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Les revendications amazighes dans la tourmente

des « printemps arabes »


Trajectoires historiques et évolutions récentes des mouvements identitaires en Afrique du Nord

Mohand Tilmatine et Thierry Desrues (dir.)

DOI : 10.4000/books.cjb.1299
Éditeur : Centre Jacques-Berque
Lieu d'édition : Rabat
Année d'édition : 2017
Date de mise en ligne : 19 février 2018
Collection : Description du Maghreb
ISBN électronique : 9791092046335

http://books.openedition.org

Édition imprimée
ISBN : 9791092046342

Référence électronique
TILMATINE, Mohand (dir.) ; DESRUES, Thierry (dir.). Les revendications amazighes dans la tourmente des
« printemps arabes » : Trajectoires historiques et évolutions récentes des mouvements identitaires en
Afrique du Nord. Nouvelle édition [en ligne]. Rabat : Centre Jacques-Berque, 2017 (généré le 03 mai
2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cjb/1299>. ISBN : 9791092046335. DOI :
10.4000/books.cjb.1299.

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1

En Afrique du Nord, les revendications linguistiques et culturelles amazighes mobilisent toute


une série d’acteurs collectifs. La structuration organisationnelle, la trajectoire, les répertoires
d’actions et le pouvoir de se faire entendre de ces derniers varient selon les situations nationales
tandis que se développent des références communes pan-amazighes.
L’ancrage historique, la nature et la radicalité de ces réalités revendicatives divergent d’un État à
l’autre et au cœur des diasporas. Récemment, le statut de la langue berbère a significativement
changé avec l’officialisation de celle-ci inscrite dans les constitutions algérienne (2016) et
marocaine (2011). En Tunisie, l’amazighité de certaines populations très minoritaires n’a pas été
mentionnée dans la mouture finale du texte constitutionnel. En Libye, la cause amazighe
pourtant très présente au début de la « révolution », semble avoir échoué à imposer
l’officialisation de la langue amazighe à côté de l’arabe dans la construction du futur État.
Dans le sillage des mobilisations dites des « Printemps arabes », cet ouvrage collectif propose une
mise à jour des connaissances sur la trajectoire historique des revendications identitaires,
linguistiques et politiques amazighes et leur gestion par les régimes politiques d’Afrique du Nord.
2

SOMMAIRE

I. Introduction

L’amazighité, trajectoires historiques et évolutions récentes d’une cause


Thierry Desrues et Mohand Tilmatine
L’amazighité face aux cultures politiques et religieuses importées par l’État : le temps de
l’histoire et ses récits
L’amazighité : des répertoires revendicatifs modulables de la culture à l’autochtonie,
l’internationalisation et la transnationalisation
L’amazighité catalyseur de demandes de justice et d’intégration socio-économique
Amazighité : mouvements revendicatifs, institutionnalisation et évolution de la cause
Entre « algérianité » et « kabylitude » : le temps de la cause amazighe en Algérie
L’amazighité en Tunisie : des locuteurs ultra-minoritaires au patrimoine culturel réapproprié par
l’État
Le surgissement de la cause amazighe en Libye : surprise, espoirs et déconvenues
La diaspora amazighe et l’activisme amazigh : le cas de l’Espagne
L’expansion d’Internet : un « territoire » investi par l’amazighité
Conclusion

II. L'amazighité face au temps long de l'Histoire et ses récits

Les Berbères ont-ils manqué un rendez-vous avec l’Histoire dans les révoltes « arabes » ?
Tassadit Yacine
Domination et procès d’invisibilisation
Pourquoi ce passage d’une culture visible au tabou ?

La vulgate historique berbère en Algérie : savoirs, usages et projections


Karima Dirèche
L’obsession de l’histoire
Mythes, généalogies et histoires politiques
Icônes de l’histoire et traitement historiographique
La berbérité contre l’arabité : le combat de deux mythes ou l’obsession des origines
Une langue commune ? Une histoire commune ? Un peuple unique ?

Religion et identité amazighe : réflexions sur le rôle de l’islam en Kabylie (Algérie)


Carmen Garratón Mateu
L’islam : d’une religion populaire pendant la période coloniale à une religion d’État après
l’indépendance
Les « Printemps kabyles »
Positions actuelles autour de la religion en Kabylie
Conclusion
3

III. L’amazighité au prisme du temps mondial : évolutions récentes des


mouvements identitaires

Des revendications linguistiques aux projets d’autodétermination : le cas de la Kabylie


(Algérie)
Mohand Tilmatine
La phase culturaliste : le MCB, un mouvement kabyle « algérianiste »
Concessions et radicalisation : le « Printemps noir » et la rupture
La naissance d’une pensée autonomiste
Le MAK et la matérialisation de la rupture
L’État-nation comme unique forme de gouvernance : la fin d’un tabou ?
Conclusion

Les associations amazighes au défi de l’institutionnalisation au Maroc et en Algérie


Entre logique consensuelle et logique protestataire
Didier Le Saout
L’émergence d’une conscience identitaire
Pressions et revendications
Les associations amazighes au défi de la politisation
Vers une institutionnalisation de l’amazigh en Algérie
La réforme constitutionnelle de 2011 : les deux temps de l’officialisation de l’amazigh au Maroc
La réforme constitutionnelle de 2016 en Algérie et l’officialisation de l’amazigh
L’amazigh dans les institutions : entre consensus et revendication
Conclusion

Insécurité à la périphérie : les griefs socio-économiques et le mouvement amazigh au Maroc 


Bruce Maddy-Weitzman
L’inquiétant profil socio-économique marocain et le facteur amazigh
Anfgou et Imider
Conclusion

La revendication amazighe en Tunisie : la tunisianité au défi de la transition politique


Stéphanie Pouessel
Tunisianité et diversité culturelle : un héritage pluraliste
Développement d’une conscience et d’une cause amazighes en Tunisie
« Minorités » et « Méditerranée », les deux revers d’une même pièce politique
La question amazighe en contexte islamiste (2011-2014)
L’après 2014 : retour du néo-destourisme et connivence amazighe
Conclusion

Le surgissement de la cause amazighe en Libye : des espoirs de reconnaissance aux


déconvenues de la realpolitik
Thierry Desrues
L’amazighité sous le règne de Kadhafi : une identité niée et persécutée
L’irruption de la cause amazighe et l’appui à la transition politique
La relégation de l’amazighité dans le projet constitutionnel et la création du Conseil national
amazigh libyen (CNAL)
La stratégie du boycott des instances transitionnelles par le HCAL
Conclusion
4

IV. L’amazighité et le militantisme transnational : actions collectives et actions


connectives des régions d’origine aux diasporas

L’activisme de la diaspora amazighe en Espagne : opportunités et limites pour une action


continue
Ángela Suárez Collado
L’agenda politique des diasporas : interactions entre l’activisme immigré et la mobilisation
transnationale
L’évolution de l’activisme de la diaspora amazighe en Espagne et sa répercussion sur les sphères
sociale et politique du pays d’accueil et les territoires d’origine
La diaspora et les balbutiements de l’activisme amazigh : le rôle des élites transnationales
L’activisme amazigh dans la diaspora des années quatre-vingt-dix : nouvelle époque, nouvelles
opportunités
La consolidation de l’activisme de la diaspora amazighe : portée, limites et particularités des
actions dans la société d’accueil
Conclusion

« Le sentiment d’être chez soi  » sur les sites amazighs et le « printemps


arabe » : déconstructions et renégociations sur le Web
Daniela Merolla et Abdelbasset Dahraoui
La construction identitaire des sites amazighs dans la production culturelle
La construction identitaire des sites amazighs et le discours politique : des réponses au « 
printemps arabe »
Sites internet, Imazighen et le Mouvement du 20 février au Maroc
Conclusion

Notices biographiques
5

NOTE DE L’ÉDITEUR
Image de couverture © Ferhat Bouda/agence Vu, Wizgan, Kabylie, Algérie, 2009. L’œuvre
photographiée a été réalisée par le peintre algérien Denis Martinez et les habitants de
Wizgan (Bouzeguene), dans le cadre du festival Raconte-Arts de juillet 2009.
6

I. Introduction
7

L’amazighité, trajectoires
historiques et évolutions récentes
d’une cause1
Thierry Desrues et Mohand Tilmatine

1 Au cours de l’hiver 2010-2011, le monde entier a eu les yeux rivés sur l’Afrique du Nord et
le Moyen-Orient. En quelques semaines, des mouvements massifs de contestation
populaire ont conduit à la destitution de Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011) et Hosni
Moubarak (1981-2011), deux des autocrates arabes le plus longuement installés au
pouvoir, en Tunisie et en Egypte2 respectivement. Ces bouleversements ont été affublés
de diverses expressions qui prétendaient refléter l’ampleur et la nature de ces
événements. La formule «  Printemps arabe  » a été particulièrement prisée par les médias
occidentaux, tandis que les protagonistes des manifestations parlaient plutôt de «  
Printemps démocratique  » ou de «  révolutions  » (thawarat). Au Maghreb, la remise en
question de l’expression «  Printemps arabe » ne concerne pas la métaphore saisonnière
qui, comme chacun sait, renvoie à des précédents historiques que beaucoup ont alors à
l’esprit (1848, 1968), mais à son identification géopolitique. Ce qui pourrait paraître
anodin pour les non-initiés à la réalité ethnico-linguistique de l’ensemble régional qui va
de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient a fait l’objet d’un rejet particulièrement virulent
parmi les militants de la cause amazighe3. Ces derniers ont ressenti de nouveau un déni
de la diversité ethnico-linguistique de la région et du rôle que nombre d’entre eux ont
joué dans ces luttes4. En effet, ce « Printemps arabe » a eu entre autres conséquences le
surgissement ou la résurgence de la cause amazighe, non seulement là où on pouvait s’y
attendre comme au Maroc, vu qu’elle y occupe le devant de la scène revendicative
périodiquement depuis une trentaine d’années, mais aussi ailleurs, là où elle ne semblait
pas avoir d’existence préalable comme en Tunisie ou en Libye. En Algérie, par contre, ce
cycle de mobilisation ne fait pas partie de l’itinéraire historique pourtant fourni de la
contestation, que celle-ci porte sur la cause amazighe, la question sociale, la place de la
religion ou la démocratisation du pays5. Ce faisant, la trajectoire des revendications
amazighes a connu des évolutions importantes ces dernières années qui renvoient autant
à la capacité de mobilisation démontrée par la société kabyle qu’aux stratégies de survie
8

des hommes à la tête de l’État algérien. Depuis 2011, l’amazighité a donc refait surface
avec force, des localités de l’Adrar Nefoussa libyen à celles du Rif marocain, et commence
même à toucher la Tunisie.
2 Dès lors, la nécessité d’une mise à jour des connaissances sur les mouvements amazighs
de revendication identitaire en Afrique du Nord s’imposait. Suite à des discussions
menées dans le cadre du projet de recherche « Jeunesses, changement social, politique et
sociétés en réseaux en Méditerranée  : le cas des pays maghrébins » impulsé par Thierry
Desrues, chercheur de l’Instituto de Estudios Sociales Avanzados du Consejo Superior de
Investigaciones Científicas (IESA-CSIC, Cordoue)6, le professeur Mohand Tilmatine, de
l’Université de Cadix, a organisé un panel sur le sujet lors du World Congress for Middle East
Studies (WOCMES) qui s’est tenu à Ankara (Turquie) en août 2014 7. C’est dans le contexte
de ce projet et le sillage de cette rencontre que l’idée de l’ouvrage que l’on introduit ici a
pris corps.
3 Les textes rassemblés dans les pages suivantes proposent un regard informé tant sur la
trajectoire historique et récente des revendications amazighes en Algérie, au Maroc, en
Tunisie ou en Libye que sur leur gestion par les régimes politiques. Ils s’intéressent aux
discours et aux activités des acteurs ainsi qu’aux supports qui les diffusent. Ils prennent
soins de relever les variations observables selon les situations nationales, voire locales,
tandis que se développent des mouvements et des références idéologiques communes
pan-amazighes qui interagissent du cœur des sociétés maghrébines aux diasporas
d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord. Ils mettent ainsi en exergue un panorama
pluriel et complexe au sein duquel les luttes à dimension identitaire et ethnique posent
un certain nombre de questions qui sont autant de défis pour l’avenir de la région, et plus
particulièrement pour les tenants d’un devenir démocratique de celle-ci. La relation
complexe entre ethnos et demos, diversité et unité des États et des sociétés, interpelle la
légitimité des institutions en régime autoritaire et partant, la dimension civique de la
nation en Afrique du Nord. Dans ce type de régime, qui décide et qui peut décider de la
définition de l’identité de la nation ? Et par conséquent, qui est légitime pour configurer
l’ordonnancement constitutionnel et institutionnel de cette identité ? In fine, en Afrique
du Nord, parler d’amazighité renvoie à toute une série de questions relatives à
l’ordonnancement institutionnel du pluralisme, à la définition de la nation, à la légitimité
de l’État et des régimes politiques. Or celles-ci ne se posent pas toujours de la même façon
d’une société à une autre, et les réponses apportées peuvent différer d’un État à l’autre.
4 Cet ouvrage aborde donc des questionnements hautement politiques dans une région
marquée par le syndrome autoritaire. Les réponses qui y sont apportées sont trop
fréquemment aveuglées par la passion ou biaisées par le militantisme ou le fait du prince.
Si les motivations des auteurs réunis dans cet ouvrage poursuivent avant tout un objectif
de connaissance de l’objet (la cause amazighe et le mouvement de revendication
identitaire qui la porte), il va de soi qu’ils ne sont pas indifférents aux idéaux de justice
qui doivent guider une gestion satisfaisante de la diversité ethnique, linguistique,
culturelle ou religieuse dans cette région, comme partout ailleurs, tout en étant conscient
de la complexité que celle-ci requiert et du potentiel de conflictualité qui l’accompagne8.
5 L’ouvrage a une double dimension, diachronique et synchronique, puisque les articles
peuvent être distribués entre ceux qui composent la première partie et qui ont recours à
une approche du temps plutôt long de l’histoire et ceux des deux autres parties, plutôt
tournés vers l’actualité récente. Les études de cas réunies privilégient une perspective
interactionnelle, mettant en relation la cause amazighe et les mouvements revendicatifs
9

qui la portent dans quatre pays nord-africains (Algérie, Maroc, Tunisie et Libye) et au sein
de la diaspora ou sur Internet avec les acteurs étatiques.

L’amazighité face aux cultures politiques et religieuses


importées par l’État : le temps de l’histoire et ses
récits
6 Ce n’est pas parce que l’amazighité peut être abordée comme un construit politique et un
discours portés par des acteurs qu’elle n’existe pas en tant que pratique et trajectoire
historique ou que les droits qu’elle revendique sont illégitimes9. Les définitions
identitaires des nations nord-africaines sont elles aussi des constructions politiques
historiquement situées. Les fondements arabes de celles-ci tels qu’ils ont été exposés dans
les textes constitutionnels de la période de la post-indépendance, jouent eux aussi sur des
conceptions ethniques de la nation qui sont accompagnées de récits des origines,
d’épopées et de malheurs, de rituels et de traditions. Ces derniers recomposent une
trajectoire historique discontinue qui est présentée néanmoins comme un continuum.
Toutes ces identités qui se revendiquent autochtones qu’elles soient, arabe, algérienne,
marocaine, tunisienne, libyenne, amazighe, régionale, musulmane, juive, etc. sont
construites par des discours et des pratiques qui mettent en exergue des usages sélectifs
du passé. Selon certaines versions prônées par des courants panarabistes, les Amazighes
sont des Arabes originaires du Yémen, tandis que des figures politiques historiques sont
réappropriées dans les luttes contemporaines par des militants Amazighs comme des
symboles de l’autochtonie amazighe. On puise dans l’Antiquité pour récupérer Jugurtha
dont on a peu d’éléments de connaissances contrastées ou Massinissa dont on oublie qu’il
a imposé le punique et non le berbère comme langue officielle de son administration,
comme le rappelle Karima Dirèche (TELEMME, Aix-en-Provence) dans sa contribution10. À
l’époque contemporaine, le Rifain Abdelkrim Al-Khattabi11 est revendiqué par les
Amazighs du nord du Maroc, mais aussi par les nationalistes arabes comme symbole de la
lutte anti-coloniale. Ces trois exemples paradigmatiques des usages sélectifs de l’histoire
ont en commun leur antériorité au surgissement de l’amazighité comme conception
ethnico-linguistique ou comme cause suscitant des actions collectives.
7 Du point de vue du temps long de l’histoire de la formation des États, l’institution
étatique semble étrangère à la culture amazighe. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre
la réflexion que propose Tassadit Yacine (Ecole des hautes études en sciences sociales,
Paris) : « Les Amazighs ont-ils manqué un rendez-vous avec l’histoire lors des révoltes du
“Printemps arabe” ? ». La situation actuelle des États indépendants sommés souvent pour
la première fois de résoudre le problème millénaire de l’amazighité ne peut être
intelligible que si l’on convoque certains moments de l’histoire. Ces derniers peuvent
donner un éclairage sur la situation actuelle en remontant à celles plus anciennes lorsque
les Amazighs ont été tour à tour conquis et parfois « conquérants » sans avoir défini au
préalable un statut pour leur langue. Cette absence a contribué probablement à leur
invisibilité dans le champ politique et à une délégitimation au niveau symbolique de
l’amazigh face à des langues et à des cultures ayant dominé l’espace méditerranéen et
européen à différentes époques. Parmi tous les moments que Tassadit Yacine retrace, on
retiendra que les Amazighs ont maintenu l’usage de la langue arabe comme langue des
institutions quand ils ont conduit les empires almoravide et almohade.
10

8 Plus tard, la colonisation française restera jusqu’aux indépendances de la deuxième


moitié du vingtième siècle la marque d’un déni de citoyenneté envers des non-nationaux
(Maroc et Tunisie) ou des nationaux de seconde zone soumis à un régime de ségrégation
ethnico-religieuse (Algérie). Cette politique discriminatoire, qui reconnaissait des
« évolués » parmi les indigènes, a légué une vision élitiste et centralisatrice de l’Etat. Elle
a aussi contribué à alimenter le « mythe » amazigh12 quand, à plusieurs reprises, elle a
tenté d’instrumentaliser le pluralisme ethnico-linguistique pour asseoir sa domination.
Quoiqu’il en soit, les trois États indépendants ont misé sur la culture lettrée en arabe,
envisagée comme le lien indéfectible avec la religion et la civilisation musulmanes, tout
en maintenant l’usage du français. L’arabisation et son pendant, l’islamisation, ont été
menés en important du Moyen-Orient des idéologies, des pratiques et du personnel qui
délégitimaient les revendications de reconnaissance de certains droits des
berbérophones. Ses promoteurs ont aussi procédé à une écriture sélective de l’histoire de
l’État nord-africain centrée sur l’appartenance à la civilisation arabo-musulmane.
9 Dans sa contribution, « Religion et identité amazighe : réflexions sur le rôle de l’islam en
Kabylie (Algérie) », Carmen Garratón Mateu (université de Cadix) part de différents
moments historiques au cours desquels la religion musulmane dans cette région a été
marquée par des divergences croissantes, voire des contradictions flagrantes avec un
islam « de l’État », inscrit dans les textes constitutionnels depuis l’indépendance. Elle
trouve que la valeur que les Kabyles octroyaient à leur droit coutumier qui, par certains
aspects, prévalait sur les préceptes de la loi musulmane, ou charia, fournit des éléments
d’une compréhension d’un islam spécifique à la Kabylie. Cet islam populaire kabyle a été
combattu dès les années 30 par le salafisme réformiste promu par l’Association des
oulémas algériens. À l’indépendance en 1962, l’islam officiel incarné par l’arabisation du
culte, l’envoi d’imams fonctionnarisés et la construction de mosquées est perçu comme
une atteinte à l’idiosyncrasie kabyle et sa tradition de régulation sociétale autonome.
L'auteur souligne qu’aux yeux des militants amazighs, cette offensive contre l’identité
kabyle culmine avec le revers que subit le droit coutumier, puisque la jurisprudence de la
Cour suprême d’Alger au cours des années soixante mit fin à son application en matière
de droit personnel et de succession quand celui-ci entrait en contradiction avec le droit
islamique. Cette législation traditionnelle amazighe était fondamentalement séculière.
D’aucuns y verront les germes d’une laïcité étouffée par l’idéologie d’un État arabo-
musulman. L’article montre que la relation de la population kabyle au fait religieux n’est
pas marquée par l’unicité, mais par une pluralité d’attitudes qui confirment
l’autonomisation (relative) de la société par rapport à la religion13. Cette relative
autonomisation qui est corrélée à la législation traditionnelle berbère est, d’un côté,
combattue par la radicalisation de l’islam « officiel », nourrie par un courant salafiste fort
éloigné de la démarche de l’islam traditionnel algérien et, d’un autre côté, exacerbée par
la consolidation d’un courant séculariste qui refuse l’islamisation du domaine public.
Carmen Garratón rappelle qu’entre ces deux extrêmes survit un islam confrérique et du
culte des saints tandis que surgit un renouveau religieux en dehors de l’islam. Ce faisant,
on manque d’éléments concernant tout autant leur corrélation avec la spécificité
ethnique de la région que les possibles syncrétismes avec les «  traditions » religieuses
locales de l’islam populaire14. In fine, ce qui ressort, c’est l’existence d’une pluralité de
relations à la religion porteuses de conflictualité et qui n’a pas encore reçu une
reconnaissance institutionnelle. Cette situation est révélatrice de l’affrontement entre
des idéologies opposées et trop fréquemment exclusives.
11

10 Aujourd’hui, l’interprétation de l’amazighité est indissociable de la production récente


d’un savoir historique dit « amazigh ». C’est ce phénomène étroitement lié au
militantisme politique kabyle présenté par les différentes parties en présence – l’État
algérien et les militants amazighs – comme ethnique, cristallisé autour de la question de
l’historicité, de la reconnaissance de la langue amazighe et de la réécriture de l’histoire
nationale qu’analyse Karima Dirèche dans son article : «  La vulgate historique amazighe
en Algérie  : savoirs, usages et projections  ». Des récits «  alternatifs » qui contribuent à
construire une mémoire d’un passé amazigh absent des récits nationaux officiels
jouissent d’une popularité qui concurrence ces derniers restés enfermés dans une identité
nationale exclusivement arabo-musulmane. La vulgate amazighe renvoie au débat sur la
production intellectuelle par rapport à l’état actuel de la question amazighe et se pose
selon les mêmes modalités, nous indique l’auteure : une histoire partisane, des objectifs
cognitifs pour une attente politique. « La redécouverte et l’étude de la langue berbère
n’échappent à aucun de ces paradigmes et s’inscrivent dans l’invention des traditions et
des communautés élargies qu’unissent des éléments symboliques (histoire, langue, héros,
paysages…) » tels qu’Anderson15 et Hobsbawn 16 les ont décryptés. On peut conclure avec
Karima Dirèche que ce débat mêle dans des termes similaires des vulgates amazighes et
arabo-islamiques mais laisse orphelin un récit dépassionné tant que le pluralisme ne sera
pas assimilé et reconnu par tous.
11 Ces études de cas centrées sur l’Algérie, et plus particulièrement sur la Kabylie, font écho
à des problématiques qui ne sont pas étrangères aux militants du Maroc, de Libye ou de
Tunisie17. L’écriture de l’histoire, autant que la relation au fait religieux sont matière à
débats. Au-delà de la solidarité transfrontalière, les termes de ceux-ci diffèrent selon
chaque pays. Au Maroc, la légitimation religieuse du roi, Commandeur des croyants et
descendant d’une dynastie chérifienne, partant arabe et musulmane, qui occupe le trône
du pays depuis plusieurs siècles est une variable qui pose des lignes rouges aux discours
des acteurs politiques. Ces sources de légitimation contrastent avec celles qui sont
mobilisées en Algérie où la nation et le régime tirent leur légitimité de l’héritage de la
lutte contre la colonisation réinterprétée et synthétisée autour du slogan « l’Algérie arabe
et musulmane ». Mais dans les deux cas, la Monarchie et la présidence de la République se
sont approprié, après des années de déni, la reconnaissance de la cause amazighe et la
définition de l’amazighité, notamment telles qu’elles découlent de leur inscription dans
les textes constitutionnels.
12 À côté de ce temps proche, le temps long retient d’autant plus l’attention des militants
qu’il renvoie à des périodes antérieures à l’arrivée des conquérants arabes et à
l’établissement des frontières actuelles. Il permet aux organisations militantes de
mobiliser de nouveaux registres de légitimation tels que ceux liés à l’autochtonie et la
transnationalisation.

L’amazighité : des répertoires revendicatifs


modulables de la culture à l’autochtonie,
l’internationalisation et la transnationalisation
13 Aux lendemains de la décolonisation de l’Algérie (1962) et du Maroc (1956), c’est le travail
de préservation patrimoniale, culturelle et linguistique qui s’impose à une minorité
d’intellectuels amazighs qui subissent la marginalisation de leur identité linguistique et
12

culturelle face à ce qu’ils perçoivent comme une offensive politique et religieuse


« panarabiste18  ». Même si celle-ci était menée d’abord contre la langue française, la
langue amazighe sera la principale victime de cette politique d’arabisation. Le français
jouit d’un enseignement comme langue étrangère, et il est perçu comme un vecteur de
mobilité sociale ascendante car toujours partagé dans de nombreux domaines par les
élites et l’État19, tandis que l’amazigh est relégué à la position de dialecte voué à la
disparition avec l’accès progressif des futures générations à l’éducation nationale20.
14 Trois décennies plus tard, tel un reflet du caractère évolutif de l’expression de la cause
amazighe, c’est au nom de l’autochtonie ou de l’antériorité du peuplement, et partant de
la justice et de l’égalité, que cette marginalisation est dénoncée21. Les discriminations
linguistiques et culturelles sont mises en relation avec des injustices sociales, des
problèmes de développement économique et des demandes d’intégration politique qui
renvoient à la construction des États depuis les indépendances et à la crise de
légitimation démocratique qui les tenaille. L’ancrage territorial et l’auto-gouvernement
deviennent des principes qui se déclinent et évoluent sous diverses formes avec des
succès d’audience populaire différenciés selon les pays et les régions.
15 Au début des années 90, la cause amazighe s’internationalise et se « transnationalise ». Il
s’agit là d’un tournant dans la légitimation des revendications linguistiques et culturelles
des Amazighs. Les organisations internationales offrent une fenêtre d’opportunité pour
diffuser la cause amazighe et recevoir un soutien qui peut peser sur les Etats22. Pour les
acteurs du mouvement amazigh, l’accès aux ressources passe alors par la constitution de
réseaux militants transnationaux. En 1993, des militants amazighs rejoignent le groupe de
travail sur les peuples autochtones (GTPA) des Nations Unies. La notion d’autochtonie
s’est avérée très fonctionnelle malgré les problèmes que rencontre son application aux
communautés berbères d’Afrique du Nord23 et les critiques au sein des mouvements
identitaires amazighs concernant la variabilité de ses usages24. Elle doit son succès au fait
qu’elle permet de faire pression sur les Etats afin qu’ils respectent les conventions qu’ils
ont signées25 et qu’elle constitue une clé de lecture de la discrimination et, partant, de la
marginalisation. En 1995, la création du Congrès mondial amazigh (CMA) réunit diverses
organisations de différents pays qui se posent en porte-parole de la cause amazighe 26.
Dans le contexte d’internationalisation de la promotion et la défense de la cause
amazighe, la dimension transnationale de l’autochtonie se traduit dans le recours au
terme Tamazgha, peu utilisé avant cette date, qui devient une référence identitaire
culturelle à usage politique. Symbole d’une nation amazighe transnationale et autochtone
27
, il permet de sortir de l’isolement, de repenser l’hétérogénéité, d’établir des passerelles
en retrouvant le fond commun linguistique et culturel ainsi que l’histoire des luttes
passées et présentes. C'est par le biais de cet espace unifié qui, par ailleurs, n’a pas
d’existence historique en tant que communauté politique ou sociale, nous rappellent
Tassadit Yacine et Karima Dirèche (cf. infra.), que les militants tentent d’articuler les
tensions entre des appartenances locales sans rattachement à l’amazighité, des identités
régionales conscientes de leur particularisme dans une société englobante qui ne parle
par « leur » tamazight et les conflits entre divers modèles nationaux. Parmi ces derniers,
d’aucuns soutiennent des modèles pluralistes de convivialité, tandis que d’autres sont
plutôt d’inspiration séparatiste ou se tournent vers l’idée d’une autochtonie des Amazighs
justifiant l’existence d’une nation unifiée : Tamazgha.
13

L’amazighité catalyseur de demandes de justice et


d’intégration socio-économique
16 Si des militants amazighs tunisiens en viennent à demander l’application du principe de
discrimination positive institutionnalisé dans la récente constitution tunisienne par
l’adoption de l’article 1228, au Maroc, certaines revendications qui relèvent du
développement des infrastructures, du tissu économique et des équipements sociaux sont
portées par des populations amazighophones qui réclament justice. Appartenant à des
régions enclavées aux conditions de vie souvent difficiles ou à des terroirs dont les
ressources naturelles (minerais, eau, bois, terres, etc.) sont exploitées par des acteurs
extérieurs et dont les bénéfices ont très peu de retombées sur les populations locales,
nombreux sont les militants qui voient, dans l’insécurité humaine des populations, une
politique délibérée de discrimination des Amazighs29. Il est indéniable que la plupart des
régions périphériques du Maroc sont amazighophones. Il est aussi vrai que le mouvement
identitaire amazigh au Maroc a toujours inclus la dimension socio-économique dans son
récit dominant de l’abandon étatique. Dans le cas du Rif notamment, celui-ci a été vécu
comme partie prenante de la stratégie répressive menée par Hassan II à l’encontre de la
région depuis le soulèvement de 1958-195930. Ce faisant, les demandes de changement
radical des priorités politiques nationales en faveur de réponses concrètes à apporter aux
questions que pose l’insécurité humaine dans ces terroirs ont eu un écho limité, même si
l’attitude du régime à l’égard du Rif a évolué depuis l’avènement de Mohammed VI en
1999. La contribution de Bruce Maddy-Weitzman (université de Tel Aviv), « Insécurité à la
périphérie : les griefs socio-économiques et le mouvement amazigh au Maroc », revient
sur la dimension ethnique que recouvrent ces demandes pour mettre en exergue les
limites du mouvement amazigh. Il ressort de son analyse que ce dernier reste cantonné
aux élites intellectuelles et professionnelles urbaines. Il n’arrive toujours pas à mobiliser
en masse la population susceptible de sensibilité envers l’amazighité et les autres causes
qu’il promeut. Cette incapacité pose aussi la question de la permanence d’une brèche
entre le discours sur l’amazighité que développent les militants, et qui tend vers la
réduction de tous les litiges qui traversent l’histoire marocaine récente autour d’un seul
facteur, et les réticences des Marocains amazighophones, qui forment le public-cible du
mouvement identitaire, à socialiser et politiser dans l’espace public leur amazighité.
17 Cette contribution renvoie au sentiment de hogra, du déni de dignité, qui avait été à
l’origine des mouvements de contestation de 2011. Celui-ci est certainement un des
ferments de la résurgence de l’amazighité. De plus en plus de militants le savent et
tentent de profiter des conflits qui surgissent en « pays » amazighophone pour
sensibiliser les populations à la nature ethnique de la discrimination qui se présente pour
le sens commun sous la forme socio-économique31. Les affrontements qu’a connus la
région du Mzab algérien ces dernières années ou les mobilisations pacifiques qui ont suivi
le décès de Mohcine Fikri, en novembre 2016 à Al-Hoceima dans le Rif, montrent que les
marges amazighes ne sont pas seulement géographiques, mais aussi socio-économiques.
Indépendamment de la justesse de la cause, la perception de préjudices qui menacent le
bien-être des personnes, des économies domestiques ou des modes de vie séculaires, les
manifestations de protestation qui en découlent et leur traduction en termes identitaires
ou ethniques par des entrepreneurs de causes, invitent à repenser l’identité dans son
14

rapport aux espaces, aux modes de représentation de l’espace binaire, opposant un centre
et des marges, des identités légitimes et des identités minorées32.
18 Les revendications régionalistes peuvent s’inscrire dans la reconnaissance identitaire
couplée à la fin de la hogra et donc à une plus grande intégration nationale aux niveaux
social, économique et politique des territoires et des populations. De même, des
revendications socio-économiques telles que le droit des communautés locales à gérer les
ressources naturelles disponibles sur leurs territoires peuvent être accompagnées vers ou
aboutir sur une identification ethnique. La mobilisation de l’autochtonie peut être tantôt
latente, sous-jacente ou explicite. Elle peut être également la motivation première d’une
action collective locale ou un registre qui se greffe sur celle-ci. On sait que le
développement local dans les terroirs amazighophones est propice à la mobilisation de
l’autochtonie et à la territorialisation des identités33. Il favorise aussi l’interaction avec
divers acteurs situés à d’autres échelles territoriales qui servent d’intermédiaires entre
les institutions nationales et internationales et les bénéficiaires des projets de
développement. On est donc en présence d’une dialectique complexe qui met aux prises
des acteurs multi-positionnés. La culture et le développement vont de pair avec les droits
de l’homme et les droits des femmes, l’environnement et les loisirs ou l’éducation, la
citoyenneté et la participation. Ainsi, par ce jeu de miroir, la mobilisation de
l’autochtonie dans des projets locaux participe à la territorialisation des identités
amazighes, alors que la mobilisation de catégories mondialisées se référant à l’Afrique du
Nord aurait pu faire croire à une déterritorialisation de celles-ci.
19 La transnationalisation va au-delà de la simple portée symbolique d’une histoire et une
culture communes. Tamazgha est incarnée par une solidarité militante transnationale qui
est instrumentalisée pour dépasser le cadre étroit des revendications locales ou
nationales. Ce faisant, l’autochtonie bute sur la prégnance des frontières des États tout en
donnant sens aux identités régionales et locales34. Ce registre de l’autochtonie en Algérie
et au Maroc pose des difficultés car plusieurs conceptions de l’amazighité se font
concurrence. D’autre part, les résistances sont nombreuses. Enfin, les efforts financiers et
humains requis sont conséquents si on veut que la réhabilitation des droits ne reste pas
lettre morte. Contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, l’amazighité n’est pas que
« chauvinisme » ou « ethnicité étroite ». Elle possède une dimension « éthique », de
justice et de reconnaissance de droits légitimes qui renvoient à la question des droits
humains tels qu’ils sont reconnus et promus par les organisations des Nations Unies.

Amazighité : mouvements revendicatifs,


institutionnalisation et évolution de la cause
20 Didier le Saout (université Paris VIII) retrace l’essor des mouvements amazighs en Algérie
et au Maroc ainsi que la mise sur agenda et l’institutionnalisation de la question amazighe
dans la politique des Etats algérien et marocain dans son texte « Les associations
amazighes au défi de l’institutionnalisation au Maroc et en Algérie : entre logique
consensuelle et logique protestataire ». Il pose la question cruciale des modalités de
l’articulation par le mouvement amazigh de son expression identitaire et de sa
dynamique revendicative, qui vise à modifier les orientations culturelles des sociétés
d’Afrique du Nord, avec son action stratégique d’inscrire l’amazighité dans le débat public
dans le but de contraindre l’Etat à reprendre ses propres conceptions de la nation et de la
15

société. Dans ce sens, il rejoint les questionnements de l’article de Stéphanie Pouessel à


propos de la Tunisie (cf. infra)35.
21 Le parcours de l’institutionnalisation de la question amazighe est riche d’enseignements.
« Alors que les défenseurs de la culture amazighe en Algérie s’organisent autour d’enjeux
qui les placent dans un rapport d’affrontement direct avec l’Etat, les groupes qui agissent
au Maroc inscrivent leur action dans une logique de négociation pour la recherche d’un
consensus dans leur rapport aux institutions. L’amazighité s’introduit ainsi au Maroc
dans les espaces d’ouverture consentis par la monarchie dont la politique mêle tour à
tour tolérance, interdiction et répression. Des individus et des groupes se saisissent des
opportunités pour porter l’affirmation identitaire amazighe dans des limites circonscrites
et encadrées par le régime. Il en est autrement en Algérie où la logique protestataire qui
domine durant cette période fragilise la demande d’institutionnalisation de
l’amazighité. » La reconnaissance de l’amazighité du Maroc et de l’Algérie est autant le
fruit de la pression des mouvements amazighs, dont les organisations se coordonnent ou
sont victimes de la scissiparité, que de l’attitude de chacun des régimes politiques. En
effet, la monarchie alaouite et la présidence algérienne se jaugent et exercent un certain
suivisme dans les concessions à la cause amazighe. Ce faisant, ces dernières sont rarement
suivies d’effets immédiats et sont souvent neutralisées par des contre-mesures.

Entre « algérianité » et « kabylitude » : le temps de la


cause amazighe en Algérie
22 Bien que l’expression politique organisée de la cause amazighe ait été pionnière en
Algérie, elle est restée à l’écart de la vague démocratique de 2011, ratifiant ainsi le poids
des trajectoires historiques des États. Le temps algérien semble suivre un itinéraire
différent du temps du monde. Si « printemps » il y a eu dans ce pays, il faut remonter aux
années 80, et c’est d’abord d’un « Printemps amazigh » puis d’un « Printemps
démocratique » dont on devrait parler pour être exact. Dans les deux cas, en Kabylie en
avril 1980 et à Alger puis dans le reste du pays en octobre 1988, les forces de l’ordre
mettent fin aux manifestations et font de nombreuses victimes parmi les manifestants.
23 En 1980, les mesures promises de promotion de la langue et de la culture amazighes sont
suivies de très peu d’effets, nourrissant l’amertume du Mouvement culturel berbère
(MCB) qui est né dans le sillage de la contestation. Par contre, en 1989, l’Algérie se dote
d’une Constitution qui reconnaît le multipartisme et voit la création d’un parti, le
Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) à l’ancrage sociologique kabyle. Le
coup d’État de janvier 1992 et la lutte pour éradiquer le Front islamique du salut (FIS)
polarisent la société durant plus de dix ans. Au cours de ce conflit, les deux partis
politiques dont l’électorat est fondamentalement kabyle, le RCD et le Front des forces
socialistes (FFS), continuent à inscrire leurs revendications dans le cadre national d’un
État démocratique et fédéral, mais ils divergent sur la solution à apporter à la montée de
l’islamisme. Le FFS s’engage dans une solution négociée avec toutes les parties, tandis que
le RCD appuie la mise hors-jeu du FIS.
24 Parmi les populations berbérophones d’Algérie, la Kabylie a toujours été jalouse de son
autonomie territoriale, consciente de son identité différenciée fondée sur une langue
propre et des coutumes ancestrales. Le régionalisme dont l’identité kabyle est porteuse a
été instrumentalisé par le pouvoir politique comme une menace pour l’unité du pays,
16

alors que le Mouvement culturel berbère s’inscrivait dans une perspective nationale ou
« algérianiste36  ». Depuis la répression du « Printemps noir » de 2001, la tentation du
repli communautaire comme unique stratégie désormais viable gagne des adeptes en
Kabylie. La constitution du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), dont
Mohand Tilmatine (université de Cadix) retrace la genèse et l’évolution jusqu’à la
revendication de l’option indépendantiste, pose un sérieux défi non seulement au
gouvernement algérien, mais aussi aux Kabyles tenants d’une amazighité transrégionale
au sein de l’Algérie.
25 L’itinéraire des revendications kabyles est révélateur des limites de la gestion répressive
et régionalisée de la question amazighe en Algérie. Bien que la situation actuelle soit
encore marquée par un certain pluralisme au sein de la société kabyle, puisque
l’autonomisme est loin de faire l’unanimité dans la région, on assiste en quelque sorte à
une revanche de « l’ethnos » qui subvertit les priorités dominantes jusqu’ici37.
L’aspiration démocratique était considérée comme la voix dorée pour atteindre un
régime de libre expression du pluralisme sociétal. Que ce soit au niveau idéologique,
linguistique ou culturel, la démocratie politique devait permettre la reconnaissance de
« l’ethnos ».
26 Les entorses successives des gouvernants à la reconnaissance et à l’institutionnalisation
du pluralisme dans ses diverses dimensions politiques et identitaires ont fini par inverser
l’ordre des choses. Aujourd’hui, malgré l’officialisation dans la constitution de la langue
amazighe, une frange de militants identitaires continue à défendre que seule une
autonomie politique ou un État indépendant pourraient garantir les droits des Kabyles à
s’exprimer dans leur langue au sein d'institutions publiques et à décider de leur avenir.
27 Ce faisant, bien que l’on n’ait sans doute pas encore le recul nécessaire pour prononcer un
avis définitif, il semblerait que les régimes politiques algériens et marocains, malgré leurs
différences, s’accommodent à un moindre coût de la reconnaissance constitutionnelle de
la langue et de la culture amazighes. À court terme, ce type de mesure contribue à
relégitimer les régimes politiques et à évacuer la question sociale38. À plus long terme, on
peut poser l’hypothèse qu’elles seraient porteuses d’un pluralisme qui s’accommode mal
de la nature autoritaire des pouvoirs en Algérie et au Maroc.

L’amazighité en Tunisie : des locuteurs ultra-


minoritaires au patrimoine culturel réapproprié par
l’État
28 Comme le montre Stéphanie Pouessel (Institut de recherche sur le Maghreb
contemporain, Tunis) dans le texte intitulé « La revendication amazighe en Tunisie : la
tunisianité au défi de la transition politique », la faiblesse du poids démographique des
locuteurs amazighs en Tunisie et la spécificité de leur assise territoriale aux marges du
pays freinent aujourd’hui la structuration du mouvement de promotion et de défense de
l’amazighité. Depuis l’indépendance en 1956 jusqu’au « Printemps démocratique » de
2011, la berbérité était perçue par les dirigeants tunisiens comme un atavisme appelé à
disparaître sous les effets du développement économique, l’urbanisation et l’arabisation.
Cependant, le patrimoine, le folklore et la généalogie pré-islamique de l’amazighité ont
été utilisés par ceux-là à diverses reprises pour construire la spécificité identitaire
17

tunisienne – la tunisianité. C’est pourquoi les défenseurs de l’amazighité ont mobilisé


davantage de rhétoriques locales, sociales et environnementales non partisanes.
29 Pour les militants amazighs, le changement induit par la fuite de Ben Ali le 14 janvier
2011 s’est concrétisé dès le mois d’avril suivant dans la tenue d’un premier Congrès
national amazigh à Matmata, dans le sud du pays. De cette rencontre historique est née
l’Association tunisienne de culture amazighe (ATCA) qui est agréée par les autorités de la
transition le 30 juillet. Dans le contexte de la rédaction d’une nouvelle constitution, les
militants ont voulu y voir les prémices d’une future reconnaissance officielle de leur
culture et de leur langue. Or, celle-ci n’aura pas lieu. Au-delà de ce revers, Stéphanie
Pouessel montre que les défis que pose aujourd’hui la question amazighe en Tunisie
mettent à jour des problématiques-clés du moment tunisien telles que l’ouverture du
champ politique, la relation de l’islamisme envers la pluralité et la digestion de l’héritage
néo-destourien. Bien que la dimension culturelle amazighe en Tunisie soit dans une
position de faiblesse par rapport aux priorités de la construction démocratique, du
redressement économique et de la sécurité, celle-ci agit peut-être plus qu’ailleurs,
suggère l’auteure, comme un des baromètres principaux permettant de capter la nature
du régime politique, l’ouverture de la société et l’étendue des droits des individus. Ce
faisant, la phase de transition institutionnelle est sur le point de culminer sans qu’aucune
politique publique n’ait visé directement la promotion de la culture amazighe et
qu’aucune reconnaissance constitutionnelle ou symbolique ne lui ait été offerte.

Le surgissement de la cause amazighe en Libye :


surprise, espoirs et déconvenues
30 En Libye, le régime autoritaire du colonel Kadhafi (1969-2011) a imposé l’idée d’une
identité nationale centrée sur l’arabité. Au gré des conjonctures, cette identité a été
complétée par d’autres référents géopolitiques ou civilisationnels tels que l’Afrique et
l’islam. Parmi les éléments de la définition officielle de l’identité libyenne, on ne trouve
aucune trace de l’amazighité. Au contraire, celle-ci sera niée et persécutée39. Partant, il
n’est pas surprenant que les Amazighs de Libye aient été aux premiers rangs du
soulèvement de février 2011. Dès les premiers jours, ils ont montré leur loyauté aux
institutions qui se sont auto-proclamées comme les représentantes légitimes de la lutte
contre l’ancien régime. Cependant, leurs espoirs mis dans une officialisation de la langue
et la culture amazighes ont été très vite déçus, comme le décrit Thierry Desrues dans sa
contribution : « Le surgissement de la cause amazighe en Libye : des espoirs de
reconnaissance aux déconvenues de la realpolitik. Parmi les facteurs qui ont été
défavorables aux militants amazighs, il y a d’abord eu l’absence d’une structuration solide
et expérimentée du mouvement identitaire. La non-reconnaissance du fait amazigh par
les dirigeants successifs au cours du siècle dernier (puissances tutélaires italienne,
française et britannique, monarchie et république) a contribué à réduire la capacité des
militants à s’imposer face aux instances menant la transition institutionnelle. Malgré la
posture des premiers en faveur d’une convivialité bilingue, les secondes ont refusé la
constitutionnalisation de l’amazighité du pays. Puis, suite à la perte rapide de crédibilité
de ces instances, la reprise des conflits armés entre les deux grandes coalitions de l’ouest
et de l’est du pays en 2014 a placé les milices amazighes devant un choix cornélien. Pour
ces partisans de l’unité du pays, il a fallu se positionner vis-à-vis d’une première coalition
dominée par des islamistes proches des Frères musulmans et d’une seconde emmenée par
18

des « panarabistes » hostiles à leurs revendications, pour finalement à partir de 2016


opter pour la légalité internationale, incarnée par le dénommé « gouvernement d’union
nationale ». Enfin, la stratégie de boycott des dispositifs élus s’est avérée peu efficace. Elle
semble avoir réduit leur capacité à se faire entendre au sein de la société libyenne et
auprès des divers acteurs nationaux et internationaux impliqués dans le pays.

La diaspora amazighe et l’activisme amazigh : le cas


de l’Espagne
31 L’évolution de l’activisme amazigh en Afrique du Nord est étroitement liée à la diaspora
amazighe en Europe de l’ouest et du nord. Estimée à plusieurs millions de personnes,
celle-ci a joué un rôle important dans le processus de construction de réseaux
transnationaux de solidarité avec la cause amazighe. Elle a constitué aussi une source de
diffusion de nouvelles formes de représentation de l’identité et de la défense de la
diversité ethno-linguistique. Le militantisme au sein des pays nord-africains et de la
diaspora est indissociable d’une dynamique de rétro-alimentation entre les deux
environnements européen et maghrébin affirme Angela Suárez Collado (université de
Salamanque) dans sa contribution : « L’activisme de la diaspora amazighe en Espagne :
opportunités et limites pour une action continue ». Le cas de la structuration du
mouvement associatif amazigh en Espagne, que l’auteur analyse, est étroitement lié aux
caractéristiques de la population amazighe résidant dans ce pays. Cette population est
majoritairement d’origine marocaine et provient principalement de la région du Rif, au
nord du Maroc. L’expérience espagnole de gestion de la diversité territoriale depuis la
mise en place d’un État des autonomies dans le cadre de la constitution démocratique de
1978 aurait pu impulser des solutions originales aux demandes linguistiques et culturelles
de la population issue de l’immigration d’Afrique du Nord. Or, ce n’est que rarement le
cas. On remarque une plus grande sensibilité envers la cause amazighe chez les
gouvernements régionaux et municipaux des Communautés autonomes de Catalogne et
du Pays basque quand ils sont dirigés par des forces politiques nationalistes indique
l’analyse de l’auteure. Par rapport au reste de l’État espagnol, la Catalogne a été le
territoire dans lequel la communauté amazighe a pu disposer d’un espace plus large pour
la reconnaissance, la construction et le développement de son identité. Elle a pu compter
sur un important tissu associatif qui s’est développé grâce à de meilleures prédispositions
et une plus grande sensibilité des pouvoirs publics locaux et régionaux vis-à-vis de la
défense des particularités linguistiques et culturelles des autres communautés. Ce
processus de montée en visibilité de la culture et de l’identité amazighes en Catalogne a
été canalisé par une coopération fluide entre associations et institutions, qu’on ne
retrouve que très partiellement au Pays basque et qui est plutôt rare dans la Communauté
de Madrid. Au Pays basque, c’est la structure interne de la propre diaspora dans la région
qui a limité son activité. Dans ce sens, la présence d’un nombre plus réduit de la
population d’origine amazighe a été un facteur conditionnant aussi bien la formation des
associations que l’organisation et la participation à leurs activités. Les militants agissent
souvent de concert avec des revendications provenant de leurs territoires d’origine. Cette
interaction s’est intensifiée depuis le tournant du siècle et l’essor de l’accès aux nouvelles
technologies de l’information et de la communication.
19

L’expansion d’Internet : un « territoire » investi par


l’amazighité
32 L’expansion d’Internet et ses effets sur le renouvellement et le développement des
discours portant sur l’identité amazighe tant au sein des territoires d’origine que dans la
diaspora sont au cœur de l’article de Daniela Merolla, professeure à l’Institut national des
langues et civilisations orientales (INALCO, Paris) et Abdelbasset Dahraoui (université
d'Amsterdam)  : « Le sentiment d’être chez soi sur les sites amazighs et le « printemps
arabe »  : déconstructions et renégociations sur le Web ». Les auteurs partent de deux
remarques principales. D’abord, ils constatent l’apparition de nouvelles formes de
transnationalisme induites par l’intensification des contacts que ce soit entre les
communautés amazighes du nord de l’Afrique ou entre la diaspora et les « pays
d’origine », ou encore au sein même de l’immigration. Ensuite, ils observent que sur les
sites Internet les spécificités nationales et locales sont mises en avant par la création et la
diffusion de discours d’identification qui mettent en exergue les variations linguistiques
locales et les informations d’une région ou d’un groupe diasporique déterminés. Ces deux
processus ne sont pas isolés sur le Net puisque les internautes participent aux discours
identitaires de leurs communautés locales et transnationales hors-ligne. L’action
politique et culturelle « dans la rue », corrélée à l’activisme virtuel, s’en trouve amplifiée.
Les auteurs s’interrogent aussi sur la manière dont certains sites Web contribuent à la
construction identitaire amazighe dans ses diverses dimensions locale et transrégionale,
par le biais de la mise en valeur artistique et culturelle. On peut considérer qu’ils
complètent l’analyse de Karima Dirèche autour de la construction d’une vulgate qui
critique et subvertit les constructions historiques officielles mises en récit par les États
ainsi que les approches « nationales/nationalistes » et « globalisantes » dans les pays
d’origine et en Europe.

Conclusion
33 L’amazighité s’inscrit dans une trajectoire longue qui est le produit de luttes tantôt
silencieuses tantôt ouvertes. En se référant à la cause amazighe, on parlerait aujourd’hui
de résistance et de résilience face à des appareils d’État dont la culture autoritaire
prétend toujours limiter et contrôler l’expression plurielle et pluraliste de leurs sociétés.
34 Un raccourci historique permet d’avancer que les Amazighs s’accommodaient avec plus
ou moins de malheur du pouvoir des empires ottoman et chérifien, tant que celui-ci
semblait éloigné ou lâche. La colonisation a tout remis en question. Machine de guerre et
de pénétration du pouvoir despotique et infrastructurel de l’État moderne40, elle a réussi à
vaincre les fortes résistances locales et à introduire une idéologie centralisatrice et
homogénéisante de la gouvernance. Cette dernière sera réinterprétée à partir du corpus
réformiste arabo-islamique par les nouveaux régimes issus des indépendances qui vont
écarter, reléguer au niveau folklorique d’un passé révolu ou nié la question amazighe
35 Aujourd’hui, la montée des revendications amazighes se cristallise dans des projets
politiques diversifiés. Si ces derniers renvoient aux avatars de la trajectoire des États,
principalement dans leur gestion du pluralisme identitaire, tout en conditionnant leur
avenir, ils reflètent aussi un retour à l’hétérogénéité de l’amazighité dans ses dimensions
20

linguistique et régionale. Aux côtés des tenants de la convivialité bilingue et des partisans
de l’homogénéisation nationale à rebours de l’arabisation, des mouvements autonomistes
en Kabylie et dans une moindre mesure dans le Rif défendent une rupture avec
l’algérianisme et la marocanité afin d’opérer un recentrage sur la dimension proprement
régionale. Toutes ces tendances sont amenées à repenser leur insertion dans la dimension
transnationale de l’amazighité, notamment au sein du Congrès mondial amazigh. Pensé à
ses débuts comme un rassemblement du peuple amazigh au-delà des frontières des États,
il tend à devenir, sous la pression de cette tension entre le local et le global, un forum des
différents peuples amazighs au niveau infra-étatique.
36 Tant les modalités de mobilisation que les contenus revendicatifs du militantisme
amazigh, dans leur diversité et leurs divergences, ainsi que la gestion de ce phénomène
par les régimes politiques maghrébins sont un des baromètres de la nature démocratique
de ce « printemps » de la dignité qui a secoué à divers degrés d’intensité les États de la
région au cours de l’année 2011. Si en Libye et en Tunisie la reconnaissance
constitutionnelle a été écartée, en Algérie et au Maroc, le statut juridique de la langue
amazighe a significativement changé depuis 2011. Dans ces deux pays, la langue amazighe
a été élevée au rang de langue officielle. Cette évolution marque sans aucun doute une
rupture après cinquante ans de politiques d’arabisation. Nonobstant, dans les deux cas
l’arabe continue à jouir d’un statut privilégié, notamment en tant que langue de l’Etat,
tandis que l’officialisation effective du tamazight dépendra de la loi.
37 L’officialisation de la langue amazighe n’équivaut pas à l’égalité avec l’arabe. Surtout,
celle-ci risque de rester théorique tant que des politiques publiques qui demandent
souvent des investissements massifs ne seront pas mises en place par les différents
gouvernements. Ces mesures d’officialisation des langues n’aboutissent pas par
enchantement à une égalité de fait. Partant, l’amazighité poursuit son cheminement de
construction identitaire enrichi par la dynamique revendicative. La capacité de
mobilisation du mouvement amazigh et la réponse des États à ses revendications
orienteront le choix de l’itinéraire à suivre (intégration, autonomisme ou séparation) et
de l’échelle spatiale retenue (régionale, nationale ou transnationale).
38 Cet ouvrage a donc plusieurs prétentions. Il s’agit d’abord de décrire puis de comprendre
cette résurgence de la cause identitaire amazighe et sa gestion postérieure par les États
ainsi que leurs conséquences sur la situation actuelle en 2016. Ensuite, il s’agit de
contribuer à la construction de l’objet de recherche « amazighité » et à sa légitimité,
puisque celle-ci ne semble pas toujours acquise tant elle subit de part et d’autre l’emprise
des discours idéologiques et la récurrence des mythes historiques. On laisse ici la place au
lecteur en espérant qu’il y trouve matière à réflexion et à susciter le débat en toute
sérénité, sans au préalable rappeler quelques articles de la « Déclaration universelle des
droits des peuples » qui, bien que n’ayant pas de force contraignante, contient des
principes généraux majeurs qui nourrissent la réflexion sur le vivre ensemble en Afrique
du Nord et ailleurs.
21

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ANNEXES

Déclaration universelle des droits des peuples,13


septembre 2007
Article 13. Tout peuple a le droit de parler sa langue, de préserver, de développer sa
culture, contribuant ainsi à l’enrichissement de la culture de l’humanité.
Article 19. Lorsqu’un peuple constitue une minorité au sein d’un État, il a droit au respect
de son identité, de ses traditions, de sa langue et de son patrimoine culturel.
Article 20. Les membres de la minorité doivent jouir, sans discrimination, des mêmes
droits que les autres ressortissants de l’État et participer avec eux à la vie publique, à
égalité.
Article 21. L’exercice de ces droits doit se faire dans le respect des intérêts légitimes de la
communauté prise dans son ensemble et ne saurait autoriser une atteinte à l’intégrité
territoriale et à l’unité politique de l’État, dès lors que celui-ci se conduit conformément à
tous les principes énoncés dans la présente Déclaration.
24

NOTES
1. Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre des résultats de deux projets de recherche intitulés
« Jeunesses, changement social, politique et sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays
maghrébins » (CSO2011-29438-C05-04) (2012-2014) et « Problèmes publics et militantisme au
Maghreb : la participation sociale et politique des jeunes dans leur dimension locale et
transnationale » (CSO2014-52998-C3-2-P) (2015-2017), financés par le ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité.
2. On n’oublie pas le « guide » libyen, Mouammar Kadhafi, mais celui-ci ne tombera qu’après
plusieurs mois de violents combats qui conduiront à la chute de Tripoli à la fin août 2011 et à son
exécution le 20 octobre suivant. À propos de la Libye, on renvoie à T. Desrues infra.
3. Dans cette introduction, on a choisi d’utiliser, en accord avec la plupart des organisations
militantes pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques, la forme adaptée à la
phonétique et à la phonologie de la langue française : un Amazigh, une Amazighe, des Amazighs,
des Amazighes, un amazighisant, etc. À propos de ce débat, on renvoie à M. Tilmatine : « Des
revendications linguistiques aux projets d’autodétermination : l’évolution du discours berbériste
en Kabylie » (infra).
4. On peut consulter à ce propos plus loin dans l’ouvrage l’article de D. Merolla et
A. Dahraoui : « “Le sentiment d’être chez soi” sur les sites amazighs et “le printemps arabe” :
déconstructions et renégociations sur le Web ».
5. Cf. T. Desrues, A. Velasco Arranz, « Jóvenes y activismo político y social en el Magreb : los
participantes en el Foro social mundial de Túnez en 2013 », Revista de Estudios Internacionales
Mediterráneos, 19, 2015, p. 15-39, [en ligne] URL: https://revistas.uam.es/index.php/reim/article/
view/2764/2982. L. Baamara : « (Més)aventures d’une coalition contestataire : le cas de la
Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) en Algérie », L’Année du
Maghreb, VIII, 2012, p. 161-179. DOI : http://dx.doi.org/10.4000/anneemaghreb.1444.
6. Ce projet (CSO2011-29438-C05-04) a été financé par la secrétariat d’État à la Recherche, au
Développement et à l’Innovation du ministère espagnol de l’Économie et de la Compétitivité pour
la période 2012-2015.
7. Ce panel était intitulé « Les Amazighs dans la tourmente des printemps arabes : enjeux et
perspectives des revendications amazighes en Afrique du Nord » (WOCMES, 19 août 2014).
8. À propos du débat sur la légitimité de l’objet d’étude berbère, on renvoie à H. Claudot- Hawad,
dir., Berbères ou Arabes, le tango des spécialistes, Paris, Non-lieu, 2006.
9. Cf. H. Rachik, « Constructions de l’identité amazighe », H. Rachik, dir., Usages de l’identité
amazighe au Maroc, Casablanca, Najah El Jadida, p. 15-66 ; S. Pouessel, Les Identités amazighes au
Maroc, Paris, Alger, Casablanca, Non-lieu/Edif 2000/La Croisée des chemins, p. 181-189 ; S. Chaker,
« Quelques évidences sur la question berbère », Confluences méditerranéennes, 11, 1994, p. 105-114.
10. Voir infra.
11. À propos de l’utilisation de cette figure historique, on renvoie aux commentaires déjà anciens
de F. Pouillon et R. Jamous concernant les révoltes rurales et, quant aux usages plus récents dans
le cadre du Mouvement du 20 Février dans le Rif, à D. Merolla et A. Dahraoui infra ; F. Pouillon, R.
Jamous, « Jubilé pour une insurrection paysanne au Maroc », Cahiers d’études africaines, 16, 63-64,
1976, p. 633-638, DOI :10.3406/cea.1976.2522, http://www.persee.fr/doc/
cea_0008-0055_1976_num_16_63_2522.
12. Ce que l’on appelle communément le mythe « kabyle » (Algérie) ou « berbère » (incluant le
fameux dahir berbère au Maroc) est basé fondamentalement sur une abondante littérature
produite surtout par des militaires comme Aucapitaine et Hanoteau durant l’époque coloniale.
Selon ces écrits et des courants largement répandus dans les travaux de cette époque, la France
25

permettait une gestion administrative différente des zones berbères. Par ailleurs, les mêmes
écrits voyaient les Berbères comme des populations aux caractéristiques plus proches des
paysans européens que celles que présenteraient les Arabes. Ces faits ont été interprétés après les
indépendances des pays nord-africains – et s’inscrivant pleinement dans le cadre du « discours
anti-colonialiste » de rigueur – comme une tentative de la France d’appuyer et de favoriser les
Berbères contre les Arabes. Or, cet appui aux populations berbères n’a jamais existé dans les faits.
Ce mythe n’était qu’une lecture permettant aux discours idéologiques nord-africains – basés sur
l’exclusivisme arabo-islamique – de nier toute spécificité aux Berbères et donc de rejeter
d’emblée leurs revendications en les pointant comme un simple « objet » de propagande
coloniale. Sur la littérature qui a contribué à forger le mythe « berbère », on renvoie à Ch.R.
Ageron, Les Algériens musulmans et la France 1871-1919, vol. I. Paris, PUF, 1968. A propos de la
déconstruction du mythe berbère, on peut consulter M. Tilmatine, « French and Spanish colonial
policy in North Africa: revisiting the Kabyle and Berber myth », International Journal of the
Sociology of Language, Issue 239, 2016, p. 95-119. En ce qui concerne plus spécifiquement le cas du
dahir berbère au Maroc, M. Mounib, Aḍ-ḍahîr“al-barbarî”. Akbar Ukdûba siyâsiyya fî-l-Maġrib
almuʕâṣir. Rabat, Dar Bou Regreg, 2002.
13. À propos de cette autonomisation, on renvoie à S. Chaker, « Quelques évidences sur la
question berbère », p. 105-114.
14. Cf. K. Chachoua, L’Islam kabyle : religion, État et société en Algérie, suivi de L’Epître (Rissala) d’Ibnou
Zakri (Alger, 1903), mufti de la Grande Mosquée d’Alger, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 43.
15. B. Anderson, Imagined communities, London/New York, Verso, 1983 [1991].
16. E. Hobsbawn, « Introduction. Inventing Traditions », dans The Invention of Tradition, sous la
dir. de É. Hobsbawn et O.T. Ranger, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 1-15.
17. En ce qui concerne le Maroc et la relation à la religion, on renvoie à E. Almasude, « 
Amazighité and secularism: Rethinking religious-secular divisions in the Amazigh political
imagination », Decolonization: Indigeneity, Education & Society, vol. 3, n° 2, 2014, p. 131-151, et P.A.
Silverstein, « Islam, Laïcité and Amazigh Activism in France and North Africa », N. Boudraa, J.
Krause (éds.) North African Mosaic: A Cultural Reappraisal of Ethnic and Religious Minorities, Newcastle,
UK: Cambridge Scholars Publishing, 2007, p. 104-118.
18. On utilise ici « panarabiste » dans le sens où les politiques d’arabisation s’inscrivent dans un
projet politique plus vaste dont l’origine n’est pas tant endogène qu’importée fondamentalement
d’Égypte, de Syrie ou d’Irak et qu’elle s’identifie exclusivement avec le legs islamique sunnite au
détriment du pluralisme confessionnel, linguistique et ethnique moyen-oriental.
19. P. Vermeren, Ecole, élite et pouvoir au Maroc et en Tunisie au XX e siècle, Rabat, Alizés, 2002.
20. À propos de l’usage des langues au Maghreb, les systèmes d’enseignement et les élites, on
renvoie aux travaux déjà cités de P. Vermeren, Ecole, élite et pouvoir au Maroc et en Tunisie au XX e
siècle, ainsi qu’à G. Granguillaume, Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Paris, éditions
G.P. Maisonneuve et Larose, 1983 et du même auteur, « Arabisation et démagogie en Algérie », Le
Monde diplomatique, 515, février, 1997, p. 3.
21. L’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones à l’ONU par 143 pays le 13
septembre 2007 a apporté une reconnaissance internationale et des réponses officielles à « la
question autochtone » des années 70. Cette adoption a contribué à valoriser les visions du monde
des peuples autochtones qui sont au fondement de ces nouveaux textes constitutionnels. Il reste
cependant beaucoup à faire pour voir les objectifs de la Déclaration de l’ONU devenir une réalité.
L’application de toutes ces lois et de tous ces dispositifs constitutionnels rencontre beaucoup
d’obstacles sur le terrain, en particulier dans le domaine de la gouvernance des ressources
naturelles qui restent contrôlées par l’État. Cf. F. Morin, « Les Nations Unies à l’épreuve des
peuples autochtones », dans Etre Indien dans les Amériques, sous la dir. de C. Gros, M.C. Strigler,
Paris, Éditions de l’Institut des Amériques et de l’IHEAL, 2006, p. 43-54.
26

22. En choisissant la fenêtre d’opportunité qu’offrent l’Organisation des Nations Unies, le GTPA,
le Comité économique et social (ECOSOC), le Comité des droits de l’homme ou encore, depuis
2005, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR), ils peuvent présenter leurs
doléances, faire entendre leur cause, dialoguer avec les représentants de leurs États par
institutions interposées, effectuer des recommandations aux pouvoirs publics concernant la
situation des populations amazighes. À ce propos, on renvoie à I. Bellier, « Identité globalisée et
droits collectifs : les enjeux des peuples autochtones dans la constellation onusienne », Autrepart,
2/38, 2006, p. 99-118 [en ligne] URL : http://www.cairn.info/revue-autrepart-2006-2-page-99.htm
DOI : 10.3917/autr.038.0099.
23. À ce propos, on peut consulter une lecture critique de l’emploi de la notion dans le cas du
Maroc chez M. Aderghal, R. Simenel, « La construction de l’autochtonie au Maroc : des tribus
indigènes aux paysans amazighs », Espace, populations, sociétés, 1, 2012, p. 59-72.
24. Entretiens de Thierry Desrues avec des responsables et des militants amazighs marocains,
novembre 2016.
25. Le Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA) a été créé en 1982. En 1971, le
Conseil économique et social adopte la résolution 1589 qui autorise la Sous-commission de la
lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités à réaliser une étude
sur la discrimination vécue par les peuples autochtones. Le « rapport Cobo », du nom de José
Martinez Cobo (Équateur), le rapporteur spécial, n’utilisait pas le terme de « peuple » revendiqué
par les représentants autochtones et rejeté par certains représentants gouvernementaux
puisqu’il implique, selon la Charte des Nations Unies, le droit à l’autodétermination. Cf. F. Morin,
« Les Nations Unies à l’épreuve des peuples autochtones », p. 43-54.
26. S. Pouessel, Les Identités amazighes au Maroc, p. 181-189.
27. Ibid.
28. Article 12 : « L’Etat a pour objectif de réaliser la justice sociale, le développement durable,
l’équilibre entre les régions et une exploitation rationnelle des richesses nationales en se
référant aux indicateurs de développement et en se basant sur le principe de la discrimination
positive. L’Etat œuvre également à la bonne exploitation des richesses nationales. » Constitution
de la République tunisienne, 2014. On renvoie à S. Pouessel, « La revendication amazighe en
Tunisie : la tunisianité au défi de la transition politique », infra.
29. Un des droits les plus importants des peuples autochtones se réfère au libre consentement
préalable et informé sur tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou leurs territoires
(article 32 de la Déclaration).
30. A. Suárez Collado, El Movimiento amazigh en el Rif : identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas, tesis doctoral, Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, 2013.
31. Pour une analyse dans ce sens, on renvoie par exemple à Y. Temlali, « La révolte du
“Printemps noir”, ou l’histoire d’un gâchis », Confluences Méditerranée, 45, 2003, p. 43-57.
32. À ce propos, voir M. Aderghal, R. Simenel, « La construction de l’autochtonie au Maroc : des
tribus indigènes aux paysans amazighs » et M. Oiry-Varacca, « Les revendications autochtones au
Maroc », Espace Populations Sociétés [en ligne], 2012/1 | 2013, en ligne. URL : http://
eps.revues.org/4837 ; DOI : 10.4000/eps.4837 [consulté le 7 janvier 2016].
33. Ibid.
34. Ibid.
35. On peut consulter aussi M.J. Willis, « Las políticas de la identidad bereber (amazigh). Una
comparación entre Argelia y Marruecos », Zoubir Y., Amirah Fernández H. (dir.), El Magreb.
Realidades nacionales y dinámicas regionales, Madrid, Editorial Síntesis, 2008, p. 282-299.
36. Cf. A. Layachi, « Ethnicité et politique en Algérie : entre l’inclusion et le particularisme
berbère », Naqd, 19/20, 2004, p. 29-54 ; A. Chibani « Le régionalisme en Algérie, un obstacle à la
démocratie ? », Slate Afrique, 5 mai 2011, http://www.slateafrique.com/1621/regionalisme-
algerie-democratie-kabylie
27

37. On renvoie aux travaux de S. Chaker, « Quelques évidences sur la question berbère », et
« L’officialisation de Tamazight (Maroc/Algérie) : quelques réflexions et interrogations sur une
dynamique aux incidences potentielles considérables », Asinag, 8, 2013, p. 39-50.
38. M.B. Salhi, « Le local en contestation : citoyenneté en construction, le cas de la Kabylie »,
Insaniyat, Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, 16, 2002, p. 55-97 ; A. Layachi,
« Ethnicité et politique en Algérie : entre l’inclusion et le particularisme berbère ».
39. Y. Plantade, « A Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle »,
Le Monde, 29/09/11, [en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/international/article/2011/09/29/a-
tripoli-les-berberes-reclament-leur-place-dans-la-libye-nouvelle_1580065_3210.html [consulté le
16 octobre 2016].
40. Pour une définition de ces deux conceptions du pouvoir, on renvoie à l’œuvre fondatrice de
Michael Mann consacrée à la formation de l’État de l’Antiquité à nos jours, M. Mann, Las Fuentes
del poder social, Madrid, Alianza Universal, 1991.

AUTEURS
THIERRY DESRUES
Chargé de recherche au Consejo superior de investigaciones cientificas (CSIC) à l’Instituto de
estudios sociales avanzados (IESA) de Cordoue (Espagne). Chercheur associé de l’Institut de
recherche et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence et du
Centre Jacques-Berque pour les sciences humaines et sociales à Rabat (Maroc) ; ses travaux
portent sur les régimes politiques, l’action associative, les mouvements identitaires (islamistes,
amazighes), et le changement social au Maghreb.

MOHAND TILMATINE
Professeur à l’université de Cadix (Espagne) dans la spécialité « Études berbères ». Il dirige
également depuis 2000 le groupe de recherche HUM 685 Langues et sociétés arabes et berbères (
http://www.uca.es/grupos-inv/HUM683/). Ses axes de recherche en sciences humaines et
sociales couvrent la question des minorités et des revendications identitaires berbères en Afrique
du Nord et dans la diaspora en Europe.
28

II. L'amazighité face au temps long de


l'Histoire et ses récits
29

Les Berbères ont-ils manqué un


rendez-vous avec l’Histoire dans les
révoltes « arabes » ?
Tassadit Yacine

« À la langue comme « trésor universel », possédé


comme propriété indivise par tout un groupe,
correspond la compétence linguistique comme
« dépôt » en chaque individu de ce « trésor » ou
comme participation de chaque membre de la
communauté linguistique à ce bien public1. »
1 La question berbère en Afrique du Nord n’est pas dissociable des problèmes politiques et
sociaux qui traversent cette région où vivent ces populations et bien au-delà puisque les
Berbères se trouvent en émigration dans beaucoup de pays du monde. Inscrits dans une
aire où la langue arabe et la religion musulmane sont dominantes, les Berbères (comme
les groupes non arabes et non musulmans de cette aire) ont dû négocier leur espace de
production culturelle selon les régions (mode de vie, langue, techniques, droit coutumier,
productions littéraires, artistiques et musicales).
2 Les « révolutions arabes » (Tunisie, Égypte, Libye, etc.) ont ébranlé le monde par leur
intensité et par l’effet « contagion » qu’elles ont engendré et, de surcroît, au sein de
systèmes de type monarchique ou républicain installés depuis plusieurs décades. Par
ailleurs, le terme de révolution a lui-même posé problème dans la mesure où il n’a pas été
compris de façon similaire par les uns et par les autres (en fonction de la formation
politique, des contextes et des générations). C’est précisément l’ambiguïté du terme qui
est intéressante à discuter. Pour les uns, il n’y a de révolution (et de bouleversement) que
par rapport à des moments historiques connus ayant durablement marqué l’histoire du
monde (1789 ou 1917) ; pour les autres, c’est là un moyen pour déboulonner des régimes
allant à l’encontre des idéaux qui les ont portés au pouvoir (Kadhafi en Libye ou Ben Ali
en Tunisie, etc.) ; pour d’autres encore, c’est un virage inévitable dans les représentations
et dans les pratiques politiques et symboliques. Parmi ces derniers, certains, partisans de
la laïcité, prônent la séparation de la mosquée et de l’État, d’autres, au contraire, ont pour
30

objectif l’islamisation de la vie sociale, politique, culturelle voire environnementale et


cosmique2.
3 Dès l’abord, les révoltes arabes ont toutes pour dénominateur commun (quel qu’en soit le
système) : l’absence de liberté et de démocratie, la référence à une égalité fondée sur une
vision « passéiste » du monde par le retour aux fondements mêmes de la tradition
islamique (es-sunna) s’inspirant de la vie du Prophète Mohammed tel que prôné par les
islahites (courant réformiste) dans les années trente dans le sillage de la Nahda initiée par
Muhammad Abduh et Jamal Eddine El-Afghani. L’individu, au sein de ces régimes, qu’ils
soient monarchiques ou « républicains », est davantage perçu comme un sujet n’ayant
presqu’exclusivement que des devoirs plutôt que comme un citoyen ayant des droits.
4 La situation des Berbères au cours des révoltes qui ont secoué les pays d’Afrique du Nord
et du Proche-Orient n’est intelligible que par un retour au processus de décolonisation et
de l’instauration des idéologies nationalistes et à la manière avec laquelle sera traitée la
question linguistique au cœur du politique.
5 À cette situation très complexe vient s’ajouter le poids de l’histoire spécifique à chaque
pays. Les cultures, les croyances, les langues, les religions, des patrimoines qui comptent
parmi les plus importants de l’humanité (Mésopotamie, Égypte, Sahara, patrimoines
romain, byzantin, juif, chrétien, musulman) se situent dans cette aire.
6 Les populations d’Afrique du Nord désignées par le terme Berbères (barbares pour les
Grecs et les Romains, al-barbar pour les Arabes) sont largement impliquées dans l’histoire
des Arabes du fait de leur islamisation (bon gré mal gré) dès le VII e siècle. Cet immense
sous-continent de la Cyrénaïque (Libye actuelle voire au-delà jusqu’à Siwa, en Égypte)
jusqu’à l’océan Atlantique (au Maroc), connu sous le nom d’El Khadra (la verte) attira très
tôt nombre d’Arabes et d’« islamisés » de la région (Persans, Turcs, Mongols, etc.), avec le
projet de convertir des Berbères déjà en souffrance sous le christianisme romain et
byzantin et qui ne demandaient qu’à s’en libérer3. Cette « libération » d’une tutelle, en
apparence du moins, ne manquera pas de devenir à son tour une allégeance, voire une
oppression, exercée tout d’abord au nom de la nouvelle religion (l’islam au détriment du
christianisme, du judaïsme et du paganisme) et progressivement au titre de sa langue,
l’arabe. Rien de surprenant donc au fait que l’islamisation ait fourni à l’humanité tout un
monde de civilisations et de richesses diverses et variées et en particulier celles que
recèle l’Afrique du Nord.
7 La richesse économique et la richesse humaine ont sans conteste profité au conquérant et
énormément joué en sa faveur. Volens nolens, les Berbères ont contribué à la poursuite de
la mission religieuse d’islamisation et à son pendant politique, le Califat de Cordoue en
Europe et en Afrique (Sénégal, Mali, Niger, Somalie, Mauritanie, Nigeria, Ghana, Soudan,
etc.), hypothéquant ainsi leur destin culturel par une absence d’opposition manifeste au
dessein d’hégémonie linguistique du dominant du moment, surtout depuis la fin du
Moyen-Âge. Dans les centres urbains, en particulier, la langue berbère a progressivement
laissé du champ à la langue arabe vernaculaire sans qu’il y ait véritablement un combat
ouvert contre son expansion comme ce fut le cas après les indépendances des pays
d’Afrique du Nord (1956 pour la Tunisie et le Maroc, 1962 pour l’Algérie). Un
questionnement se pose alors à un lectorat non averti qui ne saisit pas toujours, pour une
part, la genèse de la permanence d’une langue pourtant très ancienne ayant résisté aux
grandes puissances de l’époque (Carthage, Rome, Byzance) et, pour l’autre, les conditions
à l’origine de ce « compromis » tacite avec les cultures dominantes pour la conservation
de l’usage de la langue, comme cela fut le cas pour la préservation du droit coutumier.
31

8 Présente dans la pratique et pourtant absente dans le monde officiel, la langue (qui
souvent se confond avec l’identité) va connaître une évolution différente selon les lieux et
les périodes historiques. Les villes du nord de l’Afrique (d’est en ouest) seront les
premières à être gagnées par l’arabisation avant les régions montagneuses et l’extrême
sud. C’est précisément à l’espace touareg que les Berbères doivent la transmission de
l’alphabet ancestral (le tifinagh enseigné par les femmes) et la conservation de la langue
et sa grande richesse lexicale par rapport aux parlers du nord. Ce bref aperçu permet de
constater l’importance des distances entre ces régions, qui vont d’est (la Cyrénaïque) en
ouest (le Maroc et au-delà si l’on intègre les îles Canaries), de la Méditerranée au Sahara,
des cultures, des modes de vie (citadin, montagnard, semi-nomade et nomade) et des
différents apports humains.
9 La situation actuelle (des États indépendants sommés pour la première fois de résoudre
un problème millénaire) ne peut être intelligible que si l’on convoque certains moments
de l’histoire qui peuvent apporter un éclairage sur la situation dans laquelle se trouvèrent
les Berbères, conquis et parfois « conquérants », sans avoir défini au préalable un statut
pour leur langue, ce qui, assurément, contribua à leur invisibilité dans le champ politique
et à une délégitimation au niveau symbolique face à des langues et à des cultures ayant
conquis l’espace méditerranéen et européen de l’époque.
10 Cet article ne prétend pas embrasser de façon exhaustive toutes les périodes historiques
mais propose de revenir sur des faits pouvant constituer des lieux de mémoire, pour
parler comme Pierre Nora. La rémanence de tactiques, de stratégies et d’échecs est
troublante, au point qu’il faille se demander si cette situation de l’entre-deux n’est pas en
soi intégrée comme un mode d’être, une deuxième « identité » qui n’existerait que dans le
défi ou dans l’opposition à l’autre. Si la référence à la Kabylie est privilégiée ici, c’est pour
des raisons de terrain, mais c’est aussi là que la question a émergé de façon relativement
ancienne. Celle-ci sera soulevée dès 1948 par Benaï Ouali4. Elle aboutira en 1949 à un
conflit frontal entre les nationalistes et les « berbéro-nationalistes » appelés aussi
berbéro-matérialistes. La question de la langue réapparaîtra de façon cruciale à
l’indépendance de l’Algérie, en 1962.
11 La crise dite de 1949 a, pour ainsi dire, constitué un moment fondateur dans l’histoire du
mouvement national qui a engagé de façon exclusive le pays dans la voie de l’arabo-
islamisme en lui définissant une identité et une langue (arabes) et en lui reconnaissant
une religion, l’islam, conformément à la doctrine du leader ouléma Ben Badis.
12 Le mouvement des oulémas algériens, bien que favorable à l’assimilation, s’est arrogé la
paternité du nationalisme et la défense de l’arabo-islamisme comme fondement unique
de la nation algérienne5. Les éléments favorables à une Algérie algérienne, c’est-à-dire
non arabe et non musulmane (laïque) se sont vus éjectés du mouvement et taxés de
“berbéro-matérialisme”. Aucune région d’Afrique du Nord n’a connu de situation
similaire, c’est-à-dire en l’occurrence l’enracinement dans la culture ancestrale berbère
assorti d’une projection dans la « modernité » (laïcité, pluralisme, démocratie) comme
élément essentiel de la résistance à la colonisation et principe selon lequel s’effectuera
l’édification de la future nation.
13 Un détour par le début de l’islamisation est nécessaire pour appréhender cette
articulation entre histoire et politique, entre langue et identité et pour comprendre
comment ces couples indissociablement liés vont s’exprimer et évoluer graduellement
chez les Kabyles pour s’étendre au-delà de leurs frontières. Ces dernières années feront
32

apparaître le caractère largement dépassé de la seule revendication culturelle au profit


d’une re-définition du politique sur les plans statutaire, territorial et géopolitique (qui,
dans certains cas, va de l’autonomie à l’indépendance6).

Domination et procès d’invisibilisation


Repères historiques

14 Nombreux, les autochtones pourtant présents en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Libye,


au Sahara sont devenus, au bout de quelques siècles, les seconds des nouveaux venus,
quand ils ne leur ont pas emprunté leurs méthodes guerrières et de conversion des
populations d’Andalousie ou d’Afrique subsaharienne au point de devenir à certains
moments des protagonistes de l’histoire au sein de ces régions du monde. Comment ne
pas reconnaître aux Berbères la mise en place d’empires comme celui des Almoravides 7 et
des Almohades8, illustres pour leur extension en Afrique du Nord ?
15 Un autre changement capital, pourtant, a consisté, peu avant, à remettre en cause par
deux fois la filiation de la vision expansionniste : c’est le mouvement fatimide (né en
Kabylie actuelle, près de Bejaïa) qui a bouleversé le monde musulman. Les codes de la
filiation ont été modifiés : la nouvelle idéologie naît et s’élabore en Occident et non plus
en Orient, et, de plus, la filiation emprunte une autre voie : elle ne passe plus par les
hommes mais par une femme : Fatima, la fille du Prophète9. Cette voie a été fondée en 909
par Ubayd Allah al-Mahdi qui a initié le mouvement en s’appuyant sur les tribus Kutama-s
de Petite Kabylie (Ikjane) qu’il a converties à l’islam chiite ismaélien10. Pour le monde
musulman de l’époque, ce fut sans doute une révolution copernicienne, un changement
de paradigme dans sa représentation du monde.
16 Il en sera de même pour la doctrine ibadite, dont le fondateur est d’origine orientale. Les
principes d’un pouvoir fondé sur la compétence et non sur la patrilinéarité ont fait des
adeptes chez les Berbères, et l’ibadisme eut ainsi ses heures de gloire. Dirigé par un
Persan, il dura près de deux siècles sur un territoire aussi grand qu’une partie de
l’Europe : de la Cyrénaïque jusqu’à la Moulouya. L’origine persane d’Abderrahmane Ibn
Rostom, son fondateur, est indicative des pratiques en présence11. En effet, les Berbères
d’autrefois élisaient un étranger lorsqu’il n’y avait pas consensus au sein de leur groupe.
L’étranger perçu comme un observateur extérieur (non impliqué dans les problèmes
internes) était censé être au-dessus des conflits liés aux soffs (ligues). Cette tendance à
élire un membre extérieur à la tête du village, de la région, voire même du pays se
trouvait confortée par un principe fondamental de leur doctrine : la compétence devait
l’emporter sur la naissance, un aspect fondamental de la « révolution » ibadite. La
compétence, le pragmatisme économique et politique l’emportaient sur les liens du sang,
de la biologie et de la filiation. « Que le meilleur d’entre vous gouverne, fût-il un esclave
noir ! » était leur devise. Celle-ci, par voie de conséquence, constituait une ouverture pour
les Berbères à prétendre au pouvoir, étant entendu que les usages en vigueur − les
fondements de l’idéologie première des Koraïchites − privilégiaient la filiation par le
sang, le patrilignage12. L’islam à ses débuts vit apparaître les notions de qawmiyya (la
nation fondée sur la naissance, la supériorité des Koraïchites) et de ‘āmma (la masse) qui
regroupait une population plus vaste, plus pauvre, mais aussi non arabe, d’où
l’attachement à Ali (cousin et gendre du Prophète) qui fut une figure à la fois populaire et
internationale13.
33

17 Ainsi les Ibadites ont été à la fois très nombreux et de formidables acteurs jusqu’à la fin
du Moyen-Âge dans les régions les plus importantes (Libye, Tunisie et Algérie actuelles) 14.
La question de la langue n’était pas importante à leurs yeux car elle était pratiquée dans
presque tout le pays et l’usage de l’écrit restreint à une élite citadine (ou paysanne mais
dans un cadre bien précis comme dans le Souss actuel ou dans le Mzab). Un autre moment
historique qu’il faut ajouter à ce dossier est celui des Barghwata-s15 qui atteste pourtant
d’une autonomie manifeste par rapport à la domination religieuse, politique et
linguistique des politiques orientales. Ses promoteurs ont tenté d’inventer un modèle
religieux à l’instar de l’islam chiite mais conçu avec leurs codes culturels et linguistiques.

