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Politische Geographie

Friedrich Ratzel

Date de publication : 1897 et 1903


Géographie politique
Bibl.Nation. :320.12 RATZ

Ch. :1 : L’Etat, organisme ancré au sol

1. L’Etat en géographie et la conception biogéographique de l’Etat.


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La propagation des hommes et de leurs œuvres à la surface de la terre présente toutes les
caractéristiques d’un corps mobile qui, au gré de ses avancées et de ses reculs, s’étend ou se
contracte, noue des liens nouveaux, rompt des liens anciens et, ce faisant, revêt des formes qui
offrent la plus grande ressemblance avec d’autres êtres sociables apparaissant sur terre.

Il existe, pour la biogéographie, des espaces vitaux, des îlots de vie etc., et selon elle, l’Etat
des hommes est, lui aussi, une forme de propagation de la vie à la surface de la terre. Il est
exposé aux mêmes influences que toute vie. Les lois particulières de propagation de la vie
humaine sur la terre déterminent également l’émergence de leurs États.

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L’homme n’est pas concevable sans le sol terrestre, non plus que ne l’est la plus grande œuvre
humaine : l’Etat. Lorsque nous parlons d’Etat nous pensons toujours, exactement comme pour
une ville ou un chemin, à une parcelle d’humanité ou à une œuvre humaine et, en même
temps, à une parcelle de sol terrestre. L’Etat vit nécessairement du sol.

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19. Politique non territoriale.
L’histoire des puissances commerçantes montre des cas typiques de politique non territoriale.
Là où les pâtres et les agriculteurs germains ou slaves ont réellement formé le « peuple » d’un
pays, au lieu de s’imposer comme une classe conquérante, ils se sont toujours subdivisés en
familles, tribus, etc. et se tenaient, par là, attachés au sol. La politique des puissances
commerçantes, au contraire, commettait toujours l’erreur de sous-estimer le sol, auquel elle
préférait les biens meubles pour la facilité avec laquelle on peut les acquérir, les échanger, les
entreposer, les évaluer à l’intérieur de l’enceinte d’une ville. L’épanouissement de la Grèce a
été celui d’une puissance commerçante mondiale ; lorsqu’elle perdit cette puissance, son
propre sol s’avéra trop pauvre et trop exigu.

Le résultat est du même genre lorsqu’un pays acquiert de grandes colonies sans disposer de
l’excédent de population nécessaire pour prendre possession du sol.
Dans un cas comme dans l’autre l’Etat ne noue que des liens lâches et éphémères avec le sol.

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21. La politique territoriale dans la guerre.
Toute guerre moderne a pour but d’ôter à l’adversaire la jouissance de son territoire, et le plus
simple moyen de parvenir à cette fin est de neutraliser la partie de la population qui est
capable de porter les armes. L’identité territoriale de l’Etat n’est alors plus reconnue, les
frontières n’existent plus aux yeux des belligérants, le territoire de l’adversaire est investi,
tandis qu’on s’efforce de détruire toutes les armes par lesquelles il pourrait le conserver.

22. Puissances sans terres et pays sans peuple.


Une puissance purement politique, indépendante du sol, ne peut exister que de manière
transitoire. Les puissances qui ont été, un moment, privées d’assise territoriale ont toujours
fini, au cours de leur développement politique, par s’attacher au sol ; bien souvent, elles
jettent alors leur dévolu sur de très grands espaces, car elles ont perdu l’habitude d’être
confinées dans un périmètre restreint. Le lamaïsme, la papauté, le califat sont devenus de
grandes puissances en se fixant sur un territoire grand ou petit, pour former des Etats
théocratiques ; ce faisant, ils se sont souvent heurtés à des mouvements d’expansion purement
politiques, plus lents ou plus limités, qui entraient en collision avec leurs prétentions
territoriales.

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Les relations entre puissances sans terres et peuples sans terres constituent l’un des
phénomènes singuliers qui révèlent des similitudes profondes entre puissances apparemment
très dissemblables. C’est ainsi que le califat a fait appel Seldjoukides et que la papauté, au
même moment, utilisait les Normands puis, avec le rétrécissement de sa sphère d’action
politique, les Suisses et les Allemands. La mobilité de ces peuples sans terres convenait
parfaitement aux ambitieux projets politiques de ces puissances théocratiques qui répugnaient,
de surcroît, à tenir elles-mêmes l’épée. Les libres nations commerçantes, dont le territoire se
réduisait à une seule ville et à son port et pour lesquelles toute expansion territoriale sans
retombée économique immédiate constituait un fardeau politique, ont toujours été favorables
aux mercenaires sans patrie : l’exemple classique nous en est fourni par l’alliance de Tarente
et d’autres villes de la Grande Grèce avec Pyrrhus.

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27. Conquête et prise de possession. Conquête pacifique.
Conquérir une terre n’équivaut pas à la posséder… L’histoire ancienne montre aussi que la
conquête et l’assujettissement ne dépassent pas le stade du brigandage et de l’exploitation
passagère, tant que n’existe pas un véritable désir de terres. Il est souvent arrivé dans l’histoire
qu’un pays se soit rapidement vu priver de ses conquêtes parce que le peuple n’avait pas su se
les approprier par le travail individuel et en garantir par le fait même à l’Etat la propriété.

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La Conquête n’est rien de plus qu’une éphémère manifestation de puissance, lorsqu’elle est le
fait de peuples culturellement moins évolués, et dont les seuls atouts résident dans l’effet de
surprise et la supériorité numérique. Tel apparaît le déploiement des hordes nomades, qui se
retirent comme les eaux sans laisser d’autres traces derrière eux que des ruines.

Cette colonisation conquérante garde certains traits de la prise de possession militaire dans la
mesure où elle ne s’étend pas uniformément sur le pays, mais se concentre en quelques points
sûrs.

Certains pays sont plus faciles à conquérir que d’autres, parce que de précédentes conquêtes
les ont, pour ainsi dire prédisposés à la domination étrangère. C’est ainsi que la conquête de
l’Inde par les Européens n’a pas été un véritable assujettissement, mais une série de
bouleversements interne. L’Angleterre n’a renversé aucun régime en Inde, n’y a blessé aucun
sentiment national ; elle s’est simplement substituée à d’autres maîtres étrangers au pays qui,
tant que ce furent des musulmans notamment, étaient demeurés tout aussi étrangers aux
nations hindoues que les chrétiens qui les supplantèrent. Et cette domination ne put se
maintenir en Inde que parce qu’il n’existe pas à proprement parler de nation indienne, mais
seulement des tribus, des familles, des castes, des communautés religieuses.

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