Vous êtes sur la page 1sur 125

DROIT DU COMMERCE INTERNATIONAL

Master 1

2021-2022

Cours de Mme Claire Debourg


Travaux dirigés de Mme Héloïse Meur

1
Séance 1 : Introduction au droit du commerce international

Exercices à préparer en vue de la séance :

- Présenter le document 5 de la présente fiche à la lumière des documents 1 à 4 inclus.

- En quoi la période contemporaine conduit à envisager différemment la place du principe


d’autonomie dans le commerce international ?

Lectures :

C. Kholer, « L’autonomie de la volonté en droit international privé : un principe universel entre


libéralisme et étatisme », RCADI, Vol. 359, spéc. Introduction, Chapitres 1 et 2.

O. Boskovic, « L’arbitrage international en matière environnementale », Energie – Environnement –


Infrastructure, n° 4, avril 2019, dossier 11.

P. de Vareilles-Sommières, « Loi de police et politiques législatives », RCDIP, 2011, p. 207.

M. Mohamed Salah, « Le droit à l’épreuve des nouvelles régulations de l’économie globale », JDI, n° 4,
octobre 2019, doctr. 9.

I. ASPECTS PHILOSOPHIQUES DU COMMERCE INTERNATIONAL

Doc. 1 Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XX, extraits chap. I, II et XXIII
Doc. 2. Déclaration de Schuman du 9 mai 1950, Extrait
Doc. 3. Ph. Martin, T. Mayer, M. Thoenig, La mondialisation est-elle un facteur de paix ?,
CEPREMAP, p. 16, Extrait
Doc. 4. Rapport de la CNUCED sur l’investissement dans le monde, 2013, Extrait

II. ASPECTS JURIDIQUES DU COMMERCE INTERNATIONAL

1. La place centrale de l’autonomie de la volonté

Doc. 5. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, signée
à Vienne le 11 avril 1980, entrée en vigueur le 1er janvier 1988, Extraits
Doc. 6. Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles (Rome I), JOCE, L. 177, 2008, pp. 6–16, cdts 6 et 11

2. Les limites à la liberté


a. Les politiques publiques, l’exemple de la lutte contre les pratiques commerciales
déloyales

Doc 7. Livre vert sur les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d’approvisionnement
alimentaire et non alimentaire interentreprises en Europe, 31 janv. 2013, COM(2013) 37 final, p. 7
Doc. 8. Directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques
commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement
agricole et alimentaire, art. 3.4

2
Doc 9. Com. 8 juillet 2020, n° 17-31.536, Publié au bulletin

b. L’autorégulation par les acteurs du commerce international

Doc. 10. Hague Rules on Business and Human Rights Arbitration, 2 décembre 2019, Extrait
Doc. 11 : Code de conduite du Groupe TOTAL - Extrait

I. ASPECTS PHILOSOPHIQUES DU COMMERCE INTERNATIONAL

Doc. 1 Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XX, extraits chap. I, II et XXIII

« Le commerce guérit des préjugés destructeurs : et c’est presqu’une règle générale que, partout où il
y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que, partout où il y a du commerce il y a des mœurs
douces.

Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu’elles ne l’étaient autrefois. Le
commerce a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout : on les a
comparées entre elles et il en a résulté de grands biens.

On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs ; par la même raison que ces mêmes
lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures ; c’était le sujet des plaintes de Platon :
il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours. […]

L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent
réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre et toutes les unions
sont fondées sur des besoins mutuels.

Mais si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que
de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les
plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font, ou s’y donnent pour de l’argent. L’esprit
de commerce produit, dans les hommes, un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au
brigandage et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec
rigidité et qu’on peut les négliger pour ceux des autres. La privation totale du commerce produit, au
contraire, le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manières d’acquérir. […]

Dans les pays de commerce, l’argent qui s’est tout à coup évanoui, revient, parce que les Etats qui l’ont
reçu le doivent : dans les Etats dont nous parlons, l’argent ne revient jamais, parce que ceux qui l’on
pris ne doivent rien.

La Pologne servira ici d’exemple. Elle n’a presque aucune des choses que nous appelons les effets
mobiliers de l’univers, si ce n’est le blé de ses terres. Quelques seigneurs possèdent des provinces
entières ; ils pressent le laboureur pour avoir une plus grande quantité de blé qu’ils puissent envoyer
aux étrangers, et se procurer les choses que demande leur luxe. Si la Pologne ne commerçait avec
aucune nation, ses peuples seraient plus heureux. Ses grands, qui n’auraient que leur blé, le donneraient
à leurs paysans ; tout le monde, trouvant des peaux ou des laines dans ses troupeaux, il n’y aurait plus
une dépense immense à faire pour les habits ; les grands, qui aiment toujours le luxe, et qui ne le
pourraient trouver que dans leur pays, encourageraient les pauvres au travail. Je dis que cette nation
serait plus florissante, à moins qu’elle ne devint barbare : chose que les lois pourraient prévenir.

Considérons à présent le Japon. La quantité excessive de ce qu’il peut recevoir produit la quantité
excessive de ce qu’il peut envoyer : les choses seront en équilibre, comme si l’importation et
l’exportation étaient modérées et d’ailleurs cette espèce d’enflure produira à l’Etat mille avantages : il
y aura plus de consommation, plus de choses sur lesquelles les arts peuvent s’exercer, plus d’hommes

3
employés, plus de moyens d’acquérir de la puissance. Il peut arriver des cas où l’on ait besoin d’un
secours prompt, qu’un Etat si plein peut donner plutôt qu’un autre. Il est difficile qu’un pays ait des
choses superflues : mais c’est la nature du commerce de rendre les choses superflues utiles, et les utiles
nécessaires. L’Etat pourra donc donner les choses nécessaires à un plus grand nombre de sujets. ».

Doc. 2. Déclaration de Schuman du 9 mai 1950, Extrait

« La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui
la menacent.

La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au
maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie,
la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu
la guerre.

L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations
concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que
l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L'action entreprise doit toucher au
premier chef la France et l'Allemagne.

Dans ce but, le gouvernement français propose immédiatement l'action sur un point limité mais décisif.

Le gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande de charbon


et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres
pays d'Europe.

La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de


bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et
changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont
été les plus constantes victimes.

La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et
l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. L'établissement de
cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à
fournir à tous les pays qu'elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux
mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique.

Cette production sera offerte à l'ensemble du monde sans distinction ni exclusion, pour contribuer au
relèvement du niveau de vie et au développement des œuvres de paix. L'Europe pourra, avec des moyens
accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles : le développement du continent
africain.

Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une
communauté économique qui introduit le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre
des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes ».

Doc. 3. Ph. Martin, T. Mayer, M. Thoenig, La mondialisation est-elle un facteur de paix ?,


CEPREMAP, p. 16, Extrait

4
« L’intuition du « doux commerce » de Montesquieu n’est en effet qu’en partie fondée. Certes, le
commerce entre deux pays fait baisser la probabilité d’un conflit violent entre ces deux pays. Mais il
serait faux d’en déduire que la mondialisation amène à la paix mondiale.

C’est en fait l’inverse qui se produit. Ce résultat surprenant s’explique aisément dès lors que le
caractère multilatéral de l’ouverture commerciale est pris en compte dans l’analyse. Pour un pays,
augmenter ses échanges avec un partenaire commercial donné diminue certes la probabilité de conflits
armés avec lui, mais augmente la probabilité de conflit avec tous les autres.

La logique de ces effets contradictoires peut s’expliquer en revenant à l’argument du « doux commerce
». Implicitement, cet argument est fondé sur l’idée que le commerce entre deux pays augmente le coût
d’opportunité d’une guerre bilatérale. Ce concept, standard chez les économistes, correspond ici
simplement au fait qu’en situation de conflit militaire, les pays réduisent, voire suppriment, leur
commerce bilatéral et doivent donc renoncer aux gains générés par celui-ci.

Ainsi, le commerce bilatéral observé est une mesure de la dépendance bilatérale de ces pays et du coût
d’opportunité d’un conflit bilatéral. À l’opposé, si ces deux pays sont très ouverts au commerce
multilatéral avec de nombreux pays tiers, leur dépendance économique bilatérale va être réduite ; le
coût d’opportunité d’une guerre bilatérale diminue et celle-ci devient dès lors – toute chose égale par
ailleurs – plus probable. De ce point de vue, une plus grande ouverture commerciale agit comme une
assurance en cas de conflit bilatéral.

On le voit, l’argument que le commerce est un facteur pacificateur n’est valide que dans une relation
bilatérale et ne peut être généralisé dans un monde comprenant plus de deux pays ».

Doc. 4. Rapport de la CNUCED sur l’investissement dans le monde, 2013, Extrait

« L’économie mondiale est caractérisée aujourd’hui par les chaînes de valeur mondiales (CVM), dans
lesquelles des biens et des services intermédiaires sont échangés selon des processus de production
fragmentés et dispersés dans plusieurs pays. Les CVM sont en général coordonnées par des sociétés
transnationales, dont les réseaux de filiales, de partenaires contractuels et de fournisseurs directs
servent de cadre à un commerce international d’intrants et de produits. Les CVM coordonnées par des
sociétés transnationales sont à l’origine d’environ 80 % du commerce mondial.

Les CVM se prêtent à une double comptabilisation importante des échanges commerciaux − d’environ
28 %, correspondant, sur les 19 000 milliards de dollars d’exportations mondiales brutes en 2010, à
un montant de 5 000 milliards de dollars − du fait que les biens intermédiaires sont comptabilisés
plusieurs fois dans les exportations mondiales, quand ils ne devraient l’être qu’une seule fois au titre
de la valeur ajoutée. La structure du commerce en valeur ajoutée au sein des CVM détermine la
répartition des gains économiques effectifs liés au commerce entre les différents pays et résulte dans
une mesure significative des décisions d’investissement des STN [sociétés transnationales]. Souvent, les
pays où l’IED est plus présent par rapport à la taille de leur économie disposent d’un plus large degré
de participation aux CVM et retirent du commerce international une valeur ajoutée intérieure
comparativement plus importante.

La contribution des CVM au développement peut être significative. Dans les pays en développement, le
commerce en valeur ajoutée contribue en moyenne au PIB national à hauteur de près de 30 %, contre
18 % dans les pays développés. Et il existe une corrélation positive entre la participation aux CVM et
le taux de croissance du PIB par habitant. Les CVM ont aussi une incidence économique directe sur la
valeur ajoutée, les emplois et les revenus. Elles peuvent aussi constituer pour les pays en développement
un moyen important de renforcer leurs capacités productives, notamment par la diffusion des
technologies et l’acquisition de compétences, ce qui ouvre des perspectives de modernisation
industrielle à plus long terme.

5
La participation aux CVM comporte aussi néanmoins des risques. La contribution des chaînes de valeur
mondiales au PIB peut être limitée si les pays ne reçoivent qu’une faible partie de la valeur ajoutée
créée tout au long de la chaîne. En outre, la diffusion technologique, le renforcement des compétences
et la modernisation ne sont pas automatiques. Les pays en développement courent le risque de rester
captifs d’activités à relativement faible valeur ajoutée. En outre, les conséquences pour l’environnement
et les effets sociaux, notamment sur les conditions de travail, la sécurité et la santé au travail, et la
sécurité de l’emploi, peuvent être préjudiciables. La mobilité des activités des CVM et une plus grande
vulnérabilité aux chocs extérieurs constituent des risques supplémentaires ».

II. ASPECTS JURIDIQUES DU COMMERCE INTERNATIONAL

1. La place centrale de l’autonomie de la volonté

Doc. 5. Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises,
signée à Vienne le 11 avril 1980, entrée en vigueur le 1er janvier 1988, Extraits

PRÉAMBULE

Les États parties à la présente Convention

Ayant présents à l’esprit les objectifs généraux inscrits dans les résolutions relatives à l’instauration
d’un nouvel ordre économique international que l’Assemblée générale a adoptées à sa sixième session
extraordinaire,

Considérant que le développement du commerce international sur la base de l’égalité et des avantages
mutuels est un élément important dans la promotion de relations amicales entre les États,

Estimant que l’adoption de règles uniformes applicables aux contrats de vente internationale de
marchandises et compatibles avec les différents systèmes sociaux, économiques et juridiques
contribuera à l’élimination des obstacles juridiques aux échanges internationaux et favorisera le
développement du commerce international. […]

Le principe fondamental de la liberté contractuelle dans la vente internationale de marchandises est


reconnu par la disposition qui autorise les parties à exclure l’application de la présente Convention ou
à déroger à l’une quelconque de ses dispositions ou à en modifier les effets. Cette exclusion se produit
par exemple si les parties choisissent la loi d’un État non contractant ou la loi nationale matérielle d’un
État contractant comme loi applicable au contrat. Il y a dérogation à la Convention à chaque fois qu’une
disposition du contrat énonce une règle différente de celle qui figure dans la Convention.

Doc. 6. Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la
loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), JOCE, L. 177, 2008, pp. 6–16, cdts 6 et 11

« Le bon fonctionnement du marché intérieur exige, afin de favoriser la prévisibilité de l'issue des litiges,
la sécurité quant au droit applicable et la libre circulation des jugements, que les règles de conflit de
lois en vigueur dans les États membres désignent la même loi nationale quel que soit le pays dans lequel
l'action est introduite ».

« La liberté des parties de choisir le droit applicable devrait constituer l'une des pierres angulaires du
système de règles de conflit de lois en matière d'obligations contractuelles ».

2. Les limites à la liberté

6
a. Les politiques publiques, l’exemple de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales

Doc 7. Livre vert sur les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d’approvisionnement
alimentaire et non alimentaire interentreprises en Europe, 31 janv. 2013, COM(2013) 37 final, p. 7

« La liberté contractuelle est l'un des fondements de toute relation entre entreprises dans une économie
de marché. Les parties doivent être en mesure de rédiger un contrat qui répond au mieux à leurs besoins.
Sont notamment concernées les PCD [pratiques commerciales déloyales] exercées lors de négociations
précontractuelles et qui sont ensuite intégrées dans les clauses contractuelles. Afin de tirer des bénéfices
communs de cette liberté contractuelle, les parties doivent se trouver dans une position qui leur permet
de vraiment négocier les clauses du contrat.

Toutefois, dans les cas où l'une des parties contractantes est en position de force dans la négociation,
elle peut unilatéralement imposer des conditions à l'autre partie – et donc influencer de manière
excessive la relation commerciale pour favoriser exclusivement ses propres intérêts économiques. En
particulier, elle peut avoir recours à des clauses nettement disproportionnées et, en raison de sa position
de force, elle ne les négociera pas une à une. Dans ce cas, la partie peut ne pas être en mesure de rejeter
ces conditions défavorables, qui ont été imposées unilatéralement, de peur de ne pas signer le contrat,
voire d'être réduite à l'inactivité. Plusieurs facteurs peuvent générer des rapports de force aussi inégaux,
par ex. une différence significative de taille ou de chiffre d'affaires des parties, une dépendance
économique ou des coûts irrécupérables importants encourus par l'une des parties (par ex.
investissements initiaux élevés) ».

Doc. 8. Directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les
pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne
d'approvisionnement agricole et alimentaire, art. 3.4

« Les États membres veillent à ce que les interdictions visées aux paragraphes 1 et 2 constituent des
dispositions impératives dérogatoires applicables à toute situation entrant dans le champ d'application
de ces interdictions, quelle que soit par ailleurs la loi qui serait applicable à l'accord de fourniture entre
les parties ».

Doc. 9. Com. 8 juillet 2020, n° 17-31.536, Publié au bulletin (extraits)

[…]

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de dire que la loi française est applicable alors :

« 1°/ que si l'action du ministre, fondée sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence, visant
au retrait de clauses contractuelles et à la mise en jeu de la responsabilité d'un des contractants, relève
d'une qualification délictuelle, l'appréciation des clauses contractuelles en cause relève d'une
qualification contractuelle ; qu'au cas présent, en soumettant la question de la licéité des clauses
contestées incluses dans les contrats litigieux à une qualification délictuelle et donc au règlement Rome
II, cependant que cette question, tributaire d'une qualification contractuelle, relevait du règlement Rome
I, la cour d'appel a méconnu l'article 1er du règlement CE n° 593/2008 dit Rome I ;

7
2°/ que subsidiairement, à supposer que la question aurait relevé d'une qualification délictuelle, la loi
applicable à une obligation non contractuelle n'est la loi du lieu du dommage que si une autre loi
n'entretient pas des liens manifestement supérieurs avec la situation ; que de tels liens peuvent se fonder,
notamment, sur une relation contractuelle sous-jacente ; qu'au cas présent, les prétendus dommages
résultaient de clauses insérées dans des contrats qui étaient tous soumis à la loi anglaise ; qu'à supposer
que la question relevait d'une qualification non contractuelle, la loi anglaise, qui régissait les relations
contractuelles sous-jacentes entretenait donc des liens manifestement plus étroits et devait donc être
appliquée à la place de la loi du lieu du dommage ; qu'en appliquant la loi française en tant que loi du
lieu du dommage, la cour d'appel a violé l'article 4 § 3 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 (dit
Rome II) ;

3°/ qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour
la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au
point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L.
442-6, I, 2°, du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais
uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la
sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une
loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce applicable, la
cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du code
civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I ;

4°/ qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour
la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au
point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L.
442-6, II, d) du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais
uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la
sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une
loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce applicable, la
cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du code
civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I ;

5°/ que, en tout état de cause, les lois de police ne s'appliquent qu'aux situations entrant dans leur champ
d'application, déterminé en considération de l'objectif qu'elles poursuivent ; qu'au cas présent, pour dire
les articles L. 442-6, I, 2°, et L. 442-6, II, d) du code de commerce applicables, la cour d'appel s'est
bornée à relever leur nature de lois de police ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un lien
de rattachement de la situation avec la France au regard de l'objectif poursuivi par ces deux textes, la
cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9
§ 1 du règlement Rome I. »

Réponse de la Cour

11. Après avoir relevé que le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6
du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de
l'économie pour la défense de l'ordre public, et souligné que les instruments juridiques dont celui-ci
dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les
pouvoirs publics accordent à ces dispositions, la cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6,
I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial
pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui
s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a
déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article
9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations
non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois
conduisant à la détermination de la loi applicable.

8
12. Ayant ensuite relevé que les hôtels signataires des contrats en cause et victimes des pratiques
alléguées étaient situés sur le territoire français, la cour d'appel a caractérisé un lien de rattachement de
l'action du ministre au regard de l'objectif de préservation de l'organisation économique poursuivi par
les lois de police en cause.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

[…]

b. L’autorégulation par les acteurs du commerce international

Doc. 10. Hague Rules on Business and Human Rights Arbitration, 2 décembre 2019, Extrait

1. The Hague Rules on Business and Human Rights Arbitration (the “Rules”) provide a set of
procedures for the arbitration of disputes related to the human rights impacts of business activities.

2. In particular, arbitration under the Rules can provide: (a) For the possibility of a remedy for those
affected by the human rights impacts of business activities, as set forth in Pillar III of the United Nations
Guiding Principles on Business and Human Rights (the “UN Guiding Principles”), serving as a
grievance mechanism consistent with Principle 31 of the UN Guiding Principles; and (b) Businesses
with a mechanism for addressing adverse human rights impacts with which they are involved, as set
forth in Pillar II and Principles 11 and 13 of the UN Guiding Principles. […]

Commentary:

Paragraph 2 of the Preamble summarizes two key purposes of business and human rights arbitration.
First, it can provide a remedy for those affected by the human rights impacts of business activities in
situations where more traditional remedies, such as judicial proceedings, are not available or effective.
Second, business and human rights arbitration can assist businesses to meet their responsibilities under
the UN Guiding Principles, both to respect human rights (Pillar II) and to provide a remedy to victims
(Pillar III), or under the provisions of the International Labour Organization (ILO) Tripartite
Declaration of Principles concerning Multinational Enterprises and Social Policy and the Organisation
for Economic Cooperation and Development (OECD) Guidelines for Multinational Enterprises.
Business and human rights arbitration could be relied upon by businesses to enforce contractual human
rights commitments vis-à-vis their business partners (e.g., in supply chains and development projects)
and thereby prevent or resolve business and human rights harms. These Rules thus intend to provide
both a means for access to remedy for rights-holders affected by business activities and a human rights
compliance and risk management strategy for businesses themselves. It is also worth noting that, for
States, the encouragement, facilitation or even requirement to use business and human rights arbitration
would also constitute an additional 15 tool to fulfil their responsibilities under Pillars I and III of the
UN Guiding Principles.

Doc. 11 : Code de conduite du Groupe TOTAL - Extrait

« ENVIRONNEMENT ET SANTÉ

9
Notre démarche active de protection de l’environnement et de la santé s’inscrit dans notre stratégie de
développement responsable et durable sur laquelle nous fournissons régulièrement des informations de
manière transparente.

En tant qu’entreprise responsable, nous nous engageons à promouvoir une utilisation efficace et
maîtrisée de nos sources d’énergie et des produits que nous proposons. Nous prenons en
compte l’évolution des besoins et attentes des consommateurs.

La nature et l’étendue de nos activités, situées partout dans le monde, peuvent nous exposer, nos
collaborateurs ainsi que nos parties prenantes, à différents types de risques sanitaires. En
tant qu’entreprise responsable, Total fait de la protection de notre santé au quotidien une priorité
absolue, où que nous nous trouvions. À chacun d’entre nous revient d’être également vigilant et
discipliné à son niveau pour protéger la santé de tous : des actions de sensibilisation et de formation
sont disponibles.

Pour aller plus loin : consulter la Charte SSE ».

10
Séance 2 : Les sources
La place des sources internes en droit du commerce international

INSTRUCTIONS :

Lire un manuel ou H. Gaudemet-Tallon, Rép. de procédure civile, Dalloz, V° Compétence


internationale : matière civile et commerciale, de droit international privé, sur :
- le champ d’application des règlements Bruxelles I bis, Rome I et Rome II ;
- la détermination générale de la compétence internationale des tribunaux en droit
international privé commun, plus spéc. sur les matières contractuelles et délictuelles le
régime de droit international privé commun des clauses attributives de juridiction.

Avec l’aide d’un manuel de DCI et/ou de DIP, ainsi que du cours, répondre aux questions
posées sous les arrêts.
Etablir la fiche des arrêts, dégager l’apport des décisions. .
Lire pour chacun des arrêts de la fiche au moins une note de doctrine de votre choix.
Faire le cas pratique.

Vos travaux devront être déposés sur la plateforme cours en ligne (ou adressés par email à votre chargée
de TD, selon la situation technique au moment de la séance).
Certains d’entre eux seront évalués au titre du contrôle continu.

PLAN DE LA SEANCE

I. COMPETENCE INTERNATIONALE DES TRIBUNAUX

Doc. 1. Cass. civ. 1re, 27 juin 2019, 18-19.466, publié au Bulletin


Doc. 2. Cass. civ. 1re, 16 mars 1999, 96-22.016, publié au Bulletin
Doc. 3. Cass. civ. 1re, 14 mars 2006, 05-13.820, publié au Bulletin. Comp. avec Cass. civ. 1re, 3 octobre
2006, 04-14.233, publié au Bulletin
Doc. 4. Cass. civ. 1re, 1er mars 1994, 92-11.163, publié au Bulletin
Doc. 5. Cass. civ. 1re, 23 janvier 2007, 04-12.760, publié au Bulletin

II. CLAUSES D’ELECTION D’UN FOR ETATIQUE OU ARBITRAL


a. Place résiduelle des règles de droit international privé commun en matière de clause
d’élection de for

Doc. 7. Cass. civ. 1re, 22 octobre 2008, n° 07-15.823, publié au Bulletin


Doc. 8. Cass. civ. 1re, 14 octobre 2009, 08-16.369 08-16.549, publié au Bulletin
Doc. 9. Cass. civ. 1re, 8 juillet 2010, 07-17.788, publié au Bulletin

b. Omniprésence des règles matérielles en matière d’arbitrage international

Doc. 10. Cass. civ. 1re, 20 décembre 1993, 91-16.828, publié au Bulletin
Doc. 11. Cass. civ. 1re, 16 mars 2016, 14-23.699, publié au Bulletin

c. Reconnaissance et l’exequatur des jugements étrangers

Doc. 12. Cass. civ. 1re, 20 février 2007, 05-14.082, publié au Bulletin

11
d. Conflit de lois

Doc 13. Cass. civ. 1re, 8 décembre 1998, 96-19.514, publié au Bulletin
Doc. 14. Cass. civ. 1re, 16 janvier 1861, publié au Bulletin

e. Cas pratique

I. COMPETENCE INTERNATIONALE DES TRIBUNAUX

Doc. 1. Cass. civ. 1re, 27 juin 2019, 18-19.466, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

Vu l'article 46, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble l'article 42 du même code ;

Attendu que l'option de compétence territoriale prévue en matière contractuelle au premier de ces articles
ne concerne que les contrats impliquant la livraison d'une chose ou l'exécution d'une prestation de
services ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'ayant signé avec la SCI Mas gestion (la SCI) un compromis de vente,
portant sur un bien immobilier situé à [...], M. et Mme D..., invoquant des fautes de la SCI dans l'absence
de réitération de la vente, l'ont assignée le 16 août 2016 devant le tribunal de grande instance de Saintes
en paiement d'une somme due au titre de la clause pénale prévue dans le compromis et de dommages-
intérêts ; que la SCI a soulevé devant le juge de la mise en état une exception d'incompétence au profit
du tribunal de grande instance de Compiègne, dans le ressort duquel elle a son siège social ; que le juge
de la mise en état ayant déclaré, par ordonnance du 5 juillet 2017, le tribunal de grande instance de
Saintes compétent, la SCI a interjeté appel ;

Attendu que pour confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état, débouter les parties de leurs autres
demandes et condamner la SCI à payer à M. et Mme D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'option prévue en
matière contractuelle joue dès lors que le lieu retenu est celui où la livraison devait être faite ou la
prestation de services devait être effectuée, que le contrat de vente sous condition suspensive dont
l'exécution est sollicitée porte sur un immeuble situé à [...], a été conclu dans les locaux de la société
Home passion sise à [...], commune située dans le ressort territorial du tribunal de grande instance de
Saintes, que le compromis de vente, bien qu'étant un avant contrat, relève de la matière contractuelle,
quand bien même il n'impliquerait pas l'exécution d'une prestation de services ou la livraison d'une chose
et qu'enfin, selon la jurisprudence, l'ensemble de la matière contractuelle est visé par l'option de
compétence prévue à l'article 46, alinéa 2, du code de procédure civile, les facteurs de rattachement, lieu
de livraison ou lieu d'exécution, ne se confondant pas avec la matière litigieuse ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le compromis de vente ne prévoyait ni la livraison d'une chose ni
l'exécution d'une prestation de services, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mai 2018, entre les parties, par la
cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient
avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

12
Questions
Pour quelle raison la règle posée par l’article 46 al 2 constitue-t-elle une option de compétence ?
Quel est le champ d’application de cette option ?

Doc. 2. Cass. civ. 1re, 16 mars 1999, 96-22.016, publié au Bulletin

Vu le préambule de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ensemble son article 5, 1° ;

Attendu que les règles de compétence édictées par la Convention concernent les seules juridictions des
Etats qui y sont parties ;

Attendu que pour faire application en la cause de la règle de compétence spéciale de l'article 5.1, de la
Convention précitée, la cour d'appel énonce qu'il n'est pas contesté que la Principauté de Monaco a
adhéré à la convention de Bruxelles ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Principauté de Monaco n'est pas membre de la CEE, la cour
d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le même moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 46, 1er tiret, du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer le juge des référés de Créteil compétent pour statuer sur la demande en
paiement d'une provision, dirigée par le liquidateur de la société française Poccardi contre M. X... et la
société Coframoc, domiciliés à Monaco, la cour d'appel énonce que le demandeur a saisi à bon droit le
tribunal du lieu d'exécution de la convention, à savoir le lieu de paiement du prix de la cession litigieuse
;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que le paiement d'un prix ne constitue ni la livraison d'une
chose, ni l'exécution d'une prestation de service, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du premier moyen et sur
le second moyen ;

CASSE ET ANNULE

Questions
Pour quelle raison le droit international privé commun est-il applicable en l’espèce ?
Quelle confusion semble avoir opéré la cour d’appel, la conduisant à violer l’article 46 CPC ?

Doc. 3. Cass. civ. 1re, 14 mars 2006, 05-13.820, publié au Bulletin. Comp. avec Cass. civ. 1re, 3
octobre 2006, 04-14.233, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

Attendu que M. X..., lié à la société américaine Troy Lee Designs Incorporated, par un contrat d'agent
commercial conclu en 1993, a assigné cette société devant le tribunal de commerce de Manosque en
paiement de "l'indemnité légale de cessation de mandat" ;

Attendu qu'il fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 14 décembre 2004) d'avoir déclaré
le tribunal de commerce incompétent pour statuer sur sa demande, alors, selon le moyen, qu'en
considérant que le tribunal du domicile de M. X..., qui avait distribué en France les produits de la société
Troy Lee Desings Incorporated, n'était pas compétent pour statuer sur la demande en paiement

13
d'indemnité de rupture dès lors qu'il s'agissait d'une dette indépendante du caractère licite ou non de la
rupture de contrat, la cour d'appel a violé l'article 46 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'indemnité de fin de contrat était une dette indépendante du caractère
licite ou non de la rupture du contrat, constatation d'où il résultait que la demande ne portait pas sur
l'exécution d'une prestation de service, la cour d'appel a exactement décidé, par application de l'article
42 du nouveau Code de procédure civile étendu à l'ordre international, que le tribunal du domicile du
défendeur était seul compétent pour connaître de cette demande ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

Questions
A quoi l’expression « étendu à l’ordre international » fait-elle référence ?
Cette solution est-elle celle adoptée dans le cadre de l’application du règlement Bruxelles I
bis ?

Doc. 4. Cass. civ. 1re, 1er mars 1994, 92-11.163, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 décembre 1991), que la société Vitaflor
a vendu à M. Garba X..., commerçant à Douala (Cameroun) une quantité de blé qui a été chargée sous
connaissement dans le port de Sète, à bord du navire, Lucien Y... ; que la vente a été stipulée aux
conditions CAF et que le connaissement ainsi que les documents du crédit ont été adressés par la banque
française à la société Générale de banque à Douala ; que la lettre de change qu'il avait acceptée n'ayant
pas été payée à son échéance, la société Vitaflor a assigné M. X... en paiement devant le tribunal de
commerce de Sète ; qu'accueillant une exception de litispendance soulevée par M. X..., le Tribunal s'est
dessaisi envers le tribunal de grande instance de Douala ;

Attendu que la société Vitaflor reproche à l'arrêt d'avoir rejeté le contredit formé contre cette décision,
alors, selon le pourvoi, que la livraison au port d'embarquement, qui caractérise la vente CAF (quelle
que soit la loi applicable à celle-ci), constitue la livraison effective au sens de l'article 46 du nouveau
Code de procédure civile, la remise des documents et du connaissement en particulier, ne constituant
quant à elle qu'un élément accessoire de l'obligation de délivrance du vendeur ; qu'en situant à Douala
la livraison effective de la marchandise, la cour d'appel a violé l'article 46 du nouveau Code de procédure
civile ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que la vente des marchandises avait eu lieu aux conditions CAF,
l'arrêt retient que le connaissement, accompagné des documents du crédit qui assortissait la vente, avait
été adressé à une banque de Douala pour être remis entre les mains de l'acheteur de la marchandise ;
qu'à partir de ces constatations, la cour d'appel a pu décider que, bien que la vente ait eu lieu aux
conditions susvisées, lesquelles n'avaient pas pour effet de mettre l'acheteur en possession de la
marchandise, la livraison effective au sens de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile avait eu
lieu à Douala et que le Tribunal de cette ville était compétent, en application de ce texte, pour connaître
du litige relatif à la vente ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

Questions
Définir le terme connaissement.
Pour quelle raison le droit international privé européen n’a pas trouvé à s’appliquer en
l’espèce ?

14
Doc. 5. Cass. civ. 1re, 23 janvier 2007, 04-12.760, publié au Bulletin

Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :

Attendu que MM. Victor et Yves Michel Y... font grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 26 mars 2003),
d'avoir rejeté une exception d'incompétence soulevée au profit du tribunal de grande instance de Douala
(Cameroun), et d'avoir désigné le tribunal de grande instance de Paris pour connaître du litige l'opposant
à la société Diffusion des ébénistes contemporains, qui sollicite l'exécution forcée d'un contrat de vente
de mobilier, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en retenant que M. Victor Y..., établi au Cameroun, avait un domicile à Paris dès lors que deux
actes de procédure lui avaient été délivrés à une même adresse parisienne, laquelle correspondait en
réalité à celle de son fils, la cour d'appel, qui a manifestement considéré qu'une même personne physique
pouvait disposer d'autant de domiciles qu'elle avait d'adresses, a méconnu les articles 43 du nouveau
code de procédure civile et 102 du code civil ;

2°/ qu'en se bornant à retenir que deux actes d'huissier avaient été adressés à M. Victor Y... à une même
adresse parisienne et que la gardienne de l'immeuble avait certifié ce domicile sans vérifier si ce
"domicile" correspondait, au sens juridique du terme, à son principal établissement, la cour d'appel a
privé sa décision de base légale au regard des articles 43 du nouveau code de procédure civile et 102 du
code civil ;

3°/ qu'en retenant que la société Roméo avait son siège à Paris alors que la règle selon laquelle le
demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ne trouve à s'appliquer que si le demandeur
n'a ni domicile, ni résidence connus, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article
42, alinéa 3, du nouveau code de procédure civile ;

4°/ que le lieu de livraison, pris en compte pour une simple vente, n'est pas un critère de rattachement
pertinent pour un contrat d'entreprise s'exécutant à l'étranger ; qu'en déduisant la compétence française
du prétendu lieu de livraison indiqué dans le bon de commande, sans avoir préalablement qualifié la
convention des parties comme elle y était pourtant requise par les appelants qui faisaient valoir que la
convention litigieuse était un contrat d'entreprise ayant vocation à s'exécuter au Cameroun, la cour
d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 46 du nouveau code de procédure civile ;

5°/ qu'en décidant de retenir la compétence de la juridiction française au vu de la mention "à livrer
transitaire Paris" figurant sur le bon de commande litigieux quand il était pourtant acquis que l'objet du
contrat était d'aménager la maison de M. Yves Y... au Cameroun, la cour d'appel a violé l'article 46,
alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 46, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile étendu à l'ordre
international, en matière contractuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du
domicile du défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu d'exécution
de la prestation de service ; qu'ayant relevé que le bon de commande portait sur la vente de mobilier et
stipulait que la livraison serait effectuée entre les mains d'un transitaire à Paris, la cour d'appel a décidé
à bon droit que s'agissant d'un contrat de vente, le tribunal de grande instance de Paris, lieu de livraison,
était territorialement compétent ; que, par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Questions

15
Que recouvre la notion de livraison dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 46 al. 2 CPC ?
Expliquez pourquoi le droit international privé européen n’est pas applicable en l’espèce.

Doc. 6. Cass. civ. 1re, 18 octobre 2017, 16-10.428, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’association Théâtre royal de luxe (l’association) revendique des
droits d’auteur sur des spectacles mettant en scène des personnages de sept à douze mètres de hauteur,
déambulant, selon une chorégraphie particulière, dans les rues d’une ville ; que, soutenant qu’un spot
publicitaire pour la boisson Coca-Cola, diffusé en décembre 2012 dans divers pays, reprenait les
caractéristiques de ces créations originales, l’association, invoquant la violation de ses droits d’auteur et
des agissements parasitaires, a assigné en référé la société Coca-Cola entreprise, devenue depuis la
société Coca-Cola European Partners France, et la société Coca-Cola services France pour obtenir la
cessation de la diffusion et la suppression du spot litigieux ; que les sociétés McCann Erickson
Worldwide Inc. et McCann Erickson sont intervenues volontairement à l’instance ; qu’elles ont soulevé,
aux côtés de la société Coca-Cola services France, une exception d’incompétence internationale ;

Sur la recevabilité du moyen, pris en sa première branche, contestée par la défense :

Attendu que les sociétés Coca-Cola European Partners France, Coca-Cola services France, McCann
Erickson Worldwide Inc. et McCann Erickson soutiennent que le moyen tiré de la violation de l’article
46 du code de procédure civile est nouveau et mélangé de fait, l’association n’ayant pas invoqué, devant
les juges du fond, le critère de l’accessibilité pour justifier la compétence internationale des juridictions
françaises ;

Mais attendu que, pour s’opposer à l’exception d’incompétence, l’association faisait notamment valoir,
dans ses dernières écritures, que la campagne publicitaire litigieuse avait fait l’objet d’une diffusion en
France ; que le moyen, qui n’est pas nouveau, est donc recevable ;

Et sur ce moyen :

Vu l’article 46 du code de procédure civile ;

Attendu qu’aux termes de ce texte, en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre
la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans
le ressort de laquelle le dommage a été subi ;

Attendu que, pour déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige, après avoir
constaté que la publicité en cause était diffusée sur différents sites Internet, l’arrêt énonce que ces vidéos
ne sont pas à destination du public français, soit parce qu’elles sont destinées à des publics étrangers,
soit parce qu’elles sont destinées à des professionnels de la publicité et de la communication dans un
but d’information ; qu’il en déduit qu’il n’existe pas de lien de rattachement suffisant, substantiel ou
significatif entre ces sites, les vidéos postées et le public français ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, d’un site Internet
diffusant le spot publicitaire litigieux suffit à retenir la compétence de cette juridiction, prise comme
celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué, pour connaître de l’atteinte prétendument portée
aux droits d’auteur revendiqués par l’association, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE.

16
Questions
En droit international privé commun, que recouvre la notion de dommage au sens de l’article
46 du CPC en matière de cyberdélit ?
La solution est-elle comparable en droit international privé européen ?

II. CLAUSES D’ELECTION D’UN FOR ETATIQUE OU ARBITRAL

a. Place résiduelle des règles de droit international privé commun en matière de clause
d’élection de for

Doc. 7. Cass. civ. 1re, 22 octobre 2008, n° 07-15.823, publié au Bulletin

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 3 du code civil et les principes généraux du droit international privé ;

Attendu que la société américaine Monster Cable Products Inc (ci-après Monster Cable) a conclu le 22
octobre 1986, puis le 18 septembre 1995, avec la société française Audio marketing services (ci-après
AMS) un contrat de distribution exclusive de ses produits sur le territoire français ; que l'article 7.5 du
dernier contrat désigne les juridictions de San Francisco pour toute action découlant du contrat ; que la
société Monster Cable a résilié le contrat le 2 août 2002 ; que la société AMS a assigné le 3 janvier 2003
la société Monster Cable devant le tribunal de commerce de Bobigny en application de l'article L. 442-
6 du code de commerce pour abus de dépendance économique ;

Attendu que pour écarter la clause attributive de juridiction et reconnaître la compétence des juridictions
françaises, l'arrêt retient qu'il s'agit d'appliquer des dispositions impératives relevant de l'ordre public
économique constitutives de lois de police et de sanctionner des pratiques discriminatoires assimilées à
des délits civils qui ont été commises sur le territoire national ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la clause attributive de juridiction contenue dans ce contrat visait tout
litige né du contrat, et devait en conséquence, être mise en œuvre, des dispositions impératives
constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige, la cour d'appel a violé le texte
et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE

Questions
Définir l’expression « loi de police »
Pensez-vous que la même solution aurait été retenue si la clause désigne non une juridiction
étatique, mais une juridiction arbitrale ?

Doc. 8. Cass. civ. 1re, 14 octobre 2009, 08-16.369 08-16.549, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

17
Attendu que la société américaine In Zone Brands international INC a conclu avec la société française
In Zone Brands Europe, devenue In Beverage international, dont le président était M. X..., un contrat de
distribution exclusive de boissons pour l'Europe ; que ce contrat, soumis aux lois de l'Etat de Georgie
(Etats unis d'Amérique), comportait une clause attributive de compétence aux juridictions de cet Etat ;
que la société américaine ayant résilié le contrat, la société In Beverage international et M. X... ont saisi
le tribunal de commerce de Nanterre dont la défenderesse a contesté la compétence en invoquant la
clause attributive de juridiction ; que, parallèlement, la société In Zone Brands international INC a
engagé une action devant la juridiction américaine et que, par décision du 3 mars 2006, la Superior Court
du Comté de Cobb (Georgie) a d'une part prononcé une injonction permanente définitive ("anti suit
injunction") interdisant aux parties françaises de poursuivre la procédure engagée devant le tribunal de
commerce de Nanterre et d'autre part reconnu le principe de la créance de la société américaine ; que
cette dernière a sollicité l'exequatur en France du jugement de la Superior Court ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 17 avril 2008) d'avoir déclaré la décision
américaine exécutoire en France alors, selon le moyen, qu'en refusant de retenir la contrariété à l'ordre
public international français d'une décision d'une juridiction étrangère prononçant une injonction, dite «
anti suit », ayant pour objet d'interdire à une partie d'introduire ou de poursuivre une instance devant le
juge français, sans même que ce dernier puisse se prononcer sur sa compétence, cependant qu'une telle
injonction porte atteinte tant à une prérogative de souveraineté de l'Etat français qu'au droit d'accès au
juge de la partie ayant saisi la juridiction française ou envisageant de le faire, la cour d'appel a violé
l'article 509 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que l'arrêt retient exactement, en premier lieu, par motif propre, qu'eu égard à la clause
attributive de compétence librement acceptée par les parties, aucune fraude ne pouvait résulter de la
saisine par la société américaine de la juridiction expressément désignée comme compétente et, en
second lieu, par motif propre et adopté, qu'il ne peut y avoir privation de l'accès au juge, dès lors que la
décision prise par le juge georgien a précisément pour objet de statuer sur sa propre compétence et pour
finalité de faire respecter la convention attributive de compétence souscrite par les parties ; que n'est pas
contraire à l'ordre public international l'"anti suit injunction" dont, hors champ d'application de
conventions ou du droit communautaire, l'objet consiste seulement, comme en l'espèce, à sanctionner la
violation d'une obligation contractuelle préexistante ; que l'arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Questions
Définir l’expression « anti-suit injunction ».
Expliquez en quoi une telle injonction pourrait être contraire à l’ordre public international
français.