Spatialité et pratiques culturelles

18 Les autochtones définis comme Berbères (même si l’on sait que très tôt des métissages ont
existé) occupaient un espace important : le monde paysan (agricole), les montagnes et les
passages (les chemins et routes d’autrefois) qu’ils contrôlaient, les oasis, les îles, le grand
désert. Ils constituaient aussi des armées qui défendaient leurs territoires, comme on
pourra le voir contre les Ottomans. Dans les espaces qu’ils occupaient, les Berbères
appliquaient leurs propres lois (droit coutumier), leurs propres croyances (rites, mythes,
etc.), leurs propres langues et codes culturels. Avec les pouvoirs centraux, ils ont
entretenu des relations dictées par les rapports de force du moment (alliance, guerre,
etc.). Pourtant présents physiquement sur les scènes politique, économique et sociale de
ces pays, les Berbères demeurent invisibles lorsqu’ils ne sont pas Carthaginois, Romains,
Byzantins, musulmans, Arabes. Ils sont restés pour ainsi dire les « innommables » (les
oubliés, les parias) de l’histoire, les absents de la Méditerranée et de l’Afrique depuis leur
islamisation, comme s’ils n’existaient (au niveau de la langue s’entend) que par
procuration. Des impératifs géostratégiques ont par exemple amené Juba II, roi berbère
de Maurétanie, allié politique de Rome, à faire du latin la langue de la pratique
administrative.
19 La difficulté à exister aujourd’hui, à s’affirmer dans un ensemble plus large, à inscrire son
combat dans des luttes comme les révoltes « arabes » n’aurait-elle pas pour origine des
traumatismes beaucoup plus anciens ? Les groupes berbères à des moments différents ont
souvent été instrumentalisés sans obtenir la reconnaissance recherchée. Il serait donc
faux d’avancer que la domination culturelle a commencé avec les seuls Arabes. Cette
région a été le théâtre de luttes acerbes pour la reconquête d’une légitimité plurielle
(religieuse, linguistique et historique) ayant laissé des traces très tôt dans l’histoire.
Comme sous les Romains, la dimension linguistique et surtout religieuse va faire des
adeptes (sous les musulmans) et progressivement prétendre à l’unification culturelle de
cette région. L’arabe, formidable synthèse entre l’arabe classique et l’arabe maghrébin,
lui-même dérivé de la langue hillalienne métissée avec le berbère et le punique, s’impose
comme seule langue écrite et devient au fil des siècles la langue par excellence : Lluġa,
langue universelle et destinée à être universellement reconnue car élue (selon la doxa)
par Dieu comme médium de transmission du Coran (livre sacro-saint) à l’humanité.
20 Revenir sur ces repères historiques (fût-ce de manière schématique) peut aider à démêler
l’écheveau. C’est, en fait, parce que les Nord-Africains actuels se débattent autour de
problèmes de légitimité, d’écriture, d’histoire, de religion que le passé devient important,
voire déterminant dans l’intelligibilité de ce phénomène éminemment politique et qui
n’est pas spécifique au monde berbère.
34

Histoire récente et domination plurielle

21 Jusqu’au XVIe siècle la langue berbère était majoritairement parlée en Afrique du Nord
(Algérie, Maroc, Tunisie), aussi bien dans la plupart des grandes villes qu’en milieu rural 16
. En Algérie, les Ottomans (à partir du XVIe siècle) n’ont pas imposé leur langue. À l’instar
des Romains, ils ont occupé les villes portuaires (Alger, Bejaïa, Oran) et certaines villes de
l’intérieur (Constantine, Médéa, Blida, Tlemcen) sans s’intéresser au pays profond car
l’accès y était difficile et l’apport dérisoire à leurs yeux. Ils étaient intéressés davantage
par la collecte de l’impôt que par les populations elles-mêmes. Ce faisant, la langue
berbère n’a pas été ébranlée. Dans les montagnes et dans toutes les régions du sud non
contrôlées par les Ottomans, on peut avancer que jusqu’à la fin du XIXe siècle, les
Berbères d’Algérie ont conservé leur langue, leurs systèmes juridiques et politiques
spécifiques différents de ceux des populations citadines et de ceux d’autres régions dont
le mode de vie diffère de celui des nomades et semi-nomades des hauts plateaux ou du
lointain Sahara. Les structures anthropologiques et politiques (modes de filiation,
assemblées villageoises, système de transmission, etc.) ne seront affectées qu’à partir de
1871, au moment du soulèvement de la Kabylie contre la France17. Il en sera de même
pour le Maroc (la politique du protectorat, moins violente que celle de la colonisation, a
davantage contribué à la conservation de sa culture et de ses modes de fonctionnement)
qui était en majorité dominé par la culture berbère jusqu’en 1920. Que s’est-il passé pour
que son usage se réduise comme peau de chagrin ?

Pourquoi ce passage d’une culture visible au tabou ?


22 Après le débarquement de 1830, la colonisation française va changer le paysage culturel
algérien et contribuer ainsi à l’inversion des rapports de force sur le terrain. « Une
administration rationnelle imposait des règles rigoureuses fondées sur l’uniformisation
des pratiques nourries des principes de la Révolution : une langue, un peuple, un espace.
L'élargissement à l'Algérie des lois scolaires dites lois Ferry, notamment les lois de 1881
sur la gratuité de l’école, de mars 1882 sur l’instruction obligatoire et d’octobre 1886 sur
l’organisation et la laïcité de l’enseignement primaire en France, a pour but de participer
au formatage linguistique. Ce sont ces lois que le décret du 13 février 1883 et le décret du
18 octobre 1892 rendent applicables à l’Algérie18. » Même si, dans la pratique, cela n’a pas
été généralisé. Une hiérarchie est ainsi opérée : si le français est supérieur à l’arabe,
l’arabe est, en revanche, considéré comme plus important que le berbère parce qu’il est
écrit et qu’il détient un fond symbolique savant. La dimension orale n’a pas favorisé la
reconnaissance de cette langue sauf pour l’usage des ethnologues (pour la connaissance
du terrain), des militaires et des administrateurs. Là aussi l’obéissance à des critères
connus est plus qu’évidente : les anciens observateurs des sociétés d’Afrique du Nord, Ibn
Khaldoun19 à la fin du XIVe siècle et Léon l’Africain au XIVe siècle, avaient souligné que les
centres de pouvoir (donc de civilisation) ont toujours été acquis à la langue du vainqueur,
à sa religion et à sa vision du monde20.
23 Avec la colonisation française, il y a cependant une contradiction à observer, car c’est une
arme à double tranchant. La colonisation a, en effet, soulevé la question linguistique, sans
pour autant l’avoir réglée. Elle a seulement rendu visibles les conditions réelles de ces
populations (même dans une perspective d’instrumentalisation, surtout depuis 1871). Elle
35

a produit un savoir (dans le sillage de l’expédition de Napoléon en Égypte) sur les


populations autochtones : archéologie, droit, ethnologie, histoire, linguistique. Ces
recherches sur les Berbères n’avaient jamais été effectuées auparavant par les précédents
dominateurs. Cet intérêt pour les Berbères a été, comme on le sait, mal perçu par les
élites « nationalistes » (des années quarante du siècle passé) et par les prétendants à la
légitimité « identitaire » et culturelle des pays nord-africains indépendants (Algérie,
Maroc, Tunisie).
24 Cette résurgence de la question berbère a, en quelque sorte, stigmatisé la légitimité de la
revendication car les mouvements nationaux vont s’en servir à des fins politiques et
idéologiques, reprenant à leur compte les schèmes de vision des anciens colonisateurs en
traitant leurs populations « autochtones » comme des minorités « étrangères » devant
obligatoirement renoncer à leur culture et à leur langue au profit de l’arabe langue
nationale et officielle. Le procès de l’arabisation n’est pas seulement un projet
linguistique qui vise à ce que les « minorités » autochtones accèdent à l’acquisition d’une
langue, il est une véritable stratégie, un système élaboré visant leur dé-berbérisation et,
ce, dans le but d’effacer la langue et la mémoire des concernés avec des nuances selon les
pays, les époques et la formation des idéologues dont l’objectif est de créer un « homme
nouveau » avec de nouvelles structures mentales formatées selon des normes spécifiques
(à la mode des révolutionnaires par la « bonne » langue et ici la « bonne religion ») 21.
Marqués par la culture arabe et islamique de l’Orient, les promoteurs de l’édification
nationale des pays d’Afrique du Nord avaient aussi pour modèle le pattern colonial,
jacobin, qui est d’une certaine façon anthropologiquement évolutionniste (comme en
beaucoup d’endroits dans le monde). L’ère industrielle exige aussi une culture rationnelle
et rationaliste et une langue écrite, uniformisée, ayant ses propres outils de domination
(règles, textes juridiques, politiques, etc.). Cette tendance est certes celle du bloc de
l’Ouest, « l’Occident capitaliste », mais aussi celle du bloc de l’Est, communiste, dont la
mission était d’appliquer un modèle politique et idéologique à toute l’Europe de l’Est 22.
25 Pour cette raison, le Maroc et l’Algérie, avec des stratégies et des évolutions bien que
différentes (cf. l’évolution du mouvement des oulémas et l’Istiqlal) au départ, finiront par
se retrouver, par la suite, sur des positions communes quant à la reconnaissance du passé
anté-islamique (histoire, croyance, mémoire, langue) considérées comme archaïques 23. Il
est à noter qu’au Maroc, comme dans l’ensemble des villes d’Afrique du Nord, ce sont les
milieux urbains, considérés comme plus « évolués » (Fès, Rabat, Salé), qui se prononcent
sur ce rapport particulier à la langue dès les années 20, non sans lien avec la naissance
d’une conscience nationaliste et l’expansion des idées du réformisme salafiste :
« L’évolution religieuse et culturelle, amorcée en Orient sous l’impulsion de Gamal al-Din
al-Afhgani, puis de Muhammad ‘Abduh, était donc sur le point de s’étendre à l’Algérie,
dans la seconde décennie du XXe siècle. L’idée d’une nécessaire réformation morale et
religieuse, dans le sens de l’orthodoxie prêchée par la Salafiyya, semblait définitivement
acclimatée en Algérie, à la veille des bouleversements qu’allait entraîner la Première
Guerre mondiale24 ».
26 Ce mouvement se manifeste sur le terrain par des actions culturelles « qui s’inscrivent
dans ce que nous pouvons appeler la renaissance culturelle et se traduit par la création
d’écoles libres, d’associations ou de clubs culturels et par l’amorce du développement des
activités littéraires en langue arabe, perçue comme la langue de la nation à laquelle on
aspire25 ».
36

27 L’islam et l’utilisation de la langue arabe sont déterminants dans la définition du


Marocain engagé dans le combat national. La construction d’une nation suppose donc
l’existence d’une langue, mais celle-ci définit à son tour l’identité. Aussi la revendication
d’une langue unique et unifiée est très présente dans la production discursive de la
mouvance nationaliste marocaine. Elle va en outre trouver toute sa légitimité et sa raison
d’être dans la promulgation du dahir du 16 mai 1930 en ce qu’il va fournir l’occasion
« d’unir » le peuple marocain contre les tentatives d’évangélisation, de division du peuple
supposé uni et homogène26. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce dahir signé par le
sultan lui-même (Mohammed V) n’est rien d’autre que la reconnaissance de pratiques
coutumières déjà existantes au Maroc (cf. La Lettre de Mohammed V, 2015, p. 187). Les
agents en charge de la question nationale vont jusqu’à attendre des autorités du
Protectorat la consolidation de la langue et de la culture arabes au détriment de l’autre
langue pratiquée pourtant depuis des millénaires. Dans cette requête des notables
adressée à la Monarchie, une des délégations présidée par Abderrahmane Ben El Qorchi,
un ancien ministre de la Justice, est explicite à ce sujet et ne manque pas de signer
l’inscription de la langue et de l’islam dans la future nation marocaine. Écrit dans un
arabe savant, ce texte met en exergue la nécessité de généraliser l’aspect scripturaire de
l’arabe non sans lien avec l’islam et destiné à toute la population. Le souci
d’homogénéisation et de standardisation des programmes scolaires (et l’expansion de
l’enseignement de la langue arabe) n’est pas en reste. Ce texte prévoit que l’arabe doit
principalement constituer la langue de l’enseignement, ce qui le doterait d’un statut
officiel. Il est en outre signalé l’interdiction d’officialiser les dialectes berbères.
28 Plus près de nous, des penseurs comme Ben Salem Himmich, Mohamed Abed El Jabri, au
Maroc, Othmane Saadi et Abdelkader Hadjar (président de la commission de l’arabisation
en 197427), Mohammed Chérif Kharroubi (ministre de l’Éducation nationale), en Algérie,
adoptent les mêmes positions dans le débat public lorsqu’il s’agit de s’opposer de façon
unanime à la reconnaissance du berbère. Ces voix ne sont pas des points de vue
individuels ; elles émanent d’agents mandatés ès-qualités pour faire taire toute
contestation d’ordre linguistique et pour délivrer la vision culturelle officielle et la faire
appliquer en usant de l’autorité que leur confèrent les positions importantes qu’ils
occupent dans le champ culturel. Ils sont dépositaires (pour parler comme Pierre
Bourdieu) de ce « trésor » indivis (le capital linguistique) dont ils sont les garants, les
porte-parole officiels chargés de le faire fructifier. Bien qu’énoncé à plusieurs reprises
dans les différentes chartes, il s’agit de la mise en place d’une langue officielle d’État et de
ses structures. Pour cela, il faut revenir à la genèse de l’État. « C’est dans le processus de
constitution de l’État que se créent les conditions de la constitution d’un marché
linguistique unifié et dominé par la langue officielle : obligatoire dans les occasions
officielles et dans les espaces officiels (écoles, administrations publiques, institutions
politiques, etc.), cette langue d’État devient la norme théorique à laquelle toutes les
pratiques linguistiques sont objectivement mesurées28. » Comme dans le monde juridique,
la langue s’impose comme loi et fait loi : « Nul n’est censé ignorer la loi linguistique qui a
son corps de juristes, ses grammairiens et ses agents d’imposition, de contrôle, les maîtres
de l’enseignement, investis [du pouvoir] de soumettre universellement à l’examen et à la
sanction juridique du titre scolaire la performance linguistique des sujets parlants29. »
29 Le but est évident ; le projet commun et politiquement viable consiste à accélérer
l’assimilation à la langue officielle des sujets non acquis à cette langue et, d’une certaine
façon, contribuer énergiquement à fabriquer un homme « nouveau » dans un système
37

« nouveau », auxquels tous les prétendants au pouvoir politique et symbolique adhèrent,


y compris les partis de gauche (communistes en Algérie ou partisans de l’Ittihad al
Ikchtiraki au Maroc).
30 Parallèlement, l’islamisme − dans sa forme sunnite orthodoxe jusqu’au wahhabisme
actuel − guette les Berbères, comme beaucoup d’autres populations supposées « mal ou
non islamisées » dans le monde dit « arabe », par ceux qui le voudraient ainsi, de même
que par les Européens et les Anglo-saxons qui usent de ce raccourci. Dans la réalité, il ne
s’agit pas de la pratique de l’islam en elle-même mais d’une lutte pour le monopole du
champ religieux et l’aspiration à devenir le gendarme du monde musulman. Par leur
position dans l’espace (la géographie, la Mecque), par la généalogie (Arabes « purs »), par
la langue, les Wahhabites prétendent ainsi à la légitimité du sens à donner à l’islam, le
fonder de fait et de droit en le re-fondant en quelque sorte, en revenant à nouveau au
message premier considéré comme ignoré ou oublié par les autres (les Chiites, par
exemple, et tous ceux qui sont supposés être loin dans l’espace et dépourvus de capital
symbolique).
31 On peut comprendre dès lors pourquoi la prise en compte de la diversité – donc des
pratiques locales au sens large – comme composante importante du peuple nord-africain,
impliquant en elle-même une conception politique fondée sur une démocratie qui
émanerait de la base et non imposée par le sommet, soit problématique, ce qui
évidemment est loin d’être conforme à la culture de ces pays et au sens qu’ils donnent au
concept de représentation.

Enjeux linguistiques et jeux politiques en Algérie : l’exemple kabyle

32 Tous les ingrédients sont alors réunis pour voir s’instaurer une homogénéité culturelle,
linguistique et religieuse qui ait la vie longue. En effet, de la fin du XIXe siècle à nos jours,
les aménagements bricolés ici et là sont conçus pour répondre davantage à une exigence
du moment qu’à un véritable changement de fond.
33 Une relecture des événements récents à partir de 1988 (soulèvement des jeunes à Alger
qui a fait plusieurs centaines de morts) peut aider à une meilleure intelligibilité du
phénomène. Le discours politique officiel a attribué « l’échec » d’octobre 1988 au fait que
les Kabyles sont restés sur leur réserve. S’agit-il d’une mémoire en veille ou d’une
politique machiavélique menée par de grands stratèges ? On ne le saura jamais. Ce qui est
sûr, c’est que les Kabyles ont effectivement été des guerriers (connus sous le nom de
Zouaves30, Azouagos, Zwawa-s) avec lesquels les États centraux durent compter (Dey
d’Alger ou Bey de Tunis), et la manière avec laquelle ils ont résisté au colonisateur
français au XIXe siècle (1839-1847, 1854-1857 et 1871) et surtout durant la guerre
d’indépendance (1954-1962) n’a pas pu ne pas marquer les mémoires des politiques qui
avaient intérêt à les avoir avec eux. Les émeutes de 1988 ont été très importantes et
n’était la réserve des Kabyles (négociée ?), elles auraient donné lieu à un changement
encore plus spectaculaire du régime en place.
34 Ce soulèvement a eu pour conséquence l’ouverture démocratique qui favorisera l’entrée
des Kabyles dans le champ politique. Deux partis politiques (l’un, le Front des forces
socialistes (FFS), issu de l’opposition au parti unique en 196331, et l’autre, le
Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), de 1989) feront partie du
panorama, tous deux (avec des nuances qu’il convient d’introduire) se réclamant de la
démocratie et de la laïcité. C’est là une caractéristique qui, incontestablement, les
38

distingue par leur production discursive des formations politiques en présence. Le FFS et
le RCD vont jouer des rôles différents dans l’arrêt, en 1991, du processus électoral,
moment important qui favorisera la radicalisation des positions politiques. D’un côté, les
partisans de la légalité et d’un règlement politique négocié de la crise en acceptant le
choix des urnes (dans le sillage de la proposition de Sant Egidio appelée aussi Contrat de
Rome32), dont le FFS, de l’autre, les partisans de l’annulation avec l’intervention de
l’armée instaurant l’état de siège, dont le RCD. Le conflit ne permet pas la nuance : les uns
sont alors taxés de pro-islamisme, les autres de collusion avec le pouvoir. Les uns seront
appelés dialoguistes ou réconciliateurs, les autres éradicateurs.
35 Parallèlement à ces formations politiques, la société civile n’est pas en reste. Un puissant
Mouvement culturel berbère (MCB) rassemblant différents courants poursuit sa lutte
− dans le sillage des événements du printemps berbère de 1980 − prône les libertés
culturelles pour culminer avec la grève des cartables en 1994. Une troisième voie existe
donc : la jeunesse kabyle, comme une grande partie de la population kabyle rurale, est à la
fois anti-pouvoir et anti-islamiste, et c’est cette tendance qui se mobilisera pendant les
années 2000.
36 Des marches spectaculaires se donneront à voir dans les années 2000, notamment avec le
Printemps noir et l’émergence des ‘arouch-s (les tribus) ou « Mouvement citoyen des
villages, communes, daira et arouchs ». Des jeunes, des femmes, des paysans et des
citoyens de toutes les catégories sociales y ont exprimé leur colère. La nouvelle de la
mort, le 20 avril 2001, date anniversaire du Printemps berbère (avril 1980), du jeune
Massinissa Guermah, qui succomba aux blessures infligées à bout portant deux jours
avant par un gendarme dans les locaux de la gendarmerie de Béni Douala, se propagea
comme une traînée de poudre dans une Kabylie qui se vivait comme assiégée, notamment
depuis les émeutes provoquées par l’assassinat, le 25 juin 1998, du chanteur Matoub
Lounès, engagé en faveur de la culture berbère, de la laïcité et de la démocratie. De
véritables affrontements viendront opposer les citoyens à la gendarmerie en faction en
Kabylie. Pour canaliser la contestation qui exige le retrait immédiat de Kabylie des forces
de répression, une instance, les‘arouch-s, sera mise sur pied par les citoyens. Elle sera
chargée de porter leurs revendications arrêtées dans une plateforme élaborée à El Kseur
(Béjaïa) à la plus haute instance du pays : la présidence de la République. C’est ainsi que le
14 juin 2001 près de deux millions de citoyens kabyles (selon les estimations de la grande
presse) iront battre le pavé à Alger pour réclamer leurs droits à exister en tant que
« peuple » ayant une mémoire, une histoire et une langue et exprimer leur aspiration à
vivre libres dans un Etat de droit, démocratique et laïc. Cette marche pacifique dont le
pays n’avait pas connu de semblable depuis les festivités de l’indépendance en 1962, fera
l’objet d’une répression féroce. Les islamistes dits « repentis » (et autres prisonniers de
droit commun) viendront sur la place du 1er Mai, point de départ de l’imposante marche
vers la Présidence, prêter main forte aux services de sécurité dans l’agression des
manifestants. Il s’ensuivra une chasse à l’homme, « une chasse au Kabyle » jusque dans les
escaliers des immeubles. Plusieurs dizaines de jeunes manifestants seront abattus à bout
portant (126 au total), et des centaines seront blessés et en porteront les séquelles toute
leur vie. Cette tragédie a mobilisé les populations des départements (wilaya-s) de Kabylie
(Tizi-Ouzou, Bouira, Bejaïa, Boumerdès et Bordj Bou Arreridj) pendant plusieurs mois.
C’est à ce moment que l’on peut considérer qu’une guerre symbolique a été déclarée et
signée par les slogans tels que « pas de pardon » (ulach smah ulach) et « pouvoir assassin ».
Des enquêtes ont été menées par le pouvoir central, mais la lumière reste encore à faire
39

tant certains avaient tout intérêt à convertir ce mouvement révolutionnaire en un retour


à l’archaïsme tribal. De ce vaste mouvement de mobilisation des personnalités
émergèrent et en prirent la tête en se posant comme intermédiaires entre le pouvoir
central et la population. Des militants de Tizi-Ouzou et de Béjaia entreront en discussion
avec le pouvoir sur la base de la plateforme d’El Kseur qui exigeait la reconnaissance de
tamazight comme langue nationale et officielle ainsi que la généralisation de son
enseignement dans toutes les écoles du pays. Chez les jeunes Kabyles, cependant,
apparaîtra un sentiment de non-appartenance à cet État jacobin qui ne les reconnaît pas,
pire, qui les méprise et avec lequel une espèce de rupture est intériorisée.
37 Cet exposé rapide, et sans aucun doute schématique, n’a pas d’autre objectif que de
montrer une dimension importante chez ces populations ayant (sans forcer sur le trait)
constitué une constante culturelle, un habitus collectif spécifique des Kabyles, des
Berbères de l’Atlas. Pour en avoir pleinement conscience, il suffit d’établir une similarité
entre 1871 et le Printemps noir en 2001. Dans ces deux moments historiques, est-il
possible de négliger le fait que toute la population s’était levée comme un seul homme
contre le dominant (dans un cas le colonisateur, dans l’autre le pouvoir national) ? À
propos des événements du Printemps noir, nous avons pu constater la détermination de
toute une population à se mobiliser contre le pouvoir central. Nous avons relevé un petit
corpus extrait des slogans qui montrent la part active des femmes (parmi les doyennes)
dans la composition des textes. Elles avaient en effet la capacité de produire un discours
politique spontané dans les manifestations en vers tels que :
« … bu lehnak
Tamazight macci g-gemma-k33 »
38 Présentes dans les manifestations à Alger, à Paris, les femmes (de tous âges) étaient
mobilisées auprès des plus jeunes dans les manifestations et dans toutes les formes de
domination, religieuse ou politique, comme on peut le constater lors des pique-niques des
dé-jeûneurs pendant le ramadhan à Tizi-Ouzou ou le défilé des femmes en robe kabyle,
contestant le voile islamique.

Au-delà de la Kabylie

39 Le pas effectué vers l’autonomie en Algérie est également le fait de berbérophones au


Maroc, notamment dans le Rif et le Souss. Le mouvement de février 2011, auquel les
jeunes militants berbères ont pris part dès ses débuts, a revendiqué et obtenu dans le
texte constitutionnel de juillet 2011 l’officialisation de la langue berbère. Tout en se
situant dans leur revendication dans le sillage des révoltes dites « arabes », les militants
marocains ont réagi en connaissance de cause.
40 En Tunisie, il est vrai que la langue berbère se réduit de jour en jour comme une peau
chagrin, et l’on enregistre très peu de locuteurs ; mais il n’en demeure pas moins que la
minorité consciente n’a pas manqué de faire parler d’elle, comme lors du congrès mondial
amazigh à Djerba. Des associations amazighes ont vu le jour après la Révolution du Jasmin
34
, et le festival du film amazigh révéla au public deux documentaires traitant de la
situation amazighe35.
41 En Libye, les berbérophones furent aux premiers rangs de la révolte contre Khadafi à
Zouara ou au Djebel Nefousa. Dans les endroits où ils vivent, ils revendiquent leur langue
et la reconnaissance du rite ibadite.
40

42 Enfin, dans le pays touareg, de l’Algérie au Niger en passant par le Mali, le mal-être dans
lequel vivent ces populations divisées et vivant dans plusieurs pays découle de l’héritage
colonial. La question brûlante de l’indépendance de l’Azawad, actuellement sous la
dépendance d’un mouvement arabo-islamique (non sans lien avec des éléments
radicalisés du nord de l’Algérie) au cœur du Sahara, en est une illustration.
43 Cette revue rapide montre qu’il y a un véritable problème hérité de l’histoire la plus
ancienne, celle des grands empires (comme celui de Massinissa ou de Syphax) qui, tout en
étant berbères, adoptèrent à une certaine époque de l’histoire la langue de l’autre (latin,
grec) comme langue de l’administration, de la culture et des arts. Cet antécédant fraya la
voie à l’arabe qui − de fait et de droit − s’imposera sans toutefois gagner l’ensemble de
l’espace dit berbère, d’où l’acuité du problème actuel. Si les Berbères « arabisés » (au sens
d’Ibn Khaldoun musta’riba) ont intériorisé ce fait historique, les Berbères berbérophones
en ont en revanche gardé la mémoire et persévèrent dans la sauvegarde de leur
patrimoine. Il en découle une véritable lutte entre ceux qui s’inscrivent dans un projet de
reconnaissance et de récupération de leur histoire – sans généralement disposer des
moyens à la hauteur de leurs ambitions politiques et culturelles – et ceux qui, en
revanche, usent des rapports de force, de la solidarité des pays arabes et musulmans pour
poursuivre cette éradication culturelle d’une civilisation afro-méditerranéenne qui a
pourtant marqué l’histoire.
44 La langue arabe (qui est aussi celle de l’islam) domine aujourd’hui non seulement au
niveau du réel mais aussi au plan symbolique. Les partis politiques de ces pays – fussent-
ils laïcs, francophones – ainsi que l’élite intellectuelle se réclamant pourtant de la
démocratie ne saisissent pas le retour vers des pratiques réelles comme une chance,
comme une richesse pouvant instaurer une démocratie mais seulement comme un facteur
de division et une atteinte à la sacro-sainte Umma`arabiyya (nation arabe). Ce patrimoine
anté-islamique (juif, chrétien, païen, ottoman, africain) ou plus contemporain (français,
espagnol, italien) pourrait pourtant constituer un préalable à l’instauration de l’égalité
des droits. Le berbère n’ayant jamais été enseigné, n’ayant pas été transmis (si ce n’est sur
le mode oral) demeure toujours marqué par le stigmate de l’archaïsme et de l’illégitimité,
etc. Les arabophones des « révolutions arabes » dans l’espace nord-africain auraient sans
doute gagné à capitaliser les luttes des berbérophones parce qu’elles se réclament aussi
de la laïcité, de la liberté d’expression et de la démocratie.
45 Incapables qu’ils étaient de faire leurs ces revendications, pris dans le jeu de la
représentativité, les adversaires politiques de la berbérité n’éprouvaient en réalité
aucune sensibilité envers ce patrimoine, méprisé de surcroît. De leur côté, les
berbérophones, en faisant leurs les révolutions dites arabes, pouvaient sans doute
contribuer à changer le panorama politique, une diversité bien intégrée étant un gage de
démocratie. De façon lointaine et abstraite, le lecteur peut penser que les Berbères ont
manqué ce rendez-vous avec l’histoire, mais ce n’est là que rhétorique. La participation
des populations minorées en Afrique du Nord (femmes et Coptes en Égypte, Berbères en
Libye et même en Tunisie) n’a pas abouti à leur reconnaissance. Les dominants au pouvoir
se saisissent de l’ordre réel et de l’ordre symbolique en remettant les dominés à leur
place. C’est pour cette raison que les Berbères (surtout en Algérie), ayant entamé une
lutte qui a commencé en 1980, continuent leur aventure en solo. Dans cet univers de
l’exclusion des groupes minorés, il reste beaucoup de chemin à faire pour que les
principes de démocratie soient compris de tous.
41

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NOTES
1. P. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Point Seuil, 2001, p. 68.
2. La laïcité a été discutée en Algérie (au sein des partis ayant un ancrage en Kabylie mais pas
seulement), et elle revient au-devant de la scène au Maroc avec la position défendue par Azetta
(réseau Amazigh pour la Citoyenneté) devant la Commission consultative pour la réforme
constitutionnelle et le communiqué de Tamaynut appelant au boycott de celle-ci. Après
l’adoption du texte constitutionnel, Azetta adapte sa position au nouveau contexte et fait de la
construction d’un État laïque et démocratique une des conditions de l’institutionnalisation de
l’amazigh (slogan de son dernier congrès national, septembre 2014). À l’Université d’été d’Agadir
(mai 2015), cette même question a été posée par des arabisants. Ce qui montre bien qu’il y a une
véritable maturation qui s’est effectuée au sein du Mouvement culturel amazigh.
3. Cette attitude est récurrente dans l’histoire des Berbères puisqu’on la retrouve quand les
Romains combattent les Carthaginois et les Vandales ; les Arabes les Byzantins et, plus tard, les
Français les Ottomans.
43

4. Né vers 1917 et décédé en 1957. Grand militant nationaliste connu pour sa détermination pour
l’indépendance de l’Algérie et pour son engagement pour la langue berbère. Il aurait été
« liquidé » par ses compagnons d’armes à cause de ses prises de position en faveur d’une Algérie
algérienne reconnaissant la langue berbère.
5. M. Tilmatine, « Les oulémas algériens et la question berbère : un document de 1948 », Awal,
Cahiers d’études berbères, nº 15, 1997, p. 77-90.
6. Une branche de l’opposition, le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) s’est
dotée d’un gouvernement provisoire en exil en France, le GPK (Gouvernement provisoire de la
Kabylie).
7. Les Almoravides (al-Murābiṭūn, « ceux du ribāt »), dynastie berbère (Sanhadja) ayant constitué
du XIe au XII e siècle un empire englobant le Maroc, l’Algérie, l’Andalousie et ayant joué un rôle
important. L’avènement des Almohades (al-muwahiddun) mettra fin à la dynastie des
Almoravides.
8. Mouvement religieux né autour de 1120 à Tinmel, fondé par Ibn Toumert et soutenu par des
tribus du Haut Atlas principalement des Masmoudas. Ibn Toumert prône alors une réforme
morale puritaine et met fin au règne des Almoravides.
9. L’alliance avec les tribus berbères a permis de lancer une révolte contre les Aghlabides de
Kairouan. En 909, Ubayd Allah est intronisé et étend son influence sur une grande partie du
Maghreb : du Maroc à la Libye (aujourd’hui Algérie, Tunisie, Libye). Il prend pour capitale Mahdia
en Tunisie. Les Fatimides ont également fondé Le Caire et Al-Azhar et contestèrent l’autorité du
calife de Bagdad.
10. Les Fatimides (également appelés Obeydites) ont formé une dynastie chiite ismaélienne qui
régna, depuis l’Ifriqiya (entre 909 et 969) puis l’Égypte (entre 969 et 1171), sur un empire qui
englobait une grande partie de l’Afrique du Nord, la Sicile et une partie du Moyen-Orient.
11. Ibn Rostom s’est établi à Tiaret et a pris femme chez les Berbères. Quand les Ibadites de
Tripoli s’emparent de Kairouan en 758, il en devient le gouverneur. Chassé de la ville par le
gouverneur d’Égypte en 761, il fonde un royaume ibadite dans le nord du Maghreb avec Tahert
pour capitale. En 776, Ibn Rostom est élu imam par l’ensemble des tribus berbères ibadites,
fondant l’imamat rostémide. Il meurt en 784. Ses successeurs conservent leur indépendance du
califat des Abbassides qui leur cause moult ennuis. Avec l’émergence des Fatimides en 909, les
Rostémides perdirent tout pouvoir et se réfugièrent dans le Mzab et sa région (Ouargla, Sedrata).
12. Cette stratégie d’ouverture est une arme à double tranchant : des hommes célibataires en
provenance de l’Orient, « Arabes » donc, se présentant comme des « saints » étaient accueillis
dans de nombreux groupes matrilinéaires au sein desquels ils prenaient femme(s) et opéraient de
ce fait la conversion de tout le groupe en changeant les règles de la filiation. Les descendants de
cette union deviennent, du coup, des musulmans à ascendance arabe. On renvoie à P. Bonte,
Récits d’origine : contribution à la connaissance du passé ouest-saharien, Mauritanie, Maroc, Sahara
occidental, Algérie, Paris, Karthala, 2016.
13. T. Yacine, « Société et représentations du monde dans les Tiqsidin kabyles », Awal, Cahiers
d’études berbères, 2009-2010, p. 9-21.
14. Les Ibadites ont été de formidables agents de la propagation de leur doctrine et du
développement du commerce avec l’Afrique subsaharienne. Ils auraient joué un rôle déterminant
dans la fondation du royaume du Ghana et du Soudan. Cf. P. Bonte, Récits d’origine…, op. cit.
15. Les Berghouata sont une confédération tribale masmouda qui établit un royaume
indépendant s’étendant sur la région de la Tamesna entre 744 et 1058, sous l’égide de Tarif al-
Matghari. L’État Berghouata, dont Anfa, sa capitale, succombera en 1059 après J.C. à l’attaque des
Almoravides.
16. Certains rétorqueront que selon des historiens du Moyen-Âge l’arabe maghrébin est devenu
dominant au XIIIe siècle. Cette thèse est très discutable, en l’absence de sources fiables pour
l’ensemble des régions de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie. Le cadre de cet article ne permet
44

pas de prolonger la discussion, mais on pourra cependant indiquer que, selon d’autres sources,
des dialectes latins étaient parlés dans des villes comme Mehdia au Moyen-Âge, ou que le Maroc
était très majoritairement amazighophone jusqu’au milieu du XX e siècle.
17. Avant le franchissement du défilé des Portes de fer par l’armée du duc d’Orléans, en 1839, le
royaume des Aït Abbas, qui émergea à la fin du Moyen-Âge pour durer jusqu’en 1871 (de la Basse
Kabylie de Bougie à Constantine, jusqu’à Bou-Saada, Ouargla et parfois jusqu’aux portes de
Tlemcen), constituait un véritable État dans l’État. Militairement et stratégiquement, Alger ne
pouvait pas se passer de l’appui de la dynastie des Aït Muqran (arabisée en Mokrani), connue
aussi sous l’appellation « Seigneurs de la Medjana », gardiens du passage des Portes de fer,
exigeant des Ottomans un péage pour se rendre à Constantine (ou à Alger selon la provenance).
Le rôle du Bachagha El Mokrani a été déterminant en 1871 car il fut à l’origine de l’insurrection.
18. A. Kadri, A. Ghouati, Enseignants et instituteurs en Algérie : les luttes enseignantes dans la
décolonisation, 1945-1965, Rapport de recherche, Institut Maghreb-Europe, Paris 8, Unsa Education,
2006. <hal-01341823>
19. Ibn Khaldoun, Les Prolégomènes (La Muqqadima), Paris, Geuthner, 1996 [1934], volume 1,
Introduction.
20. J.L. l’Africain, Description de l’Afrique, Paris, Maisonneuve, 1981 [1956].
21. P. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique ?, p. 13-14.
22. Cela n’empêchait pas l’existence de langues locales. Mais le russe était la langue commune
parlée et écrite dans tous ces pays et surtout la langue de formation politique et celle de la
révolution par excellence.
23. Il ne s’agit pas d’une similarité en termes absolus mais de positions qui finissent par être les
mêmes malgré les spécificités historiques. L’Istiqlal, par exemple, est loin du projet baathiste, car
ses fondements s’inspirent de la pensée salafiste et du nationalisme d’alors : une langue, un
espace et l’appartenance à la grande oumma musulmane. Après l’indépendance du Maroc (tout
comme de la Tunisie d’ailleurs), l’arabisation est un projet à la fois linguistique mais aussi
politique. Le nationalisme nécessite sa propre légitimité « révolutionnaire » enracinée dans les
cultures nationales et dotée d’une langue moderne, un peu comme l’a fait Bourguiba pour la
Tunisie en faveur de l’arabe moderne et, de fait, contre le berbère. Au Maroc (et même en
Algérie) l’arabisation – dans les années soixante-dix – est venue conforter les systèmes pour
affaiblir les « communistes et autres marxisants » souvent critiques. Pour les systèmes en place,
l’arabisation était une visée politique qui a consisté à re-retradionnaliser la société par le biais de
l’enseignement, comme si arabe et islam allaient de pair. Nombre de partis marocains se situent
dans cette mouvance arabiste avec un islam plus ou moins affirmé selon les conjonctures
politiques tels que les formations dérivées de l’UNFP (Union nationale des forces populaires), de
l’USFP (Union socialiste des forces populaires) et du PADS (Parti de l’avant-garde démocratique
et sociale) ainsi que celles issues des différentes recompositions de la gauche marxiste-léniniste,
comme « 23 mars » qui deviendra l’OADP (Organisation pour l’action démocratique et populaire),
portées par des intellectuels et idéologues comme Mohamed Abed El-Jabiri, Allal El Azhar et El
Yazid El Baraka.
24. A. Mérad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 : essai d’histoire religieuse et sociale,
Paris, La Haye-Mouton, 1967, p. 37.
25. A. El-Khatir, « Nationalisme et langue au Maroc », Awal, Cahiers d’études berbères, 43-44, 2015,
p. 55-73.
26. K. Brown, « The impact of the Dahir berbère in Salé », dans Arabs and Berbers: From tribe to
nation in North Africa, sous la dir. de Ernest Gellner et Charles Micaud, London, Duckworth, 1973,
p. 201-202 ; M. El-Qadery, L’État national et les Berbères, le cas du Maroc : mythe colonial et négation
coloniale, thèse d’histoire, Université de Montpellier, 2007.
27. A. Hadjar a été plusieurs fois ambassadeur d’Algérie dans les pays arabes dont la Libye et
passait, au regard du public algérien et arabe, pour le chantre de l’arabisme.
45

28. P. Bourdieu, ibid., 2001, p. 71.


29. Ibid., p. 71.
30. Dans le Larousse encyclopédie, l’entrée « zouave » indique : « berbère zwava, nom d’une tribu
kabyle » et est défini comme « soldat d’un corps d’infanterie français d’Afrique » ; http://
www.larousse.fr/encyclopedie/divers/zouave/102952.
31. Les événements de 1963 sont également intéressants ; contrairement à la propagande du
pouvoir, il ne s’agit aucunement d’une revendication ethnico-linguistique sécessionniste mais
d’une remise en question du système tel qu’il avait été imposé en 1962. Aït Ahmed, Mohammed
Boudiaf et d’autres ont contesté l’équipe au pouvoir pour imposer la démocratie. Il est vrai que
seul Hocine Aït Ahmed avait continué la lutte en créant un maquis en Kabylie. Arrêté et
condamné à mort par le régime de Ben Bella, il s’évada de prison en 1966. Depuis, toute la région
s’est vue marginalisée et frappée de suspicion.
32. Proposition globalement rejetée par le pouvoir de l’époque mais sur laquelle le président
reviendra plus tard dans l’élaboration de ce qu’il appellera « la concorde civile ».
33. Traduction de l’auteure : « Aux grosses joues, Tamazight ne t’appartient pas ». Implicitement,
cela signifie qui n’appartient pas à ta mère et, partant, renvoie à une insulte grave en évoquant
ainsi la mère qui in fine relève du sacré et donc du tabou de l’inceste.
34. M. Ghaki, « Imazighen : la situation tunisienne », Awal, Cahiers d’études berbères, n° 42-44, 2015,
p. 7-15.
35. Il s’agit de deux documentaires, l’un portant sur la situation linguistique (azul) et l’autre sur
l’architecture amazighe en Tunisie. Cf. le Festival du film amazigh, 31 mai 2015, Paris.

AUTEUR
TASSADIT YACINE
Directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris (France).
Membre du Laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS, du CNRS et du Collège de France et
directrice de la revue Awal, elle est spécialiste de l’anthropologie de la domination (les problèmes
liés à la langue, les relations hommes-femmes).
46

La vulgate historique berbère en


Algérie : savoirs, usages et
projections
Karima Dirèche

« (…) Pour une société, “avoir de l’histoire” (ou


avoir une histoire), c’est entrer par elle-même
dans l’histoire et dans le temps que postule
l’histoire, c’est faire son histoire en se donnant le
maximum d’assurance qu’il faut pour maîtriser le
présent et, à partir de là, concevoir et réaliser un
futur qui soit œuvre de l’Histoire. En ce sens,
l’histoire n’est pas seulement le résultat du travail
particulier d’un groupe d’historiens
professionnels. ». Abdelmalek Sayad, L’Histoire au
service de l’identité, 2002.
1 Depuis l’indépendance en 1962, l’État algérien, en même temps qu’il impose une
définition de la nation en Algérie, a un rôle de prescripteur en matière de récits
historiques et tend à imposer ses normes dans l’enseignement et la recherche. Une
« histoire-mémoire canonique1 » où les interactions entre écriture de l’histoire et
idéologie sont fortes. La politique d’écriture et de l’enseignement de l’histoire s’est
longtemps articulée à des paradigmes nationalistes et arabo-islamiques, ce qui a abouti au
verrouillage idéologique de la discipline historique. Mais l’érosion, à partir du début des
années 90, des récits classiques fondés sur l’arabo-islamisme, le socialisme, le tiers-
mondisme, le nationalisme volontariste et l’héroïsation des anciens laisse émerger
d’autres voix qui avaient été longtemps réduites au silence ou simplement ignorées.
Celles-ci remettent en question le discours monolithique de l’État, aspirent à d’autres
lectures du passé et proposent d’autres inscriptions dans le temps2. Les récits alternatifs
qui s’expriment ainsi remettent en question le dispositif mémoriel et le récit national
dans une contestation qui est avant tout politique et idéologique. L’approche historique
et intellectuelle est étroitement liée au militantisme politique (principalement mené, dès
47

les années 80, par les berbéristes3 et les islamistes) fondé sur l’affirmation d’un groupe qui
se proclame « malmené » par l’histoire officielle4. Réparer un préjudice, corriger les
altérations, dénoncer les falsifications, rendre justice sont souvent les motivations qui
justifient d’autres lectures du passé qui se diffusent bien au-delà des cercles militants.
Ainsi, les savoirs produits par ces récits alternatifs constituent une nouvelle vulgate
performative qui joue sur deux registres : celui de la charge émotionnelle et celui de la
« preuve » historique apportée pour contredire le récit falsifié. Et cette vulgate est
devenue l’expression des légitimités historiques revendiquées dans les luttes politiques.
2 Depuis 1980, date à laquelle la question berbère émerge dans le champ politique algérien5
et devient incontournable dans le débat citoyen et politique, nous assistons à une
production éditoriale intense de travaux historiques rédigés pour l’essentiel par des
berbérophones de Kabylie6. Ces travaux ont participé à produire une vulgate historique
berbère, œuvre de nombreux acteurs impliqués bien souvent dans des jeux politiques et
dans des actions militantes. Ils invitent à nous interroger sur les modalités de la
constitution de cette forme de savoir et l’identification des supports (académiques,
scolaires, médias, littérature, musique, expression des mémoires collectives,
représentations et éléments factuels) sur lesquels elle repose. De ces multiples supports
va se dégager un savoir flou, parfois nébuleux, d’où émergent des dates, des personnages
et des événements marquants. Un savoir souvent intériorisé, souvent moralisé (c’est-à-
dire connoté de valeurs positives ou négatives) avec des critères éthiques, patriotiques,
citoyens assez éloignés du savoir historique dit « scientifique ». Cette histoire alternative
appelle aussi à mieux comprendre les modalités de sa diffusion et de sa réception dans la
société algérienne, tout en constatant qu’elle a réussi à s’imposer en dehors des cadres
classiques de diffusion des savoirs, notamment le système scolaire et universitaire
national où la conception de l’histoire nationale qui prévalait, jusqu’à il y a très peu de
temps, ne laissait à la dimension berbère de la société qu’une toute petite place. Identifier
les acteurs, producteurs de cette vulgate, suppose une enquête malaisée car elle ne se
limite pas seulement à un travail de recension, de lecture et de documentation. L’enquête
plonge dans l’histoire politique algérienne depuis 1962 et dans l’histoire de ses élites liées
aux grands mouvements contestataires. Il est indubitable que la vulgate berbère est
étroitement liée au mouvement de reconnaissance identitaire et portée par des
intellectuels/militants kabyles formés (pour la première génération) en France dans les
années 60 et 70. Héritiers de l’Académie berbère7 et du Groupe d’études berbères de
l’Université Paris VIII de Vincennes8, ils participeront très activement à la création du
Mouvement culturel berbère (MCB) qui constituera l’élite intellectuelle puis politique de
la Kabylie de ces trente dernières années. On les retrouvera dans les partis politiques à
fort ancrage électoral kabyle, tels que le Front des forces socialistes (FFS) constitué en
1963 ou le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) créé en 1989. Certains de
ses membres ont contribué à la création de la première Ligue des droits de l’homme et au
mouvement des enfants de shahîd (martyrs de la révolution algérienne). C’est le MCB qui
se chargera, pour la première fois dans les années 80, de la formulation globale de la
question culturelle et linguistique. S’il évoluera par la suite progressivement en une vaste
nébuleuse rassemblant des sensibilités politiques différentes, traversées par d’importants
clivages, il n’en demeure pas moins une remarquable plateforme qui impulsera de
multiples expressions et productions politiques, identitaires et scientifiques à la fois. Le
début des années 80 voit la publication de très nombreux ouvrages9 : des ouvrages
académiques et d’érudition (ouvrages universitaires, encyclopédies, travaux de
48

recherche…) et des ouvrages d’amateurs (témoignages, monographies, histoires locales…


).
3 De ce corpus nous avons dégagé plusieurs catégories de production à partir desquelles
nous étayerons notre analyse et développerons nos interrogations.
4 – Le catalogue ou l’inventaire : ces ouvrages ont pour but de répertorier les acteurs
historiques, les lieux de mémoire, les histoires locales, les événements fondateurs, les
dates anniversaires et les chronologies : un ensemble de points d’ancrage permettant de
réactiver la mémoire collective ou dans un but de légitimation. Publiés par des maisons
d’édition renommées aussi bien que sous la forme d’une autoédition, ils peuvent prendre
la forme d’épais volumes ou bien de minces brochures avec pour auteurs des
universitaires spécialistes aussi bien que des historiens amateurs qui publient à compte
d’auteur.
5 – La production universitaire : visible principalement dans les institutions françaises 10, on la
voit émerger, à la fin des années 70, dans une génération d’intellectuels kabyles qui
constitueront dans les années 80 et 90 l’essentiel des effectifs du MCB, Il s’agit donc
principalement de mémoires universitaires (DEA puis masters, thèses de troisième cycle
et de doctorat) et de travaux spécialisés qui impulsent une dynamique de recherche en
linguistique et en histoire.
6 – La littérature grise : tracts d’associations, opuscules ronéotypés, manuscrits anonymes qui
développent la thématique de l’oppression, de l’occultation, de la violence de l’État
algérien contre les sociétés berbères, ils s’inscrivent tous dans une lecture du passé sous-
tendue par une volonté de demander réparation, de régler des comptes.
7 – Les sites Web berbères11, nombreux sur la toile et les télévisions et radios berbères,
développent une réflexion historique axée sur la berbérité du Maghreb.

L’obsession de l’histoire
8 Le point commun de ces travaux réside dans une approche défensive de la dimension
berbère en Algérie et plus généralement au Maghreb. Cette production est destinée à
manifester l’avènement d’une identité berbère, à construire un contre-récit national qui
demeure, cependant, aveugle aux interactions (notamment avec les milieux arabes et
citadins et avec le pouvoir central) qui ont pu participer à la construction de cette
identité. La victimisation et le dolorisme historique sont mis en œuvre, dans le récit,
comme des moyens pour placer le lecteur à la fois en empathie et en dette à l’égard des
« oubliés de l’histoire ».
9 Il faut rappeler que, jusqu’en 1980, la production historique et historiographique
concernant le domaine des études berbères était très limitée. Ce sont surtout des manuels
de langue, des monographies (d’histoire locale), des chroniques, des traités
ethnographiques ou de littérature orale qui mobilisent l’énergie et l’attention des
auteurs. La conscience identitaire et historique, présente, n’était pas pour autant
explicitée et formalisée. La confrontation des Kabyles avec l’autoritarisme de l’État
algérien, lors des événements de 1980 puis à plusieurs reprises par la suite12, pose
publiquement des questionnements identitaires et historiques qui mettent en cause des
versions officielles et nationalistes. L’histoire devient ainsi la discipline en sciences
sociales, sans cesse sollicitée comme la science du passé13, que l’on interroge
frénétiquement pour apporter des réponses à un présent dramatique et dramatisé.
49

10 L’histoire sort de l’univers des spécialistes, de l’Académie, pour devenir, en situation de


crise, l’affaire de tout un chacun. Elle est parfois prise en otage et sert, dans certains cas,
d’alibi, mais elle est, à chaque fois, au cœur d’un combat identitaire qui secoue la société
algérienne bien au-delà des limites de la Kabylie.
11 Cette question est rendue plus difficile par la politisation de tout ce qui se rapporte à la
question berbère en Algérie. Cette hyper-politisation empêche d’aborder une prise en
compte critique – sinon une réflexion – des productions de connaissance internes aux
sociétés berbérophones. L’idéologisation et la sensibilité du terrain altèrent presque
naturellement les interrogations et les analyses sur ce savoir situé14 en temps de crise. Et
cette altération est d’autant plus grande que les interactions entre les enjeux politiques
de la production de ce savoir et la demande sociale contemporaine sont fortes et
complexes. La question de la berbérité étant elle-même instrumentalisée par les forces
sociales en mouvement15 qui traversent la société berbère et qui s’approprient l’histoire
et la mémoire collective comme enjeux politiques.
12 Depuis 1980, l’obsession de réintégrer l’historicité du Maghreb et de faire reconnaître des
acteurs historiques absents ou écartés de l’historiographie nationale habite une nouvelle
génération de producteurs de récits historiques. Historiens, archéologues ou
préhistoriens mais aussi linguistes, anthropologues, amateurs d’histoire contestent, au
nom d’un passé berbère oublié et/ou discrédité, le formatage d’une histoire nationale
considérée comme monolithique et réductrice. Cette mémoire berbère produit de
nouvelles narrations historiques qui puisent, dans un passé anté-islamique lointain, des
traits d’authenticité des Berbères présentés comme les autochtones légitimes du nord de
l’Afrique, par opposition aux Arabes, considérés comme des envahisseurs. On assiste là à
un phénomène de construction/invention historique de soi accompagné d’un dispositif
de normes cognitives et d’un contenu de connaissances destinés à s’opposer à une
histoire nationale monopolisée par l’arabo-islamisme politique contemporain. Les
Berbères d’Algérie deviennent eux-mêmes producteurs d’histoire et se lancent dans des
entreprises de fabrication du passé. Cette nouvelle façon d’écrire l’histoire souligne le
besoin fixe d’exister dans les processus historiques qui ont marqué l’espace maghrébin. Et
elle se cristallise dans les affirmations identitaires (langue, action politique et militante)
mais également dans les réappropriations symboliques (état civil, écriture, lieux de
mémoire…). Ces actions produisent un « héritage volontariste » autour d’un récit
commun consensuel (en matière d’histoire du patrimoine berbère) où se mêlent sans se
différencier l’identité, l’histoire et les mémoires.

Mythes, généalogies et histoires politiques


13 Cette production historiographique s’inscrit directement en réaction aux interprétations
anciennes de l’histoire des Berbères. L’écriture de l’histoire des Berbères a longtemps été
rédigée par les observateurs extérieurs. Les auteurs grecs comme Hérodote (Ve siècle av.
J.C.) et Plutarque (Ier siècle ap. J.C.) ou romains comme Salluste (I er siècle av. J.C.),
évoquent des peuples primitifs qui vivaient de la chasse et de la cueillette et dont l’origine
est légendaire (descendants des Troyens, d’Hercule, des Mèdes…).
14 Les historiens de langue arabe, lorsqu’ils se sont penchés sur l’histoire de l’Afrique du
Nord, ont interprété l’histoire ancienne des Berbères sur le modèle généalogique
classique et ont ramené à un ancêtre commun, à un lignage d’origine, l’histoire des tribus
50

berbères. Ils localisent l’origine commune des tribus berbères dans le sud de la péninsule
arabique (Yémen) ou bien lui confèrent une filiation maraboutique (ahl al-sharîf,
descendants du Prophète), la période pré-arabe et pré-islamique du nord de l’Afrique
étant systématiquement ignorée16. La façon dont cette historiographie présente la
question de l’origine des Berbères a longtemps prédominé, qu’elle y voie des descendants
de Cham, fils de Noé, nés au Maghreb17 ou bien des Palestiniens qui auraient été chassés
au Maghreb après la mort de leur roi Jalut, lui-même originaire de la tribu arabe de
Mudar18 ; ou bien encore des tribus originaires de la péninsule sud-arabique, du Yémen19.
L’Histoire des Berbères de Ibn Khaldun 20 demeure, encore aujourd’hui, la référence
essentielle. Même les historiens français de l’époque coloniale s’y sont référés. La
production historiographique française de la période coloniale sur les Berbères rejoint les
idées communes (que les auteurs anciens développaient déjà) d’un peuple passif face à
l’histoire, peu développé, attardé, intégrant les civilisations des autres car incapable de
progresser par lui-même. E.F Gauthier parlait de « traînards maghrébins21 », et G. Marçais
écrivait que « l’histoire de la Berbérie au Moyen-Âge n’excitera jamais chez le lecteur
français l’intérêt qu’il trouve en celle des pays européens22 ». Il faudra attendre l’ouvrage
du préhistorien Gabriel Camps, publié en 1980, Berbères, aux marges de l’Histoire 23, qui
s’appuie sur les données les plus récentes de la préhistoire, de l’anthropologie et de la
linguistique pour obtenir un questionnement scientifique rigoureux sur l’origine des
peuples berbères d’Afrique du Nord jusqu’à la période médiévale.
15 D’une histoire légendaire, généalogique puis anthropologique, les Berbères d’Algérie
deviennent l’objet, dans les années 70, d’une histoire politique. En effet, quand ce n’est
pas l’histoire des États numides de l’Antiquité ou les dynasties berbères du Moyen-Âge,
c’est la longue histoire des insurrections face aux différentes conquêtes qui ont marqué
l’espace maghrébin jusqu’à celles de la révolution algérienne de la libération nationale
qui est mise à l’honneur par cette littérature et s’attache à montrer l’importance des
Berbères comme acteurs historiques et politiques de l’indépendance. Cette lecture de
l’histoire mérite une analyse dialectique afin de montrer les difficultés (sinon le
conditionnement des auteurs) à se détacher des schémas officiels qui ont marqué la
pensée historique algérienne.

Icônes de l’histoire et traitement historiographique


16 Cette recherche de légitimité historique se cristallise sur la thématique de la résistance
berbère et met à l’honneur (tout en empruntant largement à l’historiographie coloniale
sur la question) les personnalités berbères hors du commun d’avant la conquête arabe.
Massinissa est présenté comme un despote éclairé (mais jamais comme celui qui a imposé
le punique et non le berbère comme langue officielle de son administration), tandis que
Jugurtha et Tacfarinas le sont comme des hommes politiques habiles et des guerriers
rebelles qui auraient donné du fil à retordre aux autorités romaines. Ces personnages
sont les symboles désormais classiques de la tradition de la résistance berbère et du refus
de l’allégeance au pouvoir central. D’autres noms illustres comme Septime Sévère, Saint-
Augustin et Apulée ne sont abordés que comme des modèles berbères d’intégration
réussie à l’Empire romain.
17 Le traitement historiographique du roi numide Jugurtha (dont le nom a, par ailleurs, été
attribué, dans les années 80, à des générations de petits garçons kabyles sous le dérivé
Yughurten) a alimenté les mythes autour de sa personne. La relecture nationaliste et
51

révolutionnaire de Jugurtha en a fait un héros national au même titre, d’ailleurs, que


l’émir ‘Abd-el-Kader. Sans doute un des rares rois numides à être passé à la postérité mais
qui, paradoxalement, est aussi un des moins connus sur le plan historique24. Cette
héroïsation des personnalités historiques anciennes s’inscrit par ailleurs dans la vision
romantique du résistant d’Afrique du nord25que les Bureaux arabes, avec la conquête de
l’Algérie, ont largement contribué à imposer dans l’historiographie coloniale. Les auteurs
coloniaux26 sont très souvent une source d’inspiration, et leurs savoirs sont réactivés
souvent à travers le prisme de la singularité des Berbères.
18 La figure de Saint-Augustin tient une place à part dans cette galerie de héros berbères.
L’appropriation de la figure de Saint-Augustin s’effectue d’ailleurs dans les deux sens : par
les Berbères, qui y voient la synthèse parfaite de l’honnête homme : Africain, théologien,
mystique, écrivain, docteur de l’Église, et par l’État algérien, qui y a vu l’occasion de
réconcilier l’Algérie avec une histoire ancienne quelque peu oubliée dans les manuels
scolaires27. La berbérité ainsi récupérée de Saint-Augustin faisait dire, par ailleurs, au
préhistorien et historien, Serge Lancel :
« “Berbère”, c’est-à-dire de sang “indigène” pour l’essentiel, Augustin avait,
statistiquement, de fortes chances de l’être, comme la très grande majorité des
Romano-Africains de son temps. Passer de cette forte probabilité statistique à
l’affirmation d’un statut individuel relève de la fiction romanesque et tendrait à
créditer l’évêque d’Hippone d’un parti pris d’africanité nationaliste ou régionaliste
dont il a toujours été très éloigné28. »
19 Le traitement de certaines figures historiques féminines d’avant la colonisation s’inscrit
également dans la tradition de résistance dévolue désormais à tous les personnages
labélisés « panthéon berbère ». Ainsi la Kahina29, reine de la tribu des Djerawa (tribu
zénète) et d’autres tribus berbères des Aurès (entre 685 à 704 ou 705 ?), chrétienne selon
Gabriel Camps30 ou juive selon Ibn Khaldûn, est décrite comme une femme indomptable
qui n’a pas hésité à pratiquer la politique de la terre brûlée contre les Arabes quitte à
s’attirer la haine des siens. La tradition s’est emparée d’elle et rapporte sa résistance
intransigeante31. Sa fin tragique (capturée, décapitée et sa tête remise au calife omeyyade)
en a fait définitivement une héroïne32 et l’a fait entrer dans la légende et dans la fiction
romanesque33. Lalla Fadhma n’Soumer (1830-1863) est une autre figure de la résistance au
féminin. Fille d’un chef de la confrérie de la Rahmaniyya de la Haute Kabylie, elle est
célèbre pour avoir mené la résistance armée, durant huit ans, contre le maréchal Randon.
Figure précoce de l’émancipation féminine (la tradition rapporte qu’elle aurait refusé un
mariage imposé afin de se consacrer à l’étude religieuse34), son nom est dédié, dans les
années soixante-dix et quatre-vingt, à plusieurs établissement publics (hôpitaux, lycées…
), et son personnage fait l’objet d’une considération déférente. Capturée par l’armée de
conquête, elle meurt, à 33 ans, inconsolable de la disparition de son frère tué par les
Français. Elle est devenue une icône kabyle, un idéal-type féminin utilisé souvent comme
porte-drapeau d’associations féministes algériennes qui luttent pour l’abrogation du code
de la famille institué en 1984, qu’elles estiment rétrograde.
20 Ces personnages, maintenus dans la légende, participent à l’exacerbation de la tradition
de résistance et à la série de conflits guerriers rattachée à la conquête arabe. Dans cette
volonté d’arrimer la berbérité à une histoire ancienne, pré-islamique et africaine, ces
productions mettent en valeur une galerie de portraits volontiers hagiographiques de
l’Antiquité et des héros de la résistance à la conquête arabe. Le traitement biographique
historique n’a rien de scientifique et semble répondre à une demande d’un public qui
semble s’en satisfaire. Et la mise en scène d’un être historique berbère participe bien
52

plutôt d’une scénographie de la mémoire. Ainsi, certains auteurs n’hésitent pas à


présenter cet être berbère comme partie prenante d’anciennes civilisations prestigieuses
comme celle de l’Egypte ancienne.
« En 945 av. J.C., un membre de la tribu Mashawash, à Bubastis, devint pharaon sous
le nom de Sheshonq 1er, fondant la première dynastie berbère d’Égypte. Sheshonq
avait vaincu les armées égyptiennes et avait même envahi la Palestine. (…) Des
fresques du mur nord du temple d’Amon à Karnak célèbrent cette éclatante victoire
du souverain berbère qui compte parmi les pages les plus prestigieuses de l’histoire
de l’Égypte35. »
21 L’auteur de ces lignes est un universitaire, linguiste reconnu, auteur de nombreux
ouvrages sur la langue et la civilisation berbères. Mais les méthodes de la biographie
historique sont secondaires dans son approche qui est, avant tout, celle d’un affichage
d’acteurs historiques prestigieux considérés comme Berbères avant tout. Et peu importe
si les libertés historiques prises (pour des temps si anciens) et la médiocrité du traitement
biographique mettent mal à l’aise et décrédibilisent quelque peu la démarche. Werner
Vycichl, un des grands noms de la linguistique afro-asiatique, spécialiste renommé du
berbère et de l’égyptien, interprétait ainsi l’assimilation entre Libyens antiques et
Berbères d’aujourd’hui :
« (…) Par d’heureuses coïncidences, le nom des Libyens36 ou de la Libye se trouve
inscrit dans les documents les plus anciens de l’histoire égyptienne à une époque où
l’écriture du même nom arrivait juste à exprimer quelques noms propres sans texte
suivi. Ceci se passait vers 3 000 ans av. J.C., peut-être même avant cette date, et les
Libyens c’est-à-dire les Imazighen d’aujourd’hui possèdent donc une histoire vieille
de 5 000 ans37. »
22 Pour répondre à ce désir de remonter le temps jusqu’aux origines les plus anciennes, les
ouvrages de spécialistes sur la préhistoire et la protohistoire du nord de l’Afrique se font
de plus en plus nombreux. Leurs titres sont particulièrement évocateurs, qu’il s’agisse de
la thèse d’habilitation de Slimane Hachi, L’Homme de Mechta-Oufalou, le Cro-Magnon
d’Afrique du Nord, durant les vingt derniers millénaires : évolution culturelle et devenir, soutenue
en 199938 ou des ouvrages de Malika Hachid, Le Tassili des Ajjers : aux sources de l’Afrique, 50
siècles avant les pyramides39, ou Les Premiers Berbères : entre Méditerranée, Tassili et Nil 40,
publiés en 2000. Ce dernier livre aborde la question des premiers hommes au Sahara dans
les tout derniers millénaires de l’époque préhistorique en les assimilant aux Berbères
d’aujourd’hui. L’auteur41 parle même, dans son introduction, d’un travail de mémoire :
« (…) Dans un monde où les marchés règnent en maîtres, on oublie que la vraie
richesse d’une nation se mesure à celle de son niveau de savoir, et ce savoir passe
par sa mémoire. »
23 Les ouvrages en protohistoire tentent notamment de faire le point sur l’origine
géographique des premiers Berbères de l’Afrique du Nord à l’aube de l’histoire42 jusqu’à la
veille de l’islam. Ils établissent l’ancienneté de l’autochtonité africaine du peuplement et
de la civilisation proto-berbère puis paléo-berbère en confrontant l’ensemble des sources
disponibles : documents archéologiques (arts rupestres, monuments et mobilier
funéraires) et historiques (chroniques pharaoniques, textes des auteurs gréco-latins…). Ils
apportent également une perspective novatrice sur l’histoire des Berbères/populations
anciennes de l’Afrique du Nord par une réhabilitation de leurs apports civilisationnels, de
la Méditerranée au Sahara.
24 Ces ouvrages, dont on ne peut remettre en question ni le sérieux ni la rigueur
scientifique, participent pleinement à ces tentatives de réécriture de l’histoire en Algérie.
53

Ils viennent notamment combler les vides des périodes historiques (particulièrement
l’Antiquité et le Haut Moyen-Âge) qui caractérisent aussi bien l’historiographie
européenne de l’Afrique du Nord antique que l’histoire nationale post-indépendante.

La berbérité contre l’arabité : le combat de deux


mythes ou l’obsession des origines
25 Imposer et questionner l’identité berbère contemporaine, tel est le défi lancé par les
nouvelles écritures historiennes et qui parcourt cette vulgate. Car cette identité ne se
résume pas simplement à assumer une histoire très longue et un métissage parfois
difficile. C’est surtout adopter un discours historique de l’identité algérienne que l’on
présente comme étant le plus œcuménique et qui prétend renouer le dialogue avec toutes
les composantes de la société algérienne, quelles que soient leurs pratiques linguistiques
et leurs orientations/projections politiques. Mais même si ce discours apparaît comme
étant le plus proche de la réalité historique sur le plan chronologique (les populations
berbères étant présentes dans le nord de l’Afrique avant l’arrivée des Arabes), il est,
encore aujourd’hui, considéré sensible de présenter la civilisation arabe comme une
forme de colonisation et d’occupation qui aurait imposé à toute l’Algérie, par la violence
et la force, un modèle culturel et linguistique globalisant.
« La Berbérie devient musulmane en moins de deux siècles (VII e-VIIIe siècles) alors
qu’elle n’est pas encore aujourd’hui entièrement arabisée, treize siècles après la
première conquête arabe. (…) C’est une étrange et à vrai dire assez merveilleuse
histoire que la transformation ethno-sociologique d’une population de plusieurs
millions de Berbères par quelques dizaines de milliers de bédouins. On ne saurait,
en effet, exagérer l’importance numérique des Beni-Hillal ; quel que soit le nombre
de ceux qui se croient leurs descendants, ils étaient, au moment de leur apparition
en Ifriqiya et au Maghreb, tout au plus quelques dizaines de milliers. Les apports
successifs (…) ne portèrent pas à plus de 100 000 les individus de sang arabe qui
pénétrèrent en Afrique du nord au XIe siècle. Les Vandales, lorsqu’ils franchirent le
détroit de Gibraltar pour débarquer sur les côtes d’Afrique, en mai 429, étaient au
nombre de 80 000 (peut-être le double si les chiffres donnés par Victor de Vita ne
concernent que les hommes et les enfants de sexe mâle). C’est dire que l’importance
numérique des deux invasions est sensiblement équivalente. Or que reste-t-il de
l’emprise vandale en Afrique, deux siècles plus tard ? Rien. La conquête byzantine a
gommé purement et simplement la présence vandale, dont on rechercherait en
vain les descendants ou ceux qui prétendraient en descendre 43. »
26 Et présenter la culture berbère comme la culture originelle et authentique (« la culture de
nos ancêtres ») laisserait supposer pour tous ceux qui se réclament d’une généalogie
arabe qu’ils doivent, désormais, assumer des ascendances altérées, sinon inauthentiques,
voire mensongères. Les ascendances, ainsi présentées, ne relèvent plus d’un simple
principe généalogique mais d’un principe d’affirmation identitaire et de légitimation. Des
travaux historiques universitaires44 ont pourtant bien analysé, notamment pour les
siècles qui ont vu l’accession des dynasties berbères au pouvoir politique, la manière dont
elles se sont dotées de filiations prestigieuses arabo-islamiques. Comme les Zirides, au X e
siècle, qui se réclament d’une généalogie yéménite ou les Muwahhidun ou les Banu
Zayyanqui qui se rattachent directement à la filiation du prophète Muhammad. La
parfaite intégration des élites berbères du Nord au modèle politique et culturel arabo-
islamique n’est pas une nouveauté en soi dans l’histoire de l’Afrique du Nord. Elle s’est
instituée, de la même manière et avec des modalités semblables, aux temps des
54

dominations punique, romaine et byzantine. La romanisation du nord de l’Afrique révèle


bien la complexité à la fois de la conquête romaine et du processus d’acculturation qui l’a
accompagnée45. L’intégration à l’armée romaine, l’utilisation de la langue latine,
l’adhésion aux cultes religieux romains se sont réalisées dans un jeu subtil et interactif de
stratégies de contournement et/ou de volonté d’adhésion entre deux parties.
27 De même, l’historiographie a montré le rôle déterminant des dynasties almoravide et
almohade dans l’islamisation et l’arabisation des tribus berbères et dans la diffusion de
l’islam sur toute la Méditerranée. « Empire des deux rives46 » (Al Andalûs et Maghreb) qui
a confirmé la greffe de l’islam en Afrique du Nord. Si le discours d’Etat 47 sur les origines
de l’identité nationale ne laisse que très peu de place pour s’exprimer aux langues et aux
traditions culturelles berbères48, l’analyse du discours berbériste (dans sa dimension
politique et militante) sur l’identité permet, quant à lui de comprendre le postulat de
deux communautés qui s’affrontent49 :
• une communauté berbère arabophone, produit d’un métissage dont elle n’a plus le souvenir
et qui se sent peu concernée par les remises en cause identitaires ; car l’identification
nationale et nationaliste a monopolisé l’affirmation de soi ;
• une communauté berbérophone mobilisée dans un engagement d’affirmation linguistique et
culturelle et en situation de minorité opprimée.
28 Bien que cette dualisation de la mémoire (l’une s’accrochant à la nation présentée comme
arabe, l’autre tentant de sortir du prisme national arabiste) soit problématique (car les
communautés sont loin d’être cloisonnées et antagonistes), les deux discours présentent,
cependant, une convergence idéologique : la sacralisation de la langue. La langue arabe
qui tire sa sacralité du texte révélé et la langue berbère de l’idéalisation d’un retour aux
sources50. Une langue idéalisée et idéale qui devient ainsi le pôle passionnel de cristallisation
des revendications identitaires et qui alimente, dans les deux cas, des dérives radicales. Il
est à noter l’abondante production en matière de travaux linguistiques depuis plus de
trente ans51. Ces derniers constituent plus des deux tiers des travaux dans le champ des
études berbères. La langue devient quasiment l’unique référent quand toutes les autres
spécificités se sont diluées dans la multiplicité et les aléas des rencontres arabo-berbères 52.
La langue, survivante d’un métissage perçu alors comme source d’inégalités, mobilise
aujourd’hui toutes les forces vives et surtout prend sa revanche contre le mépris et les
marginalisations progressives opérées par la politique d’arabisation53. L’attachement
exacerbé à la langue devient ainsi progressivement le critère exclusif de reconnaissance
des autres communautés berbères et le pôle des crispations identitaires. D’ailleurs, dès les
premiers travaux des précurseurs de la valorisation de la culture berbère (Said Boulifa,
Mouloud Mammeri)54, la langue est posée comme fondement d’identité, et elle deviendra
progressivement la référence quasi exclusive de la berbérité.

Une langue commune ? Une histoire commune ? Un


peuple unique ?
29 Que retenir de tout cela ? Que peut-on penser de la réappropriation par les sociétés de la
dimension berbère du Maghreb ? Que peut-on penser de cette reconstitution d’un monde
berbère qui dépasserait les avatars historiques et la diversité linguistique ? Salem Chaker
a déjà posé les bases de ces interrogations et de la réflexion sur la « vision unitaire »
première d’un monde berbère55. Il interroge la pertinence d’une langue berbère première
55

comme réalité socio-linguistique qui aurait été partagée par le plus grand nombre dans
des temps très anciens. Et il interroge surtout la connexion fondamentale et
problématique d’une langue unique à celle d’une communauté originelle. La question du
volontarisme linguistique (qui consiste à souligner tous les éléments d’unité des bases
structurales et lexicales du berbère) débouche sur l’identification d’une entité
démographique historique d’un peuple et donc aujourd’hui d’une réalité socio-politique
dont il faut assurer juridiquement la légitimité identitaire. En reconstituant les étapes de
la construction de l’objet « langue berbère » par les linguistes56, Salem Chaker a montré
comment les élites kabyles ont popularisé et diffusé la thèse de l’unité de la langue
berbère ; diffusion accompagnée après les indépendances de tout un mouvement
revendicatif de défense de la langue et de la culture. La corrélation langue/culture
largement investie, au XIXe siècle, dans les nationalismes en Europe centrale 57 a montré
comment un imaginaire « national » se nourrissait d’une langue retrouvée, d’un passé
reconstruit et souvent mythifié et d’un attachement au sol et aux ancêtres58. Une
recherche passionnelle d’identité où historiens, linguistes, philologues, grammairiens,
réunis par une volonté très forte d’unification, ont travaillé de concert, sur des
thématiques montrant les origines communes et les spécificités de tel ou tel peuple.
L’histoire et la linguistique apparaissent comme les deux disciplines de base pour
produire et légitimer les connaissances. Dans ce travail de reconstruction du passé, de
réaménagement de la langue et de traditions inventées, E. Hobsbawn soulignait le
caractère essentiel de l’engagement des historiens :
« (…) Tous les historiens, quels que soient leurs objectifs, sont aussi engagés dans ce
processus dès lors qu’ils contribuent, consciemment ou non, à la création, au
démantèlement et à la reconstruction d’images du passé qui n’appartiennent pas
seulement à l’univers de l’investigation spécialisée mais aussi à la sphère publique
de l’homme en tant qu’être politique59. »
30 La redécouverte et l’étude de la langue berbère60 n’échappent à aucun de ces paradigmes
et s’inscrivent dans l’invention des traditions et des communautés élargies et unies par
des éléments symboliques (histoire, langue, héros, paysages…) telles qu’Hobsbawn les a
décrites61. Elles ont permis de ressusciter une « âme nationale » et de développer un
historicisme aigu qui consiste à retrouver les racines perdues, à récupérer des mythes
fondateurs, à glorifier les traditions et le culte des ancêtres et à exacerber les
particularismes locaux.
31 Dans le développement de la philologie et de la recherche de standardisation de la langue
berbère62, Salem Chaker souligne le hiatus (ou le dilemme ?) entre ce qu’il appelle « la
fiction du tamazight et la réalité des variétés régionales63 ». Une recherche frénétique de la
langue-mère au point de l’imposer à une réalité linguistique objective du terrain, à savoir
celle des dialectes qui correspondent à des espaces régionaux divers de l’ensemble des
pays du Maghreb. Il souligne surtout le relativisme des concepts et des « certitudes »
scientifiques inscrits dans des enjeux du contexte politique et social. Ce dernier
détermine le discours scientifique qui ne le met pas « à l’abri de l’idéologie ni de la
relativité socio-historique64 ». Cette détermination identitaire construit, aujourd’hui,
toutes les représentations des Berbères sur leur histoire et sur l’usage de leur(s) langue(s).
32 La vulgate historique berbère répond à la demande considérable mais aussi confuse d’une
société en mal d’histoire, coincée dans les définitions étroites des identités nationales. Le
savoir historique abondant, composite et dispersé tel qu’il est dilué dans une quantité de
produits historiques (ouvrages académiques et amateurs, bandes dessinées, livres pour
56

enfants, sites Web, émissions audiovisuelles, articles de presse…) est proposé, sur le
marché, dans une remise en question d’une histoire algérienne amputée de sa
composante berbère. C’est donc un savoir simplificateur, souvent réducteur qui s’offre au
plus grand nombre. Son accessibilité a son revers sélectif ; il fige les dynamiques
historiques et sociétales dans des paradigmes bien éloignés de ce que devrait être une
histoire nationale indépendante, exigeante, érudite et représentative des recherches
scientifiques et de leurs débats. C’est une affirmation nationale postulant une unité
berbère perdue ou atomisée entre une majorité amnésique et une minorité dépositaire de
la langue (vestige ultime de cet héritage) qui est ainsi décrite. La berbérité est ainsi posée
comme le véritable socle national, quitte à faire coexister de manière confuse les mythes
et l’histoire. Ainsi les récits mêlent et emmêlent des éléments narratifs puisés dans le
nationalisme algérien contemporain, les affirmations mémorielles et les revendications
militantes pour apporter une réponse (plus ou moins adaptée) au « besoin d’histoire ».
33 L’idée d’une Algérie (et plus généralement d’un Maghreb) exclusivement arabe appartient
bien définitivement au passé, et les printemps dits « arabes » qui ont secoué brutalement
le socle des régimes autoritaires du nord de l’Afrique ont fait tourner une page historique
où les référentiels nationalistes et arabistes sont réinterrogés à l’aune d’une vision
plurielle des sociétés maghrébines. De la Libye au Maroc, le Maghreb se redécouvre
berbère, et les mouvements de contestation amazighs revendiquent l’héritage historique
de la berbérité oubliée ou malmenée par les régimes politiques déchus ou contestés.
Aujourd’hui, l’heure est à la réflexion de toutes ces formes de recours de l’histoire et des
fonctions qui lui sont assignées dans ce contexte d’urgence du temps présent où des
acteurs multiples réélaborent le passé.

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NOTES
1. Formule empruntée à Claude Liauzu lorsqu’il parle de l’histoire nationale française. Cf. C.
Liauzu, Dictionnaire de la colonisation française, Paris, Larousse, 2007.
2. Les différents textes constitutionnels (1963, 1976, 1989, 1996, 2008) abordent tous l’arabité et
l’islamité comme les composantes principales de l’identité algérienne : « Le peuple algérien est
un peuple arabo-musulman. En effet, à partir du VIIIe siècle, l’islamisation et l’arabisation ont
donné au pays le visage qu’il a sauvegardé jusqu’à présent » (Charte d’Alger, ensemble de textes
adoptés par le 1er congrès du Front de libération nationale (FLN), avril 1964).
3. Par « berbéristes », nous entendons les Algériens qui revendiquent une identité berbère et
engagés dans l’action militante autour de la reconnaissance politique de la langue et de la culture
berbères.
4. Berbéristes, islamistes, communistes, féministes…
5. Elle apparaît sous le nom de Tafsut Imazighen (Printemps berbère). C’est le premier mouvement
de contestation sociale et politique de grande ampleur qui secoue l’Algérie depuis son
indépendance en 1962.
6. La Kabylie est, pour des raisons historiques, une région de « contre-pouvoir » qui depuis 1962
multiplie les contestations politiques et les revendications identitaires. Le Printemps berbère de
1980 est également présenté comme le Printemps des études berbères. La berbérité passe,
principalement, par l’identifiant de la langue, de sa maîtrise et de sa défense. Voir A. Guenoun,
Chronologie du mouvement berbère, 1945-1990 : un combat et des hommes, Alger, Casbah Editions, 1999.
7. L’Académie berbère était une association fondée à Paris en 1966 par quelques intellectuels et
artistes (Taos Amrouche, Abdalkader Rahmani, Mohand Arab Bessaoud, Hamid Hamici…).
L’objectif était de sensibiliser à la lutte pour l’affirmation des minorités berbères du Maghreb.
Elle fut à l’origine de la récupération de l’alphabet tifinagh (écriture vieille de plusieurs
millénaires qui demeurait en usage dans la société touarègue) comme système d’écriture des
Berbères du nord de l’Afrique et publia la revue Imazighen. Elle fut dissoute en 1978 sous les
pressions du gouvernement algérien d’alors.
59

8. Le Groupe d’études berbères de l’université de Paris VIII de Vincennes, fondé en 1973,


représentait le courant que Salem Chaker a appelé « berbéro-universitaire ». Cf. S. Chaker,
Berbères aujourd’hui, Paris, l’Harmattan, 1989.
9. Ce recensement a été rendu possible grâce au remarquable travail de Claude Brenier-Estrine
qui a dressé l’inventaire de tous les ouvrages parus sur le monde berbère entre 1990 et 2002 pour
ses « bibliographies berbères annotées » publiées dans L’Annuaire de l’Afrique du Nord. J’ai moi-
même poursuivi ce travail de recension après son départ en retraite en 2003.
10. Jusqu’au début des années 2000, la très grande majorité des productions universitaires a été
produite dans le cadre des universités françaises. Ce n’est qu’avec l’ouverture, à la fin des années
90, des départements de langue et de culture amazighes de Tizi-Ouzou et de Bejaïa que des
mémoires (d’abord de magisters) puis des masters et quelques doctorats ont été soutenus
localement.
11. www.mondeberbere.com ; www.amazighworld.org ; www.tamazgha.fr ; www.berberes.com ;
www.bgayet.net…
12. Une série d’événements agiteront la Kabylie dans son ensemble : la « grève du cartable » qui
paralysera la région en 1994 et 1995 ; les émeutes violentes de 1998, suite à l’assassinat de Matoub
Lounes, chanteur kabyle très populaire, fer de lance de la chanson militante ; le Printemps noir ;
et le « Mouvement citoyen des villages, communes, daira et archs » plus connu sous le nom de
mouvement des a’arouchs (tribus) en 2001.
13. B. Lepetit, Le Présent de l’histoire : les formes de l’expérience, Paris, Albin Michel, 1995.
14. En termes de savoir situé, j’entends une production de connaissances révélatrice des enjeux et
des débats de son temps.
15. Les partis politiques berbères comme le FFS et le RCD, le Mouvement citoyen des villages,
communes, daira et archs et le Mouvement autonomiste de la Kabylie (MAK) sont présents sur la
scène politique kabyle.
16. Dans sa Description de l’Afrique et de l’Espagne, Al-Idrissî souligne l’origine arabe (Palestine) des
Berbères dont l’ancêtre est Djâlout (Goliath). Ibn Khaldûn dans Histoire des Berbères et des dynasties
musulmanes de l’Afrique septentrionale (1375-1382) réfute certaines incohérences et impossibilités
généalogiques développées par les auteurs arabes (notamment celles d’Ibn Quotaïba), mais il
demeure dans le même type d’interprétation lorsqu’il rattache les Berbères à la descendance de
Noé, Cham et Canaan. Ce dernier aurait eu un fils, Mazigh, ancêtre des tribus berbères.
Informations extraites de M. Shatzmiller, « Le mythe de l’origine berbère », Romm, n° 35, 1983, p.
146-158.
17. Ibn Hawkal, Kitabsurat al-ard, Dar maktabat al hayat, Beyrouth, 1992 (rééd).
18. D’après Ibn ‘abd al-Hakam, Conquête de l’Afrique du Nord et de l’Espagne, texte arabe et
traduction française d’Albert Gateau, Paris, 1948.
19. « De l’autre (côté), les révoltes successives des Berbères ont attiré l’attention sur le problème
posé par leur existence. C’est à ce moment seulement que les historiens orientaux s’interrogent
sur l’origine des Berbères, question qui se pose à eux en termes historiographiques plutôt que
sociaux ou politiques. Pour la résoudre, ils cherchent à incorporer les Berbères à l’histoire à leur
manière, c’est-à-dire conformément aux règles de leur mémoire collective bâtie sur des récits
bibliques et des structures tribales. (…) Désormais, pour les historiens orientaux, la question
berbère est « digérée », et les Berbères trouvent leur place au sein de l’histoire connue et
légitime. » M. Shatzmiller, « Le mythe de l’origine berbère », p. 148.
20. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale,
traduction Baron de Slane, Paris, Edition Paul Geuthner, 1927.
21. E.F. Gautier, Le Passé de l’Afrique du Nord : les siècles obscurs, Paris, Payot, 1937.
22. G. Marçais, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen-Âge, Paris, Aubier, 1946.
23. G. Camps, Berbères aux marges de l’histoire, Toulouse, Editions des Hespérides, 1980.
60

24. La seule source historique dont nous disposons est celle de La Guerre de Jugurtha par Salluste ;
guerre qui opposa Rome au roi numide Jugurtha, entre 112 et 105 avant J.C. et qui s’acheva avec
la défaite de celui-ci. Sinon, les versions historiques dont nous disposons pèchent par leurs
incohérences, leurs approximations et leur a-temporalité.
25. Voir J. Alexandropoulos, La Tunisie mosaïque : diaspora, cosmopolitisme et archéologie de l’identité,
Toulouse, Presses universitaires Toulouse Le Mirail, 2000.
26. Comme Carette, officier présenté comme saint-simonien.
27. Au printemps 2001 a été organisé un colloque international inauguré par le président de la
République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, sur Saint-Augustin. Voici un extrait du discours
inaugural : « Le fait qu’Augustin ait vécu et pensé avant la révélation coranique ne saurait
disqualifier son œuvre comme support et aiguillon d’une réflexion commune, de notre point de
vue de musulmans. Car le message révélé à notre prophète Mohamad s’est inscrit dans le
prolongement de ceux qu’ont enseigné Abraham, Moïse et Jésus. (…) Nous ne faisons aucune
distinction entre les envoyés de Dieu puisque c’est à lui que nous nous soumettons. » Propos
œcuméniques interprétés alors comme un défi direct à l’islamisme armé et terroriste, El Watan, 2
avril 2001.
28. S. Lancel, « Augustin (Saint) », Encyclopédie berbère, 7/Asarakae-Aurès, Aix-en-Provence,
Edisud, 1985, p. 1055-1065.
29. De son nom berbère Dihya Tadmut, belle gazelle, ou Damya (la devineresse).
30. G. Camps, L’Afrique du Nord au féminin, Paris, Perrin, 1992.
31. J. Déjeux, Femmes d’Algérie : légendes, traditions, histoire, littératures, Paris, La Boîte à documents,
1987.
32. A Khenchela, capitale des Aurès, une statue en acier à son effigie a été érigée en 2003 à
l’initiative d’une association, Aurès El Kahina.
33. G. Halimi, La Kahina, Paris, Plon, 2006.
34. Plusieurs associations pour la défense des droits de la femme ont été créées en son nom dans
les années 90 : Tharwa n’Fadhma n’Soumer (les enfants de Fadhma n’Soumer) et Bnet Fadhma
n’Soumer (les filles de Fadhma n’Soumer). Cf. M. Remaoun, « Les associations féminines pour les
droits des femmes », Insaniyat, 8, 1999, p. 129-143.
35. M.A. Hadaddou, Les Berbères célèbres (notice : Sheshonq, chef d’Etat, pharaon amazigh
d’Egypte), Alger, Berti, 2003.
36. Nom donné par Werner Vycichl pour désigner tous les peuples de l’Antiquité qui vivaient
dans les pays à l’ouest de l’Égypte. Des Libyens qui entrent dans l’histoire égyptienne comme
ennemis et envahisseurs et appelés Tehenou par les Égyptiens anciens. W. Vycichl, « Les
Imazighen, 5 000 ans d’histoire », Etudes et documents berbères, n° 4, 1988, p. 85.
37. Ibid.
38. H. Slimane, L’Homme de Mechta-Oufalou, le Cro-Magnon d’Afrique du Nord, durant les vingt derniers
millénaires : évolution culturelle et devenir. Gisement d’Afalou Bou Rhummel (massif des Babors, Algérie),
Thèse d’habilitation en préhistoire, Montpellier, Université de Montpellier III, 1999.
39. M. Hachid, Le Tassili des Ajjer : aux sources de l’Afrique, 50 siècles avant les pyramides, Alger/Paris,
Editions Edif 2000 / Paris-Méditerranée, 1998.
40. M. Hachid, Les Premiers Berbères : entre Méditerranée, Tassili et Nil, Alger/Paris, Editions Ina-yas
/ Edisud, 2000.
41. L’auteur est préhistorienne, diplômée de l’université de Provence, ancienne directrice du
parc national du Tassili des Ajjers (inscrit au patrimoine mondial de l’humanité).
42. Avec la civilisation capsienne, considérée comme l’ancêtre de la civilisation berbère, qui
apparaît à la période néolithique entre 9 000 et 7 000 ans av. J.C.
43. M. Shatzmiller, « Le mythe de l’origine berbère : aspects historiographiques et sociaux »
REMMM, n° 35, 1983, p. 146-158.
61

44. En particulier la thèse d’histoire de D.E. Souidi, Généalogies et pouvoirs au Maghreb du II e au VIIe
siècle de l’Hégire, soutenue à l’université de Paris I en 1996.
45. Voir M. Benabou, La Résistance africaine à la romanisation, Paris, La Découverte, 2005, 2 e éd.
46. F. Gabrieli, dir., Maghreb médiéval : l’apogée de la civilisation islamique dans l’Occident arabe, Aix-
en-Provence, Edisud, 1991.
47. Un discours d’Etat qui, rappelons-le a mobilisé, depuis 1962, exclusivement le référentiel
politique arabiste et islamique.
48. Un exemple de discours qui alimentera par la suite les arguments islamistes des années 90 :
« La langue arabe est ancrée dans ce pays depuis que l’islam s’est définitivement installé dans
cette Afrique du Nord et y a creusé ses fondations. Il en est ainsi, elle n’en bougera pas et ne
disparaîtra pas. Tant que l’islam y sera, elle demeurera inébranlable. » Propos du ‘alim
réformiste, Bâchir al-Ibrahimi, dans l’article « La langue arabe en Algérie : une femme libre qui
n’admet pas de rivale », dans le journal Ash-shihâb, 1948, traduit de l’arabe par Mohamed
Tilmatine, Awal, n° 15, 1997.
49. D. Morsly, « Le tamazight, langue nationale ? », dans Plurilinguisme et identités au Maghreb,
Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1998.
50. Mais aussi d’une dénonciation des pratiques politiques d’un régime qui ne s’est pas conformé
aux attentes et aux intérêts du peuple.
51. Voir les travaux de S. Chaker, Textes en linguistique berbère (introduction au domaine berbère),
Paris, CNRS, 1984 ; S. Chaker, Une décennie d’études berbères (1980-1990), bibliographie critique :
langues, littérature et identité, Alger, Editions Bouchène, 1992.
52. Par ailleurs, des initiatives se multiplient pour faire revivre des traditions considérées comme
berbères. Une des initiatives qui a rencontré un réel succès est celui de l’institution du jour de
l’an berbère Yennayer, appelé à être reconnu dans le calendrier comme jour férié.
53. « Sur le problème de la langue, les oulémas développent un véritable nationalisme
linguistique. Par l’intermédiaire de la langue arabe, langue du Coran, ils veulent non pas
exprimer une culture mais en imposer une à l’ensemble du pays. Le discours des oulémas rejette
les cultures populaires, la religion des paysans et dévalorise systématiquement les dialectes qui
sont leur support. La langue arabe n’est pas conçue seulement comme un moyen de transmission
des connaissances mais comme le support de la religion qui doit détenir le plus d’influence sur
les idées. » Cf. M. Harbi, 1954, La guerre commence en Algérie, Paris, Editions Complexe, 1984, p. 117.
54. A.S. Boulifa, Le Djurdjura à travers l’histoire depuis l’Antiquité jusqu’en 1830 : organisation et
indépendance des Zouaoua (Grande Kabylie), Alger 1925 ; M. Mammeri, « Les Isefra de Si Mohand ou
M’hand », texte berbère et traduction, Paris, Maspero, 1968 ; M. Mammeri, Tajerrumt n tmazigt
(tantalataqbaylit) », Paris, Maspero, 1976.
55. S. Chaker, « Une ou des langue(s) ? Entre linguistique et socio-linguistique : de la labilité des
concepts et objets scientifiques », Séminaire Maghreb, document de travail, Aix-en-Provence,
MMSH, 23/10/2007.
56. Qu’ils soient Européens comme André Basset ou Algériens comme Amar Said Boulifa. Cf. A.
Basset, La Langue berbère, Paris, l’Harmattan (rééd.), 2004. A.S. Boulifa, Méthode de langue kabyle
(cours de deuxième année), Alger, 1913.
57. B. Miche, Nations et nationalismes en Europe centrale aux XIX e et XXe siècles, Paris, Editions Aubier,
1995.
58. En Allemagne, la notion de Volkstum réunissait tous les peuples de même langue et de même
culture germaniques ; dans l’empire austro-hongrois, la « renaissance nationale » tchèque
s’élabore autour de la langue tchèque réappropriée par les élites.
59. E. Hobsbawn, « Inventing Traditions », dans The invention of tradition, sous la dir. de
E. Hobsbawn, O.T. Ranger, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 1-14.
62

60. La société des missionnaires d’Afrique (Pères blancs) du cardinal de Lavigerie avait
commencé à s’y intéresser dès la fin du XIXe siècle avec la publication de grammaires, de manuels
et de dictionnaires.
61. « Elles (les traditions inventées) sont hautement pertinentes pour cette innovation historique
relativement récente qu’est la nation avec ses phénomènes associés : le nationalisme, l’Etat-
nation, les symboles nationaux et le reste. Tous ces phénomènes prennent appui sur des
exercices d’ingénierie sociale qui sont souvent délibérés et toujours innovants, ne serait-ce que
parce que la nouveauté historique implique l’innovation. » E. Hobsbawn, « Introduction.
Inventing traditions », 1983.
62. Trois voies possibles pour arriver à une langue commune :
– construire une langue commune à tous ;
– prendre un dialecte central en l’enrichissant avec des dialectes périphériques ;
– choisir un dialecte de référence (pas forcément majoritaire) qui deviendrait la norme
vernaculaire.
63. S. Chaker, « Langue berbère / langue kabyle, etc. : réalités et fictions linguistiques et
sociolinguistiques. Des clarifications difficiles mais inéluctables », Revue des études berbères, 2009,
URL : http://centrederechercheberbere.fr/langue-berbere-langue-kabyle-etc-realites-et-fictions-
linguistiques-et-sociolinguistiques-des-clarifications-difficiles-mais-ine.html.
64. Ibid.

