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DOI : 10.4000/books.cjb.1299
Éditeur : Centre Jacques-Berque
Lieu d'édition : Rabat
Année d'édition : 2017
Date de mise en ligne : 19 février 2018
Collection : Description du Maghreb
ISBN électronique : 9791092046335
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9791092046342
Référence électronique
TILMATINE, Mohand (dir.) ; DESRUES, Thierry (dir.). Les revendications amazighes dans la tourmente des
« printemps arabes » : Trajectoires historiques et évolutions récentes des mouvements identitaires en
Afrique du Nord. Nouvelle édition [en ligne]. Rabat : Centre Jacques-Berque, 2017 (généré le 03 mai
2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cjb/1299>. ISBN : 9791092046335. DOI :
10.4000/books.cjb.1299.
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SOMMAIRE
I. Introduction
Les Berbères ont-ils manqué un rendez-vous avec l’Histoire dans les révoltes « arabes » ?
Tassadit Yacine
Domination et procès d’invisibilisation
Pourquoi ce passage d’une culture visible au tabou ?
Notices biographiques
5
NOTE DE L’ÉDITEUR
Image de couverture © Ferhat Bouda/agence Vu, Wizgan, Kabylie, Algérie, 2009. L’œuvre
photographiée a été réalisée par le peintre algérien Denis Martinez et les habitants de
Wizgan (Bouzeguene), dans le cadre du festival Raconte-Arts de juillet 2009.
6
I. Introduction
7
L’amazighité, trajectoires
historiques et évolutions récentes
d’une cause1
Thierry Desrues et Mohand Tilmatine
1 Au cours de l’hiver 2010-2011, le monde entier a eu les yeux rivés sur l’Afrique du Nord et
le Moyen-Orient. En quelques semaines, des mouvements massifs de contestation
populaire ont conduit à la destitution de Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011) et Hosni
Moubarak (1981-2011), deux des autocrates arabes le plus longuement installés au
pouvoir, en Tunisie et en Egypte2 respectivement. Ces bouleversements ont été affublés
de diverses expressions qui prétendaient refléter l’ampleur et la nature de ces
événements. La formule « Printemps arabe » a été particulièrement prisée par les médias
occidentaux, tandis que les protagonistes des manifestations parlaient plutôt de «
Printemps démocratique » ou de « révolutions » (thawarat). Au Maghreb, la remise en
question de l’expression « Printemps arabe » ne concerne pas la métaphore saisonnière
qui, comme chacun sait, renvoie à des précédents historiques que beaucoup ont alors à
l’esprit (1848, 1968), mais à son identification géopolitique. Ce qui pourrait paraître
anodin pour les non-initiés à la réalité ethnico-linguistique de l’ensemble régional qui va
de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient a fait l’objet d’un rejet particulièrement virulent
parmi les militants de la cause amazighe3. Ces derniers ont ressenti de nouveau un déni
de la diversité ethnico-linguistique de la région et du rôle que nombre d’entre eux ont
joué dans ces luttes4. En effet, ce « Printemps arabe » a eu entre autres conséquences le
surgissement ou la résurgence de la cause amazighe, non seulement là où on pouvait s’y
attendre comme au Maroc, vu qu’elle y occupe le devant de la scène revendicative
périodiquement depuis une trentaine d’années, mais aussi ailleurs, là où elle ne semblait
pas avoir d’existence préalable comme en Tunisie ou en Libye. En Algérie, par contre, ce
cycle de mobilisation ne fait pas partie de l’itinéraire historique pourtant fourni de la
contestation, que celle-ci porte sur la cause amazighe, la question sociale, la place de la
religion ou la démocratisation du pays5. Ce faisant, la trajectoire des revendications
amazighes a connu des évolutions importantes ces dernières années qui renvoient autant
à la capacité de mobilisation démontrée par la société kabyle qu’aux stratégies de survie
8
des hommes à la tête de l’État algérien. Depuis 2011, l’amazighité a donc refait surface
avec force, des localités de l’Adrar Nefoussa libyen à celles du Rif marocain, et commence
même à toucher la Tunisie.
2 Dès lors, la nécessité d’une mise à jour des connaissances sur les mouvements amazighs
de revendication identitaire en Afrique du Nord s’imposait. Suite à des discussions
menées dans le cadre du projet de recherche « Jeunesses, changement social, politique et
sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays maghrébins » impulsé par Thierry
Desrues, chercheur de l’Instituto de Estudios Sociales Avanzados du Consejo Superior de
Investigaciones Científicas (IESA-CSIC, Cordoue)6, le professeur Mohand Tilmatine, de
l’Université de Cadix, a organisé un panel sur le sujet lors du World Congress for Middle East
Studies (WOCMES) qui s’est tenu à Ankara (Turquie) en août 2014 7. C’est dans le contexte
de ce projet et le sillage de cette rencontre que l’idée de l’ouvrage que l’on introduit ici a
pris corps.
3 Les textes rassemblés dans les pages suivantes proposent un regard informé tant sur la
trajectoire historique et récente des revendications amazighes en Algérie, au Maroc, en
Tunisie ou en Libye que sur leur gestion par les régimes politiques. Ils s’intéressent aux
discours et aux activités des acteurs ainsi qu’aux supports qui les diffusent. Ils prennent
soins de relever les variations observables selon les situations nationales, voire locales,
tandis que se développent des mouvements et des références idéologiques communes
pan-amazighes qui interagissent du cœur des sociétés maghrébines aux diasporas
d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord. Ils mettent ainsi en exergue un panorama
pluriel et complexe au sein duquel les luttes à dimension identitaire et ethnique posent
un certain nombre de questions qui sont autant de défis pour l’avenir de la région, et plus
particulièrement pour les tenants d’un devenir démocratique de celle-ci. La relation
complexe entre ethnos et demos, diversité et unité des États et des sociétés, interpelle la
légitimité des institutions en régime autoritaire et partant, la dimension civique de la
nation en Afrique du Nord. Dans ce type de régime, qui décide et qui peut décider de la
définition de l’identité de la nation ? Et par conséquent, qui est légitime pour configurer
l’ordonnancement constitutionnel et institutionnel de cette identité ? In fine, en Afrique
du Nord, parler d’amazighité renvoie à toute une série de questions relatives à
l’ordonnancement institutionnel du pluralisme, à la définition de la nation, à la légitimité
de l’État et des régimes politiques. Or celles-ci ne se posent pas toujours de la même façon
d’une société à une autre, et les réponses apportées peuvent différer d’un État à l’autre.
4 Cet ouvrage aborde donc des questionnements hautement politiques dans une région
marquée par le syndrome autoritaire. Les réponses qui y sont apportées sont trop
fréquemment aveuglées par la passion ou biaisées par le militantisme ou le fait du prince.
Si les motivations des auteurs réunis dans cet ouvrage poursuivent avant tout un objectif
de connaissance de l’objet (la cause amazighe et le mouvement de revendication
identitaire qui la porte), il va de soi qu’ils ne sont pas indifférents aux idéaux de justice
qui doivent guider une gestion satisfaisante de la diversité ethnique, linguistique,
culturelle ou religieuse dans cette région, comme partout ailleurs, tout en étant conscient
de la complexité que celle-ci requiert et du potentiel de conflictualité qui l’accompagne8.
5 L’ouvrage a une double dimension, diachronique et synchronique, puisque les articles
peuvent être distribués entre ceux qui composent la première partie et qui ont recours à
une approche du temps plutôt long de l’histoire et ceux des deux autres parties, plutôt
tournés vers l’actualité récente. Les études de cas réunies privilégient une perspective
interactionnelle, mettant en relation la cause amazighe et les mouvements revendicatifs
9
qui la portent dans quatre pays nord-africains (Algérie, Maroc, Tunisie et Libye) et au sein
de la diaspora ou sur Internet avec les acteurs étatiques.
rapport aux espaces, aux modes de représentation de l’espace binaire, opposant un centre
et des marges, des identités légitimes et des identités minorées32.
18 Les revendications régionalistes peuvent s’inscrire dans la reconnaissance identitaire
couplée à la fin de la hogra et donc à une plus grande intégration nationale aux niveaux
social, économique et politique des territoires et des populations. De même, des
revendications socio-économiques telles que le droit des communautés locales à gérer les
ressources naturelles disponibles sur leurs territoires peuvent être accompagnées vers ou
aboutir sur une identification ethnique. La mobilisation de l’autochtonie peut être tantôt
latente, sous-jacente ou explicite. Elle peut être également la motivation première d’une
action collective locale ou un registre qui se greffe sur celle-ci. On sait que le
développement local dans les terroirs amazighophones est propice à la mobilisation de
l’autochtonie et à la territorialisation des identités33. Il favorise aussi l’interaction avec
divers acteurs situés à d’autres échelles territoriales qui servent d’intermédiaires entre
les institutions nationales et internationales et les bénéficiaires des projets de
développement. On est donc en présence d’une dialectique complexe qui met aux prises
des acteurs multi-positionnés. La culture et le développement vont de pair avec les droits
de l’homme et les droits des femmes, l’environnement et les loisirs ou l’éducation, la
citoyenneté et la participation. Ainsi, par ce jeu de miroir, la mobilisation de
l’autochtonie dans des projets locaux participe à la territorialisation des identités
amazighes, alors que la mobilisation de catégories mondialisées se référant à l’Afrique du
Nord aurait pu faire croire à une déterritorialisation de celles-ci.
19 La transnationalisation va au-delà de la simple portée symbolique d’une histoire et une
culture communes. Tamazgha est incarnée par une solidarité militante transnationale qui
est instrumentalisée pour dépasser le cadre étroit des revendications locales ou
nationales. Ce faisant, l’autochtonie bute sur la prégnance des frontières des États tout en
donnant sens aux identités régionales et locales34. Ce registre de l’autochtonie en Algérie
et au Maroc pose des difficultés car plusieurs conceptions de l’amazighité se font
concurrence. D’autre part, les résistances sont nombreuses. Enfin, les efforts financiers et
humains requis sont conséquents si on veut que la réhabilitation des droits ne reste pas
lettre morte. Contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, l’amazighité n’est pas que
« chauvinisme » ou « ethnicité étroite ». Elle possède une dimension « éthique », de
justice et de reconnaissance de droits légitimes qui renvoient à la question des droits
humains tels qu’ils sont reconnus et promus par les organisations des Nations Unies.
alors que le Mouvement culturel berbère s’inscrivait dans une perspective nationale ou
« algérianiste36 ». Depuis la répression du « Printemps noir » de 2001, la tentation du
repli communautaire comme unique stratégie désormais viable gagne des adeptes en
Kabylie. La constitution du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), dont
Mohand Tilmatine (université de Cadix) retrace la genèse et l’évolution jusqu’à la
revendication de l’option indépendantiste, pose un sérieux défi non seulement au
gouvernement algérien, mais aussi aux Kabyles tenants d’une amazighité transrégionale
au sein de l’Algérie.
25 L’itinéraire des revendications kabyles est révélateur des limites de la gestion répressive
et régionalisée de la question amazighe en Algérie. Bien que la situation actuelle soit
encore marquée par un certain pluralisme au sein de la société kabyle, puisque
l’autonomisme est loin de faire l’unanimité dans la région, on assiste en quelque sorte à
une revanche de « l’ethnos » qui subvertit les priorités dominantes jusqu’ici37.
L’aspiration démocratique était considérée comme la voix dorée pour atteindre un
régime de libre expression du pluralisme sociétal. Que ce soit au niveau idéologique,
linguistique ou culturel, la démocratie politique devait permettre la reconnaissance de
« l’ethnos ».
26 Les entorses successives des gouvernants à la reconnaissance et à l’institutionnalisation
du pluralisme dans ses diverses dimensions politiques et identitaires ont fini par inverser
l’ordre des choses. Aujourd’hui, malgré l’officialisation dans la constitution de la langue
amazighe, une frange de militants identitaires continue à défendre que seule une
autonomie politique ou un État indépendant pourraient garantir les droits des Kabyles à
s’exprimer dans leur langue au sein d'institutions publiques et à décider de leur avenir.
27 Ce faisant, bien que l’on n’ait sans doute pas encore le recul nécessaire pour prononcer un
avis définitif, il semblerait que les régimes politiques algériens et marocains, malgré leurs
différences, s’accommodent à un moindre coût de la reconnaissance constitutionnelle de
la langue et de la culture amazighes. À court terme, ce type de mesure contribue à
relégitimer les régimes politiques et à évacuer la question sociale38. À plus long terme, on
peut poser l’hypothèse qu’elles seraient porteuses d’un pluralisme qui s’accommode mal
de la nature autoritaire des pouvoirs en Algérie et au Maroc.
Conclusion
33 L’amazighité s’inscrit dans une trajectoire longue qui est le produit de luttes tantôt
silencieuses tantôt ouvertes. En se référant à la cause amazighe, on parlerait aujourd’hui
de résistance et de résilience face à des appareils d’État dont la culture autoritaire
prétend toujours limiter et contrôler l’expression plurielle et pluraliste de leurs sociétés.
34 Un raccourci historique permet d’avancer que les Amazighs s’accommodaient avec plus
ou moins de malheur du pouvoir des empires ottoman et chérifien, tant que celui-ci
semblait éloigné ou lâche. La colonisation a tout remis en question. Machine de guerre et
de pénétration du pouvoir despotique et infrastructurel de l’État moderne40, elle a réussi à
vaincre les fortes résistances locales et à introduire une idéologie centralisatrice et
homogénéisante de la gouvernance. Cette dernière sera réinterprétée à partir du corpus
réformiste arabo-islamique par les nouveaux régimes issus des indépendances qui vont
écarter, reléguer au niveau folklorique d’un passé révolu ou nié la question amazighe
35 Aujourd’hui, la montée des revendications amazighes se cristallise dans des projets
politiques diversifiés. Si ces derniers renvoient aux avatars de la trajectoire des États,
principalement dans leur gestion du pluralisme identitaire, tout en conditionnant leur
avenir, ils reflètent aussi un retour à l’hétérogénéité de l’amazighité dans ses dimensions
20
linguistique et régionale. Aux côtés des tenants de la convivialité bilingue et des partisans
de l’homogénéisation nationale à rebours de l’arabisation, des mouvements autonomistes
en Kabylie et dans une moindre mesure dans le Rif défendent une rupture avec
l’algérianisme et la marocanité afin d’opérer un recentrage sur la dimension proprement
régionale. Toutes ces tendances sont amenées à repenser leur insertion dans la dimension
transnationale de l’amazighité, notamment au sein du Congrès mondial amazigh. Pensé à
ses débuts comme un rassemblement du peuple amazigh au-delà des frontières des États,
il tend à devenir, sous la pression de cette tension entre le local et le global, un forum des
différents peuples amazighs au niveau infra-étatique.
36 Tant les modalités de mobilisation que les contenus revendicatifs du militantisme
amazigh, dans leur diversité et leurs divergences, ainsi que la gestion de ce phénomène
par les régimes politiques maghrébins sont un des baromètres de la nature démocratique
de ce « printemps » de la dignité qui a secoué à divers degrés d’intensité les États de la
région au cours de l’année 2011. Si en Libye et en Tunisie la reconnaissance
constitutionnelle a été écartée, en Algérie et au Maroc, le statut juridique de la langue
amazighe a significativement changé depuis 2011. Dans ces deux pays, la langue amazighe
a été élevée au rang de langue officielle. Cette évolution marque sans aucun doute une
rupture après cinquante ans de politiques d’arabisation. Nonobstant, dans les deux cas
l’arabe continue à jouir d’un statut privilégié, notamment en tant que langue de l’Etat,
tandis que l’officialisation effective du tamazight dépendra de la loi.
37 L’officialisation de la langue amazighe n’équivaut pas à l’égalité avec l’arabe. Surtout,
celle-ci risque de rester théorique tant que des politiques publiques qui demandent
souvent des investissements massifs ne seront pas mises en place par les différents
gouvernements. Ces mesures d’officialisation des langues n’aboutissent pas par
enchantement à une égalité de fait. Partant, l’amazighité poursuit son cheminement de
construction identitaire enrichi par la dynamique revendicative. La capacité de
mobilisation du mouvement amazigh et la réponse des États à ses revendications
orienteront le choix de l’itinéraire à suivre (intégration, autonomisme ou séparation) et
de l’échelle spatiale retenue (régionale, nationale ou transnationale).
38 Cet ouvrage a donc plusieurs prétentions. Il s’agit d’abord de décrire puis de comprendre
cette résurgence de la cause identitaire amazighe et sa gestion postérieure par les États
ainsi que leurs conséquences sur la situation actuelle en 2016. Ensuite, il s’agit de
contribuer à la construction de l’objet de recherche « amazighité » et à sa légitimité,
puisque celle-ci ne semble pas toujours acquise tant elle subit de part et d’autre l’emprise
des discours idéologiques et la récurrence des mythes historiques. On laisse ici la place au
lecteur en espérant qu’il y trouve matière à réflexion et à susciter le débat en toute
sérénité, sans au préalable rappeler quelques articles de la « Déclaration universelle des
droits des peuples » qui, bien que n’ayant pas de force contraignante, contient des
principes généraux majeurs qui nourrissent la réflexion sur le vivre ensemble en Afrique
du Nord et ailleurs.
21
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ANNEXES
NOTES
1. Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre des résultats de deux projets de recherche intitulés
« Jeunesses, changement social, politique et sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays
maghrébins » (CSO2011-29438-C05-04) (2012-2014) et « Problèmes publics et militantisme au
Maghreb : la participation sociale et politique des jeunes dans leur dimension locale et
transnationale » (CSO2014-52998-C3-2-P) (2015-2017), financés par le ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité.
2. On n’oublie pas le « guide » libyen, Mouammar Kadhafi, mais celui-ci ne tombera qu’après
plusieurs mois de violents combats qui conduiront à la chute de Tripoli à la fin août 2011 et à son
exécution le 20 octobre suivant. À propos de la Libye, on renvoie à T. Desrues infra.
3. Dans cette introduction, on a choisi d’utiliser, en accord avec la plupart des organisations
militantes pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques, la forme adaptée à la
phonétique et à la phonologie de la langue française : un Amazigh, une Amazighe, des Amazighs,
des Amazighes, un amazighisant, etc. À propos de ce débat, on renvoie à M. Tilmatine : « Des
revendications linguistiques aux projets d’autodétermination : l’évolution du discours berbériste
en Kabylie » (infra).
4. On peut consulter à ce propos plus loin dans l’ouvrage l’article de D. Merolla et
A. Dahraoui : « “Le sentiment d’être chez soi” sur les sites amazighs et “le printemps arabe” :
déconstructions et renégociations sur le Web ».
5. Cf. T. Desrues, A. Velasco Arranz, « Jóvenes y activismo político y social en el Magreb : los
participantes en el Foro social mundial de Túnez en 2013 », Revista de Estudios Internacionales
Mediterráneos, 19, 2015, p. 15-39, [en ligne] URL: https://revistas.uam.es/index.php/reim/article/
view/2764/2982. L. Baamara : « (Més)aventures d’une coalition contestataire : le cas de la
Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) en Algérie », L’Année du
Maghreb, VIII, 2012, p. 161-179. DOI : http://dx.doi.org/10.4000/anneemaghreb.1444.
6. Ce projet (CSO2011-29438-C05-04) a été financé par la secrétariat d’État à la Recherche, au
Développement et à l’Innovation du ministère espagnol de l’Économie et de la Compétitivité pour
la période 2012-2015.
7. Ce panel était intitulé « Les Amazighs dans la tourmente des printemps arabes : enjeux et
perspectives des revendications amazighes en Afrique du Nord » (WOCMES, 19 août 2014).
8. À propos du débat sur la légitimité de l’objet d’étude berbère, on renvoie à H. Claudot- Hawad,
dir., Berbères ou Arabes, le tango des spécialistes, Paris, Non-lieu, 2006.
9. Cf. H. Rachik, « Constructions de l’identité amazighe », H. Rachik, dir., Usages de l’identité
amazighe au Maroc, Casablanca, Najah El Jadida, p. 15-66 ; S. Pouessel, Les Identités amazighes au
Maroc, Paris, Alger, Casablanca, Non-lieu/Edif 2000/La Croisée des chemins, p. 181-189 ; S. Chaker,
« Quelques évidences sur la question berbère », Confluences méditerranéennes, 11, 1994, p. 105-114.
10. Voir infra.
11. À propos de l’utilisation de cette figure historique, on renvoie aux commentaires déjà anciens
de F. Pouillon et R. Jamous concernant les révoltes rurales et, quant aux usages plus récents dans
le cadre du Mouvement du 20 Février dans le Rif, à D. Merolla et A. Dahraoui infra ; F. Pouillon, R.
Jamous, « Jubilé pour une insurrection paysanne au Maroc », Cahiers d’études africaines, 16, 63-64,
1976, p. 633-638, DOI :10.3406/cea.1976.2522, http://www.persee.fr/doc/
cea_0008-0055_1976_num_16_63_2522.
12. Ce que l’on appelle communément le mythe « kabyle » (Algérie) ou « berbère » (incluant le
fameux dahir berbère au Maroc) est basé fondamentalement sur une abondante littérature
produite surtout par des militaires comme Aucapitaine et Hanoteau durant l’époque coloniale.
Selon ces écrits et des courants largement répandus dans les travaux de cette époque, la France
25
permettait une gestion administrative différente des zones berbères. Par ailleurs, les mêmes
écrits voyaient les Berbères comme des populations aux caractéristiques plus proches des
paysans européens que celles que présenteraient les Arabes. Ces faits ont été interprétés après les
indépendances des pays nord-africains – et s’inscrivant pleinement dans le cadre du « discours
anti-colonialiste » de rigueur – comme une tentative de la France d’appuyer et de favoriser les
Berbères contre les Arabes. Or, cet appui aux populations berbères n’a jamais existé dans les faits.
Ce mythe n’était qu’une lecture permettant aux discours idéologiques nord-africains – basés sur
l’exclusivisme arabo-islamique – de nier toute spécificité aux Berbères et donc de rejeter
d’emblée leurs revendications en les pointant comme un simple « objet » de propagande
coloniale. Sur la littérature qui a contribué à forger le mythe « berbère », on renvoie à Ch.R.
Ageron, Les Algériens musulmans et la France 1871-1919, vol. I. Paris, PUF, 1968. A propos de la
déconstruction du mythe berbère, on peut consulter M. Tilmatine, « French and Spanish colonial
policy in North Africa: revisiting the Kabyle and Berber myth », International Journal of the
Sociology of Language, Issue 239, 2016, p. 95-119. En ce qui concerne plus spécifiquement le cas du
dahir berbère au Maroc, M. Mounib, Aḍ-ḍahîr“al-barbarî”. Akbar Ukdûba siyâsiyya fî-l-Maġrib
almuʕâṣir. Rabat, Dar Bou Regreg, 2002.
13. À propos de cette autonomisation, on renvoie à S. Chaker, « Quelques évidences sur la
question berbère », p. 105-114.
14. Cf. K. Chachoua, L’Islam kabyle : religion, État et société en Algérie, suivi de L’Epître (Rissala) d’Ibnou
Zakri (Alger, 1903), mufti de la Grande Mosquée d’Alger, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 43.
15. B. Anderson, Imagined communities, London/New York, Verso, 1983 [1991].
16. E. Hobsbawn, « Introduction. Inventing Traditions », dans The Invention of Tradition, sous la
dir. de É. Hobsbawn et O.T. Ranger, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 1-15.
17. En ce qui concerne le Maroc et la relation à la religion, on renvoie à E. Almasude, «
Amazighité and secularism: Rethinking religious-secular divisions in the Amazigh political
imagination », Decolonization: Indigeneity, Education & Society, vol. 3, n° 2, 2014, p. 131-151, et P.A.
Silverstein, « Islam, Laïcité and Amazigh Activism in France and North Africa », N. Boudraa, J.
Krause (éds.) North African Mosaic: A Cultural Reappraisal of Ethnic and Religious Minorities, Newcastle,
UK: Cambridge Scholars Publishing, 2007, p. 104-118.
18. On utilise ici « panarabiste » dans le sens où les politiques d’arabisation s’inscrivent dans un
projet politique plus vaste dont l’origine n’est pas tant endogène qu’importée fondamentalement
d’Égypte, de Syrie ou d’Irak et qu’elle s’identifie exclusivement avec le legs islamique sunnite au
détriment du pluralisme confessionnel, linguistique et ethnique moyen-oriental.
19. P. Vermeren, Ecole, élite et pouvoir au Maroc et en Tunisie au XX e siècle, Rabat, Alizés, 2002.
20. À propos de l’usage des langues au Maghreb, les systèmes d’enseignement et les élites, on
renvoie aux travaux déjà cités de P. Vermeren, Ecole, élite et pouvoir au Maroc et en Tunisie au XX e
siècle, ainsi qu’à G. Granguillaume, Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Paris, éditions
G.P. Maisonneuve et Larose, 1983 et du même auteur, « Arabisation et démagogie en Algérie », Le
Monde diplomatique, 515, février, 1997, p. 3.
21. L’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones à l’ONU par 143 pays le 13
septembre 2007 a apporté une reconnaissance internationale et des réponses officielles à « la
question autochtone » des années 70. Cette adoption a contribué à valoriser les visions du monde
des peuples autochtones qui sont au fondement de ces nouveaux textes constitutionnels. Il reste
cependant beaucoup à faire pour voir les objectifs de la Déclaration de l’ONU devenir une réalité.
L’application de toutes ces lois et de tous ces dispositifs constitutionnels rencontre beaucoup
d’obstacles sur le terrain, en particulier dans le domaine de la gouvernance des ressources
naturelles qui restent contrôlées par l’État. Cf. F. Morin, « Les Nations Unies à l’épreuve des
peuples autochtones », dans Etre Indien dans les Amériques, sous la dir. de C. Gros, M.C. Strigler,
Paris, Éditions de l’Institut des Amériques et de l’IHEAL, 2006, p. 43-54.
26
22. En choisissant la fenêtre d’opportunité qu’offrent l’Organisation des Nations Unies, le GTPA,
le Comité économique et social (ECOSOC), le Comité des droits de l’homme ou encore, depuis
2005, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR), ils peuvent présenter leurs
doléances, faire entendre leur cause, dialoguer avec les représentants de leurs États par
institutions interposées, effectuer des recommandations aux pouvoirs publics concernant la
situation des populations amazighes. À ce propos, on renvoie à I. Bellier, « Identité globalisée et
droits collectifs : les enjeux des peuples autochtones dans la constellation onusienne », Autrepart,
2/38, 2006, p. 99-118 [en ligne] URL : http://www.cairn.info/revue-autrepart-2006-2-page-99.htm
DOI : 10.3917/autr.038.0099.
23. À ce propos, on peut consulter une lecture critique de l’emploi de la notion dans le cas du
Maroc chez M. Aderghal, R. Simenel, « La construction de l’autochtonie au Maroc : des tribus
indigènes aux paysans amazighs », Espace, populations, sociétés, 1, 2012, p. 59-72.
24. Entretiens de Thierry Desrues avec des responsables et des militants amazighs marocains,
novembre 2016.
25. Le Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA) a été créé en 1982. En 1971, le
Conseil économique et social adopte la résolution 1589 qui autorise la Sous-commission de la
lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités à réaliser une étude
sur la discrimination vécue par les peuples autochtones. Le « rapport Cobo », du nom de José
Martinez Cobo (Équateur), le rapporteur spécial, n’utilisait pas le terme de « peuple » revendiqué
par les représentants autochtones et rejeté par certains représentants gouvernementaux
puisqu’il implique, selon la Charte des Nations Unies, le droit à l’autodétermination. Cf. F. Morin,
« Les Nations Unies à l’épreuve des peuples autochtones », p. 43-54.
26. S. Pouessel, Les Identités amazighes au Maroc, p. 181-189.
27. Ibid.
28. Article 12 : « L’Etat a pour objectif de réaliser la justice sociale, le développement durable,
l’équilibre entre les régions et une exploitation rationnelle des richesses nationales en se
référant aux indicateurs de développement et en se basant sur le principe de la discrimination
positive. L’Etat œuvre également à la bonne exploitation des richesses nationales. » Constitution
de la République tunisienne, 2014. On renvoie à S. Pouessel, « La revendication amazighe en
Tunisie : la tunisianité au défi de la transition politique », infra.
29. Un des droits les plus importants des peuples autochtones se réfère au libre consentement
préalable et informé sur tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou leurs territoires
(article 32 de la Déclaration).
30. A. Suárez Collado, El Movimiento amazigh en el Rif : identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas, tesis doctoral, Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, 2013.
