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LA DRAMATURGIE

YVES LAVANDIER

Introduction

C’est un ouvrage très intéressant pour comprendre la structure d’un texte de fiction,
même s’il se destine à analyser la dramaturgie dans un sens limité : le théâtre et les
scénarios de films.
Je pense cependant que la plupart des principes de construction détaillés par Lavandier
s’appliquent parfaitement à la littérature parce qu’ils sont davantage propres à la fiction
qu’à un genre particulier.

I. LES MÉCANISMES FONDAMENTAUX

Il débute par une intéressante citation de Bernard-Marie Koltès :

J’ai eu l’envie d’écrire une pièce comme on construit un hangar, c’est-à-dire en bâtissant d’abord
une structure, qui va des fondations jusqu’au toit, avant de savoir exactement ce qui allait y être
entreposé… une forme suffisamment solide pour pouvoir contenir d’autres formes en elle. (31)

Selon lui, la structure de base de tout drame est :

personnage – objectifs – obstacles

1. Conflits et émotions

Tout drame recèle un conflit soit par rapport aux protagonistes soit par rapport aux
spectateurs. Dans tous les cas, il faut que le spectateur (ou le lecteur 1) soit informé et
comprenne la source du conflit.
Tout conflit génère de l’émotion, laquelle est plus ou moins taboue dans la vie mais
autorisée dans la dramaturgie. De ce point de vue, d’ailleurs, la littérature est plus
puissante car elle permet, en reposant sur l’imaginaire du lecteur, de faire passer aussi une
douleur physique.
Il y a 2 types de conflit :
1. statique (vécu passivement)
2. dynamique (vécu activement)

Il ne faut pas confondre le spectaculaire (plus spécifique au cinéma) et le conflit. Le


spectaculaire attire mais il doit toujours en « faire plus », subissant un phénomène
d’érosion.

Le conflit est aussi un facteur d’identification parce que l’émotion engendre la


compassion (en ce sens, le rire est aussi, bien entendu, une émotion), même vis-à-vis d’un
personnage antipathique. Cette identification peut être conceptuelle ou émotionnelle
(d’où la possibilité de s’identifier à un salaud, ce que ne permet pas une identification

1 Dorénavant, et dans le cadre de ce résumé, je confondrai les termes « spectateurs » et « lecteurs », « dramaturgie »
et « fiction ». Lavandier le reconnaît d’ailleurs : « S’il y a aussi du suspense dans la vie, cela signifie qu’il n’y a pas
du drama qu’en dramaturgie. Ce qui nous amène à étendre la définition du mot ‘dramaturgie’. Au sens strict, il
s’agit de l’imitation artistique d’une action humaine. Au sens large, il s’agit d’une situation, réelle ou fictive, dans
laquelle un organisme vivant cherche à atteindre un but sans que le résultat soit acquis d’avance. Dans ce sens-là,
on peut dire alors qu’il y a de la dramaturgie dans la vie ou en littérature, par exemple. » (96)
Vincent Engel

conceptuelle). S’identifier à un « mauvais » s’explique aussi par la fascination qu’exerce le


mal sur chacun. C’est donc un phénomène de catharsis, le principe de purgation des
passions qu’Aristote mettait déjà en avant. Pour que cette fonction thérapeutique s’exerce,
il faut que le personnage vive aussi le conflit et ne se contente pas d’en faire vivre aux
autres.
Dans certains cas, le conflit n’entraîne pas d’identification : lorsque le spectateur se
réjouit de la punition du méchant. Pour Lavandier, il s’agit, de la part de l’auteur, d’une
concession au public.

Par la représentation d’un conflit, la dramaturgie permet une meilleure connaissance de


l’être humain. Mais pour que cela fonctionne, il faut mesurer le conflit, lui permettre
d’être essentiellement psychologique (donc humain), plutôt que physique ou instinctif
(sauver sa peau face à un danger immédiat).

