la considérant comme une menace pour la sécurité »48. Comme
l’a expliqué James Wolfensohn, le Président de la Banque mondiale, lors des débats au
Conseil de sécurité du 10 janvier 2000, la pandémie du VIH/sida, entrave les efforts de
développement par une destruction des structures familiales, sociales et économiques,
accentuant les difficultés éprouvées par les sociétés concernées. La pauvreté et l’exclusion qui

45
Ceci se vérifie à travers la multiplication de résolutions spécifiques prises dans le cadre du chapitre VII et
touchant la question de la sécurité des opérations de secours humanitaires qui sont menées à l’occasion de
conflits armés, par exemple en Somalie, Résolution 794 (1992) du 3 décembre 1992, en Bosnie, Résolution 836
(1993) du 4 juin 1993 ou au Kosovo, Résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999; la protection des enfants touchés
par les conflits armés à travers les résolutions (1999) du 25 août 1999, 1314 (2000) du 11 août 2000, 1379
(2001) du 20 novembre 2001, 1460 (2003) du 30 janvier 2003, 1539 (2004) du 22 avril 2004 et 1612 du 26
juillet 2005 ; la protection des femmes, Résolution 1325 du 31 octobre 2000, ou des civils en période de conflit
armé, résolutions 1265 du 17 septembre 1999, 1296 du 19 avril 2000.
46
Amara Essy, intervention lors de la séance tenue le 29 janvier 2000 sur « la situation en Afrique », S/PV.4460,
document accessible sur le site www.un.org/french/docs.sc/pvs/pv4460f.pdf
47
Il conviendrait, toutefois, de préciser que, selon plusieurs diplomates, la Chine et la Russie ont ainsi refusé de
s'exprimer lors de cette réunion du Conseil, par crainte que celui-ci n'étende ses compétences à des sujets
autrement plus controversés, comme les droits de l'homme. «L'avenir dira s'il s'agit ou non d'un précédent», a
commenté Richard Holbrooke reconnaissant que l'aval de certains pays n'a été obtenu qu'à la condition que
l'exercice ne se répète pas, Voir Le Temps, 12 janvier 2000.
48
Al Gore, vice-président des Etats-Unis, allocution d’ouverture (S/PV.4087). Cette réunion fut le résultat de la
conjugaison de deux faits : après des années d’indifférence, la question du sida était brusquement devenue
d’actualité sous l’administration Clinton, sans que l’on sache d’ailleurs à quoi attribuer cet intérêt soudain (Voir
l’enquête du Washington Post publiés dans ses colonnes le 5 juillet 2000 dénonçant avec vigueur ce que l’on a
pu appeler le « syndrome d’abdication » tant aux niveaux nationaux qu’international : « The Belated Global
Response to A.I.D.S. in Africa » et « The World Shunned Signs of Disaster »
www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn/..). Il était apparu à M. Richard Holbrooke, représentant permanent des
Etats-Unis aux Nations Unies, alors que la présidence tournante du Conseil revenait aux Etats-Unis, la nécessité
de proposer comme thème aux travaux du Conseil de sécurité pour le mois de janvier 2000, qu’il dénomma « le
mois de l’Afrique », d’identifier les réels problèmes affectant ce continent, afin d’en proposer les solutions les
plus appropriées. M. Holbrooke proposa d’ouvrir les débats avec la question du sida, particulièrement aiguë sur
ce continent tout en la reliant avec les autres problèmes prégnants que sont les violents conflits ethniques et
politiques, la question des réfugiés, la faim, la pauvreté, les violations des droits de l'homme, le manque
d'éducation et la marginalisation économique. Il serait, toutefois, à relever qu’en dépit de l’absence de mesure
spécifique prise par le Conseil à l’issue de ses travaux, ceux-ci ont contribué à préparer la prise ultérieurement de
certaines décisions importantes dont la Résolution 1308 du 17 juillet 2000 relative à la « responsabilité du
maintien de la paix et de la sécurité internationale incombant au Conseil de sécurité : le VIH/ sida et les
opérations internationales de maintien de la paix ».

17
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

en résultent favorisent les guerres civiles, en portant un coup à la stabilité politique des Etats,
ainsi que les conflits entre Etats. Souvent à base interethnique, ceux-ci entraînent des
déplacements massifs de populations, combattants armés et réfugiés, qui contribuent à la
propagation de l’infection. Avec cette pandémie relève-t-il, « nous nous heurtons à une
grande crise de développement et, plus que cela, à une crise de sécurité, car sans espoir sur les
plans économique et social nous n’aurons pas la paix et le sida ne manquera pas de porter
atteinte tant au développement qu’à la sécurité »49.

Cet élargissement du champ de compétence du Conseil de sécurité50 n’a pour autant pas
entraîné un amenuisement de celui du Conseil économique et social qui a la responsabilité,
dans le système des Nations Unies, des « questions internationales dans les domaines
économique, social et (…) de la santé publique (…) », selon les dispositions de l’article 63 de
la Charte51. Mais, cette nouvelle approche du Conseil de sécurité n’est cependant pas dénuée
de valeur. Il conviendrait à cet égard de relever que, si le Conseil de sécurité a entrepris une
réflexion sur le contenu de la notion de sécurité, prenant en compte l’évolution du monde
contemporain, une telle situation ne paraît aucunement contrarier les termes de son mandat,
bien au contraire. En effet, les termes de « maintien de la paix et de la sécurité
internationales » qui délimitent le champ de compétence du Conseil, ne comportent pas de
définition précise ; mais en outre, le maintien de la paix « a été inventé par l’Organisation des
Nations Unies », il semblerait alors opportun que l’Organisation elle-même puisse en
modifier les éléments par la voix de l’organe qui, aux termes de la Charte, en assume la

