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(1712-1778)
Les œuvres principales de Rousseau se groupent naturellement en trois catégories, qui
correspondent à trois moments de sa pensée:
1. Œuvres de critique négative : Les Discours sur le rétablissement des sciences et des arts,
Le Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes, La Lettre a
Dalembert sur les spectacles
Rousseau connaît la gloire avec son premier ouvrage, Discours sur les sciences et les arts,
écrit en 1749 et couronné en 1750 par l’Académie de Dijon. Il s’y élève contre la civilisation
et devient le champion de la vie simple, de la pauvreté et de la vertu. Il se propose de reformer
sa vie, de gagner son existence en copiant de la musique.
Il expose plus clairement sa pensée dans le Discours sur l’inégalité parmi les hommes :
l’homme est bien par nature, mais il est corrompu par la société.
Rousseau se singularise dans l’histoire des lettres françaises par ce que l’exégèse a nommé le
destin de l’homme-œuvre, victime de sa propre biographie, qu’il essaie de plier aux exigences
de son idéologie. Le conflit de Rousseau avec la société le rendra un étranger et il se plaira à
se voir et à se présenter comme tel. Il le sera partout où son destin de « picaro » portera ses
pas. Il le sera encore par ses idées qui augmenteront la distance réelle ou imaginaire qui le
sépare tour à tour des gens de lettres et des philosophes de son temps, devenus, à ses yeux,
tous ses ennemis, ses persécuteurs. La rupture de Rousseau avec la société représente en
même temps la rupture du créateur avec la pensée des Lumières et l’ouverture vers le
Romantisme.
Julie ou La Nouvelle Héloïse, Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des
Alpes, recueillies et publiées par J.J. Rousseau, a source dans l’amour de l’auteur pour
madame d’Houdetot. L’illusion d’un dernier amour, la déception, l’aliénation, font partie des
éléments autobiographiques qu’il y mettra. La Nouvelle Héloïse est une œuvre complexe qui
apparaît comme une somme des idées, des sentiments et des rêves de Rousseau. Car
Rousseau, l’étranger se retire dans la fiction, en édifiant un monde à sa guise, qui le
recompose de l’amertume de la réalité, un univers qui lui offre une revanche sur la vie.
Ecrite sous forme de roman épistolaire, l’œuvre profitera des ressources du genre, permettant
à l’auteur de multiplier les voix et les points de vue sur les questions qu’il y débat. Tour à tour
le je sera assumé par Julie, Saint-Preux, Claire, M. Edouard, M. de Wolmar, le ton traversant
lui aussi un champ assez divers : confession, dissertation, réquisitoire.
Il y a dans La Nouvelle Héloïse deux parties distinctes : jusqu’au mariage de Julie c’est le
roman de la passion contrariée des amants, après le mariage c’est le roman de la vertu
conjugale. Au point de vue de la composition, Rousseau crée une symétrie entre les deux
parties par la reprise de certaines scènes, ce qui éclaircit l’évolution sentimentale des
protagonistes.
En ce qui concerne l’ordre temporel du roman, on peut affirmer qu’en grandes lignes le temps
du discours coïncide avec le temps du récit : le destinateur s’adresse à son destinataire en lui
racontant des faits, en lui présentant des états d’âme, en lui décrivant des paysages qu’il vient
de vivre ou de voir. C’est cette superposition des deux temporalités qui permet à l’auteur de
tresser les fils des événements. Mais l’évocation des moments ponctuels s’accompagne
souvent d’un retour en arrière, à des moments révolus, que le mémoire actualise et fait
revivre. Tout moment présent est le temps du malheur, par rapport auquel le passe devient le
bonheur perdu. Le ton élégiaque transforme, dans cette perspective, même le temps de
l’absence en moments de félicite, car il était animé par l’espoir, tandis que le présent en est
exempt. Pour Julie, le temps passé se colore de péché, ce qui lui donne le sentiment de
culpabilité. Dans cette perspective temporelle moralisée, ce qui pour le cœur a été le bonheur,
devient pour la conscience un bonheur coupable.
Rousseau maîtrise parfaitement, d’une manière très moderne, la temporalité de son roman, en
la soutenant avec le devenir de ses héros : leur parcours linéaire est fait d’une succession de
moments passés relatés par des narrateurs différents, de sorte qu’à la fin le lecteur découvre
qu’ils ont changé, tout en restant fidèles à eux-mêmes.
Ce petit livre devenait le Coran des révolutionnaires ; il inspirait la déclaration des droits de
l’homme et du citoyen; il servait à légitimer les violences des jacobins. Aujourd’hui encore,
sa critique de la propriété est à la base des doctrines sociales et communistes modernes
Il formule la théorie de l’étatisme absolu : le souverain y est souverain maître des biens, de la
personne, de la conscience même des particuliers. On a soutenu que Rousseau, si
passionnément attache aux droits de l’individu, s’était ici contredit lui-même ; c’est faute
d’avoir pris garde que l’étatisme était pour lui un moyen, le seul qui lui paraissait possible
pour dissoudre les forces qui opprimaient l’individu et pour maintenir au profit de l’individu
l’égalité ainsi rétablie.
Les Confessions- écrit autobiographique
Par cette œuvre, Rousseau prétend se montrer à ses adversaires réels ou imaginaires tel qu’il
est, sans aucune correction, en pleine sincérité. Par la confession de ses erreurs et péchés,
l’auteur veut se justifier et s’absoudre lui-même contre tout calomniateur. Les confessions ont
un double destinataire : dieu et les hommes. On constate la présence diffuse du lecteur, le
témoin possible se réduisant le plus souvent au on indéfini.
Rousseau nous présente vraiment sa transformation : il est devenu un homme moral par une
rude confrontation avec les imperfections, les impuretés, les vices de son être, tout aussi
puissants que ses vertus.
Passé et présent sont doublement valorisés par Rousseau : le passé est tour à tour objet de
nostalgie et objet d’ironie, le présent est regardé tantôt comme état de dégradation morale,
tantôt comme état de supériorité intellectuelle.
LE ROMAN AU XIXe SIECLE
- les premières années du XIXe siècle enregistrent une crise du roman
- vers le gothique et vers l’intrigue sentimentale
- le roman sentimental →le roman intime= cultive le ton pathétique et déplace le conflit
vers l’intérieur (Chateaubriand, Benjamin Constant, Senancourt)
- le dramatisme de l’action ;
Les personnages
La structure narrative
- le roman est dominé par une thèse humanitaire: l’injustice, l’indifférence, le système
répressif, poussent les « infortunés » à devenir des « infâmes » ; pour les sauver, il faut de
la patience et de l’amour, il faut de l’instruction, de la justice sociale et de la charité
chrétienne.
- ce que V’H. se propose par ce roman est de composer « une montagne », « le poème de
la conscience humaine », « une épopée supérieure et définitive ».
La période envisagée était 1815-1832. Le conflit était moins social que moral et
philosophique. On n’envisageait pas la lutte des pauvres et leur libération, mais
l’ascension vers un idéal spirituel= l’épopée d’une conscience
Michel Raymond dit que « V.H. ne s’intéresse pas à la réalité sociale de Jean Valjean,
mais à son salut. »
- c’est la réalité qui envahit le roman et les événements historiques y occupent une large
place
Les personnages
Chaque partie débute par une longue introduction ensuite c’est le récit et l’analyse des
personnages. Les débats de conscience de Jean Valjean, l’évolution de Marius, l’évolution
sentimentale de Cosette constituaient une sorte de contrepoint à l’action extérieure.
« L’histoire contée se déroulait sur deux plans : le monde et l’âme. » (Raymond M.) Hugo
démultipliait l’action romanesque au niveau de diversité apparente comme à celui de la
profondeur cachée.
Les trois premières parties de l’ouvrage « racontent les cheminements des principaux
personnages vers cette barricade de la rue de la Chanvrerie.. ». Dès la 4e partie Hugo réunit
tous les fils de l’intrigue ; le rythme haletant du récit, après les lenteurs d’une triple
préparation, emporte d’un seul coup tous les personnages.
Un vrai mythe de l’auteur élève celui-ci à l’omniscience. Hugo c’est la Providence qui voit
tout, qui connait tout et qui dirige les moindres gestes de ses héros.
LE ROMAN RÉALISTE
HONORÉ DE BALZAC
(1799-1850)
Le roman réaliste se trouve en germe dans les théories romantiques. Par le goût du concret et
la préoccupation du détail précis, par les ambitions d’exactitude du roman historique, le
romantisme ouvre au fond, la voie au roman réaliste.
Apres 1830, Balzac s’arrête, dans de nombreuses préfaces sur la valeur du détail que ses
prédécesseurs n’avaient pas inclus dans leur programme.
Le réalisme de Balzac sera visionnaire. Pour mieux saisir les mécanismes sociaux, le
romancier sera doublé du philosophe. La philosophie de Balzac, exposée dans l’Avant-Propos
à la « Comédie Humaine » repose sur la constatation qu’ « il n’y a qu’un seul animal ». Il y a
des « Espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques ». A la différence de l’animal,
l’homme saura transposer sa vie intérieure dans l’aspect extérieur.
Le romancier philosophe sera donc doublé du peintre, qui à l’aide de la description minutieuse
du milieu, des vêtements, de traits physiques et des particularités du langage pourra suggérer
le côté profond de l’individu.
La matière du roman est l’histoire des mœurs. Pour réaliser l’image globale de son époque, le
romancier a l’idée de relier les romans les uns aux autres à l’aide des personnages
reparaissants.
Eugenie Grandet
le thème de la paternité
le drame de l’argent
l’assaut des ambitions à la conquête de la fortune
Paris comme un alambic ou les valeurs humaines se transforment en contact
avec le jeu des intérêts
Le récit linéaire est remplacé par le récit -mosaïque où chaque segment narratif est lie à
l’ensemble, des éléments du récit connus dans d’autres romans ajoutent des résonnances
supplémentaires à l’action racontée et ouvrent des perspectives vers des destinées et des
conflits complexes.
Possédés par le soif de connaître, par l’amour ou la haine, par l’ambition de s’élever dans la
hiérarchie sociale- les héros de Balzac vivent l’épopée de la volonté
Le personnage balzacien
L’action de chacun tourne autour d’un jeune homme qui ressemble plus au moins à l’auteur,
mais qui évolue dans un autre milieu et qui a un autre sort. Autour de ce personnage central
gravitent quelques figures vivantes inspirées de ses connaissances mais jamais copiées.
Armance- le thème de l’impuissance physique séparant deux amoureux. Fidèle à son idée de
réalisme subjectif, il cherchait une certaine vision du monde, l’image de la société parisienne
donnée par un infirme. L’intrigue était le contraire d’une idylle. Elle débute par l’amour,
continue par l’amitié et la séparation définitive.
Julien Sorel- illustre l’énergie provinciale, les classes pauvres en ascension. Sous Napoléon il
aurait été rouge, c’est-à-dire soldat. Sous la Restauration, ce sera le noir qui l’aidera à
parvenir.
- il est séminariste. Ensuite, c’est la conquête par les femmes. Madame de Rênal, Mathilde de
la Mole mêlent leurs destinées à celle du héros.
Julien Sorel qui veut réussir doit très bien connaître le contexte social et se plier à ses
exigences.
- Le Rouge et le Noir est un des premiers roman du XIXe siècle dont le héros est âprement
confronté au monde réel.
Le Rouge et le Noir= l’histoire d’une âme noble, d’un passionne qui souffre de ce décalage
qu’il constate entre son génie et sa condition
Lucien Leuwen- sur les 3 parties que comprend le pan, Stendal n’en a réalisé que 2. Dans la
première – l’amour de Lucien pour madame Chasteller, dans la deuxième envisage
l’expérience politique du héros de même que sa liaison avec madame Grandet.
- le roman de l’initiation. A travers des expériences diverses, le héros connaît le monde réel
et se découvre soi-même.
- Jeune passionné et intelligent, il vit dans un monde qu’il déteste. Admirateur de Napoléon,
Fabrice doit tricher pour réaliser ses rêves de grandeur.
- A la différence de Julien qui est un solitaire, Fabrice est toujours entouré de monde.
Lamiel – l’héroïne de ce roman inachevé est la réplique féminine du Julien Sorel. Tout aussi
énergique et forte que celui-ci, Lamiel ne finit pas sur l’échafaud, mais ne peut trouver
l’amour qu’auprès d’un forçat.
L’originalité de Stendhal
- Stendhal étudie la psychologie amoureuse, mais ne perd pas de vue la volonté et l’énergie
- Il explore la sensation. Les mystères de l’âme sensible le préoccupent dans le plus haut
degré.
Le personnage
Auerbach dans Mimesis considère Stendhal le fondateur du réalisme dans ce sens qu’il a lié
l’individu au milieu qui l’avait produit.
- L’opposition entre la volonté et une destinée assez souvent tragique, confère à l’individu
un statut héroïque.
- Il commence par se cherche un modèle qui pour Julien Sorel ou Fabrice del Dongo est
Napoléon Bonaparte.
- Entre le héros et son désire intervient un médiateur qui est de nature interne parce qu’il
appartient au monde réel
- Le héros stendhalien s’oppose au héros romantique qui ne reconnaît jamais son modèle
- Individualiste et épicurien, Fabrice illustre dans le plus haut degré le beylisme (double
attitude devant la vie) propre au personnage de Stendhal : le culte du moi (l’égotisme),
l’art de découvrir le bonheur par l’affinement de l’intelligence et de la sensibilité.
- Le culte du l’énergie nous dévoile un être fort, toujours préoccupe a étouffer ses passions.
L’art narratif
- N’adopte pas le modèle de Walter Scott, sa structure romanesque ne réside pas dans cette
longue exposition et cette action dramatique qui se précipite vers le dénouement.
- La composition procède d’une succession d’épisodes qui suivent les étapes d’une vie.
- L’ordre est donné par l’enchaînement temporel des événements et le retour en arrière
n’apparait que très rarement chez Stendhal, prêt surtout à accélérer qu’à ralentir.
- Dans « Le Rouge et le Noir » seul le récit d’enfance de Julien transfère le lecteur au
passé. Dans le reste on se trouve dans un présent continu ou l’analyse est tout aussi rapide
que l’action.
- A l’intérieur du roman, les descriptions sont assez courtes, d’un seul trait, Stendhal
évoquant un vaste paysage. Lorsque les descriptions sont faites par les personnages eux-
mêmes, elles sont fragmentaires, à mesure que ceux-ci découvrent la réalité extérieure.
- Une restriction du champ narratif aux perceptions et aux pensées d’un seul personnage.
L’image de la totalité est réalisée par le changement de foyer et par l’instruition de
l’auteur.