Le mécanisme du conflit : c’est le surgissement d’une opposition, d’un obstacle


(individu, objet, situation, trait de caractère, hasard, élément naturel, sensation,
sentiment…) qui se définit par rapport à une volonté, une envie, un besoin, un désir,
autrement dit un objectif. Le conflit est donc l’ « opposition entre objectif et
obstacle » (47).

personnage – objectif – obstacle – conflit – émotion

La source du conflit est la frustration, laquelle engendre le plus souvent de l’anxiété.


Ce schéma suffit à créer un récit émotionnellement universel.
NB : il y a aussi des conflits particuliers et annexes qui ne contrecarrent pas les objectifs
mais servent soit à alimenter l’empathie du spectateur, soit à renforcer la détermination du
personnage.

2. Protagoniste et objectif

Le protagoniste est « le personnage […] qui vit le plus de conflit, donc celui avec lequel
le spectateur s’identifie (émotionnellement) le plus. » (50) Peut-être aussi l’auteur. Il est
donc « un des vecteurs essentiels entre auteur et spectateur. » (50) C’est souvent le
personnage central ou titre, mais pas toujours (exemple : Salieri dans Amadeus, Don José
dans Carmen).

Un principe : 1 protagoniste, 1 objectif. Ce protagoniste peut être un « groupe


protagoniste » si plusieurs personnages partagent le même objectif (exemple : Allien).
Le protagoniste a donc un objectif principal, majeur. Cette unicité d’objectif répond à
l’unité d’action et au besoin d’ordre de l’être humain. C’est également lié à la durée d’un
spectacle (serait-ce ici différent dans le cas du roman ? je ne le pense pas). Par contre, les
autres personnages peuvent avoir plusieurs objectifs et en changer.
On peut pointer quelques objectifs fondamentaux :
 échapper à l’angoisse
 séduire quelqu’un
 retrouver quelqu’un ou quelque chose
Cet objectif, qui peut être inconscient pour le protagoniste, doit être
 bien choisi
 précis
 concret
« Être heureux » est trop vague. Il faut localiser, préciser.

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Tous ces objectifs dramatiques sont concrets. Mais parfois, en le réalisant, le


protagoniste atteint autre chose. Il existe donc aussi des objectifs thématiques (exemple :
Tom Cruise, dans Rainman, a un objectif dramatique : hériter. Mais il y a un objectif
thématique dont il n’est pas conscient : devenir plus humain.) Il y a donc transformation
du protagoniste et pas seulement accomplissement. Mais il ne peut y avoir d’objectif
thématique sans objectif dramatique, même si ce dernier n’est qu’un prétexte.

L’enjeu : c’est ce qui explique pourquoi un protagoniste a un tel objectif. C’est ce qu’on
peut perdre ou gagner dans une action.

Objectif sympathique ou antipathique (indépendamment de la sympathie ou de


l’antipathie que suscite le protagoniste). Il est préférable d’avoir un objectif sympathique
(c’est mieux que de raconter l’histoire d’un pédophile qui cherche une victime) pour
« renforcer l’identification émotionnelle » (58).

Les objectifs locaux : objectifs secondaires, sous-objectifs du principal qu’ils servent. Ce


sont des moyens intermédiaires pour tenter de réaliser l’objectif principal. On peut aussi
créer un objectif de substitution, une fausse piste, mais qui doit de toute manière mener à
l’objectif principal.

En conclusion, pour qu’un objectif soit « efficace », il faut :


 qu’il soit connu ou perçu assez rapidement (ce qui implique que l’auteur doit le
connaître avant de commencer à écrire !)
 qu’il soit motivé (l’enjeu)
 qu’il soit difficile à atteindre sans que cela soit trop dur ni impossible (doser les
obstacles)
 « que le protagoniste soit animé d’un intense et inébranlable désir d’atteindre son
objectif » (60). Le protagoniste doit donc être actif, au moins réactif).

