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Carreau Dominique, Flory Thiébaud, Dutheil de La Rochère Jacqueline. Chronique du Droit international économique. In:
Annuaire français de droit international, volume 16, 1970. pp. 633-704;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1970.1617
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1970_num_16_1_1617
SOMMAIRE
COMMERCE.
I. — LE DEMANTELEMENT DES OBSTACLES AUX ECHANGES COMMERCIAUX.
IL — COMMERCE ET INTEGRATIONS REGIONALES,
in. — COMMERCE ET PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT.
IV. — COMMERCE ET PAYS DE L'EST.
INVESTISSEMENTS.
I. — CONDITION JURIDIQUE DES INVESTISSEMENTS ETRANGERS : AFFAIRE DE LA
BARCELONA TRACTION.
II. — PROBLEMES ET PERSPECTIVES DES APPORTS FINANCIERS DES PAYS
DEVELOPPES A ECONOMIE DE MARCHE AUX PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT.
III. — FINANCEMENT DU DEVELOPPEMENT PAR LES PAYS SOCIALISTES
INDUSTRIALISES.
MONNAIE.
I. — LE STATUT INTERNATIONAL DE L'OR.
II. — LE RENFORCEMENT DE LA COOPERATION MONETAIRE INTERNATIONALE.
III. — DEVELOPPEMENTS INSTITUTIONNELS : REMARQUES SUR LES CHANGEMENTS
APPORTES A L'ORGANISATION ET AU FONCTIONNEMENT DU F.M.I.
PRODUITS DE BASE.
I. — LA POLITIQUE DES PRODUITS DE BASE DANS LE CADRE DE LA C.N.U.C.E.D.
II. — NEGOCIATION DE NOUVEAUX ACCORDS (étain).
III. — MISE EN ŒUVRE DES ACCORDS EXISTANTS (café).
634 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
COMMERCE
(1) Voir les travaux de la XXVIe session des Parties Contractantes du G.A.T.T. : Instruments
de base et documents divers du G.A.T.T., supplément n° 17, Genève 1970; Communiqués de
presse du G.A.T.T. : G.A.T.T./1053 et G.A.T.T./1055; Voir aussi le discours de M. Olivier Long
le 26 octobre 1970 à Genève : c Réflexions sur les mutations du commerce international >.
Voir l'article de P. Fabra dans Le Monde du 10 novembre 1970 : « Risques de guerre
commerciale et accords préférentiels mettent en danger l'avenir du G.A.T.T. ».
(2) Voir les « sept doléances des Etats-Unis à rencontre de la politique commerciale du
Marché Commun », Le Monde, 11 mars 1970.
(3) Sur les détails du Protocole de Genève de 1967, voir Th. Flory, Le G.A.T.T., droit
international et commerce mondial, Paris, L.G.D.J., 1968, pp. 226 et s.
(4) Les cinq Etats qui ont procédé à une mise en œuvre anticipée des Négociations
Kennedy sont les suivants : Argentine, Islande, Irlande, Canada et Suisse.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 635
Aux termes de l'accord qui avait été conclu au cours des Négociations Kennedy,
un certain nombre de pays européens avaient pris l'engagement d'abaisser leurs
droits sur certains produits chimiques et de modifier leurs régimes d'imposition des
automobiles à la condition que les Etats-Unis abolissent — et c'était là le principal
élément de la contrepartie — le système de l' American Selling Price (7). Cette
mesure — qui relève de la compétence du Congrès américain — n'ayant toujours
pas été abolie, l'entrée en vigueur de l'accord sur les produits chimiques est de
nouveau ajournée : la date d'expiration du délai prévu pour sa mise en application a
été reportée au 1er janvier 1972 (8). La question de l'abolition de l'American Selling
Price constitue l'un des points de cristallisation de l'antagonisme commercial qui
oppose les Etats-Unis et les Etats européens.
(5) Les concessions consenties entre les Etats en application des Négociations Kennedy
portent sur un volume d'échanges commerciaux évalués à 40 milliards de dollars par an.
(6) Dans les négociations commerciales en cours, ces différentes questions sont —
juridiquement et économiquement — liées les unes aux autres. Toutefois, pour la clarté de
l'exposé, on étudiera ces différents problèmes séparément.
(7) L'American Selling Price est une pratique douanière selon laquelle les droits de
douane sont calculés non pas sur le prix facturé par l'exportateur étranger, mais sur le prix
d'un produit équivalent fabriqué aux Etats-Unis.
(8) Voir communiqué de presse du G.A.T.T. du 23 décembre 1970, G.A.T.T./1072.
636 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
de ce produit (9) . L'accord sur les textiles de coton — qui s'inscrit dans le cadre du
GAT.T. — est signé par trente Etats (10). Pour ce qui est de son objet, cet accord
vise essentiellement à éviter la désorganisation des marchés des pays importateurs.
Plus précisément, tout pays membre dont le marché est désorganisé par des
importations trop abondantes peut demander au pays exportateur de limiter ses
exportations à un certain niveau. Si les deux pays intéressés ne parviennent pas à un
accord, des restrictions quantitatives peuvent être autorisées par le G.A.T.T. pour
veiller à ce que le quantum ne soit pas dépassé. Toutefois, des conditions sont
,
exigées : le volume autorisé doit être accru périodiquement, et les contingents
établis doivent être également périodiquement majorés. Institutionnellement, le Comité
des textiles de coton est chargé de veiller à l'application de l'Accord.
Alors que l'on assiste depuis ces dernières années à une baisse importante et
régulière des droits de douane, en revanche, on constate une prolifération et une
aggravation des obstacles non tarifaires aux échanges (11). En somme, dans le
mouvement protectionniste actuel, les obstacles non tarifaires tendent à se substituer
aux anciens droits de douane, avec toutefois la différence qu'ils sont plus difficiles
à déceler et à éliminer.
L'identification des obstacles non tarifaires a fait l'objet d'une procédure
juridique spécialement originale et efficace : en effet, les renseignements ont été fournis
au secrétariat du G.A.T.T. non plus par les pays qui appliquent ces restrictions,
mais par ceux qui estiment que leurs exportations en souffrent. En somme, ce sont
les pays lésés qui ont dénoncé les obstacles non tarifaires qui leur causaient un
préjudice, et qui les ont notifié au Comité du commerce des produits industriels du
G.A.T.T. Cet organisme a ensuite examiné ces notifications une à une pour
déterminer la nature juridique exacte de l'obstacle non tarifaire incriminé et les raisons
de son institution.
Ces notifications ont été réunies par le secrétariat du G.A.T.T. sous la forme
d'un catalogue où l'on trouve la liste de 800 obstacles non tarifaires institués par
les Etats membres. Ces obstacles ont été classés en cinq catégories juridiques : (12) :
1) Participation de l'Etat au commerce. Cette catégorie comprend les
subventions à la production et à l'exportation, les méthodes d'achat des pouvoirs publics,
le commerce d'Etat et les investissements qui ont pour effet de détourner certains
courants d'échanges;
2) Formalités douanières et administratives à l'importation. Ces formalités
constituent les obstacles qualifiés de « paratarifaires » : elles comprennent les
méthodes de détermination de la valeur, les questions de classification douanière, les
pratiques antidumping, les redevances et les exigences en matière de documents;
(9) Voir le septième examen annuel de l'accord sur les textiles de coton par le G.A.T.T.,
I.B.D.D., Supplément n° 17, Genève, 1970, p. 18 et s. Voir aussi le Communiqué de presse du
G.A.T.T. du 22 octobre 1970 : G.A.T.T./1069.
(10) République fédérale d'Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Colombie,
Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Inde, Israël, Italie, Jamaïque,
Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Pakistan, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République
arabe unie, République de Chine, République de Corée, Royaume-Uni, Suède, Turquie,
Communauté économique européenne en tant que telle.
(11) Voir sur ce sujet le rapport de la Chambre de Commerce internationale : Les obstacles
non tarifaires au commerce, Paris, 1969, 93 pages.
(12) Voir sur ce sujet : Les activités du G.A.T.T. en 1969-70, G.A.T.T./1970-4, Genève,
p. 14 et s.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 637
On sait que les régimes fiscaux présentent des différences considérables d'un
pays à l'autre. Pour que les importations et les exportations soient soumises à un
régime équitable et qu'elles soient à égalité avec les produits concurrents, il est
nécessaire d'ajuster ces différences lorsque les marchandises arrivent à la fron-
tière. Cependant, les règles du G.A.T.T. exigent aussi que les ajustements opérés
pour tenir compte des impositions intérieures n'aillent pas au-delà de ce qui est
équitable pour corriger la différence entre les taux d'imposition, car, s'il en était
autrement, les importations bénéficieraient alors d'une protection supplémentaire
et les exportations d'une marge de subvention.
Aussi, un groupe de travail du G.A.T.T. a-t-il entrepris une étude des systèmes
fiscaux des pays membres et des dispositions de l'Accord général applicable aux
ajustements fiscaux aux frontières. Les travaux qui ont été accomplis ont révélé
les difficultés considérables que soulève toute comparaison juridique des systèmes
fiscaux car, même lorsqu'ils sont identiques en apparence, ils n'ont pas toujours les
mêmes effets. Ces travaux ont également mis en lumière, ainsi qu'il ressort d'un
rapport du groupe de travail (17), des divergences de vue sur les types
d'ajustements fiscaux qui devraient être opérés à la frontière.
Plus précisément, le problème des ajustements fiscaux aux frontières s'est
posé au sujet de la T.V.A. En décembre 1970, les pays de la C.E.E. ont obtenu gain
de cause face aux Etats-Unis : le Conseil du G.A.T.T. a en effet entériné le rapport
du groupe de travail qui reconnaissait la validité des ajustements fiscaux à la
frontière relatifs à la T. VA. (18). Toutefois, il a été décidé que dans l'avenir les pays
membres devront notifier toute nouvelle modification de leur système à la frontière
et engager des consultations multilatérales à ce sujet.
A. — Le G.A.T.T. ET LA C.E.E.
(20) Sur la distinction entre les restrictions quantitatives c licites » et « illicites », voir
l'article XI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, et voir Th. Floky,
Le G.A.T.T., droit international et commerce mondial, Paris, 1968, p. 23 et s.
(21) Voir les conclusions de la XXVIe session des Parties Contractantes du G.A.T.T.,
G.A.T.T./1055, et Journal of World Trade Law, mai-juin 1970, p. 498 et s.
(22) Voir la déclaration de la C.E.E. au G.A.T.T. : L/3332.
(23) Voir les travaux de la XXVIe session des Parties contractantes du G.A.T.T., Genève,
mars 1970, G.A.T.T./1057.
640 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
(24) Voir chronique de droit international économique, cet annuaire, 1969, p. 630 et s.
(25) Les textes de ces accords, qui sont entrés en vigueur le 1" septembre 1969, est
reproduit dans les documents L/3226/Add. 1 et L/3227/Add. 1.
(26) "Voir le texte du rapport du G.A.T.T. sur les accords d'association entre la C.E.E. et
la Tunisie, la C.E.E. et le Maroc : L/3379.
(27) Cf. L/3379, p. 2-7.
(28) Voir la conclusion du rapport du G.A.T.T. : L/3379, p. 8-9. Au conseil du G.A.T.T. du
30 septembre 1970, le représentant des U.S.A. a vivement critiqué les accords préférentiels
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 641
L'année 1970 constitue une étape importante pour ce qui est de l'évolution des
problèmes commerciaux des pays en voie de développement. Cette évolution doit
être étudiée à un double niveau des relations interétatiques : au niveau des rela-
conclus par la C.E.E. avec le Maroc et la Tunisie. Il a notamment déclaré que ces accords
préférentiels < menaçaient l'ensemble du système commercial non discriminatoire édifié au
cours des années par le G.A.T.T. ». Les Etats-Unis ont réservé leurs droits quant à l'application
de l'article XXIII de l'Accord général qui offre la possibilité de recourir à des mesures de
rétorsion. Sur cet aspect de la « guerre commerciale » entre les U.S.A. et la C.E.E., voir l'article
de P. Fabra dans le Monde du 10 novembre 1970 : c Risques de guerre commerciale et accords
préférentiels mettent en danger l'avenir du G.A.T.T. ».
(29) Sur l'examen par le G.A.T.T. de la 2« Convention de Yaounde, voir les documents
suivants : C/M/60, L/3283 et G.A.T.T./1057, p. 11.
(30) Ont notamment été examinées par le G.A.T.T. les unions douanières et zones de
libre-échange suivantes : A.E.L.E. (et en particulier l'association Finlande/ A.E.L.E.) ,
l'Association latino-américaine de libre-échange, le Marché commun arabe, l'Union douanière et
économique de l'Afrique centrale, l'Association de libre-échange des Caraïbes, l'Accord de libre-
échange Nouvelle-Zélande/Australie, l'Accord de libre-échange Royaume-Uni/Irlande. Voir le
document suivant : G.A.T.T./1057, p. 11-12.
642 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
(31) Sur la préparation du système généralisé des préférences, voir chronique de droit
international économique, cet annuaire, 1969, p. 632 et s.
(32) Le Président du Comité spécial des préférences M. Swaminathan (Inde) a déclaré que
cet accord était un c événement historique », et qu'il créait : c une base nouvelle pour les
échanges commerciaux entre les pays industrialisés et le tiers monde ».
(33) Le texte de cet accord : C.N.U.C.E.D. TD/B/330. Voir aussi, sur cet accord, l'article
de R. Krishnamurti, Journal of World Trade Law, janvier-février 1971, p. 45-60.
(34) Décision 75 (S-IV) du Conseil de la C.N.U.C.E.D.
(35) c Conclusions concertées » : ce sont les expressions qui désignent l'accord (CN.U.C.E.D.
TD/B/330) . Ces < conclusions concertées » constituent un compromis entre les différentes
offres des pays donneurs. Les textes complets de ces offres ont été diffusés sous la cote
C.N.U.C.E.D. TD/B/AC.5/34 et Add. 1 à 10. Plus particulièrement, voir le texte et l'offre
révisée de la Communauté : Annexe au doc. S/804/70 (COMER 197) ; voir aussi le document de
la C.E.E. : S/924/70 (COMER 212), et les documents de l'O.CD.E. : TC (70) 23, et C (70) 148.
Voir d'autre part la déclaration commune des pays de l'Est : TD/B/AC. 5/L/14, et les
documents émanant du groupe des 77 : TD/B/AC. 5/L. 12 et TD/B/AC. 5/36 Add. 5.
(36) Ce sont principalement les pays de l'Est qui sont visés dans cette disposition.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 643
lisées, il est prévu une période de dix ans. Une révision du système institué pourra
avoir lieu à la fin de cette période.
Pour ce qui est des préférences spéciales, un compromis (37) avec les Etats-Unis
a pu aboutir. Tout en déclarant que son pays demeurait opposé au principe des
préférences spéciales, le représentant des Etats-Unis a néanmoins admis la concession
suivante (38) : les Etats-Unis n'exigeaient plus que les préférences spéciales soient
entièrement supprimées au bout de 5 ans pour que les pays jouissant de ces
préférences soient admis à bénéficier de préférences généralisées de la part des Etats-Unis.
Autrement dit, les Etats-Unis ont décidé d'autoriser les pays qui reçoivent
actuellement des préférences spéciales à être mis dès le début au nombre des bénéficiaires
des préférences généralisées accordées par les Etats-Unis.
Pour ce qui est des préférences inverses, la négociation avec les Etats-Unis a
été difficile, et le compromis réalisé se révèle beaucoup plus fragile. Devant la
condition dictée par les Etats-Unis, un grand nombre de pays en voie de
développement — menacés d'être exclus du marché américain — ont refusé de poursuivre
les débats. C'est finalement dans la nuit du 11 au 12 octobre que le Comité des
préférences est parvenu à un accord sur les trois éléments suivants : (39)
— 1er point ; Le Comité constate qu'il y a accord sur l'objectif selon lequel
tous les pays en voie de développement devraient en principe participer dès le
début au système;
— 2' point : La réalisation de cet objectif nécessitera toutefois de nouvelles
consultations entre les parties directement intéressées;
— 3* point : Ces consultations devront se poursuivre de toute urgence en vue
de trouver des solutions avant que le système ne soit appliqué.
La délégation américaine (40) a précisé que les pays en voie de développement
jouissant de préférences inverses pourraient dès le début . bénéficier du système
général s'ils donnaient l'assurance que les préférences inverses seraient éliminées
progressivement dans des délais raisonnables, et s'ils se prêtaient à des
consultations. Ainsi, on voit que le compromis réalisé sur les préférences est fragile, et
qu'il se ramène plutôt à la reconnaissance d'un désaccord que l'on s'efforcera de
réduire ultérieurement dans le cadre de consultations entre les parties directement
intéressées (41).
(37) Voir le texte du Compromis : TD/B/330, la II8 Partie relative aux préférences spéciales
et inverses, § 1.
(38) Voir la Déclaration faite par le représentant des Etats-Unis au Comité spécial de la
C.N.U.C.E.D. sur les préférences le 11 octobre 1970 : S/924/70 (COMER 212), Annexe II/B.
(39) Voir le document TD/B/330, Partie II.
(40) Voir la déclaration faite par le représentant des Etats-Unis au Comité spécial des
préférences, déjà citée : S/924/70 (COMER 212), Annexe II/B.
