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REPUBLIQUE DE GUINEE

Travail-Justice-Solidarité

ETUDE SUR LA RADICALISATION ET L’EXTREMISME


VIOLENT EN GUINEE

RAPPORT FINAL

1
Cette étude a été formulée dans le cadre du

Programme de prévention régionale contre l'extrémisme


violent dans le Maghreb et le Sahel
(PPREV-UE)
Mission d’appui technique en appui
Pays : Guinée

VERSION FINALE
Octobre 2016

Auteurs principaux :
BARRY Alpha Amadou Bano
MARTINEZ Luis

Avec le soutien de l'Union européenne,


sur un financement de l'Instrument contribuant à la Stabilité et à la Paix (IcSP)

Clause de non-responsabilité

La présente publication a été élaborée avec l’aide de l’Union européenne. Le contenu de la


publication relève de la seule responsabilité de Civipol et ne peut aucunement être considéré
comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.

2
Table des matières
Liste des accronymes ........................................................................................................................................ 5
Résumé éxécutif ................................................................................................................................................ 6
I. Le contexte politique ............................................................................................................................ 7
II. Le contexte économique ................................................................................................................... 10
III. La problématique du radicalisme religieux et violent ....................................................................... 11
IV. Les objectifs et résultats attendus de la mission d'appui technique ............................................ 102
a. Les objectifs ......................................................................................................................................................
b. Les résultats attendus ......................................................................................................................................
V. L'équipe et la démarche de recherche ................................................................................................. 103
a. L’équipe.......................................................................................................................................................... 13
b. La démarche de collecte ................................................................................................................................ 13
- La recherche documentaire .................................................................................................................. 13
- L’entretien ............................................................................................................................................. 14
- Le profil des informateurs ..................................................................................................................... 14
- Les difficultés de terrain ........................................................................................................................ 16
- Le traitement et l’analyse des données ................................................................................................ 18
VI. Le cadre conceptuel et théorique ........................................................................................................ 19
a. La radicalisation ............................................................................................................................................. 21
b. Les théories de la radicalisation……………………………………………………………………………… 22
VII. Présentation des résultats ...................................................................................................................... 22
a. L’analyse des dynamiques de la radicalisation, de leurs acteurs et des vecteurs concourants au délenchement ou à
l’aggravation du processus de radicalisation .......................................................................................................... 22
- Origine du radicalisme en Guinée : Une histoire confrérique ............................................................. 182
- Qadiriyya : Confrérie de propagation de l’islam en Guinée ................................................................ 193
- Tijaniyya : Courant confrérique et guerrier .......................................................................................... 204
- Wahhabisme : courant confrérique et fondamentaliste ...................................................................... 215
- Ahloussounna Wal Djama: tendance nouvelle ou réajustement opportun ......................................... 218
- Les acteurs de la radicalisation religieuse en Guinée ........................................................................... 29
- La perception des confréries............................................................................................................... 272
- Les vecteurs et les facteurs de la radicalisation religieuse ................................................................ 283
- Dynamiques régionales de la radicalisation religieuse en Guinée ...................................................... 317
b. Les pistes, besoins et actions de prévention ................................................................................................... 38
Conclusion ........................................................................................................................................................ 41
Bibliographie ................................................................................................................................................... 43
Annexe .............................................................................................................................................................. 46

3
Liste des acronymes

AQMI : Al-Qaïda au Maghreb Islamique

DNAT : Direction Nationale de l’Administration du Territoire

DST : Direction de la Surveillance du Territoire

DUE : Délégation de l’Union européenne

ICSR : International Centre For The Study Of Radicalisation And Political Violence

MATD : Ministère de l’Administration du Territoire et de la décentralisation

MUJAO : Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest

OCRS : L’Observatoire des Conflits, de la Radicalisation et de la Sécurité en Afrique

OCI : Organisation de la Conférence Islamique

ONG : Organisation non gouvernementale

PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement

RG : Renseignements Généraux

UFDG : Union des Forces démocratiques de Guinée

ULIMO: United Liberation Movement of Liberia for Democracy

4
Résumé exécutif
Les attentats terroristes à Paris et à Bruxelles, après ceux du 11 septembre 2011, ceux de Bamako, de
Ouagadougou, d’Abidjan et la guerre en Syrie ont mis au-devant de la scène la question de la radicalisation
religieuse et violente.
Pour anticiper et aider à préparer la République de Guinée, une étude sur la radicalisation religieuse a été
conduite dans l’optique de rechercher des données tangibles sur l’origine, les acteurs, les facteurs et les
vecteurs de cette radicalisation.
En Guinée, la radicalisation religieuse est essentiellement pratiquée par la confrérie Wahhabite qui propage son
influence et sa doctrine notamment en assurant la formation des étudiants en théologie musulmane, en
octroyant des dons en espèce et/ou en nature ou en finançant la construction d’infrastructures sociales telles
que les mosquées, les centres de santé, les forages.
Les acteurs qui jouent un rôle significatif dans l’interprétation radicale de l’islam en Guinée sont principalement
les anciens étudiants en théologie formés dans des universités islamiques étrangères, les prédicateurs arabes
et/ou pakistanais, les agents de certaines ONG étrangères, les imams de certaines mosquées construites et
soutenues par des donateurs étrangers.

Les canaux habituellement utilisés pour rependre les idées radicales sont : les prêches dans les mosquées et
pendant les sorties religieuses intitulées "Dawa", les activités aux seins des centres islamiques et autres
structures sanitaires gérées par des organismes à caractère religieux. En plus de ces canaux, des vecteurs tels
que la radio, les campagnes de proximité, internet et des séries de conférences avec distribution de support
papier, cassette et vidéo sont également régulièrement utilisés.

Pour l’essentiel, le danger de la radicalisation est perçu, mais pas correctement appréhendé par les acteurs
étatiques (forces de sécurité, administration territoriale, religieuse et universitaire) et les acteurs non étatiques.

Aussi, dans la situation actuelle, l’information, la formation, la sensibilisation et l’outillage théorique et


méthodologique en direction des acteurs majeurs que sont l’exécutif, le législatif, le judiciaire et le système
universitaire sont des composantes essentielles dans la préparation du pays afin de faire face à la menace.

I. Le contexte politique
L’élection présidentielle de 2010, la première avec une vingtaine de candidats en lice et l’absence de
candidature du président en exercice, devait marquer la fin des régimes autocratiques et asseoir l’ère
démocratique en Guinée. En dépit de cette élection, et parfois à cause des enjeux et des cristallisations, le pays
connaît depuis 2010 une crise politique et sociale marquée par des violences de nature politique avec des
connotations ethniques et régionalistes.

Depuis 2011, des violences opposent des militants des principaux partis politiques entre eux avec les forces de
sécurité et son cortège de blessés, de morts et de destruction de biens publics et privés. Ces manifestations
violentes de nature politique ne sont pas cantonnées uniquement dans la capitale. Toutes les zones minières,
Fria, Kouroussa, Siguiri, Dinguiraye et certaines préfectures comme Guéckédou et N’Zérékoré (Galappay,
Zogota, Koulé) seront secouées par des affrontements violents entre les forces de l’ordre, les populations
locales et parfois aussi entre des acteurs qui réclament une ethnicité différente.

Dans la plupart des cas, les populations autochtones des localités où sont exploitées les ressources minières se
sont soulevées contre, selon les circonstances, l’installation de nouvelles populations, le non recrutement des
jeunes autochtones, la forte présence des forces de l’ordre ou la nuisance environnementale.

Dans d’autres cas, la révolte a commencé par des revendications des ouvriers travaillant dans les sociétés
minières. D’autres conflits ont aussi commencé par des revendications des populations contre leurs autorités
locales à cause de la mauvaise gestion des revenus issus de l’exploitation des ressources de leur localité.

Le plus meurtrier de tous ces conflits à l’intérieur du pays, depuis 2010, a été sans conteste celui qui a débuté à
Koulé, à quelques kilomètres de N’Zérékoré par une banale histoire de tentative de vol par des apprentis

5
1
mécaniciens dans une station d’essence entre le 15 au 18 juillet 2013 . Ce rapport narrant les faits indique que
« le présumé voleur ayant trouvé la mort suite aux sévices que le gardien de la station lui a infligé, des jeunes
konianké (un groupe ethnique de la Guinée) se sont attaqués au gérant de la station et à d’autres personnes de
la même ethnie que celui-ci (kpélè) pour venger la mort du présumé voleur qui est originaire de leur ethnie. Le
lendemain de ce délit de droit commun, N’Zérékoré s’embrase entre kpèlès et koniankés avant d’embraser la
préfecture voisine de Beyla ». En trois jours, les violences auraient fait, selon les décomptes officiels du
2
gouvernement, plus d’une centaine de morts dans les deux camps .

Sur tous ces affrontements en Guinée Forestière, le ministre en charge des droits de l’homme et des libertés
publiques sera catégorique en affirmant que : « Toutes ces violences qui ont occasionné ces tueries, ces
massacres, sont un drame national qui exige le recueillement de tout le peuple de Guinée comme cela devrait
d’ailleurs être le cas à chaque fois que la vie d'un de nos concitoyens est arrachée du fait de la violence, de la
haine et de toutes les perversités communautaristes. Il est injuste et inacceptable de s'en prendre à quelqu'un
3
du simple fait de sa singularité identitaire, politique, sociale ou religieuse» .

Pour celui qui est en charge des libertés publiques dans le gouvernement de la république de Guinée, ces
violations massives des Droits de l’Homme deviennent de plus en plus courantes et injustifiable. L’image que la
Guinée offre à la face du monde par ces violations répétées des droits humains est, selon le ministre guinéen
des droits de l’homme, celui d’un pays « blotti dans ses obsessions ethniques et tribales […] livrant à la face du
4
monde une image dégradante, inhumaine et intolérante de notre société » .

En plus de ces conflits de nature politique et communautaire, il faut mettre un accent particulier sur ceux en
rapport avec la question religieuse. Parfois d’ailleurs, les conflits de nature communautaire « ethnique »
recoupent et prolongent ceux religieux comme en Guinée Forestière.

D’autres types de conflits sont réguliers en Guinée. Il s’agit de ceux entre « agriculteurs-éleveurs ». Ce type de
conflit se rencontre surtout à deux endroits : les deux versants des montagnes du Fouta Djalon vers le Nord-
Ouest et le Sud-Est. Dans le premier cas, il s’agit des zones de transhumance de Télimélé vers les plaines de
Boffa et l’autre, de Mamou vers Faranah et la migration des éleveurs vers la zone de Beyla et Kissidougou, en
raison de l’offre en herbes haute.

Les conflits fonciers en Guinée se rencontrent en Guinée Forestière, en Basse Guinée et en Moyenne Guinée.
Les deux zones sont celles de migration interne intense avec des pressions très fortes pour l’accès à la terre
agricole en Guinée Forestière et à l’habitat dans celle de la Basse Guinée. Dans la région de la Moyenne
Guinée, il existe des conflits fonciers récurrents dans la zone agricole située entre Mamou, Dabola, Dalaba,
Tougué et Dinguiraye. Une zone doublement caractérisée par des plaines fertiles qui sont exploitées par des
populations aux origines ethniques diverses et aux statuts sociaux déséquilibrés. L’accès différencié à ces terres
est un terreau fertile pour des manipulations et des mobilisations de nature politique, à coloration ethnique et/ou
religieuse.

Les conflits de nature religieuse s’imbriquent souvent avec ceux communautaires et de la stratification sociale.
Par exemple, lors des conflits en Guinée Forestière en 2013, en plus de la dimension communautaire, l’ONG
« Même Droit pour Tous » avait noté « la destruction du centre AMA (Agence des Musulmans d’Afrique) par les
jeunes guerzés dans le quartier de Gbanhgana à N’Zérékoré Centre » et « l’incitation à la violence dans les
sermons de certains imams dans certaines mosquées, notamment dans des mosquées de Dorota à
N’Zérékoré ».
5
Le 15 novembre 2015, après une fête religieuse désignée par le terme de « Ziara » , un incident éclate entre
les descendants de deux frères qui sont les fondateurs du village. A la suite de cet incident, deux personnes
meurent tuées à l’arme blanche et une mosquée en construction est détruite.

1
Rapport de Même Droit pour Tous, 2013.
2
Chiffres publiées dans le Lynx, N° 1243, 28 Août 2012.
3
Idem.
4
Chiffres publiées dans le Lynx, N° 1243, 28 Août 2012.
5
La Ziara est une cérémonie commémorative des parents défunts. Les Fidao et les Ziara sont devenus des moments de rencontre des
descendants vivants d’un lignage (ancêtre connu), mais aussi un instrument de reconnaissance de ceux qui ont réussi au sein de la famille.

6
6
Les protagonistes sont les descendants de deux frères « Karambaya » et « Touraya » . Les descendants du
premier nommé étaient et restent encore les gestionnaires de la mosquée et appartiennent à la confrérie
Qadiriyya. Les descendants du jeune frère ont embrassé le Wahhabisme à partir de leur exil en France et
7
veulent implanter la nouvelle confrérie en construisant une mosquée avec les privilèges qui s’y rattachent.

A Labé, capitale de la Moyenne Guinée, les oppositions sont nombreuses entre des familles et des groupes qui
se réclament des confréries Tijâniyya et Qadiriyya (qui avaient le contrôle du rôle d’imam et des privilèges qui
l’accompagnent), et Wahhabya (qui offrent à tous ses adhérents la possibilité d’accéder à des fonctions
réservées à certaines familles).

Dans cette localité, les affrontements nombreux ont marqué la vie religieuse depuis 2014, sans entraîner des
pertes en vie humaine, entre l’Islam traditionnel représenté par les Tijâniyya et les Wahhabya. Les Tijâniyya
accusent les seconds d’organiser des prières de vendredi dans des « maisons » selon le Grand imam de la
mosquée de Labé qui dit : « Il y a eu des gens qui partaient prier (la prière du vendredi) dans des maisons » qui
ne sont pas reconnues par l’autorité régionale en charge du culte musulman. Selon le Grand imam de la Grande
mosquée, rapportée par Guinée news dans son édition du 22 mars 2015 :« Nous, nous avons vu des gens prier
dans notre quartier dans des cours. Nous savons qu’à Labé nous avons 44 mosquées homologuées pour la
prière du vendredi. Alors, laisser ces 44 mosquées pour aller prier dans une maison, ça serait étonnant pour
nous. La ligue a trouvé cela contraire aux principes religieux ».

Les membres de la confrérie Wahhabya rétorquent que l’autorité régionale refuse de délivrer ces autorisations
en raison de la mainmise des Tijâniyya sur les structures officielles du culte musulman dans la région de la
Moyenne Guinée. L’imam de la grande mosquée balaye du revers de la main ces accusations et indique que la
procédure à changer et s’articule autour des dispositions suivantes : « La ligue a revu ce qu’elle a dit concernant
la mosquée. En ce qui concerne une mosquée, ce sont les populations de la localité qui sont tous d’accord. La
ligue va vérifier si le terrain n’est pas illégalement acquis et si les populations sont tous d’accord avant d’écrire
au secrétariat des affaires religieuses à Conakry qui donne une autorisation. Mais, se lever seulement pour venir
8
dans le quartier et dire que c’est ici que nous allons prier, pas dans les autres mosquées, c’est gauche » .

Carte 1 : Répartition régionale des conflits en Guinée.

Source :
Ministère de l’administration du territoire et de la Décentralisation, PNUD et Fondation Suisse pour la paix
(2013) ; « Cartographie des conflits en Guinée », Conakry, Guinée.

En dépit de la diversification des conflits en Guinée, le potentiel conflictuel n’est pas le même pour toutes les
régions de la Guinée. Certaines zones ont un potentiel plus élevé que d’autres. C’est le cas de la ville de
Conakry, notamment au sein de Ratoma et Matoto, des zones de transhumance le long de la ligne de
séparation des montagnes, Kindia, Télimélé, Fria et Gaoual avec les plaines Boffa et Boké et de Beyla et de

6
Les deux frères seraient ceux qui ont dirigé la migration des Diakankas de Diakhaba (actuel République du Mali) en Guinée vers la fin du
18ème siècle.
7
L’express Guinée, 2015.
8
Guinéenews, 2015.