3. Obstacles

S’il doit n’y avoir qu’un objectif général, il peut y avoir plusieurs obstacles.
a. classification relationnelle
Il y a 3 types de relations conflictuelles :
 avec soi-même (= ± interne)
 avec autrui (= ± externe d’origine interne)
 avec la société, y inclus la nature et le hasard (= ± externe)

b. classification originelle
Il s’agit ici d’examiner la cause, l’origine de l’obstacle :
 interne, provoqué par le protagoniste : jalousie, lâcheté, incompétence,
psychose…
 externe, non provoqué par le protagoniste : lâcheté des autres, accidents,
maladies, nature…
 externe d’origine interne, lorsque le protagoniste provoque l’obstacle chez les
autres : la jalousie de Iago provoquée par Othello.
 un cas particulier d’obstacle interne : le co-protagoniste qui n’est pas d’accord avec les
autres.

Faire la distinction dépendra parfois de la morale et des valeurs du lecteur.


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La notion d’origine de l’obstacle permet de faire la distinction entre mélodrame et


tragédie :
 tragédie : tout part du libre arbitre et d’un « défaut tragique » chez le
protagoniste. Il s’agit donc d’un obstacle d’origine interne
 mélodrame : on y trouve une accumulation d’obstacles externes.
La distinction de genre est cependant peu utile. Le plus intéressant est de distinguer le
type d’obstacles et le traitement (sérieux, comique…). Notons encore, toutefois, qu’on a
appris avec Freud que le libre arbitre n’existe pas vraiment et que nous sommes façonnés
par l’extérieur, par notre vécu et notre éducation. Mais si nous ne sommes pas entièrement
responsables de nos qualités et de nos défauts, nous pouvons choisir de les assumer. Donc,
ce qui marche le mieux, dans une optique marchande :

On l’aura compris, de la nature des obstacles et de leur effet sur le protagoniste dépend en partie la
satisfaction du spectateur. Cela ne signifie pas qu’il n’y a qu’un type d’histoire à écrire. Loin de là.
Mais il est bon qu’un auteur qui déçoit ses spectateurs le fasse en connaissance de cause, qu’il sache
qu’il y a des œuvres plus difficiles que d’autres. À qualité d’écriture égale, une œuvre dont le
protagoniste est sympathique (Roméo versus Macbeth), qui atteint son objectif (Hamlet versus
Alceste) et qui se transforme pour le meilleur […] aura plus de chances de faire des entrées qu’une
œuvre qui ne remplit pas ces conditions. (74)

À l’exception de ceux des prémisses, les obstacles doivent être


 justifiés
 cohérents
 proportionnés à la force du protagoniste.
S’il y a trop d’obstacles ou s’ils sont insolubles, l’auteur, qui en est le seul responsable,
doit recourir au Deus ex Machina (dieu qui, dans la tragédie grecque, apparaissait à l’aide
d’une machinerie, comme Apollon venant enlever Médée à la fin). Le cauchemar qui
prend fin est un Deus ex Machina. Il faut à tout prix l’éviter, sauf dans les contes pour
enfants.
Il ne faut pas le confondre, cependant, avec le « lâcher prise », c’est-à-dire le moment où
le protagoniste cesse de vouloir vaincre un obstacle consciemment et s’en remet au
« hasard », c’est-à-dire à son inconscient.
Il y a aussi les « diabolicus ex machina », c’est-à-dire un « obstacle gratuit, souvent
possible mais jamais probable » (84). S’ils sont acceptables dans les prémisses du récit, il
convient également de les éviter par la suite.

L’antagoniste est un cas particulier d’obstacle. Comme le protagoniste, il


 est omniprésent
 a un objectif général clair et unique
 définit l’action
Sans être indispensable, il devient alors l’unique source d’obstacles pour le
protagoniste.

Il faut aussi mettre en place un crescendo dramatique. Ce crescendo est entre autres
conditionné par la question dramatique : le protagoniste atteindra-t-il son objectif ? Elle
induit une réponse dramatique, positive ou négative. Pour Lavandier, il faut donner cette
réponse au moins au spectateur. Je n’en suis pas convaincu. Cette question dramatique
induit du suspense, que peuvent renforcer la gestion du temps, des obstacles
supplémentaires. On peut alors assister à une modification de la question dramatique : y
arrivera-t-il à temps ?