(41) Sur la position des Etats africains et malgache associés à la C.E.E. (les E.A.M.A.),
voir S/927/70 (COMER 212), p. 11-12. Les E.A.M.A. ont déclaré qu'ils étaient opposés à toute
interférence du problème des préférences inverses avec l'examen des préférences généralisées,
qu'il s'agissait d'une question relevant de la souveraineté de chacun des associés, et que la
solution du problème devait être discutée dans un autre cadre. Pour sa part, la C.E.E. a
déclaré qu'elle se réservait la possibilité de formuler en faveur des E.A.M.A. une « disposition
générale de sauvegarde » pour corriger les situations défavorables qui pourraient résulter,
pour les E.A.M.A., de l'application d'un système de préférences généralisées.
Les pays asiatiques ont rappelé que quelques-uns des arrangements préférentiels qui
existaient depuis la IIe Guerre mondiale étaient reconnus dans l'article I du G.A.T.T. La
solution devait être recherchée dans le cadre du G.A.T.T. ou de l'O.C.D.E.
Enfin, la Jamaïque, ainsi que Trinité et Tobago ont formulé une réserve générale sur
le Rapport final du Comité spécial des préférences.
644 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
d) Les bénéficiaires
Les pays donneurs membres de 1'O.C.D.E. ont rappelé que leur position n'est
pas modifiée par rapport à novembre 1969, à savoir qu'ils détermineraient leur
position en fonction du principe de l'auto-élection (43) . Parallèlement, un certain nombre
d'Etats ou de territoires ont présenté leur candidature comme bénéficiaires du
système de préférences généralisées (44) .
e) Mesures spéciales en faveur des pays en voie de développement les moins avancés
Sur la base de suggestions émanant du groupe des pays d'Amérique latine (45),
le Comité des préférences a longuement débattu sur l'inclusion de mesures spéciales
dans le cadre même du système des préférences généralisées. Faute de pouvoir
dégager des solutions précises, le Comité a dû se limiter à reconnaître que des efforts
devront être entrepris en vue de permettre aux pays les moins avancés de bénéficier
également des préférences généralisées — tant dans le cadre du système des
préférences qu'au sein des autres commissions de la C.N.U.C.E.D. (46).
f) Le dispositif institutionnel
Un accord est intervenu au sujet des fonctions (47) qui incomberont à l'organe
approprié de la C.N.U.C.EJ). A ce sujet, une distinction a été établie entre d'une
part les « examens périodiques » du fonctionnement du système des préférences et
d'autre part les « consultations » entre les pays donneurs et les pays bénéficiaires.
En revanche, il n'a pas été possible de parvenir à un accord quant à la
désignation et à la nature de l'organe approprié qui serait compétent pour les fonctions
énumérées ci-dessus. Si les pays en voie de développement souhaitent la création
— au sein de la C.N.U.C.EJD. — d'une nouvelle commission permanente et .ouverte
à tous les Etats membres, en revanche, les pays donneurs ont refusé une nouvelle
extension du mécanisme institutionnel de la C.N.U.C.E.D. qu'ils estiment déjà trop
lourd. Faute d'accord sur. ce point, le Comité spécial des préférences a renvoyé
— Bulgarie, Roumanie;
— Territoires dépendants et pays présentés par le Royaume-Uni (dont Hong-Kong), par la
Nouvelle-Zélande et par l'Australie (Papua, Nouvelle-Guinée) .
(45) TD/B/AC. 5/L 12.
(46) Voir TD/B/330, Partie V : « Mesures spéciales en faveur des pays en voie de
développement les moins avancés ».
(47) Voir TD/B/330. Partie VII : c Dispositions institutionnelles ».
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 645
(48) La 11e session du Conseil de la C.N.U.C.E.D. est prévue pour août-septembre 1971.
(49) Voir TD/B/330. Partie IX. intitulée « Statut juridique ».
(50) Voir le texte de la Partie IV de l'Accord général : « Commerce et développement »,
in Instruments de base et documents divers du G.A.T.T., vol. IV, Genève; pour l'analyse de
cette partie IV, voir Th. Flory, le G.A.T.T., droit international et commerce mondial, Paris,
1968, p. 177 et s. Sur ce sujet, voir aussi la Conférence de M. Olivier Long prononcée à
New-Delhi le 12 novembre 1970 : « Le commerce des pays en voie de développement,
possibilités et réalisations », Communiqué de Presse du G.A.T.T., G.A.T.T./1070.
(51) Sur ce point, voir le rapport adopté le 25 février 1970 au G.A.T.T. sur les conditions
d'application
n° 17, p. 137 etdess.;dispositions
et voir Les de
activités
la Partie
du G.A.T.T.
IV de l'Accord
en 1969-70,
général,
Genève
L/3335,
1970,voir
p. 26aussi
et s.I.B.D.D.,
(52) Projet de déclaration daté du 14 octobre 1970; voir le texte de ce projet : Spec. (70)
107.
(53) TD/B/330, § 1 et 2.
(54) Négociations tarifaires qui se dérouleront dans le cadre du G.A.T.T.
646 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
l'octroi des préférences sera subordonné (55) à l'existence d'une dérogation aux
obligations qui découlent de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.
Le projet de déclaration des Parties Contractantes du G.A.T.T. autorise une
telle dérogation: «Nonobstant les dispositions de l'article I de l'Accord général,
les parties contractantes... auront la faculté d'appliquer à titre provisoire un régime
tarifaire préférentiel à leurs importations de marchandises originaires des pays en
voie de développement... » (56) . Toutefois, si le principe de la dérogation est admis,
l'autorisation reste conditionnelle.
(61) La décision au sein des Parties Contractantes du G.A.T.T. devra être prise dans les
soixante jours à compter de la réception de la notification, et l'arrangement préférentiel sera
approuvé s'il recueille les 2/3 des suffrages exprimés, à la condition que cette majorité
comprenne plus de la moitié des parties contractantes (Spec. (70) 107, § 3) .
(62) Sur ces procédures de modification, voir le texte du projet de déclaration des Parties
Contractantes du G.A.T.T., Spec. (70) 107, § 4.
(63) Voir les rapports du Conseil du commerce et du développement de la C.N.U.C.E.D. :
« Expansion des échanges, coopération économique et intégration régionale entre pays en
voie de développement », TD/B/AC. 10/1 et 2, add. 1 et 2.
(64) Voir le rapport du Comité du commerce et du développement du G.A.T.T., L/3335 et
I.B.D.D., 17, p. 131 et s.
(65) Le texte de la décision : L/3360; le rapport du groupe de travail du G.A.T.T. : L/3341;
et I.B.D.D., 17, p. 150 et s. Sur l'accord tripartite, voir Chronique de droit international
économique, cet annuaire, 1969, p. 629-630.
(66) La décision du G.A.T.T. du 20 février 1970 — qui reprend en partie celle du 14
novembre 1968 — est donc une dérogation à l'article I de l'Accord général et à la clause de la nation
la plus favorisée. Sur cette question, voir H. Gros-Espieix, « The Most-Favoured-Nation
clause, its present significance in G.A.T.T. », the journal of World trade law, janvier-février
1971, p. 29-44.
(67) Voir le rapport du groupe de travail du G.A.T.T., L/3341 et I.B.D.D., 17, p. 150-156.
648 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
Le fait dominant à noter au cours de l'année 1970, c'est la volonté, pour les
pays de l'Est, de participer davantage aux institutions commerciales internationales
et de s'insérer davantage dans le système du commerce mondial. C'est ainsi que le
groupe des pays socialistes a proposé, devant les instances de la C.N.U.C.E.D., un
système de préférences généralisées en faveur des pays les moins développés (73) .
(68) Les ministres des trois pays se sont réunis en octobre 1970 à Bled (Slovénie), et ont
rédigé une c Déclaration relative aux arrangements en matière de coopération économique
entre pays en voie de développement ». Un comité permanent chargé de suivre ces questions
a été créé.
(69) Les 34 pays en voie de développement sont les suivants : Afghanistan, Argentine,
Brésil, Cameroun, Ceylan, Chili, Colombie, Cuba, Espagne, Ethiopie, Grèce, Inde, Indonésie,
>
Irak, Iran, Israël, Jamaïque, Liban, Mexique, Nicaragua, Nigeria, Ouganda, Pakistan, Pérou,
Philippines, République Arabe Unie, République de Chine, République de Corée, République
dominicaine, Trinité et Tobago, Turquie, Uruguay, Venezuela, Yougoslavie.
(70) Elles ont pour cadre institutionnel le « Comité des négociations commerciales des
pays en voie de développement > du G.A.T.T.
(71) Voir l'article précité de H. Gros Espiell, J.W.T.L., janv.-fév. 1971, p. 29-44, et le
discours de M. Olivier Long, Directeur général du G.A.T.T., sur Le commerce des pays en
voie de développement, G.A.T.T./1070.
(72) Le rapport Pearson a souligné l'importance des négociations qui se déroulent au
G.A.T.T. entre pays en voie de développement. Sur le détail de ces négociations, voir les
Activités du G.A.T.T. en 1969-70, Genève, 1970. p. 32-33.
<
commune, ces 5 pays de l'Est demandent notamment que les préférences tarifaires doivent
également s'appliquer aux pays socialistes qui se trouvent à un degré de développement
intermédiaire et qui connaissent des difficultés analogues à celles des pays en voie de
développement.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 649
(74) Sur la participation de la Pologne au G.A.T.T., voir les consultations annuelles entre
les parties contractantes du G.A.T.T. et la Pologne, et le rapport du groupe de travail du
G.A.T.T., adopté le 12 février 1970 : L/3315 et I.B.D.D., 17, p. 103-118. Voir aussi l'article de
B. Laczkowski, « Poland's accession to G.A.T.T. », J.W.T.L., janv.-fév. 1971, p. 110 et s. Les
consultations annuelles portent essentiellement sur les restrictions à l'importation appliquées
aux produits polonais, et sur l'engagement de la Pologne d'augmenter ses importations en
provenance des autres parties contractantes.
(75) Le protocole d'accession de la Roumanie se rapprochera de la formule qui avait été
adoptée pour la Pologne. Voir le texte du projet de Protocole d'accession de la Roumanie
daté du 28 mai 1970 : spec. (70) 56.
(76) En outre, le projet de Protocole d'accession au G.A.T.T. prévoit des consultations
annuelles entre la Roumanie et les parties contractantes du G.A.T.T.
(77) Voir le rapport du Groupe du Travail sur l'accession de la Hongrie au G.A.T.T.,
rapport du 23 septembre 1970 : Spec. (70) 83.
650 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
groupes différents. Faute de pouvoir ici recenser tous les problèmes, nous retiendrons
les faits les plus saillants. La condition juridique des investissements étrangers
réalisés à l'intérieur du groupe des pays développés à économie de marché est la
matière d'un important arrêt de la Cour Internationale de Justice (affaire de la
Barcelona Traction [A]) qui n'a pas tranché la question au fond. Néanmoins les
implications de cet arrêt sont considérables pour le droit des investissements
internationaux. S'agissant des investissements dans les pays en voie de développement
provenant de pays développés, qu'ils soient ou non à économie de marché, il est
très difficile d'isoler pour les besoins de l'analyse ce qui a trait proprement à
l'investissement de ce qui relève globalement de la politique d'aide. Certes l'aide
financière n'est pas destinée dans son intégralité à la réalisation d'investissements
productifs au sens économique du terme — on pense notamment aux crédits à
l'exportation, aux sommes allouées à fonds perdus pour améliorer le fonctionnement
des administrations locales, etc.. — Mais il s'agit quelquefois de véritables
investissements humains à long terme et en tout cas, les problèmes juridiques qui se
posent et les solutions adoptées sont identiques, quelle que soit la destination exacte
des flux financiers. Au cours de l'année 1970, on a pu observer une extraordinaire
floraison d'analyses et d'études entreprises dans les cadres les plus divers —
nationaux et internationaux — afin de mettre en évidence les problèmes et les
perspectives de l'aide financière apportée par les pays développés à économie de marché
aux pays en voie de développement dans la perspective de la deuxième décennie
pour le développement [B]. Il convient également de faire une place à part aux
problèmes juridiques posés par les apports de capitaux aux pays en voie de
développement provenant des pays développés à économie centralement planifiée — pour
reprendre la terminologie désormais classique de la C.N.U.C.E.D. [C].
De cette affaire nous ne retiendrons que les aspects qui intéressent le droit
international économique et notamment la condition juridique des investissements
internationaux. A vrai dire, le problème a été plus nettement abordé dans les
opinions individuelles d'un certain nombre de juges que dans l'arrêt proprement
dit. La Cour s'est en effet tenue à une approche juridique extrêmement abstraite
des conditions de recevabilité de la requête belge pour conclure à l'absence de
droit de la Belgique, en tant qu'Etat national d'un certain nombre d'actionnaires à
exercer à leur égard sa protection diplomatique alors que la société elle-même
n'avait pas disparu et pouvait faire l'objet d'une protection de la part de son Etat
de rattachement, le Canada.
Cet arrêt prend néanmoins les allures d'un arrêt de principe en cette matière
des investissements internationaux où la jurisprudence est rare. Adopté par 15 voix
contre une il reflète l'opinion d'une majorité de juges qui par leur origine nationale
se font plus directement l'écho des thèses des pays socialistes et des pays en voie
de développement. Or la philosophie économique sous-jacente à l'arrêt lui-même
(78) Pour une analyse proprement juridique de cet arrêt cf. cet Annuaire p. 307.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 651
Développant cette idée dans leurs opinions individuelles les juges Ammoun et
Padilla Nervo déclarent estimer que « si quelqu'un a besoin de protection ce ne
sont pas les actionnaires des énormes sociétés capitalistes de structure complexe qui
investissent dans les pays en voie de développement; ce sont ces Etats pauvres ou
faibles où les capitaux sont investis qui ont besoin d'être protégés contre l'ingérence
de puissants groupes financiers, contre la pression diplomatique injustifiée de
gouvernements qui paraissent toujours prêts à appuyer à tout prix les actionnaires de
leur nationalité, alors même que ces actionnaires sont juridiquement tenus de
partager les risques de leur société et de suivre son sort». On discerne en somme
chez la majorité des juges le sentiment que l'investissement étranger par les gains
qu'il procure . à l'investisseur constitue une menace pour l'intégrité du
patrimoine de l'Etat d'accueil.
En revanche, l'aspect inverse de l'investissement, considéré comme une
exportation de richesse nationale, est totalement négligé par la Cour. Elle écarte (§ 86)
l'idée avancée par les conseils de la Belgique suivant laquelle il conviendrait
d'assurer une protection particulière des «ressources économiques de la nation».
Suivant la conception belge, les investissements effectués par les ressortissants d'un
Etat à l'étranger faisant partie des ressources économiques de la nation, tout
préjudice qu'ils viennent à subir met directement en jeu les intérêts économiques de
leur Etat national. Les juges Ammoun et Padilla Nervo se sont élevés contre le
caractère vague et mal défini des notions de « richesse nationale » ou de « fortune
nationale » ainsi entendues par les pays investisseurs.
En réalité, il n'y a pas de conciliation possible entre la conception unilatérale
des pays en voie de développement cherchant à utiliser le principe de souveraineté
permanente sur leurs ressources naturelles comme instrument de redistribution des
richesses à l'échelle internationale, et celle des pays développés qui estiment qu'il
n'y a pas d'investissement international possible sans une protection large et
effective des intérêts des investisseurs. L'arrêt de la Cour n'ouvre pas la voie au
développement de cette protection et ainsi constitue une menace pour le
développement à venir des investissements privés.
Le refus par la Cour d'envisager une protection directe des actionnaires par
leur Etat national oblige à reconsidérer l'ensemble du régime juridique des
investissements internationaux privés.
— Les accords bilatéraux entre l'Etat national de l'investisseur et l'Etat d'accueil
demeurent évidemment possibles. Encore faut-il, si l'investisseur est une société
privée que soit défini de façon indiscutable le critère de rattachement — contrôle
effectif, incorporation, siège social... — Par ailleurs le problème des sociétés «
multinationales» n'est pas résolu; en effet, un accord bilatéral entre Etats ne saurait,
compte tenu de la jurisprudence de la Cour garantir de façon satisfaisante les
intérêts des actionnaires de nationalité différente.
— Le système d'arbitrage prévu par la Convention B.I.R.D. de 1964 assure une
protection effective des investisseurs, mais à la condition que tous les Etats nationaux
desdits investisseurs soient partie à la Convention. Les actionnaires de sociétés
«multinationales» n'échappent donc pas totalement à l'arbitraire d'une décision
étatique unilatérale.
— Reste la négociation directe entre l'Etat d'accueil de l'investissement et le
groupe multinational investisseur. Mais le risque est alors grand pour les Etats
pauvres ou faibles de devoir se plier aux conditions des grands cartels internationaux
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 653
(tel le cartel pétrolier) qui devant investir avec de très gros risques feront payer plus
cher l'incertitude de leurs gains.
On peut vraiment se demander si les juges de La Haye voulant «moraliser»
le régime juridique des investissements privés ont bien servi la cause du
développement économique international.
privés dans les pays du tiers-monde, mais la création d'une Agence internationale
d'assurance des investissements soulève des problèmes difficiles dont les
Administrateurs de la Banque devront poursuivre l'examen.
Des études ont été entreprises dans des cadres divers dans la perspective de la
préparation de la deuxième décennie du développement, rapport Pearson commandé
par la B.I.R.D. et rendu public en septembre 1969 (81) ; rapport Jackson intitulé
économique autonome. Ceci ne veut pas dire que, au cours des vingt dernières
années, l'assistance financière du monde industrialisé n'ait pas contribué de façon
très sensible au progrès des pays en voie de développement. Cet apport financier
extérieur n'a représenté en fait qu'une faible fraction du revenu total des pays
peu favorisés — environ 1 %; mais à bien des égards, il s'est révélé d'une importance
cruciale, permettant de financer environ 10 % des investissements des pays en voie
de développement, c'est-à-dire la marge nécessaire pour conserver une confortable
avance sur la croissance démographique au lieu de se maintenir tout juste à flot (87) .