- On a accès à la pensée des personnages par le monologue intérieur. Le récit de l’auteur est
lie à celui-ci par le discours indirect libre. Le lecteur saisit donc le personnage d’une
perspective complexe, de l’intérieur et de l’extérieur ce qui conduit à la transparence
totale du livre. Le lecteur vise donc a l’omniscience
- Assure à son récit, même s’il prétend que l’idée de faire un plan le paralyse, une forte
structure par un jeu de contrastes et de symétries
Ce gout de la vérité fondée sur l’observation intime écartera même Stendhal du roman en le
conduisant à l’autobiographie
- Il s’opère dans son œuvre une circulation entre l’autobiographie et le roman ; il entend
bien pénétrer ses fictions de la vérité qu’il avait pu observer en lui-même
- L’image du miroir revient volontiers sous sa plume. « Un roman : c’est un miroir qu’on
promène le long du chemin. »- met en évidence le caractère réaliste de son art. Si chez
Balzac on peut parler d’un miroir concentrique, captant les multiples facettes de la réalité,
chez Stendhal « le miroir qu’on promène » se rapporte à la fois à une réalité intérieure (de
l’individu) et à une réalité extérieure ce qui confère une double forme au roman
stendhalien : la forme biographique et la forme chronique.
- Il y a dans Le Rouge et le Noir, à côté des souvenirs personnels et des faits divers trouvés
dans La Gazette des Tribunaux, des éléments qui sont empruntés à la chronique de 1830.
Ces « pilotis » historiques donnent au roman son accent de « vérité, d’âpre vérité ».
- Julien, est contraint, s’il veut réussir, de se plier aux exigences des forces dominantes.
C’est par là que Stendhal montre son souci de la vérité et qu’il fait faire au roman
moderne un progrès décisif : le héros doit affronter les rigueurs du monde véritable.
Le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen présentent une image vivante des mœurs du temps et des
forces qui s’affrontent. Avec Lucien Leuwen, Stendhal est encore allé plus loin dans le souci
d’exactitude.
L’exacte représentation des mœurs du temps, la peinture d’un héros qui éprouve sa valeur au
contact du monde nous fait assister, avec Le Rouge et le Noir à la naissance du roman
moderne.
- Ce roman dresse le personnage de Julien dans toute sa stature de d’ambitieux : s’il échoue,
ce n’est point par sa faiblesse, mais par celle d’une femme qui l’a aimé. L’auteur met en
relief la noblesse du héros vaincu.
L’actualité nourrit le roman de références constantes. L’amour du héros pour Mme Chasteller
est la seule valeur qui soit préservée, il fait contraste avec la misérable horreur au sein de
laquelle Lucien est oblige de vivre, à laquelle même il lui faut participer s’il veut sortir de soi
et devenir quelqu’un.
Stendhal ne veut pas se parer des dons du narrateur omniscient de type balzacien, qui prend en
charge la présentation des événements et des personnages. Il fait de ses héros- le centre de
perspectives.
- Vision extérieure, agrémentée par une infinité de tons- ironique, espiègle, familier, tendre
- Vision complice lorsque le narrateur regarde son héros par les yeux d’un autre personnage
Julien, Fabrice, Lucien, Lamiel- leur vie intérieure est faite de débats incessants, tout est
expérience et découverte pour eux.
- agissent au nom de leur propre éthique, ils ne se soucient pas de plaire aux autres.
(1821- 1880)
La littérature pour lui devient une libération car transfigurer la réalité est une façon de la nier.
Le sujet de la plupart des œuvres est tire de la réalité ignoble qui exerce sur lui, comme sur
Baudelaire, une étrange fascination.
Madame Bovary
L’héroïne, Emma Bovary, lectrice passionnée des romans sentimentaux et douée d’une
sensibilité vive, se cherche des évasions dans les rêves.
Elle transfigure la réalité, tout prend dans son imagination des proportions exagérées. Cette
puissance d’illusion devient le vrai sujet du livre. (le bovarysme)
Si l’entourage d’Emma accepte la médiocrité, elle seule, par son refus, connait le gout de
l’absolu.
Salammbô
L’éducation sentimentale
Le roman de l’échec, L’éducation sentimentale n’est pas seulement le roman d’un temps, c’est
celui d’une vie. Flaubert suit de près le paysage de l’adolescence à la maturité, jusqu’aux
résignations de la cinquantaine. L’autobiographie y tient une large place.
Son roman se retrace les espoirs et les déboires d’une vie ; il est fait du tissu ordinaire des
jours, il ne fait pas la pyramide.
La succession des scènes rend sensible l’émiettement de la vie en une poussière de menues
circonstances.
Les démarches succèdent aux démarches, les visites aux visites, les conversations aux
conversations.
Le roman de Flaubert donne l’impression de ce qui se passe dans la vie, ou il ne se passe rien,
ou c’est la vie qui passe.
Flaubert écrit avec « L’Education sentimentale » le roman d’un temps désemparé : les
hommes ont cessé de déterminer l’Histoire, ils sont marqués par elle.
Flaubert a une vue lucide, dès le début, de ce qu’il voulait faire, ou plutôt de la seule chose
qui restait à faire dans l’époque qui était la sienne.
« Je veux, écriva-t-il, faire l’histoire morale des hommes de ma génération ; « sentimentale »
serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion, mais passion telle qu’elle peut exister
maintenant, c’est-à-dire inactive. »
L’intrigue tourne autour d’une rencontre qui est celle du jeune Flaubert et de Mme
Schlésinguer.
L’art de Flaubert devient moins impersonnel pour faire revivre des souvenirs d’enfance et des
personnages qu’il avait réellement connus.
Bouvard et Pécuchet
- Le trajet circulaire, les deux héros revenant au point de départ, est révélateur d’un
échec qui ferme sur lui-même.
Nature impétueuse et romantique, Flaubert est attiré, dans sa jeunesse par Goethe et V. Hugo.
(1869- 1951)
Principales œuvres: Les Cahiers d’André Walter, 1891; Le Traité du Narcisse, 1892; Le
Voyage d’Urien, 1893; Paludes, 1895; Les Nourritures terrestres, 1897; L’Immoraliste,
1902 ; La Porte étroite, 1909 ; Isabelle, 1912 ; Les caves de Vatican, 1914 ; La Symphonie
pastorale, 1919 ; Les Faux- Monnayeurs, 1925-1926 ; L’Ecole des femmes, 1929 ; Robert,
1930 ; Les Nouvelles Nourritures, 1935 ; Geneviève, 1936 ; Journal, 1932 et 1936 ; Thésée,
1936
Gide a été presque uniquement connu un des plus grands écrivains de son siècle. Comparé à
Malraux, Sartre, Camus, Beckett, l’œuvre de Gide a relevé une frivolité. Mais aujourd’hui on
se rend compte que son œuvre renouvèle le dialogue permanent entre l’art et le monde. Il a eu
un esprit très mobile désireux de tous connaître.
Il a eu des initiatives qui ont ouvert des perspectives nouvelles à la littérature. Au début il a
été influencé par le symbolisme (la période décadente)
Le personnage Hathanaël- « les Nourriture terrestres »- il est l’auteur même, il veut connaître
le véritable sens de la vie, l’exaltation, libération totale pour connaître toutes les joies de la
terre.
Toutes ses œuvres- une recherche patiente de la libération complète de l’âme. Marqué par une
éducation rigide conforme aux traditions protestantes, étouffé par une affection maternelle
abusive il a voulu rompre ses chaînes.
Mais l’adolescent dispose à suivre son leçon devra commencer par se libérer des contraintes
qui entravent son élan vers les joies de la terre.
Gide gardera malgré son désir de goûter la vie, un attachement fidèle à Madeleine Rondaux et
l’admiration pour la foi chrétienne incarnée par Madeleine.
La plupart de ses œuvres révèle un conflit ou une oscillation entre l’aventure et la sagesse, le
plaisir et le sacrifice.
-être contradictoire ; ces contradictions il les met au compte de l’ironie- des livres ironiques
critiques.
Pour ses contemporains, Gide a été le grand contestataire de l’éthique imposée par une société
conventionnelle et hypocrite, un destructeur qui a fait éclater la morale et le langage, la
psychologie des caractères.
Ses livres posent des problèmes de la vie morale, mais ne leur apportent aucune solution. La
seule réponse c’est l’œuvre d’art
Le Prométhée- la liberté
Paludes- l’absurde
Ainsi le monde chrétien se trouve déposséder de son chef spirituel. Pour délivrer le pape,
enfermé dans les caves du Vatican, ces aventures organisent une croisade secrète et volent
l’argent des fidèles.
On trouve une faiblesse dans la structure romanesque ; éléments divers qui s’ajoutent mais
que rien n’attire, il n’a pas pu achever son livre car les événements et les personnages ne le
conduisaient nulle part.
Les Faux-Monnayeurs
Gide l’a écrit après une correspondance avec Roger Martin du Gard- ils ont médité sur la
structure romanesque.
La critique a accueilli assez bien le roman ; attirée par sa nouveauté technique. Il est à la fois
théorie et pratique du roman (la mise en abime). Au centre il y a oncle Edouard ; il est en train
d’écrire ce roman; il fait des réflexions sur le roman et en même temps il a des relations avec
les personnages.
Le lecteur est dérouté par la structure, car l’auteur ne fait pas une composition dramatique
serrée, mais abandonne la chronologie et disloque le récit.
Le roman présente à la fois 3 chapitres ; il trouve que « la symétrie est nébuleuse ».
Refusant de conduire une intrigue centrale ferme, Gide multiplie les intrigue qui
s’entrecroisent et foisonnent dans des directions diverses.
Oncle Edouard en liaison avec tout le monde forme un lien assez artificiel. Cette structure
nonchalante convient à ce roman de l’adolescence, des êtres qui se cherchent, qui se forment.
Le thème : le titre du roman nous fait découvrir les thèmes les plus importantes.
1. Il rappelle la Cande d’enfants menée par Strouvilhon quittant d’écouler des fausses
pièces de monnaies- intrigue mineure
2. Il nous rappelle le titre du livre qu’Oncle Edouard s’efforce d’écrire. Même si cette
tentative souligne l’importance du genre romanesque, on ne peut pas dire que cette
intrigue justifie le titre
(1871- 1922)
Principales œuvres: Les Plaisirs et les jours, 1896; La Bible d’Amiens, 1904; Du cote de chez
Swann, 1913; A l’ombres des jeunes filles en fleurs, 1918; Le Cote de Guermantes, 1921;
Sodome et Gomorrhe, 1921-1922; La Prisonnière, 1923; Albertine disparue, 1925; Le Temps
retrouvé, 1927; Chroniques, 1927; Correspondance générale, 1930-1936; Contre Sainte-
Beuve, 1954
“A la recherché du temps perdu”: Du côté de chez Swann, A l’ombre des jeunes filles en
fleurs, Le côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue, Le
temps retrouvé
Par sa toute-puissante originalité de même que par sa masse énorme ce roman-là représente
pour le XX-e siècle français ce que le roman de Balzac avait représenté pour le XIXe siècle.
- Il contribue mieux que nul autre au changement radical, a la métamorphose que connait le
roman de XX sicle
- - replie sur lui-même, uniquement attentif à « traduire » fidèlement cette voix intérieure
qui lui parle, à la surprendre et fixer dans tout ce qu’elle a de fragile et de vulnérable
- A la recherche du temps perdu apporte une contribution très importante à l’histoire des
mœurs et pourrait être lu aussi comme chronique et même comme satire d’une certaine
société.
- Différence essentielle entre Balzac et Proust, il faut également admettre que les buts des 2
géants du roman français sont tout différents. Si l’un veut créer un roman qui se propose
de reproduire de la façon la plus fidèle une certaine réalité objective, l’autre ne s’intéresse
a cette réalité objective que pour nous dire que chaque conscience voit à sa manière cette
réalité et que le roman doit s’ingénier non pas à peindre le monde, mais à monter ce qui se
passe dans une conscience se trouvant face au monde.
o L’un vise en tout premier lieu le monde objectif
o L’autre – la conscience subjective
- Balzac décrit le monde tandis que Proust décrit la façon dont la conscience voit le monde.
- Le roman de Proust consacre la victoire de « la durée » sur le temps. Cette « durée » n’est
autre que le temps subjectif ou le temps vécu.
- La durée relève de l’expérience la plus intime et est différemment perçue par chaque
individu
- Le temps- « le temps des horloges » est un temps objectif, abstrait, le même pour tous, il
est conçu comme une suite régulière d’unités égales et identiques les unes aux autres,
établies par convention
- Temps des horloges- parfaitement mesurable, règle notre vie à tous, mais d’une certaine
façon (extérieure) car notre vie la plus intime est réglée par la durée→ la mémoire
volontaire
La mémoire involontaire
- l’opposé de la « mémoire volontaire » qui opère avec « le temps des horloges » (le tp.
chronologique)
- la mémoire involontaire opère tout spontanément, nous surprenant par ses découvertes ;
- elle n’est pas commandée par l’intellect et par la volonté, mais par la vie la plus secrète de
notre inconscient, de notre affectivité et de nos intuitions les plus obscures
- la mémoire volontaire nous livre un passé mort
- la mémoire involontaire nous livre un passé vivant, tout aussi vivant que le présent que
nous vivons
- ce passé revécu grâce à la mémoire involontaire a plus de réalité que le présent même
- avec Proust le roman devient un roman- quête, un roman gnoséologique
- la surprise produite par la mémoire involontaire arrête en quelque sorte le temps sur une
contemplation intérieure
- le sujet, détache de la sorte du monde extérieur, familier et habituel, va pénétrer en lui-
même
Chaque fois que la mémoire se déclenche, le narrateur a le sentiment qu’il retrouve une
sensation déjà ressentie et que cette sensation lui apporte un message fondamental caché, qu’il
veut comprendre.
Le sens se dérobe toujours, mais en revanche, le narrateur découvre chaque fois dans sa
mémoire le moment du passé où il a déjà eu cette sensation et il commence à raconter de sa
vie, ce qui suggère que le roman est autobiographique.
L’idée proustienne d’un 2e moi différent du moi quotidien- l’idée poétique énoncée par
Rimbaud, retrouvée dans l’esthétique surréaliste.
Proust a longuement travaille sur le lexique : les noms des personnages forment un ensemble
de poéticité remarquable : Gilbert, Odette, Albertine, Swann, Guermand.
Le passage de « il » au « je » coïncidait avec le désir de fonder le roman sur une expérience
intime. Le roman se termine quand le narrateur a fini de rendre compte de tout son passé.
Le personnage proustien
Proust n’était pas seulement un moraliste, il a été un romancier capable de créer des
personnages qui vivent avec intensité.
Charles est un des plus puissantes figures du roman français, il a la stature du Vautrin, mais il
porte en lui, comme beaucoup d’autres personnages proustiens, plus de contradictions qu’on
ne trouvait chez les heros de Balzac.