4. Caractérisation
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La caractérisation, c’est « l’art de créer des personnages ». C’est sans doute, pour
Lavandier, le plus difficile. On l’a ou on ne l’a pas.
C’est par son action et par comparaison avec son univers (sa « situation », pour prendre
un terme sartrien) qu’on connaît le mieux un personnage. Or comme les actions sont la
conséquence des conflits, on peut caractériser un personnage par
 sa manière d’être en situation de conflit, statique ou dynamique
 son objectif général et ses objectifs locaux
 ses motivations, ses désirs
 les moyens choisis pour réaliser l’objectif.
De ce point de vue, le nom ou le caractère physique comptent peu. C’est dans le conflit
que la nature de l’être se révèle. (Sur ce point, il y a sûrement une distinction à faire avec la
littérature ; mais je ne suis pas sûr que cela soit aussi vrai même en dramaturgie.)
Par rapport au public, il est valorisant d’offrir au protagoniste une transformation
positive. Or, dans la réalité, il est très rare et très difficile de changer foncièrement. Il faut
pourtant que les personnages soient « réalistes ». Équilibre difficile à trouver.
Pour réussir une caractérisation, il faut dès lors que l’auteur
 connaisse bien ses personnages
 sache toujours ce qui se passe dans leur tête
 les aime, dans le sens de les comprendre et les accepter
 montre les traits de caractère importants par rapport à l’histoire, via le conflit
 soit cohérent
 fasse sentir que ses personnages sont uniques.

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II. LES MÉCANISMES STRUCTURELS

1. La structure

Si l’on admet qu’une œuvre dramatique raconte les tentatives d’un protagoniste pour atteindre un
objectif général, que cet objectif doit être connu du spectateur et qu’il peut difficilement être connu dès
la première seconde de l’œuvre, alors il est logique de découper une œuvre en 3 parties :
 avant que l’objectif soit perçu par le spectateur,
 pendant l’objectif,
 et après l’objectif.
On appellera ces 3 parties des actes. (128)

L’acte dont il est question est un acte dramatique, et pas l’acte au sens théâtral. Il y en a
donc trois :
 présentation
 action (le plus long)
 conclusion

Les nœuds dramatiques sont des charnières. Le plus important : le climax, qui conclut
le deuxième acte. Il y a plusieurs types de climax, la mort en étant un important. On peut
être tenté d’amplifier ce climax en recourant au spectaculaire, mais Lavandier considère
que c’est une erreur.
Autre nœud important : l’incident déclencheur, qui se situe souvent dans le premier
acte. C’est souvent une rencontre, mais cela peut aussi être une mort. L’incident
déclencheur n’est pas toujours vécu par le protagoniste et peut ne pas influer sur la
détermination de l’objectif principal. Il peut aussi ne pas en avoir, comme cet incident peut
être extradiégétique (ex : la mort de la mère, dans L’étranger). Il est le plus souvent fortuit,
parfois conflictuel, et il bouleverse la vie d’un personnage.

Le passage du premier au deuxième acte n’est pas toujours provoqué par l’incident
déclencheur. Ce passage doit être très soigné par l’auteur.

