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Section 3 : Pourquoi rendre des fonds aux actionnaires ?

Le montant des fonds rendus aux actionnaires ne correspond pas, le plus souvent, à celui des
fonds qui ne trouvent pas à s'investir dans des projets rapportant au moins le coût du capital.
Au-delà de cette pure rationalité, d'autres paramètres interviennent en effet.

1. La non-réponse de la théorie des marchés en équilibre :

Sur les marchés à l'équilibre, la distribution n’a aucun impact sur le patrimoine de
l'actionnaire et celui-ci est indifférent entre recevoir un euro en dividende ou un euro en plus-
value.
En effet, si nous sommes à l'équilibre, l'entreprise dégage par définition le taux de rentabilité
exigé par les actionnaires. Considérons ainsi la société Équilibre SA qui dispose de 100 de
capitaux propres sur lesquels les actionnaires demandent une rentabilité de 10 % et qui
dégage, puisque nous sommes à l'équilibre, un résultat net de 10. Soit ce bénéfice de 10 est
distribué aux actionnaires, soit il est réinvesti dans l'activité d'Equilibre SA à un taux de
rentabilité de 10%, mais comme l'actionnaire demande un taux de rentabilité de 10%, ce 10 va
valoir ni plus ni moins que 10. Les actionnaires auront donc soit touché 10 en liquidités, soit
vu la valeur d'Equilibre SA s'accroître de 10 ; ce qui est équivalent d’un point de vue
patrimonial.
Dans le cadre des marchés à l'équilibre, il ne peut donc pas y avoir de bonnes ou de mauvaises
politiques de distribution.
En définitive, si l’entreprise distribue beaucoup, la valeur de l'action sera plus faible mais
l‘actionnaire aura plus de liquidités. Si l’entreprise distribue moins, sa valeur sera plus forte
(sous réserve qu’elle autofinance des projets suffisamment rentables) et l'actionnaire aura
moins de liquidités, ce qu'il pourra compenser en vendant une partie de ses actions.
Dans un univers de marchés en équilibre, distribuer plus ou moins ne changera donc rien au
Patrimoine de l'actionnaire. Les entreprises ne doivent donc pas se préoccuper de leur
politique de distribution mais considérer le dividende comme un flux d'ajustement. On
retrouve l' approche de Modigliani-Miller en matière de politique financière : il n'existe pas de
moyen durable de créer de la valeur par une simple décision financière.
Dans le cadre des marchés à l'équilibre, il ne peut donc pas y avoir de bonnes ou de mauvaises
politiques de distribution.
En tout cas, s'il est bien une idée fausse fondée sur un abus de langage, c’est celle qui consiste
à présenter le dividende comme une rémunération de l'actionnaire, comme le pendant du
salaire qui rémunère le travailleur.
Si le patrimoine du salarié s'accroît bien du salaire versé, en revanche le patrimoine de
l'actionnaire n'est pas modifié par la perception du dividende : certes, il a bien touché le
montant des dividendes versés, mais au même moment la valeur de ses actions a baissé
d'autant.
Le dividende n'est donc pas une rémunération ou un enrichissement de l'actionnaire, mais une
simple modification de la composition de son patrimoine, comme un transfert de sa poche
gauche à sa poche droite.
Que dire en effet des firmes qui n’ont jamais versé de dividendes comme Facebook ou la
société de Warren Buffett Berkshire Hathaway. N'ontelles jamais rémunéré leurs actionnaires
? Bien sûr que non ! Ces firmes ont été d'excellents investissements pour leurs actionnaires.
La rémunération de l'actionnaire, c'est la variation de la valeur de son patrimoine investi dans
l’entreprise, dividendes compris.

