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La décennie 1990 en Afrique est marquée par des conflits armés ayant engendré un grand
nombre de textes littéraires, et l'on constate que beaucoup d'entre eux ont eu recours à la
fiction pour raconter l'expérience de la guerre. Or il est intéressant de noter que plu
sieurs de ces textes, envahis par une accumulation d'éléments historiques, sociologiques,
témoignent d'un entremêlement singulier entre récit fictionnel et discours factuel. Ce
dernier est en effet massivement sollicité à travers l'emploi d'une écriture proche du re
portage, du document historique ou informatif qui donne au texte une dimension docu
mentaire. Quels sont les traits de cette écriture singulière qui introduit le discours factuel
à travers un processus de "factualisation" du récit fictionnel? Comment penser ce procé
dé qui se distingue d'une fictionnalisation des faits auquel le lecteur de fictions de guerre
semble plus accoutumé? Que révèle-t-il sur la mise en récit de l'événement trauma
tique relevant d'un passé proche? La position "indirecte" de l'écrivain vis-à-vis des faits
encourage-t-elle cette stratégie parce qu'elle serait garante d'une écriture moins théâtra
lisante? L'analyse de trois romans—notamment Allah n'est pas obligé (2000) d'Ahmadou
Kourouma et En suivant le sentier sous les palmiers (2009) de Pius Ngandu Nkashama,
mais aussi Les "Démons crachés" de l'autre république (2007) de Serge Armand Zanzala—
nous servira à réfléchir sur ces interrogations et à examiner le rapport complexe entre
(l')Histoire et la fiction.
i Si cette recherche s'est essentiellement consacrée aux productions du génocide des Tutsis du
Rwanda, l'on recense également des travaux sur les créations liées à d'autres conflits armés et
violences de masse. Parmi les contributions importantes, outre les thèses, signalons: le dossier
"Rwanda 2000: mémoire d'avenir" paru dans Africultures (2002); le dossier "Afrique en guerre"
dans la revue Études Littéraires (2003); Rwanda, le réel et les récits (2004) de Catherine Coquio;
Les Langages de la mémoire: littérature, média et génocide au Rwanda (2007) coordonné par
Pierre Halen; Lignes de fronts: le roman de guerre dans la littérature africaine (2009) de Paul Ble
ton et Désiré Nyela; Le Génocide, sujet de fiction? (2008) de Josias Semujanga; Écritures de guerre,
écritures historiques (2011) de Pius Nkashama Ngandu; le dossier "L'Enfant-Soldat: langages &
images" coordonné par Nicolas Martin-Granel dans Études Littéraires Africaines (2011).
2 Terme qui désigne "des événements qui ont mis en péril l'existence de groupes humains entiers"
(Le Pape, Siméant, Vidal 12).
3 Sur l'intervention de la fiction dans la représentation de faits de violences extrêmes et la dou
leur d'autrui voir Charred Lullabies: Chapters in an Anthropography of Violence (1996) de Valen
tine Daniel, 7he Body in Pain (1985) d'Elaine Scarry, Goût et dégoût: l'art peut-il tout montrer?
(2003) de Carole Talon-Hugon, Rwanda: le réel et les récits (2004) de Catherine Coquio, Trau
ma Culture:The Politics of Terror and Loss in Media and Literature (2007) d'E. Anne Kaplan.
4 Terme que nous empruntons à Ricœur (331) et Jean-Marie Schaeffer (143).
En amont des analyses textuelles, signalons que les trois romans se caracté
risent par la place prépondérante qu'ils accordent à la dimension historique.
Ils s'inspirent, en effet, des réalités politiques des sociétés de référence du Li
beria, de la Sierra Leone, de la République Démocratique du Congo (rdc) et
du Congo. La société du roman, chez les trois auteurs, décrit une idéologie po
litique dominante fondée sur la corruption, l'autocratie et la violence. La re
5 II serait aussi intéressant de voir chez Ricœur la notion d'"historisation de la fiction" (342) qui
problématise le rapport fort complexe entre l'Histoire et la fiction, le réel et l'irréel dans le récit.