Le coup de théâtre : nœud dramatique inattendu pour le spectateur (mais pas d’office
pour les personnages). Il peut se placer
 en cours d’action
 au début du troisième acte (ce qui relance l’action et allonge ce dernier acte)
 à la fin (= la chute)

On peut évidemment toujours briser les règles : mais pour les briser, il faut les
connaître. C’est tout le problème de la modernité. En mettant tous leurs efforts sur la
forme, l’art d’après-guerre a brisé le lien social qui reliait les artistes au public, ce qui
amène Lavandier à poser une question très intéressante sur la forme :

En fait, la forme dramaturgique doit-elle être considérée comme une fin en soi, ou simplement un
moyen, destiné à servir une intention, une pensée, un univers ? Cette question concerne tous les arts
discursifs, et « condamnés » à le rester, par opposition aux arts abstraits ou à ceux qui portent en eux
l’abstraction, comme la musique, la peinture, l’architecture et même, parfois, le langage filmique. Bref,
en dramaturgie, les recherches sur la forme pour la forme ne sont-elles pas, finalement, un peu
vaines ? (160)

2. L’unité

Dans la règle des trois unités, la plus importante, pour Lavandier, c’est l’action.
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Celle-ci impose que toutes les scènes soient consacrées au problème posé par l’objectif du
protagoniste. Elle est étroitement et directement liée à l’unicité de l’objectif. Elle se justifie donc […]
par :
1. le fait qu’on n’a pas le temps de traiter plusieurs histoires,
2. le fait qu’on demande une attention soutenue au spectateur et qu’il ne faut pas le perturber avec
des digressions. Car une digression attente au besoin de sens et d’ordre du spectateur. Une œuvre
cohérente est une œuvre rassurante. (171)

La question que ne pose pas Lavandier est dès lors : une œuvre doit-elle être
rassurante ? La fonction de la fiction n’est-elle pas plutôt de déranger, d’amener le lecteur
à se remettre en question ? Cela dit, je ne pense pas, personnellement, que cela remette en
cause les principes de structures mis en lumière par Lavandier. La différence que
j’introduis porte essentiellement sur la résolution.

Pour ce qui est du temps, il préconise de débuter le récit le plus près possible de la fin
de l’histoire. L’unité de lieu est moins importante.
À ces unités, Lavandier en ajoute deux :
 unité de protagoniste et d’objectif (dont il a déjà parlé)
 unité de style.

3. Préparation, langage et créativité

Préparation et Deus ex machina. La préparation permet d’éviter le Deus ex machina.


Autrement dit, tout doit servir et être justifié. Il faut donc préparer les événements
étonnants. La préparation et son paiement ne doivent pas être trop rapprochés.
La préparation, cependant, ne suffit pas à éviter le Deus ex machina ; il faut que les
deux n’aient pas l’air gratuits. Par exemple, le héros qui, en partant, glisse un livre dans sa
poche intérieure (préparation), livre qui le sauvera plus tard lorsque quelqu’un lui tirera
dessus (deus ex machina). Il faut donc que la préparation rendre le protagoniste actif. Il ne
peut pas y avoir de hasard en fiction, car « le hasard n’est autre que l’auteur [qui] a intérêt
à se faire oublier. » (181)

Il y a, du point de vue de la préparation, une différence à établir entre annonce et la


préparation téléphonée :
 téléphonée : quand le spectateur se dit que cet événement va aider le
protagoniste. Il convient de l’éviter ;
 annonce : le spectateur se dit que cet événement va provoquer des obstacles.
Cette préparation ouvre donc des perspectives de conflits. Le titre est parfois une
annonce. C’est très efficace, dans la mesure où les annonces sont exploitées,
qu’on ne les laisse pas sans développement (on revient à la règle que tout doit
servir).

Il faut aussi éviter l’excès de justification. Tout ne doit pas être préparé, on peut laisser
la place à la surprise.
Les fausses pistes sont des annonces-leurres qui jouent le plus souvent sur des clichés.

Le langage dramatique est un système où le signe = la scène. L’agencement de ces


scènes est une des composantes principales de ce langage dramatique. Toute scène doit
avoir été préparée (mais pas spécialement par celle qui la précède directement) : principe
de causalité et de logique temporelle. La logique permet de justifier une conclusion qui,
telle quelle, semblerait absurde ou monstrueuse. Lavandier note également, comme

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composantes de ce langage, la triade (structure ternaire) et le rôle des ellipses (voir


Genette).