Nous ne sommes jamais place en son centre, nous n’avons sur lui que des renseignements
limites, le narrateur ne nous rapporte que ce qu’il sait.
On peut observer, chez Swann, pendant qu’il écoute la sonate de Vinteuil, la complexité et
l’enchevêtrement d’une conscience à plusieurs étages.
La multiplicité des états de conscience est souvent interprétée par Proust comme une
succession de personnages différents.
Charles passe, d’un jour à l’autre, d’un instant à l’autre de la colère à la douceur.
Robert de Saint-Loup, généralement ouvert et bon est subitement capable d’une méchanceté
sournoise et cynique : le narrateur parle, dans ce cas, d’une « éclipse partielle de son moi ».
Les métamorphoses du personnage dans le temps viennent accroitre encore sa complexité, car
les années accusent certains traits.
Les personnages de Proust sont des figures puissantes, proches de la vie par leur complexité,
mais fortement caractérisées.
Avec Proust on peut parler de vocation d’artiste. Le monde balzacien est à l’œuvre chez
Proust par le retour des personnages, par la réflexion sur le monde contemporain, par
l’exactitude des descriptions de milieu, par la dimension évidemment allégorique de certains
personnages et de certaines situations.
Une des thèmes les plus constantes de Proust est d’opposer le monde imaginaire, le monde
réel et le monde recréé par l’artiste.
En Proust il y a aussi un auteur dramatique qui peut être drôle, un ironiste vivace, mais aussi
un psychologue de « Sodome et Gomorrhe »
La structure du roman est circulaire, le héros devient le narrateur, et ce narrateur ne peut que
raconter ce que nous avons déjà vu vivre le héros. Une invitation à la reprise de la lecture et la
découverte de nouveaux sens.
ALBERT CAMUS
Le XXe siècle se caractérise par une extrême diversité de directions et d'expériences
littéraires. Le trait commun consiste dans le fait qu'elles se proposent toutes de se différencier
des expériences et des courants du siècle précédent.
Cette différenciation s'opère sur deux plans: celui du contenu et celui de la forme.
Quant à la forme on refuse la structure du roman traditionnel, balzacien surtout (caractérisé
par une narration linéaire) et on rejette la philosophie déterministe positive. Sur le plan du
contenu, le XXe siècle inaugure un nouveau type de réflexion sur la réalité d'où les valeurs
traditionnelles censées être éternelles et absolues -la vérité, le bien, le beau- sont abolies; cela
parce que le XXe siècle débute sous le signe du refus de la pensée métaphysique et
théologique qui, jusque là avait imprégné non seulement le domaine de l'art mais aussi celui
des sciences.
Ce changement avait été très bien synthétisé par la célèbre phrase de Nietzsche: "Dieu
est mort". Or, l'absence de la divinité, dernier repère de toute valeur, provoque le sentiment de
l'absurde de l'existence. Ainsi, toute la création d'Albert Camus va se situer sous le signe de
cette nouvelle manière de penser.
Dans Le Mythe de Sisyphe le tragique est pleinement présent dans l’intrigue. L’essai
est construit à partir du sentiment de l’absurde, de ce qui est ressenti comme doué de non-
sens. Devant l’évidence du malheur, la solution à adopter n’est pas le suicide ; on doit d’abord
accepter cette condition sans se décourager et tenter de lutter contre l’absurde. Pour cela il
faut refuser de se laisser trompé par les valeurs établies par la morale traditionnelle.
Du point de vue de l’évolution, le sentiment de l’absurde est comme un déclic produit
lorsque l’homme réalise le caractère inévitable de sa fin. Face à cette situation sans issue,
l’homme absurde doit toujours se trouver dans un état de révolte, car le combat mené contre
les évidences de l’échec est cependant une victoire. Finalement, cette attitude partie d’une
existence absurde affirme non pas une victoire définitive, mais un état de satisfaction,
d’accomplissement : „Il faut imaginer Sisyphe heureux !”
Clamence se rappelle d’abord sa vie insouciante, car il avait été avocat comblé de
succès à Paris, ensuite, il présente les événements qui ont déclanché le processus de prise de
conscience: d’abord un rire moqueur dans la nuit, suivi par le suicide d’une femme qui s’est
jetée à l’eau devant lui, sans qu’il fît le moindre effort pour l’arrêter. C’est ainsi que le
protagoniste réalise la vanité de la comédie mondaine, se mettant à juger son propre
contentement borné, sa vie nette d’apparence. Cette sincérité s’avère être une invitation,
adressée à l’interlocuteur, à l’autoanalyse. L’étalage des erreurs est destiné à créer un
sentiment général de mauvaise conscience, de sorte que Clamence devient accusateur de tous.
Sous le masque de la justice, il accable tous les autres de sa faute à lui.
Clamence est présenté par Camus comme une sorte de nouveau prophète, parce qu’il
se prénomme Jean-Baptiste, mais C’est une espèce de nouveau prophète inversement
généreux, apparaissant comme un nouveau moraliste et un nouveau philosophe. Il s’agit d’un
philosophe qui affirme non pas son être mais sa chute: „Je tombe, donc je suis !”.
La Peste est considéré l’un des plus importants romans de la Résistance française
pendant l’occupation nazie. Le roman est d’abord la chronique d’une épidémie de peste,
éclatée à Oran, retracée par un médecin, mais il est aussi le récit d’un psychologue et d’un
moraliste qui analysent les réactions individuelles ou collectives. Peu à peu, les uns et les
autres font, dans le malheur, l’apprentissage de la solidarité.
On présente, d’une manière réaliste, les premiers signes de l'épidémie, son évolution
et, parallèlement, la naissance de la solidarité humaine devant le mal menaçant la
communauté. Les personnages principaux du roman sont: le docteur Rieux, Tarrou et le
journaliste Rambert. Les premiers deux sont fraternellement unis par le même désir de
soulager la douleur de leurs semblables; ils sont deux intellectuels révoltés contre toutes les
formes de la mort. Le journaliste Rambert, dont la fiancée l’attend à Paris, a été surpris par la
peste, dans la ville d’Oran, pendant un reportage. Il veut s’échapper de la ville maudite (il
avait la perspective d’un bonheur individuel), mais le moment même où il a la possibilité de
s’en échapper il change d’avis et décide d’y rester afin d’aider ses semblables dans la lutte
contre la peste. Son explication a été qu’il pouvait „avoir de la honte à être heureux tout seul”.
C’est le moment où il devient évident que le mot clef de la pensée de Camus n’est plus le mot
„solitaire”, mais „solidaire”.
La conclusion qui en résulte est que, malgré l'absurde, malgré l'absence de tout
argument ("rien ne vaut qu'on se détourne de ce qu'on aime"), on se sent solidaire avec
l`humanité malheureuse. On a voulu voir dans l'épidémie de peste qui a frappé la
communauté d'Oran, le fascisme qui venait d'être écrasé en Europe après avoir produit de
nombreux dégâts- stricǎciuni- et victimes (le roman paraît en 1947). La Peste se présente
comme une lecture univoque appauvrissante car (tout comme la pièce d'E. Ionesco, Les
Rhinocéros) le symbole de la peste est beaucoup plus riche: il renvoie à n'importe quel
phénomène qui pourrait mettre en danger l'humanité.
Tour à tour essayiste, romancier et auteur dramatique comme J.P. Sartre, Camus se
consacrera de plus en plus à sa carrière d'écrivain. Son œuvre pourrait, en gros, s'ordonner
autour de deux pôles : l'absurde et la révolte, correspondant aux deux étapes de son
itinéraire philosophique.
1. La morale de l’absurde
La prise de conscience du non-sens de la vie le conduit à l'idée que l'homme est libre de vivre
"sans appel", quitte à payer les conséquences de ses erreurs, et doit épuiser les joies de cette
terre. Ces idées, exposées dans Le Mythe de Sisyphe, sont illustrées par le roman de
L'Étranger.
2. L’humanisme de la révolte
L'auteur aboutit à la découverte d'une valeur qui donne à l'action son sens et ses limites : la
nature humaine. Cet humanisme apparaît dans La Peste (1947) et dans deux pièces de théâtre,
L'Etat de siège (1948) et Les Justes (1950), avant de s'exprimer vigoureusement dans
L'Homme Révolté (1951).
La carrière de Camus est donc celle d'un psychologue et d'un moraliste. Dans son exigence de
probité, avec une réserve et une sobriété toutes classiques, il accorde la première place aux
idées et refuse de sacrifier à la magie du style. Pourtant ce serait une erreur de méconnaître la
variété et l'exacte appropriation de son art d'écrivain. Sans doute a-t-il su nous imposer dans
L'Étranger et La Peste ce style neutre, impersonnel, tout en notations sèches et monotones,
qui est devenu inséparable du climat de l'absurde; mais on découvre aisément dans son œuvre
des résurgences de l'aptitude poétique à traduire les sensations dans leur pleine saveur qui
triomphait dans Noces (1938), un des premiers essais où, avant l'amère découverte de
l'absurde, le jeune Camus célébrait avec fougue ses "noces avec le monde". Et l'on sera
sensible à l'ironie et à l'humour qui jettent çà et là de discrètes lueurs, avant de briller de tout
leur éclat dans La Chute (1956), œuvre étrange et séduisante dont la verve et le rythme
capricieux font songer à la "satire" du Neveu de Rameau.
Camus et l’absurde
Bien qu'apparenté dans une certaine mesure à l'existentialisme, Albert Camus s'en est assez
nettement séparé pour attacher son nom à une doctrine personnelle, la philosophie de
l'absurde. Définie dans Le Mythe de Sisyphe, essai sur l'absurde (1942), reprise dans
L'Étranger (1942), puis au théâtre dans Caligula et Le Malentendu (1944), elle se retrouve à
travers une évolution sensible de sa pensée, jusque dans La Peste (1947). Il importe, pour
lever toute équivoque, d'étudier cette philosophie dans Le Mythe de Sisyphe et de préciser la
signification de termes comme l'absurde, l'homme absurde, la révolte, la liberté, la passion
qui, sous la plume de Camus, ont une résonance particulière.
Non-sens de la vie
La vie vaut-elle d'être vécue ? Pour la plupart des hommes, vivre se ramène à "faire les gestes
que l'habitude commande". Mais le suicide soulève la question fondamentale du sens de la vie
: "Mourir volontairement suppose qu'on a reconnu, même instinctivement, le caractère
insensé de cette agitation quotidienne et l'inutilité de la souffrance".
1. Le sentiment de l’absurde
Pareille prise de conscience est rare, personnelle et incommunicable. Elle peut surgir de la
"nausée" qu'inspire le caractère machinal de l'existence sans but : "Il arrive que les décors
s'écroulent. Lever, tramway; quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre
heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le
même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le
'pourquoi' s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'écœurement". Cette
découverte peut naître du sentiment de l'étrangeté de la nature, de l'hostilité primitive du
monde auquel on se sent tout à coup étranger. Ou encore de l'idée que tous les jours d'une vie
sans éclat sont stupidement subordonnés au lendemain, alors que le temps qui conduit à
l'anéantissement de nos efforts est notre pire ennemi. Enfin, c'est surtout la certitude de la
mort, ce "coté élémentaire et définitif de l'aventure" qui nous en révèle l'absurdité : "Sous
l'éclairage mortel de cette destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale, aucun effort ne sont a
priori justifiables devant les sanglantes mathématiques de notre condition". D'ailleurs
l'intelligence, reconnaissant son inaptitude à comprendre le monde, nous dit aussi à sa
manière que ce monde est absurde, ou plutôt "peuplé d'irrationnels".
2. Définition de l’absurde
En fait, ce n'est pas le monde qui est absurde mais la confrontation de son caractère
irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme.
Ainsi l'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le monde, mais dans leur présence commune. Il
naît de leur antinomie. "Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme
la haine seule peut river les êtres... L'irrationnel, la nostalgie humaine et l'absurde qui surgit
de leur tête-à-tête, voilà les trois personnages du drame qui doit nécessairement finir avec
toute la logique dont une existence est capable".
L’homme absurde
Si cette notion d'absurde est essentielle, si elle est la première de nos vérités, toute solution du
drame doit la préserver. Camus récuse donc les attitudes d'évasion qui consisteraient à
escamoter l'un ou l'autre terme : d'une part le suicide, qui est la suppression de la conscience;
d'autre part les doctrines situant hors de ce monde les raisons et les espérances qui
donneraient un sens à la vie, c'est-à-dire soit la croyance religieuse soit ce qu'il appelle le
"suicide philosophique des existentialistes (Jaspers, Chestov, Kierkegaard) qui, par diverses
voies, divinisent l'irrationnel ou, faisant de l'absurde le critère de l'autre monde, le
transforment en "tremplin d'éternité". Au contraire, seul donne au drame sa solution logique
celui qui décide de vivre seulement avec ce qu'il sait, c'est-à-dire avec la conscience de
l'affrontement sans espoir entre l'esprit et le monde.
"Je tire de l'absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma
passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation
à la mort - et je refuse le suicide". Ainsi se définit l'attitude de "l'homme absurde".
1. Le défi
Cette révolte n'est que l'assurance d'un destin écrasant, moins la résignation qui devrait
l'accompagner". C'est ainsi que Camus oppose à l'esprit du suicidé (qui, d'une certaine façon,
consent à l'absurde) celui du condamné à mort qui est en même temps conscience et refus de
la mort. Selon lui c'est cette révolte qui confère à la vie son prix et sa grandeur, exalte
l'intelligence et l'orgueil de l'homme aux prises avec une réalité qui le dépasse, et l'invite à
tout épuiser et à s'épuiser, car il sait que "dans cette conscience et dans cette révolte au jour le
jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi".
2. La liberté
L'homme absurde laisse de côté le problème de "la liberté en soi" qui n'aurait de sens qu'en
relation avec la croyance en Dieu ; il ne peut éprouver que sa propre liberté d'esprit ou
d'action. Jusqu'à la rencontre de l'absurde, il avait l'illusion d'être libre mais était esclave de
l'habitude ou des préjugés qui ne donnaient à sa vie qu'un semblant de but et de valeur.
La découverte de l'absurde lui permet de tout voir d'un regard neuf : il est profondément libre
à partir du moment où il connaît lucidement sa condition sans espoir et sans lendemain. Il se
sent alors délié des règles communes et apprend à vivre "sans appel".
3. La passion
Vivre dans un univers absurde consistera à multiplier avec passion les expériences lucides,
pour "être en face du monde le plus souvent possible". Montaigne insistait sur la qualité des
expériences qu'on accroît en y associant son âme ; Camus insiste sur leur quantité, car leur
qualité découle de notre présence au monde en pleine conscience: "Sentir sa vie, sa révolte, sa
liberté, c'est vivre et le plus possible. Là où la lucidité règne, l'échelle des valeurs devient
inutile... Le présent et la succession des présents devant une âme sans cesse consciente, c'est
l'idéal de l'homme absurde".
