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Québec français

Les 20 règles du roman policier


S. S. Van Dine

Le roman policier
Numéro 141, printemps 2006

URI : https://id.erudit.org/iderudit/50235ac

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Éditeur(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (imprimé)
1923-5119 (numérique)

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Citer cet article


Van Dine, S. S. (2006). Les 20 règles du roman policier. Québec français, (141), 60–60.

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Les 20 règles du roman policier
i Le lecteur et le détective doivent i o Le coupable doit toujours être donc toujours un certain n o m b r e accident ou un suicide. Imaginer
avoir des chances égales de une personne qui ait joué un rôle de lecteurs qui se m o n t r e r o n t une enquête longue et compli-
résoudre le problème. plus ou moins i m p o r t a n t dans t o u t aussi sagaces que l'écrivain. quée pour la t e r m i n e r par une
l'histoire, c'est-à-dire que le C'est là, précisément, que réside semblable déconvenue serait
2 L'auteur n'a pas le droit d'em-
lecteur connaisse et qui l'inté- la valeur du j e u . j o u e r au lecteur un t o u r impar-
ployer vis-à-vis du lecteur des
resse. Charger du crime, au donnable.
trucs et des ruses autres que 16 II ne doit pas y avoir, dans le
dernier chapitre, un personnage
ceux que le coupable emploie roman policier, de longs passa- 19 Le m o t i f du crime doit toujours
qu'il vient d'introduire ou qui a
l u i - m ê m e vis-à-vis du détective. ges descriptifs, pas plus que être strictement personnel. Les
joué dans l'intrigue un rôle t o u t à
d'analyses subtiles ou de préoc- complots internationaux et les
3 Le véritable roman policier doit fait insuffisant serait, de la part
cupations « atmosphériques ». sombres machinations de la
être e x e m p t de t o u t e intrigue de l'auteur, avouer son incapacité
De telles matières ne peuvent grande politique doivent être
amoureuse. Y introduire de de se mesurer avec le lecteur.
qu'encombrer lorsqu'il s'agit laissés au roman d'espionnage.
l'amour serait, en effet, déranger
i i L'auteur ne doit jamais choisir le d'exposer clairement un crime et Au contraire, le roman policier
le mécanisme du problème
criminel parmi le personnel de chercher le coupable. Elles doit être conduit d'une manière
p u r e m e n t intellectuel.
domestique tel que valet, la- retardent l'action et dispersent pour ainsi dire gemuetlich'. Il
4 Le coupable ne doit jamais être quais, croupier, cuisinier ou l'attention, d é t o u r n a n t le lecteur doit refléter les expériences et
découvert sous les traits du autres. Il y a à cela une objection du but principal qui consiste à les préoccupations quotidiennes
détective lui-même ou d'un de principe car c'est une solution poser un problème, à l'analyser du lecteur, t o u t en o f f r a n t un
membre de la police. Ce serait de t r o p facile. Le coupable doit être et à lui trouver une solution certain exutoire à ses aspirations
la tricherie aussi vulgaire que q u e l q u ' u n qui en vaille la peine. satisfaisante. Bien entendu, il est ou à ses émotions refoulées.
d'offrir un sou neuf contre un certaines descriptions que l'on ne
12 II ne doit y avoir q u ' u n seul saurait éliminer et il est indispen- 20 Finalement, et aussi pour faire
louis d'or.
coupable, sans égard au nombre sable de camper, ne fût-ce que un compte rond de paragraphes
5 Le coupable doit être d é t e r m i n é des assassinats commis. Toute sommairement, les personnages, à ce credo, je voudrais énumérer
par une série de déductions et l'indignation du lecteur doit afin d'obtenir la vraisemblance ci-dessous quelques trucs
non pas par accident, par hasard, pouvoir se concentrer sur une du récit. Je pense, cependant, auxquels n'aura recours aucun
ou par confession spontanée. seule âme noire. que, lorsque l'auteur est parvenu auteur qui se respecte. Ce sont
à donner l'impression du réel et des trucs que l'on a t r o p souvent
6 Dans t o u t roman policier, il f a u t , 13 Les sociétés secrètes, les mafias,
à capter l'intérêt et la sympathie vus et qui sont depuis longtemps
par d é f i n i t i o n , un policier. Or ce n'ont pas de place dans le roman
du lecteur aussi bien pour les familiers à tous les vrais ama-
policier doit faire son travail et il policier. L'auteur qui y touche
personnages que pour le problè- teurs du crime dans la littéra-
doit le faire bien. Sa tâche t o m b e dans le domaine du
me, il a fait s u f f i s a m m e n t de ture. L'auteur qui les emploierait