7
Kissidougou. C’est également le cas de la zone agricole qui jouxte les préfectures de Mamou, de Dalaba, de
Dabola, de Tougué et de Dinguiraye. Une zone avec un accès différencié à la terre en fonction de
l’appartenance ethnique.

La zone aurifère de Kouroussa et de Siguiri apparaît comme une zone conflictuelle récurrente avec une intensité
élevée. Cependant, la ville de Conakry et la région forestière restent les foyers les plus importants des conflits
en Guinée. Conakry et sa grande banlieue Coyah et Dubréka avec ses quatre millions d’habitants concentre un
potentiel significatif. Il s’agit de l’espace où les intérêts politiques, les pressions foncières, la lutte pour l’accès
aux ressources et les divergences politiques s’exacerbent le plus en Guinée.

La Guinée Forestière, avec son potentiel agricole et minier, est également une région coincée entre des pays à
forte circulation d’armes et de personnes habituées à user de la violence pour vivre et survivre.

Carte : Expression de la radicalisation (Projet PPREV-UE, août 2016)

II. Le contexte économique


La situation économique de la République de Guinée a été, depuis très longtemps, et reste encore marquée par
une crise résultant de difficultés multiples. L’une de ces difficultés est de nature structurelle découlant des
caractéristiques de son économie fortement dépendante de l’exportation de produits miniers comme l’or et
surtout la bauxite. L’autre est sa forte dépendance des importations de biens et services pour ces
infrastructures, mais aussi pour l’alimentation de sa population. Une autre de ces difficultés résulte de sa faible
attractivité économique pour les investisseurs internationaux. En effet, le pays possède de nombreuses
infrastructures défaillantes (voie de communication, eau et énergie), une main d’œuvre faiblement performante
et un climat politique marqué par une tension quasi-permanente depuis plus d’une vingtaine d’années.

Après l’élection présidentielle de 2010, des réformes structurelles couplées avec une politique de resserrement
du crédit et une restriction budgétaire marquée par l’exécution des dépenses publiques sur la base des recettes
et non des emprunts ont été mises en place avec, à la clé, une stabilisation macroéconomique. Ces mesures
ont permis des améliorations substantielles de l’économie, du moins dans ses grands équilibres macro-
économiques. Toutefois une corruption persistante continue à miner le pays.

Entre 2010 et 2013, la discipline budgétaire a été observée avec un retour à l’orthodoxie économique et
financière dans la gestion du pays. Ces mesures ont eu pour effet une substantielle maîtrise de l’inflation et une
augmentation sensible des réserves en devises du pays. Ces mesures et d’autres, comme le contrôle des
liquidités et la réduction de l’expansion de la masse monétaire, ont permis la stabilisation de l’économie sans
permettre ni la relance significative des investissements, ni la création de l’emploi et encore moins l’amélioration
des conditions de vie de la population.

8
A partir de 2013 avec l’apparition de l’épidémie d’Ebola, la plupart des acquis économiques se sont effrités avec
le départ de certains investisseurs miniers comme la société brésilienne Valé, l’anglo-américain BHP, la
limitation des activités, avant l’annonce récente, par Rio Tinto d’une réduction drastique de ses investissements
dans le projet du Simandou. Depuis le début de 2016, les difficultés économiques prennent de l’ampleur avec
une crise de liquidité dans les banques primaires qui annoncent une activité économique en berne et une
circulation monétaire en dehors du circuit bancaire.

Cette situation économique prend appui, prolonge et renforce le climat politique, décrit ci-dessus, marqué par
une polarisation prononcée des acteurs politiques autour des enjeux d’accès et de gestion de la chose publique.

III. La problématique du radicalisme religieux et violent


Avec les Talibans et Al-Qaïda, le radicalisme religieux islamique donnait l’impression d’un phénomène de
terrorisme marqué par des attentats, certes meurtriers, mais périphérique à l’Islam. Le combat contre
l'extrémisme violent en Algérie, les attentats au Pakistan, au Yémen, et les conflits récurrents entre les pays
musulmans de confessions différentes, Sunnites et Chiites, semblaient en rien concerner le reste du monde,
même si certains chercheurs, comme Samb, en 2003, alertaient des risques de propagation des jihadistes de
l’Algérie vers le Sud du Maghreb.

Il faudra attendre la Guerre en Syrie et l’avènement de Daech, la tentative de prise du Mali, les attentats en
9
Afrique de l’Ouest , à Paris et à Bruxelles ainsi que l’enrôlement de milliers de jeunes en Afrique et en Europe,
prêts au nom de l’Islam à mourir en tuant des centaines de personnes, pour que la question du radicalisme
religieux, politique et violent devienne une préoccupation partagée à l’échelle internationale. Parmi les
démarches de la communauté internationale visant à lutter contre l'extrémisme violent, on peut citer le Sommet
Mondial contre l'extrémisme violent qui s'est tenu à Washington en février 2015, suivi de la conférence
10
internationale sur le même sujet à Alger en juillet 2015 , puis le Sommet Mondial contre l'extrémisme violent
organisé à New York, le 29 septembre 2015, en marge des travaux de l'Assemblée Nationale des Nations
Unies. Certaines initiatives de l'Union Africaine dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme
violent sont également à relever (Centre Africaine d'Etude et de Recherches sur le Terrorisme basé à Alger,
création de l'AFRIPOL).

Un regard sur la carte de ce nouveau phénomène illustre que l’Afrique des deux côtés du Sahara, de l’Océan
Atlantique à la mer rouge, est concernée autant que les pays arabes et l’Europe. Le phénomène est d’autant
plus inquiétant qu’il mobilise autant d’étrangers que de natifs des pays concernés pour perpétrer des attentats.
Aussi, il mobilise des milliers de jeunes aux profils variés (hommes, femmes, diplômés au chômage ou
employés, convertis, mineurs, etc.) qui ont décidé de partir en Irak et en Syrie pour rejoindre les rangs de Daech
où de poser des bombes et procéder à des attaques suicides contre des infrastructures publiques, partout où il
est possible de faire le plus de morts et de traumatiser les ressortissants d’un pays.

IV. Les objectifs et les résultats attendus de la mission d’appui technique


Cette étude est la première du genre en Guinée. Elle s’inscrit dans la volonté des acteurs nationaux et
internationaux de prévenir la radicalisation et l’extrémisme violent en Guinée.

La République de Guinée est considérée comme un pays fragile par les organisations du système des Nations-
Unis, notamment le PNUD qui a obtenu pour la Guinée le programme de « Fonds de consolidation de la paix »
11
habituellement réservé aux pays en post-conflits. Ceci, en raison de sa proximité avec le Mali, épicentre du
phénomène du radicalisme violent dans la sous-région, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal considéré comme un
12
pays à risque important . Toutefois la différence entre le Mali et la Guinée réside notamment dans le fait que le
Mali fait frontière avec l'Algérie, pays au sein duquel des djihadistes se sont repliés dans une zone où l'Etat est

9
Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam en Côte d’Ivoire.
10
Les conclusions de cette conférence ont fait l'objet d'un document intitulé" Une expérience à partager"
11
Entre 2007 et 2013, la Guinée, comme le Libéria, la Sierra-Leone, la République Centrafricaine et le Burundi, figurait sur la liste des pays
bénéficiaires du fonds de consolidation de la paix du PNUD.
12
Notamment en raison de son importance stratégique et de l’importante présence militaire française américaine, depuis peu.

9
presque absent : le nord du Mali. Le mouvement wahhabite au Mali est l'un les plus puissants en Afrique de
l'Ouest. Plus puissant que les autres pays et ont des portes voix qui sont relativement bien positionnés.

A ce titre, il est essentiel de s’interroger sur les points suivants :

- Quels sont les origines et les facteurs déclencheurs d'une possible radicalisation d'inspiration
religieuse en Guinée ?
- Quelle est l'ampleur du phénomène ? Le cas échéant, ce radicalisme d'inspiration religieuse peut-
il se transformer en extrémisme, voire en action terroriste en Guinée ?
- Quelles sont les dynamiques sociales, économiques et régionales à même de favoriser des
connexions transfrontalières de la menace jihadiste/terroriste ?
- Quels sont les acteurs et les partenaires sur lesquels des actions futures de prévention de la
radicalisation peuvent s’appuyer à l’échelle nationale ?

a. Les objectifs :
Dans ce cadre, la présente mission d’appui technique se fixe trois objectifs principaux :
- Objectif 1 :
Fournir un éclairage sur des problématiques liées au phénomène de radicalisation avec des
analyses approfondies permettant de mieux comprendre l’origine, les vecteurs et les dynamiques
de radicalisation et extrémisme violent en Guinée ;
- Objectif 2 :
Fournir des éléments d’information, des données et des analyses afin d’identifier les besoins en
actions de prévention de la radicalisation ;
- Objectif 3 : Déterminer les pistes d’actions possibles et les acteurs sur lesquels les prochaines
interventions pourraient s’appuyer.

b. Les résultats attendus :


Cette mission vise les résultats suivants :
- Une meilleure connaissance des facteurs et acteurs de la radicalisation en Guinée ;
- Des besoins en actions de prévention de la radicalisation précisés ;
- Des pistes d’actions possibles et les acteurs sur lesquelles les prochaines interventions peuvent
s’appuyer sont identifiés.

V. L’équipe et la démarche de recherche

a. L’équipe :
Pour collecter les données, une équipe de 5 personnes (un expert senior pilote et quatre experts juniors) ont été
mobilisés. L’expert senior a eu comme mandat de produire les instruments de collecte, de coordonner de celle-
ci, de procéder à l’analyse et à la production du rapport. Les experts juniors ont participé à la finalisation des
instruments de collecte des données, ont assuré la collecte et ont produit des rapports de missions de terrain.

Tableau 2 : Equipe et zones de collecte des données

N° Equipes Zones de collecte des données


1 Barry Alpha Amadou Bano et Ali Adam Conakry-Mamou-Pita-Labé
2 Tounkara Mamadou Mariame Dubréka-Forécariah-Koundara
3 Diallo Abdoulaye Kissidougou-Guéckédou-N’Zérkoré-Beyla
4 Condé Namoudou Kankan-Siguiri-Mandiana

b. La démarche de recherche :
Cette recherche est de nature qualitative et utilise deux méthodes de recherche différentes mais
complémentaires. Il s’agit de la recherche documentaire et de l’entretien individuel (semi-structuré).

10
- La recherche documentaire
La recherche documentaire est la pierre angulaire de toute recherche. Cette démarche consiste à identifier, à
récupérer et à traiter des éléments divers (chiffres, bibliographie, textes, etc.) sur un sujet donné. Cette
13
identification des informations est une étape indispensable à toute synthèse des connaissances .

Dans ce cas spécifique, la présente recherche documentaire prend appui sur les questions de recherche et les
objectifs qui l’encadrent. Ces opérations préalables ont permis de faciliter des opérations suivantes :

- Le choix des sources d’information pertinentes ;


- L’évaluation et la sélection des sources d’information et des références obtenues ;
- La hiérarchisation de l’information et des documents collectés ;
- La présentation de l’information collectée ;
- L’élaboration de la bibliographie finale.
Dans le cadre de cette étude, les documents recherchés, consultés et exploités concernent ceux qui présentent
la situation sociopolitique et économique de la Guinée et en particulier ceux en rapport avec les tensions et les
conflits qui ont marqué le pays les vingt dernières années. Il s’agit des documents sur l’Islam et ses différentes
manifestations (naissance, propagation, confréries) et des documents de géopolitiques ainsi que de nature
conceptuels et théoriques.

- L’entretien
Le second instrument de recherche qui complète la recherche documentaire est l’entretien. L’entretien, comme
technique de collecte des données, relève du déclaratif. Le choix de celui-ci, comme complément de la
recherche documentaire, s’impose, car les questionnements au centre de la présente recherche tels que les
facteurs, les acteurs et les mécanismes de la radicalisation sont essentiels.

- Le profil des informateurs


Pour cerner la radicalisation, les données collectées par la recherche documentaire ne suffisent pas. Pour
donner un sens et une signification aux pratiques de la radicalisation, il a été utile d'établir des contacts directs
avec les personnes concernées par le phénomène de radicalisation. Il s’agit des informateurs qui proviennent de
l'administration publique, des acteurs sociaux : imams, muezzins et encadreurs religieux et des citoyens.

L'administration publique et locale a été représentée par trois groupes distincts que sont le groupe de la sécurité
publique, le groupe de l'administration du territoire et le groupe des hommes de culte qui exercent au sein du
secrétariat des affaires religieuses.

Parmi les acteurs de la sécurité publique, la police est représentée par la DST, les directeurs régionaux de la
Police de Mamou, Labé, Kankan, N’Zérékoré ainsi que les commissaires centraux de Mamou, Pita, Labé,
Koundara, Forécariah, Dubréka, Kankan, Siguiri, Mandiana, Gueckédou, Kissidougou, N’Zérékoré et Beyla.
Outre la police, certains cadres du Haut-Commandement de la gendarmerie nationale, notamment dans ses
divisions de renseignement et du commandement de la gendarmerie dans les zones indiquées, ont été
interrogés.

Au niveau du MATD, deux cadres de la direction nationale de l'administration du territoire ont été interrogés ainsi
que des secrétaires généraux des communes urbaines et de l’administration préfectorale ont été interviewés.
Dans toutes ces localités, des hommes de culte ont été rencontrés en plus des membres des différentes ligues
islamiques régionales et préfectorales de chacune des zones à l'étude.

Au total, l’administration publique et les forces régaliennes sont concernées par 39 entretiens sur les 265
réalisés. Nous avons interviewé 22 responsables communautaires (maires, chefs de quartiers et de secteurs),
77 responsables religieux (imams, encadreurs religieux, ligue islamique) et 127 citoyens, principalement des
jeunes.

13
Gheeraert et Billoud, 2011, « Le travail de recherche documentaire. Un guide pour la documentation scientifique », Université Pierre et
Marie Curie en ligne.

11
Tableau 3 : Répartition des personnes interviewées par catégorie et par localité
Localités Imam/ Chefs de Autorités de l'Etat Gendarme/police Citoyen/Jeunes Total
Muezzin quartiers

Conakry 12 2 2 4 15 35

Mamou 2 2 2 1 6 13

Pita 6 2 2 1 4 15

Labé 6 1 2 1 10 20

Dubréka 3 2 1 1 10 17

Forécariah 2 2 2 1 8 15

Koundara 4 1 2 1 10 18

Kankan 10 2 2 1 10 25

Siguiri 10 1 2 1 12 26

Mandiana 10 2 2 1 9 24

Kissidougou 2 1 2 1 9 15

Guéckédou 2 2 1 1 8 14

N’Zérékoré 5 1 1 1 8 18

Beyla 3 1 1 1 8 16

267

Total 77 22 24 17 127
Cette diversification socio-anthropologique des répondants provient du souci d’avoir une large diversité
sociologique pour permettre une représentativité socio-anthropologique de la Guinée à travers ses
caractéristiques secondaires, telles que l’ethnie, l’activité socioprofessionnelle, l’appartenance ou non aux
différentes confréries, etc. Enfin, ce que l’équipe de recherche a cherché systématiquement sur le terrain a été
d’interviewer des personnes ressources qui disposent des connaissances et des compétences à se prononcer
sur la radicalisation en Guinée.

Effectivement, les personnes avec lesquelles des entretiens ont été conduits, sont représentatifs des
questionnements et des objectifs visés par l’étude. Ils ont été ciblés en raison de leur utilité et de leur rapport
avec l’objet d’étude. Les uns et les autres ont produit des points de vue singuliers que nous relieront afin de
produire un discours plus général, selon l’adage de Goffman « l’universel est dans le particulier ». Tous les
entretiens réalisés ont été enregistrés et retranscrits avant d’être soumis à l’analyse.

Dans le cadre de la présente recherche, l’entretien utilisé a été semi-directif. Ce type d’entretien est le plus
pertinent, car il sied dans les cas d’approfondissement des connaissances dans un domaine sensible et évolutif,
celui de la radicalisation religieuse. Cette technique de recueil d’informations a permis de centrer le discours des

12
personnes interrogées autour de thèmes et de sous-thèmes définis dans le protocole de recherche et consignés
dans un guide d’entretien.