Tout est permis, s'écriait Ivan Karamazov. Toutefois, Camus note que ce cri comporte plus
d'amertume que de joie, car il n'y a plus de valeurs consacrées pour orienter notre choix ;
"l'absurde, dit-il, ne délivre pas, il lie. Il n'autorise pas tous les actes. Tout est permis ne
signifie pas que rien n'est défendu. L'absurde rend seulement leur équivalence aux
conséquences de ces actes. Il ne recommande pas le crime, ce serait puéril, mais il restitue au
remords son inutilité. De même, si toutes les expériences sont indifférentes, celle du devoir est
aussi légitime qu'une autre." C'est justement dans le champ des possibles et avec ces limites
que s'exerce la liberté de l'homme absurde : les conséquences de ses actes sont simplement ce
qu'il faut payer et il y est prêt. L'homme est sa propre fin et il est sa seule fin, mais parmi ses
actes il en est qui servent ou desservent l'humanité, et c'est dans le sens de cet humanisme que
va évoluer la pensée de Camus.
MICHEL TOURNIER
Principales œuvres : Romans- Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967) ; Le Roi des
aulnes (1970), Vendredi ou la Vie sauvage (1971), Les Météores (1975) ; Gaspard,
Melchior & Balthazar (1980) ; Gilles et Jeanne (1983) ; La Goutte d'Or (1985) ; La
Couleuvrine (1994) ; Eléazar ou la Source et le Buisson (1996)
Essais: Le Vent Paraclet (1978) ; Le Vol du vampire (1981) ; Vues de dos (1981) ; Des
clefs et des serrures (1983) ;Petites Proses (1986) ; Le Tabor et le Sinaï (1988) ; Le
Crépuscule des masques (1992) ; Le Pied de la lettre (1994) ; Le Miroir des idées
(1994) ; Le Vol du vampire (1994) ; Célébrations (1999) ; Journal extime (2002) ;
Allemagne, un conte d'hiver de Henri Heine (2003) ; Le Bonheur en Allemagne ?
(2004) ; Les Vertes lectures (2006) ; Voyages et paysages (2010); Je m'avance masqué
(2011).
Auteur de plusieurs romans remarqués dont Le Roi des aulnes, couronné par le prix Goncourt
en 1970, il est aussi un conteur et un romancier pour la jeunesse avec des œuvres comme
Vendredi ou la Vie sauvage (1971), réécriture de son premier roman Vendredi ou les Limbes
du Pacifique. Il est par ailleurs le créateur du néologisme « journal extime ».
A 42 ans il publie son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique en 1967 qui ouvre
trois décennies consacrées à la littérature. Il a bâti en neuf romans publiés de 1967 à 1996 et
en quelques recueils de nouvelles une œuvre originale qui fait de lui un des écrivains français
marquants du dernier tiers du XXe siècle.
Œuvres
Dans un style acéré et avec un sens du drame et du sacré qui n'empêche pas l'ironie
subversive, Michel Tournier crée un univers personnel animé par des personnages complexes
— essentiellement masculins — en réinterprétant les mythes comme Robinson Crusoé dans
Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967), Castor et Pollux dans Les Météores (1975), les
rois mages dans Gaspard, Melchior & Balthazar (1980), Barbe-Bleue et Gilles de Rais dans
Gilles et Jeanne, la bulla aura romaine dans La Goutte d'Or (1985), Moïse et la Terre
promise dans Eléazar ou la Source et le Buisson (1996).
Il interroge ainsi les parcours humains, soulevant des questions comme celle de la civilisation
et de la nature, de la détermination du bien et du mal et de la chute ou du rapport à l'autre et à
soi-même à travers le thème du double et de l'androgyne. Faisant intervenir le jugement
moral, on a pu lui reprocher certains aspects troubles de ses œuvres qui présentent parfois
« une polysexualité étonnante, troublante, qui participe de la nature cosmique, sans craindre
l'immoral ». Il a publié en 1978, Le Vent Paraclet, où, mêlant autobiographie et réflexion
littéraire et philosophique, il éclaire son œuvre.
Influences
Michel Tournier s'est souvent exprimé sur sa vie et sur ses œuvres. Une de ses phrases rend
compte de son ambition : « Pour moi, le sommet de la littérature française, c'est Flaubert. Les
Trois contes. Ça, c'est le super-sommet. Parce que c'est à la fois d'un réalisme total et d'une
magie irrésistible. C'est l'idéal».
En 1970, paraît Le Roi des aulnes qui obtient le Prix Goncourt. Le titre renvoie à un célèbre
poème de Goethe et Michel Tournier y décrit avec réalisme la Prusse-Orientale avec ses
marais et ses forêts, et certains aspects du nazisme (Hermann Göring, les Napolas,
l'extermination des Juifs) en y associant des mythes comme l'Ogre, le massacre des Innocents,
la phorie de l'enfant (le fait de porter un enfant dans ses bras ou sur ses épaules comme le Roi
des aulnes ou saint Christophe).
En 1975, dans Les Météores, Michel Tournier exploite un autre mythe, celui de Castor et
Pollux et de la gémellité, dont il questionne la face obscure et l’ambiguïté de l'androgyne en
même temps qu'il raconte un voyage initiatique autour du monde.
En 1978, paraissent deux titres : Le Coq de bruyère, un recueil de nouvelles qui regroupe des
textes divers, contes et récits, et Le Vent Paraclet, un essai dans lequel Michel Tournier parle
de lui et de son métier d'écrivain en associant autobiographie et réflexion littéraire et
philosophique.
Le quatrième roman, Gaspard, Melchior & Balthazar (1980), s'appuie quant à lui sur le
mythe des rois mages qui permet à Michel Tournier d'imaginer les voyages des légendaires
rois mages aux motivations diverses (amour, beauté, pouvoir) qui se transforment en quête
mystique et leur fait traverser un Orient reconstitué avec un souci d'authenticité. L'invention
d'un quatrième personnage, Taor, prince de Mangalore, retardataire à la recherche de la
recette du loukoum, vient troubler et vivifier le mythe en en faisant le premier à consommer
l'eucharistie, montrant le goût de Tournier pour la subversion humoristique 28. La version pour
enfants, publiée en 1983, aura pour titre Les Rois Mages.
En 1983, Gilles et Jeanne montre d'abord la proximité entre Jeanne d'Arc et Gilles de Rais,
guerrier entièrement dévoué à Jeanne, puis la dérive du guerrier qui deviendra alchimiste et
monstrueux tueur en série d'enfants mais que Tournier transforme en assassin de femmes en
en faisant une figure de Barbe-Bleue plutôt qu'un ogre dans la tradition des contes de
Perrault30.
Michel Tournier aborde de nouveaux thèmes avec La Goutte d'Or (1985), roman qui traite du
choc des cultures et du racisme ordinaire en contant l'histoire d'Idriss, un jeune Berbère
saharien. Dépossédé d'une part de lui-même par une photographie prise par une touriste
parisienne, Idriss entreprend un voyage hasardeux pour la retrouver en France. En chemin il
se fait voler un bijou en forme de bulle d'or : il perd ainsi symboliquement la liberté que
représentait la bulla aura pour les Romains de l'Antiquité 31 et affronte le sort des émigrés du
quartier de la Goutte d'or à Barbés où ils subissent le choc d'un monde des images dont ils
n'ont pas les codes et des difficultés matérielles et existentielles des déracinés.
La plume de Michel Tournier se fait plus rare, mais il publie quand même en 1996 un roman
d'une grande concision (139 pages), Eléazar ou la Source et le Buisson, qui raconte le voyage
d'une famille de colons du XIXe siècle irlandais en marche vers la Californie, nouvelle terre
promise. Cette reprise du mythe de Moïse explore la question du refus de Dieu, qui ne permet
pas à Eléazar/Moïse d'entrer dans la Terre Promise : il restera dans l’âpre Sierra Nevada du
buisson ardent, loin des sources irlandaises et privé du lait et du miel de Canaan.
Voici une œuvre protéiforme, d’une rare ambition, qui embrasse de nombreux domaines de
l’activité humaine (de la marine à l’agriculture, de l’écriture à la vie sauvage, etc.) et
s’interroge sur le sens de l’existence à travers un personnage - homme nu et dépouillé – qui va
devoir se reconstruire en trouvant une signification à sa nouvelle vie de solitaire.
Le titre
Le titre révèle le propos du romancier. Michel Tournier choisit un titre - Vendredi ou les
limbes du Pacifique - qui se démarque de celui de Defoe. Substituant Vendredi à Robinson, le
romancier moderne met l’accent sur l’indien Vendredi (comme le confirme, d’ailleurs, la
version pour enfant publiée quatre années plus tard et intitulée Vendredi ou la vie sauvage,
1971) au détriment de l’Anglais Robinson. Par ailleurs, le titre insiste sur l’alternative avec
l’expression « ou les limbes du Pacifique » soulignant ainsi le no man’s life d’une personnalité
en reconstruction. Si les limbes sont, par définition, le lieu de séjour des enfants morts sans
avoir été baptisés, on aura confirmation que l’île de Speranza figure bien le lieu spatio-
temporel de la latence, d’une modification à venir pour Robinson, voire d’un enfantement en
germe.
Thèmes majeurs
Dès son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique (inspiré de Daniel Defoe) et
récompensé par le Grand prix du roman de l'Académie française, Tournier affirme sa volonté
de faire de la philosophie romanesque.
"Je sais maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour ne
pas vaciller que d'autres que moi la foulent. Contre l'illusion d'optique, le mirage,
l'hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble de l'audition... le rempart le
plus sûr, c'est notre frère, notre voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu'un, grands
dieux, quelqu'un !" Vendredi ou les limbes du Pacifique
Les thèmes
Robinson est face à l’île comme Sisyphe devant son rocher. Mais Robinson après l’avoir
appelée « L’île de la désolation » finit par la nommer « l’île Speranza ». Une différence
notable puisque quand l’un (Sisyphe) ne fait que répéter l’absurde, l’autre (Robinson) met
l’accent sur l’espoir.
Du point de vue du récit et des personnages, - n’en déplaise à feu Jean-Paul Sartre- le «
romancier démiurge » n’a pas dit son dernier mot. Ainsi Michel Tournier, dès l’entame de son
livre, crée et trace le destin de son personnage, Robinson. Le roman s’ouvre, en effet, sur une
conversation entre le capitaine Pieter Van Deyssel et Robinson Crusoë. Celui-là prédit, en se
fondant sur le jeu de tarot de Marseille, à celui-ci son avenir – et le récit à venir. Chaque carte
tirée et commentée trouve, en effet, sa vérification dans la suite du roman. Le romancier, tel
un démiurge, soumet donc bien sa créature à ce qui lui tiendra lieu de destin.
Par ailleurs, la tempête concomitante qui se déchaîne et dévaste l’océan annonce sans doute
l’explosion de la grotte de Speranza comme une prémonition de la métamorphose à venir de
Robinson.
Une métamorphose rendue nécessaire par la solitude de Robinson longtemps privé de toute
présence humaine, Vendredi n’intervenant qu’au chapitre VII (sur XI). Dès lors, comment
remplir le vide de l’existence sans autrui se demande, avec son personnage, Michel Tournier.
Le sens donné à leur quotidien est pour la plupart des hommes, largement tributaire de leurs
semblables. Autrui n’est-il pas, en effet, l’essentiel de ce « divertissement » que Pascal a
dénoncé parce qu’il nous détournerait de l’essentiel ? Mais sans « divertissement », il faut bien
parvenir à conjurer l’ennui et donner un sens à cette vie.
Robinson, quant à lui, cherche une raison de survivre qui se révèle peu à peu à travers son
évolution psychologique et physique. Face à la solitude insulaire de Speranza et au plus près
de la nature, il est en quête d’une vérité qui fonderait sa nouvelle vie.
Son premier mouvement est de refuser sa présence sur l’île (qu’il nomme d’instinct Ile de la
Désolation) en fixant obsessionnellement la mer pour y apercevoir un navire et l’arrivée de
secours. Puis il envisage de la fuir en construisant un radeau. L’île sur laquelle il a échoué
figure alors bien pour lui une prison existentielle dont il faut s’évader à tout prix. Sa vie est
d’abord marquée par le refus d’assumer une situation inacceptable à ses yeux et le choix
d’une vie animale qui le conduit à la bauge et où il se vautre en essayant d’effacer la
conscience d’un présent malheureux par le recours aux souvenirs de l’enfance.
Robinson renoue ainsi le contact avec la nature mais il ne peut s’empêcher d’éprouver un
violent sentiment d’absurdité : pour qui tous ces efforts ? Les trois Speranza – l’île mère, l’île
transformée et administrée, l’île femme – ne suffisent pas à lui donner une raison de vivre
satisfaisante. Sa métamorphose n’est pas achevée. L’arrivée de Vendredi devient l’élément
déterminant qui va le conduire vers son nouvel être.
Porteur d'une vie innocente, frémissante et rapide, Vendredi accepte la nature telle qu’elle est,
mène une vie instinctive, expérimente les joies du corps et privilégie la fantaisie – ce
qu’admire en lui Robinson. Au contact de son compagnon qui finit par représenter tous « les
Autres » possibles (fils, père, frère, voisin, etc.) Robinson fait ainsi l’apprentissage du respect
d’autrui et de sa différence. Cette ultime phase est celle de la métamorphose solaire : vouant
un culte au soleil, il ne se préoccupe plus que de l’instant présent et en arrive même à avoir
l’impression de revivre indéfiniment la même journée, connaissant ainsi une sorte de
sentiment d’éternité.
Se transcrit alors en filigrane dans le quotidien de Robinson, jour après jour, une conception
du bonheur de vivre faite de l’acceptation et du plaisir d’autrui et de l’absence d’inquiétude
métaphysique. On notera que c’est l’arrivée d’un navire venu d’occident qui remet en
question (passagèrement ?) ce nouvel art de vivre construit par Robinson. La fin du roman
révèle pourtant que les différences entre Robinson et Vendredi ne se sont pas comblées.
Vendredi, tout à sa fantaisie et à sa capacité d’adaptation, choisit spontanément la nouveauté
du bateau salvateur et l’attrait d’une autre vie ; Robinson, à l’inverse, décide de rester cet
homme solaire que l’île a engendré au cours de ces vingt-huit années.
La Goutte D’Or
Le héros de la Goutte d’or, Idriss, est un jeune berger de Tabelbala, dans les confins du désert
algérien. Il rencontre par hasard des Français qui le photographient et lui promettent de lui
envoyer sa photo. Le temps passe, et elle n’arrive point. Idriss décide alors de partir vers le
nord, vers Paris, à la recherche de son image.