présentation des questions politiques et sociales, dans les textes, s'inscrit dans
une période spécifique, marquée par de profonds conflits et des divisions inter
ethniques ayant engendré des crises extrêmes. Dans leur recomposition des
événements historiques, les auteurs ont eu recours à une écriture informative
et factuelle qui envahit le récit fictionnel au point que l'univers factuel devient
aisément repérable, "brutalement" mis en présence. Par conséquent, ces fic
tions ont un statut vacillant, car elles laissent voir un phénomène de rupture
et d'éclatement au cœur du processus de mise en récit, ce qui donne lieu à des
créations originales et composites où l'on discerne une hybridation et une in
différenciation génériques. En ce sens, l'écriture fictionnelle, en permanence
travaillée par ce matériau informatif, devient le lieu d'une rencontre singu
lière avec des écritures factuelles empruntant au document historique, au texte
journalistique, au reportage, au pamphlet et à la chronique qui se distinguent
par leur caractère descriptif, didactique et véridique.
Allah n'est pas obligé, célèbre roman de Kourouma, éclaire les événements
tragiques des guerres civiles et ethniques du Liberia (1989-1997) et de la Sier
ra Leone (1991-2002) en s'inspirant directement des réalités sociopolitiques
des sociétés de référence et des faits de guerre quelles ont connus. Pour rap
pel, ce texte relate les péripéties du jeune orphelin Birahima, devenu enfant
soldat au Liberia puis en Sierra Leone lorsqu'il part à la recherche de sa tante.
Le texte—qui fait l'objet de nombreuses études—possède un statut de pionnier
et un caractère original dans la littérature africaine contemporaine consacrée
aux conflits armés et aux violences de masse. Lœuvre et son contexte de créa
tion trouveront, en effet, des échos dans d'autres fictions africaines qui émerge
ront successivement vers la même période en valorisant l'insertion d'éléments
factuels et un style empruntant à l'écriture du reportage et du document.6 Un
des aspects clefs du roman est la superposition constante du récit factuel et du
récit fictionnel. Si ce dernier crée un univers nouveau, le premier met l'accent
sur "la reconnaissance d'un déjà-dit" (Bonoli 20), sur une réalité préexistante.
Par ces nombreux indices factuels, le roman s'apparente alors au document
historique ou au reportage. Et cette appropriation singulière de la fiction ro
manesque comme un support pour dire et écrire l'Histoire est revendiquée par
Kourouma qui reconnaît que sa création vise délibérément une dimension do
6 Parmi d'autres fictions qui reposent sur un schéma similaire ou proche, en précisant toutefois
que leur degré de factualisation de la fiction est variable, figurent notamment: L'Ombre d'Ima
na (2000) de Véronique Tadjo, Murekatete (2000) de Monique Ilboudo, Quand on refuse on
dit non (2003) d'Ahmadou Kourouma, Transit (2003) d'Abdouhraman Waberi. Nous signalons
par ailleurs notre traitement du rapport entre le récit fictionnel et le récit factuel dans L'Ombre
d'Imana dans des actes à paraître: Karel Plaiche, "L'Ombre d'Imana ou 'l'expérience du dire' du
génocide',' colloque international Véronique Tadjo: postcolonialité littéraire, post-féminité ou
africanité revendiquée? Universités Johannesburg/Wisconsin-Milwaukee, 23-26 novembre
2013, Johannesburg.
Plus loin, c'est l'embrasement de la Sierra Leone en 1997 qui est décrit en
empruntant toujours à l'écriture du reportage dans un exposé chronologique
et méthodique qui retrace les moments clefs du début de la guerre. Ainsi
apprend-on que "dès le début du mois d'août 1997, la Sierra Leone est ravagée
par d'incessants combats [et qu'] elle est prise entre les bombardements [. . .]
7 "Oui. Évidemment, je tends vers le document [. . .] j'écris pour les Européens, pour tous les
Africains pour dire ce qu'il y a. C'est l'histoire. Les faits historiques sont des faits; c'est la trame
pour les joindre qui constitue la fiction" (Diandue, annexe XVII).
8 "En Afrique, on ne vit que l'Histoire parce que, tout ce que nous vivons, tout ce que nous
connaissons est historique. C'est la situation historique créée par la colonisation, c'est la situa
tion historique créée par la guerre froide, c'est la situation historique créée par les guerres tri
bales. En Afrique, celui qui veut travailler doit prendre appui sur l'Histoire pour donner un ton
sérieux à son travail. Moi, mes projets sont historiques et qui m'analyse ainsi m'aura compris"
(Diandue, annexe XVII).