La présente étude est de nature qualitative avec une portée nationale, c’est-à-dire couvrant l’ensemble du
territoire de la République de Guinée avec un accent sur deux zones particulières :

- Les zones frontalières dans lesquelles il y a les préfectures frontalières aux pays limitrophes de la
Guinée. Il s’agit de Koundara aux frontières avec la Guinée Bissau et le Sénégal ; de Siguiri qui
est frontalière de la République du Mali et de Mandiana qui est doublement frontalière à la
République du Mali d’un côté et de la Côte d’Ivoire de l’autre ; de Beyla à la frontière de la Côte
d’Ivoire et de N’Zérékoré aux frontières de la
Côte d’Ivoire et du Libéria ; de Guéckédou aux frontières du Libéria et de la Sierra-Leone ; et
enfin de Forécariah et Mamou à la frontière de la Sierra-Leone.

- Les zones caractérisées par des conflits de nature religieuse et des signes, des germes et des
indices de radicalisation comme certaines tenues vestimentaires, des mosquées réfractaires à la
tutelle du ministère des affaires religieuses avec des imams virulents. Les préfectures concernées
sont celles qui ont connu des conflits de nature religieuse comme Kankan, Kissidougou, Pita,
Labé et les communes de Ratoma et de Matoto.

Carte 2 : Zones couvertes par l’étude

- Les difficultés du terrain


Cette étude porte sur un sujet assez sensible. Les interlocuteurs rencontrés l’ont confirmé tout au long de la
collecte des données. L’équipe a été confrontée au refus et parfois à des réticences de plusieurs personnes
rencontrées.

A Conakry d’abord, la capitale de la Guinée, les protocoles administratifs « lourds » et « tatillons » ont été une
épreuve et ont accru la charge de travail. Dans les préfectures, les autorités préfectorales et sous-préfectorales
ont regretté de n’avoir pas reçu la lettre de la DUE adressée au gouvernement avant l’arrivée de l’équipe. Un
des préfets a mis en doute « l’authenticité de l’ordre de mission délivré par Civipol. Il reproche à cet ordre de
mission le manque de cachet, estimant que la signature n’était pas suffisante pour attester de son authenticité ».

13
Il est arrivé plusieurs fois que des enquêtés refusent et/ou réfutent, surtout au début des entretiens, la possibilité
que des personnes de confession musulmane soient des « radicalisés ». Souvent, il a fallu attendre plusieurs
moments après le début des entretiens, pour voir nos interlocuteurs déclarer l’existence de radicalisés parmi les
personnes de confession musulmane. Lorsqu’ils l’admettent, ils ajoutent, comme pour justifier les contradictions
de leurs propos, que ces personnes sont ignorantes de la doctrine ou ne respectent pas les principes de ladite
religion. Lorsqu’ils admettent, néanmoins, l’existence de la radicalisation de certains, ils restent réticents à citer
des noms des personnes susceptibles d’aider les personnes influentes de la localité et celles qui favorisent la
radicalisation.

Cette attitude a surtout été constatée parmi les autorités religieuses. Plusieurs des imams, muezzins et
encadreurs de structures religieuses ont considéré l’étude avec suspicion, se demandant à haute voix sur la
motivation réelle de l’étude et l’utilisation qui sera faite des résultats. Cette catégorie d’interlocuteurs s’est parfois
opposée aux enregistrements des interviews.
Lors des entretiens avec certaines personnes, notamment celles qui sont les plus instruites en arabe et dans les
principes de l’Islam, il nous a été donné de constater des réponses ironiques et des méprisantes, notamment
sur une éventuelle absence de qualification pour évoquer des sujets sur l’Islam. Dans certaines localités, région
de la moyenne Guinée, il a été particulièrement difficile de faire parler les érudits avec des réponses évasives,
que certains qualifient de sagesse, qui commençaient toujours leurs réponses à chaque question posée « je ne
sais pas ».

A Labé, le mutisme a été presque total chez les Tijâniyya, surtout au niveau des Imams. Il n'était quasiment pas
possible d'obtenir un informateur et lorsqu’on a eu un sous la main, celui-ci restait évasif.

A Mamou, c'est plutôt la crainte d'être indexé et étiqueté comme présumé djihadiste qui a limité la collecte des
données et les échanges avec les interviewés. En effet, la période de l'enquête a coïncidé avec la découverte
d'un drapeau au couleur rouge-blanc-noir hissé sur une maison qui a été interprété par les autorités et certains
14
citoyens comme une allégeance à Boko Haram . A la suite de cet évènement, il y aurait eu des perquisitions et
des interpellations dans les milieux Wahhabites. Cette conjoncture a eu pour effet de réduire considérablement
le nombre d’interlocuteurs dans cette préfecture.

En Guinée Forestière, région caractérisée par une prépondérance des Wahhabites, les imams, les muezzins et
les encadreurs des structures de formation islamique de la confrérie Tijâniyya ont eu du mal à assumer leur
appartenance à cette confrérie. Ils se réclamaient de la confrérie Wahhabite de peur d’être stigmatisé car cette
confrérie gagne du terrain et semble être très influente.

Une autre difficulté majeure a été le faible accès aux femmes. Lorsqu’elles ont été ciblées par l’équipe pour
obtenir leur « parole singulière », elles ont mis en avant leur indisponibilité et leur faible connaissance du Coran
pour justifier leur refus des entretiens. Sur les 267 personnes rencontrées, il a été possible d’interroger
seulement 10 femmes.

Une dernière difficulté que nous avons dû surmonter, résidait dans le fait d’avoir utilisé des ordres de mission
signés à Dakar. Plusieurs fois, il a fallu non seulement ressortir la lettre de la DUE adressée aux gouvernements
pour persuader les uns et les autres que cette étude n’est pas commanditée par « Dakar » et donc pas par des
« étrangers ».

Synthèse de la démarche de recherche

14
D’après les informations obtenues sur le terrain à Mamou (nous étions dans cette préfecture au moment de cet évènement), il semblerait
qu’un citoyen ait consulté un charlatan pour trouver des sacrifices afin de faciliter sa migration vers l’Occident. Ce charlatan aurait suggéré
au demandeur de hisser un drapeau comportant les trois couleurs (rouge, blanc et noir). Le rythme du vent sur les couleurs serait un facteur
pour faciliter sa procédure de migration.

14
Méthodologie Recherche
Nature documentaire
Portée de l’étude : Nationale approche
Enquête qualitative

Echantillon Echantillon Echantillonnage


Intergroupe Par contraste Par cas multiples de Entretien semi-
micro unités sociales directif

Variables
stratégiques
Procédé de Guide d’entretien
sélection
-Variables générales :
-Age, Profession, statut social et
région/préfecture.
-Variable spécifique : l'implication
dans la religion [activisme supposé ou Boule de
influence réputée] neige

- Le traitement et l’analyse des données


Après la collecte et souvent sur le terrain même, les données collectées par l’équipe de recherche ont fait l’objet,
chaque jour, d’une retranscription et d’une mise en forme permettant de procéder à une première analyse et à la
vérification de la pertinence des données en rapport avec les questionnements et les objectifs de la recherche.

Ces entretiens transcrits et codifiés ont permis de faire émerger les thèmes communs au sujet de l’origine, les
vecteurs et les dynamiques du radicalisme et de l’extrémisme religieux. Ces entretiens transcrits et codifiés ont
aussi suggéré, à partir de la « matrice des acteurs et du pouvoir », les acteurs à mobiliser, ceux sur lesquels les
prochaines interventions pourraient s’appuyer, et ceux à surveiller et les besoins en actions de prévention de la
radicalisation.

Après la collecte et la codification des données, il fallait déterminer la procédure d’analyse globale des données.
En effet, les procédures d’analyse des informations qualitatives sont très nombreuses et diverses, mais pour les
besoins de la cause, la présente recherche a utilisé deux procédés :

- Un procédé de regroupement des informations orales collectées par dimension, par catégorie et
par thème ;
- Un procédé de mise en relations des données par la triangulation en confrontant les propos de
plusieurs acteurs : les membres des forces régaliennes, les responsables administratifs
décentralisés et déconcentrés, les responsables religieux, les membres des différentes confréries
sur les mêmes thématiques.
Dans le traitement brut des informations collectées, le regroupement par dimension revient à mettre en parallèle
des éléments des données des personnes interviewées pour obtenir leur position par rapport à une composante
du problème (facteurs, acteurs, processus de la radicalisation), d'où l'expression de condensation horizontale
qui est le « processus de mise en comparaison des données qualitatives par dimension du schéma
conceptuel ».

Ce regroupement par dimension a été complété par l’application des principes de Muchielli qui suggérait, dans
le cadre des analyses des données qualitatives, d’établir des catégories en comparant les réponses les unes
avec les autres par rapport au but de la question posée en recherchant si ces réponses traduisent une, deux,
trois, etc., réactions différentes, toujours en les restituant, en les combinant, en les distinguant puisque selon
Muchielli, « certains thèmes apparaissent sous des formules différentes ou même souvent avec des mots
identiques ». Le regroupement par thèmes, à savoir les sous-composantes du guide d’entretien a servi pour
déterminer des fils conducteurs de l’analyse.

15
Ces différentes analyses ont été croisées avec les données sociodémographiques, l’appartenance ou non à des
confréries religieuses. Avant d’entrer plus en détails sur les données collectées, il est essentiel de comprendre le
concept de la radicalisation avant de le confronter avec les données empiriques.

VI. Le cadre conceptuel et théorique


La clarification conceptuelle est toujours un exercice délicat et souvent jugé, en dehors du cercle universitaire,
comme un alourdissement. Pourtant, lors de la restitution des résultats des études, le sujet le plus discuté
s’avère principalement les concepts utilisés. Pour cette raison, il est donc essentiel d’avoir un cadre théorique
sur le phénomène de radicalisation.
15
Pour faciliter la compréhension des analyses développées dans cette étude, la clarification du concept clé
nous semble indispensable. Le concept est bien plus qu’une simple définition ou une simple notion, il implique
une conception particulière de la réalité étudiée, une manière de la considérer et de l’interroger et donc de la
16
« problématiser » .

a. La radicalisation :
Le mot radicalisation, du latin radicalix, dérivé de « radix » (racine) vient du concept « radicaliser » avec un
suffixe en « ation ». Lorsqu’il est en « isme » et non en « ation ». Le Larousse dit du mot « radicalisme » qu’il est
une « attitude d’esprit et doctrine de ceux qui veulent une rupture complète avec le passé institutionnel et
politique ». Lorsque ce concept désigne une organisation, celle-ci prônerait « une attitude visant à des réformes
profondes de la société ». Lorsqu’il est en « ation », il est, selon le dictionnaire Larousse, « l’action de radicaliser
ou de se radicaliser, de durcir une position ou le résultat de cette action ». Pour faire simple, on peut dire que le
radicalisme est « la tendance de ceux qui entendent résoudre les problèmes sociaux par un changement de
société de façon radicale et définitive ».
ème
Il semble que le concept s’est diffusé dans la langue française à partir du XIX siècle avec la création d’un
parti politique après la chute du Second Empire afin de mettre en place la démocratie et la laïcité.

Le mot « radicalisation », en lui-même, renvoi souvent à des gestes qualifiés d' « extrêmes » ou qui découlent
d'une interprétation plus littérale des principes d'un système, qu'il soit politique, religieux ou économique. Pour
certains chercheurs comme ceux du Think Thank britannique ICSR, la radicalisation mène à « différents types
d’activisme extrême, incluant le terrorisme ».

La littérature sur le concept indique qu’en fonction des pays et des traditions intellectuelles, le mot n’aurait pas le
même sens. Il se dirait dans les pays anglo-saxons, par exemple, de n’importe quel mouvement qui passe à la
violence. En France, il semble que ce concept sert, selon Bernard Godard en 2007, à désigner qu’« une rupture
de la société, entraînée par une certaine vision de la religion ».

Ce que l’on peut dire avec certitude est que le mot « radicalisation » est relativement nouveau dans les études
sur le terrorisme et la violence politique. Il semble que la suspicion liée aux notions de « causes profondes » du
terrorisme explique l’utilisation de radicalisation lorsque les chercheurs explorent les facteurs, les vecteurs, les
acteurs et le mode opératoire de ceux utilisent qui utilisent la violence au nom de la religion. Il semble que le
concept de radicalisation est moins connoté et utilisé indifféremment par les gouvernements, les policiers, les
agences de renseignement, les forces armées, les chercheurs, etc.

Le concept de radicalisation est synonyme d’absolu, d’intransigeance et de jusqu’au-boutisme. Il est souvent


employé pour désigner des attitudes « sans nuances » dans ses opinions. Depuis les attentats qui ont frappé la
France et la Belgique, le concept de radicalisation est souvent confondu au « fondamentalisme et au
salafisme ». Pour montrer qu’il s’agit d’un type de radicalisme spécifique, on y ajoute, souvent, au radicalisme, le
complément « d’islamisme » ou « d’intégrisme islamique ». Cette confusion sémantique et cette association de
concepts n’aident pas toujours à faire la lumière sur le phénomène de radicalisation.

15
Un concept étant une représentation abstraite, commencer par la concrétiser, c'est la décomposer en ses différentes dimensions (Angers, 1992),
« Initiation pratique à la méthodologie des sciences humaines » Centre éducatif et culturel, Montréal, Canada.
16
Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy, 2011, « Manuel de recherche en sciences sociales » DUNOD, 3ème édition, Paris, France.

16
On sait, depuis la naissance et la propension des religions monothéistes, que le fondamentalisme est une
composante et désigne souvent des adeptes dans toutes les religions, attachés à revenir « à ce qu’ils
considèrent comme fondamental, originel, et intangible dans les textes sacrés ».
17
Les sociologues des religions distinguent deux catégories de fondamentaliste. Pour le premier nommé, le
fondamentalisme « désigne ceux qui respectent les fondements d’une religion de manière aveugle, y compris
quand ils vont à l’encontre des lois ».

Pour le second chercheur, le fondamentalisme concerne à la fois ceux qui font des interprétations sur les textes,
mais aussi sur les modes de vie d’une époque considérée comme la « pure », la « digne » et la seule référence
qu’il vaille adopter. Pour la sociologie des religions, le radicalisme religieux est « une polarisation religieuse »
dans laquelle un groupe considère que les « autres » sont « souillés », « impures ». On associe cette tendance
religieuse à de « l’intégrisme » qui peut se transformer en actions politiques et même violentes.

Le Salafisme est proche, dans son sens, à celui du fondamentalisme et de l’intégrisme. Le terme de
« Salafisme » dériverait de « Salafiya » qui désigne « un retour aux pieux croyants ». Lorsque dans la littérature
le terme est utilisé, il sert à désigner, selon Liogier en 2015, « une version de l’Islam qui respecte à la lettre ce
qu’il y a dans les textes religieux, s’il y est marqué main de Dieu dans le Coran, un littéraliste va penser que
Dieu a vraiment une main. Il n’y a pas d’interprétation, pas de métaphore ». Pour Godard, les Salafistes sont
partagés entre deux attitudes. Dans la première, les membres veulent vivre ce mode de vie dans la discrétion.
D’autres adoptent une position défensive, voire violente, d’où un glissement possible vers le terrorisme.

Dans le cas de cette étude, sont considérées radicalisées, « des personnes qui considèrent que ceux qui ne
pratiquent pas comme eux l’islam perdent la qualité de musulman ; sont intolérants envers d’autres
coreligionnaires ou pas, qui remettent en question les façons de faire de leur communauté et de leur famille et
qui approuvent et/ou légitiment les actions violentes perpétrées par des organisations radicalisées ».

b. Les théories de la radicalisation :


Du point de vue de la théorisation, Dalgaard-Nielsen, en 2010 distingue trois cadrages de la façon dont les
personnes passent d’une situation « normale » à une situation « radicalisée ». La première serait de nature
sociopolitique et se caractériserait par la rencontre d’une série de facteurs sociaux, religieux, économiques et
18
politiques, dont l’existence des médias sociaux et d’internet en général .

Il existe une seconde explication qui met l’accent sur les réseaux comme la famille, les pairs et les rencontres
19
qui se font à travers les médias sociaux . Cette tendance explicative prolonge et renforce la première en
mettant l’emphase sur l’environnement, au sens méso-social, pour expliquer le processus de radicalisation.