Doc. 9. Cass. civ. 1re, 8 juillet 2010, 07-17.788, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2007), que la société Bluebell Trading Company (la
société Bluebell), après avoir souscrit une convention de compte auprès de la banque du Gothard,
devenue la société J. Safra (la banque), l'a fait assigner, ainsi que M. X..., qui avait été le préposé de la
banque, en responsabilité devant un tribunal de grande instance ; que se prévalant d'une clause attributive
de compétence au profit des juridictions monégasques, la banque a soulevé l'incompétence du tribunal
saisi ;

18
Attendu que la société Bluebell fait grief à l'arrêt de dire le tribunal de grande instance de Paris
incompétent pour connaître des demandes qu'elle forme contre la banque, alors, selon le moyen :

1° / que l'exception d'incompétence doit être soulevé in limine litis avant toute défense au fond ; qu'en
l'espèce, avant de soulever l'exception d'incompétence du tribunal de grande instance de Paris au profit
des juridictions monégasques, la Banque avait abordé le fond de l'affaire en exposant dans ses premières
conclusions (p. 3) que la thèse, suivant laquelle la société Bluebell, dans le courant de l'année 2000,
avait été « fortuitement informée de la dissipation de quasi-intégralité de ses actifs » qui était due à des
fautes commises par la BDGM, était « une contre-vérité choquante, tout à fait significative de la
mauvaise foi des consorts X... qui sont au contraire intervenus de manière permanente dans le
fonctionnement de ce compte, qu'ils ont ouvert au nom de la société-écran qu'ils ont constituée à leur
profit aux Iles Vierges Britanniques, leurs fils utilisant ses fonctions au sein de la banque pour passer
les ordres de mouvement » ; qu'elle avait ainsi exposé directement, et préalablement à l'exception
d'incompétence, un moyen de fond à la thèse sur laquelle reposaient l'assignation de la société Bluebell
et ses demandes de condamnation ; qu'en retenant néanmoins que l'exception d'incompétence avait été
soulevé in limine litis par ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 71 du nouveau code de
procédure civile, ensemble l'article 74 du même code ;

2° / que la nullité d'un contrat entraîne la nullité de la clause attributive de compétence qui y est stipulée
; qu'en l'état de la nullité du contrat d'ouverture de compte arguée par la Banque, la cour d'appel devait
rechercher si cette nullité n'entrainait pas la nullité de la clause attribuant compétence aux juridiction
monégasques pour connaître du litige s'y rapportant ; qu'en s'abstenant de procéder à une telle recherche,
la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1172 du code civil ;

3° / que s'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure
l'un d'eux et la clause attribuant compétence à une autre juridiction ne peut produire effet dès lors qu'elle
n'est pas opposable à tous les défendeurs et qu'il existe une indivisibilité entre les demandes formées
contre eux ; qu'en l'espèce, pour dénier toute indivisibilité entre les demandes formées par la société
Bluebell contre M. X... et la Banque, la cour d'appel s'est fondée uniquement sur l'existence de liens
filiaux et de communauté d'intérêts entre les parents X..., titulaires des actifs de la société Bluebell, et
leur fils ; que toutefois l'action n'avait pas été engagée par les parents X... mais par la société Bluebell
dont la cour d'appel n'a pas caractérisé le caractère fictif ou transparent ; que la cour d'appel a donc privé
son arrêt de base légale au regard des articles 42 et 48 du nouveau code de procédure civile ;

4° / qu'en l'espèce l'un des défendeurs, M. X..., était le préposé de l'autre défendeur, la Banque, lequel
lui reprochait également des fautes commises à l'origine de la dissipation de fonds ; qu'il était constant,
comme la cour d'appel l'a relevé, que la banque avait imputé à M. X... une responsabilité pendant qu'il
était son préposé ; qu'il s'en déduisait une indivisibilité entre les demandes ; qu'en jugeant le contraire,
la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 42
du nouveau code procédure civile ;

Mais attendu d'abord, qu'ayant relevé que la banque n'avait, dans ses conclusions, tiré aucune
conséquence du rappel des faits faisant état de la mauvaise foi des consorts X..., la cour d'appel a
exactement retenu que l'exception d'incompétence avait été soulevée avant toute défense au fond ;

Attendu, ensuite, qu'une clause attributive de compétence, en raison de son autonomie par rapport à la
convention principale dans laquelle elle s'insère, n'est pas affectée, par l'inefficacité de cet acte ; qu'ayant
relevé que la convention de compte comportait une clause attributive de compétence, la cour d'appel a
légalement justifié sa décision ;

Attendu enfin, qu'ayant relevé, par motifs non critiqués, qu'aucun grief n'était formé par la société
Bluebell contre M. X... dont la demande formée à son encontre, dénuée de sérieux, excluait qu'elle soit
indivisible de celle formée à l'encontre de la banque, la cour d'appel abstraction faite du motif
surabondant critiqué à la troisième branche, a pu en déduire que le tribunal de grande instance de Paris

19
n'était pas compétent pour statuer sur les demandes formées contre la banque ; que le moyen n'est pas
fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Questions
Quel principe pose la Cour de cassation dans le présent arrêt ? Dans quel autre domaine ce
principe a-t-il vocation à jouer ?
Quelle conséquence la Haute juridiction attache-t-elle à ce principe dans la présente espèce ?

b. Omniprésence des règles matérielles en matière d’arbitrage international

Doc. 10. Cass. civ. 1re, 20 décembre 1993, 91-16.828, publié au Bulletin

Sur les deux moyens réunis :

Attendu que par contrat signé le 15 juin 1981, le comité de la municipalité de Khoms El Mergeb, aux
droits duquel est venu celui de la municipalité de Tripoli (Libye), a confié à la société danoise Dalico
Contractors, des travaux de réalisation d'évacuation des eaux ; que ce contrat mentionnait comme faisant
partie intégrante de la convention, outre les documents d'appel d'offres, des conditions types " amplifiées
ou amendées par une annexe " ; que l'article 32 des conditions types également signées le 15 juin 1981,
stipulait tant l'application au contrat de la loi libyenne que la juridiction des tribunaux libyens ; que la
société Dalico a mis en œuvre la procédure d'arbitrage selon la clause compromissoire stipulée par
référence à l'un des documents d'appel d'offres, et mentionnée dans l'annexe aux conditions types,
laquelle modifiait, notamment, l'article 32 précité ; que le comité populaire s'y est opposé en faisant
valoir que le document invoqué comme étant l'annexe prévue par les conditions types, ne comportait
aucune signature et n'était pas valable au regard de la loi libyenne du contrat ; que l'arrêt attaqué (Paris,
26 mars 1991), a rejeté le recours en annulation de la sentence par laquelle les arbitres ont admis
l'existence et la validité de la clause compromissoire ;

Attendu que par un premier moyen, il est fait grief à cet arrêt d'avoir écarté la loi libyenne, sans
rechercher quelle norme régissait, selon les principes du droit international privé, l'existence et la validité
en la forme de la clause compromissoire ; qu'en un second moyen, il est aussi reproché à la cour d'appel
d'avoir, d'une part, déclaré adoptée cette clause figurant sur un document non signé parce qu'un autre
document, qui n'était pas davantage signé, mais auquel renvoyait le contrat de base signé des parties, y
faisait référence et, d'autre part, fait prévaloir une telle clause sur la clause attributive de juridiction
insérée dans les conditions types signées ;

Mais attendu qu'en vertu d'une règle matérielle du droit international de l'arbitrage, la clause
compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par
référence et que son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit
français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit
nécessaire de se référer à une loi étatique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a légalement justifié sa décision
en établissant l'existence de la clause d'arbitrage sans avoir égard à la loi libyenne du contrat et a,
souverainement, retenu, par l'analyse et l'interprétation des documents produits, que l'annexe invoquée
avait, notamment, pour objet de substituer la clause d'arbitrage stipulée à l'origine à celle donnant
compétence aux tribunaux libyens et que son intégration dans l'ensemble contractuel démontrait, bien
que ce document ne fut pas signé, la commune intention des parties de se soumettre à la clause litigieuse
;

D'où il suit que le premier moyen n'est pas fondé et que le second ne peut être accueilli ;

20
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.

Questions
Qu’est-ce qu’une règle matérielle ?
Quelle règle matérielle est posée par le présent arrêt ?

Doc. 11. Cass. civ. 1re, 16 mars 2016, 14-23.699, publié au Bulletin

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2014), que MM. Ali X... Ali Y... Z..., Marzouq Ali X... Ali
Y... Z... et Mohammed Ali X... Ali Y... Z... (les consorts Y...), ressortissants émiratis, ont chargé un
cabinet d'avocats londonien, Eversheds, de les représenter dans un arbitrage à Londres les opposant à
une société grecque, par une lettre d'engagement, du 16 juillet 2009, dépourvue de clause
compromissoire ; qu'une seconde lettre d'engagement, stipulant une telle clause, a été signée, le 29 mars
2010, entre le cabinet d'avocats emirati Galadari & associates (GLDR), chargé habituellement des
intérêts des consorts Y..., et M. A..., pour que celui-ci, qui avait quitté le cabinet Eversheds et avait fondé
la société A... and Associates (Shackleton), suive cette instance ; qu'un différend s'étant élevé
relativement au règlement des honoraires, la société A... a mis en oeuvre la clause compromissoire ;
qu'une sentence rendue à Paris, le 17 juillet 2012, rectifiée par un addendum du 24 août 2012, a déclaré
le tribunal arbitral compétent pour statuer sur la demande de la société en paiement d'une facture
d'honoraires ; qu'une seconde sentence, rendue à Paris le 1er mars 2013, a condamné les consorts Y... à
payer à l'autre partie une certaine somme ;

Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt de rejeter leur recours en annulation des sentences, alors,
selon le moyen :

1°/ que le juge de l'annulation, qui contrôle en fait et en droit la décision du tribunal arbitral sur sa
compétence, doit apprécier l'existence, la validité et l'étendue du pouvoir conventionnel pour engager
une partie à l'arbitrage en considération de la loi applicable à l'acte juridique en cause ; qu'en se
prononçant comme elle l'a fait, motifs pris « qu'en vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage
international, l'existence et la validité d'une clause compromissoire sont appréciées, sans référence à une
loi nationale, mais uniquement au regard de la volonté des parties de recourir à l'arbitrage, appréciée en
fonction des circonstances de la cause » et « qu'il n'existe pas de motifs de s'écarter de ces principes
lorsque la convention litigieuse concerne les prestations fournies par un avocat à son client », après avoir
pourtant constaté que la lettre d'engagement du 29 mars 2010, contenant la clause compromissoire, avait
été signée par M. A... et par le cabinet d'avocats GLDR, ce dont il résultait que l'existence, la validité et
l'étendue du pouvoir conventionnel donné au cabinet GLDR devaient être appréciés en considération de
la loi applicable à cet acte juridique, la cour d'appel a violé l'article 1520. 1° du code de procédure civile
;

2°/ subsidiairement, que seule la volonté commune des contractants a le pouvoir d'investir l'arbitre de
son pouvoir juridictionnel ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, aux motifs inopérants, d'une part,
que le projet de contrat stipulant la clause compromissoire a été adressé, le 23 février 2010, par M. A...
à M. B..., contrôleur financier du groupe Y... et à M. Mohammed Y..., d'autre part, que le projet de lettre
d'engagement signé par M. A... avait été de nouveau envoyé par courriel à M. B... et à GLDR le 29 mars
2010 et signé le 4 avril 2010 par GLDR, qui a envoyé le jour même l'exemplaire signé par courriel à M.
Mohammed Y... et à M. B... et enfin, qu'il n'est pas contesté que le contrat a été ultérieurement exécuté
par les consorts Y... qui ont directement donné des instructions au cabinet A... et réglé ses premières
factures, ce dont il ne résulte pas l'acceptation, par M. Ali X... Ali Y... Z..., M. Marzouq Ali X... Ali Y...
Z... et M. Mohammed Ali X... Ali Y... Z..., de la clause compromissoire figurant à la lettre d'engagement

21
du 29 mars 2010, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520. 1° du
code de procédure civile ;

3°/ subsidiairement, que seule la volonté commune des contractants a le pouvoir d'investir l'arbitre de
son pouvoir juridictionnel ; que la simple connaissance d'une clause compromissoire figurant dans un
contrat négocié et signé par un tiers, fût-il le mandataire de l'un des cocontractants, ne suffit pas à faire
présumer son acceptation ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que les consorts Y... ne
peuvent « sans contradiction, soutenir comme ils le font que GLDR était chargé pour leur compte de
négocier la convention avec le cabinet A... mais qu'eux-mêmes n'étaient pas liés par certains termes de
cet accord, dont ils avaient pourtant eu connaissance intégrale avant sa signature », la cour d'appel n'a
pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520. 1° du code de procédure civile ;

4°/ subsidiairement, qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que les consorts Y... « ne
peuvent, sans mauvaise foi, se retrancher derrière la circonstance, dénuée de pertinence devant cette
cour, qu'en droit émirati une clause compromissoire ne serait valablement signée par un mandataire que
s'il est titulaire d'un mandat spécial à cet effet », quand il ressort de la sentence partielle du 17 juillet
2012, que devant l'arbitre unique, les consorts Y... ont précisément soutenu que faute d'un pouvoir exprès
donné au cabinet d'avocats GLDR, la clause compromissoire devait être tenue pour nulle et sans effet
conformément au droit des Emirats Arabes Unis devant s'appliquer à la validité de la clause
compromissoire et à la capacité et au pouvoir du cabinet GLDR d'agir comme leur agent, la cour d'appel
a violé les articles 1466, 1506. 3° et 1520. 1° du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la première lettre d'engagement a confié au cabinet d'avocats
londonien Eversheds la représentation des consorts Y... dans l'arbitrage les opposant à la société grecque,
que la seconde lettre d'engagement a chargé M. A... de poursuivre cette mission et que ces lettres ont été
signées par le cabinet GLDR ; qu'il relève que, le 23 février 2010, M. A... a adressé un message
électronique au contrôleur financier du groupe Y... et à M. Mohammed Y... pour leur soumettre le projet
de contrat stipulant la clause compromissoire ; que, le 29 mars 2010, le projet de lettre d'engagement
signé par M. A... a été, de nouveau, envoyé au contrôleur financier et au cabinet GLDR ; que celui-ci,
qui l'a signé le 4 avril 2010, l'a adressé le jour même à M. Mohammed Y... et au contrôleur financier ;
qu'il retient, enfin, que ce contrat a été ultérieurement exécuté par les consorts Y... qui ont directement
donné des instructions au cabinet A... et réglé ses premières factures ; qu'ayant fait ressortir que les
consorts Y... ayant eu la volonté de se soumettre à l'arbitrage, l'exigence de bonne foi pouvait leur être
opposée et que les pouvoirs du cabinet d'avocats émirati étant apparents, la croyance du cabinet A... à
l'engagement des consorts Y... était légitime, la cour d'appel en a exactement déduit que le tribunal
arbitral était compétent ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Questions
Que vérifie la Cour de cassation pour établir l’obligation des consorts Y d’aller à l’arbitrage ?
Qu’aurait pu vérifier la Cour de cassation, qu’elle n’a pourtant pas vérifié en l’espèce ?

c. reconnaissance et l’exequatur des jugements étrangers

Doc. 12. Cass. civ. 1re, 20 février 2007, 05-14.082, publié au Bulletin

22
Attendu que par jugement du 27 août 1993, le tribunal d'instance du district de Columbia (Etats-Unis
d'Amérique) a condamné M. X..., de nationalité colombienne, à payer aux sociétés américaines North
Américain Air Service compagny INC et Avianca INC, ainsi qu'aux sociétés colombiennes Avianca SA,
Helicopteros Nacionales de Columbia et Aeronautico de Medellin Consolida (les sociétés) la somme de
3 987 916,66 dollars américains, outre les intérêts ; que M. X... s'étant établi en France, les sociétés l'ont
fait assigner pour obtenir l'exequatur de cette décision ; que par jugement du 1er février 2000, le tribunal
de grande instance les en a déboutées aux motifs qu'il n'existait pas de lien rattachant les faits litigieux
au territoire américain et qu'en outre la loi applicable était la loi colombienne ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 janvier 2005) d'avoir ordonné
l'exequatur du jugement rendu le 27 août 1993 par le tribunal d'instance du district de Columbia dans
l'action civile n° 85-3277 entre Avancia INC et autres demandeurs et Mark F. Correia et autres
défendeurs, alors, selon le moyen, qu'en l'espèce où les demanderesses principales comme le défendeur,
M. X..., étaient domiciliés en Colombie, en considérant que constituait un lien suffisant du litige sur le
district de Columbia, la seule signature dans ce district d'une convention par une société dirigée par M.
X..., en violation prétendue de ses obligations au sein de la société Avianca, la cour d'appel a méconnu
les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale ;

Mais attendu que l'arrêt relève que par un jugement précédent du 31 mai 1991, statuant sur l'exception
d'incompétence soulevée par M. X..., le tribunal du district de Columbia a retenu sa compétence
internationale conformément aux règles de procédure civile fédérale qui lui donnaient compétence pour
connaître des demandes formées à l'encontre des ressortissants d'un Etat étranger "partie
supplémentaire" ; que tel était le cas dans la mesure où M. X... était co-défendeur dans l'affaire qui
l'opposait aux sociétés, le principal défendeur étant lui-même domicilié à Washington ; que les "chefs
d'accusation" dirigés contre M. X... visaient des faits commis à l'occasion de ses relations d'affaires à
Washington avec le défendeur principal et que deux des cinq sociétés demanderesses étaient de droit
américain et domiciliées sur le territoire des Etats-Unis ; que la cour d'appel a pu en déduire que le litige
se rattachait de manière caractérisée aux Etats-Unis d'Amérique de sorte que le juge américain était
compétent pour en connaître ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que
l'exequatur d'un jugement étranger ne peut être accordé que si le juge étranger a appliqué la loi désignée
par la règle française de conflit ou une loi conduisant à un résultat équivalent, qu'accordant l'exequatur
à un jugement américain qui avait fait application de la loi américaine, sans rechercher, ainsi qu'elle y
était invitée, si, s'agissant d'apprécier la responsabilité d'un dirigeant de société, la loi compétente n'était
pas la loi colombienne du siège de la société, laquelle ignorait le triplement du préjudice prévu par la loi
américaine appliquée par le tribunal de Columbia, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale ;

Mais attendu que, pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit
s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée
sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de
procédure et l'absence de fraude à la loi ; que le juge de l'exequatur n'a donc pas à vérifier que la loi
appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle de conflit de lois française ; que, par ce
motif de pur droit, substitué à ceux que critique le moyen, l'arrêt attaqué se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Questions

23
Quelle condition d’exequatur disparaît avec le présent arrêt ?
La disparition de cette condition vous paraît-elle compatible avec le critère de vérification de
l’absence de fraude à la loi ?

d. Conflit de lois

Doc 13. Cass. civ. 1re, 8 décembre 1998, 96-19.514, publié au Bulletin

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que la société d'assurances General Accident fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 1996)
d'avoir déclaré valable le cautionnement donné en son nom pour le remboursement d'un prêt consenti
par la BNP au cabinet d'assurances de M. Hoff, en écartant la loi française qui exige l'autorisation du
conseil d'administration de la société, alors que la loi applicable au cautionnement est celle de
l'obligation principale ou celle du lieu d'exécution soit en l'occurrence la loi française ; qu'en outre, la
cour d'appel aurait dénaturé la procuration donnée par la compagnie General Accident à son mandataire
pour la France, qui ne l'autorisait pas à donner lui-même mandat à un tiers de se porter caution au nom
de la compagnie ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu que le siège de la société General Accident était situé en
Ecosse, a justement décidé que l'appréciation des pouvoirs des dirigeants sociaux relevait de la loi dont
dépendait la société, la loi française étant ainsi sans application en la matière ;

Et attendu que les juges du second degré ont, sans dénaturation, relevé que l'engagement de caution avait
été souscrit par une personne ayant reçu pouvoir du mandataire de la société General Accident pour la
France, et que cet engagement n'était pas contraire à l'objet social, car il garantissait un prêt consenti à
des agents généraux ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

Questions
Pour quelle raison le droit international privé européen ne trouve-t-il pas à s’appliquer en
l’espèce ?
Quelle est la règle de conflit applicable selon la Cour de cassation ?

Doc. 14. Cass. civ. 1re, 16 janvier 1861, publié au Bulletin

Attendu que si le statut personnel dont la loi civile française assure les effets aux Français résidant en
pays étranger, peut, par réciprocité, être invoqué par les étrangers résidant en France, il convient
d'apporter à l'application du statut étranger des restrictions et des tempéraments sans lesquels il y aurait
danger incessant d'erreur ou de surprise au préjudice des Français ;

Que si, en principe, on doit connaître la capacité de celui avec qui l'on contracte, cette règle ne peut être
aussi strictement et aussi rigoureusement appliquée à l'égard des étrangers contractants en France ;

Qu'en effet, la capacité civile peut être facilement vérifiée quand il s'agit de transactions entre Français,
mais qu'il en est autrement quand elles ont lieu en France entre Français et étrangers ;

24
Que, dans ce cas, le Français ne peut être tenu de connaître les lois des diverses nations de leurs
dispositions concernant notamment la minorité, la majorité et l'étendue des engagements qui peuvent
être pris par les étrangers dans la mesure de leur capacité civile ; qu'il suffit alors, pour la validité du
contrat, que le Français ait traité sans légèreté, sans imprudence et avec bonne foi ;

Attendu, en fait, qu'il n'est pas établi que les défenseurs éventuels aient connu la qualité d'étranger du
demandeur quand ils ont traité avec lui ; qu'il résulte des déclarations de l'arrêt attaqué qu'en lui faisant
diverses ventes d'objets mobiliers de leur commerce, ils ont agi avec une entière bonne foi ; que le prix
de ces ventes, quoique assez élevé, n'était pourtant point hors de proportion avec la fortune de Lizardi ;
que ces fournitures lui ont été faites en présence de sa famille et sans aucune opposition de la part de
celle-ci ; que les objets vendus ont même profité en partie au demandeur, et que rien n'a pu faire
pressentir aux défendeurs éventuels que Lizardi, quoique âgé alors de plus de 22 ans, était cependant
encore mineur d'après les lois de son pays ;

Que ces faits constatés par l'arrêt expliquent suffisamment le maintien des engagements pris par Lizardi
vis-à-vis des défendeurs éventuels, et qu'aucune loi n'a été violée en le décidant ainsi :

Rejette.

Questions
A quelle règle de droit international privé le présent arrêt apporte-t-il un tempérament ? quelle
est la teneur de ce tempérament ?
Ce tempérament connaît-il un équivalent en droit international privé européen ?

c. Cas pratique séance 2

La société française Sortez Masqués, dont le siège social se situe à Annecy, commande auprès d’une
société turque de textile de grandes quantités de tissus pour confectionner des masques qu’elle vendra
sur le territoire français. La société turque les présente comme étant anti-transpirants, même portés 4h
d’affilée. Le contrat prévoyait que la livraison devait s’effectuer en Suisse, où la société turque disposait
d’un entrepôt de stockage pour ses livraisons en Europe.
A réception des marchandises, la société française constate que le tissu est de mauvaise qualité et
commence à douter du fait qu’il empêche effectivement la transpiration lorsqu’il est porté sur le visage.
A l’issu d’un simple essai, la non-conformité se confirme et la société française décide de saisir le
Tribunal de commerce d’Annecy.
Devant le Tribunal, la société turque soulève une exception d’incompétence en arguant de l’existence
d’une clause attributive de juridiction contenue dans le code de conduite de sa société qu’elle met à
disposition de tous ces contractants en ligne. Cette clause, rédigée en langue turque, désigne les juges
turcs. Elle soutient que, quand bien même il n’y a été fait aucune référence dans les documents échangés
entre les parties, elle devrait tout de même conduire à désigner les juridictions turques.
A l’aune de ces éléments, déterminez si la société française peut saisir le Tribunal de commerce
d’Annecy.

Séance 3
L’omniprésence des règles de source internationale
(l’exemple du contrat international)

25
Lectures :

M. Audit, « L’interprétation autonome du droit international privé communautaire », JDI, n°3, juillet
2004, doctr. 100025.

G. Cuniberti, « La Lex Mercatoria au XXIe siècle - . - Une analyse empirique et économique », JDI,
n° 3, Juillet 2016, doctr. 6

E. Gaillard, « Trente ans de Lex Mercatoria Pour une application sélective de la méthode des principes
généraux du droit », JDI, 1995, n° 1, p. 5.

Exercice :

Commentez le Doc 3. Cass. com., 16 janvier 2019, 17-21.477 (la réponse de la Cour de cassation au
premier moyen).

PLAN DE LA SEANCE

I. LES REGLEMENTS EUROPEENS

Doc. 1. CJUE, C-59/19, Arrêt de la Cour, Wikingerhof GmbH & Co. KG contre Booking.com BV, 24
novembre 2020
Doc. 2. CJUE, 19 décembre 2013, Corman-Collins, aff. C-9/12

II. LES CONVENTIONS INTERNATIONALES

Doc 3. Cass. com., 16 janvier 2019, 17-21.477, publié au Bulletin, spéc. second moyen
Doc. 4. Cass. civ. 1re 13 février 2013, 10-24.850.

III. LEX MERCATORIA ET REGLES A-NATIONALES

Doc. 5. Cass. civ. 1re, 22 octobre 1991, 89-21.528, publié au Bulletin


Doc. 6. Extrait de la sentence CCI n°14748 (2009), JDI 2016, chron. 3, obs. B. Derains
Doc. 7. Cass. civ. 1re, 14 juin 1994, n° 92-17.075, 1er moyen

I. LES REGLEMENTS EUROPEENS

26
Doc. 1. CJUE, C-59/19, Arrêt de la Cour, Wikingerhof GmbH & Co. KG contre
Booking.com BV, 24 novembre 2020

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, point 2,


du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du
12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).
2Cettedemande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wikingerhof
GmbH & Co. KG, une société de droit allemand exploitant un hôtel dans le Land de
Schleswig-Holstein (Allemagne), à Booking.com BV, une société de droit
néerlandais ayant son siège aux Pays-Bas et exploitant une plate-forme de
réservations d’hébergement, au sujet de certaines pratiques de cette dernière société
dont Wikingerhof allègue qu’elles sont constitutives d’abus de position dominante.
Le cadre juridique

3Les considérants 15, 16 et 34 du règlement no 1215/2012 sont libellés comme suit :


« (15)Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler
autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait
toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou
l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes
morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la
transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.
(16)Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison
du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration
de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la
possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne
pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges
concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux
droits de la personnalité, notamment la diffamation.
[...]
(34)Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant
la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO
1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à
l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention], le règlement (CE) no 44/2001
[du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance
et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] et le
présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité
doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union
européenne de [cette] convention [...] et des règlements qui la remplacent. »
4Le chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulé « Compétence », contient
notamment une section 1, intitulée « Dispositions générales », et une section 2,
intitulée « Compétences spéciales ». L’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, qui
figure sous cette section 1, dispose :

27
« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un
État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de
cet État membre. »
5L’article
7 du règlement no 1215/2012, qui figure sous la section 2 du chapitre II de
ce règlement, est libellé comme suit :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans
un autre État membre :
[...]
1)a)en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert
de base à la demande ;
[...]
2)en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait
dommageable s’est produit ou risque de se produire ;
[...] »
6Figurantdans la section 7 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée
« Prorogation de compétence », l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une
juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou
à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont
compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est
entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle

7Au cours du mois de mars 2009, Wikingerhof a conclu avec Booking.com un contrat
type fourni par cette dernière, dans lequel il est notamment prévu ce qui suit :
« Conditions générales
L’hôtel déclare avoir reçu une copie de la version 0208 des conditions générales [...]
de Booking.com. Celles-ci se trouvent en ligne sur le site de Booking.com [...]
L’hôtel confirme avoir lu les conditions, les avoir comprises et y souscrire. Les
conditions font partie intégrante de ce contrat [...] »
8Par la suite, Booking.com a modifié plusieurs fois ses conditions générales,
accessibles sur l’Extranet de cette société, système grâce auquel les informations
relatives à l’hôtel peuvent être actualisées et les données concernant les réservations
consultées.
9Wikingerhof a contesté par écrit l’inclusion dans le contrat qui la liait à
Booking.com d’une nouvelle version des conditions générales que cette dernière
société avait portée à la connaissance de ses partenaires contractuels le 25 juin 2015.
Elle a estimé qu’elle n’avait pas eu d’autre choix que de conclure ledit contrat en

28
raison de la position de force détenue par Booking.com sur le marché des services
d’intermédiaires et des portails de réservations d’hébergement, même si certaines
pratiques de Booking.com sont inéquitables et donc contraires au droit de la
concurrence.
10Devant le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel, Allemagne), Wikingerhof a
introduit une action visant à ce qu’il soit interdit à Booking.com d’apposer au prix
indiqué par Wikingerhof, sans le consentement de cette dernière, la mention « prix
plus avantageux » ou « prix réduit » sur la plate-forme de réservations
d’hébergement, de la priver de l’accès aux données de contact que ses partenaires
contractuels fournissent sur cette plate-forme et, enfin, de faire dépendre le
positionnement de l’hôtel qu’elle exploite, lorsque des demandes de recherches
sont formulées, de l’octroi d’une commission excédant 15 %.
11Booking.com a excipé de l’incompétence territoriale et internationale du
Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel) dans la mesure où il existe une
convention attributive de juridiction dans le contrat conclu avec Wikingerhof, selon
laquelle les tribunaux d’Amsterdam (Pays-Bas) sont territorialement compétents
pour connaître des litiges nés de ce contrat.
12Le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel)a jugé qu’il ne pouvait connaître de
l’action de Wikingerhof en raison de l’absence de compétence territoriale et
internationale. Ce jugement a été confirmé en appel par un arrêt de
l’Oberlandesgericht Schleswig (tribunal régional supérieur de Schleswig,
Allemagne), selon lequel ni la compétence du tribunal du lieu d’exécution de
l’obligation contractuelle, en vertu de l’article 7, point 1, du règlement
no 1215/2012, ni la compétence du tribunal du lieu du fait dommageable en matière
délictuelle ou quasi délictuelle, en vertu de l’article 7, point 2, de ce règlement,
n’était établie en l’espèce.
13Wikingerhof a introduit contre cet arrêt un pourvoi en Revision devant le
Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).
14Cette juridiction relève que la question de l’incidence éventuelle sur la compétence
des juridictions allemandes saisies par Wikingerhof de la convention attributive de
juridiction invoquée par Booking.com ne se pose pas, faute pour cette convention
d’avoir été valablement conclue conformément aux exigences découlant de
l’article 25 du règlement no 1215/2012.
15En l’occurrence, le pourvoi en Revision est motivé par le fait que le juge d’appel
aurait commis une erreur en considérant que l’action dont il se trouvait saisi ne
relevait pas de sa compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens
de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.
16Selon la juridiction de renvoi, qui se réfère à l’arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-
Lithuanian Airlines (C-27/17, EU:C:2018:533), une action relève de la matière
délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement
no 1215/2012, lorsque l’objet de celle-ci est la mise en jeu de la responsabilité civile
ou l’obtention d’injonctions d’interdiction reposant sur le fait que les agissements

29
critiqués relèvent d’un abus de position dominante. Un tel abus de position
dominante pourrait résulter du fait de subordonner la conclusion d’un contrat à
l’acceptation de conditions de transaction inéquitables.
17Cettejuridiction est encline à considérer que l’affaire au principal relève de la
matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement
no 1215/2012, dans la mesure où Wikingerhof n’a accepté de signer les conditions
du contrat en cause qu’elle juge inéquitables qu’en raison de la position dominante
de Booking.com et n’y a donc pas consenti librement. Ainsi, le litige au principal
n’impliquerait pas uniquement une question d’interprétation de ce contrat, mais
soulèverait également le point de savoir si l’imposition de certaines conditions
contractuelles par une entreprise supposée être en position dominante doit être
considérée comme abusive et donc contraire aux règles du droit de la concurrence.
18Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de
surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 7, point 2, du [règlement no 1215/2012] doit-il se comprendre comme
admettant que la compétence du lieu du fait dommageable peut s’appliquer en cas
d’action visant à faire cesser certains agissements, s’il est possible que les
agissements critiqués soient couverts par des règles contractuelles mais que la
demanderesse fait valoir que ces règles reposent sur un abus de position dominante
de la part de la défenderesse ? »
Sur la question préjudicielle

19Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7,


point 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique
à une action visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre
de la relation contractuelle liant le demandeur au défendeur et fondée sur une
allégation d’abus de position dominante commis par ce dernier, en violation du
droit de la concurrence.
20À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément au considérant 34 du
règlement no 1215/2012, celui-ci abroge et remplace le règlement no 44/2001, qui
a lui-même remplacé la convention du 27 septembre 1968 concernant la
compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale, telle que modifiée par les conventions successives relatives à
l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention. Partant, l’interprétation
fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces derniers instruments
juridiques vaut également pour celles du règlement no 1215/2012 lorsque ces
dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes ». Tel est le cas de l’article 5,
point 3, de cette convention et du règlement no 44/2001, d’une part, et de l’article 7,
point 2, du règlement no 1215/2012, d’autre part (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet
2020, Verein für Konsumenteninformation, C-343/19, EU:C:2020:534, point 22).

30
21Tandis que l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 établit la
compétence générale des juridictions de l’État membre du défendeur, l’article 7,
point 1, et l’article 7, point 2, de ce règlement prévoient des compétences spéciales
en matière contractuelle et en matière délictuelle ou quasi délictuelle, permettant
au demandeur de porter son action devant des juridictions d’autres États membres.
22Ainsi,pour les actions relevant de la première catégorie, l’article 7, point 1, dudit
règlement permet au demandeur de saisir la juridiction du lieu d’exécution de
l’obligation qui sert de base à la demande, tandis que, pour les actions relevant de
la seconde catégorie, l’article 7, point 2, du même règlement prévoit qu’elles
peuvent être portées devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est
produit ou risque de se produire.
23Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « matière délictuelle ou
quasi délictuelle », au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012,
comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur
et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle, au sens de l’article 7, point 1,
sous a), de ce règlement (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988,
Kalfelis, 189/87, EU:C:1988:459, point 18, et du 12 septembre 2018,
Löber, C-304/17, EU:C:2018:701, point 19), à savoir qu’elle n’est pas fondée sur
une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre
(arrêt du 20 janvier 2005, Engler, C-27/02, EU:C:2005:33, point 51).
24En l’occurrence, l’attribution de la compétence pour connaître de l’affaire au
principal à la juridiction saisie par Wikingerhof dépend précisément de la
distinction à effectuer entre, d’une part, la matière délictuelle ou quasi délictuelle,
au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, et, d’autre part, la
matière contractuelle, au sens de l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement. En
effet, il ressort de la décision de renvoi que, si la demande formulée par
Wikingerhof devait relever de la matière contractuelle et pouvait, partant, être
introduite au lieu où l’obligation qui sert de base à cette demande a été ou doit être
exécutée, la juridiction saisie ne serait pas compétente pour en connaître.
25Selon une jurisprudence constante de la Cour, les deux règles de compétence
spéciale prévues auxdites dispositions doivent faire l’objet d’une interprétation
autonome, en se référant au système et aux objectifs du règlement n o 1215/2012,
en vue d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres
(voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, EU:C:1988:459,
point 16 ; du 17 septembre 2002, Tacconi, C-334/00, EU:C:2002:499, point 19, et
du 18 juillet 2013, ÖFAB, C-147/12, EU:C:2013:490, point 27). Cette exigence,
qui vaut notamment pour la délimitation des champs d’application respectifs de ces
deux règles, implique que les notions de « matière contractuelle » et de « matière
délictuelle ou quasi délictuelle » ne sauraient être comprises comme renvoyant à la
qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause
devant la juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2014,
Brogsitter, C-548/12, EU:C:2014:148, point 18).

31
26En ce qui concerne, en premier lieu, le système du règlement no 1215/2012, celui-
ci repose sur la règle générale de la compétence des juridictions de l’État membre
du domicile du défendeur, alors que les règles de compétence spéciale prévues
notamment à l’article 7 de celui-ci constituent des dérogations à cette règle
générale et, en tant que telles, sont d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du
27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, EU:C:1988:459, point 19) et s’excluent
mutuellement dans l’application de ce règlement.
27Dans le même temps, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au
point 87 de ses conclusions, ledit système est caractérisé par la possibilité qu’il
confère au demandeur de se prévaloir de l’une des règles de compétence spéciale
prévues par ledit règlement.
28S’agissant, en second lieu, des objectifs du règlement no 1215/2012, il ressort du
considérant 16 de ce règlement que les règles de compétence spéciale dont le
demandeur peut se prévaloir au titre, d’une part, de l’article 7, point 1, dudit
règlement et, d’autre part, de l’article 7, point 2, de celui-ci ont été introduites en
considération de l’existence, dans les matières que ces dispositions visent, d’un lien
de rattachement particulièrement étroit entre une demande et la juridiction qui peut
être appelée à en connaître ou en vue de faciliter la bonne administration de la
justice (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018,
Feniks, C-337/17, EU:C:2018:805, point 36).
29Ily a donc lieu de considérer que l’applicabilité soit de l’article 7, point 1, du
règlement no 1215/2012, soit de l’article 7, point 2, de celui-ci dépend, d’une part,
du choix du demandeur de se prévaloir ou non de l’une de ces règles de compétence
spéciale et, d’autre part, de l’examen, par la juridiction saisie, des conditions
spécifiques prévues par ces dispositions.
30À cet égard, lorsqu’un demandeur se prévaut de l’une desdites règles, il est
nécessaire pour la juridiction saisie de vérifier si les prétentions du demandeur sont,
indépendamment de leur qualification en droit national, de nature contractuelle ou,
au contraire, de nature délictuelle ou quasi délictuelle, au sens dudit règlement.
31En particulier, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 90 de ses
conclusions, la juridiction saisie doit procéder au rattachement à la matière
contractuelle, au sens de l’article 7, point 1, du règlement no 1215/2012, ou à la
matière délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, de ce règlement, d’une demande
formulée entre parties contractantes par rapport à l’obligation, contractuelle ou
délictuelle ou quasi délictuelle, lui servant de cause (voir, en ce sens, arrêt du
13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12, EU:C:2014:148, point 26).
32Ainsi, une action relève de la matière contractuelle, au sens de l’article 7, point 1,
sous a), du règlement no 1215/2012, si l’interprétation du contrat qui lie le
défendeur au demandeur apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou,
au contraire, illicite du comportement reproché au premier par le second (voir, en
ce sens, arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12, EU:C:2014:148, point 25).
Tel est notamment le cas d’une action dont le fondement repose sur les stipulations

32
d’un contrat ou sur des règles de droit qui sont applicables en raison de ce contrat
(voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie
e.a., C-47/14, EU:C:2015:574, point 53, ainsi que du 15 juin 2017,
Kareda, C-249/16, EU:C:2017:472, points 30 à 33).
33En revanche, lorsque le demandeur invoque, dans sa requête, les règles de la
responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, à savoir la violation d’une obligation
imposée par la loi, et qu’il n’apparaît pas indispensable d’examiner le contenu du
contrat conclu avec le défendeur pour apprécier le caractère licite ou illicite du
comportement reproché à ce dernier, cette obligation s’imposant au défendeur
indépendamment de ce contrat, la cause de l’action relève de la matière délictuelle
ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.
34En l’occurrence, Wikingerhof se prévaut, dans sa requête, d’une violation du droit
de la concurrence allemand, qui prévoit une interdiction générale de commettre un
abus de position dominante, indépendante de tout contrat ou autre engagement
volontaire. Concrètement, elle estime qu’elle n’a pas eu d’autre choix que de
conclure le contrat en cause et de subir l’effet des modifications ultérieures des
conditions générales de Booking.com en raison de la position de force détenue par
cette dernière sur le marché pertinent, alors même que certaines pratiques de
Booking.com sont inéquitables.
35Ainsi, la question de droit au cœur de l’affaire au principal est celle de savoir si
Booking.com a commis un abus de position dominante, au sens dudit droit de la
concurrence. Or, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 122 et 123 de
ses conclusions, pour déterminer le caractère licite ou illicite au regard de ce droit
des pratiques reprochées à Booking.com, il n’est pas indispensable d’interpréter le
contrat liant les parties au principal, une telle interprétation étant tout au plus
nécessaire afin d’établir la matérialité desdites pratiques.
36Ily a donc lieu de considérer que, sous réserve d’une vérification par la juridiction
de renvoi, l’action de Wikingerhof, en ce qu’elle est fondée sur l’obligation légale
de s’abstenir de tout abus de position dominante, relève de la matière délictuelle
ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.
37Cette interprétation est conforme aux objectifs de proximité et de bonne
administration de la justice poursuivis par ce règlement, visés par le considérant 16
de celui-ci et rappelés au point 28 du présent arrêt. En effet, le juge compétent au
titre de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, à savoir, dans les
circonstances en cause au principal, celui du marché affecté par le comportement
anticoncurrentiel allégué, est le plus apte à statuer sur la question principale du
bien-fondé de cette allégation, et cela notamment en termes de collecte et
d’évaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard (voir, par analogie,
arrêts du 29 juillet 2019, Tibor-Trans, C-451/18, EU:C:2019:635, point 34, et du
9 juillet 2020, Verein für Konsumenteninformation, C-343/19, EU:C:2020:534,
point 38).

33
38Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à
la question posée que l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 doit être
interprété en ce sens qu’il s’applique à une action visant à faire cesser certains
agissements mis en œuvre dans le cadre de la relation contractuelle liant le
demandeur au défendeur et fondée sur une allégation d’abus de position dominante
commis par ce dernier, en violation du droit de la concurrence.
Sur les dépens

39La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident
soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les
dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que
ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et
du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une action visant à faire cesser
certains agissements mis en œuvre dans le cadre de la relation contractuelle
liant le demandeur au défendeur et fondée sur une allégation d’abus de position
dominante commis par ce dernier, en violation du droit de la concurrence.
Signatures

Doc. 2. CJUE, 19 décembre 2013, Corman-Collins, aff. C-9/12

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 5, point 1, sous a) et b), du
règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après
le «règlement»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Corman-Collins SA (ci-après «Corman-
Collins»), établie en Belgique, à La Maison du Whisky SA (ci-après «La Maison du Whisky»), établie en
France, au sujet d’une demande d’indemnisation en raison de la résiliation d’un contrat de concession de
vente de marchandises qui aurait lié ces sociétés.

34
Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 2 du règlement, qui figure à la section 1, intitulée «Dispositions générales», du chapitre II de ce


dernier, relatif aux règles de compétence, énonce, à son paragraphe 1, le principe selon lequel, «[s]ous
réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre
sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre».

4 L’article 3 du règlement, qui fait également partie de la section 1 du chapitre II de ce dernier, précise:

«1. Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les
tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.

2. Ne peuvent être invoquées contre elles notamment les règles de compétence nationales figurant à
l’annexe I.»

5 Aux termes de l’article 5 du règlement, qui figure à la section 2, intitulée «Compétences spéciales», du
chapitre II de ce dernier:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande
a été ou doit être exécutée;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution
de l’obligation qui sert de base à la demande est:

– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les
marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les
services ont été ou auraient dû être fournis;

c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;

[...]»

Le droit belge

6 La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée
indéterminée (Moniteur belge du 5 octobre 1961, p. 7518), telle que modifiée par la loi du 13 avril 1971
relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente (Moniteur belge du 21 avril 1971, p. 4996,
ci-après la «loi belge du 27 juillet 1961»), définit la «concession de vente», à son article 1er, paragraphe 2,
comme étant «toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs
concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu’il
fabrique ou distribue.»

7 L’article 4 de cette loi prévoit:

«Le concessionnaire lésé, lors d’une résiliation d’une concession de vente produisant ses effets dans tout
ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner le concédant, en Belgique, soit devant le juge de son
propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant.

Dans le cas où le litige est porté devant un tribunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi belge.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Corman-Collins et La Maison du Whisky ont entretenu pendant une dizaine d’années des relations
commerciales dans le cadre desquelles la première achetait auprès de la seconde des whiskys de diverses
marques, dont elle prenait livraison en France, pour les revendre en Belgique.

35
9 Pendant toute cette période, Corman-Collins a fait usage de l’appellation «Maison du Whisky Belgique» et
d’un site Internet dénommé «www.whisky.be», sans que cette utilisation suscite de réaction de la part de La
Maison du Whisky. En outre, les coordonnées de Corman-Collins étaient mentionnées dans la revue Whisky
Magazine, éditée par une filiale de La Maison du Whisky.

10 Au mois de décembre 2010, La Maison du Whisky a interdit à Corman-Collins d’utiliser l’appellation «Maison
du Whisky Belgique» et a fermé le site www.whisky.be. Au mois de février 2011, elle a informé Corman-
Collins que, à partir respectivement du 1er avril et du 1er septembre 2011, elle confierait la distribution
exclusive de deux marques de ses produits à une autre société, par l’intermédiaire de laquelle Corman-
Collins était désormais invitée à passer ses commandes.

11 Corman-Collins a attrait La Maison du Whisky devant le tribunal de commerce de Verviers aux fins, à titre
principal, de la faire condamner, sur le fondement de la loi belge du 27 juillet 1961, au paiement d’une
indemnité compensatoire de préavis et d’une indemnité complémentaire.

12 La Maison du Whisky a contesté la compétence territoriale du tribunal saisi, au motif que les tribunaux
français seraient compétents en application de l’article 2 du règlement. Corman-Collins a répliqué à cette
objection en invoquant l’article 4 de ladite loi belge.

13 À cet égard, les parties au principal s’opposent au sujet de la qualification à donner à leurs relations
commerciales. Corman-Collins soutient qu’il s’agissait d’un contrat de concession, tandis que La Maison du
Whisky fait valoir qu’il s’agissait de simples contrats d’achat et de vente, conclus sur la base de commandes
hebdomadaires, en fonction des souhaits émis par Corman-Collins.

14 Dans la décision de renvoi, le tribunal de commerce de Verviers constate, de façon expresse, que Corman-
Collins et La Maison du Whisky «étaient liées par un contrat oral» et que, «en vertu de [...] la loi belge du
27 juillet 1961, la relation juridique entre les parties peut s’analyser comme un contrat de concession de
vente, dans la mesure où la demanderesse était autorisée à revendre sur le territoire belge les produits
achetés auprès de la défenderesse».

15 En revanche, cette juridiction éprouve des doutes quant à la possibilité de fonder sa compétence sur la règle
prévue à l’article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961. Elle relève que, en vertu de l’article 2 du règlement, qui,
selon elle, est applicable aux faits de l’espèce, les juridictions françaises devraient être compétentes, mais
qu’il pourrait aussi être fait application de l’article 5, point 1, de ce même règlement. À cet égard, elle
s’interroge, au vu de la jurisprudence de la Cour, sur le point de savoir si un contrat de concession de vente
doit être qualifié de contrat de vente de marchandises et/ou de contrat de prestation de services, au sens
de l’article 5, point 1, sous b), du règlement. Elle ajoute que, si aucune de ces qualifications ne pouvait être
retenue pour un tel type de contrat, il conviendrait alors de déterminer quelle est, dans le litige au principal,
l’obligation litigieuse servant de base à la demande, au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement.

16 Compte tenu de ces considérations, le tribunal de commerce de Verviers a décidé de surseoir à statuer et
de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 2 du règlement [...], éventuellement combiné avec l’article 5, paragraphe 1, sous a) ou b),
doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle de compétence, telle que celle contenue
à l’article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961, qui prévoit la compétence des juridictions belges, lorsque
le concessionnaire est établi sur le territoire belge et lorsque la concession de vente produit tout ou
partie de ses effets sur ce même territoire, indépendamment du lieu d’établissement du concédant,
lorsque ce dernier est défendeur?

2) L’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement [...] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique à
un contrat de concession de vente de marchandises, en vertu duquel une partie achète des produits
à une autre, en vue de leur revente sur le territoire d’un autre État membre?

3) En cas de réponse négative à cette question, l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement [...] doit-
il être interprété en ce sens qu’il vise un contrat de concession de vente, tel que celui en cause entre
les parties?

4) En cas de réponse négative aux deux questions précédentes, l’obligation litigieuse en cas de rupture
d’un contrat de concession de vente est-elle celle du vendeur-concédant ou celle de l’acheteur-
concessionnaire?»

Sur les questions préjudicielles

36
Sur la première question

17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions du règlement
s’opposent à l’application, dans l’hypothèse où le concédant défendeur au litige a son domicile dans un État
membre autre que celui dans lequel siège la juridiction saisie, d’une règle de compétence nationale telle
que celle figurant à l’article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961, qui confère compétence aux juridictions
nationales pour connaître d’un litige relatif à la résiliation d’une concession de vente dès lors que le
concessionnaire est établi sur le territoire national.

18 S’agissant, en premier lieu, du champ d’application du règlement, il ressort du considérant 2 de ce dernier


qu’il vise, notamment, à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale, étant
précisé que, selon une jurisprudence établie de la Cour, l’application de ces règles requiert que le litige
présente un élément d’extranéité (voir, notamment, arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C-327/10,
Rec. p. I-11543, point 29).

19 Conformément au considérant 8 du règlement, les règles communes qu’il édicte doivent s’appliquer, en
principe, lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre.

20 En ce qui concerne, en second lieu, les règles de compétence prévues par le règlement, la règle de
compétence générale posée par l’article 2 de celui-ci prévoit que, lorsque le défendeur est domicilié sur le
territoire d’un État membre, ce sont les juridictions de cet État qui sont compétentes.