49
Pour les débats de cette réunion du 10 janvier 2000, voir le document S/PV. 4087. Ce document est accessible
sur le site internet : http://secap174.un.org/search?q=cache:ylHBxZoNmRE:http://daccess-
ods.un.org/access.nsf/Get%3FOpen%26DS%3DS/PV.4087%26Lang%3DE+S%2FPV+4087&ie=utf8&site=un_
org&output=xml_no_dtd&client=un_org&access=p&num=10&proxystylesheet=http%3A%2F%2Fwww.un.org
%2Ffrench%2Fsearch%2Fun_org_stylesheetf.xslt&oe=utf8
50
A contra, voir les explications avancées par Pierre-Marie Dupuy. Selon cet auteur, cette situation ne constitue
pas une réelle innovation, mais « un simple retour à la lettre comme à l’esprit de la Charte ». Il souligne que
l’article 1er de la Charte fait expressément le lien entre le maintien de la paix et la coopération internationale pour
résoudre « les problèmes internationaux d’ordre économiques, sociaux, intellectuels ou humanitaires » et la
protection des droits de l’homme. Pour cet auteur, il existe dans la Charte deux conceptions distinctes de la paix
internationale ; une dimension structurelle qui relève de l’Assemblée générale, du Conseil économique et social
et du Secrétariat général et qui est destinée à se réaliser sur le long terme par une coopération entre Etat et
organisations concernées ; et une dimension sécuritaire dont la responsabilité relève spécifiquement du Conseil
de sécurité et qui se situe dans l’urgence. P.-M. Dupuy explique que « c’est la différenciation entre ces deux
dimensions de la paix qui paraît remise en cause », le Conseil de sécurité intervenant, à présent, dans la sphère
relevant de la dimension structurelle. « Sécurité collective et organisation de la paix », Revue Générale de droit
International Public, 1993/2, notamment p. 61 et pp. 623-624.
51
Dans sa déclaration lors de la séance du 10 janvier 2000, le secrétaire général, Kofi Annan, définit lui-même
les contours de l’action du Conseil de sécurité et attribue à celui-ci le « rôle (…) d’empêcher les conflits de
contribuer à la propagation du sida et d’entraver les efforts que déploient les autres partenaires pour maîtriser
l’épidémie ». C’est très exactement ce qu’a fait par la suite le Conseil, se retranchant derrière les termes du
mandat que les organes des Nations Unies ont reçu de la Charte : dans sa Résolution 1308 du 17 juillet 2000, la
première à évoquer une question de santé publique, s’il encourage les Etats membres à mettre en œuvre une
action de formation, prévention, dépistage et traitement, c’est uniquement à l’égard des personnels participant
aux opérations de maintien de la paix. La résolution ne concerne que de manière indirecte la population, civile
ou militaire, non engagée dans ces opérations. Plus récemment, après la session extraordinaire de l’Assemblée
générale sur le sida tenue en juin 2001, le Président du Conseil de sécurité déclare, au nom du Conseil, que celui-
ci « exprime son intention de contribuer dans son domaine de compétence, à la réalisation des objectifs énoncés
dans la déclaration (…) » Voir la Déclaration du président du Conseil de sécurité du 28 juin 2001,
S/PRST/2001/16. Enfin, lors des débats tenus le 29 janvier 2002 sur l’Afrique, la Vice secrétaire générale, Mme
Louise Fréchette, fait référence au sida en tant que « facteur qui contribue à la plupart des causes profondes de
conflit, si ce n’est à toutes » mais propose au Conseil « de se concentrer sur des questions à propos desquelles
(…) [il] a des responsabilités et des possibilités d’action directe » Voir document S/PV 4460 , accessible sur le
site internet : http://www.un.org/News/Press/docs/2002/SC7282.doc.htm

18
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

responsabilité principale, quitte à ce que cet organe interprète ensuite strictement celle-ci en
ce qui concerne les décisions qu’il est habilité à prendre. « Il serait, toutefois, erroné de ne
voir dans cette nouvelle approche qu’un simple exercice intellectuel ou une discussion
d’école. Les débats tenus sur cette question par le Conseil de sécurité en séance publique ne
restent pas sans incidence : c’est toute une dynamique nouvelle qui en découle, dynamique de
coopération et de suivi pour arriver à des mesures concrètes, largement orchestrée, tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du système onusien, par le Secrétaire général des Nations Unies.

Enfin, il constitue un précédent pour ce qui concerne la façon d’aborder la question du


maintien de la paix. Les questions de santé publique, du moins les plus préoccupantes d'entre
elles, sont ainsi portées à un niveau élevé, ce qui a des conséquences non négligeables sur la
manière dont elles vont être traitées par les organismes compétents en la matière »52.

Ainsi, même si le Conseil de sécurité n’emprunte pas explicitement le concept de la sécurité


humaine, sa pratique tend à se rapprocher de plus en plus d’une compréhension holistique de
la sécurité prenant pour point de référence les personnes et leurs communautés, plutôt que le
territoire ou les gouvernements, qui le caractérise.

b) Le rôle joué par le Secrétariat général

Conformément aux règles de fonctionnement des organes des Nations Unies telles qu’elles
sont développées par les dispositions de la Charte, si le Conseil de sécurité inscrit son travail
dans une logique normative, le Secrétaire général, quant à lui, « est conduit à créer
empiriquement les concepts qui fondent son action concrète, devant pour cela inventer,
chaque jour, son discours opérationnel. Mais il est aussi connu que tous les Secrétaires
généraux ont toujours retenu une interprétation très large de leurs fonctions, n’hésitant pas à
aller au-delà du texte même de la Charte53. Ceci se vérifiera, une fois de plus, à travers
l’établissement de la doctrine que le Secrétaire général se fera du concept de sécurité, un
exercice qui influencera notablement la compréhension du même concept par le Conseil de
sécurité. Comme le lui permettent les dispositions de la Charte, le secrétaire général y
procèdera, principalement, par le truchement des rapports qu’il commettra lui-même, ou par le
biais des consultations qu’il effectue en mandatant une commission ad hoc pour mener une
réflexion sur un thème particulier qu’il aurait fixé. Mais c’est surtout à l’occasion des rapports
au Conseil de sécurité et lors de son rapport annuel sur l’activité de l’Organisation qu’il
développera les éléments de cette doctrine.

De manière générale, il serait à souligner que depuis l’Agenda pour la paix proposé par le
Secrétaire général en 1992, et de manière récurrente, le Secrétaire général se rallie à une
approche englobante de la sécurité qu’il étaye, au fur et à mesure de l’approfondissement de
sa doctrine, par sédimentation. Une évolution facilitée par la plasticité sémantique du terme
« sécurité ». Ainsi, depuis l’Agenda pour le développement, il introduit un postulat essentiel
selon lequel, si le développement constitue un droit fondamental de l’être humain, il ne saurait
y avoir de paix sans développement. Avec l’Agenda pour la démocratisation du 6 mai 199454,

52
Michèle Poulain, « Urgence sanitaire et droit international », Actualité et Droit International, mars 2002,
accessible sur le site : http://www.ridi.org/adi/articles/2002/200203pou.htm#_ftn33
53
Voir, entre autres, Hervé Cassan, op. cit., p. 810 ; Abdelaziz Ben Dhia, « Le rôle du Secrétaire général des
nations Unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales », in Mélanges Boutros Boutros
Ghali, Bruxelles, Bruylant, 1998, tome 1, pp. 227-44.
54
Document A/48/935

19
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

il souligne que la démocratie contribue au maintien de la paix et de la sécurité, à la justice et


au respect des droits de l’homme.

Dans cette construction par étape, pour exposer les grands principes mitoyens à ceux qui
fondent le concept de sécurité humaine, le Secrétaire général choisit la voie des rapports
d’envergure et de portée générale destinés conjointement aux deux organes principaux des
Nations Unies, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Le plus souvent, leur
élaboration est précédée par la consultation d’un groupe d’éminents experts dont les
conclusions les plus fortes structureront le propre rapport du Secrétaire général. Mais, le
Secrétaire général procède aussi à l’énonciation de sa conception de la sécurité par le
truchement de rapports circonstanciels établis sur des thèmes ponctuels à l’intention du
Conseil de sécurité.

 L’énonciation de la conception de la sécurité par le biais de rapports portant sur


des thèmes généraux

L’exemple le plus accompli en ce sens serait le Rapport préparatoire du Sommet du


soixantième anniversaire de l’Organisation intitulé, « Dans une liberté plus grande :
développement, sécurité et droits de l'homme pour tous » du 24 mars 200555. Ce document,
qui reprend à son compte les éléments les plus saillants du rapport établi par le « Groupe de
personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement »56, les propositions
émanant de la « Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des
Etats »(CIISE)57 et celles provenant du « Groupe d’étude sur les opérations de paix de
l’Organisation des Nations Unies » (Rapport Brahimi)58, fait le point sur la doctrine présente
du Secrétaire général en matière de sécurité.