Dans son roman Michel Tournier nous fait partager le voyage initiatique d’Idriss, jeune berger
berbère, depuis son oasis natal jusqu’à Paris. Ce roman, en plus de nous raconter une
expérience de vie, interroge sur la relation à l’image que peut avoir un jeune homme né dans
le désert et n’ayant jamais été entouré par elles comme le sont les jeunes venus de pays riches.
Ce jeune héros, tout au long de son périple, va faire plusieurs expériences de l’image et de
notre société.
L’auteur nous permet alors de nous interroger sur les effets des images modernes, sur les
notions de réalité et de représentation.
On connaît la passion de Michel Tournier pour la photographie et l’on sait également combien
est grande la méfiance de l’islam à l’égard des images. Dans la Goutte d’or, cette passion et
cette méfiance s’entrechoquent, se bousculent, l’une cherchant à s’imposer à l’autre. Mais
l’écrivain - par nature iconoclaste - finit par reconnaître, la suprématie du signe. Il raille,
enfin, la pauvreté de l’analogique.
Sa quête se révèle vite fort décevante et, à chaque étape, son identité va se troubler,
s’estomper, s’émonder. La profusion des images, caractéristique de la grande ville moderne,
le captive au point de l’asservir. Du seul retour à une certaine tradition islamique - celle de la
parole et du signe abstrait - naîtra son identification. - Ignacio Ramonet
Dès l’ouverture du roman, le désert apparaît comme le lieu des origines, origine identitaire du
héros et origine textuelle. Le cadre foisonne en éléments descriptifs qui relèvent de la
« référentialité » : les dunes, le sable, le chott el Ksob, l’erg Er-raoui, les bergers et leurs
troupeaux, ainsi que des notations qui paraissent générales mais qui évoquent, en fait, des
particularités de la vie africaine : la perception de l’écoulement du temps, l’angoisse de la
solitude, l’importance de la superstition (le rôle des djenoun). Cette réalité du désert est
immédiatement placée sous le signe de l’oralité, à travers l’évocation de la légende rapportée
par la grand-mère du héros. Le peuplement est déterminé par un rapport d’opposition entre
sédentarisation et nomadisme avec un état intermédiaire, le semi-nomadisme, représenté par
les tribus Chaamba.
Le titre du roman de Tournier, La Goutte d’or, joue sur la polysémie : en désignant une rue du
quartier arabe à Paris, il annonce un roman anthropologique. Le roman a en effet cette
dimension, dans la mesure où il dépeint les mœurs d’une tribu saharienne puis l’immigration
maghrébine en France. De cette peinture, deux éléments se détachent : d’une part les rapports
ethniques entre oasiens, nomades et « noirs » ; ces derniers, tout en ayant des rôles
secondaires dans l’histoire, sont très nettement représentés : positivement, par la danseuse
Zett Zobeida et le conteur ; négativement, par le nomade Toubou qui vole l’argent de Salah
Brahim et par « l’employé noir » de l’hôtel Rym qui chasse Idriss. D’autre part, la
représentation de la femme est singulière : blonde ou brune, mère ou prostituée, elle est source
de malédiction ou de salut. Ce n’est là qu’une des figures du manichéisme qui structure ce
roman.
Mais « la goutte d’or » est, dans ce roman, autre chose qu’un nom de rue : c’est un bijou qui,
en tant que tel, incarne la tradition saharienne mais qui devient enjeu narratif avant d’avoir
une fonction symbolique. La goutte d’or, bijou oasien qui appartenait à la danseuse Zett
Zobeida, a une valeur d’antidote par rapport à la photographie perdue, à l’identité volée par la
touriste blonde. Elle ponctue les différentes étapes de la vie du héros ; l’orfèvre rencontré sur
le bateau apprend à Idriss la signification de la bulla aurea : signe de liberté et témoin du
passage à l’âge adulte.
Pour finir, il nous faut noter que l’auteur a introduit dans son roman un certain nombre de
légendes, de récits à propos des images et les expériences différentes que l’on peut en faire,
bonne ou mauvaise.
- Ce livre nous oblige à réfléchir sur notre société dans laquelle les images nous envahissent
en permanence et font office de guide et de référence.
Ici il est bien question d’images « actuelles », puisque ce sont des photographies ou des
publicités, en bref, des éléments faisant partie intégrante de nos vies.
L’auteur, en faisant vivre un berger à travers son roman, confronte alors le monde
authentique au monde moderne des appareils numériques. Nous réalisons donc l’effet que
ces nouvelles technologies de l’image peuvent produire sur un être pur tel que le héros.
LAMARTINE
- nouvelle vision de l’individu, perçu comme être sensible, complexe et comme centre
de la représentation
L’un des poèmes les plus célèbres des Méditations est une élégie :Le lac- le thème dominant-
la hantise du temps qui passe et qui corrompt tout .
Le Lac est le dixième poème du recueil de 24 poésies nommé Les Méditations poétiques. La
poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des
quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice
à la description des sentiments de l'auteur.
Dans un style très affectif, le poète et sa bien-aimée, à laquelle il prête sa voix, supplient le
temps, la forêt, les grottes, le lac lui-même, la nature tout entière de préserver à jamais les
instants de bonheur qu’ils sont en train de partager
Le thème principal de ce poème est la fuite du temps, thème traditionnel de la poésie, déjà
privilégié par les épicuriens de l’Antiquité et par les poètes de la Pléiade comme Ronsard.
Ici, le temps est représenté par la métaphore de l’eau qui est filée tout au long du poème.
Champ lexical du temps avec des divisions temporelles : "la nuit", "le jour", "l’aurore", "le
soir", "les heures", "l’année", "moments", "l’éternité" et présence d'adjectifs significatifs :
"l’heure fugitive", "nuit éternelle".
On observe la métaphore du temps "l’océan des âges" assimilé à l’eau -> métaphore filée du
temps qui coule.
L’antithèse "ce temps qui les donna, ce temps qui les efface" suggère quant à elle la fugacité
des moments de bonheur, qui disparaissent aussi vite qu’ils ont éclos. En ce sens, le poème
porte la plainte de toute la nature humaine.
Cette réflexion insiste sur l’impossibilité de l’homme à fixer le temps. Cette dernière est
signalée par les invocations au temps : il est capricieux , il est celui qui donne et qui reprend,
il a un caractère inlassable, éternel.
Le rythme est vif : notamment dans les deux premières strophes, il y a absence de points et
très peu de coupes. Les enjambements rallongent les vers.
La fragilité de l’homme est mise en valeur et donne une tonalité élégiatique et lyrique au
poème.
Lamartine réfléchit dans ce texte sur sa condition d’homme, sur sa faiblesse face à la fuite du
temps. Il s’agit d’un appel adressé à la nature qui est seule capable d’aider l’homme dans sa
lutte contre le temps.
Le pouvoir de la nature
- le titre du poème évoque un lieu aimé qui a été le refuge du poète et de sa compagne :
seule la nature peut conserver une trace intacte du bonheur.
La nature est très présente dans l’ensemble du poème. Nous la retrouvons sous la
forme de l’élément liquide avec l’image du lac mais également à travers l’évocation
du "vent" ou du "Zéphyr" qui représente l’air ou des "roches profondes" qui représente
la terre.
- les "rochers", "grottes", "rocs" permettent quant à elle une image minérale de la
nature, là où les "sapins", "coteaux", "forêts" et le "roseau" dressent une image
végétale. Cette communication imagée du poète avec les éléments de la nature n’est en
fait qu’une manière d’utiliser la fonction expressive du langage, puisque le poète n’a
en réalité pour but que d’exprimer ses sentiments.
Le Lac est une réflexion sur le temps en rapport avec un amour qui semble à jamais fini.
Lamartine constate avec amertume que le passé heureux est perdu à jamais, que le temps en a
effacé la trace et qu'il ne peut être restitué. La nature qui a été le témoin vivant de la présence
du poète a pu garder la trace de ce moment et le restituer au poète. C'est le paysage qui
conserve le souvenir, et non l'écriture et qui peut dire "ils ont aimé". Le titre du poème
s’explique : comme le lac retient les eaux fluides et fugitives, le poème retient le temps et fixe
pour l’éternité un moment de bonheur inoubliable. Lamartine montre ici que l’art est un
moyen de lutter contre le temps qui passe et force est de constater qu’il réussit son projet
puisque, aujourd’hui encore, nous lisons son poème et partageons avec lui son souvenir.
BAUDELAIRE
Baudelaire occupe dans l’histoire de la poésie du XIX-ème siècle une place clef: Héritier
du romantisme, plutôt d’un certain romantisme qui n’est “ ni dans le choix des sujets ni dans
la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. »
- gardent encore certains traits du romantisme et de l’Ecole de l’Art (Parnasse) mais elles
apportent surtout ce « frisson nouveau » dont parlait V. Hugo, c’est-à-dire cette
sensibilité nouvelle, annonciatrice du symbolisme.
- il condamne le romantisme sentimental et confidentiel qui lui semble désuet, mais exalte
le romantisme imaginatif, dont il se veut le continuateur.
- le thème central du recueil est constitué par les « tourments du poète » partagé entre : le
spleen (angoisse de vivre) et l’idéal auquel il aspire.
- a la base de ce spleen se trouvent ses ennemis matériels, ses échecs, ses déficiences
physiques.
- il y a du « bas romantisme » dans ce recueil : le goût du paradoxe, la volonté d’être ou de
paraître malsain, le culte du satanisme, les accessoires de ce romantisme.
Le besoin impérieux d’unicité pousse Baudelaire vers le dandysme. Son dandysme est une
forme de protestation du « poète maudit » contre l’hypocrisie morale et le conservatisme de
la société bourgeoise.
Les Fleurs du Mal sont le livre d’un homme hanté par les problèmes de l’existence et du
destin.
Le Spleen – est une conséquence immédiate de cette insatisfaction qui procure au poète sa
condition dans la société et dans l’univers ( Ennemi, Tristesse, Angoisse, Douleur, Désespoir)
L’Idéal baudelairien est un monde surnaturel, situé hors de l’espace et du temps. Ses
principaux véhicules vers l’Idéal sont l’amour, les paradis artificiels, la musique, les parfums,
tout ce qui peut offrir l’image de la beauté et du mystère.
La Musique représente pour le poète le point de départ d’un rêve d’évasion dans l’infini
spatial.
La Femme pour Baudelaire- l’être ambigu par excellence, magicienne à la fois sorcière et
divine ( Ciel brouille, le Poison), être satanique – elle est aussi providentielle, elle aide le
poète à créer.
La Beauté résultante de cette création (femme) possède la même ambiguïté que la femme.
- statuaire, immobile, impassible, froide, Baudelaire affirme que « le beau est toujours
bizarre ».
- la relation amoureuse qui signifie désir, échanges érotiques et non affectifs, ne peut être
pour lui qu’un échec illustrant la solitude universelle de l’être humain.
- L’amour sororal rêve est une tentative pour dépasser cette incommunicabilité.
Les bijoux, les pierres précieuses, le fard masquent la nature et installent un ordre
artificiel qui correspond à sa conception de Beau.
La Mer n’est qu’un minéral mobil, lui semble être l’image la plus parfaite de l’âme et de
l’esprit humain.
Baudelaire insiste sur l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, le corps et l’âme, la Terre et
le Ciel.
Victime de son expérience malheureuse, le poète arrive à croire que « vivre est un mal » et
que « Le Diable fait toujours bien ce qu’il fait ». Cette conscience dans le Mal le pousse à
s’identifier à Satan et à dresser sa révolte contre Dieu (La Révolte).
La Mort est l’ultime voyage. La mort permet de rétablir l’harmonie entre le masculin et le
féminin.
L’oeuvre de Rimbaud n’a pas été structurée par Rimbaud lui- même, mais par ses
éditeurs. Les poèmes de Rimbaud sont repartis en quatre grands ensembles : « Les Poésies »,
« Les Derniers vers », « Une Saison en Enfer », « Les Illuminations ».
La soif de la liberté qui gouverne tous les sentiments de l’adolescent, le pousse, d’une
part, à sacraliser la Nature et, d’autre part, à dresser sa révolte contre l’ordre social hostile.
La voyance rimbaldienne comprend donc deux temps bien distincts : se faire voyant
et inventer une langue magique, capable de traduire ces visions, de transmettre intact le
message rapporté de l’inconnu.
Rimbaud distingue dans la personne humaine deux moi : un moi superficiel et un moi
profond.
Le moi superficiel est un moi subjectif ou personnel, soumis aux émotions et aux
sentiments de temps présent qui ont leur logique bien déterminée.
Autre c’est le moi profond, le vrai moi créateur- moi impersonnel, atemporel, qui est
raccordé aux choses du monde, à « l’âme universelle ».
Des images éclatantes abondent aussi dans le sonnet « Voyelles ». Rimbaud y attribue
aux voyelles diverses couleurs. C’est la première esquisse d’une théorie de l’audition colorée.
On peut y voir, comme remarque Claude- Edmonde Magny, « un essai de recomposition
structurée de l’univers à partir des éléments premiers ».A= la terre ; E= l’eau ; I= le feu ; O=
l’Oméga, le Tout, l’unité originelle reconstituée, U= l’air.
La nature est pour Rimbaud le seul élément bénéfique, l’unique source de paix et de
pureté. Elle est le milieu privilégie, le réservoir inépuisable de fraîcheur, de santé et de
vigueur, en un mot, de vie éternelle.
A 18 ans le poète considère sa vie perdue, sa jeunesse ne compte plus, il veut créer une
réalité par ses propres forces, il se voit un novateur/ créateur du monde, un Démiurge.
« Que le temps vienne/ Où les cœurs s’éprennent ». On voit dans ces vers une sorte
d’optimisme chez Rimbaud, un peu d’espoir dans le pouvoir d’amour.
Rimbaud se soucie un peu de sa personne, car « Je est un Autre » dit-il, c’est-à dire il
distingue de son être apparent le moi profond capable de souder l’inconnu.
On assiste à une transmutation des éléments du monde et de la pensée où les objets, les
impressions et les rêves tourbillonnent dans une sorte de vertige.
Il s’agit d’une antithèse totale dans la poésie entre le passé et le futur, entre le bien et
le mal (craintes, souffrances).
Rimbaud est symboliste à côté de Paul Verlaine et Mallarmé, il subit l’influence des
« correspondance » baudelairiennes.
- la vie qu’il mène en marge de la morale et de la société n’est qu’une aventure pour lui.