31. Pour une analyse dans ce sens, on renvoie par exemple à Y. Temlali, « La révolte du
“Printemps noir”, ou l’histoire d’un gâchis », Confluences Méditerranée, 45, 2003, p. 43-57.
32. À ce propos, voir M. Aderghal, R. Simenel, « La construction de l’autochtonie au Maroc : des
tribus indigènes aux paysans amazighs » et M. Oiry-Varacca, « Les revendications autochtones au
Maroc », Espace Populations Sociétés [en ligne], 2012/1 | 2013, en ligne. URL : http://
eps.revues.org/4837 ; DOI : 10.4000/eps.4837 [consulté le 7 janvier 2016].
33. Ibid.
34. Ibid.
35. On peut consulter aussi M.J. Willis, « Las políticas de la identidad bereber (amazigh). Una
comparación entre Argelia y Marruecos », Zoubir Y., Amirah Fernández H. (dir.), El Magreb.
Realidades nacionales y dinámicas regionales, Madrid, Editorial Síntesis, 2008, p. 282-299.
36. Cf. A. Layachi, « Ethnicité et politique en Algérie : entre l’inclusion et le particularisme
berbère », Naqd, 19/20, 2004, p. 29-54 ; A. Chibani « Le régionalisme en Algérie, un obstacle à la
démocratie ? », Slate Afrique, 5 mai 2011, http://www.slateafrique.com/1621/regionalisme-
algerie-democratie-kabylie
27
37. On renvoie aux travaux de S. Chaker, « Quelques évidences sur la question berbère », et
« L’officialisation de Tamazight (Maroc/Algérie) : quelques réflexions et interrogations sur une
dynamique aux incidences potentielles considérables », Asinag, 8, 2013, p. 39-50.
38. M.B. Salhi, « Le local en contestation : citoyenneté en construction, le cas de la Kabylie »,
Insaniyat, Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, 16, 2002, p. 55-97 ; A. Layachi,
« Ethnicité et politique en Algérie : entre l’inclusion et le particularisme berbère ».
39. Y. Plantade, « A Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle »,
Le Monde, 29/09/11, [en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/international/article/2011/09/29/a-
tripoli-les-berberes-reclament-leur-place-dans-la-libye-nouvelle_1580065_3210.html [consulté le
16 octobre 2016].
40. Pour une définition de ces deux conceptions du pouvoir, on renvoie à l’œuvre fondatrice de
Michael Mann consacrée à la formation de l’État de l’Antiquité à nos jours, M. Mann, Las Fuentes
del poder social, Madrid, Alianza Universal, 1991.
AUTEURS
THIERRY DESRUES
Chargé de recherche au Consejo superior de investigaciones cientificas (CSIC) à l’Instituto de
estudios sociales avanzados (IESA) de Cordoue (Espagne). Chercheur associé de l’Institut de
recherche et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence et du
Centre Jacques-Berque pour les sciences humaines et sociales à Rabat (Maroc) ; ses travaux
portent sur les régimes politiques, l’action associative, les mouvements identitaires (islamistes,
amazighes), et le changement social au Maghreb.
MOHAND TILMATINE
Professeur à l’université de Cadix (Espagne) dans la spécialité « Études berbères ». Il dirige
également depuis 2000 le groupe de recherche HUM 685 Langues et sociétés arabes et berbères (
http://www.uca.es/grupos-inv/HUM683/). Ses axes de recherche en sciences humaines et
sociales couvrent la question des minorités et des revendications identitaires berbères en Afrique
du Nord et dans la diaspora en Europe.
28
8 Présente dans la pratique et pourtant absente dans le monde officiel, la langue (qui
souvent se confond avec l’identité) va connaître une évolution différente selon les lieux et
les périodes historiques. Les villes du nord de l’Afrique (d’est en ouest) seront les
premières à être gagnées par l’arabisation avant les régions montagneuses et l’extrême
sud. C’est précisément à l’espace touareg que les Berbères doivent la transmission de
l’alphabet ancestral (le tifinagh enseigné par les femmes) et la conservation de la langue
et sa grande richesse lexicale par rapport aux parlers du nord. Ce bref aperçu permet de
constater l’importance des distances entre ces régions, qui vont d’est (la Cyrénaïque) en
ouest (le Maroc et au-delà si l’on intègre les îles Canaries), de la Méditerranée au Sahara,
des cultures, des modes de vie (citadin, montagnard, semi-nomade et nomade) et des
différents apports humains.
9 La situation actuelle (des États indépendants sommés pour la première fois de résoudre
un problème millénaire) ne peut être intelligible que si l’on convoque certains moments
de l’histoire qui peuvent apporter un éclairage sur la situation dans laquelle se trouvèrent
les Berbères, conquis et parfois « conquérants », sans avoir défini au préalable un statut
pour leur langue, ce qui, assurément, contribua à leur invisibilité dans le champ politique
et à une délégitimation au niveau symbolique face à des langues et à des cultures ayant
conquis l’espace méditerranéen et européen de l’époque.
10 Cet article ne prétend pas embrasser de façon exhaustive toutes les périodes historiques
mais propose de revenir sur des faits pouvant constituer des lieux de mémoire, pour
parler comme Pierre Nora. La rémanence de tactiques, de stratégies et d’échecs est
troublante, au point qu’il faille se demander si cette situation de l’entre-deux n’est pas en
soi intégrée comme un mode d’être, une deuxième « identité » qui n’existerait que dans le
défi ou dans l’opposition à l’autre. Si la référence à la Kabylie est privilégiée ici, c’est pour
des raisons de terrain, mais c’est aussi là que la question a émergé de façon relativement
ancienne. Celle-ci sera soulevée dès 1948 par Benaï Ouali4. Elle aboutira en 1949 à un
conflit frontal entre les nationalistes et les « berbéro-nationalistes » appelés aussi
berbéro-matérialistes. La question de la langue réapparaîtra de façon cruciale à
l’indépendance de l’Algérie, en 1962.
11 La crise dite de 1949 a, pour ainsi dire, constitué un moment fondateur dans l’histoire du
mouvement national qui a engagé de façon exclusive le pays dans la voie de l’arabo-
islamisme en lui définissant une identité et une langue (arabes) et en lui reconnaissant
une religion, l’islam, conformément à la doctrine du leader ouléma Ben Badis.
12 Le mouvement des oulémas algériens, bien que favorable à l’assimilation, s’est arrogé la
paternité du nationalisme et la défense de l’arabo-islamisme comme fondement unique
de la nation algérienne5. Les éléments favorables à une Algérie algérienne, c’est-à-dire
non arabe et non musulmane (laïque) se sont vus éjectés du mouvement et taxés de
“berbéro-matérialisme”. Aucune région d’Afrique du Nord n’a connu de situation
similaire, c’est-à-dire en l’occurrence l’enracinement dans la culture ancestrale berbère
assorti d’une projection dans la « modernité » (laïcité, pluralisme, démocratie) comme
élément essentiel de la résistance à la colonisation et principe selon lequel s’effectuera
l’édification de la future nation.
13 Un détour par le début de l’islamisation est nécessaire pour appréhender cette
articulation entre histoire et politique, entre langue et identité et pour comprendre
comment ces couples indissociablement liés vont s’exprimer et évoluer graduellement
chez les Kabyles pour s’étendre au-delà de leurs frontières. Ces dernières années feront
32
17 Ainsi les Ibadites ont été à la fois très nombreux et de formidables acteurs jusqu’à la fin
du Moyen-Âge dans les régions les plus importantes (Libye, Tunisie et Algérie actuelles) 14.
La question de la langue n’était pas importante à leurs yeux car elle était pratiquée dans
presque tout le pays et l’usage de l’écrit restreint à une élite citadine (ou paysanne mais
dans un cadre bien précis comme dans le Souss actuel ou dans le Mzab). Un autre moment
historique qu’il faut ajouter à ce dossier est celui des Barghwata-s15 qui atteste pourtant
d’une autonomie manifeste par rapport à la domination religieuse, politique et
linguistique des politiques orientales. Ses promoteurs ont tenté d’inventer un modèle
religieux à l’instar de l’islam chiite mais conçu avec leurs codes culturels et linguistiques.
18 Les autochtones définis comme Berbères (même si l’on sait que très tôt des métissages ont
existé) occupaient un espace important : le monde paysan (agricole), les montagnes et les
passages (les chemins et routes d’autrefois) qu’ils contrôlaient, les oasis, les îles, le grand
désert. Ils constituaient aussi des armées qui défendaient leurs territoires, comme on
pourra le voir contre les Ottomans. Dans les espaces qu’ils occupaient, les Berbères
appliquaient leurs propres lois (droit coutumier), leurs propres croyances (rites, mythes,
etc.), leurs propres langues et codes culturels. Avec les pouvoirs centraux, ils ont
entretenu des relations dictées par les rapports de force du moment (alliance, guerre,
etc.). Pourtant présents physiquement sur les scènes politique, économique et sociale de
ces pays, les Berbères demeurent invisibles lorsqu’ils ne sont pas Carthaginois, Romains,
Byzantins, musulmans, Arabes. Ils sont restés pour ainsi dire les « innommables » (les
oubliés, les parias) de l’histoire, les absents de la Méditerranée et de l’Afrique depuis leur
islamisation, comme s’ils n’existaient (au niveau de la langue s’entend) que par
procuration. Des impératifs géostratégiques ont par exemple amené Juba II, roi berbère
de Maurétanie, allié politique de Rome, à faire du latin la langue de la pratique
administrative.
19 La difficulté à exister aujourd’hui, à s’affirmer dans un ensemble plus large, à inscrire son
combat dans des luttes comme les révoltes « arabes » n’aurait-elle pas pour origine des
traumatismes beaucoup plus anciens ? Les groupes berbères à des moments différents ont
souvent été instrumentalisés sans obtenir la reconnaissance recherchée. Il serait donc
faux d’avancer que la domination culturelle a commencé avec les seuls Arabes. Cette
région a été le théâtre de luttes acerbes pour la reconquête d’une légitimité plurielle
(religieuse, linguistique et historique) ayant laissé des traces très tôt dans l’histoire.
Comme sous les Romains, la dimension linguistique et surtout religieuse va faire des
adeptes (sous les musulmans) et progressivement prétendre à l’unification culturelle de
cette région. L’arabe, formidable synthèse entre l’arabe classique et l’arabe maghrébin,
lui-même dérivé de la langue hillalienne métissée avec le berbère et le punique, s’impose
comme seule langue écrite et devient au fil des siècles la langue par excellence : Lluġa,
langue universelle et destinée à être universellement reconnue car élue (selon la doxa)
par Dieu comme médium de transmission du Coran (livre sacro-saint) à l’humanité.
20 Revenir sur ces repères historiques (fût-ce de manière schématique) peut aider à démêler
l’écheveau. C’est, en fait, parce que les Nord-Africains actuels se débattent autour de
problèmes de légitimité, d’écriture, d’histoire, de religion que le passé devient important,
voire déterminant dans l’intelligibilité de ce phénomène éminemment politique et qui
n’est pas spécifique au monde berbère.
34
21 Jusqu’au XVIe siècle la langue berbère était majoritairement parlée en Afrique du Nord
(Algérie, Maroc, Tunisie), aussi bien dans la plupart des grandes villes qu’en milieu rural 16
. En Algérie, les Ottomans (à partir du XVIe siècle) n’ont pas imposé leur langue. À l’instar
des Romains, ils ont occupé les villes portuaires (Alger, Bejaïa, Oran) et certaines villes de
l’intérieur (Constantine, Médéa, Blida, Tlemcen) sans s’intéresser au pays profond car
l’accès y était difficile et l’apport dérisoire à leurs yeux. Ils étaient intéressés davantage
par la collecte de l’impôt que par les populations elles-mêmes. Ce faisant, la langue
berbère n’a pas été ébranlée. Dans les montagnes et dans toutes les régions du sud non
contrôlées par les Ottomans, on peut avancer que jusqu’à la fin du XIXe siècle, les
Berbères d’Algérie ont conservé leur langue, leurs systèmes juridiques et politiques
spécifiques différents de ceux des populations citadines et de ceux d’autres régions dont
le mode de vie diffère de celui des nomades et semi-nomades des hauts plateaux ou du
lointain Sahara. Les structures anthropologiques et politiques (modes de filiation,
assemblées villageoises, système de transmission, etc.) ne seront affectées qu’à partir de
1871, au moment du soulèvement de la Kabylie contre la France17. Il en sera de même
pour le Maroc (la politique du protectorat, moins violente que celle de la colonisation, a
davantage contribué à la conservation de sa culture et de ses modes de fonctionnement)
qui était en majorité dominé par la culture berbère jusqu’en 1920. Que s’est-il passé pour
que son usage se réduise comme peau de chagrin ?
32 Tous les ingrédients sont alors réunis pour voir s’instaurer une homogénéité culturelle,
linguistique et religieuse qui ait la vie longue. En effet, de la fin du XIXe siècle à nos jours,
les aménagements bricolés ici et là sont conçus pour répondre davantage à une exigence
du moment qu’à un véritable changement de fond.
33 Une relecture des événements récents à partir de 1988 (soulèvement des jeunes à Alger
qui a fait plusieurs centaines de morts) peut aider à une meilleure intelligibilité du
phénomène. Le discours politique officiel a attribué « l’échec » d’octobre 1988 au fait que
les Kabyles sont restés sur leur réserve. S’agit-il d’une mémoire en veille ou d’une
politique machiavélique menée par de grands stratèges ? On ne le saura jamais. Ce qui est
sûr, c’est que les Kabyles ont effectivement été des guerriers (connus sous le nom de
Zouaves30, Azouagos, Zwawa-s) avec lesquels les États centraux durent compter (Dey
d’Alger ou Bey de Tunis), et la manière avec laquelle ils ont résisté au colonisateur
français au XIXe siècle (1839-1847, 1854-1857 et 1871) et surtout durant la guerre
d’indépendance (1954-1962) n’a pas pu ne pas marquer les mémoires des politiques qui
avaient intérêt à les avoir avec eux. Les émeutes de 1988 ont été très importantes et
n’était la réserve des Kabyles (négociée ?), elles auraient donné lieu à un changement
encore plus spectaculaire du régime en place.
34 Ce soulèvement a eu pour conséquence l’ouverture démocratique qui favorisera l’entrée
des Kabyles dans le champ politique. Deux partis politiques (l’un, le Front des forces
socialistes (FFS), issu de l’opposition au parti unique en 196331, et l’autre, le
Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), de 1989) feront partie du
panorama, tous deux (avec des nuances qu’il convient d’introduire) se réclamant de la
démocratie et de la laïcité. C’est là une caractéristique qui, incontestablement, les
38
distingue par leur production discursive des formations politiques en présence. Le FFS et
le RCD vont jouer des rôles différents dans l’arrêt, en 1991, du processus électoral,
moment important qui favorisera la radicalisation des positions politiques. D’un côté, les
partisans de la légalité et d’un règlement politique négocié de la crise en acceptant le
choix des urnes (dans le sillage de la proposition de Sant Egidio appelée aussi Contrat de
Rome32), dont le FFS, de l’autre, les partisans de l’annulation avec l’intervention de
l’armée instaurant l’état de siège, dont le RCD. Le conflit ne permet pas la nuance : les uns
sont alors taxés de pro-islamisme, les autres de collusion avec le pouvoir. Les uns seront
appelés dialoguistes ou réconciliateurs, les autres éradicateurs.
35 Parallèlement à ces formations politiques, la société civile n’est pas en reste. Un puissant
Mouvement culturel berbère (MCB) rassemblant différents courants poursuit sa lutte
− dans le sillage des événements du printemps berbère de 1980 − prône les libertés
culturelles pour culminer avec la grève des cartables en 1994. Une troisième voie existe
donc : la jeunesse kabyle, comme une grande partie de la population kabyle rurale, est à la
fois anti-pouvoir et anti-islamiste, et c’est cette tendance qui se mobilisera pendant les
années 2000.
36 Des marches spectaculaires se donneront à voir dans les années 2000, notamment avec le
Printemps noir et l’émergence des ‘arouch-s (les tribus) ou « Mouvement citoyen des
villages, communes, daira et arouchs ». Des jeunes, des femmes, des paysans et des
citoyens de toutes les catégories sociales y ont exprimé leur colère. La nouvelle de la
mort, le 20 avril 2001, date anniversaire du Printemps berbère (avril 1980), du jeune
Massinissa Guermah, qui succomba aux blessures infligées à bout portant deux jours
avant par un gendarme dans les locaux de la gendarmerie de Béni Douala, se propagea
comme une traînée de poudre dans une Kabylie qui se vivait comme assiégée, notamment
depuis les émeutes provoquées par l’assassinat, le 25 juin 1998, du chanteur Matoub
Lounès, engagé en faveur de la culture berbère, de la laïcité et de la démocratie. De
véritables affrontements viendront opposer les citoyens à la gendarmerie en faction en
Kabylie. Pour canaliser la contestation qui exige le retrait immédiat de Kabylie des forces
de répression, une instance, les‘arouch-s, sera mise sur pied par les citoyens. Elle sera
chargée de porter leurs revendications arrêtées dans une plateforme élaborée à El Kseur
(Béjaïa) à la plus haute instance du pays : la présidence de la République. C’est ainsi que le
14 juin 2001 près de deux millions de citoyens kabyles (selon les estimations de la grande
presse) iront battre le pavé à Alger pour réclamer leurs droits à exister en tant que
« peuple » ayant une mémoire, une histoire et une langue et exprimer leur aspiration à
vivre libres dans un Etat de droit, démocratique et laïc. Cette marche pacifique dont le
pays n’avait pas connu de semblable depuis les festivités de l’indépendance en 1962, fera
l’objet d’une répression féroce. Les islamistes dits « repentis » (et autres prisonniers de
droit commun) viendront sur la place du 1er Mai, point de départ de l’imposante marche
vers la Présidence, prêter main forte aux services de sécurité dans l’agression des
manifestants. Il s’ensuivra une chasse à l’homme, « une chasse au Kabyle » jusque dans les
escaliers des immeubles. Plusieurs dizaines de jeunes manifestants seront abattus à bout
portant (126 au total), et des centaines seront blessés et en porteront les séquelles toute
leur vie. Cette tragédie a mobilisé les populations des départements (wilaya-s) de Kabylie
(Tizi-Ouzou, Bouira, Bejaïa, Boumerdès et Bordj Bou Arreridj) pendant plusieurs mois.
C’est à ce moment que l’on peut considérer qu’une guerre symbolique a été déclarée et
signée par les slogans tels que « pas de pardon » (ulach smah ulach) et « pouvoir assassin ».
Des enquêtes ont été menées par le pouvoir central, mais la lumière reste encore à faire
39
Au-delà de la Kabylie
42 Enfin, dans le pays touareg, de l’Algérie au Niger en passant par le Mali, le mal-être dans
lequel vivent ces populations divisées et vivant dans plusieurs pays découle de l’héritage
colonial. La question brûlante de l’indépendance de l’Azawad, actuellement sous la
dépendance d’un mouvement arabo-islamique (non sans lien avec des éléments
radicalisés du nord de l’Algérie) au cœur du Sahara, en est une illustration.
43 Cette revue rapide montre qu’il y a un véritable problème hérité de l’histoire la plus
ancienne, celle des grands empires (comme celui de Massinissa ou de Syphax) qui, tout en
étant berbères, adoptèrent à une certaine époque de l’histoire la langue de l’autre (latin,
grec) comme langue de l’administration, de la culture et des arts. Cet antécédant fraya la
voie à l’arabe qui − de fait et de droit − s’imposera sans toutefois gagner l’ensemble de
l’espace dit berbère, d’où l’acuité du problème actuel. Si les Berbères « arabisés » (au sens
d’Ibn Khaldoun musta’riba) ont intériorisé ce fait historique, les Berbères berbérophones
en ont en revanche gardé la mémoire et persévèrent dans la sauvegarde de leur
patrimoine. Il en découle une véritable lutte entre ceux qui s’inscrivent dans un projet de
reconnaissance et de récupération de leur histoire – sans généralement disposer des
moyens à la hauteur de leurs ambitions politiques et culturelles – et ceux qui, en
revanche, usent des rapports de force, de la solidarité des pays arabes et musulmans pour
poursuivre cette éradication culturelle d’une civilisation afro-méditerranéenne qui a
pourtant marqué l’histoire.
44 La langue arabe (qui est aussi celle de l’islam) domine aujourd’hui non seulement au
niveau du réel mais aussi au plan symbolique. Les partis politiques de ces pays – fussent-
ils laïcs, francophones – ainsi que l’élite intellectuelle se réclamant pourtant de la
démocratie ne saisissent pas le retour vers des pratiques réelles comme une chance,
comme une richesse pouvant instaurer une démocratie mais seulement comme un facteur
de division et une atteinte à la sacro-sainte Umma`arabiyya (nation arabe). Ce patrimoine
anté-islamique (juif, chrétien, païen, ottoman, africain) ou plus contemporain (français,
espagnol, italien) pourrait pourtant constituer un préalable à l’instauration de l’égalité
des droits. Le berbère n’ayant jamais été enseigné, n’ayant pas été transmis (si ce n’est sur
le mode oral) demeure toujours marqué par le stigmate de l’archaïsme et de l’illégitimité,
etc. Les arabophones des « révolutions arabes » dans l’espace nord-africain auraient sans
doute gagné à capitaliser les luttes des berbérophones parce qu’elles se réclament aussi
de la laïcité, de la liberté d’expression et de la démocratie.
45 Incapables qu’ils étaient de faire leurs ces revendications, pris dans le jeu de la
représentativité, les adversaires politiques de la berbérité n’éprouvaient en réalité
aucune sensibilité envers ce patrimoine, méprisé de surcroît. De leur côté, les
berbérophones, en faisant leurs les révolutions dites arabes, pouvaient sans doute
contribuer à changer le panorama politique, une diversité bien intégrée étant un gage de
démocratie. De façon lointaine et abstraite, le lecteur peut penser que les Berbères ont
manqué ce rendez-vous avec l’histoire, mais ce n’est là que rhétorique. La participation
des populations minorées en Afrique du Nord (femmes et Coptes en Égypte, Berbères en
Libye et même en Tunisie) n’a pas abouti à leur reconnaissance. Les dominants au pouvoir
se saisissent de l’ordre réel et de l’ordre symbolique en remettant les dominés à leur
place. C’est pour cette raison que les Berbères (surtout en Algérie), ayant entamé une
lutte qui a commencé en 1980, continuent leur aventure en solo. Dans cet univers de
l’exclusion des groupes minorés, il reste beaucoup de chemin à faire pour que les
principes de démocratie soient compris de tous.
41
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NOTES
1. P. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Point Seuil, 2001, p. 68.
2. La laïcité a été discutée en Algérie (au sein des partis ayant un ancrage en Kabylie mais pas
seulement), et elle revient au-devant de la scène au Maroc avec la position défendue par Azetta
(réseau Amazigh pour la Citoyenneté) devant la Commission consultative pour la réforme
constitutionnelle et le communiqué de Tamaynut appelant au boycott de celle-ci. Après
l’adoption du texte constitutionnel, Azetta adapte sa position au nouveau contexte et fait de la
construction d’un État laïque et démocratique une des conditions de l’institutionnalisation de
l’amazigh (slogan de son dernier congrès national, septembre 2014). À l’Université d’été d’Agadir
(mai 2015), cette même question a été posée par des arabisants. Ce qui montre bien qu’il y a une
véritable maturation qui s’est effectuée au sein du Mouvement culturel amazigh.
3. Cette attitude est récurrente dans l’histoire des Berbères puisqu’on la retrouve quand les
Romains combattent les Carthaginois et les Vandales ; les Arabes les Byzantins et, plus tard, les
Français les Ottomans.
43
4. Né vers 1917 et décédé en 1957. Grand militant nationaliste connu pour sa détermination pour
l’indépendance de l’Algérie et pour son engagement pour la langue berbère. Il aurait été
« liquidé » par ses compagnons d’armes à cause de ses prises de position en faveur d’une Algérie
algérienne reconnaissant la langue berbère.
5. M. Tilmatine, « Les oulémas algériens et la question berbère : un document de 1948 », Awal,
Cahiers d’études berbères, nº 15, 1997, p. 77-90.
6. Une branche de l’opposition, le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) s’est
dotée d’un gouvernement provisoire en exil en France, le GPK (Gouvernement provisoire de la
Kabylie).
7. Les Almoravides (al-Murābiṭūn, « ceux du ribāt »), dynastie berbère (Sanhadja) ayant constitué
du XIe au XII e siècle un empire englobant le Maroc, l’Algérie, l’Andalousie et ayant joué un rôle
important. L’avènement des Almohades (al-muwahiddun) mettra fin à la dynastie des
Almoravides.
8. Mouvement religieux né autour de 1120 à Tinmel, fondé par Ibn Toumert et soutenu par des
tribus du Haut Atlas principalement des Masmoudas. Ibn Toumert prône alors une réforme
morale puritaine et met fin au règne des Almoravides.
9. L’alliance avec les tribus berbères a permis de lancer une révolte contre les Aghlabides de
Kairouan. En 909, Ubayd Allah est intronisé et étend son influence sur une grande partie du
Maghreb : du Maroc à la Libye (aujourd’hui Algérie, Tunisie, Libye). Il prend pour capitale Mahdia
en Tunisie. Les Fatimides ont également fondé Le Caire et Al-Azhar et contestèrent l’autorité du
calife de Bagdad.
10. Les Fatimides (également appelés Obeydites) ont formé une dynastie chiite ismaélienne qui
régna, depuis l’Ifriqiya (entre 909 et 969) puis l’Égypte (entre 969 et 1171), sur un empire qui
englobait une grande partie de l’Afrique du Nord, la Sicile et une partie du Moyen-Orient.
11. Ibn Rostom s’est établi à Tiaret et a pris femme chez les Berbères. Quand les Ibadites de
Tripoli s’emparent de Kairouan en 758, il en devient le gouverneur. Chassé de la ville par le
gouverneur d’Égypte en 761, il fonde un royaume ibadite dans le nord du Maghreb avec Tahert
pour capitale. En 776, Ibn Rostom est élu imam par l’ensemble des tribus berbères ibadites,
fondant l’imamat rostémide. Il meurt en 784. Ses successeurs conservent leur indépendance du
califat des Abbassides qui leur cause moult ennuis. Avec l’émergence des Fatimides en 909, les
Rostémides perdirent tout pouvoir et se réfugièrent dans le Mzab et sa région (Ouargla, Sedrata).
12. Cette stratégie d’ouverture est une arme à double tranchant : des hommes célibataires en
provenance de l’Orient, « Arabes » donc, se présentant comme des « saints » étaient accueillis
dans de nombreux groupes matrilinéaires au sein desquels ils prenaient femme(s) et opéraient de
ce fait la conversion de tout le groupe en changeant les règles de la filiation. Les descendants de
cette union deviennent, du coup, des musulmans à ascendance arabe. On renvoie à P. Bonte,
Récits d’origine : contribution à la connaissance du passé ouest-saharien, Mauritanie, Maroc, Sahara
occidental, Algérie, Paris, Karthala, 2016.
13. T. Yacine, « Société et représentations du monde dans les Tiqsidin kabyles », Awal, Cahiers
d’études berbères, 2009-2010, p. 9-21.
14. Les Ibadites ont été de formidables agents de la propagation de leur doctrine et du
développement du commerce avec l’Afrique subsaharienne. Ils auraient joué un rôle déterminant
dans la fondation du royaume du Ghana et du Soudan. Cf. P. Bonte, Récits d’origine…, op. cit.
15. Les Berghouata sont une confédération tribale masmouda qui établit un royaume
indépendant s’étendant sur la région de la Tamesna entre 744 et 1058, sous l’égide de Tarif al-
Matghari. L’État Berghouata, dont Anfa, sa capitale, succombera en 1059 après J.C. à l’attaque des
Almoravides.
16. Certains rétorqueront que selon des historiens du Moyen-Âge l’arabe maghrébin est devenu
dominant au XIIIe siècle. Cette thèse est très discutable, en l’absence de sources fiables pour
l’ensemble des régions de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie. Le cadre de cet article ne permet
44
pas de prolonger la discussion, mais on pourra cependant indiquer que, selon d’autres sources,
des dialectes latins étaient parlés dans des villes comme Mehdia au Moyen-Âge, ou que le Maroc
était très majoritairement amazighophone jusqu’au milieu du XX e siècle.