La troisième tendance explicative est de type « psychologisant » et découlerait du fait que certains posséderait
des traits de personnalité qui, en rencontrant des expériences marquantes, radicaliseraient ces personnes.
Cette rencontre entre des traits de personnalité et une recherche personnelle de sens à la vie expliquerait le
20
basculement dans la radicalisation .

C’est ce point de vue qui est défendu par le spécialiste de l’Islam Olivier Roy, en 2015, qui estime que les
jeunes « radicalisés » en France le sont avant et en dehors de la « radicalisation de l’Islam ». C’est plutôt une
« islamisation de la radicalité ». C’est-à-dire des jeunes radicalisés qui « rencontrent » l’Islam qui devient alors la
dernière offre publique « sur le marché de la révolte radicale ». Pour cet auteur, l'effondrement du communisme
et des groupes d'extrême-gauche des années 1970 laisse à la « radicalité islamique » le seul espace pour des
jeunes qui sont déjà radicalisés. Ainsi : « Daech puise dans un réservoir de jeunes Français radicalisés qui, quoi
qu’il arrive au Moyen-Orient, sont déjà entrés en dissidence et cherchent une cause, un label, un grand récit
pour y apposer la signature sanglante de leur révolte personnelle. (...) Demain, ils se battront sous une autre
bannière, à moins que la mort en action, l’âge ou la désillusion ne vident leurs rangs comme ce fut le cas de

17
Bernard Godard et Sylvie Taussig, 2007; « Les musulmans en France : courants, institutions, communautés, un état des lieux », Robert
Lafond, Paris, 454 p. Raphaël Liogie, 2015, « Le mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective », Le Seuil, Paris.
18
McCauley et Moskalenko 2008, « Engagement radical, désengagement et dé-radicalisation. Continuum et lignes de fracture», Lien social
et politiques, n°68, 2012, p.15-35.
19
Sageman Marc, 2004, “Understanding Terror Networks”, University of Pennsylvania Press, USA.
20
Kruglansky et al. 2014, King et Taylor, 2011.

17
21
l’ultragauche des années 1970 » . Ce point de vue est également celui de l'anthropologue Alain Bertho,
spécialiste des émeutes, lorsqu’il précise que : « la réussite d’une telle offre politique, celle de l’État islamique,
tient du fait que, pour des gens déstabilisés, elle donne du sens au monde et à la vie qu’ils peuvent y mener.
22
Elle leur donne même une mission » .

Cette thèse est fortement contestée par d’autres chercheurs comme Gilles Keppel qui, dans son ouvrage paru
en 2015 et intitulé « Terreur dans l’Hexagone, genèse du djihad français », défend l’idée inverse en recherchant
la radicalisation des jeunes français dans le discours religieux et politique des oulémas saoudiens les plus
radicaux. Cette position est partagée par le sociologue Farhad Khosrokhavar, auteur en 2014 de
« Radicalisation », qui considère que ce phénomène est constitué par « la conjonction d’une idéologie
extrémiste et d’un passage à l’acte ». Si la contradiction explicative est féconde et exprime un positionnement
idéologique, disciplinaire avec un accent sur certains facteurs « micro, méso, macro-sociaux ou
psychologiques », la controverse la plus importante porte sur le processus de radicalisation, l’écart entre le
discours radical et le passage à l’acte.

Pour certains chercheurs, le discours radical prépare et prédispose une conduite radicale. Pour ces chercheurs,
le discours radical est une étape vers l’engagement violent, une phase dans le processus de passage à la
violence. Pour Moghaddam en 2005, ce processus se passe par « escaliers », en « pyramide » selon McCauley
et Mosakelenko en 2008.

Pour d’autres chercheurs tels que Barlett, Birdwell et King, en 2010, c’est une confusion de croire que les
degrés de radicalisation et l’hypothèse qu’il y aurait des étapes de radicalisation qui mèneraient à la violence
sont parallèles. S’appuyant sur des recherches empiriques sur le parcours de certains « radicalisés », il s’est
avéré qu’une proportion importante de personnes est devenue violente sans nécessairement passer par des
états de radicalisation progressive. Et plusieurs des radicalisés dans le discours le sont restés pendant très
longtemps sans arriver à la violence physique et/ou terroriste.

Les recherches menées sur la radicalisation montrent que le discours radical ne conduit pas nécessairement le
porteur dudit discours à la violence. Néanmoins, le discours radical porté par une personne « légitime et légale »
a un effet, certes non mesurable, sur le passage à la violence de certains dans une communauté. Surtout si
dans cette dernière, il existe déjà une atmosphère, un environnement et des facteurs favorisants le passage à la
violence. C’est pour cette raison qu’il est dit qu’il faut concevoir la « radicalisation comme une question, un
problème de recherche et non comme une réponse ».

VII. Présentation des résultats


Cette seconde partie de l’étude présente les résultats obtenus après la collecte et le traitement des données.
Chaque section tente de répondre aux deux objectifs que sont :
- L’analyse des dynamiques de radicalisation, de leurs acteurs et des vecteurs concourant au
déclenchement ou à l’aggravation du processus de radicalisation ;
- Les actions de prévention mises en œuvre ou envisageables, des pistes de solution et des
recommandations.

a. L’analyse des dynamiques de radicalisation, de leurs acteurs et des vecteurs concourants au


déclenchement ou à l’aggravation du processus de radicalisation :
La compréhension de la radicalisation religieuse en Guinée ne peut s’analyser sans la prise en compte des
dynamiques d’islamisation de l’Afrique de l’Ouest à travers les confréries religieuses, des bouleversements
géopolitiques mondiaux et de leurs effets sociaux et économiques sur les populations guinéennes.

- Origine du radicalisme en Guinée : une histoire confrérique


En l’absence de données tangibles et régulièrement mises à jour sur la répartition de la population nationale
selon des critères religieux et confrériques, l’équipe de recherche s’est cantonné à extrapoler les données tirées

21
Roy Olivier, 2015, « Le peur de l’Islam », collection « Le monde des idées », Edition de l’Aube, Paris.
22
Bertho Alain, 2015, « Radicalisation de l’Islam ou islamisation de la colère ? », La découverte, Paris.

18
23 24
des différents recensements administratifs , des recensements généraux de la population guinéenne ainsi
que les estimations faites par des chercheurs notamment comme Devey en 1997. Ces différentes sources
concluent que la population guinéenne se répartit de façon inégale entre les principaux courants religieux :
« Près de 85 % d’adeptes de l’islam dans la population. On compte 5 % de Guinéens adeptes des religions
25
traditionnelles animistes et 4 % de chrétiens dont 3 % de catholiques et 1 % de protestants évangéliques » .

Au sein des populations guinéennes d’obédience musulmane, les confréries Qadiriyya et Tijâniyya seraient
majoritaires. Cependant, nous pouvons ajouter, sans risque de se tromper lourdement, que la moitié des
guinéens de confession musulmane, ne sont membres d’aucune confrérie. L’autre moitié serait, pour près de
30%, du rite Mâlikite, essentiellement de la confrérie Tijâniyya, surtout au sein des communautés Peuls et
Malinkés. Il reste encore quelques membres de la confrérie Qadiriyya, probablement moins de 1% des
musulmans de Guinée chez les Diakanké et les Malinkés et une proportion tout aussi infime qui se revendique
du Chiisme. Sur la foi des données collectées dans le cadre de la présente recherche, le Wahhabisme constitue
la confrérie qui enregistre la plus nette progression, avec près de 10% d’accroissement des adhésions des
fidèles depuis une quinzaine d’années.

Les entretiens réalisés, confortés par les sources bibliographiques, suggèrent que les routes migratoires, qu’il
s’agisse de celles parcourant le Sahel d’est en ouest, ou de la route transsaharienne en direction des savanes
de la Haute Guinée constituent également les routes d’expansion des confréries et du radicalisme religieux.
Elles prennent historiquement fin à la lisière de la Guinée Forestière, sur les contreforts des massifs du Fouta
Djalon.

- Qadiriyya : confrérie de propagation de l’islam en Guinée

Des quatre confréries qui se partagent l’espace musulman en Guinée : Qadiriyya, Tijâniyya, Chiite et
26
Wahhâbiya, le Qadiriyya est la plus ancienne confrérie à s’implanter dans le pays. Cette confrérie aurait été
ème ème
fondée en Irak au XI siècle par un saint du nom d’Abdel Kader El Djilani. C’est au XV siècle que le
Qadiriyya se serait répandu en Afrique de l’Ouest en accompagnant les flux migratoires qui peu après la
dislocation de l’Empire du Ghana, se sont dirigés de la bande soudano-saharienne vers les côtes littorales du
Golfe de Guinée.

L’Islamisation s’est appuyée sur des structures politiques antérieures relativement fortes et centralisées qui
faisait de l’Empereur le détenteur d’un pouvoir absolu bâti sur des allégeances fortes qui ont durablement
structuré le territoire et les relations sociales.

Ce phénomène a largement facilité l’adoption par les populations guinéennes, d’un Islam confrérique. Comme le
note Constant Hames en 2007, la confrérie, en elle-même, est fondée sur la relation entre un maître et des
disciples qui les « recrute dans la famille, la tribu, le village, l’ethnie, le groupement professionnel, la nation ».

Les témoignages oraux réalisés dans la région de Kankan ,recueillis par l’un des experts de la mission en 2003,
indiquent que ce rite se serait propagé dans l’actuel territoire de la République de Guinée par les Sarakollés et
27
les Diakankés au fil de leur migration vers le Sud du Sahara. C’est à eux, les « Maninka Mori », des Sarakollés
qui ont été absorbé culturellement et linguistiquement par les malinkés dans l’actuelle préfecture de Kankan,
que l’on doit la propagation du rite Qadiriyya dans le territoire actuel de la République de Guinée.
28
Ce rite se caractérise par sa piété rigoriste . Le Qadiriyya se fonde aussi sur le devoir de charité et des
pratiques mystiques qui imposent au fidèle de consacrer un temps important de récitations de litanies, à savoir
29
302 fois après chaque prière de l’aurore et du coucher .

23
Recensements de 1962, 1967, 1972 et 1977.
24
Recensements de 1983, 1996 et 2014.
25
Données disponible sur le web à l’adresse suivante : www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/guinée_franco, 2014.
26
Les premières confréries musulmanes sont nées en Orient et au Maghreb et se sont propagées en Afrique au Sud du Sahara en pénétrant
par le désert avant de se disséminer du bord du fleuve Sénégal vers les côtes de l’Afrique de l’Ouest.
27
Littéralement, les marabouts des Malinkés.
28
Respect rigoureux des 5 prières par jour et de préférence en commun.

19
Les adeptes du Qadiriyya auraient perdu du terrain du fait de sa rigidité et de sa complexité mystique mais
ème ème
également en raison d’une prolifération des confréries entre les XVIII et XIX siècles. En effet, durant cette
période, les bouleversements politiques et sociaux à l’œuvre de la région saharienne se sont accompagnés
d’une extension massive de la pratique soufie et des « écoles » confrériques.

- Tijaniyya : Courant confrérique et guerrier


La Tijâniyya, fondée par Sîdî Shaykh Ahmad al-Tijâni (1772-1835), conquiert le Maghreb puis l’Afrique
subsaharienne, dont elle contribuera pour beaucoup à l’islamisation. A l’instar de la Qadiriyya, son extension en
Guinée a été facilitée et accompagnée par les flux migratoires de peuples, particulièrement des peuls, qui
ème ème
redescendant vers le sud, se sont implantés dans le Fouta Djalon à partir du XVI jusqu’au XVIII siècle.
Conjointement, les Toucouleurs, sous la conduite d’El Hadji Oumar Tall, ont progressivement abandonné les
ème
rites Qadiriyya pour ceux de la Tijâniyya autour du XIX et ont incité de nombreuses communautés peuls à
faire de même. Ses guides religieux, tels qu’El Hadji Omar Tall et El Hadji Malick Sy se sont appuyés sur
l’enseignement de la Tijaniyya pour procéder à une islamisation en profondeur de la sous-région, du Fleuve
Sénégal au Nord-ouest, à la lisière de la zone forestière ivoirienne au Sud-est.

Contrairement au rite Qadiriyya, le Tijâniyya se caractérise par des pratiques simples, accessibles, fondées sur
le détachement et l’ascèse. Le Tijâniyya revêt aussi une dimension politique non négligeable, soutenue par un
prosélytisme très actif visant à imposer partout le rite Tijâniyya. A l’époque, dans une région très partiellement
islamisée avec un fort taux de syncrétisme religieux, le Tijâniyya s’est étendu spectaculairement en s’appuyant
sur la ferveur procurée par l’idée de guerre sainte pour poursuivre sa politique prosélyte de conversion mais,
chose originale, en mettant sur pied un modèle organisationnel démocratique plaçant sur un pied d’égalité, tous
les musulmans sans distinction de statut.

Dans ses pérégrinations l’ayant conduit du Nord à l’Est la Guinée actuelle, avant d’aller mourir dans les falaises
de Bandigara, El Hadji Oumar Tall fera de nombreux adeptes dans la communauté Malinké de Kankan (la
principale ville de la Haute Guinée), surtout parmi les élites religieuses et politiques. Il paraît donc probable
qu’avant l’indépendance nationale, les deux pratiques musulmanes les plus communément partagées en
Guinée et en Afrique de l’Ouest, étaient celles prônées par les confréries Qadiriyya et Tijâniyya.

Dans la lignée de la Tijâniyya, d’autres confréries sont apparues aussi bien au Maghreb qu’au Machrek et se
ramifieront par la suite. Nous pouvons citer celle d’Ahmad ibn Idrîs qui fonda la tarîqa al-Idrîsiyya qui sera suivie
de trois autres turuq : Al-Rashîdiyya, al-Margâniyya et la Sanûsiyya.

Cette démultiplication des « écoles » confrériques trouvera son aboutissement en Afrique subsaharienne, avec
30
des mouvements endogènes comme le Mouridisme : Murîdiyya au Sénégal développé par Cheikh Ahmadou
Bamba.

Dans tous les cas, le principe confrérique s’articule autour de la triple alliance entre « Disciple, Maître et Dieu »
au travers de laquelle le disciple dépend du Maître qui constitue l’interface entre lui et Dieu. C’est cette relation
de dépendance qui est la base même de l’organisation confrérique et qui se manifeste à la fois dans
l’enseignement religieux et dans la prise en charge matérielle du maître par l’apprenant. De prime abord, le
31
maître de la confrérie institue un certain nombre de pratiques dont la plus importante est le wird . C’est à
travers la transmission du wird que s’instaure un pacte d’allégeance et d’obéissance au maître et aux règles de
la confrérie.

29
Pour l’essentiel, et Alexandre Popovic (1986) l’affirme, les confréries tentent de : « conserver et de diffuser l’enseignement mystique du
fondateur qui propose un mode d’accès à Dieu par un ensemble spécifique de rites, de pratiques, d’exercices et de connaissances
ésotériques ».
30
Certains spécialistes des confréries considèrent que le Mouridisme est une variante adaptée du Qadiriyya. Ce que l’on peut dire avec
certitude c’est que Cheik Ahmadou Bamba a séjourné en apprentissage islamique dans la communauté Diakanka qui est de la confrérie
Qadiriyya. Il semblerait que le nom de Touba (capitale des Mourides) aurait été donné par lui en mémoire de son séjour dans la localité de
Touba chez les Diakanka du Macina (République du Mali).
31
Les prières dites par tout affilié à la confrérie et qui peuvent l’être soit individuellement ou collectivement lors des halaqât dikr qui sont des
séances d’invocation.

20
Par la suite, et après approbation ou non du maître, l’apprenant devient muqaddam en recevant des mains du
cheikh un ijâza, à savoir un diplôme qui certifie la fin de la formation. Sur cette attestation manuscrite, toute la
chaîne de transmission qui part du « Prophète Mohammed considéré, en général, comme l’inspirateur de toutes
32
les confréries jusqu’au Cheikh qui décerne la licence » est mentionnée. Ce procédé vise à certifier
33
l’authenticité du statut de muqaddam et assurer sa légitimité et son autorité sur les futurs apprenants .

Mais pendant la formation, et même après elle, « le murîd doit à son Cheikh respect et considération et lui verse
des hadya soit une obole ou aumônes expiatoires […] par reconnaissance ou compensation, lui apporter des
34
dons lui permettant d’assurer ses dépenses quotidiennes » . Ce serait cette pratique qui facilite la mendicité et
les comportements oisifs tout comme l’exploitation de la crédulité des gens qui se retrouverait à la base des
criques formulées par un nouveau courant de l’Islam : le Wahhabisme.