Il a créé son propre rêve à partir de la réalité terrestre où il crée sa propre réalité en la
rêvant, le poète se libère de limites de l’espace et du temps ; il voyage dans le passé,
en présent, en futur, mais son ego n’a pas d’âge. Le poète doit chercher de nouveau et
arriver à l’inconnu.
Arthur Rimbaud (concernant son destin, ses ambitions, sa poésie) s’est formé une légende,
un véritable « mythe ». De nombreux poètes vont se réclamer de Rimbaud. Il apportera à
Paul Claudel une véritable révélation.
On peut dire, avec Suzanne Bernard, que de Rimbaud datent à la fois une nouvelle
attitude poétique, impliquant une révolte métaphysique contre notre univers rationalise, et
un nouveau langage poétique, instrument de cette révolte. Par l’invention d’une langue
nouvelle, Rimbaud a donné au poème en prose et généralement à la poésie une orientation
décisive. Son influence dépasse les frontières de la France, car sous une forme ou sous une
autre, toute la poésie moderne- française ou étrangère lui est redevable.
APOLLINAIRE (1880 -1918)
De ses principales œuvres, on peut citer: Alcools, Les Peintres cubistes, Le Poète
assassiné, Calligrammes, posthumes- Il y a, Poèmes secrets à Madeleine, Le Guetteur
mélancolique, Tendre comme le souvenir, Ombre de mon amour.
Le refrain du poème ainsi que l’emploi du subjonctif sans que apportent une idée
d’archaïsme et une musicalité discrète. La suppression de la ponctuation, par contre, y ajoute
une nuance moderne. Un autre élément de modernité consiste dans la manière d’Apollinaire
de construire les images ( dans Le Pont Mirabeau il construit une architecture à trois
niveaux: le pont des bras des amoureux, le Pont Mirabeau où ils se trouvent et la Seine qui
coule en bas). Le propre d'Apollinaire est justement l'élaboration des images assez vastes, que
développent leurs termes agencés dans des relations fort complexes. Il en est ainsi de la
plupart des poèmes d'Alcools.
Quoi qu'il en soit, Zone représente un tournant dans l'évolution du discours poétique
dans son ensemble. Comme le peintre cubiste, Apollinaire opère une dislocation, mais celle-ci
est plus profonde, puisqu'elle touche l'être même du poète: il s'adresse à lui-même par le
pronom tu, se déclarant dès le départ : „À la fin tu es las de ce monde ancien”. Tout au long
du poème il y a un festival compliqué de pronoms où domine ce tu — moi. Tout se passe
comme si le moi se jetait au monde en riant et en pleurant à la fois; ensuite, dans l'acte même
de récriture, il perçoit ce spectacle et se revoit multiplié dans l'espace et dans la durée, tout en
concentrant les segments par une technique simultanéiste. Mais l'effet est plus profond que
dans la peinture et ce n'est pas par hasard que le poète invoque des volumes: „Et tu bois cet
alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie […] Adieu /Adieu
/Soleil cou coupé”
Cette fin de l’adieu est marquée d'abord par la circularité entre le comparant vie pour
alcool et sa reprise comme comparé, déterminé dynamiquement par le comparant eau-de-vie,
lui-même synecdoque pour alcool. Autrement dit, la peinture langagière d'inspiration cubiste
s'enrichit par un vertige à la Van Gogh. Le cri d'adieu apporte une image démentielle: Soleil
cou coupé, qui revient d'une manière obsédante chez Apollinaire.
La structure d'Alcools repose sur l'alternance hétéroclite entre des poèmes très
concentrés et d'autres qui s'étendent sur plusieurs pages; il en est ainsi de la fin de ce recueil.
Si novateur qu’il fût, Apollinaire restait un artiste attentif aux images, aux cadences, à
la musique des mots, bref un poète qui cherchait toujours la beauté en renforçant le mystère.
Le surréalisme retint de son exemple le rejet des poncifs, le recours à la suggestion, l’effort de
rupture et de percée vers l’inexprimable. Il développa surtout cette dernière tendance, car il
rejetait l’art comme factice et déclarait n’avoir en vue que l’expression sans arrêt de la vérité
profonde.
Certains calligrammes reposent sur la simple mise en page. Le poète choisit un seul
fragment de texte qu'il dispose de manière à figurer tel ou tel objet ou même un acte quel-
conque. On peut mentionner à cet égard le poème Fumées, qui insère une phrase reproduisant
la forme d'une pipe:
Mais après cette notation qui se veut banale, le poète s'adresse à soi-même dans la
partie finale et celle-ci renferme des images imbues de poéticité: „Tu t'étends comme un dieu
fatigué par l'amour/ Tu fascines les flammes/ Elles rament à tes pieds/ Tes feuilles de papier”
Le poète réalise aussi des calligrammes totalement figuratifs. C'est le cas du poème II
pleut qui est écrit sous forme de lignes presque verticales reproduisant la chute des gouttes de
pluie. On a l’impression de regarder un dessin représentant des fils de pluie. La lecture en est
difficile, mais bien récompensée. La première „chute” dit: „il pleut des voix de femmes
comme si elles étaient mortes même dans le souvenir”.
L'invention y est totale: le poète rompt avec la tradition de la mise en page routinière;
il choque brutalement par la vue d'une page où effectivement les lettres représentent des
gouttelettes d'eau; on a même l'impression d'y sentir le frais parfum de la pluie. En même
temps, le texte se concentre dans des énoncés courts et très denses au point de vue
sémantique. Il a l'air d'une maxime, qui, en l'occurrence est enrichie par une image inédite,
douée d'une force de suggestion extraordinaire.
Mais les calligrammes qui valorisent complètement l'iconicité sont ceux qui
reproduisent le contour des objets. C’est le cas de Coeur, couronne et miroir. Apollinaire
choisit des images qui sont pleinement symboliques: le coeur comme métonymie de la vie, la
couronne comme métonymie de la royauté et le miroir qui reproduit „graphiquement” le nom
du poète, l'ensemble se rattache au fond à la personne de celui qui écrit.
Quant au sens de la lecture: dans les calligrammes qui renferment des courbures on lit
de droite à gauche, dans le sens des aiguilles d'une montre, donc dans le sens inverse de la
lecture linéaire courante.
Le poème La Colombe poignardée et le jet d'eau est plus complexe et il évoque les
amours et les amitiés du poète. Les vers jaillissent d'un centre comme les jets d'eau, ce qui,
par rapport à d'autres images, introduit une forte dose de dynamisme.
Les formes peuvent être plus sophistiquées encore, c'est le cas de La Cravate et la
montre. Avec les calligrammes écrits à la main, le poète ajoute un nouveau élément
d'authenticité, cette fois-ci, celle de sa propre calligraphie, qui apparaît comme une sorte
d'autographe, à plus forte raison que le texte s'adresse directement à quelqu'un.
D'autres poètes se sont essayés, dans ce genre de poésie, depuis l'Antiquité jusqu'à nos
jours. Seulement, dans le cas d'Apollinaire il s'agit de tout un programme artistique, ses
Calligrammes sont le corollaire de la technique cubiste employée dans ses poèmes -
superposition de plusieurs plans et même de plusieurs modes d'expression artistique. Aux
techniques cubistes qui régissent les images d'Apollinaire s'ajoute un rythme d'ensemble,
Apollinaire construisant ainsi une musique cubiste.
(1900 - 1977)
Le mouvement surréaliste est apparu au vingtième siècle. Il est caractérisé par son humour
noir et la forte présence de négation à tout ce qu’on impose, mais la négation, ou le refus
s’accompagne d’un désir de renouvellement. Ainsi naît de nouvelles valeurs comme l’amour
et la beauté, afin d’amener chacun dans sa quête de la "vraie vie". L’esprit qui règne à
l’époque est la révolte, la liberté et l’expression des impulsions. Les surréalistes ont libéré la
poésie de ses anciennes contraintes formelles et ont mis en avant-plan les images et les
métaphores qui rapprochent des réalités que la conscience ne songe pas à unir. C’est ainsi que
naît la poésie du quotidien.
Jacques Prévert ne veut rien savoir de tout ce qui s’appelle PRISON, il n’aime guère les
prêtres et serviteurs d’Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, le
passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l’anticléricalisme
prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les
enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. Sa mère commence, dès son jeune âge, à lui lire des
contes de fées, elle l’initie au monde la fiction et du rêve.
Il accompagne souvent son père chez les pauvres et il se met à les aimer, à comprendre
leurs joies et leurs peines, à découvrir les trésors de générosité, de délicatesse et de poésie qui
se cachent au fond du cœur des plus démunis de la société. Il constate que le monde n’est pas
toujours bon ; mais heureusement il y a le rêve, la lecture et le cinéma...
Les thèmes abordés par Jacques Prévert dans ses poèmes sont très divers et
apparaissent comme le reflet de ses expériences. On retrouve ainsi l’enfance, qui rappelle le
vécu de l’auteur. En outre, Jacques Prévert est un auteur engagé qui évoque sans détour ses
prises de position. Il condamne la guerre dans des poèmes comme « Barbara » et prend
également la défense des populations délaissées, vivant dans la misère. La poésie de Jacques
Prévert rayonne donc par sa diversité langagière, mais aussi par la portée à la fois personnelle
et universelle de son écriture.
Tout comme d’autres poètes du quotidien, Prévert souhaite atteindre une simplicité
dans le langage. L’artiste transfigure le quotidien par le regard personnel qu’il porte sur la
réalité. Prévert a refusé d’écrire une poésie qui ne soit pas lisible pour tous. Il a fait reculer les
limites du langage poétique, créant des oeuvres accessibles à tous. Cependant, l’écriture de
Prévert n’est pas simpliste. Par exemple, dans le poème Page d’écriture, Prévert utilise des
métaphores afin de faire comprendre ce que devrait être la signification de «vivre»: „Mais
tous les autres enfants écoutent la musique/ et les murs de la classe s’écroulent
tranquillement./ Et les vitres redeviennent sable,/ l’encre redevient eau,/ les pupitres
redeviennent arbres, /la craie redevient falaise,/ le porte-plume redevient oiseau”. C’est par
une métaphore qu’on évoque ici la vie. Les murs de la classe qui s’écroulent représentent les
limites du quotidien, toutes les habitudes auxquelles l’homme est liés: comme, par exemple,
le travail. Redécouvrir la vie c’est pour Prévert retrouver ce contact avec la nature. La poésie
du quotidien chez Prévert, c’est démontrer des choses simples, que tout le monde connait,
mais qui sont oubliées et auxquelles on ne pense pas.
Les aspects dominants de l'art de Jacques Prévert que souligne d'ailleurs le titre
Paroles sont la spontanéité et l'oralité nourries des influences surréalistes faites d'expressivité
nouvelle et de provocation. On retrouve les traces du surréalisme dans des procédés tels: les
inventaires, les énumérations hétéroclites d'objets et d'individus, les additions de substantifs
ou d'adjectifs, les procédés de l'image, de la métaphore et de la personnification (animal,
objet, humain).
Les thèmes du recueil sont nombreux, ils se croisent souvent et sont mis en
valeur par des procédés poétiques efficaces. Il parle de choses injustes, de gens qui souffrent
et qui meurent et en dénonce les responsables. La dénonciation de la violence, de la guerre, de
la politique bourgeoise, de la religion représentent les thèmes dominants du volume. Le thème
de la vie quotidienne et des lieux de Paris est également récurrent dans le recueil. Il traite des
choses qui touchent les gens, qui leur ressemblent, qui sont près d’eux: il s’intéresse à la vie
des humbles, au bonheur tranquille des amoureux, aux scènes de la rue. Un autre thème qu’il
évoque c’est le travail, notamment dans la Chanson des sardiniers ou la Chanson des cireurs
de souliers, qui était, jusqu’à l’époque, considéré comme un thème antipoétique.
De tous les recueils de poésie de Prévert, Histoires est sans doute l'album le
plus près des gens. Ceci est dû, non seulement au fait qu'il raconte des histoires simples du
quotidien, mais également parce que ce sont celles de Monsieur Tout Le Monde et qu'il est
facile de s'y reconnaître. Prévert sait toucher le grand public parce que sa sensibilité
s’indentifie à celle des gens simples. Il a écrit aussi pour les pauvres, en communiquant leurs
pensées Chanson des cireurs de souliers.
Dans La pluie et le beau temps, Prévert se révolte envers les autorités. Le poème
Entendez-vous gens du Viêt-Name en est bien illustratif. Dans des poèmes tels Étranges
étrangés, Confidences d'un condamné, le poète exprime les réalités cruelles de la vie.
Prévert n’utilise pas un langage poétique mais se sert du parler populaire auquel il
attribue une valeur poétique. Il l’accommode à sa manière et lui communique un renouveau
de jeunesse et de vigueur en changeant le sens des mots en les disposant selon sa fantaisie. Il
transforme ainsi le langage en poésie. L’intérêt pour la poésie de Prévert ne réside pas tant
dans son contenu mais dans l’originalité de son expression. Afin de conserver une allure
naturelle à la langue populaire devenue alors poétique, le poète accumule les répétitions qui
donnent à l’expression la démarche hésitante et désordonnée de l’improvisation. L’absence de
ponctuation accentue à cette impression. Par l’absence de ponctuation, le lecteur est appelé à
réagir de façon personnelle: accélérer, ralentir ou faire des pauses selon son désir.
Chez Prévert, l’humour prend des formes différentes allant du charmant au noir. Quel
que soit son aspect, il demeure spontané; plus souvent, le poète recourt à l’humour noir, forme
qui lui permet de dire une chose sur le ton qui convient le moins. Il peut obtenir des effets
humoristiques abondants et naturels. L’humour offre également au poète l’occasion de
masquer ses sentiments lorsqu’il n’a pas envie de les laisser voir.
- Pratiquée par George Braque, Pablo Picasso ou encore Max Ernst, la forme artistique
du collage se développe dans la première moitié du XX- ème siècle. La technique de
cet art repose tout d’abord sur le choix du support, de l’image de fond sur laquelle
viendra se superposer une sélection de motifs et de représentations variées.
Jacques Prévert est un artiste en quête d’expériences nouvelles. C’est dans les années
40 qu’il part à la découverte de cette forme d’art déjà exploitée par les surréalistes et
les cubistes. Le poète est séduit par cette technique mêlant la diversité des supports à
la rencontre des images, qui n’est pas sans rappeler sa création poétique. En 1948,
l’auteur est victime d’un accident qui l’empêche temporairement de s’adonner à
l’écriture. Cette contrainte va le mener à une pratique plus régulière des collages. Cette
technique artistique le ramène finalement à ses premières passions, le cinéma et la
poésie. Il découpe, sélectionne et monte des images, tel un scénariste ou un poète.
Le collage suscite la rencontre fortuite de plusieurs réalités, de même qu’un
inventaire visuel fort, d’une originalité excentrique et parfois subversive. En effet,
Jacques Prévert n’hésite pas à bousculer la société de l’époque en caricaturant son
conformisme.