Pour le Secrétaire général, dès lors que l’on aborde la question de la sécurité, ce sont les
besoins et les espoirs des peuples du monde qui doivent de guide. A cette fin, précise-t-il, il
faut agir dans trois domaines à la fois, le développement, la sécurité et les droits de l’homme,
reprenant en d’autres termes ce qu’il a déjà énoncé dans la Déclaration du Millénaire et qu’il a
dénommé à l’époque « le triangle que forment le développement, la liberté et la paix ». Car
affirme-t-il, « nous ne jouirons pas du développement sans sécurité, nous ne jouirons pas de la
sécurité sans développement, et nous n'aurons ni l'un ni l'autre sans respect pour les droits de
l'homme. A moins que nous n'assurions la promotion de ces trois causes, aucune d'elles ne
réussira »59. Mais en outre, le Secrétaire général énonce dans ce Rapport, au sein d’une
section consacrée à la liberté de «vivre à l'abri de la peur », une définition vaste de la sécurité
qui comprend « non seulement la guerre et les conflits internationaux, mais aussi le
terrorisme, les armes de destruction massive, la criminalité organisée et la violence civile. Il
faut compter aussi avec la pauvreté, les épidémies mortelles et la dégradation de
l'environnement, dont les conséquences peuvent être tout aussi catastrophiques »60 Il y
rajoute, dans la partie intitulée « la "liberté de vivre dans la dignité », les questions afférentes
à l'Etat de droit, aux droits fondamentaux et à la promotion de la démocratie.
55
A/59/2005,
56
Un monde plus sûr : notre affaire à tous, Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces,
les défis et le changement, 2 décembre 2004, A/59/565.
57
La responsabilité de protéger, Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté
des Etats, op. cit.
58
A/55/305 – S/2000/8000 du 21 août 2000.
59
Voir A/59/2005 24 mars 2005, paragraphe. 17
60
Ibid., paragraphe 78

20
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

Selon le Secrétaire général, l’impératif d’une action commune mobilisant non seulement les
Etats, mais aussi les institutions intergouvernementales régionales et mondiales, la société
civile et le secteur privé, s’impose pour faire prévaloir cette conception de la sécurité, car les
dangers et les problèmes sont liés entre eux.

Cinq années plus tôt, et selon la même démarche, cette ligne se retrouve dans le Rapport du
Millénaire intitulé « Nous les Peuples. Le rôle des Nations Unie au XXIème siècle »61. Le
Secrétaire général des Nations Unies a souligné la nécessité d’une approche de la sécurité plus
centrée sur l’individu. A ses yeux, la sécurité doit être pensée moins en termes de défense du
territoire mais davantage en termes de protection des personnes. C’est ainsi qu’il appelle la
communauté internationale à agir pour atteindre la « liberté de vivre à l’abri de la nécessité »
(l’agenda du développement) et la « liberté de vivre à l’abri de la peur » (l’agenda de la
sécurité). Présentée comme étant une condition préalable d’une paix durable, la sécurité est
considérée comme fondamentale pour la réalisation des Objectifs de Développement du
Millénaire (ODM) et pour le développement des capacités humaines dans tout leur potentiel.
Depuis l’adoption de la Déclaration du Millénaire, il apparaît alors de façon expresse que ce
sont « les besoins » et « es espoirs des peuples », et non plus ceux des Etats qui servent de
guide dans la circonscription de la sécurité. Désormais, dans le discours du Secrétaire général,
la notion de sécurité est intrinsèquement liée à celle de développement et de droits de
l’homme.

 L’énonciation de la conception de la sécurité par le biais de rapports


circonstanciés établis pour le Conseil de sécurité

Dans cette perspective, le Secrétaire général fera un usage indifférencié du concept de sécurité
humaine, sans pour autant s’y référer de manière systématique, ni en proposer la
compréhension qu’il s’en fait62. Mais, le plus souvent, en s’appuyant sur l’élargissement de la
conception du concept de sécurité opéré depuis l’Agenda pour la paix, le Secrétaire général,
par touches successives, énumère les domaines où, désormais, la sécurité des personnes prend
le pas sur celle de l’Etat. Il privilégie, dans ce sens, d’exposer ces domaines dans les rapports
qu’il effectue auprès du Conseil de sécurité. Cette démarche a l’avantage d’élever les
domaines évoqués au seuil de la normativité que seul, le Conseil de sécurité peut conférer
dans le système des Nations Unies. Le cas échéant, la discussion que le thème proposé aurait
suscitée au sein du Conseil contribue à lui conférer un caractère opératoire présomptif dont la
validité sera mise à l’épreuve en d’autres lieux.

C’est de cette manière que certains thèmes articulés autour de la sécurité des personnes ont
accédé à l’agenda de la sécurité dans le système des Nations Unies. Tel est le cas de :

- la protection des civils en période de conflit armé63 ;

61
« Nous les Peuples : le rôle des Nations Unies au XXIème siècle », rapport du Millénaire du Secrétaire
général, 3 avril 2000, A/54/2000, accessible sur le site : http://www.un.org/french/millenaire/sg/report
62
Voir Taylor Owen, « A Response to Edward Newman : Conspicuously Absent ? Why the Secretay-General
Used Human Security in All but Name», Human Security - St Antony’s International Review (Oxford),
november 2005, pp. 37-42.
63
Voir les Rapports du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la protection des civils en période de conflit
armé du 28 novembre 2005, S/2005/740, du 28 mai 2004, S/2004/431, du 26 novembre 2002, S/2002/1300 et du
8 septembre 1999, S/1999/957 ; mais aussi dans le Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur les

21
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

- du statut et de la protection des enfants dans les conflits armés 64;

- de la protection et du rôle des femmes dans la recherche de la paix et de la sécurité65,

- des réfugiés et des personnes déplacées66.

De manière plus indirecte, le Secrétaire général souligne, avec la même constance, la place
importante que la sécurité des individus doit occuper dans la prévention et la résolution des
conflits violents 67 ainsi que pendant la phase de la consolidation de la paix. Ce faisant, il en
souligne le rôle essentiel, en cette période, de l’établissement d’une justice transitionnelle et
du respect de l’Etat de droit68

2. Le Programme de Nations Unies pour le Développement

L’expression même de sécurité humaine est le plus souvent associée au Rapport du


Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sur le développement humain
de 1994, qui a essayé de cerner les dividendes de la paix au lendemain de la Guerre froide,
afin de réorienter les ressources dégagées vers les objectifs du développement69. La définition
alors avancée dans le rapport fut extrêmement ambitieuse, la sécurité humaine étant
l’agrégation de sept éléments distincts : la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la
sécurité dans le domaine de la santé, la sécurité de l’environnement, la sécurité personnelle, la
sécurité collective et la sécurité individuelle. En portant l’accent sur les personnes et en
insistant sur les menaces non traditionnelles, le PNUD a beaucoup contribué a la réflexion de
l’après Guerre froide sur le concept de sécurité.