17. Avant le franchissement du défilé des Portes de fer par l’armée du duc d’Orléans, en 1839, le
royaume des Aït Abbas, qui émergea à la fin du Moyen-Âge pour durer jusqu’en 1871 (de la Basse
Kabylie de Bougie à Constantine, jusqu’à Bou-Saada, Ouargla et parfois jusqu’aux portes de
Tlemcen), constituait un véritable État dans l’État. Militairement et stratégiquement, Alger ne
pouvait pas se passer de l’appui de la dynastie des Aït Muqran (arabisée en Mokrani), connue
aussi sous l’appellation « Seigneurs de la Medjana », gardiens du passage des Portes de fer,
exigeant des Ottomans un péage pour se rendre à Constantine (ou à Alger selon la provenance).
Le rôle du Bachagha El Mokrani a été déterminant en 1871 car il fut à l’origine de l’insurrection.
18. A. Kadri, A. Ghouati, Enseignants et instituteurs en Algérie : les luttes enseignantes dans la
décolonisation, 1945-1965, Rapport de recherche, Institut Maghreb-Europe, Paris 8, Unsa Education,
2006. <hal-01341823>
19. Ibn Khaldoun, Les Prolégomènes (La Muqqadima), Paris, Geuthner, 1996 [1934], volume 1,
Introduction.
20. J.L. l’Africain, Description de l’Afrique, Paris, Maisonneuve, 1981 [1956].
21. P. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique ?, p. 13-14.
22. Cela n’empêchait pas l’existence de langues locales. Mais le russe était la langue commune
parlée et écrite dans tous ces pays et surtout la langue de formation politique et celle de la
révolution par excellence.
23. Il ne s’agit pas d’une similarité en termes absolus mais de positions qui finissent par être les
mêmes malgré les spécificités historiques. L’Istiqlal, par exemple, est loin du projet baathiste, car
ses fondements s’inspirent de la pensée salafiste et du nationalisme d’alors : une langue, un
espace et l’appartenance à la grande oumma musulmane. Après l’indépendance du Maroc (tout
comme de la Tunisie d’ailleurs), l’arabisation est un projet à la fois linguistique mais aussi
politique. Le nationalisme nécessite sa propre légitimité « révolutionnaire » enracinée dans les
cultures nationales et dotée d’une langue moderne, un peu comme l’a fait Bourguiba pour la
Tunisie en faveur de l’arabe moderne et, de fait, contre le berbère. Au Maroc (et même en
Algérie) l’arabisation – dans les années soixante-dix – est venue conforter les systèmes pour
affaiblir les « communistes et autres marxisants » souvent critiques. Pour les systèmes en place,
l’arabisation était une visée politique qui a consisté à re-retradionnaliser la société par le biais de
l’enseignement, comme si arabe et islam allaient de pair. Nombre de partis marocains se situent
dans cette mouvance arabiste avec un islam plus ou moins affirmé selon les conjonctures
politiques tels que les formations dérivées de l’UNFP (Union nationale des forces populaires), de
l’USFP (Union socialiste des forces populaires) et du PADS (Parti de l’avant-garde démocratique
et sociale) ainsi que celles issues des différentes recompositions de la gauche marxiste-léniniste,
comme « 23 mars » qui deviendra l’OADP (Organisation pour l’action démocratique et populaire),
portées par des intellectuels et idéologues comme Mohamed Abed El-Jabiri, Allal El Azhar et El
Yazid El Baraka.
24. A. Mérad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 : essai d’histoire religieuse et sociale,
Paris, La Haye-Mouton, 1967, p. 37.
25. A. El-Khatir, « Nationalisme et langue au Maroc », Awal, Cahiers d’études berbères, 43-44, 2015,
p. 55-73.
26. K. Brown, « The impact of the Dahir berbère in Salé », dans Arabs and Berbers: From tribe to
nation in North Africa, sous la dir. de Ernest Gellner et Charles Micaud, London, Duckworth, 1973,
p. 201-202 ; M. El-Qadery, L’État national et les Berbères, le cas du Maroc : mythe colonial et négation
coloniale, thèse d’histoire, Université de Montpellier, 2007.
27. A. Hadjar a été plusieurs fois ambassadeur d’Algérie dans les pays arabes dont la Libye et
passait, au regard du public algérien et arabe, pour le chantre de l’arabisme.
45
AUTEUR
TASSADIT YACINE
Directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris (France).
Membre du Laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS, du CNRS et du Collège de France et
directrice de la revue Awal, elle est spécialiste de l’anthropologie de la domination (les problèmes
liés à la langue, les relations hommes-femmes).
46
les années 80, par les berbéristes3 et les islamistes) fondé sur l’affirmation d’un groupe qui
se proclame « malmené » par l’histoire officielle4. Réparer un préjudice, corriger les
altérations, dénoncer les falsifications, rendre justice sont souvent les motivations qui
justifient d’autres lectures du passé qui se diffusent bien au-delà des cercles militants.
Ainsi, les savoirs produits par ces récits alternatifs constituent une nouvelle vulgate
performative qui joue sur deux registres : celui de la charge émotionnelle et celui de la
« preuve » historique apportée pour contredire le récit falsifié. Et cette vulgate est
devenue l’expression des légitimités historiques revendiquées dans les luttes politiques.
2 Depuis 1980, date à laquelle la question berbère émerge dans le champ politique algérien5
et devient incontournable dans le débat citoyen et politique, nous assistons à une
production éditoriale intense de travaux historiques rédigés pour l’essentiel par des
berbérophones de Kabylie6. Ces travaux ont participé à produire une vulgate historique
berbère, œuvre de nombreux acteurs impliqués bien souvent dans des jeux politiques et
dans des actions militantes. Ils invitent à nous interroger sur les modalités de la
constitution de cette forme de savoir et l’identification des supports (académiques,
scolaires, médias, littérature, musique, expression des mémoires collectives,
représentations et éléments factuels) sur lesquels elle repose. De ces multiples supports
va se dégager un savoir flou, parfois nébuleux, d’où émergent des dates, des personnages
et des événements marquants. Un savoir souvent intériorisé, souvent moralisé (c’est-à-
dire connoté de valeurs positives ou négatives) avec des critères éthiques, patriotiques,
citoyens assez éloignés du savoir historique dit « scientifique ». Cette histoire alternative
appelle aussi à mieux comprendre les modalités de sa diffusion et de sa réception dans la
société algérienne, tout en constatant qu’elle a réussi à s’imposer en dehors des cadres
classiques de diffusion des savoirs, notamment le système scolaire et universitaire
national où la conception de l’histoire nationale qui prévalait, jusqu’à il y a très peu de
temps, ne laissait à la dimension berbère de la société qu’une toute petite place. Identifier
les acteurs, producteurs de cette vulgate, suppose une enquête malaisée car elle ne se
limite pas seulement à un travail de recension, de lecture et de documentation. L’enquête
plonge dans l’histoire politique algérienne depuis 1962 et dans l’histoire de ses élites liées
aux grands mouvements contestataires. Il est indubitable que la vulgate berbère est
étroitement liée au mouvement de reconnaissance identitaire et portée par des
intellectuels/militants kabyles formés (pour la première génération) en France dans les
années 60 et 70. Héritiers de l’Académie berbère7 et du Groupe d’études berbères de
l’Université Paris VIII de Vincennes8, ils participeront très activement à la création du
Mouvement culturel berbère (MCB) qui constituera l’élite intellectuelle puis politique de
la Kabylie de ces trente dernières années. On les retrouvera dans les partis politiques à
fort ancrage électoral kabyle, tels que le Front des forces socialistes (FFS) constitué en
1963 ou le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) créé en 1989. Certains de
ses membres ont contribué à la création de la première Ligue des droits de l’homme et au
mouvement des enfants de shahîd (martyrs de la révolution algérienne). C’est le MCB qui
se chargera, pour la première fois dans les années 80, de la formulation globale de la
question culturelle et linguistique. S’il évoluera par la suite progressivement en une vaste
nébuleuse rassemblant des sensibilités politiques différentes, traversées par d’importants
clivages, il n’en demeure pas moins une remarquable plateforme qui impulsera de
multiples expressions et productions politiques, identitaires et scientifiques à la fois. Le
début des années 80 voit la publication de très nombreux ouvrages9 : des ouvrages
académiques et d’érudition (ouvrages universitaires, encyclopédies, travaux de
48
L’obsession de l’histoire
8 Le point commun de ces travaux réside dans une approche défensive de la dimension
berbère en Algérie et plus généralement au Maghreb. Cette production est destinée à
manifester l’avènement d’une identité berbère, à construire un contre-récit national qui
demeure, cependant, aveugle aux interactions (notamment avec les milieux arabes et
citadins et avec le pouvoir central) qui ont pu participer à la construction de cette
identité. La victimisation et le dolorisme historique sont mis en œuvre, dans le récit,
comme des moyens pour placer le lecteur à la fois en empathie et en dette à l’égard des
« oubliés de l’histoire ».
9 Il faut rappeler que, jusqu’en 1980, la production historique et historiographique
concernant le domaine des études berbères était très limitée. Ce sont surtout des manuels
de langue, des monographies (d’histoire locale), des chroniques, des traités
ethnographiques ou de littérature orale qui mobilisent l’énergie et l’attention des
auteurs. La conscience identitaire et historique, présente, n’était pas pour autant
explicitée et formalisée. La confrontation des Kabyles avec l’autoritarisme de l’État
algérien, lors des événements de 1980 puis à plusieurs reprises par la suite12, pose
publiquement des questionnements identitaires et historiques qui mettent en cause des
versions officielles et nationalistes. L’histoire devient ainsi la discipline en sciences
sociales, sans cesse sollicitée comme la science du passé13, que l’on interroge
frénétiquement pour apporter des réponses à un présent dramatique et dramatisé.
49
berbères. Ils localisent l’origine commune des tribus berbères dans le sud de la péninsule
arabique (Yémen) ou bien lui confèrent une filiation maraboutique (ahl al-sharîf,
descendants du Prophète), la période pré-arabe et pré-islamique du nord de l’Afrique
étant systématiquement ignorée16. La façon dont cette historiographie présente la
question de l’origine des Berbères a longtemps prédominé, qu’elle y voie des descendants
de Cham, fils de Noé, nés au Maghreb17 ou bien des Palestiniens qui auraient été chassés
au Maghreb après la mort de leur roi Jalut, lui-même originaire de la tribu arabe de
Mudar18 ; ou bien encore des tribus originaires de la péninsule sud-arabique, du Yémen19.
L’Histoire des Berbères de Ibn Khaldun 20 demeure, encore aujourd’hui, la référence
essentielle. Même les historiens français de l’époque coloniale s’y sont référés. La
production historiographique française de la période coloniale sur les Berbères rejoint les
idées communes (que les auteurs anciens développaient déjà) d’un peuple passif face à
l’histoire, peu développé, attardé, intégrant les civilisations des autres car incapable de
progresser par lui-même. E.F Gauthier parlait de « traînards maghrébins21 », et G. Marçais
écrivait que « l’histoire de la Berbérie au Moyen-Âge n’excitera jamais chez le lecteur
français l’intérêt qu’il trouve en celle des pays européens22 ». Il faudra attendre l’ouvrage
du préhistorien Gabriel Camps, publié en 1980, Berbères, aux marges de l’Histoire 23, qui
s’appuie sur les données les plus récentes de la préhistoire, de l’anthropologie et de la
linguistique pour obtenir un questionnement scientifique rigoureux sur l’origine des
peuples berbères d’Afrique du Nord jusqu’à la période médiévale.
15 D’une histoire légendaire, généalogique puis anthropologique, les Berbères d’Algérie
deviennent l’objet, dans les années 70, d’une histoire politique. En effet, quand ce n’est
pas l’histoire des États numides de l’Antiquité ou les dynasties berbères du Moyen-Âge,
c’est la longue histoire des insurrections face aux différentes conquêtes qui ont marqué
l’espace maghrébin jusqu’à celles de la révolution algérienne de la libération nationale
qui est mise à l’honneur par cette littérature et s’attache à montrer l’importance des
Berbères comme acteurs historiques et politiques de l’indépendance. Cette lecture de
l’histoire mérite une analyse dialectique afin de montrer les difficultés (sinon le
conditionnement des auteurs) à se détacher des schémas officiels qui ont marqué la
pensée historique algérienne.
Ils viennent notamment combler les vides des périodes historiques (particulièrement
l’Antiquité et le Haut Moyen-Âge) qui caractérisent aussi bien l’historiographie
européenne de l’Afrique du Nord antique que l’histoire nationale post-indépendante.
comme réalité socio-linguistique qui aurait été partagée par le plus grand nombre dans
des temps très anciens. Et il interroge surtout la connexion fondamentale et
problématique d’une langue unique à celle d’une communauté originelle. La question du
volontarisme linguistique (qui consiste à souligner tous les éléments d’unité des bases
structurales et lexicales du berbère) débouche sur l’identification d’une entité
démographique historique d’un peuple et donc aujourd’hui d’une réalité socio-politique
dont il faut assurer juridiquement la légitimité identitaire. En reconstituant les étapes de
la construction de l’objet « langue berbère » par les linguistes56, Salem Chaker a montré
comment les élites kabyles ont popularisé et diffusé la thèse de l’unité de la langue
berbère ; diffusion accompagnée après les indépendances de tout un mouvement
revendicatif de défense de la langue et de la culture. La corrélation langue/culture
largement investie, au XIXe siècle, dans les nationalismes en Europe centrale 57 a montré
comment un imaginaire « national » se nourrissait d’une langue retrouvée, d’un passé
reconstruit et souvent mythifié et d’un attachement au sol et aux ancêtres58. Une
recherche passionnelle d’identité où historiens, linguistes, philologues, grammairiens,
réunis par une volonté très forte d’unification, ont travaillé de concert, sur des
thématiques montrant les origines communes et les spécificités de tel ou tel peuple.
L’histoire et la linguistique apparaissent comme les deux disciplines de base pour
produire et légitimer les connaissances. Dans ce travail de reconstruction du passé, de
réaménagement de la langue et de traditions inventées, E. Hobsbawn soulignait le
caractère essentiel de l’engagement des historiens :
« (…) Tous les historiens, quels que soient leurs objectifs, sont aussi engagés dans ce
processus dès lors qu’ils contribuent, consciemment ou non, à la création, au
démantèlement et à la reconstruction d’images du passé qui n’appartiennent pas
seulement à l’univers de l’investigation spécialisée mais aussi à la sphère publique
de l’homme en tant qu’être politique59. »
30 La redécouverte et l’étude de la langue berbère60 n’échappent à aucun de ces paradigmes
et s’inscrivent dans l’invention des traditions et des communautés élargies et unies par
des éléments symboliques (histoire, langue, héros, paysages…) telles qu’Hobsbawn les a
décrites61. Elles ont permis de ressusciter une « âme nationale » et de développer un
historicisme aigu qui consiste à retrouver les racines perdues, à récupérer des mythes
fondateurs, à glorifier les traditions et le culte des ancêtres et à exacerber les
particularismes locaux.
31 Dans le développement de la philologie et de la recherche de standardisation de la langue
berbère62, Salem Chaker souligne le hiatus (ou le dilemme ?) entre ce qu’il appelle « la
fiction du tamazight et la réalité des variétés régionales63 ». Une recherche frénétique de la
langue-mère au point de l’imposer à une réalité linguistique objective du terrain, à savoir
celle des dialectes qui correspondent à des espaces régionaux divers de l’ensemble des
pays du Maghreb. Il souligne surtout le relativisme des concepts et des « certitudes »
scientifiques inscrits dans des enjeux du contexte politique et social. Ce dernier
détermine le discours scientifique qui ne le met pas « à l’abri de l’idéologie ni de la
relativité socio-historique64 ». Cette détermination identitaire construit, aujourd’hui,
toutes les représentations des Berbères sur leur histoire et sur l’usage de leur(s) langue(s).
32 La vulgate historique berbère répond à la demande considérable mais aussi confuse d’une
société en mal d’histoire, coincée dans les définitions étroites des identités nationales. Le
savoir historique abondant, composite et dispersé tel qu’il est dilué dans une quantité de
produits historiques (ouvrages académiques et amateurs, bandes dessinées, livres pour
56
enfants, sites Web, émissions audiovisuelles, articles de presse…) est proposé, sur le
marché, dans une remise en question d’une histoire algérienne amputée de sa
composante berbère. C’est donc un savoir simplificateur, souvent réducteur qui s’offre au
plus grand nombre. Son accessibilité a son revers sélectif ; il fige les dynamiques
historiques et sociétales dans des paradigmes bien éloignés de ce que devrait être une
histoire nationale indépendante, exigeante, érudite et représentative des recherches
scientifiques et de leurs débats. C’est une affirmation nationale postulant une unité
berbère perdue ou atomisée entre une majorité amnésique et une minorité dépositaire de
la langue (vestige ultime de cet héritage) qui est ainsi décrite. La berbérité est ainsi posée
comme le véritable socle national, quitte à faire coexister de manière confuse les mythes
et l’histoire. Ainsi les récits mêlent et emmêlent des éléments narratifs puisés dans le
nationalisme algérien contemporain, les affirmations mémorielles et les revendications
militantes pour apporter une réponse (plus ou moins adaptée) au « besoin d’histoire ».
33 L’idée d’une Algérie (et plus généralement d’un Maghreb) exclusivement arabe appartient
bien définitivement au passé, et les printemps dits « arabes » qui ont secoué brutalement
le socle des régimes autoritaires du nord de l’Afrique ont fait tourner une page historique
où les référentiels nationalistes et arabistes sont réinterrogés à l’aune d’une vision
plurielle des sociétés maghrébines. De la Libye au Maroc, le Maghreb se redécouvre
berbère, et les mouvements de contestation amazighs revendiquent l’héritage historique
de la berbérité oubliée ou malmenée par les régimes politiques déchus ou contestés.
Aujourd’hui, l’heure est à la réflexion de toutes ces formes de recours de l’histoire et des
fonctions qui lui sont assignées dans ce contexte d’urgence du temps présent où des
acteurs multiples réélaborent le passé.
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NOTES
1. Formule empruntée à Claude Liauzu lorsqu’il parle de l’histoire nationale française. Cf. C.
Liauzu, Dictionnaire de la colonisation française, Paris, Larousse, 2007.
2. Les différents textes constitutionnels (1963, 1976, 1989, 1996, 2008) abordent tous l’arabité et
l’islamité comme les composantes principales de l’identité algérienne : « Le peuple algérien est
un peuple arabo-musulman. En effet, à partir du VIIIe siècle, l’islamisation et l’arabisation ont
donné au pays le visage qu’il a sauvegardé jusqu’à présent » (Charte d’Alger, ensemble de textes
adoptés par le 1er congrès du Front de libération nationale (FLN), avril 1964).
3. Par « berbéristes », nous entendons les Algériens qui revendiquent une identité berbère et
engagés dans l’action militante autour de la reconnaissance politique de la langue et de la culture
berbères.
4. Berbéristes, islamistes, communistes, féministes…
5. Elle apparaît sous le nom de Tafsut Imazighen (Printemps berbère). C’est le premier mouvement
de contestation sociale et politique de grande ampleur qui secoue l’Algérie depuis son
indépendance en 1962.
6. La Kabylie est, pour des raisons historiques, une région de « contre-pouvoir » qui depuis 1962
multiplie les contestations politiques et les revendications identitaires. Le Printemps berbère de
1980 est également présenté comme le Printemps des études berbères. La berbérité passe,
principalement, par l’identifiant de la langue, de sa maîtrise et de sa défense. Voir A. Guenoun,
Chronologie du mouvement berbère, 1945-1990 : un combat et des hommes, Alger, Casbah Editions, 1999.
7. L’Académie berbère était une association fondée à Paris en 1966 par quelques intellectuels et
artistes (Taos Amrouche, Abdalkader Rahmani, Mohand Arab Bessaoud, Hamid Hamici…).
L’objectif était de sensibiliser à la lutte pour l’affirmation des minorités berbères du Maghreb.
Elle fut à l’origine de la récupération de l’alphabet tifinagh (écriture vieille de plusieurs
millénaires qui demeurait en usage dans la société touarègue) comme système d’écriture des
Berbères du nord de l’Afrique et publia la revue Imazighen. Elle fut dissoute en 1978 sous les
pressions du gouvernement algérien d’alors.
59
24. La seule source historique dont nous disposons est celle de La Guerre de Jugurtha par Salluste ;
guerre qui opposa Rome au roi numide Jugurtha, entre 112 et 105 avant J.C. et qui s’acheva avec
la défaite de celui-ci. Sinon, les versions historiques dont nous disposons pèchent par leurs
incohérences, leurs approximations et leur a-temporalité.
25. Voir J. Alexandropoulos, La Tunisie mosaïque : diaspora, cosmopolitisme et archéologie de l’identité,
Toulouse, Presses universitaires Toulouse Le Mirail, 2000.
26. Comme Carette, officier présenté comme saint-simonien.
27. Au printemps 2001 a été organisé un colloque international inauguré par le président de la
République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, sur Saint-Augustin. Voici un extrait du discours
inaugural : « Le fait qu’Augustin ait vécu et pensé avant la révélation coranique ne saurait
disqualifier son œuvre comme support et aiguillon d’une réflexion commune, de notre point de
vue de musulmans. Car le message révélé à notre prophète Mohamad s’est inscrit dans le
prolongement de ceux qu’ont enseigné Abraham, Moïse et Jésus. (…) Nous ne faisons aucune
distinction entre les envoyés de Dieu puisque c’est à lui que nous nous soumettons. » Propos
œcuméniques interprétés alors comme un défi direct à l’islamisme armé et terroriste, El Watan, 2
avril 2001.
28. S. Lancel, « Augustin (Saint) », Encyclopédie berbère, 7/Asarakae-Aurès, Aix-en-Provence,
Edisud, 1985, p. 1055-1065.
29. De son nom berbère Dihya Tadmut, belle gazelle, ou Damya (la devineresse).
30. G. Camps, L’Afrique du Nord au féminin, Paris, Perrin, 1992.
31. J. Déjeux, Femmes d’Algérie : légendes, traditions, histoire, littératures, Paris, La Boîte à documents,
1987.
32. A Khenchela, capitale des Aurès, une statue en acier à son effigie a été érigée en 2003 à
l’initiative d’une association, Aurès El Kahina.
33. G. Halimi, La Kahina, Paris, Plon, 2006.
34. Plusieurs associations pour la défense des droits de la femme ont été créées en son nom dans
les années 90 : Tharwa n’Fadhma n’Soumer (les enfants de Fadhma n’Soumer) et Bnet Fadhma
n’Soumer (les filles de Fadhma n’Soumer). Cf. M. Remaoun, « Les associations féminines pour les
droits des femmes », Insaniyat, 8, 1999, p. 129-143.
35. M.A. Hadaddou, Les Berbères célèbres (notice : Sheshonq, chef d’Etat, pharaon amazigh
d’Egypte), Alger, Berti, 2003.
36. Nom donné par Werner Vycichl pour désigner tous les peuples de l’Antiquité qui vivaient
dans les pays à l’ouest de l’Égypte. Des Libyens qui entrent dans l’histoire égyptienne comme
ennemis et envahisseurs et appelés Tehenou par les Égyptiens anciens. W. Vycichl, « Les
Imazighen, 5 000 ans d’histoire », Etudes et documents berbères, n° 4, 1988, p. 85.
37. Ibid.
38. H. Slimane, L’Homme de Mechta-Oufalou, le Cro-Magnon d’Afrique du Nord, durant les vingt derniers
millénaires : évolution culturelle et devenir. Gisement d’Afalou Bou Rhummel (massif des Babors, Algérie),
Thèse d’habilitation en préhistoire, Montpellier, Université de Montpellier III, 1999.
39. M. Hachid, Le Tassili des Ajjer : aux sources de l’Afrique, 50 siècles avant les pyramides, Alger/Paris,
Editions Edif 2000 / Paris-Méditerranée, 1998.
40. M. Hachid, Les Premiers Berbères : entre Méditerranée, Tassili et Nil, Alger/Paris, Editions Ina-yas
/ Edisud, 2000.
41. L’auteur est préhistorienne, diplômée de l’université de Provence, ancienne directrice du
parc national du Tassili des Ajjers (inscrit au patrimoine mondial de l’humanité).
42. Avec la civilisation capsienne, considérée comme l’ancêtre de la civilisation berbère, qui
apparaît à la période néolithique entre 9 000 et 7 000 ans av. J.C.
43. M. Shatzmiller, « Le mythe de l’origine berbère : aspects historiographiques et sociaux »
REMMM, n° 35, 1983, p. 146-158.
61
44. En particulier la thèse d’histoire de D.E. Souidi, Généalogies et pouvoirs au Maghreb du II e au VIIe
siècle de l’Hégire, soutenue à l’université de Paris I en 1996.
45. Voir M. Benabou, La Résistance africaine à la romanisation, Paris, La Découverte, 2005, 2 e éd.
46. F. Gabrieli, dir., Maghreb médiéval : l’apogée de la civilisation islamique dans l’Occident arabe, Aix-
en-Provence, Edisud, 1991.
47. Un discours d’Etat qui, rappelons-le a mobilisé, depuis 1962, exclusivement le référentiel
politique arabiste et islamique.
48. Un exemple de discours qui alimentera par la suite les arguments islamistes des années 90 :
« La langue arabe est ancrée dans ce pays depuis que l’islam s’est définitivement installé dans
cette Afrique du Nord et y a creusé ses fondations. Il en est ainsi, elle n’en bougera pas et ne
disparaîtra pas. Tant que l’islam y sera, elle demeurera inébranlable. » Propos du ‘alim
réformiste, Bâchir al-Ibrahimi, dans l’article « La langue arabe en Algérie : une femme libre qui
n’admet pas de rivale », dans le journal Ash-shihâb, 1948, traduit de l’arabe par Mohamed
Tilmatine, Awal, n° 15, 1997.
49. D. Morsly, « Le tamazight, langue nationale ? », dans Plurilinguisme et identités au Maghreb,
Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1998.
50. Mais aussi d’une dénonciation des pratiques politiques d’un régime qui ne s’est pas conformé
aux attentes et aux intérêts du peuple.
51. Voir les travaux de S. Chaker, Textes en linguistique berbère (introduction au domaine berbère),
Paris, CNRS, 1984 ; S. Chaker, Une décennie d’études berbères (1980-1990), bibliographie critique :
langues, littérature et identité, Alger, Editions Bouchène, 1992.
52. Par ailleurs, des initiatives se multiplient pour faire revivre des traditions considérées comme
berbères. Une des initiatives qui a rencontré un réel succès est celui de l’institution du jour de
l’an berbère Yennayer, appelé à être reconnu dans le calendrier comme jour férié.
53. « Sur le problème de la langue, les oulémas développent un véritable nationalisme
linguistique. Par l’intermédiaire de la langue arabe, langue du Coran, ils veulent non pas
exprimer une culture mais en imposer une à l’ensemble du pays. Le discours des oulémas rejette
les cultures populaires, la religion des paysans et dévalorise systématiquement les dialectes qui
sont leur support. La langue arabe n’est pas conçue seulement comme un moyen de transmission
des connaissances mais comme le support de la religion qui doit détenir le plus d’influence sur
les idées. » Cf. M. Harbi, 1954, La guerre commence en Algérie, Paris, Editions Complexe, 1984, p. 117.
54. A.S. Boulifa, Le Djurdjura à travers l’histoire depuis l’Antiquité jusqu’en 1830 : organisation et
indépendance des Zouaoua (Grande Kabylie), Alger 1925 ; M. Mammeri, « Les Isefra de Si Mohand ou
M’hand », texte berbère et traduction, Paris, Maspero, 1968 ; M. Mammeri, Tajerrumt n tmazigt
(tantalataqbaylit) », Paris, Maspero, 1976.
55. S. Chaker, « Une ou des langue(s) ? Entre linguistique et socio-linguistique : de la labilité des
concepts et objets scientifiques », Séminaire Maghreb, document de travail, Aix-en-Provence,
MMSH, 23/10/2007.
56. Qu’ils soient Européens comme André Basset ou Algériens comme Amar Said Boulifa. Cf. A.
Basset, La Langue berbère, Paris, l’Harmattan (rééd.), 2004. A.S. Boulifa, Méthode de langue kabyle
(cours de deuxième année), Alger, 1913.
57. B. Miche, Nations et nationalismes en Europe centrale aux XIX e et XXe siècles, Paris, Editions Aubier,
1995.
58. En Allemagne, la notion de Volkstum réunissait tous les peuples de même langue et de même
culture germaniques ; dans l’empire austro-hongrois, la « renaissance nationale » tchèque
s’élabore autour de la langue tchèque réappropriée par les élites.