[du] contingent de L'ecomog." Mais il est aussi précisé que "dès septembre
1997." sous le poids de l'embargo, "elle est privée de nourriture et de carburant.
Elle connaît une récession dramatique, ce qui se traduit par l'arrêt de toute ac
tivité économique" (203-04). Ces quelques citations prélevées d'un long pas
sage consacré à la Sierra Leone illustrent le souci flagrant d'informer dans tout
le texte. Le caractère d'authenticité des événements rapportés est constamment
appuyé par l'insertion de toponymes référentiels (noms de pays, de villes, de
quartiers existant réellement) ou d'indices temporels. Avec des renseignements
denses, illustrés par exemple par le souci de rappeler que la Sierra Leone a "sol
licité] l'aide de la Guinée pour relancer les pourparlers rompus le 29 juillet,"
la précision et l'organisation linéaire des faits évoqués afin de rendre le texte
transparent, l'écriture imite celle du reportage (Kourouma 203). Caractéri
sée par la dimension véridique et authentique dont elle se réclame, elle vise à
rendre compte avec la plus grande exactitude d'événements réels contempo
rains, et à transmettre du savoir au lecteur. À l'instar du document historique,
le genre du reportage se présente comme une enquête menée sur un sujet pré
cis relevant de l'actualité sociale et politique.
On est ici, à n'en pas douter, dans un modèle d'écriture de crédibilité qui
se focalise sur l'événement (Charaudeau 60). Rappelons que l'auteur ivoirien
a déclaré que son roman était le fruit d'une commande urgente d'un groupe
d'anciens enfants-soldats qui lui avaient demandé d'écrire leur histoire dans
une visée testimoniale. La naissance même de l'œuvre apparaît donc dès le dé
part comme un projet de reportage précis confié à l'auteur. Dès lors, elle en
adopte l'écriture qui se veut un élément structurant de sa composition. Et cela
a pour conséquence d'encourager une réception orientée du roman. Car le lec
teur, submergé par ce discours factuel aux repères bien établis, remet difficile
ment en question le caractère véridique du texte qui lui apparaît alors comme
une sorte de roman documentaire.
Si, dans l'ensemble, l'histoire événementielle constitue l'essence même du
roman, soulignons toutefois que c'est bien la fiction qui la rend accessible et
lisible. Elle sert de prétexte à l'écriture et devient la couverture qui permet au
romancier de dénoncer les tragédies. L'imaginaire participe à faire le lien entre
les faits historiques et présente l'ensemble des éléments factuels inscrits dans le
roman comme une lecture personnelle de l'Histoire. Quoi qu'il en soit, le statut
fictionnel d'Allah n'est pas obligé est intentionnellement mis à mal.
C'est également ce que fait Ngandu dans son roman dont le processus de
"factualisation" de l'univers fictionnel se distingue toutefois de celui de Kou
rouma et présente une autre démarche singulière. Si le texte de Kourouma re
pose sur une interpénétration du fictionnel et du factuel, En suivant le sentier
sous les palmiers rend compte d'une séparation claire et étonnante des deux
univers. Indiquons d'abord que le roman est explicitement lié aux conflits ar
Tout le roman est construit sur cette alternance entre énoncés fictionnels
et factuels. Il est intéressant de remarquer que l'intervention du récit factuel
est annoncée par un alinéa et une police différente: les caractères sont plus pe
tits en taille et ceux du titre sont en gras. Le texte est également marqué par
un retrait plus important. Cela est visible ailleurs également, attestant du pro
jet du romancier de séparer ces deux univers. Tout se passe comme si Ngan
du souhaitait assurer l'autonomie de chacun selon les tâches et visions bien
précises qu'il lui attribue. Si le récit fictionnel permet une échappée dans un
monde imaginaire marqué par la circulation de sensations et perceptions di
verses et étranges et par une atmosphère menaçante et onirique où le beau et
le monstrueux s'interpénétrent, le discours factuel métamorphose le roman
pour l'enraciner dans le monde réel et historique. Or, l'extrait cité montre que
la mise en parallèle entre discours fictionnel et factuel est bien plus complexe
encore. En effet, si les citations de I'afp peuvent être considérées comme une
information véridique et objective, d'autres passages exigent une plus grande
vigilance, comme en témoigne la description du chef rebelle Nkunda comme
"traître." S'il s'agit de toute évidence d'une source journalistique, donc d'un dis
cours à prétention factuelle, le texte introductif en italique, dont la provenance
n'est pas précisée de surcroît, révèle ainsi un point de vue subjectif et partisan.