2. La distribution comme une résolution des problèmes d'agence

Selon la théorie de l'agence, créanciers et dirigeants ont un intérêt commun à défendre


l'autofinancement car «l'argent reste dans l'entreprise » tandis que les actionnaires «en veulent
toujours plus »…
Si les dirigeants investissent les flux de trésorerie disponible dans des investissements non
rentables: leurs ego seront satisfaits par la taille du budget d'investissement, ou leurs postes
deviendront plus stables si les investissements sont peu risqués".
Ceci est d'autant plus vrai que l'autofinancement est une source de financement dont
l’obtention nécessite peu de communication et dont le coût de l'asymétrie d'information est
très réduit. Le risque existe alors que les entreprises disposant de trésorerie réalisent des
investissements faiblement rentables, comme si l'argent brûlait les doigts de leurs dirigeants
Si la gestion d'une équipe de dirigeants est médiocre, la sanction du marché sera tôt ou tard
une stagnation ou une baisse du cours des actions qui, si elle est durable, exposera l'entreprise
au risque d'une OPA. En supposant que les dirigeants ne détiennent pas suffisamment
d'actions pour influer sur la réussite ou l'échec de l'OPA, le renouvellement de l'équipe
dirigeante pourra permettre à la société de renouer avec des investissements dont la rentabilité
est supérieure au coût moyen pondéré du capital, ce qui se traduira par une hausse du cours de
Bourse.
La menace de l'OPA n'est pas théorique: elle a frappé à maintes reprises des groupes mal
gérés [Aventis, Reuters, ABN Amro, Club Med, Syngenta, etc.]. Mais l'OPA arrive souvent
tard et après des années de gâchis. La politique de distribution est un moyen plus préventif.
L'arrivée de fonds activistes au capital de groupes jugés mal gérés se matérialise souvent par
une saine pression pour accroître les retours de liquidités oisives à l'actionnaire sous forme de
rachats d'action ou de dividendes (Apple, Vivendi].
En contraignant en effet les dirigeants à verser aux actionnaires une fraction des résultats
réalisés, elle est un moyen de les « discipliner » et de les contraindre à intégrer dans leur
raisonnement l'intérêt des actionnaires. Une politique de distribution généreuse aura pour
contrepartie un appel plus important, soit aux actionnaires, soit aux créanciers pour financer
l'entreprise.
Dans les deux cas, ceux-ci ont alors le pouvoir de dire «non ». Pour réduire à l'extrême les
divergences d'intérêt et la marge de manœuvre des dirigeants, les actionnaires pourraient
demander que la totalité des bénéfices leur soit reversée. L'entreprise serait alors contrainte de
procéder à des augmentations de capital régulières que les actionnaires décideraient ou non de
suivre en fonction de la rentabilité des projets qui leur seraient proposés par les dirigeants.
Cette solution, attractive intellectuellement, se heurte à l'importance des coûts qu'engendre
une augmentation de Capital (coûts directs, temps de l'équipe de direction).
On notera également que les créanciers sont vigilants et tendent à s'opposer aux distributions
trop généreuses qui peuvent se traduire par une augmentation de leur risque.
Le dividende est surtout un instrument de contrôle des dirigeants par le marché qui prive ainsi
l'entreprise d'une part de ses liquidités que le management aurait pu investir à son gré. Si les
dirigeants souhaitent néanmoins investir pour le montant de ces liquidités, ils devront recourir
à l'endettement qui, en exerçant une contrainte sur eux, les pousse à être plus efficaces.

3. La distribution comme un signal

La théorie des marchés en équilibre a du mal à trouver une justification convaincante à