59. E. Hobsbawn, « Inventing Traditions », dans The invention of tradition, sous la dir. de
E. Hobsbawn, O.T. Ranger, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 1-14.
62
60. La société des missionnaires d’Afrique (Pères blancs) du cardinal de Lavigerie avait
commencé à s’y intéresser dès la fin du XIXe siècle avec la publication de grammaires, de manuels
et de dictionnaires.
61. « Elles (les traditions inventées) sont hautement pertinentes pour cette innovation historique
relativement récente qu’est la nation avec ses phénomènes associés : le nationalisme, l’Etat-
nation, les symboles nationaux et le reste. Tous ces phénomènes prennent appui sur des
exercices d’ingénierie sociale qui sont souvent délibérés et toujours innovants, ne serait-ce que
parce que la nouveauté historique implique l’innovation. » E. Hobsbawn, « Introduction.
Inventing traditions », 1983.
62. Trois voies possibles pour arriver à une langue commune :
– construire une langue commune à tous ;
– prendre un dialecte central en l’enrichissant avec des dialectes périphériques ;
– choisir un dialecte de référence (pas forcément majoritaire) qui deviendrait la norme
vernaculaire.
63. S. Chaker, « Langue berbère / langue kabyle, etc. : réalités et fictions linguistiques et
sociolinguistiques. Des clarifications difficiles mais inéluctables », Revue des études berbères, 2009,
URL : http://centrederechercheberbere.fr/langue-berbere-langue-kabyle-etc-realites-et-fictions-
linguistiques-et-sociolinguistiques-des-clarifications-difficiles-mais-ine.html.
64. Ibid.
AUTEUR
KARIMA DIRÈCHE
Chercheure à l’UMR Temps, Espaces, Langages, Espace méridional-Méditerranée (TELEMME) de la
Maison méditerranéenne des sciences de l’homme à Aix-en-Provence. Ses travaux couvrent des
thématiques de socio-histoire maghrébine et d’analyse critique des historiographies
maghrébines dans une perspective coloniale et post-coloniale (les minorités religieuses, l’identité
berbère, les récits historiques nationaux et leurs contestations).
63
8 Parmi les rares sources originales antérieures à la colonisation française qui débute en
Algérie à partir de 1830, l’auteur kabyle El-Warthilani s’était déjà référé un siècle
auparavant à la religiosité particulière des Kabyles, en montrant l’importance du
soufisme et en défendant clairement le droit coutumier kabyle malgré ses contradictions
avec le droit musulman4.
9 Quand les colonisateurs pénètrent en Kabylie, en 1857, ils trouvent une société
apparemment homogène en matière religieuse. « Tous les Kabyles sans exception » furent
considérés comme des musulmans de rite malékite, l’islam jouissant d’une position
d’exclusivité religieuse. La conversion postérieure des Kabyles au catholicisme était
considérée comme une « pure chimère5 ».
65
10 À cette époque, il était déjà flagrant que, face à un islam orthodoxe et urbain, basé sur le
dogme et la conduite publique, l’islam kabyle, des marabouts et des confréries soufis, plus
proche du peuple, se concentrait principalement sur la vie spirituelle et le culte des saints
locaux comme Ccix Mohand u Lhusin6. Il s’agissait d’une religion plus tolérante et
ouverte, dont les entorses à la pratique religieuse généralement admise étaient liées aux
conditions de vie des Kabyles. C’était un « islam tranquille7 » qui côtoyait des croyances
païennes qui se basaient sur la mythologie traditionnelle préislamique comme le culte des
gardiens ou iʻessasen, espèces de génies de lieux sacralisés comme les grottes, les sources,
les arbres ou les roches. Il s’agissait en définitive d’un islam rural qui s’était adapté aux
nécessités du terroir pour affirmer ainsi son « originalité irréductible8 ».
11 C’est dans cette société à la culture orale que les marabouts provenant, selon la tradition,
de Seguia el-Hamra (nord du Sahara occidental) se sont installés. Ces marabouts se sont
répandus sur tout le territoire kabyle et ont constitué des lignages religieux dont l’appui
était indispensable à l’implantation postérieure de nouveaux courants religieux. Ces
lignages sont encore présents, mais ils jouent un rôle différent. Quelques zones de la
Kabylie comme Itouragh, Aït-Yahya, Aït Bou Youcef ou Aït-Menguelet vont concentrer la
plus importante population religieuse du Djurdjura9. Les marabouts, malgré leur origine
exogène supposée, se sont adaptés aux conditions et à la structure sociale de la Kabylie.
Ils ont même fait des concessions pour se soumettre aux normes des tribus10. Comme ils
étaient les seuls à connaître la langue arabe, ils réussirent à acquérir un grand prestige
auprès de cette population berbère analphabète au sein de laquelle ils se chargèrent
principalement de diffuser le Coran, de servir d’intermédiaire entre les hommes et la
divinité et d’exercer le monopole sur l’instruction religieuse. Leur tâche fut favorisée par
le fait qu’à cette époque ne s’était pas encore produite une prise de conscience identitaire
et que les Kabyles traversaient une phase de « honte de soi11 ». Ils se sentaient stigmatisés
par le fait d’être considérés comme des « musulmans non arabes » et, partant, comme des
musulmans de seconde catégorie.
12 La condition de marabout n’était acquise qu’après la mort de celui dont la conduite
pouvait être considérée comme remarquable ou par héritage, ce qui assurait une série de
privilèges aux descendants qui en vinrent à constituer d’authentiques castes
maraboutiques différenciées du reste de la population. Leur sainteté se matérialisait dans
la baraka, sorte de bénédiction divine qui s’étendait à tout ce qui les entourait et qui
faisait d’eux l’objet d’un respect superstitieux. Ils étaient très présents dans la vie sociale,
jouant le rôle d’arbitre dans la résolution des conflits et se chargeant de faciliter les
transactions commerciales12. C’est pour cette raison qu’ils jouissaient d’une position
proche de la population, limitant leur champ d’action à une localité concrète et exerçant
leur travail dans les zaouïas13, unique lieu d’instruction de la société kabyle de l’époque.
13 Une de leurs fonctions, la plus paradoxale, consistait dans la rédaction des canons
kabyles. La société accordait une telle valeur à son droit coutumier qu’il prévalait à
l’occasion sur les préceptes de la loi musulmane, ou charia, qu’eux-mêmes prêchaient. Un
exemple éclairant était la pratique qui consistait à déshériter les femmes kabyles, ce qui
s’opposait directement au texte coranique. L’acceptation de cette contradiction pourrait
provenir du fait que les marabouts ne voulurent pas entrer en conflit avec la population
autochtone quand ils se sont installés en Kabylie, étant entendu depuis le départ qu’ils
venaient d’horizons différents14. Il pourrait s’agir aussi d’une stratégie conciliante visant
à ne pas s’opposer à l’ordre établi pour pouvoir continuer à jouir, grâce à leur monopole
66
21 Au début du XXe siècle, à la perte d’importance des zaouïas s’ajoute la campagne menée
contre celles-ci par les réformistes musulmans. Ce mouvement de réforme, ou ‘islah,
prônant un retour à l’orthodoxie et aux origines de l’islam, culmina en 1931 avec la
fondation de l’Association des oulémas musulmans algériens, dont Abdelhamid Ibn Badis
était à la tête, et la participation d’hommes de lettres kabyles comme Abu Ya’ala26 ou
Moulud Al-Hafidhi27. Parmi leurs objectifs, en finir avec les marabouts et les zaouïas
traditionnels en favorisant l’éducation islamique et arabe dans des médersas réformistes
qui puissent entrer en compétition avec l’éducation française laïque. On y privilégiait
l’arable classique au détriment des langues parlées (l’arabe dialectal et le berbère). Le
mépris envers les langues vernaculaires prolongeait l’hostilité envers les confréries qui
constituaient néanmoins l’un des noyaux authentiques de la résistance identitaire
algérienne. En promulguant la renaissance de l’islam, le mouvement réformiste prenait
part à l’éradication de la culture populaire algérienne28, surtout depuis qu’Ibn Badis avait
proclamé sa fameuse devise nationaliste en 1932 : « L’islam est ma religion, l’arabe ma
langue et l’Algérie ma patrie ». Cependant, parmi les oulémas qui participèrent à la
création de l’Association des oulémas musulmans algériens surgirent rapidement des
différences entre les conservateurs et les réformistes, en raison surtout de la forte
influence moyen-orientale de ces derniers. Des représentants des zaouïas et des
confréries, comme Moulud Al-Hafidhi, quittèrent cette association pour créer en 1932
l’Association des oulémas sunnites d’Algérie qui opta pour le soufisme comme essence
68
certains Kabyles qui se sentaient agressés dans leur identité et qui allaient constituer, en
réaction à l’offensive arabisante et son vecteur le réformisme musulman, le Mouvement
culturel berbère (MCB). La langue arabe étant la langue de la religion musulmane, celle-ci
sera considérée – surtout dans les cercles de ce mouvement – comme une pratique
d’exclusion et comme un obstacle au développement de la culture et de la langue kabyles.
Dans les premières années postérieures à l’indépendance, la mise en marche des mesures
d’arabisation, l’interdiction de l’enseignement et de la diffusion du berbère et les
arrestations des militants berbères auront pour conséquence de provoquer la politisation
de ce mouvement berbère originairement culturel et qui, dès cette époque, fera le pari
d’un « projet de société laïque et démocratique, pluraliste aux plans linguistique et
culturel37 ».
26 Paradoxalement, l’indépendance mit fin à l’autonomie religieuse de la Kabylie38 en
affectant directement son système d’organisation sociale. Le droit coutumier kabyle subit
un dur revers devant la Cour suprême d’Alger puisqu’en vertu de quelques arrêts tels que
ceux du 26 avril et du 21 juin 1967, il cessa d’être applicable en matière de droit personnel
et de succession quand il entrait en contradiction avec le droit islamique39. Plus tard, la
figure de l’imam40 traditionnel perdit de sa valeur sociale et symbolique 41. Elle fut
remplacée peu à peu par des fonctionnaires salariés lauréats des Instituts nationaux de
formation des imams créés à partir de 1980, qui finiront par obtenir le monopole de la
religion. Ceux-ci joueront un rôle de premier plan dans l’expansion de l’« islamisme
politique » dans les années suivantes42. Au bout du compte, cette politique finira par
marginaliser les confréries et les marabouts locaux.
28 Paradoxalement, dans les années 80, au moment où le mouvement berbère mise sur un
profil laïc, le sentiment religieux va s’accentuer en Kabylie. La construction et la réforme
des mosquées dont les édifices jusqu’alors ne se différenciaient pas du reste des bâtiments
kabyles sont un premier changement45. Dans le sillage de celui-ci, l’innovation la plus
importante sera l’instauration de la prière du vendredi, une pratique étrangère aux
coutumes locales. Avec l’introduction de la prière hebdomadaire, de nombreux Kabyles se
verront obligés, d’une certaine manière, à aller à la mosquée pour éviter d’être étiquetés
comme non-musulmans ou comme de mauvais pratiquants. La polémique autour de la
langue utilisée pour le sermon ne tardera pas à voir le jour : l’arabe ou le kabyle ? Ce
dilemme soulignera la différence fondamentale entre les imams traditionnels issus du
peuple qui traduisent ce qui est nécessaire de l’arabe au kabyle, et les imams officiels
arabophones qui ne se posent pas la question de la traduction étant donné qu’ils ne
70
dominent pas le berbère et ne conçoivent pas une façon d’exercer une pratique religieuse
qui ne soit pas en arabe. À leurs yeux cet arabe coranique est l’objet d’une grande
vénération au point que son objectif est de faire primer la forme du message sur la
compréhension de celui-ci, son fondement réel étant, selon Chachoua46,
l’instrumentalisation politique de la religion.
29 La libéralisation politique qu’incarne la nouvelle constitution de 1989 instaura le
multipartisme mais maintint l’islam comme religion de l’État et continua à ignorer la
langue berbère. C’est dans ce contexte que le mouvement culturel berbère débouche sur
la création, à Tizi Ouzou, du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un
parti politique laïc dont l’un des objectifs est de « promouvoir la démocratie et fomenter
au nom du progrès l’idée de séparer l’islam et l’État47 ». La même année, l’expansion de
l’islam intégriste trouve son expression dans la fondation du Front islamique du salut
(FIS). C’est la première fois qu’est autorisé un parti dont le fondement est l’islam et dont
l’objectif est l’instauration d’une « république islamique ». Cette formation, à l’exception
de la Kabylie et d’autres zones berbérophones, jouit d’un grand appui populaire,
spécialement à Alger où les jeunes se trouvaient dans une situation de démoralisation et
de frustration aggravée par la corruption politique en place48. Pour faire face au triomphe
électoral du FIS, au premier tour des élections législatives de décembre 1991, l’armée
intervient et mit fin au processus électoral. En janvier 1992, appuyée par diverses
organisations et secteurs de la société, elle met en place un gouvernement et lance une
campagne d’éradication de l’islamisme lié au FIS. La « décennie noire » au cours de
laquelle vont s’affronter, d’une part, l’AIS, le bras armé du FIS et d’autres groupes comme
le GIA (Groupe islamique armé), et, d’autre part, les forces de sécurité algériennes fera
plus de cent mille morts49. La « sale » guerre prendra officiellement fin avec l’élection du
président Bouteflika en 1999 et la proclamation de sa loi d’amnistie pour les combattants
50
.
30 Entretemps, la Kabylie s’est distanciée du reste de l’Algérie, comme le montre la
multiplication des commémorations revendicatives, la symbolique visible dans la rue et la
faible participation électorale. En 1999, pour les élections présidentielles, l’abstention
atteint un taux de 90 % en Kabylie51.
33 Comme on l’a vu, la Kabylie était à la pointe de la contestation populaire en Algérie depuis
le Printemps berbère de 1980. Dès lors, les soulèvements qui se produisent en Afrique du
Nord en 2011, les mal-nommés, selon les militants amazighs, « Printemps arabes » ne
laissent indifférents ni la société kabyle, ni le reste de la société algérienne et encore
moins le gouvernement. La montée des prix de certaines denrées alimentaires de base
comme le sucre et l’huile provoque des vagues de protestation citoyenne tant dans la
capitale que dans d’autres zones comme la Kabylie55. Le 21 janvier 2011 est créée à Alger
la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD)56, constituée de
syndicats non officiels, d’associations pour la défense des droits de l’homme,
d’associations d’étudiants et de chômeurs, de professionnels, de collectifs citoyens et de
partis politiques de l’opposition qui aspirent à un changement démocratique. Parmi les
objectifs poursuivis, on retrouve précisément la séparation entre la politique et la
religion. Un autre fait important est la volonté du CNCD de se détacher des références
islamistes, comme on le vit clairement à l’occasion d’une manifestation organisée par ce
mouvement, le 12 février 2011, à laquelle l’ex-numéro deux du FIS, Ali Belhadj, voulut
s’associer en vain : il fut « invité » par les manifestants à ne pas participer à la
protestation57.
34 Cependant, à la différence des pays voisins, ces mouvements n’ont obtenu que quelques
concessions comme la levée de l’état d’urgence58 en vigueur depuis 1992, l’autorisation de
manifester – excepté à Alger – et l’ouverture des médias publics aux associations
considérées comme légales. Cet échec renvoie à un contexte singulier qui a empêché
l’éclosion d’un « printemps arabe algérien ». Parmi les caractéristiques de ce contexte
particulier, on pourrait signaler le fonctionnement des institutions démocratiques de
façon relativement libre, une capacité de contestation politique atomisée, le souvenir de
la violence des années 90, la connivence du pouvoir avec l’islamisation croissante de la
société, l’existence d’une économie souterraine, la fragilité apparente du président
Bouteflika qui semble sur le point de clore une étape ou la généralisation dans tout le
pays de différentes formes de protestation locale59. Cependant, le gouvernement algérien,
qui avait bénéficié durant des années d’une légitimité fondée sur sa victoire contre le
système colonial, semble avoir peu à peu perdu ce charisme aux yeux des nouvelles
générations touchées par des problèmes que les évocations du passé colonial ne peuvent
plus atténuer.
35 Dans des délais relativement courts, la société et donc le domaine religieux kabyle ont fait
l’objet de profondes transformations, et l’islam officiel, introduit après l’indépendance de
l’Algérie et conçu comme une religion d’État, se distanciera définitivement de l’islam
traditionnel pratiqué en Kabylie qui, lui, était éloigné des questions politiques. L’exode
rural, l’émigration60 et l’implantation de l’école publique 61 ont transformé cette société
originairement paysanne. Tout semble indiquer que la création d’une conscience
72
37 L’idée d’une Kabylie laïque est ancienne. Traditionnellement, religion et politique étaient
des domaines séparés. Si, durant l’époque coloniale, tous les Kabyles étaient considérés
comme musulmans, cela n’était pas incompatible avec la séparation effective entre la
religion et le domaine public. Dans la société traditionnelle, les marabouts avaient une
compétence exclusive concernant les questions liées au culte tandis que l’assemblée de
chaque population était chargée de gérer le reste des affaires de la communauté. Celles-ci
concernaient la police des bonnes mœurs et le savoir-vivre en société ; et si parfois dans
certaines tribus des contraventions pour infraction à certaines règles religieuses
pouvaient être infligées, en général les règles émanant de la djemâa s’en tenaient à des
affaires strictement séculières69.
38 Comme on l’a déjà mentionné, à partir de l’indépendance de l’Algérie apparaît un islam
politique, qui se reflète dans le statut de religion d’État qui est octroyé à l’islam dans les
textes constitutionnels successifs. Ce point de vue s’oppose frontalement à l’organisation
sociale kabyle. Même si l’idée d’une Kabylie laïque n’implique pas que la population doive
renoncer à ses croyances, elle signifie surtout que la religion ne doit pas outrepasser les
limites de la sphère privée de chaque maison, voire de chaque individu.
39 Cependant, le laïcisme (talakt) n’a pas réussi à s’imposer à l’ensemble de la société kabyle.
Il reste minoritaire malgré un soutien populaire plus important que dans les autres
régions du pays. Des groupes se sont constitués, comme le collectif Yal Yiwen i Imanis 70
(Laïcité en Kabylie) qui diffuse l’idée de la « reconquête de la laïcité comme
caractéristique factuelle en Kabylie, en vue de la prochaine construction historique d’une
Kabylie républicaine qui prendra son destin en main ». Ils défendent une Kabylie
tolérante, multiconfessionnelle, moderne et libre où la religion est reléguée au domaine
privé et à l’abri de toute instrumentalisation politique. Les affrontements avec les
autorités ou les adeptes de l’islam officiel sont fréquents, notamment quand des
défenseurs du laïcisme tentent de rompre publiquement le jeûne du Ramadan. Ce type
d’action a des effets médiatiques considérables étant donné que pour les musulmans
pratiquants cela constitue une authentique provocation71. Ce rejet de la religion officielle
s’est exprimé aussi dans des poèmes et des chansons interprétées par des compositeurs
kabyles aussi populaires qu’Aït Menguellet ou Ferhat Mehenni, dont le plus explicite fut
sans aucun doute Lounès Matoub avec la chanson Allah Wakbar72.
40 Cette tendance laïque s’insère aussi dans les programmes de partis comme le Front des
forces socialistes (FFS) ou le RCD et se trouve réactualisée dans le Mouvement pour
l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Dans ce dernier cas, le chapitre II, article 2 de
son Projet pour l’autonomie de la Kabylie73, adopté le 17 août 2007, stipule comme valeur
fondamentale la liberté de culte et de conscience, qui devra être garantie, les religions
devant rester du ressort du domaine privé.
41 Autour de 1870, sur la proposition de l’Archevêque d’Alger, fondateur des Pères blancs,
Charles Lavigerie, une initiative d’évangélisation fut mise en marche dans le but de
74
convertir les Kabyles au christianisme. Elle se fondait sur leur supposé passé chrétien
antérieur à l’arrivée de l’islam, contribuant à alimenter le trop fameux « mythe kabyle 74 ».
Les rares conversions75 avaient pour origine les énormes carences et l’isolement imposé à
la Kabylie, surtout après l’insurrection de 1871 ; c’est pour cette raison qu’elles seront
considérées comme des « conversions de la misère76 ».
42 Ces nouveaux chrétiens restèrent dans la société locale mais, dans beaucoup de cas, ils
s’en allèrent vivre dans des quartiers séparés. De fait, pour éviter un complet
déracinement et leur isolement, ces convertis continuèrent même à pratiquer de
nombreux rites musulmans comme la circoncision ou la fête du mouton qui,
indépendamment de leur caractère religieux, étaient des pratiques sociales qui leur
donnaient le sentiment de rester intégrés dans leur groupe d’origine77. Malgré cela,
durant toute la période coloniale, les Kabyles chrétiens furent perçus avec réticence tant
par le reste des Kabyles que par les Français.
43 Durant la guerre contre les Français, et surtout à partir de 1954, ces convertis vécurent
une situation inconfortable car, si nombre d’entre eux optèrent pour l’indépendance face
à la répression française, leur condition de Kabyle et chrétien n’était pas compatible avec
la position algérienne qui défendait exclusivement l’identité arabo-musulmane78.
Cependant, la discrétion et l’engagement de l’église catholique algérienne en faveur de
l’indépendance et du FLN contribuèrent à garder les chrétiens sains et saufs. Malgré cela,
les conversions pendant la période coloniale ne furent pas très nombreuses, entre autres
raisons parce que les religions chrétiennes ne tinrent pas compte du véritable
enracinement de l’islam dans la société.
44 Une fois l’indépendance recouvrée en 1962, la campagne d’arabisation et d’islamisation
déboucha sur l’apparition de nouveaux conflits identitaires. Les faits postérieurs et la
politique répressive du nouvel État algérien, entre autres raisons, pourraient être à
l’origine de l’accroissement sans précédent79 des conversions au christianisme, surtout au
protestantisme et, concrètement, à l’Église évangélique pentecôtiste qui rivalisait déjà
pendant l’époque coloniale avec l’Église catholique. Ces conversions sont perçues comme
une atteinte à un élément du consensus national (c’est-à-dire l’islam) et à la cohésion de
l’État.80 De fait, bien que la loi musulmane malékite considère l’apostasie comme un délit
qui fait l’objet d’un châtiment, en Algérie, à la différence des autres pays musulmans, il
n’existe aucune norme de droit positif81 qui reconnaisse explicitement ce délit.
Cependant, l’impact de la loi musulmane sur le statut personnel est indéniable étant
donné que le Code algérien de la famille82 se fonde directement sur des normes du droit
islamique, comme par exemple en matière d’héritage, de sorte qu’il est fréquent que
surgissent des problèmes juridiques. Le litige qui eut lieu en Kabylie quand une femme
qui venait d’accoucher fit une demande de divorce en demandant la garde du bébé
lorsqu’elle découvrit que son mari s’était converti au christianisme en est un exemple
flagrant. Dans ce cas, le juge non seulement consentit à la demande de la femme mais il
interdit au père tout contact avec son fils pour avoir apostasié83.
45 À part ces difficultés, le christianisme offre une série d’avantages aux Kabyles qui rendent
leur conversion attractive. Bien que de nombreux chrétiens actuels disent qu’à la
différence de ce qui était arrivé pendant la période française, leur conversion est due
exclusivement à la foi et à aucun autre type d’intérêt84, il existe d’autres considérations
personnelles, comme des moments de solitude, des problèmes familiaux, le besoin de
guérison, des échecs matrimoniaux, entre autres. Le christianisme qui se pratique n’a pas
la même rigidité que l’islam officiel, une religion qui impose un code de vie déterminé.
75
D’autre part, pour les nombreuses femmes qui optent pour la conversion, l’objectif est
d’échapper à la pression sociale, la discrimination et les restrictions auxquelles les
musulmanes sont habituellement assujetties. De plus, dans les églises chrétiennes, les
fidèles, à cause de leur condition minoritaire et des risques encourus, s’organisent sur la
base d’un fort esprit communautaire au sein duquel se soudent des liens d’aide mutuelle.
À cela s’ajoute une autre raison fondamentale qui consiste dans la possibilité pour les
Kabyles d’utiliser leur propre langue non seulement pour le culte, puisque les évangiles
ont été traduits en kabyle85, mais à tout moment.
46 Cependant, les chrétiens affrontent de nombreux obstacles dressés par le pouvoir. La
promulgation de l’ordonnance du 28 février 2006, qui est connue comme la « loi anti-
conversion », régule l’exercice du culte des religions autres que l’islam. Cette loi établit
dans son article 2 que l’islam est la religion de l’État mais qu’elle garantit la liberté de
culte. L’État garantit donc le respect et la tolérance envers les autres religions. Ce faisant,
sous cette apparence protectrice, la loi est très restrictive. Elle interdit l’exercice des
autres cultes en dehors des endroits autorisés à cet effet, et elle établit que toute
manifestation religieuse collective ne pourra avoir lieu que dans ces bâtiments. Elle
établit également des peines de prison pour ceux qui tenteraient de convertir un
musulman, par quelque moyen que ce soit. À l’évidence, les chrétiens sont harcelés, et des
cas de conversion apparaissent périodiquement dans des affaires de justice algérienne.
Ainsi, par exemple, en 2008, deux chrétiens furent condamnés à des peines de prison pour
avoir rompu le jeûne durant le Ramadan, ce qui peut surprendre puisqu’un chrétien n’est
pas obligé de jeûner. En 2010, un procès fut ouvert contre quatre chrétiens qui avaient
célébré leur culte dans le domicile de l’un d’entre eux dans le village de Larbaâ Nath
Irathen86.
47 Ces exemples illustrent un manque évident de liberté religieuse, conséquence directe de
la promulgation de l’islam religion officielle et de sa radicalisation croissante qui, face à
l’islam traditionnel plus tolérant, tente d’imposer une pratique plus rigoriste qui pourrait
déboucher sur un conflit entre religions.
48 Après avoir examiné quelques traits de l’islam en Kabylie, nous allons souligner à présent
la continuité de cette option religieuse aujourd’hui. La religion musulmane a joui d’une
importance indéniable dans la culture kabyle comme composante d’une identité et d’une
tradition qui lui sont propres. Dès lors, il faudrait garder à l’esprit que l’islam tel que le
pratiquaient les ancêtres des Kabyles pourrait être revendiqué par les tenants d’une
culture kabyle différenciée. Le soufisme et les confréries qui l’articulent auraient été les
représentants de cet islam répandu en Kabylie.
49 Néanmoins, il existe peu de références sur les confréries soufies aujourd’hui. On ne sait
pas grand-chose non plus sur le véritable rôle que celles-ci ont joué par le passé, en partie
parce que l’histoire officielle, réécrite par le nouvel État algérien, les a masquées87, en
quelque sorte. Le dénigrement des confréries et des zaouïas fut, comme nous l’avons
indiqué, l’un des desseins poursuivis par l’Association des oulémas avec l’expansion des
idées réformistes. Ce mouvement transforma de nombreuses anciennes zaouïas en
bâtiments d’enseignement réformiste qui se chargea de « disqualifier l’autorité des saints
et des confréries » en cherchant à accaparer le monopole de la religion88.
76
50 À cela s’ajouta la bureaucratisation croissante de la religion qui, peu à peu, donnera lieu à
un islam d’État, étranger aux coutumes kabyles, dont l’objectif était d’imposer un modèle
unique de religion officielle. De cette manière, l’islam traditionnel deviendra « hors la loi
89
», faisant place à une « acculturation au plan religieux90 » qui provoquera dans la
population un sentiment de honte face au passé religieux. La pression est si forte qu’au
début des années 70 on interdit même quelques zerdas91, ce qui obligea les confréries à
adopter une attitude discrète au moment de célébrer leurs cérémonies.
51 Avec les événements du Printemps berbère d’avril 1980, la revendication berbère
s’intensifiera, mais ni à ce moment-là ni postérieurement ne s’élèvera une seule voix en
soutien à la religion populaire kabyle et à l’idée de la laïcité du mouvement identitaire
kabyle qui considère la religion comme une affaire personnelle en marge des questions
publiques.
52 Paradoxalement, les signes religieux commencent à se faire plus présents à partir de cette
époque, surtout avec l’apparition des nouveaux imams, fonctionnaires provenant d’un
milieu urbain, et l’institutionnalisation de la prière du vendredi qui conférera un
caractère public et visible à la pratique de l’islam, inconnu jusqu’alors92.