AUTEUR
KARIMA DIRÈCHE
Chercheure à l’UMR Temps, Espaces, Langages, Espace méridional-Méditerranée (TELEMME) de la
Maison méditerranéenne des sciences de l’homme à Aix-en-Provence. Ses travaux couvrent des
thématiques de socio-histoire maghrébine et d’analyse critique des historiographies
maghrébines dans une perspective coloniale et post-coloniale (les minorités religieuses, l’identité
berbère, les récits historiques nationaux et leurs contestations).
63

Religion et identité amazighe :


réflexions sur le rôle de l’islam en
Kabylie (Algérie)1
Carmen Garratón Mateu

1 Pendant longtemps, les revendications identitaires kabyles se sont exprimées en marge


des questions religieuses ; cependant, l’empreinte de l’islam dans la société kabyle et au
cours de l’histoire de celle-ci est indéniable.
2 Cette contribution tente de mettre en évidence différents moments au cours desquels
l’islam en Kabylie a été marqué par des divergences croissantes, voire des contradictions
flagrantes entre un islam « traditionnel kabyle », d’orientation soufie, et un islam
« d’État », inscrit dans les textes constitutionnels successifs depuis l’indépendance et qui
se fonde sur une « tradition » importée du Proche-Orient au cours de la première moitié
du XXe siècle.
3 Durant la période coloniale, tous les Kabyles étaient considérés comme des musulmans
malékites. Ce faisant, ils maintenaient la séparation entre les domaines religieux et
public. Pour preuve, la valeur que les Kabyles octroyaient à leur droit coutumier était
telle que certains de ses aspects prévalaient sur les préceptes de la loi musulmane, ou
charia. Cette séparation et cet attachement au droit coutumier fournissent les premiers
éléments de compréhension d’une pratique de l’islam éloignée de l’orthodoxie (sunna).
Ceux-ci possèdent des traits qui pourraient être considérés comme spécifiques à la société
kabyle, tandis que d’autres ne sont sans doute pas exclusifs de cette dernière2.
4 Avec la pénétration des idées réformistes, dans les années 30, promues par Ibn Badis et
l’Association des oulémas algériens qui cherchaient à épurer l’islam des influences
exogènes, puis avec la guerre de libération à partir de la deuxième moitié des années 50
contre la France coloniale et l’accès à l’indépendance en 1962, cet islam populaire
pratiqué en Kabylie perdra peu à peu sa place. Il sera concurrencé par l’islam officiel,
promu par la politique d’islamisation et d’arabisation du nouvel État indépendant.
Vecteur d’un islam exclusivement arabe, puisqu’il ne s’exprimait que dans la langue dite
sacrée, sa pénétration sera perçue comme un des obstacles aux aspirations identitaires
64

kabyles. La dérogation par voie de la jurisprudence3, en 1967, au droit coutumier algérien,


en incluant le kabyle, porte atteinte à ce qui avait contribué à conférer à la religion
pratiquée par les Berbères son caractère particulier, provoquant en conséquence la fin de
l’autonomie religieuse en Kabylie. Simultanément, la pénétration d’idées extérieures en
provenance d’Europe, comme la laïcité ou le socialisme – introduites surtout à travers
l’émigration en France – influencera la perception de la religion dans la région.
5 Finalement, comme la plupart des sociétés, la population kabyle est diverse. Bien que
nous nous trouvions aujourd’hui devant un panorama complexe, où apparaît toute une
gamme de positions nuancées par rapport au fait religieux, on peut d’un point de vue
analytique réduire celles-ci à un continuum dans lequel elles oscillent entre deux
extrêmes : d’un côté, la radicalisation de l’islam qui est elle aussi présente, nourrie par un
courant salafiste fort éloigné de la démarche de l’islam traditionnel ; et d’un autre côté,
dans le sillage de la consécration des revendications identitaires kabyles, on voit se
consolider l’option en faveur d’une laïcité qui soutient que la religion doit rester dans le
domaine privé et qui s’oppose à l’officialisation de l’islam en tant que religion d’État,
stipulée invariablement dans les constitutions algériennes successives.
6 Ces dernières années, on constate une ouverture dans les prises de position religieuses de
la société kabyle. Si l’islam traditionnel populaire, qui diffère autant de l’islam officiel
étatique que des nouveaux courants religieux musulmans très actifs en provenance du
Moyen-Orient, est toujours revendiqué, d’autres options idéologiques sont acceptées,
tandis que d’autres religions comme le christianisme, surtout évangéliste, gagnent des
adeptes malgré les restrictions officielles.

L’islam : d’une religion populaire pendant la période


coloniale à une religion d’État après l’indépendance
7 L’islam a joué et continue à jouer un rôle important en Kabylie. La culture et la vie
quotidienne sont traversées par les invocations et les références religieuses. C’est pour
cette raison que l’analyse des revendications identitaires amazighes ne peut être abordée
sans tenir compte de l’empreinte du fait religieux musulman au sein de la société kabyle.
Ceci dit, cette analyse ne peut évacuer le fait que le champ religieux kabyle a subi
différentes transformations liées aux événements historiques qui se sont succédés.

L’islam en Kabylie et la colonisation française : marabouts et


confréries

8 Parmi les rares sources originales antérieures à la colonisation française qui débute en
Algérie à partir de 1830, l’auteur kabyle El-Warthilani s’était déjà référé un siècle
auparavant à la religiosité particulière des Kabyles, en montrant l’importance du
soufisme et en défendant clairement le droit coutumier kabyle malgré ses contradictions
avec le droit musulman4.
9 Quand les colonisateurs pénètrent en Kabylie, en 1857, ils trouvent une société
apparemment homogène en matière religieuse. « Tous les Kabyles sans exception » furent
considérés comme des musulmans de rite malékite, l’islam jouissant d’une position
d’exclusivité religieuse. La conversion postérieure des Kabyles au catholicisme était
considérée comme une « pure chimère5 ».
65

10 À cette époque, il était déjà flagrant que, face à un islam orthodoxe et urbain, basé sur le
dogme et la conduite publique, l’islam kabyle, des marabouts et des confréries soufis, plus
proche du peuple, se concentrait principalement sur la vie spirituelle et le culte des saints
locaux comme Ccix Mohand u Lhusin6. Il s’agissait d’une religion plus tolérante et
ouverte, dont les entorses à la pratique religieuse généralement admise étaient liées aux
conditions de vie des Kabyles. C’était un « islam tranquille7 » qui côtoyait des croyances
païennes qui se basaient sur la mythologie traditionnelle préislamique comme le culte des
gardiens ou iʻessasen, espèces de génies de lieux sacralisés comme les grottes, les sources,
les arbres ou les roches. Il s’agissait en définitive d’un islam rural qui s’était adapté aux
nécessités du terroir pour affirmer ainsi son « originalité irréductible8 ».
11 C’est dans cette société à la culture orale que les marabouts provenant, selon la tradition,
de Seguia el-Hamra (nord du Sahara occidental) se sont installés. Ces marabouts se sont
répandus sur tout le territoire kabyle et ont constitué des lignages religieux dont l’appui
était indispensable à l’implantation postérieure de nouveaux courants religieux. Ces
lignages sont encore présents, mais ils jouent un rôle différent. Quelques zones de la
Kabylie comme Itouragh, Aït-Yahya, Aït Bou Youcef ou Aït-Menguelet vont concentrer la
plus importante population religieuse du Djurdjura9. Les marabouts, malgré leur origine
exogène supposée, se sont adaptés aux conditions et à la structure sociale de la Kabylie.
Ils ont même fait des concessions pour se soumettre aux normes des tribus10. Comme ils
étaient les seuls à connaître la langue arabe, ils réussirent à acquérir un grand prestige
auprès de cette population berbère analphabète au sein de laquelle ils se chargèrent
principalement de diffuser le Coran, de servir d’intermédiaire entre les hommes et la
divinité et d’exercer le monopole sur l’instruction religieuse. Leur tâche fut favorisée par
le fait qu’à cette époque ne s’était pas encore produite une prise de conscience identitaire
et que les Kabyles traversaient une phase de « honte de soi11 ». Ils se sentaient stigmatisés
par le fait d’être considérés comme des « musulmans non arabes » et, partant, comme des
musulmans de seconde catégorie.
12 La condition de marabout n’était acquise qu’après la mort de celui dont la conduite
pouvait être considérée comme remarquable ou par héritage, ce qui assurait une série de
privilèges aux descendants qui en vinrent à constituer d’authentiques castes
maraboutiques différenciées du reste de la population. Leur sainteté se matérialisait dans
la baraka, sorte de bénédiction divine qui s’étendait à tout ce qui les entourait et qui
faisait d’eux l’objet d’un respect superstitieux. Ils étaient très présents dans la vie sociale,
jouant le rôle d’arbitre dans la résolution des conflits et se chargeant de faciliter les
transactions commerciales12. C’est pour cette raison qu’ils jouissaient d’une position
proche de la population, limitant leur champ d’action à une localité concrète et exerçant
leur travail dans les zaouïas13, unique lieu d’instruction de la société kabyle de l’époque.
13 Une de leurs fonctions, la plus paradoxale, consistait dans la rédaction des canons
kabyles. La société accordait une telle valeur à son droit coutumier qu’il prévalait à
l’occasion sur les préceptes de la loi musulmane, ou charia, qu’eux-mêmes prêchaient. Un
exemple éclairant était la pratique qui consistait à déshériter les femmes kabyles, ce qui
s’opposait directement au texte coranique. L’acceptation de cette contradiction pourrait
provenir du fait que les marabouts ne voulurent pas entrer en conflit avec la population
autochtone quand ils se sont installés en Kabylie, étant entendu depuis le départ qu’ils
venaient d’horizons différents14. Il pourrait s’agir aussi d’une stratégie conciliante visant
à ne pas s’opposer à l’ordre établi pour pouvoir continuer à jouir, grâce à leur monopole
66

de la connaissance de la langue arabe, d’une situation privilégiée face au reste de la


population, rurale et analphabète.
14 Les confréries religieuses, tara’iq ou khwan, provenant d’Égypte qui avaient pénétré en
Afrique du Nord à partir du XIIe siècle, sont un autre élément caractéristique de la
religiosité kabyle. Quand Sidi M’hemed Ben-Abderrahmane Bu-Qubrin15 fonda la confrérie
de la Rahmaniya ou Tarehmanit aux alentours de 1774, il se produisit un changement
fondamental : le passage d’un culte oral et proche des gens à une religiosité plus
intellectuelle, scripturaire et hiérarchisée16. Cette confrérie acquit une telle importance
qu’elle en vint à être considérée comme « l’église nationale » des Kabyles17.
15 Les seules normes rigides communes à ces ordres étaient l’obéissance absolue à leur chef
ou cheikh, le secret concernant les affaires de l’ordre et la solidarité envers les autres
membres (khwan). Sur ce point, il est surprenant que les Kabyles, qui vivaient dans une
société où primait l’équilibre et dans laquelle il n’y avait aucune autorité
institutionnalisée, acceptèrent de se soumettre de manière absolue aux chefs de ces
confréries. Ceci nous renvoie à nouveau au thème de la langue arabe, comme dans le cas
des marabouts. Cependant, à la différence de ces derniers dont le culte était local et dont
la transmission présentait un caractère héréditaire, les confréries soufies avaient un
champ d’action plus étendu, et n’importe qui pouvait y adhérer, indépendamment de sa
généalogie. Néanmoins, pour pouvoir prétendre à un poste élevé dans la hiérarchie, il
était indispensable de connaître la langue du Coran, ce qui impliquait que les membres
qui ne la maîtrisaient pas se voyaient relégués à une position inférieure dans la fraternité.
Par conséquent, l’usage de la langue kabyle en matière religieuse se situait toujours à un
échelon inférieur par rapport à la langue sacrée18.
16 Le succès des confréries réside dans le fait qu’elles avaient permis le libre accès à leurs
membres, en leur donnant un certain rôle religieux en unissant le dogme à la culture
locale. Cependant, établir la « maîtrise de l’écriture (arabe) comme principe essentiel » de
la tariqa contribuera à la reprise du contrôle de la religion en Kabylie par les lignages
religieux locaux et leurs zaouïas. Ces derniers profitèrent ainsi de leur monopole
linguistique19.
« Dans le contexte de la culture orale kabyle, le khawni, ou adepte, va remplir une
fonction de divulgateur de l’Univers et des significations contenues dans le Livre : il
en est un agent explicitateur dans la mesure où il communique son savoir dans la
langue kabyle et dans des modalités empruntées au contexte culturel local : le chant
ou ce que l’on appelle couramment en Kabylie adhekar (forme kabylisée du terme
dhikr)20. »
17 Cette énonciation, ou dhikr, consistait en une courte prière qui se répète constamment de
sorte qu’elle se mémorise facilement. Surtout, elle assure la discipline et la soumission
des fidèles des confréries. Celles-ci avaient acquis une grande influence sur la population,
ce que les autorités françaises et les oulémas algériens, représentants du culte orthodoxe
et urbain, perçurent comme une menace réelle.
18 Concrètement, la Rahmaniya joua un rôle décisif en 1871 dans l’insurrection d’Al-Moqrani
contre les Français et conduisit à la modification de l’organisation sociale, administrative
et judiciaire kabyle. L’une des conséquences directes fut la promulgation du Décret du 29
août 1874 d’Aménagement de la Justice et du Notariat musulman en Algérie. Cela supposa
l’entrée en scène de juges de paix français et la perte de la plus grande partie des
compétences des assemblées populaires, privant ainsi le droit coutumier, fondamental
67

pour comprendre la séparation entre les domaines civil et religieux en Kabylie, de la


possibilité d’évoluer et de s’adapter aux temps modernes21.
19 De plus, vers 1890, de nombreuses zaouïas, qui étaient au centre de la culture kabyle,
furent fermées temporairement à cause de leur implication dans cette insurrection,
tandis que les idées républicaines et anticléricales françaises portaient atteinte aux
marabouts considérés de plus en plus comme « d’ignorants prêtres ruraux22 ». Face au
vide culturel qui s’ensuivit, les Français considérèrent que si les Kabyles étaient éduqués
loin de ces « superstitions » et qu’un système scolaire laïc et flexible était implanté
suivant les critères de la IIIe République française, il serait plus facile de les gagner à la
cause coloniale23. Ensuite, pour exercer un plus grand contrôle sur la religion,
l’administration française favorisa la création d’un clergé musulman officiel, urbain et
salarié, qui était assez éloigné des nécessités sociales et surtout du milieu rural.
Cependant, l’islam populaire était bien plus implanté dans la société kabyle que ne le
croyaient les Français, étant donné qu’il était plus facile à la population de s’adresser aux
saints locaux, considérés comme les intermédiaires entre la divinité et les hommes,
qu’aux représentants de l’islam officiel et à un livre sacré comme le Coran, rédigé dans
une langue qu’elle ne comprenait pas ou si peu.
20 Quoiqu’il en soit, les zaouïas traditionnelles seront reléguées progressivement au second
plan en tant qu’institutions éducatives, ce qui accentuera « l’exception culturelle » dont
souffrait la Kabylie, une situation dont se plaindront des porte-parole tels que le mufti
kabyle Ibnou Zakri24 qui, en 1903, adressa une lettre aux Français, les pressant
d’intervenir aussi dans le culte local et dans la gestion de ces zaouïas dépréciées et
montrant des carences tant éducatives que religieuses25.

La campagne contre l’islam populaire du mouvement des oulémas


et la guerre de libération

21 Au début du XXe siècle, à la perte d’importance des zaouïas s’ajoute la campagne menée
contre celles-ci par les réformistes musulmans. Ce mouvement de réforme, ou ‘islah,
prônant un retour à l’orthodoxie et aux origines de l’islam, culmina en 1931 avec la
fondation de l’Association des oulémas musulmans algériens, dont Abdelhamid Ibn Badis
était à la tête, et la participation d’hommes de lettres kabyles comme Abu Ya’ala26 ou
Moulud Al-Hafidhi27. Parmi leurs objectifs, en finir avec les marabouts et les zaouïas
traditionnels en favorisant l’éducation islamique et arabe dans des médersas réformistes
qui puissent entrer en compétition avec l’éducation française laïque. On y privilégiait
l’arable classique au détriment des langues parlées (l’arabe dialectal et le berbère). Le
mépris envers les langues vernaculaires prolongeait l’hostilité envers les confréries qui
constituaient néanmoins l’un des noyaux authentiques de la résistance identitaire
algérienne. En promulguant la renaissance de l’islam, le mouvement réformiste prenait
part à l’éradication de la culture populaire algérienne28, surtout depuis qu’Ibn Badis avait
proclamé sa fameuse devise nationaliste en 1932 : « L’islam est ma religion, l’arabe ma
langue et l’Algérie ma patrie ». Cependant, parmi les oulémas qui participèrent à la
création de l’Association des oulémas musulmans algériens surgirent rapidement des
différences entre les conservateurs et les réformistes, en raison surtout de la forte
influence moyen-orientale de ces derniers. Des représentants des zaouïas et des
confréries, comme Moulud Al-Hafidhi, quittèrent cette association pour créer en 1932
l’Association des oulémas sunnites d’Algérie qui opta pour le soufisme comme essence
68

même de la religiosité traditionnelle. Malgré cela, de nombreuses zaouïas kabyles


s’unirent au mouvement réformiste, en se transformant en filiales de celui-ci29, telles
Dellys, Beni Abbas ou Akbou.
22 Une série d’événements postérieurs allait redéfinir le rôle de la religion en Kabylie. Le
début du conflit armé contre les Français, en 1954, fera de l’islam l’élément de cohésion
contre le colonisateur européen. Le Front de libération nationale (FLN) et son bras armé,
l’Armée de libération nationale (ALN), lutteront pour la restauration d’un Etat algérien
démocratique et social. L’islam des combattants s’inscrira dans la tendance réformiste,
étant donné que l’islam traditionnel des peuples était considéré comme inculte,
superstitieux et profané par l’armée française. Ces combattants, qui emploient l’arabe
pour prier et qui parfois sont étrangers à la Kabylie, vont s’introduire dans les organes de
gestion locaux et s’imposer, avec souvent la connivence des anciens lignages religieux
convertis au réformisme, à une population qui a perdu ses références religieuses et qui
éprouve face à eux un mélange de crainte et de respect. Peu à peu, l’islam se radicalisera,
adoptant des positions salafistes qui introduiront une série d’interdictions inconnues
jusqu’alors. Il s’agit d’un islam arabe, plus proche des sources, qui va acquérir en Kabylie
une force qu’il n’avait pas eue jusqu’à cette date30.
23 Le conflit armé d’alors se fera sentir avec une grande dureté sur la population locale. D’un
côté, les Kabyles étaient soupçonnés d’avoir reçu une éducation française, ce pourquoi le
FLN réalisera jusqu’en 1959 une série de purges internes parmi ses membres. C’est ainsi
que les combattants menés par Amirouche, Kabyle lui aussi, élimineront des centaines
d’étudiants affiliés à la guérilla31. D’autre part, les Français exerceront une forte
répression dans la zone, démolissant de nombreux lieux saints et des zaouïas et assénant
ainsi un coup dur à l’islam traditionnel32.
24 À partir de 1962, avec l’indépendance de l’Algérie, le FLN s’érige en parti unique de
gouvernement, interdisant les autres partis politiques. De plus, une forte campagne
d’arabisation est imposée33, ignorant, entre autres choses, les aspirations des Kabyles qui
se virent trahis alors qu’ils avaient activement lutté contre le colonialisme français. Les
politiciens et les militaires kabyles aux aspirations berbéristes furent marginalisés, et le
pouvoir central s’établit à Alger. Étant donné qu’avant la colonisation il n’existait pas
d’« identité algérienne » explicitement affirmée en tant que telle, il fallut en « fabriquer
une neuve », qui ne reflétait pas la véritable composition de la société algérienne. C’est à
cette fin que le FLN imposa la nécessité de reprendre l’identité arabo-musulmane
d’Algérie à travers le rejet du français et des langues que la population parlait, y inclus
l’arabe dialectal algérien. Limitant de cette manière les éléments constitutifs de l’identité
algérienne à deux composantes, l’arabe et l’islam, on excluait la possibilité d’admettre
que cette identité était plurielle. Tout cela laissait la Kabylie dans une situation
d’infériorité, et on la dépossédait politiquement « d’une victoire (l’indépendance) dont
elle s’estimait l’acteur principal34 ».
25 La Constitution algérienne de 196335 déclarait dans son article 4 que l’islam était la
religion de l’État et dans son article 5 que la langue arabe était la langue officielle de
l’État, ce pourquoi, selon l’article 76, l’arabisation devait être menée à terme dans les
délais les plus brefs possibles. Peu à peu, on imposa l’arabe dans les différents cycles de
l’enseignement, et, bien qu’on n’arrivât pas à évincer totalement le français qui était
considéré comme « la langue du pain », on manifesta du mépris à l’école pour les langues
maternelles des étudiants36. Le nationalisme arabisant étant converti en doctrine
officielle du régime qui se mettait en place, celle-ci allait rencontrer l’opposition de
69

certains Kabyles qui se sentaient agressés dans leur identité et qui allaient constituer, en
réaction à l’offensive arabisante et son vecteur le réformisme musulman, le Mouvement
culturel berbère (MCB). La langue arabe étant la langue de la religion musulmane, celle-ci
sera considérée – surtout dans les cercles de ce mouvement – comme une pratique
d’exclusion et comme un obstacle au développement de la culture et de la langue kabyles.
Dans les premières années postérieures à l’indépendance, la mise en marche des mesures
d’arabisation, l’interdiction de l’enseignement et de la diffusion du berbère et les
arrestations des militants berbères auront pour conséquence de provoquer la politisation
de ce mouvement berbère originairement culturel et qui, dès cette époque, fera le pari
d’un « projet de société laïque et démocratique, pluraliste aux plans linguistique et
culturel37 ».
26 Paradoxalement, l’indépendance mit fin à l’autonomie religieuse de la Kabylie38 en
affectant directement son système d’organisation sociale. Le droit coutumier kabyle subit
un dur revers devant la Cour suprême d’Alger puisqu’en vertu de quelques arrêts tels que
ceux du 26 avril et du 21 juin 1967, il cessa d’être applicable en matière de droit personnel
et de succession quand il entrait en contradiction avec le droit islamique39. Plus tard, la
figure de l’imam40 traditionnel perdit de sa valeur sociale et symbolique 41. Elle fut
remplacée peu à peu par des fonctionnaires salariés lauréats des Instituts nationaux de
formation des imams créés à partir de 1980, qui finiront par obtenir le monopole de la
religion. Ceux-ci joueront un rôle de premier plan dans l’expansion de l’« islamisme
politique » dans les années suivantes42. Au bout du compte, cette politique finira par
marginaliser les confréries et les marabouts locaux.

Les « Printemps kabyles »


27 Les événements de 1980, connus sous le nom de « Printemps berbère », déclenchés après
l’interdiction d’une conférence sur la poésie kabyle que devait donner l’intellectuel
Mouloud Mammeri, mettront à jour des tensions entre l’État algérien et les Kabyles qui
déboucheront sur le premier mouvement de contestation populaire massif depuis
l’indépendance43. Au sein de celui-ci, l’identité et la langue kabyles seront ouvertement
revendiquées44.

La prière du vendredi et les nouvelles mosquées : l’islam


« palpable »

28 Paradoxalement, dans les années 80, au moment où le mouvement berbère mise sur un
profil laïc, le sentiment religieux va s’accentuer en Kabylie. La construction et la réforme
des mosquées dont les édifices jusqu’alors ne se différenciaient pas du reste des bâtiments
kabyles sont un premier changement45. Dans le sillage de celui-ci, l’innovation la plus
importante sera l’instauration de la prière du vendredi, une pratique étrangère aux
coutumes locales. Avec l’introduction de la prière hebdomadaire, de nombreux Kabyles se
verront obligés, d’une certaine manière, à aller à la mosquée pour éviter d’être étiquetés
comme non-musulmans ou comme de mauvais pratiquants. La polémique autour de la
langue utilisée pour le sermon ne tardera pas à voir le jour : l’arabe ou le kabyle ? Ce
dilemme soulignera la différence fondamentale entre les imams traditionnels issus du
peuple qui traduisent ce qui est nécessaire de l’arabe au kabyle, et les imams officiels
arabophones qui ne se posent pas la question de la traduction étant donné qu’ils ne
70

dominent pas le berbère et ne conçoivent pas une façon d’exercer une pratique religieuse
qui ne soit pas en arabe. À leurs yeux cet arabe coranique est l’objet d’une grande
vénération au point que son objectif est de faire primer la forme du message sur la
compréhension de celui-ci, son fondement réel étant, selon Chachoua46,
l’instrumentalisation politique de la religion.
29 La libéralisation politique qu’incarne la nouvelle constitution de 1989 instaura le
multipartisme mais maintint l’islam comme religion de l’État et continua à ignorer la
langue berbère. C’est dans ce contexte que le mouvement culturel berbère débouche sur
la création, à Tizi Ouzou, du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un
parti politique laïc dont l’un des objectifs est de « promouvoir la démocratie et fomenter
au nom du progrès l’idée de séparer l’islam et l’État47 ». La même année, l’expansion de
l’islam intégriste trouve son expression dans la fondation du Front islamique du salut
(FIS). C’est la première fois qu’est autorisé un parti dont le fondement est l’islam et dont
l’objectif est l’instauration d’une « république islamique ». Cette formation, à l’exception
de la Kabylie et d’autres zones berbérophones, jouit d’un grand appui populaire,
spécialement à Alger où les jeunes se trouvaient dans une situation de démoralisation et
de frustration aggravée par la corruption politique en place48. Pour faire face au triomphe
électoral du FIS, au premier tour des élections législatives de décembre 1991, l’armée
intervient et mit fin au processus électoral. En janvier 1992, appuyée par diverses
organisations et secteurs de la société, elle met en place un gouvernement et lance une
campagne d’éradication de l’islamisme lié au FIS. La « décennie noire » au cours de
laquelle vont s’affronter, d’une part, l’AIS, le bras armé du FIS et d’autres groupes comme
le GIA (Groupe islamique armé), et, d’autre part, les forces de sécurité algériennes fera
plus de cent mille morts49. La « sale » guerre prendra officiellement fin avec l’élection du
président Bouteflika en 1999 et la proclamation de sa loi d’amnistie pour les combattants
50
.
30 Entretemps, la Kabylie s’est distanciée du reste de l’Algérie, comme le montre la
multiplication des commémorations revendicatives, la symbolique visible dans la rue et la
faible participation électorale. En 1999, pour les élections présidentielles, l’abstention
atteint un taux de 90 % en Kabylie51.

Le « Printemps noir » : la remise en question du pouvoir de l’État


central

31 La mort de l’étudiant kabyle de 19 ans, Massinissa Germah, au siège de la gendarmerie de


Beni Douala, provoqua, en avril 2001, une réaction populaire sans précédent, connue sous
le nom de « Printemps noir ». Durant plusieurs mois, les Kabyles maintinrent un bras de
fer avec les forces de l’ordre de l’État, coupant les routes et manifestant avec des mots
d’ordre comme « pouvoir assassin ». Le 14 juin, une grande marche sur Alger fut
organisée pour présenter un texte revendicatif, la « Plateforme d’el Kseur », au président
Bouteflika. Cependant, les manifestants ne furent pas reçus, et la protestation fut
violemment réprimée provoquant morts et blessés52. Malgré la répression et son lot de
morts, de tortures et de disparitions, les Kabyles avaient réussi à contester l’autorité de
l’Etat.
32 Finalement, en octobre 2001, le gouvernement et les représentants des comités des
populations trouvèrent un accord. Parmi les revendications kabyles, on retiendra que « la
considération du « tamazight » en tant que langue nationale » a été satisfaite53. Pour
71

conclure la reconstruction de cette trajectoire revendicative, on peut avancer deux


choses : d’abord, la fracture entre les Kabyles et le gouvernement algérien est manifeste54
; ensuite, en ce qui concerne la question religieuse, que ce soit pendant les événements
de 1980 ou ceux de 2001, il n’est jamais fait référence ni à l’islam ni à des symboles
religieux, ce qui a consolidé l’idée de la nature laïque du mouvement identitaire berbère.

L’Algérie face au « Printemps arabe »

33 Comme on l’a vu, la Kabylie était à la pointe de la contestation populaire en Algérie depuis
le Printemps berbère de 1980. Dès lors, les soulèvements qui se produisent en Afrique du
Nord en 2011, les mal-nommés, selon les militants amazighs, « Printemps arabes » ne
laissent indifférents ni la société kabyle, ni le reste de la société algérienne et encore
moins le gouvernement. La montée des prix de certaines denrées alimentaires de base
comme le sucre et l’huile provoque des vagues de protestation citoyenne tant dans la
capitale que dans d’autres zones comme la Kabylie55. Le 21 janvier 2011 est créée à Alger
la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD)56, constituée de
syndicats non officiels, d’associations pour la défense des droits de l’homme,
d’associations d’étudiants et de chômeurs, de professionnels, de collectifs citoyens et de
partis politiques de l’opposition qui aspirent à un changement démocratique. Parmi les
objectifs poursuivis, on retrouve précisément la séparation entre la politique et la
religion. Un autre fait important est la volonté du CNCD de se détacher des références
islamistes, comme on le vit clairement à l’occasion d’une manifestation organisée par ce
mouvement, le 12 février 2011, à laquelle l’ex-numéro deux du FIS, Ali Belhadj, voulut
s’associer en vain : il fut « invité » par les manifestants à ne pas participer à la
protestation57.
34 Cependant, à la différence des pays voisins, ces mouvements n’ont obtenu que quelques
concessions comme la levée de l’état d’urgence58 en vigueur depuis 1992, l’autorisation de
manifester – excepté à Alger – et l’ouverture des médias publics aux associations
considérées comme légales. Cet échec renvoie à un contexte singulier qui a empêché
l’éclosion d’un « printemps arabe algérien ». Parmi les caractéristiques de ce contexte
particulier, on pourrait signaler le fonctionnement des institutions démocratiques de
façon relativement libre, une capacité de contestation politique atomisée, le souvenir de
la violence des années 90, la connivence du pouvoir avec l’islamisation croissante de la
société, l’existence d’une économie souterraine, la fragilité apparente du président
Bouteflika qui semble sur le point de clore une étape ou la généralisation dans tout le
pays de différentes formes de protestation locale59. Cependant, le gouvernement algérien,
qui avait bénéficié durant des années d’une légitimité fondée sur sa victoire contre le
système colonial, semble avoir peu à peu perdu ce charisme aux yeux des nouvelles
générations touchées par des problèmes que les évocations du passé colonial ne peuvent
plus atténuer.
35 Dans des délais relativement courts, la société et donc le domaine religieux kabyle ont fait
l’objet de profondes transformations, et l’islam officiel, introduit après l’indépendance de
l’Algérie et conçu comme une religion d’État, se distanciera définitivement de l’islam
traditionnel pratiqué en Kabylie qui, lui, était éloigné des questions politiques. L’exode
rural, l’émigration60 et l’implantation de l’école publique 61 ont transformé cette société
originairement paysanne. Tout semble indiquer que la création d’une conscience
72

identitaire kabyle a provoqué un choc inévitable avec l’identité officielle « arabo-


islamique » et, par conséquent, avec le pouvoir central.

Positions actuelles autour de la religion en Kabylie


Un islam en arabe et la montée du salafisme

36 Nous assistons actuellement à une radicalisation de l’islam dans certains secteurs de la


société kabyle qui menace clairement l’islam traditionnel62. Il s’agit d’un courant salafiste
qui défend l’application des préceptes du Coran et de la Sunna au pied de la lettre. De fait,
le salafisme63 doit son nom à un supposé retour aux origines de la prophétie et aux
premiers califes marqués par un islam authentique et pur. Son objectif est de faire
disparaître toute autre identité distincte de l’islam avec pour base l’appartenance à une
unique nation musulmane, la umma islamiya, cimentée sur la langue arabe. De ce point de
vue, l’identité et la culture kabyle n’auraient pas leur place. Des exemples éclairants de
cette tendance furent incarnés par l’imam kabyle Abdelfattah Hamadache, chef du Front
de la Sahwa (renaissance), dont l’objectif était d’instaurer l’État islamique en Algérie 64.
L’introduction d’une série de pratiques, comme l’usage du voile pour les femmes ou la
prière du vendredi, qui sont étrangères aux coutumes kabyles, le transfert de la direction
des mosquées des mains des imams traditionnels à celles d’imams salafistes qui tentent
d’imposer l’arabe et les normes religieuses importées d’Arabie saoudite parce qu’ils les
considèrent comme plus proches de l’islam « originel »65 sont les autres signes tangibles
de ce courant de pensée. En retour, des assemblées locales ont expulsé certains imams
accusés de promouvoir le salafisme66. Tous pointent qu’en Kabylie, ces dernières années,
la présence de ces musulmans de tendance salafiste se renforce. Vu qu’ils proviennent
normalement d’ailleurs, hors de la région, certains habitants y voient la main de l’État. Le
pouvoir central encouragerait les salafistes à s’implanter dans le but d’arabiser la
population et de prendre la place de l’islam traditionnel en Kabylie. Au-delà de cette
hypothèse complotiste – il faut en effet procéder avec prudence puisque nous n’avons pas
de données et de preuves concrètes –, ce qui apparaît c’est la crainte des populations de
perdre leur autonomie identitaire face à la pénétration de l’arabisation à travers la
religion. Ce que la politique n’a pas réussi à imposer – l’arabisation de la population –, la
religion pourrait bien y parvenir. En ce sens, certaines associations religieuses kabyles,
qui reçoivent l’appui de l’État, ont été accusées de fomenter le fondamentalisme
islamique en Kabylie67. S’il est vrai qu’en 1989 le mouvement associatif a été légalisé, le
gouvernement prit rapidement conscience du pouvoir des associations civiles d’éveiller la
conscience démocratique et identitaire kabyle, ce qui constituait un danger pour les
intérêts de l’État, tout en étant un frein à l’intégrisme islamique. Cela expliquerait, selon
les dires de certains secteurs de la presse kabyle68 – qu’il faudrait vérifier à partir des
données sur le terrain –, que les subventions et les aides à ces associations commencèrent
à diminuer, tandis que celles qui étaient destinées aux associations religieuses
musulmanes et à la construction de nouvelles mosquées, surtout à partir des événements
du Printemps noir de 2001, augmentaient. L’État reprendrait ainsi le contrôle des
associations civiles et maintiendrait son pouvoir sur la société en s’assurant qu’il existe
une association religieuse dans chaque village. En suivant cette voie, toujours selon
l’opinion des défenseurs de ces idées, le pouvoir et son « allié » – l’islamisme –, veulent
« instrumentaliser le mouvement associatif au bénéfice d’un projet qui a pour objectif la
73

Kabylie », en sous-estimant le risque de favoriser l’essor d’un islamisme qui pourrait


déboucher sur la violence.

Le rejet de l’islam entendu comme « religion d’Etat »

37 L’idée d’une Kabylie laïque est ancienne. Traditionnellement, religion et politique étaient
des domaines séparés. Si, durant l’époque coloniale, tous les Kabyles étaient considérés
comme musulmans, cela n’était pas incompatible avec la séparation effective entre la
religion et le domaine public. Dans la société traditionnelle, les marabouts avaient une
compétence exclusive concernant les questions liées au culte tandis que l’assemblée de
chaque population était chargée de gérer le reste des affaires de la communauté. Celles-ci
concernaient la police des bonnes mœurs et le savoir-vivre en société ; et si parfois dans
certaines tribus des contraventions pour infraction à certaines règles religieuses
pouvaient être infligées, en général les règles émanant de la djemâa s’en tenaient à des
affaires strictement séculières69.
38 Comme on l’a déjà mentionné, à partir de l’indépendance de l’Algérie apparaît un islam
politique, qui se reflète dans le statut de religion d’État qui est octroyé à l’islam dans les
textes constitutionnels successifs. Ce point de vue s’oppose frontalement à l’organisation
sociale kabyle. Même si l’idée d’une Kabylie laïque n’implique pas que la population doive
renoncer à ses croyances, elle signifie surtout que la religion ne doit pas outrepasser les
limites de la sphère privée de chaque maison, voire de chaque individu.
39 Cependant, le laïcisme (talakt) n’a pas réussi à s’imposer à l’ensemble de la société kabyle.
Il reste minoritaire malgré un soutien populaire plus important que dans les autres
régions du pays. Des groupes se sont constitués, comme le collectif Yal Yiwen i Imanis 70
(Laïcité en Kabylie) qui diffuse l’idée de la « reconquête de la laïcité comme
caractéristique factuelle en Kabylie, en vue de la prochaine construction historique d’une
Kabylie républicaine qui prendra son destin en main ». Ils défendent une Kabylie
tolérante, multiconfessionnelle, moderne et libre où la religion est reléguée au domaine
privé et à l’abri de toute instrumentalisation politique. Les affrontements avec les
autorités ou les adeptes de l’islam officiel sont fréquents, notamment quand des
défenseurs du laïcisme tentent de rompre publiquement le jeûne du Ramadan. Ce type
d’action a des effets médiatiques considérables étant donné que pour les musulmans
pratiquants cela constitue une authentique provocation71. Ce rejet de la religion officielle
s’est exprimé aussi dans des poèmes et des chansons interprétées par des compositeurs
kabyles aussi populaires qu’Aït Menguellet ou Ferhat Mehenni, dont le plus explicite fut
sans aucun doute Lounès Matoub avec la chanson Allah Wakbar72.
40 Cette tendance laïque s’insère aussi dans les programmes de partis comme le Front des
forces socialistes (FFS) ou le RCD et se trouve réactualisée dans le Mouvement pour
l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Dans ce dernier cas, le chapitre II, article 2 de
son Projet pour l’autonomie de la Kabylie73, adopté le 17 août 2007, stipule comme valeur
fondamentale la liberté de culte et de conscience, qui devra être garantie, les religions
devant rester du ressort du domaine privé.

La présence d’autres religions

41 Autour de 1870, sur la proposition de l’Archevêque d’Alger, fondateur des Pères blancs,
Charles Lavigerie, une initiative d’évangélisation fut mise en marche dans le but de
74

convertir les Kabyles au christianisme. Elle se fondait sur leur supposé passé chrétien
antérieur à l’arrivée de l’islam, contribuant à alimenter le trop fameux « mythe kabyle 74 ».
Les rares conversions75 avaient pour origine les énormes carences et l’isolement imposé à
la Kabylie, surtout après l’insurrection de 1871 ; c’est pour cette raison qu’elles seront
considérées comme des « conversions de la misère76 ».
42 Ces nouveaux chrétiens restèrent dans la société locale mais, dans beaucoup de cas, ils
s’en allèrent vivre dans des quartiers séparés. De fait, pour éviter un complet
déracinement et leur isolement, ces convertis continuèrent même à pratiquer de
nombreux rites musulmans comme la circoncision ou la fête du mouton qui,
indépendamment de leur caractère religieux, étaient des pratiques sociales qui leur
donnaient le sentiment de rester intégrés dans leur groupe d’origine77. Malgré cela,
durant toute la période coloniale, les Kabyles chrétiens furent perçus avec réticence tant
par le reste des Kabyles que par les Français.
43 Durant la guerre contre les Français, et surtout à partir de 1954, ces convertis vécurent
une situation inconfortable car, si nombre d’entre eux optèrent pour l’indépendance face
à la répression française, leur condition de Kabyle et chrétien n’était pas compatible avec
la position algérienne qui défendait exclusivement l’identité arabo-musulmane78.
Cependant, la discrétion et l’engagement de l’église catholique algérienne en faveur de
l’indépendance et du FLN contribuèrent à garder les chrétiens sains et saufs. Malgré cela,
les conversions pendant la période coloniale ne furent pas très nombreuses, entre autres
raisons parce que les religions chrétiennes ne tinrent pas compte du véritable
enracinement de l’islam dans la société.
44 Une fois l’indépendance recouvrée en 1962, la campagne d’arabisation et d’islamisation
déboucha sur l’apparition de nouveaux conflits identitaires. Les faits postérieurs et la
politique répressive du nouvel État algérien, entre autres raisons, pourraient être à
l’origine de l’accroissement sans précédent79 des conversions au christianisme, surtout au
protestantisme et, concrètement, à l’Église évangélique pentecôtiste qui rivalisait déjà
pendant l’époque coloniale avec l’Église catholique. Ces conversions sont perçues comme
une atteinte à un élément du consensus national (c’est-à-dire l’islam) et à la cohésion de
l’État.80 De fait, bien que la loi musulmane malékite considère l’apostasie comme un délit
qui fait l’objet d’un châtiment, en Algérie, à la différence des autres pays musulmans, il
n’existe aucune norme de droit positif81 qui reconnaisse explicitement ce délit.
Cependant, l’impact de la loi musulmane sur le statut personnel est indéniable étant
donné que le Code algérien de la famille82 se fonde directement sur des normes du droit
islamique, comme par exemple en matière d’héritage, de sorte qu’il est fréquent que
surgissent des problèmes juridiques. Le litige qui eut lieu en Kabylie quand une femme
qui venait d’accoucher fit une demande de divorce en demandant la garde du bébé
lorsqu’elle découvrit que son mari s’était converti au christianisme en est un exemple
flagrant. Dans ce cas, le juge non seulement consentit à la demande de la femme mais il
interdit au père tout contact avec son fils pour avoir apostasié83.
45 À part ces difficultés, le christianisme offre une série d’avantages aux Kabyles qui rendent
leur conversion attractive. Bien que de nombreux chrétiens actuels disent qu’à la
différence de ce qui était arrivé pendant la période française, leur conversion est due
exclusivement à la foi et à aucun autre type d’intérêt84, il existe d’autres considérations
personnelles, comme des moments de solitude, des problèmes familiaux, le besoin de
guérison, des échecs matrimoniaux, entre autres. Le christianisme qui se pratique n’a pas
la même rigidité que l’islam officiel, une religion qui impose un code de vie déterminé.
75

D’autre part, pour les nombreuses femmes qui optent pour la conversion, l’objectif est
d’échapper à la pression sociale, la discrimination et les restrictions auxquelles les
musulmanes sont habituellement assujetties. De plus, dans les églises chrétiennes, les
fidèles, à cause de leur condition minoritaire et des risques encourus, s’organisent sur la
base d’un fort esprit communautaire au sein duquel se soudent des liens d’aide mutuelle.
À cela s’ajoute une autre raison fondamentale qui consiste dans la possibilité pour les
Kabyles d’utiliser leur propre langue non seulement pour le culte, puisque les évangiles
ont été traduits en kabyle85, mais à tout moment.
46 Cependant, les chrétiens affrontent de nombreux obstacles dressés par le pouvoir. La
promulgation de l’ordonnance du 28 février 2006, qui est connue comme la « loi anti-
conversion », régule l’exercice du culte des religions autres que l’islam. Cette loi établit
dans son article 2 que l’islam est la religion de l’État mais qu’elle garantit la liberté de
culte. L’État garantit donc le respect et la tolérance envers les autres religions. Ce faisant,
sous cette apparence protectrice, la loi est très restrictive. Elle interdit l’exercice des
autres cultes en dehors des endroits autorisés à cet effet, et elle établit que toute
manifestation religieuse collective ne pourra avoir lieu que dans ces bâtiments. Elle
établit également des peines de prison pour ceux qui tenteraient de convertir un
musulman, par quelque moyen que ce soit. À l’évidence, les chrétiens sont harcelés, et des
cas de conversion apparaissent périodiquement dans des affaires de justice algérienne.
Ainsi, par exemple, en 2008, deux chrétiens furent condamnés à des peines de prison pour
avoir rompu le jeûne durant le Ramadan, ce qui peut surprendre puisqu’un chrétien n’est
pas obligé de jeûner. En 2010, un procès fut ouvert contre quatre chrétiens qui avaient
célébré leur culte dans le domicile de l’un d’entre eux dans le village de Larbaâ Nath
Irathen86.
47 Ces exemples illustrent un manque évident de liberté religieuse, conséquence directe de
la promulgation de l’islam religion officielle et de sa radicalisation croissante qui, face à
l’islam traditionnel plus tolérant, tente d’imposer une pratique plus rigoriste qui pourrait
déboucher sur un conflit entre religions.

Survivance de l’islam traditionnel en Kabylie

48 Après avoir examiné quelques traits de l’islam en Kabylie, nous allons souligner à présent
la continuité de cette option religieuse aujourd’hui. La religion musulmane a joui d’une
importance indéniable dans la culture kabyle comme composante d’une identité et d’une
tradition qui lui sont propres. Dès lors, il faudrait garder à l’esprit que l’islam tel que le
pratiquaient les ancêtres des Kabyles pourrait être revendiqué par les tenants d’une
culture kabyle différenciée. Le soufisme et les confréries qui l’articulent auraient été les
représentants de cet islam répandu en Kabylie.
49 Néanmoins, il existe peu de références sur les confréries soufies aujourd’hui. On ne sait
pas grand-chose non plus sur le véritable rôle que celles-ci ont joué par le passé, en partie
parce que l’histoire officielle, réécrite par le nouvel État algérien, les a masquées87, en
quelque sorte. Le dénigrement des confréries et des zaouïas fut, comme nous l’avons
indiqué, l’un des desseins poursuivis par l’Association des oulémas avec l’expansion des
idées réformistes. Ce mouvement transforma de nombreuses anciennes zaouïas en
bâtiments d’enseignement réformiste qui se chargea de « disqualifier l’autorité des saints
et des confréries » en cherchant à accaparer le monopole de la religion88.
76

50 À cela s’ajouta la bureaucratisation croissante de la religion qui, peu à peu, donnera lieu à
un islam d’État, étranger aux coutumes kabyles, dont l’objectif était d’imposer un modèle
unique de religion officielle. De cette manière, l’islam traditionnel deviendra « hors la loi
89
», faisant place à une « acculturation au plan religieux90 » qui provoquera dans la
population un sentiment de honte face au passé religieux. La pression est si forte qu’au
début des années 70 on interdit même quelques zerdas91, ce qui obligea les confréries à
adopter une attitude discrète au moment de célébrer leurs cérémonies.
51 Avec les événements du Printemps berbère d’avril 1980, la revendication berbère
s’intensifiera, mais ni à ce moment-là ni postérieurement ne s’élèvera une seule voix en
soutien à la religion populaire kabyle et à l’idée de la laïcité du mouvement identitaire
kabyle qui considère la religion comme une affaire personnelle en marge des questions
publiques.
52 Paradoxalement, les signes religieux commencent à se faire plus présents à partir de cette
époque, surtout avec l’apparition des nouveaux imams, fonctionnaires provenant d’un
milieu urbain, et l’institutionnalisation de la prière du vendredi qui conférera un
caractère public et visible à la pratique de l’islam, inconnu jusqu’alors92.
53 Pour ces imams, représentants de l’islam officiel, la prière n’est validée qu’en récitant le
Coran en langue arabe, étant donné qu’une traduction ne peut se confondre avec le Coran
qui, selon ce qu’ils affirment, ne peut exister qu’en langue arabe93. Cette position affecte
directement les Kabyles qui étaient habitués par le passé à un islam qui se basait plus sur
l’oralité que sur le texte et qui n’empêchait pas l’usage de leur langue maternelle.
54 À cette situation s’ajoute la mise en question du rôle actuel de certains éléments
constitutifs du culte populaire, comme le maraboutisme, que certains secteurs de la
Kabylie qualifient d’archaïque et de symptôme d’inculture94. C’est dans ce cadre
qu’apparaissent précisément les conséquences du changement générationnel. Beaucoup
de jeunes qui ont déjà voyagé et étudié considèrent ce type de croyance populaire comme
obsolète, malgré le fait que les marabouts – sans revendiquer la langue ou la culture
kabyles –, contribuèrent, entre autres, à imprimer sa particularité à l’islam en Kabylie.
55 Cet islam traditionnel est reconnu par une grande partie de la population qui ne
considère pas qu’il soit nécessaire de renier l’identité berbère pour être considéré comme
musulman. Il s’agit de pratiquer la religion d’une façon plus liée à la spiritualité et aux
traditions et à l’écart de l’idée que l’islam est religion officielle. Dans ce contexte, les
confréries, loin de disparaître, ont poursuivi leur activité et occupé les places vides, là où
l’islam officiel n’arrivait pas, spécialement dans les zones rurales où elles sont plus
proches de la population.
56 L’islam berbère traditionnel, plus ouvert, constitue de plus un frein aux prétentions des
islamistes, bien que la communauté kabyle ne dispose pas suffisamment de leaders
religieux capables de maintenir la pratique spécifique des musulmans kabyles et faire face
à l’avancée de l’islam arabe officiel qui prétend s’imposer sur tous les plans. On en est
même venu à parler de « bataille des mosquées95 », qui oppose le clergé traditionnel et les
« nouveaux venus » pour leur contrôle.

Conclusion
57 Après avoir revu brièvement les principales étapes de l’histoire récente de la religion en
Kabylie, il apparaît indiscutable que l’islam a fait partie et fait encore partie de l’identité
77

kabyle. Dans le panorama religieux actuel, l’islam traditionnel, avec le culte des saints et
les confréries, centré sur la vie spirituelle et éloigné des questions politiques, apparaît
comme une option intermédiaire qui jouit du plus grand enracinement historique. À ses
côtés, deux tendances polarisées paraissent se consolider : l’une passe par l’imposition
d’un islam plus rigoriste et l’autre s’engage clairement pour la liberté de conscience et le
laïcisme. Les premiers, adeptes de l’utopie islamiste qui vise à établir un ordre social
conforme à l’orthodoxie des ancêtres pieux, luttent pour islamiser la société, tandis que
les seconds considèrent que la vraie révolution se produira quand la religion retournera à
la place traditionnelle qu’elle n’aurait jamais dû quitter en Kabylie, celle de l’espace privé
96
. En dehors de ces tendances dominantes, des convertis au christianisme tentent
d’occuper une place dans la société qui leur permette d’exercer leur culte en toute liberté.
Parmi toutes ces positions, l’issue se situe peut-être dans la nécessité de vaincre l’obstacle
qui consiste à considérer l’islam comme religion d’État, devenu un frein à la
reconnaissance du pluralisme existant en Kabylie aujourd’hui.

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Paris, Fondation des sciences de l’homme, n° 33, 2006, p. 3-15.

YACINE T., « Cultura y Sociedad: el ejemplo de Kabilia », Revista Aldaba, 19, Melilla, Centro
Asociado a la UNED, 1992, p. 151-163.

NOTES
1. Cet article s’inscrit dans le cadre des résultats de deux projets de recherche intitulés
« Jeunesses, changement social, politique et sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays
maghrébins » (CSO2011-29438-C05-04) (2012-2014) et « Problèmes publics et militantisme au
Maghreb : la participation sociale et politique des jeunes dans leur dimension locale et
transnationale » (CSO2014-52998-C3-2-P) (2015-2017), financés par le ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité.
2. On renvoie, entre autres, aux travaux sur les sociétés agraires des montagnes d’Afrique du
Nord d’Hassan Rachik, [en ligne] URL : http://www.fes.org.ma/common/pdf/publications_pdf/
islam_qut_gr/islam_qut_gr.pdf
3. B. Gamal Moursi, « La relance du droit islamique dans la jurisprudence algérienne depuis
1962 », Revue internationale de droit comparé, 22/1, janvier-mars, 1970, p. 53.
4. L. Addi., Islam et politique : instrumentalisation de l’islam par le pouvoir et émergence d’une opposition
islamiste, Paris, Éditions La Découverte, 1994, p. 70.
5. A. Hanoteau, A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, t. I, Paris, Éditions Bouchène,
2003, [1873], p. 312-313.
6. Ccix Mohand u Lhusin est une figure très vénérée en Kabylie. Penseur et poète appartenant à
une famille d’influent lignage religieux, il fut considéré en son temps comme un sage ou
amussnaw et devint de plus le représentant de la culture vive du peuple, exprimée en langue
vernaculaire. Cf. M. Mammeri, Cheikh Mohand a dit (Inna-yas Ccix Muḥend), tome I, Alger, Centre
national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) 2005 [1990], p.
36.
7. C. Lacoste-Dujardin, Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, Paris, Éditions La Découverte,
2005, p. 194.
8. P. Bourdieu, Sociología de Argelia y Tres estudios de etnología Cabilia, Madrid, Centro de
Investigaciones Sociológicas, Boletín Oficial del Estado, 2006, p. 219.
9. M.B. Salhi, Société et religion en Kabylie, 1850-2000, Paris, Atelier national de reproduction des
thèses, 2004, p. 442.
10. Ibid., p. 502.
11. K. Chachoua, L’Islam kabyle : religion, État et société en Algérie. Suivi de L’Epître (Rissala) d’Ibnou
Zakri (Alger, 1903), mufti de la Grande Mosquée d’Alger, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 43.
12. A. Hanoteau, A. Letourneux, op. cit., t. II, p. 62-70.
13. De l’arabe zawiya (pl. zawaya). Il s’agit d’un centre religieux situé normalement près de la
tombe d’un saint, d’habitude une sorte de sanctuaire mais aussi un établissement scolaire
80

religieux. Cela peut être aussi le siège d’une confrérie ou tariqa, où les fidèles se rendent pour
pratiquer les cérémonies religieuses.
14. T. Yacine, « Cultura y Sociedad: el ejemplo de Kabilia », Revista Aldaba, n° 19, Melilla, Centro
Asociado a la UNED, 1992, p. 157.
15. Sidi M’hemed Ben-Abderrahmane Bu-Qubrin naquit autour de 1715 à Ayt Smaïl, dans la tribu
des Igechtulen. Après avoir passé trente ans en Égypte où il reçut sa formation à l’université de
Al-Azhar et entra en contact avec la doctrine soufie, il revint dans sa Kabylie natale où il
implanta l’ordre religieux de la Rahmaniya. Cf. L. Rinn, Marabouts et khouans : étude sur l’islam en
Algérie, Alger, Adolphe Jourdan, Libraire-Éditeur, 1884, p. 452-456.
16. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », Encyclopédie berbère, Judaïsme-Kabylie, vol. 26, Aix-en-
Provence, Edisud, 2004, [en ligne] URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/1435 p. 3
[consulté le 17 février 2013].
17. L. Rinn, op. cit., p. 453.
18. M.B. Salhi, « Les usages sociaux de la religion en Kabylie : de la spécificité à l’universalité »,
Awal, Paris, Fondation des sciences de l’homme, nº 33, 2006, p. 13.
19. M.B. Salhi, idem.
20. Ibid., p. 9.
21. P. Hacoun-Campredon, Étude sur l’évolution des coutumes kabyles spécialement en ce qui concerne
l’exhérédation des femmes et la pratique du hobous, Alger, Ancienne Maison Bastide-Jourdan, Jules
Carbonel, 1921, p. 33-38.
22. K. Chachoua, L’Islam kabyle : religion, État et société en Algérie. Suivi de L’Epître (Rissala) d’Ibnou
Zakri (Alger, 1903), mufti de la Grande Mosquée d’Alger, p. 142.
23. P. Lorcin, Imperial Identities: Stereotyping, prejudice and race in colonial Algeria, Londres-New-
York, I.B. Tauris Publishers, 1995, p. 60.
24. Le vrai nom de Ibnou Zakri, M’hend Saïd d’Ivessekrien, indiquait clairement son origine
kabyle, avec une référence explicite à sa localité natale, Ivessekrien, et la connotation vétuste,
rustre et villageoise qu’elle véhiculait à une époque où les Kabyles avaient honte de leur origine.
Zakri choisit ce nom au moment de l’enregistrer par écrit, prétendant adopter pour celui-ci une
forme arabisée atypique. Dans sa configuration, on note des traits comme la présence des
voyelles ou qui indiquent l’appartenance à un groupe musulman non arabe. Cf. K. Chachoua, op.
cit., p. 157-162.
25. Ibid. p. 176.
26. Abu Ya’ala Saïd Zawawi fut le disciple de Zakri ; il se caractérisa par sa défense de la kabylité
et par une approche plus religieuse du thème du réformisme en évitant de s’impliquer dans la
lutte anticoloniale comme dans la lutte contre les marabouts. Ses œuvres les plus connues sont
Al-islam sahih, Le Caire (1925), où il pose une série de questions et de réponses religieuses
fondamentales, parmi lesquelles celles concernant le culte des saints, les zaouïas et les ordres
religieux. Il publia également en 1918 à Damas Tarikh Zawawa (ibid., p. 194-196).
27. Voir Med Salah Aït Aldjet, La Vie du cheikh El Mouloud El Hafidhi, édition Maison des livres, [en
ligne] URL : http://www.beni-hafed.net/cheikh_el_hafidhi.html, [consulté le 8 juillet 2014].
28. G. Grandguillaume, « L’arabisation en Algérie des ‘ulamâ’ à nos jours », colloque Pour une
histoire critique et citoyenne : le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH,
2007, [en ligne] URL : https://es.scribd.com/doc/116022562/L-arabisation-en-Alge-rie-des-
ulama-a-nos-jours p. 3, [consulté le 12 juillet 2014].
29. A. Merad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 : essai d’histoire religieuse et sociale,
Paris, Mouton & Co, 1967, p. 197.
30. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », op. cit., p. 7.
31. P. Lorcin, Imperial Identities: Stereotyping, prejudice and race in colonial Algeria, p. 235.
32. K. Chachoua, op. cit., p. 7.
81

33. « En 1965, après son coup d’Etat, le colonel Boumediène lança une politique d’arabisation.
Fondée sur la rancune et l’animosité, elle tourna à la chasse au français et aux langues
« maternelles » que sont le berbère et l'arabe algérien. Le 5 juillet 1998, en Algérie, l'arabe
classique sera la seule langue autorisée dans les médias, les conférences, les déclarations, les
correspondances avec l’étranger. » M. Benrabah, « Algérie, 5 juillet : l’usage exclusif de l’arabe
entre en vigueur. Les dénis de l’arabisation », Libération, 26 juin 1998, [en ligne] URL : http://
www.liberation.fr/tribune/1998/06/26/algerie-5-juillet-l-usage-exclusif-de-l-arabe-entre-en-
vigueur-les-denis-de-l-arabisation_241466 [consulté le 17 février 2013].
34. S. Chaker, « La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? », dans
Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 65, 1992, p. 98, [en ligne] URL: http://
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1992_num_65_1_1557
[consulté le 15 janvier 2015].
35. [En ligne] URL : http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/cafrad/
unpan005534.pdf [consulté le 20 juillet 2014].
36. G. Grandguillaume, « L’arabisation en Algérie des ‘ulamâ’ à nos jours », op. cit., p. 2.
37. S. Chaker, « La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? », op. cit
, p. 99.
38. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », op. cit , p. 7.
39. B. Gamal Moursi, « La relance du droit islamique dans la jurisprudence algérienne depuis
1962 ».
40. L’imam était un marabout chargé du service du culte religieux. Dans les villages où il n’y avait
pas de marabout, l’assemblée populaire, ou ǧemaʻa, était chargée de nommer l’imam. Par contre,
dans les zones où il y avait plusieurs familles religieuses, c’était les marabouts eux-mêmes qui se
chargeaient de choisir parmi eux l’imam. De fait, dans certaines localités, la fonction de l’imam
avait fini par devenir héréditaire. A. Hanoteau, A. Letourneux, op. cit, t. II, p. 30-31.
41. Après la guerre de libération nationale, les coutumes des marabouts se relâcheront,
produisant des cas d’exogamie qui montrent que ces coutumes allaient devenir avec le temps de
simples « traditions folkloriques désuètes » (Y. Nacib, Chants religieux du Djurdjura, Paris, Sindbad,
1988, p. 24).
42. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », op. cit., p. 8.
43. En septembre 1963, un an après l’indépendance de l’Algérie, le parti politique FFS (Front des
forces socialistes) se rebella contre le pouvoir autoritaire exercé par Ben Bella et Boumédienne.
Cependant, on ne peut parler encore dans ce cas d’un mouvement identitaire kabyle au sens
strict, malgré le fait que, pour les Kabyles de l’époque, l’intervention en Kabylie des forces de
l’État, l’ANP (Armée nationale populaire), fut perçue comme la présence d’« une nouvelle armée
d’occupation ». Cf. S. Chaker, « La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture
inévitable ? », op. cit., p. 98.
44. Pour plus d’informations, voir la chronologie du Printemps berbère, [en ligne] [consulté le 15
juillet 2014].
45. K. Chachoua, « Le piège : Kabyle de langue, Arabe de religion », Revue du monde musulman et de
la Méditerranée, 124, novembre 2008, [en ligne] URL : http://remmm.revues.org/6028, p. 9,
[consulté le 15 janvier 2015].
46. Ibid., p. 5-7.
47. P. Lorcin, Imperial Identities: Stereotyping, prejudice and race in colonial Algeria, p. 235.
48. L. Addi, Islam et politique…, op. cit., p. 113.
49. « Les Algériens ont subi des formes de violence multiples depuis le putsch militaire de janvier
1992. Le nombre de morts, de blessés, de torturés, de disparus, d’orphelins, de déplacés, etc. n’est
pas établi et varie selon les sources. Les services publics occultent les victimes de la violence
d’État, tandis que les ONG ne peuvent que déduire des chiffres à partir des témoignages et des
échantillons de recensement qui en découlent. » S. Mellah, « Les massacres en Algérie,
82

1992-2004 », Comité Justice pour l’Algérie, nº 2, 2004, p. 4, [en ligne] URL : http://www.algerie-
tpp.org/tpp/pdf/dossier_2_massacres.pdf [consulté le 12 juillet 2014].
50. S. Mellah, « Le mouvement islamiste algérien entre autonomie et manipulation » , Comité
Justice pour l’Algérie, nº 19, 2004, p. 6, [en ligne], URL : http://www.algerie-tpp.org/tpp/pdf/
dossier_19_mvt_islamiste.pdf [consulté le 12 juillet 2014].
51. Voir le discours de Said Sadi du RCD appelant au boycott de l’élection présidentielle d’avril
1999, [en ligne] URL : http://www.algeria-watch.org/farticle/presid/presid3.htm (Á. Pérez
González, La Cuestión bereber en Argelia y Marruecos, Real Instituto Elcano de Estudios
Internacionales y Estratégicos, 2005, [en ligne] URL : http://www.realinstitutoelcano.org/wps/
wcm/connect/08f4e7804f0186e6bb94ff3170baead1/ARI-107-2005-E.pdf?
MOD=AJPERES&CACHEID=08f4e7804f0186e6bb94ff3170baead1, p. 3 [consulté le 12 juillet 2014]).
52. Bien qu’officiellement il n’y ait pas eu une reconnaissance des victimes du Printemps noir,
vraisemblablement 126 personnes furent tuées et des dizaines d’autres blessées par balles
pendant ces événements [http://www.lematindz.net/news/11960-lassociation-des-victimes-du-
printemps-noir-declare.html].
53. La revendication à propos du tamazight était la 8e de la plateforme d’El-Kseur (satisfaction de
la revendication amazighe dans toutes ses dimensions : identitaire, civilisationnelle, linguistique
et culturelle) sans référendum et sans conditions et la consécration du tamazight en tant que
langue nationale et officielle. L’article 3 de la Constitution de 1996 a été modifié en y ajoutant
l’article 3 bis : « Tamazight est également lange nationale. L’État œuvre à sa promotion et à son
développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. » (Loi n
° 02-03 du 27 moharram 1423 correspondant au 10 avril 2002 portant révision constitutionnelle.)
54. F. Alilat, Sh. Hadid, Vous ne pouvez pas nous tuer nous sommes déjà morts : l’Algérie embrasée, Paris,
Éditions 1, 2002, p. 215-240.
55. http://www.ladepeche.fr/article/2011/01/06/983967-algerie-les-emeutes-plus-violentes-s-
etendent.html [consulté le 10 juillet 2014].
56. http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/02/24/article.php?sid=113362&cid=2 [consulté
le 15 juillet 2014].
57. http://www.elwatan.com/actualite/ali-benhadj-indesirable-13-02-2011-111498_109.php
[consulté le 15 juillet 2014].
58. http://www.joradp.dz/FTP/jo-francais/2011/F2011014.pdf, p. 4.
59. N. Safir, « L’Algérie et le “printemps arabe” : un contexte singulier, à court terme, et des
perspectives communes, à long terme », IEMed Obs, Focus article 58, septembre 2011, [en ligne]
URL : http://www.iemed.org/observatori-fr/actualitat/opinions/l2019algerie-et-le-ab-
printemps-arabe-bb-un-contexte-singulier-a-court-terme-et-des-perspectives-communes-a-
long-terme?set_language=fr, p. 1-2 [consulté le 12 juillet 2014].
60. Pour en savoir plus consulter K. Direche-Slimani, « Kabylie : l’émigration kabyle »,
Encyclopédie berbère, 26 | Judaïsme – Kabylie, 2004, p. 4046-4050, [en ligne] URL : http://
encyclopedieberbere.revues.org/1428 [consulté le 7 septembre 2016].
61. Pour en savoir plus consulter C. Lacoste-Dujardin, « Géographie culturelle et géopolitique en
Kabylie : la révolte de la jeunesse kabyle pour une Algérie démocratique », Hérodote 4, nº 103,
2001, p. 57-91, [en ligne], URL : www.cairn.info/revue-herodote-2001-4-page-57.htm [consulté le
7 septembre 2016].
62. http://printemps2001.unblog.fr/2014/07/26/lislamisme-cest-lislam-arabe-qui-menace-
lislam-kabyle/comment-page-1/#comment-9729 [consulté le 26 juillet 2014].
63. En arabe, salaf signifie littéralement « prédécesseur » ou « ancêtre ». Ce terme fait référence
aux compagnons du Prophète et aux premières générations qui lui ont succédé.
64. Voir http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/on-instaurera-l-etat-islamique-
en-algerie-18-01-2015-4456105.php [consulté le 3 février 2015].
83

65. Voir le cas de Takerboust, At Bughardan (Assi Youcef), At Mesbah (At Douala), à Imzizou
(Fréha), de Tifilkout (Illilten), ou à Laziv (Akbou), [en ligne] URL : https://www.kabyle.com/
articles/takerboust-village-kabyle-collimateur-des-djihadistes-1584-12122008 [consulté le 26
juillet 2014].
66. http://www.liberte-algerie.com/enquete/la-kabylie-cible-dune-salafisation-en-
catimini-194993 [consulté le 11 août 2014].
67. À propos de l’association islamique « El Irchad Oua El Islah », voir http://www.siwel.info/
Rendu-frequentable--le-Hamas-de-Mahfoud-Nahnah-s-incruste-en-Kabylie_a8296.html [consulté
le 22 juillet 2016].
68. http://www.tamurt.info/associations-religieuses-en-kabylie-le-mouvement-associatif-au-
service-de-lintegrisme/ [consulté le 14 janvier 2015].
69. Hanoteau et Letourneux, 2003, vol. III, p. 233-319 ont recueilli 48 qanun. Parmi ceux-ci, il n’y a
que quelques références à des amendes pour contravention aux règles religieuses. Dans le qanun
des Aït Mahmoud, il y a des amendes pour l’homme qui ne fait pas ses prières trois jours de suite
et pour celui qui rompt le jeûne de Ramadan (p. 313). Dans le qanun des Cheurfa Guiril, tribu
maraboutique, une amende est prévue contre celui qui entend l’appel à la prière fait par le
muezzin et ne vas pas prier, s’il n’a pas d’empêchement grave (p. 236). Le reste de textes analysés,
par contre, comporte des qanuns qui s’écartent explicitement de la loi musulmane (p. 305, Qanun
des Aït Kani) ou qui donnent plus d’importance aux réunions de la djemâa en instituant le jeudi,
au lieu du vendredi, comme jour non ouvrable (p. 304, Qanun des Aït Kani).
70. https:// www.facebook.com/pages/Yal-Yiwen-i-Imanis-Laicit%C3%A9-en-
Kabylie/523472144399054 [consulté le 10 juillet 2014].
71. https:// www.kabyle.com/rassemblement-defendre-liberte-culte-conscience-
kabylie-23408-01072014, [consulté le 10 juillet 2014].
72. La traduction des paroles de la chanson et la version originale en kabyle sont disponibles sur
Internet : URL : http://www.greatsong.net/TRADUCTION-MATOUB-LOUNES,ALLAH-
WAKBAR,103695549.html [consulté le 10 juillet 2014].
73. https:// www.facebook.com/notes/mouvement-pour-lautonomie-de-la-kabylie-mak/
kabylie_espoir/187340647978800 [consulté le 10 juillet 2014].
74. Le mythe kabyle consistait en une série d’idées ou de stéréotypes tendant à accentuer les
différences entre les Arabes et les Berbères. Les défenseurs de ce mythe offraient une image plus
positive des Kabyles, les considérant comme anticléricaux et pour cela plus facilement
assimilables. Cependant, dans la politique française de l’époque, aucune décision politique ne fut
prise pour favoriser les Berbères, et aucune campagne visant à soutenir leur langue et leur
culture ne fut menée. De fait, l’idée même du mythe est ambiguë étant donné que, par définition,
un mythe consiste à attribuer à une personne ou une chose des qualités ou des mérites dont elles
sont dépourvues. Si nous acceptions l’idée du « mythe » kabyle, nous serions en train de
considérer que la spécificité kabyle était une invention coloniale attribuant aux Kabyles des
caractéristiques dont ils étaient dépourvus. Or, ce mythe n’en est pas un puisque l’on peut
constater que cette spécificité existe, comme nous l’avons exposé dans ce travail en parlant
concrètement de la religion et de l’organisation de la société kabyle.
75. K. Direche-Slimani, Kabylie : l’émigration kabyle, p. 107-111, apporte une série de tables de
baptêmes et de mariages entre les années 1888 et 1949 dans les zones suivantes : Taourit
Abdallah ; les Ouadhias ; Taguemount-Azouz ; Michelet-Ouarzen et Bou Nouh.
76. Ibid., p. 73.
77. K. Direche-Slimani, idem, p. 83.
78. Ibid., p. 117.
79. L’article : « Ils choisissent Jésus », dans VSD nº 1941 du 6 novembre 2014, évalue à 8 000 (bien
que, au vu de ce que publient d’autres médias actuels, ce chiffre puisse être en dessous de la
réalité) le nombre de conversions de musulmans au christianisme en Algérie, principalement en
84

Kabylie, [en ligne] URL : http://www.christianophobie.fr/breves/algerie-plus-de-8-000-


conversions-de-musulmans-au-christianisme#.Vdiz2LLtmko [consulté le 10 juillet 2015].
80. M. Mohammed Cherif, « La conversion ou l’apostasie : entre le système juridique musulman
et les lois constitutionnelles dans l’Algérie indépendante », Cahiers d’études du religieux. Recherches
interdisciplinaires, nº spécial, 2011, [en ligne] URL : http://cerri.revues.org/809, p. 2 [consulté le
12 juillet 2014].
81. En Algérie, le système juridique musulman et le droit commun se côtoient, ce qui donne lieu à
l’occasion à des contradictions comme il arrive dans le cas de l’apostasie. Dans le Code pénal
algérien en vigueur, on ne condamne pas expressément le délit d’apostasie, [en ligne] URL :
http://www.droit.mjustice.dz/legisl_fr_de_06_au_juil_08/code_penal_avec_mod_06.pdf
82. Code de la famille de 1984 et modifications de 2005.
83. M. Mohammed Cherif, « La conversion ou l’apostasie entre le système juridique musulman et
les lois constitutionnelles dans l’Algérie indépendante », op. cit., p. 4.
84. Pages des chrétiens kabyles : URL : https://www.facebook.com/pages/La-Page-officielle-des-
chr%C3%A9tiens-de-kabylie-lAlg%C3%A9rie-/174571802554928 [consulté le 10 janvier 2015] ;
URL: http://evangelique-kabyle-asso.7adire.net/ [consulté le 10 janvier 2015].
85. Voir Awal n Tuddert. Adlis n leԑqed ajdid aked Ihellilen, Paris, Editions Aceb, 2012, bien qu’il
existe des versions plus anciennes en kabyle.
86. Voir URL : http://www.lefigaro.fr/international/2010/09/20/01003-20100920ARTFIG00720-
algerie-mauvais-musulmans-et-chretiens-sont-traques.php [consulté le 8 juillet 2014] et URL:
http://www.depechedekabylie.com/national/87459-proces-des-quatre-chretiens-aujourdhui-
larbaa-nath-irathen.html [consulté le 8 juillet 2014].
87. M.B. Salhi, « Eléments pour une réflexion sur les styles religieux dans l’Algérie
d’aujourd’hui », Insaniyat, n° 11, 2000, [en ligne] URL : http://insaniyat.revues.org/7970, p. 5
[consulté le 26 mars 2015].
88. Ibid.
89. Ibid., p. 4.
90. Ibid., p. 6.
91. La zerda est « la réunion nocturne qui se célèbre dans les zaouïas établies en l’honneur d’un
saint. Durant cette rencontre, les fidèles et les malades viennent chercher des grâces et la
guérison. On y pratique des chants et des danses au son de flûtes et de tambours qui augmentent
progressivement de vitesse de sorte que les membres de la confrérie entrent en transe. », C.
Lacoste-Dujardin, Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, p. 371 [zaouïa].
92. K. Chachoua, « Le piège : Kabyle de langue, Arabe de religion », op. cit., p. 2.
93. Ibid., p. 7.
94. Voir URL : http://www.kabyles.net/Le-maraboutisme-en-Kabylie,6717 [consulté le 8 août
2015].
95. M.B. Salhi, « Eléments pour une réflexion sur les styles religieux dans l’Algérie
d’aujourd’hui », op. cit., p. 11.
96. L. Addi, Islam et politique : instrumentalisation de l’islam par le pouvoir et émergence d’une opposition
islamiste, p. 156.
85

AUTEUR
CARMEN GARRATÓN MATEU
Doctorante dans le groupe de recherche LESOAB (Langues et sociétés arabes et berbères) à
l’université de Cadix (Espagne). Ses recherches portent sur le droit coutumier berbère, l’islam et
la position de la femme nord-africaine, de l’époque coloniale à nos jours.
86

III. L’amazighité au prisme du temps


mondial : évolutions récentes des
mouvements identitaires
87

Des revendications linguistiques aux


projets d’autodétermination : le cas
de la Kabylie (Algérie)1
Mohand Tilmatine

1 Les revendications identitaires berbères qui ont marqué ces dernières décennies la scène
politique de pays nord-africains comme l’Algérie et le Maroc viennent de s’étendre plus
récemment à d’autres pays de la région, où – à l’ombre des printemps dits « arabes » – le
monde découvre que la Libye et la Tunisie ont également leurs Berbères qui aspirent de la
même manière à la reconnaissance de leur langue et de leur culture.
2 Néanmoins, eu égard à l’étendue géographique, aux spécificités sociologiques, historiques
et culturelles de chaque pays, il est clair que les contenus, l’intensité ou la forme que
prennent ces revendications diffèrent d’un pays à l’autre, voire même d’une région
berbérophone à l’autre.
3 Dans cette contribution, qui se limitera à l’Algérie et plus particulièrement à la Kabylie,
nous nous intéresserons fondamentalement à l’analyse de l’évolution des revendications
berbères – ou kabyles dans ce cas – qui passeront d’une simple demande de
reconnaissance de la langue et de la culture berbères à une demande
d’autodétermination. Le travail se centrera sur une tentative de reconstruction des
principaux moments fondateurs qui vertèbrent les différentes phases par lesquelles
passera le mouvement berbère et qui feront basculer la revendication d’un cadre
déterminé pour son emboîtement dans un autre avec de nouvelles perspectives politiques
mais aussi de nouvelles stratégies revendicatives.
4 Pour ce faire, nous nous inspirerons du point de vue méthodologique de la théorie de
l’analyse des cadres, connue et largement utilisée dans l’étude des mouvements sociaux.
Celle-ci préconise que les formes de mobilisation sont déterminées par l’identification
subjective d’un ensemble d’individus à une « situation jugée injuste et immorale2 ». La
théorie du cadrage postule que les mouvements sociaux sont producteurs et diffuseurs de
signification. Ils s’engagent dans un travail où le sens est attribué, construit, et les
interprétations développées afin d’aboutir à l’adhésion et à la mobilisation des auditoires
88

visés3. Ce processus est dénommé « cadrage » (framing) car il produit les « cadres de
l’action collective ».
5 La théorie des cadres pose qu’en l’absence d’un cadre efficace, aucune mobilisation n’est
possible. Pour que le mouvement puisse réaliser ses objectifs – recruter des membres,
collaborer avec d’autres mouvements, mobiliser les militants en vue d’une action – il doit
« encadrer » sa cause, son idéologie et son action de manière à gagner l’adhésion des
différents destinataires4. Or, par « cadres de l’action », on ne se réfère pas exclusivement
à ceux qui sont stratégiquement construits en vue d’une mobilisation immédiate pour
une action précise. Klandermans suggère que la mobilisation à l’action est précédée par
une « mobilisation de consensus » (consensus mobilization), à savoir « a process through
which a social movement tries to obtain support for its viewpoint5 ». Il s’agit ainsi d’un
travail de longue durée, durant lequel le mouvement propage sa critique sur une réalité
problématique, tout en indiquant qu’une action collective peut aboutir à un changement
social6.
6 Pour aborder ces processus, nous identifierons trois phases principales, qui marquent
cette évolution depuis l’indépendance du pays :
• une phase « culturaliste » qui commencera à l’époque coloniale et qui atteindra son apogée
avec la massification de la revendication berbère durant les événements dits du « Printemps
berbère » de 1980 ;
• une phase qui sera marquée par la radicalisation des discours et l’affrontement avec le
pouvoir. Les événements de 2001 marqueront cette étape tout en entraînant certaines
concessions arrachées au pouvoir central ;
• une phase qui conduira à partir de 2001 à la création d’un mouvement autonomiste puis
indépendantiste kabyle demandant la rupture définitive avec le pouvoir central algérien.
7 Dans chacune de ces phases, les revendications seront illustrées en mettant en exergue
certaines stratégies sous-jacentes à chaque étape de cette évolution. Des documents de
base pour chaque période serviront de sources de références pour l’analyse des
différentes phases des emboîtements ainsi que des alignements ou cadres interprétatifs
mobilisés par les acteurs durant le processus revendicatif et pendant lequel le groupe
remet en cause les « cadres » déjà en place pour en proposer de nouvelles significations 7.

La phase culturaliste : le MCB, un mouvement kabyle


« algérianiste »
Localisation/périodisation : le poids de l’histoire

8 Les origines de cette phase remontent à la première moitié du XXe siècle. Salem Chaker
parlera alors d’une « veine culturaliste » incarnée par la chaîne des instituteurs et des
écrivains kabyles, qui ont pour souci primordial – souvent professionnel, comme chez
Boulifa, Mammeri, etc. – l’étude, la conservation et la promotion du patrimoine
linguistique et littéraire berbère8.
9 Pour ces auteurs, le travail culturel ne débouche pas sur une vision clairement politique,
ou, si elle existe, celle-ci n’est pas assumée en tant que telle, à l’exception toutefois du
fameux épisode de la crise dite « berbériste » de 1949 pendant lequel des militants
kabyles s’affrontèrent aux autres militants du mouvement national algérien sur la
question de la définition de la future identité d’une Algérie indépendante.
89

10 En mars 1949 Ali Yahia, membre du comité directeur de la Fédération de France du Parti
populaire algérien (PPA)/Mouvement pour le triomphe les libertés démocratiques
(MTLD), réussit à faire voter, avec une majorité écrasante de 28 voix sur 32, une motion
dénonçant le mythe d’une Algérie arabo-islamique et défend la thèse d’une Algérie
algérienne. Ces événements aboutiront aux affrontements sanglants et meurtriers entre
les militants dits « berbéro-nationalistes » et les partisans d’une orientation arabo-
islamiste. L’assassinat, la répression et les persécutions qui s’abattent sur leurs membres
les plus influents sont alors justifiés par la nécessité de faire front commun face à
l’ennemi français colonisateur contre lequel le Front de libération nationale (FLN) allait
déclencher la lutte armée9.
11 Ces événements passèrent sous la chape de plomb de la censure d’État et allaient y rester
pendant des décennies après l’indépendance du pays. Toute référence au berbère et a
priori à la Kabylie ou à sa spécificité était devenu tabou.
12 Nous sommes dans un cadre de diagnostic. L’injustice est évidente : malgré une
participation très forte à la lutte de libération nationale, la Kabylie voit sa langue et sa
culture exclues de la culture nationale et menacées par une politique d’arabisation très
virulente10.
13 L’intérêt pour la culture et la langue berbères connaîtra un important mouvement de
massification et se renforcera considérablement suite à un événement qui fait figure de
moment fondateur du mouvement revendicatif amazigh, le Printemps berbère d’avril
1980, qui donnera naissance au Mouvement culturel berbère (MCB). Rappelons très
brièvement que c’est l’interdiction d’une conférence que devait prononcer le très
populaire Mouloud Mammeri à propos de son livre : Poèmes kabyles anciens (1980) – recueil
de chefs-d’œuvre rares de la culture orale kabyle – qui déclenchera les protestations et le
cycle de violence et de contre-violence. Il est intéressant de souligner que c’est la
répression d’un événement spécifiquement culturel qui fut le détonateur des
manifestations de ce fameux Printemps berbère et des violences qui se maintinrent
durant des décennies jusqu’aux événements d’avril 2001.
14 L’organisation se fera autour de la reformulation et de la reconstruction d’un autre cadre
qui donnera un sens nouveau à la résistance collective face à cette répression11. On
retrouvera les circonstances et le récit de ces événements narrés par un participant à ces
événements12.
15 Il est important de signaler que, malgré sa localisation régionale en Kabylie, puisqu’il est
parti de l’université de Tizi Ouzou, le mouvement de protestation et de revendication se
propagera d’abord et parallèlement au sein de la communauté kabyle dans l’immigration
pour s’étendre ensuite à d’autres régions berbérophones, surtout au Maroc. Toutefois, le
contexte ou Zeitgeist de l’époque et ses contraintes politiques feront que les aspirations et
revendications du mouvement berbère des années 80 se maintiendront dans une
perspective « nationale » et « algérianiste ». Ceci vaut aussi bien pour les textes que pour
les militants du mouvement berbère qui se sont toujours inscrits dans cet espace
politique. Le poids du « nationalisme » et les tabous sur l’unité de la nation imposeront
automatiquement une autocensure aux animateurs du mouvement berbère pour
maintenir leurs revendications dans l’« espace national », ce qui se reflète sur le plan du
discours par la revendication d’une langue amazighe appartenant à tous. Du point de vue
de la théorie des cadres, on parlera « d’alignement », en d’autres termes, d’un processus
interprétatif et de négociation entre les acteurs du moment qui obligera à adopter des
90

positionnements et des ajustements en fonction des nécessités de l’environnement


politique du moment.
16 Ce discours, qui se retrouve bien entendu dans les deux pays nord-africains, ne sera
rompu, en Algérie, que par le MAK13.