Pourtant la corrélation entre le volume de l'aide reçue au cours des dernières
décennies et la croissance enregistrée sont difficiles à mettre en évidence; l'aide
extérieure sert dans une proportion importante au financement des importations
et pas seulement à la réalisation d'investissements productifs; elle n'est, en second
lieu, qu'une des composantes du flux des ressources extérieures, beaucoup surtout
parmi les plus avancés des pays en voie de développement, bénéficiant d'importants
apports de capitaux privés; enfin la croissance du tiers-monde a profondément
souffert des ponctions de devises nécessitées par le service de la dette.
L'ensemble des ressources fournies par les pays industrialisés non communistes
aux pays peu développés et aux institutions multilatérales relève de trois catégories
distinctes (88) :
1°) Aide publique au développement, composée de fonds que les Etats fournissent
à des conditions exceptionnellement favorables pour favoriser le développement
économique et social des pays en voie de développement; c'est cette catégorie
de ressources que l'on qualifie généralement d'«aide»;
2°) Autres apports de fonds publics dont certains peuvent comporter un élément
de don, comprenant les crédits publics à l'exportation, le montant net des
souscriptions par les Etats d'obligations, de titres d'emprunts, les participations
aux institutions mutilatérales;
3°) Apports privés, comprenant des investissements directs, les investissements de
portefeuille et les crédits privés à l'exportation à échéance de plus d'un an.
Les chiffres globaux témoignent d'une augmentation rapide entre 1950 et 1968 du
montant total des ressources financières mises à la disposition des pays pauvres,
toutefois, cette augmentation globale des flux recouvre des tendances bien
différentes selon les catégories de ressources. L'aide publique au développement a
augmenté très rapidement jusqu'en 1961; elle est ensuite demeurée stationnaire et
a même diminué en 1968. Par contre, le courant de ressources privées après être
demeuré relativement stable jusqu'en 1963, a rapidement augmenté depuis. En ce qui
concerne la composition de l'assistance extérieure, la proportion des subventions et
contributions assimilables à des dons a baissé tandis que celle des prêts augmentait;
les conditions auxquelles les prêts sont consentis ont été quelque peu assouplies
s'agissant des prêts au titre de l'aide publique au développement, mais elles sont
devenues plus rigoureuses pour les prêts au titre des autres apports de fonds
publics (89).
Le service de la dette constitue pour l'économie des pays en voie de
développement une charge énorme et en voie de constante aggravation. En juin 1968, la
(87) Ibid., p. 77 et s.
(88) Ibid., p. 189 et s.
(89) A titre indicatif, les conditions de prêts pratiquées par les principaux organismes
multilatéraux ont été les suivantes en 1969 :
Intérêts Echéances Période de grâce
B.I.R.D 7 % 25 ans 5 ans
C.A.D 3 % 25 ans 5 ans
I.D.A 0,75% 50 ans 10 ans
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 657
dette globale inscrite s'élevait à 47,5 milliards de dollars; au cours des années 1960, la
dette publique extérieure des pays en voie de développement s'est accrue d'environ
14 % par an et le montant des paiements — remboursements et intérêts — de 17 %
par an. Les perspectives d'avenir sont fonction de l'évolution des conditions de prêt
et d'une modification éventuelle de la proportion respective de dons et de prêts :
si rien n'est changé à la situation actuelle, on observera aux environs de 1977 un
important transfert net des régions en voie de développement vers les pays
industrialisés; si le montant des prêts nouveaux augmente au rythme de 8 % par an, soit
un peu plus. vite qu'au cours des années 1960, sans que leur composition change,
l'apport d'argent frais ne sera pas complètement absorbé par l'accroissement du
service de la dette qui, en 1977, aura cependant doublé par rapport au chiffre de
1967. En pratique, on observe une stagnation de l'aide publique au développement
depuis 1968, aide publique dont les conditions deviennent de plus en plus rigoureuses
dans la mesure où il ne reste plus que 16 % de l'aide publique à n'être pas liés à
des achats dans les pays apporteurs de capitaux.
Cette inquiétante évolution est longuement soulignée dans le rapport de la
commission qui devient au contraire plus évasif lorsqu'il s'agit d'étayer d'arguments
logiques les solutions qu'il propose et qui, d'ailleurs, sont en général insuffisamment
précises pour servir de directives opérationnelles (90). La Commission recommande,
par exemple, de mettre fin au gaspillage, d'alléger les procédures d'octroi de l'aide;
elle souligne la nécessité d'une certaine continuité de la part du pays apporteur et
d'une programmation plus précise du côté des utilisateurs. Mais les organismes
internationaux et les responsables nationaux des politiques d'aide et de
développement n'ont que faire de ces bonnes paroles. Par ailleurs, la commission paraît
sous-estimer la complexité du problème de la détermination de critères pour
l'allocation de l'aide qu'elle voudrait lier aux « performances » du pays aidé; en
réalité, les choses ne sont pas si simples, les efforts et les résultats difficilement
évaluables dans l'immédiat, ce qui multiplie les politiques alternatives bien au-delà
de ce que paraît envisager le rapport. Enfin, la commission affirme que le coût de
l'aide pour le pays qui l'apporte est souvent « considérablement exagéré »; mais
elle ne fournit aucun ordre de grandeur de cette exagération ni aucun élément
d'explication d'une semblable attitude.
Au niveau des recommandations, le seul point nouveau et précis du rapport
Pearson est l'affirmation que le fameux objectif d'un volume d'aide égal à 1 % du
P.N.B. des pays développés, objectif dont il est question depuis 1960(91), devrait
être atteint à une date précise, de préférence en 1975, et en tout cas pas après 1980;
dans ce 1 %, le montant de l'aide publique au développement devrait, selon l'opinion
de la Commission, atteindre au moins 0,70%, c'est-à-dire plus des deux tiers de
l'aide globale. Cette recommandation du rapport Pearson est devenue, on y
reviendra, l'un des points essentiels et chaudement discuté de la nouvelle stratégie
du développement.
2. — Sir Robert Jackson avait à l'origine un mandat plus clairement défini que
la Commission d'étude du développement international, mandat auquel il est resté
plus rigoureusement fidèle. Le problème posé était celui de l'évaluation de la
(90) Cf. Un point de vue très critique sur le rapport Pearson, exprimé par P.B. W. R.,
« Partners in development — a critique », Journal of World Trade Law, 1970, p. 255 et s.
(91) Cf. Rapport Pearson, édition française, op. cit., p. 200. En 1960, l'Assemblée générale
des Nations Unies a adopté une résolution à cet effet. Lors de sa première réunion en 1964,
la C.N.U.C.E.D. a développé cette idée qui a été appuyée par le C.A.D. L'ironie de la chose
est que le montant total du courant des ressources a été en réalité de plus de 1 % de la
somme des revenus nationaux pendant les cinq années qui ont précédé l'adoption de cet
objectif par le CAD. et que, depuis lors, cet objectif n'a jamais été atteint ».
42
658 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
capacité du système des Nations Unies — Programme des Nations Unies pour le
Développement et autres . institutions spécialisées : F.A.O., U.N.E.S.C.O., O J.T.,
O.M.S., aussi bien que O.N.U.D.I., C.N.U.C.E.D. et commissions économiques
régionales — à mener, dans les pays en voie de développement, des activités
opérationnelles dans le domaine de l'assistance technique et du pré-investissement. Mais
l'assistance multilatérale au développement constitue un tout dans lequel il s'est
avéré très difficile d'isoler le seul aspect institutionnel, si bien que le rapport
Jackson en est arrivé finalement à proposer une stratégie d'ensemble visant à
réaliser, dans le cadre de l'O .N.U. et de ses satellites, une meilleure coordination et
une plus grande efficacité du système multilatéral d'assistance (92).
L'aide multilatérale représente actuellement environ 15 % du total de l'apport
financier des pays développés non communistes aux pays en voie de développement.
Les deux tiers environ de cette aide multilatérale reposent sur une base
conventionnelle. L'apport du système des Nations Unies ne représente donc que 5 % du volume
total des capitaux apportés par les pays membres de TO.CJD.E. aux pays en voie
de développement. Mais si l'apport financier du système des Nations Unies est
médiocre en pourcentage, il a crû régulièrement au cours de la dernière décennie —
de 8 % de l'apport financier global au tiers-monde en 1950 à 10,5 % en 1968 — et
ce qui importe plus que les chiffres du passé, ce sont les perspectives du
développement futur. Sur le plan politique, la préférence des pays en voie de développement
pour l'aide multilatérale est bien connue, et c'est la raison pour laquelle la
Commission Pearson a recommandé que la part de ce type d'aide soit doublée d'ici
1975 afin d'atteindre 20 % du volume global de l'aide. Il reste à se demander si, sur
le plan technique, l'aide multilatérale du type de celle qui distribue le système des
Nations Unies est véritablement la plus efficace, la plus apte à promouvoir dans les
meilleures conditions le développement économique des pays aidés. Tel est le
problème très clairement posé par Sir Robert Jackson en introduction à son rapport :
il envisage de mesurer avec le maximum d'objectivité l'efficacité du système des
Nations Unies en faisant abstraction de toutes considérations politiques a priori en
faveur de l'aide multilatérale. Le résultat est un rapport de 600 pages divisé en deux
volumes et cinq parties; cette présentation n'est pas, parfaite; elle engendre
d'inévitables redites entre la première partie (Vol. I) qui est un résumé souvent par trop
allusif des principales conclusions et recommandations et peut-être considéré
comme trop élémentaire, et les autres parties (Vol. II) dont, au contraire, la
monumentale substance risque de décourager le lecteur; plus court et mieux construit, le
rapport aurait gagné en vigueur. Mais la plus grande qualité de cette étude réside
dans le ton radicalement critique qu'elle adopte à l'égard d'un système dont
beaucoup s'accordent à reconnaître la lourdeur et la faible efficacité que, loin de vouloir
détruire, Sir Robert Jackson entend au contraire rénover.
L'étude sur la capacité commence par un recensement méthodique des défauts du
système, de tout ce qui entrave son efficacité à chacune des phases des programmes
d'assistance technique ou de pré-investissement. Sont ainsi dénoncés : l'absence de
coordination entre les projets, de vision à long terme, d'étude sérieuse des
besoins propres du pays aidé; le défaut d'autorité du représentant résident du
P.N.U.D. au niveau local, son manque de moyens administratifs, les doubles-emplois
avec l'action menée par d'autres organismes multilatéraux d'assistance; la lenteur
dans l'exécution des programmes — jusqu'à dix ans pour un simple projet de
préinvestissement — et l'absence de souplesse d'adaptation pendant cette longue période
d'exécution au cours de laquelle les conditions évoluent nécessairement. Sir Robert
(92) Pour un jugement fort nuancé sur ce rapport, Cf. Dharam P. Ghai, « The United
States capacity study — An evaluation of the Jackson Report », Journal of World Trade Law,
1970, p. 245.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 659
(93) En étroite liaison avec le cycle de coopération des Nations Unies pour le
développement, trois grands types d'information sont prévus :
a) information technique et scientifique,
b) information économique et sociale,
c) information opérationnelle et administrative.
Cf. Etude de la capacité du syst. des N.U., Vol. I, p. 35.
(94) Les recommandations du Rapport Jackson ont directement inspiré le Conseil
Economique et Social des Nations Unies qui, lors de sa 49« session tenue à Genève en juillet 1970,
a recommandé la création d'un corps international de volontaires pour le développement dont
le financement serait assuré sur la base de contributions volontaires gérées par le budget
P.N.U.D.
Cf. Doc. ECOSOC E/4790, 14 avril 1970, Possibilité de création d'un corps international de
volontaires pour le développement. Rapport du Secrétaire général.
660 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
intelligente des défaillances actuelles du système des Nations Unies, elles ouvrent
d'utiles perspectives au seuil de la deuxième décennie pour le développement. On
pourrait leur reprocher de ne pas aller assez loin, de se limiter à l'assistance
multilatérale et au système des Nations Unies, alors que la coopération internationale
au service du développement constitue un tout dans lequel justement le système
des Nations Unies ne représente qu'une . faible part, alors que les problèmes de
coordination avec l'action de la Banque mondiale, avec l'assistance bilatérale se
posent, d'une manière cruciale pour l'avenir de la coopération internationale. Mais
,tel était le mandat confié à Sir Robert Jackson et qu'il a effectivement rempli en
proposant des remèdes précis dans un domaine déterminé. Rien n'interdit aux
institutions intéressées de poursuivre ce travail très positif en l'étendant à l'ensemble
du domaine de l'aide au développement.
3. — Dans ce même esprit de révision complète du mécanisme des Nations Unies
afin d'en supprimer les branches mortes et de le mettre à même de collaborer plus
efficacement à la deuxième Décennie du développement qu'à la première, une
importante documentation a été rassemblée à TO.N.U. au cours de l'année écoulée,
notamment par le Conseil Economique et Social. Il convient de signaler
particulièrement le rapport élaboré par le Comité de planification du développement, placé
sous la présidence de M. Jean Tinbergen lors de sa sixième session tenue à New
York du 5 au 15 janvier 1970.
Le Comité devait, à la demande de l'Assemblée générale des Nations Unies et du
Conseil Economique et Social, élaborer à partir d'abondants travaux préparatoires
des directives et des propositions relatives à la deuxième Décennie du développement.
Si l'on a pu juger le rapport Jackson trop limité dans ses perspectives
institutionnelles, le rapport Pearson trop ambitieux par rapport au mandat initial de la
Commission d'étude du développement international, le travail du Comité de
planification du développement représente un moyen terme très concret. La perspective
adoptée est résolument économique, mais tous les aspects, toutes les implications
d'une politique internationale de développement sont successivement abordés. Le
rapport, relativement bref — une cinquantaine de pages au demeurant fort denses —
s'articule en trois parties essentielles :
1°) Examen des objectifs fondamentaux du développement de leur compatibilité et
de leur ordre de priorité;
2°) Moyens et mesures à prendre sur le plan national;
3°) Moyens et mesures de caractère international dans les deux domaines du
commerce international, d'une part, de l'assistance extérieure, financière et
technique, d'autre part.
Au chapitre de l'assistance financière extérieure (95), le rapport du Comité de
planification comporte un certain nombre de recommandations originales, au moins
dans leurs modalités de détail, à l'intention plus particulière des pays développés à
économie de marché, acceptant de réserver le cas des pays à économie planifiée
tout en souhaitant un apport considérable de leur part au cours de la deuxième
décennie. La première proposition concerne l'établissement d'une contribution
mondiale de solidarité qui serait assise sur la consommation d'un nombre limité de
biens dont la possession caractérise l'accès à un niveau de vie relativement élevé :
le taux serait bas — de l'ordre de 0,5 % — , la contribution perçue par
l'administration fiscale de chaque pays et les gouvernements auraient la possibilité d'en
déterminer l'affectation à condition qu'elle serve d'une manière quelconque au
financement du développement international.
(95) Comité de planification du développement. Rapport sur la sixième session, op. cit.,
p. 29 et s.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 661
Afin d'être complet, il faudrait ajouter à ces diverses études menées dans le
cadre d'organismes internationaux les diverses tentatives nationales de réexamen
des politiques d'aide, qui abordent les problèmes de l'assistance financière au
tiers-monde. En France, un «groupe de sages» placé sous la présidence de
M. Georges Gorse, a été officiellement chargé en mai 1970 d'étudier les problèmes
de la coopération internationale et de l'aide au développement dans la perspective
du VIe plan (96). La prise en considération dans la planification nationale des
problèmes et des moyens de l'aide au tiers-monde constitue une innovation
importante par rapport au Vf plan; la Commission Gorse devrait disposer de la
plus large liberté d'action pour travailler en liaison avec toutes les administrations
concernées et entrer en contact avec des personnalités privées. Mais le rapport des
« sages » n'a pas encore été déposé et il reste à savoir le sort qui sera réservé à ses
conclusions.
Aux Etats-Unis, une démarche analogue avait été entreprise quelques mois
plus tôt. Le 24 septembre 1969, le Président Nixon décidait de confier à une
Commission indépendante d'experts, spécialement créée à cet effet, la mission
d'examiner l'ensemble des aspects de la politique américaine d'assistance aux pays en voie
de développement au cours des années 1970. Ce « Comité de développement
international», placé sous la présidence de Rudolph A. Peterson, président de la Bank
of America, et formé à peu près pour moitié d'universitaires et de chercheurs et
pour moitié de personnalités engagées dans la vie des affaires, a déposé son rapport
le 4 mars 1970 (97) . Les conclusions ont très directement inspiré le message du
Président Nixon sur l'aide à l'étranger adressé au Congrès le 15 septembre 1970; ce
message définit une orientation malthusienne fondamentalement nouvelle de la
politique américaine, orientation qui fait peser une menace très grave sur l'ensemble
de la stratégie du développement au seuil de la deuxième décennie.
(96) Le < groupe des sages » qui a été officiellement installé le 11 mai 1970, comprend,
outre M. George Gorse, président, MM. Pierre Dehaye, Pierre Massé, Robert Marjolin et Jean
Ripert, le général Cazelles chargé des questions militaires; le rapporteur général est M. Jean
Bonnet, conseiller à la Cour des Comptes.
(97) Report to the President of the United States, from the task force an international
development.
« U.S. foreign assistance in the 1970's : a new approach », March 4, 1970. Washington D.C.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 663
principaux artisans possibles d'une aide financière importante aux pays en voie de
développement.