53 Pour ces imams, représentants de l’islam officiel, la prière n’est validée qu’en récitant le
Coran en langue arabe, étant donné qu’une traduction ne peut se confondre avec le Coran
qui, selon ce qu’ils affirment, ne peut exister qu’en langue arabe93. Cette position affecte
directement les Kabyles qui étaient habitués par le passé à un islam qui se basait plus sur
l’oralité que sur le texte et qui n’empêchait pas l’usage de leur langue maternelle.
54 À cette situation s’ajoute la mise en question du rôle actuel de certains éléments
constitutifs du culte populaire, comme le maraboutisme, que certains secteurs de la
Kabylie qualifient d’archaïque et de symptôme d’inculture94. C’est dans ce cadre
qu’apparaissent précisément les conséquences du changement générationnel. Beaucoup
de jeunes qui ont déjà voyagé et étudié considèrent ce type de croyance populaire comme
obsolète, malgré le fait que les marabouts – sans revendiquer la langue ou la culture
kabyles –, contribuèrent, entre autres, à imprimer sa particularité à l’islam en Kabylie.
55 Cet islam traditionnel est reconnu par une grande partie de la population qui ne
considère pas qu’il soit nécessaire de renier l’identité berbère pour être considéré comme
musulman. Il s’agit de pratiquer la religion d’une façon plus liée à la spiritualité et aux
traditions et à l’écart de l’idée que l’islam est religion officielle. Dans ce contexte, les
confréries, loin de disparaître, ont poursuivi leur activité et occupé les places vides, là où
l’islam officiel n’arrivait pas, spécialement dans les zones rurales où elles sont plus
proches de la population.
56 L’islam berbère traditionnel, plus ouvert, constitue de plus un frein aux prétentions des
islamistes, bien que la communauté kabyle ne dispose pas suffisamment de leaders
religieux capables de maintenir la pratique spécifique des musulmans kabyles et faire face
à l’avancée de l’islam arabe officiel qui prétend s’imposer sur tous les plans. On en est
même venu à parler de « bataille des mosquées95 », qui oppose le clergé traditionnel et les
« nouveaux venus » pour leur contrôle.
Conclusion
57 Après avoir revu brièvement les principales étapes de l’histoire récente de la religion en
Kabylie, il apparaît indiscutable que l’islam a fait partie et fait encore partie de l’identité
77
kabyle. Dans le panorama religieux actuel, l’islam traditionnel, avec le culte des saints et
les confréries, centré sur la vie spirituelle et éloigné des questions politiques, apparaît
comme une option intermédiaire qui jouit du plus grand enracinement historique. À ses
côtés, deux tendances polarisées paraissent se consolider : l’une passe par l’imposition
d’un islam plus rigoriste et l’autre s’engage clairement pour la liberté de conscience et le
laïcisme. Les premiers, adeptes de l’utopie islamiste qui vise à établir un ordre social
conforme à l’orthodoxie des ancêtres pieux, luttent pour islamiser la société, tandis que
les seconds considèrent que la vraie révolution se produira quand la religion retournera à
la place traditionnelle qu’elle n’aurait jamais dû quitter en Kabylie, celle de l’espace privé
96
. En dehors de ces tendances dominantes, des convertis au christianisme tentent
d’occuper une place dans la société qui leur permette d’exercer leur culte en toute liberté.
Parmi toutes ces positions, l’issue se situe peut-être dans la nécessité de vaincre l’obstacle
qui consiste à considérer l’islam comme religion d’État, devenu un frein à la
reconnaissance du pluralisme existant en Kabylie aujourd’hui.
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SALHI M.B., « Les usages sociaux de la religion en Kabylie : de la spécificité à l’universalité », Awal,
Paris, Fondation des sciences de l’homme, n° 33, 2006, p. 3-15.
YACINE T., « Cultura y Sociedad: el ejemplo de Kabilia », Revista Aldaba, 19, Melilla, Centro
Asociado a la UNED, 1992, p. 151-163.
NOTES
1. Cet article s’inscrit dans le cadre des résultats de deux projets de recherche intitulés
« Jeunesses, changement social, politique et sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays
maghrébins » (CSO2011-29438-C05-04) (2012-2014) et « Problèmes publics et militantisme au
Maghreb : la participation sociale et politique des jeunes dans leur dimension locale et
transnationale » (CSO2014-52998-C3-2-P) (2015-2017), financés par le ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité.
2. On renvoie, entre autres, aux travaux sur les sociétés agraires des montagnes d’Afrique du
Nord d’Hassan Rachik, [en ligne] URL : http://www.fes.org.ma/common/pdf/publications_pdf/
islam_qut_gr/islam_qut_gr.pdf
3. B. Gamal Moursi, « La relance du droit islamique dans la jurisprudence algérienne depuis
1962 », Revue internationale de droit comparé, 22/1, janvier-mars, 1970, p. 53.
4. L. Addi., Islam et politique : instrumentalisation de l’islam par le pouvoir et émergence d’une opposition
islamiste, Paris, Éditions La Découverte, 1994, p. 70.
5. A. Hanoteau, A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, t. I, Paris, Éditions Bouchène,
2003, [1873], p. 312-313.
6. Ccix Mohand u Lhusin est une figure très vénérée en Kabylie. Penseur et poète appartenant à
une famille d’influent lignage religieux, il fut considéré en son temps comme un sage ou
amussnaw et devint de plus le représentant de la culture vive du peuple, exprimée en langue
vernaculaire. Cf. M. Mammeri, Cheikh Mohand a dit (Inna-yas Ccix Muḥend), tome I, Alger, Centre
national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) 2005 [1990], p.
36.
7. C. Lacoste-Dujardin, Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, Paris, Éditions La Découverte,
2005, p. 194.
8. P. Bourdieu, Sociología de Argelia y Tres estudios de etnología Cabilia, Madrid, Centro de
Investigaciones Sociológicas, Boletín Oficial del Estado, 2006, p. 219.
9. M.B. Salhi, Société et religion en Kabylie, 1850-2000, Paris, Atelier national de reproduction des
thèses, 2004, p. 442.
10. Ibid., p. 502.
11. K. Chachoua, L’Islam kabyle : religion, État et société en Algérie. Suivi de L’Epître (Rissala) d’Ibnou
Zakri (Alger, 1903), mufti de la Grande Mosquée d’Alger, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 43.
12. A. Hanoteau, A. Letourneux, op. cit., t. II, p. 62-70.
13. De l’arabe zawiya (pl. zawaya). Il s’agit d’un centre religieux situé normalement près de la
tombe d’un saint, d’habitude une sorte de sanctuaire mais aussi un établissement scolaire
80
religieux. Cela peut être aussi le siège d’une confrérie ou tariqa, où les fidèles se rendent pour
pratiquer les cérémonies religieuses.
14. T. Yacine, « Cultura y Sociedad: el ejemplo de Kabilia », Revista Aldaba, n° 19, Melilla, Centro
Asociado a la UNED, 1992, p. 157.
15. Sidi M’hemed Ben-Abderrahmane Bu-Qubrin naquit autour de 1715 à Ayt Smaïl, dans la tribu
des Igechtulen. Après avoir passé trente ans en Égypte où il reçut sa formation à l’université de
Al-Azhar et entra en contact avec la doctrine soufie, il revint dans sa Kabylie natale où il
implanta l’ordre religieux de la Rahmaniya. Cf. L. Rinn, Marabouts et khouans : étude sur l’islam en
Algérie, Alger, Adolphe Jourdan, Libraire-Éditeur, 1884, p. 452-456.
16. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », Encyclopédie berbère, Judaïsme-Kabylie, vol. 26, Aix-en-
Provence, Edisud, 2004, [en ligne] URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/1435 p. 3
[consulté le 17 février 2013].
17. L. Rinn, op. cit., p. 453.
18. M.B. Salhi, « Les usages sociaux de la religion en Kabylie : de la spécificité à l’universalité »,
Awal, Paris, Fondation des sciences de l’homme, nº 33, 2006, p. 13.
19. M.B. Salhi, idem.
20. Ibid., p. 9.
21. P. Hacoun-Campredon, Étude sur l’évolution des coutumes kabyles spécialement en ce qui concerne
l’exhérédation des femmes et la pratique du hobous, Alger, Ancienne Maison Bastide-Jourdan, Jules
Carbonel, 1921, p. 33-38.
22. K. Chachoua, L’Islam kabyle : religion, État et société en Algérie. Suivi de L’Epître (Rissala) d’Ibnou
Zakri (Alger, 1903), mufti de la Grande Mosquée d’Alger, p. 142.
23. P. Lorcin, Imperial Identities: Stereotyping, prejudice and race in colonial Algeria, Londres-New-
York, I.B. Tauris Publishers, 1995, p. 60.
24. Le vrai nom de Ibnou Zakri, M’hend Saïd d’Ivessekrien, indiquait clairement son origine
kabyle, avec une référence explicite à sa localité natale, Ivessekrien, et la connotation vétuste,
rustre et villageoise qu’elle véhiculait à une époque où les Kabyles avaient honte de leur origine.
Zakri choisit ce nom au moment de l’enregistrer par écrit, prétendant adopter pour celui-ci une
forme arabisée atypique. Dans sa configuration, on note des traits comme la présence des
voyelles ou qui indiquent l’appartenance à un groupe musulman non arabe. Cf. K. Chachoua, op.
cit., p. 157-162.
25. Ibid. p. 176.
26. Abu Ya’ala Saïd Zawawi fut le disciple de Zakri ; il se caractérisa par sa défense de la kabylité
et par une approche plus religieuse du thème du réformisme en évitant de s’impliquer dans la
lutte anticoloniale comme dans la lutte contre les marabouts. Ses œuvres les plus connues sont
Al-islam sahih, Le Caire (1925), où il pose une série de questions et de réponses religieuses
fondamentales, parmi lesquelles celles concernant le culte des saints, les zaouïas et les ordres
religieux. Il publia également en 1918 à Damas Tarikh Zawawa (ibid., p. 194-196).
27. Voir Med Salah Aït Aldjet, La Vie du cheikh El Mouloud El Hafidhi, édition Maison des livres, [en
ligne] URL : http://www.beni-hafed.net/cheikh_el_hafidhi.html, [consulté le 8 juillet 2014].
28. G. Grandguillaume, « L’arabisation en Algérie des ‘ulamâ’ à nos jours », colloque Pour une
histoire critique et citoyenne : le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH,
2007, [en ligne] URL : https://es.scribd.com/doc/116022562/L-arabisation-en-Alge-rie-des-
ulama-a-nos-jours p. 3, [consulté le 12 juillet 2014].
29. A. Merad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 : essai d’histoire religieuse et sociale,
Paris, Mouton & Co, 1967, p. 197.
30. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », op. cit., p. 7.
31. P. Lorcin, Imperial Identities: Stereotyping, prejudice and race in colonial Algeria, p. 235.
32. K. Chachoua, op. cit., p. 7.
81
33. « En 1965, après son coup d’Etat, le colonel Boumediène lança une politique d’arabisation.
Fondée sur la rancune et l’animosité, elle tourna à la chasse au français et aux langues
« maternelles » que sont le berbère et l'arabe algérien. Le 5 juillet 1998, en Algérie, l'arabe
classique sera la seule langue autorisée dans les médias, les conférences, les déclarations, les
correspondances avec l’étranger. » M. Benrabah, « Algérie, 5 juillet : l’usage exclusif de l’arabe
entre en vigueur. Les dénis de l’arabisation », Libération, 26 juin 1998, [en ligne] URL : http://
www.liberation.fr/tribune/1998/06/26/algerie-5-juillet-l-usage-exclusif-de-l-arabe-entre-en-
vigueur-les-denis-de-l-arabisation_241466 [consulté le 17 février 2013].
34. S. Chaker, « La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? », dans
Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 65, 1992, p. 98, [en ligne] URL: http://
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1992_num_65_1_1557
[consulté le 15 janvier 2015].
35. [En ligne] URL : http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/cafrad/
unpan005534.pdf [consulté le 20 juillet 2014].
36. G. Grandguillaume, « L’arabisation en Algérie des ‘ulamâ’ à nos jours », op. cit., p. 2.
37. S. Chaker, « La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? », op. cit
, p. 99.
38. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », op. cit , p. 7.
39. B. Gamal Moursi, « La relance du droit islamique dans la jurisprudence algérienne depuis
1962 ».
40. L’imam était un marabout chargé du service du culte religieux. Dans les villages où il n’y avait
pas de marabout, l’assemblée populaire, ou ǧemaʻa, était chargée de nommer l’imam. Par contre,
dans les zones où il y avait plusieurs familles religieuses, c’était les marabouts eux-mêmes qui se
chargeaient de choisir parmi eux l’imam. De fait, dans certaines localités, la fonction de l’imam
avait fini par devenir héréditaire. A. Hanoteau, A. Letourneux, op. cit, t. II, p. 30-31.
41. Après la guerre de libération nationale, les coutumes des marabouts se relâcheront,
produisant des cas d’exogamie qui montrent que ces coutumes allaient devenir avec le temps de
simples « traditions folkloriques désuètes » (Y. Nacib, Chants religieux du Djurdjura, Paris, Sindbad,
1988, p. 24).
42. K. Chachoua, « Kabylie : l’islam », op. cit., p. 8.
43. En septembre 1963, un an après l’indépendance de l’Algérie, le parti politique FFS (Front des
forces socialistes) se rebella contre le pouvoir autoritaire exercé par Ben Bella et Boumédienne.
Cependant, on ne peut parler encore dans ce cas d’un mouvement identitaire kabyle au sens
strict, malgré le fait que, pour les Kabyles de l’époque, l’intervention en Kabylie des forces de
l’État, l’ANP (Armée nationale populaire), fut perçue comme la présence d’« une nouvelle armée
d’occupation ». Cf. S. Chaker, « La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture
inévitable ? », op. cit., p. 98.
44. Pour plus d’informations, voir la chronologie du Printemps berbère, [en ligne] [consulté le 15
juillet 2014].
45. K. Chachoua, « Le piège : Kabyle de langue, Arabe de religion », Revue du monde musulman et de
la Méditerranée, 124, novembre 2008, [en ligne] URL : http://remmm.revues.org/6028, p. 9,
[consulté le 15 janvier 2015].
46. Ibid., p. 5-7.
47. P. Lorcin, Imperial Identities: Stereotyping, prejudice and race in colonial Algeria, p. 235.
48. L. Addi, Islam et politique…, op. cit., p. 113.
49. « Les Algériens ont subi des formes de violence multiples depuis le putsch militaire de janvier
1992. Le nombre de morts, de blessés, de torturés, de disparus, d’orphelins, de déplacés, etc. n’est
pas établi et varie selon les sources. Les services publics occultent les victimes de la violence
d’État, tandis que les ONG ne peuvent que déduire des chiffres à partir des témoignages et des
échantillons de recensement qui en découlent. » S. Mellah, « Les massacres en Algérie,
82
1992-2004 », Comité Justice pour l’Algérie, nº 2, 2004, p. 4, [en ligne] URL : http://www.algerie-
tpp.org/tpp/pdf/dossier_2_massacres.pdf [consulté le 12 juillet 2014].
50. S. Mellah, « Le mouvement islamiste algérien entre autonomie et manipulation » , Comité
Justice pour l’Algérie, nº 19, 2004, p. 6, [en ligne], URL : http://www.algerie-tpp.org/tpp/pdf/
dossier_19_mvt_islamiste.pdf [consulté le 12 juillet 2014].
51. Voir le discours de Said Sadi du RCD appelant au boycott de l’élection présidentielle d’avril
1999, [en ligne] URL : http://www.algeria-watch.org/farticle/presid/presid3.htm (Á. Pérez
González, La Cuestión bereber en Argelia y Marruecos, Real Instituto Elcano de Estudios
Internacionales y Estratégicos, 2005, [en ligne] URL : http://www.realinstitutoelcano.org/wps/
wcm/connect/08f4e7804f0186e6bb94ff3170baead1/ARI-107-2005-E.pdf?
MOD=AJPERES&CACHEID=08f4e7804f0186e6bb94ff3170baead1, p. 3 [consulté le 12 juillet 2014]).
52. Bien qu’officiellement il n’y ait pas eu une reconnaissance des victimes du Printemps noir,
vraisemblablement 126 personnes furent tuées et des dizaines d’autres blessées par balles
pendant ces événements [http://www.lematindz.net/news/11960-lassociation-des-victimes-du-
printemps-noir-declare.html].
53. La revendication à propos du tamazight était la 8e de la plateforme d’El-Kseur (satisfaction de
la revendication amazighe dans toutes ses dimensions : identitaire, civilisationnelle, linguistique
et culturelle) sans référendum et sans conditions et la consécration du tamazight en tant que
langue nationale et officielle. L’article 3 de la Constitution de 1996 a été modifié en y ajoutant
l’article 3 bis : « Tamazight est également lange nationale. L’État œuvre à sa promotion et à son
développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. » (Loi n
° 02-03 du 27 moharram 1423 correspondant au 10 avril 2002 portant révision constitutionnelle.)
54. F. Alilat, Sh. Hadid, Vous ne pouvez pas nous tuer nous sommes déjà morts : l’Algérie embrasée, Paris,
Éditions 1, 2002, p. 215-240.
55. http://www.ladepeche.fr/article/2011/01/06/983967-algerie-les-emeutes-plus-violentes-s-
etendent.html [consulté le 10 juillet 2014].
56. http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/02/24/article.php?sid=113362&cid=2 [consulté
le 15 juillet 2014].
57. http://www.elwatan.com/actualite/ali-benhadj-indesirable-13-02-2011-111498_109.php
[consulté le 15 juillet 2014].
58. http://www.joradp.dz/FTP/jo-francais/2011/F2011014.pdf, p. 4.
59. N. Safir, « L’Algérie et le “printemps arabe” : un contexte singulier, à court terme, et des
perspectives communes, à long terme », IEMed Obs, Focus article 58, septembre 2011, [en ligne]
URL : http://www.iemed.org/observatori-fr/actualitat/opinions/l2019algerie-et-le-ab-
printemps-arabe-bb-un-contexte-singulier-a-court-terme-et-des-perspectives-communes-a-
long-terme?set_language=fr, p. 1-2 [consulté le 12 juillet 2014].
60. Pour en savoir plus consulter K. Direche-Slimani, « Kabylie : l’émigration kabyle »,
Encyclopédie berbère, 26 | Judaïsme – Kabylie, 2004, p. 4046-4050, [en ligne] URL : http://
encyclopedieberbere.revues.org/1428 [consulté le 7 septembre 2016].
61. Pour en savoir plus consulter C. Lacoste-Dujardin, « Géographie culturelle et géopolitique en
Kabylie : la révolte de la jeunesse kabyle pour une Algérie démocratique », Hérodote 4, nº 103,
2001, p. 57-91, [en ligne], URL : www.cairn.info/revue-herodote-2001-4-page-57.htm [consulté le
7 septembre 2016].
62. http://printemps2001.unblog.fr/2014/07/26/lislamisme-cest-lislam-arabe-qui-menace-
lislam-kabyle/comment-page-1/#comment-9729 [consulté le 26 juillet 2014].
63. En arabe, salaf signifie littéralement « prédécesseur » ou « ancêtre ». Ce terme fait référence
aux compagnons du Prophète et aux premières générations qui lui ont succédé.
64. Voir http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/on-instaurera-l-etat-islamique-
en-algerie-18-01-2015-4456105.php [consulté le 3 février 2015].
83
65. Voir le cas de Takerboust, At Bughardan (Assi Youcef), At Mesbah (At Douala), à Imzizou
(Fréha), de Tifilkout (Illilten), ou à Laziv (Akbou), [en ligne] URL : https://www.kabyle.com/
articles/takerboust-village-kabyle-collimateur-des-djihadistes-1584-12122008 [consulté le 26
juillet 2014].
66. http://www.liberte-algerie.com/enquete/la-kabylie-cible-dune-salafisation-en-
catimini-194993 [consulté le 11 août 2014].
67. À propos de l’association islamique « El Irchad Oua El Islah », voir http://www.siwel.info/
Rendu-frequentable--le-Hamas-de-Mahfoud-Nahnah-s-incruste-en-Kabylie_a8296.html [consulté
le 22 juillet 2016].
68. http://www.tamurt.info/associations-religieuses-en-kabylie-le-mouvement-associatif-au-
service-de-lintegrisme/ [consulté le 14 janvier 2015].
69. Hanoteau et Letourneux, 2003, vol. III, p. 233-319 ont recueilli 48 qanun. Parmi ceux-ci, il n’y a
que quelques références à des amendes pour contravention aux règles religieuses. Dans le qanun
des Aït Mahmoud, il y a des amendes pour l’homme qui ne fait pas ses prières trois jours de suite
et pour celui qui rompt le jeûne de Ramadan (p. 313). Dans le qanun des Cheurfa Guiril, tribu
maraboutique, une amende est prévue contre celui qui entend l’appel à la prière fait par le
muezzin et ne vas pas prier, s’il n’a pas d’empêchement grave (p. 236). Le reste de textes analysés,
par contre, comporte des qanuns qui s’écartent explicitement de la loi musulmane (p. 305, Qanun
des Aït Kani) ou qui donnent plus d’importance aux réunions de la djemâa en instituant le jeudi,
au lieu du vendredi, comme jour non ouvrable (p. 304, Qanun des Aït Kani).
70. https:// www.facebook.com/pages/Yal-Yiwen-i-Imanis-Laicit%C3%A9-en-
Kabylie/523472144399054 [consulté le 10 juillet 2014].
71. https:// www.kabyle.com/rassemblement-defendre-liberte-culte-conscience-
kabylie-23408-01072014, [consulté le 10 juillet 2014].
72. La traduction des paroles de la chanson et la version originale en kabyle sont disponibles sur
Internet : URL : http://www.greatsong.net/TRADUCTION-MATOUB-LOUNES,ALLAH-
WAKBAR,103695549.html [consulté le 10 juillet 2014].
73. https:// www.facebook.com/notes/mouvement-pour-lautonomie-de-la-kabylie-mak/
kabylie_espoir/187340647978800 [consulté le 10 juillet 2014].
74. Le mythe kabyle consistait en une série d’idées ou de stéréotypes tendant à accentuer les
différences entre les Arabes et les Berbères. Les défenseurs de ce mythe offraient une image plus
positive des Kabyles, les considérant comme anticléricaux et pour cela plus facilement
assimilables. Cependant, dans la politique française de l’époque, aucune décision politique ne fut
prise pour favoriser les Berbères, et aucune campagne visant à soutenir leur langue et leur
culture ne fut menée. De fait, l’idée même du mythe est ambiguë étant donné que, par définition,
un mythe consiste à attribuer à une personne ou une chose des qualités ou des mérites dont elles
sont dépourvues. Si nous acceptions l’idée du « mythe » kabyle, nous serions en train de
considérer que la spécificité kabyle était une invention coloniale attribuant aux Kabyles des
caractéristiques dont ils étaient dépourvus. Or, ce mythe n’en est pas un puisque l’on peut
constater que cette spécificité existe, comme nous l’avons exposé dans ce travail en parlant
concrètement de la religion et de l’organisation de la société kabyle.
75. K. Direche-Slimani, Kabylie : l’émigration kabyle, p. 107-111, apporte une série de tables de
baptêmes et de mariages entre les années 1888 et 1949 dans les zones suivantes : Taourit
Abdallah ; les Ouadhias ; Taguemount-Azouz ; Michelet-Ouarzen et Bou Nouh.
76. Ibid., p. 73.
77. K. Direche-Slimani, idem, p. 83.
78. Ibid., p. 117.
79. L’article : « Ils choisissent Jésus », dans VSD nº 1941 du 6 novembre 2014, évalue à 8 000 (bien
que, au vu de ce que publient d’autres médias actuels, ce chiffre puisse être en dessous de la
réalité) le nombre de conversions de musulmans au christianisme en Algérie, principalement en
84
AUTEUR
CARMEN GARRATÓN MATEU
Doctorante dans le groupe de recherche LESOAB (Langues et sociétés arabes et berbères) à
l’université de Cadix (Espagne). Ses recherches portent sur le droit coutumier berbère, l’islam et
la position de la femme nord-africaine, de l’époque coloniale à nos jours.
86
1 Les revendications identitaires berbères qui ont marqué ces dernières décennies la scène
politique de pays nord-africains comme l’Algérie et le Maroc viennent de s’étendre plus
récemment à d’autres pays de la région, où – à l’ombre des printemps dits « arabes » – le
monde découvre que la Libye et la Tunisie ont également leurs Berbères qui aspirent de la
même manière à la reconnaissance de leur langue et de leur culture.
2 Néanmoins, eu égard à l’étendue géographique, aux spécificités sociologiques, historiques
et culturelles de chaque pays, il est clair que les contenus, l’intensité ou la forme que
prennent ces revendications diffèrent d’un pays à l’autre, voire même d’une région
berbérophone à l’autre.
3 Dans cette contribution, qui se limitera à l’Algérie et plus particulièrement à la Kabylie,
nous nous intéresserons fondamentalement à l’analyse de l’évolution des revendications
berbères – ou kabyles dans ce cas – qui passeront d’une simple demande de
reconnaissance de la langue et de la culture berbères à une demande
d’autodétermination. Le travail se centrera sur une tentative de reconstruction des
principaux moments fondateurs qui vertèbrent les différentes phases par lesquelles
passera le mouvement berbère et qui feront basculer la revendication d’un cadre
déterminé pour son emboîtement dans un autre avec de nouvelles perspectives politiques
mais aussi de nouvelles stratégies revendicatives.
4 Pour ce faire, nous nous inspirerons du point de vue méthodologique de la théorie de
l’analyse des cadres, connue et largement utilisée dans l’étude des mouvements sociaux.
Celle-ci préconise que les formes de mobilisation sont déterminées par l’identification
subjective d’un ensemble d’individus à une « situation jugée injuste et immorale2 ». La
théorie du cadrage postule que les mouvements sociaux sont producteurs et diffuseurs de
signification. Ils s’engagent dans un travail où le sens est attribué, construit, et les
interprétations développées afin d’aboutir à l’adhésion et à la mobilisation des auditoires
88
visés3. Ce processus est dénommé « cadrage » (framing) car il produit les « cadres de
l’action collective ».
5 La théorie des cadres pose qu’en l’absence d’un cadre efficace, aucune mobilisation n’est
possible. Pour que le mouvement puisse réaliser ses objectifs – recruter des membres,
collaborer avec d’autres mouvements, mobiliser les militants en vue d’une action – il doit
« encadrer » sa cause, son idéologie et son action de manière à gagner l’adhésion des
différents destinataires4. Or, par « cadres de l’action », on ne se réfère pas exclusivement
à ceux qui sont stratégiquement construits en vue d’une mobilisation immédiate pour
une action précise. Klandermans suggère que la mobilisation à l’action est précédée par
une « mobilisation de consensus » (consensus mobilization), à savoir « a process through
which a social movement tries to obtain support for its viewpoint5 ». Il s’agit ainsi d’un
travail de longue durée, durant lequel le mouvement propage sa critique sur une réalité
problématique, tout en indiquant qu’une action collective peut aboutir à un changement
social6.
6 Pour aborder ces processus, nous identifierons trois phases principales, qui marquent
cette évolution depuis l’indépendance du pays :
• une phase « culturaliste » qui commencera à l’époque coloniale et qui atteindra son apogée
avec la massification de la revendication berbère durant les événements dits du « Printemps
berbère » de 1980 ;
• une phase qui sera marquée par la radicalisation des discours et l’affrontement avec le
pouvoir. Les événements de 2001 marqueront cette étape tout en entraînant certaines
concessions arrachées au pouvoir central ;
• une phase qui conduira à partir de 2001 à la création d’un mouvement autonomiste puis
indépendantiste kabyle demandant la rupture définitive avec le pouvoir central algérien.
7 Dans chacune de ces phases, les revendications seront illustrées en mettant en exergue
certaines stratégies sous-jacentes à chaque étape de cette évolution. Des documents de
base pour chaque période serviront de sources de références pour l’analyse des
différentes phases des emboîtements ainsi que des alignements ou cadres interprétatifs
mobilisés par les acteurs durant le processus revendicatif et pendant lequel le groupe
remet en cause les « cadres » déjà en place pour en proposer de nouvelles significations 7.
8 Les origines de cette phase remontent à la première moitié du XXe siècle. Salem Chaker
parlera alors d’une « veine culturaliste » incarnée par la chaîne des instituteurs et des
écrivains kabyles, qui ont pour souci primordial – souvent professionnel, comme chez
Boulifa, Mammeri, etc. – l’étude, la conservation et la promotion du patrimoine
linguistique et littéraire berbère8.