Face à la persistance des conflits violents en ce début du 21ème siècle, le PNUD a été amené à
réévaluer la pertinence de cette définition du concept, énoncée en 1994, dans ses applications
avérées sur le terrain. Car le contexte dans lequel il est censé s’appliquer a évolué
Aujourd’hui, le monde doit faire face à de nouveaux défis, et la nature de même que la
géographie des conflits a changé. Dans le Rapport Mondial sur le développement humain
2005, intitulé « la coopération internationale à la croisée des chemins. L’aide, le commerce et

causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique du 16 avril 1998,
A/52/871-S/1998/318.
64
Voir les Rapports du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés du, 9 février 2005, S/2005/72, du
30 octobre 2003, S/2003/1053-A/58/546, S/2003/1053/Corr.1-A/58/546 S/2003/1053/Corr.2-A/58/546, du 26
novembre 2002, S/2002/1299 et du 7 septembre 2001, S/2001/852 .
65 Voir les Rapports du Secrétaire général sur les femmes, la paix et la sécurité du 10 octobre 2005, S/2005/636,
du 13 octobre2004, S/2004/814 et du 16 octobre 2002, S/2002/1154.
66
Voir le Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la protection des activités d’assistance
humanitaire aux réfugiés et autres personnes touchés par un conflit, 22 septembre 1998, S/1998/883 ; le Rapport
du Secrétaire général sur la question des réfugiés et des personnes déplacées, 23 mai 2001, S/2001/513.
67
Voir les Rapports du Secrétaire général sur la Prévention des conflits armés du 12 septembre 2003,
S/2003/888-A/58/365, du 5 novembre 2002, A/57/588-S/2002/1269 et du 7 juin 2001, S/2001/574.
68
Voir le Rapport du Secrétaire général sur le rétablissement de l’Etat de droit et l’administration de la justice
pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, 3 août 2004,
S/2004/616.
69
Voir supra.

22
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

la sécurité dans le monde marquée par les inégalités »70, le PNUD effectue alors un inventaire
du concept de sécurité humaine, afin de mieux l’affiner et souligne que les situations
conflictuelles de notre époque se déroulent essentiellement dans les pays pauvres aux
structures étatiques faibles ou en faillite, et où les instruments de la guerre sont des armes
légères et de petit calibre. Ces conflits violents se caractérisent par un cercle vicieux où les
carences de ces Etats les condamnent à ne plus pouvoir protéger les citoyens, ni à apporter les
réponses adéquates aux besoins de base de la population ainsi que de satisfaire aux exigences
de développement des institutions politiques de la société considérée, la condamnant à
sombrer dans la violence. Outre les coûts humains immédiats, une telle situation fait surtout
régresser les avantages en matière de développement humain acquis au fil des générations,
« ces conflits violents ne tuant pas uniquement avec des balles mais plus largement au travers
de l’érosion de la sécurité humaine ».

En se plaçant dans le sillage du Rapport du Secrétaire général des nations Unies de mars 2005
et de celui du « Groupe de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement » de
décembre 2004, le PNUD réajuste sa conception de la sécurité humaine. Conscient que la
définition initiale privilégiait une approche axée sur le cadre national trop étriqué, le PNUD
cherche à arrimer la sécurité humaine au concept de sécurité collective afin de permettre une
meilleure appréhension des menaces qui peuvent l’affecter dans une perspective plus
universelle ; mais aussi dans le dessein d’autoriser l’insertion des actions menées en son nom
dans le cadre de la solidarité de tous les peuples. Car, « lorsque la violence déracine les
populations de leurs foyers, les flux de réfugiés et de personnes déplacées, et l’exportation des
conflits vers les pays avoisinants créent des défis pour l’ensemble de la Communauté
internationale. Lorsque des Etats déliquescents basculent dans un conflit violent, ils
fournissent un habitat naturel aux groupes terroristes qui mettent en péril la sécurité des
populations des pays riches, tout en perpétuant la violence dans les pays pauvres »71. Cette
perspective devrait permettre de dépasser la situation présente caractérisée par « (des)
stratégies de sécurité (qui) ont le défaut de fournir une réponse militaire surdéveloppée par
rapport aux menaces à la sécurité collective, et d’une réponse sous-développée en matière de
sécurité humaine »72.

Dans cette nouvelle configuration, la sécurité humaine se voit conférer un nouveau mandat,
celui de promouvoir la prévention des conflits ; « et le développement est la stratégie de
prévention la plus efficace », précise le PNUD73. Au regard de cette mission, le concept
devient l’agent prescripteur d’exigences nouvelles requises pour contenir les problèmes qui
génèrent et alimentent le conflit violent. Le Rapport propose, à cette fin, un catalogue de
mesures relativement fournies prévoyant notamment:

- la limitation et le contrôle de la circulation des armes légères et de petit calibre qui


constituent les armes privilégiées dans les conflits d’aujourd’hui;

- une priorité à donner à la planification de la réduction de la pauvreté ;

70
PNUD, Rapport Mondial sur le développement humain 2005, « la coopération internationale à la croisée des
chemins. L’aide, le commerce et la sécurité dans le monde marquée par les inégalités », Paris, Economica, 2005,
accessible sur le site : http://hdr.undp.org/reports/global/2005/francais/
71
Ibid., p. 164
72
Ibid.
73
Ibid., p. 180.

23
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

- une amélioration de l’aide internationale : les donateurs doivent accroître leur effort,
notamment à l’endroit des Etats fragiles pour lesquels « l’aide semble être
disproportionnellement faible ». Ils devraient, en outre, aménager une prévisibilité de
l’aide par le biais d’engagements financiers à long terme, car pour les gouvernements
ayant une base de revenus relativement faible, ceci est susceptible d’être extrêmement
déstabilisant. Ils doivent également être plus transparents quant aux conditions
d’allocation de l’aide et aux raisons qui les poussent à diminuer leurs investissements
dans les pays sujets à la violence ;

- la gouvernance efficace des ressources naturelles afin de briser les liens entre celles-ci
et le conflit violent, et de restreindre le commerce des ressources du conflit. Par
ailleurs, en tant que parties actives sur les marchés des ressources naturelles aidant à
financer les conflits et, dans certains cas, saper la légitimité de gouvernements fiables,
les entreprises multinationales impliquées dans l’exportation de minerais doivent
accroître la transparence.;

- le renforcement des capacités régionales car les pays les plus pauvres confrontés aux
défis sécuritaires régionaux les plus graves manquent de la capacité financière et
institutionnelle pour mettre sur pied une réponse efficace. Cette situation concerne
principalement les organes régionaux en Afrique qui manquent de ressources, de la
logistique et de la capacité humaine pour mettre en pratique des mandats ambitieux;

Ainsi, si le Rapport de PNUD de 1994 a offert la première tentative d’une présentation


théorique du concept de sécurité humaine, celui de 2005 s’est employé à développer sa
dimension instrumentale afin de lui conférer un caractère opératoire, en l’associant au
processus de la prévention des conflits.