21 L’article 3, paragraphe 1, du règlement précise que les seules dérogations admises à cette règle de principe
sont celles prévues par les règles de compétence énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre I de ce règlement.
Ledit article 3, paragraphe 1, exclut ainsi, implicitement, mais nécessairement, l’application des règles
nationales de compétence. Cette exclusion est confirmée par le paragraphe 2 de cet article 3, qui renvoie à
une liste non limitative de règles de compétence nationales qui ne peuvent être invoquées.

22 Il s’ensuit que, dès lors qu’un litige présentant un élément d’extranéité entre dans le champ d’application
matériel du règlement, ce qui n’est pas contesté en l’espèce, et que le défendeur a son domicile sur le
territoire d’un État membre, ce qui est le cas dans le litige au principal, les règles de compétence prévues
par le règlement doivent, en principe, recevoir application et prévaloir sur les règles nationales de
compétence.

23 Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la première question que l’article 2 du règlement doit être interprété
en ce sens que, lorsque le défendeur a son domicile dans un État membre autre que celui dans lequel siège
la juridiction saisie du litige, il s’oppose à l’application d’une règle de compétence nationale telle que celle
prévue à l’article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961.

Sur les deuxième et troisième questions

24 Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si
l’article 5, point 1, sous b), du règlement, qui vise les contrats de vente de marchandises et les contrats de
fourniture de services, est applicable à un contrat de concession de vente ou bien si, dans le cas d’un contrat
de ce type, c’est en application de l’article 5, point 1, sous a), du règlement que doit être déterminée la
juridiction compétente pour connaître d’une action fondée sur un tel contrat.

25 Afin de répondre aux questions posées, il convient, en premier lieu, de préciser la notion de contrat de
concession.

26 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 40 de ses conclusions, la notion de «contrat de concession
de vente», utilisée par la juridiction de renvoi dans ses questions préjudicielles, n’est pas définie dans le
droit de l’Union et est susceptible de renvoyer à des réalités différentes dans le droit des États membres.

27 Cependant, quelle que soit la variété des contrats de concession dans la pratique commerciale, les
obligations qu’ils prévoient s’articulent autour de la finalité de ce type de contrats, qui est d’assurer la
distribution des produits du concédant. À cet effet, le concédant s’engage à vendre au concessionnaire, qu’il
a sélectionné à cet effet, les marchandises dont ce dernier passera commande pour satisfaire la demande
de sa clientèle, tandis que le concessionnaire s’engage à acheter au concédant les marchandises dont il
aura besoin.

28 Selon une analyse largement admise dans le droit des États membres, le contrat de concession se présente
sous la forme d’un accord-cadre, qui établit les règles générales applicables à l’avenir aux rapports entre le

37
concédant et le concessionnaire quant à leurs obligations de fourniture et/ou d’approvisionnement et prépare
les contrats de vente subséquents. Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, il
est fréquent que les parties prévoient également des stipulations particulières concernant la distribution par
le concessionnaire des marchandises vendues par le concédant.

29 C’est en se référant à un contrat type comportant de tels engagements qu’il y a lieu de répondre aux
deuxième et troisième questions en tant qu’elles portent sur l’application à un contrat de concession de
l’article 5, point 1, du règlement, étant précisé à cet égard que, selon la séparation des fonctions entre les
juridictions nationales et la Cour sur laquelle est fondée la procédure visée à l’article 267 TFUE, toute
appréciation des faits relève de la compétence du juge national (voir, notamment, ordonnance du
14 novembre 2013, Krejci Lager & Umschlagbetrieb, C-469/12, point 29 et jurisprudence citée).

30 En ce qui concerne, en second lieu, la détermination de la juridiction compétente pour connaître d’un litige
fondé sur un contrat de concession au sens précisé ci-dessus, il convient de rappeler, à titre liminaire, que
les notions employées par le règlement doivent, en principe, être interprétées de façon autonome, en se
référant principalement au système et aux objectifs de celui-ci, en vue d’en assurer l’application uniforme
dans tous les États membres (voir, notamment, arrêt du 14 mars 2013, Česká spořitelna, C-419/11,
point 25).

31 S’agissant de la règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, point 1, du règlement en matière


contractuelle, qui complète la règle de compétence de principe du for du domicile du défendeur, la Cour a
jugé qu’elle répond à un objectif de proximité et est motivée par le lien de rattachement étroit entre le contrat
et le tribunal appelé à en connaître (arrêt du 11 mars 2010, Wood Floor Solutions Andreas Domberger,
C-19/09, Rec. p. I-2121, point 22 et jurisprudence citée).

32 La Cour a également relevé, en ce qui concerne le lieu d’exécution des obligations découlant de contrats de
vente de marchandises, que le règlement définit, à son article 5, point 1, sous b), premier tiret, de manière
autonome ce critère de rattachement, afin de renforcer les objectifs d’unification des règles de compétence
judiciaire et de prévisibilité (arrêt Wood Floor Solutions Andreas Domberger, précité, point 23 et
jurisprudence citée). Ces objectifs sont également ceux de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du
règlement, dès lors que les règles de compétence spéciale prévues par ce dernier en matière de contrats
de vente de marchandises et de fourniture de services ont la même genèse, poursuivent la même finalité et
occupent la même place dans le système établi par ce règlement (arrêt précité Wood Floor Solutions
Andreas Domberger, point 26 et jurisprudence citée).

33 C’est en tenant compte de ces objectifs qu’il convient de rechercher si un contrat de concession entre dans
l’une des deux catégories de contrats visées à l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement.

34 À cet égard, la Cour a indiqué que, aux fins de qualifier un contrat au regard de cette disposition, il y a lieu
de se fonder sur l’obligation caractéristique du contrat en cause (arrêt du 25 février 2010, Car Trim,
C-381/08, Rec. p. I-1255, points 31 et 32).

35 La Cour a ainsi considéré qu’un contrat dont l’obligation caractéristique est la livraison d’un bien doit être
qualifié de «vente de marchandises» au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement (arrêt
Car Trim, précité, point 32).

36 Une telle qualification peut trouver à s’appliquer à une relation commerciale durable entre deux opérateurs
économiques, lorsque cette relation se limite à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison
et l’enlèvement de marchandises. En revanche, elle ne correspond pas à l’économie d’un contrat de
concession typique, caractérisé par un accord-cadre ayant pour objet un engagement de fourniture et
d’approvisionnement conclu pour l’avenir par deux opérateurs économiques, comportant des stipulations
contractuelles spécifiques quant à la distribution par le concessionnaire des marchandises vendues par le
concédant.

37 Quant au point de savoir si un contrat de concession peut être qualifié de contrat de «fourniture de services»
au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement, il convient de rappeler que, selon la
définition donnée par la Cour, la notion de «services» au sens de cette disposition implique, pour le moins,
que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (arrêt du
23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C-533/07, Rec. p. I-3327, point 29).

38 En ce qui concerne le premier critère figurant dans cette définition, à savoir l’existence d’une activité, il ressort
de la jurisprudence de la Cour qu’il requiert l’accomplissement d’actes positifs, à l’exclusion de simples
abstentions (voir, en ce sens, arrêt Falco Privatstiftung et Rabitsch, précité, points 29 à 31). Ce critère
correspond, dans le cas d’un contrat de concession, à la prestation caractéristique fournie par le

38
concessionnaire qui, en assurant la distribution des produits du concédant, participe au développement de
leur diffusion. Grâce à la garantie d’approvisionnement dont il bénéficie en vertu du contrat de concession
et, le cas échéant, à sa participation à la stratégie commerciale du concédant, notamment aux opérations
promotionnelles, éléments dont la constatation relève de la compétence du juge national, le concessionnaire
est en mesure d’offrir aux clients des services et des avantages que ne peut offrir un simple revendeur et,
ainsi, de conquérir, au profit des produits du concédant, une plus grande part du marché local.

39 Quant au second critère, à savoir la rémunération accordée en contrepartie d’une activité, il convient de
souligner qu’il ne saurait être entendu au sens strict du versement d’une somme d’argent. Une telle
restriction n’est en effet ni commandée par le libellé très général de l’article 5, point 1, sous b), second tiret,
du règlement ni en harmonie avec les objectifs de proximité et d’uniformisation, rappelés aux points 30 à 32
du présent arrêt, que poursuit cette disposition.

40 À cet égard, il convient de prendre en considération le fait que le contrat de concession repose sur une
sélection du concessionnaire par le concédant. Cette sélection, élément caractéristique de ce type de
contrat, confère au concessionnaire un avantage concurrentiel en ce que celui-ci aura seul le droit de vendre
les produits du concédant sur un territoire déterminé ou, à tout le moins, en ce qu’un nombre limité de
concessionnaires bénéficieront de ce droit. En outre, le contrat de concession prévoit souvent une aide au
concessionnaire en matière d’accès aux supports de publicité, de transmission d’un savoir-faire au moyen
d’actions de formation, ou encore de facilités de paiements. L’ensemble de ces avantages, dont il incombe
au juge du fond de vérifier l’existence, représente, pour le concessionnaire, une valeur économique qui peut
être considérée comme étant constitutive d’une rémunération.

41 Il s’ensuit qu’un contrat de concession comportant les obligations typiques précisées aux points 27 et 28 du
présent arrêt peut être qualifié de contrat de fourniture de services aux fins de l’application de la règle de
compétence figurant à l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement.

42 Cette qualification exclut l’application à un contrat de concession de la règle de compétence prévue au


point a) dudit article 5, point 1. En effet, compte tenu de la hiérarchie établie entre le point a) et le point b)
par le point c) de cette disposition, la règle de compétence prévue à l’article 5, point 1, sous a), du règlement
n’a vocation à intervenir que de façon alternative et par défaut par rapport aux règles de compétence figurant
à l’article 5, point 1, sous b), de celui-ci.

43 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que
l’article 5, point 1, sous b), du règlement doit être interprété en ce sens que la règle de compétence édictée
au second tiret de cette disposition pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services trouve à
s’appliquer dans le cas d’une action judiciaire par laquelle un demandeur établi dans un État membre fait
valoir, à l’encontre d’un défendeur établi dans un autre État membre, des droits tirés d’un contrat de
concession, ce qui requiert que le contrat liant les parties comporte des stipulations particulières concernant
la distribution par le concessionnaire des marchandises vendues par le concédant. Il incombe au juge
national de vérifier si tel est le cas dans le litige dont il est saisi.

Sur la quatrième question

44 Par cette question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir quelle est, en cas de litige fondé
sur la rupture d’un contrat de concession de vente, l’obligation litigieuse qui sert de base à la demande.

45 Lue à la lumière de la motivation de la décision de renvoi, cette question porte ainsi sur l’interprétation de
l’article 5, point 1, sous a), du règlement.

46 Compte tenu de la réponse apportée aux deuxième et troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre à
cette question.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la
juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des
observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

39
1) L’article 2 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale, doit être interprété en ce sens que, lorsque le défendeur a son domicile dans
un État membre autre que celui dans lequel siège la juridiction saisie du litige, il s’oppose à
l’application d’une règle de compétence nationale telle que celle prévue à l’article 4 de la loi
du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à
durée indéterminée, telle que modifiée par la loi du 13 avril 1971 relative à la résiliation
unilatérale des concessions de vente.

2) L’article 5, point 1, sous b), du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que la règle
de compétence édictée au second tiret de cette disposition pour les litiges relatifs aux
contrats de fourniture de services trouve à s’appliquer dans le cas d’une action judiciaire par
laquelle un demandeur établi dans un État membre fait valoir, à l’encontre d’un défendeur
établi dans un autre État membre, des droits tirés d’un contrat de concession, ce qui requiert
que le contrat liant les parties comporte des stipulations particulières concernant la
distribution par le concessionnaire des marchandises vendues par le concédant. Il incombe
au juge national de vérifier si tel est le cas dans le litige dont il est saisi.

II. LES CONVENTIONS INTERNATIONALES

Doc 3. Cass. com., 16 janvier 2019, 17-21.477, publié au Bulletin, spéc. second moyen

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Edilfibro que sur le pourvoi incident relevé
par la société Bois et matériaux ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 17 mars 2003, la société Vallade Delage a confié la réalisation de
travaux de charpente à la société Boulesteix, devenue la société Arbre construction ; que cette dernière
s'est approvisionnée en plaques de couverture auprès de la société Wolseley France bois matériaux,
devenue la société Bois et matériaux, laquelle s'est elle-même fournie auprès de la société de droit italien
Edilfibro, fabricante ; que les plaques ont été livrées le 31 décembre 2003 ; que les 22, 24 et 29 juillet
2015, la société Vallade Delage, se plaignant d'infiltrations, a assigné en résolution de la vente, sur le
fondement de la garantie des vices cachés, les sociétés Arbre construction, Bois et matériaux et Edilfibro
; que par un jugement du 24 février 2016, le tribunal, après avoir écarté les demandes dirigées contre les
sociétés Bois et matériaux et Edilfibro, a condamné la société Arbre construction à payer diverses
sommes à la société Vallade Delage ; que, de ce dernier chef, le jugement est devenu irrévocable par
suite du désistement d'appel de la société Arbre construction, l'arrêt attaqué ne se prononçant que sur les
demandes en garantie formées par cette dernière société contre les sociétés Bois et matériaux et Edilfibro
;

Sur le second moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Edilfibro fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action directe de la société
Arbre construction alors, selon le moyen, que la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente
internationale de marchandises s'applique aux contrats de vente de marchandises entre les parties ayant
leur établissement dans deux Etats contractants différents ; qu'elle régit exclusivement la formation du
contrat de vente et les droits et obligations qu'un tel contrat fait naître entre le vendeur et l'acheteur ;
qu'il s'ensuit que lorsque la relation contractuelle entre un fabricant et un négociant de matériaux relève
de cette convention, l'entrepreneur condamné à indemniser le maître de l'ouvrage ne peut exercer
d'action directe à l'encontre du fabricant ; qu'en décidant que la société Arbre construction (ex société
Boulesteix) pouvait agir directement contre la société Edilfibro au motif que si la Convention de Vienne
du 4 avril 1980 régit exclusivement la formation du contrat de vente entre le vendeur (la société
Edilfibro) et l'acheteur, cette convention n'exclut pas l'application du droit français et l'action directe
d'un sous-acquéreur à l'encontre du vendeur, la cour d'appel a violé les articles 1 et 4 de la Convention
de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 7 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de
vente internationale de marchandises que les questions concernant les matières régies par la Convention

40
et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle
s'inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit
international privé ; qu'ayant énoncé que la Convention de Vienne régit exclusivement la formation du
contrat de vente entre le vendeur et l'acheteur, la cour d'appel en a exactement déduit que la loi française,
dont l'application n'a pas été contestée, qui régit l'action directe d'un sous-acquéreur contre le vendeur
devait s'appliquer, de sorte que la société Arbre construction était recevable à agir directement contre la
société Edilfibro ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais, sur le premier moyen du pourvoi principal, qui est recevable, et sur le moyen unique du pourvoi
incident, réunis :

Vu les articles 1648 du code civil et L. 110-4 du code de commerce ;

Attendu que pour déclarer non prescrites les demandes formées par la société Arbre construction contre
les sociétés Bois et matériaux et Edilfibro, l'arrêt retient que le recours de la société Arbre construction
contre la société Bois et matériaux, vendeur des plaques, est fondé sur les dispositions des articles 1641
et suivants du code civil, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les dispositions de l'article L. 110-4 du
code de commerce ; qu'il retient encore qu'en application de l'article 1648 du code civil, l'action résultant
des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la
découverte du vice, lequel a été révélé par le rapport d'expertise déposé le 1er juin 2015, de sorte que
l'action engagée par le maître de l'ouvrage en juillet 2015 n'est pas prescrite et que la demande de la
société Arbre construction est recevable ; qu'il en déduit que cette dernière doit être garantie par la
société Bois et matériaux ainsi que la société Edilfibro qui a fourni les plaques défectueuses ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans
les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article
L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale, ce dont il résultait que, les
plaques de couverture ayant été vendues et livrées en 2003, l'action engagée par la société Vallade
Delage le 29 juillet 2013, était prescrite, ce qui, peu important que la société Arbre construction se soit
désistée de son appel sur ce point, interdisait de déclarer recevables ses demandes en garantie dirigées
contre les sociétés Bois et matériaux et Edilfibro, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE […]

Doc. 4. Cass. civ. 1re 13 février 2013, 10-24.850.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, se plaignant de la défectuosité des sacs dont elle avait passé
commande auprès de la société Solodem, laquelle les avait ensuite commandés au fabricant suisse, la
société Codefine, la société Etablissements Pierre Bernard (EPB) les a assignées, en référé, puis au fond,
en indemnisation de son préjudice ; que, par un premier arrêt, du 12 janvier 2010, une cour d'appel,
faisant application de la loi suisse, a déclaré prescrite la demande de la société EPB contre la société
Codefine, et, faisant application de la loi française, a retenu la responsabilité de la société Solodem sur
le fondement de la garantie des vices cachés et, en conséquence, l'a condamnée à payer à la société EPB
une certaine somme à titre de dommages-intérêts, tout en l'invitant à préciser le fondement de sa
demande d'appel en garantie contre la société Codefine ; que, par un second arrêt, du 22 juin 2010, la
même cour d'appel, faisant là encore application de la loi suisse, désignée par la convention de la Haye,
du 15 juin 1955, sur la loi applicable aux ventes à caractère international de marchandises, en tant que
loi de résidence habituelle du vendeur lors de la réception de la commande, a retenu que la demande
d'appel en garantie formée par la société Solodem contre la société Codefine, sur le fondement des

41
articles 35 et 36 de la Convention de Vienne, du 11 avril 1980, sur les contrats de vente internationale
de marchandises, était prescrite ;

Attendu que, pour déclarer prescrite l'action en garantie de la société Solodem contre la société Codefine,
l'arrêt, après avoir indiqué que l'article 246 du code des obligations suisse prévoit que toute action en
garantie se prescrit par un an dès la livraison faite à l'acheteur, même si ce dernier n'a découvert les
défauts que plus tard, relève que, si la livraison avait eu lieu le 24 septembre 2004, la société Solodem
avait eu connaissance des défauts de la chose vendue dès le 29 juin 2005, date à laquelle elle avait
informé la société Codefine des graves problèmes rencontrés par la société EPB, et que la société
Solodem n'avait jamais introduit une instance à l'encontre de la société Codefine et n'avait formé une
demande contre cette dernière que par des conclusions du 18 janvier 2008, développées à l'audience du
tribunal de commerce du 19 septembre 2008 ; qu'il relève encore que, même en retenant la date à laquelle
la société Solodem avait eu connaissance des défauts de la chose acquise auprès de la société Codefine,
elle n'avait pas agi dans le délai d'une année ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Solodem qui faisait valoir que
la prescription prévue par la loi suisse était contraire à la conception française de l'ordre public
international en ce qu'elle empêchait en l'espèce le revendeur d'agir en garantie, le délai annal de cette
prescription courant dès la date de livraison des marchandises et expirant avant même que le revendeur
n'ait été en mesure d'agir contre le fabricant-vendeur initial après avoir fait l'objet d'une assignation au
fond par l'acheteur, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il ait lieu de statuer sur la seconde branche :

CASSE ET ANNULE […]

III. LEX MERCATORIA ET REGLES A-NATIONALES

Doc. 5. Cass. civ. 1re, 22 octobre 1991, 89-21.528, publié au Bulletin

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que la société américaine Primary Coal s'est engagée à livrer, pendant 3 ans, à la société
espagnole Valenciana de Cementos Portland certaines quantités de charbon à un prix à fixer de 6 mois
en 6 mois ; que la clause compromissoire insérée au contrat ayant été mise en œuvre par la société
Primary, l'acte de mission stipulait dans son article VIII, qu'outre le règlement d'arbitrage de la chambre
de commerce internationale, les règles de procédure seront celles du nouveau Code de procédure civile
en matière d'arbitrage international et, dans son article IX, que le droit applicable n'ayant pas été indiqué
par les parties, sera déterminé par une sentence partielle ; que l'arbitre a décidé que le litige serait réglé
selon les seuls usages du commerce international, autrement dénommés " lex mercatoria ", comme étant
le droit le plus approprié ;

Attendu que la société Valenciana reproche à l'arrêt attaqué (Paris, 13 juillet 1989) d'avoir rejeté son
recours en annulation contre cette sentence et d'avoir violé les articles 1496, 1502, 3°, et 1504 du
nouveau Code de procédure civile alors, d'une part, que l'arbitre ne s'est pas conformé à sa mission qui
était de statuer, à défaut de choix des parties, selon la loi désignée par la règle de conflit qu'il jugeait
appropriée ; alors, d'autre part, que l'arbitre a fait de même en décidant, que le litige serait régi par les
seuls usages du commerce international à l'exclusion de toute loi étatique ; alors, enfin, que l'arbitre n'a
pas indiqué la règle de conflit appliquée, ni fourni aucun élément justifiant le rattachement aux seuls
usages précités ;

Mais attendu qu'en se référant à " l'ensemble des règles du commerce international dégagées par la
pratique et ayant reçu la sanction des jurisprudences nationales ", l'arbitre a statué en droit ainsi qu'il en

42
avait l'obligation conformément à l'acte de mission ; que dès lors, il n'appartenait pas à la cour d'appel,
saisie du recours en annulation ouvert par les articles 1504 et 1502, 3°, du nouveau Code de procédure
civile, de contrôler les conditions de détermination et de mise en œuvre par l'arbitre de la règle de droit
retenue ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Doc. 6. Extrait de la sentence CCI n°14748 (2009), JDI 2016, chron. 3, obs. B. Derains.

Le Tribunal constate que les solutions préconisées par chacune des parties conduisent à l’application de
leur droit national.

Le choix de la loi nationale de l’une ou l’autre des parties n’apparaît pas compatible avec l’absence de
choix du droit applicable lors de la conclusion du contrat qui peut s’interpréter comme l’intention
d’éviter l’application de la loi de son cocontractant.

Le Tribunal observe que le demandeur considère qu’en choisissant une clause d’arbitrage CCI les
parties ont envisagé l’application d’un règlement international régi par une norme internationale, sans
rattachement spécifique à un quelconque droit national.

Le Tribunal observe également que le défendeur considère qu’il serait approprié, dans l’hypothèse où
la loi monégasque ne pourrait être retenue, de soumettre le litige à la lex mercatoria.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal arbitral décide que les règles de droit qui seront applicables
au fond du litige sont celles des usages du commerce pertinents, y compris les notions qui sont
considérées comme appartenant à la lex mercatoria, telles que reflétées notamment par les Principes
d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, conformément à l’article 17 du
Règlement.

Doc. 7. Cass. civ. 1re, 14 juin 1994, n° 92-17.075, 1er moyen

Attendu que la Société nigérienne de produits pétroliers (Sonidep) a vendu, le 14 novembre 1985, deux
cargaisons de pétrole à la société Sigmoil Resources, ayant son siège à Curaçao ; que le contrat stipulait
que sa "validité et sa bonne fin seraient gouvernées par la loi française" et que tout litige sera réglé "par
arbitrage à Paris suivant les règles de la Cnudci" ; que la société Sigmoil ayant mis en oeuvre cette
clause, l'arbitre, qui avait accepté sa mission le 9 mars 1989, a rendu sa sentence le 15 septembre 1990
; que l'arrêt attaqué (Paris, 26 mars 1992) a rejeté le recours en annulation de cette sentence formé par
la Sonidep ;

Sur le premier moyen :

Attendu que celle-ci reproche à l'arrêt de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses constatations
qui impliquaient que l'arbitre avait refusé de soumettre uniquement le fond du litige à la loi prédésignée
en retenant, sur le fondement de la loi française de procédure non applicable ou du règlement de la
Cnudci seulement applicable à la procédure, de prétendus usages du commerce international pétrolier
non désignés par les parties pour la solution du litige, si bien que la cour d'appel, en jugeant que l'arbitre

43
n'avait pas méconnu les termes de sa mission par une référence, surabondante, aux règles de procédure,
n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1502, 3 , du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en se "référant aux usages du commerce international" conformément aux articles 13 et
16 du contrat interprétés à la lumière des articles 1135 et 1161 du Code civil "tout en prenant pour base
de ses décisions la loi française applicable au fond du litige", l'arbitre a recherché et désigné la règle de
droit que la clause compromissoire lui faisait obligation d'appliquer et dont la détermination et la mise
en œuvre échappent au contrôle de la Cour de Cassation ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir refusé de faire application de la loi française
de procédure, et donc de l'article 1456 du nouveau Code de procédure civile qui, selon ses propres
motifs, avait vocation supplétive de volonté à s'appliquer à la durée de l'arbitrage, méconnaissant ainsi
les conséquences de ses constatations selon lesquelles ni la convention d'arbitrage, ni le règlement de la
Cnudci ne contenaient de dispositions fixant des délais à l'arbitre ;

Mais attendu que l'arbitrage, en l'espèce, n'était pas soumis, par la volonté des parties, à la loi française,
laquelle, d'ailleurs, n'exige pas, en matière d'arbitrage international, que les pouvoirs des arbitres soient
enfermés, à défaut de délai conventionnel, dans un délai légal ; que la cour d'appel, en se fondant
uniquement sur le règlement d'arbitrage choisi par les parties, dans lequel l'absence de règles relatives à
la durée de l'arbitrage n'était pas en conflit, sur ce point, avec une règle française impérative, a
légalement justifié sa décision d'écarter l'application, de l'article 1456 du nouveau Code de procédure
civile ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi […]

44
Séance 4
Les acteurs privés du commerce international : les sociétés

Lectures

M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, Lextenso, sept. 2018, extraits
reproduits sur CEL.

Hans Jürgen Sonnenberger, Etat de droit, construction européenne et droit des sociétés, RCDIP,
2013, p. 101.

M. Menjucq, « Groupe international de sociétés et lois nationales : entre pluralité et universalité


», Mélanges Laborde, Dalloz, 2015, p. 127 et s.

Exercices

Etablissez une fiche d’arrêt pour l’ensemble des arrêts de la fiche.

Résolvez le cas pratique qui vous est soumis.

PLAN DE LA SEANCE

I. CONFLIT DE LOIS ET SOCIETES

Doc. 1. Ass. Plén. 21 déc. 1990, n° 88-15.744, publié au bulletin


Doc. 2. Civ 1ère, 8 décembre 1998, n° 96-19.514, publié au bulletin

II. LES GROUPES DE SOCIETES DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL

Doc. 3. Civ. 1ère, 26 oct. 2011, no 10-17.026, Publié au bulletin


Doc. 4. Soc. 25 janv 2012, 11-11.374, Publié au bulletin
Doc. 5. Civ. 1ère, 27 mars 2007, 04-20.842, Publié au bulletin, spéc. 2e attendu

III. LE RENOUVELLEMENT DES METHODES A L’AUNE DE LA LIBERTE D’ETABLISSEMENT


IV. CAS PRATIQUE

45
I. CONFLIT DE LOIS ET SOCIETES

Doc. 1. Ass. Plén. 21 déc. 1990, n° 88-15.744, publié au bulletin

Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Draguignan, 25 mars 1988), que la
société anonyme Roval, constituée en 1981 et dont le siège est à Lausanne (Suisse), a contesté son
assujettissement à la taxe de 3 %, instituée par l'article 990 D du Code général des impôts issu de la loi
du 24 décembre 1982, sur la valeur vénale des immeubles situés en France et possédés par des personnes
morales dont le siège est hors de France ; que la société Roval a invoqué les dispositions de l'article 26
de la Convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 selon lesquelles " les nationaux d'un Etat
contractant ne sont soumis, dans l'autre Etat contractant, à aucune imposition ou obligation y relative,
qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre
Etat se trouvant dans la même situation " ;

Sur la loi applicable :

Attendu que le Directeur général des Impôts soutient que l'article 990 D du Code général des impôts
doit être interprété conformément à l'article 105 de la loi du 29 décembre 1989 applicable en la cause
en raison de son caractère interprétatif exprès, et qui dispose que " le siège des personnes morales
s'entend de leur siège de direction effective, quelle que soit leur nationalité, française ou étrangère " ;

Mais attendu que le rattachement à un Etat, auquel se réfère l'article 26 de la Convention de 1966 pour
interdire la discrimination n'est autre que la nationalité, laquelle, pour une société, résulte, en principe,
de la localisation de son siège réel, défini comme le siège de la direction effective et présumé par le
siège statutaire ; qu'il s'ensuit que l'article 105 de la loi du 29 décembre 1989 qui, au demeurant, ne
pouvait rétroactivement préjudicier au contribuable dont les droits ont été reconnus, comme en l'espèce,
par une décision de justice passée en force de chose jugée au sens de l'article 500 du nouveau Code de
procédure civile, est sans influence sur la solution du litige ;

Sur le moyen unique :

Attendu qu'il est fait grief au jugement d'avoir accueilli l'opposition de la société à l'avis de mise en
recouvrement de la taxe alors, selon le pourvoi, que les critères prévus par l'article 990 D du Code
général des impôts reposent sur la notion de résidence indépendante de celle de nationalité et que les
sociétés qui ont leur siège en Suisse et sont assujetties à la taxe litigieuse ne sont pas dans la même
situation que les sociétés à prépondérance immobilière ayant leur siège en France et qui échappent à
cette taxe ; qu'ainsi, le Tribunal a violé, par fausse application, l'article 26 de la Convention et, par refus
d'application, les articles 990 D et 990 E du Code précité ;

Mais attendu, d'abord, que le critère retenu par l'article 990 D du Code général des impôts, pour délimiter
son champ d'application, fondé sur la situation hors de France du siège des sociétés ne se distingue pas
de la nationalité telle que définie par l'article 26 de la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 ;
Attendu, ensuite, que des sociétés françaises et suisses possédant des immeubles en France se trouvent
dans la même situation au sens de l'article 26 de la Convention franco-suisse, la localisation de leurs
sièges en France pour les unes et en Suisse pour les autres, donc leurs nationalités différentes, étant sans
influence ;

Attendu, dès lors, que c'est à bon droit que le jugement attaqué a décidé qu'en application des
dispositions de l'article 26 de la Convention, qui prévalent sur la loi française en vertu de l'article 55 de
la Constitution, la société Roval ne pouvait être soumise à la taxe litigieuse à laquelle échappent les
sociétés françaises se trouvant dans la même situation ;

Que le moyen n'est, donc, pas fondé ;


Sur la demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : (sans intérêt) ;
PAR CES MOTIFS :

46
REJETTE le pourvoi

Doc. 2. Civ 1ère, 8 décembre 1998, n° 96-19.514, publié au bulletin

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que la société d'assurances General Accident fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 1996)
d'avoir déclaré valable le cautionnement donné en son nom pour le remboursement d'un prêt consenti
par la BNP au cabinet d'assurances de M. Hoff, en écartant la loi française qui exige l'autorisation du
conseil d'administration de la société, alors que la loi applicable au cautionnement est celle de
l'obligation principale ou celle du lieu d'exécution soit en l'occurrence la loi française ; qu'en outre, la
cour d'appel aurait dénaturé la procuration donnée par la compagnie General Accident à son mandataire
pour la France, qui ne l'autorisait pas à donner lui-même mandat à un tiers de se porter caution au nom
de la compagnie ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu que le siège de la société General Accident était situé en
Ecosse, a justement décidé que l'appréciation des pouvoirs des dirigeants sociaux relevait de la loi dont
dépendait la société, la loi française étant ainsi sans application en la matière ;

Et attendu que les juges du second degré ont, sans dénaturation, relevé que l'engagement de caution avait
été souscrit par une personne ayant reçu pouvoir du mandataire de la société General Accident pour la
France, et que cet engagement n'était pas contraire à l'objet social, car il garantissait un prêt consenti à
des agents généraux ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;


PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.

II. LES GROUPES DE SOCIETES DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL

Doc. 3. Civ. 1ère, 26 oct. 2011, no 10-17.026, Publié au bulletin

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 mars 2010), que par une promesse de vente en date du 25
juin 1999, la société Recchi France (devenue la société Ferfina France) a convenu, au profit de la société
Holding Sociale Richelieu (société HSR), de la cession d'une participation majoritaire dans le capital de
la société Espace conseil ; que cette convention prévoyait une clause compromissoire aux termes de
laquelle tout différend pouvant résulter de la mise en œuvre de la convention sera soumis à l'arbitrage,
ainsi qu'une clause prévoyant que la société Recchi France s'engageait à mettre en place une garantie
portant sur tous risques de pertes résultant de l'exécution par la société Espace conseil de certains
contrats ; que par acte du 27 juillet 1999, la société Ferfina France a vendu à la société HSR, 100 000
actions de la société Espace conseil ; qu'une sentence arbitrale du 29 décembre 2003 a considéré que la
garantie accordée par la société Ferfina France devait produire ses effets, à défaut de renonciation de la
société HSR, bénéficiaire de cette garantie ; que cette société a été placée en liquidation judiciaire par
un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 21 juin 2005 ; que la société Espace conseil a
assigné le 17 juin 2008, les sociétés italiennes Italiana per Condotte d'Acqua SPA et Ferfina SPA,
sociétés mères de la société Ferfina France, au visa de l'article 1382 du code civil, afin que la sentence
arbitrale du 29 décembre 2003 leur soit déclarée opposable aux lieu et place de la société Ferfina France
et qu'elles soient condamnées à répondre des dettes de cette société ;

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé :

Attendu que ce grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

47
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :

Attendu que les sociétés Italiana per Condotte d'Acqua Spa et Ferfina Spa font grief à l'arrêt, de rejeter
leur exception d'incompétence au profit des juridictions italiennes, alors, selon le moyen :

1°/ que par dérogation au principe fondamental de la compétence des juridictions du domicile du
défendeur posé par l'article 2, alinéa 1er, du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, l'article
5-3 du Règlement prévoit qu'en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le
territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où le
fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; que la notion de matière délictuelle, au sens de
ce texte, est une notion autonome comprenant toute demande visant à mettre en jeu la responsabilité
d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle ; qu'en l'espèce, selon les propres
constatations de la cour d'appel, l'action intentée par la société Espace conseil à l'encontre des sociétés
italiennes Italiana per condotte d'acqua et Ferfina SPA tendait à leur voir déclarer opposable la sentence
arbitrale ayant condamné leur filiale, la société Ferfina France, en liquidation judiciaire, à exécuter
l'obligation de garantie qu'elle avait souscrite lors du rachat des actions de la société Espace conseil par
la société Holding Social Richelieu ; qu'une telle action, qui tendait à voir prendre en charge par les
sociétés italiennes les obligations souscrites par leur filiale en liquidation judiciaire, ne constituait pas
une action en responsabilité, et relevait de la compétence générale des juridictions du domicile du
défendeur prévue par l'article 2 du Règlement ; qu'en retenant, pour rejeter l'exception d'incompétence
soulevée par les sociétés défenderesses au profit des juridictions italiennes, que cette action relevait de
la règle de compétence spéciale prévue par l'article 5-3 du Règlement, la cour d'appel a violé les textes
susvisés ;

2°/ qu'en retenant, pour considérer que l'action intentée par la société Espace conseil relevait de la règle
de compétence spéciale de l'article 5-3 du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, que l'objet
du litige reposait sur l'immixtion supposée des sociétés Italiana per Condotte d'Acqua et Ferfina SPA
dans la gestion de leur filiale en liquidation judiciaire, tout en relevant que cette action tendait à voir
prendre en charge par les sociétés italiennes les engagements que leur filiale Ferfina France, en
liquidation judiciaire, ne pouvait exécuter, ce dont il résultait que cette action n'était pas fondée sur une
faute quelconque des sociétés italiennes, mais sur leur seule qualité de sociétés mères de la société
Ferfina France, et qu'il ne s'agissait pas d'une action en responsabilité délictuelle relevant de la
compétence spéciale prévue par l'article 5-3 du Règlement, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble
l'article 2 du même Règlement ;

3°/ qu'en toute hypothèse, comme le faisaient valoir subsidiairement les sociétés défenderesses, l'action
de la société Espace conseil à leur encontre était fondée sur les décisions de gestion qu'elles auraient
prises en Italie concernant la gestion de leur filiale française, de sorte que le lieu de l'événement causal
à l'origine du dommage, au sens de l'article 5 du Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, se situait
en Italie ; qu'en retenant que le lieu de l'événement causal à l'origine du dommage allégué, lié à
l'impossibilité prétendue de mettre en oeuvre la garantie due par la société Ferfina France, était situé au
lieu du siège social de celle-ci, à Clichy-la-Garenne, tout en constatant elle-même que le litige portait
sur l'immixtion supposée des sociétés mères italiennes dans la gestion de leur filiale française, la cour
d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé" ;

Mais attendu que la cour d'appel a relevé que l'action introduite par la société Espace conseil à l'encontre
des sociétés Italiana per Condotte d'Acqua Spa et Ferfina Spa avait pour fondement les dispositions de
l'article 1382 du code civil du fait de l'immixtion supposée de ces sociétés dans la gestion de la société
Ferfina France, de sorte qu'elle était de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5-3 du
règlement communautaire ; que par ce seul motif, l'arrêt est légalement justifié ; qu'aucun des griefs ne
peut donc être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

48
REJETTE le pourvoi

Doc. 4. Soc. 25 janv 2012, 11-11.374, Publié au bulletin

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 30 novembre 2010), que M. X... a été engagé le 30 mars 1983 en
qualité de commis de cuisine par la société Sodexho Scotland, pour une durée de six mois et affecté sur
une plateforme maritime ; qu'il a été engagé le 14 octobre 1985 par la société Socorest en qualité de
cuisinier au Congo ; qu'il a par la suite conclu divers contrats de travail avec les sociétés Socorest, Resco,
Sodexho Angola et Universal Sodexho Afrique, qui font partie du groupe Sodexho, en qualité de
cuisinier, de chef de cuisine, de chef chargé, puis de "camp boss", pour réaliser des prestations hôtelières
sur des chantiers maritimes ou terrestres à l'étranger ; que le dernier contrat de travail écrit a été conclu
le 15 septembre 1992 pour une durée indéterminée ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale d'une
demande dirigée contre les sociétés Universal Sodexho, devenue Sodexo Amecaa, et Universal Sodexho
Afrique, devenue Sodexo Afrique, d'une demande en paiement d'heures supplémentaires et de
dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de ses droits à la retraite ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés Sodexo Amecaa et Sodexo Afrique font grief à l'arrêt de dire la loi française
applicable au litige, alors, selon le moyen :

1°/ qu'avant que la Convention de Rome du 19 juin 1980 ne soit applicable, constituait un contrat de
travail international celui conclu entre un salarié français et une société de droit étranger pour être
exécuté à l'étranger, autorisant les parties à définir librement le contenu de leur convention, et à ainsi
adopter des règles dérogatoires au droit du travail français ; qu'en l'espèce, il résulte des propres
constatations de l'arrêt attaqué qu'avant le 1er avril 1991, date d'entrée en vigueur en France de la
Convention de Rome, les contrats de travail de Monsieur X... avaient été conclus avec des filiales
étrangères pour être exécutés à l'étranger, ce dont il résultait que les règles énoncées dans les contrats
de travail pouvaient déroger à la loi française ; qu'en jugeant le contraire, au prix d'une recherche
inopérante d'un choix implicite des parties d'une loi unique régissant leur contrat, la cour d'appel a violé
l'article 1134 du code civil ;

2°/ qu'en vertu de l'article 6.2 de la Convention de Rome, à défaut de choix par les parties de la loi
applicable, le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat,
accomplit habituellement son travail ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. X... avait
été successivement engagé par des filiales de droit étranger du groupe Sodexho pour y exercer les
fonctions de commis de cuisine sur des bases vie, chaque contrat de travail mentionnant un lieu unique
d'exercice de la prestation de travail, de sorte que pour chaque contrat de travail conclu, il exerçait
habituellement son travail à l'étranger au lieu indiqué dans le contrat ; qu'en affirmant néanmoins qu'il
n'accomplissait pas habituellement son travail dans un même pays au motif inopérant qu'il était demeuré
sous la subordination de la société-mère du groupe Sodexo, la cour d'appel a violé l'article 6. 2 de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 ;

3°/ qu'en l'absence de choix des parties de la loi applicable et en l'absence de lieu habituel d'exécution
du contrat de travail, la loi applicable est celle du pays avec lequel le contrat de travail entretient les
liens les plus étroits ; que les sociétés contestaient que le salarié ait été placé sous la subordination de la
société mère en faisant valoir qu'il n'avait jamais été embauché par la société Universal Sodexho mais
par des filiales, la plupart du temps étrangères, et qu'il était systématiquement soumis aux instructions
et directives de ses supérieurs hiérarchique appartenant aux directions opérationnelles basées à l'étranger
sur sa zone d'affectation ; qu'en se bornant à relever que les courriers lui notifiant ses différentes
affectations émanaient de sociétés immatriculées en France pour en déduire l'existence d'un lien de
subordination avec la société mère et ses filiales françaises, la cour d'appel, qui n'a nullement caractérisé
un tel lien, ni par voie de conséquence, l'existence de liens étroits avec la France, a privé sa décision de
base légale au regard des articles L. 121-1 et 6-2 de la convention de Rome ;

49
Mais attendu, d'abord, qu'ayant constaté, pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la convention
de Rome, que si les contrats de travail étaient conclus, pour l'essentiel, par des sociétés de droit étranger,
il n'est pas contesté que c'est la société-mère du groupe Sodexo, établie en France, qui organisait
l'affectation du salarié auprès de ses filiales étrangères, exerçant de la sorte un pouvoir de direction, que
celui-ci ressortait d'ailleurs de la "Bible du Camp Boss", établie par le groupe Sodexo, selon laquelle la
direction générale et la base arrière de la division Afrique se trouvent au siège du groupe Sodexo à
Montigny-le-Bretonneux, que tous les contrats de travail étaient rédigés en français et fixaient pour la
plupart d'entre eux une rémunération en francs, incluant "la rémunération des conditions particulières
de travail liée à (l') expatriation" du salarié, qu'ils tenaient tous compte de la domiciliation en France du
salarié, en stipulant que les frais de déplacement entre le lieu de sa résidence principale et son lieu
d'emploi seraient à la charge de l'employeur, que le lieu de travail fixé dans le contrat de travail a toujours
été conçu comme une affectation provisoire, le salarié étant appelé à revenir en France à la fin de chaque
mission, la cour d'appel a pu en déduire que les parties avaient l'intention implicite de soumettre la
relation de travail à la loi française, de sorte que c'est celle-ci qui s'applique aux contrats conclus
antérieurement au 1er avril 1991 ;

Attendu, ensuite, qu'en application des dispositions de l'article 6.2 b) de la Convention de Rome du 19
juin 1980 applicable aux contrats conclus postérieurement au 1er avril 1991, la cour d'appel a constaté
que le salarié n'accomplissait pas habituellement son travail dans un même pays, que, si chaque mission
donnait lieu, jusqu'au 15 septembre 1992, à l'établissement d'un contrat de travail écrit, lequel
déterminait un lieu de travail unique, le salarié était demeuré sous la subordination de la société-mère
du groupe Sodexo, que le pouvoir de direction émanait de façon constante de cette société qui l'exerçait
soit directement, soit par l'intermédiaire de filiales françaises, que la majorité des lettres adressées au
salarié émanait de sociétés immatriculées en France, lesquelles lui notifiaient notamment ses
détachements et mutations, et retenu qu'il convient d'envisager la relation contractuelle dans son
ensemble pour déterminer la loi qui lui est applicable et que la continuité du lien contractuel avec la
société-mère du groupe Sodexo fait obstacle à l'application de la loi de chacun des pays où se trouvent
les différents établissements qui l'ont embauché, dès lors qu'elle permet de caractériser des liens plus
étroits avec la France, que ces liens sont confirmés par le paiement de la rémunération en francs, puis
en euros, le paiement en devises étrangères ne s'observant que sur des périodes très limitées ; qu'elle a
pu en déduire que les contrats de travail successifs présentaient des liens étroits avec la France et qu'elle
a exactement décidé que la loi française était applicable au litige ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les sociétés Sodexo Amecaa et Sodexo Afrique font grief à l'arrêt de les condamner à des
dommages-intérêts pour violation de l'obligation d'information, alors, selon le moyen, que nulle
disposition ne fait obligation à l'employeur d'informer particulièrement le salarié sur le régime de retraite
auquel il cotise ou ne cotise pas, en sus des mentions obligatoires afférentes aux cotisations de sécurité
sociale qui doivent figurer sur le bulletin de paie en application des articles R. 3243-1 et R. 3243-2 du
code du travail ; qu'en jugeant que M. X... aurait dû être informé de ce que son activité ne donnait pas
lieu au versement de cotisations au régime d'assurance vieillesse de la sécurité sociale, et averti de la
faculté d'adhérer volontairement à ce régime, après avoir pourtant constaté que ces bulletins de paie
mentionnaient uniquement que des cotisations étaient prélevées au titre du régime de retraite
complémentaire, ce dont il s'évinçait qu'il ne cotisait pas au régime de retraite de base, la cour d'appel a
violé les articles L. 1221-1, L. 1222-1, R. 3243-1, R. 3243-2 du code du travail et la Directive européenne
du 14 octobre 1991 ;

Mais attendu que l'employeur, tenu d'une obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail,
doit informer le salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale pendant la durée de son
expatriation ;