9 Pour ces auteurs, le travail culturel ne débouche pas sur une vision clairement politique,
ou, si elle existe, celle-ci n’est pas assumée en tant que telle, à l’exception toutefois du
fameux épisode de la crise dite « berbériste » de 1949 pendant lequel des militants
kabyles s’affrontèrent aux autres militants du mouvement national algérien sur la
question de la définition de la future identité d’une Algérie indépendante.
89
10 En mars 1949 Ali Yahia, membre du comité directeur de la Fédération de France du Parti
populaire algérien (PPA)/Mouvement pour le triomphe les libertés démocratiques
(MTLD), réussit à faire voter, avec une majorité écrasante de 28 voix sur 32, une motion
dénonçant le mythe d’une Algérie arabo-islamique et défend la thèse d’une Algérie
algérienne. Ces événements aboutiront aux affrontements sanglants et meurtriers entre
les militants dits « berbéro-nationalistes » et les partisans d’une orientation arabo-
islamiste. L’assassinat, la répression et les persécutions qui s’abattent sur leurs membres
les plus influents sont alors justifiés par la nécessité de faire front commun face à
l’ennemi français colonisateur contre lequel le Front de libération nationale (FLN) allait
déclencher la lutte armée9.
11 Ces événements passèrent sous la chape de plomb de la censure d’État et allaient y rester
pendant des décennies après l’indépendance du pays. Toute référence au berbère et a
priori à la Kabylie ou à sa spécificité était devenu tabou.
12 Nous sommes dans un cadre de diagnostic. L’injustice est évidente : malgré une
participation très forte à la lutte de libération nationale, la Kabylie voit sa langue et sa
culture exclues de la culture nationale et menacées par une politique d’arabisation très
virulente10.
13 L’intérêt pour la culture et la langue berbères connaîtra un important mouvement de
massification et se renforcera considérablement suite à un événement qui fait figure de
moment fondateur du mouvement revendicatif amazigh, le Printemps berbère d’avril
1980, qui donnera naissance au Mouvement culturel berbère (MCB). Rappelons très
brièvement que c’est l’interdiction d’une conférence que devait prononcer le très
populaire Mouloud Mammeri à propos de son livre : Poèmes kabyles anciens (1980) – recueil
de chefs-d’œuvre rares de la culture orale kabyle – qui déclenchera les protestations et le
cycle de violence et de contre-violence. Il est intéressant de souligner que c’est la
répression d’un événement spécifiquement culturel qui fut le détonateur des
manifestations de ce fameux Printemps berbère et des violences qui se maintinrent
durant des décennies jusqu’aux événements d’avril 2001.
14 L’organisation se fera autour de la reformulation et de la reconstruction d’un autre cadre
qui donnera un sens nouveau à la résistance collective face à cette répression11. On
retrouvera les circonstances et le récit de ces événements narrés par un participant à ces
événements12.
15 Il est important de signaler que, malgré sa localisation régionale en Kabylie, puisqu’il est
parti de l’université de Tizi Ouzou, le mouvement de protestation et de revendication se
propagera d’abord et parallèlement au sein de la communauté kabyle dans l’immigration
pour s’étendre ensuite à d’autres régions berbérophones, surtout au Maroc. Toutefois, le
contexte ou Zeitgeist de l’époque et ses contraintes politiques feront que les aspirations et
revendications du mouvement berbère des années 80 se maintiendront dans une
perspective « nationale » et « algérianiste ». Ceci vaut aussi bien pour les textes que pour
les militants du mouvement berbère qui se sont toujours inscrits dans cet espace
politique. Le poids du « nationalisme » et les tabous sur l’unité de la nation imposeront
automatiquement une autocensure aux animateurs du mouvement berbère pour
maintenir leurs revendications dans l’« espace national », ce qui se reflète sur le plan du
discours par la revendication d’une langue amazighe appartenant à tous. Du point de vue
de la théorie des cadres, on parlera « d’alignement », en d’autres termes, d’un processus
interprétatif et de négociation entre les acteurs du moment qui obligera à adopter des
90
Du national au transnational
17 Les revendications qui marqueront cette première phase du développement du MCB sont,
pour la Kabylie, clairement énoncées dans les documents principaux du mouvement : 1°
le rapport de synthèse du dossier culturel adopté lors du séminaire de Yakouren du 1er au
31 août 1980, donc à peine quelques mois après les événements du Printemps berbère
d’avril 1980 ; 2° le rapport de synthèse du deuxième séminaire du 16 au 24 juillet 1989 à
Tizi-Ouzou14.
18 Dans l’ensemble, le MCB revendiquait la reconnaissance de la langue et de la culture
berbères mais aussi l’arabe algérien comme langues nationales ainsi que leur
enseignement. C’était en effet le cadre et l’esprit de l’époque. C’est ce que nous rappelle
un texte intitulé « Réflexions sur le mouvement culturel populaire en Algérie » publié
dans la mythique revue Tafsut dans son premier numéro et signé par les initiales R.B. et
H.S. :
« Il n’est pas besoin aujourd’hui de rappeler que c’est autour des mots d’ordre de
libertés démocratiques et de langues populaires (tamaziγt et arabe algérien) que le
formidable mouvement populaire s’est cristallisé15. »
19 Relevons par ailleurs la prudence extrême qui caractérise encore les positions du
mouvement qui ne parle encore que d’un « mouvement populaire en Algérie » !
20 Ces revendications, d’abord locales, évolueront plus tard vers un caractère plus
transnational pour toucher également la diaspora berbère en Europe et en Amérique du
Nord. Les militants berbères commenceront à intervenir au niveau international dans
différents cadres pour donner une certaine visibilité à leurs revendications.
21 Ainsi, des représentants feront entendre la voix des Amazighs au sein du Congrès mondial
amazigh, à travers leur participation aux instances internationales de l’ONU sur les
peuples autochtones, au Conseil économique et social des Nations Unies, du 11 février au
1er mars 2013, à la 82e session du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale à
Genève (Rapport alternatif de l’association pan-berbère Tamazgha ( http://
www.tamazgha.fr/), etc.
22 Cet activisme international pour faire avancer des revendications nationales est souvent
défini comme un cas de glocalisation16.
24 Ainsi, la multiplication des manifestations en Kabylie forcera les autorités à tolérer dans
un premier temps puis à accepter l’introduction du berbère dans les universités kabyles
de Tizi Ouzou (1990) et de Bejaia (1991).
25 La fameuse grève du cartable de 1995 en Kabylie débouchera sur la création du Haut
Commissariat à l’Amazighité (HCA). Ainsi, le 27 mai 1995, après huit mois de boycott
scolaire dans toute la Kabylie et de longues négociations entre la présidence de l’État, des
représentants des deux tendances principales du MCB kabyle17 et ceux du Mouvement
culturel amazigh, chaoui et mozabite, le décret présidentiel nº 95-147 du 27 mai 1995
portant création du HCA sera signé par les négociateurs des deux camps18.
26 Cette nouvelle institution, qui est un organe étatique chargé de la promotion de la langue
et de la culture amazighes, répond surtout à la nécessité d’exercer un contrôle direct de
l’Etat sur la gestion de la question amazighe en Algérie. En effet, les articles 2, 3 et 8 de ce
texte décrètent que ce Haut Commissariat est directement « rattaché à la présidence de la
République », que « son siège est fixé à Alger » et enfin que cet organe « est placé sous
l’autorité du chef de l’État ». Il a pour missions fondamentales « la réhabilitation de
l’amazighité en tant que l’un des fondements de l’identité nationale » et « l’introduction
de la langue amazighe dans les systèmes de l’enseignement et de la communication »
(article 4).
27 Un autre fait qui compte parmi les concessions du gouvernement algérien à la question
berbère est sans nul doute ce que d’aucuns considèrent comme une (timide)
reconnaissance de la langue berbère. En effet, le 12 mars 2002, le président Bouteflika en
personne annonce la constitutionnalisation du berbère comme langue nationale tout en
présentant ce geste comme entrant parfaitement dans le processus de « récupération de
l’identité nationale ». Le président algérien, après toute la répression subie par les
militants berbères finit même par présenter la « récupération de l’identité amazighe »
comme faisant suite à celle de l’arabité en Algérie ! Le tout entrant, selon Bouteflika, dans
le cadre de la reconstruction de la « personnalité nationale » à la suite des tentatives de sa
destruction [par le colonialisme]. Le colonialisme étant également « coupable » de la
« non-reconnaissance » du berbère en Algérie :
« Les tentatives de destruction de la personnalité algérienne ont sans doute rendu
lent et complexe le processus de récupération de la personnalité nationale. Il en a
été ainsi de la récupération de l’identité nationale dans son intégralité. Il en a été de
même de la récupération de l’arabité de l’Algérie. Il en a été ainsi de la récupération
de son amazighité. C’est donc bien de l’identité du peuple algérien dans son
intégralité qu’il s’agit lorsque l’on parle d’amazighité, et le caractère national des
composantes de cette amazighité ne peut donner lieu à aucune contestation qu’il
s’agisse de la langue ou de la culture amazighe19. »
28 La langue berbère devrait donc être sans nul doute « le patrimoine de tous les Algériens »,
et l’amazighité, l’arabité, l’islamité mises sur le même plan « ne sont pas propres à une
partie seulement des Algériens ». Pour le président de la République, cette
reconnaissance ne saurait en aucun cas être perçue comme une « spécificité locale ou
régionale » mais s’étend à toute l’Algérie :
« Tamazight s’entend de toutes les richesses linguistiques couvrant le territoire
national aux côtés de la langue arabe, des Aurès à Kenadsa, de Bejaia à Tamanrasset,
92
Le « Printemps noir »
33 Une date charnière dans l’évolution des revendications berbères, surtout du point de vue
qualitatif, est sans doute le désormais célèbre « Printemps noir » de 2001 en Kabylie. Ces
événements ont sans doute provoqué un tournant dans l’évolution des revendications
identitaires dans la région et ont fait basculer celle-ci vers une nette radicalisation de ses
revendications et ce dans pratiquement tous les domaines.
34 Rappelons que ces événements et ces massacres commis par la gendarmerie algérienne
n’ont pratiquement pas suscité de réactions de solidarité dans les autres régions d’Algérie
et ce malgré une plateforme de revendications qui demandait des mesures de
démocratisation et d’amélioration sociale pour l’ensemble des Algériens.
35 Deux événements sont considérés comme les étincelles qui ont mis le feu aux poudres et
provoqué les révoltes de jeunes Kabyles lors des célébrations – comme chaque année
depuis 1980 – de la commémoration du Printemps berbère de 2001. D’abord, la mort le 18
avril 2001 d’un jeune Kabyle de 20 ans dans une caserne de la gendarmerie locale de son
village à Aït Douala. Dans leur version des faits, les forces de l’ordre déclarèrent que le
93
coup de feu qui avait provoqué la mort du jeune Massinisa était dû à un « accident par
imprudence23 ».
36 Ensuite, un deuxième cas d’affrontement se produisit le 22 avril 2001, à Oued Amizour,
dans la wilaya de Béjaïa, lorsque des éléments de la même gendarmerie nationale
interpellèrent brutalement trois lycéens, alors qu’ils étaient avec leur classe et sous la
responsabilité de leur professeur de sport, pour avoir crié des slogans interprétés par les
forces de l’ordre comme « outrage à l’encontre des gendarmes de la brigade24 ».
37 La spirale de violence, manifestation-répression, qui s’ensuivit provoqua plus d’une
centaine de morts et des milliers de blessés parmi les jeunes manifestants kabyles, sans
que les responsables n’aient jamais eu à rendre compte de leurs actes devant la justice ni
qu’aucune manifestation de soutien et de solidarité provenant d’autres régions d’Algérie
n’ait pu être observée.
38 Dans n’importe quel autre pays du monde démocratique, la mort de plus d’une centaine
de jeunes et les blessures de plusieurs milliers de personnes par coups de feu tirés par les
forces de l’ordre, et donc censées les défendre, auraient été traitées comme une tragédie
nationale. En Algérie, cependant, le gouvernement n’aura même pas décrété un seul jour
de deuil national.
39 Jamais auparavant les médias, pourtant habituellement prompts à défendre
farouchement « l’unité nationale » du pays, n’avaient parlé aussi clairement et
publiquement d’une rupture entre les Kabyles et l’État25.
40 Les jeunes Kabyles, en raison notamment du manque d’infrastructures et
d’investissements dans leur région, souffrent depuis toujours du chômage. Exaspérés par
le manque de perspectives de travail et l’absence d’avenir, ils reprochent à l’État son
« mépris » (hogra) à leur égard, qu’ils comparent aujourd’hui sans ambages à celui du
colonialisme français qu’ils espéraient révolu26.
41 Désormais, un grand nombre de Kabyles ne croient plus en une possible solution venant
du gouvernement central ni comprennent pourquoi ils devraient continuer à s’engager et
lutter pour l’ensemble de l’Algérie lorsque le reste du pays ne répond pas lorsque la
répression s’abat sur eux.
Répression et pression
le Cheliff (Chlef et Aïn Defla), l’Oranie, la Saoura (Béchar), le Touat (Gourara), le Grand Erg
oriental et l’Ahaggar29.
49 Malgré le tabou qui pèse sur l’« unité de la nation », l’absence d’une perspective de sortie
de crise ouvrait la voie à d’autres formes de gouvernance qui remettaient en cause le
système politique en vigueur. Ainsi, les premières pétitions en faveur d’une autonomie –
d’abord linguistique et culturelle – de la Kabylie ne tardèrent pas à circuler.
50 Il faudrait relever à cet égard le rôle prépondérant que joueront certaines figures du MCB
et qui contribueront vers la fin des années 90 à la diffusion de cette idée30. Outre les
publications, il y avait également des appels publics clairement en faveur de cette
évolution et signés par des centaines d’intellecturels mais aussi d’autres personnes de
couches sociales kabyles. Ainsi, il y eut par exemple lors du Printemps berbère de 1998 un
premier appel public intitulé : « Tamazight, langue nationale de l’Algérie et langue propre
de la Kabylie » et qui affirmait que la langue berbère devrait être reconnue comme
« langue propre » des zones berbérophones qui le désireraient dans un cadre général
d’autonomie linguistique et culturelle.
51 Un autre appel fut lancé le 29 avril à l’occasion de la rebellion de 2001 et intitulé : « Une
kabylie autonome pour une Algérie démocratique », dans lequel on exigeait un statut
« d’ample autonomie » pour la Kabylie, la reconnaissance de la langue berbère comme
« langue propre » de la Kabylie, qui devrait disposer d’une autonomie totale dans les
domaines linguistique, culturel et éducatif et finalement que l’amazigh soit une des
langues nationales et officielles de l’Algérie. Ces positions partagées par divers
intellectuels kabyles ont encouragé le lancement d’un débat sur le concept d’autonomie
appliqué à la Kabylie. Des expériences similaires dans les pays européens, comme en
Catalogne31 surtout, bien que différentes, ont certainement contribué au développement
de ce débat.
Mouvement culturel berbère, n’est plus d’actualité et qu’il serait même dangereux « pour
l’autonomie linguistique de la Kabylie » :
« Même le mot d’ordre du Mouvement culturel berbère, “berbère, langue
nationale”, repris par les partis politiques kabyles, paraît dangereux car aisément
récupérable par l’Etat central, si son contenu n’est pas très précisément défini.
Disons-le tout net, contrairement aux thèses officielles algériennes, qui explicitent
une stratégie évidente de dépossession et de neutralisation, le berbère est d’abord
la langue des berbérophones, car une langue – sauf s’il s’agit d’une langue morte –
n’existe pas en dehors de ses vecteurs humains34. »
55 Cette référence à la Catalogne n’est pas un hasard eu égard aux contacts et aux échanges
qui existent entre des intellectuels ou hommes politiques kabyles et catalans (notamment
Ait Ahmed, Ferhat Mehenni et Said Saadi) et qui s’est même traduite – outre la
célébration de la rencontre déjà citée « Kabylie-Catalogne » en 2001 –, par la création d’un
Observatoire catalan de la langue amazighe, par l’adoption d’une résolution par le
parlement catalan en faveur de la Kabylie et condamnant la répression par l’État algérien
des manifestants kabyles lors des événements du Printemps noir de 2001. L’invitation et
l’accueil à Barcelone par le Pen Club catalan du seul écrivain de langue kabyle en exil,
Salem Zenia, est un autre signe révélateur de ces contacts35.
56 Le concept « langue propre » sera divulgué dans plusieurs textes, déclarations, manifestes
signés par des intellectuels kabyles, réunis souvent autour de Salem Chaker, linguiste et
professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et du
groupe du Cercle d’étude et de réflexion sur l’autonomie de la Kabylie (CERAK)36. Une
déclaration dans le même sens – revenant sur les événements de 2001 – affirmait dans
une déclaration du 29 avril de la même année :
« 2. La langue berbère doit être reconnue comme langue propre de la Kabylie, et la
région doit bénéficier d’une autonomie totale en matière linguistique, culturelle et
éducative. » (Source : MCB-France: http://mcbrn.chez.com/declarik.html.)
57 Les commémorations du Printemps berbère de ces dernières années ont mis en évidence
une évolution claire dans le paysage revendicatif kabyle : l’apparition du Mouvement
pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), qui s’impose désormais comme une force majeure
supplantant des partis politiques dits kabyles et traditionnellement ancrés dans cette
région comme le FFS ou le RCD37.
58 Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, l’ex-président du Mouvement culturel
berbère – Rassemblement national (MCB-RN), Mehenni, organisait le 5 juin 2001 à Tizi
Ouzou, capitale kabyle en état de siège, une conférence annonçant la naissance du MAK et
exigeant une « ample » autonomie et la reconnaissance de la langue comme « langue
propre de la Kabylie ». Cette conférence publique brisait pour la première fois ce qui était
jusqu’alors un tabou : l’État-nation hypercentralisé. La classe politique algérienne,
façonnée par le culte de l’Etat unique comme forme exclusive de gouvernance, est sous le
choc : est-ce le début de la dislocation de l’Etat national ? La désintégration du pays est-
elle en marche38 ?
97
65 Malgré ces difficultés et indépendamment de son véritable impact sur le terrain, il ne fait
aucun doute que le simple fait d’exister virtuellement – par exemple à travers son site
Web – semble avoir provoqué un grand intérêt et une grande illusion dans la population
et favorisé une très large diffusion de ses idées dans toute la Kabylie mais aussi dans la
diaspora en Europe et en Amérique du Nord42. Un processus qui impose désormais sur
l’échiquier politique du pays et de manière durable le débat sur l’autonomie de la Kabylie.
Le processus se consolide avec la publication de documents comme le « Projet pour
l’autonomie de la Kabylie43 » ou le « Projet pour un État kabyle » adopté à la conférence
nationale des cadres du MAK le 24 janvier 2014 à Smaoun en Kabylie44.
66 L’expansion du MAK est telle que même des journaux nationaux peu suspects de
sympathie à son égard le perçoivent très souvent comme un mouvement séparatiste et
comme le plus mobilisateur de la Kabylie45. D’autres, comme El-Khabar, le plus fort tirage
d’Algérie, n’hésitaient pas à se demander, dans leur édition du 14 avril 2016, si l’afflux des
ministres algériens en cette période qui précède la 36e commémoration du Printemps
berbère de Kabylie (2016) était dû au fait que le gouvernement avait peur du MAK ou si
c’était en raison de l’expansion de ce mouvement politique en Kabylie46.
De l’autonomie à l’autodétermination
67 Le MAK est-il le résultat d’une continuité directe et logique des revendications berbères ?
Cette version est reprise par le discours autonomiste qui présente les différentes phases
par lesquelles est passée la revendication berbère comme des étapes logiques et
progressives d’une même revendication. La proclamation du MAK serait selon les
autonomistes kabyles l’aboutissement d’un long processus qui commença par la fameuse
crise dite « berbériste » de 1949, en passant par l’insurrection du FFS de 1963, le
Printemps berbère d’avril 1980 de Tizi-Ouzou, la création du RCD et le retour du FFS en
1989, la grève du cartable de 1995, jusqu’aux morts tombés lors du Printemps noir de
2001, prélude à la création du MAK en juin 200147.
68 Il serait probablement plus juste de considérer qu’il s’agit là d’un processus historique qui
est passé par une série d’événements et de revendications identitaires berbères, certes,
mais qui ne participaient pas tous de l’objectif actuel du MAK. Ces événements se sont
tous déroulés dans des contextes spécifiques, mais pas forcément indépendants les uns
des autres. Mais il est certain que ni les « Berbéro-matérialistes » des années 40, ni le
Mouvement culturel berbère de 1980 n’avaient pour objectif une autonomie ni encore
moins une hypothétique souveraineté de la Kabylie.
69 Néanmoins, il est certain aujourd’hui que la création d’un mouvement pour
l’autodétermination de la Kabylie est perçue par une grande partie de ses partisans
comme une évolution logique.
70 Le rejet global du pouvoir et des forces politiques traditionnelles algériennes n’en est
qu’un aspect. La réorientation stratégique est davantage le fruit de l’expérience
empirique. En effet, les autonomistes et souverainistes kabyles, après s’être investis dans
la démocratisation du pays pour la reconnaissance de l’amazigh et de l’arabe algérien, se
rendent compte que tous ces efforts n’ont pas abouti aux résultats attendus et
commencent à se détourner de certaines idées, jusque-là fortement ancrées dans les
consciences des militants, comme celle de croire en un amazigh commun, pour focaliser
depuis 2001 leurs revendications sur la seule Kabylie.
99
78 Ce saut qualitatif du MAK n’est certainement pas dû au hasard mais au grand travail
effectué notamment par les militants en Kabylie, par leur charismatique président,
Bouaziz Ait-Chebib, mais aussi grâce à une stratégie de communication multiforme dont
un travail de lobbying diplomatique mené par le gouvernement provisoire de Kabylie
(GPK) sous la direction de Ferhat Mehenni.
79 Il est également intéressant de relever que le MAK commence à avoir un certain impact
sur la politique régionale des États nord-africains. Depuis le Maroc, on demande aux
Algériens « d’appliquer le droit à l’autodétermination » – que ces derniers défendent dans
le cas des Sahraouis – également aux « Kabyles et au Sud algérien52 ». Le représentant du
Royaume du Maroc a même exprimé dans le cadre de la 70e session de l’Assemblée
générale de l’ONU, le 27 octobre 2015, le soutien de son pays au droit du peuple kabyle à
l’autodétermination53, même s’il est clair que cette position s’inscrit dans le cadre des
escarmouches régulières entre les deux pays à propos de la question du Sahara
occidental.
80 Du point de vue strictement idéologique, le discours du MAK s’insère largement dans la
globalisation, la modernité dans laquelle il aspire à une redéfinition du rôle de certains
indicateurs religieux, culturels ou idéologiques qui servent pour la formation et la
constitution d’une nouvelle conscience identitaire kabyle. Ainsi, le vieux concept
d’ethnicité laisse le champ au concept de « langue propre », emprunté à la
sociolinguistique catalane, comme élément qui vertèbre et cimente le projet kabyle. Le
choix, ouvertement laïc, implique une distanciation par rapport au rôle prépondérant que
joue actuellement l’islam dans l’Algérie post-indépendance comme religion d’État. La
religion cesserait de fonctionner comme un trait définitoire de l’identité kabyle pour
s’ouvrir à la diversité religieuse (le MAK a durement critiqué les attaques contre les
églises évangéliques en Kabylie).
81 Malgré toutes ces avancées, ou peut-être en raison de son succès, notamment auprès des
jeunes, la direction du MAK/ANAVAD fera, dans sa lancée, un autre pas lors d’un discours
devant les militants à Montreuil, en France, le 25 septembre 2016. Son président, Ferhat
Mehenni, annoncera une « autre lecture du Troisième congrès du MAK » du 26 février
2016 :
« Le Projet d’un Etat kabyle (PEK) a été réécrit de manière à écarter définitivement
toute autre option pour notre Mouvement en dehors de l’indépendance du peuple
kabyle. Le droit à l’autodétermination de la Kabylie qui reste notre objectif
stratégique est bel et bien redéfini comme celui de notre indépendance et non celui
d’un autre statut54. »
82 Un pas supplémentaire qui creusera probablement les différences entre le président du
GPK, en exil, et celui du MAK, en Kabylie, et aboutira à la démission de ce dernier le 16
novembre 201655. Le retrait de ce personnage charismatique et apprécié par les militants,
qui avait été reconduit par le dernier congrès du MAK, entraînera un certain nombre de
démissions et de grands débats entre les militants sur les réseaux sociaux et ne manquera
pas de provoquer une scission au sein des troupes du MAK, partagées désormais entre
partisans d’une large autonomie et partisans d’une indépendance kabyle, le tout dans un
101
Conclusion
90 Eu égard à l’évolution qualitative des revendications, il semble assez clair qu’une des
premières conclusions à tirer est que l’option souverainiste a été provoquée, ou en tous
cas renforcée, par l’inflexibilité du gouvernement central et par la gestion catastrophique
des revendications amazighes depuis le début des protestations massives d’avril 1980.
91 L’avancée du MAK a aujourd’hui des conséquences sur la prise de conscience de la
question amazighe à pratiquement tous les niveaux. Il ne fait pas de doute que
l’officialisation de la langue amazighe en Algérie participe d’une tentative de
désactivation de « l’effet MAK » en Kabylie. Aujourd’hui, l’État assume publiquement
l’amazighité de l’Algérie, et bien peu de partis refusent de nos jours son officialisation.
Même des islamistes comme Ali Benhadj déclarent que c’est l’État algérien qui crée les
crises et que « si le gouvernement algérien avait pris en compte – en son temps – les
revendications amazighes nous n’en serions pas là69 ».
92 Aujourd’hui, des quotidiens algériens de tirage national comme Le Soir d’Algérie revoient
leur copie en reconnaissant désormais que « le MAK est en train de gagner du terrain en
Kabylie et [que] ses idées deviennent progressivement discutables après avoir été
longtemps haïssables70 ».
93 Après plus de quinze ans d’existence, l’option exclusivement « souverainiste » du GPK/
MAK semble entrer dans une phase de confusion. La répression, le manque de perspective
d’une solution pacifique et consensuelle sur le terrain ainsi que les doutes sur les risques
103
98 La forte répression qui s’est abattue sur les participants, notamment depuis l’arrestation
de leur figure visible, Nasser Zefzafi, le 29 mai 2017, accusé « d’atteinte à la sécurité
intérieure de l’État77 », ne fait que renforcer ce sentiment. Les manifestations et les
actions de protestation s’articulent autour d’un « Mouvement populaire du Rif », créé
autour de Zefzafi et connu localement sous le nom de Ḫirāk Arrīf (al Ḥirāk aš-šaʕbī fī Rīf ) en
arabe et Amussu agherfan n Arrif en amazigh. Les objectifs sont formulés, des solutions
proposées et des méthodes d’action et d’adaptation à la répression sont prescrites aux
manifestants.
99 Bien que les revendications de ce mouvement soient jusqu’à présent strictement d’ordre
économique et social, il n’en demeure pas moins qu’un cocktail explosif de sentiments de
hogra est présent depuis très longtemps dans la région. Ces sentiments sont alimentés par
la sensation d’abandon par l’État central depuis l’indépendance du pays, par les
douloureux souvenirs des répressions de la fin des années 50 et surtout de l’époque de la
République d’Abdelkrim al-Khettabi. La conjonction de ces facteurs et du particularisme
linguistique et culturel renforce les sentiments d’une appartenance commune et d’une
« spécificité rifaine » qui se manifeste par des drapeaux amazighs et de la République du
Rif, fièrement brandis lors des manifestations dans le Rif et dans la diaspora, mais aussi et
surtout par la construction d’un discours de représentation de la situation comme injuste
et discriminatoire. L’accord sur le diagnostic de la situation est construit pour le moment
autour de revendications économiques et sociales. Néanmoins, tous les ingrédients
semblent converger vers le renforcement d’une revendication identitaire qui semble
vouloir aller bien au-delà de la simple reconnaissance de l’amazigh comme langue
officielle au Maroc.
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Mouvement berbère, série “normale”].
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NOTES
1. Cet article s’inscrit dans le cadre des résultats de deux projets de recherche intitulés
« Jeunesses, changement social, politique et sociétés en réseaux en Méditerranée : le cas des pays
maghrébins » (CSO2011-29438-C05-04) (2012-2014) et « Problèmes publics et militantisme au
Maghreb : la participation sociale et politique des jeunes dans leur dimension locale et
transnationale » (CSO2014-52998-C3-2-P) (2015-2017), financés par le ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité.