Du national au transnational

17 Les revendications qui marqueront cette première phase du développement du MCB sont,
pour la Kabylie, clairement énoncées dans les documents principaux du mouvement : 1°
le rapport de synthèse du dossier culturel adopté lors du séminaire de Yakouren du 1er au
31 août 1980, donc à peine quelques mois après les événements du Printemps berbère
d’avril 1980 ; 2° le rapport de synthèse du deuxième séminaire du 16 au 24 juillet 1989 à
Tizi-Ouzou14.
18 Dans l’ensemble, le MCB revendiquait la reconnaissance de la langue et de la culture
berbères mais aussi l’arabe algérien comme langues nationales ainsi que leur
enseignement. C’était en effet le cadre et l’esprit de l’époque. C’est ce que nous rappelle
un texte intitulé « Réflexions sur le mouvement culturel populaire en Algérie » publié
dans la mythique revue Tafsut dans son premier numéro et signé par les initiales R.B. et
H.S. :
« Il n’est pas besoin aujourd’hui de rappeler que c’est autour des mots d’ordre de
libertés démocratiques et de langues populaires (tamaziγt et arabe algérien) que le
formidable mouvement populaire s’est cristallisé15. »
19 Relevons par ailleurs la prudence extrême qui caractérise encore les positions du
mouvement qui ne parle encore que d’un « mouvement populaire en Algérie » !
20 Ces revendications, d’abord locales, évolueront plus tard vers un caractère plus
transnational pour toucher également la diaspora berbère en Europe et en Amérique du
Nord. Les militants berbères commenceront à intervenir au niveau international dans
différents cadres pour donner une certaine visibilité à leurs revendications.
21 Ainsi, des représentants feront entendre la voix des Amazighs au sein du Congrès mondial
amazigh, à travers leur participation aux instances internationales de l’ONU sur les
peuples autochtones, au Conseil économique et social des Nations Unies, du 11 février au
1er mars 2013, à la 82e session du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale à
Genève (Rapport alternatif de l’association pan-berbère Tamazgha ( http://
www.tamazgha.fr/), etc.
22 Cet activisme international pour faire avancer des revendications nationales est souvent
défini comme un cas de glocalisation16.

Concessions et radicalisation : le « Printemps noir » et


la rupture
23 Cet ancrage de la revendication berbère et son extension, aussi bien du point du vue
démographique que qualitatif, mais également son internationalisation vont conduire à
certaines concessions de la part du gouvernement central d’Alger qui commencera
bientôt à se rendre compte de l’étendue de la contestation et du danger qu’elle
représentait pour la stabilité du pouvoir.
91

24 Ainsi, la multiplication des manifestations en Kabylie forcera les autorités à tolérer dans
un premier temps puis à accepter l’introduction du berbère dans les universités kabyles
de Tizi Ouzou (1990) et de Bejaia (1991).
25 La fameuse grève du cartable de 1995 en Kabylie débouchera sur la création du Haut
Commissariat à l’Amazighité (HCA). Ainsi, le 27 mai 1995, après huit mois de boycott
scolaire dans toute la Kabylie et de longues négociations entre la présidence de l’État, des
représentants des deux tendances principales du MCB kabyle17 et ceux du Mouvement
culturel amazigh, chaoui et mozabite, le décret présidentiel nº 95-147 du 27 mai 1995
portant création du HCA sera signé par les négociateurs des deux camps18.
26 Cette nouvelle institution, qui est un organe étatique chargé de la promotion de la langue
et de la culture amazighes, répond surtout à la nécessité d’exercer un contrôle direct de
l’Etat sur la gestion de la question amazighe en Algérie. En effet, les articles 2, 3 et 8 de ce
texte décrètent que ce Haut Commissariat est directement « rattaché à la présidence de la
République », que « son siège est fixé à Alger » et enfin que cet organe « est placé sous
l’autorité du chef de l’État ». Il a pour missions fondamentales « la réhabilitation de
l’amazighité en tant que l’un des fondements de l’identité nationale » et « l’introduction
de la langue amazighe dans les systèmes de l’enseignement et de la communication »
(article 4).

Le berbère reconnu comme « langue de tous les Algériens »

27 Un autre fait qui compte parmi les concessions du gouvernement algérien à la question
berbère est sans nul doute ce que d’aucuns considèrent comme une (timide)
reconnaissance de la langue berbère. En effet, le 12 mars 2002, le président Bouteflika en
personne annonce la constitutionnalisation du berbère comme langue nationale tout en
présentant ce geste comme entrant parfaitement dans le processus de « récupération de
l’identité nationale ». Le président algérien, après toute la répression subie par les
militants berbères finit même par présenter la « récupération de l’identité amazighe »
comme faisant suite à celle de l’arabité en Algérie ! Le tout entrant, selon Bouteflika, dans
le cadre de la reconstruction de la « personnalité nationale » à la suite des tentatives de sa
destruction [par le colonialisme]. Le colonialisme étant également « coupable » de la
« non-reconnaissance » du berbère en Algérie :
« Les tentatives de destruction de la personnalité algérienne ont sans doute rendu
lent et complexe le processus de récupération de la personnalité nationale. Il en a
été ainsi de la récupération de l’identité nationale dans son intégralité. Il en a été de
même de la récupération de l’arabité de l’Algérie. Il en a été ainsi de la récupération
de son amazighité. C’est donc bien de l’identité du peuple algérien dans son
intégralité qu’il s’agit lorsque l’on parle d’amazighité, et le caractère national des
composantes de cette amazighité ne peut donner lieu à aucune contestation qu’il
s’agisse de la langue ou de la culture amazighe19. »
28 La langue berbère devrait donc être sans nul doute « le patrimoine de tous les Algériens »,
et l’amazighité, l’arabité, l’islamité mises sur le même plan « ne sont pas propres à une
partie seulement des Algériens ». Pour le président de la République, cette
reconnaissance ne saurait en aucun cas être perçue comme une « spécificité locale ou
régionale » mais s’étend à toute l’Algérie :
« Tamazight s’entend de toutes les richesses linguistiques couvrant le territoire
national aux côtés de la langue arabe, des Aurès à Kenadsa, de Bejaia à Tamanrasset,
92

du Mzab à Tamentit, de Tebessa à Maghnia, de Azazga à Takhmart, de


Bousemghoun à Tindouf et de Djanet à Bordj Badji Mokhtar20. »
29 Sa reconnaissance n’est donc possible que si la personnalité algérienne demeure unique :
« Il est primordial de poser comme postulat que la reconnaissance du tamazight
comme langue nationale s’inscrit dans un esprit de consolidation du processus
global de restauration de la personnalité nationale unique 21. »
30 Ce discours, loin de convaincre, est perçu comme les autres concessions citées auparavant
comme une énième tentative de récupération de cette revendication et de canalisation du
mouvement qui demande une officialisation de la langue et de la culture. Par ailleurs, ni
les activités du HCA ni son statut ne semblent permettre de mener à bon port les missions
qui lui sont assignées, notamment l’introduction du berbère dans le système
d’enseignement, langue qui demeure confinée au statut de langue optionnelle et surtout
présente quasi exclusivement en Kabylie.
31 Nous pourrions donc penser que dans un autre cadre, plus décentralisé et plus
démocratique, le principe de territorialité devrait prévaloir de manière à ce que les
locuteurs d’une région déterminée puissent avoir le droit de décider sur leur territoire de
leur propre politique linguistique, droit qui pourrait et devrait s’étendre à d’autres
domaines. Selon le modèle d’analyse des principes de territorialité linguistique de
Schutter, il s’agirait, dans le cas kabyle, d’une situation décrite comme la deuxième des
trois options proposées :
« The second conception concerns the authority to design language regimes and
says that language groups that are territorially based should be self-governing as
far as this concerns linguistic affairs22. »
32 Il est clair que ni le niveau de démocratisation qu’affichent les pays nord-africains, ni les
modèles centralisés à l’extrême de gouvernance qui les caractérisent ne permettent de
rêver dans l’immédiat à une possible application de modèles similaires. En effet, ces
derniers s’appuient sur des principes de territorialité linguistique mais surtout tirent leur
légitimité de systèmes de gouvernance bien plus avancés. Cet état de fait explique
d’ailleurs le type d’affrontement souvent violent qui caractérise les relations entre
gouvernants et gouvernés en Afrique du Nord.

Le « Printemps noir »

33 Une date charnière dans l’évolution des revendications berbères, surtout du point de vue
qualitatif, est sans doute le désormais célèbre « Printemps noir » de 2001 en Kabylie. Ces
événements ont sans doute provoqué un tournant dans l’évolution des revendications
identitaires dans la région et ont fait basculer celle-ci vers une nette radicalisation de ses
revendications et ce dans pratiquement tous les domaines.
34 Rappelons que ces événements et ces massacres commis par la gendarmerie algérienne
n’ont pratiquement pas suscité de réactions de solidarité dans les autres régions d’Algérie
et ce malgré une plateforme de revendications qui demandait des mesures de
démocratisation et d’amélioration sociale pour l’ensemble des Algériens.
35 Deux événements sont considérés comme les étincelles qui ont mis le feu aux poudres et
provoqué les révoltes de jeunes Kabyles lors des célébrations – comme chaque année
depuis 1980 – de la commémoration du Printemps berbère de 2001. D’abord, la mort le 18
avril 2001 d’un jeune Kabyle de 20 ans dans une caserne de la gendarmerie locale de son
village à Aït Douala. Dans leur version des faits, les forces de l’ordre déclarèrent que le
93

coup de feu qui avait provoqué la mort du jeune Massinisa était dû à un « accident par
imprudence23 ».
36 Ensuite, un deuxième cas d’affrontement se produisit le 22 avril 2001, à Oued Amizour,
dans la wilaya de Béjaïa, lorsque des éléments de la même gendarmerie nationale
interpellèrent brutalement trois lycéens, alors qu’ils étaient avec leur classe et sous la
responsabilité de leur professeur de sport, pour avoir crié des slogans interprétés par les
forces de l’ordre comme « outrage à l’encontre des gendarmes de la brigade24 ».
37 La spirale de violence, manifestation-répression, qui s’ensuivit provoqua plus d’une
centaine de morts et des milliers de blessés parmi les jeunes manifestants kabyles, sans
que les responsables n’aient jamais eu à rendre compte de leurs actes devant la justice ni
qu’aucune manifestation de soutien et de solidarité provenant d’autres régions d’Algérie
n’ait pu être observée.
38 Dans n’importe quel autre pays du monde démocratique, la mort de plus d’une centaine
de jeunes et les blessures de plusieurs milliers de personnes par coups de feu tirés par les
forces de l’ordre, et donc censées les défendre, auraient été traitées comme une tragédie
nationale. En Algérie, cependant, le gouvernement n’aura même pas décrété un seul jour
de deuil national.
39 Jamais auparavant les médias, pourtant habituellement prompts à défendre
farouchement « l’unité nationale » du pays, n’avaient parlé aussi clairement et
publiquement d’une rupture entre les Kabyles et l’État25.
40 Les jeunes Kabyles, en raison notamment du manque d’infrastructures et
d’investissements dans leur région, souffrent depuis toujours du chômage. Exaspérés par
le manque de perspectives de travail et l’absence d’avenir, ils reprochent à l’État son
« mépris » (hogra) à leur égard, qu’ils comparent aujourd’hui sans ambages à celui du
colonialisme français qu’ils espéraient révolu26.
41 Désormais, un grand nombre de Kabyles ne croient plus en une possible solution venant
du gouvernement central ni comprennent pourquoi ils devraient continuer à s’engager et
lutter pour l’ensemble de l’Algérie lorsque le reste du pays ne répond pas lorsque la
répression s’abat sur eux.

Répression et pression

42 La réponse de l’État sera, comme toujours depuis l’indépendance, essentiellement


répressive. Des événements très importants comme la mort du chanteur Lounes Matoub
(juin 1998), l’interdiction des manifestations à Alger puis d’une manière arbitraire sur
tout le territoire algérien, l’absence de mesures pour lutter contre la répression, les rapts
et les violences, les morts « accidentelles » de Kabyles sous les balles des militaires
algériens traitées de « bavures » et l’inflexibilité du régime et des militaires algériens ont
conduit à des stratégies d’intensification avec d’incessantes manifestations de toute la
société civile kabyle (médecins, avocats, étudiants, femmes, journalistes…) qui
culmineront avec l’organisation de la fameuse marche sur Alger (14 juin 2001) et les
graves incidents qui s’ensuivirent comme l’attaque et l’incendie d’un grand nombre de
casernes de la gendarmerie en Kabylie.
43 La commission d’investigation présidée par un grand juriste kabyle, Mohand Issad27, créée
sous la pression des manifestations et commandée par le président algérien pour faire la
lumière sur ces événements fut très claire dans son verdict, mettant en cause la
94

responsabilité des services de sécurité et de la gendarmerie dans les nombreuses


exactions. Le rapport souligne dans ses conclusions :
« – La réaction violente des populations a été provoquée par l’action non moins
violente des gendarmes, laquelle, pendant plus de deux mois, a nourri et entretenu
l’événement : tirs à balles réelles, saccages, pillages, provocations de toutes sortes,
propos obscènes et passages à tabac.
– Les gendarmes sont intervenus sans réquisition des autorités civiles comme la loi
le stipule.
– La violence enregistrée contre les civils est celle d’une guerre, avec usage de
munitions de guerre. »
44 Cette période du Printemps noir sera marquée par la publication d’une plateforme de
revendications du mouvement citoyen kabyle et par un usage intensif des réseaux sociaux
pour pallier le manque d’information sur ces événements.
45 La mémoire collective kabyle sera fortement marquée par la violence de l’État algérien.
Des slogans comme Ulac Smah ulac (pas de pardon !) ou « pouvoir assassin » – entretemps
très répandus – refléteront ce refus de l’oubli des morts et de la répression. Le
Mouvement des Aarchs de Kabylie s’inscrit néanmoins dans une perspective nationale et
refuse de limiter sur le plan du discours leurs revendications au territoire de la Kabylie.

La naissance d’une pensée autonomiste


« L’autonomie personnelle, locale et régionale » du FFS et du RCD

46 Parmi les premiers projets de régionalisation ou d’autonomie régionale, il y eut d’abord


celui du Front des forces socialistes (FFS), dans la clandestinité de 1965 à 1989, paru dans
sa plateforme de mars 1979 intitulée : « L’alternative démocratique révolutionnaire à la
catastrophe nationale. » Dans cet avant-projet, le FFS parlait de « l’autonomie
personnelle, de l’autonomie locale et de l’autonomie régionale28 ». Cependant, le FFS,
après sa réhabilitation (1989), n’a jamais fait de ce projet un axe central de son discours
ou de son action politique qui a toujours insisté sur sa dimension « nationale ». De fait, le
rejet de l’État central est à présent si grand en Kabylie que ces deux partis légaux et
nationalo-institutionnalistes, qui ont de ce fait toujours repoussé l’étiquette de « partis
kabyles », prennent désormais le train de cette revendication dans le sens d’une
décentralisation du pouvoir, mais sans grande conviction, l’accusation de partis
« régionalistes » kabyles pesant toujours sur leur tête comme une épée de Damoclès.
47 Avec cette réaction tardive, ces partis politiques tentent de redresser la barre car ils
subissent une grande baisse de popularité surtout depuis le Printemps noir, comme le
démontrent l’attaque et l’incendie de quelques représentations des deux partis dans
certaines régions de Kabylie.
48 Bien que le texte de présentation du nouveau projet politique du Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD) ne parle pas expressément d’un système fédéral ou
d’autonomie régionale, le président du parti suggère dans diverses déclarations à la
presse un système décentralisé, tout en considérant comme condition préalable
l’inclusion des autres régions du pays dans ce processus. Dans son projet, le RCD avait
proposé de créer 12 régions sur la base des spécificités de chaque partie du pays. Alger en
serait la capitale. Il y aurait ainsi comme régions la Kabylie, le Titteri (Blida et périphérie),
95

le Cheliff (Chlef et Aïn Defla), l’Oranie, la Saoura (Béchar), le Touat (Gourara), le Grand Erg
oriental et l’Ahaggar29.

Les appels à l’autonomie linguistique et culturelle depuis la diaspora

49 Malgré le tabou qui pèse sur l’« unité de la nation », l’absence d’une perspective de sortie
de crise ouvrait la voie à d’autres formes de gouvernance qui remettaient en cause le
système politique en vigueur. Ainsi, les premières pétitions en faveur d’une autonomie –
d’abord linguistique et culturelle – de la Kabylie ne tardèrent pas à circuler.
50 Il faudrait relever à cet égard le rôle prépondérant que joueront certaines figures du MCB
et qui contribueront vers la fin des années 90 à la diffusion de cette idée30. Outre les
publications, il y avait également des appels publics clairement en faveur de cette
évolution et signés par des centaines d’intellecturels mais aussi d’autres personnes de
couches sociales kabyles. Ainsi, il y eut par exemple lors du Printemps berbère de 1998 un
premier appel public intitulé : « Tamazight, langue nationale de l’Algérie et langue propre
de la Kabylie » et qui affirmait que la langue berbère devrait être reconnue comme
« langue propre » des zones berbérophones qui le désireraient dans un cadre général
d’autonomie linguistique et culturelle.
51 Un autre appel fut lancé le 29 avril à l’occasion de la rebellion de 2001 et intitulé : « Une
kabylie autonome pour une Algérie démocratique », dans lequel on exigeait un statut
« d’ample autonomie » pour la Kabylie, la reconnaissance de la langue berbère comme
« langue propre » de la Kabylie, qui devrait disposer d’une autonomie totale dans les
domaines linguistique, culturel et éducatif et finalement que l’amazigh soit une des
langues nationales et officielles de l’Algérie. Ces positions partagées par divers
intellectuels kabyles ont encouragé le lancement d’un débat sur le concept d’autonomie
appliqué à la Kabylie. Des expériences similaires dans les pays européens, comme en
Catalogne31 surtout, bien que différentes, ont certainement contribué au développement
de ce débat.

Le rôle de la diaspora et la référence catalane

52 Du point de vue linguistique, des stratégies de communication accompagneront cette


deuxième phase de l’évolution du discours identitaire par le choix de certains concepts,
dans la mesure où l’on passera de la référence aux langues et des références communes
(Berbère/Amazigh et berbérité/amazighité) à une référence de plus en plus claire aux
spécificités kabyles.
« Nommer c’est faire exister, c’est construire. […] Donner un nom résulte d’un
processus constructiviste : c’est faire exister une réalité qui ne l’était pas
auparavant, c’est homogénéiser, clôturer un ensemble de réseaux ou d’éléments à
l’origine en relation les uns aux autres de manière hétérogène 32. »
53 Ainsi, on passera peu à peu des « Berbères » aux « Amazighs » ; du berbère ou de
l’amazigh comme langue commune à l’ensemble des Berbères ou des Amazighs (pan-
amazighité) à un concept emprunté à la politique autonomiste catalane : le kabyle comme
« langue propre » de la Kabylie.
54 Les références ou les comparaisons avec l’expérience catalane à laquelle est emprunté le
concept de « langue propre » apparaissent dès la fin des années 9033. On insiste alors plus
clairement sur le fait que le concept « berbère, langue nationale », défendu par le
96

Mouvement culturel berbère, n’est plus d’actualité et qu’il serait même dangereux « pour
l’autonomie linguistique de la Kabylie » :
« Même le mot d’ordre du Mouvement culturel berbère, “berbère, langue
nationale”, repris par les partis politiques kabyles, paraît dangereux car aisément
récupérable par l’Etat central, si son contenu n’est pas très précisément défini.
Disons-le tout net, contrairement aux thèses officielles algériennes, qui explicitent
une stratégie évidente de dépossession et de neutralisation, le berbère est d’abord
la langue des berbérophones, car une langue – sauf s’il s’agit d’une langue morte –
n’existe pas en dehors de ses vecteurs humains34. »
55 Cette référence à la Catalogne n’est pas un hasard eu égard aux contacts et aux échanges
qui existent entre des intellectuels ou hommes politiques kabyles et catalans (notamment
Ait Ahmed, Ferhat Mehenni et Said Saadi) et qui s’est même traduite – outre la
célébration de la rencontre déjà citée « Kabylie-Catalogne » en 2001 –, par la création d’un
Observatoire catalan de la langue amazighe, par l’adoption d’une résolution par le
parlement catalan en faveur de la Kabylie et condamnant la répression par l’État algérien
des manifestants kabyles lors des événements du Printemps noir de 2001. L’invitation et
l’accueil à Barcelone par le Pen Club catalan du seul écrivain de langue kabyle en exil,
Salem Zenia, est un autre signe révélateur de ces contacts35.
56 Le concept « langue propre » sera divulgué dans plusieurs textes, déclarations, manifestes
signés par des intellectuels kabyles, réunis souvent autour de Salem Chaker, linguiste et
professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et du
groupe du Cercle d’étude et de réflexion sur l’autonomie de la Kabylie (CERAK)36. Une
déclaration dans le même sens – revenant sur les événements de 2001 – affirmait dans
une déclaration du 29 avril de la même année :
« 2. La langue berbère doit être reconnue comme langue propre de la Kabylie, et la
région doit bénéficier d’une autonomie totale en matière linguistique, culturelle et
éducative. » (Source : MCB-France: http://mcbrn.chez.com/declarik.html.)

Le MAK et la matérialisation de la rupture


Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK)

57 Les commémorations du Printemps berbère de ces dernières années ont mis en évidence
une évolution claire dans le paysage revendicatif kabyle : l’apparition du Mouvement
pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), qui s’impose désormais comme une force majeure
supplantant des partis politiques dits kabyles et traditionnellement ancrés dans cette
région comme le FFS ou le RCD37.
58 Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, l’ex-président du Mouvement culturel
berbère – Rassemblement national (MCB-RN), Mehenni, organisait le 5 juin 2001 à Tizi
Ouzou, capitale kabyle en état de siège, une conférence annonçant la naissance du MAK et
exigeant une « ample » autonomie et la reconnaissance de la langue comme « langue
propre de la Kabylie ». Cette conférence publique brisait pour la première fois ce qui était
jusqu’alors un tabou : l’État-nation hypercentralisé. La classe politique algérienne,
façonnée par le culte de l’Etat unique comme forme exclusive de gouvernance, est sous le
choc : est-ce le début de la dislocation de l’Etat national ? La désintégration du pays est-
elle en marche38 ?
97

59 Pour l’initiateur de ce mouvement, la Kabylie, qui se maintiendrait dans le cadre de l’État


algérien, devrait disposer d’un parlement et d’un gouvernement propres et participerait
au sein du gouvernement central et dans le parlement national.
60 Pour le MAK, seuls les domaines de la monnaie, de la défense nationale et de la diplomatie
devraient se maintenir comme compétences de l’État central. La Kabylie devrait gérer le
reste non pas à travers des représentants ou des fonctionnaires de l’État comme le wali
(préfet) ou le chef de daira (circonscription) mais par le biais de représentants
directement élus par les Kabyles. Une perspective qui réaffirme la nécessité de faire
prévaloir la société face à l’État et non le contraire.
61 Le MAK souligne sa démarcation des projets de « régionalisation positive » et de
« refondation nationale » en argumentant par le fait qu’il exprime plus concrètement et
plus ouvertement ses idées. Par ailleurs, le RCD et le FFS revendiquent la régionalisation à
l’échelle nationale alors que le MAK se limite au territoire kabyle. Il n’a aucune ambition
nationale ni prétend imposer aux autres régions ce qu’il réclame pour le territoire kabyle.
« Le fédéralisme », estime Ferhat Mehenni, « est une autre étape de notre avenir, il
suppose que l’ensemble des régions du pays le revendique au même titre que la Kabylie.
Nous ne pouvons plus attendre jusqu’à ce que toutes les régions soient d’accord pour
accéder à la maîtrise de notre destin39 ». Chaque région, ajoute Ferhat Mehenni,
« pourrait développer son idée d’autonomie, mais il ne nous revient pas à nous de nous
substituer à eux en cela40 ».
62 Cette démarche s’inscrit parfaitement dans ce que la théorie des cadres définit comme
une « construction sociale d’une représentation commune de la situation ». La
mobilisation se produit dès lors d’abord autour d’un diagnostic de la situation (diagnosis
framing) : échec des expériences passées du RCD et du FFS, mais aussi du modèle central
de l’État-nation ; suivi d’une phase de pronostic (pronostic framing), donc l’identification et
l’attribution des responsabilités, dans ce cas : l’État, sa politique mais aussi les partis
« algérianistes kabyles » ; enfin, la phase de motivation pour l’action (motivational framing
), développant un discours de prise en charge de manière autonome et indépendante du
« destin de la Kabylie41 ».
63 Le MAK insiste, chaque fois que l’occasion lui est donnée, sur le fait qu’il s’agit d’un
mouvement pacifique et que ses actions seront purement politiques et se prononce
contre tout type de solution aventurière. Il pense influer sur le gouvernement en
organisant un référendum sur le sujet.
64 Les dernières manifestations organisées par le MAK ces dernières années sont souvent
une véritable démonstration de force et de capacité de mobilisation de la part d’un
mouvement qui, depuis sa première apparition en juin 2001, demeure sans existence
officielle ni, bien entendu, sans les structures organiques nécessaires. Il est également
clair qu’un tel mouvement ne saurait prétendre à une reconnaissance dans le cadre de la
Constitution en vigueur. Bien au contraire, le gouvernement aurait suffisamment
d’arguments juridiques pour interdire et empêcher ses activités, situation qu’il exploite
d’ailleurs souvent par la répression (Le Matin du 13 janvier 2010) des militants du MAK et
qui peut prendre différentes formes comme l’intimidation, divers types de “chicanes”
comme la fermeture des négoces appartenant aux militants du MAK, l’emprisonnement
ou la détention provisoire, comme ce fut le cas lors du dernier congrès du MAK lorsque
plus de 300 congressistes furent retenus pour les empêcher d’arriver à temps sur les lieux
du congrès.
98

65 Malgré ces difficultés et indépendamment de son véritable impact sur le terrain, il ne fait
aucun doute que le simple fait d’exister virtuellement – par exemple à travers son site
Web – semble avoir provoqué un grand intérêt et une grande illusion dans la population
et favorisé une très large diffusion de ses idées dans toute la Kabylie mais aussi dans la
diaspora en Europe et en Amérique du Nord42. Un processus qui impose désormais sur
l’échiquier politique du pays et de manière durable le débat sur l’autonomie de la Kabylie.
Le processus se consolide avec la publication de documents comme le « Projet pour
l’autonomie de la Kabylie43 » ou le « Projet pour un État kabyle » adopté à la conférence
nationale des cadres du MAK le 24 janvier 2014 à Smaoun en Kabylie44.
66 L’expansion du MAK est telle que même des journaux nationaux peu suspects de
sympathie à son égard le perçoivent très souvent comme un mouvement séparatiste et
comme le plus mobilisateur de la Kabylie45. D’autres, comme El-Khabar, le plus fort tirage
d’Algérie, n’hésitaient pas à se demander, dans leur édition du 14 avril 2016, si l’afflux des
ministres algériens en cette période qui précède la 36e commémoration du Printemps
berbère de Kabylie (2016) était dû au fait que le gouvernement avait peur du MAK ou si
c’était en raison de l’expansion de ce mouvement politique en Kabylie46.

De l’autonomie à l’autodétermination

67 Le MAK est-il le résultat d’une continuité directe et logique des revendications berbères ?
Cette version est reprise par le discours autonomiste qui présente les différentes phases
par lesquelles est passée la revendication berbère comme des étapes logiques et
progressives d’une même revendication. La proclamation du MAK serait selon les
autonomistes kabyles l’aboutissement d’un long processus qui commença par la fameuse
crise dite « berbériste » de 1949, en passant par l’insurrection du FFS de 1963, le
Printemps berbère d’avril 1980 de Tizi-Ouzou, la création du RCD et le retour du FFS en
1989, la grève du cartable de 1995, jusqu’aux morts tombés lors du Printemps noir de
2001, prélude à la création du MAK en juin 200147.
68 Il serait probablement plus juste de considérer qu’il s’agit là d’un processus historique qui
est passé par une série d’événements et de revendications identitaires berbères, certes,
mais qui ne participaient pas tous de l’objectif actuel du MAK. Ces événements se sont
tous déroulés dans des contextes spécifiques, mais pas forcément indépendants les uns
des autres. Mais il est certain que ni les « Berbéro-matérialistes » des années 40, ni le
Mouvement culturel berbère de 1980 n’avaient pour objectif une autonomie ni encore
moins une hypothétique souveraineté de la Kabylie.
69 Néanmoins, il est certain aujourd’hui que la création d’un mouvement pour
l’autodétermination de la Kabylie est perçue par une grande partie de ses partisans
comme une évolution logique.
70 Le rejet global du pouvoir et des forces politiques traditionnelles algériennes n’en est
qu’un aspect. La réorientation stratégique est davantage le fruit de l’expérience
empirique. En effet, les autonomistes et souverainistes kabyles, après s’être investis dans
la démocratisation du pays pour la reconnaissance de l’amazigh et de l’arabe algérien, se
rendent compte que tous ces efforts n’ont pas abouti aux résultats attendus et
commencent à se détourner de certaines idées, jusque-là fortement ancrées dans les
consciences des militants, comme celle de croire en un amazigh commun, pour focaliser
depuis 2001 leurs revendications sur la seule Kabylie.
99

71 Le MAK a annoncé son intention de passer la vitesse supérieure en passant de l’objectif


d’« autonomie » à celui d’« autodétermination ». La réunion du conseil national du MAK
en session ordinaire le 4 octobre 2013 dans le village d’Ath Hamdoune, en Kabylie, aboutit
à l’annonce que le MAK passera de l’autonomie à l’autodétermination et s’appellera
désormais « Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie ». Cette évolution est
motivée selon les congressistes par le fait que le concept de droit à l’autodétermination
présenterait au moins deux avantages, que la base militante et le citoyen kabyle peuvent
comprendre aisément :
72 1. Le droit à l’autodétermination est tout simplement un exercice de démocratie. C’est un
référendum par lequel chaque citoyen est appelé à s’exprimer en son âme et conscience
sur le mode de gouvernance qu’il souhaite pour le peuple.
73 2. Il recouvre toutes les possibilités qui peuvent se présenter pour l’avenir politique de la
Kabylie, aussi bien le statu quo que l’évolution vers une gouvernance kabyle dans le cadre
interne de l’Algérie (autonomie) ou dans un cadre externe, autrement dit l’indépendance.
74 À travers ce droit à l’autodétermination, le MAK dit chercher à rendre la parole au peuple
kabyle au moment opportun afin qu’il soit en mesure de choisir librement le statut
politique qui lui sied (Le Matin du 6 octobre 2013). Cette décision a été rendue publique
dans un communiqué en date du 28 octobre 2013 et repris, entre autres, par l’agence de
presse du MAK, Siwel48.
75 Il est intéressant de relever que le droit international, notamment à travers l’ONU,
reconnaît ce droit qui avait été abondamment utilisé par les pays encore sous dépendance
coloniale dans les années 50 et 60 du siècle dernier. Ce droit continue par ailleurs de
constituer un recours pour un certain nombre de nations sans État, dont certains très
médiatisées comme les Québécois, les Écossais et surtout dernièrement les Catalans.
Toutes ces nations aspirent à obtenir l’indépendance de leurs pays respectifs à travers
l’organisation d’un référendum.
76 Il est clair que la situation diffère énormément selon qu’il s’agit de pays à longue tradition
démocratique comme le Canada ou la Grande-Bretagne. Même l’Espagne, qui pour le
moment ne peut pas encore être qualifiée de démocratie de haute facture, présente une
situation qui est aux antipodes de celle de l’Algérie, considérée comme foncièrement anti-
démocratique. Dans l’état actuel des choses, le MAK n’a pratiquement aucune chance
d’obtenir gain de cause. Pourtant, son travail a obtenu de grands résultats ces dernières
années en devenant, sans aucun doute, le mouvement politique le plus mobilisateur de la
Kabylie et ce, aux dépends, par exemple, du RCD ou surtout du FFS. Ce dernier n’hésite
pas d’ailleurs à accuser le gouvernement algérien, à travers les scandales de corruption
qui l’ont affecté, d’être à l’origine de l’avancée du MAK49. Il est intéressant de noter que
ces arguments (l’intransigeance de l’État comme fabrique des indépendantistes)
rappellent ceux avancés en Espagne pour expliquer l’avancée des indépendantistes en
Catalogne ces dernières années50.
77 Outre les médias algériens, les réseaux sociaux ont relevé que les manifestations du MAK
dans la diaspora (Paris et Montréal) et celles du 20 avril 2016 en Kabylie (Bouira, Bejaïa et
surtout Tizi-Ouzou) ont mobilisé une véritable marée humaine51. Même si les médias
nationaux algériens ont essayé de minimiser ou de taire ces événements, d’autres,
émettant d’Europe, comme la Magharibia ou France 24 ont même offert au leader du MAK
une tribune pour qu’il présente ses idées (Siwel, 19 avril 2016).
100

78 Ce saut qualitatif du MAK n’est certainement pas dû au hasard mais au grand travail
effectué notamment par les militants en Kabylie, par leur charismatique président,
Bouaziz Ait-Chebib, mais aussi grâce à une stratégie de communication multiforme dont
un travail de lobbying diplomatique mené par le gouvernement provisoire de Kabylie
(GPK) sous la direction de Ferhat Mehenni.
79 Il est également intéressant de relever que le MAK commence à avoir un certain impact
sur la politique régionale des États nord-africains. Depuis le Maroc, on demande aux
Algériens « d’appliquer le droit à l’autodétermination » – que ces derniers défendent dans
le cas des Sahraouis – également aux « Kabyles et au Sud algérien52 ». Le représentant du
Royaume du Maroc a même exprimé dans le cadre de la 70e session de l’Assemblée
générale de l’ONU, le 27 octobre 2015, le soutien de son pays au droit du peuple kabyle à
l’autodétermination53, même s’il est clair que cette position s’inscrit dans le cadre des
escarmouches régulières entre les deux pays à propos de la question du Sahara
occidental.
80 Du point de vue strictement idéologique, le discours du MAK s’insère largement dans la
globalisation, la modernité dans laquelle il aspire à une redéfinition du rôle de certains
indicateurs religieux, culturels ou idéologiques qui servent pour la formation et la
constitution d’une nouvelle conscience identitaire kabyle. Ainsi, le vieux concept
d’ethnicité laisse le champ au concept de « langue propre », emprunté à la
sociolinguistique catalane, comme élément qui vertèbre et cimente le projet kabyle. Le
choix, ouvertement laïc, implique une distanciation par rapport au rôle prépondérant que
joue actuellement l’islam dans l’Algérie post-indépendance comme religion d’État. La
religion cesserait de fonctionner comme un trait définitoire de l’identité kabyle pour
s’ouvrir à la diversité religieuse (le MAK a durement critiqué les attaques contre les
églises évangéliques en Kabylie).

Retour à l’autonomie. Naissance du Rassemblement pour la Kabylie


(RPK)

81 Malgré toutes ces avancées, ou peut-être en raison de son succès, notamment auprès des
jeunes, la direction du MAK/ANAVAD fera, dans sa lancée, un autre pas lors d’un discours
devant les militants à Montreuil, en France, le 25 septembre 2016. Son président, Ferhat
Mehenni, annoncera une « autre lecture du Troisième congrès du MAK » du 26 février
2016 :
« Le Projet d’un Etat kabyle (PEK) a été réécrit de manière à écarter définitivement
toute autre option pour notre Mouvement en dehors de l’indépendance du peuple
kabyle. Le droit à l’autodétermination de la Kabylie qui reste notre objectif
stratégique est bel et bien redéfini comme celui de notre indépendance et non celui
d’un autre statut54. »
82 Un pas supplémentaire qui creusera probablement les différences entre le président du
GPK, en exil, et celui du MAK, en Kabylie, et aboutira à la démission de ce dernier le 16
novembre 201655. Le retrait de ce personnage charismatique et apprécié par les militants,
qui avait été reconduit par le dernier congrès du MAK, entraînera un certain nombre de
démissions et de grands débats entre les militants sur les réseaux sociaux et ne manquera
pas de provoquer une scission au sein des troupes du MAK, partagées désormais entre
partisans d’une large autonomie et partisans d’une indépendance kabyle, le tout dans un
101

contexte de pression et de répression des militants actifs en Kabylie, qui souffrent


d’intimidations de toutes sortes.
83 Loin de se ressaisir, la direction du MAK radicalise sa position en accélérant la cadence
avec la création d’un parlement en exil à Montréal, au Canada56, et en présentant un
projet de nomination « d’ambassadeurs » du GPK dans le monde57. C’est dans ce contexte
que sera annoncée la création d’un nouveau mouvement politique sur la scène kabyle le
26 février 2017 : le Rassemblement pour la Kabylie (RPK) 58.
84 Ce parti est né d’une série de réunions qui ont regroupé des autonomistes kabyles – non
indépendantistes – qui résument leurs positions dans un « Manifeste kabyle » publié la
première fois dans la presse algérienne en janvier 201459. La différence fondamentale
entre cette nouvelle formation politique et le MAK réside dans le fait que le RPK s’inscrit
dans la légalité et dans un espace national algérien. La Kabylie, selon le coordinateur de
ce mouvement, « fait partie de l’Algérie et doit y rester60 ».
85 Il ne fait pas de doute que le contexte favorise ce projet du RPK. Ce dernier profitera sans
doute du fait que le choix exclusif du MAK pour l’indépendance laisse « orpheline » sa
frange autonomiste et qui se sentait exclue par cette réorientation de la présidence du
GPK/MAK. Le RPK pourra donc « hériter » du travail formidable de mobilisation fait par le
MAK depuis sa création en 2001 pour proposer aux exclus idéologiques de ce mouvement
un cadre et un espace d’action que le MAK avait volontairement supprimé.

L’État-nation comme unique forme de gouvernance :


la fin d’un tabou ?
86 L’officialisation de la langue berbère en Algérie, introduite lors de la dernière
modification constitutionnelle en décembre de 2015 et adoptée par le Parlement algérien
le 7 février 201661, n’a guère changé les choses pour le MAK qui considère cette
revendication comme dépassée. En revanche, la naissance du MAK et surtout l’extension
du mouvement sont en train de provoquer un débat sur le système de gouvernance en
Algérie. Des journaux de première importance ne peuvent plus ignorer son impact et
commencent à ouvrir leurs colonnes aux animateurs du Mouvement comme Ferhat
Mehenni ou l'ex-président du MAK, Bouaziz Ait Chebib62.
87 Peu à peu, le débat s’ouvre – encore timidement, certes – sur d’autres options politiques
et formes de gouvernance comme par exemple celle d’une Algérie fédérale63, même si le
thème demeure largement tabou dans la presse algérienne et les débats publics. Même si
on n’ose pas encore la nommer, l’autonomie régionale est citée comme une possibilité de
gouvernance par des journalistes algériens nationalistes comme Maamar Farah :
« Il est absolument inconcevable que, sur tous les modèles d’organisation étatique
qui ont prouvé leur solidité et leur efficience, nous ayons choisi celui, jacobin, qui
convient peut-être à la France mais pas à un pays aussi immense dans sa géographie
et aussi divers dans ses ethnies et ses cultures. L’Espagne, l’Allemagne, les Etats-
Unis, la Russie, la Chine sont des modèles que nous avons, hélas, refusé de suivre 64

88 Certaines personnalités publiques, kabyles également, comme l’avocat et vieux militant
Maître Ali Yahia, président de la Ligue des droits de l’homme, déclare sans ambages qu’il
faut reconnaître le mouvement pour l’autonomie de la Kabylie65. Sans toujours apporter
un appui explicite à la démarche du MAK, certaines personnalités publiques très
102

importantes comme le chanteur kabyle Idir demandent au moins d’écouter ses


propositions sans les diaboliser66. Peu à peu, des journalistes commencent à se poser la
question de savoir s’il ne faut pas également chercher les maux ailleurs que dans le
« séparatisme » du fondateur du MAK. C’est ce qu’exprime le mieux la journaliste Sarah
Haidar (2015) dans le journal Le Soir d’Algérie67:
« Il existe un besoin, plus visible et moins censuré en Kabylie, d’une libération des
mœurs et d’une sortie plus que jamais nécessaire de l’aliénation dogmatique
gaiement entretenue par les pouvoirs centraux. Cela peut paraître insignifiant,
mais il y a bien une raison pour qu’une bonne partie de la société algérienne
« mécréante » prenne la route vers ce « territoire » afin d’y goûter aux libertés et
aux plaisirs simples ou d’y « manger le Ramadan » sans être terrorisée par une
éventuelle descente de police suivie d’un procès ! Cette raison est que la Kabylie,
qu’on le veuille ou non, est la seule région à résister encore au double diktat social
et religieux, à être plus ou moins épargnée par la victoire idéologique des islamistes
et à porter en elle les germes d’une sécularisation possible. Laquelle est
évidemment impensable dans le giron d’un Etat qui impose “sa” religion à
l’intégralité de ses citoyens et qui a prouvé, au fil de l’histoire, sa totale
imperméabilité au changement. Entre cette Algérie soumise et confortablement
installée dans le dogmatisme et l’inquisition et cette Kabylie où le dialogue est
possible, Ferhat n’a fait que choisir. On ne peut continuer éternellement à faire
passer ce choix pour un crime impardonnable. Le vrai débat surviendra un jour :
l’histoire n’en sera que plus logique ! »
89 Aujourd’hui, même des hommes politiques – non Kabyles – comme Noureddine Boukrouh
(2016) en arrivent à qualifier l’Algérie de « fausse nation68 ». L’auteur, qui évite
soigneusement de mentionner le MAK dans tout son texte, commence en rappelant que :
« Ayant été mal faite, l’Algérie est appelée à être refaite. On ne sait quand ni à quel
prix, mais presque tout devra être refait un jour. »

Conclusion
90 Eu égard à l’évolution qualitative des revendications, il semble assez clair qu’une des
premières conclusions à tirer est que l’option souverainiste a été provoquée, ou en tous
cas renforcée, par l’inflexibilité du gouvernement central et par la gestion catastrophique
des revendications amazighes depuis le début des protestations massives d’avril 1980.
91 L’avancée du MAK a aujourd’hui des conséquences sur la prise de conscience de la
question amazighe à pratiquement tous les niveaux. Il ne fait pas de doute que
l’officialisation de la langue amazighe en Algérie participe d’une tentative de
désactivation de « l’effet MAK » en Kabylie. Aujourd’hui, l’État assume publiquement
l’amazighité de l’Algérie, et bien peu de partis refusent de nos jours son officialisation.
Même des islamistes comme Ali Benhadj déclarent que c’est l’État algérien qui crée les
crises et que « si le gouvernement algérien avait pris en compte – en son temps – les
revendications amazighes nous n’en serions pas là69 ».
92 Aujourd’hui, des quotidiens algériens de tirage national comme Le Soir d’Algérie revoient
leur copie en reconnaissant désormais que « le MAK est en train de gagner du terrain en
Kabylie et [que] ses idées deviennent progressivement discutables après avoir été
longtemps haïssables70 ».
93 Après plus de quinze ans d’existence, l’option exclusivement « souverainiste » du GPK/
MAK semble entrer dans une phase de confusion. La répression, le manque de perspective
d’une solution pacifique et consensuelle sur le terrain ainsi que les doutes sur les risques
103

qu’induisent des positions de rupture totale pour l’intégrité et la paix en Kabylie


semblent ouvrir la voie à d’autres options, qui semblent plus « réalistes ».
94 L’irruption du RPK en février 2017, qui aspire à un statut particulier de la Kabylie tout en
se réclamant de l’espace national algérien, ouvre un nouvel espace de débat qui pourrait
la « réconcilier » avec une opposition « algérienne » démocratique – certes encore infime
– mais qui pourrait voir dans ce discours une chance de règlement de la « question
kabyle » tout en coupant les ailes aux indépendantistes du GPK/MAK.
95 La naissance du RPK vient du point de vue stratégique occuper l’espace délaissé par le
MAK et profitera du formidable mouvement de mobilisation dont les autonomistes et les
indépendantistes kabyles ont fait la démontration lors des manifestations d’avril 2016. La
création d’un parti autonomiste, mais légaliste et s’inscrivant dans une perspective
algérienne, met en mauvaise posture le gouvernement actuel qui aura à présent plus de
difficultés à justifier son refus de donner un agrément à un parti politique qui se déclare
algérien mais proposant une autre forme de gouvernance : un type de fédéralisme
asymétrique, encore à définir et en tous cas une refondation de l’État-nation que
beaucoup ne cessent d’exiger et de considérer comme le problème fondamental de
l’Algérie71. Certes, les lois algériennes ne permettent pas dans les circonstances actuelles
d’espérer un agrément pour ce nouveau parti. Ses idées sont encore loin d’obtenir l’aval
d’une majorité au sein du parlement ou même du peuple algérien, trop longtemps
formaté au discours nationaliste, unanimiste et monolithique. Mais c’est certainement
une légère avancée, d’autant plus que l’article 5 de l’ordonnance 1997 sur les partis
politiques, qui interdisait la création de partis politiques sur des bases religieuses,
linguistiques ou régionales72, a été réduit dans le texte révisé de 201273 à la seule religion,
même si ces contraintes réapparaissent sous une autre forme dans l’article 24. La balle est
plus que jamais dans le camp gouvernemental, qui doit désormais affronter le
renforcement de fait des rangs autour des revendications spécifiquement kabyles.
96 Ce mouvement gagnera-t-il également les autres pays de Tamazgha ? Difficile de le dire
tant les conditions diffèrent d’un pays à l’autre. On constate que le MAK a commencé à
faire des émules dans d’autres régions berbérophones, aussi bien en Algérie (Mzab,
Chawiyas) qu’au Maroc (Rif, Grand Souss), voire même en Libye où, après les
autonomistes de la région est du pays, les Berbères commencent à parler également
d’autodétermination74. Au Maroc, le Mouvement pour l’autonomie du Rif s’appuie
notamment sur l’expérience de la République du Rif, qui a fonctionné comme un « Etat »
indépendant entre 1920 et 192675, pour développer dans ses discours la revendication du
rifain en lieu et place de l’amazigh standard développé par l’IRCAM76. Difficile d’évaluer la
force de la tendance autonomiste rifaine, probablement très limitée jusqu’à présent. Cette
perspective se voit, cependant, considérablement renforcée depuis la mort horrible d’un
jeune poissonnier rifain, Mohcine Fikri (31 ans), broyé dans une benne à ordures le 20
octobre 2016 à Al Hoceima, en plein cœur du Rif. La colère suscitée par la mort tragique
de ce jeune et modeste travailleur n’est pas sans rappeler celle de Mohamed Bouazizi,
jeune Tunisien qui s’était immolé en Tunisie le 4 janvier 2011 et dont la mort annonça le
« Printemps arabe ».
97 Dans les deux cas, ces morts seront suivies par de très fortes mobilisations populaires qui
exprimeront leur colère face à cette injustice. Nous sommes en plein cadre diagnostique :
« le problème », sa cause et son ampleur sont définis et caractérisés, et la responsabilité
attribuée : l’absence de justice et un Makhzen qui maltraite le Rif.
104

98 La forte répression qui s’est abattue sur les participants, notamment depuis l’arrestation
de leur figure visible, Nasser Zefzafi, le 29 mai 2017, accusé « d’atteinte à la sécurité
intérieure de l’État77 », ne fait que renforcer ce sentiment. Les manifestations et les
actions de protestation s’articulent autour d’un « Mouvement populaire du Rif », créé
autour de Zefzafi et connu localement sous le nom de Ḫirāk Arrīf (al Ḥirāk aš-šaʕbī fī Rīf ) en
arabe et Amussu agherfan n Arrif en amazigh. Les objectifs sont formulés, des solutions
proposées et des méthodes d’action et d’adaptation à la répression sont prescrites aux
manifestants.
99 Bien que les revendications de ce mouvement soient jusqu’à présent strictement d’ordre
économique et social, il n’en demeure pas moins qu’un cocktail explosif de sentiments de
hogra est présent depuis très longtemps dans la région. Ces sentiments sont alimentés par
la sensation d’abandon par l’État central depuis l’indépendance du pays, par les
douloureux souvenirs des répressions de la fin des années 50 et surtout de l’époque de la
République d’Abdelkrim al-Khettabi. La conjonction de ces facteurs et du particularisme
linguistique et culturel renforce les sentiments d’une appartenance commune et d’une
« spécificité rifaine » qui se manifeste par des drapeaux amazighs et de la République du
Rif, fièrement brandis lors des manifestations dans le Rif et dans la diaspora, mais aussi et
surtout par la construction d’un discours de représentation de la situation comme injuste
et discriminatoire. L’accord sur le diagnostic de la situation est construit pour le moment
autour de revendications économiques et sociales. Néanmoins, tous les ingrédients
semblent converger vers le renforcement d’une revendication identitaire qui semble
vouloir aller bien au-delà de la simple reconnaissance de l’amazigh comme langue
officielle au Maroc.

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NOTES
1. Cet article s’inscrit dans le cadre des résultats de deux projets de recherche intitulés
« Jeunesses, changement social, politique et sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays
maghrébins » (CSO2011-29438-C05-04) (2012-2014) et « Problèmes publics et militantisme au
Maghreb : la participation sociale et politique des jeunes dans leur dimension locale et
transnationale » (CSO2014-52998-C3-2-P) (2015-2017), financés par le ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité.
107

2. J.G. Contamin, « Cadrages et luttes de sens », dans Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux
et contestations dans les sociétés contemporaines, sous la dir. de Olivier Fillieule et al., Paris, La
Découverte, 2010, p. 57.
3. D. Snow, « Analyse des cadres et mouvements sociaux », dans Les Formes de l’action collective,
sous la dir. de Daniel Cefaï et Danny Trom, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001, p. 8.
4. R. Benford, D.A. Snow, « Framing processes and social movements: an overview and
assessment », Annual review of Sociology, 26, 2000, p. 611-639.
5. B. Klandermans, « Mobilization and Participation : Social Psychological Expansions of Resource
Mobilization Theory », American Sociological Review, 49, 1984, p. 583-600.
6. B. Klandermans, D. Oegema, « Potentials, Networks, Motivations, and Barriers: Steps Towards
Participation in Social Movements », American Sociological Review, 52, 1987, p. 519-531.
7. R. Benford et al., « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », Politix
, 3/99, 2012, p. 217-255.
8. S. Chaker, « L’affirmation identitaire berbère à partir de 1900 : constantes et mutations
(Kabylie) », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 44/1, 1987, p. 13-34.
9. Cf. A. Guennoun, Chronologie du mouvement berbère 1945-1990, Alger, Casbah Editions, 1999, p.
21-26 ; A. Ouerdane, « Un conflit à plusieurs faces : “la crise berbériste” de 1949 » dans La Question
berbère dans le mouvement national algérien, Québec, Sillery ; Paris, Septentrion, 1993.
10. M. Tilmatine, « Arabization and Linguistic Domination: Berber and Arabic en the North of
Africa », dans Language Empires in Comparative Perspective : Colonial and Postcolonial Linguistics, vol.
6, 2015, 1-17.
11. R.D. Benford et al., « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », p.
217-255.
12. R. Chaker, « Journal des événements de Kabylie (mars-mai 1980) », Les Temps modernes, nº
432-433, juillet-août 1982, p. 383-438.
13. Ce discours se poursuivra, en revanche, sans discontinuer au Maroc. Voir l’interview de R.
Raha par W. El Bouzdaini à dans l’hebdomadaire Maroc Hebdo du 23 au 29 octobre 2015, page 8,
dans lequel Raha affirme que « l’amazigh est un patrimoine de tous les Marocains ». http://
www.marochebdo.press.ma/rachid-raha-lamazigh-est-un-patrimoine-de-tous-les-marocains/
[consulté le 24/10/2015].
14. Les deux documents sont disponibles sur différents sites kabyles. Voir par exemple http://
soummam.o.s.f.unblog.fr/files/2009/04/sminairedeyakourendossierculturelaout1980.pdf
[consulté le 14/10/2015].
15. R. Bellil, S. Hachi, « Réflexions sur le mouvement culturel populaire en Algérie : la culture et
le centralisme », 1981, paru dans la revue clandestine du Mouvement berbère Tafsut, série
“normale” liée à l’actualité du terrain de lutte et lieu de réflexion sur le mouvement. Elle sera
suivie, à partir de 1983, de la série Études et débats.
16. Ce concept est composé des termes global et local pour en faire un mélange (blend). « Nous
savons également que le concept nous vient du Japon où l’agriculture a dû adapter des
techniques globales aux conditions locales. Plus tard, le terme est passé aux affaires
économiques. On parlera alors de “localisation globale”, global localization, une perspective
globale adaptée, là également, aux conditions locales. Cf. R. Robertson, « Glocalization : time and
space and homogeneity-heterogeneity », dans Global Modernities, sous la dir. de M. Featherstone et
al., London, Thousand Oaks, New Delhi, Sage Publications, 1995, p. 28.
17. Le MCB se composait entretemps de deux branches principales : les Commissions nationales,
proches du FFS et la Coordination nationale, proche du RCD auxquelles il fallait ajouter le
Rassemblement national créé par Ferhat Mehenni, depuis son abandon du RCD. Cf. D. Abrous,
« Le Haut Commissariat à l’Amazighité… », 1995, p. 584. Sur les enjeux des conversations et le
retrait de la délégation des Commissions nationales des négociations, voir M. Tilmatine,
« Berbère/Amazigh ou Kabyle ? Évolution et fluctuation d’une dénomination en contexte
108

d’idéologies dominantes », Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi (Studi Africanistici), nº 4, 2015, p.


387-414 2015.
18. D. Abrous, « Le Haut Commissariat à l’Amazighité ou les méandres d’une phagocytose »,
Annuaire de l’Afrique du Nord, 34, Paris, CNRS éditions, 1995, p. 583-590. 1995, p. 583-590.
19. A. Bouteflika, Discours à la Nation, Alger, 12 mars 2002, http://www.el-mouradia.dz/francais/
president/recherche/presidentrech.htm [consulté le 12/11/ 2015].
20. Ibid.
21. Ibid.
22. H. de Schutter, « The Linguistic Territoriality Principle – A critique », Journal of Applied
Philosophy, 25/2, 2008, p. 105-120.
23. M. Issad, Rapport préliminaire de la Commission nationale d’enquête sur les événements de Kabylie
(juillet 2001), 2001, p. 8, http://www.algeria-watch.de/farticle/revolte/issad_rapport.htm.
[consulté le 16/10/2015].
24. Ibid., p. 11.
25. http://www.maghress.com/fr/lobservateur/2300 : « Algérie : la Kabylie demande le
divorce » ; http://www.lematindz.net/news/17254-kabylie-exister-en-dehors-de-la-dictature-
algerienne.html : « Kabylie : exister en dehors de la dictature algérienne » ; http://
www.lefigaro.fr/international/2011/07/20/01003-20110720ARTFIG00524-en-algerie-la-kabylie-
est-une-poudriere.php : « Si le “divorce à l’amiable avec l’Algérie” séduit une frange importante
de la jeunesse élevée dans le culte de la “résistance au pouvoir central”, l’idée est déjà plombée
par le discours approximatif des dirigeants de ce mouvement qui tombent parfois dans la
surenchère indépendantiste. Avec la proclamation, en juin 2010 à Paris, d’un “Gouvernement
provisoire kabyle” en exil qui navigue à vue, sans ancrage dans le terroir, le MAK suscite la
méfiance des militants les plus actifs. »
26. Voir, concernant le concept de hogra, A. Abderrahmane, La Hogra ou l’humiliation du peuple
algérien, Montreuil, Babylone, 1992. Pour son usage en Europe on peut consulter V. Geisser,
« Trop diplômés pour être honnêtes : la hogra des immigrés en “col blanc” », Migrations et société,
vol. 138, n° 6, 2011, p. 3-12. Ce concept, qui a été vulgarisé en Algérie dès l’indépendance du pays
avec la célèbre formule de Ben Bella « Hagrouna », en référence à la « Guerre des sables » avec le
Maroc, prendra plus de force lors des différentes révoltes qui secoueront le pays, en particulier
lors des événements dits du « Printemps noir de Kabylie ». Des photos de manifestantes et de
manifestants portant des pancartes avec ce concept – en version arabe ou kabyle : tameḥqranit –
ont circulé sur la toile et l’ont largement divulgué. Ce terme, d’usage courant dans les parlers
d’Afrique du Nord, s’est entretemps complètement établi dans les sciences sociales et dépasse
même le cadre nord-africain pour s’appliquer dans d’autres pays africains comme le Burkina-
Faso. Voir à cet effet L. Chouli, « Les mouvements sociaux de 1998 et 2011 au Burkina Faso comme
indices et réponses à la crise de la représentation politique », Le Retour de la question politique :
crise de la représentation et luttes démocratiques en Afrique, 4 e Colloque international de Dakar, 22-24
mai 2013 (à consulter sur essai.gabrielperi.fr/IMG/pdf/7-lila_chouli.pdf). Concernant le Maroc,
cf. par exemple S. Bennis, « Société civile et nouveaux paradigmes conceptuels : le concept de
hogra », à consulter sur le site du Centre d’études et de recherches en sciences sociales, http://
www.cerss ma.org/new/index.php?option=com_content&view=article&id=279:societe-civile-et-
nouveaux-paradigmes-conceptuels--le-concept-de-l-hogra-r&catid=86:article-bennis&Itemid=108
, mercredi 9 janvier 2013.
27. Professeur agrégé de droit, spécialiste du droit international, Issad est décédé à Paris le 27
avril 2011. Il avait occupé, en 1999, le poste de président de la Commission nationale de réforme
judiciaire (CNRF) avant d’être désigné par le président Bouteflika pour diriger la commission
d’enquête sur les événements de Kabylie en 2001.
28. Le concept d’« autonomie personnelle » renvoie dans le texte du FFS aux droits individuels en
général et au respect des droits de l'homme, du droit de sûreté, de mouvement, de l’intégrité
109

corporelle, de ses opinions, de ses qualités imaginatives, de son travail artistique, de sa langue
maternelle » (p. 16). Le concept d’« autonomie locale » tel que défendu par le document du FFS
préconise de revenir aux djemâa qui ont permis « à notre Nation et à notre culture de survivre à
travers les âges ». Les djemâa devraient jouir de pouvoirs étendus, hors des contraintes tutélaires
de l’administration centrale (p. 17-18). Enfin, les institutions de l’autonomie locale et de
« l’autonomie régionale » doivent selon le FFS « résulter d’élections libres […]. C’est le peuple qui
doit choisir et éventuellement congédier ses mandataires aussi bien au niveau local qu’au niveau
régional », (p. 19). Cf. Front des forces socialistes, « L’alternative démocratique révolutionnaire à
la catastrophe nationale », 1979.
29. M. Moffok, « Le RCD relance son projet de régionalisation positive » , Impact24.Info du
3/07/2015, [en ligne] URL : http://www.impact24.info/le-rcd-relance-son-projet-de-
regionalisation-positive/ [consulté le 12/06/2016].
30. Voir par exemple les positions publiques de certains intellectuels kabyles, notamment celles
de S. Chaker, figure prééminente du Mouvement berbère et professeur de linguistique berbère à
l’INALCO (Paris). Certaines prises de position à cet égard sont publiées par exemple dans La
Question amazighe : interrogations actuelles…, Actes de la table ronde organisée par le MCB-France,
Paris 21 avril 1996, ou dans ce qui pourrait être considéré comme le premier résultat d’une
réflexion commune sur l’autonomie de la Kabylie, Kabylie : l´autonomie en débat, Actes du
séminaire d’Ecancourt, France, 1-3 mars 2002, Paris.
31. Une première rencontre Kabylie-Catalogne a eu lieu à Barcelone au mois de septembre 2002
et a rassemblé des militants et des hommes politiques kabyles et catalans. Les travaux de cette
rencontre ont été édités par C. Castellanos, S. Chaker, M. Tilmatine, Actes de la rencontre Kabylie-
Catalogne : identités nationales et structures étatiques dans le contexte méditerranéen, Barcelone, 13 et
14 septembre 2002, Paris, Editions berbères, 2008.
32. C. Canut, « À la frontière des langues : figures de la démarcation », Cahiers d’études africaines,
nº 163-164, XLI-3-4, 2001, p. 443-463.
33. M. Tilmatine, « L’Etat-Nation face à la revendication berbère : quel(s) modèle(s) pour
l'Algérie ? », Actes de la table ronde organisée par le MCB-France, 21 avril 1996, Paris, MCB-France,
1996a, p. 33-44, ou C. Castellanos et al., Actes de la rencontre Kabylie-Catalogne, Barcelone, 13 et 14
septembre 2002, Paris, Editions berbères, 2008.
34. S. Chaker, « Pour l'autonomie linguistique de la Kabylie », Le Monde, 11 juillet 1998.
35. M. Tilmatine, « Identidades y lenguas emergentes del Mediterráneo en el contexto de la crisis
en Europa: el caso del amazige (bereber) en Cataluña », dans Nación y Migración. España y Portugal
frente a las migraciones contemporáneas, sous la dir. de Cornelia Siebert et al., Madrid, Biblioteca
Nueva, 2015a, p. 261- 275.
36. Créé en 2004 par un certain nombre d’intellectuels kabyles à Paris qui avaient déjà organisé
des rencontres sur l’autonomie de la Kabylie et qui ont participé à la publication de deux
ouvrages sur le sujet (La Question amazighe : interrogations actuelles… ainsi que Kabylie : l´autonomie
en débat). Un forum avait été créé à cet effet sur une page kabyle : https://www.kabyle.com/
archives/trier-l-info-kabyle/breve/le-cercle-d-etude-et-de-reflexion.
37. O. Ilikoud, « FFS et RCD : partis nationaux ou partis kabyles ? », Revue du monde musulman et de
la Méditerranée, 111-112, mars 2006, mis en ligne le 8/12/ 2011, URL : http://
remmm.revues.org/2870 [consulté le 14/07/2015].
38. Cf. http://www.makabylie.org/index.php/le-mak-en-quelques-questions/.
39. F. Mehenni, Algérie : la question kabyle. Essai, Paris, Editions Michalon, 2004, p. 141.
40. R. Zouaïmia, « L’introuvable pouvoir local », Insaniyat, n° 16, 2002, p. 61.
41. Cf. Contamin, « Cadrages et luttes de sens », p. 58.
42. Voir notamment les grandes manifestations qui ont eu lieu dans plusieurs villes européennes
et d’Amérique du Nord. Voir les informations rapportées à cet effet dans différents médias, par
exemple : http://algeriefranceinfos.com/la-marche-du-mak-a-paris-en-images/ ou bien le texte
110

de Maglor.fr (Médias des Maghrébins du monde), http://www.maglor.fr/maglor/index.php?


option=com_k2&view=item&id=8713:algerie-le-mak-mobilise-avec-succes-meme-a-
montreal&Itemid=132.
43. Projet pour l’autonomie de la Kabylie (PAK) du mardi 27 janvier 2009. Amendé et adopté au 2 e
congrès du MAK, à Sahel, At Wizgan, les 9 et 10 décembre 2011. http://www.makabylie.info/
spip.php?article62. Le projet n’a pas été publié par les journaux algériens, mais il est disponible
sur divers sites Internet kabyles comme par exemple www.kabyle.com ou sur la page du MAK :
www.makabylie.info/ahric7.
44. Source : http://www.makabylie.info/?article1341.
45. A. Hammouche, « La Kabylie, la démocratie et l’autonomie », quotidien Le Matin, 22 avril 2010,
[en ligne] URL : http://www.lematindz.net/news/3067-la-kabylie-la-democratie-et-lautonomie-
par-mustapha-hammouche.html [Consulté le 16/10/2015]. http://www.lematindz.net/
news/3067-la-kabylie-la-democratie-et-lautonomie-par-mustapha-hammouche.html ; ou bien
dans El Watan, comme dans le numéro du 20 avril 2015, [en ligne] URL : http://
www.elwatan.com/dyn/imprimer.php?link=http%3A%2F%2Fwww.elwatan.com%2Factualite%
2Fprintemps-berbere-a-tizi-ouzou-des-milliers-de-manifestants-dans-les-
rues-20-04-2015-292859_109.php ou du 20 avril 2014, http://elwatan2014.com/ar/item/1777-Le-
MAK-et-les-%C3%A9tudiants-ont-march%C3%A9-ensemble-%C3%A0-Bouira ou de manière
générale dans le journal Algérie Focus du 28 avril 2014 : http://www.algerie-focus.com/
blog/2014/04/revue-de-presse-succes-de-la-marche-du-mak-a-tizi-ouzou-du-tout-repressif-a-la-
totale-tolerance/.
46. Cf. le quotidien El-Khabar du 14 avril 2016, qui titre : « Le MAK fait-il peur au
gouvernement ? », [en ligne] URL : http://www.elkhabar.com/press/article/104138/
#sthash.gh6T2Fvg.cmWRytzx.dpbs.
47. Plusieurs documents justifient et reprennent ce discours au sein du MAK. Cf. par exemple le
document intitulé : « Demande officielle d’un statut d’autonomie pour la Kabylie » adressé à la
Présidence de la République algérienne, au Gouvernement algérien, à l’Assemblée populaire
algérienne, au Sénat algérien et au Conseil constitutionnel algérien, avec copie à différentes
organisations internationales. Document du 5 juin 2008. Voir également le texte du Projet pour
un État kabyle (PEK) adopté à la conférence nationale des cadres du MAK le 24 janvier 2014 à
Smaoun (Bejaïa), point nº 8.
48. Cf. http://www.siwel.info/communique-du-mouvement-pour-l-autodetermination-de-la
kabylie_a5585.html.
49. http://www.elwatan.com/actualite/progression-du-mak-le-ffs-accuse-le-
pouvoir-23-04-2016-319400_109.php.
50. http://www.la-clau.net/noticia/el-partido-popular-fabrica-des-independentistes-
catalans-10786
51. http://www.maglor.fr/maglor/index.php?option=com_k2&view=item&id=8713:algerie-le-
mak-mobilise-avec-succes-meme-a-montreal&Itemid=132
http://algeriefranceinfos.com/la-marche-du-mak-a-paris-en-images/
https://www.youtube.com/watch?v=swLtkulBFr0
52. http://www.libe.ma/Pourquoi-ne-pas-appliquer-l-autodetermination-a-la-Kabylie-et-aux-
Touaregs_a37667.html
53. http://www.siwel.info/Declaration-de-l-Anavad-le-royaume-du-maroc-reconnait-le-droit-
du-peuple-kabyle-a-son-autodetermination_a7968.html
54. http://archives.siwel.info/Discours-historique-du-president-de-l-Anavad-devant-l-
Assemblee-generale-du-MAK-Anavad-a-Montreuil-le-25-09-2016_a9783.html [consulté le
01/03/2017].
55. http://www.lematindz.net/news/22329-bouaziz-ait-chebib-demissionne-de-la-presidence-
du-mak.html
111

56. https://www.parlementkabyle.com/index.php/parlement-kabyle/projet-parlement
[consulté le 01/03/2017].
57. http://reseau-anavad.com/nominations-abrogations-decisions-465 [consulté le 01/03/2017].
58. http://www.elwatan.com/actualite/le-rpk-nouveau-mouvement-autonomiste-pour-la-
kabylie-26-02-2017-340040_109.php [consulté le 01/03/2017].
59. https://www.kabyle.com/breves/manifeste-reconnaissance-constitutionnelle-dun-statut-
politique-particulier-kabylie-23828 [consulté le 01/03/2017].
60. http://www.elwatan.com/actualite/pour-nous-la-kabylie-fait-partie-de-l-algerie-et-doit-y-
rester-27-02-2017-340126_109.php [consulté le 01/03/2017].
61. http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-algerie-consacre-la-langue-berbere-apres-
une-longue-lutte_1761276.html
62. Voir le texte du quotidien Le Soir d’Algérie sur Ferhat : http://www.lesoirdalgerie.com/
articles/2015/07/01/print-16-180714.php ou sur Bouaziz Chebib du quotidien algérien Tout sur
l’Algérie (TSA) : http://www.tsa-algerie.com/20150420/entretien-avec-bouaziz-ait-chebib-
president-du-mak/ ou enfin un entretien avec Ferhat sur ses projets politiques dans le journal
Focus Algérie du 19 juillet 2015 : http://www.algerie-focus.com/blog/2015/07/independance-de-
la-kabylie-sa-nationalite-algerienne-et-evenement-de-ghardaiaferhat-mehenni-nous-dit-tout/
63. http://www.mondeberbere.com/rebonds/algeriefed.htm. L’auteur de cette proposition de
création d’un parti politique, le Rassemblement pour l’Algérie algérienne fédérale, est également
un vieux militant kabyle, R. Ali-Yahia : http://site.raaf.free.fr/.
64. http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/07/28/article.php?sid=181992&cid=2
65. http://www.elwatan.com/actualite/il-faut-reconnaitre-le-mouvement-pour-l-autonomie-de-
la-kabylie-18-11-2014-278167_109.php
66. http://www.elwatan.com/actualite/idir-defend-le-droit-de-ferhat-a-s-
exprimer-01-10-2013-229881_109.php
67. S. Haidar, « Culture : AD Gladium Ferhat. Parlons-en ! », Le Soir d’Algérie, 1 er juillet 2015.
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/07/01/print-16-180714.php; http://
www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/07/01/article.php?sid=180714&cid=16 [consulté le
7/06/2015].
68. N. Boukrouh, « Une fausse nation », Le Soir d’Algérie, 9 juin 2016, [en ligne] URL : http://
www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/06/09/article.php?sid=197577&cid=41 [consulté le
12/05/2016].
69. https://www.youtube.com/watch?v=zmua70BSJuE
70. S. Haidar, op. cit.
71. http://www.elwatan.com/actualite/le-probleme-fondamental-de-l-algerie-c-est-de-refonder-
la-nation-27-02-2017-340115_109.php [consulté le 2/03/2017].
72. http://lexalgeria.free.fr/politiq.htm
73. http://www.msnfcf.gov.dz/fr/public_file/document_1398811133.pdf
74. http://fr.africatime.com/maurice/articles/libye-les-autonomistes-de-lest-ne-reconnaissent-
pas-le-nouveau-premier-ministre ; voir également https://www.kabyle.com/articles/imazighen-
libye-voie-lautodetermination-22047-14082013 ou bien http://www.tabrat.info/?p=4865.
75. Cf. M.R. De Madariaga, España y el Rif. Crónica de una historia casi olvidada, Melilla, La biblioteca
de Melilla, tercera edición, 2008.
76. http://www.alhoceimaonline.com/online/index.php/video/videosport/299-le-mouvement-
de-lautonomie-du-rif-se-reunit-a-alhoceima. Le mouvement autonomiste du RIF revendique le
Rifain contre l’amazigh standard : http://www.siwel.info/Le-Mouvement-pour-l-autonomie-du-
RIF-appelle-a-la-sauvegarde-de-la-langue-rifaine-et-a-ne-pas-succomber-au-slogan-
de_a7321.html.
77. http://telquel.ma/2017/05/29/nasser-zefzafi-arrete-pour-atteinte-a-la-securite-interieure-
de-letat_1548409
112

AUTEUR
MOHAND TILMATINE
Professeur à l’université de Cadix (Espagne) dans la spécialité « Études berbères ». Il dirige
également depuis 2000 le groupe de recherche HUM 685 Langues et sociétés arabes et berbères (
http://www.uca.es/grupos-inv/HUM683/). Ses axes de recherche en sciences humaines et
sociales couvrent la question des minorités et des revendications identitaires berbères en Afrique
du Nord et dans la diaspora en Europe.
113

Les associations amazighes au défi


de l’institutionnalisation au Maroc
et en Algérie
Entre logique consensuelle et logique protestataire

Didier Le Saout

1 Traiter de l’institutionnalisation de la revendication pour la promotion de la langue et de


la culture amazighes au Maroc et en Algérie exige de s’interroger sur les effets que
peuvent produire des actions menées par des individus, des groupes et des associations
qui portent la demande de reconnaissance de l’amazighité définie comme langue culture
et civilisation au nom des populations berbères (Imazighen ou Amazighs). Soutenu par
l’action d’individus qui se rassemblent de façon formelle ou informelle pour défendre et
promouvoir la culture berbère (amazighe) au Maroc et en Algérie, cette demande de
reconnaissance est défendue par un mouvement associatif amazigh confronté à un
environnement fait de règles et de contraintes inhérentes aux structures et
fonctionnements des systèmes politiques. En mettant en lumière des sentiments
d’injustice et de frustration ancrés dans le vécu des Amazighs, il formule des
revendications à l’adresse des institutions.
2 Réclamer que soit dispensé un cursus d’enseignement de la langue amazighe, en faire
usage dans les tribunaux, les services publics, dans la vie économique et sociale, exiger
son droit de disposer de journaux en langue amazighe, d’avoir accès à une production
télévisée et radiophonique spécifique diffusée dans cette même langue sont autant de
demandes exprimées dans le but de faire reconnaître dans les institutions les définitions
des sociétés marocaine et algérienne comme amazighes et non plus comme arabes comme
cela avait été intégré dans les constitutions adoptées par les Etats lors des indépendances.
A l’instar des luttes sociales qui caractérisent les mouvements sociaux dans les sociétés
« post-industrielles » détachées du modèle économique productiviste, l’action pour la
reconnaissance de la culture et de la langue amazighes se comprend par l’historicité,
c’est-à-dire suivant les orientations culturelles d’une société définies à partir de son mode
de connaissance, son type d’investissement et son modèle culturel1. Si l’on convient que
les enjeux identitaires ne se limitent pas à la seule catégorie de mobilisations portées par
114

les « nouveaux mouvements sociaux2 » mais concernent toutes sortes de mouvements


sociaux, force est alors de reconnaître que les sentiments d’exclusion qui se sont diffusés
du fait de la non-reconnaissance de l’identité amazighe sont à la base d’une revendication
culturelle et politique qui a donné naissance à un mouvement spécifique. A première vue,
le mouvement amazigh se rapprocherait des mouvements régionalistes définis comme
« nouveau mouvement social » tels qu’ils ont pu prendre forme notamment en Europe, si
ce n’est qu’il s’inscrit dans une politique nationale de la part des Etats au Maroc et en
Algérie3. En ce sens, l’analyse de la revendication amazighe ne peut être détachée de
l’étude de son institutionnalisation comme réponse de l’Etat au mouvement.
3 Etudier l’expression d’une identité produite par une construction symbolique du
mouvement amazigh dans son rapport à l’Etat dans laquelle se mêlent des référents
linguistiques et historiques révèle au sortir des colonisations au Maroc et en Algérie des
similitudes. D’une part, du point de vue du contexte idéologique qui préside à l’apparition
de ces groupes, l’arabité et l’islamité sont les seules références fondatrices de la nation
reconnues et autorisées par les deux Etats. Ce faisant, les associations désignent l’Etat et
les institutions politiques comme un adversaire hostile à la reconnaissance de
l’amazighité comme composante constitutive de la nation. D’autre part, c’est vers la fin
des années soixante, de façon embryonnaire dans un premier temps puis durant les
années soixante-dix – soit près d’une dizaine d’années après les décolonisations – que
s’opère dans les deux pays l’émergence de ces groupes et organisations qui entendent
défendre et promouvoir la langue et la culture amazighes.
4 Dès lors, il s’agira de comprendre l’imbrication du culturel et du politique et d’étudier le
rapport que ces groupes qui s’opposent à la représentation dominante de la nation vont
entretenir avec l’Etat. Expression culturelle d’un déni de reconnaissance, la revendication
amazighe va générer un mouvement social « amazigh », porteur d’une demande politique
adressée aux gouvernants. Pressées par les activités associatives et les incitations à
composer avec les revendications, les autorités politiques mettront en place des
institutions en charge de l’amazighité, initieront des programmes d’enseignement de la
langue dans les écoles et les universités, intégreront en la constitutionalisant la référence
à l’amazighité dans la définition de l’identité nationale et donneront un statut à la langue
amazighe comme langue nationale et officielle.
5 Les frustrations qui se sont diffusées du fait de la non-reconnaissance par l’Etat de
l’identité amazighe, des indépendances au début des années 2000, sont à la base de
revendications amazighes qui s’expriment selon les périodes dans des contextes
politiques marqués par le rejet, par l’indifférence ou par l’intégration. La compréhension
de ce mouvement qui s’organise autour d’une identité qu’il entend défendre, promouvoir
et protéger rend l’analyse de la mise sur agenda et de l’institutionnalisation de la
question amazighe dans la politique des Etats algérien et marocain encore plus cruciale.
Comment le mouvement amazigh articule-t-il son expression identitaire et sa dynamique
revendicative, qui vise à modifier les orientations culturelles des sociétés d’Afrique du
Nord par son action stratégique d’inscrire l’amazighité dans le débat public dans le but de
contraindre l’Etat à reprendre ses propres visions de la nation et de la société ? Les luttes
pour la reconnaissance d’une culture menées au nom de l’histoire de l’Afrique du Nord se
résument-elles à une contestation des Etats, ou bien sont-elles porteuses de projets de
société qui transcendent le rapport au politique ? Le mouvement amazigh manifeste-t-il
un intérêt pour réformer le système politique, ou bien refuse-t-il toute médiation
politique par une production continuelle d’actions de protestation ?
115

6 Ces premières interrogations et remarques nous amènent à formuler une question


centrale : comment les objectifs portés par le mouvement amazigh se transforment-ils et
se redéfinissent-ils dans une phase où l’institutionnalisation de l’amazigh a été ouverte
par l’Etat ? L’hypothèse avance que les positions prises par les associations amazighes
dans leur face-à-face avec l’Etat à un moment où ce dernier est engagé dans
l’institutionnalisation de l’amazighité restent dépendantes de leurs positionnements
antérieurs.

L’émergence d’une conscience identitaire


7 Au Maroc, les premiers militants qui s’organisent à Rabat en 1967 au sein de l’Association
marocaine pour la recherche et l’échange culturel (AMREC) et posent les jalons d’une
revendication amazighe bénéficient du cadre légal que constitue le dahir de 1958
reconnaissant le droit d’association4. Son article 5 exige que toute demande de création
fasse « l’objet d’une déclaration préalable au siège de l’autorité administrative locale (caïd
ou pacha) et au procureur commissaire du gouvernement près le tribunal de première
instance de la circonscription judiciaire ou à défaut au parquet près le tribunal régional ».
Plutôt que de constituer un obstacle infranchissable à l’organisation de ces militants, de
telles dispositions vont avoir un effet sur leur façon de porter la revendication. Tout en
permettant aux individus de s’organiser, elles vont influer sur les stratégies des
défenseurs de l’amazighité à la recherche d’un compromis avec les institutions. Soucieuse
de ne pas heurter les autorités, l’AMREC fait notamment le choix de ne pas évoquer
l’amazighité dans ce contexte où le Royaume du Maroc se définit dans la Constitution du 7
décembre 1962 comme un « Etat musulman souverain, dont la langue officielle est
l’arabe » qui « constitue une partie du Grand Maghreb ». Comme le rappelle Gabi
Kratochwill, les expressions retenues par cette association dans ses premiers statuts
adoptés en 1967, telles « notre héritage culturel » ou bien encore « la culture propre à
notre pays », sont préférées au terme « amazigh »5. Selon cette association, l’amazighité
participe d’une « culture populaire » au Maroc, notion qui sera notamment intégrée dans
l’analyse du champ culturel que proposera plus tard Ahmed Boukous. Cet universitaire et
militant de l’AMREC6 distinguera dans ses études le pôle de la culture populaire à base
sociale rurale ou, dans une moindre mesure, urbaine, qui comprend la langue amazighe
dans les régions berbérophones et l’arabe dialectal dans les régions arabophones qu’il
opposera au pôle de la culture savante de tradition arabo-musulmane qui représente la
culture de l’Etat et de ses élites7. Les nouvelles associations qui apparaissent dans les
années 70 dans les différentes régions du Royaume et qui parviendront à fédérer des
militants en quête de reconnaissance culturelle adopteront le même positionnement.
Nulle mention en effet de l’amazighité dans les intitulés et les programmes de
l’Association nouvelle pour la culture et les arts populaires (ANCAP) qui est fondée à
Rabat en 1978 tout comme dans ceux de l’association Al Intilaka Athakafia (L’éveil culturel)
créée à Nador en 1978, dont la dénomination sert encore par euphémisme à ne pas
affirmer directement la demande de reconnaissance de la culture et de la langue
amazighes en tant que telles pour ne pas provoquer les autorités. Ce n’est qu’en 1979,
douze ans après la fondation de l’AMREC, que Mohamed Chafik et Ali Sedki Azeyko créent
l’Association culturelle amazighe (ACA) qui revendique ouvertement dès son intitulé la
reconnaissance de la culture « amazighe ». La présence dans les instances dirigeantes de
l’association de M. Chafik et d’Abdelhammid Zemmouri, des hommes qui ont occupé des
116

responsabilités au sein de l’Etat8, est un gage de loyauté et de pleine adhésion de


l’association à l’unité nationale du Maroc. Si, pour la première fois, on trouve une
référence explicite à l’amazighité dans l’intitulé d’une association, cette prise de position
qui marque une inflexion de l’affirmation identitaire reste néanmoins minoritaire parmi
les rares associations amazighes qui se créent au cours de ces années.
8 La situation qui prévaut en Algérie est quant à elle différente. Le droit d’association tel
qu’il est réglementé n’est pas propice à l’émergence d’une conscience identitaire
amazighe. La circulaire du ministère de l’Intérieur du 2 mars 1964 considère l’action des
associations d’un œil soupçonneux9. Les walis sont sommés d’empêcher la constitution
d’associations qui, sous couvert d’une activité sociale, culturelle ou artistique, porteraient
atteinte à la sûreté de l’Etat. Dans ce contexte, on comprend que la défense de
l’amazighité dans une société qui se définit officiellement comme arabe soit perçue
comme une menace de la plus grande gravité. La Constitution du 10 septembre 1963
dispose ainsi dans son préambule que « l’islam et la langue arabe ont été des forces de
résistance efficaces contre la tentative de dépersonnalisation des Algériens menée par le
régime colonial ». L’histoire de la guerre de libération justifiant le statut de la langue
arabe, « l’Algérie se doit d’affirmer que la langue arabe est la langue nationale et officielle
et qu’elle tient sa force spirituelle essentielle de l’islam ».
9 Dès lors, les premiers regroupements militants désireux d’œuvrer à la défense de la
culture berbère qui s’opèrent à partir du milieu des années 60 autour de lycées à Alger et
Tizi-Ouzou ne cherchent pas à se formaliser sous un cadre associatif. Les groupes qui
apparaissent ne sont pas les seuls à provoquer une prise de conscience de l’amazighité. Le
cours de berbère donné à partir d’octobre 1965 par Mouloud Mammeri à l’université
d’Alger, au-delà de sa fonction première de produire un savoir scientifique, devient un
espace dans lequel les connaissances dispensées sur la culture et la langue amazighes
servent à constituer et nourrir des réseaux universitaires qui deviendront des réseaux
militants dans un futur proche. Ce cours de berbère revêt à cet égard un caractère
exceptionnel face à l’unanimisme idéologique de rigueur qui prévaut en ce temps-là en
Algérie. L’acceptation par le système éducatif d’un enseignement de la langue berbère
dans l’arène universitaire permet ainsi à l’amazighité de pénétrer dans une institution.
Cette expérience reste néanmoins embryonnaire et très fragile, comme l’atteste le fait
que le cours n’ait été intégré dans aucun cursus et n’ait donné lieu à aucun diplôme. Il est
fermé en 1973 à l’occasion de la mise en place de la réforme de l’enseignement supérieur.
Plutôt confidentiel dans un premier temps, le nombre de ceux qui le suivent dans un
amphithéâtre atteint 200 personnes en quelques années10. On observe à travers cet
enseignement la montée d’une conscience identitaire portée par les groupes militants qui
se forment dans les années 70 et disposent d’une influence grandissante au sein de l’arène
universitaire. Cette conscientisation sera encore plus forte lorsque certains militants
émigrent à partir du milieu des années 70. Beaucoup rejoignent la France et diffusent
auprès des émigrés kabyles le discours de défense de l’amazighité. Une association créée
en 1967, l’Académie berbère, qui prendra le nom d’Académie Agraw Imazighen en 1969, joue
alors un rôle important de propagation de la demande de reconnaissance culturelle. De la
même façon au Maroc, la fin des années 60 signe la prise de conscience de son identité
définie comme amazighe par une nouvelle génération d’individus qui deviendront des
militants pour la défense de l’amazighité en Algérie et dans l’immigration en Europe 11.
117

Pressions et revendications
10 La revendication amazighe gagne en Algérie une visibilité par la charge symbolique que
produisent les manifestations de mars et avril 1980 connues sous le nom de « Printemps
berbère12 ». L’interdiction de la conférence sur la poésie kabyle ancienne que devait
donner Mouloud Mammeri le 10 mars 1980 à l’université de Tizi-Ouzou donne lieu à un
fort mouvement de protestation. La ville de Tizi-Ouzou devient le théâtre du premier
mouvement protestataire d’ampleur contre l’arbitraire de l’Etat en Algérie depuis
l’indépendance. La revendication sort de la clandestinité et des comités étudiants qui
s’activaient au sein de l’arène universitaire. La date du 20 avril 1980 génère un référentiel
symbolique dont useront les groupes militants aux côtés d’autres initiatives telles la
célébration de Yennayer, le nouvel an amazigh, ou les hommages rendus à des
personnalités de la culture amazighe comme Si Mohand Ou M’hand, Taos Amrouche,
Mouloud Mammeri ou Matoub Lounes13. Cette date devient chaque année l’occasion de
commémorations par les militants non seulement en Algérie mais aussi en Afrique du
Nord et dans l’émigration. Son aspect protestataire donne à la revendication culturelle un
contenu éminemment politique et critique de l’Etat algérien. Forts de ces symboles, les
militants s’organisent principalement autour de l’université de Tizi-Ouzou et au sein
d’une multitude de collectifs culturels en Kabylie et à Alger. Mais en aucun cas ces
événements n’ouvrent la voie à une institutionnalisation de la demande de
reconnaissance de l’amazighité.
11 La répression que subissent les militants contribue à la politisation de leur engagement.
Ce phénomène est d’autant plus fort que les différentes lois sur les associations qui se
succèdent restent défavorables à la reconnaissance d’associations qui œuvrent à la
promotion de l’amazighité. Les demandes d’agrément faites en 1981 par les responsables
de l’Association Amugas par Mouloud Mammeri et Mohamed Ben Hamadouche, dit Ben
Mohamed, à Alger et Tiwizi à Tizi-Ouzou resteront sans réponse 14. Aucune association de
défense de l’amazighité n’est agréée avant 1988. L’article 4 de la loi du 21 juillet 1987 15
dispose « qu’est interdite et considérée nulle de plein droit toute association dont la
mission est : contraire au système institutionnel établi ; de nature à porter atteinte à
l’intégrité du territoire national, à l’unité nationale, à la religion d’État, à la langue
nationale et aux choix fondamentaux ». Seules trois associations sont créées dans le cadre
de cette loi, Timlilit, Idles à Tizi-Ouzou et l’Association des sites historiques et
archéologiques de Tizi-Ouzou16. Les autres groupes militants qui agissent au nom de
l’amazighité gardent un aspect informel qui les affranchit de tout rapport institutionnel.
12 Au Maroc, le mouvement associatif qui s’organise à partir des années 60 autour de la
valorisation de la « culture populaire » – dans laquelle il inclut l’amazighité – exprime
quant à lui un objectif à la fois moral et stratégique par lequel les demandes de
reconnaissance et d’institutionnalisation sont mêlées. A l’instar des orientations prises
par l’AMREC fondée le 10 novembre 1967, la stratégie menée par les promoteurs de
l’amazighité au Maroc, dont les rangs grossissent, est graduelle. Les nouveaux militants
acquis à la cause amazighe se saisissent des rares espaces d’expression que le régime de
Hassan II consent. Se forment des groupements qui adoptent le statut d’association
reconnu dans les institutions. Les militants de la région du Souss déploient une stratégie
de pression sur les institutions locales en créant, en octobre 1979, l’Association de
l’université d’été d’Agadir (AUEA) et organisent en 1980 le premier événement qui
118

rassemble activistes, intellectuels et universitaires autour de la question culturelle. La


revendication identitaire investit pour la première fois l’espace public. Cette stratégie
s’avère possible car les nouveaux militants limitent le contenu de leur discours en usant
des termes de « culture populaire ». Ce n’est qu’au cours de la rencontre qu’elle organise
à l’été 1991 sur le thème « la culture tamazight entre la tradition et la modernité » que
l’AUEA se réfère explicitement à « l’amazighité », qui est dès lors revendiquée
ouvertement dans l’espace public17. La Charte d’Agadir, texte fondateur d’une demande
de reconnaissance de l’amazighité dirigée vers les institutions du Royaume, est signée en
marge de cette rencontre. Si les dénominations des associations signataires de la charte
restent significatives de la timidité de l’affirmation identitaire durant les années 70 et 80 18
, leur implantation dans les grandes régions amazighophones du Maroc atteste cependant
de la diffusion de la revendication amazighe aux quatre coins du Royaume. L’année 1991,
qui pose publiquement la demande de reconnaissance de la langue amazighe comme une
langue nationale, marque ainsi une étape qui ouvre la voie à un essor associatif.
13 En 1996, l’ANCAP, fondée en 1978, change son nom pour adopter un terme amazigh,
Tamaynut (Nouvelle). Le répertoire d’action collective se diversifie. D’un côté, la plupart
des associations se concentrent sur l’organisation de débats, conférences et autres actions
pédagogiques. De l’autre, la demande de reconnaissance de l’amazighité prend une forme
plus revendicative à l’occasion de la participation de certaines associations aux défilés du
1er Mai organisés par les centrales syndicales. Les actions menées revêtent alors un
contenu à la fois expressif et revendicatif. Le 1er Mai 1994, des militants de l’association
Tilelli (Liberté), localisée à Goulmima, une ville du sud-est du Maroc, sont arrêtés par les
forces de l’ordre alors qu’ils brandissaient des banderoles écrites en tifinagh, le caractère
originel de la langue amazighe. Ils seront poursuivis devant le tribunal de première
instance d’Errachidia. Cet épisode, qui donne lieu à un élan de solidarité auquel
participent les associations implantées dans les autres régions amazighophones, suscite
de nouvelles vocations militantes.