consiste à réunir les indices qui roman d'aventures ou du roman
concessions à la technique f e r a i t l'aveu de son incapacité et
nous m è n e r o n t à l'individu qui a d'espionnage.
purement littéraire. Davantage de son manque d'originalité.
f a i t le mauvais coup dans le
14 La manière dont est commis le ne serait ni légitime ni compa-
premier chapitre. Si le détective I La découverte de l'identité du
crime et les moyens qui doivent tible avec les besoins de la cause.
n'arrive pas à une conclusion coupable en comparant un bout
amener à la découverte du Le roman policier est un genre
satisfaisante par l'analyse des de cigarette t r o u v é à l'endroit
coupable doivent être rationnels très d é f i n i . Le lecteur n'y cherche
indices qu'il a réunis, il n'a pas du crime à celles que f u m e un
et scientifiques. La pseudo- ni des falbalas littéraires, ni des
résolu la q u e s t i o n . suspect ;
science, avec ses appareils virtuosités de style, ni des
p u r e m e n t imaginaires, n'a pas analyses t r o p approfondies, mais II La séance spirite t r u q u é e au
7 Un roman policier sans cadavre,
de place dans le vrai roman un certain s t i m u l a n t de l'esprit cours de laquelle le criminel,
cela n'existe pas. J'ajouterai
policier. ou une sorte d'activité intellec- pris de terreur, se dénonce ;
m ê m e que plus ce cadavre est
mort, mieux cela vaut. Faire lire tuelle c o m m e il en t r o u v e en III Les fausses empreintes digi-
15 Le f i n m o t de l'énigme doit être assistant à un match de f o o t b a l l tales;
trois cents pages sans m ê m e
apparent t o u t au long du r o m a n , ou en se penchant sur des m o t s IV L'alibi constitué au moyen d'un
offrir un meurtre serait se
à c o n d i t i o n , bien e n t e n d u , que le croisés. mannequin ;
montrer t r o p exigeant à l'égard
lecteur soit assez perspicace V Le chien qui n'aboie pas, révé-
d'un lecteur de romans policiers.
pour le saisir. Je veux dire par là lant ainsi que l'intrus est un
Après t o u t , la dépense d'énergie 17 L'écrivain doit s'abstenir de
que si le lecteur relisait le livre, familier de l'endroit ;
du lecteur doit se trouver récom- choisir le coupable parmi les
une fois le mystère dévoilé, il VI Le coupable frère j u m e a u du
pensée. Nous autres, Américains, professionnels du crime. Les
verrait que, dans un sens, la suspect ou un parent lui res-
nous sommes essentiellement méfaits des cambrioleurs et des
solution sautait aux yeux dès le semblant à s'y méprendre ;
humains et un j o l i m e u r t r e fait bandits relèvent du domaine de
début, que tous les indices VII La seringue h y p o d e r m i q u e et le
surgir en nous ie s e n t i m e n t de la police et non pas de celui des
p e r m e t t a i e n t de conclure à sérum de la vérité ;
l'horreur et le désir de ven- auteurs et des plus ou moins
l'identité du coupable et que, s'il VIII Le m e u r t r e commis dans une
geance. brillants détectives amateurs. De
avait été aussi f i n que le détec- pièce f e r m é e en présence des
tive l u i - m ê m e , il aurait pu percer tels forfaits composent la gri-
8) Le problème policier doit être représentants de la police ;
le secret sans lire j u s q u ' a u saille routinière des commis-
résolu à l'aide de moyens stricte- IX L'emploi des associations de
dernier chapitre. Il va sans dire sariats, tandis q u ' u n crime
m e n t réalistes. commis par un pilier d'église ou mots pour découvrir le coupa-
que cela arrive e f f e c t i v e m e n t
par une vieille f e m m e connue ble ;
9) Il ne doit y avoir, dans un roman très souvent et je vais jusqu'à
policier digne de ce n o m , q u ' u n pour sa grande charité est V Le d é c h i f f r e m e n t d'un crypto-
a f f i r m e r qu'il est impossible de
seul véritable détective. Réunir réellement fascinant. g r a m m e par le détective ou la
garder secrète j u s q u ' a u bout et
les talents de trois ou quatre découverte d'un code chiffré.
devant tous les lecteurs la
policiers pour la chasse au bandit 18 Ce qui a été présenté c o m m e un
solution d'un roman policier bien
serait non seulement disperser crime ne peut pas, à la f i n du
et loyalement construit. Il y aura
l'intérêt et troubler la clarté du r o m a n , se révéler c o m m e un
raisonnement, mais encore
prendre un avantage déloyal sur
NOTES
le lecteur.
1 Article paru dans American Magazine, vol. 106, 3 septembre 1928, et en version française dans Mystère-Magazine,
n° 38, en mars 1951.
2 Gemuetlich (gemûtlich) : qui reflète l'univers familier, où l'on se sent bien, convivial.

6 0 I Q u é b e c f r a n ç a i s 141 I PRINTEMPS 2006

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