1. — Le message du Président Nixon au Congrès du 15 septembre 1970 promet
une « transformation majeure » des "programmes américains d'aide à l'étranger "pour
les années 1970. A vrai dire, cette « transformation majeure » consiste en un
certain nombre d'options proposées au Congrès, gravement malthusiennes en ce qui
concerne le volume de l'aide, alors que la qualité de l'assistance financière des E.U.
au tiers-monde devrait y gagner; mais on est en droit de se demander quel est le
sens et la portée de cette amélioration qualitative qui ne coïncidera avec aucun
effort pour renverser la tendance, sensible au cours des dernières années, à la
réduction du volume de l'aide américaine (98) .
L'objectif de» la politique américaine est exposé par le Président Nixon avec un
réalisme presque cynique bien différent du style habituellement pratiqué dans les
instances internationales. L'aide à l'étranger constitue, pour les E.U., un moyen
d'aider les autres pays à réaliser leurs aspirations à la justice, à la dignité et à une vie
meilleure, qui sont les conditions d'une paix durable; le Président conclut néanmoins
son message en ces termes : « L'intérêt que nous portons au développement
international à long terme doit être considéré dans le contexte de sa contribution à notre
propre sécurité». Dans cette perspective, le but est de rentabiliser au maximum,
par une politique de qualité, une aide dont le volume ne saurait s'accroître au-delà
de ce qu'autorisent les divers engagements internationaux des E.U. et les difficultés
actuelles de ce pays sur le plan interne.
En ce qui concerne le volume de l'aide, le rapport Pearson proposait des
chiffres précis avec des échéances, afin de renverser, d'ici 1972 ou 1975, la tendance
à la réduction progressive des contributions américaines au processus de
développement. Le message présidentiel au Congrès ne reprend aucun de ces chiffres; il
exclut expressément toute idée de prédétermination d'un niveau annuel d'aide pour
une période donnée et recommande au contraire que la contribution publique des
E.U. soit réévaluée chaque année en fonction, d'une part, .des besoins et des
réalisations de chaque pays en voie de développement et d'autre part, des capacités
(98) Les Etats-Unis ont, dès 1950, adopté une loi sur le développement international qui
définissait en ces termes l'objectif de leur politique d'aide : « soutenir les efforts déployés par
les régions économiquement sous-développées pour mettre leurs ressources en valeur et
améliorer leurs conditions d'existence ». En 1955, les transferts des E.U. aux pays en voie de
développement s'élevaient, au titre des transactions officielles, à environ 2 milliards de dollars
par an, dont près des trois quarts sous forme de dons. La majeure partie de ces apports
consistait en soutien budgétaire pour leurs alliés politiques, en produits alimentaires
excédentaires et en crédits à l'exportation. En 1957, après des débats approfondis, il s'est dégagé une
sorte de doctrine de l'aide selon laquelle l'aide extérieure devait avoir pour rôle primordial de
contribuer à créer dans les pays sous-développés des conditions permettant la croissance
autonome de leur économie dans une société démocratique stable. Cette doctrine s'est traduite
dans les années suivantes par une augmentation importante du nombre des prêts consentis à
des conditions favorables aux fins du développement à long terme, par la réduction des
subventions de caractère politique, par la réorganisation de l'administration de l'aide à l'étranger
et par la création de l'Alliance pour le progrès. Le montant net des ressources transférées au
titre de l'aide publique au développement a augmenté régulièrement pour atteindre 3,6
milliards de dollars en 1963. Depuis lors, le montant des versements est retombé : 3,3 milliards
de dollars en 1968, dont environ 1,1 milliard sous forme de produits alimentaires. Les crédits
ouverts pour l'assistance économique autre que l'aide alimentaire, après avoir atteint un
maximum de 2,6 milliards de dollars en 1961, sont retombés à 1,4 milliard pour l'exercice 1969.
Les E.U. restent malgré tout de loin la source la plus importante d'aide et d'investissements.
A l'apogée du Plan Marshall, l'aide américaine à l'étranger avait dépassé 2 % du P.N.B.;
vers 1955, elle représentait environ 0,84 % ; depuis lors cette proportion n'a cessé de décliner :
0,75 % en 1960, 0,69 % en 1967, 0,65 % en 1968; dans ce pourcentage, l'aide publique au
développement représentait en 1968 0,38 %.
Cf. Rapport Pearson, édition française, op. cit., pp. 191, 201.
664 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
(99) Pourtant, en pratique, les E.U. ont joué un rôle important au sein du consortium qui,
fonctionnant sous l'égide de la B.I.R.D. a examiné le problème de l'endettement de l'Indonésie.
A rencontre de la position française d'orthodoxie financière, les E.U. ont fait prévaloir une
solution d'allégement du type de celle préconisée par M. McNamara dans son discours de
septembre 1969 au Conseil des gouverneurs de la B.I.R.D.
En avril 1970, un certain nombre de pays créanciers ont conclu un important accord à
long terme avec l'Indonésie. Il a été de réaménager le calendrier des versements de près
de 900 millions de dollars de la dette extérieure non amortie au 1er juillet 1966. Le principal
sera remboursé en tranches égales pendant trente années à partir de 1970. Aucun nouvel
intérêt ne sera versé pendant la période de moratoire sur les paiements réaménagés du
principal et l'intérêt de la dette ne sera pas payé avant la seconde moitié de la période de
remboursement. Cet accord a été encore assoupli par une clause qui prévoit que l'Indonésie pourra,
si elle le juge utile, différer une partie des remboursements de principal dus pendant les huit
premières années. Un allégement de cette ampleur de la dette multilatérale extérieure devrait
permettre à l'Indonésie de sortir d'une longue période de marasme économique. Il s'agit d'un
accord très particulier tenant compte de la situation indonésienne particulièrement grave et
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 665
n'envisagent pas d'accroître le montant des dons dans l'aide publique, bien au
contraire, puisque l'accent est mis sur l'aptitude croissante des pays en voie de
développement à réaliser des investissements productifs et à rémunérer
correctement les capitaux publics et privés venus de l'extérieur.
Le message présidentiel insiste encore sur la nécessité de favoriser les
investissements privés américains à l'étranger en améliorant le système national de ces
investissements puisque les projets de systèmes internationaux de garantie
périodiquement annoncés par la Banque mondiale ou d'autres organismes financiers
internationaux et qui seraient certainement plus efficaces, paraissent encore fort éloignés
d'aboutir.
Enfin et comme pour compenser la position malthusienne adoptée à propos du
niveau de l'aide américaine, le Président revient sur une idée déjà évoquée par lui
et reprise par le Comité de planification du Conseil Economique et Social des
Nations Unies, celle d'affecter des bénéfices provenant de l'exploitation des
richesses des fonds marins au financement de l'aide au développement. Mais il s'agit là
d'un projet à longue échéance dont les pays en voie de développement ne sauraient
tirer d'avantages immédiats. Il ne suffit pas à diminuer l'inquiétude du tiers-monde
au seuil de la deuxième Décennie.
2. — La réunion annuelle des 14 et 15 septembre 1970 à Tokyo du Comité d'aide
au développement (CAD.) de VO.C.D.E. a coïncidé avec l'ouverture de la 25* session
de l'Assemblée générale des Nations Unies. A ce titre cette réunion de représentants
de pays industrialisés qui fournissent à eux seuls plus de 95 % de l'aide aux pays
en voie de développement revêtait une importance particulière. Les divers aspects
du financement du développement ont été abordés mais sur les deux problèmes qui
ont fait l'objet des discussions les plus serrées — l'objectif de 1 % du P.N.B. et
l'aide liée — les 17 délégations n'ont pas abouti à un véritable accord en vue
d'une politique commune; ils ont simplement défini un certain nombre d'orientations
dont la mise en œuvre effectuée suppose encore de patients ajustements.
En ce qui concerne le volume de l'aide, M. Edwin Martin, président du Comité,
a proposé dans son rapport l'objectif suivant qui avait déjà été avancé l'année
précédente : les pays développés doivent consacrer 1 % de leur P.NJB. à l'aide au
développement; la part de l'aide publique devrait atteindre 0,70% du P.N.B. d'ici
1975, et par aide publique, il faut entendre non pas tous les transferts de source
publique vers les pays en voie de développement mais seulement les transferts qui
sont consentis à des conditions financières généreuses et dont l'objet est de
promouvoir le développement économique du pays destinataire.
Si l'on excepte les E.U., l'objectif de 1% ne représenta pas une norme
inaccessible pour l'ensemble des autres pays membres du CAD. En 1969, il a été atteint
ou dépassé par six pays : la Belgique, la France, l'Italie, les Pays-Bas, la R.F.A. et
le Royaume-Uni (100). A Tokyo, trois autres pays ont déclaré leur intention de
réaliser cet objectif à une date approchée : la Suède en 1972-73, la Norvège en
1974, le Japon en 1975. Mais à part encore une fois les E.U., le total des contributions
publiques et privées des pays membres du C.A.D. a représenté en 1969 0,97 % de
l'ensemble de leur P.N.B.
Les E.U. restent néanmoins la source d'apports financiers la plus impor-
qui ne saurait être considéré comme un précédent susceptible de généralisation à tous les
pays en voie de développement endettés à l'égard de l'extérieur.
(Cf. Banque mondiale — Association internationale de développement — Rapport annuel,
1970, p. 59).
(100) La Suisse qui avait largement dépassé l'objectif de 1 % en 1968, est revenue à 0,64 %
en 1969 par suite d'un fléchissement important du volume des apports du secteur privé.
666 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
tante bien que leur part dans le total du CA.D. ait diminué; sur un montant global
de 13,3 milliards en 1969, ils ont assuré 36 % des apports (44 % en 1968) . Et comme
les E.U., avec un revenu par habitant le plus élevé du monde, et un P.N.B.
représentant 52 % du P.N.B. total des pays membres du C.A.D., consacrent la plus faible
part à l'aide à l'étranger — 0,66 % du P.N.B. en 1968, 0,49 % en 1969 — la moyenne
du C.A.D. s'en ressent nécessairement et s'éloigne d'autant de l'objectif de 1 % :
globalement l'effort financier des pays membres du C.A.D. n'a représenté en 1969
que 0,72 % de leur P.N.B. cumulé, alors qu'il était de 0,89 % en 1960 et les E.U. sont
les principaux responsables de cette régression relative (101). On sait qu'il y a
peu de chances de voir évoluer cette situation au cours des années prochaines,
car l'administration Nixon a clairement manifesté son hostilité à l'égard de tout
engagement quant au volume de l'aide prenant la forme d'un pourcentage préfixé
du P.N.B.
On a également discuté à Tokyo du montant de l'aide publique davantage
appréciée des pays en voie de développement parce que, souvent, assortie de
conditions plus favorables. En ce domaine, l'effort consenti par les divers
membres du C.A.D. varie considérablement : à titre d'exemple, la France a consacré en
1969 0,69 % de son P.N.B. à l'aide publique, suivie de près par le Portugal (0,68 %),
la Suisse seulement 0,16 %, le Japon 0,26 %, les E.U. 0,33 %. Certains pays seraient
favorables à l'objectif de 0,70 % du P.N.B. consacré à l'aide publique en 1975,
■
d'autres préféreraient un objectif plus modeste (0,60%) réalisé plus tôt (1963). Mais
en ce qui concerne tant ce pourcentage de l'aide publique que l'objectif global de
1 %, la réunion de Tokyo ne pouvait prendre aucune décision définitive alors que,
d'une part, l'Assemblée générale des Nations Unies n'avait pas encore rendu
publique la déclaration sur la stratégie du développement pour la deuxième décennie,
alors, d'autre part, que presque tous les pays membres du C.A.D. ont entrepris,
depuis la fin de 1969, une révision d'ensemble de leur politique à l'égard des pays
en voie de développement : il faut attendre que les examens de conscience
aboutissent en souhaitant qu'ils ne prennent pas tous la tournure malthusienne du rapport
Pearson aux E.U.
La deuxième grande question discutée à Tokyo a été celle de l'aide liée. Les
dix-sept délégations réunies à Tokyo sont arrivées sur ce point à un résultat
plus positif qu'à propos du volume de l'aide, mais il restera encore beaucoup à faire
entre ce premier pas dans la voie du « déliement » et . l'affranchissement complet
des pays aidés à l'égard de toute contrainte d'achat imposée par le pays donateur qui
est, souvent aussi, un ancien colonisateur.
En l'état actuel des choses, l'aide liée des pays membres de l'O.C.D.E., qui est
exclusivement une aide publique, est, pour une part, distribuée par la voie des
institutions multilatérales, pour une autre part, plus importante, elle entre dans le cadre
de l'exécution des accords bilatéraux d'assistance. La pratique de l'aide liée s'est
considérablement développée au cours des années 1960, alors que les pays
industrialisés se heurtaient à des difficultés croissantes pour équilibrer leur balance de
paiements; en corollaire, toute évolution inverse dans la voie du «déliement» se
trouvait abandonnée à une amélioration de la balance des paiements du pays
donateur. Or, en octobre 1969, le Président Nixon prenait l'importante initiative de
déclarer que tous les prêts consentis à l'Amérique latine seraient immédiatement
déliés; le rapport Pearson rendu public en mars 1970, proposait d'étendre cette
décision de «déliement» à tous les prêts bilatéraux américains. Dès lors, un
mouvement effectif dans la voie du déliement se trouvait amorcé, alors justement que
(101) En montant absolu l'aide est passée de 8,1 milliards de dollars en 1960 à 13,3
milliards de dollars en 1969.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 667
toutes les instances internationales qui s'étaient systématiquement penchées sur les
problèmes de l'aide au développement, dénonçaient abondamment dans leurs
rapports la nocivité de cette pratique.
Les membres du C.A.D., lors de leur réunion de septembre 1970, ont accepté
sans difficulté le principe suivant lequel leurs contributions aux institutions
multilatérales ne devaient pas être liées et leur montant devait être augmenté. Mais le
déliement de l'assistance bilatérale a fait l'objet de longues discussions pour aboutir
à un communiqué final dans lequel une large majorité des pays membres du CA.D.
«se sont déclarés pour la première fois prêts à adhérer à un accord de déliement
de leurs prêts financiers bilatéraux au développement». Mais la portée pratique de
cette déclaration se trouve atténuée par le fait qu'aucun accord n'a pu se réaliser
sur une date limite de réalisation effective de ce « déliement ». Aucun membre du
C.A.D., sauf peut-être la Suisse et les E.U., n'est disposé à procéder seul au «
déliement » de son aide.
C'est pourquoi il faudrait mettre au point les modalités précises d'un déliement
effectif. Les délégations réunies à Tokyo ont décidé d'entamer immédiatement au sein
du C.A.D. des études sur les conditions techniques de mise en œuvre de la
résolution, études dont le résultat sera soumis aux gouvernements intéressés. Tous les
membres du C.A.D., y compris la minorité qui refuse de s'engager sur le principe
du déliement, ont accepté ce programme d'étude, cela ne veut pas dire qu'on soit
prêt d'aboutir.
La France, par exemple, a tout lieu de redouter qu'un « déliement » trop rapide
et inconsidéré ne bouleverse tout son système de relation avec ses partenaires
d'Afrique francophone. Son porte-parole à Tokyo s'est vivement élevé contre une
condamnation sans réserve de l'aide liée, insistant sur le fait que pour le pays aidé,
ce qui importe surtout c'est le volume de l'aide et qu'une aide liée peut être gérée
d'excellentes façons dans la mesure où il y a concurrence entre les donateurs et où
les conditions de réemploi sont raisonnablement fixées et révisibles en fonction de
l'évolution des besoins du pays aidé. La France est évidemment bien placée pour
défendre ce point de vue, avec un volume d'aide parmi les plus élevés en
pourcentage du P.N.B. des conditions financières parmi les meilleures et une forte
proportion de dons dans l'aide publique (82 %) . Elle a obtenu finalement dans le
communiqué final des garanties l'assurant que sa situation particulière serait prise
en considération. Elle n'était d'ailleurs pas complètement isolée : un certain nombre
de pays parmi lesquels l'Angleterre, l'Australie, le Canada et l'Italie n'étaient pas
fâchés de voir freiner la hâte américaine alors qu'ils avaient eux-mêmes des
restrictions à apporter à un déliement trop rapide, dangereuse pour l'équilibre de leurs
finances extérieures. Il semble que les E.U., sachant leur dossier fort mauvais quant
au volume de l'aide, aient voulu désarmer la critique en prônant une politique
de qualité et en se faisant les champions du déliement au moment où s'ouvrait à la
fois la réunion annuelle du C.A.D., mais surtout la vingt- cinquième session de
l'Assemblée générale des Nations Unies qui allait définir la stratégie de la deuxième
décennie pour le développement.
3*. — Le 24 octobre 1970, la 25* session de l'Assemblée générale des Nations
Unies a, d'une part, proclamé officiellement la deuxième Décennie des Nations
Unies pour le développement, à dater du 1er janvier 1971, d'autre part adopté une
nouvelle stratégie internationale du développement pour cette décennie. Cette
nouvelle stratégie revêt la forme d'une déclaration d'une trentaine de pages, adoptée
à une séance plénière après examen par la Deuxième Commission (102). Après un
(103) Le taux de croissance moyen annuel réalisé au cours de la décennie 1960-70 a été
de 5 %; l'objectif de la deuxième Décennie serait un taux de croissance de 6 %.