- Wahhabisme : courant confrérique et fondamentaliste


ème
Le terme Wahhabite est une référence à la Wahhâbiya, mouvement rigoriste né en Arabie au XVIII siècle qui
prônait le retour aux deux sources fondamentales de la religion musulmane que sont le Coran et la Sunna.

Les études réalisées sur l’histoire de ce courant religieux, comme celle de Gomez-Perez en 2005, indiquent que
ce mouvement prend son inspiration doctrinaire de Cheick Ibn Hambal Ibn Taïmiya (1263-1328) dont
l’enseignement constitue une synthèse théologique d’un mouvement beaucoup plus ancien prôné par Ibn
Hanbal (780-855).

Après les grandes conquêtes militaires de l’âge d’Or de l’Islam, le temps des quatre premiers Khalifes, qui
permirent de bâtir un empire immense aux confins de l’Espagne et de l’Indus, le pouvoir séculier fut très fragilisé
par le développement de guerres intestines de succession. Pour les théologiens de l’Islam contemporains de
cette période troublée, l’affaiblissement de l’empire découlait de la faiblesse de la foi, qui imposait un retour aux
35
« Salafs qui étaient forts et puissants du fait de leur piété inébranlable » . C’est cette idée simple que Ibn
36
Hanbal aurait généralisée . Puis ce fut au tour d’Ibn Taymiyya (1263-1328) de relayer cette doctrine au moment
des invasions Mogols, et enfin de Muhammad Ibn Abdel Wahhab (1720-1792) pour qui : « la trahison par les
musulmans du message coranique originel, organisé autour des valeurs monothéistes du concept religieux de
37
Tawhîd (unicité de Dieu), tel que les Salafs l’avaient compris et appliqué » .

Dans ses fondements, cette doctrine rejette les interprétations juridiques et les organisations telles que les
confréries de même que les pratiques comme celle du culte des saints ou l’autorité maraboutique basées sur
l’interprétation du savoir islamique, considérées comme hérétiques. Pour les tenants de ce courant, de telles
pratiques, favorisent le paganisme. Le Wahhabisme prône donc le retour aux sources de l’Islam, celles du
Prophète et des quatre premiers Khalifes, pour assurer la défense des droits civils des musulmans, le contrôle
du pèlerinage à la Mecque et la mise en place de fondements d’une éducation islamique réformée et inspirée
des premiers temps de l’Islam.

Les grandes règles que ce nouveau courant impose à ses membres et qu’il voudrait imposer à tous les
musulmans, peuvent se décliner en deux composantes.

32
Sambe Bakary, 2008.
33
Idem.
34
Idem.
35
Amghar Samir, 2008, “ De la revolution islamique à la revolution conservatrice”, Critique internationale, Paris, n°40, p.95-113.
36
Idem.
37
Idem.

21
- Adopter de nouvelles attitudes dans la pratique de l’Islam à travers le fait de :
 Croiser les bras à l’entame de la prière ;
 Conclure la prière en récitant une seule fois l’invocation de fin de prière (Assalam Alaïkoum
Waramatoulaye) contrairement aux autres confréries qui récitent cette invocation deux fois en
tournant la tête, à droite puis à gauche ;
 Garder une barbe abondante en taillant entièrement la moustache ;
 Porter des pantalons dont la taille ne doit pas atteindre le niveau de la cheville ;
 Voiler les femmes de préférence intégralement ;
 Éviter l’enrichissement illicite dans la pratique de commerce notamment en fixant des prix justes
qui permettent d’avoir un bénéfice raisonnable.
- Abandonner d’anciennes habitudes telles que :
 La célébration du Maouloud ;
 Le maraboutage ;
 La divination ;
 Le culte des saints et autres érudits de l’Islam.
Après avoir conquis et s’être imposé en Arabie Saoudite et dans plusieurs monarchies du Golfe Persique, le
Wahhabisme a pénétré le système islamo-éducatif égyptien et soudanais puis s’est propagé en Afrique de
ème
l’Ouest dans la seconde moitié du XIX siècle.

Dans le cas particulier de la Guinée, le Wahhabisme a utilisé deux routes de pénétration similaires à celle de la
Qadiriyya et du Tijâniyya en trois périodes différentes : à savoir avant les années 80, entre 1980 et 1999 et
après 2000. La plus ancienne route et le premier temps wahhabite s’est constitué dans l’est, en l’occurrence
dans la région de Kankan avant l’indépendance de la Guinée. Les premiers adeptes en Guinée de ce courant
fondamentaliste avec un fondement doctrinaire qui combine l’idéologie et la théologie, furent des étudiants qui
rentraient d’études de l’Université Al Azhar du Caire.

Kaba Lanciné en 2004 indique que dans les années 1946, quatre diplômés sont revenus d’Al Azar et se sont
lancés dans une véritable mission d’implantation du Wahhabisme. Il s’agirait d’El Hadji Kabiné Kaba à Kankan,
El Hadji Mouhamad Keita à Bamako, d’El Hadji Mamoudou Sanoussi et d’El Hadji Diabi Gassama en Gambie.
Ces quatre diplômés feront le tour de la sous-région pour tenir des conférences et intervenir dans les écoles
coraniques, axant leurs discours autant sur la pratique religieuse que sur la critique de l’administration coloniale
et des marabouts qui exercent leur influence au sein des communautés. Certaines publications indiquent que le
Wahhabisme commence à prendre pied à Kankan dans les années 1950 avec des réactions rigoureuses des
grandes familles maraboutiques de la localité qui voyaient dans ce courant la propension à la violence.
38 39
Les préfectures de la Haute Guinée et celle de Pita auraient été concernées par le radicalisme religieux bien
avant les autres préfectures de la Guinée, c’est-à-dire avant 1980. Le processus d’implantation des radicaux
semble, selon les entretiens réalisés, se prolonger en Haute Guinée, surtout à Kankan et à Siguiri entre 1980 et
40
1990. C’est aussi à cette période que ce processus prend de l’ampleur en Guinée Forestière .

Selon les témoignages recueillis dans la zone de Beyla, Kabiné Kaba aurait trouvé un disciple : Elhadj Mafing
Kaba qui aurait séjourné dans l’actuelle République du Mali, du Niger avant de séjourner en Arabie Saoudite,
41
qui reviendra à Moussadou-centre , une bourgade située à 10 km de Beyla, le siège de la Préfecture, pour
prêcher la nouvelle façon de pratiquer l’Islam.

Face à l’hostilité des habitants de son village natal, il fut obligé de s’exiler à Sinko, une sous-préfecture, à 65 km
de Beyla. Ce serait dans cette localité qu’il aurait trouvé l’environnement favorable pour propager le
Wahhabisme vers la Guinée Forestière et le Libéria. Dans la localité de Beyla, son souvenir reste encore vivace.
Il jouit de statut d’érudit et est considéré par les adeptes du Wahhabisme comme une personne ayant eu une vie

38
Kankan, Siguiri, Mandiana et Beyla.
39
En moyenne Guinée.
40
N’Zérékoré et Kissidougou.
41
Moussadou est considéré dans la mythologie des Koniankés comme la source, le point à partir duquel ils seraient venus au Monde et se
seraient propagés dans la région.

22
comparable à celle du Prophète Mohamed qui a connu le même sort en étant rejeté par les siens avant d’être
reçu ailleurs d’où il a propagé l’Islam.

Dans la préfecture de Beyla, par exemple, la ville est coupée en deux : Beyla Sobakono et Diakolidou
42
Sobakono. Le premier quartier, le plus ancien, est habité par les adeptes de l’Islam traditionnel appelé Bidiya .
Tous les pratiquants du Wahhabisme habitent dans le second quartier qui est de construction récente. La
plupart des conflits dans cette préfecture proviennent d’une opposition entre les habitants de ces deux quartiers.

Les années 2000 à 2016 voient le phénomène d’implantation dans les autres localités du pays comme les
préfectures de la Moyenne Guinée : Labé et Koundara, la Basse Guinée avec Dubréka et Forécariah et la
Guinée Forestière avec la préfecture de Guéckédou.

Les communes de Ratoma et de Matoto à Conakry se caractérisent par un processus d’implantation en deux
phases : d’abord entre 1980 et 1990 et par la suite entre 2000 et 2016. A Mamou et Labé, selon plusieurs
témoignages, il semble que les porteurs des courants radicaux proviennent de la Mauritanie ou ils seraient partis
étudier à leurs propres frais dans des structures informelles. Ces guinéens de retour, après avoir reçu des
formations en Mauritanie, reviennent dans les années 1970 à Pita pour imposer leur nouvelle façon de faire.
C’est parmi eux que l’on retrouvera dans les années 80 des activistes qui reviendront et voudront diffuser le
43
Wahhabisme d’abord à Pita et ensuite dans les quartiers de la périphérie Nord de la Capitale . Dans cette
44
préfecture, qui est à une cinquantaine de kilomètres de Labé , l’arrivée des Wahhabites et leur volonté de
s’opposer aux familles maraboutiques de confrérie Tijâniyya sera à la base de la première et de la plus grande
tension religieuse sous la première République. Pour les tenants de la tradition africaine de l’Islam, comme les
membres de la confrérie Tijâniyya, l’argument est toujours le même en face des Wahhabites : « Nous avons
trouvé nos parents pratiqués l’Islam de cette manière, il n’y a pas de raison pour que nous le pratiquions
autrement ».

Pour faire face à la tension sociale et religieuse, les dirigeants du Parti Démocratique de Guinée, le parti au
pouvoir à l’époque, enverront une forte délégation gouvernementale pour l’étouffer. Face au défi, la Première
République met en place une structure en charge de l’islam en Guinée : il s’agit du Secrétariat général de la
ligue islamique qui va finir par devenir sous la seconde République celui des affaires religieuses, englobant du
coup les autres cultes comme le christianisme.

Lorsqu’on observe ces trois moments de l’implantation de ces mouvements radicaux en Guinée, il est aisé d’y
retrouver des périodes clefs de la géopolitique internationale. Le premier temps de cette implantation de ces
mouvements radicaux, avant 1980, prolonge le choc pétrolier des années 70 qui augmente substantiellement
les revenus des pays arabes qui permettent une redistribution de revenus entre les acteurs de l’Etat et de la
45
sphère religieuse en leur sein .

A partir des années 1980, l’implantation de la Banque Islamique en Guinée aurait favorisé la propagation du
Wahhabisme. Si officiellement, elle offrait des prêts et des facilités sur la base des règles bancaires strictement
« islamiques », elle sera un puissant instrument pour les Wahhabites guinéens d’avoir des crédits, des dons et
des financements, qui vont permettre de recruter des milliers de guinéens à Conakry dans les quartiers
populaires de la haute banlieue.

Sous la seconde République, entre 1984 et 2008, le régime politique va laisser se propager le Wahhabisme et le
courant Chiite Guinée. Le premier sera fortement soutenu par l’Arabie Saoudite qui va offrir des centaines de
bourses d’études en théologie dans certaines de ses universités et dans celles du Soudan, de l’Egypte et du
Niger. A leu retour, ces étudiants devenaient des imams dans des mosquées construites via des fonds
provenant de l’Arabie Saoudite, du Koweït et du Qatar.

42
Le mot sert aux Wahhabites pour désigner tous les autres musulmans qui ne font pas comme eux. En fait, des musulmans qui intègrent
des pratiques « païennes » dans les pratiques musulmanes. Ce mot a un sens péjoratif pour dire des mauvais musulmans au sens du
Wahhabisme.
43
Hamdallaye, Cosa, Soloprimo, Wanidara et ENTA.
44
La ville la plus importante du Fouta Djalon et principal centre islamique de la Guinée et du Tijâniyya.
45
Ces Etats en se définissant sur la base d’une religion, en l’occurrence l’Islam, ne peuvent pas ne pas mettre ses structures et ses
ressources au service de la propagation de ladite religion qui n’est pas seulement celle de l’Etat, mais un Etat de cette religion.

23
Ce second moment correspond à la période des ajustements structurels et de « dépérissement » de l’Etat
guinéen, avec la réduction drastique de la fonction publique, la fermeture des entreprises publiques et
parapubliques. La réduction des capacités d’offres de biens et de services de l’Etat guinéen a eu pour
46
conséquence de « laisser » à autrui, notamment les pays arabes pétroliers, le soin de financer le culte et l’offre
des prestations sociales, comme la fourniture d’eau potable, des services de santé et d’éducation.

Le troisième moment de ces implantations correspond au retour au pays de plusieurs jeunes guinéens formés
dans les centres et universités islamiques en Mauritanie, Egypte, Niger, Soudan et Côte d’Ivoire pour l’Afrique et
les pays arabes du golfe, comme l’Arabie Saoudite.

La Guerre civile en Sierra Leone, et surtout celle du Libéria, va ramener sur le territoire national des milliers de
guinéens radicalisés par l’exil et les financements des pays arabes dans ces deux pays. Très actif au sein de
l’ULIMO, l’une des fractions de la rébellion libérienne qui recrutait surtout des jeunes Koniankés, le Wahhabisme
va faire le lien entre la foi musulmane des combattants de l’ULIMO et leur participation à la guerre civile. La fin
des guerres civiles dans ces deux pays va ramener en Guinée des milliers de guinéens convertis au
Wahhabisme et acteurs majeurs de la propagation de cette confrérie.

- Ahloussounna Wal Djama : tendance nouvelle ou réajustement opportun ?


Les entretiens réalisés sur le terrain permettent de noter une dynamique nouvelle. Il semble s’opérer un
nouveau schisme à l’intérieur du courant Wahhabite en Guinée. Deux tendances apparaissent : ceux qui se
reconnaissent comme Wahhabite et ceux qui s’auto-désignent d’« Ahloussounna Wal djama ».

Dans la région de la Haute Guinée, Moyenne Guinée et la région de Conakry, même si tous font la prière de la
même façon (en croisant les bras), portent des pantalons courts, voilent leurs épouses, ceux qui se déclarent
« Ahloussounna Wal djama » refusent d’être désignés par le nom de « Wahhabite ». Ils se considèrent
fondamentalistes non radicaux et qualifient les Wahhabites de radicaux. Cette distinction n’est pas sémantique,
elle traduit et prolonge, sur la base des entretiens réalisés, la réalité d’une lutte d’influence entre des courants
au sein même de l’Arabie Saoudite.

La lutte d’influence entre les différents mentors à l’intérieur de l’Arabie Saoudite, les attentats à travers le monde
et la pression du courant traditionnel de la Tijâniyya, qui semble reprendre de la vigueur, expliquent cette
recomposition du paysage confrérique.

Il nous a même été possible d’entendre certains « Ahloussounna Wal djama » déclarer qu’il n’y a pas de
différence entre eux et les Tijâniyya. Ce mouvement est encore embryonnaire et semble être le propre des
régions dans lesquels les Tijâniyya sont mieux implantés que les Wahhabites. Ce n’est pas le cas en Guinée
47
Forestière où les Wahhabites affichent très clairement leurs différences avec les membres des autres
confréries.

- Les acteurs de la radicalisation religieuse en Guinée


Pour l’essentiel, les entretiens réalisés convergent tous pour indexer cinq acteurs de la radicalisation religieuse.
Il s’agit alors de :

- Des anciens étudiants en théologie musulmane qui reviennent de certains pays musulmans
d’Afrique tels que le Niger, la Mauritanie, le Soudan et l’Egypte, de pays arabes, notamment
l’Arabie Saoudite ;
48
- Des prédicateurs arabes et pakistanais séjournant en Guinée ;
49
- Des ONG guinéennes financées par des donateurs arabes ;
50
- Des imams de certaines mosquées ;
- De certains enseignants, conférenciers des écoles « franco-arabes ».

46
A savoir la formation des imams, des mosquées, la solidarité avec les plus faibles.
47
Guéckédou, Kissidougou, N’Zérékoré et Beyla.
48
Les interlocuteurs rencontrés ne font pas toujours pas la différence entre « arabe », pakistanais, turc et iranien.
49
Ces ONG sont des antennes d’organisations de ces pays ou qui bénéficient de leur financement.
50
Pour des raisons déontologiques, il ne sera pas rendu public dans ce rapport la liste des personnes ressources considérées par nos
interlocuteurs comme porteurs du radicalisme religieux dans leur localité.