50
Et attendu qu'ayant constaté que le salarié n'avait pas été informé de ce que son activité ne donnait pas
lieu au versement de cotisations au régime d'assurance vieillesse de la sécurité sociale ni averti de la
faculté d'adhérer volontairement à ce régime, d'autant que sa formation et son expérience professionnelle
ne lui conféraient aucune qualification particulière pour apprécier lui-même l'étendue de sa couverture
sociale, et retenu que c'est en vain que les sociétés Sodexo Amecaa et Sodexo Afrique soutiennent que
l'information ressort des bulletins de paie, ceux-ci ne mettant pas suffisamment en évidence l'absence
de cotisation au régime général pour éclairer de manière claire et exhaustive le salarié sur sa situation,
des cotisations étant prélevées au titre de la retraite complémentaire, de sorte que le salarié pouvait
légitimement considérer qu'il cotisait à l'assurance retraite, la cour d'appel a pu en déduire que le
manquement de l'employeur à son obligation d'information a causé un préjudice au salarié, consistant
en une perte de chance de s'assurer volontairement contre le risque vieillesse; que le moyen n'est pas
fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés Sodexo Amecaa et Sodexo Afrique font grief à l'arrêt de les condamner à un
rappel d'heures supplémentaires, alors, selon le moyen, que s'il résulte de l'article L. 3171-4 du code du
travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que
l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par
le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à
étayer sa demande ; qu'en faisant droit à la demande en paiement d'heures supplémentaires de M. X...
sur la base d'un horaire de travail de 14 heures par jour, après avoir seulement constaté qu'il n'est pas
contesté que M. X... effectue au moins 14 heures de travail par jour lorsqu'il travaille au sein d'une base-
vie, sans à aucun moment constater que ce dernier produisait des éléments de nature à étayer sa demande,
la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

Mais attendu qu'il résulte des conclusions des sociétés Sodexo Amecaa et Sodexo Afrique devant la cour
d'appel que celles-ci ne contestaient pas que M. X... effectuait au moins 14 heures de travail par jour
lorsqu'il travaillait au sein d'une base-vie ; que le moyen ne peut qu'être rejeté ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Doc. 5. Civ. 1ère, 27 mars 2007, 04-20.842, Publié au bulletin, spéc. 2e attendu

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 novembre 2004), que la société française Alcatel business systems
(ABS), fabricant de terminaux mobiles et portables, a collaboré avec la société belge Alcatel micro
electronics (AME), faisant partie du même groupe, pour la fabrication d'une nouvelle puce électronique
; que la société AME a conclu avec la société américaine Amkor technology Inc (Amkor) un contrat
relatif à la vente de composants électroniques, comportant une clause compromissoire désignant
l'American arbitration association (AAA) de Philadelphie ; que la société Amkor était liée avec un
fabricant de composants, la société coréenne Anam semiconductor Inc (Anam), par un contrat de
fonderie contenant une convention d'arbitrage visant l'AAA de Santa Clara en Californie ; que les puces
fabriquées par la société Anam étaient remises directement à la société AME qui, après les avoir
"encapsulées", les livrait à la société ABS ; que, des désordres étant survenus, la société ABS et son
assureur, la société AGF, qui l'avait partiellement indemnisée, ont assigné la société Amkor, ses deux
filiales françaises, les sociétés Amkor technology euroservices et Amkor Wafer fabrication services, et
la société Anam devant un tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts ; que les
défendeurs, invoquant la clause compromissoire désignant l'AAA de Philadelphie, ont soulevé
l'incompétence de la juridiction étatique ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, et sur le second moyen, pris en ses deux
branches :

51
Attendu que les sociétés ABS et AGF font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur contredit de
compétence et de les avoir renvoyées à mieux se pourvoir, alors, selon le moyen :

1°/ que le contrat qui porte non sur des choses déterminées à l'avance mais sur un travail spécifique
destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre constitue non un contrat de
vente mais un contrat d'entreprise ; qu'en affirmant que les relations entre les sociétés Anam, Amkor,
AME et ABS auraient constitué une chaîne homogène de contrats translatifs de propriété à partir du
moment où c'était le même produit qui avait circulé de la première, son fabricant, à la dernière, son
destinataire final, tout en constatant que le composant électronique avait fait l'objet d'un processus
industriel ayant conduit à son élaboration et à sa fabrication, que les relations contractuelles entre les
différents intervenants avaient pour seul objectif la mise au point et la réalisation du composant litigieux,
que son élaboration impliquait l'agrément et l'homologation des fondeurs et que son destinataire final
avait participé activement à son perfectionnement, ce dont il résultait que les contrats liant les différents
protagonistes étaient des contrats d'entreprise et non des contrats de vente, la cour d'appel a violé les
articles 1582, 1779 et ter de la loi du 31 décembre 1975, ensemble les articles 1165 et 1382 du code civil
;

2°/ que le sous-traitant n'étant pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage, son fournisseur répond
de ses actes, à l'égard de celui-ci, sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; qu'en retenant
l'existence d'une chaîne homogène de contrats translatifs de propriété conférant au sous-acquéreur une
action contractuelle directe contre le fabricant initial, quand elle constatait que la société AME, chargé
de concevoir un nouveau composant électronique, avait confié son élaboration à la société Amkor tandis
que celle-ci avait confié sa fabrication à celle-là, en sorte que, en agissant contre cette dernière, le maître
de l'ouvrage avait mis en cause la responsabilité du fabricant du sous-traitant, la cour d'appel a violé les
articles 1147, 1165 et 1382 du code civil ;

3°/ qu'une clause d'arbitrage international n'est susceptible de transmission que dans une chaîne
homogène de contrats translatifs de propriété ; qu'en déclarant que les contrats conclus respectivement
entre les sociétés ABS, AME, Amkor et Anam constituaient une chaîne homogène, bien qu'il résultât de
ses propres constatations que lesdits contrats, qui ne pouvaient recevoir la qualification de vente,
n'étaient pas de nature identique, en sorte que la chaîne qu'ils formaient était hétérogène, la cour d'appel
a violé les articles 1165 et 1134 du code civil ;

4°/ que le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions qui, attachés à la chose, appartenaient au
vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire ; qu'en déclarant opposable au sous-acquéreur la
clause compromissoire figurant dans le contrat conclu entre deux vendeurs intermédiaires et non pas
celle acceptée par le vendeur originaire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du code civil
ainsi que 1492 du nouveau code de procédure civile ;

5°/ qu'en opposant au sous-acquéreur la clause d'arbitrage nouvellement convenue entre le vendeur
intermédiaire et le vendeur originaire en lieu et place de celle figurant dans le contrat initial, sans vérifier
que le sous-acquéreur pouvait raisonnablement ignorer le nouvel accord intervenu entre les parties, la
cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard des articles susvisés ;

Mais attendu que, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est
transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit
substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne ; que l'arrêt
retient, par motifs propres et adoptés, d'abord que le composant électronique, objet du litige, a été
fabriqué par la société Anam et vendu par celle-ci à la société Amkor qui l'a revendu à la société AME
; ensuite que la société AME a "encapsulé" le produit, qui, selon les constatations de l'expert judiciaire,
demeurait dissociable, avant de le livrer à la société ABS qui l'a intégré dans ses téléphones mobiles ;
qu'au vu de ces éléments, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il existait une chaîne de contrats
translatifs de propriété et en a justement déduit que la clause compromissoire, contenue au contrat liant
les sociétés Amkor et AME, à laquelle la société Anam avait adhéré, avait force obligatoire à l'égard de

52
la société ABS, dès lors que cette clause est transmise en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même
accessoire du droit substantiel ; que, par ce seul motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens doivent être rejetés ;

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :

Attendu que les sociétés ABS et AGF reprochent encore à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le
moyen, que l'action directe de nature contractuelle du maître de l'ouvrage ou du sous-acquéreur implique
l'existence d'une chaîne de contrats translatifs de propriété ; qu'en retenant la nature contractuelle de
l'action du maître de l'ouvrage contre les filiales du sous-traitant, au prétexte que celles-ci étaient
intervenues dans le cadre de l'agrément par l'entreprise principale du composant électronique, sans
caractériser l'existence d'une convention translative de propriété qui les aurait obligées à l'égard de l'un
quelconque des participants à la chaîne de contrats, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1382 du
code civil ;

Mais attendu que l'effet de la clause d'arbitrage international s'étend aux parties directement
impliquées dans l'exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter ; que la cour d'appel,
qui a relevé que les deux sociétés française filiales de la société Amko étaient intervenues pour
l'agrément par la société AME, des micro-processeurs électroniques, en a exactement déduit que
ces sociétés étaient en droit de se prévaloir, à l'égard de la société ABS et de son assureur subrogé,
de la clause d'arbitrage stipulée au contrat liant leur société mère à la société AME ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

III. LE RENOUVELLEMENT DES METHODES A L’AUNE DE LA LIBERTE D’ETABLISSEMENT

Exercice : Expliquez l’influence de la liberté d’établissement sur les règles traditionnelles de droit
international privé des sociétés.

IV. CAS PRATIQUE

La société anonyme de droit français, Au chaud pour l’hiver commercialise sur le territoire français des
bouillotes. Jacques Bonidé, directeur marketing et communication de la société tente depuis plusieurs
de convaincre les dirigeants de sa société d’étendre leur activité à la vente de coussins chauffants. Ceux-
ci n’ont jamais adhéré à cette idée et ont toujours refusé une telle extension de leur activité.
M. Bonidé n’en démord pas, ce nouveau produit pourrait faire décoller les ventes de la société. Il conclut
un contrat de vente à exécution successive avec une société allemande de laquelle il recevra chaque mois
100 kg noyaux de cerise et du tissu pour confectionner ses fameux coussins chauffants pour la modique
somme de 5 000 euros à la réception de chaque livraison.
Lorsque le PDG de la société française reçoit la première facture, il refuse de la régler. Il invoque
l’absence de pouvoir du directeur financier de lier la société.
La société française souhaite obtenir l’annulation du contrat, considérant que M. Bonidé n’avait aucun
pouvoir pour lier la société.

53
Quel juge est compétent pour statuer sur cette question ?
Si le juge français était compétent, quelle loi serait applicable à la présente espèce ?

54
Séance 5 :
Les faillites internationales

Exercice

Commentez le document 4 (plan détaillé)

Questions :

1. Déterminez le champ d’application du règlement Insolvabilité refondu (UE 2015/848).


2. Quels types de règles pose-t-il ?
3. Qu’est-ce que le principe d’universalité de la faillite ? A quelle autre théorie s’oppose-t-il ?
4. Ce principe d’universalité est-il absolu ?

PLAN DE LA SEANCE

I. LES FAILLITES EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE COMMUN

Doc. 1. Civ. 1ère, 19 novembre 2002, n° 00-22.334, publié au bulletin


Doc. 2. Civ. 1ère, 21 mars 2006, n° 04-17.869, publié au bulletin
Doc. 3. Com. 2 octobre 2012, 10-18.005, Publié au bulletin 10-18.005
Doc. 4. Com. 8 janvier 2002, n° 98-20.181, Inédit, 1er moyen seulement
Doc. 5. Civ. 1ère 28 mars 2012, n° 11-10.639, publié au bulletin

II. LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE EUROPEEN DES FAILLITES

Doc. 6. CJUE, 18 sept. 2019, aff. C-47/18


Doc. 7. CJUE 14 novembre 2018, C 296/17
Doc. 8. Com., 11 mars 2020, n° 19-10.657, publié au bulletin
Doc. 9. Com. 16 juill. 2020, n° 17-16.200, publié au bulletin

55
I. LES FAILLITES EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE COMMUN

Doc. 1. Civ. 1ère, 19 novembre 2002, n° 00-22.334, publié au bulletin

Attendu qu'à la suite de la procédure de redressement judiciaire ouverte contre les époux X..., le tribunal
de commerce de Paris a, par jugement du 24 avril 1993, autorisé les mandataires de justice à ne pas
engager de procédure d'exequatur sur les biens des débiteurs situés en Belgique et en Espagne afin de
favoriser l'adoption rapide du plan de cession partielle projeté lequel a été arrêté par jugement du 10 juin
1993 ; que la Banque Worms, venant aux droits de la BUO, créancière admise à titre chirographaire, a
poursuivi la vente d'un immeuble situé en Espagne et appartenant aux époux X... ; que sur la demande
de ceux-ci, l'arrêt attaqué a ordonné à la banque de renoncer à cette poursuite et de justifier, sous
astreinte, de son désistement ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la Banque Worms reproche à la cour d'appel d'avoir violé les articles 14 et 15 du Code civil
et 718 du Code de procédure civile en décidant qu'elle était compétente pour statuer sur une demande
tendant à paralyser une voie d'exécution sur un immeuble situé à l'étranger ;

Mais attendu que l'injonction à la personne du défendeur d'agir ou de s'abstenir, quelle que soit la
localisation des biens en cause, dès lors qu'elle est prononcée par le juge français de la faillite
légitimement compétent au fond, n'entre pas dans le régime des règles de compétence visé au moyen ;
que celui-ci n'est donc pas fondé ;

[…]

Mais sur les deuxième et troisième moyens, réunis :

Vu le principe de l'universalité de la faillite, ensemble l'article L. 621-83, alinéa 4, du Code de commerce


;
Attendu que sous réserve des traités internationaux ou d'actes communautaires non applicables en
l'espèce, et dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques étrangers, le redressement judiciaire
prononcé en France produit ses effets partout où le débiteur a des biens ; que l'article 6,1 ., de la
Convention européenne des droits de l'homme, invoqué au deuxième moyen, ne saurait faire obstacle
aux principes d'universalité ainsi qu'à celui d'égalité des créanciers chirographaires qui caractérise toute
procédure collective et qui postule l'interdiction des poursuites individuelles et la soumission des
créanciers aux obligations du plan de redressement ;

Attendu qu'il résulte de la procédure et des écritures des parties que le plan de cession partielle arrêté le
10 juin 1993 ne comprenait pas les immeubles à l'étranger ; que la cour d'appel, en statuant comme elle
l'a fait, sans établir que ce plan avait été accompagné de la liquidation des biens résiduels et que
l'immeuble litigieux était inclus dans cette liquidation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2000, entre les parties,
par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles,
autrement composée

Doc. 2. Civ. 1ère, 21 mars 2006, n° 04-17.869, publié au bulletin

56
Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 29 avril 2004, n° RG 03/06682), que la société Khalifa airways
(la société), ayant son siège en Algérie et plusieurs établissements situés en France, a été mise en
liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Nanterre, le 10 juillet 2003 ; que, le 24 mai 2004,
la société a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal algérien de Cheraga, M. X... étant désigné
liquidateur ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence
au profit des juridictions algériennes et d'avoir confirmé le jugement du 10 juillet 2003, alors, selon le
moyen :

1 / que les juridictions de l'Etat dans lequel le débiteur a son siège social, son principal établissement et
exerce l'essentiel de son activité ont, conformément au principe de l'universalité de la faillite, seules
compétence pour prononcer une mesure applicable à l'ensemble d'une entreprise internationale ; qu'en
reconnaissant la compétence des juridictions françaises pour prononcer la liquidation judiciaire de la
société de droit algérien Khalifa airways, ayant son siège social et son principal établissement dans ce
pays et y exerçant l'essentiel de son activité, et en lui conférant une portée universelle, la cour d'appel a
violé l'article 1er du décret du 27 décembre 1985, ensemble les principes du droit international privé ;

2 / que la souveraineté d'un Etat étranger s'oppose à ce qu'une juridiction française ordonne la liquidation
judiciaire d'une entreprise ayant son siège social dans ce pays étranger et y exerçant son activité
principale ; qu'en prononçant la liquidation judiciaire de la société de droit algérien Khalifa airways
ayant dans ce pays son siège social et son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité,
en refusant de limiter cette mesure, impliquant des actes d'exécution et la mise en oeuvre de la contrainte
aux seuls établissements situés en France, la cour d'appel a porté atteinte à la souveraineté algérienne et
a violé les principes du droit international public, l'article 2 de la Charte des Nations unies et l'Accord
franco-algérien conclu sous la forme d'un échange de lettre le 3 juillet 1962, mettant en oeuvre les
Accords d'Evian ;

3 / que la liquidation judiciaire prononcée en France ne peut produire d'effet partout où le débiteur a des
biens que dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques étrangers ; qu'en prononçant la
liquidation judiciaire de la société Khalifa airways, société de droit algérien ayant dans ce pays son siège
social ainsi que son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité, sans rechercher si
une telle mesure était acceptée par l'ordre juridique algérien, la cour d'appel a privé sa décision de base
légale au regard du principe de l'universalité de la faillite et de l'article L. 621-83, alinéa 4, du Code de
commerce ;

4 / qu'un Etat ne saurait ordonner la réalisation d'une mesure judiciaire, sur le territoire d'un Etat étranger,
sans que soit caractérisé un lien étroit unissant la situation que la mesure tend à régler et l'Etat qui l'édicte
; qu'en ordonnant la liquidation judiciaire de la société Khalifa airways, société de droit algérien ayant
dans ce pays son siège social et son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité, sans
relever l'importance qu'aurait en France la cessation des paiements de cette entreprise, la cour d'appel a
violé les principes du droit international public ;

5 / qu'en prononçant la liquidation judiciaire de la société Khalifa airways, société de droit algérien ayant
dans ce pays son siège social ainsi que son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son
activité, et en soumettant ainsi les créanciers, dont le titre avait pris naissance en Algérie ou à l'étranger,
à la loi française qui implique notamment l'obligation de procéder à une déclaration de créances dans un
délai de quatre mois à compter de la publication de la décision en France, bien que ces créanciers n'aient
pas été à même de prévoir raisonnablement une telle compétence, et de pouvoir s'aviser de la publication
en France d'un tel jugement, la cour d'appel a méconnu le principe de sécurité juridique et a privé ces
créanciers du droit d'accès à un tribunal en violation de l'article 6 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme ;

57
6 / qu'en soumettant les créanciers dont le titre est né en Algérie ou à l'étranger, aux mêmes règles que
ceux dont la créance est née en France et en les obligeant, sous peine de forclusion et d'extinction de
leur créance, à procéder à une déclaration dans un délai de quatre mois courant à compter de la
publication du jugement d'ouverture, la cour d'appel a traité de façon identique des personnes placées
dans une situation différente et a imposé une discrimination à l'égard de ceux dont la situation appelait
une mesure particulière, en violation des articles 6 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et de l'article 1er de son Premier Protocole additionnel ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er, alinéa 1, du décret du 27 décembre 1985,
le tribunal territorialement compétent pour connaître de la procédure de redressement ou de liquidation
judiciaire est celui dans le ressort duquel le débiteur a le siège de son entreprise ou, à défaut de siège en
territoire français, le centre principal de ses intérêts en France ; qu'ayant relevé que la société avait un
établissement situé en France, la cour d'appel en a exactement déduit que les juridictions françaises
étaient compétentes ;

Attendu, en second lieu, que le redressement ou la liquidation judiciaire prononcés en France produisent
leurs effets partout où le débiteur a des biens, sous réserve des traités internationaux ou d'actes
communautaires, et dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques étrangers ; qu'il en résulte
que la liquidation judiciaire de la société prononcée par les juridictions françaises n'ayant vocation à
produire ses effets en Algérie que dans la mesure de son acceptation par l'ordre juridique algérien, la
cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante mentionnée par la troisième
branche dès lors que cette acceptation ne constitue pas une condition de l'ouverture de la procédure en
France, a, à bon droit, prononcé, par application de l'article 1er du décret du 27 décembre 1985, la
liquidation judiciaire de la société, ne pouvant décider d'une telle mesure à l'égard de l'établissement
situé sur le territoire français mais dépourvu en France de la personnalité juridique ; que, sans
méconnaître la souveraineté de l'Etat algérien, ni encourir les griefs des quatrième, cinquième et sixième
branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;


Et sur le second moyen :

Attendu que la société et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence
au profit des juridictions algériennes et subsidiairement au profit du tribunal de commerce de Marseille
et d'avoir confirmé le jugement du 10 juillet 2003, alors, selon le moyen, que seul le tribunal dans le
ressort duquel se trouve le centre principal des intérêts en France du débiteur étranger est compétent
pour ouvrir une procédure collective en France ; qu'en relevant qu'il résultait des dispositions de l'article
1er du décret du 27 décembre 1985 que, pour une société qui n'a pas son siège en territoire français, le
tribunal dans le ressort duquel la société a un établissement est compétent pour ouvrir une procédure
collective à son égard, pour conclure à la compétence du tribunal de commerce de Nanterre, bien que
seul le tribunal dans le ressort duquel la société de droit algérien Khalifa airways avait son établissement
principal en France était compétent, la cour d'appel a violé l'article 1er du décret du 27 décembre 1985
;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société avait fait immatriculer au registre du commerce et des
sociétés de Nanterre son établissement principal installé à Puteaux, la cour d'appel a pu en déduire que
le centre principal des intérêts de la société en France était situé dans le ressort du tribunal de commerce
de Nanterre, et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;

Doc. 3. Com. 2 octobre 2012, 10-18.005, Publié au bulletin 10-18.005

58
Vu l'arrêt n° 1847 F-D de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 17 novembre 2011
rabattant l'arrêt n° 1269 F-D rendu par elle le 23 juin 2011 et disant qu'il sera procédé à un nouvel
examen du pourvoi ;

Attendu, selon le jugement attaqué et les productions, que M. X... a investi, le 22 octobre 2001, auprès
de la société Phoenix Kapitaldienst GmbH (société Phoenix), établie en Allemagne, une certaine somme
sur des marchés à terme, dont le placement lui a procuré une plus-value ; qu'une juridiction allemande
a ouvert les 14 mars puis 1er juillet 2005 une procédure collective à l'égard de la société Phoenix et
nommé, en qualité de syndic, M. Y... ; que cette procédure étant exclue, en raison de la nature de l'activité
de la société débitrice, du champ d'application du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif
aux procédures d'insolvabilité par l'article 1er, alinéa 2, de celui-ci, les décisions d'ouverture ont fait
l'objet d'un exequatur par un tribunal français ; que M. Y..., ès qualités, a alors exercé devant le tribunal
de grande instance de Strasbourg l'action révocatoire du droit allemand en vue de recouvrer la plus-
value perçue par M. X..., laquelle serait fictive, comme résultant d'une escroquerie ; que le tribunal saisi
s'est déclaré incompétent et a désigné pour connaître de la demande la juridiction de proximité d'Alès,
dans le ressort de laquelle M. X... est domicilié ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y... fait grief au jugement d'avoir rejeté son exception de connexité, alors, selon le
moyen :

1°/ que seule la juridiction saisie en second d'une action connexe à une précédente demande peut retenir
l'exception de connexité ; qu'en décidant que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal
de grande instance de Strasbourg du 16 juin 2009 s'opposait à ce que le juge second saisi se prononce
sur l'exception de connexité, quand la juridiction strasbourgeoise première saisie n'avait pu se prononcer
sur cette exception, la juridiction de proximité a violé les articles 101 et 480 du code de procédure civile
;

2°/ qu'en toute hypothèse l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une demande fondée sur des
événements postérieurs à ceux sur lesquels a statué la première décision ; qu'en opposant à M. Y...
l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg le 16 juin 2009,
qui s'était déclaré incompétent pour connaître du litige aux motifs qu'il était seul saisi et que l'exception
de connexité ne pouvait jouer car elle suppose la saisine de deux juridictions différentes, ce qui n'était
pas le cas en l'espèce, pour en déduire que l'exception de connexité ne pouvait plus être invoquée devant
elle, sans rechercher si un événement nouveau, en l'occurrence la saisine d'une deuxième juridiction
devant statuer sur l'action révocatoire exercée par M. Y..., ne s'opposait pas à ce que puisse être opposée
l'autorité de la chose jugée attachée à la première décision, la juridiction de proximité a privé sa décision
de base légale au regard de l'article 480 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le tribunal de grande instance de Strasbourg s'étant déclaré incompétent et ayant
renvoyé les parties devant la juridiction de proximité d'Alès, celle-ci était tenue de statuer, par
application des dispositions de l'article 96, alinéa 2, du code de procédure civile ; que par ce motif de
pur droit substitué, après avis donné aux parties, à ceux critiqués, la décision se trouve légalement
justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen :

Vu les articles 3 et 2221 du code civil ;

Attendu qu'en droit international privé commun, l'action qu'exercent les organes d'une procédure
collective en annulation, révocation ou inopposabilité d'actes passés par le débiteur avant l'ouverture de
celle-ci et estimés préjudiciables aux créanciers est, en raison de son lien avec la procédure, soumise au
droit applicable à celle-ci, y compris en ce qui concerne les délais pour agir ;

59
Attendu que, pour déclarer prescrite l'action exercée par M. Y..., le jugement retient que l'article L. 137-
2 du code français de la consommation est applicable au litige et qu'il résulte des pièces versées aux
débats que le délai de prescription de deux ans qu'il prévoit est expiré ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que M. Y..., agissant en tant qu'organe d'une procédure collective,
fondait son action sur la loi allemande gouvernant celle-ci, laquelle, selon lui, l'autorisait, sur une période
suspecte pouvant remonter jusqu'à quatre années avant l'ouverture de la procédure, à recouvrer les
bénéfices fictifs distribués par la société débitrice, la juridiction de proximité, en ne mettant pas en
oeuvre la loi allemande, après en avoir vérifié la teneur, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

Statuant à nouveau, CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de connexité soulevée
par M. Y..., ès qualités, le jugement rendu le 9 mars 2010, entre les parties, par la juridiction de proximité
d'Alès ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction de proximité de
Nîmes ;

Doc. 4. Com. 8 janvier 2002, n° 98-20.181, Inédit, 1er moyen seulement

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juillet 1998), que la société Kaisui France a été mise en
redressement judiciaire et que, postérieurement à l'arrêt du plan de cession au profit de la société Sagem,
la société Comast, aux droits de laquelle se trouve la société Joma, a revendiqué, sur le fondement d'une
clause de réserve de propriété contenue dans un contrat du 15 février 1994, des moules et outillages
impayés ainsi que des pièces fabriquées à l'aide des moules ;
que la société Comast a formé un recours contre la décision du juge-commissaire n'ayant accueilli la
demande que pour les moules et les outillages, puis a relevé appel du jugement ayant confirmé cette
décision ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que les sociétés Comast et Joma font grief à l'arrêt d'avoir décidé que les conditions de l'action
en revendication n'étaient pas réunies et d'avoir rejeté toutes leurs demandes, alors, selon le moyen, que
si les conditions de l'opposabilité d'une clause de réserve de propriété aux organes d'une procédure
collective ouverte en France sont régies par la loi du 25 janvier 1985, le sens et la portée de la convention
par laquelle les parties sont convenues de retarder le transfert de propriété des biens qui en font l'objet
doivent être déterminés par référence à la loi applicable à cette convention ; qu'il n'est pas contesté que
les parties avaient stipulé que le contrat serait accompli à l'issue d'un complet paiement, la société
Comast se réservant la propriété jusqu'à complet paiement, selon l'article 1523 du Code civil italien, et
qu'en cas de litige, le tribunal compétent serait celui de Gênes ; qu'en recherchant le sens et la portée de
la clause de réserve de propriété par application du droit français, après avoir écarté la mise en oeuvre
du droit italien, au motif que la requête de la société Comast doit s'apprécier au regard des dispositions
de la loi du 25 janvier 1985 applicable aux revendications et qu'il convient de rejeter comme non fondées
les prétentions des sociétés Comast et Joma aux fins d'application du droit italien au litige, la cour d'appel
a violé l'article 121 de la loi du 25 janvier 1985 par fausse application et a violé l'article 3 de la
convention de Rome du 19 juin 1980 par refus d'application ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 7, alinéa 2, de la convention précitée que les dispositions de celle-
ci ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent
impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable au contrat ;

que l'action en revendication à l'encontre d'une société soumise à une procédure collective ayant été
portée devant un juge français tenu d'appliquer les règles qui régissent impérativement cette situation,
c'est à bon droit que la cour d'appel a écarté l'application du droit italien ; que le moyen n'est pas fondé
;

60
[…]
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Doc. 5. Civ. 1ère 28 mars 2012, n° 11-10.639, publié au bulletin

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 509 du code de procédure civile ;

Attendu qu'en l'absence d'exequatur, une décision de mise en liquidation judiciaire prononcée à
l'étranger, ne peut produire, en France, aucun effet de suspension des poursuites individuelles ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables, en France, les actions en remboursement formées par M. X...
et Mme Y... contre M. Elyas Hamed Alban Abdelwahed Z..., en exécution de reconnaissances de dettes
contractées en 1993, la cour d'appel constate que celui-ci a été placé en liquidation judiciaire et a
bénéficié le 21 août 1996, soit postérieurement aux reconnaissances de dettes litigieuses, de la part de
l'United States Bankrupcy Court (District du Connecticut) d'une remise de dettes, qui le libérerait de
toute dette antérieure à cette décision ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la décision américaine n'avait pas fait l'objet d'un exequatur, la cour
d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de répondre aux autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2010, entre les parties,
par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

II. LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE EUROPEEN DES FAILLITES

Doc. 6. CJUE, 18 sept. 2019, aff. C-47/18

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement n° 1215/2012

3 L’article 1er du règlement n° 1215/2012 dispose :

« 1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la
juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la
responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique
(acta jure imperii).

2. Sont exclus de son application :

[...]

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

[...] »

61
4 Aux termes de l’article 29 de ce règlement :

« 1. Sans préjudice de l’article 31, paragraphe 2, lorsque des demandes ayant le même objet et la même
cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction
saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie
soit établie.

2. Dans les cas visés au paragraphe 1, à la demande d’une juridiction saisie du litige, toute autre
juridiction saisie informe sans tarder la première juridiction de la date à laquelle elle a été saisie
conformément à l’article 32.

3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu
se dessaisit en faveur de celle-ci. »

5 L’article 30 dudit règlement est ainsi libellé :

« 1. Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres
différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

2. Lorsque la demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre
juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction
première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur
jonction.

3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il
y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être
inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »

Le règlement n° 1346/2000

6 Les considérants 2, 6, 8, 12, 18, 19 et 21 du règlement n° 1346/2000 énoncent :

« (2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières
fonctionnent efficacement et effectivement et l’adoption du présent règlement est nécessaire pour
atteindre cet objectif [...]

[...]

(6) Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des


dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des
décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le
présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces
décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe.

[...]

(8) Pour réaliser l’objectif visant à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets
transfrontaliers, il paraît nécessaire et approprié que les dispositions relatives à la compétence, à la
reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine soient contenues dans un acte juridique
communautaire qui soit obligatoire et directement applicable dans tout État membre.

[...]

(12) Le présent règlement permet d’ouvrir les procédures d’insolvabilité principales dans l’État membre
où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Ces procédures ont une portée universelle
et visent à inclure tous les actifs du débiteur. En vue de protéger les différents intérêts, le présent
règlement permet d’ouvrir des procédures secondaires parallèlement à la procédure principale. Des
procédures secondaires peuvent être ouvertes dans l’État membre dans lequel le débiteur a un
établissement. Les effets des procédures secondaires se limitent aux actifs situés dans cet État. Des
règles impératives de coordination avec les procédures principales satisfont l’unité nécessaire au
sein de la Communauté.

[...]

62
(18) Après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale, le présent règlement ne fait pas obstacle
à la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans l’État membre où le débiteur a un
établissement. Le syndic de la procédure principale ou toute autre personne habilitée à cet effet par
la législation nationale de cet État membre peut demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité
secondaire.

(19) Hormis la protection des intérêts locaux, les procédures d’insolvabilité secondaires peuvent
poursuivre d’autres objectifs. Ce pourrait être le cas lorsque le patrimoine du débiteur est trop
complexe pour être administré en bloc, ou lorsque les différences entre les systèmes juridiques
concernés sont à ce point importantes que des difficultés peuvent résulter de l’extension des effets
de la loi de l’État d’ouverture aux autres États où se trouvent les actifs. Pour cette raison, le syndic
de la procédure principale peut demander l’ouverture d’une procédure secondaire dans l’intérêt d’une
administration efficace du patrimoine.

[...]

(21) Tout créancier, ayant sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans la Communauté,
devrait avoir le droit de déclarer ses créances dans toute procédure d’insolvabilité pendante dans la
Communauté en ce qui concerne les biens du débiteur. [...] »

7 L’article 3 de ce règlement est rédigé comme suit :

« 1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du
débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes
morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège
statutaire.

2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les
juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard
de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets
de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.

3. Lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte en application du paragraphe 1, toute procédure


d’insolvabilité ouverte ultérieurement en application du paragraphe 2 est une procédure secondaire. Cette
procédure doit être une procédure de liquidation.

[...] »

8 L’article 4 dudit règlement prévoit :

« 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à


ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé
“État d’ouverture”.

2. La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la


procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment :

[...]

h) les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances ;

[...] »

9 Aux termes de l’article 27 du même règlement :

« La procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, qui est ouverte par une juridiction d’un État membre et
reconnue dans un autre État membre (procédure principale) permet d’ouvrir, dans cet autre État membre,
dont une juridiction serait compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 2, une procédure secondaire
d’insolvabilité sans que l’insolvabilité du débiteur soit examinée dans cet autre État. [...] Ses effets sont
limités aux biens du débiteur situés sur le territoire de cet autre État membre. »

10 L’article 31 du règlement n° 1346/2000 énonce :

63
« 1. Sous réserve des règles limitant la communication de renseignements, le syndic de la procédure
principale et les syndics des procédures secondaires sont tenus d’un devoir d’information réciproque. Ils
doivent communiquer sans délai tout renseignement qui peut être utile à l’autre procédure, notamment l’état
de la production et de la vérification des créances et les mesures visant à mettre fin à la procédure.

2. Sous réserve des règles applicables à chacune des procédures, le syndic de la procédure principale
et les syndics des procédures secondaires sont tenus d’un devoir de coopération réciproque.

[...] »

11 L’article 39 de ce règlement dispose :

« Tout créancier qui a sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans un État membre autre que
l’État d’ouverture, y compris les autorités fiscales et les organismes de sécurité sociale des États membres,
ont le droit de produire leurs créances par écrit dans la procédure d’insolvabilité. »

12 Aux termes de l’article 40 dudit règlement :

« 1. Dès qu’une procédure d’insolvabilité est ouverte dans un État membre, la juridiction compétente de
cet État ou le syndic nommé par celle-ci informe sans délai les créanciers connus qui ont leur résidence
habituelle, leur domicile ou leur siège dans les autres États membres.

2. Cette information, assurée par l’envoi individuel d’une note, porte notamment sur les délais à observer,
les sanctions prévues quant à ces délais, l’organe ou l’autorité habilité à recevoir la production des créances
et les autres mesures prescrites. Cette note indique également si les créanciers dont la créance est garantie
par un privilège ou une sûreté réelle doivent produire leur créance. »

13 L’article 41 du même règlement énonce :

« Le créancier envoie une copie des pièces justificatives, s’il en existe, et indique la nature de la créance,
sa date de naissance et son montant; il indique également s’il revendique, pour cette créance, un privilège,
une sûreté réelle ou une réserve de propriété, et quels sont les biens sur lesquels porte la garantie qu’il
invoque. »

14 L’article 42 du règlement n° 1346/2000 est libellé comme suit :

« 1. L’information prévue à l’article 40 est assurée dans la ou dans une des langue(s) officielle(s) de l’État
d’ouverture. Un formulaire portant, dans toutes les langues officielles des institutions de l’Union européenne,
le titre “Invitation à produire une créance. Délais à respecter”, est utilisé à cet effet.

2. Tout créancier qui a sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans un autre État membre
que l’État d’ouverture peut produire sa créance dans la ou dans une des langue(s) officielle(s) de cet autre
État. Dans ce cas, la production de sa créance doit néanmoins porter le titre “Production de créance” dans
la ou dans une des langue(s) officielle(s) de l’État d’ouverture. En outre, une traduction dans la ou une des
langue(s) officielle(s) de l’État d’ouverture peut lui être réclamée. »

Le droit autrichien

15 L’article 102 de l’Insolvenzordnung (loi relative à l’insolvabilité), dans sa version applicable au litige au
principal (ci-après l’« IO »), énonce :

« Les créanciers sont tenus de faire valoir leurs créances dans la procédure d’insolvabilité conformément
aux dispositions qui suivent, même si elles font l’objet d’un litige. »

16 L’article 103, paragraphe 1, de l’IO dispose :

« La déclaration doit indiquer le montant de la créance et les faits sur lesquels elle est fondée, ainsi que le
rang revendiqué ; elle doit préciser les éléments de preuve qui peuvent être produits à l’appui de la créance
alléguée. »

17 L’article 110, paragraphe 1, de l’IO est ainsi libellé :

64
« Les titulaires de créances dont l’exactitude ou le rang demeurent litigieux peuvent agir en constatation de
l’existence de celles-ci, lorsque la voie de droit contentieuse est recevable, en dirigeant leur action contre
tous les contestants [...]. Les prétentions formulées dans le cadre de cette action ne peuvent être fondées
que sur le motif invoqué dans le cadre de la déclaration et lors de l’audience de vérification ; elles ne peuvent
pas viser un montant plus élevé que celui qui a été indiqué à cette occasion. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 La partie demanderesse au principal, chargée de l’administration de la voirie étatique polonaise, a confié à


Alpine Bau la réalisation de plusieurs projets de construction routière en Pologne, ces marchés ayant été
attribués à la suite d’appels d’offres publics. Les contrats relatifs à ces projets comportaient des clauses
détaillées concernant les dommages et intérêts à verser en cas de retard dans leur exécution.

19 Le 19 juin 2013, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte en Autriche à l’égard d’Alpine Bau
et M. Riel a été désigné administrateur judiciaire de cette société.

20 Le 4 juillet 2013, cette procédure a été requalifiée en « procédure de faillite ». Le lendemain, en application
d’une décision du Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche), il a été indiqué dans le
fichier des procédures d’insolvabilité qu’il s’agissait d’une procédure principale d’insolvabilité, au sens du
règlement n° 1346/2000.

21 Une procédure secondaire d’insolvabilité a été ouverte en Pologne contre Alpine Bau devant le Sad
Rejonowy Poznān-Stare Miasto w Poznaniu (tribunal d’arrondissement de Poznān-Stare Miasto, Pologne).

22 Des créances ont été produites par la partie demanderesse au principal, les 16 août 2013 et 22 juin 2016, à
la procédure principale d’insolvabilité ouverte en Autriche ainsi que les 16 mai 2014 et 16 juin 2015 à la
procédure secondaire d’insolvabilité ouverte en Pologne.

23 La plupart des créances ainsi produites ont été contestées par M. Riel, désigné dans le cadre de la procédure
principale d’insolvabilité autrichienne, et par l’administrateur judiciaire désigné dans le cadre de la procédure
secondaire polonaise.

24 Le 1er avril 2015, la partie demanderesse au principal a introduit, en Pologne, une action en constatation de
l’existence d’une créance d’un montant de 309 663 865 zloty polonais (PLN) (environ 73 898 402 euros).

25 Le 31 octobre 2016, elle a également introduit, devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de
Vienne), une action tendant à la constatation de l’existence d’une créance d’un montant de 64 784 879,43
euros, en demandant qu’il soit, conformément aux articles 29 et 30 du règlement n° 1215/2012, sursis à
statuer jusqu’à ce que la décision dans les procédures pendantes en Pologne, relatives à la vérification des
créances, ait acquis l’autorité de la chose jugée.

26 Par un jugement interlocutoire du 25 juillet 2017, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne)
a rejeté la requête de la partie demanderesse au principal à hauteur d’un montant de 265 132, 81 euros,
sans se prononcer sur sa demande de sursis à statuer.

27 La partie demanderesse au principal a fait appel de ce jugement devant l’Oberlandesgericht Wien (tribunal
régional supérieur de Vienne, Autriche), invoquant, notamment, un vice de procédure en ce que le
Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) avait refusé de surseoir à statuer, en violation de
l’article 29 du règlement n° 1215/2012.

28 La juridiction de renvoi se demande, en premier lieu, si l’action en constatation de l’existence d’une créance
dont elle est saisie relève du champ d’application du règlement n° 1215/2012 ou de celui du règlement
n° 1346/2000.

29 En deuxième lieu, elle s’interroge sur l’application, éventuellement par analogie, des règles relatives à la
litispendance prévues par le règlement n° 1215/2012, en cas d’application du règlement n° 1346/2000.

30 En troisième lieu, elle exprime des doutes concernant la portée des exigences figurant à l’article 41 du
règlement no 1346/2000 relatives au contenu de la production d’une créance par des créanciers établis dans
un État membre.

65
31 C’est dans ces conditions que l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a décidé de
surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens
qu’une action en constatation d’une créance au titre du droit autrichien concerne l’insolvabilité au
sens de [cette disposition] et qu’elle est, par conséquent, exclue du champ d’application matériel de
ce règlement ?

2) (uniquement dans le cas où la première question appellerait une réponse affirmative) :

L’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 doit-il être appliqué par analogie aux actions
annexes relevant du champ d’application du règlement n° 1346/2000 ?

3) (uniquement dans le cas où la première question appellerait une réponse négative ou dans celui où la
deuxième question appellerait une réponse affirmative) :

L’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’une
demande ayant le même objet et la même cause est formée entre les mêmes parties lorsqu’un
créancier – la [partie demanderesse au principal] –, qui a produit une créance identique (en
substance) dans la procédure principale d’insolvabilité autrichienne et dans la procédure secondaire
d’insolvabilité polonaise, créance qui a été contestée (pour l’essentiel) par les administrateurs
judiciaires concernés, intente, tout d’abord en Pologne contre l’administrateur judiciaire de la
procédure secondaire polonaise, puis en Autriche contre l’administrateur judiciaire de la procédure
principale – [M. Riel] –des actions en constatation de l’existence de créances d’un certain montant ?

4) L’article 41 du règlement n° 1346/2000 doit-il être interprété en ce sens qu’il est satisfait à l’exigence
tenant à l’indication de la “nature de la créance, sa date de naissance et son montant” lorsque

a) – comme en l’espèce – le créancier ayant son siège dans un État membre autre que l’État
d’ouverture – la [partie demanderesse au principal] – se borne, dans sa déclaration de
créance dans la procédure principale d’insolvabilité, à décrire la créance en indiquant un
montant concret, mais pas la date à laquelle elle est née (en employant par exemple les
termes “créance du sous-traitant JSV Slawomir Kubica au titre de l’exécution de travaux
routiers”)

b) et que, si aucune date de naissance de la créance n’est indiquée dans la déclaration elle-
même, une date de naissance peut néanmoins être déduite des annexes jointes à la
déclaration de créance (par exemple au vu de la date figurant sur la facture produite) ?

5) L’article 41 du règlement n° 1346/2000 doit-il être interprété en ce sens que cette disposition ne
s’oppose pas à l’application de dispositions nationales plus favorables, in concreto, au créancier
déclarant ayant son siège dans un État membre autre que l’État d’ouverture – en ce qui concerne,
par exemple, l’exigence de l’indication de la date de naissance de la créance ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous
b), du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation de l’existence
de créances aux fins de leur enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, telle que celle en
cause au principal, est exclue du champ d’application de ce règlement.

33 À cet égard, il convient de rappeler que les règlements nos1215/2012 et 1346/2000 doivent être interprétés
de façon à éviter tout chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent et tout vide juridique.
Ainsi, les actions exclues, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1215/2012, du
champ d’application de ce dernier, en tant qu’elles relèvent des « faillites, concordats et autres procédures
analogues », entrent dans le champ d’application du règlement n o 1346/2000. Symétriquement, les actions
qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000
relèvent du champ d’application du règlement n° 1215/2012 (arrêts du 20 décembre 2017, Valach e.a.,
C-649/16, EU:C:2017:986, point 24, ainsi que du 4 octobre 2018, Feniks, C-337/17, EU:C:2018:805,
point 30).

66
34 Il en résulte que les champs d’application respectifs de ces deux règlements sont clairement délimités et
qu’une action qui dérive directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement relève non pas
du champ d’application du règlement no 1215/2012, mais de celui du règlement no 1346/2000 (arrêt du
14 novembre 2018, Wiemer & Trachte, C-296/17, EU:C:2018:902, point 31).

35 Dans ce contexte, la Cour a pris en considération le fait que les divers types d’actions dont elle avait eu à
connaître étaient exercés à l’occasion d’une procédure d’insolvabilité. Par ailleurs, elle s’est surtout attachée
à déterminer à chaque fois si l’action en cause trouvait son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité
ou dans d’autres règles (arrêts du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition, C-157/13,
EU:C:2014:2145, point 26, ainsi que du 4 décembre 2014, H, C-295/13, EU:C:2014:2410, point 18).

36 En particulier, l’élément déterminant retenu par la Cour pour identifier le domaine dont relève une action est
le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou
l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial
ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité (arrêts du 4 septembre 2014,
Nickel & Goeldner Spedition, C-157/13, EU:C:2014:2145, point 27 ; du 11 juin 2015, Comité d’entreprise de
Nortel Networks e.a., C-649/13, EU:C:2015:384, point 28 ; du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers
Maschinenbau, C-641/16, EU:C:2017:847, point 22, ainsi que du 20 décembre 2017, Valach e.a., C-649/16,
EU:C:2017:986, point 29).

37 En l’occurrence, il convient de relever que, outre la circonstance que l’action en constatation de l’existence
de créances prévue à l’article 110 de l’IO, exercée par la requérante au principal, constitue un élément de
la législation autrichienne en matière d’insolvabilité, il résulte des termes de cette disposition que cette action
a vocation à être exercée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, par des créanciers participant à
celle-ci, en cas de contestation portant sur l’exactitude ou le rang de créances déclarées par ces créanciers.

38 Dès lors, il apparaît que, compte tenu de ces caractéristiques, l’action en constatation de l’existence de
créances prévue à l’article 110 de l’IO dérive directement d’une procédure d’insolvabilité, s’y insère
étroitement et trouve son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité.

39 Par conséquent, ladite action relève non pas du champ d’application du règlement n° 1215/2012, mais de
celui du règlement n° 1346/2000.

40 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, sous b),
du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation de l’existence de
créances aux fins de leur enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, telle que celle en
cause au principal, est exclue du champ d’application de ce règlement.

Sur la deuxième question

41 Par sa deuxième question, qu’elle pose uniquement pour le cas où une réponse affirmative serait donnée à
la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 29, paragraphe 1, du
règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique par analogie à une action telle que
celle en cause au principal, exclue du champ d’application de ce règlement, mais relevant de celui du
règlement n° 1346/2000.