L'insertion de textes qui, sous couvert de forme véridique, dévoilent une di
mension politique complexifie bien évidemment l'enchevêtrement des registres
chez Ngandu. Les énoncés factuels tels qu'on les observe ici travaillent de façon
intensive l'ensemble du roman. Considérons le passage suivant:
[...] Ici le viol à grande échelle est devenu une arme de guerre [...]. (7)
io Si certains éléments paratextuels (par ex. la préface ou une note) situent les événements, leur
chronologie et leurs acteurs (cf. par ex. dans Le Feu sous la soutane de Benjamin Sehene),
d'autres se révèlent moins directs ou plus subtils en utilisant des dédicaces, des épigraphes ou
d'autres extraits de textes qui fournissent des indications au lecteur quant à la teneur de l'œuvre
(par ex. Allah n'est pas obligé).
tissement et une introduction des plus singuliers. Les trois éléments sont di
rectement liés aux conflits armés au Congo-Brazzaville (1993-1997) et, à leur
manière, tentent d'en exprimer les horreurs. De ce fait, l'œuvre est explicite
ment dédiée aux victimes et à leurs proches. Et de leur côté, l'"Avertissement"
et l'introduction attestent de la véracité du texte en situant les événements au
pense." Son projet d'écriture s'inscrit clairement dans une logique de témoignage, de message à
délivrer, "d'où l'aspect critique, urgent" de sa parole (Barthes 148, 151, 152,153). Si cette typolo
gie ne tient plus de nos jours de manière aussi schématique, en particulier dans le cas des litté
ratures émergentes, des traits distinctifs que Barthes attribue à l'une ou à l'autre posture nous
semblent toujours avoir une certaine validité.
13 Dans le même genre, signalons les textes romanesques Sous les tropiques du pays bafoué (2005)
ou encore Le Musée Je la honte (2003) de Jean-Michel Mabeko Tali et Benoît Kongbo, auteurs
que nous qualifions aussi d'écrivants.
le lecteur plus réceptif aux histoires tragiques inspirées de faits réels. Il consti
tue bien un enjeu stratégique afin d'assurer la crédibilité du récit de fiction
et de transmettre une connaissance sur un événement traumatique ignoré ou
peu connu par une grande partie du lectorat ciblé, essentiellement occidental.
15 Nous utilisons l'expression "violence extrême" suivant Jacques Sémelin qui la définit comme
une "forme d'action spécifique, un phénomène social particulier" se situant dans un "au-delà de
la violence." Elle renvoie à des violences caractérisées par leur cruauté et impliquant le pillage,
les actes de torture et de viol et la destruction massive des populations civiles. (479)
tenue.'6 Ceci nous fait dire que Kourouma et Ngandu, dans les deux romans
traités, tiennent vraisemblablement à éviter des mises en scène ambiguës qui
éloigneraient le lecteur de leur projet réflexif.