24
Carte : Acteurs de la radicalisation (Projet PPREV-UE, août 2016)

Lors de l’observation en détail de ces acteurs, il s’avère que les deux tiers des personnes interviewées indiquent
que ces étudiants guinéens, de retour de leur formation, reviennent radicalisés. Un responsable religieux
simplifie cette opinion en affirmant que « C’est à travers leurs voyages dans les pays arabophones qu’ils sont
métamorphosés ».

Lorsque ces jeunes rentrent au pays, ils s’organiseraient en association des étudiants de l’Arabie Saoudite, du
Niger, du Soudan et de l’Egypte, construisent des écoles dites « franco-arabe » et des mosquées. Dans ces
nouvelles mosquées financées par des fonds venant des pays Arabes avec des imams formés dans ces mêmes
pays, le prêche devient le moment de la diffusion des valeurs doctrinaires du Wahhabisme et les mosquées
constituent l’espace de cette diffusion. D’autant plus que l’espace sous-régional qui va de la Mauritanie au
Niger, en englobant le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau à l’Ouest, la Côte d’Ivoire au Nord, la Guinée, la
Sierra-Leone et le Libéria à l’Ouest est une zone de forte circulation des hommes, des biens et des richesses
51
depuis le Moyen âge africain . Ce brassage explique, en grande partie, la porosité des frontières terrestres.
Des frontières difficiles à cerner en raison de la multiplicité des routes carrossées de contrebande qui sont, le
plus souvent, parallèles à celles bitumées et qui lient les pays de la sous-région entre eux.
52 53
Pour la plupart, ces étudiants seraient d’anciens boursiers de l’Organisation de la Conférence Islamique à la
suite de leur admission au baccalauréat des écoles franco-arabe de la Guinée. Les étudiants boursiers de cette
organisation sont souvent envoyés en Egypte et au Niger ou cette institution a implanté dans chacun de ces
deux pays une université islamique. Pour l’essentiel, les guinéens qui obtiennent des bourses de l’OCI sont

51
Du IXème au XIème siècle.
52
Aucun service de l’Etat, le ministère des affaires religieuses et l’agence nationale des bourses extérieures n’a été en mesure de fournir
l’effectif de ces étudiants et leur positionnement dans le système religieux et/ou éducatif.
53
L’Organisation de la Conférence Islamique a été mise en place est une organisation intergouvernementale créée le 29 septembre 1969 à
Rabah (Maroc) et à son siège à Djeddah en Arabie Saoudite. En juin 2011, elle change de dénomination et adopte le nom d’Organisation de
la Coopération Islamique avec trois mandats: promouvoir la coopération économique, sociale, culturelle et scientifique à travers la Banque
Islamique de Développement, la sauvegarde des lieux saints de l’Islam et le soutien au peuple palestinien.

25
orientés dans celle de Say au Niger. Ceux qui vont en Mauritanie sont souvent des guinéens qui partent d’eux-
mêmes, parfois avec le financement de leurs parents. Pour un imam rencontré à Labé : « C’est à travers les
écoles où on enseigne ce courant sunnite. S’il fréquente ces écoles forcément il sera sunna radicaux. Il y en a
qui ceux radicalisent au cours de leur voyage au Mali, Niger, Tchad. Leur métamorphose c’est au bout de leur
voyage, quand ils reviennent ils sont méconnaissables ».

Parmi ces anciens étudiants guinéens de retour des pays africains et arabes, les porteurs de discours radical
seraient ceux qui conservent un réseau de relations avec les pays où ils ont été formés et qui peuvent mobiliser
des ressources provenant de ces mêmes pays. Cette catégorie de personnes est présente surtout à
Kissidougou où deux anciens diplômés, régulièrement cités par les imams et les membres de la ligue islamique
préfectorale de cette préfecture, mobiliseraient des ressources importantes dans les pays arabes pour réaliser
diverses activités.

Ces personnes sont considérées, par la quasi-totalité des interlocuteurs rencontrés, comme des propagateurs
du courant Wahhabite et certains, parmi ceux qui n’appartiennent à aucune confrérie et aux confréries Qadiriyya
et Tijâniyya, les accusent de tenir des « discussions religieuses et des critiques violentes des « autres », ceux
qui ne font pas comme eux » se plaint un jeune dans la commune urbaine de Koundara. Pour un autre jeune
rencontré dans la banlieue Sud de Conakry à Matoto, les Wahhabites sont radicalisés car ils « n’admettent pas
la façon de voir les choses des autres. Cela résulte d’une rancœur et d’un endoctrinement de leur part ». Pour
un imam de Kankan, les Wahhabites sont radicalisés car pour lui, ils sont « ceux qui considèrent les autres
comme les mauvais pratiquants, ceux qui sont intolérants envers les autres musulmans, les attaques dans les
lieux de Dawa ».

Pour des chefs religieux rencontrés principalement à Labé et, dans une moindre mesure, à Mamou, ceux qui
reviennent de Mauritanie sont particulièrement radicalisés, car ils « se mettent contre les autres musulmans, ou
critiquer les autres dans leur pratique religieuse, détester les autres pratiquants de l’islam ». Dans la ville de
Conakry au cœur des localités de Ratoma et de Matam, certains imams, maîtres coraniques, « oustaz » et
54
« Cheik » sont indexés comme étant porteurs et propagateurs du radicalisme religieux.

Les autres acteurs de cette radicalisation religieuse seraient des étrangers, particulièrement des « arabes et/ou
pakistanais », surtout dans la période comprise entre 2 000 et 2010. Dans les années 2000, des imams et des
membres des services de sécurité ont indiqué que des prédicateurs étrangers « arabes et/ou pakistanais »
étaient régulièrement présents dans les préfectures et faisaient des sermons dans les centres islamiques et
certaines mosquées. Pour un chef de quartier de Ratoma « l’avènement des nouvelles idées de l’extérieur et
l’enseignement des adeptes par ces nouveaux venus est à la base de la radicalisation » dans la commune. Ces
prédicateurs ont disparu du paysage religieux actuel.

A ces deux acteurs, il faut ajouter les ONG qui interviennent dans les quartiers « populaires » pour se substituer
à l’Etat et à ses services publics défaillants voire parfois inexistants. L’une des ONG les plus actives, citée par
les interlocuteurs, est l’Agence des Musulmans d’Afrique qui aurait construit des mosquées et des forages dans
plusieurs localités, notamment en Guinée Forestière. Pour beaucoup, surtout parmi ceux de la confrérie
Wahhabite, ces ONG « islamiques » sont caritatives et ne posent pas de conditions particulières aux
populations qui bénéficient de leurs ouvrages. Une situation pareille n’est pas étonnante, car la bonne formule
est de ne pas « mélanger le genre » entre l’humanitaire et le religieux. Cependant, on peut présumer, une
répartition de tâche entre des ONG caritatives qui préparent et/ou accompagnent un processus de propagation
du radicalisme.

Ces cinq acteurs majeurs de la radicalisation religieuse en Guinée se caractérisent par leur appartenance au
courant Wahhabite. Ce radicalisme religieux s’exprime d’abord par la contestation de certaines pratiques
coutumières et traditionnelles, notamment les sacrifices du septième et la célébration du quarantième jour en
faveur des morts, le refus de célébrer le « maouloud», celui de faire vacciner leurs enfants et l’obligation faite
aux femmes de se voiler et de ne pas serrer la main aux hommes en dehors de son époux.

Ce constat provient de la synthèse des réponses de la quasi-totalité des interviewés qui désignaient, à la
question de savoir « qui sont ceux qui sont radicalisés en Guinée ? », les membres du Wahhabisme comme

54
En Guinée, les notions de « Oustaz » et de « Cheick » signifient des grades. Le premier grade serait inférieur au second.

26
radicalisés. Cette lecture associant le radicalisme religieux en Guinée avec le Wahhabisme est surtout
dominante parmi les membres des confréries Qadiriyya, Chiite et Tijâniyya.

Pour ceux qui appartiennent au Wahhabisme, le radicalisme religieux est le fait des autres, ceux qui
appartiennent aux autres confréries (Qadiriyya, Tijâniyya, Chiite). Lorsqu’il a été demandé à ceux qui se sont
déclarés appartenant à la confrérie Wahhabite « qui sont ceux qui sont radicalisés en Guinée ? », près de la
moitié d’entre eux déclare que ce sont les Tijâniyya. Cependant, plus de la moitié de ceux qui se désignent
comme Wahhabites ont également désigné leurs pairs, des membres de leur propre confrérie. Pour les
membres du Wahhabisme, le radicalisme des « autres » se manifesterait par certains comportements et
attitudes telles que les moqueries, les railleries, l’indifférence, l’exclusion, les paroles grossières, les critiques sur
leurs façons de s’habiller et de prier des membres de ces confréries à leur encontre.

Si nous éliminons les « radicalisés » (au nombre de 102), qui ont refusé de répondre à la question sur la période
de l’implantation du radicalisme religieux dans leur localité, nous observons que cette implantation s’est réalisée
à trois moments différents : avant les années 1980, pour près du tiers des interviewés ; entre 1980 et 1999 pour
un autre tiers et, entre 2000 et 2016, pour le troisième tiers. Nous observons également que les premières
préfectures et communes concernées par le radicalisme religieux sont celles qui figurent dans l’historique de la
pénétration des confréries religieuses en Guinée.

Il est alors possible d’avancer qu’actuellement le Wahhabisme est le courant religieux en Guinée qui porte le
radicalisme religieux. En revanche, tous les Wahhabites de Guinée ne sont pas radicaux. Cette conclusion est
également celle de ceux qui n’appartiennent à aucune confrérie dont l’un dira : « […] lorsque tu ne veux pas
tolérer les gens dans l’islam tu es vraiment un radicalisé. Tout cela est arrivé avec les nouveaux qui ont étudié
ailleurs et ont réussi à influencer certains citoyens qui sont devenus pires qu’eux. Aujourd’hui les deux camps ne
s’épargnent pas dans les critiques. En vérité ceux qu’on appelle les Wahhabiya sont ceux qui exagèrent ».

- La perception des confréries


Les membres de la confrérie Wahhabite veulent reformer, changer les pratiques religieuses et sociales des
populations guinéennes. Ceux qui n’appartiennent pas à leur confrérie et ne font pas comme eux sont des
« Bidiya », terme péjoratif qui est l’équivalent du paganisme à l’intérieur de la religion.

Par ce changement dans la pratique religieuse – volonté de revenir à la lettre et aux pratiques du temps du
prophète Mohamed - les Wahhabites veulent jeter les bases d’une nouvelle société avec des règles qui
proviennent pour l’essentiel du coran et de la sunna. Ce fondamentalisme religieux, si il va jusqu’au bout de sa
logique non encore clairement exposée par les tenants du Wahhabisme, reviendrait pour la Guinée à rompre
avec le principe de l’Etat laïc pour devenir un Etat islamique. Si cette position n’est pas revendiquée, on ne peut
pour autant l’exclure, d’autant plus que la doctrine, la source d’inspiration et les pays qui l’appliquent sont des
Etats « islamiques ».

L’expansion des confréries inquiète nos interlocuteurs qui n’appartiennent à aucune confrérie. 52% d’entre eux
considèrent que cette expansion, quelle que soit la confrérie concernée, est une « mauvaise et/ou très mauvaise
situation ». L’un des citoyens rencontrés à Kankan, dans le nord de la Guinée, est catégorique et souhaiterait
que son pays puisse « lutter contre la multiplication des sectes religieuses et procéder à la réglementation des
sectes ». Pour un autre, la volonté des Wahhabites est insupportable, car défend-il « nos parents pratiquaient
l’Islam de cette manière, il n’y a pas de raison pour que nous le pratiquions autrement ».

Les membres de la confrérie Qadiriyya sont à 67%, d’accord pour considérer que l’expansion des confréries est
une situation « très mauvaise ». L’un des membres de cette confrérie souhaite que l’on impose « d’étudier et de
valoriser les anciennes confréries Qadiriyya, Tijâniyya et Malikite ». D’autres proposent tout simplement de
« freiner l’évolution de mosquées radicales ».

En revanche, les Tijâniyya, Chiite et les Wahhabites sont, majoritairement en faveur de l’expansion des
confréries dans le pays, mais pour des raisons différentes. Pour la plupart des Tijâniyya rencontrés, c’est :
« l’arrêt de la propagation de la Tijâniyya qui explique l’avènement du Wahhabisme qui est une doctrine
d’intolérance et de violence ». C’est également les arguments des adeptes de la confrérie Chiite. Pour un des

27
imams Chiite, ancien étudiant du Liban et de la Syrie : « En Guinée, il n'y a que deux groupes : ceux qui croisent
les bras et ceux qui ne croisent pas. C'est le deuxième groupe qui en veut au premier. Il faut donc aider les
autres».

Les manifestations radicales de l’Islam restent encore minoritaires en Guinée. L’idée du « djihad » régulièrement
invoqué dans les propos et lors des manifestations politiques et sociales avec des mots comme « Allahu Akbar »
et la sympathie souvent affichée envers des actes terroristes par des propos d’un jeune qui prétend que : « c’est
la conséquence de certaines frustrations comme par exemple en France ou on marginalise certaines personnes,
interdiction du port de voile », la plupart des personnes interviewées estiment, comme cet imam, que la religion
musulmane est une « religion de paix, de tolérance qui privilégie le dialogue à la contrainte ». Jusqu’à présent
aucune confrérie ne constitue une menace pour l'Etat.

- Les vecteurs et les facteurs de la radicalisation religieuse


Sur la foi des entretiens réalisés lors de la collecte des données, il se dégage plusieurs vecteurs du radicalisme
religieux en République de Guinée. Quatre endroits et/ou moments semblent se détacher et constituer des
vecteurs de la propagation du radicalisme en Guinée. Il s’agit, dans l’ordre, des mosquées, des sorties
55
religieuses intitulées dawas , dans les centres islamiques et dans les structures sanitaires gérées par des ONG
et autres organisations de nature religieuse. Jusqu'en 2010, les Wahhabiya organisaient chaque année une
rencontre annuelle dans une localité du pays. Pendant 3 ou 4 jours, tous les Wahhabites venant de toutes les
localités du pays se réunissaient. La dernière rencontre des Wahhabites a eu lieu à Gueckedou. Si cette
dynamique de rencontre avait continué et s'était propagée, une menace aurait pu émerger. Mais à partir de
2010, ces rencontre ont cessé.
Les mosquées sont les premiers vecteurs du radicalisme, selon le tiers des personnes interviewées. Ces
mosquées servent de couverture dans la circulation des messages radicaux alors qu’elles apparaissent comme
56
un simple lieu de prière. Certaines activités, que l’on désigne du nom de « bayane » , autour de certaines
mosquées sont des moments de diffusion des discours radicaux selon plusieurs imams Tijâniyya et Qadiriyya.

Carte : Foyers de la radicalisation (Projet PPREV-UE, août


2016)

55
Les Dawas ou sortie en français sont comme des excursions, des retraites organisées, des moments qui servent à se retrouver pour parler
de la foi musulmane, mais surtout à recruter de nouveaux adeptes, à consolider la foi des uns et des autres, mais aussi à propager des
idées et des mots d’ordre de la confrérie.
56
Bayane est un mot arabe qui signifie éclaircissement. Dans le contexte de la radicalisation, les bayanes sont des conférences
d’éclaircissement sous l’égide d’un propagandiste qui se tiennent tous les jours.

28
Les sorties intitulées Dawa, pilotées par les organisations religieuses, constituent également, selon le quart des
personnes interviewées, des vecteurs de transmission des messages radicaux « On devient une personne
radicalisée en allant écouter les discours radicalisant dans les mosquées, les Dawa et autres lieux de
propagande », selon une personne interviewée. Un autre jeune précise qu’on peut devenir radicalisé « en
fréquentant certaines mosquées et certains centres islamiques animés par un radicalisé ». Les autres vecteurs
de cette radicalisation sont les Centres islamiques et les structures de santé gérées par les ONG religieuses.

Graphique 2 : Les endroits de recrutement et de propagation du radicalisme religieux

Source : Etude PPREV-UE en Guinée, 2016.