42 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en prévoyant que, lorsque des demandes ayant le même objet
et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents,
la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction
première saisie soit établie, l’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 vise à éviter que des
décisions inconciliables soient rendues concernant ces demandes.

43 Il convient également de relever que, dans la mesure où le législateur de l’Union a explicitement exclu
certaines matières du champ d’application du règlement n° 1215/2012, les dispositions de celui-ci, y compris
celles présentant un caractère purement procédural, ne s’appliquent pas par analogie à ces matières.

44 Par ailleurs, une telle application méconnaîtrait le système du règlement n° 1346/2000 et porterait, dès lors,
atteinte à l’effet utile des dispositions de celui-ci, notamment en ce que, conformément aux articles 3 et 27
de ce règlement, lus à la lumière des considérants 12, 18 et 19 de celui-ci, des procédures secondaires
d’insolvabilité peuvent être ouvertes parallèlement à la procédure principale d’insolvabilité, ce que
l’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 ne permet pas.

67
45 En outre, ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations écrites, s’agissant du système du
règlement n° 1346/2000, l’article 31 de celui-ci permet d’éviter le risque de décisions inconciliables en
établissant des règles en matière d’information et de coopération en cas de procédures d’insolvabilité
parallèles.

46 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 29, paragraphe 1, du règlement
n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas, ni même par analogie, à une action telle
que celle en cause au principal, exclue du champ d’application de ce règlement, mais relevant de celui du
règlement n° 1346/2000.

Sur la troisième question

47 La troisième question n’étant posée que pour le cas où une réponse négative serait donnée à la première
question ou pour celui où une réponse affirmative serait donnée à la deuxième question, il n’y a pas lieu d’y
répondre.

Sur les quatrième et cinquième questions

48 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi
demande, en substance, si l’article 41 du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’un
créancier peut, dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, produire une créance sans indiquer
formellement la date de naissance de celle-ci, lorsque la loi de l’État membre sur le territoire duquel cette
procédure a été ouverte le permet et que cette date peut être déduite des pièces justificatives visées à cet
article 41.

49 Il ressort des considérants 2 et 8 du règlement n° 1346/2000 que celui-ci a pour objectif de permettre un
fonctionnement efficace et effectif des procédures d’insolvabilité transfrontalières ainsi que d’améliorer et
d’accélérer celles-ci.

50 En particulier, ainsi qu’il résulte notamment du considérant 21 et de l’article 39 de ce règlement, ce dernier


tend à assurer l’égalité de traitement des créanciers au sein de l’Union et à faciliter l’exercice de leurs droits.

51 L’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement n° 1346/2000 énonce le principe selon lequel les règles
concernant la production, la vérification et l’admission des créances sont déterminées par la loi de l’État
membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité est ouverte. L’article 41 de ce règlement, figurant
au chapitre IV de celui-ci, intitulé « Information des créanciers et production de leurs créances », énonce
cependant certaines exigences relatives au contenu de la production d’une créance, qui, ainsi que
M. l’avocat général l’a relevé aux points 59 et 72 de ses conclusions, doivent être regardées comme
constituant des exigences maximales, relatives au contenu de la production d’une créance, pouvant être
imposées par une réglementation nationale aux créanciers ayant leur résidence habituelle, leur domicile ou
leur siège dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été
ouverte.

52 Parmi ces exigences, cet article 41 prévoit, notamment, que le créancier envoie une copie des pièces
justificatives, s’il en existe, et qu’il indique la date de naissance de la créance.

53 Par ailleurs, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 51 du présent arrêt, les règles
concernant la vérification et l’admission des créances demeurent, conformément au principe énoncé à
l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement n° 1346/2000, déterminées par la loi de l’État membre sur le
territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte.

54 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 41 du règlement n° 1346/2000 ne doit pas faire l’objet
d’une interprétation ayant pour effet d’écarter la production d’une créance au motif que la déclaration de
créance en cause ne comporte pas l’une des indications énoncées à cet article 41, lorsque la mention de
cette indication n’est pas imposée par la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure
d’insolvabilité a été ouverte et que ladite indication peut, sans difficulté particulière, être déduite des pièces
justificatives visées audit article 41, ce qu’il appartient à l’autorité compétente, chargée de la vérification des
créances, d’apprécier.

55 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 41 du
règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu’un créancier peut, dans le cadre d’une procédure
d’insolvabilité, produire une créance sans indiquer formellement la date de naissance de celle-ci, lorsque la
loi de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure a été ouverte n’impose pas l’obligation d’indiquer

68
cette date et que cette dernière peut, sans difficulté particulière, être déduite des pièces justificatives visées
à cet article 41, ce qu’il appartient à l’autorité compétente, chargée de la vérification des créances,
d’apprécier.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la
juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des
observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et
du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens
qu’une action en constatation de l’existence de créances aux fins de leur enregistrement dans
le cadre d’une procédure d’insolvabilité, telle que celle en cause au principal, est exclue du
champ d’application de ce règlement.

2) L’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il ne
s’applique pas, ni même par analogie, à une action telle que celle en cause au principal, exclue
du champ d’application de ce règlement, mais relevant de celui du règlement n° 1346/2000.

3) L’article 41 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures
d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens qu’un créancier peut, dans le cadre d’une
procédure d’insolvabilité, produire une créance sans indiquer formellement la date de
naissance de celle-ci, lorsque la loi de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure
a été ouverte n’impose pas l’obligation d’indiquer cette date et que cette dernière peut, sans
difficulté particulière, être déduite des pièces justificatives visées à cet article 41, ce qu’il
appartient à l’autorité compétente, chargée de la vérification des créances, d’apprécier.

Doc. 7. CJUE 14 novembre 2018, C 296/17

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de l’article 18,
paragraphe 2, ainsi que des articles 21 et 24 du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000,
relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000, L 160, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wiemer & Trachte GmbH, société en
liquidation, à M. Zhan Oved Tadzher au sujet de la restitution par celui-ci d’une somme d’argent qui lui a été
transférée à partir du compte bancaire de Wiemer & Trachte sans l’accord du syndic provisoire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1346/2000

3 Les considérants 2 et 6 à 8 du règlement no 1346/2000 énoncent :

« (2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières
fonctionnent efficacement et effectivement et l’adoption du présent règlement est nécessaire pour
atteindre cet objectif qui relève du domaine de la coopération judiciaire civile au sens de l’article 65
[CE].

[...]

69
(6) Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des
dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des
décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le
présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces
décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe.

(7) Les procédures d’insolvabilité relatives à la faillite d’entreprises insolvables ou d’autres personnes
morales, les concordats et les autres procédures analogues sont exclus du champ d’application de
la [convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des
décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32)].

(8) Pour réaliser l’objectif visant à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets
transfrontaliers, il paraît nécessaire et approprié que les dispositions relatives à la compétence, à la
reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine soient contenues dans un acte juridique [de
l’Union européenne] qui soit obligatoire et directement applicable dans tout État membre. »

4 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de ce règlement dispose :

« 1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du
débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes
morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège
statutaire.

2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les
juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard
de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets
de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire. »

5 L’article 16, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« Toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre
compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses
effets dans l’État d’ouverture.

[...] »

6 Aux termes l’article 18 du même règlement :

« 1. Le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 1, peut exercer
sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture,
aussi longtemps qu’aucune autre procédure d’insolvabilité n’y a été ouverte ou qu’aucune mesure
conservatoire contraire n’y a été prise à la suite d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité
dans cet État. Il peut notamment déplacer les biens du débiteur hors du territoire de l’État membre sur lequel
ils se trouvent, sous réserve des articles 5 et 7.

2. Le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 2, peut, dans tout
autre État membre faire valoir par voie judiciaire ou extrajudiciaire, qu’un bien mobilier a été transféré du
territoire de l’État d’ouverture sur le territoire de cet autre État membre après l’ouverture de la procédure
d’insolvabilité. Il peut également exercer toute action révocatoire utile aux intérêts des créanciers.

[...] »

7 Aux termes de l’article 21 du règlement no 1346/2000 :

« 1. Le syndic peut demander que le contenu essentiel de la décision ouvrant la procédure d’insolvabilité
et, le cas échéant, de la décision qui le nomme soit publié dans tout autre État membre, selon les modalités
de publication prévues dans cet État. Ces mesures de publicité indiquent en outre le syndic désigné et
précisent si la règle de compétence appliquée est celle de l’article 3, paragraphe 1 ou 2.

2. Toutefois, la publication obligatoire peut être prévue par tout État membre sur le territoire duquel le
débiteur a un établissement. Dans ce cas, le syndic ou toute autorité habilitée à cet effet dans l’État membre
où la procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, a été ouverte doit prendre les mesures nécessaires pour
assurer cette publication. »

70
8 L’article 24 de ce règlement prévoit :

« 1. Celui qui, dans un État membre, exécute une obligation au profit du débiteur soumis à une procédure
d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre, alors qu’il aurait dû le faire au profit du syndic de cette
procédure, est libéré s’il ignorait l’ouverture de la procédure.

2. Celui qui a exécuté cette obligation avant les mesures de publicité prévues à l’article 21 est présumé,
jusqu’à preuve contraire, avoir ignoré l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ; celui qui l’a exécutée après
ces mesures de publicité est présumé jusqu’à preuve contraire, avoir eu connaissance de l’ouverture de la
procédure. »

9 Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, dudit règlement :

« Les décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par une
juridiction dont la décision d’ouverture est reconnue conformément à l’article 16 ainsi qu’un concordat
approuvé par une telle juridiction sont reconnus également sans aucune autre formalité. [...]

Le premier alinéa s’applique également aux décisions qui dérivent directement de la procédure
d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction.

Le premier alinéa s’applique également aux décisions relatives aux mesures conservatoires prises après la
demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. »

Le règlement (CE) no 44/2001

10 L’article 1er, paragraphe 1 et 2, sous b), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000,
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), dispose :

« 1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la
juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2. Sont exclus de son application :

[...]

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

[...] »

Le droit bulgare

11 L’article 17 bis du Targovski zakon (loi sur le commerce) dispose :

« 1. Une succursale d’une personne étrangère qui est immatriculée et qui a le droit d’exercer une activité
commerciale selon son droit national est inscrite au registre du commerce.

[...]

3. Les données suivantes sont inscrites au registre :

[...]

3) les données provenant de tous les actes de la juridiction compétente en matière d’insolvabilité, qui
sont inscrits au registre dans lequel est inscrite la personne étrangère ainsi que, le cas échéant, des
décisions visées à l’article 759, paragraphe 1, et à l’article 760, paragraphe 3 ;

[...]

5. L’inscription des données visées au paragraphe 3, points 2, 3 et 4, peut également être effectuée
d’office sur le fondement d’une notification du registre d’un autre État membre de l’Union dans lequel est
inscrite la personne étrangère, qui a été reçue par l’intermédiaire du système d’interconnexion des registres
des États membres. »

71
12 Aux termes de l’article 15 du Zakon za targovskia register (loi relative au registre du commerce) :

« 1. L’inscription, la suppression et la publication peuvent être déclarées :

1) [...] par le commerçant ou par la personne morale sans but lucratif ;

2) [...] par le fondé de pouvoir ;

3) [...] par une autre personne dans les cas prévus par une loi ;

4) [...] par un avocat disposant d’un mandat exprès établi conformément aux conditions prévues par la
loi sur la profession d’avocat en vue d’une représentation devant l’agence.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Wiemer & Trachte est une société à responsabilité limitée dont le siège se situe à Dortmund (Allemagne).
Par une décision du 10 mai 2004, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a ordonné
l’inscription au registre du commerce bulgare d’une succursale de Wiemer & Trachte en Bulgarie.

14 Par une ordonnance du 3 avril 2007, l’Amtsgericht Dortmund (tribunal de district de Dortmund, Allemagne)
a, dans le cadre de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité visant Wiemer & Trachte, désigné un syndic
provisoire et a décidé que les actes de disposition de cette société ne produiraient d’effet qu’avec l’accord
de ce syndic. Cette première ordonnance a fait l’objet d’une inscription au registre du commerce allemand
le 4 avril 2007. Par une deuxième ordonnance, rendue le 21 mai 2007, et inscrite à ce registre le 24 mai
2007, ce tribunal a imposé à Wiemer & Trachte une interdiction générale de disposer de ses biens. Par une
troisième ordonnance, rendue le 1er juin 2007 par ledit tribunal, le patrimoine de la société a été soumis à
une procédure d’insolvabilité. Cette troisième ordonnance a fait l’objet d’une inscription audit registre le 5 juin
2007.

15 Les 18 et 20 avril 2007, des montants, respectivement, de 2 149,30 euros et de 40 000 euros ont été virés
depuis le compte de Wiemer & Trachte auprès de la banque Obedinena Balgarska banka AD, par
l’intermédiaire du gérant de la succursale bulgare de Wiemer & Trachte, vers un compte au nom de
M. Tadzher, au titre, respectivement, d’une « déclaration de frais de voyage » et d’une « avance pour des
dépenses professionnelles ».

16 Wiemer & Trachte a dès lors saisi le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) d’une action dirigée
contre M. Tadzher, en faisant valoir que ces transactions bancaires étaient dépourvues d’effet dans la
mesure où elles étaient intervenues après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Elle demandait la
restitution des montants mentionnés au point 15 du présent arrêt, majorés d’intérêts légaux, dans la masse
d’insolvabilité.

17 M. Tadzher a soutenu que le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) était incompétent pour
examiner l’affaire au principal et que le montant correspondant à l’avance pour dépenses professionnelles,
n’ayant pas été utilisé, avait été reversé à Wiemer & Trachte le 25 avril 2007.

18 L’exception d’incompétence a été rejetée par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) ainsi que,
en appel, par l’Apelativen sad (Cour d’appel, Bulgarie). Par une ordonnance du 28 janvier 2013, le Varhoven
kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) a considéré que le pourvoi en cassation formé
contre l’ordonnance rendue par l’Apelativen sad (Cour d’appel) n’était pas recevable et que cette
ordonnance, qui reconnaissait la compétence du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) pour
trancher l’affaire sur le fond, avait force de chose jugée.

19 Cette dernière juridiction a accueilli, sur le fond, le recours introduit par Wiemer & Trachte. M. Tadzher a
interjeté appel de cette décision. Le 26 juillet 2016, l’Apelativen sad (Cour d’appel) a annulé ladite décision
et a rejeté la demande de restitution des montants mentionnés au point 15 du présent arrêt comme étant
non fondée et non étayée par des preuves.

20 Wiemer & Trachte s’est donc pourvue en cassation devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de
cassation) contre l’arrêt de l’Apelativen sad (Cour d’appel), en soutenant que l’article 24 du règlement

72
no 1346/2000 n’était pas applicable au litige au principal et que, dès lors, M. Tadzher ne pouvait prétendre
avoir ignoré l’ouverture de la procédure d’insolvabilité visant Wiemer & Trachte.

21 Dans ces circonstances, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a décidé de surseoir à
statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, du [règlement no 1346/2000] en ce sens que la


compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a
été ouverte pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un
défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre est une compétence
exclusive, ou bien le syndic peut-il introduire une action révocatoire devant une juridiction dans l’État
membre sur le territoire duquel est situé le siège statutaire ou le domicile de la partie défenderesse
dans l’hypothèse prévue à l’article 18, paragraphe 2, du même règlement lorsque l’action révocatoire
du syndic est fondée sur un acte de disposition portant sur un bien mobilier et effectué sur le territoire
de cet autre État membre ?

2) La libération de la responsabilité prévue à l’article 24, paragraphe 2, du [règlement no 1346/2000], lu


en combinaison avec son paragraphe 1, s’applique-t-elle en cas d’exécution d’une obligation au profit
du débiteur dans un État membre, par l’intermédiaire du gérant d’une succursale, immatriculée dans
cet État membre, de la société débitrice, lorsqu’au moment de cette exécution, une demande
d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité visant le débiteur a été présentée dans un autre État
membre et qu’un syndic provisoire a été désigné, mais qu’aucune décision d’ouverture d’une
procédure d’insolvabilité n’a été prise ?

3) L’article 24, paragraphe 1, du [règlement no 1346/2000], concernant l’exécution d’une obligation,


s’applique-t-il au paiement d’une somme d’argent au profit du débiteur lorsque le transfert initial de
cette somme par le débiteur à la personne qui a exécuté l’obligation est considéré comme étant sans
effet conformément au droit national de la juridiction compétente en matière d’insolvabilité et que
cette absence d’effet résulte de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ?

4) La présomption d’ignorance prévue à l’article 24, paragraphe 2, du [règlement no 1346/2000]


s’applique-t-elle lorsque les personnes visées à l’article 21, paragraphe 2, deuxième phrase, de ce
règlement n’ont pas pris les mesures nécessaires pour garantir la publication, dans le registre de
l’État membre sur le territoire duquel est située l’entreprise du débiteur, des actes pris par la juridiction
compétente en matière d’insolvabilité portant désignation d’un syndic provisoire et ordonnant que les
actes de disposition de la société ne produisent d’effets que moyennant l’accord du syndic provisoire,
si l’État membre du lieu du siège de l’entreprise prévoit la publication obligatoire de ces actes, bien
qu’il les reconnaisse en vertu de l’article 25, lu en combinaison avec l’article 16, dudit règlement ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, du


règlement no 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions de l’État membre
sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer sur une action révocatoire
fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un
autre État membre, est une compétence exclusive ou si le syndic peut introduire une telle action révocatoire
également devant une juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le siège statutaire ou le
domicile du défendeur.

23 L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 confère aux juridictions de l’État membre sur le
territoire duquel est situé le centre des intérêts du débiteur la compétence exclusive pour ouvrir la procédure
d’insolvabilité principale (arrêt du 15 décembre 2011, Rastelli Davide et C., C-191/10, EU:C:2011:838,
point 27).

24 Aux fins de déterminer les critères permettant de décider si une action est incluse ou non dans le champ
d’application de cette disposition, la Cour a précisé qu’il convenait d’avoir égard au considérant 6 du
règlement no 1346/2000 selon lequel ce règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la
compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement
de la procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2009, Seagon,
C-339/07, EU:C:2009:83, point 20, et du 19 avril 2012, F-Tex, C-213/10, EU:C:2012:215, point 26).

73
25 La Cour en a déduit que, compte tenu de l’objectif du législateur ainsi exposé dans ce considérant et de
l’effet utile du règlement no 1346/2000, l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement doit être interprété en ce
sens qu’il attribue aux juridictions de l’État membre compétent pour ouvrir une procédure d’insolvabilité une
compétence internationale pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y
insèrent étroitement (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 21,
et du 19 avril 2012, F-Tex, C-213/10, EU:C:2012:215, point 27).

26 Eu égard, notamment, à ces considérations, la Cour a déjà jugé que les actions révocatoires ayant pour but
d’accroître l’actif de l’entreprise soumise à une procédure de faillite relèvent de cette catégorie d’actions.
L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 doit, dès lors, être interprété en ce sens que les
juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont
compétentes pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur
domicilié dans un autre État membre (arrêt du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 28).

27 La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si cette compétence internationale est exclusive ou
si, au contraire, elle est optionnelle, permettant au syndic de saisir une juridiction de l’État membre du
domicile du défendeur d’une telle action révocatoire.

28 À ce titre, il y a lieu de relever, d’une part, que le considérant 7 du règlement no 1346/2000 précise que les
procédures d’insolvabilité relatives à la faillite d’entreprises insolvables ou d’autres personnes morales, les
concordats et les autres procédures analogues sont exclus du champ d’application de la convention du
27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et
commerciale qui a été remplacée, dans les relations entre les États membres à l’exclusion du Royaume de
Danemark, par le règlement no 44/2001. D’autre part, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de ce
règlement, sont exclus du champ d’application de ce dernier les « faillites, concordats et autres procédures
analogues ».

29 Ce dernier règlement et le règlement n° 1346/2000 doivent être interprétés de façon à éviter tout
chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent et tout vide juridique. Ainsi, les actions
exclues, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 44/2001, du champ d’application de
ce dernier relèvent du champ d’application du règlement n° 1346/2000. Symétriquement, les actions qui
n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 relèvent
du champ d’application du règlement n° 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers
France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, EU:C:2017:847, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

30 À cet égard, la Cour a précisé que ce dernier règlement a vocation à s’appliquer à l’ensemble de la matière
civile et commerciale à l’exception de certaines matières bien définies, et que l’article 1er, paragraphe 2,
sous b), du règlement no 44/2001 n’exclut de son champ d’application que les actions qui dérivent
directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, lesquelles relèvent du champ
d’application du règlement no 1346/2000 (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, F-Tex, C-213/10,
EU:C:2012:215, point 29).

31 Il en résulte que les champs d’application respectifs de ces deux règlements relatifs à la compétence
internationale des juridictions des États membres sont clairement délimités et qu’une action révocatoire, dès
lors qu’elle dérive directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement, relève du champ
d’application du règlement no 1346/2000 et non de celui du règlement no 44/2001.

32 Or, il y a lieu d’observer que le règlement no 1346/2000 ne prévoit aucune règle d’attribution de compétence
internationale qui conduirait à attribuer aux juridictions de l’État membre du domicile du défendeur la
compétence pour connaître des actions révocatoires qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité
et s’y insèrent étroitement.

33 Par ailleurs, la Cour a déjà jugé qu’une concentration de l’ensemble des actions directement liées à
l’insolvabilité devant les juridictions de l’État membre compétent pour l’ouverture de la procédure
d’insolvabilité est conforme à l’objectif d’amélioration de l’efficacité et de la rapidité des procédures
d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, visé aux considérants 2 et 8 du règlement n o 1346/2000 (arrêt
du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 22).

34 En outre, il y a lieu de relever que, selon le considérant 4 de ce règlement, il est nécessaire, pour assurer le
bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties soient incitées à déplacer des avoirs ou
des procédures judiciaires d’un État à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique (forum
shopping) (arrêt du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 23).

74
35 Or, la possibilité que divers fors exercent une compétence en ce qui concerne les actions révocatoires
engagées dans différents États membres aboutirait à affaiblir la poursuite d’un tel objectif (arrêt du 12 février
2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 24).

36 Il découle des considérations qui précèdent que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel a été
ouverte la procédure d’insolvabilité, visées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000,
bénéficient d’une compétence exclusive pour connaître des actions qui dérivent directement de cette
procédure et qui s’y insèrent étroitement et donc des actions révocatoires fondées sur l’insolvabilité.

37 Cette conclusion ne saurait être infirmée par le contexte dans lequel s’insère l’article 3, paragraphe 1, du
règlement no 1346/2000.

38 En premier lieu, il ne saurait être tiré argument de l’article 18, paragraphe 2, de ce règlement pour remettre
en question le caractère exclusif de la compétence internationale des juridictions visées à l’article 3,
paragraphe 1, dudit règlement pour connaître des actions révocatoires.

39 En effet, l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 concerne uniquement la situation particulière
dans laquelle le syndic a été désigné dans le cadre d’une procédure relevant de l’article 3, paragraphe 2,
dudit règlement et ne saurait s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal dans
laquelle le syndic a été désigné dans le cadre de la procédure d’insolvabilité principale.

40 Ainsi que le souligne M. l’avocat général au point 64 de ses conclusions, une telle distinction s’explique par
le fait que les pouvoirs du syndic sont, dans le cadre d’une procédure relevant de l’article 3, paragraphe 2,
du règlement no 1346/2000, territorialement limités dans la mesure où, en vertu de cet article, les effets de
cette procédure sont circonscrits aux biens du débiteur se trouvant sur le territoire de l’État membre à la
date d’ouverture de ladite procédure. Le syndic doit donc avoir, dans un tel cas, la possibilité de saisir d’une
action révocatoire liée à une telle procédure une juridiction d’un État membre autre que celui de l’ouverture
de la procédure secondaire si des biens faisant l’objet de cette procédure ont été transférés, après son
ouverture, dans un autre État membre.

41 En second lieu, l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 ne peut pas davantage servir au
soutien d’une interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement en faveur d’une option de
compétence internationale pour les actions révocatoires.

42 Ainsi que M. l’avocat général le relève au point 65 de ses conclusions, cette disposition vise uniquement la
reconnaissance et le caractère exécutoire des décisions qui dérivent directement de la procédure
d’insolvabilité et qui s’y attachent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction. Ladite
disposition ne fait qu’admettre la possibilité que les juridictions d’un État membre sur le territoire duquel a
été ouverte une procédure d’insolvabilité, au titre de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000,
connaissent également d’une action qui dérive directement de cette procédure, qu’il s’agisse de la juridiction
qui a procédé à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, au titre dudit l’article 3, paragraphe 1, ou d’une
autre juridiction territorialement et matériellement compétente de ce même État membre (voir, en ce sens,
arrêt du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, points 26 et 27).

43 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que
l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la compétence des
juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer
sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire
ou son domicile dans un autre État membre, est une compétence exclusive.

Sur les deuxième à quatrième questions

44 Dans la mesure où les deuxième à quatrième questions supposent, contrairement à ce qui découle de la
réponse apportée à la première question, qu’une action révocatoire puisse être introduite devant une
juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le siège statutaire ou le domicile du défendeur,
il n’y a pas lieu de répondre auxdites questions.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la
juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des
observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

75
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux
procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions de
l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer sur une
action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire
ou son domicile dans un autre État membre, est une compétence exclusive.

Doc. 8. Com., 11 mars 2020, n° 19-10.657, publié au bulletin

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 2018), la société Vertu Operations Limited, dont le siège est
au Royaume-Uni, dispose d'un établissement en France situé à Paris.

2. Saisi par le ministère public, le tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 24 mai 2018, a
ouvert la liquidation judiciaire de la « SARL membre de la CE Vertu Operations Limited dont le
principal établissement en France est au [...] », la société BTSG, prise en la personne de M. O..., étant
désignée liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Vertu Operations Limited et M. M... T..., en qualité de représentant de la société en France,
font grief à l'arrêt d'ouvrir la liquidation judiciaire de la « SARL membre de la CE Vertu Operations
Limited » alors « que la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité
examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement
européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité, indique dans sa décision
d'ouverture les fondements de sa compétence et précise notamment si elle repose sur le paragraphe 1 ou
2 de l'article 3 du règlement ; qu'en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l'Etat membre où est situé
le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir une procédure d'insolvabilité
principale, tandis qu'en vertu du paragraphe 2, les juridictions des autres Etats membres que celui où est
situé le centre des intérêts principaux du débiteur ne sont compétentes que si le débiteur possède
également un établissement sur leur territoire, les effets de la procédure étant limités aux biens du
débiteur se trouvant sur ce territoire ; qu'en plaçant en liquidation judiciaire la "SARL membre de la CE
Vertu Operations Limited" sans examiner d'office si elle était compétente en vertu de l'article 3, sans
indiquer les fondements de sa compétence et sans préciser si sa compétence était fondée sur le
paragraphe 1 ou 2 de l'article 3, la cour d'appel a violé l'article 4 du règlement précité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;

4. Selon le texte susvisé, la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité
entrant dans le champ d'application du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil
du 20 mai 2015 examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3, indique, dans sa décision
d'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les fondements de sa compétence et précise notamment si sa
compétence est fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3.

76
5. Pour ouvrir la liquidation judiciaire de la « SARL membre de la CE Vertu Operations Limited dont
le principal établissement en France est au [...] », l'arrêt se prononce seulement sur l'état de cessation
des paiements et l'impossibilité manifeste du redressement de l'entreprise.

6. En statuant ainsi, sans examiner d'office si elle était internationalement compétente pour ouvrir une
procédure d'insolvabilité à l'égard de la société Vertu Operations Limited, ni indiquer les fondements de
sa compétence, ni préciser si sa compétence était fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3 du Règlement
(UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015, rendant ainsi impossible la
détermination du périmètre et des effets de la liquidation judiciaire qu'elle prononçait, la cour d'appel a
violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2018, entre les parties, par
la cour d'appel de Paris ;

Doc. 9. Com. 16 juill. 2020, n° 17-16.200, publié au bulletin

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 3 janvier 2017), la « County Court » de Luton (Royaume-Uni) a, le
8 juin 2010, prononcé la mise en faillite personnelle de M. X.... Le 18 juin suivant, cette même juridiction
a désigné M. B..., en qualité de liquidateur du patrimoine de M. X..., à compter du 23 juin 2010.

2. Le 7 juin 2013, M. B..., ès qualités, a assigné M. X... et Mme C... devant le tribunal de grande instance
de Bonneville, pour voir ordonner les opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision existant
entre eux sur un immeuble situé sur le territoire français.

Examen du moyen unique

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

3. M. X... et Mme C... font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de M. B..., d'ordonner l'ouverture
des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision relativement aux immeubles situés sur
le territoire de la commune de la [...] et désigner à cette fin M. R..., notaire, et d'ordonner sous le
ministère de la société Briffod et Puthod, avocat au barreau de Bonneville, les formalités préalables à la
vente de l'immeuble aux enchères publiques à la barre du tribunal de grande instance de Bonneville, sur
la mise à prix de 400 000 euros, avec faculté de baisse de mise à prix en cas de désertion d'enchères,
alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles 18, paragraphe 1, et 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du
29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité que le syndic désigné par une juridiction compétente
en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux
procédures d'insolvabilité peut exercer sur le territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui
sont conférés par la loi de l'État d'ouverture, à la double condition, d'une part, que, dans l'exercice de ses
pouvoirs, il respecte la loi de l'État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant
aux modalités de réalisation des biens, et, d'autre part, que ces pouvoirs n'incluent pas l'emploi de
moyens contraignants, ni le droit de statuer sur un litige ou un différend ; qu'il s'ensuit que, même prévu
par la loi de l'État d'ouverture pour la réalisation de l'actif du débiteur, le transfert au syndic de la
propriété des biens appartenant au débiteur figure au nombre des procédés contraignants qu'il n'est pas
en son pouvoir d'accomplir sur le territoire d'un autre État membre que celui de l'État d'ouverture, sur le
fondement de l'article 18 du règlement précité ; qu'en décidant en l'absence de tout exequatur, que la

77
procédure principale ouverte par la "County Court" de Luton bénéficie d'une reconnaissance de plein
droit permettant à M. B..., trustee de M. X..., en vertu de l'article 18 du règlement, d'exercer sur le
territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'État d'ouverture,
dont l'exercice, à la place de M. X..., d'une action en partage d'un immeuble dont il était propriétaire
indivis avec Mme C..., dès lors que la propriété en a été transférée au syndic par le seul effet du jugement
d'ouverture, en vertu du droit anglais, la cour d'appel a violé cette disposition, ensemble les articles 3 et
6 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ;

2°/ qu'il résulte de l'article 5 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures
d'insolvabilité que l'ouverture de la procédure d'insolvabilité n'affecte pas le droit réel d'un créancier ou
d'un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, appartenant aux débiteurs et
qui se trouvent, au moment de l'ouverture de la procédure, sur le territoire d'un autre État membre ; qu'il
s'ensuit que le partage d'un immeuble indivis, à la demande du syndic, relève de la loi du lieu de situation
du bien, à l'exclusion de la loi de l'État d'ouverture ; qu'en accueillant l'action en partage d'un immeuble
indivis, dès lors que la propriété de la quote-part indivise du débiteur a été transférée au trustee comme
le prévoit le droit anglais, sans qu'il soit au pouvoir du coïndivisaire, Mme C..., d'arrêter l'action en
partage, en désintéressant les créanciers personnels de M. X..., comme le prévoit l'article 815-17 du code
civil, ce qui aurait exigé du syndic que la créance soit certaine, liquide et exigible, la cour d'appel qui a
fait application de la loi de l'Etat d'ouverture, a violé l'article 5 du règlement précité ;

3°/ que l'article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures
d'insolvabilité impose au syndic de se conformer à la loi du lieu de situation de l'immeuble indivis
lorsqu'il en provoque le partage, en vue de réaliser l'actif du débiteur contre lequel une procédure
principale d'insolvabilité a été ouverte dans un autre Etat membre ; qu'en affirmant que l'ouverture d'une
procédure d'insolvabilité à l'encontre de M. X..., selon les règles du droit anglais, permettait à son trustee
de provoquer le partage de l'immeuble dont le débiteur était propriétaire indivis, dès lors que la propriété
en a été transférée au syndic selon les règles du droit anglais, pour exclure l'application de l'article 815-
17 du code civil qui subordonne l'exercice de l'action en partage par le mandataire à la condition que le
coïndivisaire puisse en arrêter le cours, en désintéressant les créanciers personnels de M. X..., ce qui
aurait supposé que Mme C... connaisse le montant de la dette qu'elle devrait payer, la cour d'appel a
violé l'article 18, § 3, du règlement précité, ensemble l'article 815-17 du code civil par refus
d'application. »

Réponse de la Cour

4. L'article 16 du règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité
pose le principe de la reconnaissance dans tous les autres Etats membres de toute décision ouvrant une
procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3.

5. Il résulte de l'article 18, § 1, que, en dehors d'hypothèses étrangères à l'espèce, le syndic désigné par
une juridiction compétente en vertu de l'article 3, § 1, peut exercer sur le territoire d'un autre Etat membre
tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'Etat d'ouverture. L'article 18, § 3, dispose que, dans
l'exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel il entend
agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens, et que ses pouvoirs ne peuvent inclure
l'emploi de moyens contraignants.

6. En premier lieu, la cour d'appel, après avoir constaté que l'ordonnance de faillite du 8 juin 2010 était
une décision d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité principale, en a exactement déduit qu'elle
produisait, sans aucune autre formalité dans tout Etat membre, les effets que lui attribuait la loi de l'Etat
d'ouverture et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens de M. X..., incluant sa quote-
part indivise de l'immeuble situé en France, lui permettant d'exercer sur le territoire de cet Etat tous les
pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d'agir en partage de
l'indivision.

78
7. En second lieu, l'arrêt retient que M. B..., devenu propriétaire des biens de M. X..., est coïndivisaire
de l'immeuble avec Mme C... et qu'il agit en conséquence sur le fondement de l'article 815 du code civil
et non sur celui de l'article 815-17 du même code. Ce faisant, la cour d'appel, reconnaissant les effets de
la procédure d'insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait
application de la loi de situation de l'immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l'action
engagée devant les juridictions françaises. C'est donc à tort que le moyen, pris en ses deuxième et
troisième branches, postule que la cour d'appel aurait appliqué la loi anglaise sans exiger du syndic qu'il
respecte la loi française, dans l'exercice de ses pouvoirs, en particulier quant aux modalités de réalisation
des biens et sans inclure l'emploi de moyens contraignants.

8. Par conséquent, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

M. X... et Mme C... font le même grief à l'arrêt alors :

« 1°/ que la conception française de l'ordre public international s'oppose à ce qu'il soit donné effet à la
règle de droit anglais transférant au syndic la propriété des biens du débiteur contre laquelle une
procédure d'insolvabilité a été ouverte ; qu'en décidant le contraire, au motif inopérant que les systèmes
juridiques européens ont en commun de permettre l'appréhension des biens du débiteur failli, au lieu
d'apprécier la contrariété à l'ordre public de la règle transférant au trustee la propriété de l'actif à partager,
à la différence du transfert du droit d'administration qui entraîne à l'encontre du débiteur, un simple
dessaisissement, la cour d'appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai
2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 1er du 1er protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ que la conception française de l'ordre public international s'oppose à l'application de la règle de droit
anglais privant le coïndivisaire du pouvoir d'arrêter le cours de l'action en partage de l'immeuble indivis,
en s'acquittant de la dette du débiteur insolvable ; qu'en affirmant le contraire, au motif inopérant que
nul n'est tenu de demeurer dans l'indivision, la cour d'appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement
(CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 1er du 1er
protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

9. L'article 26 du règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000 permet à tout Etat membre de refuser
de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre ou d'exécuter une
décision prise dans le cadre d'une telle procédure lorsque cette reconnaissance ou cette exécution
produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes
fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution. La Cour de justice
de l'Union européenne a dit pour droit que ce recours à la clause d'ordre public ne devait jouer que dans
des cas exceptionnels (CJUE, 1re chambre, 21 janvier 2010, aff. C-444/07, Mg Probud Gdynia sp. z
o.o., point 34).

10. La règle du transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, personne physique, mis en
liquidation judiciaire, résultant de la loi anglaise, ne produit pas des effets manifestement contraires à la
conception française de l'ordre public international. La cour d'appel, qui a reconnu le droit d'agir de M.
B... en partage de l'indivision entre M. X... et Mme C... sur un bien situé sur le territoire français comme
étant une conséquence de la reconnaissance de l'ouverture en Angleterre de la procédure d'insolvabilité
de M. X..., a fait l'exacte application des textes visés par le moyen.

11. Par conséquent, le moyen n'est pas fondé.

79
PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi

80
Séance 6. L’Etat comme opérateur

1. L’Etat défendeur à un contentieux judiciaire

Exercice. Commentez le document 9 de la fiche (intro + plan détaillé)

PLAN DE LA SEANCE

I. IMMUNITE DE JURIDICTION
1. IMMUNITES ET DROITS FONDAMENTAUX

Doc. 1. Civ. 1ère, 2 juin 2004, n° 03-41.851, Publié au bulletin

2. PROTECTION DES ACTES DE PUISSANCE PUBLIQUE ET DES ACTES FAITS DANS L’INTERET D’UN
SERVICE PUBLIC

Doc. 2. Civ. 1ère, 27 avril 2004, n° 01-12.442, Publié au bulletin


Doc. 3. Mixte 20 juin 2003, nos 00-45.629 00-45.630, Publié au bulletin

3. LES PERSONNES CONCERNEES PAR L’IMMUNITE DE JURIDICTION

Doc. 4. Com. 17 avril 2019, n° 17-18.286, publié au bulletin

4. RENONCIATION A L’IMMUNITE DE JURIDICTION

Doc. 5. Civ 1 1er février 2005, nos 01-13.742 et 01-15.237, publié au bulletin

II. L’IMMUNITE D’EXECUTION


1. LES EMANATIONS DE L’ETAT

Doc. 6. Civ. 1ère 15 juillet 1999, n° 97-19.742, publié au bulletin


Doc. 7. Civ. 1ère 14 novembre 2007, n° 04-15.388, publié au bulletin

2. LES MISSIONS DIPLOMATIQUES DE L’ETAT ET LA RENONCIATION A L’IMMUNITE D’EXECUTION

Doc. 8. civ 1ère 28 septembre 2011, 09-72057, publié au bulletin


Doc. 9. Civ. 1re, 10 janv. 2018, n° 16-22.494, publié au bulletin

81
I. IMMUNITE DE JURIDICTION

1. IMMUNITES ET DROITS FONDAMENTAUX

Doc. 1. Civ. 1ère, 2 juin 2004, n° 03-41.851, Publié au bulletin

Attendu que M. X... a été arrêté en France pour faits de résistance et déporté au camp de concentration
de Dachau où il dût travailler pour la société BMW ; qu'il a fait citer, le 16 novembre 2000, devant le
conseil de prud'hommes de Sète, l'Etat allemand et la société allemande BMW en paiement de la
rémunération du travail effectué pour la période du 16 juin 1944 au 29 mai 1945, ainsi que de dommages-
intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Montpellier, 29 janvier 2003) d'avoir déclaré
irrecevable son action intentée contre l'Etat allemand, bénéficiaire de l'immunité de juridiction, alors
qu'un Etat, qui commet des actes coercitifs, viole les Conventions internationales et n'a aucun
comportement démocratique, ne peut invoquer des actes de puissance publique ;

Mais attendu que les principes qui régissent les relations entre Etats dont est issu celui de l'immunité de
juridiction postulent que le bénéficiaire de celle-ci est l'Etat étranger tel qu'il se présente au moment de
l'assignation en justice, en l'occurrence, la République fédérale d'Allemagne, et non tel qu'il était à
l'époque des actes ou faits litigieux ;

que, c'est à juste titre que l'arrêt attaqué retient que l'activité de M. X... ne pouvait s'inscrire dans le cadre
d'une relation de droit privé, alors que le fait de contraindre des déportés, en territoire ennemi, à travailler
dans le cadre de l'économie de guerre avait été accompli, à titre de puissance publique, par les autorités
du Troisième Reich ayant procédé à l'arrestation et à la déportation de l'intéressé ; que le moyen n'est
donc pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... reproche également à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'incompétence de la
juridiction prud'homale française relativement à la demande dirigée contre la société BMW AG Munich,
alors, selon le moyen, que son activité s'étant effectuée en dehors de tout établissement, la cour d'appel
a violé l'article R. 517-1, alinéa 2, du Code du travail, qui permet au demandeur de saisir la juridiction
du lieu de son domicile si le travail est effectué en dehors de tout établissement ou à domicile ;

Mais attendu qu'il est constant que M. X... a accompli le travail pour lequel il revendique rémunération
dans l'usine de la société BMW située à proximité immédiate de son lieu de déportation ;

que c'est donc encore, à bon droit, que l'arrêt attaqué a décidé que la juridiction française était
incompétente pour connaître du litige, non pas sur le fondement de l'article R. 517-1 du Code du travail,
retenu par lui, mais sur celui de l'article 5 de la Convention de Bruxelles, modifiée, du 27 septembre
1968, qui était seul applicable ; qu'il s'ensuit que le moyen est dépourvu de toute pertinence ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

2. PROTECTION DES ACTES DE PUISSANCE PUBLIQUE ET DES ACTES FAITS DANS L’INTERET D’UN
SERVICE PUBLIC

82
Doc. 2. Civ. 1ère, 27 avril 2004, n° 01-12.442, Publié au bulletin

Attendu que le 27 mars 1997, au cours d'un stage d'entraînement en vol en Arizona (Etats-Unis
d'Amérique) auquel participait l'équipe de parachutisme de l'armée américaine United States Army
parachute Team (USAPT), connue sous le nom de "Golden Knights", M. X..., parachutiste français de
haut niveau, a été blessé lors d'une collision en vol avec M. Y..., sous officier de l'armée américaine,
membre et photographe de l'USAPT ; que M. X... et la Fédération française de parachutisme ayant
engagé une action en responsabilité délictuelle contre M. Y... en invoquant l'article 14 du Code civil, le
tribunal de grande instance a rejeté le moyen tiré de l'immunité de juridiction des Etats étrangers soulevé
par M. Y... et appuyé par les Etats-Unis d'Amérique, intervenants volontaires, et déclaré l'action
recevable ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... et la Fédération française de parachutisme font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars
2001), statuant sur l'appel d'une décision ayant écarté la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de
juridiction et l'exception d'incompétence des juridictions françaises, d'avoir déclaré cet appel recevable,
alors, selon le moyen, qu'aux termes des articles 544 et 545 du nouveau Code de procédure civile, l'appel
d'un tel jugement, qui ne tranchait pas le principal et qui statuait sur une exception de procédure et une
fin de non recevoir sans mettre fin à l'instance, n'était pas immédiatement recevable ; que l'irrecevabilité,
étant d'ordre public, devait être soulevée d'office par la cour d'appel ; que celle-ci, en méconnaissant ses
propres obligations, a violé les textes précités ;

Mais attendu que l'appel est recevable en cas d'excès de pouvoir ; que tel peut être le cas lorsque la cour
d'appel statue sur la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction d'un Etat étranger écartée par
le premier juge ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens réunis, pris en leurs diverses branches :

Attendu que M. X... et la Fédération française de parachutisme font grief à l'arrêt d'avoir renvoyé les
parties à mieux se pourvoir aux motifs, premièrement, que M. Y... et les Etats-Unis d'Amérique sont
fondés à se prévaloir du principe de l'immunité de juridiction, qui s'oppose à ce qu'une action soit
engagée à leur encontre devant les tribunaux d'un autre Etat et, deuxièmement, qu'il importe peu que
l'entraînement au cours duquel est survenu l'accident fût préparatoire d'une compétition sportive de haut
niveau à laquelle était associée une équipe civile française, qu'il s'agissait pour l'armée américaine
d'entraîner ses parachutistes d'élite, avec le double objectif, d'une part, de promouvoir le prestige des
forces armées et leurs efforts de recrutement, d'autre part, de développer les techniques de pointe
utilisées en vue d'applications militaires, que l'activité de l'équipe de parachutisme à laquelle prenait part
M. Y..., lorsque s'est produit l'accident litigieux, était accomplie dans le cadre d'une mission de service
public de l'Etat étranger alors, selon les moyens :

1 ) que l'immunité de juridiction ne peut profiter qu'aux Etats ou à leurs représentants, lorsqu'ils sont
directement assignés devant la juridiction française ; qu'elle ne joue pas lorsque, dans le cadre de l'action
engagée contre un étranger en raison de sa responsabilité, l'Etat dont cet étranger est ressortissant forme
une intervention volontaire et prétend assurer sa défense en ses lieu et place, en invoquant le bénéfice
de l'immunité ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 14 du Code civil et le principe de l'immunité de
juridiction des Etats étrangers ;

2 ) qu'un militaire étranger, simple fonctionnaire, n'est pas un représentant de l'Etat étranger dont il a la
nationalité et ne peut bénéficier de l'immunité de juridiction ; que les juridictions françaises peuvent
donc connaître de l'action en responsabilité civile engagée contre de simples fonctionnaires étrangers,
les questions de l'éventuelle garantie de l'Etat, de la substitution de sa responsabilité à celle de son agent,
ou du recours que ses fonctionnaires pourraient avoir contre cet Etat relevant exclusivement de la loi
applicable au fond du litige, et étant sans incidence sur le pouvoir des tribunaux français pour connaître
du recours principal dirigé contre le seul auteur du dommage, et échappant au demeurant à toute question

83
d'immunité, s'agissant des rapports entre l'Etat étranger et son fonctionnaire ; que la cour d'appel a ainsi
violé les article et principe susvisés ;