Les associations amazighes au défi de la politisation


14 Les émeutes de 1988 en Algérie, qui ouvrent la voie à des réformes et à l’adoption d’une
nouvelle Constitution en 1989 qui met fin au système de parti unique, vont néanmoins
permettre aux militants de disposer d’un cadre légal à l’instar de celui qui existe au
Maroc. La nouvelle loi du 4 décembre 1990 sur les associations libère l’activité associative
« des pratiques de tutelle politique, des injonctions expresses de l’administration et du
contrôle tatillon fruit d’un quadrillage politique et policier de la société19 ». Tournant
dans l’organisation du champ associatif, cette loi n’est pas sans conséquence sur la
structuration de l’engagement des militants pour l’amazighité jusque-là enserrés dans
l’étau des dispositions restrictives. Significatives de ce changement, les 528 associations
culturelles amazighes que recense Mouloud Kourdache dans son étude dans les wilayas de
Béjaïa et Tizi-Ouzou ont toutes été créées en l’espace de six années entre 1988 et 1994. On
peut alors parler d’une véritable « explosion des associations culturelles en Kabylie20 ».
Dans la seule wilaya de Tizi-Ouzou, et pour la seule année 1990, 74 associations culturelles
sont créées21. D’autres apparaissent également dans la région des Aurès. Seules les
demandes d’autorisation d’associations considérées comme manifestement contraires au
système institutionnel établi et à l’ordre public sont rejetées.
119

15 La plupart des associations qui se créent principalement en Kabylie à partir de 1990


inscrivent leur action dans le cadre d’un regroupement large, le « Mouvement culturel
berbère » (MCB). Toutes partagent les mêmes activités, telles que l’enseignement de la
langue amazighe, les cours de soutien scolaire aux élèves, l’édition de revues et de
bulletins en langue amazighe, l’organisation d’activités audiovisuelles, théâtrales, ou
encore d’autres activités folkloriques telles les chorales, les groupes de musique et les
troupes de danse. Mouvement informel que les initiateurs ne chercheront jamais à
déclarer en tant qu’association comme le leur permettrait la loi de 1990, le MCB devient
l’enjeu de rivalités politiques. L’apparition de nouvelles associations dans le cadre de la
nouvelle loi va se trouver mêlée à l’émergence de nouveaux partis politiques22. Les 9 et 10
février 1989 est organisé à la Maison de la culture à Tizi-Ouzou le second séminaire du
MCB censé faire le bilan de l’engagement pour l’amazighité. Il réunit, selon Saïd Sadi,
l’une des figures dirigeantes du mouvement amazigh, « six cents militants et
sympathisants du Mouvement culturel berbère23 ». Le séminaire débouche sur la création
d’un parti politique, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) qui
affichera plus tard une ambition nationale et non pas berbère qui l’identifierait de son
point de vue à un régionalisme kabyle. Une partie des militants du MCB interprète la
création du RCD comme une entreprise de récupération politique des luttes pour la
défense de l’amazighité. Dans le cadre de la nouvelle loi sur les partis politiques est
également autorisée une autre formation, le Front des forces socialistes (FFS), active
jusque-là dans la clandestinité, qui agrégera une frange de militants se reconnaissant
dans le Mouvement culturel berbère, même si une part importante de ses membres qui
avaient été actifs dans la clandestinité pour la défense de l’amazighité rejoindra le RCD à
sa formation en 1989.
16 La loi sur les « associations à caractère politique » adoptée le 5 juillet 1989 24 aura un effet
direct sur les associations amazighes qui se créent à partir de 1990. Elles deviennent pour
les partis politiques nouvellement reconnus qui entrent dans la compétition électorale
une ressource à la fois matérielle et symbolique. L’action associative devient l’objet de
calculs politiques. Ceux qui rejoignent ces associations se regroupent tout d’abord en
fonction de leur sensibilité politique. Ainsi organisés, ils peuvent mener des actions pour
la défense de l’amazighité. Le 20 avril 1990, le gala de la commémoration du dixième
anniversaire du Printemps berbère organisé sur le campus de Oued-Aïssi à Tizi-Ouzou va
cristalliser cette rivalité politique. Les militants se divisent en deux ailes diamétralement
opposées : les Commissions nationales proches du FFS et la Coordination nationale proche
du RCD. Les deux tendances du MCB qui entrent en concurrence pour le leadership d’un
mouvement culturel jouent alors le rôle de courroie de transmission entre les
associations et les deux partis politiques particulièrement actifs en Kabylie, le RCD et le
FFS25. Ce lien sera d’autant plus fort qu’il sera entretenu par les divisions alimentées par
la compétition électorale26. En marge de ces affrontements politiques, d’autres
associations se montrent quant à elles soucieuses de préserver leur autonomie loin du
giron des partis.
17 Au Maroc, l’essor des associations amazighes se constate également au cours des
années 90. Cependant, alors que les défenseurs de la culture amazighe en Algérie
s’organisent à partir de 1980 autour d’enjeux qui les placent dans un rapport
d’affrontement direct avec l’Etat, les groupes qui agissent au Maroc inscrivent leur action
dans une logique de négociation pour la recherche d’un consensus dans leur rapport aux
institutions. La création, fin 1994, du Comité national de coordination (CNC) traduit le
120

besoin ressenti par les militants de mise en cohérence de l’action des associations
amazighes dont le nombre ne cesse de croître chaque mois afin de leur permettre de
devenir un interlocuteur de poids. En 1996, cette coordination enregistre un doublement
du nombre des associations adhérentes : 14 en janvier et 27 en décembre27. Structure
informelle, le CNC n’aura jamais de réalité juridique. Par ailleurs, l’idée de créer un parti
politique n’est portée que par des militants associatifs. Hassan Id Belkacem, qui avait déjà
posé la question au sein de l’organisation Tamaynut qu’il présidait, met sur pied une
commission préparatoire pour l’organisation du congrès constitutif du Parti
démocratique fédéraliste dans le courant de l’année 2007, un parti politique qui ne verra
jamais le jour.
18 Des individus et des groupes se saisissent des opportunités pour porter l’affirmation
identitaire amazighe dans un espace dont les contours sont déjà tracés par la politique
culturelle de l’Etat. L’amazighité s’introduit ainsi au Maroc dans les espaces d’ouverture
consentis par la monarchie dont la politique mêle tour à tour tolérance, interdiction et
répression. Il en est autrement en Algérie où la logique protestataire qui domine durant
cette période fragilise la demande d’institutionnalisation de l’amazighité.

Vers une institutionnalisation de l’amazigh en Algérie


19 Ce n’est alors que dix ans après le Printemps berbère et dans la foulée du cadre de
« l’ouverture politique » mis en place par la Constitution du 23 février 1989 que les
premiers changements institutionnels prennent forme en Algérie. Le premier
département de langue et culture amazighes est créé en 1990 à l’université Mouloud
Mammeri de Tizi-Ouzou. Un second département est ouvert l’année suivante au Centre
universitaire de Bejaia. L’ouverture de ces deux départements marque une première
réponse institutionnelle à la demande de reconnaissance de la langue et de la culture
amazighes. Effet de l’intervention de l’Etat sur la thématique de l’amazighité, certains
critiqueront le fait que la direction du département de l’université de Tizi-Ouzou ait été
donnée à un ancien maire, membre de l’ex-parti unique28.
20 Mais au-delà de cette première réponse institutionnelle, c’est un nouveau mouvement de
protestation dans toute la Kabylie qui va marquer une étape dans la prise en charge de
l’amazighité par l’Etat. Le MCB-Coordination nationale lance le 29 août 1994 un appel au
boycott scolaire et universitaire pour la rentrée 1994-199529. Implantés principalement en
Kabylie, le RCD et le FFS trouvent dans les enjeux portés par les militants qui se
reconnaissent dans le Mouvement culturel berbère un nouveau terrain de compétition. Le
gouvernement signe le 22 avril 1995 un accord avec une seule aile du MCB, la
Coordination nationale, proche du RCD, qui met fin au boycott. Les Commissions
nationales proches du FFS avaient quant à elles quitté les négociations30. L’accord prévoit
la « création d’une instance à compétence exécutoire » qui « regroupera les compétences
nationales : linguistes, pédagogues, chercheurs, historiens » dont le choix « se fera avec
les associations concernées31 ». L’idée d’une telle instance n’était pas nouvelle. Déjà en
1990, Saïd Sadi, qui dirigeait le RCD, pointait dans l’un de ses livres la nécessité de
disposer d’une institution académique organisant l’enseignement de la langue amazighe :
« En Algérie, le tamazight et l’arabe sont des langues nationales. La langue tamazight
occultée par l’article 3 de la Constitution doit être reconnue constitutionnellement
comme étant une langue nationale. Aussi, il est urgent de consacrer la création d’une
institution académique pour sa codification en vue de sa préparation à l’enseignement32. »
121

21 Réponse de l’Etat au mouvement protestataire, le Haut-commissariat à l’amazighité (HCA)


est créé le 27 mai 199533 avec l’objectif de réhabiliter l’amazighité dans ses dimensions
historique, culturelle et civilisationnelle, à travers l’introduction de la langue amazighe
dans les systèmes de l’éducation et de la communication. L’enseignement de l’amazigh est
introduit la même année dans l’école algérienne. Il sera assuré pour l’essentiel par des
universitaires ou des militants d’associations, la plupart acquis au Mouvement culturel
berbère. L’une des missions du HCA est également d’apporter un soutien institutionnel au
mouvement associatif qu’il considère comme un partenaire privilégié. Dans le cadre de
son action culturelle, il intervient auprès des associations qui agissent pour la
réhabilitation de l’amazighité, en suivant et évaluant leurs activités et en définissant avec
elles des programmes d’action. Il organise à cet effet des séminaires de formation à
destination des animateurs d’associations culturelles amazighes qui rassemblent des
centaines d’associations. Sont ainsi mis en place des ateliers de formation encadrés par
des universitaires autour des thématiques de l’enseignement de la langue et de
l’alphabétisation et aussi de la prise en charge du patrimoine culturel.
22 Force est alors d’admettre que les associations qui se reconnaissent dans la Coordination
nationale, proche du RCD, disposeront de ressources supplémentaires tirées de leurs liens
institutionnels avec le HCA. Les associations qui participeront au deuxième forum en 1999
à Tipaza et au troisième forum en 2000 seront essentiellement liées à cette coordination34.
A l’issue du troisième forum des associations culturelles amazighes est décidée la création
d’une Coordination nationale des associations amazighes (CNAA). Cependant, ce projet
restera au point mort. Mais ce clivage ne dissout pas pour autant les convergences qui
apparaissent dans l’action de toutes ces associations. Au-delà des oppositions, l’ensemble
des associations s’accorde en effet sur des thématiques qui abordent l’édition de romans
et de poésies en langue amazighe, le patrimoine, la production cinématographique. La
commémoration annuelle du Printemps berbère par toutes ces associations se dilue dans
un rituel qui rythme leur fonctionnement routinier. Dès lors, ce n’est pas tant par leur
critique des institutions que ces associations se politisent que par les liens qu’elles
entretiennent avec le RCD et le FFS en concurrence dans l’arène électorale. En ce sens, la
politisation les soumet aux effets de l’institutionnalisation.
23 L’université d’été du Mouvement culturel berbère (MCB) dit « unifié » se tient en août
2003 à Bordj El-Kiffan. Elle débouche sur la fondation de la Coordination du mouvement
associatif amazigh (CMAA), comme pour mieux marquer une rupture avec le potentiel
protestataire que portait le MCB. Ould Ali El-Hadi, lui-même ancien responsable de la
Coordination nationale et ex-responsable du RCD, parti avec lequel il a rompu, est à
l’initiative de l’organisation de cette université d’été qui doit lui permettre de mettre une
distance entre les associations amazighes et le RCD. Il devient quelque temps plus tard
directeur de la Maison de la culture de Tizi-Ouzou, puis directeur de la culture de la
wilaya de Tizi-Ouzou. Sa nomination comme directeur de campagne d’Abdelaziz
Bouteflika pour la région de Tizi-Ouzou pour l’élection présidentielle de 200435 montre
que l’amazighité est devenue un enjeu qui suscite l’intérêt de l’ensemble des partis
politiques engagés dans les compétitions électorales et désireux de mobiliser tous les
soutiens et réseaux pour faire élire leurs candidats. La situation qui prévaut n’est plus
caractérisée par deux seuls partis politiques qui s’affrontent au sein du Mouvement
culturel berbère pour s’accaparer des ressources politiques produites par les combats
pour l’identité mais par l’ensemble des partis qui entrent en compétition dans les arènes
électorales au nom de l’amazighité. La référence à l’amazighité se vide de son caractère
122

protestataire pour devenir une thématique qui s’officialise dans un discours encadré par
la redéfinition de l’identité nationale légitimée par la Constitution de 1996.
24 Cette mise à distance de la référence au mouvement amazigh au profit d’une thématique
de l’amazighité dépolitisée s’observe également dans le fonctionnement du HCA qui ne
reste qu’un simple rouage administratif d’une politique amazighe dont les contours ne
sont pas fixés distinctement par l’Etat algérien. Signe de fragilité, ses organes délibérants
ne fonctionnent plus depuis 1998 du fait du non-renouvellement du mandat de trois ans
de ses membres36. Le poste de Haut Commissaire est vacant depuis le décès du premier
président, Mohand Idir Aït Amrane, le 31 octobre 2004. Seul un secrétaire général
coordonne la direction de l’administration générale et les directions d’études. L’activité
du HCA se maintient dans un fonctionnement routinier avec les moyens financiers limités
que l’Etat met à sa disposition.

La réforme constitutionnelle de 2011 : les deux temps


de l’officialisation de l’amazigh au Maroc
25 Au Maroc, l’institutionnalisation sera plus tardive. C’est tout d’abord dans la période des
années 90 caractéristique de l’essor associatif que quatre représentants associatifs signent
le 22 juin 1996, au nom de 18 associations, une lettre37 qu’ils adressent au Cabinet royal
dans le but d’inscrire l’amazighité dans le débat sur la préparation d’une nouvelle
Constitution. Sur un ton très révérencieux, les signataires font état de « quelques
suggestions relatives à la langue et à la culture amazighes ». S’appuyant sur le discours
prononcé par Hassan II deux ans plus tôt, le 20 août 1994, ils informent que les
associations amazighes le soutiennent dans son projet de prendre en compte l’amazighité
tout en regrettant qu’aucune décision n’ait suivi ses déclarations. L’aspect revendicatif
n’en est pas moins présent, comme le montrent les trois « suggestions » qui sont émises
concernant la langue, l’unité des peuples d’Afrique du Nord et l’égalité des langues. Alors
que le souverain avait dans son discours de 1994 annoncé l’enseignement prochain des
« dialectes berbères », les signataires affirment que « le Royaume du Maroc est un Etat
islamique dont les langues sont le Tamazight et l’Arabe et dont l’identité repose sur trois
composantes : l’Islam, le Tamazight et l’Arabe38 » et en déduisent que « les deux langues,
le Tamazight et l’Arabe, sont égales pour les Marocains ». S’ouvre alors la perspective
d’une garantie à donner à la langue : « Nous entendons par égalité la nécessité de garantir
pour les deux langues les mêmes chances d’évolution et de développement. » Cette
demande pourrait alors s’interpréter comme une première demande d’officialisation de la
langue amazighe avant que l’Etat ne prenne l’initiative d’une politique culturelle.
26 L’institutionnalisation de l’amazighité au Maroc est en effet prise en charge quelques
années plus tard par Mohammed VI qui succède à son père Hassan II décédé en 1999. Dans
cette première phase d’institutionnalisation, la constitutionnalisation de la langue
amazighe n’est cependant pas retenue, que ce soit avec le statut de langue officielle ou
avec celui de langue nationale. Le 17 octobre 2001, le nouveau souverain prononce un
discours à Ajdir – du nom de la localité située près de Khénifra dans le Moyen Atlas d’où
est originaire sa mère – dans lequel il annonce la création d’une institution en charge de
l’amazighité, l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM)39. Cette institutionnalisation
n’est pas engagée comme réponse à un grand mouvement de protestation mais suit un
long travail opéré par les associations de conscientisation et de diffusion progressive de
123

l’amazighité dans le discours public. Une grande partie des associations amazighes ne s’en
tiennent pas à cette réponse institutionnelle à leur demande mais considèrent que la
protection constitutionnelle représente le moyen le plus à même de garantir la
reconnaissance de l’amazighité. Un responsable de l’AMREC, Ali Khadaoui, déclare en
2002 :
« (…) Seule cette protection est à même de garantir le recouvrement effectif des
droits de l’amazighité par une institutionnalisation et la mise en place de structures
juridiques incontournables garantissant le financement par l’Etat des projets
relatifs à l’enseignement, l’information, l’administration, la justice, les productions
littéraires et artistiques, etc. Ce n’est qu’ainsi que l’amazighité, intégrée dans toutes
les institutions nationales, pourra jouer pleinement son rôle dans le développement
tous azimuts souhaités par tous. Ce n’est qu’ainsi que “la hogra”, intériorisée, fera
place à la dignité retrouvée, moteur indispensable à la créativité 40. »
27 La mise en place de l’IRCAM est cependant conçue par la monarchie comme la première
étape de la politique culturelle de l’Etat marocain. L’institut est doté d’un conseil
d’administration dans lequel siègent des représentants d’associations de différentes
régions du Maroc aux côtés de représentants de ministères. Le Réseau amazigh pour la
citoyenneté (Azetta)41 refuse son intégration dans ce schéma. Il critique la fonction
consultative de cette nouvelle institution et demande la création d’une institution
indépendante. Des militants y voient la cooptation par le roi de certains d’entre eux pour
mettre en conformité l’action des associations amazighes avec la politique du Royaume42.
Cette distance marquée par ces militants est d’autant plus nette à l’égard de la politique
royale qu’en 2005 elle se développe sous une autre forme lorsque sept dirigeants
d’associations amazighes originaires du Moyen Atlas et du Rif démissionnent du Conseil
d’administration de l’IRCAM43. Ces militants, qui jugent insuffisante l’action menée par
cette institution pour la promotion de l’amazighité, offrent ainsi une première critique de
la politique de l’Etat formée depuis l’intérieur des institutions. A l’extérieur du champ des
réformes, des voix discordantes se font entendre44. Ahmed Adghrini crée le Parti
démocrate amazigh marocain (PDAM) en août 2005. Son existence légale, qui reposait sur
un simple procès-verbal établi par huissier de justice, est remise en cause par la Cour
administrative de Rabat. En avril 2008, cette dernière prononce la dissolution de la
nouvelle formation politique pour non-conformité à la loi régissant les partis politiques
qui proscrit la formation de toute organisation politique sur des critères ethniques ou
linguistiques. Le PDAM continue cependant à fonctionner de façon informelle, parvenant
à fédérer des militants dont une part non négligeable est originaire du Rif. En juin 2006, le
parti dissous adresse un mémorandum au roi exigeant une révision de la Constitution et
de son préambule afin d’inclure la reconnaissance de la langue et des droits culturels du
peuple amazigh. Qui plus est, la critique de l’intégration de l’amazighité dans une
politique d’Etat prend de l’ampleur dans les universités et dans le sud-est du Maroc 45. Les
militants – principalement des étudiants – organisés au sein du Mouvement culturel
amazigh (MCA) ainsi que dans des coordinations régionales informelles considèrent cette
nouvelle politique comme une trahison des combats menés dans l’histoire des Amazighs
contre toute oppression. Le renforcement de ce vaste mouvement dont les groupes
militants ne font pas l’objet d’une déclaration en tant qu’association conduit à la
radicalisation d’une frange du mouvement amazigh.
28 Ce clivage entre militants s’atténue en 2011 lorsqu’une protestation de fond traverse une
grande partie de l’Afrique du Nord et les pays voisins. L’émergence et l’organisation du
Mouvement du 20 février qui appelle à une démocratisation du régime marocain et
124

retient la revendication de la constitutionnalisation de la langue amazighe donnent lieu


rapidement à une réponse de Mohammed VI qui annonce une révision constitutionnelle
qui servira par la même occasion de seconde phase d’institutionnalisation de
l’amazighité. Dans son discours adressé le 9 mars 2011 à la nation46, Mohammed VI expose
un dispositif présenté comme l’architecture de réformes profondes au cœur duquel il
annonce une nouvelle Constitution. Il s’engage à « donner une forte impulsion à la
dynamique réformatrice profonde qui est en cours et dont le dispositif constitutionnel
démocratique constitue le socle et la quintessence ». Dans ce projet, la pluralité de
l’identité marocaine est placée comme le premier des sept fondements majeurs de la
réforme constitutionnelle globale qu’il entend porter, « la consécration constitutionnelle
de la pluralité de l’identité marocaine unie et riche de la diversité de ses affluents et au
cœur de laquelle figure l’amazighité, patrimoine commun de tous les Marocains, sans
exclusive ».
29 La nouvelle Constitution est adoptée par le référendum du 1er juillet 2011 et promulguée
le 29 juillet 201147. Comme l’histoire politique du Maroc l’a montré tout au long des
révisions constitutionnelles de 1962, 1970, 1972, 1980, 1992, 1995 et 1996, le pouvoir royal
tient à cœur de légitimer les changements constitutionnels par l’onction populaire des
consultations référendaires, forme contemporaine de légitimation qui s’inscrit dans le
cadre du paradigme islamique de la bey‘a. Cette légitimation est d’autant plus importante
qu’elle implique la participation du peuple pour dissoudre symboliquement le
mécontentement exprimé dans la rue en 2011 au nom du Mouvement du 20 février et
partagé par une fraction non négligeable de la population marocaine sur tout le territoire
national. Le préambule de la Constitution propose alors une réécriture du passé du
Maroc. La diversité est présentée comme étant au fondement de l’unité nationale du
Royaume du Maroc : « Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-
islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain,
andalou, hébraïque et méditerranéen ». Les langues sont évoquées dans l’article 5 inclus
dans le titre premier de la Constitution. L’article rappelle que « l’arabe demeure la langue
officielle de l’État » avant d’évoquer la langue amazighe : « De même, l’amazighe
constitue une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun de tous les
Marocains sans exception. » L’article 5 prévoit également la création du Conseil national
des langues et de la culture marocaine, « chargé notamment de la protection et du
développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles
marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration
contemporaine ». Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines 48.
30 La Constitution de 2011 prévoit de mettre en œuvre les réformes par l’adoption de dix-
neuf lois organiques49 « dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature
suivant la promulgation de ladite Constitution » (article 86). L’amazigh est alors concerné
par deux de ces lois organiques. La première doit définir le processus de mise en œuvre
du caractère officiel de la langue amazighe, les modalités de son intégration dans
l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique. La seconde doit
déterminer les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement du Conseil
national des langues et de la culture marocaine. Le processus d’intégration de
l’amazighité par l’Etat prend ainsi un nouveau départ. Annoncés en 2011, deux projets de
loi organique sont rendus publics en 201650. Ils sont adoptés par le conseil de
gouvernement le 3 août 2016, puis par le conseil des ministres du gouvernement
125

Benkirane II, sous la présidence du roi, le 26 septembre 2016, c’est-à-dire seulement


quelques jours avant les élections législatives du 7 octobre.
31 Dans une circulaire concernant l’amazigh en date du 28 juin 2017 adressée aux ministres
et secrétaires d’Etat, le nouveau chef du gouvernement Saâdeddine El Othmani rappelle
que l’exécutif a favorisé dans son programme gouvernemental une « politique
linguistique intégrée » dans laquelle l’amazigh jouera pleinement son rôle de deuxième
langue officielle du royaume. La circulaire prévoit que le travail se fera selon une
approche progressive consistant à établir une « période expérimentale à partir de 2018 »,
dans l’attente de l’adoption des deux lois organiques par le Parlement afin de consolider
l’officialisation de la langue amazighe, « notamment aux niveaux de l’administration
publique, de la justice, de l’information et la communication et de la création culturelle et
artistique ».
32 Le projet de loi organique n°26.16 qui fixe les étapes de mise en œuvre du caractère
officiel de la langue amazighe et les modalités de son intégration dans l’enseignement et
dans les domaines prioritaires de la vie publique, afin de lui permettre de remplir à terme
sa fonction de langue officielle, est ensuite présenté le 5 juillet 2017 au sein de la
Commission de l’enseignement, de la culture et de la communication de la Chambre des
représentants pour être soumis pour approbation au Parlement. Le projet de loi
organique 04.16 qui détermine les attributions, la composition et les modalités de
fonctionnement du Conseil national des langues et de la culture marocaine sera soumis
quant à lui au parlement dans un second temps.

La réforme constitutionnelle de 2016 en Algérie et


l’officialisation de l’amazigh
33 En Algérie, la réponse de l’Etat à la demande de reconnaissance de l’amazighité prend
également la voie d’une réforme constitutionnelle. L’accord d’avril 1995 signé entre le
gouvernement et le MCB-Coordination nationale considérait déjà la création d’une
instance en charge de l’amazighité comme une étape vers le parachèvement
institutionnel que devrait consacrer à terme la Constitution. Il était notamment dit que
« cette instance (…) constitue une institutionnalisation en attendant sa consécration en
tant que langue nationale officielle » et que « la lutte continue pour la
constitutionnalisation de la langue amazighe dès la prochaine révision de la Constitution
51
». Une première étape dans la constitutionnalisation de l’amazighité s’engage en 1996,
quelques mois plus tard, par la révision du préambule de la Constitution du 8 décembre
1996. L’amazighité devient un élément de l’identité nationale : « (…) Les composantes
fondamentales de son identité (…) sont l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité (…). » Aucun
statut n’est cependant donné à la langue amazighe dans la Constitution. Laissant
percevoir des divergences d’interprétation au sommet de l’Etat, Abdelaziz Rahabi, ancien
ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, puis ministre de la
Culture démis de ses fonctions le 22 novembre 1999, déclarera lors d’une conférence
donnée à Alger en août 2012 que le président de la République, Liamine Zeroual, avait
cette même année tenté d’introduire sans résultat la constitutionnalisation de
« tamazight » comme langue nationale dans le texte initial de la Constitution52. Le
contexte marqué par la radicalisation islamiste conduisait les gouvernants à relativiser
l’importance que pouvait revêtir la prise en charge de la langue amazighe. Il est à cet
égard significatif de se remémorer que le Conseil national de transition (CNT) avait voté,
126

le 17 décembre 1996, une loi généralisant l’usage de la langue arabe à partir du 5 juillet
1998 et du 5 juillet 2000 pour l’enseignement supérieur53.
34 La vaste protestation qui s’ouvre en 2001 en Kabylie va permettre à l’Etat d’engager une
nouvelle étape dans l’institutionnalisation du tamazight. Le 18 avril 2001, des violences
commises par les gendarmes dans les locaux de la gendarmerie à Aït Douala sur un jeune,
Massinissa Guermah, qui décédera deux jours plus tard, et l’interpellation et le passage à
tabac de collégiens à Amizour avaient embrasé la Kabylie. On comptera plus de 120 morts.
Un mouvement de protestation se structure au sein de la Coordination des âarchs, daïras
et communes de la wilaya de Tizi-Ouzou (CADC) et de la Coordination intercommunale de
Bejaïa (CIB). Les représentants des wilayas de Sétif, Bordj Bou Arréridj, Bouira,
Boumerdès, Bejaïa, Tizi-Ouzou, Alger ainsi que le Comité collectif des universités d’Alger
adoptent la plateforme de revendication d’El-Kseur (du nom de la localité où elle a été
adoptée le 11 juin 2001). Dans son huitième point, il est demandé « la satisfaction de la
revendication amazighe dans toutes ses dimensions (identitaire, civilisationnelle,
linguistique et culturelle) sans référendum ni conditions, ainsi que la consécration du
tamazight en tant que langue nationale et officielle ».
35 Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, répond favorablement en 2002 à une
seule partie de cette demande. L’amazigh est reconnu par un amendement
constitutionnel comme langue nationale et non pas comme langue officielle. Le texte
constitutionnel se voit ainsi complété par l’article 3 bis qui dispose :
« Tamazight est également langue nationale. L’Etat œuvre à sa promotion et à son
développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire
national54. »
36 Les élus du FFS et du RCD boycottent le vote de la révision au Parlement. La protestation
ne fléchissant pas pour autant en Kabylie, le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, se
montre disposé en février 2004 à prendre en charge la production scientifique,
intellectuelle et artistique de l’amazighité dans l’accord-cadre présenté comme réponse
au mouvement de protestation qu’il signe avec des représentants du mouvement.
Cependant, plutôt que d’ouvrir une nouvelle étape pour l’institutionnalisation de
l’amazighité, cet accord a pour effet de diviser les protestataires entre militants
« dialoguistes » et militants « anti-dialoguistes »55. L’annonce d’une nouvelle réforme
reviendra telle une chimère le 19 juin 2007 lorsque le Conseil de gouvernement
examinera deux projets de décret présidentiel relatifs à l’amazighité. Le premier institue
l’Académie algérienne de langue amazighe (AALA). Le second prévoit la création du
Conseil supérieur de la langue amazighe (CSLA). Ces deux projets resteront lettre morte.
L’absence d’un mouvement contestataire en Algérie en 2011 conduira au statu quo dans la
gestion par l’Etat de l’amazighité. L’annulation de l’augmentation des prix des denrées
alimentaires, tout comme l’extension des subventions de l’Etat, les hausses de salaires du
secteur public, les programmes d’aide à la création d’emplois et d’activités avaient dès les
premières contestations contribué à calmer les demandes de la rue.
37 C’est donc dans un contexte social faible en contestations que l’amazigh est consacré
langue officielle en Algérie par la révision constitutionnelle de 2016. L’officialisation de la
langue amazighe entreprise en 2011 au Maroc conduit les gouvernants algériens à
développer leur propre politique. L’article 4 de la Constitution révisée dispose que
« Tamazight est également langue nationale et officielle », que « l’Etat œuvre à sa
promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le
territoire national » et qu’il « est créé une Académie algérienne de la langue amazighe,
127

placée près le président de la République » dont la mission est « (…) de réunir les
conditions de la promotion de Tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de
langue officielle ». L’article 3 de la Constitution disposait quant à lui que « l’Arabe est la
langue nationale et officielle », que « l’Arabe demeure la langue officielle de l’Etat » et
qu’il « est créé près le président de la République un Haut Conseil de la langue arabe ». En
fait, le retard pris dans la mise en place de l’Académie algérienne de la langue amazighe
annoncée depuis 2007 empêche la normalisation et la standardisation de l’amazigh,
mission que par ailleurs le Centre national pédagogique et linguistique de l’enseignement
de tamazight (CNPLET) dirigé par Abderezzak Dourari n’est pas habilité à conduire. La
qualification de l’Académie de la langue amazighe comme « algérienne » laisse en effet
présager que le kabyle, le chaoui, le tergui ne seront pas considérés comme des langues
concernées par l’officialisation.

L’amazigh dans les institutions : entre consensus et


revendication
38 La reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale puis comme langue
officielle a été un objectif structurant l’action associative au Maroc. L’enthousiasme
perceptible en 2011 chez les militants suite à la reconnaissance de l’identité et de la
langue dans la Constitution a vite été tempéré par l’attente de l’adoption des lois
organiques par le parlement génératrice de doutes quant à la poursuite des réformes.
Prenant pour exemple la loi organique relative à la Chambre des représentants adoptée
en novembre 201156 dont la « mise en œuvre » a quelque peu dilué les promesses
constitutionnelles, une juriste, Nadia Bernoussi, s’inquiétait même du sort qui pourrait
être réservé à l’ensemble des dix-neuf lois organiques prévues par la nouvelle
Constitution57.
39 Les fédérations régionales d’associations amazighes vont alors se positionner dans le
dialogue avec les autorités. Dans la phase de préparation de la réforme constitutionnelle,
le Réseau amazigh pour la citoyenneté, la Fédération des associations amazighes du nord
du Maroc, la Fédération des associations amazighes du sud du Maroc (Tamunt N Ifuss) sont
reçus, pour présenter leurs propositions, par la Commission consultative de révision de la
Constitution présidée par Abdellatif Menouni58. L’AMREC dont le siège est à Rabat est
également invitée. Seule, l’organisation Tamaynut, qui regroupe des sections dans
différentes régions du Maroc, boycotte la Commission consultative à qui elle reproche de
ne pas avoir fait état de « la nécessité d’élire une assemblée constituante, représentative
des différentes sensibilités politiques et civiles ». Cette position ne manifeste pas une
opposition à la loi organique portant sur l’officialisation de l’amazigh qu’elle considère
comme « une opportunité pour rétablir l’équilibre culturel au Maroc et assurer à la
langue et à la culture amazighes leur place naturelle59 » mais révèle un souci de ne pas
apparaître comme un instrument de la politique culturelle royale. Aucune autre
association ne pourra faire entendre sa voix en dehors de ces réseaux associatifs habilités
par l’Etat à donner leur point de vue sur les changements constitutionnels pour la
reconnaissance de tamazight.
40 Après l’adoption de la Constitution en 2011, ce seront ces mêmes grandes structures
associatives qui discuteront avec l’Etat de la politique pour la promotion de l’amazighité.
Tout comme les discussions engagées dans la phase de préparation des réformes
128

constitutionnelles, les critiques qui visent la méthode et le fond développées par les
associations amazighes se concentrent dans les limites de la politique culturelle tracées
par la monarchie. Une « proposition de projet de loi organique pour la
constitutionnalisation de la langue amazighe » élaborée par le Réseau amazigh pour la
citoyenneté60, appuyée par la Fédération nationale des associations amazighes (FNAA)61
dirigée par Ahmed Arehmouch, est rendue publique en 2012. Un manifeste appelle à
rendre effective l’officialisation de l’amazigh62 conformément à l’article 5 de la
Constitution du 1er juillet 2011 et au discours prononcé par Mohammed VI en octobre
2012 à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire63.
41 Du point de vue des associations amazighes, il importe au gouvernement d’accélérer la
mise en place de la réforme, de les écouter en rejetant les méthodes du type de celles
employées par Abdelilah Benkirane qui, en guise de débat citoyen, s’était contenté en
janvier 2016 d’installer sur Internet un compte de messagerie pour permettre à chacun de
donner son avis et de faire des propositions sur cette question à l’aide d’une simple
adresse mail plutôt que de mettre en place une commission. Les points de critique et mots
d’ordre diffusés par les associations amazighes épargnent ainsi la politique royale pour se
concentrer sur le gouvernement sommé de procéder à la mise en œuvre de
l’officialisation. La publication en 2016 des deux projets de loi organique concernant
l’amazighité permet aux associations amazighes de focaliser le débat sur le contenu des
réformes. Le Réseau amazigh pour la citoyenneté présente à Rabat en avril 2017 un
mémorandum afin de « combler les lacunes » qui affaibliraient les projets de loi
organique. Plutôt que de porter un contre-projet alternatif, le Réseau amazigh
revendique ainsi la position d’un acteur influent à même de faire progresser
qualitativement la réforme dans les institutions. Plus largement, les associations
amazighes admises dans le cercle de discussion sont ainsi élevées au rang d’acteurs de la
politique culturelle royale et reconnues comme des interlocutrices privilégiées du
gouvernement et de la Commission de révision de la Constitution. En ce sens, la venue en
discussion au parlement en 2017 du projet de loi organique qui fixe les étapes de la mise
en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, soit six ans après l’adoption de la
nouvelle constitution, atteste de la soumission de l’action associative au rythme de l’Etat.
42 En dehors de ces grands réseaux associatifs, les autres associations amazighes ne peuvent
impulser une pression pour critiquer les réformes en cours. Alors que jusque-là l’action
associative s’intégrait dans une stratégie de lobby pour porter la revendication amazighe,
des militants et sympathisants élargissent le répertoire d’action collective au-delà de la
préparation de plaidoyers en initiant des marches (« Tawada »), formes de manifestations
non autorisées organisées le plus souvent pour célébrer l’anniversaire du Printemps
berbère qui avait mobilisé la Kabylie en avril 1980 en Algérie. Le 22 avril 2012, une marche
initiée par des militants amazighs se déroule à Casablanca. En février 2013, ces mêmes
marches sont interdites à Agadir, Inezgane, El Hoceima et Nador. La marche qui se tient à
Agadir le 19 avril 2015, qui est à nouveau interdite comme elle l’avait été en 2013, se solde
par l’intervention des forces de l’ordre qui procèdent à des arrestations. Exposés au
quadrillage policier, les militants amazighs, dont une partie est membre des divers
réseaux associatifs, ne parviennent pas à faire de la rue un moyen pour accentuer la
pression sur les autorités.
43 En Algérie, les mouvements sociaux qui avaient secoué la Kabylie, en 1980, 1994 et entre
2001 et 2005, avaient permis d’engager l’institutionnalisation de l’amazighité suivant un
rythme saccadé. En 2016, la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle n’est
129

cette fois-ci pas la réponse de l’Etat à un mouvement contestataire d’ampleur mais


s’inscrit à un moment où le Maroc poursuit sa politique culturelle par l’officialisation de
l’amazigh et la préparation du Conseil national des langues et de la culture marocaine.
Détaché des mobilisations protestataires d’ampleur et morcelé, le mouvement amazigh ne
peut s’affirmer comme sujet. D’un côté, d’anciens militants toujours actifs, pour la plupart
kabyles, lancent en mars 2013 une pétition qui réclame la reconnaissance de la langue
amazighe comme langue officielle. Signée par des militants associatifs, des figures de l’ex-
MCB, des intellectuels et bon nombre d’individus non affiliés à un quelconque
regroupement parmi lesquels certains vivent à l’étranger, cette pétition gagne en
audience notamment grâce à Internet. D’un autre côté, le Mouvement pour l’autonomie
de la Kabylie (MAK) développe depuis 2001 un projet politique qu’il ne destine qu’à la
seule Kabylie et dans lequel il réserve un statut officiel au kabyle défini comme langue. Le
changement de nom en Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie qu’il opère
lors de la réunion de son conseil national en session ordinaire le 4 octobre 2013 atteste
encore plus de sa volonté de se détacher de l’Etat algérien et par là de s’écarter de
revendications exprimées en référence à l’officialisation de « l’amazigh ». Dans un
contexte marqué par les divisions et l’affaiblissement des actions collectives, les annonces
par l’Etat en 2007 et en 2016 de la création de nouvelles instances dédiées à la langue
amazighe ont vite fait de retourner dans les tiroirs. Force est alors de reconnaître que la
demande de reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle ne constitue en aucun
cas un axe permettant de structurer le mouvement amazigh en Algérie. Les associations
amazighes ne sont pas parvenues à inscrire l’action pour la défense de l’amazighité dans
une stratégie qui allie pression sur les institutions et négociation. Les rapports entretenus
par les militants amazighs avec le RCD et le FFS puis la politisation de la question
amazighe par le MAK actif en tant que parti politique non institutionnalisé ont fait des
associations amazighes des acteurs incapables de s’élever au rang d’interlocuteur avec
lequel l’Etat doit compter.

Conclusion
44 Les mouvements associatifs amazighs au Maroc et en Algérie incarnent ainsi deux voies
singulières de la défense et de la promotion de l’amazighité. Intégrées au Maroc dans la
politique culturelle royale, les associations amazighes sont confrontées au fait de devoir
imaginer de nouvelles visions de l’amazighité pour renouveler leur programme comme
avaient su le faire au début des années 60 les premiers regroupements militants. Divisé en
Algérie et composé d’associations dispersées du fait d’un manque de stratégie, le
mouvement amazigh est placé devant la tâche continuelle de se ressourcer dans des
protestations. Les prochaines étapes qui attendent le mouvement associatif pourraient
être alors d’autant plus difficiles à franchir que le mouvement amazigh est soumis au
Maroc aux enjeux de l’institutionnalisation dont les effets pourraient l’affaiblir
durablement, voire l’absorber. Exposés en Algérie à une dépendance à la critique sociale
et politique, les militants amazighs pourraient se priver d’un travail sur les institutions,
ce qui les empêcherait de disposer d’un moyen de peser sur l’orientation culturelle de la
société pour la changer. Le mouvement amazigh est alors confronté au dilemme de la
logique contestataire et de la logique consensuelle.
130

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NOTES
1. A. Touraine, La Voix et le regard, Paris, Editions du Seuil, 1978, p. 45.
2. L. Mathieu, « Quand la sociologie de l’action collective rencontre les identités. Etat des lieux et
perspectives », dans L’Action collective face à l’imbrication des mouvements sociaux : classe, ethnicité,
genre, sous la dir. de L. Arnaud et al., Paris, l’Harmattan, 2009, p. 28.
3. A. Touraine, Le Pays contre l’Etat, Paris, Editions du Seuil, 1981.
4. Dahir n° 1-58-376 du 3 joumada 1378 (15 novembre 1958) réglementant le droit d’association.
5. G. Kratochwill, Die Berberbewegung in Marokko. Zur Geschichte der Konstruktion einer ethnischen
Identität (1912-1997), Berlin, Klaus Schwarz Verlag, 2002, p. 291-292.
132

6. Ahmed Boukous deviendra en novembre 2003 recteur de l’Institut royal de la culture amazighe
(IRCAM).
7. A. Boukous, « Le champ culturel au Maroc : de quelques contradictions », L’interculturel au
Maroc : arts, langues, littératures et traditions populaires, Rabat, Afrique-Orient, 1994, p. 84-85.
8. Mohamed Ali Sedki Azeyko représente la figure intellectuelle militante de la revendication
amazighe. Il décédera le 22 septembre 2004 à l’âge de 62 ans. Abdelhammid Zemmouri a été
gouverneur à Casablanca et à Rabat et ministre du Commerce et de l’Industrie, signataire du
« Manifeste de l’Indépendance du 11 janvier 1944 ». Mohamed Chafik quant à lui avait été nommé
en 1970 sous-secrétaire d’Etat à l’Enseignement secondaire, technique, supérieur, secrétaire
d’Etat auprès du Premier ministre, chargé de mission au Cabinet royal de 1972 à 1976, puis
directeur du Collège royal en 1976. Sur l’itinéraire de M. Chafik, voir : L. Bouyaakoubi, Mohamed
Chafik, l’homme de l’unanimité : parcours d’une figure emblématique de la revendication amazighe au
Maroc, Casablanca, Tamaynut-Anfa, 2009, p. 54. En 2001, Mohammed VI le nomme recteur de
l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), poste qu’il occupera jusqu’en novembre 2003.
9. A. Izarouken, « Le mouvement associatif en Algérie : état des lieux, état des savoirs », dans
Algérie 50 ans après : état des savoirs en sciences sociales et humaines, 1954-2004, Actes du symposium
d’Oran, 20-21-22 septembre 2004, Oran, Editions CRASC, 2008, p. 284.
10. M. Kourdache, Mouvement associatif et reconstruction identitaire en Kabylie, Mémoire de Magister
sous la direction de S. Chaker, Université A. Mira, Département de langue et culture amazighes,
année 2000-2001, Béjaïa, 2001, p. 59.
11. De ce point de vue, la première association amazighe créée en France le 11 mars 1954,
l’Association pour le développement de la langue berbère, dite Tiwizi i tmaziɣt, qui regroupe
intellectuels et ouvriers, tous anciens militants du Parti du peuple algérien – Mouvement pour le
triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) – n’atteindra pas le niveau d’influence de
l’Académie berbère. Prolongeant le débat qui suit la crise survenue en 1949 dans le PPA-MTLD
autour de la question identitaire, cette association était apparue à un moment où la prise de
conscience était embryonnaire. Sur la crise au sein du PPA-MTLD et sur l’association Tiwizi i
tmaziɣt, voir les présentations de R. Redjala, « Le long chemin de la revendication culturelle
berbère », Hommes et migrations, n° 1179, septembre, 1994, p. 25-31.
12. Sur les points de vue des acteurs, voir A. Aït Larbi, coord., Avril 80 : insurgés et officiels du
pouvoir racontent le « Printemps berbère », Alger, Editions Koukou, 2010.
13. L’œuvre de ces quatre personnalités nées en Kabylie exprime sous toutes ses formes la
revendication de la culture amazighe comme une culture savante et non plus dominée. Si
Mohand Ou M’hand (1843-1905) est considéré comme le poète de l’errance, de la révolte, ainsi
que de l’amour. Taos Amrouche (1913-1976) est une artiste kabyle, écrivain d’expression
française et interprète de chants traditionnels berbères. Mouloud Mammeri (1917-1989) est
écrivain, anthropologue et linguiste kabyle. Lounès Matoub (1956-1998) – communément appelé
Matoub Lounès – est chanteur, musicien et auteur-compositeur-interprète.
14. M. Kourdache, Mouvement associatif et reconstruction identitaire en Kabylie, p. 87.
15. Loi 87-15 du 21 juillet 1987, 25 dhou el kaada 1407, relative aux associations. Pour autoriser
l’établissement d’associations culturelles, sportives, artistiques ou religieuses, cette loi supprime
le triple agrément qui était requis par le ministère de tutelle, le ministère de l’Intérieur et le
représentant de celui-ci à l’échelon local, jusque-là exigé par l’ordonnance du 3 décembre 1971,
modifiée par celle du 7 juin 1972. Ces textes constituaient de véritables obstacles à la constitution
d’associations.
16. M. Kourdache, op. cit., p. 88.
17. Les militants de l’AMREC étaient très actifs au sein de l’AUEA. La première session a été
organisée en 1980 autour du slogan « La culture populaire : l’unité dans la diversité ». La
troisième édition se tiendra en 1988 autour du slogan « La culture populaire : spécificités locales
et dimensions nationales ». La deuxième édition a, quant à elle, été interdite.
133

18. La Charte d’Agadir sera tout d’abord signée par les représentants de six associations
culturelles : Brahim Akhiyat au nom de l’Association marocaine pour la recherche et l’échange
culturel (AMREC), Lahcen Gahmou au nom de l’Association de l’université d’été d’Agadir (AUEA),
Lahoucine Akhiyat au nom de l’Association nouvelle pour la culture et les arts populaires (Ancap,
qui deviendra Tamaynut), Mohamed Chami au nom de l’association Ilmas, Ali Harcheras au nom
de l’association culturelle Ghris (devenue association socio-culturelle Tilelli) et Hamza Abdellah
Kacem au nom de l’Association culturelle Souss.
19. M.B. Salhi, Algérie : citoyenneté et identité, Tizi-Ouzou, Editions Achab, 2010, p. 279.
20. M. Kourdache, op. cit., p. 87.
21. Ibid., p. 89.
22. Loi 89-107 du 27 juin 1989 sur les associations à caractère politique.
23. S. Sadi, Algérie : l’heure de vérité, Paris, Flammarion, 1996, p. 133.
24. Loi n° 89-11 du 5 juillet 1989 relative aux associations à caractère politique.
25. M. Kourdache, op. cit., p. 236.
26. A. Guenoun, Chronologie du mouvement berbère : un combat et des hommes, Alger, Casbah éditions,
1999, p. 82.
27. Voir Amezday, n° 1 et n° 7. Organe du CNC, le journal Amezday paraît irrégulièrement. Ahmed
Adghrini en est le directeur de publication.
28. M.S. Aït Ahmed, « Le berbérisme : de l’unité du mouvement culturel aux divisions
politiques », Hérodote, 77, 1995, p. 88.
29. A. Mohellebi, Les Enfants du boycott, Alger, Imprimerie l’Artisan, 1998.
30. Voir à ce propos M. Tilmatine, « Berbère/Amazigh ou Kabyle ? Evolution et fluctuation d’une
dénomination en contexte d’idéologies dominantes », Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi
(Studi Africanistici), nº 4, 2015, p. 387-414.
31. Voir le tract du MCB-Coordination nationale : « Négociations entre le MCB et la Présidence de
l’Etat : accord du 22 avril 1995 ».
32. S. Sadi, Le RCD à cœur ouvert : entretiens par Mohamed Habili, Alger, Editions Parenthèses, 1990,
p. 156.
33. Sa véritable dénomination est « Haut-Commissariat chargé de la réhabilitation de
l’Amazighité et de la promotion de la langue amazighe ». Voir le décret présidentiel n° 95-147 du
27 dhou el hidja 1415 correspondant au 27 mai 1995, portant création du Haut-Commissariat
chargé de la réhabilitation de l’amazighité et de la promotion de la langue amazighe.
34. M. Kourdache, op. cit.
35. Responsabilité qu’il assumera également pour les élections présidentielles de 2009 et 2014. En
juillet 2015, il est nommé ministre de la Jeunesse et des Sports, portefeuille qu’il garde dans le
gouvernement mis en place après la nomination au poste de Premier ministre d’Abdelmadjid
Tebboune le 25 mai 2017.
36. Le Conseil plénier d’orientation et de suivi (CPOS), le Comité intersectoriel de coordination
(CIC) et le Conseil pédagogique scientifique et culturel (CPSC), les trois organes principaux, ont
cessé de fonctionner suite au non-renouvellement du mandat de leurs membres à partir de juin
1998. Cf. M. Oulhadj Laceb, « Le cheminement de la revendication amazighe : 15 années
d’expérience officielle de la réhabilitation de l’amazighité en Algérie », dans Les Berbères : les défis
de l’amazighité aujourd’hui, sous la dir. de T. Yacine et al., Barcelone, Paris, Institut européen de la
Méditerranée, Publisud, 2010.
37. Cette lettre des représentants d’associations de différentes régions du Maroc, signée par
Brahim Akhiate, Hassan Id Belkacem, Mohamed Chami, Abdelmalek Ousadden, Ahmed Dghrini,
est reproduite dans une brochure de l’AMREC. Voir l’Association marocaine pour la recherche et
l’échange culturels (AMREC), « Lettre adressé au Cabinet royal au sujet de la révision. Rabat, 5
safar 1417, 22 juin 1996 », Pour la reconnaissance constitutionnelle de l’amazighité : analyses, opinions et
documents, Rabat, AMREC, 2002, p. 16-18.
134

38. Les majuscules figurent dans la traduction de cette lettre.


39. Voir le texte intégral du « discours prononcé par S.M. le Roi Mohammed VI, mercredi 17
octobre 2001, à Ajdir (Khénifra), à la cérémonie d’apposition du Sceau chérifien scellant le dahir
créant et organisant l’Institut royal de la culture amazighe » : http://www.ircam.ma/?q=fr/
node/4661 (consulté le 12 juillet 2017).
40. Association marocaine pour la recherche et l’échange culturels (AMREC), Pour la
reconnaissance constitutionnelle de l’amazighité. Analyses, opinions et documents, op. cit., p. 6-7.
41. Le Réseau amazigh pour la citoyenneté (Azetta) est né d’une scission dans les rangs de
Tamaynut et du rapprochement avec des militants culturels ou politiques sans attaches
associatives. Sur les positions de Taymanut et Azetta sur la réforme constitutionnelle, voir : A. El
Khatir, « Aux origines de la politisation de l’action culturelle amazighe au Maroc », Asinag, revue
de l’IRCAM, n° 8, 2013, dossier « L’officialisation de l’amazighe : défis et enjeux », p. 59-76.
42. M. Errihani, « The Amazigh renaissance: Tamazight in the time of Mohammed VI », dans
Contemporary Morocco. State, Politics and Society under Mohammed VI, sous la dir. de Bruce Maddy-
Weitzman et Daniel Zisenwine, Oxon, New York, Routledge, 2013.
43. Voir T. Desrues, « Entre Etat de droit et droit de l’Etat, la difficile émergence de l’espace
public au Maroc », L’Année du Maghreb, II, 2005-2006, p. 263-299.
44. Pour plus de détail sur les positionnements des acteurs politiques et sociaux, voir S. Bennis,
The Amazigh Question and National Identity in Morocco, http://www.arab-reform.net/en/node/395
(consulté le 09/07/2017).
45. D. Le Saout, « La radicalisation de la revendication amazighe au Maroc : le sud-est comme
imaginaire militant », L’Année du Maghreb, n°5, 2011, p. 75-93.
46. Voir le texte intégral du discours adressé par le roi Mohammed VI à la nation le 9 mars 2011.
Reproduit dans Centre d’études internationales (CEI) 2012 : p. 377-381.
47. Voir le texte de la Constitution marocaine promulguée par dahir n° 1-11-91 du 27 chaabane
1432 (29 juillet 2011) reproduit dans Centre d’études internationales (CEI) 2012, p. 393-436.
48. Pour une analyse détaillée de l’article 5 se référer à S. Bennis, « Opérationnalisation du
paradigme de la diversité au Maroc : vers une territorialisation linguistique et culturelle » ; G.
Grigore, G. Bițună, Arabic Varieties : Far and Wide Proceedings of the 11 th International Conference of
AIDA – Bucharest, 2015, Bucarest, Universității din București, 2016, p. 119-126. Voir également,
K. Ziamari, J.J. De Ruiter, « Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions
linguistiques » dans Le Maroc au présent : d’une époque à l’autre, une société en mutation, sous la
direction de B. Dupret et al., Rabat, Centre Jacques-Berque ; Casablanca, Fondation du Roi Abdul-
Aziz Al Saoud pour les Etudes islamiques et les sciences humaines [en ligne], 2015.
49. On constate sur ce point une inflation du nombre de lois organiques. Elles n’étaient qu’au
nombre de neuf dans la Constitution abrogée de 1996.
50. Projets de loi organique n° 26.16 et 04.16.
51. Cet accord a été reproduit dans un tract du MCB-Coordination nationale : « Négociations
entre le MCB et la présidence de l’Etat : accord du 22 avril 1995 ». Reproduit en annexe dans
Kourdache, 2001.
52. Voir l’article du quotidien Liberté, « Conférence-débat d’Abdelaziz Rahabi et Ammar
Belhimeur : “Il n’y a jamais eu de consensus national autour d’une Constitution” », Liberté (Alger),
8 août 2012.
53. G. Grandguillaume, « Les débats et les enjeux linguistiques », A. Mahiou, J.R. Henry, Où va
l’Algérie ? Paris, Kharthala, 2001, p. 284.
54. Loi n° 02-03 du 27 moharram 1423 correspondant au 10 avril 2002 portant révision
constitutionnelle (JORADP n° 25 du 14 avril 2002).
55. K. Direche-Slimani, « Le mouvement des âarch en Algérie : pour une alternative démocratique
autonome ? », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 111-112, 2006, p. 183-196.
135

56. La Chambre des représentants adoptera en juin 2015 le projet de loi organique n° 32.15
modifiant et complétant la loi organique n° 28.11 relative à la Chambre des conseillers.
57. N. Bernoussi, « La Constitution de 2011 et le juge constitutionnel », dans La Constitution
marocaine de 2011 : analyses et commentaires, Centre d’études internationales (CEI), Paris, LGDJ,
Lextenso éditions, 2012, p. 207-227.
58. Abdellatif Menouni est nommé par Mohammed VI à la présidence de la Commission
consultative de révision de la Constitution (CCRC) le 9 mars 2011. Après l’adoption de la
Constitution, le roi le nommera Conseiller royal le 3 août 2011.
59. Organisation Tamaynut, Note portant sur le caractère officiel de l’amazigh, sans date, [en ligne]
URL : http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CESCR/Shared%20Documents/MAR/
INT_CESCR_CSS_MAR_21328_E.pdf [consulté le 10/07/2017].
60. « Proposition de projet de loi organique relative aux étapes d’officialisation de la langue
amazighe et aux modalités de son intégration dans l’enseignement et les secteurs prioritaires de
la vie publique », proposition de projet de loi organique pour la constitutionnalisation de la
langue amazighe élaborée par le Réseau amazigh pour la citoyenneté, décembre 2012.
61. La FNAA a été créée à Rabat le 9 novembre 2013 lors de la réunion convoquée sous l’impulsion
de responsables du Réseau amazigh pour la citoyenneté (Azetta) qui a rassemblé une centaine
d’associations amazighes. La Coordination nationale amazighe (CNA) a également été constituée
lors d’une réunion tenue en novembre 2013 à Meknès regroupant 58 associations amazighes.
62. Voir également le Mémorandum du Réseau amazigh pour la citoyenneté, « Le Conseil
national des langues et de la culture marocaine », septembre 2014.
63. Mohammed VI évoque expressément l’amazighité dans son discours devant le parlement :
« Pour ce qui est de l’expression de notre identité, ouverte et plurielle, Nous en avons déjà posé
les bases dans Notre Discours historique d’Ajdir, et la nouvelle Constitution est venue la graver
dans l’irréversibilité. A cet égard, il vous appartient d’adopter les lois organiques relatives à
l’opérationnalisation du Conseil national des langues et de la culture marocaine et à
l’officialisation effective de la langue amazighe, loin de tout a priori et de tout calcul étroit. » Cf.
Texte intégral du discours de SM le Roi devant les deux chambres du parlement, 12 octobre 2012,
[en ligne] URL : http://www.chambredesrepresentants.ma/fr/discours-royaux/texte-integral-
du-discours-de-sm-le-roi-devant-les-deux-chambres-du-parlement [consulté le 11/07/2017].

AUTEUR
DIDIER LE SAOUT
Maître de conférences au département « Relations euro-méditerranéennes – Monde maghrébin »
de l’université Paris 8 (France). Sociologue du politique, il est spécialiste des mouvements sociaux
en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et en particulier des mouvements identitaires
amazighs et kurdes.
136

Insécurité à la périphérie : les griefs


socio-économiques et le mouvement
amazigh au Maroc 
Bruce Maddy-Weitzman
Traduction : Chloé Rodrigues

NOTE DE L’ÉDITEUR
Article traduit de l’anglais.

1 Ces dernières années, le mouvement identitaire amazigh ou berbère au Maroc a


enregistré d’importants succès. L’agenda revendicatif du mouvement s’est retrouvé au
premier plan des manifestations du « Printemps démocratique » en 2011. Insufflé par le
« Mouvement du 20 Février », celui-ci a poussé la Monarchie à inscrire la reconnaissance
de l’amazighité comme composante de l’identité nationale dans la constitution. Bien que
les protestations aient été adroitement contenues, le pays est entré dans une phase
marquée par une augmentation substantielle de la contestation sociale qui, néanmoins, se
concentre sur des griefs spécifiques. Je défends dans ce texte que certaines de ces
protestations possèdent une dimension ethnique amazighe, même lorsque celles-ci sont
englobées ou subordonnées à des revendications d’ordre matériel. Ce faisant, en dépit de
ce phénomène, le mouvement amazigh n’a toujours pas réussi à mobiliser en masse la
population autour des causes qu’il promeut. Cette incapacité pose la question de la
permanence d’une brèche entre le discours militant sur l’amazighité, qui tend à ramener
tous les litiges qui traversent l’histoire marocaine récente autour d’un seul facteur, et les
réticences des Marocains amazighophones, qui, en fin de compte, forment le public-cible
du mouvement, à mettre en avant leur amazighité dans un engagement politique.
2 Ce que l’on appelle l’insécurité humaine a longtemps été une caractéristique indéniable
du quotidien des Marocains vivant dans les régions périphériques du pays, dont la plupart
sont peuplées principalement de populations amazighes. Le mouvement identitaire
amazigh au Maroc a toujours pris en compte la dimension socio-économique dans son
137

récit dominant de l’abandon et de la répression orchestrés par les autorités étatiques, ce


qui lui a permis d’appeler à un changement radical des priorités politiques nationales en
faveur de réponses concrètes à apporter aux questions que pose l’insécurité humaine
dans ces terroirs. Ce faisant, ces demandes ont eu un écho limité.
3 Lorsque l’on analyse une mobilisation telle que celle qui est actuellement en cours contre
la gestion de la mine d’argent de la région d’Imider, on constate que la dimension
ethnique, c’est-à-dire amazighe, de la protestation favorise la solidarité entre les
manifestants et contribue à renforcer leur désaffection envers l’Etat. On peut dès lors se
demander si cette dimension ethnique amazighe ne pourrait pas être présente également
ailleurs dans d’autres secteurs en proie aux contestations sociales. N’aurait-elle pas été
ignorée comme à Imider par les chercheurs ? Ou bien faudrait-il considérer que cette
dimension ethnique n’est pas une donnée spontanée et mécanique, mais plutôt le résultat
d’un travail de prise de conscience réalisé par des entrepreneurs de causes comme le sont
les militants de la cause amazighe, qui finalement seraient à l’origine de l’ethnicisation du
conflit ? Les manifestations de la région d’Imider ont également mis en lumière le
décalage persistant qui existe entre le mouvement amazigh urbain conduit par des
intellectuels et des cadres professionnels et la périphérie en difficulté. Malgré les
nombreux témoignages de solidarité, celui-ci semble en effet incapable de mobiliser sur le
terrain de l’action collective un grand nombre de personnes autour de ce genre de cause.

L’inquiétant profil socio-économique marocain et le


facteur amazigh
4 Les problèmes socio-économiques du Maroc sont bien connus. D’après le dernier rapport
de l’ONU concernant l’indice de développement humain, ce pays occupe la 129e position,
c’est-à-dire qu’il se situe derrière tous les autres pays d’Afrique du Nord exceptée la
Mauritanie classée 161e. Le voisin et rival algérien apparaît à la 93e place du classement, la
Tunisie à la 90e, la Libye à la 55e et l’Egypte à la 110e place. La monarchie jordanienne dont
les ressources pétrolières sont pauvres est classée 77e.
5 L’analphabétisme de la population adulte est l’un des indicateurs expliquant la place que
tient le Maroc dans ce classement. Il touche 25 % des hommes et 40 % des femmes, avec
un taux proche des 90 % chez celles vivant en milieu rural. La mortalité maternelle (70 e au
classement mondial), la mortalité infantile (74e) et le PIB par habitant (156e) sont des
indicateurs qui confirment ce classement. Concernant les dépenses de santé, qui font
partie du pourcentage déterminant le PIB, le Maroc est classé à la 109e place selon les
chiffres de 20091. Un cinquième de la population marocaine (6,3 millions de personnes) vit
à la limite ou sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale2. Le contraste entre les
milieux urbain et rural est particulièrement saisissant au Maroc et ce, malgré
l’intervention de l’Etat qui est aujourd’hui plus importante qu’elle ne le fut dans le passé :
électrification de villages (96,5 % en 2009, soit plus de 35 000 villages et 11,5 millions
d’habitants, contre à peine 18 % en 1996) ; construction d’écoles et de routes ; accès à l’eau
potable3. Il faut aussi prendre en compte l’économie des familles vivant dans ces villages.
Celle-ci dépend des transferts des travailleurs immigrés provenant des zones rurales, qui
passent une partie de l’année dans les grandes villes ou de longues périodes en Europe.
Pourtant, au sein des villages isolés des montagnes et des vallées du Haut et Moyen Atlas,
peuplés principalement par des communautés amazighes, la misère reste conséquente.
138

Les inondations dévastatrices de la fin novembre 2014 montrèrent de nouveau la


précarité des infrastructures qui prédomine encore dans de nombreuses régions de
l’intérieur du pays.
6 D’après les militants de la cause amazighe, le fait de négliger – et de laisser dans la
pauvreté la périphérie marocaine – répond à une stratégie délibérée qui remonte au
projet de construction de l’État-nation par les élites dirigeantes postcoloniales4. Celles-ci
auraient intentionnellement marginalisé l’amazighité du Maroc ainsi que les populations
parlant cette langue en faveur d’un nationalisme arabe et d’une identité islamique.
Evidemment, cela ne représente qu’une version de l’histoire. Cette marginalisation
répond aussi à des facteurs objectifs liés aux capacités limitées de l’Etat à intégrer dans le
tissu national les régions montagneuses et périphériques largement berbérophones. Par
ailleurs, les élites berbères des zones rurales ont souvent été cooptées par le Palais. Quoi
qu’il en soit, les projets visant la consolidation nationale mis en œuvre par l’Etat
considéraient l’identité berbère au mieux comme un vestige folklorique utile pour
l’industrie touristique, sinon comme étant destinée à l’assimilation dans le nouveau cadre
national via des politiques étatiques qui mettent l’accent sur l’arabisation de la vie
publique.
7 Ces politiques ont été des formules d’endiguement politique et d’affirmation de
l’hégémonie étatique. Bien que les régions marocaines berbérophones marginalisées aient
quelquefois fait preuve d’agitation allant jusqu’à connaître des tentatives avortées de
rébellion dans les années qui suivirent l’indépendance (1956), il n’y a pas eu de révolte
rurale importante depuis 1958-1959, lorsque les tribus amazighes du Rif se soulevèrent
contre le nouveau gouvernement de la période post-indépendance dominé par les élites
arabes urbaines5.
8 Lors de la révolte du Rif, le mouvement amazigh en tant que tel n’existait pas encore 6. Il
n’était pas non plus officiellement fait mention de l’amazighité comme élément
constitutif de l’identité nationale marocaine, et ce malgré le fait que la majeure partie de
la population (douze millions de personnes vivant pour la plupart dans la périphérie
rurale) avait pour langue maternelle une des trois principales formes du berbère.
Cinquante-cinq ans plus tard, le pourcentage de locuteurs a considérablement baissé :
même si le pourcentage exact des personnes qui ont pour langue maternelle un des trois
principaux dialectes marocains est difficile à déterminer et bien évidemment très
controversé, on peut avancer que le tamazight n’est plus parlé par la majorité des
Marocains7. D’autre part, au cours de ces dernières années, le Palais a pris un certain
nombre de mesures symboliques visant la reconnaissance de la langue et de la culture
amazighes comme des composantes centrales de l’identité nationale marocaine. C’est ce
que stipule la nouvelle Constitution ratifiée en juillet 2011, témoignant ainsi de la
démarche proactive du Roi qui a répondu sur cet aspect aux manifestations populaires du
Mouvement du 20 Février qui s’étaient déroulées quelques mois plus tôt8. La jeunesse
amazighe mobilisée dans ces manifestations a exprimé des revendications
ethnoculturelles qui rejoignaient des revendications nationales marocaines plus larges.
La reconnaissance du tamazight comme langue officielle par la nouvelle Constitution, à
côté de l’arabe, est un événement historique sans précédent marquant l’aboutissement
d’un long cheminement accéléré par l’impact du mouvement protestataire9. Ceci met en
lumière un paradoxe : le mouvement identitaire amazigh, et sa volonté de se concentrer
sur l’histoire et l’identité de l’Afrique du Nord et du Maroc, fait également partie de la
contestation croissante de la vie publique qui a contribué au recul du traditionnel khuf
139

min al-makhzen (peur des autorités). Pourtant, il est très difficile de qualifier le
mouvement amazigh au Maroc de mouvement de masse, du moins si l’on considère le
nombre de personnes qui peut être mobilisé dans le cadre de manifestations publiques.
C’est encore plus vrai lorsque l’on parle d’un engagement durable10.
9 A titre de comparaison, l’actuel mouvement amazigh marocain n’a jamais généré de
mouvements contestataires aussi suivis par les masses ni joui d’une capacité
d’organisation d’une aussi grande envergure que celle qui s’est manifestée lors des deux
épisodes désormais emblématiques des Amazighs de Kabylie en Algérie – le « Printemps
berbère » de 1980 et le « Printemps noir » de 200111.
10 Etant donné l’état d’abandon dans lequel se trouvent la plupart des régions amazighes de
la périphérie du Maroc, on pourrait s’attendre à ce qu’elles soient un terrain
naturellement propice au recrutement et à la mobilisation politique. Cependant, le
makhzen marocain a poursuivi depuis toujours et souvent avec succès une stratégie basée
sur la cooptation et la répression, qui a empêché ses adversaires potentiels de construire
une base sociale conséquente sur le long terme. Un des partis les plus anciens du pays, le
Mouvement populaire, est un fidèle parmi les fidèles de la monarchie. Les liens avec le
Palais royal lui ont permis de bénéficier des largesses du Roi et de développer des
relations de patronage et de clientélisme afin d’obtenir l’appui de la base électorale
amazighe, principalement dans la région du Moyen Atlas12. Il y a toujours eu une certaine
déconnexion entre les associations culturelles amazighes en milieu urbain pilotées par
des intellectuels et des professionnels et la population amazighe de l’intérieur du pays.
Cela a créé une brèche entre les deux milieux qui érode considérablement la capacité de
mobilisation du mouvement. En effet, les premières tiennent un discours qui se focalise
sur les demandes socio-culturelles, tandis que les populations rurales, elles, se
concentrent majoritairement sur les problèmes de santé, économiques,
environnementaux et d’équipements auxquels sont confrontés les villages, les villes des
montagnes et les vallées de l’arrière-pays. Les militants du Mouvement du 20 Février
(dont certains étaient Amazighs) ont été confrontés au même type de problème au cours
des mois de février et mars 2011. En effet, leurs efforts n’ont produit que de maigres
résultats pour rallier les populations rurales à leur cause, car ces dernières ne voyaient
pas en quoi le mouvement serait capable de promouvoir leurs intérêts13. Cela ne veut pas
dire que les associations urbaines amazighes ne connaissent pas les problèmes qui
touchent les populations rurales ou qu’elles s’en désintéressent, mais plutôt que les
difficultés à mobiliser les populations des régions reculées qui doivent déjà lutter pour
assurer leur survie constituent un frein important qui finit par les décourager. Il ne faut
pas non plus exclure la prévalence des identités des communautés locales qui se
maintiennent au détriment d’une identification plus large avec l'amazighité.
11 En même temps, même s’il y a toujours de fortes inégalités et insuffisances, les régions
périphériques sont de plus en plus interconnectées avec les régions environnantes et le
reste du pays grâce à la pénétration infrastructurelle de l’État. Plus récemment, l’accès
aux réseaux sociaux permet aussi d’accroître et de développer les possibilités d’action
collective des mouvements sociaux, dont évidemment le courant amazigh. La sociologie
des mouvements sociaux et des crises politiques a montré que les soulèvements politiques
des groupes défavorisés se produisent souvent après une période d’amélioration de leur
condition. Ce faisant, bien que cela soit le cas au Maroc, il serait hasardeux d’avancer que
les conditions sont réunies pour une mobilisation à grande échelle pour faire valoir les
revendications socio-économiques des régions périphériques, et ce, même si la
140

« révolution » tunisienne partie d’une ville de l’intérieur du pays nous rappelle


l’imprévisibilité des événements.

Anfgou et Imider
12 À partir de cette présentation générale du contexte, on peut analyser comment les
problèmes d’insécurité humaine présents dans la majeure partie de la périphérie
amazighe du Maroc sont abordés dans des cas spécifiques telles les manifestations
concernant la mine d’argent d’Imider dans le sud-est du pays et comment ceux-ci sont
reliés aux défis plus larges auxquels est confronté le mouvement amazigh.
13 Certains de ces cas de mécontentement collectif évoquent des revendications récurrentes
de longue date concernant la terre et les ressources, qui sont à leur tour reprises par le
mouvement culturel amazigh pour retrouver et pérenniser l’histoire rurale et tribale. Par
exemple, la confiscation par les autorités marocaines des terres appartenant aux tribus
zayanes dans la région de Khénifra a été comparée à des actions similaires menées par les
autorités du Protectorat français lorsqu’elles avaient saisi les terres collectives et les
avaient octroyées à certains dirigeants locaux, provoquant des effets négatifs
considérables sur la vie économique, sociale et culturelle. Vu que l’Etat ne reconnaît pas
la loi coutumière et considère les terres des tribus comme les siennes, il utilise les dahirs,
des édits signés par le Roi qui ont valeur contraignante, afin d’exproprier les territoires
en litige14. Les étudiants militants de la région mettent l’accent sur le droit des
populations locales à jouir des ressources naturelles des régions où elles vivent – par
exemple, les mines, l’eau et les forêts. Ils demandent au gouvernement marocain de
promouvoir la décentralisation et la régionalisation administratives et d’intégrer la
population locale dans les processus de prise de décision. Leurs discours militants
insistent également sur la nécessité de dédommager de manière appropriée les anciens
combattants qui ont lutté contre l’instauration du Protectorat français et qui sont
toujours en vie. Ils exigent aussi la réhabilitation et la restauration des kasbahs et des
palais qui constituent un réel symbole de l’histoire et de la culture amazighes, mais dont
la plupart sont à l’état de ruine.
14 Un événement particulièrement choquant s’est produit durant l’hiver 2007, lorsqu’une
trentaine d’enfants ont perdu la vie en seulement quelques jours à la suite d’une maladie
aggravée par les basses températures et par l’absence de soins médicaux de base, dans le
village d’Anfgou situé dans les montagnes du Haut Atlas oriental. Grâce aux efforts des
activistes amazighes, l’histoire est rapidement devenue virale sur les sites Web et dans les
médias sociaux mettant en lumière l’isolement et l’extrême pauvreté du village15.
L’hôpital le plus proche était à plus de soixante-dix kilomètres du village, et celui-ci
n’était accessible que par un chemin rocailleux, le long d’un fleuve qui débordait souvent
de son lit durant l’hiver. Qui plus est, le village n’était connecté ni au réseau électrique, ni
au réseau téléphonique, ni au réseau d’eau potable. Le scandale se propagea jusqu’au
palais royal, et des mesures furent prises afin d’améliorer la situation. Après deux visites
du roi en personne, des projets d’équipement ont considérablement amélioré la vie des
1 700 villageois, même si ceux-ci restent profondément appauvris et dépendants de l’aide
extérieure pour survivre16. Des militants amazighs, tels le journaliste Mouha Moukhlis et
l’écrivain Lhoussain Azergui, ont articulé un discours de combat contre le gouvernement
et les Arabes. Pour eux, Anfgou et les villages alentours constituent le symbole de la
négligence délibérée des autorités arabo-islamiques, y compris des membres du
141

parlement qui « ont lu la Fatiha après la mort de Saddam Hussein mais n’ont pas été
capables de le faire après la tragédie d’Anfgou ». Ces critiques visent aussi « les amazighs
citadinisés » qui regardent TV5, ARTE ou Al Jazira17 ».
15 Ces dernières années, la manifestation de protestation la plus longue contre les autorités
vise la très rentable mine d’argent exploitée dans les environs d’Imider, une commune
qui regroupe sept localités peuplées en tout de 7 000 personnes et situées à 130 kilomètres
au nord-est de la ville de Ouarzazate dans la province du même nom. La mine appartient à
une filiale de Managem, la branche minière de la Société nationale d’investissements
(SNI), une gigantesque société de portefeuilles dont la famille royale est le plus gros
actionnaire18. Fondée en 1969, la mine produit 240 tonnes d’argent par an, et son chiffre
d’affaire s’élevait à 74 millions d’euros en 2010, un montant qui en fait l’une des plus
importantes mines d’argent en Afrique. « Pour les villageois, la mine est le symbole de la
façon dont les autorités centrales et leurs alliés, les notables locaux, extraient les énormes
richesses que contiennent les terres qu’ils ont traditionnellement occupées pour l’élevage
et l’agriculture. Ces derniers leur enlèvent le sol qu’ils ont toujours foulé sous leurs pieds,
ne leur laissant que des miettes à se partager pour mener une vie de misère. Le sous-sol
est d’autant plus sollicité que le fonctionnement de la mine nécessite d’énormes quantités
d’eau. Au cours de l’été 2011, le pompage des eaux souterraines dans la mine pour
extraire l’argent a commencé à concurrencer l’eau consacrée à la consommation de la
population locale. L’assèchement des sources d’eau potable s’est avéré une menace réelle
à l’approche du ramadan quand la quantité d’eau tirée des robinets a commencé à
diminuer et à dégager une odeur de plus en plus nauséabonde. Les sentiments
d’amertume et de discrimination ont fini par mobiliser la jeunesse du village. Celle-ci
était déjà remontée par la suppression des emplois traditionnels à la mine qu’occupaient
les étudiants une fois rentrés chez eux à la fin de l’année scolaire. Les jeunes ont décidé
d’agir en grimpant les 1 400 mètres du mont Alban, là où se trouve le château d’eau
approvisionnant la mine. Ils y établirent ce qui est devenu par la suite un campement
permanent et prirent le contrôle d’une des pompes à eau utilisées par la mine en la
fermant, afin de rediriger l’eau vers le village.
16 Quatre ans plus tard, ils sont toujours sur place, regroupés sous la bannière de ce qu’ils
appellent le « Mouvement sur la voie de 96 : Imider19 ». Ils ont réussi à mobiliser un
nombre suffisant d’habitants pour entretenir le campement et organisent régulièrement
des marches le long des routes aux alentours. Les tentes ont été remplacées par des
bâtiments en pierre gaiement décorés par des graffitis et des inscriptions s’inspirant de
personnalités comme le pasteur Martin Luther King ou encore Mère Teresa20. Parmi leurs
activités branchées sur le temps mondial, il y eut une marche sur les routes adjacentes à
Imider organisée par quelques centaines de femmes à l’occasion de la Journée
internationale de la femme. Les militants ont également relié leur lutte aux problèmes
globaux concernant l’environnement, en mettant en avant l’impact de l’utilisation
généralisée de substances toxiques pour le fonctionnement de la mine telles que le
mercure et le cyanure. Selon les villageois, les dommages causés sur leur santé, les
cultures agricoles et le bétail sont immenses. Paradoxalement, les villageois veulent à la
fois les emplois que la mine procure et un changement dans son fonctionnement afin de
les protéger contre ses effets nocifs.
17 Ils ont réussi à attirer l’attention à travers un long article paru dans le New York Times
accompagné d’une représentation du drapeau Amazigh flottant sur une colline21. En
analysant la façon dont le mouvement est organisé, on observe que les militants voient
142

leur amazighité comme faisant partie intégrante de leur identité et comme un instrument
permettant de mobiliser des soutiens, tout en maintenant une identité marocaine
englobante.
18 Une plus petite manifestation, similaire, avait déjà eu lieu en 1996. Selon le site Web des
contestataires actuels, les autorités l’écrasèrent, entraînant de nombreux blessés,
l’arrestation de 23 personnes – dont deux femmes – et la torture de six personnes dont
une mourra dans les jours suivant sa libération22. Aujourd’hui, les méthodes utilisées par
le « nouveau » Maroc de Mohammed VI pour maintenir l’ordre sont un peu plus
sophistiquées, même si le makhzen peut toujours avoir la main lourde. Les forces de
sécurité ont suivi les manifestations et ont tenté d’éviter que des personnes étrangères au
mouvement ne le rejoignent. Trente manifestants ont été emprisonnés durant plusieurs
mois. Trois autres activistes ont été brutalement arrêtés en mars 2014, sous le chef
d’accusation d’appartenance à une « organisation criminelle », « détournement de
fonds », « réunions sans autorisation », « trouble de l’ordre public » et « agression
préméditée ». Ils ont été reconnus coupables de trouble à l’ordre public et condamnés à
trois ans d’emprisonnement et 60 000 dirhams d’amende chacun ; cette condamnation a
été confirmée quelques mois plus tard par la cour d’appel. Leur libération fait aujourd’hui
partie des objectifs des luttes menées par le mouvement23.
19 Parallèlement aux arrestations de militants et à la présence sécuritaire renforcée dans la
région, chaque année depuis le début du conflit les exploitants de la mine mènent des
négociations avec les élus qui représentent la commune rurale d’Imider et avec un certain
nombre d’associations. Ils ont pu conclure ainsi ce que la direction considère comme un
accord promouvant le développement humain dans la région, avec notamment
l’ouverture de colonies de vacances, des programmes de soutien scolaire pour 720 enfants
et l’octroi de 2 000 kits scolaires pour les étudiants. « Pour nous la page est tournée » a
déclaré un représentant de l’entreprise. Selon un porte-parole de cette dernière, celle-ci
dépense 1 million de dollars par an dans des projets de développement de la région. Mais
les militants quant à eux affirment que rien n’a vraiment changé. L’entreprise a
également effectué de lourdes dépenses afin de revaloriser son image dans les médias
marocains et européens. Elle a été jusqu’à sponsoriser le deuxième Forum mondial des
droits de l’homme qui s’est tenu à Marrakech fin novembre 2014.
20 En partant de la sociologie des mouvements sociaux24 – qui met généralement en exergue
trois outils théoriques : les grievance (griefs), les opportunités politiques, la mobilisation
des ressources –, dans le cas d’Imider on peut facilement repérer les griefs qui ont
déclenché les manifestations ; on peut également constater un accroissement des
opportunités permettant l’expression des revendications politiques durant les quinze
premières années du règne de Mohammed VI et, en particulier, l’effervescence de la
sphère publique dans la première moitié de l’année 2011, lorsque les protestations à
Imider commencèrent. Ces protestations font partie du cadre plus large des
manifestations contre les problèmes socio-économiques des petites villes marocaines qui
ont marqué la dernière décennie et de l’impact du nouveau capitalisme mondial avec ses
politiques de classe et ses relations de pouvoir et d’exploitation qui accentuent
l’insécurité alimentaire, la pauvreté et les inégalités25. Par rapport à la mobilisation des
ressources, les impressions sont plus nuancées, ce qui nous aide peut-être à comprendre
pourquoi le mouvement amazigh n’est pas devenu un mouvement de masse dans le sens
conventionnel du terme. Dans ce sens, il peut être utile de comparer celui-ci avec d’autres
mouvements comme le Mouvement des sans-terre (MST) au Brésil qui remporta un large
143

succès en obtenant des terres pour plus de 300 000 familles depuis sa création en 1984.
Dans le cas du MST, l’Eglise catholique était un des piliers centraux du mouvement en
apportant des moyens décisifs pour ses activités dans les zones rurales du Brésil 26. Autant
à Imider que dans le cadre plus général des réclamations faites par les Amazighs, il n’y a
pas d’institution comparable à l’Église catholique brésilienne qui aurait pu apporter son
soutien. Au Maroc, les imams des zones rurales sont contrôlés par les agents du ministère
de l’Intérieur, et les autorités prennent soin de décourager la création de tout lien entre
la religion et les militants d’Imider et, partant, d’éviter tout risque d’hégémonisme de la
cause au sein de la société civile27. Cette année, à l’occasion des fêtes musulmanes de l’Aïd,
l’imam de la région a été interdit de conduire la prière au campement des militants. Les
activistes ont néanmoins réussi à ramener clandestinement un imam d’une région
éloignée afin d’effectuer la prière pour les 3 000 personnes présentes28. Les grévistes sont
également soutenus par une ONG italienne et plusieurs syndicats italiens et espagnols,
passerelles du local au global que peuvent emprunter les manifestations rurales des
régions de la périphérie. Cependant, l’environnement ne semble pas encore propice au
déclenchement d’une action plus large. Même les diverses associations amazighes
existantes dans les villes et villages des alentours ont gardé pour la plupart leur distance
avec les manifestations d’Imider29. La peur du régime autoritaire et le chauvinisme local
encore ancré dans les esprits constituent un frein à l’extension de la base sociale du
mouvement.
21 Les recherches récentes sur les mouvements sociaux ont tenté de comprendre les
motivations des participants, la façon dont ceux-ci sont personnellement touchés, voire
transformés, ainsi que les dynamiques sociales qui accompagnent les groupes
protestataires. Pourquoi certaines personnes s’engagent-elles ? Les liens sociaux sont-ils
assez solides pour convaincre les gens d’adhérer au mouvement et de le renforcer ?
Comment est-il soutenu ? Avec quels moyens ? Quelles sont les dynamiques internes au
groupe des manifestants ? Y a-t-il des opposants ? Existe-t-il une stratégie qui dépasse le
fait de s’asseoir et d’attendre que les problèmes soient traités30 ?
22 Trois jeunes manifestants (âgés de 25 à 35 ans) d’Imider ont été interrogés par courrier
électronique pour mener cette étude au mois de novembre 2014. Le premier a repris ses
études à Agadir après avoir été actif sur place pendant trois ans ; le second a arrêté ses
études pour le moment ; le troisième est sans emploi. Leurs histoires personnelles
témoignent de la gravité de la situation et des dilemmes que pose la mobilisation sociale.
Leurs réponses leur permettant de promouvoir leur lutte et d’exposer leur version des
faits, elles ne doivent pas être examinées sans un regard critique. Mais il ne faut
cependant pas les écarter.
23 D’une manière générale, ces trois militants font preuve d’un fervent engagement et de
beaucoup de détermination. Ils décrivent aussi la solidarité dont fait preuve la population
locale : des hommes et des femmes de tout âge des sept villages de la commune rurale.
D’après leurs déclarations, leurs familles les soutiennent et participent aux actions et aux
marches de protestation en cours. Lorsque j’ai évoqué le « facteur peur », l’un d’eux a
répondu avec défi : « Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir, et il vaut mieux
mourir dans un combat pour la vérité que vivre dans le mensonge. » Un autre a reconnu
être conscient que les autorités avaient le bras long, qu'elles « n'oubliaient jamais » et
qu’elles pouvaient étendre leur influence jusqu’au sein de l’université d’Agadir, créant
ainsi un climat de peur qui tend à inhiber les comportements. Les trois hommes décrivent
l’évolution des affrontements avec l’entreprise minière, depuis les débuts de l’action
144

collective il y a plusieurs décennies jusqu’au stade critique de 2011, qui finit par les
convaincre qu’ils n’avaient plus rien à perdre. L’un d’eux a aussi insisté sur le fait que
leurs premières actions se sont déroulées dans le cadre des manifestations du « Printemps
démocratique » marocain et qu’elles rejoignent celle menée contre une entreprise
nationale de phosphates ces dernières années à Khouribga, à 120 kilomètres au sud-est de
Casablanca31. Ils décrivent les réunions hebdomadaires et les processus de prise de
décision en leur sein – l’existence d’une assemblée générale (agraw) à laquelle chacun
peut participer et voter et de comités spécialisés –, les marches organisées régulièrement
sur les routes nationales afin d’attirer l’attention sur leur combat et le campement qui a
été transformé en structure permanente et dont le nombre d’habitants varie selon les
circonstances. A ma question « que pensez-vouss avoir accompli ? » ils répondent
fièrement avoir sensibilisé la population, avoir acquis leur indépendance en récoltant des
dons financiers et des fournitures et avoir amélioré leur approvisionnement en eau, tout
en restant sceptiques et irrévérencieux face aux efforts de l’entreprise et des autorités
pour mettre un terme à la contestation. Ils ont une connaissance approfondie de l’histoire
de leur région, et leurs revendications s’inscrivent dans le cadre plus large de la lutte des
tribus Aït Atta contre la conquête coloniale française et l’expropriation des terres
collectives qui a suivi et que l’Etat marocain a reconduite. Ceci fait bien sûr partie du récit
amazigh habituel. Ils font aussi référence à un grief ethnique plus précis : ils déclarent
que les autorités ont amené des travailleurs arabes originaires d’une autre région afin de
remplacer les travailleurs locaux. Même si l’un d’eux soulignait le fait que leur
protestation était sociale et non pas un mouvement politique en soi, il a admis que la
promotion de l’identité amazighe et la démocratie sont des questions qui ne peuvent être
séparées. Ils reçoivent des soutiens extérieurs, fondamentalement d’ordre moral,
provenant d’associations européennes et amazighes telles que Tamaynut, mais les
interactions et coordinations avec d’autres groupes de la société civile ont en réalité
baissé depuis 2011, à cause, selon les activistes, des actions préventives menées par les
autorités32. Récemment, des mesures ont été prises pour empêcher la délégation française
de Tamaynut de visiter le site, et deux activistes qui avaient quitté le campement afin de
consulter un médecin dans la ville de Tinghir située à 30 kilomètres ont été arrêtés par les
autorités.
24 A la fin du mois de novembre 2014, de grosses tempêtes, jamais vues depuis des décennies
au Maroc, ont entraîné d’importantes et soudaines inondations dans le sud du pays dans
les contreforts des montagnes de l’Anti-Atlas. Plus de cinquante personnes ont péri, des
centaines de maisons ont été détruites ou lourdement endommagées, et le bétail ainsi que
de nombreuses routes ont été emportés par les flots. Bien que les autorités aient alors
entrepris des opérations d’aide et de sauvetage, celles-ci furent généralement considérées
comme insuffisantes et classées dans le registre des négligences dont la région serait
constamment la victime. La population a été particulièrement furieuse face à l’usage de
camions poubelles utilisés pour transporter les nombreux cadavres. Un mois plus tard, à
peine 200 activistes amazighs, hommes et femmes, venus de tout le pays, manifestèrent
dans le centre-ville de Casablanca, en solidarité avec les victimes des inondations et pour
dénoncer le traitement qui leur avait été réservé par les autorités. Parmi les slogans
scandés par les manifestants et écrits sur les pancartes on remarquait ceux-ci : « Nous ne
sommes pas Arabes », « Les hommes et les femmes sont égaux », « Des milliards vont à la
Palestine et nous cherchons des miettes pour nous nourrir » ; mais aussi : « Nous sommes
nés dans ce pays, nous voulons nos droits33. » Cette manifestation était encadrée par une
145

importante présence policière, certains militants amazighs furent malmenés et quelques-


uns arrêtés.