107
2. J.G. Contamin, « Cadrages et luttes de sens », dans Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux
et contestations dans les sociétés contemporaines, sous la dir. de Olivier Fillieule et al., Paris, La
Découverte, 2010, p. 57.
3. D. Snow, « Analyse des cadres et mouvements sociaux », dans Les Formes de l’action collective,
sous la dir. de Daniel Cefaï et Danny Trom, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001, p. 8.
4. R. Benford, D.A. Snow, « Framing processes and social movements: an overview and
assessment », Annual review of Sociology, 26, 2000, p. 611-639.
5. B. Klandermans, « Mobilization and Participation : Social Psychological Expansions of Resource
Mobilization Theory », American Sociological Review, 49, 1984, p. 583-600.
6. B. Klandermans, D. Oegema, « Potentials, Networks, Motivations, and Barriers: Steps Towards
Participation in Social Movements », American Sociological Review, 52, 1987, p. 519-531.
7. R. Benford et al., « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », Politix
, 3/99, 2012, p. 217-255.
8. S. Chaker, « L’affirmation identitaire berbère à partir de 1900 : constantes et mutations
(Kabylie) », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 44/1, 1987, p. 13-34.
9. Cf. A. Guennoun, Chronologie du mouvement berbère 1945-1990, Alger, Casbah Editions, 1999, p.
21-26 ; A. Ouerdane, « Un conflit à plusieurs faces : “la crise berbériste” de 1949 » dans La Question
berbère dans le mouvement national algérien, Québec, Sillery ; Paris, Septentrion, 1993.
10. M. Tilmatine, « Arabization and Linguistic Domination: Berber and Arabic en the North of
Africa », dans Language Empires in Comparative Perspective : Colonial and Postcolonial Linguistics, vol.
6, 2015, 1-17.
11. R.D. Benford et al., « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », p.
217-255.
12. R. Chaker, « Journal des événements de Kabylie (mars-mai 1980) », Les Temps modernes, nº
432-433, juillet-août 1982, p. 383-438.
13. Ce discours se poursuivra, en revanche, sans discontinuer au Maroc. Voir l’interview de R.
Raha par W. El Bouzdaini à dans l’hebdomadaire Maroc Hebdo du 23 au 29 octobre 2015, page 8,
dans lequel Raha affirme que « l’amazigh est un patrimoine de tous les Marocains ». http://
www.marochebdo.press.ma/rachid-raha-lamazigh-est-un-patrimoine-de-tous-les-marocains/
[consulté le 24/10/2015].
14. Les deux documents sont disponibles sur différents sites kabyles. Voir par exemple http://
soummam.o.s.f.unblog.fr/files/2009/04/sminairedeyakourendossierculturelaout1980.pdf
[consulté le 14/10/2015].
15. R. Bellil, S. Hachi, « Réflexions sur le mouvement culturel populaire en Algérie : la culture et
le centralisme », 1981, paru dans la revue clandestine du Mouvement berbère Tafsut, série
“normale” liée à l’actualité du terrain de lutte et lieu de réflexion sur le mouvement. Elle sera
suivie, à partir de 1983, de la série Études et débats.
16. Ce concept est composé des termes global et local pour en faire un mélange (blend). « Nous
savons également que le concept nous vient du Japon où l’agriculture a dû adapter des
techniques globales aux conditions locales. Plus tard, le terme est passé aux affaires
économiques. On parlera alors de “localisation globale”, global localization, une perspective
globale adaptée, là également, aux conditions locales. Cf. R. Robertson, « Glocalization : time and
space and homogeneity-heterogeneity », dans Global Modernities, sous la dir. de M. Featherstone et
al., London, Thousand Oaks, New Delhi, Sage Publications, 1995, p. 28.
17. Le MCB se composait entretemps de deux branches principales : les Commissions nationales,
proches du FFS et la Coordination nationale, proche du RCD auxquelles il fallait ajouter le
Rassemblement national créé par Ferhat Mehenni, depuis son abandon du RCD. Cf. D. Abrous,
« Le Haut Commissariat à l’Amazighité… », 1995, p. 584. Sur les enjeux des conversations et le
retrait de la délégation des Commissions nationales des négociations, voir M. Tilmatine,
« Berbère/Amazigh ou Kabyle ? Évolution et fluctuation d’une dénomination en contexte
108
corporelle, de ses opinions, de ses qualités imaginatives, de son travail artistique, de sa langue
maternelle » (p. 16). Le concept d’« autonomie locale » tel que défendu par le document du FFS
préconise de revenir aux djemâa qui ont permis « à notre Nation et à notre culture de survivre à
travers les âges ». Les djemâa devraient jouir de pouvoirs étendus, hors des contraintes tutélaires
de l’administration centrale (p. 17-18). Enfin, les institutions de l’autonomie locale et de
« l’autonomie régionale » doivent selon le FFS « résulter d’élections libres […]. C’est le peuple qui
doit choisir et éventuellement congédier ses mandataires aussi bien au niveau local qu’au niveau
régional », (p. 19). Cf. Front des forces socialistes, « L’alternative démocratique révolutionnaire à
la catastrophe nationale », 1979.
29. M. Moffok, « Le RCD relance son projet de régionalisation positive » , Impact24.Info du
3/07/2015, [en ligne] URL : http://www.impact24.info/le-rcd-relance-son-projet-de-
regionalisation-positive/ [consulté le 12/06/2016].
30. Voir par exemple les positions publiques de certains intellectuels kabyles, notamment celles
de S. Chaker, figure prééminente du Mouvement berbère et professeur de linguistique berbère à
l’INALCO (Paris). Certaines prises de position à cet égard sont publiées par exemple dans La
Question amazighe : interrogations actuelles…, Actes de la table ronde organisée par le MCB-France,
Paris 21 avril 1996, ou dans ce qui pourrait être considéré comme le premier résultat d’une
réflexion commune sur l’autonomie de la Kabylie, Kabylie : l´autonomie en débat, Actes du
séminaire d’Ecancourt, France, 1-3 mars 2002, Paris.
31. Une première rencontre Kabylie-Catalogne a eu lieu à Barcelone au mois de septembre 2002
et a rassemblé des militants et des hommes politiques kabyles et catalans. Les travaux de cette
rencontre ont été édités par C. Castellanos, S. Chaker, M. Tilmatine, Actes de la rencontre Kabylie-
Catalogne : identités nationales et structures étatiques dans le contexte méditerranéen, Barcelone, 13 et
14 septembre 2002, Paris, Editions berbères, 2008.
32. C. Canut, « À la frontière des langues : figures de la démarcation », Cahiers d’études africaines,
nº 163-164, XLI-3-4, 2001, p. 443-463.
33. M. Tilmatine, « L’Etat-Nation face à la revendication berbère : quel(s) modèle(s) pour
l'Algérie ? », Actes de la table ronde organisée par le MCB-France, 21 avril 1996, Paris, MCB-France,
1996a, p. 33-44, ou C. Castellanos et al., Actes de la rencontre Kabylie-Catalogne, Barcelone, 13 et 14
septembre 2002, Paris, Editions berbères, 2008.
34. S. Chaker, « Pour l'autonomie linguistique de la Kabylie », Le Monde, 11 juillet 1998.
35. M. Tilmatine, « Identidades y lenguas emergentes del Mediterráneo en el contexto de la crisis
en Europa: el caso del amazige (bereber) en Cataluña », dans Nación y Migración. España y Portugal
frente a las migraciones contemporáneas, sous la dir. de Cornelia Siebert et al., Madrid, Biblioteca
Nueva, 2015a, p. 261- 275.
36. Créé en 2004 par un certain nombre d’intellectuels kabyles à Paris qui avaient déjà organisé
des rencontres sur l’autonomie de la Kabylie et qui ont participé à la publication de deux
ouvrages sur le sujet (La Question amazighe : interrogations actuelles… ainsi que Kabylie : l´autonomie
en débat). Un forum avait été créé à cet effet sur une page kabyle : https://www.kabyle.com/
archives/trier-l-info-kabyle/breve/le-cercle-d-etude-et-de-reflexion.
37. O. Ilikoud, « FFS et RCD : partis nationaux ou partis kabyles ? », Revue du monde musulman et de
la Méditerranée, 111-112, mars 2006, mis en ligne le 8/12/ 2011, URL : http://
remmm.revues.org/2870 [consulté le 14/07/2015].
38. Cf. http://www.makabylie.org/index.php/le-mak-en-quelques-questions/.
39. F. Mehenni, Algérie : la question kabyle. Essai, Paris, Editions Michalon, 2004, p. 141.
40. R. Zouaïmia, « L’introuvable pouvoir local », Insaniyat, n° 16, 2002, p. 61.
41. Cf. Contamin, « Cadrages et luttes de sens », p. 58.
42. Voir notamment les grandes manifestations qui ont eu lieu dans plusieurs villes européennes
et d’Amérique du Nord. Voir les informations rapportées à cet effet dans différents médias, par
exemple : http://algeriefranceinfos.com/la-marche-du-mak-a-paris-en-images/ ou bien le texte
110
56. https://www.parlementkabyle.com/index.php/parlement-kabyle/projet-parlement
[consulté le 01/03/2017].
57. http://reseau-anavad.com/nominations-abrogations-decisions-465 [consulté le 01/03/2017].
58. http://www.elwatan.com/actualite/le-rpk-nouveau-mouvement-autonomiste-pour-la-
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59. https://www.kabyle.com/breves/manifeste-reconnaissance-constitutionnelle-dun-statut-
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60. http://www.elwatan.com/actualite/pour-nous-la-kabylie-fait-partie-de-l-algerie-et-doit-y-
rester-27-02-2017-340126_109.php [consulté le 01/03/2017].
61. http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-algerie-consacre-la-langue-berbere-apres-
une-longue-lutte_1761276.html
62. Voir le texte du quotidien Le Soir d’Algérie sur Ferhat : http://www.lesoirdalgerie.com/
articles/2015/07/01/print-16-180714.php ou sur Bouaziz Chebib du quotidien algérien Tout sur
l’Algérie (TSA) : http://www.tsa-algerie.com/20150420/entretien-avec-bouaziz-ait-chebib-
president-du-mak/ ou enfin un entretien avec Ferhat sur ses projets politiques dans le journal
Focus Algérie du 19 juillet 2015 : http://www.algerie-focus.com/blog/2015/07/independance-de-
la-kabylie-sa-nationalite-algerienne-et-evenement-de-ghardaiaferhat-mehenni-nous-dit-tout/
63. http://www.mondeberbere.com/rebonds/algeriefed.htm. L’auteur de cette proposition de
création d’un parti politique, le Rassemblement pour l’Algérie algérienne fédérale, est également
un vieux militant kabyle, R. Ali-Yahia : http://site.raaf.free.fr/.
64. http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/07/28/article.php?sid=181992&cid=2
65. http://www.elwatan.com/actualite/il-faut-reconnaitre-le-mouvement-pour-l-autonomie-de-
la-kabylie-18-11-2014-278167_109.php
66. http://www.elwatan.com/actualite/idir-defend-le-droit-de-ferhat-a-s-
exprimer-01-10-2013-229881_109.php
67. S. Haidar, « Culture : AD Gladium Ferhat. Parlons-en ! », Le Soir d’Algérie, 1 er juillet 2015.
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/07/01/print-16-180714.php; http://
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7/06/2015].
68. N. Boukrouh, « Une fausse nation », Le Soir d’Algérie, 9 juin 2016, [en ligne] URL : http://
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12/05/2016].
69. https://www.youtube.com/watch?v=zmua70BSJuE
70. S. Haidar, op. cit.
71. http://www.elwatan.com/actualite/le-probleme-fondamental-de-l-algerie-c-est-de-refonder-
la-nation-27-02-2017-340115_109.php [consulté le 2/03/2017].
72. http://lexalgeria.free.fr/politiq.htm
73. http://www.msnfcf.gov.dz/fr/public_file/document_1398811133.pdf
74. http://fr.africatime.com/maurice/articles/libye-les-autonomistes-de-lest-ne-reconnaissent-
pas-le-nouveau-premier-ministre ; voir également https://www.kabyle.com/articles/imazighen-
libye-voie-lautodetermination-22047-14082013 ou bien http://www.tabrat.info/?p=4865.
75. Cf. M.R. De Madariaga, España y el Rif. Crónica de una historia casi olvidada, Melilla, La biblioteca
de Melilla, tercera edición, 2008.
76. http://www.alhoceimaonline.com/online/index.php/video/videosport/299-le-mouvement-
de-lautonomie-du-rif-se-reunit-a-alhoceima. Le mouvement autonomiste du RIF revendique le
Rifain contre l’amazigh standard : http://www.siwel.info/Le-Mouvement-pour-l-autonomie-du-
RIF-appelle-a-la-sauvegarde-de-la-langue-rifaine-et-a-ne-pas-succomber-au-slogan-
de_a7321.html.
77. http://telquel.ma/2017/05/29/nasser-zefzafi-arrete-pour-atteinte-a-la-securite-interieure-
de-letat_1548409
112
AUTEUR
MOHAND TILMATINE
Professeur à l’université de Cadix (Espagne) dans la spécialité « Études berbères ». Il dirige
également depuis 2000 le groupe de recherche HUM 685 Langues et sociétés arabes et berbères (
http://www.uca.es/grupos-inv/HUM683/). Ses axes de recherche en sciences humaines et
sociales couvrent la question des minorités et des revendications identitaires berbères en Afrique
du Nord et dans la diaspora en Europe.
113
Didier Le Saout
Pressions et revendications
10 La revendication amazighe gagne en Algérie une visibilité par la charge symbolique que
produisent les manifestations de mars et avril 1980 connues sous le nom de « Printemps
berbère12 ». L’interdiction de la conférence sur la poésie kabyle ancienne que devait
donner Mouloud Mammeri le 10 mars 1980 à l’université de Tizi-Ouzou donne lieu à un
fort mouvement de protestation. La ville de Tizi-Ouzou devient le théâtre du premier
mouvement protestataire d’ampleur contre l’arbitraire de l’Etat en Algérie depuis
l’indépendance. La revendication sort de la clandestinité et des comités étudiants qui
s’activaient au sein de l’arène universitaire. La date du 20 avril 1980 génère un référentiel
symbolique dont useront les groupes militants aux côtés d’autres initiatives telles la
célébration de Yennayer, le nouvel an amazigh, ou les hommages rendus à des
personnalités de la culture amazighe comme Si Mohand Ou M’hand, Taos Amrouche,
Mouloud Mammeri ou Matoub Lounes13. Cette date devient chaque année l’occasion de
commémorations par les militants non seulement en Algérie mais aussi en Afrique du
Nord et dans l’émigration. Son aspect protestataire donne à la revendication culturelle un
contenu éminemment politique et critique de l’Etat algérien. Forts de ces symboles, les
militants s’organisent principalement autour de l’université de Tizi-Ouzou et au sein
d’une multitude de collectifs culturels en Kabylie et à Alger. Mais en aucun cas ces
événements n’ouvrent la voie à une institutionnalisation de la demande de
reconnaissance de l’amazighité.
11 La répression que subissent les militants contribue à la politisation de leur engagement.
Ce phénomène est d’autant plus fort que les différentes lois sur les associations qui se
succèdent restent défavorables à la reconnaissance d’associations qui œuvrent à la
promotion de l’amazighité. Les demandes d’agrément faites en 1981 par les responsables
de l’Association Amugas par Mouloud Mammeri et Mohamed Ben Hamadouche, dit Ben
Mohamed, à Alger et Tiwizi à Tizi-Ouzou resteront sans réponse 14. Aucune association de
défense de l’amazighité n’est agréée avant 1988. L’article 4 de la loi du 21 juillet 1987 15
dispose « qu’est interdite et considérée nulle de plein droit toute association dont la
mission est : contraire au système institutionnel établi ; de nature à porter atteinte à
l’intégrité du territoire national, à l’unité nationale, à la religion d’État, à la langue
nationale et aux choix fondamentaux ». Seules trois associations sont créées dans le cadre
de cette loi, Timlilit, Idles à Tizi-Ouzou et l’Association des sites historiques et
archéologiques de Tizi-Ouzou16. Les autres groupes militants qui agissent au nom de
l’amazighité gardent un aspect informel qui les affranchit de tout rapport institutionnel.
12 Au Maroc, le mouvement associatif qui s’organise à partir des années 60 autour de la
valorisation de la « culture populaire » – dans laquelle il inclut l’amazighité – exprime
quant à lui un objectif à la fois moral et stratégique par lequel les demandes de
reconnaissance et d’institutionnalisation sont mêlées. A l’instar des orientations prises
par l’AMREC fondée le 10 novembre 1967, la stratégie menée par les promoteurs de
l’amazighité au Maroc, dont les rangs grossissent, est graduelle. Les nouveaux militants
acquis à la cause amazighe se saisissent des rares espaces d’expression que le régime de
Hassan II consent. Se forment des groupements qui adoptent le statut d’association
reconnu dans les institutions. Les militants de la région du Souss déploient une stratégie
de pression sur les institutions locales en créant, en octobre 1979, l’Association de
l’université d’été d’Agadir (AUEA) et organisent en 1980 le premier événement qui
118
besoin ressenti par les militants de mise en cohérence de l’action des associations
amazighes dont le nombre ne cesse de croître chaque mois afin de leur permettre de
devenir un interlocuteur de poids. En 1996, cette coordination enregistre un doublement
du nombre des associations adhérentes : 14 en janvier et 27 en décembre27. Structure
informelle, le CNC n’aura jamais de réalité juridique. Par ailleurs, l’idée de créer un parti
politique n’est portée que par des militants associatifs. Hassan Id Belkacem, qui avait déjà
posé la question au sein de l’organisation Tamaynut qu’il présidait, met sur pied une
commission préparatoire pour l’organisation du congrès constitutif du Parti
démocratique fédéraliste dans le courant de l’année 2007, un parti politique qui ne verra
jamais le jour.
18 Des individus et des groupes se saisissent des opportunités pour porter l’affirmation
identitaire amazighe dans un espace dont les contours sont déjà tracés par la politique
culturelle de l’Etat. L’amazighité s’introduit ainsi au Maroc dans les espaces d’ouverture
consentis par la monarchie dont la politique mêle tour à tour tolérance, interdiction et
répression. Il en est autrement en Algérie où la logique protestataire qui domine durant
cette période fragilise la demande d’institutionnalisation de l’amazighité.
protestataire pour devenir une thématique qui s’officialise dans un discours encadré par
la redéfinition de l’identité nationale légitimée par la Constitution de 1996.
24 Cette mise à distance de la référence au mouvement amazigh au profit d’une thématique
de l’amazighité dépolitisée s’observe également dans le fonctionnement du HCA qui ne
reste qu’un simple rouage administratif d’une politique amazighe dont les contours ne
sont pas fixés distinctement par l’Etat algérien. Signe de fragilité, ses organes délibérants
ne fonctionnent plus depuis 1998 du fait du non-renouvellement du mandat de trois ans
de ses membres36. Le poste de Haut Commissaire est vacant depuis le décès du premier
président, Mohand Idir Aït Amrane, le 31 octobre 2004. Seul un secrétaire général
coordonne la direction de l’administration générale et les directions d’études. L’activité
du HCA se maintient dans un fonctionnement routinier avec les moyens financiers limités
que l’Etat met à sa disposition.
l’amazighité dans le discours public. Une grande partie des associations amazighes ne s’en
tiennent pas à cette réponse institutionnelle à leur demande mais considèrent que la
protection constitutionnelle représente le moyen le plus à même de garantir la
reconnaissance de l’amazighité. Un responsable de l’AMREC, Ali Khadaoui, déclare en
2002 :
« (…) Seule cette protection est à même de garantir le recouvrement effectif des
droits de l’amazighité par une institutionnalisation et la mise en place de structures
juridiques incontournables garantissant le financement par l’Etat des projets
relatifs à l’enseignement, l’information, l’administration, la justice, les productions
littéraires et artistiques, etc. Ce n’est qu’ainsi que l’amazighité, intégrée dans toutes
les institutions nationales, pourra jouer pleinement son rôle dans le développement
tous azimuts souhaités par tous. Ce n’est qu’ainsi que “la hogra”, intériorisée, fera
place à la dignité retrouvée, moteur indispensable à la créativité 40. »
27 La mise en place de l’IRCAM est cependant conçue par la monarchie comme la première
étape de la politique culturelle de l’Etat marocain. L’institut est doté d’un conseil
d’administration dans lequel siègent des représentants d’associations de différentes
régions du Maroc aux côtés de représentants de ministères. Le Réseau amazigh pour la
citoyenneté (Azetta)41 refuse son intégration dans ce schéma. Il critique la fonction
consultative de cette nouvelle institution et demande la création d’une institution
indépendante. Des militants y voient la cooptation par le roi de certains d’entre eux pour
mettre en conformité l’action des associations amazighes avec la politique du Royaume42.
Cette distance marquée par ces militants est d’autant plus nette à l’égard de la politique
royale qu’en 2005 elle se développe sous une autre forme lorsque sept dirigeants
d’associations amazighes originaires du Moyen Atlas et du Rif démissionnent du Conseil
d’administration de l’IRCAM43. Ces militants, qui jugent insuffisante l’action menée par
cette institution pour la promotion de l’amazighité, offrent ainsi une première critique de
la politique de l’Etat formée depuis l’intérieur des institutions. A l’extérieur du champ des
réformes, des voix discordantes se font entendre44. Ahmed Adghrini crée le Parti
démocrate amazigh marocain (PDAM) en août 2005. Son existence légale, qui reposait sur
un simple procès-verbal établi par huissier de justice, est remise en cause par la Cour
administrative de Rabat. En avril 2008, cette dernière prononce la dissolution de la
nouvelle formation politique pour non-conformité à la loi régissant les partis politiques
qui proscrit la formation de toute organisation politique sur des critères ethniques ou
linguistiques. Le PDAM continue cependant à fonctionner de façon informelle, parvenant
à fédérer des militants dont une part non négligeable est originaire du Rif. En juin 2006, le
parti dissous adresse un mémorandum au roi exigeant une révision de la Constitution et
de son préambule afin d’inclure la reconnaissance de la langue et des droits culturels du
peuple amazigh. Qui plus est, la critique de l’intégration de l’amazighité dans une
politique d’Etat prend de l’ampleur dans les universités et dans le sud-est du Maroc 45. Les
militants – principalement des étudiants – organisés au sein du Mouvement culturel
amazigh (MCA) ainsi que dans des coordinations régionales informelles considèrent cette
nouvelle politique comme une trahison des combats menés dans l’histoire des Amazighs
contre toute oppression. Le renforcement de ce vaste mouvement dont les groupes
militants ne font pas l’objet d’une déclaration en tant qu’association conduit à la
radicalisation d’une frange du mouvement amazigh.
28 Ce clivage entre militants s’atténue en 2011 lorsqu’une protestation de fond traverse une
grande partie de l’Afrique du Nord et les pays voisins. L’émergence et l’organisation du
Mouvement du 20 février qui appelle à une démocratisation du régime marocain et
124
le 17 décembre 1996, une loi généralisant l’usage de la langue arabe à partir du 5 juillet
1998 et du 5 juillet 2000 pour l’enseignement supérieur53.
34 La vaste protestation qui s’ouvre en 2001 en Kabylie va permettre à l’Etat d’engager une
nouvelle étape dans l’institutionnalisation du tamazight. Le 18 avril 2001, des violences
commises par les gendarmes dans les locaux de la gendarmerie à Aït Douala sur un jeune,
Massinissa Guermah, qui décédera deux jours plus tard, et l’interpellation et le passage à
tabac de collégiens à Amizour avaient embrasé la Kabylie. On comptera plus de 120 morts.
Un mouvement de protestation se structure au sein de la Coordination des âarchs, daïras
et communes de la wilaya de Tizi-Ouzou (CADC) et de la Coordination intercommunale de
Bejaïa (CIB). Les représentants des wilayas de Sétif, Bordj Bou Arréridj, Bouira,
Boumerdès, Bejaïa, Tizi-Ouzou, Alger ainsi que le Comité collectif des universités d’Alger
adoptent la plateforme de revendication d’El-Kseur (du nom de la localité où elle a été
adoptée le 11 juin 2001). Dans son huitième point, il est demandé « la satisfaction de la
revendication amazighe dans toutes ses dimensions (identitaire, civilisationnelle,
linguistique et culturelle) sans référendum ni conditions, ainsi que la consécration du
tamazight en tant que langue nationale et officielle ».
35 Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, répond favorablement en 2002 à une
seule partie de cette demande. L’amazigh est reconnu par un amendement
constitutionnel comme langue nationale et non pas comme langue officielle. Le texte
constitutionnel se voit ainsi complété par l’article 3 bis qui dispose :
« Tamazight est également langue nationale. L’Etat œuvre à sa promotion et à son
développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire
national54. »
36 Les élus du FFS et du RCD boycottent le vote de la révision au Parlement. La protestation
ne fléchissant pas pour autant en Kabylie, le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, se
montre disposé en février 2004 à prendre en charge la production scientifique,
intellectuelle et artistique de l’amazighité dans l’accord-cadre présenté comme réponse
au mouvement de protestation qu’il signe avec des représentants du mouvement.
Cependant, plutôt que d’ouvrir une nouvelle étape pour l’institutionnalisation de
l’amazighité, cet accord a pour effet de diviser les protestataires entre militants
« dialoguistes » et militants « anti-dialoguistes »55. L’annonce d’une nouvelle réforme
reviendra telle une chimère le 19 juin 2007 lorsque le Conseil de gouvernement
examinera deux projets de décret présidentiel relatifs à l’amazighité. Le premier institue
l’Académie algérienne de langue amazighe (AALA). Le second prévoit la création du
Conseil supérieur de la langue amazighe (CSLA). Ces deux projets resteront lettre morte.
L’absence d’un mouvement contestataire en Algérie en 2011 conduira au statu quo dans la
gestion par l’Etat de l’amazighité. L’annulation de l’augmentation des prix des denrées
alimentaires, tout comme l’extension des subventions de l’Etat, les hausses de salaires du
secteur public, les programmes d’aide à la création d’emplois et d’activités avaient dès les
premières contestations contribué à calmer les demandes de la rue.
37 C’est donc dans un contexte social faible en contestations que l’amazigh est consacré
langue officielle en Algérie par la révision constitutionnelle de 2016. L’officialisation de la
langue amazighe entreprise en 2011 au Maroc conduit les gouvernants algériens à
développer leur propre politique. L’article 4 de la Constitution révisée dispose que
« Tamazight est également langue nationale et officielle », que « l’Etat œuvre à sa
promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le
territoire national » et qu’il « est créé une Académie algérienne de la langue amazighe,
127
placée près le président de la République » dont la mission est « (…) de réunir les
conditions de la promotion de Tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de
langue officielle ». L’article 3 de la Constitution disposait quant à lui que « l’Arabe est la
langue nationale et officielle », que « l’Arabe demeure la langue officielle de l’Etat » et
qu’il « est créé près le président de la République un Haut Conseil de la langue arabe ». En
fait, le retard pris dans la mise en place de l’Académie algérienne de la langue amazighe
annoncée depuis 2007 empêche la normalisation et la standardisation de l’amazigh,
mission que par ailleurs le Centre national pédagogique et linguistique de l’enseignement
de tamazight (CNPLET) dirigé par Abderezzak Dourari n’est pas habilité à conduire. La
qualification de l’Académie de la langue amazighe comme « algérienne » laisse en effet
présager que le kabyle, le chaoui, le tergui ne seront pas considérés comme des langues
concernées par l’officialisation.
constitutionnelles, les critiques qui visent la méthode et le fond développées par les
associations amazighes se concentrent dans les limites de la politique culturelle tracées
par la monarchie. Une « proposition de projet de loi organique pour la
constitutionnalisation de la langue amazighe » élaborée par le Réseau amazigh pour la
citoyenneté60, appuyée par la Fédération nationale des associations amazighes (FNAA)61
dirigée par Ahmed Arehmouch, est rendue publique en 2012. Un manifeste appelle à
rendre effective l’officialisation de l’amazigh62 conformément à l’article 5 de la
Constitution du 1er juillet 2011 et au discours prononcé par Mohammed VI en octobre
2012 à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire63.