Dans les centres islamiques, adossés ou non à des mosquées et/ou à des écoles « franco-arabe », les
entretiens révèlent l’existence d’un processus de radicalisation. L’un des jeunes rencontrés dans la banlieue
nord de Conakry est catégorique et affirme qu’ « en fréquentant les écoles coraniques dirigées par un maître
radicalisé, les mosquées qu’ils dirigent, les lieux où naissent de nouvelles idées venues d’ailleurs car ils utilisent
des hadîts non conformes ».

Lorsqu’on observe les vecteurs de la radicalisation en fonction de l’appartenance aux confréries, nous
constatons des différences significatives. Ainsi, si les Qadiriyya considèrent (21% des répondants de cette
confrérie) que les vecteurs (les sorties, les mosquées et les centres islamiques) ont les mêmes effets sur la
radicalisation, les Tijâniyya et les Chiites mettent, dans les mêmes proportions, l’accent sur les « sorties » et les
mosquées. Les membres du Wahhabisme placent la mosquée bien loin devant les « sorties ».

Pour les musulmans qui ne viennent pas dans les mosquées ou qui y viennent rarement, un autre vecteur très
utilisé est la radio pour 34% des personnes interviewées. La station dénommée « radio bonheur », située dans
la commune de Ratoma, est celle qui est régulièrement citée par les interlocuteurs.

Trois autres vecteurs de recrutement sont régulièrement utilisés par les Wahhabites. Ce sont les campagnes de
proximité dites de « porte à porte », internet et des séries de conférences avec distribution de support papier,
cassette et vidéo.

Plusieurs des jeunes rencontrés, des enseignants et des encadreurs des écoles « franco-arabe », ont affirmé
que dans les années de 2000 et 2010, des fichiers multimédias comportant les prêches de certains « Cheikhs »
étaient largement disponibles dans le pays. Ces prêches et conférences organisées par certains « Oustaz » et
« Cheik » seraient, selon certains, des instruments de radicalisation qui se poursuivent avec des supports
médias (audio et vidéo) mis en circulation pour consolider l’emprise sur les jeunes. Dans ce cadre, il faut noter
les possibilités accrues des nouvelles technologies de l’information et de la communication, avec leur pouvoir de
toucher des milliers de jeunes à l’échelle du pays, et dont l'offre d'accès s'améliore en Guinée avec l’extension
du câble marin à l’intérieur du pays.

29
Les prisons guinéennes peuvent également être citées. Ce sont, actuellement, de faibles endroits de
radicalisation religieuse. Néanmoins, elles se caractérisent par une surpopulation carcérale, des conditions
d’hygiène et de sécurité délétères. Les projets de construction, rénovation, modernisation de ces infrastructures
des années à venir devraient intégrer cette menace et des mesures palliatives afin d’y faire face.

Deux des membres des services de sécurité mettent un accent particulier sur l’offre de perspective, de visibilité,
de sens à l’existence et de valorisation personnelle que les Wahhabites offrent aux jeunes dans les quartiers.
L’un d’eux raconte qu’une fille : « avait fait un enfant auparavant dans sa jeunesse, […] n’arrivant pas à trouver
un mari, elle se cache pour ne pas paraître devant les critiques des gens. C’est ainsi qu’elle devient radicale ».
Les jeunes rencontrés ont également attiré l’attention de l’équipe sur le fait que depuis plusieurs années, ils
n’ont que quatre alternatives : la déviance (alcool, drogue et sexe), l’activisme politique, religieux et l’exil. Cette
situation de fragilité psychologique des jeunes, leurs difficultés relationnelles, leur manque de confiance et leur
méfiance envers la société et de l’avenir, constituent des terreaux fertiles à la propagation du radicalisme
religieux.

Quels que soient les vecteurs utilisés, certains facteurs rendent le recrutement et la radicalisation possibles. Ce
sont les difficultés économiques (perte d’emploi, chômage, retraite, diplômé qui ne trouve pas d’emploi) et les
situations de fragilité psychologique (absence de confiance en soi, perte d’un proche, etc.).

Pour un jeune étudiant, la seule façon de ne pas être radicalisé est de les éviter, car « si tu restes avec eux ils
peuvent te transformer ». Un autre jeune est catégorique sur le sujet en affirmant que : « les côtoyer c’est se
radicaliser. L’imam du secteur 3 de Siguiri Koura a coopté un jeune élève qu’il a réussi à radicaliser et lui a
donné sa fille en mariage ». Un autre jeune confirme cette force en affirmant : « En vivant dans un milieu radical,
on ne peut pas vivre dans un environnement radical sans être radicalisé. Dès que tu es en contact avec eux tu
vas te radicaliser ». Pour d’autres, en particulier les adultes et chefs de famille, le lien n’est pas automatique
entre radicalisation religieuse et environnement des radicalisés. Un chef de famille et chef de quartier rencontré
à Beyla accuse la cellule familiale : « la faute commence chez les parents. Si l'enfant n'est pas éduqué, pas
instruit, n'écoute pas ses parents, il est disposé à basculer dans le groupe de ceux qui ne sont pas éduqués. Si
l'on maitrise la doctrine (Fiqh), personne ne pourra nous tromper ».

Si l’utilisation de la communication semble importante dans le processus de radicalisation, les stratégies de


mises en œuvres sont, elles, bassement matérielles et s’adressent, en priorité, à deux catégories de personnes :
les déshérités et les profanes de la religion musulmane. Pour appâter et intégrer les déshérités dans la confrérie
des Wahhabites, les entretiens révèlent que l’octroi de crédits est, selon le quart des interviewés, la première
stratégie utilisée pour assurer l’implantation des idées religieuses radicales. Le second procédé révélé lors des
entretiens est l’octroi de dons en nature et/ou espèces. L’espoir d’accéder à un emploi et celui d’accéder à un
fonds de commerce pèsent du même poids dans les propos des personnes interviewées.

Pour une petite minorité des personnes rencontrées, c’est à travers le prêche que les personnes sont
radicalisées et enfin, certains considèrent que l’autre des stratégies est « l’envoi des personnes à la Mecque »
afin d’effectuer leur pèlerinage.

Tableau 3 : Répartition des stratégies utilisées pour implanter le radicalisme au niveau des individus
Octroi de crédit 21%
Dons en nature/espèces 20%
Facilitation à l'emploi 17%
Fonds de commerce 17%
Prêche 12%
Envoi au pèlerinage 6%
Agir sur ceux qui sont prédisposés 3%
Accompagnement psychologique des personnes en difficulté 2%
Prise en charge santé et éducation 1%
Il semble que l’ignorance des uns et des autres du coran n’est pas le facteur favorisant l’installation du
radicalisme. Les données collectées suggèrent que, quel que soit le niveau de connaissance du coran, l’accès
aux ressources est le moteur premier de recrutement des personnes. La fragilité économique est aussi mise à
profit pour étendre le nombre d’adeptes et asseoir la logique de la radicalisation religieuse selon un artisan de la
préfecture de Kankan qui affirme que « c’est la pauvreté qui intègre tout cela, l’ambition, la curiosité, l’échec

30
social, la non intégration de l’individu ». Pour cet homme plusieurs facteurs dont la pauvreté sont mis à profit
pour recruter et radicaliser les jeunes.

Carte : Indice d’aggravation du risque de radicalisation (Projet PPREV-UE, août 2016)

Parfois aussi, selon certains des imams rencontrés, les porteurs du radicalisme religieux ciblent des
communautés entières ou des entités territoriales comme des villages ou des sous-préfectures. Les lieux du
symbole de la Tijâniyya sont particulièrement ciblés comme Labé, Kankan, Ratoma et des localités comme
Touba dans la préfecture de Gaoual et haut lieu du Qadiriyya.

Dans ce cas, la stratégie d’implantation consiste à réaliser des infrastructures sociocommunautaires de base,
comme l’eau potable à travers les forages, des structures sanitaires ou scolaires. Un des administrateurs
territoriaux rencontrés évoquera pour illustrer le lien qu’ils entretiennent avec ces « bienfaiteurs », que : « dans
un village où il n'y a pas d'eau, les gens font des kilomètres pour aller puiser un bidon d'eau dans un marigot où
l'eau n'est plus d'ailleurs de très bonne qualité. Une tierce personne vient faire un forage, des centres de santé
et contribue au paiement des infirmiers qui viennent travailler, il est plus écouté que n'importe qui ».

Les difficultés, les discriminations et les frustrations que rencontrent certaines catégories de la population sont
aussi, selon plusieurs interlocuteurs, utilisées pour favoriser la radicalisation. Un imam défend l’idée selon
laquelle : « quand les gens sont socialement mal à l'aise, qu'ils soient dans un milieu où ils estiment être
discriminés par rapport à leur santé, que leurs droits ne sont pas respectés dans la communauté, et que
quelqu'un qui vient leur dire : "Venez, suivez-moi, notre voie est la meilleure, elle est juste, elle est égalitaire.",
c'est très facile de s'embarquer ». Souvent, ces situations sont exploitées par les « recruteurs » du Wahhabisme
qui visent en priorité ceux qui ont le moins de pouvoir dans les sociétés guinéennes (les personnes d’origines
captives et/ou serviles, ceux qui appartiennent aux castes), les citoyens « lambda » et les jeunes. Et ce, dans
une société fortement inégalitaire avec des positions acquises et transmises par l’origine familiale, et non le
mérite personnel, fortement gérontocratique.

- Dynamiques régionales de la radicalisation religieuse en Guinée


Pour le moment, l’islamisme et le radicalisme religieux en Guinée ne sont pas, du moins selon la littérature
disponible sur la Guinée et les données collectées dans le cadre de la présente étude, en rapport avec Boko
57 58 59 60
Haram , AQMI , Ansar Dine ou le MUJAO . Effectivement, sur la base des données de cette étude, le
radicalisme religieux en Guinée est étroitement lié à l’activisme religieux de certains pays arabes à travers

57
Littéralement l’Ecole « occidentale » est mauvaise.
58
Al-Qaïda au Maghreb islamique.
59
Les défenseurs de la religion.
60
Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest.

31
certaines offres de services tels que les bourses, la construction de mosquées, les dons et mises à disposition
de crédits et de certains pays musulmans relais que sont la Mauritanie, le Niger, le Soudan et l’Egypte.

Néanmoins, la présence de tous ces jeunes qui rentrent de l’étranger et qui gardent des liens avec leur pays de
formation dans un environnement concurrentiel entre des courants religieux augmentent les risques pour le
pays. L’augmentation des diplômés des universités arabes et/ou islamiques en Guinée et à l’étranger ouvre un
risque avec une concurrence avec les élites francophones pour le contrôle de l’Etat et de l’espace public. Cette
situation est d’autant plus inquiétante que le mouvement des populations dans l’espace sous-régional depuis le
IXème siècle fait de la Guinée un prolongement socioculturel des pays du Sahel qui sont directement sous
influence du Maghreb et de la Mauritanie. Cette position géographique fait de la Guinée, le prolongement de la
zone de migration du Sahara vers la forêt et la côte et l’intense mouvement migratoire replace la Guinée dans le
contexte régional. D’autant plus que cette migration est forte, notamment vers des pays touchés comme le Mali.
L’Islam qui s’affiche en Afrique de l’Ouest et qui devient de plus en plus actif dans les rues, dans les instances
de socialisation telles que les écoles et les universités devrait inquiéter. Il se pourrait que cela représente la
partie immergée de l’iceberg d’une islamisation plus importante de la société.

b. Les pistes, les besoins et les actions de prévention de la radicalisation


La question au centre de cette section est la suivante : « Quels sont les besoins, les pistes et les actions de
prévention à mettre en œuvre en Guinée pour s’assurer que le radicalisme religieux actuel ne se transforme pas
en celui violent ? ». Pour s’assurer de la pertinence des propositions, les pistes qui orientent les actions
proposées proviennent d’une analyse des données collectées sur le terrain, notamment des avis et opinions
délivrés par nos interlocuteurs lors des entretiens.

Lors de la collecte des données, il a été possible de constater une carence manifeste, et même une ignorance
réelle, des autorités sur le phénomène de la radicalisation, notamment concernant sa réalité chiffrée, ses modes
opératoires, son étendue, sa dynamique, ses vecteurs. Il en est de même concernant le processus de
prévention et de lutte contre le phénomène.

Dans toutes les zones ciblées, de l'autorité locale à la base jusqu'au plus haut sommet des services
administratifs rencontrés, il n'y a qu'une seule institution qui s'intéresse au sujet et possède un regard plus ou
moins précis sur ce phénomène de radicalisation. Il s'agit de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST).

Lors des entretiens, il a été possible de constater les responsables de la DST rencontrés connaissent à minima
ce phénomène de radicalisation religieuse. L’institution affirme posséder sa propre base de données sur le
phénomène et semble avoir bénéficié d’un encadrement théorique et méthodologique de certains partenaires.

La DNAT du MATD a montré un intérêt réel sur le phénomène et semble posséder des éléments de base,
théoriques et méthodologiques sur la compréhension de celui-ci. Tous les autres services régaliens de l’Etat
guinéen, la Gendarmerie, à tous les niveaux de la chaîne de Conakry à l’intérieur du pays, les responsables des
services de police rencontrés, notamment les Renseignements Généraux, commissaires centraux et dans les
préfectures, les autorités décentralisées et déconcentrées (Secrétaires généraux, maires et chefs de quartiers),
ont une très faible connaissance du phénomène.

De même, le pays ne possède aucune structure de recherche autonome, ni des chercheurs qualifiés pour
documenter, analyser, alerter, anticiper et informer la population et les autorités sur le phénomène.

La question du contrôle des ONG actives dans le pays constitue également un enjeu. Il revient en effet au
MATD d'octroyer les agréments. Toutefois, des agréments "provisoires" sont octroyés par les autorités locales
qui, en l'absence de procédures de contrôle adéquates, deviennent de fait définitifs. Ainsi, les autorités
guinéennes ne sont pas en mesure aujourd'hui de savoir combien d'ONG opèrent sur leur territoire, ni le type
d'activités menées. Un travail de mise à jour de la base de données (avec obligation faite aux ONG de se faire
recenser) serait en cours.

Il convient en revanche de signaler certaines démarches en cours qui illustrent une réelle prise de conscience
des autorités guinéennes. On peut citer notamment la finalisation de la Politique Nationale de Défense et de
Sécurité (PNDS), le projet de loi antiterrorisme en cours de formulation, ou la création d'une "commission

32
interministérielle sur la prévention de la radicalisation intégriste", qui prépare un rapport sur cette problématique
en Guinée.

Sur le terrain, il a été possible de constater lors des entretiens que les tenants d’un Islam séculaire et modéré
pratiqué dans la région résistent vaillamment à l’introduction de nouveaux courants islamiques porteurs de
radicalisme. Cependant, ils sont peu outillés pour tenir dans le temps face au rouleau compresseur des
nouvelles tendances, avec les moyens que les mentors du monde arabe mettent à la disposition des courants
radicaux.

Les données illustrent clairement que les jeunes sont ciblés et sont souvent une « proie facile » en raison de
leur âge, de la faiblesse des perspectives offertes par l’environnement politique et économique du pays. Ces
jeunes ont besoin d’une « offre », d’un projet pour se réaliser que le radicalisme religieux exploite pour les
attirer.

Pourtant, la question du radicalisme religieux n’est pas marginale et les interlocuteurs rencontrés sont
conscients des enjeux et des risques pour le pays. Lorsqu’il a été demandé aux interlocuteurs « quels sont les
risques d’attentats en rapport avec le radicalisme religieux ? », 44% des répondants ont indiqué que ce risque
est « très grand » et 20% ont indiqué que ce risque existe, mais est « faible ». Même ceux qui appartiennent à la
confrérie « Wahhabite » sont conscients du risque et 46% de ceux-ci affirment que ce risque est « très grand
pour le pays ». Conakry, Labé et Kankan sont les localités les plus citées comme zones à risques. Dans ces
localités, les infrastructures culturelles et touristiques à forte concentration humaine tels que les lieux de
spectacle et les hôtels sont cités par les interlocuteurs.