Le lien entre les mots et les images s’exprime clairement dans Fatras et
Imaginaires, ouvrages dans lesquels les collages alternent avec des textes de formes
variées. Cette rencontre d’éléments hétéroclites permet en outre à Jacques Prévert de
retrouver l’univers onirique qu’il avait coutume de créer dans ses œuvres poétiques.
Les images se substituent aux mots, puis les deux formes d’art deviennent peu à peu
complémentaires.
Le cinéma figure au premier rang des activités qui ont joué un rôle important dans
l’esthétique poétique de Prévert. Pour Prévert l’image est le moyen idéal d’expression.
Jouer avec le langage est un plaisir pour Prévert, même au stade le plus simple du mot.
Il crée parfois de nouveaux mots pour satisfaire son goût du jeu et lui donner, à nouveau,
l’occasion d’exprimer son anticonformisme. Par son talent et son savoir-faire, Prévert
transforme le langage de tous les jours en poésie. Il utilise avec brio les assonances, les
allitérations, source amusantes de rythmes imprévus. La répétition occupe également une
place importante, elle donne une certaine musicalité aux textes. Il utilise l’écriture
automatique, qui est une forme d’expression spontanée et intacte de l’imagination.
Pièces en alexandrins et en cinq actes, les tragédies empruntent leurs sujets à l’histoire ou à la
mythologie. Ainsi, Mithridate, Britannicus, Bérénice, proviennent de l’histoire romaine ;
Andromaque, Iphigénie, Phèdre, de la mythologie, et si Bajazet, pièce « turque », se réfère à
l’histoire contemporaine, le manque de distance est compensé par l’exotisme géographique et
culturel.
Illustres et exemplaires, les personnages sont plongés dans une crise dont l’issue, souvent
fatale, inspire terreur et pitié, provoquant la catharsis, purgation des passions. Dans ses
préfaces, Racine revendique l’héritage des Anciens, des grecs Euripide, Eschyle, Sophocle, ou
d’auteurs latins, Virgile, Sénèque, Tacite. Esther et Athalie, tragédies religieuses, sont issues
de la Bible.
Racine suit la règle des trois unités. L’action commence le matin pour s’achever le soir,
respectant l’unité de temps (la durée de l’intrigue ne doit pas excéder vingt-quatre heures).
L’unité de lieu (l’action se déroule dans un seul lieu) contribue à enfermer les personnages
dans le cercle de leurs passions. L’unité d’action (une seule intrigue), extrême dans Bérénice,
est aussi respectée dans des tragédies, comme Bajazet, dont les péripéties servent le
déroulement de l’action principale. Par ailleurs, l’obligatoire vraisemblance ne coïncide pas
nécessairement avec le vrai ; Racine se conforme aux habitudes culturelles de son public,
admettant des touches de merveilleux païen (comme le « monstre » qui, dans Phèdre, attaque
Hippolyte) ou de merveilleux chrétien issu des récits bibliques. Les bienséances exigent de ne
pas heurter le goût ou les idées des spectateurs, d’éviter une violence susceptible de les
fasciner. Les brutalités – assassinats de Pyrrhus dans Andromaque, de Britannicus, de Roxane,
dans Bajazet – sont racontées et non montrées. La proscription d’un langage cru épure un
style subtil qui recourt à la litote, à l’euphémisme. Loin d’en être prisonnier, Racine exploite
les contraintes de la tragédie classique pour obtenir un maximum d’intensité. Le dénouement
doit restaurer la morale compromise par le déchainement des passions, mais Racine achève
plutôt ses tragédies par la déploration, la compassion et les larmes.
La passion et la fatalité dans le théâtre de Jean Racine
La galanterie, courant esthétique majeur alors que Racine écrit Andromaque, dépeint avec un
raffinement subtil les méandres des sentiments amoureux. Si Racine en reprend le vocabulaire
et les images (« feux », « fers », « flammes »), il les réactive, leur restitue un sens propre :
mourir d'aimer devient une réalité et cesse d'être une métaphore.
Passion irrépressible, l’amour domine le théâtre racinien. Mû(e) par une idée fixe, prêt(e) à
toutes les violences pour s’assurer la possession de l’être aimé, l’amoureux ou l’amoureuse
(qui aime sans être aimé) s’enferme dans une aliénation croissante. L’amour passionnel est
montré jusque dans ses manifestations physiques ; ainsi, Phèdre rougit, pâlit, tremble à la vue
d’Hippolyte. Racine dépeint aussi les douceurs de sentiments tendres, purs, d’amants (dont
l’amour est réciproque) qui se heurtent à la fureur d’un(e) amoureux(se). C’est Junie et
Britannicus affrontant Néron, Atalide et Bajazet opposés à Roxane, Aricie et Hippolyte à
Phèdre. Deuxième grande passion du théâtre racinien, l’amour du pouvoir ravage certains de
ses héros tels que Néron, Agamemnon, Athalie. Chaque tragédie s’ouvre sur une crise
passionnelle qui sera exacerbée par des obstacles - obstacles extérieurs : refus de l’être aimé,
interdits familiaux, raison d’État, ou intérieurs, comme un fort sentiment de culpabilité – et la
crise s’amplifie graduellement jusqu’à une issue le plus souvent fatale.
Tout en se livrant à une analyse lucide des sentiments ou des signes de la passion, le héros qui
souffre d’un amour pathologique ou d’un appétit incoercible de pouvoir est incapable d’obéir
à la raison. Il se débat vainement contre ses pulsions et le spectateur assiste à une marche
inexorable vers la catastrophe. Car tout est joué d’avance, l’homme, soumis à une fatalité
déterminée par les dieux, n’est pas libre. Le dénouement d’une tragédie doit rétablir des
rapports familiaux ou sociaux déréglés par le jeu des passions, mais, chez Racine, l’ordre
politique n’est jamais vraiment restauré et le spectateur, ému et fasciné par l’épreuve des
passions est, la crise achevée, invité à la compassion par les larmes que Thésée se propose de
verser sur Hippolyte, ou un dernier « Hélas ! » de Bérénice.
Le style de Racine
- il utilise le mot noble quand il faut, le mot trivial quand il est nécessaire, le mot exact
toujours (sauf dans les passages ou il prête a ses personnages le langage conventionnel
de la galanterie et des cours).
- les mots n’ont pas seulement pour Racine une valeur pittoresque, ils ont aussi une
valeur musicale
MOLIÈRE
Sa passion pour le théâtre doublée d’une curiosité intellectuelle évidente- lectures
nombreuses, contacts avec des représentants de la libre pensée de l’époque- détermine
Molière à se pencher aussi bien sur les sources livresques que sur les sources prises sur le vif.
La source espagnole sera présente dans Don Garcia de Navarre et dans Don Juan ; la source
italienne se retrouve dans Sganarelle ou Le Cocu imaginaire et d’une façon générale elle
apparaît dans les portraits des valets. Certes Molière emploie de même des sources littéraires
françaises, dont tout d’abord les farces populaires et les fabliaux.
L’authenticité qui va de pair avec la diversité se reflète dans le but permanent poursuivi par
Molière : réaliser une vaste enquête sur l’homme avec, sans doute, des procédés de farce, en
s’appuyant sur l’effet contrastant, essence/apparence, afin d’en extraire la source du comique.
Par le comique, Molière se propose de faire tomber le masque de ses personnages.
En partant de l’opposition courante à son époque, vices/vertus, Molière est obsédé par la
dimension de la bêtise humaine et par la distance insensible qui existe en celle-ci et la folie.
De là, la riche galerie des imaginaires : malades, médecins, précieuses, savantes, mauvais
poètes, cocus. La bêtise est présentée par Molière comme la source des défauts, tels l’avarice,
la jalousie, la tyrannie, la folie des grandeurs.
Annoncée par la première grande comédie, Les Précieuses ridicules, la bêtise humaine après
avoir franchi l’étape Jourdain (Le Bourgeois Gentilhomme) atteint le sommet dans Le malade
imaginaire.
Si la bêtise apparaît comme un défaut presque constant, Molière n’omet pas dans ses
comédies les effets néfastes de l’hypocrisie et de l’imposture. Afin d’accroître les contours du
Mal, Molière, double d’un excellent moraliste, l’oppose au Bien, qui se traduit par le bon
sens, facteur d’harmonie, d’équilibre, source des dénouements heureux, où l’amour et la
justice triomphent.
D’une manière presque invariable, le schéma d’une comédie de Molière comporte trois
éléments obligatoires : la présence d’un jeune couple, la présence d’un obstacle en la
personne du père ou du tuteur, la présence d’un dénouement heureux concrétisé dans le
mariage des jeunes. Ce schéma suppose l’utilisation des groupes fixes de personnages selon
les catégories requises, les jeunes, les vieux, les domestiques alliés des jeunes, les raisonneurs.
Il résulte de cette distribution des personnages par groupes fixes une double opposition : de
générations et d’ordre social (maîtres/ domestiques).
En vertu du principe de mobilité, si cher à Molière, on constate des nuances très variées chez
tous les personnages de ses pièces. Les personnages de Molière changent d’attitude, de gestes,
de ton et de vocabulaire selon ceux auxquels ils s’opposent. On peut parler d’un permanent
mouvement de rotation et de révolution, car le personnage varie ses manifestations selon la
vérité des circonstances.
Si l’on pense à l’un des personnages les plus discutés, Tartuffe, on constate que ce
personnage, qui du point de vue statistique et concret apparaît dans un nombre réduit de
scènes, par rapport à l’ampleur des discutions qui préparent et commentent ses apparitions,
défile devant chaque interlocuteur avec un autre masque, puisque, de toute évidence, Tartuffe
devient dans la série des personnages moliéresques le porteur de masque le plus habile, ce qui
le distingue des porteurs inconscients de masque- les cocus, les précieuses, les savantes- qui
aboutissent par là même à la dimension ridicule.
Molière attribue des syntagmes à valeur de code, qui facilitent le déchiffrement de leur
attitude et qui, à force d’être répétés, confèrent à ces personnages la dimension typologique.
Comme le personnage est l’élément fondamental dans la structure des comédies de Molière,
c’est autour de lui que se réalise l’unité d’action, plus exactement autour du personnage
central, Tartuffe, Harpagon, Monsieur Jourdain, Arnolphe, Argan, ou bien autour d’un couple,
le plus souvent couple maître-valet.
Molière n’hésite pas à faire côtoyer comique et tragique dans certaines de ses pièces.
L’audace de Molière d’avoir choisi un personnage dont l’essence est l’idée de liberté a dû
choquer ses contemporains. C’est pourquoi la postérité considère cette pièce comme meilleure
expression de l’esprit moderne de son auteur.
Une personnalité particulièrement forte, comme celle de Don Juan, l’auteur accentue le
caractère cérébral de la pièce qui s’impose justement par l’extrême densité des idées
abordées : l’inconstance, l’hypocrisie, la foi et la liberté, la quête de la vérité, la hantise de la
mort. Don Juan est un personnage riche en nuances, d’un caractère fort complexe. A la
différence de la plupart des personnages qui incarnent un seul trait : Orgon-naïf, Tartuffe-
hypocrite, les médecins- malhonnêtes, et qui apparaissent comme le produit d’un but ou d’une
circonstance, Don Juan et Alceste sont les produits d’un ensemble des circonstances sociales
et morales, reflétant par le comportement l’ambiance de la société française de ce milieu du
XVIIe siècle.
Quant au Misanthrope, c’est la pièce la plus personnelle de Molière, puisqu’il n’est redevable
à aucune source livresque. Comme le vrai sujet de la pièce est la morale, l’unique source
décelable à cet égard serait l’ensemble des traités et opuscules de morale de La Mothe Le
Vayer. Construction parfaitement classique, par l’essence du sujet abordé, la pureté des
rapports entre les gens, Le Misanthrope annonce son entier respect vis-à-vis de la
vraisemblance et des bienséances. Par l’action proprement dite, qui est très mince, puisqu’elle
peut être réduite à une conversation déroulée dans un salon, donc limité dans le temps et dans
l’espace, il y a respect des unités.
La liberté de l’auteur et par la même son modernisme, se manifeste justement par la
coexistence du ridicule et du tragique. Tout en étant préoccupé par la dimension du comique à
travers les situations et le langage, l’auteur accorde le plus grand poids à la dimension
tragique, reflétée par Alceste, personnage central autour duquel se concentre l’unité d’action.
A la différence de Don Juan, Alceste est fort sensible, ce qui l’achemine vers la souffrance
perpétuelle, causée notamment par un amour non partage. Si dans l’ensemble de ses
comédies, Molière traite le problème des rapports hommes-femmes, lorsqu’il s’agit des
différences d’âges, à travers le thème du cocuage, l’équivalent a cet égard devient dans Le
Misanthrope , ou il n’y a aucune différence entre les deux partenaires sauf celle des
sentiments, l’inconstance et la fidélité. C’est là que se manifeste le ridicule d’Alceste,
illustration cependant du tragique, dans la distance qui existe entre la raison de son amertume,
la coquetterie d’une femme et la décision qu’il prend, l’isolement. C’est la disproportion de
l’opposition, une femme/ le monde qui confère a Alceste une dimension ridicule aussi.
Moliere, auteur génial de comédies, se propose constamment de faire triompher le rire. Même
dans des pièces aussi graves que Don Juan ou Le Misanthrope, le rire est présent. La réplique
irrésistible de Sganarelle devant la mort de son maître, « Mes gages ! », confirme l’intention
de l’auteur de laisser au spectateur comme image dernier, l’image de l’humour.
L’art de Molière résulte notamment de la conciliation du rire et de la vérité, car c’est là son
but ultime, transmettre par le comique de caractère, de situation et de langage des vérités sur
l’homme.
Jean-Paul SARTRE (1905-1980)
Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect hétéroclite, tradition et
expériences diverses se partagent la scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois
directions plus importantes s'imposent à l'observation: le théâtre de tradition, le théâtre
existentialiste et le théâtre de l'absurde.
Le théâtre de Jean-Paul Sartre est un théâtre d’idées par excellences, mettant en scène
des personnages qui incarnent les principes fondamentaux de sa philosophie. Le thème central
y est celui de la liberté (on l’appelle d’ailleurs un « théâtre de la liberté »), mais comme il n’y
a de liberté qu’en situation, ce théâtre est surtout un « théâtre de situation », comme
l’appelle l’auteur lui-même.