4. L’ironie dramatique

Il y a ironie dramatique lorsque le spectateur est au courant d’un élément important


qu’ignore le personnage. Il sait aussi que « cette ignorance provoque du conflit ou est
susceptible d’en provoquer. » (222) Ce personnage est la victime de l’ironie dramatique ;
ce qu’il ignore en est le sujet. (Exemple : dans Amadeus, Mozart ignore que Salieri
complote sa perte. De même, Orgon ignore que Tartuffe est hypocrite.)
Il distingue quelques situations classiques, des histoires
 d’anachronismes (voyage dans le temps, 4e dimension, manipulation
scientifique…)
 de sosies ou de jumeaux
 de déguisements, transformations, amnésie, substitution d’identité…
 de machination, arnaque, complot, mensonge…

Cette ironie dramatique est très valorisante pour le public. Mais elle recouvre souvent
une vérité psychologique : si le personnage n’est pas conscient de cet élément, c’est
souvent parce qu’il préfère se masquer une vérité dérangeante (ceci n’est pas vrai que
pour la fiction).

En tant que telle, l’ironie dramatique est une forme d’annonce qu’il convient donc
d’exploiter. La résolution correspond au moment où le protagoniste comprend : c’est un
moment attendu par le spectateur (exemple : Roxanne, dans Cyrano), où l’identification
sera la plus forte. Il faut donc que ce moment soit bref.
L’ironie dramatique ne doit pas être spécialement explicite pour que le public la
perçoive. Elle peut être diffuse. (Exemple : si on arrête un coupable après seulement une
heure de film, on devine que ce n’est pas le bon.)

5. Développement

Il conclut avec un principe général de composition : la structure de chaque scène doit


refléter celle de l’ensemble. Il faut un conflit et 3 actes. S’il n’y a pas de conflit, la scène doit
être très courte.

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III. LES MÉCANISMES LOCAUX

1. Les dialogues

Fonctions du dialogue :

Le dialogue ne devrait avoir qu’une seule fonction : véhiculer des informations qui servent l’action.
C’est-à-dire :
1. caractériser celui qui parle, plus dans le contenu du dialogue que dans la façon de parler. […]
2. illustrer les relations entre celui qui parle et ses interlocuteurs.
3. nous faire comprendre (plutôt que nous dire) ce que désire, ce que pense ou ce que ressent celui
qui parle.
4. faire avancer l’action. C’est-à-dire : générer ou véhiculer des obstacles : préparer ou payer un
élément ; installer, exploiter ou résoudre une ironie dramatique ; raconter des faits antérieurs
(exposition) ; soutenir ou contredire un morceau d’activité […]. (331)

Techniques de dialogue :

Techniquement, le dialogue doit aussi :


1. être clair, compréhensible pour le spectateur ;
2. être confortable pour les acteurs ;
3. paraître vivant, c’est-à-dire « réaliste », surtout au cinéma. Bien sûr, ce qu’on appelle le dialogue
réaliste est, en fait, un artifice, simplement moins artificiel que les dialogues poétique, romantique,
symbolique ou autres. Dans la vie, les gens hésitent, chercheurs leurs mots, se répètent, ne disent
pas toujours ce qu’ils voulaient dire, etc. (332)

Autres considérations sur le dialogue :


1. Faire un bon usage de la métaphore.
2. Le dialogue ne doit pas se substituer à la résolution si celle-ci peut se faire par
d’autres moyens.
3. Ne pas souligner ou paraphraser.
4. Ne pas interrompre l’action pour le plaisir d’un mot d’auteur.

2. Les intentions

Ceci répond aux questions : que raconter et pourquoi ?