Conclusion
25 Cinq ans après la brève période du « Printemps » marocain, l’ethnicité amazighe semble
plus que jamais d’actualité. L’État a reconnu officiellement la langue et la culture
amazighes comme une composante de l’identité nationale du pays, même si l’application
de cette reconnaissane reste limitée, tandis que des aspects locaux de l’ethnicité berbère
ont gagné en importance parmi les Rifains, au nord du pays. Les expressions culturelles
amazighes, dans les champs de la musique, de la poésie et de la danse, sont florissantes
grâce à l’essor des réseaux sociaux, de Youtube et d’autres formes de communication de
masse qui ont contribué à l’intensification de l’imaginaire collectif berbère sur tout le
globe. En même temps, le régime marocain s’agrippe au pouvoir et semble plus intéressé
par l’endiguement que par la satisfaction des griefs des Amazighes.
26 Dans l’ensemble, les efforts du mouvement amazigh pour faire face à la véritable
insécurité à laquelle est confrontée la population dans la périphérie marocaine et pour
contribuer à atteindre ses objectifs restent vains. Tels que Sisyphe, ils sont freinés par des
facteurs à la fois exogènes et endogènes. Le mouvement de protestation d’Imider est
symptomatique de ce phénomène.
27 Cependant, compte tenu de la contestation croissante présente dans la sphère publique
marocaine, de la légitimation partielle de l’identité amazighe par l’Etat et des problèmes
préoccupants d’insécurité humaine à la périphérie du pays, seul l’avenir nous dira si ces
contestations locales seront toujours maîtrisables. Quoi qu’il en soit, des recherches plus
approfondies sont nécessaires vu les nombreuses protestations locales qui ont émergé au
cours de ces dix dernières années – à Tamassint (2004), Bouarfa (2006), Sefrou (2007), Sidi
Ifni (2008), Beni Mellal (2009), Sidi Bouafif (2010) ou Khouribga (2011) – et ce, afin
d’examiner, d’une part, si la dimension ethnique est présente lors des manifestations,
comme ce fut le cas à Imider, et, d’autre part, quelles sortes de réseaux sont forgés par les
associations et les organisations engagées dans les protestations.

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147

NOTES
1. Données tirées du World Factbook de la CIA, [en ligne] URL : https://www.cia.gov/library/
publications/the-world-factbook/geos/mo.html
2. http://www.worldbank.org/en/country/morocco/overview
3. Celui-ci est passé de 20 % en 1990 à 87 % en 2009, et probablement à plus de 90 % aujourd’hui,
avec une hausse de 15 % ces cinq dernières années jusqu’à un accès total dans la région d’Al-
Hoceïma. M. Ennaji, “‫ ﺗﻨﻤﻴﺘﻪ واﺟﺐ وﻃﻨﻲ‬...‫“( ”اﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﻘﺮوي اﻵن‬The Rural World Today:
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4. Par exemple, des entrevues avec des militants, Rabat, Agadir, septembre 2011.
5. D.M. Hart, « The Tribe in Modern Morocco: Two Case Studies », dans Arabs and Berbers, sous la
dir. de E. Gellner, C. Micaud, London: Duckworth, 1973, p. 25-58. D. M. Hart, « Tribalism: The
Backbone of the Moroccan Nation », The Journal of North African Studies, 4(2), 1999a, p. 7-22. D.M.
Hart, « Rural and Tribal Uprisings in Post-Colonial Morocco, 1957-1960: an Overview and a
Reappraisal », The Journal of North African Studies 4(2), 1999b, p. 84-102.
6. B. Maddy-Weitzman, The Berber Identity Movement and the Challenge to North African States,
Austin, TX, University of Texas Press, 2011, p. 79-88.
7. Le recensement officiel effectué en 2014 a révélé que seulement 28 % des Marocains utilisent la
langue amazighe dans leur vie quotidienne contre 34 % dix ans plus tôt. Les militants amazighs
affirment que ces chiffres sont trop faibles et remettent en cause la crédibilité et l’intégrité des
autorités en la matière. Entretiens avec des militants, Rabat et Agadir, septembre 2011.
8. T. Desrues, « Moroccan Youth and the Forming of a New Generation: Social Change, Collective
Action and Political Activism », Mediterranean Politics, 17:1, 2012, p. 23-40, DOI:
10.1080/13629395.2012.655044. T. Desrues, « Mobilizations in a hybrid regime: The 20 th February
Movement and the Moroccan regime », Current Sociology 61(4), 2013, p. 409-423. I. Fernández
Molina, « The Monarchy vs. the 20 February Movement: Who Holds the Reins of Political Change
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B. Maddy-Weitzman, « Arabization and its Discontents: The Rise of the Amazigh Movement in
North Africa », Journal of the Middle East and Africa 3(2), June-December, 2012, p. 125-27.
9. B. Maddy-Weitzman, « Arabization and its Discontents: The Rise of the Amazigh Movement in
North Africa », Journal of the Middle East and Africa, 3(2), June-December, 2012, p. 109-135.
10. Les marches de commémoration du « Printemps berbère » chaque 20 avril, en hommage à la
répression de la contestation kabyle de 1980 par les autorités algériennes, un événement central
du calendrier commémoratif berbère moderne organisé ces dernières années par « Tawada »,
attirent généralement quelques milliers de personnes. Des manifestations contre des questions
plus spécifiques, comme l'emprisonnement de militants, le parrainage par la société minière
Managem d'un forum mondial des droits de l’homme réuni à Marrakech et contre la situation
d’abandon des infrastructures de la périphérie de la part de l’État, très endommagées par des
pluies torrentielles, attirent beaucoup moins de personnes.
11. International Crisis Group, « Algeria: Unrest and Impasse in Kabylia », Middle East/North Africa
Report, nº 15, 10 June, 2003, [en ligne] URL : http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?
id=1415&l=1 ; J. Goodman, « Reinterpreting the Berber Spring: From rite of reversal to site of
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on the World Stage, Bloomington, IA, Indiana University Press, 2005, p. 29-48 ; F. Aïtel, We Are
Imazighen, Gainesville, FL, University Press of Florida, 2014, p. 121-123 ; B. Maddy-Weitzman, The
Berber Identity Movement and the Challenge to North African States, Austin, TX, University of Texas
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148

12. J. Waterbury, Commander of the Faithful: The Moroccan Political Elite, A Study in Segmented Politics,
London, Weidenfeld and Nicholson, 1970. R. Leveau, Le Fellah marocain, défenseur du Trône, Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985.
13. S.I. Bergh, D. Rossi-Doria, « Plus ça change ? Observing the Dynamics of Morocco’s “Arab
Spring” in the High Atlas », Mediterranean Politics, 20:2, 2015, p. 198-216, DOI :
10.1080/13629395.2015.1033900.
14. Tamaynut, « Les droits de l’homme et les droits des peuples autochtones à la lumière de la
Convention n° 169 de l’OIT », 10 au 14 octobre 2003, [en ligne] URL : http://www.ilo.org/wcmsp5/
groups/public/---ed_norm/---normes/documents/publication/wcms_100799.pdf. I.A. Habibi,
« Collective Lands from Joint Tribal Ownership to State Administrative Control: An Example from
the Zaiane Tribes in the Khenifra Region », Le Monde amazigh, n° 52, novembre 2004, p. 4-5 (en
arabe).
15. Cf. http://www.bladi.info/threads/maladie-tue-26-bebes-anfgou.98993/ ; https://
www.bakchich.info/international/2008/02/13/maroc-le-village-ou-les-enfants-meurent-de-
froid-51700 ; http://www.dailymotion.com/video/x1gju5_road-to-anfgou-1_shortfilms ; https://
www.youtube.com/watch?v=yC5zZo_lLwo. On peut consulter aussi le mur de Facebook « Anfgou
SOS ! Les enfants du froid ». Le 25 novembre 2015, il avait 552 membres et était utilisé comme un
des nombreux sites des réseaux sociaux qui contribuent à diffuser les thématiques amazighes.
16. O. Skalli, « Anfgou : les damnés du froid », TelQuel, 12 mars, 2014, [en ligne] URL : http://
telquel.ma/2014/03/12/anfgou-les-damnes-du-froid_132766
17. M. Moukhlis, « La tragédie d’Anfgou : des Amazighes enterrés vivants », 6 avril 2007, [en
ligne] URL :http://amazighrightswatch.blogspot.co.il/2007/04/la-tragedie-danfgou-des-
amazighes.html
18. En 2012, le chiffre d’affaires de la société était de 53 milliards de dirhams et son revenu net de
5 milliards de dirhams, [en ligne] URL : http://en.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%
A9_Nationale_d’Investissement
19. https://m.facebook.com/Amussu.96Imider
20. A. Alami, « On Moroccan Hill, Villagers Make Stand Against a Mine », New York Times, January
23, 2014, [en ligne] URL : http://www.nytimes.com/2014/01/24/world/africa/on-moroccan-hill-
villagers-make-stand-against-a-mine.html?_r=0
21. Ibid.
22. http://imider96.org/about-us/our-history/
23. https:// www.facebook.com/Amussu.96Imider/photos/
a.264942610188876.86775.264059770277160/1156342587715536/?type=1&theater
24. Cf. W. Wolford, « Families, Fields and Fighting for Land: The Spatial Dynamics of Contention
in Rural Brazil », Mobilization, 8(2), 2003, p. 201-215.
25. K. Bogaert, « The revolt of small towns: the meaning of Morocco’s history and the geography
of social protests », Review of African Political Economy, 2014, (published online 24 September 2014).
<http://dx.doi.org/10.1080/ 03056244.2014.918536> pour plus de détails.
26. W. Wolford, op. cit.
27. Il faut préciser ici que la plupart des discours du mouvement amazigh sont largement
sécularisés et modernes, ce qui conduit ses opposants à les accuser d’être contre l’islam.
28. « 3 rd Anniversary of the Mustapha Ochtouban Detention: The Imam Forbids The Prayer »,
Facebook Page: « Movement on the Road ‘96 Imider shared Amussu : Xf ubrid n 96 (Imider) », 6
October 2014.
29. A. Azergui, « The Seven Plagues of Imider » posted on Facebook Pages: « Movement on the
Road ‘96 Imider » and « Amussu : Xf ubrid n 96 (Imider) », 23 septembre 2014.
30. M. Bennani-Chraïbi, O. Fillieule, « Towards a sociology of revolutionary situations: Reflections
on the Arab uprisings », Revue française de science politique (English), 2012/5, vol. 62, 2012, p. 1-29.
DOI: 10.3917/rfspe.625.0001 ; W. Wolford, op. cit.
149

31. Cf. K. Bogaert, op. cit.


32. Entretiens réalisés par mail auprès de trois manifestants en novembre 2014.
33. Récit que m’en a fait un journaliste présent sur les lieux.

AUTEURS
BRUCE MADDY-WEITZMAN
Professeur associé au département d’Histoire du Moyen-Orient contemporain et chercheur au
Moshe Dayan Center for Middle Eastern and African Studies de l’Université de Tel Aviv (Israël).
Ses travaux portent sur l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, l’État et les sociétés d’Afrique
du Nord et les mouvements identitaires berbères.
150

La revendication amazighe en
Tunisie : la tunisianité au défi de la
transition politique
Stéphanie Pouessel

1 Si langues et culture amazighes représentent un socle commun à l’ensemble des pays du


Maghreb, les revendications qui leur sont liées n’ont longtemps pu s’épanouir
publiquement qu’au Maroc et en Algérie. En Tunisie et en Libye, si des velléités militantes
pouvaient défier les régimes autoritaires, toute critique sociale ou politique était étouffée
par les pouvoirs en place. Dans ces deux pays, il faudra attendre la rupture
révolutionnaire de 2011 pour que s’ouvre le champ à la pluralité politique et pour que
surgisse le militantisme amazigh sur le devant de ces nouvelles scènes politiques
maghrébines.
2 Dans le cas de la revendication amazighe en Tunisie, dès les lendemains de la révolution,
des citoyens se mobilisent en associations qui œuvrent à la sauvegarde de ce patrimoine
en voie d’extinction, à la valorisation des traditions et à la reconnaissance de leur
spécificité linguistique et culturelle. Cette mobilisation s’inscrit dans la longue lutte des
Amazighs en Afrique du Nord mais lui est irréductible tant le contexte national
prédomine. En effet, les défis que pose aujourd’hui la question amazighe en Tunisie
mettent au jour des problématiques clés du moment tunisien telles que l’ouverture du
champ politique, l’islamisme et l’héritage néo-destourien.
3 La dimension culturelle amazighe de la Tunisie s’avère pourtant très faible par rapport
aux pays voisins tant elle peut sembler subsidiaire et vouée à l’échec : les régions
amazighophones sont très restreintes (essentiellement Djerba, Matmata et Tataouine1), le
nombre des locuteurs est de plus en plus faible (estimé à moins de 1 % de la population),
les actuels défis de la construction démocratique (terrorisme, économie, etc.) rendent les
autres causes secondaires, et, enfin, l’histoire nationale décomplexée quant à la diversité
culturelle rend la cause amazighe difficilement politisable. La question amazighe semble
de ce fait contrecarrée dès le départ par le contexte linguistique, historique et politique ;
pourtant elle n’en possède pas moins la vertu d’offrir une fenêtre décalée et heuristique
pour comprendre la Tunisie post-2011 en train de se faire.
151

4 Afin d’accéder à la problématique amazighe en Tunisie, une première partie rendra


compte de la spécificité de l’identité nationale tunisienne édifiée par Bourguiba (et de la
place qui fut octroyée à la « diversité culturelle »). Ce contexte posé permettra, ensuite,
de retracer l’émergence d’une « conscience » amazighe et la nécessité d’une
revendication à son égard après 2011. Dès lors, on interrogera le lien entre histoire et
politique à travers deux représentations qui sous-tendent le discours amazigh, celle de « 
minorité » et celle de « Méditerranée ». Enfin, on se demandera dans quelles luttes
politiques post-révolution la question amazighe est prise à partie.

Tunisianité et diversité culturelle : un héritage


pluraliste
5 A contre-pied d’idéologies nationalistes plus rigides dans le monde arabe, en Tunisie, le
père de la nation postcoloniale, Habib Bourguiba, a tenté de se départir autant que
possible des assignations identitaires arabistes, fers de lance de son principal concurrent,
le nationaliste arabe Salah Ben Youssef. Pour cela, l’identité du peuple tunisien allait
s’élaborer, aussi, sur d’autres référents afin de constituer une synthèse entre l’arabité
ambiante et la spécificité de la terre tunisienne forte d’une histoire millénaire. Cette
histoire plurielle anté-islamique (punique, carthaginoise, romaine, etc.) n’a jamais été
évincée de l’historiographie officielle mais, bien au contraire, fut brandie comme un signe
de « tunisianité », d’ancrage local et spécifique de la Tunisie. Dans cette veine s’instaure
l’idée d’une appartenance à la « Méditerranée » comme aire culturelle alternative au
monde arabe et comme moyen de se départir théoriquement du nationalisme arabe2. Ceci
explique pour une part pourquoi attester de la dimension amazighe du pays n’a pas
constitué une attaque frontale de l’Etat. Sans être nommée pourtant, elle constitue une
des dimensions historiques de la culture tunisienne, une touche d’authenticité nationale.
Les années 90 prolongent ce récit national et marquent l’apogée de la répression envers
les militants islamistes. Pour cela, tout attachement identitaire alternatif à l’espace arabe
et musulman est valorisé, à l’instar, encore une fois, de l’aire « méditerranéenne ». En
2001, le successeur de Bourguiba, Ben Ali, crée la « Chaire Ben Ali pour le dialogue des
civilisations et des religions » (dissoute à la révolution de 2011) qui avait pour objectif de
mettre en valeur une diversité ancestrale et non subversive.
6 À l’époque de la construction nationale, Bourguiba, cependant, luttait pour l’unification
nationale et tenta d’annihiler toute appartenance qui pouvait être réfractaire à l’unité de
la nation (tribale, régionale, etc.). Sa politique de lutte contre le sous-développement
faisait table rase des attachements à la tradition qu’il jugeait comme un frein au
développement, comme en atteste l’épisode du voile (Bourguiba dévoile une femme en
public), du jus d’orange bu publiquement lors d’un mois de ramadan (le travail est plus
important que le jeûne), etc. Sa lutte contre le sous-développement et les signes de
pauvreté atteint ce que l’on pourrait percevoir aujourd’hui comme des symboles de
culture et de tradition à l’instar des villages amazighophones. En effet, souffrant d’un
accès difficile aux routes, aux services et aux infrastructures (écoles, eau, électricité, etc.),
les habitants de ces villages reculés sont déplacés en plaine.
7 Depuis le développement du tourisme dans les années 60, la référence amazighe de la
Tunisie a trouvé une place de choix. En effet, sous couvert d’authenticité, la dimension « 
berbère » (amazighe) du pays s’exprime avec le plus d’acuité dans le domaine touristique.
152

Les éléments labellisés amazighs font l'effet d’appâts pour des touristes occidentaux à la
recherche d’exotisme : Matmata et ses maisons troglodytes, le tapis berbère, le couscous
berbère, la tente berbère, autant d’items servant à valoriser les régions du Sud (Tozeur,
Douz) dans lesquelles, paradoxalement, ne résident pas les locuteurs amazighophones.
8 Perpétuation de cette mentalité décomplexée par rapport à la « diversité culturelle »,
durant les quatre années de transition institutionnelle dominées par le poids du
gouvernement et de la représentation parlementaire des islamistes d’Ennahdha, le
ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk3, présente la Tunisie comme une nation arabe et
musulmane ouverte à la pluralité (ta`addudīa4) et refuse la catégorisation de « minorité » (
āqalyīa) pour la culture berbère qu’il classe dans la « diversité culturelle » (tanaw` ṯaqāfī),
empruntant son importance à la charte de l’UNESCO5. Dans la Tunisie post-révolution,
l’État ne peut envisager cette question sans la réinscrire dans le contexte de la
démocratisation : « On ne peut pas être une démocratie sans être ouvert sur la diversité
culturelle » déclare le ministre. Le président de la République lui-même, Moncef
Marzouki, défend une identité arabe ouverte sur l’altérité et met en garde les sociétés
arabes quant à leur propension à produire du racisme envers leurs propres communautés
(noire, juive, amazighe) : « Marécageux ou volcanique, le racisme est un. Et c’est parce
que nous subissons l’arrogance et le mépris des Israéliens, les brimades voire parfois les
assassinats de nos concitoyens en Europe que nous nous devons d’être particulièrement
clairs avec nous-mêmes6. » De plus, dans plusieurs de ses discours, M. Marzouki aime à
rappeler que le terme « Afrique » est issu de l’amazigh Ifrigiya qui désigne le nord-est de
la Tunisie, faisant des Tunisiens les « premiers Africains7 ».
9 Concrètement, aucune politique publique n’a visé directement la culture amazighe, et
aucune reconnaissance constitutionnelle ou symbolique ne lui a été offerte. Mais
localement, sous la bannière des termes dépolitisants de « patrimoine » ou de « festival »,
le message est clair : l’Etat considère la diversité, quelle que soit son origine, comme un
aspect de l’enrichissement de la culture nationale. Certaines municipalités développent
des initiatives comme le « Festival des villages montagneux » depuis 2012 (sur décision du
ministre de la Culture) dans la région de Zraoua. Depuis 2014, l’Etat a mis en valeur un
projet « Patrimoine immatériel » qui inclut le patrimoine amazigh. La municipalité de
Gabès collabore avec les Journées culturelles de Tamerzet, et cela dès avant la révolution.
Ces initiatives culturelles locales proposent, par exemple, un soutien financier et tentent
aussi de dialoguer avec les militants amazighs sur le terrain8. La dimension amazighe se
voit ainsi diluée dans la catégorie de « diversité culturelle » reconnue et soutenue par
l’Etat comme facteur d’épanouissement de la culture nationale.

Développement d’une conscience et d’une cause


amazighes en Tunisie
10 C’est dans ce cadre tunisien très particulier de dépolitisation de la diversité culturelle que
s’est structuré le militantisme amazigh tunisien. Les prémisses d’une conscience
amazighe proviennent du contexte maghrébin de la lutte amazighe. En effet, bien avant la
révolution, les points de rencontre entre Maghrébins – via le tourisme au Maroc, en
Algérie, en Tunisie ; via le commerce terrestre avec la Libye ; ou en Europe dans le cadre
de l’immigration – permettent à des Tunisiens amazighophones de penser leur langue et
leur culture au-delà du cadre très local de leur région d’origine comme un attribut
transnational prompt à être objet de militantisme. Les réseaux sociaux ont, depuis les
153

années 2000, suppléé ce processus en offrant un moyen de communication immédiat et


un partage de données infinies entre amazighophones du monde entier.
11 Enfin, l’organisation non gouvernementale Congrès mondial amazigh (CMA)9, qui vise à
structurer un mouvement amazigh transnational dès 1997, n’a jamais omis la Tunisie
dans sa définition de « Tamazgha », la terre amazighe. Des militants du CMA ont
longtemps œuvré pour nouer des contacts avec des Tunisiens amazighophones ou
intéressés par la cause amazighe. Issus du militantisme transnational et global, ils ont
parcouru les villages amazighs tunisiens en quête de traces d’une culture amazighe
(langue, architecture, etc.) commune à l’échelle de l’Afrique du Nord. Ces contacts
militants ont incité des Tunisiens à envisager la culture amazighe comme marginalisée et
dont les droits culturels et linguistiques restaient tout entiers à défendre.
12 La libération politique tunisienne de 2011 a donc autorisé des requêtes amazighes
souterraines à s’exprimer publiquement. A la chute du régime de Ben Ali, la première
association tunisienne pour la culture amazighe (ATCA) prend forme dans les coulisses
d’une réunion préparatoire du Congrès mondial amazigh tenue symboliquement à
Tataouine (Sud-est tunisien) en avril 2011. Le « printemps arabe » marque, pour cette
ONG, la renaissance des Amazighs en Tunisie et en Libye. Pour la première fois de son
histoire, l’assemblée du CMA est organisée en Tunisie, sur l’île de Djerba, en septembre
2011. Elle réunit des délégations marocaine, algérienne et, pour la première fois, une
imposante délégation tunisienne et libyenne. Les « retrouvailles » sont de taille et
aboutissent à l’élection symbolique d’un nouveau président de nationalité libyenne, Fethi
Benkhalifa.
13 L’ATCA est présidée par Khadija Bensaidane, étudiante à Tunis. Originaire de Douiret, elle
a appris à écrire en tifinagh. Son association se mobilise pour obtenir une reconnaissance
officielle de l’amazighité, à l’instar du Maroc et de l’Algérie. Pour cela, elle organise des
manifestations de rue dans la capitale demandant l’officialisation de la langue amazighe.
Parallèlement, la question de la langue étant cruciale, cette structure est à l’origine de
l’initiative inédite de cours de langue amazighe et d’alphabet tifinagh en plein cœur de
Tunis. Ces cours sont délivrés par un militant originaire lui aussi de Douiret, grâce à des
livres d'apprentissage de la langue obtenus par des militants libyens et à des livres de
l’Institut royal de la culture amazigh au Maroc (IRCAM) envoyés à la jeune association.
14 En l’espace de trois années, plusieurs associations voient le jour dans les régions
amazighophones et, début 2015, on compte près d’une dizaine d’associations à caractère
amazigh sur l’ensemble du territoire tunisien réparties entre Tunis, Djerba, Douiret,
Chnini, Tamerzet, Taoujout et Zraoua. Les activités varient selon les associations, mais on
relève de larges points communs comme l’organisation des festivités de Yennayer (le
nouvel an amazigh) ou l’organisation de festivals notamment à l’occasion du « printemps
amazigh ». On retrouve les symboles de l’Internationale amazighe – dates (yennayer),
personnages (Massinissa), signes (ériger trois doigts de la main) – et les requêtes
standardisées (langue officielle, toponymie).
15 La toponymie revêt un enjeu crucial pour les militants amazighs de la tendance « 
globalisante » – celle qui se conçoit par rapport à un peuple transnational et une lutte
commune. A leur grande satisfaction, dans le domaine des médias, la chaîne privée
Nessma avait ouvert le bal en nommant le Maghreb non plus le « Maghreb arabe » mais « 
le Grand Maghreb » (Al-maġreb al-kabīr) dès sa création en 2009. Un militant de Tamerzet
nous précise qu’au mois de février 2015 la chaîne nationale Al Watanya a réutilisé ce même
154

terme et a largement couvert le nouvel an amazigh 2015 en multipliant les reportages à


son sujet10. De plus, dans un documentaire de cette même chaîne, sur l’île de Djerba, celle-
ci fut qualifiée d’« amazigh ». Ce militant met en perspective ces avancées récentes qui,
selon lui, n’auraient pas été possibles durant la période de la troïka au pouvoir (2011-2014
où dominait le parti islamiste, Ennahdha).
16 Dans cette lutte globale pour l’amazighité, une initiative récente lie la cause amazighe
avec la promotion de la laïcité. Un militant de Djerba œuvre à renouer avec l’idée d’une
civilisation amazighe commune au nord de l’Afrique. Slim Ben Yedder, instituteur à
Djerba, crée le « Courant numidien » (Al-tiyār al-nūmidīa) afin de pallier l’essoufflement de
l’idéologie transmaghrébine amazighe. Il représente par là un nouveau branchement,
tunisien, à la cause amazighe transnationale et globale. Il entend lutter contre la scission
du mouvement amazigh notamment autour des velléités séparatistes de la cause kabyle.
Pour cela, il produit en 2014 un document fondateur, un « guide théorique » qui, en douze
points, pose les fondements d’une lutte commune. La politique, la religion, la culture et
bien d’autres domaines sont balisés pour offrir une « théorie » commune aux militants de
tout le Maghreb. Sur la question religieuse, par exemple, le document opte pour
l’instauration de régimes résolument laïcs11.
17 A côté de ce courant « globalisant » de la cause amazighe naissent des associations qui ne
se reconnaissent pas dans ce projet et qui œuvrent davantage au niveau local. C’est le cas
des associations en régions comme à Gellala, un village situé sur l’île de Djerba, où est née
« l’association amazighe pour la culture et le patrimoine » (ṯaqāfa wa turāṯ) en 2012. Son
président, locuteur amazighophone, voudrait pallier la menace de la perte de la culture
amazighe. Il perçoit la présence de cette culture dans les chansons, les fêtes, les
vêtements, les coutumes, etc. Cette association amazighe proche des frontières libyennes
organise des rencontres de convivialité avec des Amazighs libyens du Djeb el Nefoussa qui
possèdent une variante de la langue amazighe très proche de la leur. Ce faisant, le
président de l’association refuse de s’inscrire dans l’opposition polémique entre Arabe et
Amazigh souvent relayée par les militants amazighs au niveau international12.
18 Les régions amazighophones, ainsi que beaucoup de militants, ont exprimé une sensibilité
islamiste lors des premières élections législatives démocratiques en 2011 13. Donc,
contrairement aux luttes amazighes dans les autres pays du Maghreb, les associations
sont acculées à mobiliser davantage des rhétoriques sociales et environnementales et à
organiser leur lutte autour de problématiques locales apolitiques. De ce fait, pour les
associations locales du Sud tunisien, un militantisme « de terrain » privilégie la
sauvegarde d’un patrimoine linguistique et artistique vivant et honoré lors de soirées
musicales ou d’actions ponctuelles. Des jeunes issus de villages amazighophones reculés
et enclavés (Taoujout, Zraoua) espèrent faire valoir un droit au développement (routes,
accès à l’eau et à l’électricité, cafés, cybers, etc.). Ainsi, l’amazighité apparaît ici comme le
catalyseur de demandes socio-économiques. Une des requêtes des militants amazighs
tunisiens est l’application du principe de discrimination positive (Tamyīz ijābī)
institutionnalisé dans la récente Constitution tunisienne par l’adoption de l’article 1214.
155

« Minorités » et « Méditerranée », les deux revers d’une


même pièce politique
19 En Tunisie, la rhétorique amazighe est investie par un courant de recherche en histoire
sur les particularismes culturels qui sont repris par les militants locaux qui, à leur tour,
produisent une connaissance en termes de « minorité » et d’identité « méditerranéenne ».
Ces producteurs d’un discours historique et social particulier sur le Maghreb investissent
le terme de « minorité » comme étant, tout d’abord, synonyme de « communauté ».
20 Cette « Tunisie plurielle » conjuguée au passé est décrite dans une pléthore de travaux
vantant la « mosaïque tunisienne », constituée de juifs, d’Européens et d’une minorité
noire issue de l’esclavage15. Ancestrale terre d’immigration, la Tunisie est un brassage
englobant Carthaginois, Romains, Arabes et Turcs16, dont la diversité culturelle est
aujourd’hui un « patrimoine17 » qui témoigne de l’appartenance à une Méditerranée
métissée18.
21 Le rattachement du Maghreb à l’espace « méditerranéen » permet de relativiser
l’appartenance au « monde arabe ». Postuler une « Méditerranée » c’est, par exemple,
pouvoir reconnaître aujourd’hui la présence ancestrale des juifs et, plus largement, de
tout ce qui n’est pas arabe ou musulman. En 1949, Braudel avait en effet théorisé
l’existence d’un espace méditerranéen uni par une histoire commune, celle d’échanges
permanents et d’enjeux communs, voire une géographie et un climat similaires19. Il
s’agirait pourtant aujourd’hui de réussir enfin à penser cet espace comme un espace
historique d’échanges et de conflits non « naturels » :
« Comment penser des phénomènes de contact ou d’interrelations en Méditerranée
qui ne seraient sous le signe ni d’un méditerranéisme naturel, physique et
organique, ni, inversement, des seules frontières, des seules logiques de la
différence, que celle-ci se révèle religieuse ou politique ? En d’autres termes,
comment penser le contact de sociétés proches, adjacentes, qu’elles soient en
conflit, antagonistes ou dans un rapport plus paisible20 ? »
22 Depuis l’émergence de mouvements de revendication identitaire amazighe au Maghreb
(Algérie et Maroc en premier lieu), la rhétorique de la « minorité » et de la « 
Méditerranée » est investie par des groupes de militants de gauche et d’extrême-gauche.
Ces groupes politiques trouvent un prolongement dans les milieux culturels et artistiques
maghrébins (cinéma, théâtre, musique)21. Cette vision de l’histoire et de la société fait
office de paravent à une dénonciation politique plus large : celle des régimes autoritaires
maghrébins.
23 En Tunisie, la rhétorique des « minorités » et de la « Méditerranée » est, depuis les années
90, portée par des historiens militants de gauche du « Laboratoire régions et
patrimoines » de l’université de la Manouba à Tunis. Ils mènent des travaux sur ce qu’ils
ont nommé les « patrimoines minoritaires ». Par ce terme, ils font référence au
patrimoine amazigh de Douiret, aux zaouias de Djerba, aux saints musulmans vénérés par
les juifs à Testour, à la table de Jugurtha au Kef et à la partie numide (et non romaine) du
site archéologique de Dougga. Au sein de ces patrimoines minoritaires, la condition
amazighe peut être reliée à l’appartenance religieuse du culte ibadite, cet islam
d’obédience kharéjite minoritaire en terre d’islam sunnite. Les musulmans de confession
ibadite en Tunisie se trouvent principalement sur l’île de Djerba, et l’on retrouve ce culte
dans d’autres lieux d’Afrique du Nord comme dans des régions algériennes
156

amazighophones. Cette présence transmaghrébine, amazighophone et ibadite soutient


l’idée de l’existence d’un groupe particulier, donc d’une minorité amazighe
potentiellement discriminée (culturellement et religieusement).
24 Ces historiens des minorités sont des membres de l’ex-parti politique d’opposition de
gauche, Ettajdid, sous Ben Ali22. Alors opposés au régime dictatorial de Ben Ali, ils n’en
restent pas moins de fervents militants néo-destouriens qui vont œuvrer pour la
restauration des principes du nationalisme bourguibiste lors des élections présidentielles
de 2014 en soutenant la candidature de Béji Caïd Essebsi.

La question amazighe en contexte islamiste


(2011-2014)
25 Les premières élections libres en Tunisie dévoilent, en octobre 2011, un paysage politique
à dominance islamiste. De nouvelles élites s’imposent démocratiquement sur la scène
politique tunisienne : le parti islamiste Ennahdha obtient le plus grand nombre de sièges
(89 sur 217) sans obtenir pour autant de majorité absolue, augurant un gouvernement
dirigé par trois partis, la troïka. La coalition entre Ennahdha dirigé par Cheikh Rached
Ghannouchi, Ettakatol présidé par Mustapha Ben Jaafar et le Congrès pour la République
de Moncef Marzouki va diriger le pays de 2011 à 2014. Après quarante années
d’éradication de toute expression du politique, la teneur de ce premier vote a
décontenancé tant l’opinion internationale que l’élite laïque et moderniste tunisienne. Le
parti islamiste Ennahdha, qui a survécu à des décennies de répression et d’exil, fait une
entrée en politique sensible dans cette période post-révolution. Il est le réceptacle de
nombreux fantasmes, de la menace qui pèserait sur les droits des femmes à l’instauration
d’une loi islamique, et entre ainsi de plein fouet dans le jeu politique du rapport de forces
et de la concurrence entre partis, du « politics as usual23 ».
26 Digne héritier d’une tendance amazighe de gauche laïque, un pan de la rhétorique
amazighe en Tunisie exprime une opposition au gouvernement à majorité islamiste. On
retrouve cette tendance à Tunis au sein de l’ATCA, mais elle reste minoritaire dans
l’ensemble du mouvement. Depuis Tunis capitale, surtout, « militer amazigh » apparaît
comme un positionnement politique clair pour des anciens opposants de gauche, celui
d’une culture syndicale laïque et d’un anti-nationalisme arabe. Et les premiers « je ne suis
pas Arabe » adressés au gouvernement apparaissent en profil Facebook.
27 Cette tendance du mouvement amazigh a aussi lutté, en vain, contre l’adoption de
l’article 38 de la nouvelle Constitution (2014) qui consacre l’identité arabo-musulmane du
pays. Le militant Nouri Nemri rappelle que cette position n’est pas exclusive du
mouvement puisque le constitutionnaliste Yadh Ben Achour a aussi lutté contre cet
article24. Ce juriste bourguibiste s’est opposé à l’article de fait de son attachement viscéral
à la langue française, propre à cette élite historique bilingue héritière du Néo-Destour de
Bourguiba, lui-même chantre de la francophonie. Ce ne sont donc pas les mêmes raisons
qui motivent ce juriste néo-destourien et ce militant amazigh à s’opposer à cet article,
mais tous deux se rejoignent sur un positionnement anti-arabiste.
28 Un autre discours critique auquel est associée la dimension amazighe de la Tunisie
correspond au ralliement de la revendication amazighe à la cause plus large de défense
des « minorités ». Dès les jours qui suivent la révolution naît l’« association pour la
défense des minorités », ces dernières étant étendues aux domaines religieux, racial et
157

également sexuel ou physique. Cette association s’indigne régulièrement contre ce qu’elle


nomme les attaques contre les « minorités », révélant par là un positionnement politique
anti-islamiste et nostalgique de l’ancien régime. En effet, en Tunisie post-révolution, cette
lutte est investie par des membres de l’ancien régime25. Ce fait est d’autant plus paradoxal
que, si l’élite qui porte le débat de la défense des minorités est l’ancien régime en Tunisie
ou la gauche laïque (comme au Maroc et en Algérie), les régions amazighophones en
Tunisie, elles, ont voté majoritairement islamiste26.
29 La cause amazighe est donc portée par la société civile clairement anti-troïka, qui veille
scrupuleusement à protéger les acquis de la « liberté » et des droits des femmes
principalement dans le cadre de l’écriture de la nouvelle Constitution tunisienne. Elle se
nomme de « gauche », « laïque » et affirme œuvrer pour la protection des libertés et des
droits.
30 Selon les militants amazighs anti-islamistes, l’islam politique au pouvoir de 2011 à 2014
est la source de tous les problèmes. Ce courant politique est perçu comme étant sourd à
toute diversité, culturelle, religieuse, linguistique, etc. Les opposants à ce courant
politique considèrent en effet que l’islamisme est un frein à l’épanouissement de la « 
diversité culturelle » et à tout épanouissement social comme l’art et la culture. Se
considérant comme « laïcs », ils jouent donc cette carte dans la formulation de leur
discours politique d’opposition. Des conflits entre islamisme et berbérisme (militantisme
amazigh) peuvent ainsi émerger. Suite à la diffusion d’un reportage sur les Amazighs en
Tunisie27, le journal hebdomadaire à tendance islamiste El Fajer publie un article 28 qui va
déchaîner les passions des militants des associations amazighes. Le journaliste dénonce le
fait que « la plupart des militants amazighs à Tunis habitent à l’étranger et
particulièrement en France », que ce groupe « marqué laïc » (tābi`a al-`almāni) cherche à « 
fonder une nouvelle identité hors du cadre de l’identité religieuse ». Mais l’attaque la plus
inacceptable pour les militants est celle d’une culture réduite à « des restes de poubelle
dont même les poules ne se nourriraient pas ». C’est l’assimilation de l’amazighité à des
restes, des ruines, des traces culturelles en perdition, des gens simples et pauvres qui
indigne la communauté militante amazighe. Les associations tunisiennes mais aussi
marocaines publient des communiqués atterrés devant cet article. On relève notamment
parmi eux la réponse d’un membre de l’association ATCA, signée ironiquement depuis « 
Tamezret, un village d’hommes préhistoriques » : ce militant rappelle son
emprisonnement et son exil forcé de trente ans sous les anciens régimes (pour son
militantisme syndical), replace la Tunisie dans « Tamazgha al koubra » (l’espace amazigh
transnational) et informe sur le nouvel enseignement de la graphie tifinaghe à Tunis. Par
là, il restaure la dimension civilisationnelle (écriture, histoire) de l’amazighité que le
journaliste avait dénigrée. Il culturalise un patrimoine présenté comme aculturel. Mais la
réaction la plus officielle, car publiée dans le même journal la semaine suivante, provient
du président de l’association « Azrou pour la culture amazighe », Arafat Almahrouk29.
A partir du village d’Azrou où le parti Ennahdha a obtenu 70 % des suffrages aux
dernières élections, il affirme que la cause amazighe n’est pas liée à une pensée politique,
qu’elle est nationale et qu’elle n’offense pas la religion musulmane. Ses propos révèlent la
tendance des associations situées au sein des régions qui ont soutenu le parti islamiste
Ennahdha à ne pas entrer en opposition frontale avec celui-ci.
158

L’après 2014 : retour du néo-destourisme et


connivence amazighe
31 Les élections présidentielles de décembre 2014 scellent officiellement le processus de « 
transition institutionnelle » qui s’est étalé de 2011 à 2014. Durant ces trois années, une
assemblée nationale avait été missionnée pour rédiger une nouvelle Constitution visant à
protéger les droits des citoyens et les principes démocratiques d’un peuple qui a mené sa
révolution contre la dictature. Les enjeux de cette transition étaient gigantesques. Après
les dérives violentes en Syrie et en Libye, le coup d’État en Égypte, la Tunisie observée par
le monde entier était présentée comme le représentant – peut-être le dernier – modèle de
démocratisation possible du monde arabe. Au niveau national, les enjeux d’urgence
étaient d’abord la lutte contre le terrorisme et le maintien de la stabilité et de la paix
civile. Il s’agissait ensuite d’écrire une Constitution qui protège les droits des citoyens et
de définir une nouvelle citoyenneté. Dans cette définition, diverses dimensions ont été
discutées au sein de l’assemblée constituante et, depuis, au sein de la société civile. Il en
est de même du principe de « liberté de conscience » finalement constitutionnalisé, de la
gouvernance régionale, de la souveraineté nationale et, last but not least, du retour ou non
des membres de l’ancien régime au sein de la vie politique tunisienne.
32 À l’issue d’un débat houleux, l’assemblée nationale légifère l’acceptation du retour de ces
derniers dans les partis politiques. Cette brèche permet la naissance et le développement
du parti Nida Tounès dirigé par Béji Caïd Essebsi qui occupa le poste de ministre de
l’Intérieur sous Habib Bourguiba. Ce parti arrive en tête des élections législatives
d’octobre 2014 (86 sièges sur 217) puis remporte l’élection présidentielle de décembre
2014, portant Essebsi à la présidence de la République à l’âge de 89 ans 30. Ce
bouleversement du paysage politique mène à l’émergence d’un deuxième type de société
civile d’opposition au retour de l’ancien régime, une société de « résistance31 ».
33 L’échiquier politique s’est diversifié, le parti politique dominant, Nida Tounès, présenté
de prime abord comme le défenseur de la laïcité, mobilise en fait des référents religieux
locaux (islam populaire, zaouïas, saints, etc.), tout à fait comme, paradoxalement, le parti
islamiste Ennahdha qui propose un projet largement séculariste.
34 Parmi les villages amazighophones du Sud qui avaient majoritairement voté pour le parti
islamiste Ennahdha en 2011, le village Taoujout a finalement voté en masse pour ce parti
bourguibiste et d’ancien régime Nida Tounès. Des discussions avec certains habitants
expliquent ce choix par leur déception envers le parti au pouvoir pendant les années de
transition. Dans la même logique de revirement, aux élections présidentielles de 2014, le
militant amazigh Nouri a voté pour le gauchiste Hamma Hammami au premier tour puis
pour Béji Caïd Essebsi. Il appartient en cela à la gauche dite anti-islamiste qui s’est rabattu
sur Essebsi pour contrer Moncef Marzouki perçu comme l’allié des islamistes. Mais ce
choix en faveur du candidat Essebsi est aussi motivé par le fait qu’il voit en lui un « 
nationaliste tunisien comme Bourguiba32 ».
35 En effet, le Néo-Destour, présenté comme laïc et moderniste, est perpétué aujourd’hui par
l’héritier de Bourguiba, Essebsi, qui réincarne un nationalisme tunisien déconnecté d’une
identité arabe perçue comme exogène et imposée. En cela, il rejoint le versant anti-arabe
de la cause amazighe. Pourtant, Béji Caïd Essebsi, qui mobilise une rhétorique politique
très nationaliste brandissant des emblèmes de la culture nationale (sefsari, dictons, etc.),
159

appartient à la culture élitiste de la capitale (beldi). Il représente Tunis et la côte (sahel), le


cœur décisionnel du pays et le milieu tunisois bilingue arabophone et francophone. Il est
issu de l’élite historique du parti Néo-Destour de Bourguiba, réputée pour son aversion
pour les régions de l’intérieur et du sud du pays et pour son éradication de la diversité
régionale au profit d’une identité tunisienne unique. Aussi paradoxal que cela puisse
paraître, les chantres de la « diversité » et des « minorités » que sont les historiens
tunisiens de l’ex-parti Ettajdid s’engageront dans le parti Nida Tounès et appelleront à
voter pour Béji Caïd Essebsi aux élections présidentielles de 201433.

Conclusion
36 Il serait bien hasardeux aujourd’hui d’évoquer l’existence d’un « mouvement amazigh »
tunisien, tant ses directions divergent et son unité est fragmentée en plusieurs tendances.
La tendance « globalisante » a échoué à la reconnaissance constitutionnelle de la langue
amazighe mais réitère son engagement en faveur de l’identité amazighe transnationale ;
de leur côté, les associations locales poursuivent leurs négociations et leurs coopérations
avec les municipalités pour l’organisation d’événements culturels qui valorisent un des
pans du « patrimoine tunisien ».
37 Si la question amazighe en Tunisie peut paraître bien subsidiaire par rapport aux défis
que rencontre le pays depuis sa révolution, elle n’en reste pas moins révélatrice des
enjeux actuels. Elle a été un des lieux d’expression de la lutte politique contre le
gouvernement à majorité islamiste formé dans le sillage de la révolution. Pour cela, la
défense des minorités et l’appartenance à une aire méditerranéenne ont soutenu un
projet anti-islamiste puis néo-destourien. Censée représenter les régions du Sud, résistant
aux dictatures et à tradition majoritairement islamiste, la cause amazighe s’affilie au
discours nationaliste des néo-destouriens : la nation est tunisienne, dans toute sa
diversité, et non de culture arabo-islamique importée.
38 La situation tunisienne complexifie la problématique amazighe telle qu’elle se déploie
dans d’autres pays du Maghreb. Elle ne peut plus être simplifiée par l’antinomie Arabe/
Amazigh. Au niveau du discours militant, elle semble prendre le relais de la lutte
historique qui se rejoue aujourd’hui en Tunisie, celle des forces politiques néo-
destouriennes de la capitale et du Sahel contre les forces islamistes ou résistantes issues
des régions de l’intérieur du pays. Mais la réalité défie largement ce schéma : tout d’abord
parce que les amazighophones de Tunisie ne sont ni issus des régions dites côtières du
pays ni héritiers de la classe néo-destourienne ; ensuite parce que le paysage politique a
récemment pris une nouvelle tournure via l’alliance entre les deux partis hier rivaux,
Ennahdha et Nida Tounès. Ce « compromis34 » qui a largement décontenancé l’électorat
augure d’une nouvelle phase dont on ne saurait envisager l’issue tant au niveau du
pluralisme culturel que du pluralisme politique.
160

BIBLIOGRAPHIE
ABBASSI D., « Le discours historique scolaire des années 90 en Tunisie : l’invention d’une identité
méditerranéenne », Annuaire de l’Afrique du Nord, 39, 2003, p. 49-64.

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NOTES
1. Région de Matmata-Tamerzet, Zraoua, Taoujout ; région de Djerba-Gellala, Sedouikch, Ajim ;
région de Tataouine-Douiret, Guermessa, Chenini.
2. D. Abbassi, « Le discours historique scolaire des années 90 en Tunisie : l’invention d’une
identité méditerranéenne », Annuaire de l’Afrique du Nord, 39, 2003, p. 49-64.
3. Sociologue, ministre de la Culture (Ennahdha) de 2011 à 2014.
4. Les termes arabes traduits dans cet article respectent la translittération Arabica.
5. Interview dans l’émission « Fissamim », chaîne Ettounsiya, 2/11/2012, [en ligne] URL : http://
www.dailymotion.com/video/xut01k_fi-samim-la-cause-amazigh-en-tunisie-02-11-2012_news.
161

6. M. Marzouki, Arabes, si vous parliez…, Paris, Lieu commun, 1987, p. 78.


7. Extrait de son allocution lors de la Journée internationale de l’Afrique, 26 mai 2014, à Tunis :
https://www.youtube.com/watch?v=y8XfMwUVNDA
8. Observation faite à Gabès lors d’une rencontre entre un militant amazigh et le responsable du
service culturel de la ville, février 2015, Gabès, Tunisie.
9. ONG de défense du peuple amazigh créée en 1995 qui rassemble des Algériens, des Marocains,
des Libyens, des Canariens, des Touarègues et des Maghrébins d’Europe.
10. Entretien, 16 février 2015, Gabès.
11. Entretien avec Slim Ben Yedder, 20 mars 2015, Tunis.
12. Entretien avec le président de l’association, 5 février 2012, Guellala.
13. Dans le gouvernorat de Médenine, le parti Ennahdha remporte 5 sièges sur 9 ; dans le
gouvernorat de Tataouine, 3 sièges sur 4 ; dans le gouvernorat de Gabès, 4 sièges sur 7.
14. Article 12 : « L’Etat a pour objectif de réaliser la justice sociale, le développement durable,
l’équilibre entre les régions et une exploitation rationnelle des richesses nationales en se
référant aux indicateurs de développement et en se basant sur le principe de discrimination
positive. L’Etat œuvre également à la bonne exploitation des richesses nationales ». Constitution
de la République tunisienne, 2014.
15. L. Valensi, « La mosaïque tunisienne : fragments retrouvés », dans La Tunisie mosaïque :
diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité, sous la dir. de J. Alexandropoulos , P. Cabanel,
Toulouse, Presses universitaire du Mirail, 2000, p. 23-29.
16. M. Ouannes, La Personnalité tunisienne, Tunis, éditions Mediterranean Publishers (en arabe),
2010.
17. A. Larguèche, « L’histoire à l’épreuve du patrimoine », L’Année du Maghreb, IV, 2008, p.
191-200.
18. D. Abbassi, op. cit., p. 49-64.
19. Il a été démontré, depuis, le lien que Braudel entretenait avec la culture coloniale, un rapport
complexe, à la fois professionnel, familial et personnel (orientaliste) qui explique pour une part
son attachement théorique à cet espace « méditerranéen » et qui a mené à la validation d’une « 
histoire immobile ». Cf. F. Deprest, « Fernand Braudel et la géographie « algérienne » : aux
sources coloniales de l’histoire immobile de la méditerranée », Matériaux pour l’histoire de notre
temps, 3-99, 2010, p. 28-45.
20. J. Dakhlia, W. Kaiser, Les Musulmans dans l’histoire de l’Europe, Paris, Albin Michel, 2013, p. 8.
21. J. Goodman, Berber culture on the world stage. From village to video, Indiana University Press,
2005.
22. T. Desrues, H. de Larramendi, « S’opposer au Maghreb », L’Année du Maghreb, V, 2009, p. 7-36.
D. Le Saout, M. Rollinde, Emeutes et mouvements sociaux au Maghreb : perspectives comparées, Paris,
Karthala, 1999.
23. F. Burgat, « Les mobilisations à référent islamique », dans La Politique dans le monde arabe, sous
la dir. de E. Picard, Paris, Armand Colin, 2006, p. 97.
24. Entretien, 16 février 2015, Gabès.
25. S. Pouessel, « Les marges renaissantes : Amazigh, Juif, Noir. Ce que la révolution a changé
dans ce « petit pays homogène par excellence » qu’est la Tunisie », L’Année du Maghreb, VIII, 2012,
p. 143-160.
26. Il est cependant difficile de catégoriser des appartenances politiques stables dans les régions.
Entre le vote de 2011 et celui de 2014, la donne a changé en Tunisie. Bien que le Sud reste
largement à vote islamiste, on observe des changements étonnants, comme dans le village
amazighophone de Taoujout : en 2011, le parti Ennahdha l’emporte haut la main, tandis qu’en
2014, c’est le vote pour le candidat de l’ancien régime Essebsi qui est majoritaire.
27. « Fissamim », Ettounsiya, 2 novembre 2012.
162

28. S. Al-Hakimi, « man yūrid tahrik ḫūyūt al-fitna al- ͗amaziġīa fi tūnis ? » (Qui veut agiter le chiffon
de la division en Tunisie ?), Al Fajer, 16 novembre 2012, p. 9.
29. « Hawla inkar wa ṭams al-jūḏūr wa al hūwiya al-͗amaziġīa » (A propos du déni des racines et de
l’identité amazighes), Al Fajer, 23 novembre 2012, p. 13.
30. Il remporta l’élection présidentielle au deuxième tour avec 55,68 % des voix contre son
adversaire, Moncef Marzouki.
31. S. Pouessel, « Révolutions et élection en Tunisie : le réveil d’une société résistante », Les
Carnets de l’IREMAM, 2015, [en ligne] URL : http://iremam.hypotheses.org/ [consulté le 15 mars
2015].
32. Entretien, 16 février 2015, Gabès.
33. http://www.leaders.com.tn/article/14980-des-intellectuels-tunisiens-appellent-a-soutenir-
la-candidature-de-m-beji-caid-essebsi.
34. N. Marzouki, « Tunisia’s Rotten Compromise », 2015, Middle East Research and Information
Project, [en ligne] URL : http://www.merip.org/mero/mero071015.

AUTEUR
STÉPHANIE POUESSEL
Anthropologue et chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain
(IRMC) à Tunis (Tunisie). Elle travaille sur les questions de nation, de minorités, de langues et de
migration.
163

Le surgissement de la cause
amazighe en Libye : des espoirs de
reconnaissance aux déconvenues de
la realpolitik
Thierry Desrues

1 En Libye, le régime autoritaire du colonel Mouammar Kadhafi (1969-2011) a imposé


pendant quatre décennies une identité nationale centrée sur l’arabité. L’africanité et
l’islamité ont pu compléter celle-ci au gré des conjonctures politiques et des visées du
« Guide de la révolution » en matière de politique étrangère. Ces références identitaires,
marquées du sceau du panarabisme, du refus des frontières héritées de la colonisation et
du rejet de l’influence des puissances occidentales en Afrique et au Moyen-Orient, n’ont
jamais envisagé la dimension amazighe du pays.
2 Or, l’amazighité est bel et bien une réalité ancrée dans l’histoire de la Libye. On rappellera
que le nom du pays vient de « Libau », nom d’une tribu amazighe, qui a donné le terme
grec « libyè » qui désigne dans l’Antiquité la frange de territoire de l’Afrique du Nord
bordant la Méditerranée, de l’Égypte à l’Atlantique. Mais surtout, ce pays compte
aujourd’hui entre 250 et 600 000 locuteurs de tamazight, soit entre 5 et 10 % d’une
population évaluée à 5,6 millions de personnes1. Les Amazighs de Libye se distinguent
aussi du reste de la population arabophone et sunnite majoritaire en raison de leur
obédience religieuse ibadite, un courant minoritaire de l’islam qui, en Afrique du Nord,
n’existe que chez les Amazighs : au Djebel Nefoussa en Libye, à Djerba en Tunisie et au
Mzab en Algérie2. Enfin, l’existence de deux grands groupes amazighophones différenciés
est une autre particularité de l’amazighité en Libye. Le plus important (sans doute plus de
90 % des amazighophones) se trouve principalement dans le nord-ouest du pays, dans la
région de Zouara et de l’Adrar Nefoussa, ainsi que dans la diaspora qui a migré à Tripoli.
Le second groupe, les Touaregs libyens, se situe dans le sud-ouest. Il est extrêmement
minoritaire dans le pays (peut-être autour de 20 000 personnes)3.
164

3 Dans un pays travaillé par de puissantes tendances centrifuges induites par les
dynamiques tribales et régionales, l’arabité et le sunnisme ont joué le rôle de ciment de
l’union nationale. En écartant les références propres à l’amazighité, ils ont contribué à
accentuer le syndrome minoritaire ressenti par les militants amazighs. Cela fut le cas au
début du XXe siècle lors de la lutte de la confrérie Senoussi contre la menace coloniale
italienne – dont le retentissement international a fait passer sous silence la résistance
dans l’Adrar Nefoussa4. Plus tard, au début des années 70, à défaut de pouvoir
institutionnaliser un État-nation centralisé5, le colonel Kadhafi a assis son pouvoir
personnel sur la gestion clientéliste des structures tribales traditionnelles6. Ce système de
patronage des communautés locales, que permettait le contrôle de la rente en
hydrocarbures, était doublé par de puissants appareils de sécurité qui, accompagnés par
les comités révolutionnaires décentralisés, se chargeaient de la surveillance du
conformisme idéologique, culturel et linguistique de la population. Sous la férule de ce
système autoritaire, la langue et la culture amazighes ont été niées et leurs défenseurs
persécutés pendant près de quarante ans7.
4 À la fin du mois de février 2011, les Amazighs de Libye ont été nombreux à rejoindre le
soulèvement contre le « Grand Etat des masses, arabe, libyen, populaire et socialiste ».
Partisans dans leur ensemble de l’unité nationale et d’un bilinguisme convivial de l’arabe
et du tamazight, les porte-paroles du mouvement identitaire amazigh libyen ont déclaré
leur loyauté au Comité national de transition (CNT) dès sa proclamation le 3 mars comme
unique représentant légitime de la lutte contre l’ancien régime. Ce faisant, leurs espoirs
d’une prochaine officialisation de la langue et de la culture amazighes ont été très vite
déçus.
5 Dans ce texte, on se limitera à reconstruire la trajectoire de la cause amazighe depuis le
soulèvement de février 2011 jusqu’au début de l’année 2017 et la proclamation de
l’officialisation du tamazight dans les régions amazighophones « libérées ». On reviendra
sur les raisons qui font que les militants ne peuvent pas renoncer à l’officialisation du
tamazight, puis sur les événements qui ont conduit le Haut Conseil amazigh libyen (HCAL)
à boycotter les élections et les institutions. Enfin, on tentera de saisir les conséquences de
la reprise des hostilités entre les principales factions régionales à partir de 2014 et du
retour de la realpolitik imposée par diverses puissances étrangères sur la mise à l’écart de
la cause amazighe. Ce faisant, avant d’aborder ces questions, on présentera brièvement la
discrimination dont a été victime l’amazighité durant le règne de Kadhafi.

L’amazighité sous le règne de Kadhafi : une identité


niée et persécutée
6 Comme l’intitulé du régime établi par Kadhafi le laissait deviner, « Grand Etat des masses,
arabe, libyen, populaire et socialiste » (1973-2011), l’identité des Amazighs de Libye
n’avait pas de reconnaissance officielle. Qui plus est, celle-ci n’était pas seulement niée,
elle était violemment combattue par le « Guide de la révolution » en personne qui
exécrait l’amazighité. Parmi les nombreuses déclarations de celui-ci, on mentionnera tour
à tour que les Amazighs avaient disparu il y a des siècles, qu’il s’agissait de populations
arabes venues du Yémen ou d’une invention coloniale réactualisée périodiquement par le
complot impérialiste qui ne cessait de menacer le pays8. Concrètement, en 1985 il affirma
que la langue amazighe était un « poison », puis en 1997 que les défenseurs de celle-ci
165

étaient des « collaborateurs de la France, des Etats-Unis et d’Israël ». Enfin, en 2010, il


informa des journalistes marocains que les Amazighs « ont disparu et n’existent plus ».
7 En dehors des déclarations du prolixe leader de la « République des masses », les comités
révolutionnaires, véritables relais locaux de son pouvoir, avaient l’ordre de surveiller la
population et de traduire devant la justice ceux qui refusaient l’assimilation en
manifestant un attachement à leur langue et leur culture amazighes9. Comme le
remarquent Chaker et Ferkal10, tout comme l’histoire des Amazighs de Libye celle de la
répression dont ceux-ci ont été les victimes reste à écrire. Au niveau institutionnel, on
rappellera que l’usage du tamazight a été exclu de la vie publique officielle (de
l’administration, du système éducatif, des médias, de l’édition, etc.) et de l’état civil (loi n
° 24-1994) qui interdisait aux parents de donner des prénoms amazighs à leurs enfants,
tandis que la toponymie était arabisée (l’Adrar Nefoussa a été rebaptisé la « montagne de
l’ouest »).
8 Parmi les menaces, brimades, arrestations arbitraires, disparitions et assassinats ciblés
d’intellectuels et militants amazighs, on citera le cas de Saïd El Mahroug dit « Sifaw ». Ce
poète, né à Jadou dans l’Adrar Nefoussa au nord-ouest du pays en 1946, a vécu à Tripoli la
plus grande partie de son existence avant de mourir en exil à Djerba en Tunisie en 1994. À
ses débuts, Sifaw est avant tout un poète qui écrit en arabe et en tamazight et qui collecte
des contes et des mythes anciens dans sa langue maternelle prohibée. Progressivement,
sa poésie exprime la « position inconfortable de l’être libyen en général et de l’Amazigh
en particulier11 ». Il s’insurge contre la transformation d’un peuple entier en informateur
au nom d’une révolution au service d’un régime politique autoritaire. En tant
qu’intellectuel engagé, il rejoint l’Union des écrivains libyens où il fait valoir ses opinions
politiques et intellectuelles qui vont à l’encontre du nouveau régime installé en 1969.
Victime de multiples harcèlements policiers, il est renversé par une voiture en 1979. Cet
accident, que d’aucuns considèrent comme un attentat contre sa personne, laisse de
profondes séquelles. Paralysé, confronté à de nombreuses tracasseries administratives et
judiciaires, il s’exile en Tunisie jusqu’à sa mort le 28 juillet 1994.
9 Parmi les quelques voix qui prendront le relais de Sifaw, on citera les organisations
établies au sein de la diaspora en France dans les années 80 (Sifaw cultural association) ou
au Royaume-Uni au tournant des années 2000 (Libyan Tamazight Congress ; Tawalt) 12. Le
cas du site web Tawalt (les mots) illustre bien l’attitude du régime envers l’opposition en
exil. En 2001, Mohamed Umadi, un jeune militant de la cause amazighe, crée la plateforme
en ligne Tawalt pour donner la possibilité aux Amazighs de Libye de s’exprimer.
Tawalt.org est conçu comme un espace de compilation des publications, des données et
des informations sur les Amazighs de Libye, leur histoire, leur langue et leur culture. Il
sert aussi à la promotion et à la revendication des droits des locuteurs amazighs. Les
pressions menées à l’encontre de la famille de Umadi restée en Libye montrent à quel
point le régime ne supportait pas les voix discordantes13. En fait, dès son apparition, le
militantisme amazigh libyen a été condamné à la clandestinité ou à l’exil. Pour faire
connaître sa cause, il noue des contacts avec des militants kabyles dans le sillage du
« Printemps berbère » de 1980 et profite des réunions du Congrès mondial amazigh (CMA)
qui se tiennent à partir de 199714. Le CMA lui sert de tremplin pour accéder à la tribune de
plusieurs organisations internationales dont celle des Nations Unies d’où il dénonce la
situation dans le pays15.
10 À partir de 2005, le régime a tenté de prendre langue avec des représentants de la
mouvance amazighe au niveau international. Ces initiatives sans lendemain ont été
166

l'objet de polémiques. Les critiques visaient la représentativité des personnalités invitées


sujette à caution et les bénéfices que pourrait tirer Kadhafi de ce type d’événement dans
sa quête de soutiens pour réintégrer la communauté internationale16. L’avenir montrera
rapidement qu’il s’agissait d’un leurre, la pression policière à l’encontre des militants à
l’intérieur du pays n’ayant pas cessé17. A la veille du soulèvement de février 2011,
défendre l’amazighité conduit toujours en prison ou en exil, comme le prouvent
l’arrestation des frères Mazigh et Madghis Bouzkhar qui animaient le site web
d’information amazighe « TIRA Research and Studies » ou la protection spéciale fournie
par leur pays d’accueil à des militants en exil tels que Fathi Ben Khalifa.

L’irruption de la cause amazighe et l’appui à la


transition politique
11 L’irruption de forces armées amazighes aux avant-postes du soulèvement contre le
régime du colonel Kadhafi en 2011 a bouleversé les représentations hégémoniques d’une
société « arabe » homogène. Les télévisions du monde entier ont retransmis les images
des drapeaux amazighs flottant au sein des terroirs amazighs de l’ouest du pays – de la
petite ville côtière de Zouara (50 000 habitants) aux monts de l’Adrar Nefoussa. À mesure
que les forces loyales au régime se retiraient, ces drapeaux étaient brandis dans d’autres
lieux, notamment à Tripoli18, témoignant du brassage des populations dans la capitale du
pays. Pour la première fois depuis des années, des Amazighs pouvaient enfin s’exprimer
publiquement dans leur langue et manifester leur identité, et ce, parfois à la surprise de
certains de leurs compatriotes qui déclaraient ignorer de quoi il ressortait 19.
12 Dès les premiers jours du soulèvement, des conseils militaires locaux appuyés par des
officiers déserteurs se sont mis en place dans la région amazighophone de l’Adrar
Nefoussa20. Ils ont reconnu l’autorité du Conseil national de transition (CNT), auto-
proclamé « le seul représentant de la Libye » le 3 mars 201121. Composé d’une quarantaine
de personnes censées représenter pour la plupart d’entre elles une ville ou une région, le
CNT compte parmi ses membres Othman Ben Sassi, un amazighophone représentant la
ville de Zouara.
13 Le CNT a établi une feuille de route qui prévoit de remettre le pouvoir à une assemblée
élue dans un délai de huit mois à compter de la fin de la lutte contre Kadhafi et qui sera
chargée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Il annonce aussi que l’arabe
demeure la langue officielle de l’État, tout en garantissant les droits culturels et
linguistiques des minorités ethniques ainsi que la liberté de culte des minorités
religieuses. Des rumeurs circulant sur des divisions en son sein portant sur l’application
ou non de la charia et sur les équilibres régionaux et tribaux contribuent à l’instauration
d’un climat de méfiance à son égard dans les cercles militants amazighs. Surtout, ces
derniers sont divisés entre ceux qui, tel Fathi Benkhalifa, assesseur du CNT, revendiquent
l’officialisation du tamazight dans la Constitution et ceux qui, comme Othman Ben Sassi,
considèrent que la reconnaissance du tamazight comme langue nationale telle qu’elle est
prévue par les termes de la feuille de route est suffisante. Pour ces derniers, la mise sur
agenda de la question linguistique risquerait de susciter des tensions et de mettre en péril
la priorité des priorités qui, à leurs yeux, reste l'établissement d’un régime démocratique.
Par contre, les premiers sont convaincus que seule une égalité de jure du tamazight avec
l’arabe serait à même de garantir une reconnaissance pleine de leurs droits linguistiques
167

et culturels au sein de la communauté nationale et de compenser leur situation


démographique minoritaire.
14 En attendant, face au passif des années kadhafistes, une première articulation
organisationnelle a tenté22 de sensibiliser les locuteurs amazighs à la nécessité de
promouvoir et de défendre la reconnaissance de leur langue et de leur culture23. De
nombreuses initiatives collectives, notamment au niveau éducatif et médiatique24, ont
surgi au sein des communautés locales des régions amazighophones libérées. Des
associations y ont été créées, dont certaines ont mis en place des cours de langues tandis
que d’autres ont ouvert des centres culturels ou diffusé des bulletins d’information
bilingues en arabe et en tamazight. Témoins de la vitalité de la langue amazighe, des
graffitis utilisant l’alphabet tifinagh se sont multipliés sur les murs des villes à côté des
inscriptions en arabe et en anglais.

La relégation de l’amazighité dans le projet


constitutionnel et la création du Conseil national
amazigh libyen (CNAL)
15 Dès le mois d’août 2011, alors que la capitale, Tripoli, est sur le point d’être gagnée par les
troupes anti-khadafistes, l’optimisme n’est plus de mise chez les militants amazighs
libyens tenants de l’officialisation de leur langue. La diffusion du projet constitutionnel
du CNT, daté du 3 août, reprend dans son article premier que :
« La Libye est un Etat démocratique indépendant où tous les pouvoirs dépendent du
peuple. Tripoli est la capitale, l’islam est la religion, la charia islamique est la source
principale de la législation. L’Etat garantit aux non-musulmans la liberté
d’entreprendre leurs rituels religieux. L’arabe est la langue officielle, en
garantissant les droits linguistiques et culturels des Amazighs, des Toubous, des
Touaregs et des composantes de la société libyenne. »
16 Pour les militants amazighs, l’énonciation de l’arabe comme seule langue officielle et de
l’islam (sous-entendu sunnite) comme religion de l’Etat aboutit à la relégation du
tamazight et de l’ibadisme à des positions subordonnées et contingentes qui dépendront
de la bienveillance d’un futur régime démocratique25. Malgré la mention garantissant les
droits linguistiques et culturels des Amazighs, des Toubous et des Touaregs, ce projet est
ressenti comme un revers pour les militants qui voulaient une reconnaissance du
tamazight sur un pied d’égalité avec l’arabe26. Partant du constat des dégâts causés par
l’héritage kadhafiste, nombreux sont les militants amazighs convaincus que seule
l’officialisation pourra garantir un nouvel essor de leur langue et de leur culture. Ils
espèrent aussi qu’une partie non négligeable de la population récemment arabisée pourra
récupérer une partie de son identité tombée en désuétude, tout en souhaitant que le reste
des arabophones s’approprient un patrimoine culturel et historique commun à tous les
Libyens.
17 En réponse au CNT, le 12 août, le Mouvement amazigh libyen diffuse un document
intitulé : « Comment le Mouvement amazigh libyen voit la Libye de demain ». Il présente
les grands principes constitutionnels sur lesquels il souhaite que s’édifie le nouvel « État
libyen démocratique, unifié et libre ». Parmi ces principes, on retiendra le respect de la
démocratie, du bilinguisme, de la laïcité, du parlementarisme et des libertés qui « doivent
émaner des valeurs humaines universelles comme la reconnaissance et le respect de
l’autre, le dialogue et la tolérance ». Dans ce sens, au plan linguistique : « La langue
168

amazighe en tant que patrimoine de tous les Libyens sans exception et la langue arabe
sont les deux langues officielles de la Libye. Elles jouissent des mêmes droits et des mêmes
privilèges quant à leur utilisation au niveau de toutes les institutions de l’Etat. » Quant à
la place de la religion : « La Libye est un Etat laïc démocratique et souverain, avec un
régime constitutionnel et parlementaire basé sur la séparation souple et équilibrée des
pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif) et la décentralisation. » Enfin, l’État doit
garantir « l’égalité des libertés et des droits politiques, civiques, économiques, sociaux et
culturels pour tous les Libyens (hommes et femmes)27 ».
18 Dans le sillage de ce document et en l’absence de réponse du CNT, le Conseil national
amazigh libyen (CNAL) organise la tenue de sa première assemblée générale à Tripoli à la
fin du mois de septembre 2011. Si la présence de plusieurs membres du CNT fait renaître
l’espoir chez certains militants28, la majorité est de plus en plus consciente des difficultés
que rencontre l’accueil de ses revendications auprès d’une population qui n’a aucune
expérience du débat démocratique, de la pluralité ethnolinguistique et qui craint que les
fortes dynamiques centrifuges à l’œuvre en son sein finissent par aboutir à la
désintégration du pays29. La vision pessimiste des seconds va se confirmer dès les
semaines suivantes.
19 Suite à l’annonce de la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011, le CNT proclame que la charia
sera la source d’inspiration de la législation, allant ainsi à l’encontre de la demande du
CNAL de la proclamation d’un État laïc. Un mois plus tard, le gouvernement provisoire
installé le 21 novembre ne fait aucune place aux représentants amazighs, à la berbérité de
la Libye ou à la langue amazighe. La tenue de manifestations d’envergure à Tripoli n’y
change rien. Les revendications amazighes ne sont pas satisfaites. Au contraire, des
discours surannés de l’ancien régime sont repris par les nouveaux dirigeants pour
dénoncer la main du séparatisme ou de la réaction et du colonialisme dans la prétention à
vouloir constitutionnaliser la langue et la culture amazighes30. C’est dans ce contexte
difficile que Fathi Benkhalifa, ancien exilé politique sous Kadhafi et ancien conseiller
juridique du CNT, est élu à la présidence du Congrès mondial amazigh en octobre 2011 31.
Loin des espoirs suscités quelques mois auparavant, cette élection reflète la
préoccupation au sujet de la situation libyenne au sein de la mouvance amazighe
internationale.

La stratégie du boycott des instances transitionnelles


par le HCAL
20 Le 4 janvier 2012, le CNT annonce la restauration du pluralisme partisan. Plusieurs lois
électorales sont alors en préparation en vue de l’élection prochaine du Congrès général
national (CGN), le futur parlement qui remplacera le CNT et aura la charge de nommer la
Commission constituante. La loi électorale prévoit 13 circonscriptions électorales pour
200 sièges répartis entre les trois provinces libyennes que sont la Tripolitaine avec 100
élus, la Cyrénaïque avec 60 élus et le Fezzan avec 40 élus.
21 Quelques semaines plus tard, au mois de mars 2012, le CNT anticipe sur les prérogatives
du futur CGN et annonce que la future assemblée constituante sera composée de 60
membres à raison de 20 membres pour chacune des trois grandes zones historiques du
Fezzan, de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine. Toutefois, six sièges seront réservés aux
trois minorités, à raison de deux pour chaque minorité amazighe, touarègue et touboue32.
169

À la fin du mois de juin, soit quelques jours avant les élections au CGN, le CNT décide que
les futurs membres de l’assemblée constituante ne seront pas nommés comme prévu par
le parlement mais élus à l’issue d’un processus électoral. Or, ce changement risque de
conforter la position minoritaire des représentants amazighs.
22 Le 7 juillet, les élections au CGN, la future instance parlementaire de la transition, sont un
succès de participation eu égard aux difficultés du contexte national. Deux jours plus
tard, le 9 juillet, le CGN élit son président, Mohamed Youssef el-Magharief, et, le 8 août, le
CNT remet le pouvoir à l’assemblée.
23 Le CGN assume désormais la responsabilité de la formation du gouvernement, de la
gestion d’une nouvelle période de transition et de la préparation de la loi qui régira
l’élection de l’Assemblée constituante. Le 19 février 2013, il confirme que l’élection de
l’Assemblée constituante se fera au suffrage universel direct33. En juin, l’élection à sa tête
d’un Amazigh originaire de Zouara, Nouri Bousahmein, n’atténue pas la méfiance des
militants amazighs qui ne considèrent pas ce proche des Frères musulmans comme un
défenseur de leur cause34. L’adoption de la loi électorale, le 17 juillet, soulève de nouveau
l’opposition des représentants amazighs, toubous et touaregs, mécontents de l’attribution
de seulement six sièges, à raison de deux pour chaque groupe, au sein de la future
assemblée. Le Haut Conseil des Amazighs de Libye (HCAL), constitué en janvier 2013,
annonce alors sa décision de boycotter les élections à l’Assemblée constituante et le
retrait de ses deux représentants au sein du CGN. Il s’élève contre la fin du principe de la
prise de décision par consensus concernant les affaires touchant les droits des Amazighs
(aussi bien ceux du nord que les Touaregs du sud) et des Toubous, au profit du principe du
vote à la majorité des membres. À son avis, les représentants amazighs n’ont aucune
chance d’avoir une voix influente au sein de la future assemblée, puisqu'ils perdent leur
capacité de blocage des décisions qui iraient à l’encontre de leurs intérêts, notamment
dans les domaines culturel et linguistique35.
24 À la fin de l’année 2013, le CGN, décide de repousser les élections constituantes prévues
initialement le 24 décembre en raison du faible taux d’inscription sur les listes électorales
et de prolonger son mandat qui devait arriver à terme le 7 février 2014. L’initiative du
CGN est vécue par d’amples segments de la population comme un coup de force. La
population avait protesté à plusieurs reprises au cours des semaines précédentes dans la
capitale en demandant la fin de l'insécurité et de la période de transition. Cette décision
ne fait qu’aggraver son mécontentement vis-à-vis du gouvernement et du parlement
provisoire. Dans ce climat délétère, le CGN fait marche arrière, et les élections sont fixées
au 20 février36. En fait, comme le souligne Saïd Haddad, la décision du CGN de prolonger
son mandat s’inscrit dans un contexte politique polarisé par le débat puis par l’adoption
de la loi sur l’exclusion politique. Cette décision intervient dans une configuration de
dyarchie institutionnelle qui voit s’affronter le pouvoir exécutif dirigé par le Premier
ministre, Ali Zeidan, et le CGN, présidé par Nouri Bousahmein.
25 Le 25 juin ont lieu les élections au Conseil des députés (le parlement). Le HCAL appelle
également au boycott. À l’issue de ces scrutins contestés, deux grandes coalitions
s’affrontent. La première soutient le gouvernement de Tobrouk ou gouvernement du
Conseil des députés, tandis que la seconde appuie le CGN basé à Tripoli 37.
26 La présence de franchises de l’État islamique au Levant et en Irak (Daesh selon son
acronyme en arabe), l’émigration clandestine vers l’Europe et le trafic d’armes sont
autant de menaces qui pèsent sur l’avenir institutionnel du pays. Elles finissent par
mobiliser les chancelleries occidentales qui imposent des négociations entre les parties
170

sous la tutelle de l’envoyé spécial de l’Organisation des Nations Unies. Après un peu plus
d’une année de conversations, auxquelles les représentants du HCAL ne sont pas conviés38
, un accord entre les principales factions rivales, dont les deux grandes coalitions qui
appuient respectivement le CGN et le Congrès des députés, est signé le 17 décembre 2015
à Skhirat (Maroc). Cet accord approuve la formation d’un gouvernement d’union
nationale conduit par Fayez El-Sarraj, un « indépendant », architecte de profession, élu au
CGN et fils d’un ancien ministre à l’époque de la monarchie. Le 19 janvier 2016, Fayez El-
Sarraj propose un gouvernement d’Union nationale de 32 ministres à même de
représenter toutes les factions politiques, des fédéralistes aux Frères musulmans, en
n’oubliant pas les minorités amazighes, toubous et touarègues39. Cette première mouture
est rejetée par les principales factions libyennes. En fait, cette présidence, qui doit être
ratifiée par les deux parlements, sous-estime l’état des rapports de force en faveur du
général Haftar, commandant l’Armée nationale libyenne, qui jouit de l’appui du
Parlement de Tobrouk et dont la progression récente permet de freiner l’expansion de
Daesh en Cyrénaïque.
27 Dans ce contexte incertain, les militants amazighs se voient dans l’obligation de choisir
leur camp entre les successives coalitions qui se forment ou de se replier sur le terrain de
l’autogouvernement et de l’action au niveau local40, tout en continuant à mener des
actions de plaidoyer au niveau international.
28 Les combattants amazighs de Zouara et de l’Adrar Nefoussa ont appuyé la coalition
« Aube de la Libye », dominée par des milices islamistes, qui s’oppose au Parlement de
Tobrouk à l’est du pays. Cette coalition est loin de contrôler tout le territoire de la
Tripolitaine, comme le montre le fait qu’une partie de la région aux pieds de l’Adrar
Nefoussa est tenue par les milices de la ville de Zinten qui retiendraient le fils cadet du
dictateur déchu, Seïf al-Islam Kadhafi. Aux prises avec des divergences idéologiques, elle
ne se maintient que pour faire face à un ennemi commun : « le recyclage des Kadhafistes 41
 ».
29 En mars 2016, le gouvernement dit d’« Union nationale » s’installe enfin à Tripoli sous la
pression de l’ONU et la menace de la franchise locale de Daesh qui avance dans la région
de Syrte42. Les deux autres parlements qui se disputent la Libye ayant refusé de
reconnaître ce gouvernement, le pays se retrouve désormais déchiré entre trois
principales instances rivales et divisé en plusieurs territoires. Dans un sursaut d’autorité,
qui reflète en fait sa faiblesse, le Premier ministre a d’emblée décrété la fin de la guerre
civile. En vain, depuis lors les tensions inter-libyennes n’ont pas connu de trêve. Aucune
des parties ne semble en mesure de remporter une victoire définitive sur les autres,
tandis que croît le risque de sanctuarisation de territoires auto-administrés par des
milices qui échappent au contrôle de l’une ou l’autre des trois grandes coalitions43.