l'existence des dividendes. La prise en compte du monde réel oblige à rechercher de nouvelles
explication, ou problème de la distribution.
Toute une littérature autour de la théorie des signaux appliquée au problème de la distribution,
développée principalement pendant les années 1980 propose une justification à l'existence de,
dividendes ou des rachats d'actions :
La distribution est l’un des moyens de communication entre l'entreprise et les investisseurs.
Les informations financières transmises aux investisseurs par les entreprises sont sujettes à de
possibles mises en valeur avantageuses, voire à des manipulations comptables. Les dirigeants
sont en effet naturellement incités à donner la meilleure image possible de l'entreprise, même
si parfois celle-ci ne représente pas l'exacte vérité. Les entreprises réellement rentables vont
alors chercher à se distinguer des autres par des politiques que ces dernières ne pourront pas
imiter parce qu’elle, n'en ont pas les moyens. La distribution de dividendes ou les rachats
d'actions est l'une de ces politiques car elle nécessite de disposer de trésorerie. Une entreprise
en difficulté ne pourra donc pas imiter une firme prospère.
La politique de dividendes ou de rachats d'actions constitue donc un vecteur d'information
privilégié que les dirigeants utilisent pour convaincre que leur image correspond à la réalité.
Par ailleurs, la politique de distribution permet à l'équipe dirigeante de montrer au marché
financier qu'elle applique, en matière de finance et de développement, une politique réfléchie
et qu'elle anticipe certains résultats. Comme les dividendes annuels sont décidés la plupart du
temps 3 à 4 mois après la clôture de l'exercice, le niveau du dividende dépend à la fois du
résultat de l'exercice clos et de celui du début de l'exercice en cours. Le niveau porte donc une
information, un signal, sur le résultat prévisionnel de l'exercice en cours.
Si une entreprise maintient son dividende alors que son bénéfice décroît, elle signifie au
marché que cette baisse n'est que passagère, et que la progression des bénéfices va reprendre.
Ainsi le groupe minier Rio Tinto ail vu son cours monter de 2% suite à sa décision en 2015
d'augmenter son dividende de 12% malgré des résultats en recul de 30%. À l'inverse, si elle le
réduit fortement, voire le supprime, elle envoie un signal sur ses perspectives d'activité qui
risque fort d'être analysé négativement.
Cependant, la réduction des dividendes ne correspond pas nécessairement à une mauvaise
nouvelle sur les résultats futurs, elle peut également indiquer un besoin de liquidités lié à de
nouvelles opportunités d'investissement. Ainsi, on a pu assister depuis la fin des années 1990
à une réorientation de certains groupes traditionnellement positionnés sur des secteurs à
maturité vers des activités ou des zones géographiques à plus forte croissance. De la même
façon, il faudra aussi éviter le piège qu’une hausse du dividende ne soit interprétée à tort
comme une raréfaction des opportunités d'investissement. La stratégie de communication sur
la politique de dividendes revêt une importance cruciale, en particulier en cas de changement
de cette politique.

4. Parce que les actionnaires le souhaitent !

M. Baker et J. Wurgler ont montré qu'il existe des périodes pendant lesquelles les actionnaires
sont demandeurs de dividendes. Ils sont prêts à payer plus cher les actions d'entreprises à
politique de distribution généreuse. Même si encaisser un dividende n'a jamais enrichi un
investissement puisque parallèlement la valeur de l'action s'affaisse du montant du dividende,
l'actionnaire ne peut pas s'empêcher d'être heureux à la réception de son chèque, même s'il lui
suffirait de vendre quelques actions pour toucher le même montant de liquidités. Dans ce
contexte, J. Rockfeller peut déclarer dans les années 1920 : « Vous connaissez la seule chose
qui me fait encore plaisir ? toucher mes dividendes », sans choquer personne !
M. Baker et J. Wurgler ont aussi montré qu'il existe des périodes pendant lesquelles les
actionnaires ne sont pas vraiment demandeurs de dividendes car il leur semble plus intéressant
que l'entreprise réinvestisse dans des opportunités de croissance. Ils valorisent moins cher les
actions à forts dividendes. Ce fut clairement le cas dans la seconde partie des années 1990: fin
1998, le jour où Telefonica annonça la suppression de son dividende afin de contribuer au
financement de son expansion en Amérique latine, son cours de Bourse grimpa de 9 %.
On peut naturellement se demander pourquoi cette succession de phases opposées. Il ne nous
semble pas qu'il y ait d'autres réponses que l'existence de modes en finance. Elles
correspondent à des vagues d'optimisme conduisant à privilégier le réinvestissement du
résultat perçu comme créateur de valeur ou à des vagues de pessimisme conduisant à favoriser
la distribution. La finance est avant tout une activité humaine...

5. Pour donner de la liquidité aux actionnaires

Cette raison est particulièrement vraie pour les sociétés non cotées illiquides par définition.
Elle s'applique aussi aux sociétés cotées de petite taille qui souffrent d'une désaffection des
investisseurs et donc d’un marché faiblement animé, souvent sur des bases de valorisations

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