3 ) que l'action en responsabilité engagée contre un fonctionnaire étranger en raison des fautes commises
dans l'exercice de son service, même à supposer qu'elle doive être, au regard de la loi applicable, dirigée
contre l'Etat lui-même en raison d'une substitution de sa responsabilité à celle de son agent, ne peut
échapper à la connaissance des juridictions françaises normalement compétentes ; que la cour d'appel a
encore violé par fausse application le principe de l'immunité de juridiction ;

4 ) que l'immunité de juridiction accordée aux Etats étrangers a pour objectif d'éviter que les tribunaux
d'un Etat s'immiscent dans l'appréciation des décisions ou du fonctionnement des services relevant du
strict exercice politique de la souveraineté de cet Etat ; que ne relève pas de cette souveraineté
l'organisation de démonstrations et de compétitions mettant en scène une équipe de parachutistes de haut
niveau, fussent-ils militaires, dont l'objet est, selon l'arrêt attaqué lui-même, de se confronter à des
équipes purement civiles, ce qui est exclusif alors de toute idée de défense nationale, de présenter au
public les exploits des militaires et de constituer une vitrine pour l'armée américaine ; qu'une telle activité
parfaitement détachable de l'activité souveraine de défense, et destinée à faire l'objet de commentaires
et de critiques, soit du public à qui les démonstrations sont destinées, soit des compétiteurs civils destinés
à y participer, ne saurait bénéficier de l'immunité de juridiction ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article
14 du Code civil et le principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers par fausse application ;

5 ) en toute hypothèse que l'action en responsabilité engagée contre un fonctionnaire d'un Etat étranger,
même à supposer que la responsabilité de cet Etat doive être substituée à celle de son agent, dans la
mesure où elle ne met en cause aucune des décisions souveraines de l'Etat mais seulement la simple
exécution ou la mise en oeuvre des choix opérés par l'Etat, échappe à l'immunité de juridiction des Etats
étrangers, que l'action en responsabilité pour faute commise par un militaire parachutiste, dans le cadre
d'une démonstration sportive commune à des équipes civiles, échappe à cette immunité et peut relever
de la connaissance des juridictions françaises ; que la cour d'appel a violé le principe de l'immunité de
juridiction des Etats étrangers par fausse application ;

Mais attendu que les Etats étrangers et les organismes ou personnes agissant par leur ordre et pour leur
compte bénéficient de l'immunité de juridiction non seulement pour les actes de puissance publique mais
aussi pour ceux accomplis dans l'intérêt d'un service public ; que la cour d'appel, ayant relevé, d'abord,
que M. Y..., sous-officier de l'armée, était membre de l'USAPT, laquelle était rattachée au
commandement du recrutement de l'armée des Etats-Unis, ensuite, que l'entraînement au cours duquel
est survenu l'accident s'inscrivait dans le cadre ordinaire des activités de l'USAPT sur le territoire
américain, était financé par l'armée américaine et effectué sous son commandement, encore, que
l'association d'une équipe civile a cet entraînement ne faisait pas perdre à celui-ci son caractère militaire
dès lors qu'il s'agissait pour l'armée américaine d'entraîner ses parachutistes et de promouvoir son
recrutement, en a exactement déduit que l'activité de l'équipe de parachutisme était accomplie dans le
cadre de l'exécution d'une mission de service public de l'Etat étranger et décidé que M. Y... était fondé
à se prévaloir du principe de l'immunité de souveraineté des Etats, privant ainsi du pouvoir de juger le
for saisi et sans que les dispositions sur la compétence de l'article 14 du Code civil puissent lui être
opposées ; d'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

Doc. 3. Mixte 20 juin 2003, nos 00-45.629 00-45.630, Publié au bulletin

Vu la connexité, joint les pourvois n° X 00-45.629 et n° Y 00-45.630 ;

84
Attendu que, par "convention de service" du 16 septembre 1993, le gouvernement du Royaume d'Arabie
Saoudite a engagé Mme X... comme professeur d'arabe à l'Ecole saoudienne de Paris, créée par l'Etat
saoudien ; qu'elle a fait assigner, le 23 juin 1997, l'Ecole saoudienne devant le conseil de prud'hommes
pour obtenir, en application du droit français, son affiliation aux organismes sociaux français ainsi que
la réparation du préjudice découlant pour elle de cette absence d'affiliation ; que le Royaume d'Arabie
Saoudite est intervenu à la procédure pour opposer son immunité de juridiction ; que, par le premier
arrêt attaqué, la cour d'appel a jugé qu'il y avait confusion entre le Royaume d'Arabie Saoudite et l'Ecole
saoudienne de Paris qui constituaient une même personne juridique, puis, par le second arrêt, qu'il y
avait lieu de retenir l'immunité de juridiction ;

Sur le pourvoi n° X 00-45.629 :

Vu l'article 989 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi n° X 00-45.629 qui ne contient ni n'a été
suivi d'aucun exposé des moyens de cassation invoqués contre la décision attaquée ;

Sur le pourvoi n° Y 00-45-630 en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 9 mars 2000 :

Vu l'article 989 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que Mme X... s'est pourvue en cassation par déclaration du 25 octobre 2000 contre l'arrêt avant-
dire droit du 9 mars 2000 et l'arrêt au fond du 7 septembre 2000 ; que son mémoire du 22 février 2002
ne contient aucun moyen à l'encontre de l'arrêt du 9 mars 2000 ; qu'il y a lieu, dès lors, de constater la
déchéance du pourvoi n° Y 00-45.630 en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt ;

Sur le pourvoi n° Y 00-45.630 en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 7 septembre 2000 :

Sur le moyen unique :

Vu les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

Attendu que les Etats étrangers et les organismes qui en constituent l'émanation ne bénéficient de
l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité,
à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ;

Attendu que pour juger que le Royaume d'Arabie Saoudite était bien fondé à se prévaloir de l'immunité
de juridiction, l'arrêt attaqué relève que Mme X... exerçait son activité d'enseignement dans les locaux
de l'Ecole saoudienne qui n'avait pas de personnalité juridique distincte de celle de l'Etat saoudien, qu'il
n'était pas contesté que le programme et le calendrier scolaires étaient les mêmes que ceux appliqués en
Arabie Saoudite, et, que cet Etat prenait en charge toutes les dépenses de l'école à Paris ; qu'il retient, en
outre, que le contrat de travail du 16 septembre 1993 contenait deux clauses exorbitantes du droit
commun français dès lors que le licenciement pouvait intervenir pour cause d'intérêt public sans que le
salarié ait le droit d'en connaître la raison et que tout différend était soumis au cabinet général de la
fonction publique du Royaume d'Arabie Saoudite qui devait rendre un avis sans appel, de sorte qu'il
résultait de l'ensemble de ces éléments que Mme X... participait au service public de l'enseignement
saoudien ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, alors que l'acte litigieux, consistant pour
l'Etat saoudien à ne pas déclarer Mme X... à un régime français de protection sociale en vue de son
affiliation, n'était qu'un acte de gestion administrative, la cour d'appel a méconnu les principes susvisés
;
PAR CES MOTIFS :

85
Constate la déchéance du pourvoi n° X 00-45.629 et du pourvoi n° Y 00-45.630 en tant que dirigé contre
l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 mars 2000 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2000, entre les parties, par
la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient
avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée
;

3. LES PERSONNES CONCERNEES PAR L’IMMUNITE DE JURIDICTION

Doc. 4. Com. 17 avril 2019, n° 17-18.286, publié au bulletin

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 mars 2017), qu'à la suite de la rupture et du naufrage du
navire-citerne « [...] », battant pavillon de l'Etat des Bahamas, lors de son remorquage au large des côtes
espagnoles, une partie de son chargement en hydrocarbures a été rejetée en mer provoquant une pollution
maritime et côtière ; que l'Etat français a assigné les sociétés américaines American Bureau of Shipping,
ABSG Consulting Inc. et ABS Group of Companies (les entités ABS), sociétés de classification et de
certification, devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en responsabilité à raison de fautes
commises dans leur activité de classification des navires et réparation du préjudice subi sur son territoire,
dans sa mer territoriale et dans sa zone économique ; que les entités ABS ont décliné la compétence des
juridictions françaises en se prévalant de l'immunité juridictionnelle de l'Etat des Bahamas, sur l'ordre
et pour le compte duquel elles avaient agi par délégation pour la délivrance des certificats statutaires ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est
manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les deuxième à sixième moyens, réunis :

Attendu que les entités ABS font grief à l'arrêt d'écarter l'exception d'immunité juridictionnelle, alors
selon le moyen :

1°/ que la CNUDM a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE
du Conseil du 23 mars 1998 et a ainsi été intégrée dans l'ordre juridique communautaire ; que la Cour
de justice de l'Union européenne a jugé, par un arrêt Intertanko du 3 juin 2008 (aff. C-308/06) que « la
Convention de Montego Bay ne met pas en place des règles destinées à s'appliquer directement et
immédiatement aux particuliers et à conférer à ces derniers des droits ou des libertés susceptibles d'être
invoqués à l'encontre des Etats, indépendamment de l'attitude de l'Etat du pavillon du navire » ; qu'en
l'état de cette doctrine, qui fixe l'interprétation d'un élément de l'ordre juridique communautaire, la
Convention de Montego Bay, et en particulier son article 236, ne sauraient être tenus comme directement
applicables en droit interne ; que peu importe, à cet égard, que la Convention de Montego Bay ait pu,
sur certains points, codifier le droit international coutumier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article
236 de la Convention de Montego Bay pour refuser aux entités ABS le bénéfice d'une immunité de
juridiction, la cour d'appel a violé l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

2°/ que les dispositions de la partie XII de la Convention de Montego Bay, et en particulier son article
236, ne créant d'obligations qu'à la charge des Etats parties, ne sont pas directement applicables en droit
interne ; que peu importe, à cet égard, que la Convention de Montego Bay ait pu, sur certains points,
codifier le droit international coutumier ; qu'en se fondant néanmoins sur l'article 236 de la Convention
de Montego Bay pour refuser aux entités ABS le bénéfice d'une immunité de juridiction, la cour d'appel
a violé les principes gouvernant l'application du droit international devant les juridictions internes ;

3°/ que l'article 236 de la Convention de Montego Bay soustrait les navires de guerre, navires auxiliaires
et navires d'Etat utilisés exclusivement à des fins de service public non commerciales aux dispositions

86
de la convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin ; qu'il n'a pas pour objet
de régler les conditions dans lesquelles une société de classification et de certification des navires,
délégataire d'un Etat étranger, peut bénéficier d'une immunité de juridiction lorsque sa responsabilité
civile est recherchée à raison de l'exercice de ses activités ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour
d'appel a violé, par fausse application, l'article 236 de la Convention de Montego Bay ;

4°/ que, selon l'article 229 de la Convention de Montego Bay, « aucune disposition de la convention ne
porte atteinte au droit d'introduire une action en responsabilité civile en cas de pertes ou de dommages
résultant de la pollution du milieu marin » ; qu'il résulte de cette disposition que la Convention de
Montego Bay, qui ne comporte pas un régime de responsabilité civile propre à la pollution du milieu
marin, abandonne la matière aux législations nationales ; qu'en retenant néanmoins que l'article 236 de
la convention vise nécessairement tant les poursuites pénales que les poursuites civiles engagées à la
suite d'un déversement de substances polluantes, la cour d'appel a violé les articles 229 et 236 de la
Convention de Montego Bay ;

5°/ qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les entités ABS sont intervenues exclusivement
pour la classification et la certification du navire [...] ; qu'elles n'ont pas participé, de quelque manière
que ce soit, à l'exploitation du navire ; qu'en les excluant du bénéfice de l'immunité de juridiction au
motif que les entités ABS étaient « intervenues à l'acte de transport » effectué par un navire de
commerce, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 236 de la Convention de Montego Bay
;

6°/ qu'en fondant sa décision sur l'article 16 de la Convention des Nations unies sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens, pris comme l'expression d'une règle de droit international
coutumier, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office ; que, ne l'ayant pas soumis à la discussion
préalable des parties, elle a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de
procédure civile ;

7°/ que l'article 16 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et
de leurs biens vise les navires dont l'Etat est propriétaire et exploitant et écarte l'immunité de juridiction
dans les procédures se rapportant à l'exploitation du navire ou au transport d'une cargaison se trouvant
à son bord ; que cette disposition est étrangère à l'activité de classification et de certification des navires
; qu'en s'y référant néanmoins pour refuser le bénéfice de l'immunité de juridiction aux entités ABS dont
la responsabilité civile était recherchée à raison de prétendues fautes commises dans leur activité de
classification et de certification, la cour d'appel a violé, par fausse application, la règle de droit
international coutumier codifiée à l'article 16 de la convention susvisée ;

8°/ qu'en fondant sa décision sur l'article XI de la Convention internationale sur la responsabilité civile
pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office
; que, ne l'ayant pas soumis à la discussion des parties, elle a méconnu le principe du contradictoire et
violé l'article 16 du code de procédure civile ;

9°/ que ceux qui agissent sur l'ordre ou pour le compte d'un Etat étranger bénéficient de l'immunité de
juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la
souveraineté de l'Etat et n'est donc pas un acte de gestion ; que l'objet du litige est déterminé par les
prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, l'acte litigieux à analyser pour déterminer si les entités
ABS bénéficiaient de l'immunité de juridiction était constitué par le comportement fautif reproché à ces
dernières par l'Etat français, tel que décrit dans ses écritures avant que la fin de non-recevoir tirée de
l'immunité n'eût été soulevée ; qu'en se fondant, pour retenir que l'Etat français mettait en cause la
responsabilité civile des entités ABS à raison des seuls manquements aux obligations contractuelles
souscrites dans le cadre de leur activité de classification des navires, sur les conclusions développées
par l'Etat français en cause d'appel, sans examiner l'assignation délivrée par l'Etat français le 26 février
2010 ni rechercher le fondement qui y était donné à l'action en responsabilité dirigée contre les entités
ABS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international
relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

87
10°/ que l'Etat français reprochait aux entités ABS des négligences au cours de la réalisation de visites
et inspections du navire [...] ; que, pour déterminer si les entités ABS bénéficiaient de l'immunité de
juridiction, il y avait lieu d'examiner si ces négligences avaient été commises dans le cadre d'une activité
participant à l'exercice de la souveraineté de l'Etat des Bahamas ; qu'en se fondant exclusivement sur la
qualification juridique du manquement que l'Etat français déduisait de l'allégation d'une négligence, sans
rechercher si le comportement concret imputé à faute aux entités ABS, à savoir un contrôle insuffisant
du navire [...], n'était pas advenu dans le cadre de l'exercice de prérogatives de souveraineté déléguées
par l'Etat des Bahamas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit
international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

11°/ en se déterminant uniquement au regard du fondement donné par l'Etat français, dans ses écritures
d'appel, à sa demande, sans rechercher si, comme le soutenaient les entités ABS dans leurs écritures et
comme les premiers juges l'avaient retenu, les activités de classification et les activités déléguées par
l'Etat bahaméen portant sur le contrôle et la certification des navires ne constituaient pas en réalité une
même activité ou à tout le moins des activités totalement imbriquées, de sorte que la question de
l'immunité de juridiction ne pouvait être décidée sur le seul terrain de la classification du navire [...], la
cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des principes de droit international relatifs à
l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ;

12°/ dans leurs conclusions d'appel, les entités ABS soutenaient que, quand bien même il serait considéré
que les prétendues fautes d'ABS auraient été commises dans le cadre de son activité de classification, il
y aurait lieu de considérer que les défaillances prétendues concernaient les contrôles destinés à
contribuer à la sécurité en mer et que les actes y relatifs d'ABS ne constituaient pas de simples actes de
gestion mais des actes participant de l'exercice d'une mission de service public par délégation de l'Etat
des Bahamas, de sorte qu'ABS bénéficiait nécessairement de l'immunité de juridiction à ce titre ; qu'en
omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de
procédure civile ;

Mais attendu que les activités de certification et de classification, qui relèvent de régimes juridiques
différents, sont dissociables et que seule la première autorise une société de droit privé à se prévaloir de
l'immunité juridictionnelle de l'Etat du pavillon qui l'a spécialement habilitée à délivrer, en son nom, au
propriétaire d'un navire, la certification statutaire ;

Et attendu que l'arrêt retient que la responsabilité des entités ABS, sociétés de droit privé, est mise en
cause, non pour leur activité de certification exercée au nom de l'Etat des Bahamas, mais pour celle de
classification, en raison de manquements commis dans l'exécution des obligations de visites techniques
et inspections périodiques auxquelles elles étaient tenues par la convention conclue avec le propriétaire
du navire ; qu'abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les huit premières
branches, la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi

4. RENONCIATION A L’IMMUNITE DE JURIDICTION

Doc. 5. Civ 1 1er février 2005, nos 01-13.742 et 01-15.237, publié au bulletin

Vu leur connexité, joint les pourvois n° G 01-13.742 et n° D 02-15.237 ;

88
Donne acte à l'Etat d'Israël du désistement de son pourvoi n° G 01-13.742 en tant qu'il est dirigé contre
l'arrêt du 28 septembre 2000 ;

Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :

Attendu que l'Etat d'Israël et la société de droit iranien National iranian oil company (NIOC) ont conclu,
en 1968, un accord de participation relatif à des opérations pétrolières stipulant une clause d'arbitrage
prévoyant, notamment, que si les deux arbitres désignés par chacune des deux parties ne se mettaient
pas d'accord sur le règlement du litige ou sur le choix d'un troisième arbitre, il serait demandé au
président de la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris de le nommer ; qu'un litige étant
survenu, en 1994, et l'Etat d'Israël ayant refusé de désigner un arbitre, la société NIOC a saisi le président
du tribunal de grande instance de Paris au visa de l'article 1493, alinéa 2, du nouveau Code de procédure
civile aux fins de désignation du deuxième arbitre ; que ce juge ayant, par ordonnance du 9 février 2000,
déclaré l'Etat d'Israël bien fondé en son exception d'incompétence, le premier arrêt attaqué (Paris, 29
mars 2001) a déclaré recevable le recours de la société NIOC en ce qu'il constituait un appel-nullité
formé comme en matière de contredit, et, annulant la décision, a imparti à l'Etat d'Israël un délai pour
désigner un arbitre, en estimant que le droit de la société NIOC, partie à une convention d'arbitrage
international, de voir soumettre ses prétentions à la juridiction arbitrale choisie par les parties, se trouvait
dénié et que le juge français était le moins mal placé pour désigner un arbitre et permettre ainsi à la
société NIOC d'accéder à la juridiction arbitrale ; que, faute pour cet Etat de l'avoir fait, la cour d'appel
a procédé à cette désignation par le second arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2001) ;

Attendu que l'Etat d'Israël fait grief aux deux arrêts attaqués d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen
:
1 / qu'en retenant l'existence d'un excès de pouvoir rendant recevable et fondé l'appel-nullité de la société
NIOC, bien qu'elle relevait que l'arbitrage ne devait pas se dérouler en France ni être soumis à la loi de
procédure française, et cela même si le refus de l'Etat d'Israël consacrait une impossibilité de mettre en
oeuvre la procédure arbitrale, la cour d'appel a elle-même commis un excès de pouvoir, violant ainsi les
articles 1493, alinéa 1er, et 1457, alinéas 1 et 2, du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'en retenant un déni de justice par le motif inopérant que l'Etat d'Israël avait déclaré ne pas
reconnaître la compétence des juridictions iraniennes pour nommer un arbitre bien que celles-ci auraient
pu être saisies, ce que la société NIOC s'est abstenue de faire, l'arrêt attaqué a privé de base légale sa
décision au regard des articles 1493 et 1457 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'en se bornant à relever que la société NIOC se trouvait dans l'impossibilité de recourir à l'arbitrage
sans constater l'impossibilité pour cette société de porter sa contestation au fond devant une juridiction
étatique quelconque, l'arrêt attaqué a privé de base légale sa décision au regard des articles 1493 et 1457
du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu'en retenant la compétence du président du tribunal de grande instance de Paris sans constater une
attache significative du litige avec la France, la cour d'appel a de nouveau privé de base légale sa décision
au regard des articles 1493 et 1457 du nouveau Code de procédure civile ;

5 / que le déni de justice, à le supposer caractérisé, ne pouvait conduire qu'à la compétence des
juridictions françaises sur le fond du litige et non pour désigner un arbitre de sorte qu'en statuant comme
elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1493 et 1457 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge, fût-il arbitral, chargé de statuer sur
sa prétention, à l'exclusion de toute juridiction étatique, et d'exercer ainsi un droit qui relève de l'ordre
public international consacré par les principes de l'arbitrage international et l'article 6. 1, de la
Convention européenne des droits de l'homme, constitue un déni de justice qui fonde la compétence
internationale du président du tribunal de grande instance de Paris, dans la mission d'assistance et de
coopération du juge étatique à la constitution d'un tribunal arbitral, dès lors qu'il existe un rattachement
avec la France ; que l'arrêt attaqué ayant relevé que la société NIOC était, en l'état de la jurisprudence

89
de la Cour suprême de l'Etat d'Israël, dans l'impossibilité de saisir les tribunaux israéliens ou iraniens
pour nommer un arbitre à la place de l'Etat d'Israël qui s'y refusait, dès lors que cet Etat avait
expressément déclaré ne pas reconnaître leur compétence respective pour y procéder, que cette
impossibilité était générale et durable, et, enfin, que le lien avec la France, même s'il était ténu, comme
résultant du choix par les parties du président de la CCI de Paris pour une désignation éventuelle d'un
troisième arbitre, était le seul dont la société NIOC pouvait utilement se prévaloir pour assurer la
réalisation de leur commune volonté de recourir à l'arbitrage, la cour d'appel en a exactement déduit que
cet état de fait constituait, pour la société NIOC, un déni de justice justifiant la compétence internationale
du juge français ;

qu'en jugeant que le président du tribunal de grande instance, en se déclarant incompétent pour statuer,
avait méconnu l'étendue de ses pouvoirs et commis ainsi un excès de pouvoir négatif, la cour d'appel a
légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi

II. L’IMMUNITE D’EXECUTION

3. LES EMANATIONS DE L’ETAT

Doc. 6. Civ. 1ère 15 juillet 1999, n° 97-19.742, publié au bulletin

Donne acte à la société CED Viandes de son intervention ;

Attendu que la société Dumez bâtiment, aux droits de laquelle vient la société Dumez GTM a participé,
en 1984, à l'exécution d'un marché passé par le ministère de la Défense d'Irak ; que la loi irakienne du
16 septembre 1990, ayant interdit aux sociétés étrangères l'accès aux instances arbitrales et judiciaires
de cet Etat, la société Dumez a assigné l'Etat irakien devant le tribunal de grande instance de Nanterre
qui, par jugement du 9 octobre 1991 devenu irrévocable, l'a condamné à lui payer le prix des travaux
effectués ; que la société Dumez a demandé la validation des saisies-arrêts qu'elle a fait pratiquer en
1992 sur les fonds détenus en France, pour le compte de l'Irak, par différents établissements bancaires
dont la BNP, ainsi que sur les fonds détenus par la Banque centrale d'Irak, la banque Rafidain et la
banque Al Rasheed ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Dumez GTM reproche à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que la Banque centrale
d'Irak, la banque Rafidain et la Rasheed Bank n'étaient pas des émanations de l'Etat d'Irak alors, selon
le moyen, d'une part, qu'en se bornant à faire état de l'apparence créée par les statuts des trois banques
sans rechercher, comme elle y était invitée, si, contrairement à cette apparence, il n'existait pas, en
pratique et au regard des ingérences de l'Etat irakien, une confusion de patrimoines entre chacune de ces
banques et l'Etat irakien et si ces banques n'étaient pas, en fait, dépourvues d'autonomie, la cour d'appel
a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2092 du Code civil ; et alors, d'autre part, que la
cour d'appel qui n'exclut pas l'existence d'ingérences de l'Etat irakien auxquelles sont soumis les
établissements financiers considérés, du fait du régime politique en vigueur, a constaté, au surplus, que
la Banque centrale d'Irak était dépendante de l'Etat par l'origine publique de ses fonds et le contrôle très
strict auquel elle est soumise tant dans ses organes de direction que dans ses résultats, qu'elle devait
verser au Trésor public les bénéfices dégagés et que le patrimoine propre des banques considérées était
constitué de biens séparés de l'Etat, donc initialement publics ou destinés à le redevenir, de sorte qu'en
considérant néanmoins que ces établissements ne constitueraient pas des émanations de l'Etat irakien, la
cour d'appel a violé l'article 2092 du Code civil ;

Mais attendu que le contrôle exercé par un Etat ne suffit pas à faire considérer les organismes qui en
dépendent comme des émanations de cet Etat ; que l'arrêt attaqué qui, contrairement à l'affirmation du

90
moyen, ne tient pas pour établie l'existence d'une ingérence de l'Etat irakien, relève que tant la Banque
centrale d'Irak que la banque Rafidain et la Rasheed Bank avaient des activités purement privées et
réalisaient des opérations commerciales courantes, ce qui impliquait l'existence d'un patrimoine propre,
que ce patrimoine était spécialement et uniquement affecté à leurs activités bancaires et que sa gestion
faisait l'objet d'un budget et d'une comptabilité distincts ; qu'il a pu en déduire, sans encourir les griefs
du moyen, qu'aucun des établissements concernés ne réunissait les conditions nécessaires pour être
qualifiées d'émanations de l'Etat irakien impliquant leur assimilation à cet Etat ; d'où il suit que le moyen
n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour décider que l'Etat irakien était fondé à opposer à la société Dumez GTM son immunité
d'exécution à la saisie pratiquée sur les fonds de l'Ambassade d'Irak en France et constater que ladite
saisie était sans effet, l'arrêt attaqué relève qu'en dépit des sanctions internationales dont il a fait l'objet,
l'Irak reste un Etat souverain, toujours membre de l'Organisation des Nations Unies et dont la
souveraineté a d'ailleurs été réaffirmée par la résolution 687 adoptée par le Conseil de sécurité dans sa
séance du 3 avril 1991 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions invoquant les limitations apportées à la
souveraineté de l'Etat irakien découlant des sanctions internationales et, notamment, de la résolution 687
imposant à l'Irak d'honorer scrupuleusement toutes ses obligations au titre du service et du
remboursement de sa dette extérieure, de sorte que cet Etat ne pourrait plus opposer son immunité
d'exécution, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que l'Etat irakien était fondé à opposer à la
société Dumez GTM, la fin de non-recevoir tirée de l'immunité d'exécution, l'arrêt rendu le 3 juillet
1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les
parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d'appel de Paris, autrement composée.

Doc. 7. Civ. 1ère 14 novembre 2007, n° 04-15.388, publié au bulletin

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 janvier 2004, rectifié par arrêt du 8 avril 2004), que, sur le
fondement de deux jugements de la High Court of Justice de Londres, revêtus de l'exequatur, ayant
condamné à paiement la République du Cameroun, qui avait renoncé à son immunité d'exécution, la
société Winslow B & T Cie a fait procéder à la saisie-attribution de sommes figurant au crédit des
comptes et à la saisie de droits d'associés appartenant à la Société nationale des hydrocarbures (SNH) ;

Sur le premier moyen, après avis de la deuxième chambre civile :

[…]

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, après avis de la deuxième chambre civile :

Attendu que la société SNH fait grief à l'arrêt d'avoir validé la saisie-attribution litigieuse après avoir
écarté l'incident de procédure pris de la méconnaissance du principe du contradictoire, alors, selon le
moyen :

91
[…]

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la société SNH était une émanation de la
République du Cameroun et, en conséquence, dit fondée la saisie attribution pratiquée entre les mains
du Crédit lyonnais par la société Winslow, créancière de l'Etat du Cameroun, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en vertu des principes du droit international privé gouvernant l'immunité d'exécution des Etats
étrangers, la tutelle voire le contrôle exercé par un Etat sur un établissement public, industriel et
commercial, dont il est le principal actionnaire, ne suffit pas à faire considérer l'établissement dont il
s'agit comme une émanation de l'Etat ; qu'après avoir relevé que la SNH, personne morale distincte,
disposait d'un patrimoine propre faisant l'objet d'une gestion privée, la cour d'appel n'a pu refuser de
tirer les conséquences de ses propres constatations qui lui interdisaient péremptoirement de tenir la SNH
comme une émanation de l'Etat du Cameroun ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé
le principe susvisé ensemble l'article 2 de la loi du 9 juillet 1991 ;

2°/ que le principe d'assimilation ne repose pas sur une fiction et exige que le créancier demandeur fasse
la démonstration non pas d'une apparence mais d'une identité juridique et réelle ; que la cour d'appel n'a
pu légalement considérer que la SNH n'aurait pas une pleine autonomie de gestion compte tenu du poids
de l'Etat camerounais dans sa gestion ; qu'en l'état de l'existence d'un patrimoine propre à l'établissement
public concerné, pareille appréciation, subjective et d'ailleurs insuffisamment renseignée, constitue un
excès de pouvoir au regard des principes relatifs à l'immunité d'exécution de l'Etat étranger et de l'article
2 de la loi du 9 juillet 1991 ;

3°/ que selon l'article 2092 du code civil, le droit de gage général qui résulte de ce texte au profit des
créanciers ne porte que sur le patrimoine même du débiteur ; que par ailleurs le contrôle d'un Etat sur
une personne morale ne suffit pas à faire considérer cette dernière comme une émanation de l'Etat
impliquant son assimilation à celui-ci, fût-elle en position de monopole ; qu'en statuant comme elle l'a
fait, sans expliquer en quoi la SNH ne disposait pas d'un patrimoine distinct de celui de l'Etat
camerounais, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé
;

4°/ que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions péremptoires dont elle était saisie par la SNH
qui justifiait payer l'impôt sur les sociétés à l'Etat et qui avait produit régulièrement l'ensemble de ses
bilans postérieurs aux exercices 2000 ainsi qu'un rapport d'audit émanant d'un cabinet international
établissant l'absence de confusion de patrimoine entre l'Etat camerounais et l'établissement public
requérant ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans répondre aux dites conclusions, la cour d'appel
a violé les dispositions des articles 4 et 455 du nouveau code de procédure civile ;

5°/ que l'éventuelle renonciation de l'Etat camerounais à son immunité d'exécution n'était pas opposable
à la SNH, fût-elle assimilée à l'Etat camerounais, dès lors qu'aucun lien n'avait été préalablement établi
par la cour entre la créance dont se prévalait la société Winslow et les activités propres de la SNH,
établissement public à caractère industriel et commercial dont les biens étaient insaisissables ; qu'en se
déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef violé les principes gouvernant l'immunité des
Etats étrangers, ensemble l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits
de l'homme ;

Mais attendu que l'arrêt relève d'abord que la société SNH est un établissement public à caractère
industriel et commercial prenant la forme d'une société dotée de la personnalité juridique et de
l'autonomie financière, dont le capital est entièrement détenu par l'Etat et qu'elle a pour objet de
promouvoir la mise en valeur des hydrocarbures au Cameroun et de gérer les intérêts de l'Etat dans ce
domaine ; puis que la société est placée directement sous la tutelle du secrétariat général à la présidence
de la République, son conseil d'administration étant composé de représentants de cette présidence, du
premier ministre et de divers ministères outre des personnalités nommées par le chef de l'Etat ; ensuite
que le contrat d'association, passé avec la République du Cameroun et deux autres sociétés ne prouve
pas une réelle autonomie de la société SNH, toutes les notifications destinées à l'Etat étant faite à son

92
siège, alors au surplus que les services rendus pour le compte de l'Etat ne sont pas rémunérés, que la
société tire ses revenus de participations partiellement reversées à l'Etat ou réinvesties et que la société
SNH ne justifie ni de l'existence ni de la transmission au ministère concerné des projets de budget et
programmes d'action susceptibles de justifier de son autonomie financière ; enfin que des professionnels
canadiens indépendants, chargés d'une évaluation, ont dénoncé la position "hégémoniste" de juge et
partie de la société SNH ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui
n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire que, dès lors que la
société SNH n'était pas statutairement dans une indépendance fonctionnelle suffisante pour bénéficier
d'une autonomie de droit et de fait à l'égard de l'Etat et que son patrimoine se confondait avec celui de
l'Etat, elle devait être considérée comme une émanation de la République du Cameroun ; que le moyen
n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

4. LES MISSIONS DIPLOMATIQUES DE L’ETAT ET LA RENONCIATION A L’IMMUNITE D’EXECUTION

Doc. 8. civ 1ère 28septembre 2011, 09-72057, publié au bulletin

Attendu que la société NML Capital Ltd a acquis, de 2001 à 2003, sur le marché obligataire coté de la
bourse de New-York, des obligations provenant de deux séries d'émissions résultant de contrats passés
les 3 février et 21 juillet 2000 par la République Argentine ; que celle-ci, dans les contrats, avait
expressément renoncé à son immunité d'exécution, sauf en ce qui concernait les réserves figurant au
bilan de la Banco Central, les biens appartenant au domaine public ou en relation avec l'exécution du
budget ; que, sur la demande de la société NML, une juridiction new-yorkaise a condamné la République
Argentine au paiement d'une certaine somme ; que, le 3 avril 2009, la société NML a fait pratiquer une
saisie-conservatoire de créances à l'encontre de la République Argentine entre les mains de la Banco
Bilbao Vizcaya Argentaria à hauteur de la condamnation prononcée ; que la République Argentine,
l'ambassade de cette République en France et sa délégation permanente auprès de l'UNESCO ont saisi
le tribunal de grande instance de Paris d'une demande de mainlevée de la saisie-conservatoire sur le
fondement de l'article 1er de la loi du 9 juillet 1991 et de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 ;

Sur le premier moyen en ses cinq branches :

Attendu que la société NML fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 1er octobre 2009) d'avoir ordonné
mainlevée de la saisie alors, selon le moyen, que :

1°/ aux termes de l'article 38, paragraphe 1, b, du statut de la Cour internationale de justice, le droit
international coutumier est défini comme la preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le
droit ; qu'en relevant que le droit international coutumier aurait étendu les privilèges et immunités prévus
par la Convention de Vienne du 18 avril 1961 aux sommes déposées sur un compte bancaire destiné à
assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques et à faciliter les fonctions
officielles, de sorte que ces sommes devraient dès lors bénéficier d'une immunité d'exécution autonome
par rapport aux autres biens de l'Etat accréditant et que la renonciation à cette immunité ne pourrait être
qu'expresse, sans caractériser l'existence d'une pratique générale acceptée comme étant le droit en ce
sens, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé et des principes du
droit international régissant l'immunité d'exécution des Etats ;

2°/ en relevant que le droit international coutumier aurait étendu les privilèges et immunités prévus par
la Convention de Vienne du 18 avril 1961 aux sommes déposées sur un compte bancaire destiné à assurer
l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques et à faciliter les fonctions
officielles, de sorte que ces sommes devraient dès lors bénéficier d'une immunité d'exécution autonome
par rapport aux autres biens de l'Etat accréditant et que la renonciation à cette immunité ne pourrait être

93
qu'expresse, cependant que la Convention de Vienne susvisée, loin de déroger aux règles générales
relatives à l'immunité d'exécution des Etats étrangers ne fait qu'en envisager l'application à certains biens
en tant que l'Etat accréditant les a affectés à une mission diplomatique, de sorte que l'immunité
d'exécution qu'elle prévoit doit être soumise au même régime que celle dont bénéficient les Etats, la cour
d'appel a violé la Convention de Vienne du 18 avril 1961 et les principes du droit international régissant
l'immunité d'exécution des Etats ;

3°/ en relevant que le droit international coutumier aurait étendu les privilèges et immunités prévus par
la Convention de Vienne du 18 avril 1961 aux sommes déposées sur un compte bancaire destiné à assurer
l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques et à faciliter les fonctions
officielles, de sorte que ces sommes devraient dès lors bénéficier d'une immunité d'exécution autonome
par rapport aux autres biens de l'Etat accréditant et que la renonciation à cette immunité ne pourrait être
qu'expresse, cependant qu'une telle renonciation n'a pas à être expresse mais peut n'être qu'implicite, la
cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 32 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961,
relative aux relations diplomatiques et les principes de droit international régissant l'immunité
d'exécution des Etats ;

4°/ la cour d'appel a constaté qu'aussi bien le « Financial Agency Agreement » établi par la République
d'Argentine et la Bankers Trust Company, le 19 octobre 1994, que les contrats d'émission des 3 février
2000 et du 21 juillet 2000, servant de fondement à la créance invoquée, comportaient une renonciation,
dont il n'est pas contesté qu'elle était expresse, à l'immunité d'exécution sur les revenus, avoirs ou biens
de la République Argentine, qui n'excluait une saisie – en d'autres termes n'imposait le jeu de l'immunité
– que pour certains biens qu'elle a énumérés limitativement, à savoir les réserves figurant sur le bilan de
la Banco Central, les biens appartenant au domaine public ou en relation avec l'exécution du budget ;
qu'en retenant que ces contrats ne prévoyaient « donc » pas de renonciatin pour les biens affectés aux
missions diplomatiques, cependant qu'il résultait nécessairement des constatations qui précèdent que ces
biens étaient couverts par la clause par laquelle la République Argentine avait expressément renoncé à
l'immunité d'exécution sur ses revenus, avoirs ou biens, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences
légales de ses propres constatations et, ainsi, violé les principes de droit international régissant
l'immunité d'exécution des Etats, ensemble l'article 1134 du code civil ;

5°/ en retenant (arrêt, p. 4, alinéa premier) « qu'en l'occurrence aussi bien le « Financial Agency
Agreement » établi par la République d'Argentine et la Bankers Trust Company, le 19 octobre 1994,
que les contrats d'émission des 3 février 2000 et 21 juillet 2000, servant de fondement à la créance
invoquée, consacrée par un jugement du Tribunal fédéral de première instance des Etats-Unis, district
sud de New-York, s'ils comportent une renonciation à l'immunité d'exécution sur ses revenus, avoirs ou
biens, celle-ci exclut une saisie sur les réserves figurant sur la Banco Central, les biens appartenant au
domaine public ou en relation avec l'exécution du budget » cependant que la clause ainsi visée par la
cour d'appel n'était stipulée que par un modèle situé en annexe de la première de ces conventions et que
les contrats d'émission des 3 février 2000 et 21 juillet 2000, qui seuls liaient effectivement les parties
n'envisageaient cette exclusion que pour les saisies ordonnées par les tribunaux de la République
Argentine, de sorte que le bénéfice de ces exclusions ne pouvait concerner les saisies ordonnées par un
tribunal étranger, la cour d'appel a dénaturé lesdits contrats d'émission ;

Mais attendu que, selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des Etats étrangers
bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission
de souveraineté, d'une immunité d'exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon
expresse et spéciale ; que cette immunité s'étend, notamment, aux fonds déposés sur les comptes
bancaires de l'ambassade ou de la mission diplomatique ; que la cour d'appel en a exactement déduit
que, l'exécution forcée et les mesures conservatoires n'étant pas applicables aux personnes bénéficiant
d'une immunité d'exécution en application de l'article 1er, alinéa 3, de la loi du 9 juillet 1991, il devait
être donné mainlevée de la saisie-conservatoire dès lors que les fonds de la mission diplomatique
argentine bénéficiaient de cette immunité de sorte que, faute de renonciation particulière et expresse à
celle-ci, la renonciation de la République Argentine, à l'égard du créancier, à l'immunité d'exécution des
Etats était inopérante ; que le moyen n'est pas fondé ;

94
Sur le second moyen pris en ses six branches :

Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que :

1°/ la société NML Capital avait fait valoir que le juge de l'exécution avait entendu « faire peser sur le
créancier saisissant une charge de la preuve d'absence d'affectation diplomatique des biens saisis
particulièrement disproportionnée puisqu'elle semble en réalité impossible à rapporter, compte tenu de
la nature des biens saisis :- il est vain pour tout créancier d'espérer rapporter ce type de preuve s'agissant
de valeurs inscrites sur un compte bancaire : par hypothèse, les valeurs saisies sur un compte bancaire
courant correspondent à des fonds qui n'ont pas été dépensés par l'Etat étranger – comment prouver à
l'avance qu'ils sont affectés à une activité souveraine/ diplomatique ou au contraire à une activité relevant
du droit privé alors qu'une telle affectation est du seul ressort de l'Etat étranger au moment où il engage
la dépense ? – exiger du créancier saisissant qu'il rapporte la preuve par lui-même de l'affectation non
diplomatique des fonds saisis, c'est en réalité reconnaître aux comptes bancaires ouverts sous le nom
d'une ambassade une insaisissabilité de fait absolue du simple fait qu'ils sont ouverts au nom de
l'ambassade (et non du fait qu'ils sont affectés dans les faits à l'exercice de l'activité diplomatique) … »
; qu'en se bornant à affirmer qu'il appartenait au créancier saisissant de rapporter la preuve que ces biens
seraient utilisés pour une activité privée ou commerciale et « qu'ainsi » le juge de l'exécution n'avait
nullement renversé la charge de la preuve, sans répondre aux conclusions de la société NML Capital
établissant le caractère impossible et disproportionné de la preuve à apporter, moyen pourtant
déterminant pour la solution du litige, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ si les Etats étrangers bénéficient, par principe, de l'immunité d'exécution, il en est autrement lorsqu'il
est établi que le bien concerné se rattache, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, mais à une
opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé ; qu'en retenant, pour faire
bénéficier de l'immunité d'exécution les fonds situés sur des comptes bancaires, que la provenance
desdits fonds était indifférente dès lors que seules importeraient leur présence sur le compte et leur
affectation à la réfection des locaux de l'ambassade, cependant qu'une telle affectation était précisément
exclusive de toute immunité d'exécution en ce qu'elle ne se rattachait pas à l'exercice d'une prérogative
ou à un acte de souveraineté mais à une simple opération habituelle de gestion relevant du droit privé,
la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant l'immunité d'exécution des Etats ;

3°/ si les Etats étrangers bénéficient, par principe, de l'immunité d'exécution, il en est autrement lorsqu'il
est établi que le bien concerné se rattache, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, mais à une
opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé ; qu'en retenant que les fonds
figurant sur le compte... intitulé « Ambassade d'Argentine » ne pouvaient être saisis en ce qu'ils
bénéficiaient d'une immunité d'exécution, cependant que la cour d'appel avait elle-même constaté que
lesdits fonds servaient au fonctionnement quotidien de l'ambassade, ce dont il résultait nécessairement
qu'ils ne se rattachaient pas à l'exercice d'une prérogative ou à un acte de souveraineté mais à une simple
opération habituelle de gestion relevant du droit privé, laquelle était exclusive de toute immunité, la cour
d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ainsi, violé les principes
du droit international régissant l'immunité d'exécution des Etats ;

4°/ si les Etats étrangers bénéficient, par principe, de l'immunité d'exécution, il en est autrement lorsqu'il
est établi que le bien concerné se rattache, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, mais à une
opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé ; qu'en se fondant sur la seule
constatation que le compte... intitulé « Ambassade d'Argentine » servait aux travaux de remise en état
de l'ambassade, pour en déduire que les fonds inscrits sur ce compte bénéficiaient d'une immunité
d'exécution, cependant qu'il résultait nécessairement d'une telle constatation que lesdits fonds ne se
rattachaient pas à l'exercice d'une prérogative ou à un acte de souveraineté mais à une simple opération
habituelle de gestion relevant du droit privé, laquelle était exclusive de toute immunité, la cour d'appel
n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ainsi, violé les principes du droit
international régissant l'immunité d'exécution des Etats ;

95
5°/ les Etats étrangers bénéficient, par principe, de l'immunité d'exécution ; qu'il en est autrement
lorsqu'il est établi que le bien concerné se rattache, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, mais
à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé ; qu'en retenant, pour justifier
l'application de l'immunité d'exécution à des fonds détenus sur des comptes bancaires, que « le fait
qu'une partie des fonds figurant sur les comptes saisis soient éventuellement utilisés à des fins étrangères
aux besoins de la mission, tels que le financement de services ou de matériels, n'a pas pour effet de
rendre le compte saisissable, dès lors qu'il sert pour le surplus au fonctionnement de la mission »,
cependant que le caractère exceptionnel d'une telle immunité devait précisément conduire à retenir la
solution inverse, selon laquelle, dès lors qu'il a été constaté qu'une partie des fonds n'était pas affectée à
l'exercice d'une prérogative ou à un acte de souveraineté mais à une simple opération habituelle de
gestion relevant du droit privé, lesdites sommes ne pouvaient bénéficier de l'immunité susmentionnée,
la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ainsi, violé les
principes du droit international régissant l'immunité d'exécution des Etats ;

6°/ en se bornant, pour justifier l'application de l'immunité d'exécution à des fonds détenus sur des
comptes bancaires, à énoncer « que les services tels que celui de l'attaché à la défense, de l'armée
argentine, de la force aérienne, pour reprendre l'intitulé des comptes saisis ne sauraient être considérés
comme des services non diplomatiques, dès lors que toute ambassade comporte ce genre de services ou
de fonctions qui relèvent de la souveraineté de l'Etat et sont parties intégrantes de la mission
diplomatique » et que « les autres comptes saisis, comme celui de la fondation Argentine, destinés à
aider les étudiants argentins résidant à la Cité universitaire, de l'office de tourisme et la délégation
argentine à l'UNESCO ne sont pas des fonds destinés à une activité commerciale et rentrent dans les
fins de la mission diplomatique », la cour d'appel a procédé par voie de simple affirmation, équivalant à
un défaut de motifs, et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient exactement, d'abord, que les fonds affectés
aux missions diplomatiques bénéficient d'une présomption d'utilité publique, puis, que les comptes
bancaires d'une ambassade sont présumés être affectés à l'accomplissement des fonctions de la mission
diplomatique de sorte qu'il appartient au créancier qui entend les saisir de rapporter la preuve que ces
biens seraient utilisés pour une activité privée ou commerciale ; qu'en l'absence de preuve contraire, la
cour d'appel n'a pu qu'en déduire, d'abord, que les comptes relatifs à l'attaché à la défense, à l'armée
argentine, à la force aérienne, à la Fondation argentine aidant les étudiants, à l'Office du tourisme et à la
délégation argentine à l'UNESCO relevaient de la souveraineté de l'Etat et étaient parties intégrantes de
la mission diplomatique, ensuite que la provenance des autres fonds était indifférente dès lors que seule
leur affectation à la réfection des locaux de l'ambassade importait ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi

Doc. 9. Civ. 1re, 10 janv. 2018, n° 16-22.494, publié au bulletin

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 13-
17.751, Bull. 2015, I, n° 107), qu'en exécution d'une sentence arbitrale rendue le 3 décembre 2000, sous
les auspices de la Chambre de commerce internationale, la société Commissions Import Export
(Commisimpex), auprès de laquelle la République du Congo s'était engagée, le 3 mars 1993, à renoncer
définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d'exécution, a fait pratiquer, entre
les mains d'une banque, une saisie-attribution de comptes ouverts dans ses livres au nom de la mission
diplomatique à Paris de la République du Congo et de sa délégation auprès de l'UNESCO ; que l'arrêt
rendu le 15 novembre 2012 par la cour d'appel de Versailles a été cassé et annulé au motif que le droit
international coutumier n'exigeait pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité d'exécution dont
bénéficient les missions diplomatiques des Etats étrangers pour le fonctionnement de la représentation
de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté ;

96
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, ci-après annexé :

Attendu que ce grief n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la première branche du moyen :

Vu les articles 22 et 25 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et
les règles du droit international coutumier relatives à l'immunité d'exécution des Etats, ensemble les
articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

Attendu que l'arrêt déclare régulières les saisies pratiquées par la société Commisimpex, après avoir
énoncé que le droit international coutumier n'exige pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité
d'exécution et qu'il ressort de la lettre d'engagement signée le 3 mars 1993 par le ministre des finances
et du budget que la République du Congo a renoncé expressément à se prévaloir de son immunité
d'exécution à l'égard de Commisimpex sur tous les biens susceptibles d'en bénéficier, qu'ils soient ou
non affectés à l'accomplissement de la mission diplomatique ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel de renvoi s'est conformée à la doctrine de l'arrêt qui l'avait
saisie ;

Attendu, cependant, que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 a introduit, dans le code des procédures
civiles d'exécution, deux nouvelles dispositions ; que, selon l'article L. 111-1-2 de ce code, sont
considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat à des fins de service public
non commerciales les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans
l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'Etat ou de ses postes consulaires ; qu'aux termes
de l'article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être
mises en oeuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans
l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des Etats étrangers ou de leurs postes consulaires,
de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales qu'en cas de
renonciation expresse et spéciale des Etats concernés ;

Attendu que ces dispositions législatives, qui subordonnent la validité de la renonciation par un Etat
étranger à son immunité d'exécution, à la double condition que cette renonciation soit expresse et
spéciale, contredisent la doctrine isolée résultant de l'arrêt du 13 mai 2015, mais consacrent la
jurisprudence antérieure (1re Civ., 28 septembre 2011, pourvoi n° 09-72.057, Bull. 2011, I, n° 153 ; 1re
Civ., 28 mars 2013, pourvois n° 10-25.938 et n° 11-10.450, Bull. 2013, I, n° 62 et 63) ; que certes, elles
concernent les seules mesures d'exécution mises en oeuvre après l'entrée en vigueur de la loi et, dès lors,
ne s'appliquent pas au présent litige ; que, toutefois, compte tenu de l'impérieuse nécessité, dans un
domaine touchant à la souveraineté des Etats et à la préservation de leurs représentations diplomatiques,
de traiter de manière identique des situations similaires, l'objectif de cohérence et de sécurité juridique
impose de revenir à la jurisprudence confortée par la loi nouvelle ;

D'où il suit que l'annulation est encourue ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, la Cour de cassation peut casser et annuler sans renvoi et,
en matière civile, statuer au fond lorsque l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ;

Attendu qu'il ressort des énonciations du jugement entrepris que les titulaires des comptes saisis sont,
soit l'ambassade de la République du Congo en France, soit la délégation permanente de cet Etat auprès
de l'UNESCO ; que la présomption d'affectation à l'accomplissement des fonctions de ces missions
diplomatiques est confortée par l'intitulé de ces comptes et que, alors qu'il le lui incombait, le créancier
n'a rapporté la preuve contraire devant aucune des juridictions saisies ;

97
PAR CES MOTIFS :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel
de Paris […]

98
Séance 7. L’Etat comme opérateur

2. Les contrats conclus par l’administration

PLAN DE LA SEANCE

I. LE RECOURS A L’ARBITRAGE PAR L’ETAT

Doc. 1. Civ 1ère, 2 mai 1966, Publié au bulletin, Galakis


Doc. 2. Trib. confl. 17 mai 2010, C3754, Publié au recueil Lebon, INSERM
Doc. 3. CE, ass., 9 novembre 2016, n° 388806, publié au recueil Lebon

II. LE CONTRAT ADMINISTRATIF INTERNATIONAL

Doc. 4. CAA Paris 23 janvier 2020, 19PA01312


Doc. 5. Conseil d'Etat, Section, du 19 novembre 1999, 183648, publié au recueil Lebon

I. LE RECOURS A L’ARBITRAGE PAR L’ETAT

Doc. 1. Civ 1ère, 2 mai 1966, Publié au bulletin, Galakis

SUR LE MOYEN UNIQUE PRIS EN SES DIVERSES BRANCHES : ATTENDU QU'IL RESULTE
DES ENONCIATIONS DE L'ARRET ATTAQUE QUE LA MISSION DES TRANSPORTS
MARITIMES, DEPENDANT DU MINISTERE DE LA MARINE MARCHANDE, A, LE 20 AVRIL
1940, AFFRETE LE NAVIRE GREC "ASPASIA" POUR LE TRANSPORT DE MARCHANDISES
EN PROVENANCE DE L'OUEST AFRICAIN;

QUE LA CHARTE-PARTIE, CONCLUE AVEC JEAN X..., PROPRIETAIRE DU NAVIRE,


PREVOYAIT, DANS SON ARTICLE 17, QUE TOUT DIFFEREND NE DU CONTRAT SERAIT
SOUMIS A UN ARBITRAGE A LONDRES;

QUE L'AFFRETEUR AYANT DENONCE LE CONTRAT LE 27 JUIN 1940 AU COURS DU


VOYAGE, L'ARMATEUR SE PREVALUT DE L'ARTICLE 17 DE LA CHARTE-PARTIE;

QUE L'ETAT FRANCAIS REFUSA DE PARTICIPER A L'ARBITRAGE ET QUE, PAR SENTENCE


DU 12 OCTOBRE 1953, IL FUT CONDAMNE A PAYER A X... LA SOMME DE 11344;

QU'UNE ORDONNANCE DU PRESIDENT DU TRIBUNAL DE LA SEINE DU 23 DECEMBRE


1954 ACCORDA L'EXEQUATUR A CETTE DECISION, MAIS QUE, SUR OPPOSITION FORMEE
PAR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR, LE TRIBUNAL PAR JUGEMENT DU 25 JUIN 1959,
DECLARA NULLES LA CLAUSE COMPROMISSOIRE LITIGIEUSE AINSI QUE LA SENTENCE
ARBITRALE DU 12 OCTOBRE 1953;

ATTENDU QU'IL EST REPROCHE A L'ARRET ATTAQUE D'AVOIR INFIRME CETTE


DECISION, AU MOTIF QUE L'INTERDICTION FAITE A L'ETAT DE COMPROMETTRE PAR
LES ARTICLES 1004 ET 83 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE AVAIT POUR SEUL
FONDEMENT LA PROTECTION SPECIALE QUE LUI ASSURE, DEVANT LES JURIDICTIONS
FRANCAISES, LA COMMUNICATION DES CAUSES LE CONCERNANT AU MINISTERE
PUBLIC ET QU'IL Y POUVAIT RENONCER COMME IL PEUT RENONCER A SON IMMUNITE
DE JURIDICTION;

99
QUE LE POURVOI SOUTIENT D'ABORD QUE TEL N'EST PAS LE FONDEMENT DE
L'INTERDICTION POUR L'ETAT DE COMPROMETTRE, QUI PROCEDE D'UNE MEFIANCE DE
PRINCIPE A L'EGARD DE L'ARBITRAGE PRIVE, DEPOURVU DES GARANTIES
JURIDICTIONNELLES NORMALES;

QUE, SELON LE POURVOI, L'INTERDICTION EN QUESTION CONSTITUERAIT UNE


INCAPACITE FRAPPANT LA PERSONNE MORALE PUBLIQUE, QUEL QUE SOIT LE
CARACTERE DE SON ACTIVITE;

QUE LE POURVOI PRETEND ENFIN QUE CETTE INCAPACITE EST NECESSAIREMENT


REGIE PAR LA LOI FRANCAISE, SANS QU'ON PUISSE, EN CETTE MATIERE, FAIRE
INTERVENIR LA LOI QUI REGIT LE CONTRAT, ET QUE, PAR SUITE, TOUTE
RENONCIATION A CETTE INCAPACITE HEURTE DES REGLES D'ORDRE PUBLIC
INTERNATIONAL;

MAIS ATTENDU QUE LA PROHIBITION DERIVANT DES ARTICLES 83 ET 1004 DU CODE DE


PROCEDURE CIVILE NE SOULEVE PAS UNE QUESTION DE CAPACITE AU SENS DE
L'ARTICLE 3 DU CODE CIVIL;
QUE LA COUR D'APPEL AVAIT SEULEMENT A SE PRONONCER SUR LE POINT DE SAVOIR
SI CETTE REGLE, EDICTEE POUR LES CONTRATS INTERNES, DEVAIT S'APPLIQUER
EGALEMENT A UN CONTRAT INTERNATIONAL PASSE POUR LES BESOINS ET DANS DES
CONDITIONS CONFORMES AUX USAGES DU COMMERCE MARITIME;

QUE L'ARRET ATTAQUE DECIDE JUSTEMENT QUE LA PROHIBITION SUSVISEE N'EST PAS
APPLICABLE A UN TEL CONTRAT ET QUE, PAR SUITE, EN DECLARANT VALABLE LA
CLAUSE COMPROMISSOIRE SOUSCRITE AINSI PAR UNE PERSONNE MORALE DE DROIT
PUBLIC, LA COUR D'APPEL, ABSTRACTION FAITE DE TOUS AUTRES MOTIFS QUI
PEUVENT ETRE REGARDES COMME SURABONDANTS, A LEGALEMENT JUSTIFIE SA
DECISION;

PAR CES MOTIFS : REJETTE LE POURVOI FORME CONTRE L'ARRET RENDU LE 21


FEVRIER 1961 PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS

Doc. 2. Trib. confl. 17 mai 2010, C3754, Publié au recueil Lebon, INSERM

Considérant que, le 4 août 1998, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et
la fondation Letten F. Saugstad, association de droit norvégien, ont conclu un acte sous seing privé,
dénommé " protocole d’accord ", par lequel les parties, eu égard à leurs missions respectives, sont
convenues " de mettre en commun leurs efforts pour favoriser la réalisation d’un projet de construction
d’un pôle de recherche en neurobiologie, appelé institut méditerranéen de neurobiologie (IMED), centre
de recherche Saugstad-INSERM ", la fondation s’obligeant à verser, à trois stades d’avancement de
l’opération de construction du bâtiment à édifier sur un terrain appartenant à l’université d’Aix-Marseille
et destiné à abriter l’IMED, la somme totale de 25 millions de francs et l’INSERM s’engageant à
formuler deux demandes budgétaires successives à concurrence de 5 millions de francs chacune ; que
l’acte stipulait que, si apparaissaient des difficultés d’application du protocole d’accord, en l’absence de
solution amiable et en cas de vaine médiation, les parties auraient recours à l’arbitrage ; qu’à la suite des
différends survenus, la fondation Letten F. Saugstad, qui, le 28 avril 1999, avait versé la première
tranche de 2 millions de francs, a, par lettre du 28 août 2000, notifié à l’INSERM la rupture de leurs
relations ; que celui-ci ayant assigné la fondation en paiement du solde du montant de son engagement,
soit 3.506.327,40 euros, devant le tribunal de grande instance de Paris qui a accueilli sa demande, la
cour d’appel de Paris a infirmé le jugement, déclaré le tribunal incompétent pour connaître de l’affaire
et renvoyé les parties à se pourvoir devant la juridiction arbitrale, sur le fondement de la clause
compromissoire stipulée dans le protocole d’accord ; que l’arbitre, désigné par ordonnance de référé du
président du tribunal de grande instance de Paris, saisi par l’INSERM, a rendu sa sentence le 4 mai 2007

100
aux termes de laquelle il a débouté l’INSERM de sa demande en paiement de la somme de 3.506.327,40
euros " et a " condamné l’INSERM à restituer à la fondation Letten la somme de 304.878,03 euros versée
le 28 avril 1999 avec intérêts et anatocisme ; que, par requête présentée le 12 juillet 2007, l’INSERM a
saisi la cour administrative d’appel de Marseille d’un appel à l’encontre de la sentence arbitrale pour en
voir prononcer l’annulation en raison de la nullité de la clause compromissoire et voir la fondation
condamnée à exécuter ses obligations financières ; qu’ayant concomitamment saisi la cour d’appel de
Paris d’un recours en annulation de la même sentence arbitrale, cette juridiction a, par arrêt du 13
novembre 2008, rejeté son recours en annulation et l’a débouté de ses demandes, en retenant sa
compétence sur le fondement de l’article 1505 du code de procédure civile et en considérant que la
prohibition pour un Etat de compromettre est limitée aux contrats d’ordre interne, sous réserve de
dispositions législatives contraires, mais qu’au vu du principe de validité de la clause d’arbitrage
international cette prohibition n’est pas d’ordre public international ; que, saisi de la requête présentée
initialement à la cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat a estimé qu’elle présentait à juger des
difficultés sérieuses de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l’article 35 du décret du 26
octobre 1849 modifié par le décret du 25 juillet 1960 ;

Considérant que le recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, sur le fondement d’une
convention d’arbitrage, dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une
personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire
français, mettant en jeu les intérêts du commerce international, fût-il administratif selon les critères du
droit interne français, est porté devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue,
conformément à l’article 1505 du code de procédure civile, ce recours ne portant pas atteinte au principe
de la séparation des autorités administratives et judiciaires ; qu’il en va cependant autrement lorsque le
recours, dirigé contre une telle sentence intervenue dans les mêmes conditions, implique le contrôle de
la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du
domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux
contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public ; que, ces contrats relevant d’un
régime administratif d’ordre public, le recours contre une sentence arbitrale rendue dans un litige né de
l’exécution ou de la rupture d’un tel contrat relève de la compétence du juge administratif ;

Considérant que le protocole d’accord conclu entre l’INSERM, établissement public national à caractère
scientifique et technologique, et la fondation Letten F. Saugstad, association de droit privé norvégienne,
dont l’objet est la construction en France d’un bâtiment destiné à abriter un institut de recherche
juridiquement et institutionnellement intégré à l’INSERM et qui en prévoit le financement partiel par la
fondation, met en jeu les intérêts du commerce international ; que, dès lors, le recours en annulation
formé contre la sentence arbitrale rendue dans le litige opposant les parties quant à l’exécution et à la
rupture de ce contrat, lequel n’entre pas au nombre de ceux relevant du régime administratif d’ordre
public ci-dessus défini, relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;

DECIDE:
--------------
Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du recours en annulation formé par
l’INSERM à l’encontre de la sentence arbitrale rendue dans le litige qui l’oppose à la fondation Letten
F. Saugstad ainsi que de la demande en paiement dirigée contre celle-ci.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés,
qui est chargé d’en assurer l’exécution.

Doc. 3. CE, ass., 9 novembre 2016, n° 388806, publié au recueil Lebon

101
[…] 1. Considérant que, par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne le 27 novembre
2001, Gaz de France, alors établissement public industriel et commercial, a lancé une consultation en
vue de l’attribution d’un contrat ayant pour objet la construction d’un terminal méthanier sur la
presqu’île de Fos Cavaou, ouvrage comprenant principalement des installations de déchargement des
navires méthaniers, des réservoirs de stockage et des unités de regazéification ; que le contrat a été
attribué le 17 mai 2004 au groupement momentané d’entreprises solidaires STS, composé des sociétés
Sofregaz, devenue TCM FR, SN Technigaz et Saipem ; que, par un avenant du 17 juin 2005, Gaz de
France, devenu société anonyme, a cédé le contrat, avec effet rétroactif à sa date de signature, à sa filiale,
la Société du terminal méthanier de Fos Cavaou, laquelle a ensuite pris le nom de B...A... ; que, par
avenant du 23 janvier 2008, les droits et obligations de la société SN Technigaz ont été transférés à la
société Saipem et la société de droit italien Tecnimont est entrée dans le groupement ; que, par un nouvel
avenant conclu le 11 juillet 2011, les parties au contrat y ont inséré une clause compromissoire prévoyant
que tout différend relatif au contrat serait tranché définitivement suivant le règlement d’arbitrage de la
Chambre de commerce internationale par trois arbitres nommés conformément à ce règlement ; qu’un
différend étant né entre les parties, la société Fosmax A...a mis en oeuvre la procédure d’arbitrage, sous
l’égide de la Chambre de commerce internationale, afin d’obtenir réparation du préjudice résultant pour
elle du retard et des malfaçons dans la livraison du terminal méthanier ; que le groupement STS a formé
de son côté des conclusions reconventionnelles tendant au remboursement de l’intégralité des surcoûts
supportés par lui pour la réalisation du terminal ; qu’aux termes d’une sentence rendue le 13 février
2015, le tribunal arbitral constitué sous l’égide de la Chambre de commerce internationale a jugé que le
groupement STS devrait payer la somme de 68 805 345 euros à la société Fosmax A...et que celle-ci
devrait payer au groupement la somme de 128 162 021 euros et rejeté le surplus des demandes ; que, le
18 mars 2015, la société Fosmax A...a saisi le Conseil d’Etat d’un recours tendant à l’annulation de la
sentence arbitrale ; que, par décision du 3 décembre 2015, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a
saisi le Tribunal des conflits de la question de compétence en application de l’article 35 du décret du 27
février 2015 ; que celui-ci, par une décision du 11 avril 2016, a jugé que le recours en annulation formé
contre la sentence arbitrale ressortissait à la compétence de la juridiction administrative ;

Sur l’étendue du litige :

2. Considérant que la société Fosmax A...doit être regardée comme demandant à titre principal
l’annulation de l’article II de la sentence arbitrale en tant qu’il l’a condamnée à payer au groupement
STS une somme de 87 947 425 euros au titre du bouleversement de l’économie du contrat et l’annulation
de son article VI en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de ce groupement à lui
verser une somme de 36 359 758 euros au titre du remboursement du coût des travaux exécutés aux frais
et risques de ce dernier ; que la société Fosmax A...demande, à titre subsidiaire, l’annulation de
l’ensemble de la sentence arbitrale ; qu’elle demande, dans tous les cas, le renvoi des parties devant un
nouveau tribunal arbitral ;

Sur la fin de non-recevoir opposée au recours :

3. Considérant que contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que la société Fosmax A...ait
procédé au paiement des sommes mises à sa charge par la sentence arbitrale ne saurait être interprétée
comme un acquiescement de la société à cette sentence ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de
l’irrecevabilité de la requête en raison de l’acquiescement de la société Fosmax A...à la sentence ne peut
qu’être écartée ;

Sur l’étendue du contrôle du Conseil d’Etat sur les sentences rendues en matière d’arbitrage
international :

4. Considérant que le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de
l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et
une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du
commerce international, ressortit, lorsque le contrat relève d’un régime administratif d’ordre public et
que le recours implique, par suite, un contrôle de la conformité de la sentence arbitrale aux règles

102
impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent
la commande publique, à la compétence de la juridiction administrative ; qu’il en va ainsi y compris
pour les sentences rendues, sur le fondement de l’article 90 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative
aux marchés publics, en vue du règlement de litiges relatifs à l’exécution des marchés de partenariat
mettant en jeu les intérêts du commerce international, dès lors que le renvoi que cet article comporte aux
dispositions du livre IV du code de procédure civile ne saurait s’entendre, s’agissant de dispositions
réglementaires, comme emportant dérogation aux principes régissant la répartition des compétences
entre les ordres de juridiction en ce qui concerne les voies de recours contre une sentence arbitrale ;
qu’au sein de la juridiction administrative, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître des recours
dirigés contre une telle sentence arbitrale, en application de l’article L. 321-2 du code de justice
administrative ;

5. Considérant que lorsqu’il est saisi d’un tel recours, il appartient au Conseil d’Etat de s’assurer, le cas
échéant d’office, de la licéité de la convention d’arbitrage, qu’il s’agisse d’une clause compromissoire
ou d’un compromis ; que ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés,
d’une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d’autre part, de ce
qu’elle est contraire à l’ordre public ; que s’agissant de la régularité de la procédure, en l’absence de
règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction
administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions
irrégulières que si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent, s’il a été
irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d’indépendance et d’impartialité, s’il n’a
pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s’il a méconnu le principe du caractère
contradictoire de la procédure ou s’il n’a pas motivé sa sentence ; que s’agissant du contrôle sur le fond,
une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet
est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans
lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les
personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités,
d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt
général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit
de l’Union européenne ;

6. Considérant qu’à l’issue de ce contrôle, le Conseil d’Etat, s’il constate l’illégalité du recours à
l’arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l’interdiction pour les personnes
publiques de recourir à l’arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou,
le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l’ordre
juridique interne, prononce l’annulation de la sentence arbitrale et décide soit de renvoyer le litige au
tribunal administratif compétent pour en connaître, soit d’évoquer l’affaire et de statuer lui-même sur
les réclamations présentées devant le collège arbitral ; que s’il constate que le litige est arbitrable, il peut
rejeter le recours dirigé contre la sentence arbitrale ou annuler, totalement ou partiellement, celle-ci ;
qu’il ne peut ensuite régler lui-même l’affaire au fond que si la convention d’arbitrage l’a prévu ou s’il
est invité à le faire par les deux parties ; qu’à défaut de stipulation en ce sens ou d’accord des parties sur
ce point, il revient à celles-ci de déterminer si elles entendent de nouveau porter leur litige contractuel
devant un tribunal arbitral, à moins qu’elles ne décident conjointement de saisir le tribunal administratif
compétent ;

7. Considérant, enfin, que l’exécution forcée d’une sentence arbitrale ne saurait être autorisée si elle est
contraire à l’ordre public ; que, par suite, un contrôle analogue à celui décrit au point 5 doit être exercé
par le juge administratif lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à l’exequatur d’une sentence arbitrale
rendue dans un litige né de l’exécution d’un contrat administratif entre une personne morale de droit
public français et une personne de droit étranger, mettant en jeu les intérêts du commerce international
et soumis à un régime administratif d’ordre public, qu’elle ait été rendue en France ou à l’étranger ;

Sur la sentence arbitrale en cause :

En ce qui concerne les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure :

103
8. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, la sentence a examiné les
moyens opérants soulevés devant le tribunal par la société Fosmax A...pour établir le caractère
administratif du contrat ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la sentence arbitrale
doit être écarté ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que l’avenant n°6 conclu le 11 juillet 2011 qui a introduit la clause
compromissoire dans le contrat stipulait, à son article 2, que " L’arbitrage sera conduit en langue
française, le lieu de l’arbitrage sera Paris (France) et le droit applicable au fond du litige sera le droit
français, y compris le cas échéant les dispositions du droit administratif français " et, à son article 4, que
" Les Parties sont en désaccord sur la question de l’application du droit administratif au contrat. Il est
précisé que le choix de l’arbitrage est sans influence sur la solution de cette question et que le tribunal
devra décider de l’application ou de la non application du droit administratif au contrat en fonction des
critères fixés par la loi et la jurisprudence des tribunaux français. Le tribunal arbitral aura pour mission
de déterminer si le droit administratif est applicable en faisant une stricte application de ces critères... "
; que si le tribunal arbitral a conclu que le contrat devait être qualifié de " contrat d’entreprise de droit
privé au sens du droit français applicable " alors qu’il résulte de la décision rendue par le Tribunal des
conflits le 11 avril 2016 que le contrat litigieux est un contrat de droit public, cette circonstance ne
saurait conduire à considérer que le tribunal arbitral ne s’est pas conformé à sa mission telle qu’elle avait
été définie par les parties ;

10. Considérant, enfin, que le groupement STS demandait dans ses écritures devant le tribunal arbitral
une indemnisation de 165 407 813 euros au titre d’un bouleversement économique du contrat résultant
de divers évènements survenus après la conclusion de l’avenant n°5 en date du 24 janvier 2008 ; qu’il
invoquait à l’appui de sa demande non seulement la signature d’avenants ayant augmenté le volume des
travaux et par voie de conséquence le prix, mais également l’immixtion de la société Fosmax A...dans
l’exécution du contrat ; que contrairement à ce qui est soutenu, la sentence n’a pas, en ce qu’elle relève
que les interventions répétées de la société Fosmax A...dans le cours de l’exécution du contrat ont créé
un bouleversement économique du contrat de nature à remettre en cause le prix forfaitaire, fondé
l’indemnisation du préjudice sur un fondement juridique non débattu entre les parties ; que le tribunal
arbitral n’avait pas à recueillir les observations des parties sur le raisonnement qu’il entendait déduire
des éléments de fait et de droit dont les parties ont débattu ; que, par suite, le moyen tiré de la
méconnaissance du principe du contradictoire ne peut qu’être écarté ;

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de règles d’ordre public :

11. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le contrôle du juge
administratif sur une sentence arbitrale doit porter non sur la qualification que les arbitres ont donnée
de la convention liant les parties, mais sur la solution donnée au litige, l’annulation n’étant encourue que
dans la mesure où cette solution méconnaît une règle d’ordre public ; que s’il résulte de la décision
rendue par le Tribunal des conflits le 11 avril 2016 que le contrat en cause était un contrat administratif
et si, par suite, c’est à tort que les arbitres, chargés de déterminer le droit applicable au contrat, ont
estimé que le litige était régi par le droit privé, la censure de la sentence par le Conseil d’Etat ne saurait
être encourue que dans la mesure où cette erreur de qualification aurait conduit les arbitres à écarter ou
à méconnaître une règle d’ordre public applicable aux contrats administratifs ;

12. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte des règles générales applicables aux contrats
administratifs que le maître d’ouvrage de travaux publics qui a vainement mis en demeure son
cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du
contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par
une entreprise tierce ou par lui-même ; que la mise en régie, destinée à surmonter l’inertie, les
manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu’ils entravent l’exécution d’un marché de
travaux publics, peut être prononcée même en l’absence de toute stipulation du contrat le prévoyant
expressément, en raison de l’intérêt général qui s’attache à l’achèvement d’un ouvrage public ; que la
mise en oeuvre de cette mesure coercitive, qui revêt un caractère provisoire, qui peut porter sur une

104
partie seulement des prestations objet du contrat et qui n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel
existant entre le maître d’ouvrage et son cocontractant, ne saurait être subordonnée à une résiliation
préalable du contrat par le maître d’ouvrage ; que la règle selon laquelle, même dans le silence du contrat,
le maître d’ouvrage peut toujours faire procéder aux travaux publics objet du contrat aux frais et risques
de son cocontractant revêt le caractère d’une règle d’ordre public ; que, par suite, les personnes publiques
ne peuvent légalement y renoncer ;

13. Considérant que le contrat en cause dans le présent litige portait sur la réalisation d’un terminal
méthanier destiné à Gaz de France ; que ce nouveau terminal devait permettre d’assurer la sécurité
d’approvisionnement et la continuité de la fourniture du gaz, conformément aux obligations de service
public assignées à Gaz de France ; qu’eu égard à l’objet de ce marché, qui portait sur la réalisation de
travaux publics, la société Fosmax A...est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal arbitral,
s’arrêtant à la constatation que les stipulations des articles 34.2.1 et 34.2.3 du contrat litigieux
subordonnaient l’exercice de cette prérogative à la résiliation préalable du contrat et estimant qu’en ne
procédant pas à la résiliation du contrat avant de prononcer la mise en régie des travaux, la société avait
violé la loi du contrat, a rejeté sa demande tendant à la condamnation du groupement STS au paiement
de l’intégralité du coût des travaux que la société a fait exécuter par des tiers aux frais et risques de celui-
ci ;

14. Considérant, enfin, que la sentence arbitrale a mis à la charge de la société Fosmax A...divers
surcoûts occasionnés par le comportement du maître d’ouvrage dans la conduite du contrat, dont elle a
estimé qu’il avait provoqué un bouleversement économique du contrat ; que s’il est soutenu que le
tribunal arbitral a, en accueillant l’essentiel des demandes reconventionnelles du groupement STS au
motif que le contrat de construction avait connu un bouleversement économique rendant caduc le prix
forfaitaire convenu dans le contrat, méconnu les règles impératives du droit de la commande publique
relatives aux conditions dans lesquelles un prix forfaitaire convenu dans un marché public peut être
remis en cause, les modalités d’indemnisation du cocontractant d’un contrat de la commande publique
conclu à prix forfaitaire en cas de survenance de difficultés d’exécution ne revêtent pas par elles-mêmes
le caractère d’une règle d’ordre public ; qu’en mettant à la charge de la société Fosmax A...les surcoûts
résultant du comportement de la société maître d’ouvrage durant le chantier, dont les interventions ont
conduit à des travaux supplémentaires importants, et de l’arrêt du chantier pendant plus de trois mois à
la suite de l’annulation par le tribunal administratif de Marseille, le 29 juin 2009, de l’arrêté préfectoral
du 15 décembre 2003 autorisant l’exploitation du terminal méthanier, le tribunal arbitral n’a pas
méconnu de règle d’ordre public ;

15. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Fosmax A...est fondée à demander
l’annulation de la sentence attaquée en tant seulement qu’elle a rejeté sa demande tendant au paiement
par le groupement STS d’une somme de 36 359 758 euros au titre du remboursement du coût des travaux
exécutés aux frais et risques du groupement ; que ses conclusions tendant à l’annulation de cette sentence
en tant qu’elle l’a condamnée à payer à celui-ci une somme de 87 947 425 euros au titre du
bouleversement de l’économie du contrat doivent en revanche être rejetées ; qu’il appartient le cas
échéant à la société Fosmax A...de saisir de nouveau, dans la limite de l’annulation prononcée par la
présente décision, un tribunal arbitral, à moins que les parties ne décident conjointement de saisir le
tribunal administratif compétent de leur litige contractuel ;

16. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle
à ce que le versement d’une somme soit mis à la charge de la société Fosmax A...qui n’est pas, dans la
présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, en application des mêmes dispositions,
de mettre à la charge des sociétés TCM FR, Tecnimont et Saipem le versement à la société Fosmax
A...de la somme de 2 000 euros chacune au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans
les dépens ;

DECIDE:

105
--------------

Article 1er : La sentence arbitrale rendue à Paris le 13 février 2015 entre la société Fosmax A...et le
groupement d’entreprises STS est annulée en tant qu’elle a rejeté la demande de la société Fosmax
A...tendant au paiement par le groupement STS de la somme de 36 359 758 euros au titre du
remboursement du coût des travaux exécutés aux frais et risques du groupement.
Article 2 : Le surplus du recours de la société Fosmax A...est rejeté.
Article 3 : Les sociétés TCM FR, Tecnimont et Saipem verseront chacune à la société Fosmax A...une
somme de 2 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par les sociétés TCM FR, Tecnimont et Saipem en application
des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société FosmaxA..., à la société TCM FR, à la société
Tecnimont et à la société Saipem.

II. LE CONTRAT ADMINISTRATIF INTERNATIONAL

Doc. 4. CAA Paris 23 janvier 2020, 19PA01312

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

1°) L'Académie de France à Rome a demandé au tribunal administratif de Paris d'enjoindre à la société
Mezzi et Fonderia et à tous les occupants de son chef de libérer les lieux occupés au sein du domaine
public de la Villa Médicis, d'évacuer tout matériel et de remettre les lieux en l'état dans un délai de de
deux mois sous une astreinte de 150 € par jour de retard, d'enjoindre à cette société de produire les
documents comptables permettant de déterminer le chiffre d'affaire réalisé et de condamner la société
au paiement d'une somme au titre de l'occupation du domaine public, assortie des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1715661 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Paris a enjoint à la société
Mezzi et Fonderia de libérer les dépendances du domaine public qu'elle occupe au sein de la Villa
Médicis et d'en évacuer tous les matériels entreposés dans un délai de deux mois sous une astreinte de
150 € par jour de retard. Il a également condamné la société Mezzi et Fonderia à verser à l'Académie de
France à Rome la somme de 84 850 € assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2017 et
la somme de 2 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus
des conclusions de la demande.

2°) La société Mezzi et Fonderia a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision
du 9 février 2017 par laquelle l'Académie de France à Rome a résilié le contrat de concession signé le
15 octobre 2015 en vue de l'exploitation du service de cafétéria et de restauration de la Villa Médicis et
d'enjoindre la reprise des relations contractuelles.

Par un jugement n° 1810293 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de
la société Mezzi et Fonderia et mis à sa charge le versement de la somme de 2 000 € au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 avril 2019 et le 4 novembre 2019 sous le
numéro 19PA01312, la société Mezzi et Fonderia, représentée par Me B., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1715661 du 7 février 2019 du tribunal administratif de Paris ;

106
2°) de condamner l'Académie de France à Rome à lui verser la somme de 85 708, 34 € par voie de
compensation, assortie des intérêts aux taux légal ;

3°) de mettre à la charge de l'Académie de France à Rome la somme de 8 000 € sur le fondement de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Mezzi et Fonderia soutient que :

- les parties au contrat se sont volontairement soumises au droit italien, qui ne peut être écarté sans
méconnaître le règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; la Cour
de cassation italienne a jugé que le contrat relève du droit privé ; en présence d'un contrat de droit italien,
qui ne peut être rattaché à l'exécution d'un service public, le droit public français ne s'applique pas et le
juge administratif n'est pas compétent pour connaître d'un litige né de l'exécution de ce contrat qui n'est
pas régi par le droit français ;

- elle n'a pas commis les manquements à ses obligations contractuelles invoqués par l'Académie de
France à Rome pour justifier la résiliation du contrat ;

- elle est fondée à opposer l'exception d'inexécution de ses obligations par son co-contractant ;

- les fautes commises par l'Académie de France à Rome lui ont causé un préjudice d'un montant de 85
708, 34 €, qui doit faire l'objet d'une compensation avec les sommes mises à sa charge par le tribunal ;

- l'Académie de France à Rome a commis un détournement de procédure ;

- dès lors que la mesure de résiliation n'est pas justifiée, elle ne peut être considérée comme un occupant
sans titre du domaine public et ne peut faire l'objet d'une expulsion.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2019, l'Académie de France à Rome, représentée par
Me A., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Mezzi et Fonderia de la somme
de 5 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Académie de France à Rome soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaitre du litige qui concerne une convention
d'occupation du domaine public ;

- la mesure de résiliation est justifiée compte tenu des manquements aux obligations imposées à la
société cocontractante ;

- elle n'a pas commis de faute dans l'exécution du contrat ;

- la demande de reprise des relations contractuelles doit être rejetée.

Le 3 décembre 2019, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice
administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible de se fonder sur le moyen, soulevé
d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires de la requérante, qui sont nouvelles en
appel.

II. Par une requête, enregistrée le 12 avril 2019 sous le numéro 19PA01314, la société Mezzi et Fonderia,
représentée par Me B., demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1715661
du 7 février 2019 du tribunal administratif de Paris.

La société Mezzi et Fonderia soutient que :

107
- les moyens repris de ceux présentés dans l'instance n° 19PA01312 sont sérieux ;

- l'exécution du jugement entraîne des conséquences irréversibles sur sa situation ;

- les conditions prévues à l'article R. 811-17 du code de justice administrative pour prononcer un sursis
à exécution sont ainsi remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2019, l'Académie de France à Rome, représentée par
Me A., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Mezzi et Fonderia de la somme
de 5 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Académie de France à Rome soutient que :

- la société Mezzi et Fonderia ne démontre pas de conséquences difficilement réparables induites par le
jugement du tribunal administratif de Paris ;

- elle ne présente pas de moyen sérieux pour contester la régularité ou le bien-fondé du jugement pour
les mêmes motifs que ceux invoqués en défense dans l'instance n° 19PA01312.

III. Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 avril 2019 et le 4 novembre 2019 sous
le numéro 19PA01313, la société Mezzi et Fonderia, représentée par Me B., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1810293 du 7 février 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 9 février 2017 par laquelle l'Académie de France à Rome a résilié le contrat
de concession signé le 15 octobre 2015 en vue de l'exploitation du service de cafétéria et de restauration
de la Villa Médicis et d'ordonner la reprise des relations contractuelles ;

3°) de mettre à la charge de l'Académie de France à Rome la somme de 8 000 € au titre de l'article L.
761-1 du code de justice administrative.

La société Mezzi et Fonderia soutient que :

- les parties au contrat se sont volontairement soumises au droit italien, qui ne peut être écarté sans
méconnaître le règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; la Cour
de cassation italienne a jugé que le contrat est de droit privé ; en présence d'un contrat de droit italien,
qui ne peut être rattaché à l'exécution d'un service public, le droit public français ne s'applique pas et le
juge administratif n'est pas compétent pour connaître d'un litige né de l'exécution de ce contrat qui n'est
pas régi par le droit français ;

- elle n'a pas commis les manquements à ses obligations contractuelles invoqués par l'Académie de
France à Rome pour justifier la résiliation du contrat ;

- elle est fondée à opposer l'exception d'inexécution de ses obligations par son co-contractant ;

- les fautes commises par l'Académie de France à Rome lui ont causé un préjudice d'un montant de 85
708, 34 €, qui doit faire l'objet d'une compensation avec les sommes mises à sa charge par le tribunal ;

- l'Académie de France à Rome a commis un détournement de procédure ;

- en l'absence d'atteinte excessive à l'intérêt général et de conclusion d'un nouveau contrat, la reprise des
relations contractuelles doit être ordonnée.

108
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2019, l'Académie de France à Rome, représentée
par Me A., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Mezzi et Fonderia de la
somme de 5 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Académie de France à Rome soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaitre du litige qui concerne une convention
d'occupation du domaine public ;

- la mesure de résiliation est justifiée compte tenu des manquements aux obligations imposées à la
société cocontractante ;

- elle n'a pas commis de faute dans l'exécution du contrat ;

- la demande de reprise des relations contractuelles doit être rejetée.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles (Rome I) ;

- le code général de la propriété de personnes publiques ;

- le décret n° 71-1140 du 21 décembre 1971 portant application du décret du 1er octobre 1926 conférant
la personnalité civile et l'autonomie financière à l'académie de France à Rome ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,

- et les observations de Me Heintz, avocat de la société Mezzi et Fonderia, et de Me A., avocat de


l'Académie de France à Rome.

Considérant ce qui suit :

1. L'Académie de France à Rome, établissement public culturel national à caractère administratif soumis
à la tutelle du ministère de la culture et au profit duquel a été mis à disposition le domaine de la Villa
Médicis situé à Rome, a signé le 15 octobre 2015 avec la société Mezzi et Fonderia un contrat portant
sur la concession du service de cafétéria et de restauration de la Villa Médicis, dans des locaux situés au
troisième niveau, qui est celui du jardin historique et de la loggia, et sur toutes les prestations et
fournitures accessoires et provisions nécessaires à l'accomplissement de ce service, pour une durée de
huit ans. A la suite d'une visite d'inspection et de contrôle réalisée le 12 novembre 2016, l'Académie de
France à Rome a adressé à la société Mezzi et Fonderia une mise en demeure de régulariser sa situation
dans un délai de quinze jours le 15 novembre 2016. Estimant que les réponses apportées par la société
étaient insuffisantes, l'Académie de France à Rome a résilié la convention par une décision du 9 février
2017. La société Mezzi et Fonderia relève appel des jugements du 7 février 2019 par lesquels le tribunal
administratif de Paris, d'une part, lui a enjoint de libérer les dépendances du domaine public qu'elle

109
occupe au sein de la Villa Médicis et l'a condamnée à verser à l'Académie de France à Rome la somme
de 84 850 €, et, d'autre part, a rejeté sa demande tendant à la reprise des relations contractuelles.

2. Les requêtes de la société Mezzi et Fonderia présentent à juger des questions similaires et ont fait
l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

3. Aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « sont
portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats
comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées
ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ; [...] ». Aux termes de l'article 2 du
décret du 21 novembre 1971, « l'académie de France à Rome a pour mission principale de favoriser la
création artistique et littéraire dans tous ses domaines, le perfectionnement dans les disciplines
appliquées à la création artistique et littéraire ainsi que dans l'histoire de l'art, plus particulièrement pour
la période s'étendant de la Renaissance à nos jours. / Elle participe aux échanges culturels et artistiques.
Elle organise des expositions, des concerts, des projections cinématographiques, des colloques ou
séminaires sur des sujets relevant des arts, des lettres et de leur histoire. / L'Académie a également pour
mission de conserver, restaurer, faire connaître et mettre en valeur la Villa Médicis, ses jardins et
dépendances, ainsi que les biens culturels qui y sont conservés et dont elle a la garde. / Elle peut diffuser
ses travaux, notamment sous forme de publications, y compris sur support électronique ». Aux termes
de l'article 3 de ce décret, « l'Académie de France à Rome accueille, dans des conditions fixées par
décret, des artistes ou chercheurs pour leur permettre de poursuivre leurs travaux, études et recherches
et d'acquérir un complément de formation. / [...] / Elle accueille, en outre, pour une durée limitée à un
an, au maximum trois personnalités françaises ou étrangères du monde des lettres et des arts désignées
par le ministre chargé de la culture après avis du directeur. Elle peut également recevoir des hôtes en
résidence pour des séjours de courte durée ».

4. Il résulte de l'instruction que l'Etat français a acquis la propriété de la Villa Médicis depuis le 18 mai
1803, dont la gestion a été confiée à l'Académie de France à Rome, dotée de la personnalité civile et de
l'autonomie financière à compter de 1927 et érigée en établissement public administratif en 1971. Eu
égard à ses missions, qui comportent notamment l'organisation de manifestations sur les sujets des arts
et des lettres, sa conservation, sa mise en valeur et son rayonnement ainsi que le développement de la
création artistique et littéraire par l'accueil des artistes et chercheurs en qualité de pensionnaires ou
d'hôtes résidants, la Villa Médicis est ainsi affectée à un service public culturel et spécialement
aménagée à cet effet. Ce bien constitue dès lors une dépendance du domaine public de l'Etat.

5. Il résulte ainsi des dispositions précitées de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des
personnes publiques que le litige relatif au contrat mentionné au point 1, comportant occupation du
domaine public, doit être porté devant la juridiction administrative française. Si l'article 17 du contrat,
relatif à la loi applicable et à la juridiction compétente, stipulait que « le présent contrat conclu entre
l'Académie et le Concessionnaire sera soumis au droit italien. Tout litige qui naîtrait en relation avec
celui-ci, y compris les litiges relatifs à son interprétation, à sa validité ou à sa résiliation, sera soumis à
la compétence exclusive des juridictions de Paris », les dispositions de l'article L. 2331-1 du code général
de la propriété des personnes publiques constituent une règle impérative du droit public français relative
à l'occupation du domaine public, qui ne fait au demeurant par ailleurs pas obstacle à la validité dudit
contrat non plus qu'à l'appréciation des conditions de son exécution, dès lors qu'il est fait application du
droit italien en tant que ce contrat porte sur la prestations de service de cafétéria et de restauration.
Compte tenu de la règle d'ordre public qui vient d'être évoquée, la société Mezzi et Fonderia n'est pas
fondée à soutenir que le juge administratif ne serait pas compétent pour se prononcer sur ses conclusions
tendant à la reprise des relations contractuelles et sur son expulsion du domaine public.

6. A cet égard, la société Mezzi et Fonderia ne peut utilement se prévaloir de la décision du 17 avril
2018 par laquelle la Cour de cassation de la République italienne, qui a d'ailleurs décliné la compétence
des juridictions italiennes pour connaître du litige, a considéré que les relations contractuelles ici en

110
cause sont de droit privé, dès lors que le caractère administratif du contrat résulte d'une qualification
législative française. Elle ne peut pas plus utilement se prévaloir du règlement n° 593/2008 du 17 juin
2008, dès lors que l'article 9 de ce règlement prévoit : « Qu'une loi de police est une disposition
impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics [...] au
point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par
ailleurs la loi applicable au contrat », et que son article 3 dispose que : « [...] Lorsque tous les autres
éléments de la situation sont localisés [...] dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix
des parties ne porte pas atteinte à l'application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne
permet pas de déroger par accord [...]. »

Sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles :

7. Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la
validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate
que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a
lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations
contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés
sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Dans l'hypothèse où
il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont
formulées en ce sens, que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant,
causé la résiliation, notamment du fait de la non-exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la
date fixée pour la reprise des relations contractuelles.