« L’offre djihadiste » exploite, presque partout ou elle s’est manifestée, les failles de l’offre républicaine et
citoyenne. Partout, elle exploite l’affaiblissement des services de l’Etat, du maillage territorial et des
dysfonctionnements des politiques publiques.
La Guinée se protégera du djihadisme par plusieurs dispositifs. En premier lieu, l’Etat doit approfondir la réforme
de la gouvernance en combattant vigoureusement les situations de « rente », en éliminant les résistances au
changement, en concrétisant les promesses de la réforme en profondeur des services de sécurité, et pat
l'’avènement et la consolidation d’un Etat de droit. Ce processus doit s’accompagner du nécessaire
réinvestissement de l’Etat guinéen sur ses missions régaliennes et son territoire (actions "sociales" sur le terrain)
pour contrer "l'offre salafiste".
Au regard de cette réalité, quelles sont les propositions de pistes d’actions qui émergent ? Les différents
courants indiqués dans le rapport constituent-ils une menace pour l'Etat ? Quelle est la perception des agents
de l'Etat sur cette éventuelle menace ? Comment outiller l'Etat pour mieux les contrôler ? Quel est le rôle de la
cellule des affaires religieuses ?
Les pistes proposées dans cette étude souhaitent être holistiques en évitant des actions ponctuelles, s’adossant
sur une politique de prévention et répondant aux diagnostics posés autour de cinq grands axes, par ordre de
priorité:

1. Au niveau macro :
 Il apparait nécessaire d’outiller via des formations, des coaching, les « décideurs »
guinéens : membre du Gouvernement et députés de l’assemblée Nationale.
Objectif : Une véritable prise en compte de la problématique de la radicalisation dans la
diplomatie et la politique régionale.
 Cette formation devrait s’accompagner d’un plaidoyer pour que des mesures
institutionnelles et structurelles soient prises afin de mieux préparer le pays à la menace
du radicalisme. Ces mesures doivent porter autant sur les mosquées (construction,
formation des imans), les centres islamiques et les écoles « franco-arabe » (clarification
des programmes en distinguant l’apprentissage de l’arabe de l’islamisation, contrôle de
qualité, formation des formateurs, etc.).
 Appui à la formulation de la stratégie nationale de lutte contre la radicalisation violente (y
compris mobilisation d'expertise).
 La formulation de campagnes de "communication positive" peut s'appuyer sur la force du
sentiment national capable de transcender les sentiments d'appartenance à une
communauté ("la Guinée peut être unie derrière son drapeau"), au service d'une politique

33
d'unité nationale, ou sur des messages alternatifs sur la tradition de tolérance et
d'ouverture de l'islam vécu et pratiqué en Guinée et dans la région ("contre discours" sur
le savoir et les valeurs religieuses, redéfinir les valeurs du corpus religieux de la Guinée).
2. Au niveau des acteurs de terrain :
 Une action d’information, de sensibilisation et des formations distinctes en fonction des
publics devraient être réalisées rapidement.
 Ces formations seraient à destination des fonctionnaires de l’administration du territoire
(central, déconcentré et décentralisé), des fonctionnaires des services de sécurité
(police et gendarmerie) et de ceux des structures de l’Islam (cadres centraux,
décentralisés, déconcentrés du Ministère des affaires religieuses, imams, formateurs
dans les centres de formations islamiques et au niveau des enseignants des écoles
franco-arabe).
 Ces formations devaient porter autant sur les mouvements religieux dans le Monde, en
Afrique et en Guinée, sur le radicalisme religieux et violent (modes
opératoires, dynamique, vecteurs, etc.) ainsi que sur la prise en charge des personnes
radicalisées.
3. Au niveau des services de sécurité de l’Etat :
 Encourager et appuyer les services de sécurité en formation de personnel spécialisé avec
les équipements et l’outillage théorique, méthodologique et opérationnel nécessaire à la
prise en charge du phénomène de radicalisation. Cet appui doit permettre une
géolocalisation des mosquées, des écoles, des ONG de nature religieuse, un meilleur
contrôle de l’accès au territoire national par les étrangers et une surveillance des
formations religieuses offertes par les pays étrangers (Mauritanie, Niger, Egypte, Arabie
Saoudite, etc.).
4. Au niveau des structures de recherche :
 Appuyer la mise en place au sein de l’Université de Sonfonia d’un laboratoire sur les
questions de sécurité, des conflits et de la radicalisation.
 Avec une telle structure, la Guinée développe une expertise nationale sur ces questions
cruciales. Elle devra pouvoir documenter plus en profondeur les questions au centre de
son mandat, produire des études de cas, des analyses ponctuelles, produire une
cartographie géo-localisée des mosquées, des écoles, des ONG de nature religieuse,
tenir un répertoire actualisé des phénomènes au centre de son mandat, produire, en
collaboration avec des structures régionales et internationales, des discours de
« déconstruction » et de dé-radicalisation et de les vulgariser à travers les médias et les
conférences.
 Cette nouvelle structure devra, pour assurer sa viabilité et asseoir sa pertinence,
répertorier l’ensemble des communications positives en rapport avec la radicalisation
religieuse et s’insérer dans le réseau des structures de recherche régionales, africaines et
mondiales pour bénéficier de l’expertise et l’expérience accumulée sur le sujet.
5. Au niveau des infrastructures religieuses :
 Pour permettre au courant modéré de résister et permettre de garder le radicalisme dans
des proportions réduites, il faudra l’appuyer par l’information et le développement de
structures de formations religieuses locales pour assurer la formation des imans et des
formateurs islamiques.
 Cet appui de l’Etat aux structures modérées de l’Islam doit se traduire par la certification de
ses formations afin de faciliter l’accès de ses diplômes aux postes administratifs au sein de
la structure en charge des affaires islamiques.
 Cet appui doit aussi permettre aux imans et autres conférenciers sur l’Islam modéré de
s’approprier des approches dites "maqasidi" qui consiste à développer un discours qui se
concentre sur les objectifs nobles de la religion islamique, comme la défense de l’intégrité
humaine, les droits de l’homme, etc., et non sur une approche littérale qui pourrait
facilement conduire le public vers l’extrémisme. Cet appui doit aussi aider l’affiliation des
courants modérés de l’Islam en Guinée à des organisations islamiques modérées au niveau
régional et international. Enfin, une réflexion sur le statut (matériels et financières) des
imams doit être engagé ;

34
Conclusion

Nous sommes au terme de la présente étude qui revêt trois principales interrogations : l’origine et les
dynamiques, les acteurs, les vecteurs et les facteurs de la radicalisation. Les réponses à ces différentes
interrogations ont permis d’identifier les besoins et les pistes d’actions en prévention du phénomène de
radicalisation à l’échelle nationale.

A l’issue de cette collecte des données, à partir d’un guide d’entretien semi-structuré, auprès de 267
interlocuteurs, il est possible de conclure que la radicalisation observable en République de Guinée est, pour le
moment, de nature religieuse. Lorsqu’elle a été violente, celle-ci a porté sur d’autres musulmans appartenant à
d’autres confréries religieuses du pays. Ce radicalisme religieux en Guinée provient aussi de la confrérie
Wahhabite, même si tous les adeptes de cette confrérie ne sont pas encore tous radicalisés.

Pour l’essentiel, cinq acteurs jouent un rôle majeur dans la radicalisation religieuse. Il s’agit :

- D’anciens étudiants de théologie musulmane et qui reviennent de certains pays musulmans


d’Afrique (Niger, Mauritanie, Soudan et Egypte), de pays arabes (Arabie Saoudite) ;
- Prédicateurs arabes et pakistanais séjournant en Guinée ;
- Des ONG guinéennes financées par des donateurs arabes et des ONG étrangères ;
- Des imams de certaines mosquées ;
- De certains enseignants, conférenciers des écoles « franco-arabes », eux-mêmes anciens
étudiants en théologie musulmane.
Quatre endroits et/ou moments semblent se détacher et constituer des vecteurs de la propagation du
radicalisme en Guinée. Il s’agit, dans l’ordre, dans les mosquées, lors des sorties (Dawa) religieuses, des
centres islamiques et des structures sanitaires gérées par des ONG et d’autres organisations de nature
religieuse.

D’autres vecteurs souvent utilisés sont, en amont et pour entretenir la radicalisation, la radio, certaines
associations à caractère islamique. Mais également des campagnes de proximité « porte à porte », internet et
des séries de conférences avec distribution de support papier, cassette et vidéo.

Si l’utilisation de la communication semble importante dans le processus de radicalisation, les stratégies de mise
en œuvre de recrutement et de radicalisation relèvent du conditionnement matériel à travers l’octroi de crédits et
de dons en nature et/ou espèces. D’autres facteurs, comme l’aide à l’accès à un emploi et/ou à un fonds de
commerce, sont activés pour faciliter la radicalisation.

Les données collectées suggèrent que tous les acteurs étatiques (forces de sécurité, administration territoriale,
religieuse et universitaire) sont faiblement informés, préparés et en capacité de détecter, d’analyser et de lutter
contre le phénomène de la radicalisation religieuse.

Pour faire face à la menace, le résultat de nos analyses suggère une stratégie articulée autour des acteurs
étatiques et de pistes d’actions. La formation sur le phénomène devrait concerner autant les décideurs publics
(membres du Gouvernement et députés de l’Assemblée Nationale) que les forces de sécurité, les agents de
l’administration du territoire, ceux du ministère en charge des affaires religieuses que les imams, les enseignants
des écoles « franco-arabe » et les leaders religieux (Oustaz et autres Cheick).

Cette formation doit permettre de faire passer des messages clés pour faciliter la prise de décisions
institutionnelles et structurelles afin de pouvoir agir sur les vecteurs, les facteurs et les acteurs de la
radicalisation.

Des formations plus spécifiques et plus professionnelles devraient permettre de mieux outiller les forces de
sécurité dans la prévention, la surveillance et la documentation du phénomène en question.

Dans le cadre de la préparation de la Guinée à faire face à la menace de la radicalisation, phénomène mondial,
des études spécifiques (cartographie des mosquées, monographie des leaders radicaux, etc.) et renouvelées
permettraient de mieux outiller les décideurs.

35
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ème
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édition, Paris, France.

38
Annexe
Le guide d’entretien

Bonjour, mon nom est X Nous sommes entrain d'interroger la population guinéenne pour tenter de comprendre,
avec elle, le phénomène de la radicalisation. Nous étudions les dynamiques nationales et transfrontalières de
basculement et voulons mettre en évidence les acteurs et partenaires sur les lesquels des actions de prévention
pourraient s'appuyer.

Nous vous avons choisi parce que de par votre fonction/statut, vous tenez un rôle important et primordial dans
notre société / Pour les jeunes : Vous avez été choisi au hasard. Nous souhaitons que vous acceptiez de
répondre à nos questions. Votre nom ne sera pas inscrit sur le guide. Aucun lien ne fera entre ce que vous me
dites et votre nom. Je vous assure aussi de la confidentialité de vos réponses.

IDENTIFICATION SOCIODEMOGRAPHIQUE DES INFORMATEURS


- Localité ;
- Sexe ;
- Âge,
- Liste des problèmes préoccupants de la localité dans le domaine religieux ;
- Niveau de connaissance du coran (savoir réciter les versets de prière, lire couramment le coran,
lire et interpréter le coran, mémoriser l’intégralité du coran) ;
- Niveau de connaissance des pratiques liées à l’islam (Diriger la prière ordinaire, diriger la prière
du vendredi, diriger la prière mortuaire, diriger des prières d’invocation, diriger des invocations,
conduire des rituels religieux) ;
- Niveau de connaissance de l’islam (histoire de l’islam, la doctrine, les hadiths) ;
- Lieu de formation religieuse ;
- Appartenance confrérique ;
- Appartenance d’un membre de la famille à une ou autre confrérie,
- Position sociale (imam, autorités de l’Etat, gendarme, police, etc.) ;
- Lieu de formation académique ;
- Niveau de formation (diplôme) ;
- Appartenance à une organisation religieuse ;
- Participation à des Dawas (conférence), sorties (excursion), déroulement de cette participation
OPINIONS GENERALES SUR LE RADICALISME D’INSPIRATION RELIGIEUSE (ISLAMIQUE)
- Connaissances des personnes radicalisées (Des personnes radicalisées sont celles qui
considèrent que « d’autres » ne pratiquent pas correctement l’islam, qui sont intolérants envers
d’autres coreligionnaires, qui remettent en question les façons de faire de leur communauté et de
leur famille) ;
- Présence de personnes à tendance radicale dans votre localité ;
- Ampleur du phénomène (réalité actuelle, progression et régression) ;
- Comment reconnaît-on une personne dite radicalisée ?
- Opinions sur la discrimination des groupes dits radicalisés ;
- Opinions sur ce phénomène (ce que les personnes pensent d’une telle situation ?)
- Opinions sur la violence des djihadistes : Au Mali ; au Burkina, au Nigéria, au Cameroun, en Côte
d'Ivoire. Que pensez-vous de ces événements ?
- Opinions sur les risques d’une telle situation en Guinée.
ORIGINES DU RADICALISME DANS LA LOCALITE ET LA SOUS-REGION
Ce que l’on cherche dans cette dimension, c’est les porteurs et les intermédiaires de la radicalisation
dans la localité comme :

- Qui sont les porteurs d’un discours de radicalisation dans votre localité ?
- Ils viennent d’où ? (les guinéens qui rentrent de l’étranger, les étrangers, les ONG) ;
- A quelle période ces acteurs sont-ils apparus dans votre localité ? (Chercher à dater autant que
possible) ;
- Qui sont les intermédiaires locaux de ces porteurs ?

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VECTEURS DU RADICALISME DANS LA LOCALITE ET LA SOUS-REGION
- Si radicalisé, s’informer sur sa situation économique antérieure et les mécanismes économiques
d’incitation à la radicalisation (facilité de crédit, dons en nature, création et facilitation à l’emploi,
etc.) ;
- Si non radicalisé, chercher avec lui des informations sur les Mécanismes économiques d’incitation
dans la radicalisation (facilité de crédit, dons en nature, création et facilitation à l’emploi, etc.) ;
- Chercher les mécanismes psychologiques (proximité avec l’autre, valorisation de la personnalité
de l’autre, etc.) ;
- Chercher les Mosquées en dressant une liste de celles-ci (école adossée, Dawas, sorties
« Khourouj ») ;
- Chercher en dressant la liste des centre de lectures du coran (formel et informel) qui jouent un
rôle dans la radicalisation ;
- Chercher, en dressant la liste, des médias (radio, internet, TV, imprimé, Téléphone, les livrets,
etc.) qui jouent un rôle dans la radicalisation ;
- Chercher les liens des réseaux de relations transfrontalières (le contact avec des pays voisins).
PROCESSUS ET DYNAMIQUE DE RADICALISATION DANS LA LOCALITE ET LA SOUS-REGION
- Dans cette dimension, il s’agit de chercher des informations avec deux types de personnes : un
radicalisé et une personne qui possède des informations sur une histoire de vie d’une personne
radicalisée.
- Histoire de vie de quelques radicalisés (qui, comment, étapes, etc.) ;
- Processus : comment devient-on une personne radicalisée (environnement prédisposant) ;
- Niveau de radicalisation (acquisition des concepts, tolérance des autres, contestation des autres,
justifier, légitimer, prôner la violence, poser l’acte de violence) ;
- Situation psychologique au moment de sa radicalisation ;
- Situation collective (amis, parents, relations, etc.).
ACTEURS DE LA RADICALISATION ET DE LA DERADICALISATION DANS LA LOCALITE
- Chercher à identifier les acteurs locaux (anciens étudiants des pays arabes, des imams, des
imams formés dans ces pays, les jeunes adeptes, les ONG « islamiques ») et des enjeux à l’aide
de la matrice de pouvoir et d’attitude ;
- Chercher à identifier les acteurs internationaux (les ambassades, les ONG internationales, les
étrangers en séjour) ;
- Faites moi la liste des personnes (physique et morale) les plus influentes dans votre localité ;
- Peut-on ordonner cette liste par ordre d’importance ;
- Quels sont parmi ces personnes (physique et morale), celles qui exercent une pression sur la
radicalisation ;
- Quelles sont parmi ces personnes (physique et morale), celles qui exercent ou qui pourraient
aider à une dé-radicalisation.

Fort

Faible

Dé-radicalisation Radicalisation

- Comment faire participer les personnes influentes de votre communauté dans la lutte contre la
radicalisation ?
- Que faut-il faire pour limiter la propagation du radicalisme en Guinée ?

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