Vous êtes sur la page 1sur 2

L’automutilation en France [2020]

https://togetpainout.wordpress.com/

30 janvier 2020

L’AUTOMUTILATION EN FRANCE

HISTOIRE DE LA REPRESENTATION DE L’AUTOMUTILATION EN FRANCE


L’automutilation est encore tabou dans le monde entier, tout comme tout ce qui touche à la
santé mentale. Pourtant, dans les pays anglophones comme les Etats-Unis et en particulier le
Royaume-Uni, l’automutilation est de plus en plus étudiée et la parole à son sujet se libère, même si
elle est encore souvent incomprise par le public. En France la majorité de la population ne comprend
pas non plus ce comportement et la recherche française sur l’automutilation est relativement rare et
en retard sur les études américaines et britanniques. Ce retard pourrait-être dû au fait que, pendant
longtemps, l’automutilation a soit été perçue comme une forme extrêmement sérieuse de mutilation
d’une partie du corps par un « fou », une personne souffrant de psychose et qui aurait perdu contact
avec la réalité, ou bien comme une simulation dans le but d’obtenir un gain financier, de ne pas avoir
à travailler ou d’être le centre de l’attention par exemple. Au cours de la Première Guerre mondiale,
certains soldats se blessaient intentionnellement dans une tentative désespérée d’échapper au combat,
ce qui a contribué à perpétuer l’idée fausse que l’automutilation serait une forme de simulation. Etant
donné que les Etats-Unis ne sont entrés en guerre que plus tard et qu’ils ont été moins impactés par
celle-ci, la recherche américaine sur l’automutilation a pu se développer, contrairement à l’Europe où
« la psychiatrie a été totalement mobilisée pour l'effort de guerre » (Trybou, Brossard, & Kédia,
2018). Selon Trybou, plusieurs cas d’automutilation ont été décrits entre les années 1950 et 1980,
mais ceux-ci consistaient soit en de graves blessures associés à la psychose, folie ou autisme, soit
relevaient de la pathomimie. Il suggère également que contrairement aux Etats-Unis où
l’automutilation a rapidement été comprise comme un symptôme du trouble de la personnalité
borderline, les psychiatres français « étant plus proches de la psychanalyse et de sa distinction
névrose/psychose, sont longtemps restés sceptiques face à la psychiatrie américaine, et donc n'ont
repris que plus tard la catégorie diagnostique des « états limites ». »
Les idées fausses au sujet de l’automutilation subsistent toujours en France et la langue
française témoigne de la façon dont notre perception n’a pas évolué au fil du temps. Le terme
« automutilation » est abusif car il désigne généralement des cas dans lesquels la blessure auto-
infligée est superficielle. Le terme « mutilation » évoque pourtant l’ablation d’un membre. Ainsi
« automutilation » correspond plutôt aux cas extrêmes de blessure auto-infligée liés à une psychose
mentionnés précédemment, mais qui ne désignent pas ce qu’on nomme désormais aujourd’hui
automutilation. Le mot « scarification » est aussi souvent utilisé abusivement pour désigner toute
forme d’automutilation, ce qui est réducteur et suggère que les blessures auto-infligées sont
uniquement des coupures et entailles. Le terme « automutilation » n’a jamais été remplacé et était
déjà utilisé au début du XXe siècle en France. En revanche dans les pays anglophones, l’appellation
changea au fil du temps afin de correspondre aux nouvelles découvertes de la recherche et aux
avancées dans la compréhension de ce symptôme : de « self-mutilation » (automutilation) on passa
entre autres à « self-injury » puis « self-cutting » (blessure puis coupure auto-infligées), « delicate
self-cutting » (coupure superficielle auto-infligée). On utilise aujourd’hui principalement le terme
« self-harm » (mal auto-infligé) et dans un registre un peu plus académique ou scientifique « self-
injurious behavior » (SIB - comportement consistant à s’infliger des blessures) ou plus souvent « non-

1
L’automutilation en France [2020]
https://togetpainout.wordpress.com/

suicidal self-injury » (NSSI – blessure auto-infligée non-suicidaire). Cette évolution dans


l’appellation du comportement témoigne de l’évolution et des progrès de la recherche.

CONSEQUENCES
Cette ignorance au sujet de l’automutilation en France peut avoir des conséquences graves sur
ceux qui souffrent de ce symptôme. Trop souvent on ne comprend pas que l’automutilation est une
tentative de faire face à des émotions négatives, c’est une béquille, une solution, qui n’est certes pas
saine, pour réguler ces émotions. On oublie aussi trop souvent que l’automutilation est un symptôme
et non un syndrome, qu’elle témoigne d’un mal être ou d’un trouble mental et que même s’il est
naturel d’être choqué par un tel comportement, il faut avant tout s’inquiéter de la cause même de ce
comportement. L’automutilation reste encore perçue à tort comme le comportement d’un adolescent,
souvent féminin, qui chercherait à « faire son intéressant » ou exprimer une admiration sans limite
pour ses idoles. Les motivations des personnes qui s’automutilent ne sont pas considérées comme
légitimes et l’automutilation est vue comme immature et propre à l’adolescence, d’autant plus que la
plupart des papiers français se focalisent sur l’automutilation des adolescents.
Ce comportement n’est donc pas pris au sérieux et les concernés obtiennent rarement de l’aide
car on estime souvent que « ça lui passera », que l’adolescent arrêtera en grandissant. La
stigmatisation de ce symptôme pousse aussi ceux qui en souffrent à garder ce comportement secret
au lieu de chercher de l’aide, de peur d’être jugés. Ils peuvent également se sentir coupable et avoir
honte si eux-mêmes ont intériorisés les idées préconçues et se reprocher de ne pas avoir de souffrances
légitimes ou d’être immatures, surtout chez les adultes. De plus, le manque de ressources sur
l’automutilation en français rend plus difficile pour les personnes qui ne parlent pas anglais (souvent
les enfants et les adolescents) d’obtenir de l’aide et d’accéder à des informations seuls. On ne parle
jamais de l’automutilation dans les médias et aucune prévention n’est faite à l’école (sauf pour
quelques comportements autodestructifs comme la consommation d’alcool ou de drogue, le
tabagisme ou les relations sexuelles non protégées). Une personne qui souffre d’automutilation, qui
n’ose pas en parler à ses proches ou à des professionnels de la santé de peur d’être jugée et qui ne
peut pas comprendre les informations en anglais se sentira non seulement incomprise mais ne se
comprendra pas elle-même. Son isolement ne fera qu’accroitre la souffrance qui la pousse déjà à
s’automutiler. Un adolescent qui s’automutile et à qui on n’apporte aucune aide en pensant que ce
comportement « lui passera » avec l’âge continuera à vivre dans la souffrance car les causes du
symptôme n’auront pas été traitées : l’automutilation cessera peut-être effectivement mais sera
remplacée par une autre forme d’autodestruction comme l’alcoolisme. Si ce n’est pas le cas, sans
« béquille », ne se mutilant plus, la personne en souffrance pourrait ne plus parvenir à faire face à son
mal-être et dans le pire des cas se suicider.
La compréhension du public sur la santé mentale s’affine mais plus d’information et de
discussion sont encore nécessaires pour sensibiliser le public à l’automutilation en France et mettre
fin à la stigmatisation de ce symptôme.

Reference
Trybou, V., Brossard, B., & Kédia, M. (2018). Automutilations: Comprendre et soigner. Odile Jacob.

Vous aimerez peut-être aussi