3. L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture


(UNESCO)

L’Unesco s’attache à faire avancer la réflexion sur le concept de sécurité humaine. Cette
entreprise s’est faite en deux temps. Dans un premier temps, l’Unesco a assimilé le concept de
sécurité humaine au respect des droits de l’homme tels que ceux-ci sont définis par la
Déclaration Universelle des droits de l’homme. La sécurité humaine a pour finalité la
protection des droits fondamentaux de l'être humain. C’est dans ce sens que le directeur
général de l'UNESCO, en 1998, a tenté de formuler un document d'accompagnement à la
Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui englobe les devoirs et les
obligations devant être assumés pour permettre la mise en place de la sécurité humaine. A ses
yeux, celle-ci devra suivre une démarche détaillée, tant au niveau des Nations Unies que de
l'Etat et de l'individu. Pour Richard J. Goldstone, le Rapporteur du groupe de haut niveau qui
avait pour mission de rédiger cette Déclaration des devoirs et responsabilité de l’Homme, un
texte élaboré sous l’égide de l’Unesco, « la gouvernance fondée sur la volonté du peuple et le
respect de l'autorité de la loi est indispensable à la mise en œuvre et au plein respect des droits
de l'homme, des libertés fondamentales et de la sécurité humaine »74. Le Préambule de la
Déclaration des devoirs et responsabilité de l’Homme précise alors que « le respect de la
dignité et de l'égalité des droits de tous les membres de la famille humaine dont l'énoncé est
contenu dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans d'autres instruments

74
Voir, http://www.aidh.org/drtsoblig/goldstone.htm

24
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

internationaux relatifs aux droits de l'homme demeure le fondement de la paix, de la sécurité


humaine, de la liberté, de la justice et du développement dans le monde »75.

A la suite du bouleversement du monde et de la sécurité consécutive à la fin de la Guerre


froide, souligne Bertrand Badie, l’UNESCO est appelée, elle aussi, à renouveler son approche
et sa compréhension du concept de sécurité. En effet, « la reconstruction de la sécurité,
désormais humaine plus qu’inter étatique, impose de nouvelles directions pour la réflexion et
l’action. Elle suppose d’abord une appréhension sociologique de la sécurité, celle-ci devant
être pensée dans son environnement social et culturel »76. Cette reconstruction « se doit d’être
responsable avant d’être souveraine, chacun étant comptable des défaillances du contrat social
de l’autre et pouvant être ainsi amené à agir chez l’autre à titre subsidiaire. Elle ne peut être
enfin qu’interactive, les États agissant en interaction avec un espace public international,
constitué d’acteurs non étatiques de plus en plus impliqués dans la vie internationale,
contrôlant et surveillant l’usage de la puissance par les États, contribuant à la définition des
conditions de la guerre et de la paix (ONG, média, réseaux transnationaux...). »77

Dans cette perspective, où la sécurité humaine revêt une dimension plus élargie, « (elle doit),
en tant que concept global, (permettre) d’ouvrir la voie à des approches nouvelles et
interdépendantes, qui soient à la fois attentives à la définition que les populations elles-mêmes
donnent des insécurités partielles dont elles souffrent au contexte de leurs émergences, et des
réponses que les populations cherchent à y apporter »78. Elle concerne désormais les nouvelles
formes de violence et s’incarne dans les initiatives locales destinées à prévenir les conflits à la
source grâce à la promotion du respect des droits humains et des politiques de développement
durable et de lutte contre la pauvreté, comme l’a souligné Moufida Goucha, alors Directrice
de l’Unité pour la paix et les nouvelles dimensions de la sécurité de l’Unesco, lors d’une
conférence sur « la paix, la sécurité humaine et la prévention des conflits en Afrique » tenue à
Pretoria les 23 et 24 juillet 200179.

Pour l’Unesco, la prégnance du concept dans la vie internationale légitime son inscription
parmi les objectifs assignés à sa « Stratégie à moyen terme 2002-2007 » intitulée « Contribuer
à la paix et au développement humain à l’ère de la mondialisation par l’éducation, les
sciences, la culture et la communication »80. Dans ce cadre, «l’Unesco est appelée, avec
d’autres acteurs de la communauté internationale, à contribuer à créer les conditions dans
lesquelles les peuples du monde, les communautés, et donc en réalité chaque personne,
pourront jouir d’une authentique sécurité humaine. La pauvreté et les conflits sont les causes
premières de péril pour la sécurité des êtres humains, pour leur dignité et pour la justice
sociale. La sécurité humaine ne se conçoit pas hors du développement durable, lequel englobe
la protection de l’environnement. Son instauration nécessitera de modifier profondément les

75
Déclaration des devoirs et responsabilité de l’homme, document accessible sur le site :
http://www.aidh.org/drtsoblig/goldstone.htm
76
Voir, http://www.Unesco.org/securipax/secpax.htm
77
Ibid.
78
Voir, http://www.Unesco.org/securipax/objectifs.htm
79
Voir, Peace, Human Security and Conflict Prevention in Africa, Proceedings of the UNESCO–ISS Expert
Meeting held in Pretoria, South Africa, 23–24 July 2001, Pretoria, Institute for Security Studies (ISS), 2001,
p.vi; http://unesdoc.Unesco.org/images/0012/001249/124996e.pdf#xml=http://unesdoc.Unesco.org/ulis/cgi-
bin/ulis.pl?database=ged&set=3CA97AA1_3_161&hits_rec=3&hits_lng=eng
80
Organisations des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Stratégie à moyen terme 2002-
2007 : Contribuer à la paix et au développement humain à l’ère de la mondialisation par l’éducation, les
sciences, la culture et la communication, 2002, doc. 31C/4, accessible sur le site :
http://unesdoc.Unesco.org/images/0012/001254/125434f.pdf

25
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

mentalités et les comportements individuels et sociaux - en matière de consommation et de


production notamment - et aussi d’intensifier la coopération internationale »81.

Si le mandat de l’Unesco à l’aube du XXIème siècle demeure celui défini par son Acte
constitutif, c'est-à-dire de contribuer « par la coopération des nations du monde (…) aux buts
de paix internationale et de prospérité commune de l’humanité », ses modalités d’intervention
évoluent en rapport avec le changement qui affecte la communauté internationale. Dans le
contexte présent, la mission de l’Unesco qui est « guidée par les trois principes essentiels et
indissociables de l’universalité, de la diversité et de la dignité (lesquels entretiennent un
rapport étroit avec les valeurs et les exigences de justice, de solidarité, de tolérance, de
partage et d’équité, de respect des droits de l’homme et des principes démocratiques »), se
traduit, entre autres, à « contribuer à la sécurité humaine et à la gestion des évolutions et du
changement social ainsi que des ressources naturelles dans l’optique de l’équité et de
l’intégration »82

C’est ainsi que le concept de sécurité humaine se trouve placé au cœur de « ’Objectif n° 5 »
de la Stratégie à moyen terme 2002-2007, intitulé : « Améliorer la sécurité humaine par une
meilleure gestion de l’environnement et du changement social »83. Les domaines de la
sécurité humaine y sont définis très largement, embrassant « des problématiques aussi
complexes que celles qui concernent le changement climatique, la sécurité alimentaire,
l’approvisionnement en eau, la pauvreté, le VIH/sida, et autres maladies contagieuses, la
diversité biologique et l’effet des transformations sociales brutales, qui intègrent les
préoccupations liées aux droits de l’homme ».