Sartre développe une phénoménologie de la conscience, qui est une liberté qui institue
le sens dans le monde. Elle n'est pas identique à elle-même; de par sa nature engagée dans un
devenir perpétuel, elle existe. La conscience à l’ avenir devant soi et se projette en avant; en
tant que projet elle est l’être-pour-soi (ou le pour-soi). Elle existe tout d'abord et ensuite, du
fait de sa liberté, se donne une série de déterminations (par des choix successifs) en acquérant
son essence. La proposition „l’existence précède l'essence” (inversion évidente de la
philosophie platonicienne) est le postulat suprême de la pensée de Sartre. C'est pourquoi
„l'homme est l'avenir de l'homme”, il „est ce qu'il se fait" parce qu'il est „condamné à être
libre". Poussée continuellement devant un nouveau choix, la conscience n'éprouve sa liberté
qu'à travers cette tonalité affective qu'est l'angoisse.
Avec sa première pièce de théâtre, Les Mouches (1943), Sartre procède à une
réinterprétation existentialiste du mythe grec des Atrides. Le véritable thème du drame c'est
l'histoire d'une conversion à la liberté. Après un exil de quinze ans, le jeune Oreste, fils
d'Agamemnon et de Clytemnestre, revient dans sa ville natale qu'il ne connaît point. Égisthe
et Clytemnestre, assassins de son père, règnent tranquillement sur un peuple auquel ils ont
infligé le remords perpétuel de leur crime. Le trajet que parcourt Oreste mène d'une liberté
inconsistante, caractérisée par une disponibilité vide et insensible à rengagement, vers une
liberté-en-situation avec son corollaire, la responsabilité totale à l'égard de l'option assumée.
Si, au début, Oreste se sent étranger il arrive finalement, par suite d'une révélation fon-
damentale, à l'évidence de sa liberté-pour-quelque-chose qui anéantit toute immixtion
éventuelle du pouvoir divin. En s'identifiant à cette nouvelle liberté, Oreste transgresse l'ordre
moral fondé sur le sens conventionnel du Bien et du Mal et invente une issue plus qu'il ne la
choisit (car le choix se définit et reste toujours dans le cadre d'un état antérieur). Il commet
donc le double meurtre et assume consciemment son acte justicier en tant qu'acte bon; par
contre, le peuple d'Argos exècre ce crime perpétré au nom de la morale commune tout comme
Electre s'en repent pétrifiée d'horreur. La parabole qui achève la pièce suggère la dimension
prométhéenne de l'acte accompli par Oreste; par la punition des coupables la ville a été
délivrée des remords (symbolisés par les mouches), mais le sauveur doit s'exiler pour toujours
afin d'éviter le retour à la situation initiale. Sa tragédie consiste dans cette solitude de la
conscience qui le sépare à jamais de ses semblables. Dans Les Mouches c'est l'aspect
irréductible du pour-soi qui est mis en évidence ; le héros partira seul, incompris, avec son
acte bon et injustifiable.
Huis-clos (1944) aborde, sous un certain jour, le thème : la relation réciproque des
consciences. L’auteur pos le problème du rapport avec les autres. Structure essentielle de la
subjectivité (c'est-à-dire du pour-soi), l'être-pour-autrui devient une source intarissable de
conflits dès que l'homme tente de contourner sa plus intime possibilité existentielle - la liberté
responsable.
La conclusion accablante de la pièce : „L'enfer c'est les autres" ne vise pas à être une sen-
tence universelle, car, sur la terre, une individualité vivante a toujours la possibilité de
rectifier la signification de son existence à condition d'assumer librement la responsabilité de
ses actes passés et futurs.
Avec la pièce Morts sans sépulture (1946) le théâtre sartrien insère la conscience dans
l'histoire réelle. Sartre revient au thème du condamné à mort qui avait fait l’objet de la
nouvelle Le Mur. Le conflit n'a plus lieu dans l'atmosphère pure et raréfiée des entités ab-
straites; l'impact de la réalité immédiate (un épisode de la Résistance), accompagné d'un
nouveau thème, celui de la torture corporelle, introduit une tension dramatique particulière.
Dans ce drame, la conscience d'une condition commune qui engendre la solidarité surmonte la
doctrine plutôt „individualiste” de l'existentialisme sartrien. Morts sans sépulture annonce
déjà la réorientation idéologique de l'auteur qui marquera de façon décisive sa pensée
ultérieure.
Avec Les Mains sales, un tournant radical se produit dans la pensée philosophique et
littéraire de Sartre, car il dépasse le subjectivisme qui caractérisait ses réflexions sur l’homme
et le monde, vers une conception plus réaliste et concrète dans tous les sens. Dans cette pièce
l’auteur utilise la technique cinématographique du flash-back, ou du retour en arrière. Cette
technique permet à l’auteur de mieux marquer les antinomies tragiques du personnage et de
révéler la signification profonde de la pièce, qui témoigne d’une tentative pour briser les murs
de la conscience malheureuse afin d’accéder aux sources de l’existence authentique.
SAMUEL BECKETT
Les pièces de Beckett sont des parodies de la condition humaine. L’auteur a une vision
tragique de l’existence, le monde lui apparait rigide, lugubre, vide et sans signification. Ses
personnages sont tous des misérables, vagabonds ou infirmes qui, au fond de leur misère
atroce, observent leur sort avec une impitoyable lucidité et posent sans cesse des questions sur
leur identité, sur leur existence présente, sur leur vie future, repoussant fermement les
illusions mensongères.
Dans le théâtre de Beckett l’intrigue manque. Le développement linéaire est remplacé par un
développement circulaire.
En attendant Godot, le chef-d’œuvre de Samuel Beckett, est une farce tragique en deux actes.
L’ordre des événements et des rapports diffère cependant d’un acte à l’autre. Vladimir et
Estragon sont des personnalités complémentaires : l’un est méditatif, l’autre plus instinctif,
plus capricieux. C’est pourquoi, malgré l’opposition de leurs tempéraments, ils doivent rester
ensemble, car ils dépendent l’un de l’autre. Conscients de leur inutilité, ils sont le symbole de
l’humanité souffrante. Le décor (notamment l’arbre et la route), les costumes, certains objets
de vêtement qui « occupent » a un moment donne la scène, la nourriture, sans parler de leurs
gestes, ont une fonction symbolique évidente, même si leur signification reste parfois
indécidable. L’espace scénique est presque vide et semble évoquer le vide de l’existence
humaine, l’absurde, le désespoir. Le seul élément de décor est un arbre qui pouce au cours de
la pièce- image du temps qui passe et qui entraîne inévitablement les personnages vers la
mort.
La réponse que Beckett a donnée à la question « Que signifie Godot ? » (ce certain Godot est
un personnage qu’ils attendent éternellement) est bien révélatrice a cet égard : « Si je savais,
je l’aurais dit dans la pièce. » D’une manière générale, on pourrait dire que Godot symbolise
le salut, et que l’attente des deux clochards signifie l’espoir de l’homme dans l’avènement
d’un être mythique, ou bien on pourrait dire que Godot symbolise l’idéal, au sens commun :
ce que chacun désiré mais ne réalise pas. Cependant, la nature exacte de Godot est
d’importance secondaire, car le sujet de la pièce est l’attente.
En attendant Godot ne raconte pas une histoire. Il n’y a aucune progression ni dans les faits,
ni dans les caractères. Nous tournons en rond. Les deux clochards se retrouvent au début du
deuxième acte dans la même immobilité de l’attente.
Le langage des personnages n’est pas toujours cohérent ; il y a des phrases inachevées, des
questions sans réponse, des répétitions obstinées.
En attendant Godot reste une des grandes dates du théâtre contemporain. Aucune œuvre n’a
exprimé avec une rigueur aussi dépouillée la vacuité de l’existence et la vanité de l’espoir.
Dans Fin de partie on assiste à « l’épuisement d’un mécanisme jusqu’à son arrêt définitif. »
Hamm, aveugle, paralytique, dans un fauteuil roulant, vit sa dernière heure entre son fils
adoptif Clov et ses vieux parents, Nell et Nagg. Hamm et Clov sont inséparables. Malgré le
désir de quitter Hamm, malgré son exaspération qui lui rend parfois enrage, Clov ne peut pas
s’en séparer ; car Hamm, aveugle, qui ordonne et ne peut pas se lever, et Clov, qui voit,
exécute et ne peut pas s’asseoir, forment en réalité une seule personnalité, qui ne se dissociera
que dans la mort.
La seule faculté dont les pauvres créatures de Beckett disposent encore, c’est le langage. C’est
pourquoi, afin de remplir le vide qui les entoure, ils font recours à la parole. Le recours à la
parole est pour les malheureux de Beckett un divertissement qui leur fait oublier pour un
temps la misère atroce de leur condition. Plus que tout autre chose, ils détestent le silence, car
le silence est l’image même du néant. L’homme beckettien fait de la parole l’instrument d’une
quête intérieure : en parlant, il se scrute, se découvre, se met à nu.
Seule la parole donne à ces infirmes l’impression de vivre, de vaincre le temps en disant
n’importe quoi, en inventant des histoires pour empêcher de sentir que tout s’en va. Leurs
discours sont parsemés de répétitions, d’inversions, ou bien traversés de silences, de moments
de répit où ils semblent se refaire pour se relancer.
Dans Oh les beaux jours l’incessant bavardage de Winnie n’a d’autre dessein que de remplir
le temps. Ce monologue épuisant est tout ce qui lui reste avant que la terre ne l’ensevelisse,
car tout le long de la pièce on assiste à son enterrement progressif dans les sables, au milieu
du désert. Comme les personnages des autres pièces, Winnie est en proie au processus de
dégradation et de répétition, qui constitue une des marques de l’univers beckettien.
Les conversations dans le vide, les questions sans réponses, les paroles sans signification qui
illustrent la décomposition du langage, trahissent en même temps un univers en
décomposition.
Les coups que Beckett porte au langage ne visent pas à l’éliminer de la scène. Il est vrai qu’il
expérimente la pantomime dans des pièces courtes intitulées Actes sans paroles, mais cette
tentative est restée sans lendemain et le plus souvent le langage représente la seule raison
d’être de ses personnages.
Les pièces de Beckett sont des paraboles, qui nous disent que les hommes sont les jouets du
destin, qu’ils ne peuvent se soustraire aux misères de leur condition. La vision qu’il offre de la
condition humaine est désespérante : aucune chance de salut n’est laissée à la créature. Cette
vision abrite cependant une immense pitié pour l’être humain soumis non plus aux caprices du
destin et des dieux, mais à l’irrémédiable déchéance que comporte sa condition.
Dans le théâtre de Ionesco la logique et le sens commun sont abolis, les sentiments et
le langage sont brûlés, le personnage réel et la marionnette cohabitent ; le drame devient la
représentation d’un non-sens humain. Selon lui, le théâtre doit opérer avec de véritables
tactiques de choc.
Dans Les Chaises, Ionesco reprend et pousse à ses dernières conséquences la négation
du modèle de la communication oratoire entamée déjà dans Une lettre perdue de Caragiale:
un discours électoral illogique et à peu près incongru - dont la transmission est déréglée aussi
par un puissant bruitage - y est donné sans convaincre personne et il reste même
essentiellement inutile puisque le candidat sera imposé par une autorité supérieure. Ionesco
réduit systématiquement au néant chaque composante de l'acte communicatif: les deux
vieillards qui voudraient transmettre le message de leur vie à l'humanité se suicident après
l'avoir confié à un orateur sourd-muet. Mais dans la salle à laquelle il s'adresse il n'y a que des
chaises vides, absence du destinataire. Et d'ailleurs ce fameux message semble ne pas exister;
le dialogue précédent des deux vieillards suggère plutôt que leur vie ratée ne laisse rien
derrière.
« Le thème de la pièce, écrit Ionesco n’est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le
désastre moral des vieux, mais bien les chaises, c’est-à-dire l’absence de personnes, l’absence
de Dieu, l’absence de matière, l’irréalité du monde, le vide métaphysique, le thème de la
pièce, c’est le rien. »
Le roi, nommé Bérenger Ier, évoque l’ombre des souverains, mais il ne s’enferme pas
dans l’exaltation d’un tragique ou d’un grotesque étranger. La pièce ne cherche pas à délivrer
quelque message, mais révéler la transparence d’une peur – celle de l’anéantissement. La mort
est ici partout et dans le langage lui-même, innommée, esquivée, parlée par la reine, qui doit
aider le roi à accepter sa destruction, évoquée, affirmée et finalement reconnue. Le roi
d’Ionesco est à la fois trivial, naturel et sordide dans sa grandeur, comme le monde qu’il
domine.
Roi charismatique, il essaie une dernière fois à retrouver son pouvoir magique sur les
choses et les hommes, il donne des ordres fous („j’ordonne que les arbres poussent du
plancher”), tente de noyer sa mort dans la déclamation de cette nouvelle communiquée à tous.
Le roi est dérisoire et grotesque dans son affection de puissance. Le roi, qui est avant tout un
homme comme tous les autres, atteint par le venin de la mort, n’est plus qu’une marionnette.
En automne 1957, paraît Rhinocéros, nouvelle dans laquelle Ionesco manifeste son
effroi devant l'éclatement contagieux du patriotisme chauvin et du racisme qui saisissait la
France à l'occasion de la « Bataille d'Alger » (hiver 1956/1957). Comme la pièce touche en
France des sujets trop délicats, c'est à Düsseldorf qu'elle est représentée pour la première fois
en 1959, et le public allemand y voit pour sa part une critique du nazisme. Dans cette pièce on
assiste à une transformation progressive des habitants d’une ville en pachydermes. Cette
épidémie inconnue, la rhinocérite, implique un changement de « mentalité » et tend à
« remplacer la loi morale par la loi de la jungle », comme le fait remarquer le protagoniste de
la pièce.
Grâce à Eugène Ionesco, le théâtre est confronté à tous ses possibles mais aussi à ses
limites qui tournent paradoxalement chez lui en autant de stratégies dramatiques fertiles. Crise
et renaissance du langage, et même de l'être humain par le personnage dramatique, la
symbolique ouverte des signes de spectacle, tout s'y conjugue pour poser des questions
essentielles sur la destinée de l'homme moderne. Au-delà du ridicule des situations les plus
banales, le théâtre de Ionesco représente de façon palpable la solitude de l'homme et
l'insignifiance de son existence.
Ionesco a essayé d’extérioriser l’angoisse de ses personnages dans les objets, de faire
parler les décors, de visualiser l’action scénique, de donner des images concrètes de la frayeur
ou du regret, du remord ou de l’aliénation, de jouer avec les mots. Dans son théâtre l’ironie, le
cauchemar et le lyrisme s’entremêlent, l’humour- synonyme de la liberté- en étant le
dénominateur commun. D’ailleurs, l’humour est pour lui l’unique voie de libération. Il
considère que le langage est réduit à une fonction mineure dans un théâtre où la parole est
continuée par le geste, le jeu, la pantomime. C’est pourquoi, il recommande à l’acteur de jouer
contre le texte.