Conclusion
30 Depuis l’insurrection de 2011, les porte-parole de la cause amazighe en Libye ont posé
l’officialisation du tamazight, un État aconfessionnel, la représentation équitable au sein
des institutions et l’autogouvernement régional comme autant de revendications
intangibles. Cette fermeté vise à compenser la faiblesse démographique des locuteurs de
la langue amazighe et l’hostilité dont fait preuve à leur encontre une partie importante de
la population arabophone, relayée par des partisans du panarabisme, de l’islamisme et du
salafisme.
171

31 Les travaux de l’assemblée constitutionnelle44 ont fait l’impasse sur leurs revendications,
reflétant la prégnance croissante du prisme arabo-islamique dans le projet politique de la
future Libye. Cela confirme la thèse de Sawani et Pack selon laquelle le boycott
institutionnel n’a pas été efficace45. En se retirant des pourparlers des diverses instances
qui ont été mises en place, les représentants de la mouvance identitaire amazighe ont
perdu une partie de leur légitimité pour critiquer le processus de transition
institutionnelle. Aujourd’hui, ils maintiennent leur boycott des institutions tant que leurs
droits ne seront pas reconnus, oubliant qu’ils sont devenus inaudibles auprès des
populations arabophones et des pays étrangers impliqués dans le conflit.
32 Dans un contexte de conflit armé tantôt ouvert tantôt latent entre les grandes coalitions
régionales et les milices locales, l’avenir institutionnel du pays semble se jouer entre les
tenants d’un nationalisme panarabiste emmenés par le général Haftar et leurs opposants
regroupés dans la coalition « Aube libyenne » sous l'influence de tendances plutôt
proches des Frères musulmans. L’insécurité régnante et les risques de désintégration du
pays font que de plus en plus de Libyens réclament le retour d’un pouvoir fort capable de
restaurer la stabilité. Cette nouvelle donne nourrit les espoirs des anciens partisans de
Kadhafi46, au grand dam des militants amazighs qui voient leurs revendications exclues
des agendas des négociateurs internationaux47.
33 Les soutiens successifs apportés par les représentants amazighs aux institutions
reconnues par l’ONU, qu’il s’agisse du parlement de Tripoli ou du gouvernement d’union
nationale, n’ont pas été très payants48. La cause amazighe n’a guère plus à attendre du jeu
des alliances entre les puissances internationales et voisines du pays. Celles-ci sont
surtout préoccupées par le contrôle des flux migratoires, la stabilisation et l’exploitation
de la rente pétrolière du pays ainsi que par les nouveaux équilibres régionaux qui se
jouent sur le terrain libyen. La plupart d’entre elles sont d’ailleurs franchement hostiles
au pluralisme linguistique et culturel amazigh. Elles perçoivent celui-ci comme un défi
sécessionniste de plus en Libye, qui a l’inconvénient, qui plus est pour certaines d’entre
elles, d’interpeller des problèmes ethniques qu’elles ont à gérer dans leur propre pays
(Turquie, Algérie, Tunisie).
34 En attendant, la question amazighe reste entière. L’apprentissage de l’auto-gouvernement
dans les terroirs de l’Adrar Nefoussa49 ou à Zouara est relayé par la revendication chez
certains Amazighs du droit à l’autonomie, tandis que d’autres, face au statu quo qui
s’installe, parlent du droit à l’auto-détermination, voire d’un retour aux combats50. En
dehors des régions du nord-ouest du pays, on sait peu de chose de l’évolution de la cause
amazighe. Les nouvelles qui marquent l’actualité font parfois état d’affrontements entre
Touaregs et Toubous dans le sud-ouest du pays où se joue le contrôle de champs
pétroliers sur lesquels des compagnies et des puissances étrangères ont des visées 51.
35 Au milieu des annonces périodiques d’un retour aux armes52, le HCAL a déclaré en février
2017 l’officialisation de la langue amazighe dans les territoires sous le contrôle des milices
qui le soutiennent53. Peu importe que ces annonces visent à montrer la détermination du
HCAL ou son impuissance ; ce qui est fort probable, c’est que tant que l’amazighité de la
Libye sera reléguée au second plan par les principaux acteurs nationaux et
internationaux, la revendication de sa reconnaissance officielle reviendra comme un
serpent de mer et sera un facteur de fragilisation du futur État libyen.
172

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SUÁREZ COLLADO Á., El movimiento amazigh en el Rif: identidad, cultura y política en las provincias de
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NOTES
1. « About Libya », United Nations Development Program, [en ligne] URL : http://
www.ly.undp.org/content/libya/en/home/countryinfo.html [consulté le 24 avril 2016].
2. Cf. S. Chaker et M. Ferkal qui suggèrent que l’émergence culturelle berbère est probablement
confortée par l’ibadisme, majoritaire parmi eux. Ce dernier constituerait un facteur de
renforcement de la conscience d’une spécificité ethnoculturelle dans l’ensemble libyen,
173

majoritairement arabophone et sunnite, « Berbères de Libye : un paramètre méconnu, une


irruption politique inattendue », Politique africaine, n° 125, 2012, p. 105-126.
3. Chaker et Ferkal soulignent à juste titre qu’il ne faut pas confondre les Touaregs libyens (Kell
Ajjer) avec les mercenaires Touaregs nigéro-maliens qui avaient fait allégeance aux armées de
Kadhafi et qui ont été mobilisés pour mener la répression contre l’insurrection de 2011. Cf. S.
Chaker, M. Ferkal, op. cit. On renvoie aussi à Amazigh, « Le Nord-Mali dans l’expectative après le
retour des « mercenaires touareg » de Kadhafi », Voix berbères : l’Afrique du Nord côté amazigh,
23/11/2011, [en ligne] URL : http://amazigh.blog.lemonde.fr/2011/11/23/le-nord-mali-dans-l%
E2%80%99expectative-apres-le-retour-des-%C2%A0mercenaires-touareg%C2%A0-de-kadhafi/
[consulté le 17 octobre 2016].
4. Dès les débuts de l’insurrection contre Kadhafi, l’affichage des portraits de Souleiman al-
Barouni, écrivain et homme politique qui a mené la lutte contre l’occupant italien dans l’Adrar
Nefoussa à la veille de la Première Guerre mondiale, a ravivé la mémoire de la résistance aux
ingérences extérieures dans la région. Cf. T. Portes, « Le printemps des Berbères libyens », Le
Figaro, 21/07/2011, [en ligne] URL : http://www.lefigaro.fr/
international/2011/07/20/01003-20110720ARTFIG00551-le-printemps-des-berberes-libyens.php
[consulté le 15 septembre 2016].
5. J.F. Daguzan, J.Y. Moisseron, « La Libye après Kadhafi : essai de prospective géopolitique du
conflit libyen », Hérodote, 3/142, 2011, p. 78-97. DOI : 10.3917/her.142.0078. URL : http://
www.cairn.info/revue-herodote-2011-3-page-78.htm
6. Ibid.
7. Y. Plantade, « A Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle », Le Monde,
29/09/11, [en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/international/article/2011/09/29/a-tripoli-
les-berberes-reclament-leur-place-dans-la-libye-nouvelle_1580065_3210.html [consulté le 16
octobre 2016].
8. A. Al-Rumi, « Libyan Berbers struggle to assert their identity online », Arab Media and Society,
Spring, 2009, p. 1-18, [en ligne] URL : http://www.arabmediasociety.com/articles/
downloads/20090506151750_AMS8_Aisha_al-Rumi.pdf [consulté le 14 avril 2016].
9. Cf. Tamazgha, organisation non gouvernementale de défense des droits des Imazighen
(Berbères), « Les Berbères en Libye », Rapport alternatif de Tamazgha au Comité des droits
économiques, sociaux et culturels, Nations Unies, Conseil économique et social, Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 35e session du Comité des droits
économiques sociaux et culturels, Genève, 7-25 novembre 2005, [en ligne] URL : http://
www.tamazgha.fr/IMG/pdf/Libye-Rapport-Tamazgha.pdf [consulté le 15 octobre 2016].
10. Cf. S. Chaker et M. Ferkal, op. cit., p. 105-126.
11. Cf. Le Matin, « Portrait : Sifaw Said El Mehroug », 26/11/2004, [en ligne] URL : http://
lematin.ma/journal/2004/Portrait--Sifaw-Said-El-Mehroug_Portrait--Sifaw-Said-El-
Mehroug/47467.html#sthash.yqHIvcOy.dpuf [consulté le 3 janvier 2017].
12. On trouvera un recensement des initiatives porteuses de la cause amazighe sous le règne de
Kadhafi en Libye chez A. Al-Rumi, « Libyan Berbers struggle to assert their identity online ».
13. Tawalt fut fondée en 2001 par Madghis Umadi. Son site web, www.tawalt.org, fut une
plateforme qui permit aux Amazighs de Libye de recevoir des informations politiques et
culturelles dans leur langue. Je remercie Mazigh Buzakhar, militant amazigh de la région de
l’Adrar Nefoussa et co-fondateur de « TIRA Research and Studies », pour m’avoir fourni cette
précision.
14. Pour une analyse documentée des événements politiques, médiatiques et culturels qui ont
marqué la mobilisation amazighe au cours de l’année 2011, on renvoie à S. Chaker et M. Ferkal,
« Berbères de Libye : un paramètre méconnu, une irruption politique innattendue » et à A. Suárez
Collado, El movimiento amazigh en el Rif : identidad, cultura y política en las provincias de Nador y
Alhucemas, tesis doctoral, Universidad Autónoma de Madrid, Madrid, 2013, p. 942-975.
174

15. B. Maddy Weitzman, The Berber Identity Movement and the Challenge to North African States,
Austin, University of Texas Press, 2011.
16. A. Suárez Collado, El Movimiento amazigh en el Rif: identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas.
17. En ce qui concerne les luttes au sein du régime de Kadhafi sur les stratégies à suivre entre les
partisans d’un retournement d’alliance avec l’Europe et les Etats-Unis et les panafricanistes, on
renvoie à L. Martinez, « Nouvelle Libye ? », Outre-Terre, nº 3, vol. 20, 2007, p. 253-262, [en ligne]
URL : http://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2007-3-page-253.htm DOI : 10.3917/
oute.020.0253 [consulté le 23 septembre 2016].
18. I. Mandraud, « Les Berbères n’excluent pas de réclamer l’indépendance », Le Monde,
13/12/2013, [en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/libye/article/2013/12/03/les-berberes-n-
excluent-pas-de-reclamer-l-independance_3524725_1496980.html#aq7yADT5GRLMAavF.99
[consulté le 16 octobre 2016].
19. T. Friel, « Berbers can no longer be suppressed in Libya », 28/10/2012, [en ligne] URL : http://
www.thenational.ae/news/world/middle-east/berbers-can-no-longer-be-suppressed-in-libya
[consulté le 23 septembre 2016].
20. Information fournie par Mazigh Bouzakhar, que l’auteur tient ici à remercier.
21. Constitué à huis clos le 27 février 2011, dix jours après les premières manifestations à
Benghazi, c’est le CNT qui persuada le Conseil de sécurité des Nations Unies d’adopter la
résolution 1973, permettant à l’OTAN d’intervenir en Libye. La célérité avec laquelle il a été
constitué s’expliquerait par les conversations périodiques établies à partir de 2005 entre des
membres du Congrès mondial amazigh, la Ligue libyenne des droits de l’homme, le Front de salut
national libyen et l’Union constitutionnelle libyenne. Sous la bannière de la « Conférence
nationale pour l’opposition libyenne », ils créent alors une feuille de route devant permettre
l’instauration d’institutions démocratiques en Libye. Cf. A. Moreau, « Six ans avant comment les
Berbères libyens préparaient la chute de Kadhafi », Apache/Inhoud heerst, 22/07/2013, [en ligne]
URL : https://www.apache.be/fr/2013/07/22/six-ans-avant-comment-les-berberes-libyens-
preparaient-la-chute-de-kadhafi-1/ [consulté le 15 septembre 2016].
22. L. Bouyaakoubi, « “Libye libyenne” ou “Libye arabo-musulmane” ? Les prémices d’une “crise
berbère” », Amazigh World, [en ligne] URL : http://www.amazighworld.org/human_rights/
index_show.php?id=2597 [consulté le 12 janvier 2017].
23. Cf. S. Chaker et M. Ferkal, « Berbères de Libye : un paramètre méconnu, une irruption
politique inattendue ».
24. Plusieurs sites amazighs libyens vont surgir, tels Nefusa Mountain Media Group, Libya Al Hurra
TV et Imazighen Libya Youtube. Cf. Merolla et Daharaoui, infra.
25. Y. Plantade, « A propos de “Voix berbères” », Le Monde, 29/09/11, [en ligne] URL : http://
amazigh.blog.lemonde.fr/a-propos/ [consulté le 10 septembre 2016].
26. Ibid.
27. Masin, « Pour le mouvement amazigh, la Libye est un Etat laïc qui ne peut exister sans
tamazight », Tamazgha, 30/08/2011, [en ligne] URL : http://www.tamazgha.fr/Pour-le-
mouvement-amazigh-la-Libye.html [consulté le 12 septembre 2016].
28. K. Zurutuza, « Libya’s Berbers feel rejected by transitional government », Interview, Tripoli,
Libya Deutsche Welle, 08/11/2011, [en ligne] URL : http://www.dw.com/en/libyas-berbers-feel-
rejected-by-transitional-government/a-15515687 [consulté le 12 septembre 2016]. Y. Plantade,
« A Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle ».
29. Comme le rappelle Fathi Benkhalifa, « la notion que les Libyens peuvent être différents et
unis à la fois est très difficile à faire passer dans un pays qui émerge de décennies de politique
unanimiste ». Cité par Y. Plantade, idem.
30. Fathi Terbil, ministre de la Jeunesse et des Sports, accuse les Berbères d’être « une menace
pour l’arabité de la Libye ». « Minorités : les Berbères, nouvelle force politique », Courrier
175

international, 14/08/2012, [en ligne] URL : http://www.courrierinternational.com/


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31. D. Le Saout, « Printemps arabe, printemps amazigh : un printemps peut en cacher un autre »,
Amazighnews, 2011, [en ligne] URL : www.amazighnews.net/20111027625/Printemps-arabe-
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33. S. Haddad, « Insécurité, exclusion et blocage politiques dans une Libye fragmentée », L’Année
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34. M. Ferkal, « Libye : l’amazighité n’est pas à négocier. Entretien avec Chabane Bousetta,
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35. M. Verdier, « La colère des Berbères de Libye et du Maroc », La Croix, 13/8/2013, [en ligne]
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Maroc-2013-08-13-997745 [consulté le 15 décembre 2016].
36. Cf. S. Haddad, « Insécurité, exclusion et blocage politiques dans une Libye fragmentée ».
37. Y. Sawani, J. Pack, « Libyan constitutionality and sovereignty post Qadhafi: the Islamist,
regionalist, and Amazigh challenges », The Journal of North African Studies, 18/4, 2013, p. 523-543.
38. Masin, « Amazighs de Libye : une voix sans écho », tamazgha.fr., 15 avril 2016, http://
tamazgha.fr/Amazighs-de-Libye-une-voix-sans.html [consulté le 14 septembre 2016]. Une
délégation de représentants amazighs avait pourtant été reçue par des fonctionnaires onusiens le
5 septembre 2012 à Tripoli pour leur transmettre leur détermination à voir la reconnaissance
officielle de la langue amazighe en Libye. Masin, « Un tournant dans le combat amazigh en
Libye », tamazgha.fr, 6 janvier 2013, http://tamazgha.fr/Un-tournant-dans-le-combat-
amazigh.html. Les dirigeants du HCAL ont été élus lors d’un scrutin qui a été organisé au cours du
mois d’août 2015 dans plusieurs localités ayant une part importante de population
amazighophone (Wazzen, Nalut, Kabaw, Tamzin, Jadu, Qala, Yefern, Zwara et Tripoli). Abed,
« Libyan Amazigh elect Supreme Council members », Libya Observer, 30 août 2015, [en ligne] URL :
https://www.libyaobserver.ly/news/libyan-amazigh-elect-supreme-council-members [consulté
le 16 septembre 2016].
39. H. Saliby, « Libye. Le gouvernement d’union autoproclame sa légitimité », Courrier
international, 14/03/2016, [en ligne] URL : http://www.courrierinternational.com/article/libye-
le-gouvernement-dunion-autoproclame-sa-legitimite [consulté le 15 octobre 2016].
40. Cf. A. Suárez Collado, El Movimiento amazigh en el Rif : identidad, cultura y política en las provincias
de Nador y Alhucemas, p. 956-959.
41. R. Backmann, « Le chaos libyen cache un enchevêtrement de solides intérêts », Mediapart, 10
mai 2015, https://www.mediapart.fr/journal/international/100515/le-chaos-libyen-cache-un-
enchevetrement-de-solides-interets?page_article=3 [consulté 10 septembre 2016].
42. J. Pearson, « Libye : les divisions internes jouent en faveur de Daech », The National-Abou Dhabi
, Courrier international, 12/04/2016, [en ligne] URL : http://www.courrierinternational.com/
article/libye-les-divisions-internes-jouent-en-faveur-de-daech [consulté le 15 octobre 2016]. H.
Saliby, « Libye : Daech à la dérive à Syrte », Courrier international, 13/09/2016, [en ligne] URL :
http://www.courrierinternational.com/article/libye-daech-la-derive-syrte [consulté le 15
octobre 2016].
43. On renvoie entre autres à F. Dubessy, « Le pétrole libyen refait surface », Econostrum info, 24
août 2011, [en ligne] URL : http://www.econostrum.info/Le-petrole-libyen-refait-
surface_a6521.html [consulté le 12 septembre 2016].
176

44. C. Geha, F. Volpi, « Constitutionalism and political order in Libya 2011-2014: three myths
about the past and a new constitution », The Journal of North African Studies, 21/4, 2016, p. 687-706,
DOI: 10.1080/13629387.2016.1165097.
45. Y. Sawani, J. Pack, « Libyan constitutionality and sovereignty post Qadhafi: the Islamist,
regionalist and Amazigh challenges ».
46. M. Galtier, « Libye : les kadhafistes préparent leur retour », Middle East Eye, Londres, Courrier
international, le 05/12/2016, [en ligne] URL : http://www.courrierinternational.com/article/libye-
les-kadhafistes-preparent-leur-retour, [consulté le 15 décembre 2016].
47. F. Bobin, « A Zouara, la révolution silencieuse des Berbères libyens », Le Monde, 19/10/2016,
[en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/19/a-zouara-la-revolution-
silencieuse-des-berberes-libyens_5016255_3212.html#pHDz7lXylzMpHzx3.99 [consulté le 20
octobre 2017].
48. M. Galtier, « À Zouara, les Libyens édictent leurs propres lois », Libération, 7 avril 2016, http://
www.liberation.fr/planete/2016/04/07a-zouara-les lybiens-edictent-leurs-propres-lois_1444685
[consulté le 15 octobre 2016].
49. Masin, « Un tournant dans le combat amazigh en Libye », doc. cit. [consulté le 22 septembre
2016].
50. E. Alamasude, M. Buzakhar, « From failed state to regional autonomy : Amazigh self-
determination in Libya », nationalia.info, 14/04/2016, http://www.nationalia.info/opinion/10760/
from-failed-state-to-regional-autonomy-amazigh-self-determination-in-libya [consulté 14
septembre 2016]. Des combattants amazighs ont occupé le complexe gazier de Mellitah pendant
plusieurs jours à partir du 26 octobre 2013. Celui-ci est exploité par une société libyenne (NOC) et
un pétrolier italien (ENI). Ils sont allés jusqu’à couper l’alimentation vers l’Italie durant vingt-
quatre heures le 6 novembre 2013 dans une tentative visant à forcer le CGN à réviser l’article 30
du projet constitutionnel. Pour les combattants, il s’agissait là d’un signal fort donné aux
autorités libyennes de transition qui restera, cependant, sans suite. Masin, « Amazighs de Libye :
être ou ne pas être », tamazgha.fr, 9 novembre 2013, [en ligne] URL : http://tamazgha.fr/
Amazighs-de-Libye-le-pire-est-a.html [consulté le 17 septembre 2016].
51. V. Stocker, « En Libye, la guerre oubliée des Touaregs et des Toubous », Orient XXI,
28/09/2015, [en ligne] URL : http://orientxxi.info/magazine/en-libye-la-guerre-oubliee-des-
touaregs-et-des-toubous,1030, [consulté le 15 avril 2016].
52. R. Amokrane, « L’armée amazighe libyenne défile à Adrar N’fousa ! », Tamurt, 1 er mars 2017,
[en ligne] URL : http://www.tamurt.info/larmee-amazighe-libyenne-defile-adrar-nfousa/
[consulté le 2 mars 2017].
53. « Tamazight décrété langue officielle en Libye », Kabylie-news, 23 février 2017, [en ligne] URL :
http://kabylie-news.observalgerie.com/actualite/politique/tamazight-decretee-langue-
officielle-libye/ [consulté le 2 mars 2017].

AUTEUR
THIERRY DESRUES
Chargé de recherche du Consejo superior de investigaciones cientificas (CSIC) à l’Instituto de
estudios sociales avanzados (IESA) de Cordoue (Espagne). Chercheur associé de l’Institut de
recherche et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence et du
177

Centre Jacques-Berque pour les sciences humaines et sociales au Maroc à Rabat ; ses travaux
portent sur les régimes politiques, l’action associative (pour le développement local, de groupes
d’intérêts sectoriels, de plaidoyer, contestataire), les mouvements identitaires (islamistes,
amazighes), les cadets sociaux (jeunes, femmes) et le changement social au Maghreb ainsi que le
racisme et la xénophobie en Espagne.
178

IV. L’amazighité et le militantisme


transnational : actions collectives et
actions connectives des régions
d’origine aux diasporas
179

L’activisme de la diaspora amazighe


en Espagne : opportunités et limites
pour une action continue
Ángela Suárez Collado

1 L’évolution de l’activisme amazigh en Afrique du Nord est étroitement liée à la diaspora


amazighe en Europe. Cette dernière a joué un rôle important dans le processus de
construction de réseaux transnationaux d’appui et de solidarité avec la cause amazighe.
Elle a ainsi constitué une source de diffusion de nouvelles formes de représentation de
l’identité et de défense de la diversité ethno-linguistique. Le militantisme au sein des pays
nord-africains et de la diaspora est indissociable d’une dynamique de rétro-alimentation
et d’influence mutuelle entre ces deux milieux. L’activisme de la diaspora amazighe a été
marqué par les processus de construction identitaire et les mobilisations qui ont eu lieu
dans ses territoires d’origine, tout en contribuant en même temps à leur développement.
2 La diaspora amazighe en Europe compte environ deux millions de personnes d’après le
parlement européen1 et quelque quatre millions selon les estimations réalisées par des
organisations amazighes2. Elle est concentrée principalement en Europe continentale
occidentale de la Scandinavie à l’Espagne (France, Hollande, Allemagne, Belgique,
Espagne, Italie et les pays scandinaves). Dans le cas de l’Espagne, la population amazighe
est majoritairement d’origine marocaine et provient principalement de la région du Rif,
au nord du Maroc. Bien que la taille de cette population soit importante en Espagne3, tout
comme dans la plupart des pays, il s’avère très difficile de déterminer le nombre exact de
résidents d’origine amazighe. En effet, les institutions et les organismes officiels ne
rangent pas ces derniers dans une catégorie spécifique mais les classent dans d’autres
catégories telles que le pays d’origine, la religion ou la langue officielle de leur territoire
de provenance (généralement l’arabe). Cette absence de reconnaissance est à l’origine de
l’activité et des actions entreprises par les associations, les groupes et les activistes
amazighes en Espagne, que ceux-ci combinent avec un engagement comme porte-parole
des revendications des militants amazighs dans leurs territoires d’origine.
3 En Espagne, les premières organisations amazighes datent de la fin des années 70 et sont
étroitement liées aux activités et aux intérêts culturels de certains groupes d’étudiants
180

universitaires à Madrid provenant du Rif. Cependant, ce n’est qu’au milieu des années 90
que la tenue d’événements liés à la culture et à la langue amazighe acquiert une certaine
continuité. Et il faudra encore attendre le début des années 2000 pour que des
associations, se définissant spécifiquement comme amazighes, apparaissent à divers
endroits du pays. Depuis lors, leurs activités ainsi que la nature de leurs revendications
ont évolué sous l’influence de trois facteurs fondamentaux : le contexte historique et les
particularités du système politique espagnol ; l’évolution de la question amazighe en
Afrique du Nord ; les changements ayant eu lieu dans les dynamiques migratoires et à
l’intérieur de la propre communauté amazighe en Espagne.
4 Cet article analyse l’évolution de l’activisme amazighe en Espagne, des premières
initiatives entreprises en 1970 jusqu’à nos jours, en tenant compte des dimensions
suivantes : les transformations de la structure organisationnelle ; la typologie des
acteurs ; les dynamiques de mobilisation ; les activités et le degré d’institutionnalisation
atteint. Dans une première partie, on propose une approche globale des instruments
d’analyse employés pour examiner la nature et les caractéristiques de l’activisme de la
diaspora amazighe et l’interrelation de celui-ci avec le contexte du pays d’accueil, les
processus de changement expérimentés dans les pays d’origine et les transformations
internes du groupe. Dans une deuxième partie, on aborde l’évolution de l’activisme
amazighe au cours de trois périodes : les années 70 à Madrid ; les années 90 ; les années
2000.
5 Le corpus de la recherche est composé d’un total de vingt-deux entretiens semi-
structurés en profondeur, réalisés au cours de deux périodes différentes : avril 2008 - 
octobre 2011 et octobre 2013 - janvier 2014, auprès d’activistes de la cause amazighe à
Madrid, en Catalogne et au Pays basque. Parallèlement, des sessions d’observation
participante ont été réalisées entre 2008 et 2014 durant des manifestations, des réunions,
des conférences et des célébrations organisées par les associations amazighes dans ces
régions d’observation. D’autres matériels tels que la presse écrite et des articles en ligne,
des documents produits par des associations, des militants et des intellectuels liés à la
cause amazighe ont été analysés. Enfin, on a suivi des groupes et des communautés
Facebook, des forums de discussion et des sites web concernant l’activisme amazighe en
Europe et en Afrique du Nord.

L’agenda politique des diasporas : interactions entre


l’activisme immigré et la mobilisation transnationale
6 Au cours des dernières décennies, le terme diaspora a suscité de nombreux débats au sein
des sciences sociales et humaines. Il a donné lieu à un nombre important de publications
où l’on questionne non seulement la multiplicité des significations qui lui sont attribuées,
mais aussi ses traits caractéristiques et ses dynamiques internes. Malgré les dissensions
existantes autour de sa conceptualisation4, le terme diaspora demeure pertinent
lorsqu’on analyse la nature changeante des flux migratoires ou les diverses manières dont
les identités sont construites « d’en bas », « en mouvement » et à partir d’un « niveau
multi-local ». Il en est de même lorsqu’on s’intéresse au rôle que les migrants peuvent
avoir dans les structures de gouvernance dans la société globale actuelle5.
7 Dans cet article, on a retenu le terme « diaspora » pour parler des populations d’origine
migrante qui se trouvent dispersées entre deux – ou plusieurs – destinations et qui
181

établissent de multiples connexions et échanges entre les pays d’origine et les pays où
elles se sont établies ou par lesquels elles transitent6. Quand on aborde les diasporas, on
considère aussi bien le pays d’accueil que le pays ou le territoire d’origine, le système de
relations établi entre les deux pôles et l’espace global. L’activité de ces populations doit
donc être analysée d’un double point de vue : d’une part, leurs politiques en tant
qu’immigrants (immigrant politics), c’est-à-dire les actions ayant pour objectif d’améliorer
leurs droits et leurs conditions sociales, économiques et politiques dans le pays d’accueil,
d’autre part, les politiques envers la patrie (homeland politics), qui concernent les activités
transnationales entreprises par rapport aux questions de politique domestique ou
extérieure du pays d’origine7. Ces deux agendas politiques, selon Østergaard-Nielsen8,
n’opèrent pas nécessairement de manière indépendante. Ils peuvent se superposer et,
parfois même, se renforcer.
8 La forme et l’étendue des deux types d’agenda ainsi que la sphère d’influence des
diasporas sont déterminées par plusieurs facteurs : la structure d’opportunité au niveau
local et global, la composition du groupe diasporique ainsi que certains micro-éléments
comme les réseaux sociaux et l’implication personnelle de certains acteurs locaux et de la
diaspora. En premier lieu, la structure d’opportunité – déployée aussi bien au niveau local
que globalement9 – comprend dans le cas du pays d’accueil non seulement son contexte
économique, politique et social, mais aussi ses conditions structurelles et son ambiance
normative, administrative et législative10. C’est ainsi qu’on a observé que les groupes
d’immigrants sont organisés autour de divers clivages (cleavages), que leurs demandes
sont diversifiées et qu’ils font appel à des stratégies qui diffèrent en fonction des canaux
de participation disponibles dans le pays d’accueil. Ces divers facteurs sont d’autant plus
importants qu’ils configurent la principale structure ou le contexte dans lequel ils sont
socialisés et le principal interlocuteur avec lequel ils négocient leurs identités11. Les
modèles d’inclusion politique de chaque État représentent le cadre de référence dominant
pour l’activisme des groupes immigrants et la base sur laquelle les États de résidence
élaborent leurs politiques (re)distributives envers ces populations12. Par conséquent, la
structure d’opportunité politique dans l’État d’accueil constitue un des facteurs
expliquant la raison pour laquelle les actions de plusieurs groupes originaires d’un même
pays prennent des chemins différents selon le pays où ils s’établissent 13. Dans le cas de
l’Espagne, ce facteur revêt un intérêt particulier, étant donné l’organisation politique de
l’État et l’existence de tensions au sein de certains groupes nationaux (basques, catalans) ;
cela a amené la diaspora amazighe à adopter différents modèles de participation et de
représentation dans la sphère publique ainsi que divers modèles de coopération avec les
institutions et les sociétés locales, conformément aux processus d’intégration des
immigrants et à l’intérêt porté par chaque gouvernement régional aux minorités
ethniques et à la diversité culturelle. La combinaison de ces facteurs a donné lieu à divers
niveaux d’institutionnalisation de la cause amazighe. Celle-ci peut être envisagée selon la
triple perspective suivante : l’incorporation des demandes formulées par les groupes
diasporiques dans l’agenda politique du gouvernement des territoires de résidence ;
l’utilisation des catégories propagées par l’activisme amazighe de la part des organismes
gouvernementaux ; la participation ou la collaboration des organisations de la diaspora
amazighe avec d’autres organisations sociopolitiques locales. C’est ainsi que l’on a pu
observer que les organisations amazighes de Catalogne et du Pays basque ont établi une
relation d’interlocution et de coopération plus étroite avec les autorités et les institutions
locales que les associations existantes dans d’autres régions du pays. L’ampleur de ces
liens constatée au cours des dernières années concerne les aspects suivants : le soutien
182

politique et économique à la cause, l’assistance et le patronage de rencontres et de


célébrations organisées par des organisations amazighes aux niveaux local et
international ; le soutien et la promotion de politiques et d’initiatives de reconnaissance
du peuple amazigh à l’intérieur et à l’extérieur du contexte diasporique ; la création
d’institutions de soutien et de diffusion de la culture amazighe.
9 La structure d’opportunité peut nuire ou se répercuter sur l’agenda des diasporas. Elle est
également influencée par la situation politique globale. Dans le cas de la diaspora
amazighe, plusieurs événements sont intervenus dans la redéfinition de son agenda : les
mouvements sociaux à caractère identitaire en Europe et en Amérique du Nord dans les
années 60 et 70, l’effervescence culturelle de cette période‑là ; les processus de
démocratisation en Europe de l’Est vers la fin des années 80 ; la consolidation des agences
multilatérales de développement et des organisations internationales non
gouvernementales centrées sur des projets pro-indigènes ; et, plus récemment, le
renforcement des nationalismes infra-étatiques en Europe.
10 D’autres facteurs fondamentaux à prendre en compte lorsque l’on analyse le rôle et
l’organisation des diasporas aux niveaux local, national et global concernent la
composition de la diaspora, les structures internes et les dynamiques de pouvoir dans la
communauté elle-même14. Généralement, les diasporas traversent différentes phases et
revêtent diverses formes15. Cette question est particulièrement pertinente, comme
l’indique Vertovec16, dans le cas des groupes migrants à des moments historiques
différents. C’est pour cela que les groupes diasporiques agissent rarement d’une seule
voix ; ils apparaissent plutôt comme un phénomène complexe qui peut parfois être perçu
comme une diaspora des diasporas17. Partant, la diaspora amazighe en Espagne n’est pas à
l’abri de conflits intra-groupes favorisés par la présence d’activistes qui, étant arrivés
dans le pays à des moments et dans des contextes historiques différents, ont reçu une
socialisation militante marquée par un effet de période qui se reflète aussi bien dans les
discours d’identité que dans le répertoire des demandes et leurs agendas politiques.
11 Au sein de la diaspora amazighe, aussi bien en Espagne qu’ailleurs18, on retrouve les
quatre prototypes de membres décrits par Pasura19 : les membres visibles, c’est-à-dire les
membres de la diaspora les plus actifs dans la sphère publique, soit dans les actions de
protestation soit dans les associations ; les membres épistémiques – ou « cyber-activistes » –
dont l’implication et l’engagement avec la cause amazighe se déploient principalement
dans les espaces en ligne (online) ; les membres inactifs, dont la passivité ou le manque
d’implication pourraient s’expliquer par des causes liées à l’illégalité (sans papiers),
l’insécurité (crainte d’éventuels problèmes avec les autorités ou avec les institutions du
pays d’origine) ou biographiques (charges de travail ou familiales) et les membres
silencieux, qui peuvent être considérés aussi comme des non-membres, soit parce qu’ils ne
se considèrent pas amazighes et adoptent plutôt des identités alternatives – normalement
fondées sur l’élément religieux –, soit parce qu’ils sont totalement assimilés.
12 Bien que Pasura ait établi cette typologie fondée sur quatre catégories indépendantes
sans établir des dynamiques de connexion entre elles, dans mes études sur la diaspora
amazighe tant en Espagne que dans d’autres pays européens j’ai pu observer l’existence
d’une relation fluide entre elles20. D’une part, les membres visibles sont généralement aussi
des membres épistémiques – dans le cas des leaders associatifs en particulier – étant donné
la toute-puissance d’Internet comme outil de mobilisation, de communication et
d’information21, et pour renforcer le processus de construction du cadre identitaire du
groupe et consolider la confiance entre ses membres et les mobiliser offline 22. D’autre part,
183

Internet constitue aussi un espace dans lequel les membres épistémiques peuvent négocier
leur identité et maintenir les liens psychologiques avec l’identité culturelle de leurs
territoires d’origine23. Cette question est particulièrement importante dans le cas des plus
jeunes générations qui trouvent parfois grâce à Internet la manière de maintenir les liens
avec leurs territoires d’origine et d’exprimer simultanément leurs identités hybrides24.
Parfois, le réseau constitue aussi un espace de pouvoir à travers lequel les générations les
plus jeunes s’autonomisent et peuvent se déplacer jusqu’à des espaces offline et s’intégrer
dans le groupe des membres visibles25. L’importance et la notoriété de chaque catégorie
d’affiliation à l’intérieur de la diaspora ont changé au fur et à mesure que l’activisme
amazighe dans la diaspora a évolué dans les pays d’accueil.
13 Finalement, d’autres éléments de nature micro, tels que la répercussion d’événements
constitutifs, les accidents et les continuités biographiques ainsi que le rôle de certains
acteurs, contribuent à la forme et à l’extension de l’activisme immigrant et diasporique,
encourageant l’adoption de nouvelles demandes et d’alliances, l’introduction de
variations dans le discours ou la construction de certaines chaînes transnationales (
transnational brokerage)26. Dans cette optique, à l’intérieur de la diaspora amazighe, les
réseaux – aussi bien les formels que les informels – ont eu une grande importance dans
les campagnes de mobilisation ainsi que dans les processus de micro-mobilisation. Le
contact et la connaissance personnelle préalables ont été le moteur de l’incorporation des
deuxièmes générations et des nouveaux immigrants aux associations amazighes créées au
sein de la diaspora, ainsi que la base de certaines pratiques transnationales, en particulier
celles ayant supposé un rapprochement entre les activistes amazighes résidant dans les
pays nord-africains et les autorités et les institutions espagnoles. De même, l’implication
personnelle de certains acteurs – aussi bien des politiciens que des activistes de la société
d’accueil, que des personnalités ou des leaders activistes de la diaspora – a été décisive
quand il a été question de lancer certaines initiatives, de créer et de maintenir certaines
structures d’organisation ou d’introduire et de promouvoir de nouveaux registres de
revendication au sein de l’activisme amazighe.

L’évolution de l’activisme de la diaspora amazighe en


Espagne et sa répercussion sur les sphères sociale et
politique du pays d’accueil et les territoires d’origine
14 La tendance générale en Espagne et dans le reste des pays européens a été d’identifier la
population amazighe comme partie intégrante des communautés immigrantes du Nord de
l’Afrique – aussi bien au niveau institutionnel que social. Ces pays ne leur ont pas accordé
un caractère spécifique, les assimilant culturellement et linguistiquement aux
communautés arabes originaires des pays maghrébins. La diaspora amazighe a essayé de
mettre fin à cette tendance. Elle a pris diverses initiatives, principalement au moyen
d’associations locales, qui ont généralement suivi les modèles d’organisation régionale
selon leurs territoires d’origine. Cette tendance s’insère dans les modèles de groupement
créés par les chaînes migratoires, de manière à ce que des individus ou des familles
provenant de la même région ou du même village tendent à se regrouper dans les mêmes
localités dans le pays d’accueil. Ces schémas de regroupement subsistent dans les
processus de configuration des associations ; il n’est pas surprenant alors que les
immigrants d’une même association partagent la même culture régionale27. La diaspora
amazighe en Espagne a été organisée selon cette tendance, de sorte que la plupart des
184

associations – voire la totalité – sont généralement composées de personnes originaires


de la même région, soit le Rif – comme l'association Tamazgha de Madrid –, soit l’Atlas –
telle l’association Tamazgha-Catalunya TAMCAT – ou le Sousse – comme Cornellà sans
Frontières.
15 Les associations jouent un rôle fondamental dans les diasporas parce qu’elles fournissent
des espaces où la mémoire collective et la conscience identitaire peuvent s’exprimer et
être retenues plus facilement28. Dans le cas de la diaspora amazighe, les associations ont
été les principales responsables de l’organisation d’activités concernant leur culture, leur
langue, leurs coutumes et leur histoire à travers des cours, des conférences et des
festivals. La célébration de ce genre d’événements a constitué non seulement un outil
contribuant au renforcement communautaire, mais aussi un acte politique pour
revendiquer leur identité dans les contextes d’accueil. Ainsi, les groupes musicaux et
artistiques amazighes dans la diaspora, comme Twattun et Rumba Amaziga en Catalogne,
Akian à Madrid ou Ithri Moraima à Melilla, ont joué un rôle tout aussi important dans la
diffusion de la culture amazighe que dans la construction de relations entre les
organisations amazighes actives dans la diaspora. Parallèlement à ces activités, d’autres
actions ont été organisées qui vont des protestations de rue aux manifestations et aux
concentrations, généralement en réponse à la situation sociale et politique des
populations amazighes dans le nord de l’Afrique, tout en menant en même temps un
travail de défense et de lobbying de la cause amazighe auprès des partis politiques et de la
société civile locale.
16 L’activisme de la diaspora amazighe en Espagne et en Europe en général a expérimenté
les trois phases décrites par Pennix et Schrover29 dans leur analyse de l’associationnisme
immigrant30. Selon ces auteurs, il existe une première phase durant laquelle les
immigrants fondent des organisations tournées principalement vers leur pays d’origine,
une deuxième durant laquelle les organisations soutiennent les infrastructures naissantes
de la nouvelle communauté et une troisième qui est centrée sur les besoins les plus
spécifiques des immigrants de la deuxième génération. Dans le cas espagnol, cette
dernière phase n’est observable que dans les régions disposant d’une structure
d’opportunité favorable à la reconnaissance des particularités ethnoculturelles, c’est-à-
dire surtout en Catalogne. Ainsi, l’évolution de l’activisme de la diaspora amazighe en
Espagne permet de dégager trois phases durant lesquelles celui-ci a joué des rôles
diversifiés et eu différents niveaux de répercussion sur la société locale et celle d’origine.

La diaspora et les balbutiements de l’activisme


amazigh : le rôle des élites transnationales
17 L’activisme amazigh, aussi bien en Afrique du Nord que dans la diaspora, est né entre
1970 et le début des années 80. C’est à cette époque qu’apparaissent les premiers groupes
centrés sur la défense et sur la promotion de la langue et de la culture amazighes. Ils
surgissent autour d’un nombre restreint d’endroits : Rabat, Agadir et Nador dans le cas du
Maroc31 ; Alger et la Kabylie dans le cas de l’Algérie32 ; Paris et Madrid à l’extérieur.
18 Au cours de cette période, le rôle joué par la diaspora est capital pour deux raisons
fondamentales car elle contribue, d’une part, à la création d’associations amazighes dans
les territoires d’origine et, d’autre part, à la réhabilitation et à la reconstruction de la
culture et de la langue amazighes. Les étudiants résidant en Espagne au début des
185

années 70 joueront un rôle fondamental dans la réalisation de ces deux tâches dans la
mesure où ils encourageront l’activisme amazigh dans leur territoire d’origine, le Rif.
19 À cette époque au Maroc, plusieurs groupes d’étudiants universitaires organisaient des
activités culturelles dont le but était de promouvoir et récupérer ce que l’on appelait la « 
culture populaire33 » marocaine. Ils réagissaient au manque d’attention porté à la culture
et à la langue amazighes aussi bien au niveau institutionnel qu’à l’intérieur des
organisations auxquelles ils appartenaient, notamment le syndicat des étudiants, l’Union
nationale des étudiants marocains (UNEM), et certains groupes politiques de gauche
comme ceux du mouvement marxiste-léniniste marocain. Ces organisations étaient
marquées par une idéologie nationaliste arabe et révolutionnaire et par l’idéal de l’unité
arabe. La diversité ethnique ou culturelle du pays ne faisait pas partie de leurs principales
préoccupations34. Pour la jeunesse marocaine de l’époque, il était alors plus simple de
s’identifier politiquement comme progressiste ou révolutionnaire, dans la mesure où il
s’agissait d’idéologies représentant des valeurs positives, que de poser la question de l’
amazighité, qui pouvait être considérée comme quelque chose de rétrograde et populiste,
pouvant être associée à une tentative de récupération de la politique coloniale française,
ou comme un attentat à l’unité du pays35.
20 Or, tandis que le climat politique du Maroc ne favorisait pas un engagement de la
jeunesse en faveur de la défense de la langue et de la culture amazighes, la situation était
tout à fait différente pour les Amazighs de la diaspora. Durant les années 60 et 70, les
discours sur la diversité se sont renforcés dans les sphères académiques européennes et
nord-américaines qui voyaient grandir la présence des étudiants marocains36. Ces
derniers sont entrés en contact avec des mouvements régionalistes en expansion à
l’époque aux quatre coins du monde. C’est dans ce contexte que, par exemple, l’Académie
berbère est créée en 1967 à Paris par un groupe d’intellectuels kabyles qui cherchaient à
défendre les minorités ethniques et culturelles face aux tendances uniformisatrices de
certains États37 ainsi qu’à intégrer certains aspects idéologiques – comme la théorie du
colonialisme interne38, défendue aussi bien par le mouvement breton que par l’occitan, le
basque et le catalan – dans le discours identitaire de certains secteurs de la diaspora 39.
21 Durant cette première phase, l’activisme amazigh en Espagne est concentré à Madrid, où
des étudiants universitaires provenant du Rif essaient de trouver une réponse tant à leurs
inquiétudes artistiques et politiques qu’à leurs préoccupations identitaires stimulées par
le contexte de bouillonnement culturel et d’ouverture politique dans le pays au cours des
dernières années du franquisme (1939-1975) et des premières années de la transition
démocratique (1975-1978). D’une part, ces étudiants cherchent à s’aligner avec « des
originaires des autonomies de Catalogne et de Galice40 », dans le but de trouver des
cercles avec lesquels ils pourront partager des intérêts et des préoccupations similaires
et, d’autre part, créer des collectifs spécifiques pour pouvoir se distinguer clairement des
autres étudiants universitaires marocains présents à cette époque à Madrid. C’est dans ce
sens que furent entreprises des initiatives comme la formation du groupe musical Bereber
70 et la constitution de l'Association des Étudiants du Rif, indépendante de la section du
syndicat UNEM à Madrid41.
22 Malgré toutes ces actions, l’activité de la diaspora amazighe établie à Madrid s’est
fondamentalement centrée sur le développement d’un agenda politique pour la patrie (
homeland politics), et plus particulièrement sur la promotion et le développement de
l’activisme amazigh dans sa région d’origine. Ainsi, la diaspora contribua activement à la
création de la première association amazighe du Rif, Intilaka Atakafia, en 1978 dans la ville
186

de Nador. La mise en route de cette organisation résulta de la combinaison d’un contexte


politique oppresseur dans le territoire d’origine – dont les relations avec le pouvoir
central de l’État étaient perçues en termes d’inégalité, d’abandon et de répression – et de
la connaissance et de l’expérimentation directe d’un processus d’ouverture politique dans
le pays d’accueil. Cette situation aurait poussé cette élite universitaire amazighe à
transférer l’expérience d’ouverture qu’elle vivait dans le pays d’accueil vers sa région
d’origine, dans le but de mettre fin à la situation culturelle si précaire du Rif et d’essayer
de récupérer et de promouvoir la culture et la langue régionales.
« C’était l’année 1977, nous étions tous les deux assis dans le café Manila de la Gran
Vía. En Espagne, à cette époque, il y avait une effervescence authentique : le théâtre
d’avant-garde, la musique de protestation, Victor Jara… et nous nous demandions
pourquoi ne pas faire la même chose là-bas. Au cours de ce même été, en revenant
dans le Rif pour passer les vacances, nous nous sommes réunis pour préparer le
projet et nous l'avons lancé42. »
23 Le rôle de la diaspora a eu une importance notoire au cours des années d’activité de
l’association Intilaka Atakafia dans le Rif, aussi bien dans le domaine économique que dans
le domaine linguistique et culturel. Tout d’abord, la diaspora établie non seulement en
Espagne, mais aussi en Hollande, en Allemagne, en France et en Belgique, a pourvu une
grande partie du soutien financier que l’association a reçue pour mener ses activités 43. En
deuxième lieu, elle contribue également à la reconstruction de la langue amazighe, à la
récupération et à la compilation de la tradition orale et à la promotion littéraire en
amazigh, un travail qui se développa principalement à travers le « Groupe de travail de
Madrid ». Il s’agit d’un groupe d’études linguistiques créé en 1973 par des étudiants de
Melilla, Nador et Al Hoceima44, constitué dans le seul but de mener à bien une
standardisation de la langue amazighe du Rif, le tarifit, et d’éviter sa disparition. Pour ce
faire, celui-ci adopta l’alphabet latin – laissant de côté le tifinagh qui n’était pas considéré
comme un alphabet moderne pouvant s’adapter aux besoins qu’impliquait la
récupération de la langue du Rif. Il créa des règles de grammaire et de transcription qui
permirent l’élaboration d’un dictionnaire de la langue rifaine45.
24 La plupart des étudiants amazighs qui, au long des années 70, s’engagèrent dans cet
activisme transnational entre Madrid et le Rif retournèrent, une fois leurs études
achevées, dans leur région d’origine où ils continuèrent à militer dans l’association
Intilaka Atakafia. Après ce départ des étudiants, les activités de promotion de la culture
amazighe en Espagne disparurent. Un phénomène semblable allait se passer quelques
années plus tard dans l’ensemble du Maroc, sous les effets de la répression politique
menée par les autorités.
25 Cependant, à partir du début des années 9046 commence une période d’ouverture
politique plus favorable à la reprise de l’activisme amazigh dans le pays d’origine. Cette
reprise aura des effets dans la diaspora, qui se trouvera renforcée, d’une part, par
l’arrivée de nouvelles générations d’Amazighs et, d’autre part, par l’ouverture d’un
nouveau contexte favorisant la prise en compte de la question amazighe par les pouvoirs
et les institutions du pays d’accueil.
187

L’activisme amazigh dans la diaspora des années


quatre-vingt-dix : nouvelle époque, nouvelles
opportunités
26 À partir de la fin des années 80, la résurgence de l’amazighité se fonde sur un activisme
politique issu d’un nouvel associationnisme présent aussi bien en Afrique du Nord qu’en
Europe. D’une part, en 1988 l’État algérien commença à permettre la constitution légale
d’associations amazighes47 après une période de fortes tensions entre le pouvoir central
et la région de la Kabylie qui remontait au Printemps amazigh (1980). D’autre part, à
partir du début des années 90, la détente politique marocaine permit la signature de la
Charte d’Agadir (1991) 48, un texte revendicatif qui encouragea non seulement l’apparition
de nouvelles associations mais aussi l’adoption par l’État de certaines mesures destinées à
normaliser la situation de la langue amazighe dans la vie publique du pays49.
27 Ce renforcement de l’activisme amazigh dans l’espace maghrébin eut aussi son pendant
dans la sphère internationale. Un réseau transnational d’appui se construisit au cours des
années 90 à partir de la participation de certains militants aux forums internationaux –
comme la Conférence internationale des Nations Unies sur les droits humains de l’année
1993 et le Groupe de travail des Nations Unies pour les peuples indigènes – et la création
du Congrès mondial amazigh (1995), dont la première assemblée générale eut lieu à Tafira
(îles Canaries) en août 1997.
28 Le dynamisme qu’a connu la cause amazighe au cours des années 90 a exercé une
importante influence sur la diaspora, encourageant certains de ses membres à contribuer
à cette renaissance à l’intérieur du contexte migratoire. Durant cette période, les
principaux promoteurs de l’activisme amazigh en Espagne furent le milieu universitaire
et le travail individuel de quelques activistes qui cherchèrent, d’un côté, à capter l’intérêt
de la population et des institutions locales sur la question amazighe et, d’un autre côté, à
consolider une structure organisationnelle à l’intérieur de l’associationnisme immigrant.
La mise en œuvre de ces initiatives a été favorisée par trois facteurs : le contexte politique
et culturel du moment en Espagne, et plus particulièrement le processus de rédaction du
Statut d’autonomie de Melilla qui introduit le débat politique autour de l’enseignement
du tamazight ; l’augmentation de l’émigration amazighe vers l’Espagne ; et l’arrivée de
nouveaux militants et, finalement, l’intérêt des organisations et des institutions
politiques, sociales et éducatives locales envers la cause amazighe.
29 Dans ce contexte, en octobre 1992 surgit le Collectif de documentation et des études
amazighes, fondé par Rachid Raha alors étudiant universitaire à Grenade. La création de
ce collectif a été motivée par les critiques que certains secteurs de la société civile
exprimèrent envers les commémorations de la découverte des Amériques. Ils reprochent
à la Commission nationale du Ve Centenaire, qui a en charge les festivités d’avoir tenu
compte du passé juif et arabe mais d'avoir laissé de côté la présence amazighe à l’époque
dans la péninsule. Cette absence révélerait ainsi la méconnaissance et le non-dit de
l’héritage amazigh50. Diverses activités destinées à combler ce vide et à revendiquer
l’importance de la préservation et de la diffusion de la culture amazighe en Espagne
furent organisées par ce collectif dans plusieurs villes51. C’est dans ce contexte que surgit,
pour la première fois, la demande de la création d’un Centre d’études amazighes (CEA)
dans la ville de Melilla52, au moment où la rédaction du Statut d’autonomie met en
188

évidence l’existence d’une population amazighe dans le pays. Ainsi, durant les années
préalables à son approbation, l’inclusion du tamazight comme langue co-officielle et
maternelle des musulmans de Melilla constitua une des questions centrales du débat
politique local. La Gauche Unie (IU) de Melilla et certaines associations amazighes nées
dans ce contexte, comme l’Association des amis du Tamazight (1994), l’Association
culturelle Zarifaslit (1994) ou encore le Collectif de documentation et des études
Amazighes, dont le fondateur était originaire de Melilla, sont les promoteurs de ce débat.
30 Un des principaux arguments de la campagne en faveur de la co-officialité de cette langue
reposait sur des études et des rapports qui avaient repéré les problèmes d’échec scolaire
au sein de la population musulmane et les avaient attribués au manque d’attention
institutionnelle envers la langue maternelle de cette partie de la population de Melilla53.
Le statut fut approuvé en mars 1995 et, bien qu’il n’ait finalement reconnu que la « 
pluralité culturelle et linguistique » de Melilla, cela servit à lancer la création d’un réseau
de soutien local à la question amazighe – constitué non seulement d’associations
spécifiquement amazighes mais aussi d’organisations politiques locales et d’organisations
religieuses54 –, à la mise en route de certaines initiatives par les pouvoirs publics locaux –
telles la création du « Séminaire permanent de la culture tamazight » en 1995 et la
création de la « Bibliothèque amazighe » dans le Service des publications de la ville
autonome en 1998 – sans oublier d’autres expériences plus éphémères55.
31 Le statut marqua aussi le point de départ de certains engagements politiques, comme la
promotion de l’inclusion du tamazight dans l’inventaire des langues européennes
qu’allait réaliser la Commission de la culture du parlement européen56, et de la
sensibilisation accrue de certains partis politiques parlementaires – particulièrement le
Parti nationaliste basque (PNV) et Convergència i Unió (CiU)57 – envers la question
amazighe.
32 À partir de la seconde moitié des années 90, l’université devient un autre espace de
prédilection pour la langue et la culture amazighes à travers l’organisation de cours de
tamazight58 et de séminaires spécifiques sur ces questions 59. De même, de nouvelles
études vont être menées et vont devenir des références, comme La Lengua rifeña de
Tilmatine, El Molghy, Castellanos et Banhakeia qui sera publiée en catalan (1995) et en
espagnol (1998). En 1996, pour la première fois en Espagne, l’enseignement de la langue
amazighe est introduit dans les études officielles de philologie de l’université de Cadix.
33 En ce qui concerne la structure de l’activisme amazigh au cours de cette période, elle se
caractérise principalement par le caractère personnalisé des associations existantes,
créées à partir d’initiatives individuelles des membres « visibles » de la diaspora. Cette
dynamique est à l’origine du surgissement d’organisations comme l’Association culturelle
amazighe créée en 1994 par Khalid Amzir à Bilbao60, l’Association de culture tamazight
(1995)61 et la Fondation méditerranéenne Montgomery Hart des études amazighes et du
Maghreb (1997)62, fondée par Rachid Raha à Grenade, et le Centre Mohamed Abdelkrim El
Khattabi d’études et de documentation (CADE), fondé à Barcelone par Mohamed El Hafi et
Souleiman El Morabit63. Le dynamisme de ces associations dépendait du niveau d’activité
de leurs fondateurs, de telle sorte que les leaders associatifs les plus actifs se sont
consolidés comme des interlocuteurs de référence pour les institutions et organisations
qui, à cette époque, commencèrent à s’intéresser à la question amazighe. Parmi ces élites,
le cas de Rachid Raha est digne d’intérêt, car il est devenu un des principaux
interlocuteurs de l’activisme amazigh pour certaines institutions politiques étatiques et
européennes. En effet, après la création de la Fondation Montgomery Hart, Rachid Raha,
189

en qualité de représentant de l’activisme amazigh, déploie de multiples activités. Il


intervient au parlement européen en juin 1997 – suite à une invitation de la député
socialiste de Grenade, María Izquierdo Rojo, pour expliquer et pour parler de la culture
amazighe64 ; il intervient dans le « Cours international sur la société civile dans le
Maghreb » – organisé par la Generalitat de Catalogne à travers l’Institut catalan des
études et de coopération de la Méditerranée en juillet de cette même année65 – ; il répond
à la requête du Centre Unesco Etxea du Pays basque qui préparait le « Rapport sur les
langues du monde », en apportant des informations sur la situation66. La participation à
ces forums lui permit d’établir un réseau de contacts, comprenant des politiciens et des
organisations institutionnelles de différentes natures, qui le confirmeront au cours des
années suivantes comme un agent transnational servant d’intermédiaire entre l’activisme
amazigh au Maghreb – particulièrement au Maroc – et dans la diaspora.
34 En ce qui concerne les questions relatives à la culture et à la langue amazighe, hormis ces
associations déclarées spécifiquement amazighes, la plupart des membres de la diaspora
demeuraient inactifs et s’engageaient dans d’autres types d’organisation d’immigrants, en
particulier dans celles qui s’occupaient de la défense des droits sociaux et du travail de
ceux-ci. Ces organisations s’occupaient principalement des questions relatives à
l’assistance juridique ou à l’enseignement de l’espagnol aux nouveaux arrivants, de sorte
que la question amazighe restait résiduelle, voire inexistante. Étant donné cette
subordination, quelques années après leur démarrage certains adhérents ont voulu
introduire la question amazighe et des activités liées à cette cause. La conversion des
membres inactifs en membres visibles de la diaspora amazighe s’est produite, dans
certains cas, de manière naturelle ; par contre dans d’autres, elle a donné lieu à des
tensions internes. Néanmoins, avec le temps, cette expérience associative préalable
devint très importante pour les membres de la diaspora qui y prirent part, puisqu’elle
donna lieu à des dynamiques d’interactions entre les émigrants et les organisations de la
société locale, en particulier avec celles qui contestaient la situation de précarité de la
population immigrante67.
35 Pour certains, ces interactions ont permis l’acquisition de ressources sociales qui se sont
révélées utiles pour s’adapter plus facilement aux conditions du pays d’accueil, pour
entrer en contact avec différentes institutions et pour apprendre les stratégies et les
tactiques nécessaires pour communiquer de manière effective avec elles. Ces liens ainsi
établis ont aussi été la base de différents types de partenariat – par exemple la cession
d’espaces pour la tenue de célébrations ou d’hommages68 ou le soutien des revendications
de l’activisme amazigh tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Afrique du Nord69. En
parallèle, les organisations sociales et politiques locales confiaient à leurs leaders le rôle
d‘intermédiaire dans la communauté pour aborder d’autres questions telles que le
co‑développement.

La consolidation de l’activisme de la diaspora


amazighe : portée, limites et particularités des actions
dans la société d’accueil
36 L’année 2000 marqua un point d’inflexion dans l’activisme de la diaspora amazighe avec
la naissance de nombreuses associations en Espagne. Divers facteurs ont favorisé cette
croissance : le renforcement du militantisme amazigh dans les territoires d’origine 70 ;
190

l’arrivée de nouvelles générations de travailleurs et d’étudiants, socialisés préalablement


dans l’activisme amazigh sur leurs lieux d’origine ; la consolidation des relations de
collaboration avec certaines organisations, institutions et pouvoirs locaux ; et les
reconfigurations ayant eu lieu à l’intérieur de quelques organisations d’immigrants pour
prendre en charge des demandes et des actions relatives à la cause amazighe.
37 L’associationnisme amazigh s’étend donc sur divers points géographiques de l’Espagne :
au Pays basque est créée l’Association culturelle amazighe de Euskal Herria, successeur de
l’Association culturelle amazighe ; à Madrid, un groupe de personnes du Rif ayant
commencé leur militantisme amazigh à l’université d’Oujda crée l’Association Tamazgha,
et des organisations comme l’Association Espace de la solidarité, s’occupant de questions
d’immigration, intègrent une ligne d’action amazighe dans leurs agendas ; en Andalousie
surgissent de façon intermittente de nouvelles associations, comme l’Association Ziri de
culture amazighe à Grenade ; et surtout en Catalogne où, grâce à l’importance de la
population y résidant et à l’intérêt porté à la cause par les institutions, les associations
amazighes se sont répandues dans toute la région (Vic, Sant-Père-de-Ribes, Barcelona,
Mataró, Baix Llobregat…). Des instances de coordination régionale ont également été
créées, comme la plateforme de coordination Agraw-Asamblea Amaziga de Catalunya –
constituée en 2005 pour agir en qualité d’interlocuteur avec les autorités et les
institutions locales et la Generalitat – à côté d’organisations plus sectorielles comme, par
exemple, celle des femmes (Associació de Dones Amazigues Tamettut) ou mixtes – catalan
et amazighe – (Xarxa Catalano-Amaziga per la Cohesió i el Coneixement entre els Pobles,
Associació d’Amistat entre Amazics i Catalans de Badalona).
38 Ces associations amazighes en Espagne ont rempli divers rôles dans le contexte
migratoire. D´un côté, elles ont impulsé l’organisation de festivals, de conférences et de
débats, ainsi que des commémorations telles que le Nouvel An amazigh (Yennayer), le
Printemps amazigh, ou les hommages à certains personnages historiques comme
Abdelkrim El-Khattabi. Ces actions ont permis d’établir des moments de ritualisation
communautaire qui ont servi à renforcer l’identité des membres de la diaspora. Certaines
associations ont également joué un rôle important dans la vie quotidienne de leurs
membres, en fournissant certains services comme l’enseignement du tamazight,
l’assistance juridique et les cours de renforcement pour les étudiants, comme le fait
l’Associació Taghrast-Espai Amazigh de Mataró. D’autres se sont constituées en clubs
sportifs, comme l’Associació Amic Amazigh de Vic et l’Association Espace de la solidarité
de Parla. On peut avancer que les associations ont été les principales responsables de
l’organisation de manifestations et de rassemblement de nature diverse. La plupart
d’entre elles ont eu pour objectif le soutien et la revendication de la reconnaissance des
droits des Imazighen dans leurs territoires d’origine ainsi que la dénonciation des
épisodes de répression contre le mouvement amazigh ou les populations tandis que dans
leur pays de résidence, la revendication a porté sur leur identité et les obstacles et les
contrôles exercés par leurs pays d’origine71. C’est ainsi que l’agenda politique immigrant
et l’agenda politique vis-à-vis de la patrie étaient présents au sein de l’activisme amazigh
de la diaspora durant cette période, même si leur répercussion sur la société et les
institutions locales a divergé, en forme et en intensité, selon les régions de résidence.
39 Ainsi donc, dans le cadre de l’État espagnol, la Catalogne fut le territoire dans lequel la
communauté amazighe a pu disposer d’un espace plus large dans lequel se reconnaître,
construire et vivre son identité. Cette situation est le résultat d’une meilleure disposition
et d'une plus grande sensibilité des pouvoirs publics locaux et régionaux envers la
191

défense des particularités des autres communautés, les langues et les cultures des
minorités, et de l’implication de certains personnages politiques et sociaux locaux dans la
cause amazighe. Le processus de montée en visibilité de la culture et de l’identité
amazighes en Catalogne a été canalisé grâce à une coopération fluide entre associations et
institutions, parmi lesquelles il faudrait mentionner des centres éducatifs et de
recherche, comme le Centre Internacional Escarré per a les Minories Ètniques i Nacionals
(CIEMEM), l’Institut Europeu de la Mediterrània (IEMed), l’université de Barcelona (UB) et
l’Université autonome de Barcelone (UAB) ; des mairies et divers organismes de la
Generalitat, comme la Direction générale des universités, le Département de l’Action
sociale et de la citoyenneté, l’Agence catalane de coopération au développement ; des
organisations publiques et privées à caractère social et culturel, comme le Club des amis
de l'Unesco de Barcelone – avec lequel le Congrès mondial amazigh (CMA) établit un
contrat de collaboration pour « promouvoir l’identité socioculturelle de la communauté
amazighe de Catalogne » en mai 200672 –, l’Associació CAF (Comunitats Auto Finançades),
le Fons Catalá de Cooperació et SODEPAU ; sans compter les associations locales,
notamment de quartier. De même, certains partis politiques catalans, Convergencia i Unio
(CiU) et Esquerra Republicana de Cataluña (ERC) en particulier, ont participé à ce
rapprochement entre la cause amazighe et les institutions et les sociétés locales, en
contribuant activement à l’adoption de mesures comme la résolution 1197/VI du
parlement de Catalogne, le 6 mars 2002. Celle-ci marque un point d’inflexion pour la
cause amazighe dans la diaspora, car il s’agit de la première expression officielle de
soutien d’un parlement étranger aux revendications culturelles et linguistiques
amazighes provenant tout à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de l’Afrique du Nord 73.
40 ERC a été particulièrement actif dans ces deux champs, et sa participation dans les
gouvernements tripartis de 2003-2006 et 2006-2010 favorisa la consolidation de
l’activisme de la diaspora amazighe dans l’arène publique catalane, ainsi que son
institutionnalisation à travers trois voies principales. En premier lieu, il a reçu un soutien
politique et économique à travers l’assistance et le patronage de rencontres et de
célébrations promues par des organisations amazighes au niveau local74 et international75.
En deuxième lieu, via le soutien et la promotion de politiques et d’initiatives de
reconnaissance du collectif amazigh dans le contexte de la diaspora, en particulier à
travers l’impulsion de l’enseignement de la langue amazighe dans certaines écoles
catalanes76, à travers les médias locaux, comme le programme d’information
hebdomadaire que Barcelona Televisió transmettait en amazigh, et avec la publication de
documents institutionnels en format bilingue (catalan-tamazight) relatifs aux questions
d’intégration et de vie en commun77. Finalement, ce soutien est illustré par la création
d’institutions responsables du soutien et de la diffusion de la culture amazighe, comme
l’Observatoire catalan de la langue amazighe (OCLA)78 à l’intérieur de l’Institution
Llinguamon-Casa de las Llengües en 2005 et la fondation de la Casa Amaziga de Catalogne
79
en 2010.
41 Les étroites relations et les dynamiques de collaboration établies entre l’activisme de la
diaspora amazighe en Catalogne et les institutions et les sociétés locales ont favorisé
l’émergence d’une forte identification des militants amazighs de la diaspora et d’Afrique
du Nord avec la Catalogne. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre des initiatives comme
la proposition de création d’un Conseil des Rifains d’Europe en Catalogne80, ou le
déplacement du siège du CMA de Paris à Barcelone81, qui concrétisent la convergence des
discours et des modèles de représentation adoptés par certaines associations amazighes 82.
192

42 Avec le début de la crise économique et la fin du gouvernement triparti (2010), des


institutions comme l’OCLA perdent le soutien économique et institutionnel dont elles
avaient joui auparavant. Par contre, au niveau local, l’activisme amazigh a évolué, portant
une plus grande attention envers l’agenda politique immigrant. Des organisations
centrées sur la défense et la promotion du « fait différentiel amazigh » apparaissent en
Catalogne (TAMCAT, Federació d’Associations Rifenyes de Catalunya-FARC, Associació
d’Amistat entre Amazics i Catalans) qui soutiennent les processus et les débats politiques
internes à la région, comme la question de l’autodétermination de la Catalogne83 et la
défense du catalan comme langue véhiculaire d’intégration84.
43 Par rapport au reste de l’État espagnol, l’activisme amazigh en Catalogne a compté, et
compte toujours, sur un important tissu associatif et un réseau de relations beaucoup plus
large et stable que dans d’autres régions comme la Communauté de Madrid ou même le
Pays basque.
44 Au Pays basque, bien que les associations aient compté sur le soutien institutionnel et
économique d’organismes locaux et régionaux (la Direction des immigrants du
gouvernement basque, la Députation forale de Biscaye, la Direction de l’égalité et de la
coopération, la Mairie de Bilbao) et d’associations de différentes natures (réseau
d’associations de soutien à l’immigration, associations de quartier – movimiento vecinal
–, associations pour la mémoire historique), c’est la structure interne de la diaspora dans
la région qui a limité son activité. Dans ce sens, la présence d’un nombre plus réduit de
populations d’origine amazighe a été un facteur qui a conditionné aussi bien la formation
des associations que l’organisation d'activités. Il apparaît ainsi que ces associations
dépendent excessivement de l’implication des individus pour leur mise en route et, par
conséquent, de leur disponibilité biographique. Ceci explique le fait que l’activisme
amazigh dans le Pays basque ait été représenté principalement par une seule
organisation, l’Association culturelle Amazige de Euskal Herria, qui en 2002 a pris le nom
d' « Association des immigrants marocains en Euskadi » (AZRAF) pour assumer non
seulement des fonctions de diffusion et de promotion de la culture et de la cause
amazighes, mais aussi l’accompagnement des immigrants85. De cette façon, bien que la
diaspora amazighe du Pays basque ait joué un rôle important dans l’introduction des
institutions, des autorités et des organismes officiels dans le réseau transnational d’appui
à la cause amazighe, notamment en participant et en finançant la célébration de
rencontres du CMA86, son action a été limitée par deux facteurs : la disponibilité
biographique de ses activistes, comme on l’a mentionné, et les difficultés à faire émerger
la relève générationnelle pour l’activisme amazigh dans la région87.
45 Dans le cas de la Communauté de Madrid, les associations ont connu une plus grande
instabilité. Leur dépendance vis-à-vis des institutions et le manque d’intérêt de celles-ci
pour la langue et la culture amazighes ont réduit fortement leur visibilité. Leurs activités
ont dû être autofinancées en grande partie et se sont principalement centrées sur la
célébration des fêtes les plus importantes comme le Nouvel An amazigh, la
commémoration d'événements historiques, comme la mort d’Abdelkrim El Khattabi, ou
l’organisation de débats concernant des questions d’intérêt ou d’actualité pour leurs
territoires d’origine ou pour la cause amazighe. C’est le cas de l’association Tamazgha ou
le Comité Rift de coordination à Madrid. En dehors du cadre de ces associations,
l’activisme amazigh à Madrid trouva un temps, jusqu’à l’arrivée de la crise économique,
une voie alternative de militantisme dans les plateformes de co-développement créées en
partenariat avec des ONG locales. C’est le cas par exemple du Centre transnational
193

d’initiatives rifaines (CIR) grâce auquel différentes actions furent menées comme le
programme de radio transnational Azul (« salut » en amazigh) entre Madrid et
Al Hoceima. Cette initiative permit de lancer une plateforme innovatrice de
communication entre les deux continents, grâce à laquelle les gens du Rif établis à Madrid
et ceux qui continuaient à vivre dans la région se racontaient leurs projets de vie
respectifs, permettant ainsi de diffuser la culture amazighe à travers les ondes. Ainsi, à la
différence de la Catalogne, l’agenda de la diaspora amazighe à Madrid était plutôt centré
sur son aspect diasporique et transnational que sur l’activisme immigrant. Cette tendance
s’est manifestée par des actions comme l’organisation de rencontres entre des militants
amazighs des territoires d’origine et des membres de la diaspora, des institutions et des
acteurs de la société civile locale88. Malgré tout, la capacité d’action de l’activisme à
Madrid était conditionnée par les ressources et la disponibilité économique et
biographique des personnes engagées et par un contexte local moins favorable à la
reconnaissance des particularismes.

Conclusion
46 La diaspora amazighe en Espagne a joué différents rôles au cours de l’histoire. Ses
capacités d’action ont été conditionnées soit par les circonstances et les ressources
disponibles dans les régions d’établissement, dans ses territoires d’origine et au niveau
international, soit par l’influence exercée par certains réseaux et personnalités. La
conscience diasporique – entendue comme une intellectualisation d’une condition
existentielle au-delà des conditions économiques et sociales89 provoquant la réflexion sur
des questions telles que « Quel est le problème amazigh ? » – est présente au sein de
l’immigration amazighe depuis les premières initiatives militantes. La préservation de
cette conscience est fondamentalement due aux associations amazighes qui ont joué un
rôle important dans la génération d’espaces où la mémoire et l’identité collective peuvent
être exprimées et recréées. Finalement, l’activisme de la diaspora amazighe en Espagne
apparaît plutôt comme « contenu », étant donné son interaction épisodique, publique et
collective avec les organisations de la société civile, les institutions, les gouvernements et
les partis politiques locaux du pays de résidence, sa préférence pour organiser son agenda
autour de manifestations non violentes et la priorisation de ses actions dans des régions
ayant des systèmes pluralistes de représentation d’intérêts.

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NOTES
1. Voir « François Alfonsi, député européen, crée un « groupe d’amitié » avec le peuple berbère -
amazigh », Réseau citoyen des associations franco-berbères, 22 avril 2010, [en ligne] URL: http://
www.cbf.fr/news/82 [consulté le 15 juin 2010].
197

2. Déclaration du Congrès mondial amazigh à l’occasion du Forum permanant des peuples autochtones,
New York, 18-24 mai 2009.
3. Le cas de la Catalogne est à part, puisque diverses recherches et organisations locales
indiquent qu’environ 80 % de la population provenant du Maghreb est amazighe. Voir par
exemple le rapport réalisé par UnescoCat en 2011 « El Discurs Unesco i La Promoció de la Cultura
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20 décembre 2011] et A. Baha, C. Castellanos, Report sobre el moviment amazic a Catalunya. Origen,
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4. R. Brubaker, « The “diaspora” diaspora », Ethnic and Racial Studies, nº 28, 1, 2005, p. 1-19.
5. S. Vertovec, R. Cohen, Migration, Diasporas and Transnationalism, Aldershot, Edward Elgar, 1999.
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7. E. Østergaard-Nielsen, « The politics of migrants’ transnational political practices »,
International Migration Review, nº 37, 3, 2003, p. 760-786.
8. Ibid.
9. S. Wayland, « Ethnonationalist network and transnational opportunities: the Sri Lankan Tamil
diaspora », Review of International Studies, nº 30, 3, 2004, p. 405-426.
10. R. Koopmans Ruud, P. Stathman, « How national citizenship shapes transnationalism », Revue
européenne des migrations internationales, nº 17, 2, 2001, p. 63-100.
11. R. Kastoryano, La France, l’Allemagne et leurs immigrés : négocier l’identité, Paris, Armand Colin,
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12. V. Guiraudon, « Ethnic migrant minorities and transnational claims. making in Europe:
opportunities and constraints », p. 76.
13. B. Baser, A. Swain Ashok, « Stateless Diaspora Groups and their Repertorires of Nationalist
Activism in Host Countries », op. cit.
14. L.E. Guarnizo et al., « Assimilation and Transnationalism: Determinants of Transnational
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15. R. Cohen, « Diasporas and the nation-state: from victims to challenger », International Affairs,
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17. D. Aghanian, Armenian Diaspora: Cohesion and Fracture, Maryland, University Press of America,
2007.
18. Á. Suárez-Collado, « A Tired Diaspora? Pitfalls and Discontinuities in the Amazigh Diaspora
Activism in The Netherlands », 2017 (prochainement).
19. On reprend ici la typologie élaborée par D. Pasura, « A Fractured Transnational Diaspora: The
Case of Zimbabweans in Britain », International Migration, nº 50, 1, 2012, p. 143-161.
20. Á. Suárez-Collado, « A Tired Diaspora? Pitfalls and Discontinuities in the Amazigh Diaspora
Activism in The Netherlands ». Á. Suárez Collado, « Cyberactivisme et liens transnationaux au
Rif », dans Les Nouvelles sociabilités du Net en Méditerranée, sous la dir. de S. Najar, Paris, Khartala,
198

2012, p. 101-115 ; Á. Suárez Collado, « La esfera virtual del activismo amazigh en Europa: una
alternativa de identificación para las segundas generaciones », dans Prácticas culturales juveniles y
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21. J. Brinkerhoff, Digital Diasporas. Identity and Transnational Engagement, Cambridge, Cambridge
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22. Á. Suárez Collado, « Cyberactivisme et liens et liens transnationaux au Rif », op. cit. ; Á. Suárez
Collado « La etnicidad frente al Islam: el discurso de identidad de las comunidades amazighes en
España ».
23. J. Brinkerhoff, Digital Diasporas...
24. M. Van Den Bos M., L. Nell, « Territorial bounds to virtual space: transnational online and
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25. Á. Suárez-Collado, « La esfera virtual del activismo amazigh en Europa: una alternativa de
identificación para las segundas generaciones », op. cit.
26. F. Adamson, « Mechanisms of diaspora mobilization and the transnationalization of civil
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27. M. Bruneau, Diasporas, Montpellier, GIP Reclus, 1995.
28. Ibid.
29. R. Pennix, M. Schrover, Bastion of bindmiddel? Organisaties van immigraten in historisch perspectief
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Netherlands », dans Religions in Movement. The Local and the Global in Contemporary Faith Traditions,
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Diaspora? Pitfalls and Discontinuities in the Amazigh Diaspora Activism in The Netherlands ».
31. Á. Suárez-Collado, El Movimiento amazigh en el Rif: identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas, thèse de doctorat, Universidad Autónoma de Madrid, Madrid, 2013.
32. S. Chaker, Berbéres aujourd’hui, Paris, l’Harmattan, 1989.
33. L’élément central du discours amazigh durant cette première période fut la défense de la « 
culture populaire ». La culture amazighe était considérée comme la base et la véritable culture de
la population marocaine, bien que déplacée par les cultures arabe et française imposées par
l’élite urbaine. Voir A. Boukous, Langage et culture populaires au Maroc, Casablanca, Dar al-Kitab,
1977 ; H. Rachik, « Construction de l’identité amazighe », dans Usages de l’identité amazighe au
Maroc, sous la dir. de H. Rachik, Casablanca, Imprimerie Anajah, 2006, p. 15-66.
34. M. Majid, Les Luttes de classes au Maroc depuis l’Indépendance, Rotterdam, Editions Hiwar, 1987.
35. T. Lehtinen, Nation à la marge de l’État, la construction identitaire du Mouvement culturel amazigh
dans l’espace national marocain et au-delà des frontières étatiques, thèse de doctorat, École des Hautes
199

Études en sciences sociales, Paris, 2003 ; F. Ait Mous, « Le réseau associatif amazigh : émergence
et diffusion », dans Usages de l’identité amazighe au Maroc, sous la dir. de H. Rachik, Casablanca,
Imprimerie Anajah, 2006, p. 131-159.
36. M. Willis, « Las políticas de la identidad bereber (amazigh) », dans El Magreb. Realidades
nacionales y dinámicas regionales, sous la dir. de Z. Yahia et H. Amirah, Madrid, Editorial Síntesis,
2008, p. 283-299.
37. K. Slimani-Direche, Histoire de l’émigration kabyle en France au XX e siècle. Réalités culturelles et
politiques et réappropriations identitaires, Paris, l´Harmattan, 1997, p. 93.
38. La théorie du « colonialisme interne » concerne la situation par laquelle une région
périphérique – dont la population diffère culturellement des populations du centre de l’État – se
trouve économiquement et politiquement contrôlée par le centre, tel que dans une situation
coloniale. Voir F. Schrijver, Regionalism after regionalisation. Spain, France and the United Kingdom,
Amsterdam, Amsterdam University Press, 2006, p. 56.
39. Á. Suárez-Collado, El Movimiento amazigh en el Rif., p. 147.
40. Interview avec un membre du groupe d’étudiants du Rif à Madrid participant à la création de
l’association Intilaka Atakafia. Voir Á. Suárez-Collado, op. cit., p. 148.
41. Á. Suárez-Collado, idem, p. 148, 233.
42. Interview avec un membre de l’association Intilaka Atakafia. Voir Á Suárez-Collado, idem, p.
149.
43. Á. Suárez-Collado, idem, p. 153-154.
44. Le Groupe de travail de Madrid était formé par Karim Chemlal, Hasan Ouass, Mohamed
Toufali, Mohamed Tahiri, Kais Marzouk El Ouariachi, Cadi Kaddour et Mohamed Hafhafi. La
plupart d’entre eux habitaient à Madrid, mais certains, comme El Ouariachi et Kaddour,
étudiaient à Paris et se rendaient à Madrid assez fréquemment. Voir Á. Suárez-Collado, op. cit.,
p. 164.
45. Interview avec un membre du « Groupe de travail de Madrid ». Cf. Á. Suárez-Collado, idem,
p. 235.
46. Á. Suárez-Collado, idem, p. 279-287. Á. Suárez-Collado, « The Amazigh Movement in Morocco:
new generations, new references of mobilization and new forms of opposition », Middle East
Journal of Culture and Communication, nº 6, 2013, p. 55-70.
47. S. Chaker, Berbéres aujourd’hui.
48. La Charte d’Agadir fut la première systématisation et dissémination de l’idéologie amazighe au
Maroc et le premier document formel collectif de demande de l’officialisation du tamazight à
l’État du Maroc. Voir H. Rachik, « Construction de l’identité amazighe ».
49. Dans un discours prononcé le 20 août 1994, le roi Hassan II reconnaissait le besoin d’enseigner
les « dialectes berbères » dans les centres scolaires et d’introduire leurs trois variantes
linguistiques dans les services d’information. Cette dernière mesure sera la seule à être mise en
œuvre durant son règne.
50. La Commission nationale du V e Centenaire fut créée pour diriger les actes commémoratifs de
la découverte de l’Amérique. Dans leur organigramme et dans leur programmation, deux autres
sections furent inclues, Sefarad 92 et Al Andalus 92, destinées à diffuser les contributions juive et
arabo-musulmane à la culture espagnole.
51. Parmi les activités qui ont eu lieu au cours de l’année 1992, on peut mentionner la rencontre
organisée par l’Association canarie d’archéologie et de préhistoire à l’Université de La Languna,
les journées célébrées à Melilla avec la coordination des associations Averoes, Neópolis et Al
Qalam et la rencontre organisée par l’Association des étudiants marocains à Grenade. Voir « El
movimiento cultural amazigh en España », Revista Campus, 11 juillet 1997.
52. H. Bouzalmate, « Amazigh 92: por la creación del Centro de estudios Amazigh », Aldaba
(Revista del Centro Asociado de la UNED), nº 19, 1992, p. 203-211.
200

53. V. Moga, « El repte de la construcció social en una ciutat de frontera hispanomarroquina:
l’estat de la qüestió amaziga a Melilla (1985-2005) », dans Els Amazics avui, la cultura berber, sous la
dir. de M.A. Roque et al., Barcelona, IEMed, 2009, p. 213-224.
54. Parmi les formations politiques se trouvent la Gauche unie, le Parti indépendant hispano-
berbère, la Coalition pour Melilla, Vértice socialista et, parmi les religieuses, la Commission
islamique et la Communauté musulmane. Voir M. Tilmatine, « El amazige (bereber) en el
contexto de la inmigración : ¿hacia un proceso de reconocimiento? », Al-Andalus Magreb, nº 10,
2003, p. 265-279.
55. Parmi ces initiatives, on trouve le Musée berbère de Melilla, le Centre d’investigation et de
documentation amazighe et l’émission de bulletins journaliers et hebdomadaires d’informations
en tamazight à la télévision locale de Melilla. Voir V. Moga, « El repte de la construcció social en
una ciutat de frontera hispanomarroquina: l’estat de la qüestió amaziga a Melilla (1985-2005) ».
56. Cette initiative provient d’Abdelkader Mohamed, eurodéputé de IU pour Melilla et membre
de ladite Commission de la culture du parlement européen. Voir Melilla Hoy, 26 juin 1996.
57. La proposition d’inclure le tamazight comme langue co-officielle à Melilla reçut le soutien du
PNV et de CiU durant le débat politique et parlementaire. Ces deux partis politiques et Esquerra
Republicana de Catalunya (ECR) ont apporté leur soutien, national et internationalement, aux
revendications de l’activisme amazigh.
58. Comme exemple, on peut citer les cours de tamazight de l’Institut universitaire « Nuestra
Señora de África » à Madrid, de l’Institut interuniversitaire d’études de l’ancien Proche-Orient à
Barcelone et le Centre culturel universitaire à Grenade. Dans ces cas-là, les enseignants étaient
des étudiants universitaires ou de doctorat d’origine amazighe. De même, à partir de 1992, on
commença à organiser des cours de langue amazighe à l’Université autonome de Barcelone. Voir
C. Castellanos, H. Akioud, « La Presència de la llengua amaziga (o berber) », Treballs de
sociolingüística catalana, nº 14-15, 2000, p. 77-87. « La enseñanza del tamazight en España », Melilla
Hoy, 30 septembre 1998.
59. On peut mentionner le « Cours sur la langue et la culture tamazight » organisé par
l’université de Grenade et la mairie de Melilla et le séminaire « La realitat amaziga (bereber) al
Nord d’Africa » qui eurent lieu durant l’été 1996, ou le « Séminaire international en méthodologie
et enseignement de la langue amazighe » en février 1999. Voir Melilla Hoy, 27 juillet 1996 ; « El
movimiento cultural amazigh en España », Revista Campus, 11 juillet 1997 ; « Dossier Amazigh » nº
14, mars 1998 ; et « Dossier Amazigh » nº 21, mars 2000.
60. Interview avec un membre de la diaspora amazighe à Bilbao, 17 janvier 2014.
61. « El movimiento cultural amazigh en España », Revista Campus, 11 juillet 1997.
62. Ideal, 18 mars 1997.
63. Interview avec un membre de la diaspora amazighe à Barcelone, 18 avril 2009.
64. Melilla Hoy, 7 juin 1997.
65. Melilla Hoy, 17 juillet 1997.
66. Voir le résultat de la recherche de F. Marti, Un Monde de paroles, paroles du monde : étude sur les
langues du monde, Paris, l’Harmattan, 2006, et une information sur la participation de Rachid Raha
au journal Melilla Hoy, 22 novembre 1998 et El Faro, 22 novembre 1998.
67. La plupart du temps, il s’agissait de partis politiques et de syndicats de gauche et d’extrême-
gauche, comme : la Confédération syndicale des commissions ouvrières (CCOO), la Confédération
générale du travail (CGT), la Confédération nationale du travail (CNT) et IU, des organisations
culturelles telles que les Clubs des amis de l’Unesco, des groupements de voisins et des
organisations anti-racistes comme SOS Racisme.
68. Aussi bien CCOO que le Club des amis de l´Unesco de Madrid, en étroite collaboration avec
l’Association des émigrants marocains en Espagne (AEME), ont cédé leurs locaux aux
organisations et aux collectifs constitués par d’ anciens membres de l’AEME pour la célébration
d’activités liées à la cause amazighe en différentes occasions comme les « Journées de la culture
201

amazighe dans le Rif » – qui ont eu lieu au siège de CCOO à Madrid les 25 et 26 mars 1999 – ou,
postérieurement, les activités organisées par Rif Radio Libre.
69. La CGT fut l’une des organisations politiques locales qui prêta le plus d’attention à la situation
de l’activisme amazighe dans le nord de l’Afrique dans ses bulletins d’information.
70. Dans le cas du Maroc il convient de citer le Manifeste amazigh, la création de l’Institut royal
de la culture amazighe (IRCAM), l’augmentation du nombre d’associations amazighes dans tout le
pays, l’introduction de l’enseignement tamazight dans les écoles et la création – postérieure à
l'illégalisation – du Parti démocratique amazigh du Maroc (PDAM). Dans le cas de l’Algérie, les
révoltes de l’année 2001 en Kabylie (le Printemps noir), l’apparition du mouvement Citoyen des
Aarchs et le mouvement en faveur de l’Autonomie de la Kabylie.
71. Une des questions les plus contestées par les activistes amazighs en Espagne et dans d’autres
pays de la diaspora est l’omission des prénoms amazighs dans les listes de prénoms fournies par
les ambassades aux institutions officielles locales, de sorte que les parents ne peuvent pas donner
des prénoms amazighs à leurs enfants.
72. Voir « Signature d’une convention CMA-Unesco Catalunya », Secrétariat du CMA, 2006 [en
ligne] URL : http://amazighworld.org/human_rights/index_show.php?id=514 [consulté le 15 juin
2010].
73. Dans cette résolution, le gouvernement de l’État espagnol est instamment prié d’introduire la
demande de respect des droits humains et, en particulier, ceux concernant les droits de l’identité
amazighe dans les négociations bilatérales avec les gouvernements d’Afrique du Nord. De même,
la Catalogne est déclarée terre d’accueil politique et culturel de la population amazighe. Enfin, il
est fait mention de l’intention de promouvoir l’enseignement du tamazight au même niveau que
les autres langues de l’immigration en l’incorporant à l’enseignement universitaire.
74. Au niveau local, le soutien financier pour la célébration d’activités, de festivals et de journées
relatives à la culture et à la cause amazighes provient aussi bien des mairies – sous forme de
cession d’espaces et de composition de budgets – que du gouvernement de la Generalitat. Cet
appui était destiné à des associations amazighes et à d’autres entités comme, par exemple, l’UB
pour l’organisation du IVe Printemps Amazighe en 2006. Voir URL: http://www.informaley.com/
subvenciones/resolucion-uni-756-2006-22-marzo-publicidad-al-otorgamiento-
subvenciones_0_3576480.html [consulté le 20 septembre 2015]. Il faut mentionner aussi
l’engagement de certains politiciens catalans envers la cause amazighe comme Joan Tardá, qui a
assisté avec assiduité aux activités organisées par l’activisme amazigh, à l’intérieur et à
l’extérieur de la Catalogne. À ce propos, au niveau local, on rappellera sa participation et sa
présence lors des festivités du Yennayer organisées par l’Association culturelle pour les droits du
peuple amazigh en Catalogne dans la localité de Rosas en 2012 et, en dehors de la Catalogne, sa
participation aux journées sur le tamazight de la ville de Melilla en décembre 2004. De même, il
conviendrait de souligner le rôle prédominant de Tardá et de ERC pour impulser les démarches
de deux propositions de loi auprès du parlement de l’État espagnol : d’abord, en 2004 pour
officialiser le tamazight à Melilla, ensuite, en 2007 concernant l’utilisation d’armes chimiques par
l’Espagne durant la guerre du Rif.
75. Au plan international, en dehors de l’approbation de la résolution 1197/VI, le parlement de
Catalogne a reçu des activistes amazighs à plusieurs reprises. Ce fut le cas en janvier 2008, quand
une délégation fut reçue par des députés d’ERC et par Carod-Rovira, en qualité de vice-président
de la Catalogne. Réciproquement, des représentants des partis politiques catalans (CiU, ERC), des
institutions et des organismes officiels (l’Agence catalane de coopération au développement)
ainsi que des organisations locales (Centre Unesco de Catalogne) ont participé au cours des
dernières années aux différents forums internationaux organisés par l’activisme amazigh,
comme les assemblées du Congrès mondial amazigh à Nador (2005) et à Meknès (2008), sans
oublier les rencontres sur l’autonomie et le fédéralisme de 2007 et 2009 au Maroc. En ce qui
concerne le financement des rencontres internationales, on peut citer comme exemple la V e
202

Assemblée du CMA de 2008, à laquelle aussi bien le gouvernement catalan que l’Agence catalane
de coopération au développement apportèrent 15 000 €. Voir « Où sont passés les 45 000 € du
Congrès mondial amazigh ? », Jeune indépendant, 20 octobre 2008.
76. En 2005, grâce à un accord avec le département de l’Éducation de la Generalitat de Cataluña,
les cours de tamazight démarrent dans quatre centres éducatifs hors des horaires de classe. Le
nombre des écoles dans lesquelles on donnait ces cours augmenta progressivement jusqu’à
atteindre le nombre de huit pendant l’année scolaire 2011-2012. Voir M. Tilmatine, « 
L’enseignement de l’amazigh en Catalogne : bilan et perspective », dans Langue maternelle et
diaspora maghrébine, sous la dir. de M. Ennaji, Centre Sud Nord, 2014, p. 65-88.
77. On peut citer comme exemple les documents « Benvinguda a les dones que arriben a
Catalunya » de l’Institut Català de les Dones, en tamazight rédigé en alphabet latin, et « Consells
de seguretat » du Corps des pompiers de la Generalitat, en tamazight rédigé en alphabet tifinagh.
78. Le OCLA fut créé en 2007 suite à un accord entre Linguamón-Casa de les Llengües, la UAB et
l’université de Cadix. Son rôle depuis lors a été celui d’élaborer des textes et de la documentation
pour l’enseignement de la langue amazighe et son processus de standardisation. Au sein de
l’OCLA s’unissent le Grup d’Estudis Amazics (formé dans la UAB en 2000) et la Comissió
d’Ensenyament dans le but de préparer le matériel pour l’enseignement du tamazight et les
programmes pour la formation de professeurs. Voir A. Baha, C. Castellanos, Report sobre el
moviment..., op. cit., et M. Tilmatine, « L’enseignement de l’amazigh en Catalogne : bilan et
perspective ».
79. La Casa Amaziga de Catalunya fut créée en 2010 avec le soutien du secrétariat à l’Immigration
de la Generalitat de Catalogne dans le but de promouvoir en Catalogne le « fait propre et la
différence amazighe » et « promouvoir le propre fait et la différence catalane à Tamazgha »,
d’orienter les Imazighen en Catalogne et de promouvoir le co-développement à Tamazgha. Voir
A. Baha, C. Castellanos, Report sobre el moviment..., op. cit.
80. Interview d'un membre de la diaspora amazighe à Barcelone, 18 avril 2009.
81. El País, 6 juillet 2009.
82. Par exemple, le Nouvel An amazigh est rebaptisé « Día de la Festa Nacional dels Amazics »
(Jour de la Fête nationale) par l’Associació Cultural pels Drets del poble Amazigh à Catalunya.
83. Communiqué de l’Associació Catalano Amaziga ACDPAC, 26 octobre 2012.
84. Dans ce sens, il convient de citer le programme « Llengua i cohesió social » de la Asociació
Cat-Arif de Sant Adriá de Besòs, qui a obtenu le prix Francesc Candel en 2013.
85. Interview d'un activiste amazigh membre de Azraf, Bilbao, 17 janvier 2014.
86. La V e Assemblée du CMA à Meknès peut compter sur un soutien économique de 30 000 € du
gouvernement basque, d’après les informations diffusées dans les journaux, comme « Où sont
passés les 45000 € du Congrès mondial amazigh ? », Jeune indépendant, 20 octobre 2008. On peut
consulter aussi les témoignages de militants dans Á. Suárez-Collado, El Movimiento amazigh en el
Rif..., op. cit., p. 474.
87. Interview d'un activiste amazigh membre de Azraf, Bilbao 17 janvier 2014. Interview d'un
membre de la seconde génération de l’activisme amazighe au Pays basque, Bilbao, 17 janvier
2014.
88. On peut citer l’organisation de la rencontre d’Ahmed Adghimi avec divers groupes
parlementaires à Madrid, en mai 2008, après la dissolution de son parti, le PDAM, par le
gouvernement marocain, ou la conférence d’Ahmed Asside à Madrid, en juin 2012, suite aux
polémiques maintenues avec des secteurs de l’islam politique au Maroc.
89. W. Safran, « Diasporas in Modern Societies: Myths of Homeland and Return », Diaspora, nº 1, 1,
1991, p. 83-99.
203

AUTEUR
ÁNGELA SUÁREZ COLLADO
Politologue et sociologue ; postdoctorante à l’Aire de sciences politiques à l’université de
Salamanque (Espagne), spécialisée dans l’étude des mouvements sociaux et de la politique locale
en Afrique du Nord et des migrations marocaines en Europe.
204

« Le sentiment d’être chez soi  » sur


les sites amazighs et le « printemps
arabe » : déconstructions et
renégociations sur le Web
Daniela Merolla et Abdelbasset Dahraoui

1 L’expansion vertigineuse d’Internet a renouvelé et développé les discours portant sur les
identités. De nouvelles possibilités de communication, de prises de contacts et d’échanges
s’offrent aux individus et aux minorités actives au-delà des frontières nationales. Les
populations amazighes, tant sur leurs territoires d’origine que dans la diaspora, sont
influencées par les effets de cette expansion et par les rapports entre localisation et
globalisation que celle-ci a induits1. Cette déterritorialisation fait que, d’une part, on
assiste ces dernières années à l’intensification des contacts entre les communautés
amazighes du nord de l’Afrique et la diaspora et les « pays d’origine », ou encore parmi les
immigrés eux-mêmes, renforçant ainsi des formes pré-existantes de transnationalisme2 ;
d’autre part, sur les sites internet les spécificités nationales et locales sont mises en avant
par la création et la diffusion de discours d’identification qui, dans le cas des Amazighs,
mettent en exergue la variation linguistique locale et les informations d’une région ou
d’un groupe diasporique déterminés. Ces deux processus ne sont pas isolés sur le Net
puisque les internautes participent aux discours identitaires de leurs communautés
locales et transnationales hors ligne. L’action politique et culturelle « dans la rue »,
corrélée à l’activisme virtuel, s’en trouve amplifiée.
2 Dans cet article, nous nous interrogerons sur la manière dont certains sites Web
contribuent et réfléchissent à la construction identitaire amazighe/berbère, tout autant
au niveau local que transrégional, par le biais de la mise en valeur artistique et culturelle.
Il s’agira, dans un premier temps, d’examiner leurs discours à partir de la critique et de la
subversion des constructions historiques ainsi que des approches « nationales/
nationalistes » et « globalisantes » au Maghreb et en Europe. Nous nous attacherons
ensuite à identifier les réactions de ces sites lors des « printemps arabes » et les
changements apportés par les révolutions sur le terrain, en Libye, en Tunisie et au Mali,
205

en les intégrant dans un cadre de dynamiques identitaires et artistiques. Nous nous


intéresserons à des sites rifains, kabyles et chleuh tels que agraw.com, asdaerif.net,
rifnow.com, amazigh.nl, tamazgha.fr et souss.com. Enfin, nous considérerons plus
particulièrement le cas des réponses des sites marocains amazighs concernant le « 
Mouvement du 20 février ».
3 Avant de poursuivre, nous désirons contextualiser la terminologie que nous allons
employer. Nous choisissons d’utiliser « amazigh » et « berbère » indistinctement car, si
dès la fin du XXe siècle, les termes Amazigh (sing.) et Imazighen (plur.) tendent à
s’imposer dans la société et dans les études portant sur l’amazighité, le terme « berbère »
reste inscrit historiquement dans le discours de ce domaine d’études. Dans cet article,
nous allons traiter des contenus de sites « amazighs » ou « berbères » développés par des
groupes ou des individus se revendiquant de l’identité amazighe et qui, dès lors, utilisent
dans leurs communications soit la langue berbère dans une de ses variantes locales, soit
l’arabe voire une des langues européennes découlant du passé colonial et de la diaspora,
reflétant ainsi une appartenance culturelle qui se manifeste sur une étendue
géographique allant du nord de l’Afrique jusqu’aux pays de la diaspora3.
4 Notre intérêt envers les discours artistiques et culturels amazighs sur le Web date du
début des années 2000. Daniela Merolla4 a débuté ses travaux sur ce sujet par une étude
comparée des sites amazighs avec des sites consacrés aux diasporas africaines ; puis, à la
fin des années 2000, ses recherches se sont orientées vers l’affirmation identitaire à
travers l’oralité « digitale » et la production artistique5, en dialoguant avec d’autres
recherches6, notamment celles portant sur les revendications et l’activisme politiques7.
Quant à Dahraoui, il a soutenu en 2014 sa thèse de doctorat sur la comparaison entre les
chansons, les films et les sites Web rifains.
5 Avant d’analyser les réponses des sites Web amazighs au « printemps arabe », nous
souhaitons réexaminer certains points mis en évidence par les études sur la
communication « digitale » berbère.

