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✍ Écrire et Fasciner

Structure — Semaine 1

La thématique
de votre histoire

La thématique est le cœur de l’histoire et lui


donne son sens. C’est le plus intellectuel de ses
éléments narratifs. C’est aussi sa finalité : on
raconte une histoire pour divertir, mais d’abord
pour faire passer un message. C’est pour ça qu’il
est intéressant de la déterminer assez tôt, car
le reste suivra quasi naturellement.
Jusqu’à présent, je vous ai montré des tech- die un problème intellectuel en l’étirant par
niques pour vous disposer et favoriser votre des arguments opposés pour en discerner les
créativité. Nous avons vu des techniques limites, et amener à une réponse.
pour dénicher des idées innovantes. Il est
temps de donner corps à vos idées. En logique, on nomme cela « la dialec-
tique » : des partis opposés s’affrontent en
Au lycée, en France, on est habitué à l’exer- s’appuyant sur les arguments de l’adver-
cice de la dissertation (en français, en his- saire pour les tirer à son avantage. La règle
toire et en philosophie notamment) : on étu- du jeu est de partir de ce que l’autre accepte,

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pour lui démontrer qu’on a raison. Ce n’est Dans les dissertations, l’auteur est tout seul :
pas hypocrite : le dialecticien accepte que il porte lui-même les deux partis, construit a
l’autre puisse avoir raison. Il y a donc tou- posteriori le raisonnement pour arriver là où
jours un risque d’avoir tort. il veut amener le lecteur, à la thèse qu’il dé-
fend. D’une certaine manière, le thème d’une
Quand c’est vécu de manière positive, les bonne histoire y ressemble. C’est ce qu’on ap-
deux dialecticiens s’affrontent pour décou- pelle parfois la « morale de l’histoire ». On le
vrir ensemble la vérité. repère alors comme la conclusion.

Exemple : les Fables de La Fontaine


Dans les Fables de La Fontaine les thèmes sont explicites :
• l’humilité du roseau lui permet de plier contre le vent, alors que l’or-
gueil du chêne entraîne son déracinement ;
• la fierté du lièvre le fait perdre contre l’application de la tortue ;
• la prévoyance de la fourmi lui permet de ne pas subir la famine comme
la cigale qui ne vit que dans l’instant...
Évidemment, ces exemples ont leurs limites. Les fables ne sont pas des his-
toires complètes. Et la morale d’une bonne histoire n’a pas besoin d’être
aussi manifeste, bien au contraire. Sinon le lecteur aurait l’impression
qu’on lui fait la morale, alors qu’il n’est pas venu pour ça. Ou alors, il
faut que ce soit amené d’une manière intéressante (un style fluide, une
métaphore lumineuse, etc.). Il n’est pas interdit d’écrire un roman philo-
sophique !

Une bonne propagande, c’est-à-dire la ma- manière durable. Nous verrons plus en dé-
nière de faire passer une idée par l’émotion, tail ces techniques quand nous parlerons du
pour manipuler le public, est celle qu’on ne tissage de l’histoire, c’est-à-dire de la manière
sent pas. Bien souvent la manipulation est de la raconter.
vue dans sa partie négative (bon nombre
de manipulations politiques servent à des Bien sûr, ce n’est pas une thèse universitaire
fins vicieuses). Mais avant d’être utilisée de et l’auteur n’a pas forcément envie de prou-
façon négative, la manipulation, ou encore ver, de faire passer un message. Pourtant,
l’influence, est l’effet d’une bonne histoire. Le quelle que soit son intention, son histoire
but est de faire passer un certain message par aura toujours un thème.
l’émotion.
Voici pourquoi.
Le thème est cette idée que veut faire passer
l’auteur, la conclusion intellectuelle à laquelle La thématique est produite par la relation
il amène le lecteur. S’il la montre trop, le lec- des éléments de l’histoire entre eux. Elle cor-
teur se sentira manipulé et rejettera d’autant respond à l’évaluation, au sens de l’histoire.
plus fortement la conclusion. Mais s’il la
distille avec mesure, il peut le persuader de Dès qu’on met un certain nombre d’éléments
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en lien les uns avec les autres, le public ne auteurs jouent avec cette règle pour faire
peut s’empêcher d’y chercher un sens im- de l’absurde. Nous verrons cela quand nous
plicite. Qu’on le veuille ou non ! Certains parlerons de la construction de l’intrigue.