(104) Rapport du Comité de planification du développement, op. cit., p. 32.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 669
ne sera pas liée », mais elle ajoute immédiatement qu'il ne sera pas possible de
délier l'aide dans tous les cas : les pays développés prendront progressivement les
mesures qu'ils pourront, tant pour réduire la part de leur aide liée que pour
atténuer les effets défavorables de cette pratique. On est bien loin de la
condamnation absolue de l'aide liée prononcée par la Commission Pearson ou le Comité de
planification du développement; l'Assemblée générale abordant ce problème après
la réunion à Tokyo des pays membres du C.A.D., savait qu'une condamnation sans
nuance serait dépourvue d'effectivité, compte tenu des divergences de points de vue
sur le problème du déliement et des difficultés de mise en œuvre (105) . Par ailleurs,
les pays socialistes pratiquent l'aide liée sur une échelle encore plus large que les
pays à économie de marché : une directive condamnant en termes définitifs cet aspect
essentiel de leur politique d'aide au développement serait restée pour eux lettre
morte.
A propos de l'endettement croissant des pays en voie de développement et des
crises que peut engendrer pour leur économie une pareille situation, les
propositions de la nouvelle stratégie sont remarquablement allusives. «Dans le cas où des
difficultés surgiront — déclare l'Assemblée générale — , les pays intéressés seront
prêts à les résoudre raisonnablement, dans le cadre d'une tribune appropriée et
avec la collaboration des institutions internationales intéressées, en ayant recours à
toute la gamme des méthodes possibles, y compris, si nécessaire, des mesures telles
que le réaménagement ou le refinancement des dettes existantes à des conditions
appropriées ». Il est ainsi fait allusion de façon voilée aux discussions non
institutionnalisées qui peuvent être menées sous l'égide de la B.I.R.D., dans le cadre de
consortium d'aide rassemblant les différents apporteurs d'aide bilatérale à un pays
donné (106); mais toute autre solution pouvant aboutir à un allégement ou à un
réaménagement de la dette extérieure d'un pays en voie de développement est
considérée comme également admissible. - Les recommandations de la Commission
Pearson étaient nettement plus exigeantes — éviter les réaménagements répétés, ne
pas dépasser à l'avenir un taux de 2 % sur une durée de 25 à 40 ans, avec délai de
grâce de 7 à 10 ans, etc.. — ; le Comité de planification du développement réclamait
lui aussi de façon beaucoup plus imperative les réaménagements nécessaires, ainsi
qu'une augmentation de la part des dons jusqu'à atteindre 80 % de l'aide publique en
JL975 : la nouvelle stratégie du développement ne fait pas même mention de cet aspect
de l'aide publique.
Reprenant une idée avancée par le Comité de planification, l'Assemblée générale
envisage dans le cadre de la nouvelle stratégie d'examiner sérieusement dès 1972
« la possibilité d'établir un lien entre l'attribution de nouveaux instruments de
réserve conformément au mécanisme des D.T.S. et l'octroi de crédits de
développement supplémentaires aux pays en voie de développement ». Rappelons que le Comité
de planification proposait qu'une partie du volume des réserves additionnelles
ouvertes aux pays développés au titre des D.T.S. soit fonction du volume de l'aide
qu'ils mettraient à la disposition des pays en voie de développement. Il faut donc
s'attendre à de nouveaux développements en ce sens au cours de la prochaine
-
Décennie.
Essentiellement œuvre de compromis, cette nouvelle stratégie du
développement risque de décevoir les pays en voie de développement plutôt que de heurter
les pays riches par d'excessives exigences. Il est encore trop tôt pour juger de ses
chances de succès; tout au plus peut-on s'interroger sur la véritable utilité d'un
texte aussi général, qui élude les problèmes les plus fondamentaux. Une fois de plus
se trouve confirmée l'observation suivant laquelle l'Assemblée générale constitue un
forum beaucoup trop vaste et beaucoup trop politisé pour qu'on puisse y mener des
discussions constructives dans l'ordre économique comme dans tout autre domaine.
(107) Cf. Vassil Vassilev, L'U.R.S.S. redoute la concurrence des pays du tiers-monde,
Le Monde, 29 novembre 1970.
(108) Nouvelles formes de coopération commerciale et économique entre les pays socialistes
d'Europe orientale et des pays en voie de développement, Etude présentée par l'Institut de
recherche sur l'économie du système socialiste mondial (Moscou), publiée sous l'égide de la
C.N.U.C.E.D., Genève 1970, doc. O.N.U. TD/B 1238/Rev.
672 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
de 1 % du P.N.B. est envisagé pour une aide incluant les transactions commerciales
et les apports de capitaux privés, alors que les transferts financiers des pays à
économie planifiée ne contiennent aucun équivalent de la catégorie des dividendes et
profits : il est donc difficile de trouver une base de comparaison valable. Néanmoins,
le Comité de planification du développement, dans son rapport de janvier 1970(109),
a insisté très justement sur le fait que si les pays à économie planifiée se trouvent
dans des conditions particulières, ils disposent d'une plus grande latitude que les
pays à économie de marché pour décider de la mobilisation et de l'affectation de
leurs ressources en vue de la réalisation d'objectifs acceptés; ils peuvent préférer
fournir une contribution plus importante sur le plan du commerce que sur celui de
la coopération financière, mais ce qui importe, c'est que leur effort soit comparable
à celui demandé aux pays industrialisés à économie de marché dans le cadre de la
deuxième Décennie. Or, le volume de l'aide des pays socialistes au tiers-monde
demeure extrêmement faible même si elle est concentrée sur un nombre limité de
pays principaux bénéficiaires, tels que l'Inde, la R.A.U., la Syrie, l'Algérie, la
Birmanie, l'Afghanistan (109 bis) . Les comparaisons avec l'aide apportée par le monde
occidental sont difficiles à mener dans le détail faute de sources statistiques sûres.
Néanmoins, on connaît la médiocrité de leur participation, 3 % seulement du
financement des programmes d'aide au développement des Nations Unies et encore sous
forme de devises non convertibles, ce qui oblige les pays aidés à utiliser les sommes
distribuées en achats dans les pays socialistes. Quant à l'aide bilatérale elle a
représenté en moyenne annuelle pour la période 1964-1968 un dixième de l'aide extérieure
fournie chaque année par les pays occidentaux (1 milliard de dollars contre 10,8
milliards de dollars) et sur ce montant d'1 milliard de dollars, 300 millions
seulement étaient destinés aux pays en voie de développement non communistes. En 1968,
l'assistance reçue par le tiers-monde fut pour 97 % d'origine occidentale pour 3 %
seulement d'origine communiste. Avec un P.N.B. qui est environ la moitié de celui
des E.U., l'Union Soviétique a apporté en moyenne aux pays en voie de
développement, de 1964 à 1968, une aide inférieure au 1/5 de l'aide américaine et pourtant
parmi les membres du C.A.D., les E.U. ne sont pas et de loin le pays dont le
•
dossier est le plus brillant en ce qui concerne le volume de l'aide en pourcentage
du P.N.B. Même si les perspectives d'avenir ne sont pas mauvaises — le montant
total des crédits commerciaux et gouvernementaux consentis par les pays membres
du C.A.E.M., s'étant accru de 10 % en 1969 et représentant 4,9 fois le volume des
crédits pour l'année 1962 (110) — les pays socialistes demeurent très loin des normes
définies par la déclaration sur la nouvelle stratégie du développement.
Médiocre en volume, l'aide du monde socialiste est originale dans ses modalités.
Ignorant pratiquement la formule du don, elle est formée à 98 ou 99 % de prêts
étroitement liés à des achats dans le pays donateur. D'un point de vue juridique,
les relations complexes de commerce et d'assistance s'établissent sur une base
strictement bilatérale : un classique traité de commerce et de navigation comportant
généralement la clause de la nation la plus favorisée fixe les principes généraux
des relations réciproques, sans engagement précis d'échange ou d'assistance
financière. Ensuite un accord commercial détermine la liste des produits qui seront
échangés et les modalités de paiement; lorsque l'accord est à long terme, il renvoie
à des protocoles annuels la définition exacte des catégories et des quantités de
marchandises qui seront échangées. Dans le cadre de ces accords, des contrats sont
(109) Rapport du Comité de la planification du développement, op. cit., p. 32-33.
(109 bis) Ainsi encore que le Tchad, voir accord de coopération de décembre 1968,
TD/B/238 rev. 1, cit. p. 20.
(110) Note sur le développement de la production et du commerce des produits de base
dans les pays membres du C.Â.E.M. et sur la contribution de ces pays à l'industrialisation des
pays en voie de développement, Conseil du Commerce et du développement, 5e session Genève,
Juillet 1970. Doc. O.N.U. TD/B CI/97, 9 juillet 1970.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 673
conclus entre les organismes des pays socialistes chargés du commerce extérieur et
les organismes ou sociétés commerciales correspondant dans les pays partenaires;
les prix des produits échangés — produits de base contre matériel d'équipement —
,
sont fixés par référence aux prix mondiaux après élimination des fluctuations à
court terme - et autres variations fortuites : ainsi se trouve garantie une certaine
stabilité des prix à des niveaux relativement proches de ceux des cours mondiaux.
Sur ces accords commerciaux qui, naguère, limitaient ■ les échanges à une stricte
équivalence, avec seulement une certaine souplesse dans le temps — accords à long
terme, octroi de crédits, etc. — viennent à présent se greffer de plus en plus
fréquemment des accords de coopération économique et technique, soit généraux,
portant sur plusieurs secteurs économiques, soit particuliers à un grand - projet
.
déterminé, tel l'accord U.R.S.S.-R.A.U. de 1958 pour la réalisation de la première
section du barrage d' Assouan. Là encore, dans le cadre de ces accords internationaux,
des contrats viennent déterminer au niveau des entreprises et organismes publics
concernés l'ampleur et le calendrier des livraisons de matériel, les travaux à
effectuer pour chaque projet, les conditions de concertation entre les partenaires et
les éventuelles sanctions pour non-exécution. Le cycle d'échange entre les deux pays
concernés s'établit sans aucun transfert de fonds; le pays industrialisé achète des
produits de base au pays en voie de développement pour des quantités, un montant
et une durée fixés par accords et contrats commerciaux; en échange de ses
exportations primaires, ce dernier reçoit des biens d'équipement, des licences, des
techniciens dans des conditions fixées par un accord de coopération technique et
économique. La souplesse nécessaire est assurée par l'octroi de crédits à long terme qui
permettent aux pays en voie de développement d'être assurés d'une réalisation sous
le coup des investissements prévus, même si leur production de biens primaires
destinés à l'exportation accuse certaines variations erratiques — fréquentes dans
le secteur agricole.
Par ailleurs, ces crédits à long terme permettent aux pays en voie de
développement de bénéficier d'investissements d'une valeur supérieure à celle de leurs
exportations actuelles de produits de base : en effet, depuis 1965, les investissements
sont principalement orientés vers la création d'entreprises susceptibles de travailler
pour l'exportation — sucreries, filatures de coton, métallurgie, enrichissement du
minerai de fer, traitement du pétrole, etc. — L'équilibre paraît donc correctement
assuré pour le présent; mais le problème, on l'a dit, se posera lorsque ces diverses
entreprises travaillant pour l'exportation deviendront opérationnelles, de savoir si
les pays socialistes auront besoin de produits élaborés venant concurrencer leur
production nationale. Dans l'hypothèse où la réponse serait négative, on ne voit pas
comment les pays en voie de développement réussiraient à rembourser leurs
emprunts à long terme, sauf réalisation entre-temps d'un système de multilatérali-
sation des paiements et de convertibilité au moins partielle des monnaies des pays
socialistes, ce qui est fort envisageable (111) .
La description de l'articulation d'ensemble du système montre à quel point pour
les pays socialistes industrialisés leur contribution au financement du
développement est liée à la réalisation d'échanges commerciaux déterminés. Par rapport à
l'aide liée occidentale, la marge de liberté laissée au pays assisté est encore plus
étroite; en effet, il n'y a pas de concurrence dans l'offre d'aide entre les pays
donateurs puisque la division internationale socialiste du travail conduit à une
43
674 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
répartition préalable des tâches entre les pays membres du C.A.E.M. (112) ; il n'y a
pas non plus de concurrence entre les produits d'équipement offerts sur le marché
intérieur du pays donateur puisque le système de planification nationale rigide
combinée avec des contrats d'achat et d'équipement extrêmement détaillés engendre
une prédétermination absolue des qualités, des prix et des quantités. Mais en l'espèce,
il serait irréaliste d'aborder le problème du déliement, dans la mesure où les pays
socialistes industrialisés font de la liaison entre la coopération • financière et
l'échange commercial un concept fondamental de leur politique économique à l'égard
du tiers-monde. Ils se maintiennent ainsi délibérément en marge des directives de
la nouvelle stratégie du développement, sans par ailleurs tirer argument du volume
de leur aide pour justifier l'hétérodoxie d'une semblable attitude.
Enfin, l'aide socialiste pose au même titre que l'aide occidentale le problème
de Yendettement des pays en voie de développement. Contrairement à une idée
très répandue, les conditions faites par les pays socialistes pour leurs crédits à long
terme ne sont pas particulièrement avantageuses pour leurs débiteurs. L'Union
Soviétique prête en moyenne à un taux de 2,8 % pour une durée de l'ordre de
15 années, les autres pays socialistes de l'Europe orientale ont progressivement réduit
leurs taux jusqu'à rejoindre celui de l'U.R.S.S. : ce sont là des conditions plus
généreuses que celles de la B.I.R.D., mais du même ordre de grandeur que la
moyenne des pays membres du CAD. Dans la mesure où les pays en voie de
développement rencontreront des difficultés à écouler des quantités croissantes soit
de produits primaires, soit de produits manufacturés ou semi-finis vers les pays
socialistes, ils auront beaucoup de peine à faire face à leurs emprunts en monnaies
non convertibles. Or, les pays socialistes ne paraissent à l'heure actuelle envisager
aucune solution d'allégement ou de réaménagement; leur hostilité à la pratique du
don supprime d'ailleurs une solution simple de conversion d'emprunts à long terme
devenus trop lourds. .
Bien que les échanges commerciaux entre les pays socialistes et les pays en voie
de développement croissent de façon régulière et importante depuis quelques années,
bien qu'un effort important soit fait dans le domaine du financement des
investissements, ou peut-être à cause de cet essor, il semble que les mécanismes pratiqués
jusqu'à présent par les pays socialistes soient arrivés assez près d'un point de
blocage. Un certain volume d'aide, une certaine intensité de relations commerciales
nord-sud ne pourront pas être dépassés si des solutions ne sont pas trouvées pour
assouplir l'aide, sinon la délier complètement, pour rompre le principe de rigoureuse
équivalence des avantages, pour régler le problème de la dette des pays en voie de
développement, pour multilatéraliser les paiements. La deuxième décennie pourrait
être l'occasion de procéder à une complète révision de la politique socialiste d'aide au
développement, mais l'initiative ne saurait venir ni de la C.N.U.C.E.D., ni des Nations
Unies : c'est aux pays socialistes industrialisés qu'il appartient de prendre conscience
de ce problème.
(112) Depuis 1960, la Chine discrédite l'aide soviétique et la concurrence en sous main en
faisant de la surenchère; elle propose des crédits à long terme sans intérêt, une aide financière
non liée à des achats commerciaux et l'envoi gratuit de techniciens. Cette aide fort avantageuse
est bien accueillie par les pays en voie de développement d'Asie, d'Afrique et d'Amérique
latine qui ne répugnent pas beaucoup plus à accepter l'aide des pays socialistes d'Europe
orientale ou bien des pays membres du C.A.D.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 675
MONNAIE
(113) Affaires jointes 6 et 11/69. Rec, Vol. XV-6.523. Voir A.F.D.I., 1968, p. 579 et A.F.D.I.,
pp. 303-304.
(114) Voir sur ce point, A.F.D.I., 1969, pp. 650-651.
(115) Voir A.F.D.I., 1968, pp. 598-599.
(116) The role of exchange rates in the adjustment of international payments, I.M.F.,
Washington, 1970.
676 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
dix ») (117) . Ensuite, les pays membres du F.M.I. décidèrent d'augmenter les
ressources, le capital, du F.M.I., renforçant par là même le pool de devises à la
disposition des pays membres en difficulté. De plus, la première tranche des droits de
tirage spéciaux était allouée, distribuée, aux pays participants à compter du 1er
janvier 1970, ce qui augmentait directement la liquidité internationale de nature
inconditionnelle. Enfin, dans le cadre de la C.E.E., les premiers «volets» du Plan
Barre étaient mis en œuvre.
Enfin, sur le plan institutionnel, des développements marquants sont à signaler
Tout d'abord les statuts de la Banque des Règlements Internationaux étaient
modifiés de façon à permettre, notamment, une participation plus étroite des instituts
•
d'émission de certains pays socialistes de l'Est européen (118); il y a là un effort
particulièrement intéressant pour «réintégrer» les pays socialistes, au moins
partiellement, dans la communauté financière internationale. En outre, la réforme des
statuts du FJVLI. entrée en vigueur le 28 juillet 1969 eut l'occasion de jouer lors
des diverses décisions prises par les organes dirigeants du F.M.I. lors de l'Assemblée
générale annuelle du Fonds qui se tint à Copenhague en septembre 1970.
En raison de l'importance des problèmes soulevés et de leur actualité, les
questions suivantes seront examinées plus en détail :
— le statut international de l'or et la solution au problème des ventes d'or de
l'Afrique du Sud au F.M.I.;
— le renforcement de la coopération monétaire internationale grâce : i) à
l'augmentation des ressources du FJM.I., ii) à la mise en œuvre des droits de
tirage spéciaux et iii) au début de réalisation du « plan Barre »;
— la réforme des statuts du F.M.I.