Il ne faut pas confondre « idée de fiction » et « idée de départ », laquelle peut donner
naissance à différents scénarios. Il est donc important de savoir ce qu’on veut faire et de ne
pas se laisser guider par son inconscient, lequel est gavé de clichés. Il faut se demander :
qu’est-ce qui m’intéresse dans l’idée de départ ? Il faut donc avoir une intention générale,
ce qui permet de développer son récit autant que d’éviter de sombrer dans le didactisme.
Toute œuvre véhicule un point de vue esthétique et/ou éthique. Cette intention et le
sens que l’auteur veut faire passer précèdent la sélection des outils et des techniques. Or,
les auteurs ont parfois du mal à reconnaître leurs intentions. Un truc, proposé par Lavandier :
trouver un dicton ou une scène qui va résumer ce point de vue.
Il faut aussi veiller à l’unité d’intention : une seule. S’il y en a plusieurs, il convient de
faire le tri et de ne garder que la plus importante (ou de faire plusieurs œuvres). On rejoint
encore une fois la question de la cohérence.

3. Composition

Ceci répond à la question : comment raconter ? Il convient de procéder par ordre.

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Première étape :
1. choisir le protagoniste, l’objectif et les obstacles par rapport à l’intention ;
2. trouver un « one line pitch », c’est-à-dire un résumé en une phrase qui présente
le protagoniste et l’objectif. Le pitch « doit résumer l’action et non le sens du
récit, ni l’intention de l’auteur, ni le résultat final. » (394) Exemple pour Cyrano de
Bergerac : « Un homme plein de panache mais complexé par une tare physique
essaie de séduire une femme par bellâtre interposé. » (voir d’autres exemples
page 393.) On peut également adjoindre un pitch thématique ;
3. déterminer la réponse dramatique qui donnera le sens de l’œuvre. Pour
Lavandier, l’absence de réponse est une erreur ; une fois encore, je pense que
c’est faux. Cette absence peut être une manière de signifier.

Deuxième étape : le squelette :


Cela revient à répondre aux questions suivantes :
 Y a-t-il un incident déclencheur, et lequel ?
 À quel moment l’objectif du protagoniste est connu ou perçu du spectateur ? En d’autres
termes, quel est le passage 1er acte/2e acte ?
 Quel est le climax qui permet d’apporter quelle réponse dramatique ?
 Le 3e acte est-il simple ? Ou comprend-il un coup de théâtre qui relance l’action et apporte une
nouvelle réponse dramatique ?
 Quels personnages est-il nécessaire de créer pour faire avancer l’action ?
 Quelle est la caractérisation précise de ces personnages, y compris celle du protagoniste ? Ce
dernier a-t-il des obstacles internes, et lesquels ?
 Quelle ironie dramatique générale pourrait enrichir l’histoire ?
 Y aura-t-il quelques coups de théâtre dans le 2e acte, et lesquels ? (395-396)
Il faut savoir passer du temps sur la construction de ce squelette.

Troisième étape : remplir le 2e acte :


1. Eviter la suite de sketches et enchaîner les scènes logiquement ;
2. Construire un crescendo et réserver les obstacles les plus forts pour la fin ;
3. Résumer chaque scène par un pitch, lequel, cette fois, comprendra le résultat ;
4. Mettre peu d’exposition et la distiller sur l’ensemble du récit ;
5. Ménager des plages de repos dans l’action :
6. Varier les effets pour éviter la monotonie ;
7. Partir d’une situation simple qu’on complexifie

Il résume ainsi les « recettes » :

1. Penser au spectateur.
2. Savoir ce qu’on a envie de dire ou de montrer.
3. Donner au protagoniste un objectif clair, unique et inébranlable.
4. Penser aux obstacles internes ou d’origine interne.
5. Eviter les facilités (pour l’auteur comme pour le protagoniste).
6. Connaître son climax dès le début du récit.
7. Construire un crescendo.
8. Aimer, accepter, comprendre tous ses personnages.
9. Respecter l’unité d’action.
10. Eviter la suite de sketches.
11. Faire simple et exploiter.
12. Utiliser l’ironie dramatique.
13. Penser comédie.
14. Montrer plutôt que dire.
15. Construire les parties comme le tout.
16. Penser conflit et faire confiance aux émotions.
17. Prendre son temps et réécrire. (413)

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