« Un problème thématique implicite est plus fort. L’enjeu de l’auteur est de le


laisser sous-jacent, tout en le gardant actif du début à la fin. »

Les fondements

Comme vous le verrez bientôt, l’unité drama-


tique, c’est-à-dire l’unité d’action, est essen-
tielle pour rendre l’histoire efficace. Cette effi-
cacité est d’abord émotionnelle. C’est l’irascible
qui est visé en premier.

Rappel
L’irascible est la faculté humaine qui réagit à l’utile et au nuisible, c’est-à-
dire à ce qu’il est difficile d’atteindre ou de repousser (car l’utile permet
d’atteindre un bien qu’on ne peut avoir facilement). L’irascible réagit donc
au problème de l’histoire par les émotions fortes. C’est lui qui nous permet
de vivre la tension de l’histoire.

L’utile et le nuisible sont présentés à l’irascible par une autre faculté qu’on appelle la cogita-
tive. Cogitative et irascible marchent ensemble. La cogitative sent la difficulté et l’irascible
réagit par des émotions propres.
La cogitative sent et reconnaît l’utile et le nuisible. Elle est à l’articulation entre la sensation
et l’intelligence. Cette place la rend centrale dans l’acquisition de l’expérience. On l’appelle
même parfois la « petite intelligence ».

La cogitative dans l’expérience morale


Par exemple, dans un magasin de vidéo, utile que j’aille le payer à la caisse et qu’il
quand je veux un DVD, je sens qu’il est est nuisible que je le mette dans ma poche

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avant de sortir devant le vigile qui me re- cet exemple, je reste volontairement en deçà
garde. Je pourrais bien sûr avoir des consi- pour en manifester le germe, caractérisé par
dérations morales plus hautes et considérer la crainte des représailles. Le bâton et la ca-
le vol comme une injustice : c’est l’intelli- rotte disposent à l’acte moral, « dressent »
gence qui serait alors concernée. Mais dans l’homme, mais ne l’y obligent pas.

La cogitative dans la pratique professionnelle


On pourrait parler aussi d’une foule d’ex- grands principes moraux du bien et du mal,
périences professionnelles : de l’artisan au et y fonde les règles morales comme « il ne
manager de multinationale, en passant par faut pas voler », etc. Ou encore les règles de
le contrôleur de gestion, le commercial ou l’art, la science, etc.
l’artiste, tous apprennent au fur et à mesure
et souvent de manière implicite, sans s’en En somme, la cogitative prépare le travail
rendre compte sur le moment, des gestes, de l’intelligence. C’est pour ça que, si l’his-
des attitudes, des façons de progresser, bref, toire a d’abord pour cible l’irascible par son
un savoir-faire, qui n’est pas encore abstrait unité dramatique, elle s’adresse finalement à
(et donc pas encore appréhendé par l’intel- l’intelligence, et c’est ce qu’on appelle le pro-
ligence). S’appuyant sur ces expériences, blème thématique de l’histoire.
l’intelligence va bien au-delà : elle saisit les

La proposition dramatique vise l’irascible (émotions)


La proposition thématique vise l’intelligence (raison)

Le thème est le côté du problème que l’auteur n’étant pas prêteuse, elle se serait retrouvée
défend, et l’antithème est le parti adverse. Le seule, contrairement à la cigale entourée
problème thématique est ce mouvement entre d’amis enchantés par sa musique, prêts à l’ai-
les deux (formulé dans la proposition thé- der généreusement.
matique). Il constitue une sorte de balance
morale qui oscille entre le bien et le mal. Ce Certaines histoires sont immorales dans
bien et ce mal sont assumés par l’auteur. l’absolu, mais peuvent très bien fonctionner.
On peut tout à fait raconter une bonne his-
Ce bien et ce mal ne sont pas absolus, mais toire et prôner le suicide, l’eugénisme, le viol,
ils sont déterminés par les choix de l’auteur. le crime contre l’humanité... C’est de la res-
ponsabilité éthique de l’auteur de choisir sa
Par exemple, La Fontaine (après Ésope) a perspective. Votre rôle est bien plus impor-
choisi dans sa fable de La cigale et la fourmi tant que vous pouvez l’imaginer !
de défendre la prévoyance. C’est le thème
de sa fable. La fourmi a su faire ses réserves Comme le problème de l’histoire, le pro-
pour l’hiver, contrairement à la cigale qui vit blème thématique qui se dégage doit être
dans le moment présent. Ainsi la prévoyance contrôlé par l’auteur, pour ses lecteurs.
est montrée comme bonne et la vie au jour
le jour, comme mauvaise. La Fontaine au- Dès que vous racontez une histoire, le lecteur
rait très bien pu raconter l’inverse. La fourmi y trouve un sens, une intention, une morale.
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Il suffit de poser un personnage, de le sens, c’est-à-dire un thème que l’histoire dé-