4. La Banque mondiale

Dans l’élaboration de leurs programmes, les institutions de Bretton Woods se réfèrent


davantage au concept de développement humain qu’à celui de sécurité humaine. Toutefois, la
Banque mondiale à travers son rapport « Voices of the Poor : Crying out for Change »
(2000)84 a largement contribué à approfondir l’idée contribué à approfondir l’idée de la
sécurité humaine en incorporant les points de vue des plus pauvres dans le débat sur la
sécurité et les politiques de développement.

Les résultats peu probants des stratégies passées en termes de réduction de la pauvreté ont
conduit la Banque à se demander si celles-ci répondaient effectivement aux besoins des
populations démunies. Suivant l'objectif de la nouvelle génération de programmes de la
Banque d'accroître la participation et le pouvoir des pauvres (« empowerment »), elle a
conduit, auprès de 28 Etats, des enquêtes d’opinions, quantitatives et statistiques, pour se
mettre à l’écoute et relayer la "voix des pauvres" afin qu'ils puissent influer sur l'orientation
des politiques.

81
Ibid., paragraphe 5.
82
Ibid., paragraphe 29.
83
Ibid., paraphe 93 et suiv.
84
Voir, Deepa Narayan, Robert Chambers, Meera K. Shah, Patti Petesch,, Voices of the Poor; Crying out for
Change, Oxford, Oxford University Press, 2000, document accessible sur le site: http://www-
wds.worldbank.org/servlet/WDSContentServer/WDSP/IB/2001/04/07/000094946_01032805491162/Rendered/P
DF/multi0page.pdf

26
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

L’objectif de ce travail original, qui s’est poursuivi après la publication du rapport85, a été
d’identifier la vision des préoccupations de la vie quotidienne des personnes qualifiées de
« pauvres » selon l’indice de développement humain, et s’interroger sur leur adhésion aux
principes démocratiques ; au respect des droits civils et politiques, à la confiance envers les
institutions et la classe politique.

Les enquêtes entreprises ont montré que l’insécurité physique revenait régulièrement au
premier plan des préoccupations des « pauvres » dans toutes les régions du monde. Selon les
descriptions proposées par les gens pauvres, on peut relier largement les types d'insécurité aux
facteurs suivants : la survie et le gagne-pain ; les catastrophes naturelles, le crime et la
violence, la persécution par la police et l’absence de justice, les conflits civils et guerres, les
chocs et stress causés par les macro politiques, la vulnérabilité sociale, la santé, la maladie et
la mort86. Elles ont également permis de dégager une perspective plus nuancée de ce que la
sécurité signifie pour les pauvres87. La spécificité du message formulé par les pauvres résidait
dans le fort « besoin d’Etat » qu’ils manifestaient.

B. L’Union africaine

L’Union africaine est, sans nul doute, l’une des organisations internationales qui se serait
fortement engagée en faveur de la sécurité humaine. A l’analyse, il semblerait que la réflexion
entreprise au sein de l’Union africaine sur la sécurité humaine serait indubitablement
influencée par les travaux conduits par le PNUD, ainsi que par l’expérience des Programmes
nationaux de réduction de la pauvreté initiés par les Etats selon les conditionnalités des
institutions de Bretton Woods qui prescrivent que les instances chargées de la sécurité doivent
jouer un rôle important dans la réduction de la pauvreté.

Selon la définition retenue par l’article 1er du Pacte de non agression et de défense commune
de l’Union africaine adopté par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats
membres de l’Union lors de sa 4ème session ordinaire tenue le 31 janvier 2005 à Abuja, « la
sécurité humaine signifie la sécurité de l’individu eu égard à la satisfaction de ses besoins
fondamentaux. Elle comprend également la création des conditions sociales, économiques,
politiques, environnementales et culturelles nécessaires à la survie et à la dignité d l’individu,
y compris la protection et le respect des droits humains, la bonne gouvernance et la garantie à
chaque individu des opportunités et des choix de son plein épanouissement »

Cette compréhension très large du concept de sécurité humaine par l’organisation panafricaine
préfigure dans la Déclaration solennelle sur la politique africaine commune de défense et de
sécurité (PACDS), adoptée par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union
lors de la session extraordinaire tenue à Syrte les 27 et 28 février 2004. A cette occasion, la
Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement a souligné que la PACDS est basée sur « la
sécurité du Continent africain sur tous les plans », et qui engloberait « aussi bien les aspects

85
Voir, le cas de Madagascar à titre d’illustration, Mireille Razafindrakoto et François Roubaud, « Pensent-ils
différemment la ‘voix des pauvres’ à travers les enquêtes statistiques », Document de travail du DIAL,
DT/2001/13; Voir aussi, Javier Herrera, Mireille Razafindrakoto et François Roubaud « Governance, Democracy
and Poverty Reduction: Lessons drawn from household surveys in sub-Saharan Africa and Latin America »,
Document de travail DIAL, Octobre 2005, DT/2005-12.
86
Voir Deepa Narayan et al., op. cit., notamment pp. 159-160.
87
Ibid , notamment, pp. 22-37 et 151-177.

27
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

civils que militaires »88. La Déclaration d’engagement, en faveur de la paix et de la sécurité en


Afrique, des Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de Paix et de
Sécurité de l’Union africaine, adoptée lors du lancement solennel de celui-ci à Addis-Abeba
le 25 mai 2004 précisera le sens à donner à cette position. Les Chefs d’Etats et e
gouvernement y « (reconnaissent) que les fondements de la paix et de la sécurité en Afrique
sont intimement liés au concept de sécurité humaine. En conséquence, (ils reconnaissent) leur
engagement à promouvoir une vision globale de la sécurité humaine »89.

Cette acception élargie de la sécurité humaine devrait, par ailleurs, être interprétée à la
lumière de la Déclaration de la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la
coopération en Afrique (CSSDCA) 90effectuée lors du Sommet de Lomé en 2000 par laquelle
l’Assemblée des Chefs d’Etat et de gouvernement reconnaissait que « la sécurité de chacun
des pays africains est inséparablement liée à celle d’autres pays africains et à celle du
continent africain dans son ensemble ». Ceci lève, en matière de sécurité humaine,
l’hypothèque de la souveraineté territoriale des Etats et celle de la non intervention de
l’Organisation dans les affaires domestiques de ceux-ci.

