Vous êtes sur la page 1sur 5

Droit matériel de l’Union européenne – L3

Cours du Professeur Sabrina Robert-Cuendet

Actualité : L’Union européenne et la gestion de la crise du Coronavirus


Quelles restrictions à la libre circulation des marchandises ?

La crise du coronavirus qui a touché l’Europe au début du mois de mars et le confinement qui
en a résulté perturbent profondément nos vies actuellement. Mais celles-ci doivent continuer
dans des conditions aussi normales que possible et apprendre, étudier, consolider ses
connaissances et entrainer son esprit d’analyse sont parmi les activités les plus stimulantes
pour nous occuper pendant ces temps troublés.
Or, la crise du coronavirus en Europe pose de nombreuses questions qui intéressent
directement le cours de droit matériel de l’Union européenne. En guise de séance de clôture
de notre cours, je vous propose donc de prendre un temps de réflexion ensemble pour mettre
les connaissances que vous avez acquises pendant cet enseignement au service de la
compréhension de l’actualité.

Depuis le début de la crise du coronavirus en Europe, l’Union européenne semble être la


grande absente du terrain. Jusqu’il y a peu, les médias n’avaient de cesse de dénoncer son
immobilisme et son absence de réaction. Et depuis quelques jours, ce sont les blocages à
répétition au sein du Conseil de l’Union, pour trouver des solutions satisfaisantes à la crise
économique qui suit la crise sanitaire, qui sont mis en avant pour dénoncer l’impuissance de
l’Union européenne.
Mais l’UE est-elle compétente pour intervenir dans le domaine de la santé ? L’Union
européenne dispose-t-elle de mécanismes efficaces pour lutter contre la crise sanitaire ? Est-ce
vrai d’affirmer que l’UE ne fait rien pour aider les Etats à surmonter les nombreuses
difficultés – en particulier les difficultés économiques – qui résultent de cette crise sans
précédent et qui vont perdurer pendant de longs mois encore, lorsque l’épidémie sera enfin
maitrisée.

Les questions qui suivent vous invitent à mobiliser vos connaissances et vos capacités de
réflexions pour comprendre quel rôle peut vraiment jouer l’Union européenne dans la gestion
de la crise du coronavirus. Nous examinons ici la crise du coronavirus sous ses deux angles
principaux : l’angle sanitaire et l’angle économique.

***

Première question : de quel type de compétence l’Union européenne dispose-t-elle en


matière de santé ?

Rappelez-vous, nous avons évoqué ce point lorsque nous nous sommes intéressés 1. à la
possibilité pour les Etats membres d’adopter des MEERQ fondées sur l’objectif de protection
de la santé et 2. à la possibilité pour le législateur européen d’adopter des mesures de
rapprochement des législations nationales qui touchent au secteur de la santé.

Réponse : pas de compétence exclusive générale de l’UE dans le domaine de la santé, en tant
que telle.
L’UE a une compétence d’appui en matière de santé, par rapport à celle des Etats membres.

1
Cf. article 6 TFUE :
L'Union dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou
compléter l'action des États membres. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité
européenne: a)  la protection et l'amélioration de la santé humaine;

Article 168 TFUE :


1. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la
mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Unio.
L’action de l’Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l’amélioration
de la santé publique …

2. L’union encourage la coopération entre les Etats membres

La compétence principale revient aux Etats membres (définition du système de santé…).


L’UE peut intervenir en soutien, mais le principe de subsidiarité s’impose.

On a ainsi vu que l’UE ne pouvait pas adopter des mesures d’harmonisation dans le domaine
de la santé proprement dite.
Cf. article 168 TFUE : la réglementation européenne ne peut pas se substituer à la
réglementation des Etats membres.

Le fait que la santé relève principalement de la compétence des E m se manifeste encore par
la possibilité qu’ils ont d’adopter des MEERQ pour des raisons de santé publique – article 36
TFUE et exigences impératives d’intérêt général

Mais, principe dit de « la santé dans toutes les politiques »  l’UE peut nécessairement
légiférer, indirectement, dans le domaine de la santé : innerve toutes les politiques de l’UE :
PAC, environnement, commerce ...

On a vu aussi que UE peut procéder à rapprochement des législations qui ont pour objet
l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur (article 114 TFUE)  cf. exemple de
la réglementation sur le tabac dont on a parlé en cours.

Donc l’UE n’est pas totalement démunie dans le domaine de la santé. Mais compétence
subsidiaire ; compétence prioritaire des E m. Symbolisé par le faible budget alloué à la santé
(quelques centaines de millions d’euros).

Il n’est donc pas surprenant que les E m, face à l’arrive du covid 19, aient d’abord réagi de
manière unilatérale, tout azimut, pour protéger leur système de santé, leur population et
l’ordre public.

Deuxième question : afin de parer au risque de pénurie de matériel médical (masques,


sur-blouses …) dans leurs établissements hospitaliers, plusieurs Etats membres ont
réquisitionné ce matériel en empêchant qu’il soit exporté dans d’autres Etats, y compris
dans d’autres Etats membres de l’UE. Comment ce type de mesure peut-il être qualifié
en droit de l’UE ? Ce type de mesure est-il conforme au droit de l’UE ?