De tout temps, l'or a exercé une fascination certaine sur les individus. Bien que
dénoncé par Lord Keynes comme «une vieille relique barbare», le métal jaune
garde encore de nos jours tout son prestige. Cet attachement à l'or vient de ses
qualités propres ou supposées telles; le Général de Gaulle les avait résumées en
trois mots: «immutabilité, impartialité, universalité » (119) . La spécificité de l'or
tient à ce qu'il n'est pas une marchandise comme les autres: utilisé à des fins
privées dans l'industrie et l'artisanat, l'or reste l'étalon de valeur par rapport auquel
toutes les monnaies nationales se définissent. Ainsi, à côté de l'or «industriel» il
existe un or « monétaire » (120) . Si l'usage industriel de l'or n'est pas négligeable
(il représente près de la moitié de la production de métal jaune) sa fonction
monétaire est, elle, capitale. Instrument de thésaurisation pour les particuliers, l'or
constitue pour les Etats la réserve monétaire par excellence. De plus le stock d'or
(117) I.M.F. Annual Report, 1970, p. 143. Une prochaine chronique sera consacrée à cet
accord en raison de son grand rôle actuel dans les relations monétaires internationales.
(118) B.R.I., 40' rapport annuel, 1970, pp. 235-238.
(119) Conférence de presse du 28 novembre 1967.
(120) Sur cette délicate distinction, voir l'arbitrage de G. Sauser-Hall dans l'afïaire dite
de « l'or albanais ». Texte in : Int. Law Rep., 1953, p. 441.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 677
'
(121) D'après les estimations du F.M.I. dans son dernier rapport annuel, le montant des
avoirs officiels en or s'élevait à 39,1 milliards de dollars tandis que les réserves monétaires
globales atteignaient 74,1 milliards de dollars. Annual Report, 1970, p. 18.
(122) Pour plus de détails, voir D. Carreau, Souveraineté et coopération monétaire
internationale, Paris, Cujas, 1970, pp. 252-260.
(123) Article IV, section I (a) des Statuts du F.M.I.
(124) Ibid., Article IV section 2.
(125) Ibid., Article IV, section 4 (b) .
(126) Pour de plus amples développements sur le € pool de l'or », voir, D. Carreau, op. cit.,
pp. 388-391.
678 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
vendre de l'or au Fonds. En d'autres termes, après avoir empêché l'Afrique du Sud
de vendre directement sa production auprès des banques centrales, il s'agissait de
lui refuser le droit d'en faire de même auprès du F.M.I. Toute la querelle qui dura
près de deux ans porta sur une disposition précise des Statuts du Fonds, l'article V
section 6 (a) . Il était stipulé que « tout membre désireux de se procurer, directement
ou indirectement, la monnaie d'un autre membre contre de l'or, devra, pourvu qu'il
y trouve un avantage égal, se procurer cette monnaie contre de l'or au Fonds ».
Cette disposition, qui semble suffisamment claire, reconnaît le droit de chaque pays
membre de vendre de l'or au F.M.I. afin d'acheter des devises de pays tiers;
autrement dit, le F.M.I. est dans l'obligation d'acheter l'or qui lui est présenté par ses
membres. Cette interprétation coïncide d'ailleurs avec une autre règle du Fonds visée
à l'article VII section 2 (ii) et dont elle forme le complément logique; il est en effet
précisé que le F.M.I., pour reconstituer ses avoirs en monnaie rare, peut « exiger
que l'Etat membre intéressé vende sa monnaie au Fonds contre de l'or ». La
complémentarité de ces deux dispositions est frappante : dans le premier cas, les pays
membres ont le droit de vendre, et le Fonds a l'obligation d'acheter, de l'or contre des
devises étrangères; dans le deuxième cas, le Fonds a le droit de vendre, et les pays
membres ont l'obligation d'acheter de l'or contre leur propre monnaie.
En bref, les Statuts du Fonds contiennent tous les mécanismes nécessaires au
bon fonctionnement d'un marché international institutionalise de l'or : le F.M.I. a
reçu la compétence et les moyens pour jouer le rôle d'acheteur et de vendeur résiduel
d'or monétaire. Et cette fonction, le F.M.I. peut la jouer avec plus d'efficacité, de
souplesse et d'impartialité que l'U.S. Treasury. Telle était précisément la grande
question sous-jacente à la querelle relative «aux ventes d'or de l'Afrique du Sud
au F.M.I. ».
Les Etats-Unis d'Amérique soutinrent une interprétation restrictive de l'article
V section 6 (a) au moyen d'une certaine sollicitation des textes. Ils insistèrent, en la
séparant de son contexte, sur l'expression « avantage égal », tout en proclamant que
le F.M.I. n'était aucunement dans l'obligation d'accepter l'or présenté par un pays
membre pour lui permettre d'acheter les devises étrangères dont il aurait besoin;
^elon la thèse américaine, l'achat d'or par le F.M.I. contre des monnaies nationales
serait dans tous les cas discrétionnaire. Dans l'espèce particulière, le gouvernement
américain suggéra que l'Afrique du Sud ne saurait vendre de l'or au F.M.I. contre
des devises étrangères car cette transaction, loin de constituer un «avantage égal»,
apparaîtrait comme - un « avantage particulier », un privilège, dans la mesure où
ce pays se voyait dans l'impossibilité d'écouler sa production d'or auprès des
instituts d'émission à la suite de l'arrangement précité du 17 mars 1968. Il s'agit là
d'un argument particulièrement sérieux. En effet, l'accord du 17 mars 1968 entre
les banques centrales qui décidait de «geler» le stock d'or monétaire international
à son niveau existant à l'époque, d'une part fut adopté à l'instigation des Etats-Unis,
et d'autre part, cet « accord » ne saurait constituer davantage qu'une déclaration
de politique monétaire : il ne peut en aucun cas être considéré comme ayant modifié
ou abrogé le droit inconditionnel de chaque pays membre du Fonds producteur d'or
de vendre sa production de métal jaune au prix officiel de 35 dollars l'once qui
correspond aux parités officielles. De plus, ce membre de phrase — « avantage égal »
— a été introduit dans les Statuts du Fonds dans un tout autre but; il s'agissait
simplement de ne pas obliger un membre du Fonds qui voulait se procurer des
devises étrangères à s'adresser au F.M.I. en lui vendant de l'or alors qu'il pouvait
obtenir cette devise sur le marché des changes dans des conditions plus
avantageuses (130) .
(130) Voir dans le même sens, E. A. Bibnbaum, changing the U.S. commitment to gold,
Essays in international finance, No. 63, 1967, Princeton University Press, p. 12.
680 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
l'Afrique du Sud vendit pour 307 millions de dollars contre de l'or au F.M.I. durant
les six premiers mois de 1970 (132) .
(131) On trouvera le texte de la lettre du ministre sud-africain des finances ainsi que la
décision des administrateurs du Fonds en acceptant les termes in, I.M.F., Annual Report,
1970, pp. 184-188.
(132) I.M.F., Annual Report, 1970, p. 35. Depuis lors, cette somme a dépassé les 600 millions
de dollars.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 681
Ce compromis valable pour une durée de cinq ans implique quelques remarques.
Sur le plan économique, le stock d'or monétaire international ne restera pas fixé
à son niveau du 17 mars 1968; il pourra continuer à augmenter chaque année, bien
que pour de faibles montants. Sur le plan politique, il peut s'analyser comme une
« victoire » pour la position américaine. Sur le plan de la stratégie au sein des
organes du F.M.I. il convient de noter que les négociations ont été menées par les
autorités américaines avec l'Afrique du Sud et que le Conseil d'Administration n'a
eu qu'à entériner des décisions prises ailleurs (ici par la trésorerie américaine) (133) ;
il s'agit là d'un nouvel exemple fâcheux qui renforcera la conviction de ceux qui
pensent que le F.M.I. est une institution trop exclusivement dominée par les Etats-
Unis, et ce en dépit de la récente réforme du Fonds qui a donné davantage de
«poids» à la C.E.E. par exemple (voir infra p. 683). Enfin, sur le plan juridique,
cet « accord » est à la fois décevant et troublant; en premier lieu, le problème
juridique fondamental (le F.M.I. est-il dans l'obligation juridique d'acheter de l'or
à ceux de ses membres qui lui en font la demande pour obtenir des devises de pays
tiers, ou, autrement dit, les pays membres ont-ils un droit inconditionnel à vendre
de l'or au F.M.I. ?) n'a pas été tranché et il serait souhaitable que le Fonds procède
à une « interprétation officielle » en vertu de ses pouvoirs propres prévus à l'article
XVIII; en second lieu, cet accord a été qualifié «d'illégal» (134) dans la mesure
où, confirmant ■ la décision de politique • générale adoptée par certaines banques
centrales le 17 mars 1968 de ne plus acheter l'or nouvellement extrait de l'Afrique
du Sud, il va directement à l'encontre du droit accordé par l'accord de Bretton-
Woods à chaque institut d'émission d'acheter directement de l'or auprès des pays
producteurs. Un tel jugement semble quelque peu excessif. Sans doute, un tel
arrangement n'apparaît-il pas conforme à l'esprit des Statuts du F.M.I., en
particulier de l'article IV section 2; cependant, il n'est pas sûr qu'il en viole la lettre.
En effet, il ne s'agit de la part des Etats concernés que d'une « déclaration
d'intention»; ils n'ont jamais fait savoir qu'ils entendaient perdre le bénéfice de ce droit
ou y renoncer définitivement; de plus, l'Afrique du Sud elle-même ne s'est pas
formellement engagée à ne pas vendre d'or nouvellement extrait aux autorités
monétaires étrangères qui lui en feraient la demande : on peut tout au plus soutenir qu'il
y aurait une obligation implicite en ce sens découlant de l'économie générale de
l'accord ainsi conclu; néanmoins il semble difficile de présumer une telle limitation
à la compétence monétaire de cet Etat. Enfin, un certain nombre de pays, dont la
France, ont toujours refusé ce «nouveau cours» dans la politique internationale
visant l'or monétaire (135) ; si l'un de ces pays venait à acheter du métal jaune sur
le marché libre au cours officiel de 35 dollars l'once (et même en-dessous) (136) ou
s'il s'adressait directement à un Etat producteur il ne ferait qu'exercer des droits à
lui reconnus par le droit international applicable (positif). Les pays qui viendraient
à conclure de telles transactions ne pourraient, légalement, pas voir leur
responsabilité internationale mise en jeu, ni faire l'objet de mesures de rétorsion
économique. Mais sans doute encourraient-ils les « foudres de Washington » pour « attitude
inamicale »...
II. — LE RENFORCEMENT
DE LA COOPERATION MONETAIRE INTERNATIONALE
(137) Pour plus de détails sur le rôle des quotas dans les mécanismes du F.M.I., voir
D. Carreau, Le Fonds Monétaire International, Coll. U, Droit international économique, Paris,
A. Colin, 1970. pp. 41 et s.
(138) Un relèvement global de 50 % des quotas fut décidé en 1959. Mais cette décision fut
prise en dehors de la procédure de la révision quinquennale des quotes-parts. Ibid., pp. 37-39.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 683
'
« représentativité économique ». L'une des conséquences de cet accroissement
différentiel des quotes-parts entraînera, comme le notait VEconomist une diminution de
« pouvoir pour les anglo-saxons » dont le « poids » relatif au sein du F.M.I. va se
trouver quelque peu restreint; cette nouvelle situation reflète, somme toute assez
fidèlement, les difficultés économiques qu'ont connu les Etats-Unis et la Grande-
Bretagne au cours de ces dernières années (144) .
Une fois, que chaque pays aura fait savoir au F.M.I. qu'il acceptait la nouvelle
quote-part qui lui était proposée (il a toujours la possibilité de la refuser et d'accepter
une augmentation plus faible, la proposition du Fonds constituant une limite
supérieure), il devra encore effectuer un versement, une souscription additionnelle d'un
montant correspondant à l'accroissement de son quota. En vertu des Statuts du
F.M.I., il est prévu qu'en cas d'augmentation de quote-part chaque pays membre
doit verser 25 % de l'augmentation en or et le reste en monnaie nationale (article
III section 4 (a)); toute dérogation ayant pour «objet d'atténuer les effets de ce
règlement » devra être décidée par le Conseil des Gouverneurs à la nouvelle
majorité qualifiée de 85% des voix (article III section 4 (c)) (145). Dans le passé cette
règle a dû être aménagée, voire tournée, en raison des difficultés qu'elle posait à
certains membres (146). Cependant, le Conseil des Gouverneurs devait adopter
dans sa Résolution précitée du 9 février 1970, un certain nombre de modalités
particulières destinées à atténuer les effets des versements en or sur les réserves
monétaires des pays membres.
Tout d'abord, il a été prévu que les pays membres pourraient effectuer le
versement des sommes dues au fonds au moyen de paiements échelonnés sur une période
de cinq ans; il s'agit là d'une nouvelle technique inaugurée lors du relèvement
général des quotas de 1959 et qui se révèle particulièrement utile pour les membres
(142) Sur cette notion de liquidité « conditionnelle », voir D. Carreau, le Fonds Monétaire
International, op. cit., pp. 199-200; pour un exemple pratique, voir, cette chronique, A.F.D.I.,
1968, pp. 564-566.
(143) Expression employée dans le Rapport précité des Administrateurs. .
(144) 2 mai 1970, pp. 72-73. Il est aussi à noter que la nouvelle répartition des quotas va
entraîner certaines modifications dans l'organisation du F.M.I. C'est ainsi que les cinq pays
dont les quotes-parts sont les plus élevées ont le droit de nommer chacun un «
administrateur » (article XII section 3(b) (i) . Or, dès que l'accroissement des quotas sera effectif, le
Japon deviendra le « cinquième » « Grand » du F.M.I. et aura droit à un administrateur
« permanent » et ce, aux dépens de l'Inde qui c rétrograde » au huitème c rang » après le
Canada et l'Italie.
<
(145) II s'agit là d'une des dispositions nouvelles insérées à la suite du projet d'amendement
des Statuts du Fonds. Auparavant, de telles décisions n'impliquaient aucune majorité
particulière. Beaucoup de pays € créditeurs » — dont la France — critiquèrent vigoureusement le
F.M.I. qui accepta de nombreux € aménagements » lors de la révision générale des quotas
en 1965 afin d'atténuer les effets de l'obligation de versement en or de 25 % de
l'augmentation des quotes-parts. Sur cette affaire, voir, D. Carreau, Le Fonds monétaire
international, op. cit., pp. 34-35; voir aussi, O.L. Altman, les quotes-parts des membres du Fonds sont
portées à 21 milliards, II Fin & dev. N° 4, 1965, 223 et D. Williams, La cinquième révision
générale des quotes-parts, VII, Fin. & Dev., n° 3, 1970, 14.
(146) Idem.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 685
D.T.S. équivalant à 3,414 milliards de dollars à compter du 1er janvier 1970 (148).
Cette somme devait être distribuée aux 104 pays participant au nouveau Compte de
Tirage Spécial institué au sein du Fonds (149); elle représente pour chaque
participant 16,80% de son quota au F.M.I. Les deux autres tranches de la première
« période de base » qui, exceptionnellement, n'aura qu'une durée de trois ans au
lieu de cinq, seront distribuées le 1er janvier 1971 et le 1er janvier 1972 pour un
montant égal à 3 milliards de dollars chacune.
De janvier à juin 1970, 46 participants utilisèrent un total de 549 millions de
D.T.S. 206 millions impliquèrent des transactions avec le F.M.I. (rachats de monnaie,
paiements de commissions) le reste étant utilisé pour se procurer auprès d'autres
participants des « monnaies effectivement convertibles » (150) .
L'institution des droits de tirage spéciaux constitue sans aucun doute
l'événement le plus marquant de l'histoire monétaire internationale de l'après-guerre.
Sans entrer dans le détail de ces nouveaux mécanismes qui ont été analysés
ailleurs (151), il convient cependant d'insister sur les traits les plus marquants de
cette «monnaie» scripturale internationale réservée aux Etats et à quelques
institutions internationales.
a) Le processus de création des droits de tirage spéciaux est riche
d'enseignements. Pour la première fois dans l'histoire, des liquidités internationales nouvelles
de caractère inconditionnel ont été créées par la communauté internationale (à
l'exception toutefois des pays socialistes qui ne sont pas membres du F.M.I.).
L'idée est révolutionnaire; auparavant, le niveau des . liquidités internationales
dépendait de facteurs aussi aléatoires que la production d'or de l'Afrique du Sud,
les ventes d'or de 1'UJl.S.S. ou le déficit de la balance des paiements de certains
pays à monnaie-réserve (Etats-Unis et Grande-Bretagne). Désormais, une partie
appréciable des liquidités internationales pourra être contrôlée et gérée par la
communauté internationale en fonction des besoins de financement des transactions
internationales. L'examen des conditions de mise en œuvre et de fonctionnement des
D.T.S. montre bien que ces nouveaux moyens de paiements internationaux, pour
être acceptés, doivent jouir de la confiance de tous; c'est ainsi que le consentement
le plus large a été recherché en ce qui concerne la création et les allocations
ultérieures de D.T.S. : tous les organes du F.M.I. doivent intervenir tandis que les
décisions doivent être prises à la majorité qualifiée de 85 % des voix attribuées.
On notera que la responsabilité de la gestion des D.T.S. a été confiée au F.M.I.
et non, comme cela avait été sérieusement envisagé pendant un temps, au Groupe
. des Dix. Sans doute les D.T.S. profiteront-ils essentiellement aux pays les plus riches
(les membres du groupe des dix ont reçu 64,2 % de la première tranche) et ne
peuvent-ils pas être considérés comme une aide appréciable aux pays en voie de
développement (80 pays sous-développés ne recevront que 27 % des allocations
totales de D.T.S.) (152). Cependant, il convient de remarquer que dans cette instance
(148) Résolution N° 24-12 du 3 octobre 1969. Texte, In Summary Proceedings, 1969, pp.