confronter à un problème et qu’il parvienne fend.
à une résolution, et votre histoire aura un

Les contraires

Chaque problème thématique contient deux toire. Mais peut-être connaissez-vous déjà le
contraires, c’est-à-dire deux opposés qui ad- sens que vous lui donnez. Dans ce cas, no-
mettent des intermédiaires. tez-le précieusement.

Par exemple, le chaud et le froid sont deux Si ce n’est pas le cas, vous pourrez aussi la
contraires et les intermédiaires sont des dégager de l’action que vous poserez dans le
tièdes plus ou moins chaud ou froid. pitch.

Ou encore, la générosité et l’avarice : ce sont Celui que vous allez défendre sera le thème ;
des extrêmes et entre les deux se trouvent et son contraire sera l’antithème.
des comportements plus ou moins intéres-
sés. Ce sont des contraires. Il s’agit du sens de votre histoire, du débat
qu’elle contient. Ils ne correspondent pas à
Pour le moment, je pars du principe que l’action concrète. C’est l’abstraction qui en
vous n’avez qu’une idée vague de votre his- dit le sens.

Exemples
De l’histoire d’un père de famille qui cherche à devenir une star au dé-
triment de sa vie de famille, on pourra débattre entre la responsabilité et
l’accomplissement de soi.
On aurait pu tirer la même chose de l’histoire d’un robot programmé pour
se perfectionner et qui cherche à défendre les humains contre eux-mêmes.

Inversement, on peut tirer des sens différents lement.


d’une même action. Ces sens sont dirigés par
l’auteur par l’ensemble des mécanismes de Si vous avez plusieurs couples d’opposition,
l’histoire que nous verrons. Plus l’auteur dé- commencez par les noter et hiérarchisez-les
finit son thème de manière explicite au dé- pour en dégager un principal.
but de la construction de son histoire, plus
les autres éléments seront aimantés naturel-

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Exemples de problèmes thématiques
Liberté vs Contrôle
Imaginaire vs Réel
Science vs Croyance
Espoir vs Rêve
Don de soi vs Intérêt
Expérience vs Compétence innée
Nature vs Culture
Etc.

Chaque opposé n’est ni bon ni mauvais, tant qu’il n’est pas mis en perspective dans l’histoire.
Et c’est à vous de choisir le dosage, lequel va être le thème que vous allez défendre.

Prenons par exemple Liberté vs Contrôle, dans une histoire d’amour en


Afrique. Le personnage principal est une femme et souhaite construire sa
vie avec son amant, qui, lui, ne pense qu’à chasser librement. Nous pou-
vons choisir de placer le contrôle du côté du bien. La morale de l’histoire
dirait alors qu’il est bien de vouloir prévoir et contrôler, pour construire sa
vie de couple.

Le besoin de liberté de l’amant se retrouve naire, mais ils admettent des intermédiaires
alors du côté du mal. Remarquez bien : nous (comme les tièdes entre le chaud et le froid).
ne sommes pas obligés de le mettre dans Nous pouvons donc montrer que même si ce
une contrariété absolue. C’est l’avantage de besoin de liberté est bien, il est moins bien
l’opposition des contraires : ce n’est pas bi- que celui de construire sa vie.

C’est à l’auteur de choisir lequel est mieux que


l’autre.
Comme les dialecticiens, il est plus intéres- ser le public se faire son opinion. Il n’est pas
sant de laisser sa chance à chaque contraire là pour ça. Quand on écoute une histoire, on
et de ne pas asséner votre vérité. se laisse guider.

Et il ne faut pas non plus succomber à la ten- C’est à l’auteur de prendre sa responsabilité
tation de ne pas choisir, sous prétexte de lais- et de faire ses choix !

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