Dans un article traitant des fictions d'après-guerre, Henri Godard évoque
la "crise de la fiction" dans l'immédiat après-guerre de 1945 chez des roman
ciers européens (81-82). Ce rejet de la fiction qui fait suite aux événements
qui venaient de s'abattre sur l'Europe traduit, selon le chercheur, le refus d'une
écriture perçue comme ludique, superficielle, illusionniste et feinte. Les nom
breux éléments factuels dans les textes évoqués apparaissent alors comme des
béquilles qui soutiennent la représentation fictionnelle de l'événement trau
matique. C'est un processus qui viserait à garantir, d'une part, la visibilité de
l'événement auprès d'un lectorat étranger aux faits guerriers. D'autre part, en
signifiant au lecteur la dimension véridique du roman, le texte le force à le re
cevoir dans un but critique et mémoriel. Sur ce point, pour l'écrivain et cri
tique Ngandu que nous avons interrogé, "l'invasion" de l'univers fictionnel par
un matériau informatif tendrait, en effet, à traduire l'incertitude de l'écrivain
à propos de l'énonciation de faits de violence extrême et de la capacité de la
fiction à les prendre en charge (Dialogues et entretiens d'auteur 21). Cela ren
force la vision de l'auteur qui conçoit que la transmission de la guerre est une
"expérience du dire" (Guerres africaines et écritures historiques 16) donnant lieu
à des écritures singulières. Son constat fait écho aux travaux en anthropologie
et en psychiatrie sur le rapport entre la douleur et le langage qui soutiennent
que la douleur extrême, en tant qu'expérience subjective, est difficilement com
municable et traduisible à autrui parce que la souffrance met en échec le lan
gage (Scarry 3, 6, 13; Le Breton 117; Crocq 346). Si cela concerne avant tout la
victime, le témoin indirect est lui aussi confronté à l'expérience discursive mais
différemment. E. Anne Kaplan l'affirme en évoquant le poids du réel éclaté et
excessif qu'est l'expérience traumatique et qui dépasse le témoin indirect lors
qu'il l'approche par le biais de récits rapportés, rendant ainsi sa mise en dis
cours délicate et difficile (I, 87-100). Dès lors, comment dire la douleur d'au
trui afin de la rendre accessible au monde social?
S'il est admis que la douleur résiste au langage et rend difficile sa trans
mission, c'est aussi un fait que le moyen privilégié d'y accéder est précisément
le langage. Et c'est grâce au travail inventif du langage et de l'imagination et à
leurs pouvoirs créateurs infinis que l'individu rend accessible l'expérience de
la douleur (Kirmayer 43-44). En optant pour une interpénétration des écrits
i6 Représenter les phénomènes de violence extrême est une entreprise pénible car les actes de
cruauté portent atteinte à nos systèmes de représentation du monde et remettent en question
notre humanité (Audoin-Rouzeau, Fabre 18). Ainsi, le sujet qui s'en approche s'expose à la puis
sante fascination que la cruauté peut exercer en dépit du dégoût qu'elle suscite chez lui. C'est
l'effet de sidération et d'écœurement qui tend à encourager des représentations fortes ou des
écritures maximalistes spectaculaires qui reposent sur l'exhibition.
factuels et fictionnels dans lesquels le monde réel pèse de tout son poids et sug
gère une déstabilisation et un éclatement du texte fictif, Kourouma et Ngandu
ont visiblement tenté de créer des langages de la douleur qui rendent acces
sibles les faits. Si les créations obtenues reposant sur un principe de mélange
et de rupture sont originales, leur caractère hybride et éclaté exprime toute
la complexité de la prise en charge de l'expérience guerrière par la seule voie
de l'imaginaire. L'incorporation massive du monde historique apparaît alors
comme une sorte de filet de sécurité visant à prévenir tout basculement dans
une écriture potentiellement saisissante. Mais outre le malaise provoqué par
la crise de la fiction au niveau de l'écrivain que ces créations semblent indi
quer, que dire de leur réception? En choisissant cette stratégie, les auteurs
parviennent-ils à concrétiser leur projet de sensibilisation? La factualisation de
la fiction telle qu'on l'observe dans Allah n'est pas obligé et En suivant le sen
tier sous les palmiers—et tout texte de guerre reposant sur un schéma plus ou
moins proche—tend à générer un sentiment d'accomplissement dans la trans
mission de l'expérience guerrière.
En se réappropriant de la sorte le récit factuel, Ngandu et Kourouma
donnent à leurs fictions une dimension documentaire qui tend à emporter
l'adhésion du lecteur interpellé par l'accumulation d'éléments de véridicité qui
provoque alors une réception critique. Dans ce sens, elle n'affaiblit pas le projet
de représentation de l'expérience guerrière, mais contribue plutôt à l'accomplir
de façon originale. Ainsi ces emprunts de la création littéraire fictionnelle à
l'histoire et au reportage, en apportant une "fiabilité historique," proposent au
lecteur une manière différente d'appréhender la mise en récit de l'expérience
traumatique collective: une manière où il s'agit d'approcher la fiction comme
un livre d'histoire et où la fabulation sert de prétexte à la reconfiguration d'une
tragédie historique permettant ainsi la construction d'une mémoire collective
et l'établissement d'une chaîne de solidarité entre les communautés des vic
times et des non-victimes.
Université de La Réunion
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conflits armés et des violences de masse dans les fictions africaines subsaha