8. Pour prononcer la résiliation du contrat en litige le 9 février 2017, l'Académie de France à Rome s'est
fondée sur des manquements à ses obligations contractuelles commis par la société Mezzi et Fonderia,
qui conteste le bien-fondé de cette résiliation. Toutefois, il résulte de l'instruction que, s'agissant des
questions liées au personnel, d'une part, et alors que l'article 9 du contrat stipulait que l'Académie exigera
la présentation du document unique attestant la régularité du paiement des cotisations sociales (DURC)
dues par l'employeur au bénéfice de ses salariés, la société Mezzi et Fonderia a produit lors de
l'inspection du 12 novembre 2016 un document expiré au 10 juin 2016 et n'a déposé un nouveau
document que le 14 novembre, après cette inspection. Si la requérante soutient qu'il n'est pas possible
d'obtenir un DURC en Italie pour une période antérieure à l'interrogation de l'administration, elle ne
justifie pas du versement des cotisations au bénéfice de ses salariés entre juin et novembre 2016. D'autre
part, et alors que l'article 9 obligeait la société Mezzi et Fonderia à transmettre la liste des membres du
personnel préposés au service et d'y indiquer l'identité et la fonction de chacun d'eux, le concessionnaire
devant communiquer par écrit le nom des salariés à chaque modification du personnel, le contrôle a
révélé l'absence de registre unique du personnel et de liste mensuelle récapitulative du personnel, la
présence d'un salarié sans contrat de travail, une incohérence entre la liste du personnel disponible à la
date du 24 mai 2016, certains salariés présents à cette date n'ayant en outre été contractualisés
qu'ultérieurement, et celle produite postérieurement à l'inspection, sans que ces modifications aient été
préalablement communiquées, et la présence de stagiaires sans convention et sans bulletins de salaires,
d'un nombre au demeurant irrégulier par rapport au nombre de salariés. En outre, alors que le contrat
exigeait une maîtrise de la langue française par le personnel, des salariés présents ne parlaient pas
français. La société Mezzi et Fonderia ne conteste pas sérieusement ces éléments, ni en prétendant
qu'elle n'était pas tenue de communiquer les contrats de travail, alors que l'article 10 du contrat prévoyait
le contrôle de la régularité des contrats de travail, ni en se prévalant de la régularisation du salarié non
déclaré postérieurement à l'inspection et de la production de registres mensuels du personnel, qui ne
permettent pas d'établir que les stipulations précitées du contrat ont été respectées, non plus qu'en faisant
valoir que seul le personnel au contact du public devait parler français, une telle restriction ne résultant
pas des termes du contrat.

9. Il résulte également de l'instruction que, s'agissant de l'autorisation d'exercice de l'activité, et alors


que l'article 4 du contrat stipulait que le concessionnaire devra demander et obtenir, pour l'exercice de
ses activités, toute autorisation administrative éventuellement nécessaire, la société Mezzi et Fonderia
s'est bornée à déclarer auprès des autorités italiennes une activité de préparation et de distribution

111
d'aliments pour les salariés, hôtes et boursiers de l'Académie de France à Rome, se rattachant à l'activité
de cantine d'entreprise. Elle n'a ainsi pas déclaré l'activité réellement exercée et, si elle prétend avoir
transmis une déclaration valide, elle ne l'établit pas. S'agissant de l'obligation d'assurance, et alors que
l'article 10 du contrat stipulait que le contrôle pouvait porter sur le respect des obligations d'assurance,
notamment sur les assurances contre les accidents du travail, et que l'article 11 exigeait la souscription
d'une police d'assurance au titre des accidents du travail pour les salariés, la société Mezzi et Fonderia
se borne à soutenir que tel était bien le cas, en produisant une attestation d'assurance signée le 30
novembre 2016, prenant effet postérieurement au contrôle. Ainsi, elle ne conteste pas sérieusement
qu'elle a exercé son activité sans avoir disposé d'une assurance au titre des accidents du travail pour les
salariés. S'agissant de la gestion des déchets, et alors que l'article 7 du contrat stipulait que les taxes
concernant l'enlèvement, le déplacement et le traitement des déchets sont à la charge du concessionnaire,
il n'est pas contesté que la société Mezzi et Fonderia ne s'est pas inscrite auprès de l'agence romaine
chargée de la gestion des déchets. La requérante se borne à soutenir qu'elle ne pouvait pas être inscrite
dès lors que l'Académie de France n'a pas fourni à l'administration italienne la décomposition cadastrale
des millièmes et que l'assiette de la taxe a porté sur l'intégralité des bâtiments faute de pouvoir opérer
une division. Elle n'apporte toutefois aucun élément, alors que les locaux concédés sont précisément
identifiés dans la concession, de nature à établir une impossibilité de respecter les stipulations de l'article
7 du contrat. S'agissant de la qualité des produits, et alors qu'en application de l'article 5.1 du contrat, la
société Mezzi et Fonderia s'était engagée à garantir le respect de la réglementation applicable à la vente
d'aliments et de boissons, ainsi que celui des dispositions en vigueur en matière d'hygiène et de santé
publique et un niveau élevé de qualité des denrées alimentaires et des boissons proposées, les oeufs et
les viandes blanches devant notamment obligatoirement être d'origine biologique, d'une part, seul un
salarié sur les douze présents sur le site lors de l'inspection était mentionné sur le plan de contrôle interne
relatif à l'utilisation d'aliments et de boisson, d'autre part, le registre des nouvelles personnes recrutées
était incomplet, non actualisé et non daté, par ailleurs aucune justification de l'origine biologique des
produits n'a été produite, et, enfin, les factures d'achat ne mentionnaient ni les oeufs ni les viandes
blanches et ne concernaient pas les produits biologiques.

10. Enfin, s'agissant des questions financières, il résulte de l'instruction qu'alors qu'en application de
l'article 10 du contrat, le contrôle pouvait porter sur la comptabilité, et donc notamment sur les extraits
de caisse, le livre-journal et le registre des inventaires et des stocks, la société Mezzi et Fonderia n'a
produit qu'un registre des dépenses et des recettes pour la période 2015-2016 et un journal de caisse
portant sur quatre jours, ne permettant ainsi pas à l'Académie de France de vérifier la rémunération
variable mensuelle prévue à l'article 7 du contrat, qui suppose un enregistrement fidèle des recettes. La
société Mezzi et Fonderia ne conteste pas sérieusement ce grief, en se bornant à soutenir que les livres
comptables et les registres fiscaux n'étaient pas communicables sur le fondement du contrat, et que les
livres de recettes et de caisse étaient disponibles sur place.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 10 que sont établis par l'instruction de graves manquements
de la société Mezzi et Fonderia à ses obligations contractuelles, révélés par la visite d'inspection et de
contrôle réalisée le 12 novembre 2016, laquelle a porté sur des documents dont l'Académie de France à
Rome pouvait à cette occasion demander la production à son cocontractant en application des
stipulations de l'article 10 du contrat. Dans ces conditions, et alors que les manquements de la société
Mezzi et Fonderia à ses obligations contractuelles sont ainsi établis, la mesure de résiliation de la
convention du 15 octobre 2015 n'est entachée, ni de vices relatifs à sa régularité, ni de vices portant sur
son bien-fondé.

12. Si, à cet égard, la société Mezzi et Fonderia fait valoir que l'Académie de France aurait elle-même
manqué à ses obligations contractuelles en ne passant pas le montant minimum de commandes auquel
elle s'est contractuellement obligée, elle n'apporte aucun élément suffisamment probant à l'appui de ses
allégations, alors que l'article 5.7 du contrat prévoyait l'émission de factures portant précisément sur ces
commandes. Il ne résulte pas plus de l'instruction que l'Académie de France à Rome n'aurait pas respecté
le principe d'exclusivité de recours aux services de la requérante garanti par le contrat pour les
événements organisés par l'Académie, dès lors que, d'une part, il résulte des termes du contrat que ce
principe était soumis à des conditions relatives aux prix et aux prestations et que la société Mezzi et

112
Fonderia devait en toute hypothèse fournir un devis pour candidater et que, d'autre part, aucun élément
du dossier ne justifie de candidatures qui auraient été présentées puis refusées, ou d'événements pour
lesquels la société Mezzi et Fonderia n'aurait pas pu présenter de candidature. Enfin, si la requérante fait
valoir que l'Académie de France à Rome lui a dénié le droit d'organiser des événements exclusifs en
dehors des moments d'occupation par l'Académie prévus au contrat, il n'est produit qu'un seul courriel
de refus portant sur un unique événement ; cette circonstance ne saurait être regardée comme constituant
un manquement contractuel tel qu'il justifierait de remettre en cause la résiliation contestée, compte tenu
de l'ensemble des motifs exposés précédemment. Dans ces conditions, la société Mezzi et Fonderia n'est,
en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les manquements de l'Académie de France à Rome à ses
obligations contractuelles la délieraient de ses propres obligations ou atténueraient sa propre
responsabilité.

13. Par ailleurs, et dès lors que la mesure de résiliation est bien fondée, il ne résulte pas de l'instruction
que l'Académie de France à Rome, qui s'est bornée à tirer les conséquences des graves manquements
contractuels constatés, aurait commis un détournement de procédure ou de pouvoir dans le seul but de
procéder ainsi à l'expulsion de la société Mezzi et Fonderia du domaine public.

14. Il résulte des motifs qui précèdent que les manquements de la société Mezzi et Fonderia à ses
obligations contractuelles et les motifs de la résiliation, tels qu'ils ont été décrits ci-dessus, font obstacle
à ce que soit ordonnée une reprise des relations contractuelles, la circonstance que la société Mezzi et
Fonderia s'est maintenue dans les lieux en dépit de la résiliation et qu'aucun autre opérateur n'a été
désigné étant sans incidence sur le bien-fondé de la mesure de résiliation.

Sur l'expulsion du domaine public :

15. Il résulte de l'instruction que la société Mezzi et Fonderia s'est maintenue dans les lieux qu'elle
occupe au sein de la Villa Médicis, en dépit de la résiliation du contrat signé le 15 octobre 2015 avec
l'Académie de France à Rome, prononcée le 9 février 2017 et qui est bien fondée, pour les mêmes motifs
que ceux précédemment exposés. Etant ainsi occupante sans droit ni titre du domaine public, la société
Mezzi et Fonderia n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait faire l'objet d'une procédure d'expulsion
du domaine public.

Sur les conclusions indemnitaires :

16. La société Mezzi et Fonderia soutient que l'Académie de France à Rome doit être condamnée à lui
verser la somme de 85 708, 34 € par voie de compensation avec les sommes mises à sa charge par le
jugement n° 1715661 du 7 février 2019 du tribunal administratif de Paris, sommes dont elle ne conteste
pas le bien fondé. Ainsi qu'en ont été informées les parties, ces conclusions, nouvelles en appel, sont
irrecevables et doivent dès lors être rejetées.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Mezzi et Fonderia n'est pas fondée à soutenir que c'est
à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Paris, d'une part, lui a enjoint de libérer
les dépendances du domaine public qu'elle occupe au sein de la Villa Médicis et d'en évacuer tous les
matériels entreposés dans un délai de deux mois sous une astreinte de 150 € par jour de retard et l'a
condamnée à verser à l'Académie de France à Rome la somme de 84 850 € assortie des intérêts au taux
légal à compter du 4 octobre 2017, et, d'autre part, a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonnée
la reprise des relations contractuelles. Ses requêtes n° 19PA01912 et n° 19PA01913 doivent dès lors
être rejetées.

Sur les conclusions afin de sursis à exécution du jugement :

18. Dès lors qu'il est statué, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement
n° 1715661 du 7 février 2019 du tribunal administratif de Paris, les conclusions de la requête de la
société Mezzi et Fonderia enregistrée sous le n° 19PA01314 tendant à ce qu'il soit sursis à exécution de
ce jugement sont devenues sans objet.

113
Sur les frais liés au litige :

19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le
juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la
somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte
de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons
tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. »

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient
mises à la charge de l'Académie de France à Rome, qui n'est pas la partie perdante, les sommes que la
société Mezzi et Fonderia demande au titre des frais qu'elle a exposés. En revanche, il y a lieu, dans les
circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Mezzi et Fonderia, qui est la partie perdante,
la somme de 2 000 € au titre des frais que l'Académie de France à Rome a exposés.

Décide :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19PA01314 de la société
Mezzi et Fonderia

Article 2 : Les requêtes n° 19PA01312 et n° 19PA01313 de la société Mezzi et Fonderia sont rejetées.

Article 3 : La société Mezzi et Fonderia versera à l'Académie de France à Rome la somme de 2 000 €
en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mezzi et Fonderia et à l'Académie de France à Rome.
Copie en sera adressée au ministre de la culture.

Doc. 5. Conseil d'Etat, Section, du 19 novembre 1999, 183648, publié au recueil Lebon

Vu la requête enregistrée le 18 novembre 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée


par M. Constantin X..., demeurant ... à Athènes (Grèce) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) l'annulation de la décision du 12 septembre 1996 par laquelle le directeur adjoint de l'Institut français
d'Athènes l'a informé de son refus de renouveler son contrat de professeur suppléant pour l'année scolaire
1996-1997 ;
2°) que soient intentées des poursuites judiciaires contre les responsables de son licenciement ;
3°) la réparation des préjudices subis ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980 et
le décret n° 91-242 du 28 février 1991 portant publication de ladite convention ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n°
87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Maïa, Auditeur,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de M. X... est dirigée contre la décision du 12 septembre 1996 par laquelle
le directeur adjoint de l'Institut français d'Athènes, établissement d'enseignement dépendant du ministre
des affaires étrangères, a informé l'intéressé de son refus de renouveler le contrat, en date du 29
septembre 1995, par lequel il avait été recruté en qualité de professeur suppléant pour l'année scolaire
1995-1996 ;
Considérant que le juge administratif français n'est pas compétent pour connaître d'un litige né de
l'exécution d'un contrat qui n'est en aucune façon régi par le droit français ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que, lors du recrutement de M. X... par
l'Institut français d'Athènes, la commune volonté des parties avait été de soumettre l'exécution du contrat
de travail de l'intéressé aux dispositions de la législation du travail grecque, l'article 9 du contrat stipulant

114
d'ailleurs : "En cas de litige portant sur l'interprétation ou l'application du présent contrat, les parties
conviennent de s'en remettre aux tribunaux d'Athènes exclusivement compétents en ce domaine, mais
après épuisement des voies amiables" et, d'autre part, que la situation de M. X... en qualité de professeur
suppléant de l'Institut français d'Athènes n'était régie par aucune règle de droit français ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative française n'est pas
compétente pour connaître de la requête de M. X... ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour
en connaître.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Constantin X... et au ministre des affaires étrangères.

115
Séance 8. L’Etat comme opérateur
3. Les contrats conclus par l’Etat : les investissements

Lecture conseillée :

Ch. Leben, La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international des investissements, RCADI,
Volume 302, spéc. I et II, jusque § 234.

Questions

1. Présentez le système CIRDI.


2. Est-il le seul système de règlement des différends disponible en matière d’investissements ?
3. En quoi se distingue-t-il de l’arbitrage commercial classique ?
4. Qu’est-ce que le consentement dissocié ? Donnez-en des exemples tirés de la jurisprudence
CIRDI.
5. A quelles règles sont soumis les tribunaux arbitraux CIRDI en matière de procédure ?
a. Quel article concerne la compétence du Centre ?
b. Quel article concerne le droit applicable aux différends soumis au Centre ?
6. Quels textes ont généralement vocation à régir le droit des investissements ? Identifiez les
standards les plus courants présents au sein de ces textes.
7. Quelles relations entretiennent le droit de l’Union et le droit des TBI ?
8. Comment s’est également traduite la crise du CIRDI ?

PLAN DE LA SEANCE

I. LE CONSENTEMENT DISSOCIE

Doc. 1. Menzies Middle East and Africa S.A. et Aviation Handling Services International Ltd. c.
République du Sénégal, 5 août 2016, (CIRDI ARB/15/21)

II. LA NOTION D’INVESTISSEMENT

Doc. 2. Salini Costruttori et Italstrade c/ Maroc (compétence), 23 juill. 2001 (Affaire CIRDI ARB/00/4)
Doc. 3. Fedax c/ Venezuela, 11 juill. 1997, (CIRDI ARB/96/3)
Doc. 4. Victor Pey Casado et Fondation Président Aliende c/ Chili, 8 mai 2008, (Affaire CIRDI
ARB/98/2)

III. LA CRISE DU CIRDI

1. LE CIRDI ET L’UE

Doc. 5. CJUE, 6 mars 20181, Achmea C 284/16


Doc 6. Consultez l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres
de l’Union européenne, 29 mai 2020

2. LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DES DROITS SOCIAUX

Doc. 7. Philip Morris Brands Sàrl, Philip Morris Products S.A. and Abal Hermanos S.A. v. Oriental
Republic of Uruguay, (CIRDI ARB/10/7) (anciennement FTR Holding SA, Philip Morris Products S.A.
and Abal Hermanos S.A. v. Oriental Republic of Uruguay)

Doc. 8. Pac Rim Cayman LLC v. Republic of El Salvador, (CIRDI ARB/09/12)


116
I. LE CONSENTEMENT DISSOCIE

Doc. 1. Menzies Middle East and Africa S.A. et Aviation Handling Services International Ltd. c.
République du Sénégal, 5 août 2016, (CIRDI ARB/15/21)

II. LA NOTION D’INVESTISSEMENT

Doc. 2. Salini Costruttori et Italstrade c/ Maroc (compétence), 23 juill. 2001 (Affaire CIRDI
ARB/00/4)

Doc. 3. Fedax c/ Venezuela, 11 juill. 1997, (CIRDI ARB/96/3)

Doc. 4. Victor Pey Casado et Fondation Président Aliende c/ Chili, 8 mai 2008, (Affaire CIRDI
ARB/98/2)

III. LA CRISE DU CIRDI

1. LE CIRDI ET L’UE

Doc. 5. CJUE, 6 mars 20181, Achmea C 284/16

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18, 267 et 344 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Slowakische Republik (République
slovaque) à Achmea BV au sujet d’une sentence arbitrale du 7 décembre 2012 rendue par le tribunal arbitral
prévu par l’accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements entre le Royaume
des Pays-Bas et la République fédérale tchèque et slovaque (ci-après le « TBI »).

Le cadre juridique

Le TBI

3 Le TBI, conclu au cours de l’année 1991, est entré en vigueur le 1 er janvier 1992. Selon l’article 3,
paragraphe 1, de celui-ci, les parties contractantes se sont engagées à assurer aux investissements des
investisseurs de l’autre partie contractante un traitement juste et équitable ainsi qu’à ne pas entraver, par
des mesures injustes ou discriminatoires, la gestion, l’entretien, l’utilisation, la jouissance ou la liquidation
de ces investissements. Aux termes de l’article 4 du TBI, chaque partie contractante garantit le libre transfert
des paiements relatifs à un investissement, notamment des bénéfices, des intérêts et des dividendes, sans
restriction injustifiée ni retard et dans une monnaie librement convertible.

4 L’article 8 dudit accord prévoit :

« 1) Tout différend entre l’une des parties contractantes et un investisseur de l’autre partie contractante
relatif à un investissement de ce dernier est, autant que possible, réglé à l’amiable.

2) Chacune des parties contractantes consent par la présente à ce qu’un différend au sens du
paragraphe 1 du présent article soit soumis à un tribunal arbitral s’il n’a pas été réglé à l’amiable dans un
délai de six mois à partir de la date à laquelle l’une des parties au différend en a demandé le règlement
amiable.

3) Le tribunal arbitral visé au paragraphe 2 du présent article est constitué pour chaque cas de la manière
suivante : chaque partie au différend désigne un arbitre et les deux arbitres ainsi désignés choisissent
ensemble un troisième arbitre, ressortissant d’un État tiers, qui sera président du tribunal. Chaque partie au
différend désigne son arbitre dans les deux mois à compter de la date à laquelle l’investisseur a notifié à
l’autre partie contractante sa décision de soumettre le différend à un tribunal arbitral, et le président est
désigné dans un délai de trois mois à compter de la même date.

117
4) Si les désignations n’ont pas eu lieu dans les délais susindiqués, chaque partie au différend peut inviter
le président de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm à procéder aux désignations
nécessaires. Si le président est ressortissant de l’une des parties contractantes ou s’il est dans l’impossibilité
d’exercer ladite fonction pour toute autre raison, le vice-président est invité à procéder aux désignations
nécessaires. Si le vice-président est un ressortissant de l’une des parties contractantes ou s’il est également
dans l’impossibilité d’exercer ladite fonction, le membre le plus âgé de l’Institut d’arbitrage qui n’a pas la
nationalité de l’une des parties contractantes est invité à procéder aux désignations nécessaires.

5) Le tribunal arbitral fixe ses propres règles de procédure conformément au règlement d’arbitrage de la
Commission des Nations unies pour le droit commercial international (Cnudci).

6) Le tribunal arbitral statue en droit, en tenant compte notamment, mais non exclusivement :

– du droit en vigueur de la partie contractante concernée ;

– des dispositions du présent accord et de tout autre accord pertinent entre les parties contractantes ;

– des dispositions d’accords spéciaux relatifs à l’investissement ;

– des principes généraux du droit international.

7) Le tribunal statue à la majorité des votes ; sa décision est définitive et obligatoire pour les parties au
différend. »

Le droit allemand

5 En vertu de l’article 1059, paragraphe 2, de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile), une sentence
arbitrale ne peut être annulée que si l’un des motifs d’annulation visés par cette disposition est établi, au
nombre desquels figurent la nullité de la convention d’arbitrage en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont
subordonnée et le caractère contraire à l’ordre public de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence
arbitrale.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6 Le 1er janvier 1993, la République slovaque a succédé, en tant qu’ayant droit de la République fédérale
tchèque et slovaque, aux droits et aux obligations de cette dernière en vertu du TBI et, le 1er mai 2004, a
adhéré à l’Union européenne.

7 Dans le cadre d’une réforme de son système de santé, la République slovaque a, au cours de l’année 2004,
ouvert le marché slovaque aux opérateurs nationaux et aux opérateurs d’autres États offrant des prestations
d’assurance maladie privée. Achmea, une entreprise appartenant à un groupe d’assurances néerlandais,
après avoir obtenu l’agrément en tant qu’organisme d’assurance maladie, a établi en Slovaquie une filiale,
à laquelle elle a apporté des capitaux et par l’intermédiaire de laquelle elle offrait des prestations d’assurance
maladie privée sur le marché slovaque.

8 Au cours de l’année 2006, la République slovaque est partiellement revenue sur la libéralisation du marché
de l’assurance maladie privée. En particulier, par une loi du 25 octobre 2007, elle a interdit la distribution
des bénéfices produits par les activités d’assurance maladie privée. Par la suite, l’Ústavný súd Slovenskej
republiky (Cour constitutionnelle de la République slovaque) ayant, par un arrêt du 26 janvier 2011, jugé
que cette interdiction était contraire à la constitution slovaque, la République slovaque a, par une loi entrée
en vigueur le 1er août 2011, de nouveau autorisé la distribution des bénéfices en question.

9 Estimant que les mesures législatives de la République slovaque lui avaient causé un préjudice, Achmea a,
dès le mois d’octobre 2008, initié contre cet État membre une procédure arbitrale, en application de l’article 8
du TBI.

10 Francfort-sur-le-Main (Allemagne) ayant été choisie comme lieu de l’arbitrage, le droit allemand est
applicable à la procédure arbitrale en cause.

11 Dans le cadre de cette procédure arbitrale, la République slovaque a soulevé une exception d’incompétence
du tribunal arbitral. À cet égard, elle a soutenu que, du fait de son adhésion à l’Union, le recours à un tribunal

118
arbitral prévu à l’article 8, paragraphe 2, du TBI était incompatible avec le droit de l’Union. Par sentence
arbitrale avant dire droit du 26 octobre 2010, le tribunal arbitral a écarté cette exception. Les demandes en
annulation de cette sentence introduites par la République slovaque devant les juridictions allemandes en
première instance et en appel n’ont pas prospéré.

12 Par sentence arbitrale du 7 décembre 2012, le tribunal arbitral a condamné la République slovaque à payer
à Achmea des dommages et intérêts d’un montant principal de 22,1 millions d’euros. La République
slovaque a introduit un recours en annulation de cette sentence arbitrale devant l’Oberlandesgericht
Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main, Allemagne). Celui-ci ayant décidé
de rejeter ce recours, la République slovaque a formé un pourvoi contre cette décision devant le
Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).

13 La juridiction de renvoi rappelle que, depuis l’adhésion de la République slovaque à l’Union, le 1 er mai 2004,
le TBI constitue un accord entre les États membres, de sorte que, en cas de conflit, les dispositions du droit
de l’Union priment, dans les matières qu’elles régissent, les dispositions du TBI.

14 À cet égard, la République slovaque a exprimé des doutes sur la compatibilité de la clause arbitrale contenue
à l’article 8 du TBI avec les articles 18, 267 et 344 TFUE. Même si la juridiction de renvoi ne partage pas
ces doutes, elle a néanmoins considéré que, la Cour ne s’étant pas encore prononcée sur ces questions et
celles-ci revêtant une importance considérable en raison des nombreux traités bilatéraux d’investissement
encore en vigueur entre les États membres qui comportent une clause arbitrale comparable, il était
nécessaire de saisir la Cour du présent renvoi afin de trancher le litige dont elle est saisie.

15 En premier lieu, la juridiction de renvoi doute de l’applicabilité même de l’article 344 TFUE. Tout d’abord, il
ressortirait de l’objet et de la finalité de cette disposition que, même si son libellé ne le fait pas clairement
apparaître, cette dernière ne concerne pas les différends entre un particulier et un État membre.

16 Ensuite, l’article 344 TFUE aurait pour objet uniquement les différends relatifs à l’interprétation et à
l’application des traités. Or, tel ne serait pas le cas du litige au principal, étant donné que la sentence arbitrale
du 7 décembre 2012 a été prise sur le fondement du seul TBI.

17 Enfin, l’article 344 TFUE aurait pour finalité de garantir l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant,
l’autonomie du système juridique de l’Union dont la Cour assure le respect et il serait, en même temps, une
manifestation spécifique du devoir de loyauté des États membres envers la Cour, au sens de l’article 4,
paragraphe 3, TUE. Cependant, il ne pourrait pas en être déduit que l’article 344 TFUE protège la
compétence de la Cour en ce qui concerne tout différend dans lequel le droit de l’Union est susceptible
d’être appliqué ou interprété. En réalité, cette disposition ne protégerait la compétence exclusive de la Cour
que dans la mesure où les États membres doivent recourir aux procédures devant celle-ci prévues par les
traités. Or, un litige tel que celui en cause au principal ne pourrait pas être réglé dans le cadre d’une
procédure se déroulant devant les juridictions de l’Union. En effet, les traités ne prévoiraient aucune
procédure juridictionnelle permettant à un investisseur, tel qu’Achmea, de faire valoir, devant les juridictions
de l’Union, le droit à indemnisation à l’égard d’un État membre que lui confère un traité bilatéral
d’investissement tel que le TBI.

18 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi se demande si l’article 267 TFUE fait obstacle à une clause arbitrale
telle que celle en cause au principal.

19 À cet égard, elle souligne, tout d’abord, que, à elle seule, la procédure arbitrale n’est pas de nature à assurer
l’uniformité d’application du droit de l’Union que l’article 267 TFUE vise à garantir. En effet, même si, en
vertu de l’article 8, paragraphe 6, du TBI, le tribunal arbitral devait respecter le droit de l’Union et, en cas de
conflit, l’appliquer en priorité, il n’aurait toutefois pas la possibilité de saisir la Cour à titre préjudiciel, étant
donné qu’il ne pourrait pas être considéré comme une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

20 La juridiction de renvoi considère, ensuite, que l’unité d’interprétation du droit de l’Union pourrait néanmoins
être considérée comme étant assurée en l’occurrence dans la mesure où, préalablement à l’exécution de la
sentence arbitrale, une juridiction étatique peut être amenée à contrôler la compatibilité de la sentence
arbitrale avec le droit de l’Union et peut, en cas de besoin, saisir la Cour à titre préjudiciel. Par ailleurs, aux
termes de l’article 1059, paragraphe 2, point 2, sous b), du code de procédure civile, le caractère contraire
à l’ordre public de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence arbitrale ferait partie des motifs
d’annulation d’une telle sentence. À l’instar de ce que la Cour aurait jugé à propos de sentences arbitrales
tranchant des litiges entre particuliers, le pouvoir de contrôle des juridictions nationales sur une sentence
arbitrale portant sur un différend entre un particulier et un État membre pourrait valablement être limité aux
seules violations de dispositions fondamentales du droit de l’Union. Cette circonstance ne devrait pas avoir
pour effet qu’une clause arbitrale, telle que celle en cause au principal, soit contraire à l’article 267 TFUE.

119
21 La juridiction de renvoi ajoute, enfin, que la Cour a déjà jugé qu’un accord international, prévoyant la création,
en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union, d’une juridiction spéciale chargée de
l’interprétation et de l’application des dispositions de cet accord, est compatible avec le droit de l’Union dès
lors qu’il n’est pas porté atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. La Cour n’aurait pas exprimé
de réserves à l’égard de la création d’un système juridictionnel qui visait, en substance, à résoudre des
litiges portant sur l’interprétation ou l’application des dispositions elles-mêmes de l’accord international en
question et n’affectait pas les compétences des juridictions des États membres concernant l’interprétation
et l’application du droit de l’Union, ni la faculté, voire l’obligation, pour ces dernières de saisir la Cour à titre
préjudiciel. Or, le tribunal arbitral en cause au principal serait précisément appelé à statuer sur la violation
des dispositions du TBI, qu’il devrait interpréter à la lumière du droit de l’Union et notamment des dispositions
régissant la libre circulation des capitaux.

22 En troisième lieu, la juridiction de renvoi constate que, contrairement aux investisseurs néerlandais ou
slovaques, les investisseurs d’États membres autres que le Royaume des Pays-Bas et la République
slovaque n’ont pas la possibilité de saisir un tribunal arbitral au lieu d’une juridiction étatique, ce qui constitue
un désavantage considérable susceptible de constituer une discrimination contraire à l’article 18 TFUE.
Toutefois, la limitation, par un accord bilatéral interne à l’Union, du bénéfice d’un avantage aux ressortissants
des États membres contractants ne serait discriminatoire que si les ressortissants des autres États membres
qui ne bénéficient pas de cet avantage se trouvent dans une situation objectivement comparable. Or, tel ne
serait pas le cas en l’occurrence, étant donné que le fait que les droits et les obligations réciproques ne
s’appliquent qu’aux ressortissants de l’un des deux États membres contractants serait une conséquence
inhérente aux conventions bilatérales conclues entre ceux-ci.

23 Compte tenu des considérations qui précèdent, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de
surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 344 TFUE fait-il obstacle à l’application d’une clause d’un accord bilatéral d’investissement
entre les États membres de l’Union (ce qu’il est convenu d’appeler un “traité bilatéral d’investissement
interne à l’Union”), prévoyant qu’un investisseur d’un État contractant peut, en cas de litige
concernant des investissements dans l’autre État contractant, introduire une procédure contre ce
dernier État devant un tribunal arbitral, lorsque ledit accord a été conclu avant l’adhésion de l’un des
États contractants à l’Union, mais que la procédure arbitrale ne sera introduite qu’après cette date ?

En cas de réponse négative à la première question :

2) L’article 267 TFUE fait-il obstacle à l’application d’une telle disposition ?

En cas de réponse négative à la première et à la deuxième question :

3) Dans les conditions décrites dans la première question, l’article 18, premier alinéa, TFUE fait-il
obstacle à l’application d’une telle disposition ? »

Sur les demandes de réouverture de la procédure orale

24 À la suite de la lecture des conclusions de M. l’avocat général, le 19 septembre 2017, les gouvernements
tchèque, hongrois et polonais ont, par actes déposés au greffe de la Cour, respectivement, le 3 novembre,
le 19 et le 16 octobre 2017, demandé la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 83 du
règlement de procédure de la Cour.

25 À l’appui de leurs demandes, lesdits gouvernements expriment leur désaccord avec les conclusions de
M. l’avocat général.

26 Il convient toutefois de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le
règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les intéressés visés à l’article 23 de
ce statut, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt
du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a., C-126/16, EU:C:2017:489, point 30).

27 D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute
impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut
de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces
conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci. Par conséquent,
le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les
questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la

120
procédure orale (arrêt du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo, C-106/16, EU:C:2017:804, point 24 et
jurisprudence citée).

28 Cela étant, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale
de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère
qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument
qui n’a pas été débattu entre les intéressés (arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging
e.a., C-126/16, EU:C:2017:489, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

29 Or, en l’occurrence, les demandes se limitant à manifester le désaccord des gouvernements tchèque,
hongrois et polonais avec les conclusions de M. l’avocat général et ne faisant état d’aucun argument
nouveau sur la base duquel la présente affaire devrait être tranchée, la Cour considère, l’avocat général
entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que ceux-ci ont été débattus entre
les intéressés.

30 Eu égard à ce qui précède, les demandes de réouverture de la procédure orale doivent être rejetées.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

31 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande,
en substance, si les articles 267 et 344 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une
disposition contenue dans un accord international conclu entre les États membres, telle que l’article 8 du
TBI, aux termes de laquelle un investisseur de l’un de ces États membres peut, en cas de litige concernant
des investissements dans l’autre État membre, introduire une procédure contre ce dernier État membre
devant un tribunal arbitral, dont cet État membre s’est obligé à accepter la compétence.

32 Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour,
un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à
l’autonomie du système juridique de l’Union dont la Cour assure le respect. Ce principe est notamment
inscrit dans l’article 344 TFUE, selon lequel les États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend
relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par
ceux-ci [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 201 et
jurisprudence citée].

33 Selon une jurisprudence également constante de la Cour, l’autonomie du droit de l’Union, au regard tant du
droit des États membres que du droit international, se justifie en raison des caractéristiques essentielles de
l’Union et de son droit, relatives, notamment, à la structure constitutionnelle de l’Union ainsi qu’à la nature
même dudit droit. Le droit de l’Union se caractérise en effet par la circonstance d’être issu d’une source
autonome, constituée par les traités, par sa primauté par rapport aux droits des États membres ainsi que
par l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes. De
telles caractéristiques ont donné lieu à un réseau structuré de principes, de règles et de relations juridiques
mutuellement interdépendantes liant, réciproquement, l’Union elle-même et ses États membres, ainsi que
ceux-ci entre eux [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014,
EU:C:2014:2454, points 165 à 167 ainsi que jurisprudence citée].

34 Le droit de l’Union repose ainsi sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage
avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs
communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique
et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces
valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre. C’est précisément dans ce
contexte qu’il incombe aux États membres, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé
à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leurs territoires respectifs, l’application et le
respect du droit de l’Union et de prendre, à ces fins, toute mesure générale ou particulière propre à assurer
l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union
[avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 168 et 173 ainsi
que jurisprudence citée].

35 Pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de


l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans
l’interprétation du droit de l’Union [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014,
EU:C:2014:2454, point 174].

121
36 Dans ce cadre, conformément à l’article 19 TUE, il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de
garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection
juridictionnelle des droits que les justiciables tirent dudit droit [voir, en ce sens, avis 1/09 (Accord sur la
création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011,
EU:C:2011:123, point 68, et 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454,
point 175, ainsi que arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C-64/16,
EU:C:2018:117, point 33].

37 En particulier, la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure du renvoi
préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE qui, en instaurant un dialogue de juge à juge, précisément entre la
Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union,
permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance,
le caractère propre du droit institué par les traités [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du
18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 176 et jurisprudence citée].

38 C’est à la lumière de ces considérations qu’il faut répondre aux première et deuxième questions
préjudicielles.

39 À cette fin, il convient, en premier lieu, de vérifier si les litiges dont est appelé à connaître le tribunal arbitral
visé à l’article 8 du TBI sont susceptibles d’être relatifs à l’interprétation ou à l’application du droit de l’Union.

40 À cet égard, à supposer même que, comme le prétend notamment Achmea, ce tribunal, en dépit de la
formulation très large de l’article 8, paragraphe 1, du TBI, ne soit appelé à se prononcer que sur une violation
éventuelle de cet accord, il n’en reste pas moins que, à ces fins, il doit, conformément à l’article 8,
paragraphe 6, du TBI, tenir compte notamment du droit en vigueur de la partie contractante concernée ainsi
que de tout accord pertinent entre les parties contractantes.

41 Or, compte tenu de la nature et des caractéristiques du droit de l’Union mentionnées au point 33 du présent
arrêt, ce droit doit être considéré à la fois comme faisant partie du droit en vigueur dans tout État membre
et comme étant issu d’un accord international entre les États membres.

42 Il s’ensuit que, à ce double titre, le tribunal arbitral visé à l’article 8 du TBI est, le cas échéant, amené à
interpréter, voire à appliquer, le droit de l’Union, et, en particulier, les dispositions concernant les libertés
fondamentales, dont la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux.

43 Il convient, dès lors, de vérifier, en deuxième lieu, si un tribunal arbitral tel que celui visé à l’article 8 du TBI
se situe dans le système juridictionnel de l’Union, et, en particulier, s’il peut être considéré comme étant une
juridiction d’un des États membres au sens de l’article 267 TFUE. En effet, la circonstance qu’un tribunal
créé par des États membres est situé dans le système juridictionnel de l’Union a pour conséquence que ses
décisions sont soumises à des mécanismes de nature à assurer la pleine efficacité des normes de l’Union
[voir, en ce sens, avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière
de brevets), du 8 mars 2011, EU:C:2011:123, point 82 et jurisprudence citée].

44 À cet égard, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto
Estradas das Beiras Litoral e Alta (C-377/13, EU:C:2014:1754), la Cour a déduit le caractère de « juridiction
d’un des États membres » du tribunal en cause de la circonstance que celui-ci, dans son ensemble, était un
élément du système de résolution juridictionnelle des litiges dans le domaine fiscal prévu par la Constitution
portugaise elle-même (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas
das Beiras Litoral e Alta, C-377/13, EU:C:2014:1754, points 25 et 26).

45 Or, dans l’affaire au principal, le tribunal arbitral ne constitue pas un élément du système juridictionnel établi
aux Pays-Bas et en Slovaquie. C’est d’ailleurs précisément le caractère dérogatoire de la juridiction de ce
tribunal, par rapport à celle des juridictions de ces deux États membres, qui constitue l’une des principales
raisons d’être de l’article 8 du TBI.

46 Cette caractéristique du tribunal arbitral en cause au principal implique que celui-ci ne saurait, en tout état
de cause, être qualifié de juridiction « d’un des États membres », au sens de l’article 267 TFUE.

47 Certes, la Cour a jugé qu’il n’existe aucun motif valable qui justifierait qu’une juridiction commune à plusieurs
États membres, telle que la Cour de justice du Benelux, ne puisse soumettre des questions préjudicielles à
la Cour à l’instar des juridictions relevant de chacun de ces États membres (voir, en ce sens, arrêts du
4 novembre 1997, Parfums Christian Dior, C-337/95, EU:C:1997:517, point 21, et du 14 juin 2011, Miles
e.a., C-196/09, EU:C:2011:388, point 40).

122
48 Cependant, le tribunal arbitral en cause au principal ne constitue pas une telle juridiction commune à
plusieurs États membres, comparable à la Cour de justice du Benelux. En effet, tandis que, d’une part, cette
dernière est chargée d’assurer l’uniformité dans l’application des règles juridiques communes aux trois États
du Benelux et que, d’autre part, la procédure devant elle forme un incident dans les procédures pendantes
devant les juridictions nationales à l’issue duquel l’interprétation définitive des règles juridiques communes
au Benelux est établie, le tribunal arbitral en cause au principal ne présente pas de tels liens avec les
systèmes juridictionnels des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2011, Miles e.a., C–196/09,
EU:C:2011:388, point 41).

49 Il s’ensuit qu’un tribunal tel que celui visé à l’article 8 du TBI ne saurait être considéré comme étant une
« juridiction d’un des États membres », au sens de l’article 267 TFUE, et n’est dès lors pas habilité à saisir
la Cour à titre préjudiciel.

50 Dans ces circonstances, il convient encore de vérifier, en troisième lieu, si la sentence arbitrale rendue par
un tel tribunal est, conformément, en particulier, à l’article 19 TUE, soumise au contrôle d’une juridiction d’un
État membre garantissant que les questions de droit de l’Union que ce tribunal pourrait être amené à traiter
puissent, éventuellement, être soumises à la Cour dans le cadre d’un renvoi préjudiciel.

51 À cette fin, il y a lieu de relever que, selon l’article 8, paragraphe 7, du TBI, la décision du tribunal arbitral
prévu à cet article est définitive. En outre, en application de l’article 8, paragraphe 5, du TBI, ce tribunal
arbitral fixe ses propres règles de procédure conformément au règlement d’arbitrage de la Cnudci et, en
particulier, choisit lui-même son siège et, par conséquent, le droit applicable à la procédure régissant le
contrôle juridictionnel de la validité de la sentence par laquelle il met fin au différend porté devant lui.

52 En l’occurrence, le tribunal arbitral saisi par Achmea a choisi comme siège Francfort-sur-le-Main, ce qui a
rendu le droit allemand applicable à la procédure régissant le contrôle juridictionnel de la validité de la
sentence arbitrale prononcée par ce tribunal le 7 décembre 2012. C’est ainsi ce choix qui a permis à la
République slovaque, en tant que partie au différend, de demander, conformément à ce droit, un contrôle
juridictionnel de cette sentence arbitrale, en saisissant, à cette fin, la juridiction allemande compétente.

53 Cependant, il convient de constater qu’un tel contrôle juridictionnel ne peut être exercé par ladite juridiction
que dans la mesure où le droit national le permet. D’ailleurs, l’article 1059, paragraphe 2, du code de
procédure civile ne prévoit qu’un contrôle limité portant, notamment, sur la validité, au regard de la loi
applicable, de la convention d’arbitrage ou sur le respect de l’ordre public par la reconnaissance ou
l’exécution de la sentence arbitrale.

54 Certes, en ce qui concerne l’arbitrage commercial, la Cour a jugé que les exigences tenant à l’efficacité de
la procédure arbitrale justifient que le contrôle des sentences arbitrales exercé par les juridictions des États
membres revête un caractère limité, pourvu que les dispositions fondamentales du droit de l’Union puissent
être examinées dans le cadre de ce contrôle et, le cas échéant, faire l’objet d’un renvoi préjudiciel devant la
Cour (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, EU:C:1999:269, points 35, 36 et 40,
ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, EU:C:2006:675, points 34 à 39).

55 Toutefois, une procédure d’arbitrage, telle que celle visée à l’article 8 du TBI, se distingue d’une procédure
d’arbitrage commercial. En effet, alors que la seconde trouve son origine dans l’autonomie de la volonté des
parties en cause, la première résulte d’un traité, par lequel des États membres consentent à soustraire à la
compétence de leurs propres juridictions et, partant, au système de voies de recours juridictionnel que
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE leur impose d’établir dans les domaines couverts par le droit
de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C-64/16,
EU:C:2018:117, point 34), des litiges pouvant porter sur l’application ou l’interprétation de ce droit. Dans ces
conditions, les considérations énoncées au point précédent, relatives à l’arbitrage commercial, ne sont pas
transposables à une procédure d’arbitrage, telle que celle visée à l’article 8 du TBI.

56 Par conséquent, compte tenu de l’ensemble des caractéristiques du tribunal arbitral visées à l’article 8 du
TBI et rappelées aux points 39 à 55 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que, par la conclusion du TBI,
les États membres parties à celui-ci ont instauré un mécanisme de résolution de litiges opposant un
investisseur à un État membre susceptible d’exclure que ces litiges, alors même qu’ils pourraient concerner
l’interprétation ou l’application du droit de l’Union, soient tranchés d’une manière garantissant la pleine
efficacité de ce droit.

57 Certes, selon une jurisprudence constante de la Cour, un accord international, prévoyant la création d’une
juridiction chargée de l’interprétation de ses dispositions et dont les décisions lient les institutions, y compris
la Cour, n’est, en principe, pas incompatible avec le droit de l’Union. En effet, la compétence de l’Union en
matière de relations internationales et sa capacité à conclure des accords internationaux comportent

123
nécessairement la faculté de se soumettre aux décisions d’une juridiction créée ou désignée en vertu de
tels accords, pour ce qui concerne l’interprétation et l’application de leurs dispositions, pourvu que
l’autonomie de l’Union et de son ordre juridique soit respectée [voir, en ce sens, avis 1/91 (Accord EEE – I),
du 14 décembre 1991, EU:C:1991:490, points 40 et 70 ; 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de
règlement des litiges en matière de brevets), du 8 mars 2011, EU:C:2011:123, points 74 et 76, ainsi que
2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 182 et 183].

58 Cependant, en l’occurrence, outre le fait que les litiges relevant de la compétence du tribunal arbitral visé à
l’article 8 du TBI sont susceptibles d’être relatifs à l’interprétation tant de cet accord que du droit de l’Union,
la possibilité de soumettre ces litiges à un organisme qui ne constitue pas un élément du système
juridictionnel de l’Union est prévue par un accord qui a été conclu non pas par l’Union, mais par des États
membres. Or, ledit article 8 est de nature à remettre en cause, outre le principe de confiance mutuelle entre
les États membres, la préservation du caractère propre du droit institué par les traités, assurée par la
procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, et n’est dès lors pas compatible avec le principe
de coopération loyale rappelé au point 34 du présent arrêt.

59 Dans ces conditions, l’article 8 du TBI porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union.

60 Par conséquent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que les articles 267 et 344
TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition contenue dans un accord
international conclu entre les États membres, telle que l’article 8 du TBI, aux termes de laquelle un
investisseur de l’un de ces États membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre
État membre, introduire une procédure contre ce dernier État membre devant un tribunal arbitral, dont cet
État membre s’est obligé à accepter la compétence.

Sur la troisième question

61 Compte tenu de la réponse donnée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la
troisième question.

Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la
juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des
observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

Les articles 267 et 344 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition
contenue dans un accord international conclu entre les États membres, telle que l’article 8 de
l’accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements entre le Royaume
des Pays-Bas et la République fédérale tchèque et slovaque, aux termes de laquelle un investisseur
de l’un de ces États membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre État
membre, introduire une procédure contre ce dernier État membre devant un tribunal arbitral, dont
cet État membre s’est obligé à accepter la compétence.

Doc 6. Consultez l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États
membres de l’Union européenne, 29 mai 2020

2. LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DES DROITS SOCIAUX

Doc. 7. Philip Morris Brands Sàrl, Philip Morris Products S.A. and Abal Hermanos S.A. v.
Oriental Republic of Uruguay, (CIRDI ARB/10/7) (anciennement FTR Holding SA, Philip Morris
Products S.A. and Abal Hermanos S.A. v. Oriental Republic of Uruguay)

Doc. 8. Pac Rim Cayman LLC v. Republic of El Salvador, (CIRDI ARB/09/12)

124
125

Vous aimerez peut-être aussi