La construction identitaire des sites amazighs dans la


production culturelle
6 Nous avons pu recenser au moins une centaine de sites amazighs d’associations, de
villages et de régions. Mais ce décompte est loin d’être exhaustif puisque de nouveaux
sites apparaissent régulièrement, tandis que d’autres disparaissent ou cessent d’être mis à
jour8. Il existe une pléthore de sites musicaux, de blogs individuels et de pages Facebook
qui varient tant par leur contenu que par leurs activités. Azizi9 a identifié 630 groupes
amazighs sur Facebook « dont la taille moyenne est de 192 membres ». Il considère que « 
la majorité de ces groupes amazighs s’inscrivent dans le registre plutôt “sérieux” étant
souvent créés dans les catégories “Causes et convictions” ; “Histoire” et “Langues” ».
Concernant les associations, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte dans la
création et la mise à jour d’un site riche en contenu. On note d'abord le volontariat des
militants prêts à s’activer pour leur association, mais également la capacité à obtenir des
subventions, celles-ci pouvant provenir d’un autofinancement apporté par les membres
de l’association ou encore grâce à la publicité10. Parmi les sites riches et dynamiques,
citons les sites kabyles kabyle.com, depechedekabylie.com, taqbaylit.com, kabyles.net et
tamurt.info ; les sites rifains amazigh.nl, amazighnews.net, agraw.com, bades.nl, syphax.nl,
206

tilelli.nl et arifnews.com ; le site chleuh souss.com ; les sites des îles Canaries izuran.blogspot.nl
et azarug.org11 ; le site libyen tawalt.com ; les sites « pan-berbères » tamazgha.fr (France),
monde-berbere.net (Belgique) et amazighworld.org (Amérique du Nord).
7 Si quelques sites utilisent une des variantes locales de l’amazigh (par exemple
taqbaylit.com), la référence à cette langue est également soulignée par des sites qui ont
recours aux langues utilisées dans les échanges internationaux, à savoir l’anglais, le
français et l’arabe (par exemple tawalt.com pour cette dernière), mais aussi les langues de
la diaspora amazighe, comme l’espagnol, le néerlandais et l’italien. Ce recours à un large
spectre de langues a permis une diffusion plus souple et plus large de leur message.
D’autres sites se présentent sous un aspect plurilingue mais « séparé », avec des pages en
amazigh et des pages écrites dans une autre langue voire dans plusieurs autres. Dans
d’autres cas, il est possible de choisir entre différentes versions, en amazigh, en anglais ou
en français par exemple (mondeberbere.com). Il semble que ces choix linguistiques soient
liés, d’une part, au fait que la majeure partie de ces sites sont organisés via l’activité
culturelle dans la diaspora et, d’autre part, à la volonté de communiquer avec le plus
grand nombre possible d’individus « d’ici et d’ailleurs » et en particulier avec ceux du
nord de l’Afrique. La généralisation de la scolarisation et la multiplication des points
d'accès à Internet ont aussi apporté indirectement leur contribution à la diffusion des
messages amazighs vers le public nord-africain12.
8 Nous pouvons clairement affirmer l’importance de la diffusion de la production littéraire
et artistique sur les sites amazighs dans les négociations et les affirmations identitaires.
Ces sites consacrent en effet plusieurs pages d’information sur les nouvelles productions
et rendent également possible la diffusion de textes en berbère grâce à une publication
facile d’accès et quasiment gratuite. La circulation plus dense des œuvres sur le Web que
favorisent ces sites a permis entre autres d’améliorer les échanges et les interactions
entre la production du Maghreb et celle de la diaspora, que stimulent nombre d’écrivains,
d’acteurs et de régisseurs travaillant des deux côtés de la Méditerranée13.
9 Les sites amazighs sont une plateforme d’interactions et de dialogues pour les différents
genres littéraires, musicaux et visuels. Par ailleurs, la place de l’oralité est souvent très
présente. Sur les pages d’accueil, la référence aux genres oraux apparaît par exemple sous
la forme de proverbes et de locutions, souvent affichés dans les icônes ou les emblèmes
qui dénotent les intérêts, les sentiments et l’identification des associations et des
communautés. Ces genres rattachés à l’oralité sont traduits et transcrits sur les sites
bilingues et multilingues. Le genre littéraire du conte, notamment, est souvent abrégé et
parfois complété d’une notice bibliographique indiquant que les sites réutilisent le « 
passage à l’écrit » déjà réalisé par les collections publiées hors ligne14. Quant aux
chansons, elles sont proposées sous forme audio ou audiovisuelle, parfois avec la
transcription et/ou la traduction des paroles. Des enregistrements de réunions et de
manifestations politiques, de festivals, de concerts et quelquefois de séances dédiées aux
contes, également sous forme audiovisuelle, reproduisant ainsi la communication orale,
sont mis en ligne. Les proverbes, contes, anecdotes et chants du patrimoine oral
médiatisé ont une visibilité plus ou moins bonne selon les sites et les liens vers les sous-
pages « artistiques »15. Ces liens renvoient à toutes sortes de genres littéraires,
promouvant autant l’oral que la prose et la poésie écrites, comme l’illustrent les sites des
associations à l’étranger, contenant des liens vers la « nouvelle » production de romans et
de poèmes écrits soit dans la langue vernaculaire soit dans la langue de la diaspora.
207

10 Par rapport aux sites amazighs du début des années 2000, l’attention s’est focalisée de
plus en plus sur les genres écrits, et l’utilisation du tamazight s’est intensifiée jusqu’à se
retrouver sur tous les sites. Un autre élément novateur réside dans la publication des
recensions de romans et de poèmes, voire parfois d’analyses littéraires dérivant de thèses
de master et de doctorat16. Ces recensions et analyses sont une aide essentielle à la
réflexion, notamment sur les éléments plus proprement esthétiques. Toutefois, elles
servent aussi à éclairer et à diffuser des discours qui, d’une part, traitent de la vision
homogénéisante et manipulatrice de l’identité culturelle promue par les centres du
pouvoir intellectuel et politique et, d’autre part, stimulent la critique des « tabous » et des
comportements traditionalistes à l’intérieur des communautés amazighes locales et
transnationales17. L’apparition de « l’autocritique » dans les romans et les comptes-rendus
est remarquable et spécifique du discours artistique mais peut rester inaperçue au regard
des débats politiques des sites et des critiques apportées par les diverses tendances et les
générations d’activistes.
11 Beaucoup d’œuvres produites en dehors du réseau Internet, de façon « hors ligne », sont
également diffusées par les sites diasporiques, parfois avec des extraits, des descriptions
et des commentaires, d’autres fois simplement pour en faire la publicité, voire, dans
d’autres cas, avec des vidéos d’entretiens. Ces sites participent ainsi à l’épanouissement
de productions littéraires issues autant des communautés amazighes d’Afrique du Nord
que des milieux de l’immigration et qui n’avaient pas pour objet premier de se faire
connaître grâce au Web.
12 La musique et les films jouent également un rôle de premier plan dans la construction
identitaire « numérique ». Karrouche18 écrit, par exemple, que « grâce à Internet, les izran
[chants/chansons] et les rituels ont maintenant la possibilité d’être recueillis sur des sites
où l’authenticité et la capacité des individus à agir de façon indépendante peuvent être
retrouvées » (notre traduction). La musique et les chants amazighs ont été un référent
important dans la carrière artistique de nombreux chanteurs/chanteuses berbères
d’origine maghrébine19, tels que Khalid Izri (Maroc), Idir (Algérie)20, Lazhar Ben Ouirane
(Tunisie) et Dania ben Sassi, la chanteuse amazighe libyenne qui est devenue l’icône du
mouvement amazigh libyen. En puisant dans les chants du patrimoine oral, les chansons
amazighes contemporaines aident à établir une continuité significative dans le processus
de régénération et de construction identitaires. Ces chants, très populaires par la
description et les réponses qu’ils apportent aux soucis du quotidien, forment un creuset
émotionnel fort envers les communautés amazighes de l’Afrique du Nord et celles de
l’émigration21. Les chansons contemporaines qui ont pour thématique les conditions de
vie des gens et l’expression de leurs inquiétudes et de leurs joies jouent un rôle social
crucial car elles ont le pouvoir de modifier leurs idées, décisions et projets. Selon
Dahraoui22, les chansons amazighes sur le Net deviennent un moyen de se rapprocher des
autres Imazighen éparpillés dans le monde, de s’identifier à la communauté berbère
locale et globale, mais également de rappeler la mémoire d’une terre qui, dans
l’imagination de ceux qui vivent en diaspora, tend à devenir de plus en plus abstraite.
Selon l’évolution des sites, le degré relationnel de la culture berbère avec le reste du
monde adoptera des parcours différents ; par exemple, la création du site agraw.com
pouvait être vue au départ comme le produit d’un échange entre des individus aimant la
musique amazighe et les chansons révolutionnaires et qui ont souhaité les partager sur
Internet. Par la suite, ce site a évolué et s’est transformé en un espace virtuel recueillant
des histoires, des forums, des albums de musique, des vidéos et des articles 23.
208

13 Exigeant plus d’expertise technologique, le développement de la cinématographie


amazighe est étroitement lié aux moyens institutionnels et matériels faisant défaut à
cause de la politique de marginalisation linguistique souvent encore en vigueur 24. Bien
que l’on assiste au développement des productions cinématographiques en kabyle, rifain
et chleuh25, la production professionnelle de films en Algérie et au Maroc est restée
cantonnée, jusqu’à une période récente, au domaine des productions en arabe et en
français étudiées dans les instituts artistiques et subventionnées par les États. Comme
pour les autres genres, l’interaction avec la diaspora et l’utilisation des connexions
numériques permettent de se professionnaliser, de diffuser les films à des publics
transnationaux et d’exprimer une perspective critique sur les nombreuses questions
politiques, sociales et culturelles relatives à l’action des gouvernements autoritaires en
Afrique du Nord, ainsi que sur des thèmes encore tabous au sein des communautés
amazighes vivant au Maghreb. Les films amazighs, en tant que bande-annonce ou dans
leur totalité, sont visibles sur Youtube, et par ailleurs la plupart des sites berbères
présentent des liens qui amènent vers ces productions filmiques.
14 Les genres oraux médiatisés, présentés sur les sites comme un bagage « culturel »
apprécié au sein de la communauté, engagent la préservation du patrimoine amazigh
dans la diaspora et au Maghreb et participent à la construction de la continuité historique
et culturelle en devenant une forme de résistance à la marginalisation culturelle et à
l’homogénéisation mondiale26. De même, ces sites introduisent la culture amazighe dans
une communication globale et contribuent à diffuser l’idée qu’une création
contemporaine en amazigh existe au-delà de la création orale. C’est ce que les sites nous
font constater en mettant en valeur la production littéraire écrite, musicale, picturale et
filmique, révélant, de fait, les clichés passés et présents sur l’oralité exclusive de la
culture berbère.
15 Par la diffusion de l’oralité médiatisée, de la nouvelle littérature écrite et de la production
audiovisuelle parmi un public dépassant les frontières de la communauté linguistique
régionale, les sites amazighs contribuent à l’élargissement de « l’espace littéraire berbère
27
 ». Cette production littéraire et artistique médiatisée permet de concevoir des discours
gratifiants sur le « soi » et sur ce que les individus et les communautés amazighes peuvent
offrir, en ligne et hors ligne. Il s’agit de participer à la construction identitaire de la
communauté locale et transnationale qui servira de base favorable au dialogue (et à la
discussion) intracommunautaire et interculturel28. Les sites favorisent l’expression de ce
que Dahraoui29 appelle « le sentiment d’être chez soi », c’est-à-dire « la résonance de la
vie d’une communauté particulière ciselée dans des espaces occupés par des sujets qui
sont loin du lieu géographique de la communauté et qui cependant croient qu’ils en font
partie30 ». Une idée répandue parmi les activistes amazighs est l’appartenance à un espace
culturel unifié territorialement et politiquement, Tamazgha, allant de l’oasis de Siwa aux
îles Canaries et de la Méditerranée au Sahel. Par le biais de cet espace unifié, qui par
ailleurs n’a pas d’existence historique en tant que communauté politique ou sociale, les
activistes tentent de créer le sentiment d’être chez soi dans les pays où ils vivent, en
surmontant ou en ignorant les conflits entre le modèle national pluraliste (soutenu par
les associations amazighes) et l’idée d’une autochtonie des Imazighen (par respect pour
les autres groupes) justifiant l’existence d’une nation unifiée : Tamazgha 31. Dans le cas de
la diaspora, il y a ceux qui considèrent les sites amazighs comme leur « chez soi » puisque,
dans et à travers ces espaces numériques, ils peuvent se réunir, interagir, reformuler leur
identité culturelle, apprendre les dernières nouvelles sur le Maghreb, repenser le rôle du
209

passé dans la reconstruction de leur identité actuelle, discuter et stimuler l’utilisation de


leur langue maternelle à travers plusieurs médias, voire par des approches linguistiques
et artistiques. Ces sites offrent aux utilisateurs amazighs un sentiment de certitude
concernant leur identité devant les multiples choix offerts par le multilinguisme et la
créolisation du Maghreb et de la diaspora ou encore par le phénomène de la
mondialisation actuelle.
16 L’attention portée à la production littéraire et artistique sur ces sites indique
l’importance du vecteur culturel dans la négociation et la construction identitaires. Le
discours numérique amazigh sur le « soi » semble se structurer en deux axes qui se
renforcent mutuellement en ligne et hors ligne. Un premier axe concerne l’activation de
la mémoire collective, de la revitalisation du patrimoine oral et de l’héritage culturel.
Ghambo32 interprète la revitalisation de l’oralité amazighe comme une forme d’« 
essentialisme stratégique » (en utilisant le concept de Gayatri Spivak33) développée dans
le but de forger un sentiment collectif fort et faire avancer les propres revendications
culturelles et politiques. Le deuxième axe porte sur l’innovation artistique et l’activisme
qui passent par l’acquisition d’autres (nouveaux et « anciens ») médias et qui permettent/
stimulent/formulent l’émergence d’une communauté qui se veut nationale et
transnationale. Mémoire et innovation ne sont pas opposées, au contraire, elles
participent à la construction de l’identité amazighe en formant une ligne directrice dans
les discours culturels et politiques tant au niveau local que global. Certains auteurs34 ont
noté un passage de l’action culturelle à celle orientée plus politiquement sur le terrain et
sur Internet. Dès lors, est-il envisageable de parler avec ces chercheurs d’une transition
historique et d’un passage générationnel ? La réponse doit être nuancée. Le discours
politique a toujours été un vecteur structurant de la mouvance culturelle de l’activisme
amazigh35. Dans le contexte actuel – grâce aux changements géopolitiques, à une plus
grande liberté d’expression sur le terrain ainsi que dans l’activisme numérique – le
discours politique se trouve au premier plan, mais les deux champs n’en restent pas
moins imbriqués. Si l’approche culturelle peut être vue comme une stratégie défensive
initiale face à une situation défavorable en raison de la répression et de la censure, il ne
s’agit pas pour autant d’un choix purement pragmatique. Comme le montre Benedict
Anderson dans Imagined communities36, la création des dictionnaires, la collecte des
matières linguistiques et littéraires du passé et du présent, le succès de certains genres
littéraires et des médias de communication de masse constituent des moyens efficaces et
nécessaires pour établir les liens de solidarité qui permettent à la communauté nationale
de s’imaginer en tant que telle37. L’activisme culturel sur Internet, lié au « sentiment
d’être chez soi » que les productions littéraires et artistiques contribuent à susciter, joue
également un rôle essentiel dans la narration de l’identité amazighe et dans ses
renégociations permanentes face à la mondialisation et l’État national postcolonial
(algérien, marocain, tunisien, libyen, malien, etc.). Il apparaît par conséquent que cet
activisme culturel soutient le discours amazigh politique concernant la pluralité, la
démocratie, les droits territoriaux et économiques.
210

La construction identitaire des sites amazighs et le


discours politique : des réponses au « printemps
arabe »
17 La rage et les protestations qui éclatent en décembre 2010, après l’immolation du vendeur
de rue Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid pour protester contre un abus de pouvoir, sont
connues en Tunisie sous le nom de « Révolution de la dignité38 ». Les manifestations
attisées par la quête de la dignité contre le chômage, les inégalités sociales et
économiques inacceptables, la corruption et le népotisme, l’oppression, et plus
généralement par le sentiment d’injustice et des droits niés par les gouvernements se
propagent en quelques mois en Libye, au Maroc, en Algérie39, en Égypte, au Yémen, à
Bahreïn et en Syrie. À partir de février 2011, les revendications concernant les droits
linguistiques et culturels amazighs en Libye, au Maroc et en Tunisie font également partie
des manifestations nationales. L’usage stratégique de la communication numérique par le
militantisme amazigh libyen, marocain et tunisien s’intensifie, faisant d’Internet un outil
non négligeable dans la participation à l’élaboration et la diffusion des mots d’ordre et
des images de l’action sur le terrain40. Cependant, très rapidement la presse
internationale se réfère à tous ces mouvements par la locution « printemps arabe41 ».
Cette métaphore fait allusion au « Printemps des peuples » de 1848 en Europe et au « 
Printemps de Prague » de 1968 et est donc politiquement chargée de sens42. Quant à
l’appellation « arabe », en simplifiant et unifiant la diversité sociale, politique et
culturelle de millions des personnes, elle « occulte la dimension identitaire des
revendications », comme l’écrit Oiry-Varacca à propos du Maroc43. Nous nous focaliserons
ci-dessous sur les réactions des sites amazighs à propos de la locution « printemps
arabe ».
18 Une certaine réticence envers l’aspect sémantique et idéologique de cette métaphore se
retrouve dans les sites amazighs qui ont tendance à la réaménager selon leurs convictions
politiques et identitaires. « Les populations amazighes croient en leur Printemps » : le
titre d’un article du journaliste et écrivain Ali Chibani, publié initialement sur son blog en
juillet 2011 puis repris par d’autres sites44, en est un exemple paradigmatique. L’attention
est posée sur « leur », ce qui introduit une notion de différenciation par rapport au
printemps dit « arabe » de façon indifférenciée et sur la préexistence de mouvements de
revendication appelés « Printemps berbère » (manifestations ayant eu lieu en Kabylie en
1980 en faveur de la reconnaissance de la langue berbère en Algérie) et « Printemps noir »
(événements sanglants de Kabylie conduisant dès 2001 à la reconnaissance de la langue
amazighe comme langue nationale de l’État algérien45). L’article de Chibani introduit ces
éléments de l’histoire contemporaine berbère et s’interroge : « L’année 2011 amène-t-elle
le troisième printemps qui serait l’aboutissement d’un combat commencé avant les
indépendances ? » Avant de passer à la présentation des mouvements amazighs en
Tunisie et en Libye après la chute respective de Ben Ali et de Kadhafi, Chibani écrit que ce
sont les États qui opposent arabophones et amazighophones dans le but de délégitimer
ces derniers (p. 2). Suivant une interprétation courante dans les études, le plurilinguisme
interprété en termes de « risque de division » expliquerait le choix idéologique du
discours nationaliste. On voit que la locution « printemps arabe » n’est pas utilisée mais
qu’elle est le réfèrent implicite des éléments réfutés par la perspective berbère présentée
dans l’article (ancienneté du Printemps berbère et manque d’attention pour
211

l’hétérogénéité de l’espace géopolitique qui est nommé « monde arabe » du Maroc à


l’Irak). L’article de Chibani et la réponse critique d’un cybernaute titrée « L’amazighisme
est du régionalisme borné et sectaire » déclenchent quarante-deux commentaires46.
19 Une autre approche consiste à associer les « printemps » arabe et amazigh de façon
explicite, en soulignant la pluralité et en évoquant l’idée d’un autre développement des
mouvements protestataires. C’est le cas du blog Voix berbères de Yidir Plantade qui
reprend l’analyse de Chibani avec le titre « Du “printemps arabe” au “printemps
amazigh”47 ? » ainsi que pour le site Amazigh News qui reproduit l’article de Didier Le
Saout, sociologue de l’université Paris 8, titré « Printemps arabe, printemps amazigh : un
printemps peut en cacher un autre48 », lors du sixième Congrès mondial amazigh (CMA)
en Tunisie49. Le site Espace culturel Loire Amazigh présente également les actes de la
conférence « Regards berbères sur les printemps dits arabes » de Lounès Belkacem50,
tandis que plusieurs sites annoncent « un printemps pour Tripoli » à l’appui des
Imazighen libyens, une annonce qui contribue à redimensionner l’imprécision et la
généralité de la locution « printemps arabe » par l’utilisation de l’article indéfini et le
renvoie au printemps berbère dans le texte51.
20 La métaphore saisonnière se développe par association d’idées en été comme en hiver
avec les connotations un peu stéréotypées que l’on peut imaginer, l’hiver évoquant une
situation négative alors que l’été symbolise la période de la récolte, celle des objectifs
atteints par les activités militantes amazighes, voire militaires dans le cas libyen. Le site
amazigh.nl reproduit une conférence intitulée « Du printemps nord-africain à l’hiver
islamique », faisant le choix explicite du terme « nord-africain » pour échapper aux
problèmes de la définition du « printemps arabe »52, tandis qu’Anissa Berkani Rohmer
publie la séquence de diapositives « Printemps arabe, été berbère » sur Youtube53 en
empruntant le titre d’un article de Chawki Amari, journaliste au quotidien El Watan 54. Les
années suivantes, la critique se renouvelle comme le démontrent les commentaires des
articles « L’impasse idéologique du printemps arabe » de Said Lounès repris sur amazigh-
world.org 55 et « Printemps arabes hier et commémoration du printemps berbère
aujourd’hui en 2014 » sur le blog www.kassaman.com en avril 2014.
21 Que le terme de « printemps arabe » soit absent ou remis en question sur les sites et les
blogs amazighs, l’attention est surtout portée sur « l’irruption politique » des Imazighen
libyens56 et sur le réveil amazigh tunisien. Cet enthousiasme se fait l’écho de ce qui
apparaît pour les internautes amazighs comme la concrétisation inattendue de Tamazgha,
le nom donné au territoire unifié culturellement et politiquement de l’activisme berbère
dont nous avons parlé ci-dessus. L’information provenant du terrain est diffusée par les
sites amazighs libyens tels Nefusa Mountain Media Group, Libya Al Hurra TV et Imazighen
Libya Youtube57 ainsi que par les sites tunisiens Tunisie berbère et Nawaat 58. En montrant les
potentialités soudainement matérialisées par le mouvement amazigh, le cas de la Libye
interagit avec les développements en Tunisie59 et devient emblématique60, notamment sur
les sites agraw.com, amazigh.nl, amazighnews.net, amazigh-world.org, amazightimes.nl, rezki.net
, souss.com, tamazgha.fr, et tamurt.info. Citons quelques exemples tirés des titres des
dizaines d’articles et commentaires publiés : « Un voyage de rêve en pays amazigh »
(Libye) de Masin Ferkal sur tamazgha.fr en juillet 2011 ; « Libye libyenne ou Libye arabo-
musulmane ? Les prémices d’une “crise berbère” » de l’universitaire et écrivain Lahoucine
Bouyaakoubi, repris dans Amazigh News en septembre 2011, offrant le parallèle avec les
positions politiques de la résistance anticoloniale en Algérie61 ; « Pas de Libye sans
tamazight » par Rezki Mammar sur rezki.net en octobre 2011 ; « Les Imazighen trompés
212

continuent la révolution en Libye » (notre traduction du néerlandais) sur


amazightimes.com etamazigh.nl en décembre 2011 ; « La culture berbère fait son chemin en
Libye » publié dans Courrier international est repris sur souss.com en décembre 2012 62 ; « 
Rights activists vow to restore Libya’s Amazigh identity » (Les activistes des droits de
l’homme promettent de rétablir l’identité amazighe libyenne) par Masin Ferkal qui
retranscrit l’entretien avec Fathi Bouzakhar (président du CMA) sur tamazgha.fr en janvier
2013.
22 Les informations et les commentaires sur les développements politiques libyens sont
intégrés par l’utilisation de la musique et de la poésie qui, comme nous l’avons vu
précédemment, renforcent le discours de la construction sociopolitique et identitaire et,
dans ce cas précis, de la participation des Imazighen aux divers mouvements nationaux.
C’est par exemple la publication par Voix berbères et tamazgha.fr d’une vidéo montrant
quelques combattants libyens qui chantent une adaptation de la chanson du groupe
kabyle Aït Menguellet63, illustrant ainsi le rôle joué par la musique kabyle dans la
continuité culturelle amazighe. Le site souss.com dédie quant à lui aux « frères et sœurs »
libyens le poème « Mais on peut affamer les corps64 ». Nous avons mentionné
précédemment Dania ben Sassi : ses chansons en hommage aux Amazighs de Libye et à
leur résistance sont reprises et diffusées par les sites amazighs, tout particulièrement la
chanson « Itri nnegh » (notre étoile), écrit par le père de la chanteuse, ainsi que « Agrawli
itri-nneɣ » (le révolutionnaire est notre étoile). Néoculture amazighe et actu décalée, le site
de Lhoussain Azergui, définit la chanteuse comme « l’hirondelle du printemps amazigh
libyen » et agraw.com publie à ce sujet une vidéo sur une page intitulée « Dedicated to the
Amazigh fighters in Libya » (dédiée aux combattants amazighs en Libye65). La liste
s’allonge avec amazighworld.org qui publie la vidéo de « Thamoukkes thallast : la nouvelle
chanson de Dania ben Sassi66 » et tamazgha.fr qui présente la chanson « Numidie »,
reprenant le nom du règne berbère établi dans le nord de l’Afrique entre le III e et le I er
siècle avant J.C.67, sans parler des dizaines de vidéos de la chanteuse sur Youtube. « The
Amazigh American Initiative Community Organization » propose la chanson « Abrid n
Tinelli » (le chemin de la liberté) sous-titrée en anglais 68 dans laquelle le refrain et
certains vers résument bien la soif d’expression et d’affirmation politiques des groupes
amazighs en Libye. On peut y reconnaître des mots-clés du discours amazigh
transnational, tels tilelli (liberté), tamazgha (la terre amazighe nord-africaine), tamazight
(la langue amazighe) ou encore l’expression « ufus g usus » [deg ufus ] (main dans la main)
afin d’évoquer l’unité et la fraternité. L’élan créé par la révolte et la riposte armée trouve
son expression dans les métaphores du sang versé, pour désigner les morts qui se sont
sacrifiés pour la création de la Libye, et de l’union fraternelle « main dans la main » dans
la révolution. Le nouvel État libyen est ancré dans un espace amazigh transnational
personnifié par une figure féminine accueillante (Tamazgha tudad ifassen-is 69), figure
récurrente de l’imaginaire national et de la division des rôles masculins/féminins dans les
mouvements nationalistes70. La contradiction possible entre État-nation pluriel et unité
transnationale amazighe est détournée dans un des vers de la chanson qui
revendique l’officialisation de la langue amazighe dans la Constitution libyenne.
« Assu Libya tuya tadreft-is
s idemmen n imnayen, amezruy turi-t
Tamazgha tudad ifassen-is d ighalen-is
taghsa f yimi-s
tghemmer Tilelli
Ufus g ufus g tagrawla nmali
213

Tamazight awal-is g destur dghalis tazeft hanntenui


A neffagh da neml di tafat n taziri71. »

Sites internet, Imazighen et le Mouvement du 20


février au Maroc
23 Le Maroc a participé aux mouvements qui se sont propagés dans les pays d’Afrique du
Nord et au Moyen-Orient en engrangeant l’expérience contestataire préalable
d’organisations de défense des droits de l’homme, de mouvements d’opposition comme Al
Adl wal Ihsan (Justice et Spiritualité), des mouvements amazighs et du mouvement
national des diplômés universitaires chômeurs dès le début du mois de janvier 2011. Entre
fin décembre 2010 et début janvier 2011, ces mouvements encore dispersés commencent à
s’organiser et mettent en place une forte mobilisation le 20 février 201172 sous la forme
d’une marche de protestation. Ces groupes vont devenir au Maroc ce que l’on appelle « le
Mouvement du 20 février ». Il est à remarquer que cette qualification se réfère à une date
plutôt qu’à la langue arabe comme dans le cas de « printemps arabe », ce qui dans le
contexte marocain aurait pu signifier l’ouverture de la contestation des activistes
amazighs comme on le voit sur les sites amazighs internationaux.
24 Une fois lancé le Mouvement du 20 février, la décentralisation des coordinations locales a
permis de faire apparaître aux côtés des slogans au niveau national des slogans
correspondant aux réalités locales. Après le succès inespéré de cette marche, chaque
composante tenta de faire admettre ses propres revendications73. C’est dans ce cadre que
les réclamations des organisations amazighes se sont incorporées au Mouvement du 20
février. Les programmes du mouvement amazigh constituent une section essentielle des
revendications du Mouvement du 20 février en exigeant, entre autres, une plus grande
autonomie régionale74. Les activistes rifains, en particulier, demandaient l’autonomie du
nord du Maroc, la région du Rif75. Cette revendication, suivant l’exemple des positions
plus radicales du mouvement kabyle en Algérie, était basée sur la conviction de la
particularité historique, sociale et culturelle du Rif ayant souffert durant l’occupation
coloniale et sous ce qui est appelé Al‑makhzen par les militants (« le régime et les appareils
de l’État ») après l’indépendance du Maroc en 1956.
25 Les nombreuses organisations qui constituaient le Mouvement du 20 février ont utilisé les
médias pour diffuser leurs idées et déclarations. Depuis fin décembre 2010, les médias
internet ont non seulement facilité et accéléré la communication en matière de
coordination et de planification des protestations mais ont aussi aidé le mouvement à
relayer les informations entre les organisations et le public76. Nous noterons l’usage
particulièrement efficace de Facebook dans le ralliement des Marocains à la cause du
Mouvement du 20 février : le compte du mouvement a joué en effet le rôle de plateforme
où l’information, la planification et les actions étaient publiées et discutées. Nous
présenterons plus loin quelques exemples du rôle de Facebook et des sites amazighs
rifains ayant contribué à l’émergence du « printemps démocratique » au Maroc.
26 L’article du 25 septembre 2011 paru sur www.asdaerif.net est un exemple probant de
l’utilisation des sites internet comme plateformes de mobilisation et d’information pour
les membres du mouvement. L’article intitulé « 50 ‫ ﻓﺒﺮاﻳﺮ ﺳﺘﻨﺘﻔﺾ ﻓﻲ أزﻳﺪ ﻣﻦ‬20 ‫ﺣﺮﻛﺔ‬
‫( »  ﻣﺪﻳﻨﺔ وأﻧﺒﺎء ﻋﻦ رﻓﻊ ﺳﻘﻒ اﻟﻤﻄﺎﻟﺐ‬Le Mouvement du 20 février se lèvera dans plus de
50 villes et le mouvement élèvera le plafond des exigences) est une déclaration expliquant
les causes des manifestations, entre autres l’emprisonnement de personnes innocentes, la
214

corruption, la tyrannie, l’oppression et l’injustice. Selon Willis77, ces demandes


correspondaient aux préoccupations des mouvements amazighs au Maroc et
concernaient davantage les questions nationales comme la corruption, la pauvreté,
l’assujettissement et la liberté d’expression que les causes internationales comme les
conflits syrien, irakien et israélo-palestinien.
27 Les sites du mouvement ont ensuite rendu accessibles des informations et des
interprétations censurées ou ignorées par les médias officiels et semi-officiels de l’État.
Par exemple, ces derniers avaient présenté les manifestations populaires comme « une
révolution et un printemps démocratiques dirigés par la monarchie78 », interprétant les
revendications des Marocains comme dérivant de l’effort du roi pour changer le
fonctionnement des appareils de l’État. Plusieurs sites (comme rifnow.com et lakome.com)
présentaient au contraire les protestations du 20 février comme l’expression de
l’insatisfaction des citoyens envers l’État, y compris envers l’institution monarchique, et
l’interprétation des médias officiels comme déformant sciemment les faits dans le but de
déstabiliser les revendications du mouvement. Ce point de vue est notamment présent
sur un autre site amazigh rifain, rifnow.com, qui publie l’article « ‫ ﻓﺒﺮاﻳﺮ ﺑﻜﻞ ﻣﻦ‬20 ‫ﺣﺮﻛﺔ‬
-Le Mouvement du 20 février à Al) « ‫اﻟﺤﺴﻴﻤﺔ وإﻣﺰورن ﺗﺴﺘﺄﻧﻔﺎن اﺣﺘﺠﺎﺟﺎﺗﻬﻤﺎ ﺑﻌﺪ اﻻﺳﺘﻔﺘﺎء‬
Hoceïma et Imzouren a repris les protestations après le référendum) le 3 juillet 2011,
deux jours après le référendum sur la nouvelle version de la Constitution marocaine.
L’article se montre méfiant envers le référendum et la nouvelle mouture de la
Constitution pour deux raisons principales. D’abord, selon les activistes, la modification
de la Constitution n’a pas amené des changements d’attitude du régime par rapport au
passé (1962, 1970, 1972, 1992, 1996 et 2011), car de nombreux articles de la Constitution ne
sont pas traduits dans la loi. Ensuite, le Mouvement du 20 février avait fait appel à une
assemblée constituante élue démocratiquement pour réformer la Constitution, mais cette
idée avait été rejetée par les médias étatiques en mettant en avant l’idée que seul le
monarque, pouvoir suprême dans le pays, était légitime pour nommer la commission
pouvant modifier la Constitution de 201179. La stratégie du site rifnow.com et de l’article
publié le 3 juillet 2011 visait à montrer, d’une part, que les médias de l’État utilisent l’idée
d’une « nouvelle constitution » pour détourner l’élection de l’assemblée et affaiblir la
participation des manifestants et, d’autre part, que le Mouvement ne s’était pas éteint et
poursuivait ses engagements. Bien que l’article insiste sur les manifestations après le
référendum, l’élan de 2011 perdit de son souffle, et de nombreux militants, dont plusieurs
activistes amazighs appartenant au Mouvement du 20 février, furent envoyés en prison et
condamnés à de longues peines80.
28 Un autre exemple des relations entre les revendications amazighes et le Mouvement du
20 février est donné par le site de l’association culturelle Zari, hébergé en France. Le 11
février 2012, presque une année après la naissance du Mouvement du 20 février, cette
association culturelle publie sur son site l’article intitulé « Le Mouvement marocain du 20
février et Abdelkrim El Khattabi ». Cet article est accompagné d’une photo prise en Égypte
de la tombe de l’ancien émir de la République du Rif, Mohammed ben Abdelkrim El
Khattabi, avec le drapeau du Mouvement du 20 février posé au pied de la sépulture81. En
associant le nom du légendaire chef rifain au Mouvement du 20 février, l’article suggère
une similitude entre l’action d’Abdelkrim El Khattabi, qui a combattu les occupants
espagnols et français et déclaré l’indépendance de la République du Rif en 1921, et les
idéaux du Mouvement. Il faut se rappeler que, selon certaines interprétations, l’émir
Abdelkrim El Khattabi avait rejeté les institutions créées dans la zone qui était sous le
215

contrôle du sultan durant la colonisation française82. L’article présente l’émir comme une
figure ayant sacrifié sa vie pour créer les conditions qui auraient permis aux Rifains de
vivre avec dignité et dans la prospérité. Le site semble également suggérer qu’il avait
établi des institutions et une constitution librement adoptées et acceptées par tous les
Marocains, en passant sur le fait qu’il s’agissait d’une constitution conforme à la tradition
de l’élection du calife83. Le lien que fait cet article entre la figure d’Abdelkrim et le
Mouvement du 20 février a pour but de justifier ses propres réclamations d’une
constitution et d’institutions véritables et d’une réelle lutte contre la corruption au
Maroc. De fait, il rejette les « fausses » constitutions et institutions, qu’il considère être la
façade démocratique trompeuse d’un régime autoritaire84. Enfin, ce lien soulève la
question de l’autonomie de la région du Rif, en prenant soin cependant d’éviter les
contradictions inhérentes à la figure de l’émir par rapport à la conception démocratique
actuelle.
29 Quant à l’ensemble des informations que l’on trouve sur Internet concernant le
Mouvement du 20 février, nous avons noté des divergences entre les différents sites. Dès
l’été 2011, plusieurs groupes sortent du Mouvement du 20 février. Ils seront suivis par le
mouvement islamiste Justice et spiritualité en décembre de la même année. Ces divisions
sont exploitées par le gouvernement85 et donneront naissance à des informations et des
interprétations tellement contrastées sur les sites marocains qu’il s’avérera difficile, pour
le plus grand nombre, de savoir lesquels étaient indépendants ou non, cette confusion
s’étendant par ailleurs aux sites des activistes et aux associations.
30 La question de la vitalité du mouvement est clairement l’objet de débats entre les diverses
parties, comme nous le voyons dans l’usage des photographies et des vignettes attractives
et symboliques marquant leurs discours. C’est dans ce sens que le 20 février 2015, le site
www.hespress.com publie la traduction en arabe d’un article paru plus tôt dans Le Monde 86
, intitulé « Quatre ans après, un “printemps” marocain introuvable », accompagné d’une
image représentant « le contour de craie » d’un mouvement considéré comme mort. Le
texte affirme que le Mouvement est très affaibli bien que son esprit soit toujours vivant.
31 La volonté de contrer une telle image apparaît deux jours plus tard. Le 22 février 2015, le
site anwalpress.com publie un article intitulé « Dans l’une de ses manifestations à Rabat, le
Mouvement du 20 février insiste sur l’élimination de la corruption et les fonctionnaires
corrompus ». Cet article décrit la manifestation comme l’un des plus grands
rassemblements du Mouvement depuis 2012 et montre plusieurs photos de manifestants
où l’on voit le drapeau amazigh.
32 La présence de contrastes importants dans les interprétations s’explique notamment par
le nombre limité de manifestants87 et de drapeaux amazighs, indiquant de fait que l’élan
initial s’est essoufflé, voire qu’il serait sur sa fin. Toutefois, la manifestation en soi indique
qu’il subsiste un souffle du Mouvement du 20 février qui n’a pas encore dit son dernier
mot.

Conclusion
33 Internet a réduit les distances géographiques en créant des espaces où les groupes et les
individus peuvent s’exprimer et donner satisfaction aux désirs des communautés
dispersées géographiquement mais unifiées virtuellement, grâce aux interactions
dynamiques propres au numérique et à la consommation de produits culturels diffusés
216

par ces mêmes médias. Les sites Web amazighs ont su exploiter à bon escient ce réseau
moderne d’échanges et de partages, tandis que les productions littéraires, musicales et
visuelles ont contribué aux processus de construction et reconstruction de l’identité
amazighe de ces sites à partir d’un discours gratifiant sur le « soi ». Bien que cette
revitalisation par ce média de l’héritage culturel ait pu faire émerger une certaine forme
d’« essentialisme stratégique », nous devons cependant souligner que l’innovation
artistique et l’activisme politique forment une facette indéniable des sites amazighs. De
ces échanges, un ensemble de stratégies « créatives » a vu le jour pour participer en ligne
et hors ligne à la formulation d’une communauté localisée mais transnationale. Les
productions artistiques en s’associant progressivement au discours sociopolitique vont
renforcer ce dernier ; nous l’avons vu dans le cas de la locution « printemps arabe » que
plusieurs sites amazighs ont contribué à redéfinir non seulement par la critique mais
aussi par la renégociation. Nous constatons, en observant les stratégies de
communication des sites et des blogs amazighs, que ceux-ci expriment de la distance
quant à la locution « printemps arabe », en la détournant ou en soulignant la pluralité des
mouvements politiques ayant participé à ce « printemps ». Les internautes préfèrent
associer le « printemps arabe » au « printemps » et à « l’été » amazighs, deux métaphores
saisonnières faisant référence aux protestations berbères passées et récentes, ou le
remplacer par l’expression « printemps nord-africain ». Nous avons ensuite montré
l’attention qui est portée à « l’irruption politique » des Imazighen libyens (et de façon
plus réduite aux tunisiens). Elle est perçue comme une concrétisation de l’idée de
Tamazgha exprimée entre autres dans leur appropriation des chansons kabyles ou encore
dans les textes de la nouvelle « star » Dania ben Sassi qui rendent hommage aux Amazighs
de Libye, en particulier, et à l’amazighité, en général. En ce qui concerne les sites rifains
marocains, la locution « printemps arabe » laisse le champ au « Mouvement du 20
février ». Les participations des associations amazighes aux manifestations des années
2011-2012 pour la démocratie et la justice ont été soutenues par les sites berbères
marocains. Sur les sites rifains notamment, on remarque la contestation des informations
données par les sites des médias marocains officiels, particulièrement sur le rôle de la
monarchie dans le printemps démocratique, soutenue par une bataille de photos sur la « 
mort » du mouvement après 2011-2012. Le débat et le positionnement des sites amazighs
ne sont pas dépourvus de contradictions. Par exemple entre le pluralisme revendiqué et
l’idée de Tamazgha comme lieu de l’unité des Imazighen en tant qu’« autochtones » par
respect envers les autres groupes, entre l’État-nation pluriel et l’unité transnationale
amazighe, ou encore entre la conception « démocratique » du Mouvement du 20 février et
la République du Rif de l’émir Abdelkrim El Khattabi. Si les sites amazighs ne font pas face
à ces contradictions de leur propre discours, leur fonction de forum reste significative en
permettant à leurs utilisateurs d’interagir, de se positionner par rapport aux « 
révolutions », évoluant par le biais d’une influence mutuelle, et de partager le sentiment
« d’être chez soi » au sein de ces espaces virtuels.
217

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
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School of American Research Press, 1991, p. 191-210  ; D. Dayan, «  Media and Diasporas  », dans
Television and Common Knowledge, sous la dir. de J. Gripsrud, London et New York, Routledge, 1999,
p. 18-33  ; K.H. Karim, dir., «  Mapping Diasporic Mediascapes  », dans The Media of Diaspora :
Mapping the Globe, New York, Routledge, 2003, p. 1-18  ; M. Georgiou, Diaspora, Identity and the
Media : Diasporic Transnationalism and Mediated Spatialities, New York, Hampton Press, 2006  ; N.
Glick Schiller et al., Nations Unbound : Transnational Projects, Post-colonial Predicaments, and De-
terrirorialized Nation-States, Langhorne P.A, Gordon et Breach, 1994, p. 6  ; D. Miller et D. Slater, The
Internet. An Ethnographic Approach, Oxford et New York, Bergh, 2000  ; S. Najar, dir., Le
Cyberactivisme au Maghreb et dans le monde arabe, Paris, Khartala, 2013, p. 15.
2. Notons qu’il y a une différence entre les notions de diaspora et de migration. La «  diaspora  »
implique que des causes politiques, économiques ou écologiques ont forcé les groupes à émigrer,
tandis que les «  migrants  » choisissent de partir, toutefois la ligne de séparation entre les deux
groupes n’est pas toujours claire. Dans ce texte, le terme «  diaspora  » dans son sens le plus
général inclut les formes de migration individuelle et volontaire.
3. L’espace géographique des communautés usant de la langue berbère s’étend du Maroc à l’oasis
de Siwa en Egypte et passe par l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Il inclut également les populations
berbérophones du Mali, du Niger et du nord du Burkina Faso. Ramos-Martin parle de l’émergence
de l’identité amazighe dans les îles Canaries, bien que la langue amazighe n’y soit pas parlée. Cf. J.
Ramos-Martín, «  L’identité amazighe aux Canaries  : l’historiographie des origines  », L’Année du
222

Maghreb, 10, 2014, p. 143-162. Quant à la diaspora berbère en Europe, les pays concernés sont
principalement la France, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et l’Italie.
4. D. Merolla, «  Digital Imagination and the ‘Landscapes of Group Identities’ : Berber Diaspora
and the Flourishing of Theatre, Video’s, and Amazigh-Net  », The Journal of North African Studies,
Winter, 2002, p. 122-131  ; D. Merolla, «  Migrant Websites, WebArt, and Digital Imagination  »,
dans Migrant Cartographies, New Cultural and Literary Spaces in Post-colonial Europe, sous la dir. de D.
Merolla et S. Ponzanesi, USA, Lexington Books, 2005, p. 217-228  ; D. Merolla, «  De la parole aux
vidéos  : oralité, écriture et oralité médiatique dans la production culturelle amazighe
(berbère)  », Afrika Focus, n°  18, 1-2, 2005b, p. 33-57.
5. D. Merolla, «  Music on Dutch Moroccan Websites  », Performing Islam, no. 1, 2, 2013. p. 291-315  ;
M. Lafkioui, D. Merolla, dir., Oralité et nouvelles dimensions de l’oralité  : intersections théoriques et
comparaisons des matériaux dans les études africaines, Paris, Colloques Langues O’, Inalco, 2008,
p. 111-125.
6. M. Lafkioui, «  Interactions digitales et construction identitaire sur les sites Web berbères  »,
Etudes et documents berbères, n° 29-30, 2011, p. 233-253  ; M. Lafkioui, «  Multilingualism,
Multimodality and Identity Construction on French-Based Amazigh (Berber) Websites  », Revue
française de linguistique appliquée, 2013, n° XVIII-2, p. 135-151.
7. A. Almasude, «  The New Mass Media and the Shaping of Amazigh Identity  », dans Revitalizing
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University, 1999, p. 117-128  ; I. Brinkman et al., «  Local Stories, Global Discussions  : Websites,
politics and identity in African contexts  », dans Popular Media, Democracy and Citizenship in Africa,
sous la dir. de H. Wasserman, series ‘Internationalising Media Studies’, New York, Routledge,
2011, p. 236-252  ; K.H.A. Leurs, Digital Passages : Moroccan-Dutch Youths Performing Diaspora, Gender,
and Youth Cultural Identities Across Digital Space, Utrecht, Université d'Utrecht 2013 (thèse). Loh, «  
Les jeunes Berbères et la cyber-résistance  », Tamazgha.fr, 2005, 9 juillet, [en ligne] URL  : http://
tamazgha.fr/Les-jeunes-berberes-et-la-cyber-resistance,1377.html ; L. Oulhadj, «  La ruée vers
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oulhadj.htm ; À. Suárez Collado, «  The Amazigh Movement in Morocco, New Generations, New
References of Mobilization and New forms of Opposition  », Middle East Journal of Culture and
Communication, 6, 2013a, p. 55-74  ; À. Suárez Collado, «  Mouvements sociaux sur la Toile  : les
effets des NTIC sur le militantisme amazigh au Maroc  », dans Le Cyberactivisme au Maghreb et dans
le monde arabe, sous la dir. de S. Najar, Tunis, IRMC, et Paris, Karthala, 2013b, p. 41-54  ; À.Suárez
Collado, «  À la recherche d’une place dans le «  Printemps arabe  »  : les TIC et la contestation
amazighe pendant les émeutes en Afrique du Nord  », dans Les Réseaux sociaux sur Internet à l’heure
des transitions démocratiques, sous la dir. de S. Najar, Paris, Khartala, 2013c, p. 379-397.
8. Voir B. Maddy-Weitzman, The Berber identity Movement and the Challenge to North African States,
Austin, University of Texas, 2011, p. 275-276, et les répertoires Web  : http://
berber.startkabel.nl/, http://www.mondeberbere.com/ (sites Web), https:// www.temehu.com/
imazighen/amazigh-berber-websites.htm et http://www.rezki.net/Sites-berberes-en-langue-
francaise.html.
9. S. Azizi, «  Les Idaw Facebook  : typologie de groupes amazighs sur un réseau social virtuel  »,
dans La Culture amazighe  : réflexions et pratiques anthropologiques du temps colonial à nos jours, Actes
du colloque de Fès, 28-29 mai 2009, sous la dir. de H. Belghazi, Rabat, IRCAM, 2013, p. 55-76.
10. D. Merolla, «  Migrant Websites, WebArt, and Digital Imagination  »  ; «  Music on Dutch
Moroccan Websites  ».
11. Il s’agit de sites nationalistes qui assument les «  références historiques  » berbères des
Canaries.
12. S. Najar, Le Cyberactivisme au Maghreb et dans le monde arabe.
223

13. D. Merolla, « Digital Imagination and the ‘Landscapes of Group Identities’ : Berber Diaspora
and the Flourishing of Theatre, Video’s, and Amazigh-Net »  ; « Migrant Websites, WebArt, and
Digital Imagination »  ; « Music on Dutch Moroccan Websites ».
14. D. Merolla, «  Migrant Websites, WebArt, and Digital Imagination  »  ; M. Lafkioui, «  
Interactions digitales et construction identitaire sur les sites Web berbères  »  ; «  
Multilingualism, Multimodality and Identity Construction on French-Based Amazigh (Berber)
Websites  ».
15. Il est possible de parler d’oralité médiatisée ou technauriture dans le cas des sites qui
reformulent les genres oraux à travers l’intermédialité d’Internet. Cf. R. Kaschula, «  
Technauriture : Multimedia Research and Documentation of African Oral Performance  », dans
Multimedia Research and Documentation of Oral Genres in Africa - The Step Forward. sous la dir. de D.
Merolla et al., LIT Verlag, 2012, p. 1-21. Le Net est caractérisé par l’intégration des médias de
communication anciens et nouveaux qui portent souvent des traces ou soutiennent de nouvelles
formes de l’oralité, ce qui se retrouve également sur les sites Web amazighs. Intermédialité
indique «  the interconnectedness of modern media of communication  » (l’interconnexion des
médias modernes de la communication), tandis que multimédia indique l’utilisation de «  
separate media used at the same time, such as in sound and slide shows  » (des supports médias
utilisés en même temps, comme dans le cas de la musique jouée pendant les diaporamas) et
multimodalité ce qui se passe dans les films qui «  combine moving images, voices and music  »
(combinent les images en mouvement, les dialogues et la musique). À ce propos, on renvoie à K.B.
Jensen, «  Intermediality  », dans International Encyclopedia of Communication, sous la dir. de W.
Donsbach, Oxford, UK et Malden, MA, Wiley-Blackwell, 2008, p. 2385-2387. Bien que
l’intermédialité ne soit pas un phénomène nouveau (voir I.O. Rajewsky, «  Intermediality,
Intertextuality, and Remediation  : A Literary Perspective on Intermediality  », Intermédialités/
Intermedialities 6, 2005, p. 43-64), dans le cas du Net les utilisateurs de sites font l’expérience de
l’intermédialité en utilisant ces différents médias et en passant librement de l’un à l’autre. On
peut interpréter les genres oraux médiatisés comme une nouvelle spécialisation de l’oralité, celle
qui exige une certaine connaissance technique et même une alphabétisation de base du public.
Cf. D. Merolla, «  Intersections : Amazigh (Berber) Literary Space  », dans Vitality and Dinamism.
Interstitial Dialogues of Language, Politics, and Religion in Morocco’s Literary Tradition, sous la dir. de
K.R. Bratt et al., Leiden University Press, Leiden, 2014, p. 47-72. Voir par exemple, sur le site
tamazgha.fr, les rubriques de la page culturelle en langue kabyle (http://www.tamazgha.fr/-S-
tmazight-.html) et la vidéo d’une chanson pour enfants (http://www.tamazgha.fr/Tifawin.html).
16. Voir par exemple les comptes-rendus de Lahoucine Bouyaakoubi sur amazighnews.net et
akunad.com/net et ceux de Said Chemakh sur tasekla.wordpress.com.
17. D. Merolla, «  Intersections : Amazigh (Berber) Literary Space  » , Vitality and Dinamism.
Interstitial Dialogues of Language, Politics, and Religion in Morocco’s Literary Tradition.
18. N. Karrouche, Memories from the Rif, Moroccan-Berber Activists between History and Myth (thèse),
Rotterdam, Rotterdam University, 2013, p. 245.
19. Actuellement, la majorité des chansons enregistrées par les artistes rifains font usage de la
forme lyrique «  izran/izlan  ». Quelques artistes font usage de poèmes écrits par des poètes
amazighs qui composent également des izran/izlan.
20. Pour Idir, voir J.E. Goodman, Berber Culture on the World Stage : From Village to Video,
Bloomington, Indiana University, 2005, p. 61-68 et 123-142.
21. A.B. Dahraoui, Amazigh Culture and Media : Migration and Identity in Songs, Films and Websites
(thèse), Amsterdam, ASCA/University of Amsterdam, 2014, p. 61.
22. Ibid, p. 24.
23. Ibid, p. 164.
24. Par exemple, le rapport de la commission sur la régionalisation au Maroc est explicite sur la
promotion de l’arabe, tandis que pour l’amazigh, on se réfère à une loi à venir («  Maroc, identité
224

amazighe, etc.  »), voir le blog d’«  Amazigh  », 27 juin 2011. Cf. aussi A. Boukous, «  
L’officialisation de l’amazighe  : enjeux et stratégies  », Asinag, n° 8, 2013, p. 16  ; M. Oiry-Varacca,
«  Le «  printemps arabe  » à l’épreuve des revendications amazighes au Maroc  : analyse des
enjeux territoriaux et politiques des discours sur l’identité  », L’Espace politique, 18, 2012-3, [en
ligne] URL  : http://espacepolitique.revues.org/2504.
25. A. Bouguermouh et D. Brahimi, «  A propos de La Colline oubliée, le roman et le film  : entretien
avec Denise Brahimi  », Awal, Cahiers d’études berbères, n°  15, 1997, p. 3-8  ; S.G. Carter, «  Moroccan
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p. 241-262  ; S.G. Carter, «  Constructing an independent Moroccan nation and national identity
through cinema and institutions  », The Journal of North African Studies, n° 13, 4, 2008, p. 531-559  ;
D. Hart, Muslim Tribesmen and the Colonial Encounter in Fiction and on Film, Amsterdam, Het
Spinhuis, 2001  ; B. Hasnaoui, «  Les séries télévisées étrangères dans la télévision marocaine  :
processus d’identification affective et d’aliénation culturelle  », dans Langues et médias en
Méditerranée, sous la dir. de A. Lachkar, 2012, p. 203-208  ; O. Idtnaine, «  Le cinéma amazigh au
Maroc  : éléments d’une naissance artistique  », Africultures, 20-10-2008, [en ligne] URL  : http://
www.africultures.com/php/?nav=article&no=8117 ; D. Merolla, «  De la parole aux vidéos  :
oralité, écriture et oralité médiatique dans la production culturelle amazighe (berbère)  », Afrika
Focus, n°  18, 1-2, 2005b, p. 33-57  ; D. Merolla, «  La Narration dans l’espace littéraire berbère  »,
Encyclopédie berbère, n° 33-34, 2012, p. 5236-5251.
26. Voir aussi J.E. Goodman, Berber Culture on the World Stage : From Village to Video, Bloomington,
Indiana University, 2005. Il a travaillé entre autres sur la réutilisation du patrimoine oral dans la
chanson contemporaine kabyle.
27. La réflexion critique sur multimédialité et multilinguisme a conduit Merolla à utiliser la
notion d’espace littéraire berbère pour expliciter l’imbrication de la création littéraire et
l’attention donnée – et partagée dans la diversité des genres et des langues – à la langue ainsi
qu’aux lieux et à l’histoire locale et/ou à la diaspora berbères, manifestant de fait une tendance à
se «  narrer  » pour se «  construire  » dans un ensemble de textes qui ne sont pas structurés par
les institutions littéraires d’un seul «  champ  » (selon la définition bourdieusienne). D. Merolla,
Gender and community in the Kabyle Literary space, Leiden, CNWS, 1996, p. 13-16 et 28-40  ; D.
Merolla, «  La Narration dans l’espace littéraire berbère  », Encyclopédie berbère, n° 33-34, 2012,
p. 5236-5251 et B. Anderson, Imagined communities, London/New York, Verso, 1983 [1991], p. 5. La
définition «  d’espace littéraire berbère  » (amazigh) a été productive, étant reprise dans les
études, par exemple dans A. Ameziane, «  La littérature kabyle dans l’expérience éditoriale du
HCA  : quelques notes exploratoires  », Revue des études berbères, 2009, [en ligne] URL  : http://
www.centrederechercheberbere.fr/la-litterature-kabyle-dans-lexperience-editoriale-du-hca-
quelques-notes-exploratoires.html#_ftn18 ; A. Bounfour,. Introduction à la littérature berbère. 1.
Poésie, Paris, Peeters, Lovain, 1999, p. 4-9  ; S. Chaker, «  La langue de la littérature écrite berbère  :
dynamiques et contrastes  », Études littéraires africaines, n° 22, 2006, p. 17  ; S. Chemakh, «  
Littérature berbère  : regard sur l’œuvre de Mohya  », (sans date) [en ligne] URL  : http://
auresiennekahina.over-blog.org/article-litterature-berbere-regard-sur-l-oeuvre-de-
mohya-87646231.html ; S. Chemakh, «  Salas et Nuja ou l’amour possible… A propos du premier
roman de Brahim Tazaghart  », Tuzunt, site dédié à la littérature amazighe et à la traduction en
amazighe, 13 octobre 2009 [en ligne] URL  : http://www.tamazgha.fr/Salas-et-Nuja-ou-l-amour-
possible,1267.html ; S. Pouessel, «  Writing as resistance : Berber literature and the challenges
surrounding the emergence of a Berber literary field in Morocco  », Nationalities Papers : The
Journal of Nationalism and Ethnicity, n° 40, 3, 2012, p. 373-394  ; F. Tissot, Pour une ethnolinguistique
discursive du conte berbère à la croisée des cultures  : relation orale et «  méta-médiation  » (thèse),
Besançon, Université de Franche-Comté, 15 janvier 2011, p. 22  ; F. Tissot, «  Dire le conte berbère
à la croisée des cultures  : pour une ethno-linguistique discursive  », Revue électronique des écoles
postdoctorales ED LISIT et ED LETS, n° 8, 2 novembre 2011b, [en ligne] URL  : http://revuesshs.u-
225

bourgogne.fr/lisit491/document.php?id=812 ; T. Yacine, Chacal ou la ruse des dominés  : aux origines


du malaise des intellectuels algériens, Paris, La Découverte, 2004, p. 149-171.
28. D. Merolla, «  Digital Imagination and the ‘Landscapes of Group Identities’ : Berber Diaspora
and the Flourishing of Theatre, Video’s, and Amazigh-Net  », The Journal of North African Studies,
Winter, 2002, p. 122-131.
29. A.B. Dahraoui, Amazigh Culture and Media : Migration and Identity in Songs, Films and Websites,
p. 148.
30. Voir également K.H. Karim, dir., «  Mapping Diasporic Mediascapes  », dans The Media of
Diaspora  : Mapping the Globe, New York, Routledge, 2003, p. 10.
31. Selon Oiry-Varacca, l’idée de l’autochtonie des Imazighen peut se développer dans une vision
ethnique de la société, mais «  cette position radicale est minoritaire au sein des réseaux cités
précédemment [les associations amazighes], qui considèrent l’amazighité comme un socle
identitaire commun à tous les Marocains et non comme un substrat dévalorisant, ce qui viendrait
après, ou comme l’apanage d’un groupe ethnique ou culturel  ». M. Oiry-Varacca, «  Le
“printemps arabe” à l’épreuve des revendications amazighes au Maroc  : analyse des enjeux
territoriaux et politiques des discours sur l’identité  », L’Espace politique, 18, 2012-3, p. 12, [en
ligne] URL  : <http://espacepolitique.revues.org/2504>.
32. M. Ghambou, «  The «  Numidian  » Origins of North Africa  », dans Berbers and Others  : Beyond
the Tribe and Nation in the Maghreb, sous la dir. de K.E. Hoffman et S.G. Miller, Indiana, Indiana
University, 2010, p. 156.
33. Spivak G. In Other Worlds : Essays in Cultural Politics, New York, Methuen, 1987, p. 206-207.
34. P.A. Silverstein, «  The Local Dimension of Transnational Berberism : Racial Policies, Land
rights, and Cultural Activism in Southeastern Morocco  », dans Berbers and Others  : Beyond the
Tribe and Nation in the Maghreb, sous la dir. de K.E. Hoffman et S.G. Miller, Indiana, Indiana
University, 2010, p. 88  ; M. Oiry-Varacca, «  Le “printemps arabe” à l’épreuve des revendications
amazighes au Maroc  : analyse des enjeux territoriaux et politiques des discours sur l’identité  »  ;
À. Suárez Collado, «  The Amazigh Movement in Morocco, New Generations, New References of
Mobilization and New forms of Opposition  », Middle East Journal of Culture and Communication, n° 6,
2013a, p. 57-59.
35. M. Stone, The Agony of Algeria, London, C. Hurst & Co. Publishers Ltd, 1997, p. 183  ; S. Aslan, «  
Negotiating National Identity : Berber Activism and the Moroccan State  », dans The Every Day Life
of the State, sous la dir. de A. White, Seattle, University of Washington, 2013, p. 202.
36. Dans le cas présenté par B. Anderson, il s’agit du genre du «  roman  ». Cf. B. Anderson,
Imagined communities, p. 42-46 et 75-77.
37. Sur l’interprétation de l’activisme «  lexicographique  » en Kabylie, voir D. Merolla, Gender and
community in the Kabyle Literary space, Leiden, CNWS, 1996, p. 25-28. Chivallon écrit qu’étant la
nation «  conçue dans le langage  » dans l’interprétation d’Anderson, «  ce sont aussi l’ensemble
des textes et récits, l’accumulation de documents de toutes sortes, qui ont la charge de dire la
fraternité [nationale], d’en tracer l’histoire et d’en créer le mythe, d’en authentifier les racines
“naturelles” [...]  »  : C. Chivallon, «  Retour sur la “communauté imaginée” d’Anderson  : essai de
clarification théorique d’une notion restée floue  », Raisons politiques, 3, n° 27, 2007, p. 131-172, [en
ligne] URL  : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2007-3-page-131.htm.
38. F. Ellafi, La Dignité  : du slogan révolutionnaire au principe constitutionnel, Observatoire des
mutations politiques dans le Monde arabe, Paris, Institut de relations internationales et
stratégiques, 2013, p. 4.
39. Sur la «  spécificité  » algérienne dans le cadre des mouvements de protestation après les
manifestations tunisiennes, voir L. Aït Hamadouche et C. Dris, «  De la résilience des régimes
autoritaires  : la complexité algérienne  », L’Année du Maghreb, n° 8, 2012, p. 279-301  ; S. Chena, «  
L’Algérie dans le “Printemps arabe” entre espoirs, initiatives et blocages  », Confluences
Méditerranée, n° 2, 77, 2011, p. 105-118.
226

40. M. Oiry-Varacca, «  Le “printemps arabe” à l’épreuve des revendications amazighes au


Maroc  : analyse des enjeux territoriaux et politiques des discours sur l’identité  », op. cit.  ; S.
Pouessel, «  Premiers pas d’une «  renaissance  » amazighe en Tunisie  : entre pression
panamazighe, réalités locales et gouvernement islamiste  », Le Carnet de l’IRMC, le 7 décembre
2012, p. 1-7, [en ligne] URL  : http://irmc.hypotheses.org/646 ; Á. Suárez Collado, «  À la
recherche d’une place dans le “Printemps arabe”  : le TIC et la contestation amazighe pendant les
émeutes en Afrique du Nord  », dans Les Réseaux sociaux sur Internet à l’heure des transitions
démocratiques, sous la dir. de S. Najar, Paris, Khartala, 2013c, p. 379-397.
41. Keating écrit que le premier usage de cette locution après 2010 est dans l’article de Marc
Lynch «  Obama’s Arab Spring  » paru dans Foreign Policy le 6 janvier 2011, [en ligne] URL  :
foreignpolicy.com/2011/01/06/obamas-arab-spring/. Avant cette date, la locution avait été
utilisée dans Le Monde diplomatique < www.monde-diplomatique.fr/2005/07/ACHCAR/12351> et
The Seattle Times <www.seattletimes.com/opinion/the-arab-spring-of-2005/>.
42. Une critique de ce terme dans le panorama de la politique internationale est parue dans Al
Jazeera  : J. Massad, «  The Arab Spring and other American seasons  », Al Jazeera, 29 août 2012,
URL  : <http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2012/08/201282972539153865.html> ;
N. Montané, «  Pourquoi parle-t-on de printemps des peuples arabes  ?  », Slate.fr, 22 février 2011,
[en ligne] URL  : <http://www.slate.fr/story/34563/printemps-peuples-revolutions-arabes>.
43. M. Oiry-Varacca, «  Le “printemps arabe” à l’épreuve des revendications amazighes au
Maroc…   », op. cit., p. 3.
44. http://blog.mondediplo.net/2011-07-28-Les-populations-amazighes-croient-en-leur, Aymun,
juillet 2012, www.aymun.com/Juillet2012.htm#Article et le blog Voix berbères de Yidir Plantade,
amazigh.blog.lemonde.fr/2011/08/04/du-printemps-arabe-au-printemps-amazigh/.
45. Les mouvements kabyles et berbères internationaux considèrent la reconnaissance de
l’amazigh comme langue nationale seulement comme une «  politique du symbole  », dans le sens
qu’elle n’apporte pas de changement réel dans la position de la langue amazighe au Maghreb, et
revendiquent l’officialisation de leur langue. L’officialisation de l’amazigh au Maroc en 2011
ouvre également le débat sur la position de l’arabe qui reste hégémonique  ; voir les articles de
Azergui et de Chaker sur tamazgha.fr (<www.tamazgha.fr/tamazight-langue-officielle-un.html> et
<www.tamazgha.fr/Salem-Chaker-analyse-l.html>)  : A. Azergui, «  Tamazight langue officielle,
un mensonge politique !  », Tamazigha.fr, 24 juin 2014. URL  : <http://www.tamazgha.fr/
tamazight-langue-officielle-un.html> ; S. Chaker, «  L’officialisation de Tamazight (Maroc/
Algérie)  : quelques réflexions et interrogations sur une dynamique aux incidences potentielles
considérables  », Asinag, n°  8, 2013, p. 35-50, republié sur tamazgha.fr le 23 mai 2013, URL  : <
http://www.tamazgha.fr/Salem-Chaker-analyse-l.html>.
46. Voir le site <http://blog.mondediplo.net/2011-07-28-Les-populations-amazighes-croient-en-
leur>.
47. <amazigh.blog.lemonde.fr/2011/08/04/du-printemps-arabe-au-printemps-amazigh/>.
48. AmazighNews < www.amazighnews.net/20111027625/Printemps-arabe-printemps-
amazigh.html> et La Lettre du sud, 25/10/11 <www.lalettredusud.fr/politique/
general/25/10/2011/printemps-arabe-printemps-amazigh-un-printemps-peut-en-cacher-un-
autre>.
49. Le congrès fut organisé du 30 septembre au 2 octobre 2011 sur l’île de Djerba en Tunisie. Le
Saout souligne la nouveauté de la participation des organisations amazighes tunisiennes et de
l’installation d’un président libyen à la tête du CMA, Fathi Benkhalifa, ce qui rend explicite le «  
redéploiement du mouvement amazigh  » à la suite des manifestations pour le pluralisme et la
reconnaissance de l’amazigh dans ces deux pays  : D. Le Saout, «  Printemps arabe, printemps
amazigh  : un printemps peut en cacher un autre  », amazighnews 2011. URL  : <
www.amazighnews.net/20111027625/Printemps-arabe-printemps-amazigh.html>.
50. Conférence tenue à Biarritz le 12 novembre 2011 <www.berbere42.com/magazine.htm>.
227

51. Voir < www.souss.com/un-printemps-pour-tripoli/5977>, < http://www.siwel.info/Le-


Collectif-Un-Printemps-pour-Tripoli-organise-un-meeting-de-soutien-aux-Amazighs-de-
Libye_a3375.html>, <https:// www.kabyle.com/printemps-tripoli-15-avril-saint-
denis-19276-21032012, http://www.rezki.net/Meeting-de-soutien-a-la-Libye.html>, < http://
www.amazighnews.net/20120412701/amazighs-Libyen.html>.
52. Voir <www.amazigh.nl/uncategorized/from-north-african-spring-to-islamic-winter-2/>. Voir
également J. Phillips, «  The Arab Spring Descends into Islamist Winter : Implications for U.S.
Policy  »  The Heritage Foundation, 20 décembre 2012, URL  : www.heritage.org/research/
reports/2012/12/the-arab-spring-descends-into-islamist-winter-implications-for-us-policy  ; R.
Spencer, «  Middle East Review of 2012 : the Arab Winter  », Telegraph.co.uk. 31 décembre 2012,
URL  : <http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/9753123/Middle-East-review-
of-2012-the-Arab-Winter.html>.
53. Youtube, 16 mars 2014 <https://www.youtube.com/watch ?v =GtcudPw8HZw>, aussi dans
<https://booksofdream.wordpress.com/2014/02/12/printemps-arabe-ete-berbere-aux-confins-
du-desert-de-la-tunisie-a-la-libye>.
54. Amari < http://www.slateafrique.com/23607/printemps-arabe-ete-berbere-tunisie-
tamazight-maroc-kabyle-algerie>.
55. Paru initialement sur <http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-impasse-ideologique-
du-printemps-158885> le 3 novembre 2014.
56. S. Chaker et M. Ferkal, «  Berbères de Libye  : un paramètre méconnu, une irruption politique
inattendue  », Politique africaine, 2012, n° 1, 125, p. 105-126 , repris sur tamazgha.fr le 9 julliet 2012,
URL  : <http://tamazgha.fr/Berberes-de-Libye-un-parametre.html>.
57. Le premier site n’est pas actif en 2015, voir Libya Archive Site
<archive.libyafeb17.com/2011/06/video-nafusa-mountains-update-june-3rd/>.
58. Voir tunisie-berbere.com et nawaat.org/portail  ; Nawaat est un blog collectif indépendant non
spécifiquement focalisé sur l’amazigh.
59. S. Pouessel, «  Premiers pas d’une «  renaissance  » amazighe en Tunisie  : entre pression
panamazighe, réalités locales et gouvernement islamiste  », Le Carnet de l’IRMC, 7 décembre 2012,
p. 1-7, URL  : <http://irmc.hypotheses.org/646>.
60. Voir D. Gumbiner, dir., Now that we Have Tasted Hope : Voices from the Arab Spring, San
Francisco, McSweeney/Byliner, 2012.
61. Sur la «  crise berbériste  » en 1949, voir A. Ouerdane, «  La “crise berbériste” de 1949, un
conflit à plusieurs faces  », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 44, 1, 1987,
p. 35-47.
62. <www.courrierinternational.com/article/2012/12/07/la-culture-berbere-fait-son-chemin-en-
libye>.
63. <amazigh.blog.lemonde.fr/2011/04/22/identite-amazighe-de-la-kabylie-au-nefoussa/> et
<tamazgha.fr/Tilelli.html> respectivement publiés le 22 et le 23 avril 2011. Yidir Plantade (Voix
berbères) ajoute que l’on peut écouter la mélodie de la chanson A vava inouva d’une autre icône
kabyle, Idir, utilisée comme sonnerie du portable d’un réfugié libyen en Tunisie dans un
reportage d’Al Jazeera.
64. <www.souss.com/un-printemps-pour-tripoli/5977/>.
65. <www.agraw.com/2011/08/dania-ben-sassi-dedicated-amazigh-fighters-libya/>.
66. <www.amazighworld.org/video/video.php ?id =1027>.
67. <www.tamazgha.fr/Numdya-une-chanson-de-Dania-une.html>.
68. <www.youtube.com/watch ?v =zy1bn0BncEw>.
69. Tamazgha tudat ifassen-is = la nation berbère (elle) tendit ses mains.
70. Voir P. Cole, B. MCQuinn, dir., The Lybian Revolution and its Aftermath, Oxford, Oxford
Unuversity, 2015.
228

71. «  Aujourd’hui la Libye a gagné sa liberté. Avec le sang des combattants, l’histoire a été écrite.
Tamazgha tendit ses mains et ses bras. Le sourire aux lèvres. Elle embrasse la liberté. Main dans
la main nous avons appelé à la révolution. Tamazight est notre langue et [doit être] officielle
dans la Constitution comme notre droit. À la lumière de la lune, nous sortirons  » (traduction des
auteurs). Voir <www.youtube.com/watch ?v =zy1bn0BncEw>.
72. Nous remercions Thierry Desrues pour ses commentaires.
73. T. Desrues, «  Le Mouvement du 20 février et le régime marocain  : contestation, révision
constitutionnelle et élections  », L’Année du Maghreb, n° 8, 2012, [en ligne] URL  : <http://
anneemaghreb.revues.org/1537>.
74. M.J. Willis, Politics and Power in the Maghreb : Algeria, Tunisia, and Morocco from Independence to
the Arab Spring, New York, OUP, 2014, p. 228.
75. Ibid, p. 226.
76. Á. Suárez Collado, «  Mouvements sociaux sur la Toile  : les effets des NTIC sur le militantisme
amazigh au Maroc  », p. 384-385.
77. M.J. Willis, Politics and Power in the Maghreb : Algeria, Tunisia, and Morocco from Independence to
the Arab Spring, p. 228.
78. D. Maghraoui, «  Constitutional Reforms in Morocco : Between Consensus and Subaltern
Poltics  », dans North Africa’s Arab Spring, sous la dir. de G. Joffé, London, Routledge, 2013, p. 182.
79. T. Desrues, «  Le Mouvement du 20 février et le régime marocain  : contestation, révision
constitutionnelle et élections  ».
80. Voir O. Glacier, Universal Rights Systemic Violation and Cultural Relativsim in Morocco, New York,
Palgrave MaCMillan, 2013, p. 122.
81. On peut voir la photo sur le site  : http://zarii.canalblog.com/
archives/2012/02/09/23481786.html
82. Voir «  Émir Abdelkrim Khattabi, “Communiqué sur le projet de constitution marocaine de
1962” [Document historique, traduit de l’arabe par Karim R’Bati]  » sur <libres-pensees.dans.le-
vent.over-blog.com/article-emir-abdelkrim-khattabi-communique-sur-le-projet-de-constitution-
marocaine-de-1962-document-his-108677618.html>.
83. A. Miquel, «  Autour du califat et de la notion de légitimité  », Tiers-Monde, 23, 92, 1982,
p. 791-794.
84. Au Maroc, le monarque est le chef de l’État et le Commandeur des croyants  ; de ce fait,
désobéir au roi signifie désobéir à Dieu. Le monarque est également le chef des Forces armées
royales marocaines, il est le président du Conseil de sécurité et le chef du Conseil suprême de la
magistrature. O. Glacier, Universal Rights Systemic Violation and Cultural Relativsim in Morocco, p. 108.
85. Voir K. Laachir, «  Managed Reforms and Deferred Democratic Rule in Morocco and Algeria  »,
dans Democracy and Reforms in the Middle East and Asia, sous la dir. de A. Saikal et A. Acharaya,
London, I.B. Tauris et Co. Ltd, 2014, p. 51-52.
86. Le 19-02-2015  : < http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/19/quatre-ans-apres-un-
printemps-marocain-introuvable_4579498_3212.html?
xtmc=quatre_ans_apres_un_printemps_marocain_introuvable&xtcr=1>
87. On peut penser qu’il s’agissait d’environ un millier de personnes, cf. <https://
www.youtube.com/watch ?v =GZXOF5X6x0g>.
229

AUTEURS
DANIELA MEROLLA
Professeure de littérature et art berbères à l’Institut national des langues et civilisations
orientales (INALCO), université Sorbonne Paris Cité (France). Ses travaux récents portent sur les
genres oraux et écrits et les nouveaux médias berbères au Maghreb et dans la diaspora amazighe
en Europe.

ABDELBASSET DAHRAOUI
Docteur en « Media Studies » de l’université d’Amsterdam (Pays-Bas). Sa thèse intitulée « 
Amazigh Culture and Media: Migration and Identity in Songs, Films and Websites » a été
soutenue en 2014 (sous la direction de Patricia Pisters et Daniela Merolla). Il a été conseiller
culturel de la Fondation culturelle Prins Claus, et il travaille à l’université Radboud de Nijmegen
(Pays-Bas).
230

Notices biographiques

1 Abdelbasset Dahraoui est docteur en « Media Studies » de l’université d’Amsterdam


(Pays-Bas). Sa thèse intitulée Amazigh Culture and Media: Migration and Identity in Songs,
Films and Websites  a été soutenue en 2014 (sous la direction de Patricia Pisters et Daniela
Merolla). Il a été conseiller culturel de la Fondation culturelle Prins Claus, et il travaille à
l’université Radboud de Nijmegen (Pays-Bas).
2 Thierry Desrues est chargé de recherche au Consejo superior de investigaciones
cientificas (CSIC) à l’Instituto de estudios sociales avanzados (IESA) de Cordoue (Espagne).
Chercheur associé de l’Institut de recherche et d’études sur le monde arabe et musulman
(IREMAM) d’Aix-en-Provence et du Centre Jacques-Berque pour les sciences humaines et
sociales à Rabat (Maroc) ; ses travaux portent sur les régimes politiques, l’action
associative, les mouvements identitaires (islamistes, amazighes), et le changement social
au Maghreb.
3 Karima Dirèche est chercheure à l’UMR Temps, Espaces, Langages, Espace méridional-
Méditerranée (TELEMME) de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme à Aix-
en-Provence. Ses travaux couvrent des thématiques de socio-histoire maghrébine et
d’analyse critique des historiographies maghrébines dans une perspective coloniale et
post-coloniale (les minorités religieuses, l’identité berbère, les récits historiques
nationaux et leurs contestations).
4 Carmen Garraton Mateu est doctorante dans le groupe de recherche LESOAB (Langues et
sociétés arabes et berbères) à l’université de Cadix (Espagne). Ses recherches portent sur
le droit coutumier berbère, l’islam et la position de la femme nord-africaine, de l’époque
coloniale à nos jours.
5 Didier Le Saout est maître de conférences au département « Relations euro-
méditerranéennes – Monde maghrébin » de l’université Paris 8 (France). Sociologue du
politique, il est spécialiste des mouvements sociaux en Europe, en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient, et en particulier des mouvements identitaires amazighs et kurdes.
6 Bruce Maddy-Weitzman est professeur associé au département d’Histoire du Moyen-
Orient contemporain et chercheur au Moshe Dayan Center for Middle Eastern and African
Studies de l’Université de Tel Aviv (Israël). Ses travaux portent sur l’histoire
contemporaine du Moyen-Orient, l’État et les sociétés d’Afrique du Nord et les
mouvements identitaires berbères.
231

7 Daniela Merolla est professeure de littérature et art berbères à l’Institut national des
langues et civilisations orientales (INALCO), université Sorbonne Paris Cité (France). Ses
travaux récents portent sur les genres oraux et écrits et les nouveaux médias berbères au
Maghreb et dans la diaspora amazighe en Europe.
8 Stéphanie Pouessel est anthropologue et chercheure associée à l’Institut de recherche
sur le Maghreb contemporain (IRMC) à Tunis (Tunisie). Elle travaille sur les questions de
nation, de minorités, de langues et de migration.
9 Angela Suarez Collado est politologue et sociologue. Postdoctorante à l’Aire de sciences
politiques à l’université de Salamanque (Espagne), elle est spécialisée dans l’étude des
mouvements sociaux et de la politique locale en Afrique du Nord et des migrations
marocaines en Europe.
10 Mohand Tilmatine est professeur à l’université de Cadix (Espagne) dans la spécialité
« Études berbères ». Il dirige également depuis 2000 le groupe de recherche HUM 685
Langues et sociétés arabes et berbères (http://www.uca.es/grupos-inv/HUM683/). Ses
axes de recherche en sciences humaines et sociales couvrent la question des minorités et
des revendications identitaires berbères en Afrique du Nord et dans la diaspora en
Europe.
11 Tassadit Yacine est directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
(EHESS) de Paris (France). Membre du Laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS, du
CNRS et du Collège de France et directrice de la revue Awal , elle est spécialiste de
l’anthropologie de la domination (les problèmes liés à la langue, les relations hommes-
femmes).

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