Il conviendrait, enfin, de noter que pour concrétiser la priorité qu’elle entend donner à la
réalisation de la sécurité humaine sur le continent, la Commission de l’Union africaine l’a
inscrite parmi les programmes et plans d’action de son Plan stratégique 2004-2007 sous la
rubrique « Paix, gouvernance et sécurité humaine » qui constitue l’Axe n° 2 de celui-ci.91

C. L’Union européenne

L’analyse de la pratique de la sécurité humaine par les institutions de l’Union européenne ne


peut être effectuée sans se référer à deux textes de nature différente qui aujourd’hui l’encadre.
Il s’agit, d’une part, de la Stratégie Européenne de Sécurité, développée dans le document
intitulé « Une Europe sûre dans un monde meilleur », adoptée par le Conseil européen à
Bruxelles le 12 décembre 2003 sur la proposition du Haut Représentant de la PESD, Javier
Solana 92; et d’autre part, le rapport intitulé «Une doctrine de sécurité humaine pour l’Europe»
rédigé par le Groupe de Barcelone sur les capacités de sécurité européenne93, et visant à la
mise en oeuvre de la Stratégie Européenne de Sécurité. D’emblée, il faudrait relever que ces
deux documents n’ont pas la même valeur juridique, le premier ayant été acté par le Conseil

88
Déclaration solennelle sur la politique africaine commune de défense et de sécurité, 27-28 février 2004,
Ext/Assembly/AU/3/(II), paragraphe 6 et 10, ce document est accessible sur le site internet :
http://www.iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdfs/au/exec/sirtefeb04/cadspfr.pdf
89
Déclaration d’engagement, en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique, des Chefs d’Etat et de
gouvernement des Etats membres du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine, 25 mai 2004,
PSC/AHG/ST.(X), voir http://www.iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdfs/centorg/PSC/launchcomfr.pdf
90
Déclaration de la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique
(CSSDCA), voir sur le site :http://iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdfs/oau/hog/10HoGAssembly2000.pdf
91
Voir, Commission de l’Union africaine, Plan stratégique de la Commission de l’Union africaine, volume 3 :
Plan d’action 2004-2007, Programmes pour accélérer l’intégration du continent, mai 2004, pp.25-36. Document
accessible sur le site : http://www.iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdfs/pdf_fr/au/progaccel.pdf
92
Document accessible sur le site http://ue.eu.int/uedocs/cmsUpload/031208ESSIIFR.pdf
93
A Human Security Doctrine for Europe. The Barcelona Report of the Study Group on Europe’s Security
Capabilities, Presented to European Union High Representative for Common Foreign and Security Policy, Javier
Solana, Barcelona, 15 September 2004, document accessible sur le site
http://www.lse.ac.uk/Depts/global/Publications/HumanSecurityDoctrine.pdf ou
http://ue.eu.int/uedocs/cms_data/docs/pressdata/solana/040915CapBar.pdf

28
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

européen, alors que le second ne représente qu’une base de réflexion sur des actions à venir et
qui n’a pas encore été entérinée de manière officielle par les Etats membres.

Le texte normatif qu’est la Stratégie Européenne de Sécurité présente un certain nombre de


caractéristiques propres. Premier texte devant définir un canevas stratégique à la Politique
Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) de l'Union européenne, elle est fortement marquée
par le contexte international, dominé par les retombées du 11 septembre 2001, qui a prévalu à
son élaboration, et demeure influencée par la conception militaire de la sécurité. Ceci se
vérifie lorsqu’elle relève et identifie les principales menaces qui pèsent sur la sécurité
globale, sur lesquelles elle fonde son raisonnement. Celles-ci relèvent des catégories
classiques de la polémologie traditionnelle : le terrorisme, les armes de destruction
massive, les conflits régionaux, la déliquescence des Etats et la criminalité
organisée. L’invocation parmi ces « menaces dures » du terrorisme comme étant l’une
des menaces principales, voire la menace principale pour la sécurité, à l’instar de la stratégie
de sécurité américaine (« National Security Strategy ») illustre cette affiliation du concept de
sécurité à la compréhension militaire et territoriale.

Le texte indique, ensuite, des objectifs stratégiques qui sont d’essence classique. Il s’agit,
d’une part, de faire face aux menaces mais aussi de construire la sécurité dans le voisinage
immédiat de l’Europe et de promouvoir au niveau mondial un ordre international fondé sur un
« multilatéralisme efficace ». Pour cela il est nécessaire que l’Union soit plus active, c’est-à-
dire qu’elle soit capable d’intervention rapides et si nécessaire « musclées ; plus forte
diplomatiquement et militairement, plus cohérente en regroupant ses différents instruments et
moyens, et qu’elle coopère mieux avec ses partenaires, notamment les États-unis et la
Russie94.

Certes, la Stratégie Européenne de Sécurité aménage quelques ouvertures vers une approche
plus holistique en reconnaissant l’influence des forces destructrices de la pauvreté, de la
malnutrition et de la maladie (non seulement le sida, mais aussi le paludisme et la
tuberculose) et leurs effets dévastateurs sur la stabilité des États et leurs sociétés
civiles, ou en affirmant que « la sécurité est une condition nécessaire du développement ».
Mais, dans la démarche de la réaction qu’elle suggère, elle privilégie le recours aux
capacités militaires pour ouvrir la voie à un monde plus sûr. De même, quand le
document évoque le problème essentiel des ressources naturelles et énergétiques limitées,
c’est sous l’angle défensif et concurrentiel, plutôt que sous l’angle d’une répartition équitable.
Cette conception, très proche de la vision américaine, est porteuse en soi de conflits.

Si cette posture satisfait la PESD dans son seul volet de la construction de la sécurité dans le
voisinage de l’Union95, elle serait insuffisante au regard des responsabilités plus globalisantes
de la PESC. Afin de dépasser cette relative contradiction, le Haut Représentant de la PESC a,
initié une réflexion devant la compléter et permettre à l’Union de se rapprocher davantage du

94
Voir Philippe de Schoutheete, « La cohérence par la défense, une autre lecture de la PESD », Institut d’Etudes
de Sécurité, Cahiers de Chaillot, n° 74, octobre 2004, pp.43-45.
95
Selon certains auteurs de la doctrine, cette Stratégie symbolise davantage une réconciliation entre membres de
l’Union européenne après la crise suscitée par l’intervention militaire en Irak. Elle se veut une carte d’identité
stratégique de l’Union, un bréviaire pour un acteur de sécurité global et crédible «aussi vigilant à l’égard du
terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive qu’à l’égard des sources plus traditionnelles
d’instabilité –les conflits régionaux, la déliquescence des Etats, la grande criminalité organisée– d’autant que ces
différentes formes de menaces s’alimentent l’une l’autre dans de nombreuses régions du monde». Javier Solana,
«Préface» in Nicole Gnesotto (dir), La politique de sécurité et de défense de l’Union européenne. Les cinq
premières années (1999-2004), Institut d’Etudes Stratégiques, 2004, p. 7.

29
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

concept de sécurité humaine, pour satisfaire à la responsabilité qu’elle s’est conférée de


contribuer à l’implantation et à la consolidation de la paix dans des contrées éloignées de ses
frontières. Ainsi, à sa demande, des chercheurs européens ont travaillé à l’élaboration « d’une
doctrine de sécurité humaine pour l’Europe ».

Cette « doctrine », et en tant que telle dépourvue de tout caractère opératoire, a été formulée
dans le Rapport de Barcelone. Il s’agit là d’un texte qui n’a qu’une vertu programmatique, et
qui essaie de transformer le caractère «intégré» de la Stratégie Européenne de Sécurité, en
«principe d’approche holistique» qui couvrirait les différentes phases d’un conflit. A cette fin,
le rapport propose alors une doctrine articulée autour de trois éléments essentiels.