326-327. Il est à noter que cette résolution reprend intégralement les propositions du
Directeur Général du F.M.I, qui, elles-mêmes, avaient été approuvées par le Conseil
d'Administration.
(149) 10 des 115 membres que le F.M.I. comprenait à l'époque décidèrent de ne pas
participer au Compte de Tirage Spécial. De son côté, la Chine (Formose) refusa de participer à
l'allocation de la première tranche de D.T.S.
(150) Pour plus de détails, voir, I.M.F., Annual Report, 1970, pp. 27-31.
(151) D. Carreau, Souveraineté et coopération monétaire internationale, op. cit., pp. 422-
440; Le Fonds Monétaire International, Paris, A. Colin, 1970, Collection U, pp. 216-233; J.
Gold, Special Drawing Rights, I.M.F. Pamphlet series, N° 13, 1969.
(152) Les pays du tiers monde furent très critiques du critère retenu pour la distribution
des D.T.S., à savoir les quotas de chaque pays au sein du F.M.I. Cependant des études ont
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 687
les organes dirigeants du F.M.I., à commencer par le Directeur Général, ont fait
bloc avec les pays du tiers-monde pour que les droits de tirage spéciaux rentrent
dans la compétence exclusive du Fonds qui représente l'essentiel de la communauté
monétaire et financière internationale.
b) La nature des droits de tirage spéciaux ne laisse pas d'être ambiguë. Ces
nouveaux moyens de paiements internationaux à l'usage exclusif des Etats et de
certaines institutions internationales possèdent tantôt les caractères d'une
«monnaie » (ils ne sont pas remboursables à concurrence de 70 %) tantôt ceux d'un
« crédit s» (dans la mesure où ils peuvent être remboursables à concurrence de 30 %) .
Comparés aux monnaies nationales, les D.T.S. leur sont tantôt supérieurs (ils ont
une garantie-or totale par exemple) et tantôt inférieurs (leur usage est limité tant
ratione materiae que ratione personae). Par rapport à l'or, les D.T.S. présentent
certaines supériorités (ils sont porteurs d'intérêts) et certaines infirmités (ils ne
peuvent faire l'objet de thésaurisation privée). En fait, les droits de tirage spéciaux
constituent une véritable monnaie scripturale internationale réservée aux Etats et
à quelques institutions internationales et dont de nombreuses caractéristiques sont
empruntées soit aux monnaies nationales soit à l'or soit enfin aux «tranches-or»
du F.M.I.
c) Sur le plan institutionnel, la mise en œuvre des droits de tirage spéciaux
présente quelques dispositions originales par rapport aux règles contenues dans
l'accord de Bretton-Woods. Deux points méritent d'être notés à ce titre. D'une part,
la procédure de règlement des différends en cas de liquidation des D.T.S. ou de
cessation de participation d'un membre n'est plus de caractère interne au F.M.I. : il
est prévu un recours, non à la C.I.J., mais à une procédure d'arbitrage. D'autre part,
le rôle du Directeur Général a été sensiblement accru; alors que dans les Statuts
initiaux du F.M.I. le Directeur Général ne disposait pas de pouvoirs propres étendus
si ce n'est de caractère administratif, en matière de D.T.S. son action est
fondamentale dans la mesure où c'est à lui qu'il incombe l'initiative de proposer à la fois
l'ouverture (l'activation) et les allocations ultérieures de D.T.S. C'est là une
illustration frappante de la tendance générale perceptible dans de nombreuses
institutions internationales qui va vers un renforcement des « exécutifs ».
d) L'accord quasi-unanime des membres du F.M.I. de procéder à « l'ouverture »
des droits de tirage spéciaux à compter du 1er janvier 1970 appelle un certain nombre
de commentaires. Plusieurs conditions assez strictes avaient été introduites dans le
projet d'amendements tel qu'il avait été définitivement mis au point lors de la
réunion du Groupe des Dix à Stockholm en mars 1968. Il était notamment prévu que les
D.T.S. ne seraient mis en œuvre qu'en cas de «meilleur équilibre des balances
des paiements » (article XXIV section I (b) ) ; autrement dit, « l'activation » des
droits de tirage spéciaux ne pouvait avoir lieu qu'à la suite de la disparition, ou du
moins de la forte diminution, du déficit de la balance des paiements des deux pays
à monnaie réserve, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne; si l'amélioration de la
montré que parmi les autres critères possibles (montant des réserves globales, or monétaire),
la clef de répartition des D.T.S. fondée sur les quotes-parts au F.M.I, était la moins défavorable
aux pays en voie de développement (voir R. Triffin, Our international monetary system;
yesterday, to-day and to-morrow, Yale university press, 1968, pp. 124-128 et surtout le
tableau reproduit à la page 128). De plus, ces pays furent unanimes pour réclamer qu'il
existe un lien institutionnel entre la création des DTS et l'aide au développement; pour eux,
ces liquidités nouvelles devraient être exclusivement affectées au capital des institutions
internationales chargées du développement (B.I.R.D., A.I.D.). Les pays riches s'opposèrent
vivement à cette conception dans la mesure où les D.T.S. ne constituent pas des certificats
d'investissement mais des liquidités internationales, c'est-à-dire des instruments monétaires.
En outre, les Statuts du F.M.I. précisent que le Fonds n'a pas pour mission de résoudre les
problèmes du développement (article XIV section I); ce serait empiéter sur les compétences
de la B.I.R.D. et de ses € filiales ».
688 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
balance des paiements de ce dernier pays a été spectaculaire, il n'en a pas été de
même pour les Etats-Unis dont le déficit (calculé sur la base des «liquidités»)
avoisinait 7 milliards de dollars pour 1969. Le non-respect évident de cette condition
particulière (153) ne peut s'expliquer que par des considérations d'ordre politique :
les pays excédentaires (créditeurs) tels que l'Allemagne et le Japon qui prônaient
la prudence en la matière sont devenus de plus en plus isolés tandis que les pays
déficitaires (débiteurs) qui avaient intérêt à obtenir des liquidités internationales
inconditionnelles supplémentaires sont devenus de plus en plus nombreux (la
France (154) et l'Italie rentrent maintenant dans cette catégorie avec les Etats-Unis
et la Grande-Bretagne) et ont pu ainsi faire triompher leur point de vue. En
.
d'autres termes, les conditions économiques spéciales qui devaient être remplies
avant toute mise en œuvre des D.T.S. ont été délibérément écartées pour des motifs
exclusivement politiques.
e) Autre développement important par rapport à l'accord de Bretton-Woods de
1944, la consécration par les récents amendements d'une nouvelle catégorie . de
devises, les monnaies « effectivement convertibles » (ou convertibles en fait,
currencies convertible in fact). Théoriquement, les Statuts du Fonds ne reconnaissaient
que deux catégories de monnaies : celles qui étaient légalement convertibles, c'est-à-
dire les devises des pays membres ayant accepté les obligations de l'article VIII
(155) et les autres (156). Cette distinction entraînait des conséquences juridiques
importantes; c'est ainsi, par exemple, que l'usage de monnaies inconvertibles était
strictement limité dans les transactions entre le F.M.I. et les pays membres. Or, dans
la pratique, de nombreuses devises des pays membres étaient convertibles en fait.
Les dispositions relatives aux D.T.S. ont tenu compte de cette . évolution et ont
préféré adopter un critère économique et non plus juridique de la convertibilité
monétaire (157). C'est ainsi que toute monnaie effectivement convertible pourra être
fournie par un participant au Compte de Tirage Spécial contre remise de D.T.S.
Cette nouvelle stipulation permettra un usage international plus large d'un nombre
accru de monnaies des pays membres du F.M.I.
f) Tout participant au Compte de Tirage Spécial qui aura été désigné par le
Fonds (158) devra fournir de la monnaie effectivement convertible contre des D.T.S.
(153) Deux autres « considérations spéciales » avaient été prévues : l'existence « d'un
besoin global de compléter les réserves ». la « probabilité d'un fonctionnement plus efficace des
mécanismes d'ajustement dans l'avenir ». Là encore, ces conditions préalables ont été
interprétées très largement de façon à mettre en œuvre les D.T.S. le plus rapidement possible.
(154) Le changement d'attitude de la France a été tout à fait remarquable; très réservé à
l'égard des D.T.S. au point qu'il refusa de s'associer pleinement au compromis réalisé à la
conférence de Stockholm en mars 1968, notre pays, devenu depuis lors déficitaire, décidait de
ratifier dans les plus brefs délais le projet d'amendement de façon à pouvoir bénéficier de la
première tranche de D.T.S. à compter du 1er janvier 1970. A ce titre la part de la France
s'élève à 165,4 millions de dollars, soit 4,8 % de l'ensemble. Sur ce revirement de la France,
voir la loi N° 69-1175 du 26 décembre 1969 (J.O. 28 décembre p. 12671) et les rapports des
commissions des finances de l'Assemblée nationale (N° 960) et du Sénat (N° 142).
(155) Au 30 avril 1970, seuls 34 pays membres avaient accepté les obligations de l'article
VIII. Toutefois ces pays sont les plus < représentatifs » : ils comptent pour plus de 80 % des
échanges internationaux.
(156) 81 pays entendent encore se prévaloir du régime de la période transitoire prévu par
l'article XIV des Statuts du F.M.I.
(157) Voir la définition donnée par l'article XXXII(b). Il est à noter que les Accords
Généraux d'Emprunt avaient déjà employé ce concept de c monnaie effectivement
convertible » mais sans le définir.
(158) C'est ainsi que le Fonds a établi des listes de pays susceptibles d'être désignés pour
recevoir des D.T.S. Ces listes ont été établies en fonction du niveau des réserves officielles de
change des participants et de l'évolution de leur balance des paiements; de plus, le F.M.I.
a prévu des montants maxima (plafonds) de D.T.S. que chacun se verrait dans l'obligation
■
d'accepter. Voir I.M.F., Annual Report, 1970, pp. 29-31. La France, par trois fois déjà, a reçu
des D.T.S. à la demande de pays tiers, mais pour des montants très faibles, voire négligeables.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 689
(article XXTV section 4). Il lui sera juridiquement impossible de refuser. Cette
acceptation obligatoire des D.T.S. pour tout participant désigné par le FJM.1. aura
une conséquence importante pour un tel pays; par ce biais, il aura en effet perdu la
compétence de déterminer comme il l'entendait ses réserves monétaires officielles
(159). Ni les Statuts du Fonds ni aucun accord international n'avait jusqu'à présent
.limité la souveraineté monétaire de l'Etat dans ce domaine. L'accord de Bretton-
Woods reconnaissait implicitement le droit des Etats membres du FJVÏ.I. de choisir
les éléments constitutifs de leurs réserves de change qui pouvaient être l'or, le
dollar ou toute autre devise convertible (article XIX (a) ). L'institution des D.T.S.
implique une renonciation de la part des participants au libre choix de leurs réserves
monétaires. Il s'agit là d'une nouvelle et sensible diminution de la souveraineté
monétaire des Etats.
g) Enfin, il est impossible de passer sous silence les controverses qui n'ont cessé
d'entourer la naissance des droits de tirage spéciaux. Si beaucoup ont été séduits
par le brio et l'ingéniosité des inventeurs du nouveau système, par la nouveauté
des mécanismes juridiques employés, beaucoup ont dénoncé ses dangers. Les D.T.S.
ont été tout à tour décrits comme une «illusion monétaire», de «l'or papier», du
« néant habillé en monnaie » ou comme créant un « système d'inflation généralisée ».
Le général de Gaulle lui-même parla « d'un cautère sur une jambe de bois »...
Désormais, les liquidités internationales - et les réserves monétaires officielles
des Etats comprendront trois éléments principaux : l'or, les dollars et les droits de
tirage spéciaux. Une telle situation est particulièrement propice au jeu de la célèbre
«loi de Gresham». Si elle vient à jouer il sera très instructif de savoir quelle
«mauvaise» monnaie chassera la «bonne» (160).
Les auteurs du traité de Rome ont abordé avec beaucoup de « prudence », voire
de « timidité », les problèmes monétaires. Dans une précédente chronique nous avons
insisté sur l'une des insuffisances les plus notoires et qui entraînait des conséquences
fâcheuses, le silence des textes en matière de manipulations monétaires (161). Il nous
faut maintenant insister sur une autre lacune, l'absence de dispositions précises du
traité de Rome en matière de coopération monétaire entre les pays membres. En
raison des faiblesses de l'article 108 relatif au « concours mutuel », la Commission
de la C.E.E. soumit au Conseil le 12 février 1969 un «memorandum» (plus connu
sous le nom de « plan Barre ») visant au renforcement de la coopération monétaire
entre les six. Certaines des propositions contenues dans ce document ont déjà reçu
un commencement d'application. Mais, à la suite de la conférence des chefs d'Etat
et de gouvernement de La Haye des 1er et 2 décembre 1969, il fut décidé d'aller
encore au-delà et d'instituer une véritable «union économique et monétaire»; cette
tâche exploratoire fut confiée à une commission présidée par le premier ministre
du Luxembourg, M. Pierre Werner, commission qui a d'ailleurs récemment fait
connaître ses conclusions et les développements « monétaires » souhaitables dans
lesquels devrait s'engager la C.E.E. dans la prochaine décennie. Si la question
« agricole » avait dominé les débats à l'intérieur de la C J5.E. durant les années 60,
(159) Cette conséquence fondamentale avait été notée par la B.R.I. dans son 39» rapport
annuel. Bâle, 1969, p. 239.
(160) Cette hypothèse était expressément envisagée dans le 39e rapport annuel précité
de la B.R.I., op. cit., p. 239.
(161) Voir, Chronique de droit international économique, A.F.D.I., 1969, pp. 654-660.
44
690 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Rome, l'article 108 n'a été appliqué
■
qu'une seule fois en juillet 1968 pour permettre à la France de faire face aux suites
de la crise de mai-juin (163). La rareté des recours à cette procédure, sa relative
inadaptation lors de son unique mise en œuvre rendaient nécessaire une réforme.
Les discussions portèrent, notamment, sur l'article 108 (2) (c) prévoyant qu'un pays
connaissant des difficultés de la balance des paiements pourrait -se voir octroyer
.
« des crédits limités de la part d'autres Etats membres, sous réserve de leur accord ».
Cette disposition contenait deux incertitudes qui allaient lourdement peser sur
l'efficacité de cette procédure du «concours mutuel»; d'une part, le montant des crédits
sur lesquels pourraient éventuellement compter les • pays en difficulté n'était pas
fixé; d'autre part, ces • crédits, loin d'être automatiques restaient r « conditionnels »,
c'est-à-dire aléatoires.
•
Déjà en 1962, le Rapport Van Campen (164) insistait sur ces points et se
demandait si «les Etats membres n'avaient pas intérêt, en prévision d'un état de crise
éventuel, à prendre dès maintenant la précaution de se mettre d'accord sur l'octroi
de crédits » (165) . A l'époque cette suggestion n'avait pas été retenue, en raison sans
doute de la « santé monétaire florissante » de l'ensemble des pays membres (166) .
Il faudra attendre sept années et les premières grandes difficultés affectant la
monnaie et l'économie d'un pays membre (la France en l'occurrence) pour voir les
organes communautaires se préoccuper activement de la coopération monétaire
entre les «Six» et faire des propositions constructives.
Le premier volet du « plan Barre » à faire l'objet d'une décision du Conseil des
ministres de la C.EJE. concerna la coordination des politiques économiques à court
terme. Par. une décision en date du 17 juillet 1969, le Conseil décidait d'instituer
tout un ensemble de consultations préalables visant, notamment, les politiques
budgétaires et fiscales (169) . Il fallut attendre le 26 janvier 1970 pour que le Conseil de la
C.E.E. se penche de nouveau sur le plan Barre. Le Conseil accepta alors les
propositions de la Commission concernant l'harmonisation des politiques à moyen terme
(170) . Mais surtout, il approuva l'accord intervenu entre les gouverneurs des banques
centrales sur le mécanisme de soutien monétaire à court terme (171). Le système
mis sur pied comporte deux niveaux dans la mesure où le pool commun de devises
destiné à permettre de faire face aux difficultés temporaires de balance des paiements
de l'un des six et qui s'élève à 2 milliards de dollars est soumis à deux régimes
différents; une première somme d'un 'milliard de dollars servira à accorder des
prêts automatiques à trois mois renouvelables une fois (172); une deuxième somme
d'un milliard de dollars consistera en prêts conditionnels qui pourront être accordés
au pays en difficulté par les gouverneurs des banques centrales après consultation
et en vertu de recommandations ad hoc.
Enfin, le mécanisme de soutien mutuel à moyen terme, qui se monterait semble-
t-il à 2 milliards de dollars, fait encore l'objet de discussions au sein du Conseil à la
suite des propositions de la Commission (173) .
On notera l'importance de cet accord à deux points de vue. D'une part, il
constitue un renforcement appréciable de la coopération monétaire au sein de la C.E.E. en
venant compléter d'une manière heureuse et souple la procédure du concours mutuel
de l'article 108. D'autre part, sur un plan plus général, cet accord montre bien
l'importance croissante du rôle des banques centrales dans les mécanismes de la
coopération monétaire internationale; pour la première fois en effet, les accords de
«troc» (swap) entre instituts d'émission ont été formellement institutionnalisés
dans un accord international. H reste à espérer que ce phénomène
d'institutionnalisation ne nuira en rien à l'efficacité de cette technique.-
Toutefois, la réalisation du « plan Barre », pour importante soit-elle, ne constitue
encore qu'une phase — la première — d'un processus plus large tendant à instituer
une véritable «union économique et monétaire» entre les pays membres de la
C.E.E.