Il s’agit clairement de restrictions à l’exportation / MEERQ quand par exemple réquisition

2
 entre E membres : interdites en vertu du marché commun et des libertés de circulations
 avec les E tiers : a priori, compétence exclusive de l’UE (PCC) et risque d’incompatibilité
avec les obligations internationales comme OMC

Les MEERQ dans le cadre intra-UE peuvent-elles être justifiées ?


 article 36 TFUE : Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux
interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons
de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie
des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors
nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la
propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent
constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le
commerce entre les États membres.

 exigences impératives d’intérêt général

Mais encore faut-il que les mesures soient nécessaires et proportionnées

 appréciées à l’échelle de l’Etat lui-même : l’objectif est d’éviter pénurie / OK

 mais si on apprécie à l’échelle du marché commun : principe de solidarité, intégrité des


chaines d’approvisionnement … on pourrait reprocher aux Etats qui adoptent ce type de
mesure de porter atteinte trop grave au marché commun, qui justement est vue par UE
(commission européenne) comme meilleure moyen de lutter ensemble contre la crise.

***

Troisième question : Comment analysez vous la Communication de la Commission


européenne relative à la Réaction économique coordonnées à la flambée de Covid-19 adoptée
en mars 2020 ? (document joint)

Quelle est la valeur juridique de cet instrument ?


Pourquoi la Commission européenne adopte-t-elle cet instrument ?
Dans quelle mesure les Etats membres ont-ils tenus de suivre les recommandations émises par
la Commission de cette communication ?

***

Quatrième question : afin de limiter autant que possible les conséquences économiques,
potentiellement catastrophiques, du confinement, les Etats membres de l’UE ont pris plusieurs
mesures de soutien aux entreprises. L’Etat français a par exemple décidé de procéder à des
remises d’impôt direct, à des reports de payement des loyers, des facteurs d’électricité, de gaz,
d’eau … L’Etat français a mis en place un dispositif d’aide financière directe aux petites
entreprises directement menacées par la chute de l’activité économique. L’Etat français
propose encore sa garantie à certaine entreprise pour honorer leurs dettes et emprunts.
Comment analysez-vous ces mesures ? Vous pouvez faire ici un parallèle avec les
mesures adoptées par les Etats lors de la crise financière de 2008. A quelles dispositions
des traités ces mesures peuvent-elles se heurter ? Le droit de l’UE permet-il de justifier
de telles mesures ? Qui est compétent pour contrôler la légalité de ces mesures ?

3
Ces mesures peuvent s’analyser en aide d’Etat, au sens de l’article 107 TFUE. Elles doivent
donc être notifiées à la Commission européenne, sous peine d’être illégales.
Mais question est de savoir si, sur le fond, elles sont compatibles avec le droit de l’UE.

Rappel des critères de l’aide d’Etat illégale :


- intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat
- octroi d’un avantage au bénéficiaire du dispositif
- affectation des échanges entre les Etats membres
- affectation de la concurrence

 avantage déloyal à l’entreprise qui en bénéficie

En 2008, la Commission européenne avait adopté des règles temporaires spéciales relatives au
soutien accordé aux banques, qui permettaient aux Etats membres de manière temporaire, et
jusqu’à fin 2010, d’octroyer des aides financières, des garanties pour les prêts assortis d’une
réduction de prime ou des prêt bonifiés aux banques, dès lors que ces dernières s’engageaient
à adopter des mesures de lutte contre la crise économique.

Pour la crise du coronavirus, la Commission européenne procède de la même manière 


adoption d’une communication visant encadrement temporaire des mesures d’aide d’Etat
visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée du COVID-19 – 20 mars
2020
 urgence de santé publique grave
 toutes les catégories d’entreprises peuvent être confrontées à une grave insuffisance de
liquidités

 3 hypothèses d’aides compatibles avec le droit de l’UE

1. Commission reconnaît que les Etats peuvent mettre en place, sans intervention de la
Commission, des mesures applicables à toutes les entreprises, comme l’octroi de subventions
salariales, la suspension de paiement de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur
ajoutée ou des cotisations sociales, ou d’un soutien financier direct aux consommateurs en cas
d’annulation de services ou de billets qui ne sont pas remboursés par les opérateurs concernés
 aides non spécifiques / donc pas d’incompatibilité avec le droit de l’UE / même pas besoin
de notification à la commission

2. mesures de soutien conformes au règlement général d’exemption par catégorie, là aussi


sans intervention de la commission

3. article 107 § 2 point b) TFUE : les aides destinées à remédier aux dommages causés par les
calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires

 notification à la commission

 Commission énumère les aides qui peuvent être temporairement compatibles avec le droit
de l’UE : garanties de l’Etat sur les prêts, taux d’intérêt bonifiés pour les prêts, assurance-
crédit à l’exportation à court terme

 conditions : montant max / limitée dans le temps / entreprises confrontées à pénurie ou


absence de liquidités soudaine / aide octroyée avant le 31 décembre 2020 / régime
s’accompagnant d’un budget prévisionnel

4
***

Vous aimerez peut-être aussi