Elle énonce, tout d’abord, la mise en œuvre de sept principes devant gouvernés aussi bien les
finalités que les moyens utilisés pour des opérations de réaction à une insécurité grave. Il
s’agit de la primauté des droits de l’homme, de l’existence d’une autorité politique claire, du
multilatéralisme, de l’approche ascendante dite «bottom-up», des préoccupations régionales,
de l’usage d’instruments légaux et de l’utilisation approprié des forces. Le Rapport souligne
particulièrement l’intérêt de l’approche « bottom-up » pour tout ce qui concerne la
communication, le dialogue, la consultation ainsi que le partenariat avec la population locale
afin de permettre une anticipation à l’éclosion du conflit et de favoriser la mobilisation des
ressources locales dans la gestion d’un système d’alerte précoce.

Le deuxième élément de cette « doctrine de la sécurité humaine pour l’Europe » propose, la


constitution d’une « Force de Sécurité humaine » forte de15 000 personnes dont le tiers au
moins aurait un statut civil (agent de police, spécialistes des droits de l’homme, experts en
développement ou dans le domaine de l’humanitaire, administrateurs…). L’action de cette
Force pourrait faire l’objet d’un soutien grâce aux services de volontaires en sécurité
humaine, et elle doit s’inscrire dans le strict respect de la législation de l’Etat où se déroule
l’intervention, mais aussi des règles du droit pénal international, de celles du droit
humanitaire et du droit international public96.

Enfin, le troisième élément de la doctrine proposée par le Groupe de Barcelone serait la mise
en place d’un nouveau cadre juridique qui régirait le processus décisionnel de l’intervention
ainsi que l’ensemble des opérations effectuées sur le terrain. Elle propose, en outre, des
mesures concrètes pour accroître le contrôle démocratique de la police et améliorer la
responsabilité de la population locale, en particulier dans le financement des actions
effectuées sur le terrain.

Responsable et animatrice du Groupe de Barcelone, Mary Kaldor considère que cette


conjugaison d’efforts représente une nécessité, mais en outre, elle donne à la démarche
européenne une nouvelle dimension, celle de la prévention des conflits. Comme elle le
précise, «il est souvent difficile de séparer distinctement les différentes phases d’un conflit,
car il n’y a pas de début et de fin nets, et les causes du conflit, - la peur, la haine, l’économie
criminalisée, la faiblesse et l’illégitimité des Etats, l’existence de seigneurs de la guerre et de
groupes paramilitaires - sont surtout exacerbées pendant et après les périodes de violence (...)
Les principes de sécurité humaine devraient donc s’appliquer à un continuum de phases

96
Voir, entre autres, Geneviève Schmeder, « Une doctrine de « sécurité humaine » pour l'Europe », Défense
nationale, 2005, n°2, Février, pp.50-59. Du même auteur, «Sécurité humaine: une nouvelle doctrine pour
l’Europe», Futuribles, avril 2005

30
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

présentant un degré de violence variable et combiner des éléments de prévention et de


reconstruction»97.

Mais à vrai dire, cette approche intégrée n’est pas nouvelle. Elle est déjà présente dans la
Communication relative à la prévention des conflits présentée le 11 avril 2001 par la
Commission98. Aux termes de cette Communication, il est souligné que la stabilité structurelle
dans les pays à risque ne pourra surgir qu’à la condition de combiner un spectre large
d’interventions qui relèvent de domaines distincts mais complémentaires: développement
économique, démocratie et Etat de droit, respect de l’environnement, équité sociale, soutien
aux médias indépendants, institutions politiques solides... Le but poursuivi consiste à
incorporer la prévention des conflits à tous les niveaux de l’action extérieure menée par
l’Union européenne (que ce soit sur le plan d’une politique en particulier - développement,
commerce - ou sur une thématique transversale comme la drogue, les armes légères, les
ressources naturelles, le trafic d’êtres humains...). Mary Kaldor relève que l’agenda actuel des
actions de coopération de l’Union européenne applique déjà cette démarche à l’ensemble des
opérations, allant des causes structurelles des différends à la consolidation de la paix en
passant par la gestion des conflits.

Cette action préventive, continue-t-elle d’argumenter, peut aussi s’interpréter en fonction des
exigences de la PESD ; prévenir ainsi des menaces éloignées mais dont la portée peut rejaillir
rapidement sur le territoire de l’Union contribuera à localiser la première ligne de défense
bien au-delà des frontières européennes. Un tel choix ne signifie pas une adhésion à la guerre
préventive dont les principes font plus qu’écorner la préemption reconnue par le droit
international public. Il révèlerait une différenciation avec la culture stratégique américaine.
Est-ce là le prélude à l’élaboration d’un modèle «humaniste européen» comme le suggère
Hervé Couteau-Bégarie99 ?

La seconde propriété de cette approche tient à la volonté d’agir dans un cadre multilatéral.
Soulignée par la Stratégie de 2003, elle est reformulée dans la doctrine du Groupe de
Barcelone100. Là encore, elle entérine une pratique déjà existante de dite de « Task-sharing »
dans la sortie des conflits: que celle-ci soit à portée immédiate ou bien durable. L’ancien
Commissaire aux Relations extérieures Chris Patten insistait en 2001 sur cet aspect qui
permettrait de partager le coût de l’action collective: «il faut certes rester lucide sur nos
ambitions: l’Union ne peut pas, seule, s’impliquer dans tous les conflits et doit promouvoir
une sorte de division du travail avec les organisations multilatérales mondiales (Nations Unies
au premier chef) et régionales». Cette logique du multilatéralisme peut donner lieu à la mise
en place de dispositifs qui favorisent l’action des organisations régionales plus directement
impliquées sur le terrain. A titre d’illustration, pourrait-on évoquer la « Facilité de soutien à la

97
Mary Kaldor, Courrier de la Planète, ce document est accessible sur le site internet :
http://www.courrierdelaplanete.org/74/article4.html
98
Communication sur la Prévention des conflits, COM(2001)211 final, accessible sur le site :
http://europa.eu.int/eur-lex/fr/com/cnc/2001/com2001_0211fr01.pdf. Pour une présentation analytique et
évaluative des actions de prévention menées par l’Union européenne, voir, entre autres, Félix Nkundabagenzi,
Valérie Peclow, Caroline Pailhe, « L’Union européenne et la prévention des conflits. Concepts et instruments
d’un nouvel acteur, Bruxelles, Rapport du GRIP, 2002/2, pp. 10-12.
99
Hervé Coutau-Begarie, «Unité et diversité des cultures stratégiques en Europe», op.cit., pp. 126-128.
100
Groupe de Barcelone, op. cit., p. 11

31
Délégation aux Droits de l’Homme et à la Démocratie

paix pour l’Afrique »101 (qui a permis le financement d’une mission engagée par l’Union
Africaine au Darfour.

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Cette première revue de l’approche par des organisations internationales de la sécurité


humaine a permis de mesurer à quel point l’application des principes conceptuels rattachés à
la sécurité humaine est variable selon différents paramètres qui concernent aussi bien le
mandat qui leur est conféré, mais aussi en fonction des orientations stratégiques qu’elles ont
adoptées afin de satisfaire le mieux possible leurs missions. Mais il en ressort aussi une
ductilité certaine du concept qui fait son succès tout autant qu’elle révèle ses propres limites.

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101
Décision 3/2003/CE du Conseil des Ministres ACP – CE du 11 décembre 2003

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