(172) Ces crédits prendront la forme d'accords de « troc » (swap) entre instituts d'émission.
De plus, des plafonds d'engagement ont été déterminés pour chaque pays. Le « quota » de
l'Allemagne et de la France sera de 300 millions de dollars, celui de l'Italie de 200
millions, enfin celui des Pays-Bas et de l'Union belgo-luxembourgeoise sera de 100 millions de
dollars pour chacun.
(173) Proposition en date du 10 juin 1970. C.O.M. (70) 634 final.
(174) 4 mars 1970. C.O.M./70/300.
(175) J.O.C.E., N° L 59/44 du 14 mars 1970.
(176) J.O.C.E. N° C 136 du 11 novembre 1970.
(177) J.O.C.E. N° C 140 du 26 novembre 1970.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 693
ments de la CEJE., si tant est qu'ils puissent voir le jour. Cependant, dans le domaine
monétaire, on notera que les pays membres auront perdu tous leurs attributs de
souveraineté au profit des organes communautaires. Si une monnaie unique
communautaire est instituée, les pays membres auront perdu toute compétence en ce qui
concerne les manipulations monétaires, la réglementation des paiements
internationaux, la politique du crédit, la composition et la gestion des réserves de change...
Sur le plan monétaire, l'analogie sera grande avec la structure d'un Etat fédéral du
type des Etats-Unis d'Amérique.
(178) Contrairement à une opinion souvent répandue, les votes formels sont rares au sein
des organes directeurs du Fonds. Le Règlement intérieur du F.M.I. prévoit que, sauf demande
contraire, le président du Conseil des Gouverneurs ou du Conseil d'Administration pourra se
contenter de « dégager le sens général de la réunion » (ascertain the sense of the meeting) .
694 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
à leur rôle effectif dans l'économie internationale et à son évolution. Depuis vingt
cinq ans des ajustements progressif ont eu lieu avec l'entrée de nouveaux membres
et de nombreuses augmentations sélectives (c'est-à-dire non proportionnelles ou
•
linéaires) des quotes-parts; ainsi le poids relatif d certains pays a diminué (cas de
la Grande-Bretagne, de l'Inde ou des Etats-Unis) tandis que celui d'autres s'est
■
accru (cas de l'Allemagne, de la France, de l'Italie ou du Japon) (voir aussi supra
p. 683) . La récente réforme des Statuts du Fonds disposant que la majorité qualifiée
de droit commun nécessaire pour l'adoption des décisions les plus importantes serait
désormais de 85 % des voix constitue une bonne illustration de l'adaptation des
mécanismes de vote au sein du F.M.I. en fonction des réalités économiques
internationales. Ce chiffre a en effet été choisi à dessein pour tenir compte du poids sans
cesse grandissant de la C.EJ3. dans l'économie et le commerce mondial; les six
pays membres de la Communauté possédant ensemble 16,19 % des voix (et 18,9 %
des quotas) , cela signifie - que, s'ils restent unis, ils disposeront d'une minorité de
blocage qui leur donnera un droit de veto sur les décisions les plus importantes
que les organes du F.M.I. pourraient être amenés à prendre.
Cette constante adaptation de la pondération des pays membres en raison
de leur puissance économique a été l'une des causes majeures de la réussite du
P.M.I. Elle a permis d'obtenir. une meilleure effectivité du système monétaire
international . établi à Bretton- Woods et dont le Fonds devait assurer • la gestion, la
garantie et le contrôle. .
b) L'accord de Bretton-Woods contient une autre disposition originale, à savoir
le pouvoir donné au F.M.I. de procéder à l'auto-interprétation de sa charte
constitutive. Autrement dit, tout différend relatif à l'interprétation des Statuts du F.MJ.
qui viendrait à s'élever entre un membre et le Fonds ou entre plusieurs membres
est tranché par les organes directeurs du F.M.I., Conseil d'Administration «en
première instance» et Conseil des Gouverneurs «en appel». Cette compétence
inusitée d'auto-interprétation de leurs statuts a été accordée à de nombreuses autres
institutions économiques internationales telles que la B.I.R.D. ou la plupart des
banques régionales de développement. Il est d'ailleurs frappant de noter la méfiance
des rédacteurs (qui furent le plus souvent des économistes) des accords économiques
internationaux à l'égard des organes traditionnels de la justice internationale
(essentiellement de la C.IJT.) pour résoudre ce nouveau type de différends.
La procédure de règlement des différends entre le Fonds monétaire et ses
membres est de nature interne au point que l'on a pu parler d'un pouvoir « quasi-
judiciaire » du FJVÏ.I. Sans doute, certains ont contesté le caractère juridictionnel
de cette procédure en raison de l'absence de garanties judiciaires traditionnelles
concernant le droit et la procédure applicables, les droits de. la défense, le principe
nemo judex in re sua... Quoi qu'il en soit, les amendements aux Statuts du FJVLL,
et sur ce point l'influence de la France a été prépondérante, ont tendu à renforcer
le caractère juridictionnel de cette procédure en établissant un Comité
d'interprétation qui devra fonctionner selon des règles plus strictes à déterminer par le
Conseil des gouverneurs, mais au sein duquel il est déjà prévu que chaque membre
n'aura qu'une voix (article XVIII (b) ).
c) Enfin, il convient de noter que beaucoup des amendements récents apportés
aux Statuts du F.M.I. ne font que consacrer certaines pratiques mises au point par
cette organisation (automaticité juridique des tirages dans la tranche-or, utilisation
des ressources du Fonds pour faire face dans certains cas à des mouvements de
capitaux...). Il y a là un exemple particulièrement intéressant où la pratique d'une
institution internationale a été formellement légalisée par un accord international
subséquent.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 695
PRODUITS DE BASE
•
base (A). Par ailleurs un certain nombre de négociations se sont poursuivies, produit
par produit, aboutissant notamment à l'adoption d'un seul -accord sur l'étain (B)
tandis que les accords existant rencontraient d'habituels problèmes de mise en
œuvre (C).
(179) Rapport sur la situation internationale des produits de base TD/B/C. 1/94, 29 juin
1970.
(180) Minerai de fer TD/BI/CI/75 16 février 1970
Minerai de manganèse TD/B/C.I/87 1 juin 1970
Phosphates TD/B/C.I/88 2 juin 1970
Tabac TD/B/C.I/91 22 juin 1970
Riz TD/B/C.I/93 9 juin 1970
(181) Doc. TD/B/L. 248
696 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
Parmi les diverses négociations en cours, seule la Conférence des Nations Unies
sur l'étain a abouti. à un nouvel accord, légèrement modifié par rapport à celui
qu'il est destiné à remplacer à compter du 1er juillet 1971.
698 DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
Par ailleurs, l'accord international sur le blé, entré en vigueur le 1er juillet 1968,
devrait venir à expiration le 1er juillet 1971; or, à propos du renouvellement de cet
accord, trois tendances s'affrontent entre lesquelles il sera difficile de découvrir un
compromis (182) ; les E.U. estiment trop compliquées les clauses de prix adoptées
en 1967 et voudraient qu'on en revienne au système plus libéral de l'accord de
1962; le Canada, au contraire, envisage une organisation beaucoup plus élaborée et
contraignante du marché; enfin les six Etats membres de la Communauté
Economique Européenne préconisent prudemment la reconduction pure et simple du
,
mécanisme adopté en 1967.
La conférence des Nations Unies sur l'étain qui s'est réunie à Genève du
13 août au 15 mai 1970, sous la présidence de M. Allen, représentant le Conseil
international de l'étain dont le siège est à Londres, a adopté le texte d'un quatrième
accord international sur l'étain (183). Les délégations ou observateurs de 38 pays
assistaient aux débats; parmi eux étaient représentés quelques grands pays
consommateurs.
Destiné à remplacer l'accord expirant le 30 juin 1971 (184) , après cinq ans
d'existence, l'objectif du nouvel accord reste fondamentalement identique à celui du
précédent: établir un équilibre entre la production et la consommation mondiale
d'étain, empêcher les fluctuations excessives de prix sur le marché international
et augmenter les recettes d'exportation des pays producteurs. Dans la conjoncture
actuelle la production annuelle d'étain n'atteint pas le niveau de la consommation,
d'autant que les Etats-Unis — non partie à l'accord — ont décidé en avril 1969
d'augmenter leur stock stratégique de ce métal, l'un des rares qu'ils ne possèdent
pas en quantité suffisante; dès lors les pays consommateurs craignent une montée
des prix : les pays pauvres en l'espèce ne sont pas les seuls à réclamer des prix
« équitables ».
L'économie générale de l'accord demeure inchangée : elle combine
l'intervention d'un stock régulateur et le contrôle des exportations afin de maintenir les prix
du marché dans une certaine marge. On note seulement une modification de l'ordre
des articles dans un souci de meilleure logique : les dispositions relatives à
l'intervention du stock régulateur (ch. 8) figurent désormais avant les dispositions
relatives au contrôle des exportations (ch. 9), considéré comme un mécanisme moins
essentiel auquel le Conseil n'a recours que dans l'hypothèse où il redoute que
l'intervention du stock régulateur ne suffise pas à maintenir le prix de l'étain
dans la fourchette prévue.
La marge de prix dans laquelle l'accord vise à stabiliser le prix du marché de
l'étain sera au départ identique à celle en vigueur au moment de l'expiration du
3" accord international — 1er juillet 1971 — ; elle pourra ensuite être périodiquement
révisée par le Conseil, de même que les trois tranches établies par le Conseil entre
le prix plancher et le prix plafond (art. 19).
(182) Une Commission réunissant les représentants des douze principaux pays producteurs
de blé a tenu à Genève, en août 1970, une série d'entretiens qui ont été repris en septembre
1970 afin de préparer la Conférence internationale pour le renouvellement de l'accord,
Conférence qui doit être convoquée en janvier 1971 sous les auspices de la C.N.U.C.E.D.
(183) Pour un historique des différents accords sur l'étain et de l'évolution du marché
international de ce produit depuis 50 ans cf. John Edwards c The international tin agreement »
Journal of World trade law, 1969, p. 237. Texte du 4e accord international sur l'étain publié par
la C.N.U.C.E.D. TD/TIN 4/7 13/5/70.
(184) Sur le 3e accord international sur l'étain, cf. Doc. C.N.U.C.E.D. « conférence des
Nations Unies sur l'étain, 1965. Résumé des débats > TD/TIN. 3/5.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 699
.
Le volume du stock régulateur demeure inchangé: l'équivalence en espèce
ou en métal de 20 000 tonnes d'étain. Les contributions obligatoires à ce stock
•
continuent à n'être exigibles que des pays producteurs (art. 21). La France avait
proposé lors de la Conférence tenue à Genève en avril-mai 1970 la perception d'une
taxe sur le premier acheteur qui aurait contribué au financement du stock
régulateur au-delà du montant des contributions obligatoires. Cette proposition n'a
rencontré aucun écho favorable, notamment de la part des pays consommateurs; on a
seulement un peu étendu la clause relative à la possibilité de contributions
volontaires de la part de « tous pays invités à la conférence de 1970 > (art. 20 et 22) (185).
A l'expiration de l'accord le stock doit être liquidé (art. 30), en tenant compte des
droits des pays membres qui seraient éventuellement passés de la catégorie des
.
'
international sur l'étain est quasiment identique au 3e.
Les Etats parties à l'accord, tous représentés au Conseil International de l'étain
(art. 7), sont répartis selon leur propre choix, entre l'un et l'autre des deux groupes
prévus à l'accord (186) : celui des pays producteurs et celui des pays consommateurs
qui disposent chacun de la moitié des voix au Conseil. A l'intérieur de • chaque
■
•
ce qui entre dans le domaine de la politique commerciale commune, pouvaient être
considérées comme de la compétence de l'organisation communautaire «les
dispositions de l'accord ayant trait à la politique économique et financière des Etats
membres»; la Commission citait, à titre d'exemple, le problème du financement du
stock régulateur par des contributions volontaires des pays consommateurs — tous
les membres de la C.E.E. sont des consommateurs d'étain — ; on pourrait ajouter
comme relevant manifestement de la compétence communautaire le mécanisme de
répartition autoritaire de la production auquel le Conseil peut décider de recourir
en cas de pénurie d'étain (art. 37) .
La participation de la C.E.E. à l'accord international sur l'étain est donc un
problème qui, très probablement, se posera au cours des prochaines années.
Enfin le quatrième accord international sur l'étain apparaît tant par le contenu
juridique que par les perspectives économiques qu'il ouvre au commerce
international de ce métal comme tout à fait conforme aux règles posées par le Fonds
Monétaire International, concernant les accords sur les produits de base, les Etats
parties pourront donc éventuellement prétendre à l'assistance du Fonds pour le
financement de leur participation, obligatoire ou facultative, au stock
régulateur (189).
(187) Le Conseil avait estimé que l'art. 116 ne s'appliquait pas en l'espèce, c'est-à-dire
qu'il ne s'agissait pas d'une < question revêtant un intérêt particulier pour le marché
commun » imposant que « les Etats membres ne mènent plus, à partir de la fin de la
période de transition, qu'une action commune dans le cadre des organisations internationales
de caractère économique >.
(188) J.O.C.E., n» C 109 du 28 août 1970.
(189) Ces conditions ont été précisées dans notre précédente chronique A.F.D.I., 1969, p.
626. Il s'agit d'une part de la présence d'un certain nombre de clauses recommandées par le
Conseil Economique et Social des Nations Unies et qui figuraient dans la Charte de La
Havane : participation à l'accord ' aussi largement ouverte que possible, système de vote
assurant une pondération identique au groupe des pays importateurs et à celui des pays
exportateurs, traitement équitable de tous les pays intéressés par l'accord qu'ils y soient
ou non partie, durée maximum de l'accord fixée à cinq ans. Outre ces conditions d'ordre
juridique, le F.M.I, précisait qu'il n'apporterait son aide financière que dans le cadre
d'accords < économiquement sains », c'est-à-dire non malthusiens.
DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE 701
Une fois encore c'est l'accord international sur le café qui soulève les principales
difficultés d'application, auxquelles vient s'ajouter le problème de la participation de
Ja Communauté économique européenne audit accord. Quant aux autres accords,
celui sur le blé est en voie de renégociation, celui sur l'étain n'est pas encore en
vigueur dans sa forme rénovée, celui sur le sucre a déjà largement fait preuve de sa
faillite. L'accord international sur l'huile d'olive fonctionne bien; mais il s'agit
d'un accord tout à fait spécial par rapport au cas général des produits de base :
il vise une politique de qualité pour une production et des échanges internationaux
limités, il n'a pas à résoudre de problème de fluctuation des cours ou d'écoulement
des excédents.
Difficultés d'application.
Les six Etats membres de la C.E.E. sont parties, en tant que membres
importateurs, à l'actuel accord international sur le café (192), renouvelé en 1968 et valable
jusqu'au 30 septembre 1970; ils représentent environ 25% du commerce mondial
d'importation de ce produit et ne serait-ce qu'à ce titre, ils ont un rôle important
à jouer dans le fonctionnement de l'accord international sur le café.
Déjà en 1967,' avant la reconduction du premier. accord de 1962, la Commission
avait adressé au Conseil . international du café une communication relative à la
sauvegarde des droits et obligations de la Communauté tels qu'ils se présentaient
alors et tels qu'ils se présenteraient à la fin de la période de transition; la
Commission déclarait en substance qu'elle estimait souhaitable la- participation de la
Communauté en tant que telle à l'accord international sur le café. Pour répondre au
désir ainsi exprimé, le Conseil international du café, lors de ses sessions de 1967
et 1968 consacrées à la renégociation de l'accord de 1962, a fait bénéficier la
Communauté du statut d'observateur, avec la possibilité de participer effectivement aux
débats lorsque les questions abordées relevaient de la compétence communautaire.
Par la suite, dans le cadre du fonctionnement même de l'accord, et non plus de sa
renégociation, la Commision a demandé et obtenu le 17 juin 1970 que la pratique
antérieure soit appliquée de façon systématique à l'égard de son représentant, aussi
bien pour les réunions du Comité exécutif que pour celles des groupes de travail
de l'O.I.C, étant entendu, d'une part, que cette procédure n'était admise qu'à titre
temporaire et dans l'optique de la participation future de la Communauté en tant
que telle à l'accord, étant entendu, d'autre part, que cette faveur ne saurait
constituer un précédent pouvant justifier des demandes analogues de la part d'autres
organisations internationales.
Avec l'entrée de la Communauté dans la phase définitive de son existence, la
participation à l'accord apparaît de plus en plus souhaitable. Pour les six, tous
importateurs de café, de nombreuses dispositions de l'accord ont des effets directs
.
ou indirects sur la politique commerciale et, partant, relèvent de l'art 113 du Traité
de Rome ou parfois même de l'article 116(193). En outre, et indépendemment des
problèmes de politique commerciale commune d'autres dispositions de l'accord
•
(192) L'Italie à titre provisoire dans l'attente du dépôt de ses instruments de ratification.
(193) Parmi les mesures prises dans le cadre du fonctionnement de l'accord il est impossible
de déterminer de façon précise et rigide ce qui relève de la < politique commerciale
commune » (art. 113) et ce qui relève de « questions qui mettent un intérêt particulier pour le
Marché commun, l'article 116 imposant dans ce cas un degré plus élevé d'action commune dans
le cadre des organisations internationales à caractère économique.
704 DROIT IN1ERNATIONAL ÉCONOMIQUE