41 Du point de vue des associations amazighes, il importe au gouvernement d’accélérer la
mise en place de la réforme, de les écouter en rejetant les méthodes du type de celles
employées par Abdelilah Benkirane qui, en guise de débat citoyen, s’était contenté en
janvier 2016 d’installer sur Internet un compte de messagerie pour permettre à chacun de
donner son avis et de faire des propositions sur cette question à l’aide d’une simple
adresse mail plutôt que de mettre en place une commission. Les points de critique et mots
d’ordre diffusés par les associations amazighes épargnent ainsi la politique royale pour se
concentrer sur le gouvernement sommé de procéder à la mise en œuvre de
l’officialisation. La publication en 2016 des deux projets de loi organique concernant
l’amazighité permet aux associations amazighes de focaliser le débat sur le contenu des
réformes. Le Réseau amazigh pour la citoyenneté présente à Rabat en avril 2017 un
mémorandum afin de « combler les lacunes » qui affaibliraient les projets de loi
organique. Plutôt que de porter un contre-projet alternatif, le Réseau amazigh
revendique ainsi la position d’un acteur influent à même de faire progresser
qualitativement la réforme dans les institutions. Plus largement, les associations
amazighes admises dans le cercle de discussion sont ainsi élevées au rang d’acteurs de la
politique culturelle royale et reconnues comme des interlocutrices privilégiées du
gouvernement et de la Commission de révision de la Constitution. En ce sens, la venue en
discussion au parlement en 2017 du projet de loi organique qui fixe les étapes de la mise
en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, soit six ans après l’adoption de la
nouvelle constitution, atteste de la soumission de l’action associative au rythme de l’Etat.
42 En dehors de ces grands réseaux associatifs, les autres associations amazighes ne peuvent
impulser une pression pour critiquer les réformes en cours. Alors que jusque-là l’action
associative s’intégrait dans une stratégie de lobby pour porter la revendication amazighe,
des militants et sympathisants élargissent le répertoire d’action collective au-delà de la
préparation de plaidoyers en initiant des marches (« Tawada »), formes de manifestations
non autorisées organisées le plus souvent pour célébrer l’anniversaire du Printemps
berbère qui avait mobilisé la Kabylie en avril 1980 en Algérie. Le 22 avril 2012, une marche
initiée par des militants amazighs se déroule à Casablanca. En février 2013, ces mêmes
marches sont interdites à Agadir, Inezgane, El Hoceima et Nador. La marche qui se tient à
Agadir le 19 avril 2015, qui est à nouveau interdite comme elle l’avait été en 2013, se solde
par l’intervention des forces de l’ordre qui procèdent à des arrestations. Exposés au
quadrillage policier, les militants amazighs, dont une partie est membre des divers
réseaux associatifs, ne parviennent pas à faire de la rue un moyen pour accentuer la
pression sur les autorités.
43 En Algérie, les mouvements sociaux qui avaient secoué la Kabylie, en 1980, 1994 et entre
2001 et 2005, avaient permis d’engager l’institutionnalisation de l’amazighité suivant un
rythme saccadé. En 2016, la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle n’est
129
Conclusion
44 Les mouvements associatifs amazighs au Maroc et en Algérie incarnent ainsi deux voies
singulières de la défense et de la promotion de l’amazighité. Intégrées au Maroc dans la
politique culturelle royale, les associations amazighes sont confrontées au fait de devoir
imaginer de nouvelles visions de l’amazighité pour renouveler leur programme comme
avaient su le faire au début des années 60 les premiers regroupements militants. Divisé en
Algérie et composé d’associations dispersées du fait d’un manque de stratégie, le
mouvement amazigh est placé devant la tâche continuelle de se ressourcer dans des
protestations. Les prochaines étapes qui attendent le mouvement associatif pourraient
être alors d’autant plus difficiles à franchir que le mouvement amazigh est soumis au
Maroc aux enjeux de l’institutionnalisation dont les effets pourraient l’affaiblir
durablement, voire l’absorber. Exposés en Algérie à une dépendance à la critique sociale
et politique, les militants amazighs pourraient se priver d’un travail sur les institutions,
ce qui les empêcherait de disposer d’un moyen de peser sur l’orientation culturelle de la
société pour la changer. Le mouvement amazigh est alors confronté au dilemme de la
logique contestataire et de la logique consensuelle.
130
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2015, p. 441-462.
NOTES
1. A. Touraine, La Voix et le regard, Paris, Editions du Seuil, 1978, p. 45.
2. L. Mathieu, « Quand la sociologie de l’action collective rencontre les identités. Etat des lieux et
perspectives », dans L’Action collective face à l’imbrication des mouvements sociaux : classe, ethnicité,
genre, sous la dir. de L. Arnaud et al., Paris, l’Harmattan, 2009, p. 28.
3. A. Touraine, Le Pays contre l’Etat, Paris, Editions du Seuil, 1981.
4. Dahir n° 1-58-376 du 3 joumada 1378 (15 novembre 1958) réglementant le droit d’association.
5. G. Kratochwill, Die Berberbewegung in Marokko. Zur Geschichte der Konstruktion einer ethnischen
Identität (1912-1997), Berlin, Klaus Schwarz Verlag, 2002, p. 291-292.
132
6. Ahmed Boukous deviendra en novembre 2003 recteur de l’Institut royal de la culture amazighe
(IRCAM).
7. A. Boukous, « Le champ culturel au Maroc : de quelques contradictions », L’interculturel au
Maroc : arts, langues, littératures et traditions populaires, Rabat, Afrique-Orient, 1994, p. 84-85.
8. Mohamed Ali Sedki Azeyko représente la figure intellectuelle militante de la revendication
amazighe. Il décédera le 22 septembre 2004 à l’âge de 62 ans. Abdelhammid Zemmouri a été
gouverneur à Casablanca et à Rabat et ministre du Commerce et de l’Industrie, signataire du
« Manifeste de l’Indépendance du 11 janvier 1944 ». Mohamed Chafik quant à lui avait été nommé
en 1970 sous-secrétaire d’Etat à l’Enseignement secondaire, technique, supérieur, secrétaire
d’Etat auprès du Premier ministre, chargé de mission au Cabinet royal de 1972 à 1976, puis
directeur du Collège royal en 1976. Sur l’itinéraire de M. Chafik, voir : L. Bouyaakoubi, Mohamed
Chafik, l’homme de l’unanimité : parcours d’une figure emblématique de la revendication amazighe au
Maroc, Casablanca, Tamaynut-Anfa, 2009, p. 54. En 2001, Mohammed VI le nomme recteur de
l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), poste qu’il occupera jusqu’en novembre 2003.
9. A. Izarouken, « Le mouvement associatif en Algérie : état des lieux, état des savoirs », dans
Algérie 50 ans après : état des savoirs en sciences sociales et humaines, 1954-2004, Actes du symposium
d’Oran, 20-21-22 septembre 2004, Oran, Editions CRASC, 2008, p. 284.
10. M. Kourdache, Mouvement associatif et reconstruction identitaire en Kabylie, Mémoire de Magister
sous la direction de S. Chaker, Université A. Mira, Département de langue et culture amazighes,
année 2000-2001, Béjaïa, 2001, p. 59.
11. De ce point de vue, la première association amazighe créée en France le 11 mars 1954,
l’Association pour le développement de la langue berbère, dite Tiwizi i tmaziɣt, qui regroupe
intellectuels et ouvriers, tous anciens militants du Parti du peuple algérien – Mouvement pour le
triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) – n’atteindra pas le niveau d’influence de
l’Académie berbère. Prolongeant le débat qui suit la crise survenue en 1949 dans le PPA-MTLD
autour de la question identitaire, cette association était apparue à un moment où la prise de
conscience était embryonnaire. Sur la crise au sein du PPA-MTLD et sur l’association Tiwizi i
tmaziɣt, voir les présentations de R. Redjala, « Le long chemin de la revendication culturelle
berbère », Hommes et migrations, n° 1179, septembre, 1994, p. 25-31.
12. Sur les points de vue des acteurs, voir A. Aït Larbi, coord., Avril 80 : insurgés et officiels du
pouvoir racontent le « Printemps berbère », Alger, Editions Koukou, 2010.
13. L’œuvre de ces quatre personnalités nées en Kabylie exprime sous toutes ses formes la
revendication de la culture amazighe comme une culture savante et non plus dominée. Si
Mohand Ou M’hand (1843-1905) est considéré comme le poète de l’errance, de la révolte, ainsi
que de l’amour. Taos Amrouche (1913-1976) est une artiste kabyle, écrivain d’expression
française et interprète de chants traditionnels berbères. Mouloud Mammeri (1917-1989) est
écrivain, anthropologue et linguiste kabyle. Lounès Matoub (1956-1998) – communément appelé
Matoub Lounès – est chanteur, musicien et auteur-compositeur-interprète.
14. M. Kourdache, Mouvement associatif et reconstruction identitaire en Kabylie, p. 87.
15. Loi 87-15 du 21 juillet 1987, 25 dhou el kaada 1407, relative aux associations. Pour autoriser
l’établissement d’associations culturelles, sportives, artistiques ou religieuses, cette loi supprime
le triple agrément qui était requis par le ministère de tutelle, le ministère de l’Intérieur et le
représentant de celui-ci à l’échelon local, jusque-là exigé par l’ordonnance du 3 décembre 1971,
modifiée par celle du 7 juin 1972. Ces textes constituaient de véritables obstacles à la constitution
d’associations.
16. M. Kourdache, op. cit., p. 88.
17. Les militants de l’AMREC étaient très actifs au sein de l’AUEA. La première session a été
organisée en 1980 autour du slogan « La culture populaire : l’unité dans la diversité ». La
troisième édition se tiendra en 1988 autour du slogan « La culture populaire : spécificités locales
et dimensions nationales ». La deuxième édition a, quant à elle, été interdite.
133
18. La Charte d’Agadir sera tout d’abord signée par les représentants de six associations
culturelles : Brahim Akhiyat au nom de l’Association marocaine pour la recherche et l’échange
culturel (AMREC), Lahcen Gahmou au nom de l’Association de l’université d’été d’Agadir (AUEA),
Lahoucine Akhiyat au nom de l’Association nouvelle pour la culture et les arts populaires (Ancap,
qui deviendra Tamaynut), Mohamed Chami au nom de l’association Ilmas, Ali Harcheras au nom
de l’association culturelle Ghris (devenue association socio-culturelle Tilelli) et Hamza Abdellah
Kacem au nom de l’Association culturelle Souss.
19. M.B. Salhi, Algérie : citoyenneté et identité, Tizi-Ouzou, Editions Achab, 2010, p. 279.
20. M. Kourdache, op. cit., p. 87.
21. Ibid., p. 89.
22. Loi 89-107 du 27 juin 1989 sur les associations à caractère politique.
23. S. Sadi, Algérie : l’heure de vérité, Paris, Flammarion, 1996, p. 133.
24. Loi n° 89-11 du 5 juillet 1989 relative aux associations à caractère politique.
25. M. Kourdache, op. cit., p. 236.
26. A. Guenoun, Chronologie du mouvement berbère : un combat et des hommes, Alger, Casbah éditions,
1999, p. 82.
27. Voir Amezday, n° 1 et n° 7. Organe du CNC, le journal Amezday paraît irrégulièrement. Ahmed
Adghrini en est le directeur de publication.
28. M.S. Aït Ahmed, « Le berbérisme : de l’unité du mouvement culturel aux divisions
politiques », Hérodote, 77, 1995, p. 88.
29. A. Mohellebi, Les Enfants du boycott, Alger, Imprimerie l’Artisan, 1998.
30. Voir à ce propos M. Tilmatine, « Berbère/Amazigh ou Kabyle ? Evolution et fluctuation d’une
dénomination en contexte d’idéologies dominantes », Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi
(Studi Africanistici), nº 4, 2015, p. 387-414.
31. Voir le tract du MCB-Coordination nationale : « Négociations entre le MCB et la Présidence de
l’Etat : accord du 22 avril 1995 ».
32. S. Sadi, Le RCD à cœur ouvert : entretiens par Mohamed Habili, Alger, Editions Parenthèses, 1990,
p. 156.
33. Sa véritable dénomination est « Haut-Commissariat chargé de la réhabilitation de
l’Amazighité et de la promotion de la langue amazighe ». Voir le décret présidentiel n° 95-147 du
27 dhou el hidja 1415 correspondant au 27 mai 1995, portant création du Haut-Commissariat
chargé de la réhabilitation de l’amazighité et de la promotion de la langue amazighe.
34. M. Kourdache, op. cit.
35. Responsabilité qu’il assumera également pour les élections présidentielles de 2009 et 2014. En
juillet 2015, il est nommé ministre de la Jeunesse et des Sports, portefeuille qu’il garde dans le
gouvernement mis en place après la nomination au poste de Premier ministre d’Abdelmadjid
Tebboune le 25 mai 2017.
36. Le Conseil plénier d’orientation et de suivi (CPOS), le Comité intersectoriel de coordination
(CIC) et le Conseil pédagogique scientifique et culturel (CPSC), les trois organes principaux, ont
cessé de fonctionner suite au non-renouvellement du mandat de leurs membres à partir de juin
1998. Cf. M. Oulhadj Laceb, « Le cheminement de la revendication amazighe : 15 années
d’expérience officielle de la réhabilitation de l’amazighité en Algérie », dans Les Berbères : les défis
de l’amazighité aujourd’hui, sous la dir. de T. Yacine et al., Barcelone, Paris, Institut européen de la
Méditerranée, Publisud, 2010.
37. Cette lettre des représentants d’associations de différentes régions du Maroc, signée par
Brahim Akhiate, Hassan Id Belkacem, Mohamed Chami, Abdelmalek Ousadden, Ahmed Dghrini,
est reproduite dans une brochure de l’AMREC. Voir l’Association marocaine pour la recherche et
l’échange culturels (AMREC), « Lettre adressé au Cabinet royal au sujet de la révision. Rabat, 5
safar 1417, 22 juin 1996 », Pour la reconnaissance constitutionnelle de l’amazighité : analyses, opinions et
documents, Rabat, AMREC, 2002, p. 16-18.
134
56. La Chambre des représentants adoptera en juin 2015 le projet de loi organique n° 32.15
modifiant et complétant la loi organique n° 28.11 relative à la Chambre des conseillers.
57. N. Bernoussi, « La Constitution de 2011 et le juge constitutionnel », dans La Constitution
marocaine de 2011 : analyses et commentaires, Centre d’études internationales (CEI), Paris, LGDJ,
Lextenso éditions, 2012, p. 207-227.
58. Abdellatif Menouni est nommé par Mohammed VI à la présidence de la Commission
consultative de révision de la Constitution (CCRC) le 9 mars 2011. Après l’adoption de la
Constitution, le roi le nommera Conseiller royal le 3 août 2011.
59. Organisation Tamaynut, Note portant sur le caractère officiel de l’amazigh, sans date, [en ligne]
URL : http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CESCR/Shared%20Documents/MAR/
INT_CESCR_CSS_MAR_21328_E.pdf [consulté le 10/07/2017].
60. « Proposition de projet de loi organique relative aux étapes d’officialisation de la langue
amazighe et aux modalités de son intégration dans l’enseignement et les secteurs prioritaires de
la vie publique », proposition de projet de loi organique pour la constitutionnalisation de la
langue amazighe élaborée par le Réseau amazigh pour la citoyenneté, décembre 2012.
61. La FNAA a été créée à Rabat le 9 novembre 2013 lors de la réunion convoquée sous l’impulsion
de responsables du Réseau amazigh pour la citoyenneté (Azetta) qui a rassemblé une centaine
d’associations amazighes. La Coordination nationale amazighe (CNA) a également été constituée
lors d’une réunion tenue en novembre 2013 à Meknès regroupant 58 associations amazighes.
62. Voir également le Mémorandum du Réseau amazigh pour la citoyenneté, « Le Conseil
national des langues et de la culture marocaine », septembre 2014.
63. Mohammed VI évoque expressément l’amazighité dans son discours devant le parlement :
« Pour ce qui est de l’expression de notre identité, ouverte et plurielle, Nous en avons déjà posé
les bases dans Notre Discours historique d’Ajdir, et la nouvelle Constitution est venue la graver
dans l’irréversibilité. A cet égard, il vous appartient d’adopter les lois organiques relatives à
l’opérationnalisation du Conseil national des langues et de la culture marocaine et à
l’officialisation effective de la langue amazighe, loin de tout a priori et de tout calcul étroit. » Cf.
Texte intégral du discours de SM le Roi devant les deux chambres du parlement, 12 octobre 2012,
[en ligne] URL : http://www.chambredesrepresentants.ma/fr/discours-royaux/texte-integral-
du-discours-de-sm-le-roi-devant-les-deux-chambres-du-parlement [consulté le 11/07/2017].
AUTEUR
DIDIER LE SAOUT
Maître de conférences au département « Relations euro-méditerranéennes – Monde maghrébin »
de l’université Paris 8 (France). Sociologue du politique, il est spécialiste des mouvements sociaux
en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et en particulier des mouvements identitaires
amazighs et kurdes.
136
NOTE DE L’ÉDITEUR
Article traduit de l’anglais.
min al-makhzen (peur des autorités). Pourtant, il est très difficile de qualifier le
mouvement amazigh au Maroc de mouvement de masse, du moins si l’on considère le
nombre de personnes qui peut être mobilisé dans le cadre de manifestations publiques.
C’est encore plus vrai lorsque l’on parle d’un engagement durable10.
9 A titre de comparaison, l’actuel mouvement amazigh marocain n’a jamais généré de
mouvements contestataires aussi suivis par les masses ni joui d’une capacité
d’organisation d’une aussi grande envergure que celle qui s’est manifestée lors des deux
épisodes désormais emblématiques des Amazighs de Kabylie en Algérie – le « Printemps
berbère » de 1980 et le « Printemps noir » de 200111.
10 Etant donné l’état d’abandon dans lequel se trouvent la plupart des régions amazighes de
la périphérie du Maroc, on pourrait s’attendre à ce qu’elles soient un terrain
naturellement propice au recrutement et à la mobilisation politique. Cependant, le
makhzen marocain a poursuivi depuis toujours et souvent avec succès une stratégie basée
sur la cooptation et la répression, qui a empêché ses adversaires potentiels de construire
une base sociale conséquente sur le long terme. Un des partis les plus anciens du pays, le
Mouvement populaire, est un fidèle parmi les fidèles de la monarchie. Les liens avec le
Palais royal lui ont permis de bénéficier des largesses du Roi et de développer des
relations de patronage et de clientélisme afin d’obtenir l’appui de la base électorale
amazighe, principalement dans la région du Moyen Atlas12. Il y a toujours eu une certaine
déconnexion entre les associations culturelles amazighes en milieu urbain pilotées par
des intellectuels et des professionnels et la population amazighe de l’intérieur du pays.
Cela a créé une brèche entre les deux milieux qui érode considérablement la capacité de
mobilisation du mouvement. En effet, les premières tiennent un discours qui se focalise
sur les demandes socio-culturelles, tandis que les populations rurales, elles, se
concentrent majoritairement sur les problèmes de santé, économiques,
environnementaux et d’équipements auxquels sont confrontés les villages, les villes des
montagnes et les vallées de l’arrière-pays. Les militants du Mouvement du 20 Février
(dont certains étaient Amazighs) ont été confrontés au même type de problème au cours
des mois de février et mars 2011. En effet, leurs efforts n’ont produit que de maigres
résultats pour rallier les populations rurales à leur cause, car ces dernières ne voyaient
pas en quoi le mouvement serait capable de promouvoir leurs intérêts13. Cela ne veut pas
dire que les associations urbaines amazighes ne connaissent pas les problèmes qui
touchent les populations rurales ou qu’elles s’en désintéressent, mais plutôt que les
difficultés à mobiliser les populations des régions reculées qui doivent déjà lutter pour
assurer leur survie constituent un frein important qui finit par les décourager. Il ne faut
pas non plus exclure la prévalence des identités des communautés locales qui se
maintiennent au détriment d’une identification plus large avec l'amazighité.
11 En même temps, même s’il y a toujours de fortes inégalités et insuffisances, les régions
périphériques sont de plus en plus interconnectées avec les régions environnantes et le
reste du pays grâce à la pénétration infrastructurelle de l’État. Plus récemment, l’accès
aux réseaux sociaux permet aussi d’accroître et de développer les possibilités d’action
collective des mouvements sociaux, dont évidemment le courant amazigh. La sociologie
des mouvements sociaux et des crises politiques a montré que les soulèvements politiques
des groupes défavorisés se produisent souvent après une période d’amélioration de leur
condition. Ce faisant, bien que cela soit le cas au Maroc, il serait hasardeux d’avancer que
les conditions sont réunies pour une mobilisation à grande échelle pour faire valoir les
revendications socio-économiques des régions périphériques, et ce, même si la
140
Anfgou et Imider
12 À partir de cette présentation générale du contexte, on peut analyser comment les
problèmes d’insécurité humaine présents dans la majeure partie de la périphérie
amazighe du Maroc sont abordés dans des cas spécifiques telles les manifestations
concernant la mine d’argent d’Imider dans le sud-est du pays et comment ceux-ci sont
reliés aux défis plus larges auxquels est confronté le mouvement amazigh.
13 Certains de ces cas de mécontentement collectif évoquent des revendications récurrentes
de longue date concernant la terre et les ressources, qui sont à leur tour reprises par le
mouvement culturel amazigh pour retrouver et pérenniser l’histoire rurale et tribale. Par
exemple, la confiscation par les autorités marocaines des terres appartenant aux tribus
zayanes dans la région de Khénifra a été comparée à des actions similaires menées par les
autorités du Protectorat français lorsqu’elles avaient saisi les terres collectives et les
avaient octroyées à certains dirigeants locaux, provoquant des effets négatifs
considérables sur la vie économique, sociale et culturelle. Vu que l’Etat ne reconnaît pas
la loi coutumière et considère les terres des tribus comme les siennes, il utilise les dahirs,
des édits signés par le Roi qui ont valeur contraignante, afin d’exproprier les territoires
en litige14. Les étudiants militants de la région mettent l’accent sur le droit des
populations locales à jouir des ressources naturelles des régions où elles vivent – par
exemple, les mines, l’eau et les forêts. Ils demandent au gouvernement marocain de
promouvoir la décentralisation et la régionalisation administratives et d’intégrer la
population locale dans les processus de prise de décision. Leurs discours militants
insistent également sur la nécessité de dédommager de manière appropriée les anciens
combattants qui ont lutté contre l’instauration du Protectorat français et qui sont
toujours en vie. Ils exigent aussi la réhabilitation et la restauration des kasbahs et des
palais qui constituent un réel symbole de l’histoire et de la culture amazighes, mais dont
la plupart sont à l’état de ruine.
14 Un événement particulièrement choquant s’est produit durant l’hiver 2007, lorsqu’une
trentaine d’enfants ont perdu la vie en seulement quelques jours à la suite d’une maladie
aggravée par les basses températures et par l’absence de soins médicaux de base, dans le
village d’Anfgou situé dans les montagnes du Haut Atlas oriental. Grâce aux efforts des
activistes amazighes, l’histoire est rapidement devenue virale sur les sites Web et dans les
médias sociaux mettant en lumière l’isolement et l’extrême pauvreté du village15.
L’hôpital le plus proche était à plus de soixante-dix kilomètres du village, et celui-ci
n’était accessible que par un chemin rocailleux, le long d’un fleuve qui débordait souvent
de son lit durant l’hiver. Qui plus est, le village n’était connecté ni au réseau électrique, ni
au réseau téléphonique, ni au réseau d’eau potable. Le scandale se propagea jusqu’au
palais royal, et des mesures furent prises afin d’améliorer la situation. Après deux visites
du roi en personne, des projets d’équipement ont considérablement amélioré la vie des
1 700 villageois, même si ceux-ci restent profondément appauvris et dépendants de l’aide
extérieure pour survivre16. Des militants amazighs, tels le journaliste Mouha Moukhlis et
l’écrivain Lhoussain Azergui, ont articulé un discours de combat contre le gouvernement
et les Arabes. Pour eux, Anfgou et les villages alentours constituent le symbole de la
négligence délibérée des autorités arabo-islamiques, y compris des membres du
141
parlement qui « ont lu la Fatiha après la mort de Saddam Hussein mais n’ont pas été
capables de le faire après la tragédie d’Anfgou ». Ces critiques visent aussi « les amazighs
citadinisés » qui regardent TV5, ARTE ou Al Jazira17 ».
15 Ces dernières années, la manifestation de protestation la plus longue contre les autorités
vise la très rentable mine d’argent exploitée dans les environs d’Imider, une commune
qui regroupe sept localités peuplées en tout de 7 000 personnes et situées à 130 kilomètres
au nord-est de la ville de Ouarzazate dans la province du même nom. La mine appartient à
une filiale de Managem, la branche minière de la Société nationale d’investissements
(SNI), une gigantesque société de portefeuilles dont la famille royale est le plus gros
actionnaire18. Fondée en 1969, la mine produit 240 tonnes d’argent par an, et son chiffre
d’affaire s’élevait à 74 millions d’euros en 2010, un montant qui en fait l’une des plus
importantes mines d’argent en Afrique. « Pour les villageois, la mine est le symbole de la
façon dont les autorités centrales et leurs alliés, les notables locaux, extraient les énormes
richesses que contiennent les terres qu’ils ont traditionnellement occupées pour l’élevage
et l’agriculture. Ces derniers leur enlèvent le sol qu’ils ont toujours foulé sous leurs pieds,
ne leur laissant que des miettes à se partager pour mener une vie de misère. Le sous-sol
est d’autant plus sollicité que le fonctionnement de la mine nécessite d’énormes quantités
d’eau. Au cours de l’été 2011, le pompage des eaux souterraines dans la mine pour
extraire l’argent a commencé à concurrencer l’eau consacrée à la consommation de la
population locale. L’assèchement des sources d’eau potable s’est avéré une menace réelle
à l’approche du ramadan quand la quantité d’eau tirée des robinets a commencé à
diminuer et à dégager une odeur de plus en plus nauséabonde. Les sentiments
d’amertume et de discrimination ont fini par mobiliser la jeunesse du village. Celle-ci
était déjà remontée par la suppression des emplois traditionnels à la mine qu’occupaient
les étudiants une fois rentrés chez eux à la fin de l’année scolaire. Les jeunes ont décidé
d’agir en grimpant les 1 400 mètres du mont Alban, là où se trouve le château d’eau
approvisionnant la mine. Ils y établirent ce qui est devenu par la suite un campement
permanent et prirent le contrôle d’une des pompes à eau utilisées par la mine en la
fermant, afin de rediriger l’eau vers le village.
16 Quatre ans plus tard, ils sont toujours sur place, regroupés sous la bannière de ce qu’ils
appellent le « Mouvement sur la voie de 96 : Imider19 ». Ils ont réussi à mobiliser un
nombre suffisant d’habitants pour entretenir le campement et organisent régulièrement
des marches le long des routes aux alentours. Les tentes ont été remplacées par des
bâtiments en pierre gaiement décorés par des graffitis et des inscriptions s’inspirant de
personnalités comme le pasteur Martin Luther King ou encore Mère Teresa20. Parmi leurs
activités branchées sur le temps mondial, il y eut une marche sur les routes adjacentes à
Imider organisée par quelques centaines de femmes à l’occasion de la Journée
internationale de la femme. Les militants ont également relié leur lutte aux problèmes
globaux concernant l’environnement, en mettant en avant l’impact de l’utilisation
généralisée de substances toxiques pour le fonctionnement de la mine telles que le
mercure et le cyanure. Selon les villageois, les dommages causés sur leur santé, les
cultures agricoles et le bétail sont immenses. Paradoxalement, les villageois veulent à la
fois les emplois que la mine procure et un changement dans son fonctionnement afin de
les protéger contre ses effets nocifs.
17 Ils ont réussi à attirer l’attention à travers un long article paru dans le New York Times
accompagné d’une représentation du drapeau Amazigh flottant sur une colline21. En
analysant la façon dont le mouvement est organisé, on observe que les militants voient
142
leur amazighité comme faisant partie intégrante de leur identité et comme un instrument
permettant de mobiliser des soutiens, tout en maintenant une identité marocaine
englobante.
18 Une plus petite manifestation, similaire, avait déjà eu lieu en 1996. Selon le site Web des
contestataires actuels, les autorités l’écrasèrent, entraînant de nombreux blessés,
l’arrestation de 23 personnes – dont deux femmes – et la torture de six personnes dont
une mourra dans les jours suivant sa libération22. Aujourd’hui, les méthodes utilisées par
le « nouveau » Maroc de Mohammed VI pour maintenir l’ordre sont un peu plus
sophistiquées, même si le makhzen peut toujours avoir la main lourde. Les forces de
sécurité ont suivi les manifestations et ont tenté d’éviter que des personnes étrangères au
mouvement ne le rejoignent. Trente manifestants ont été emprisonnés durant plusieurs
mois. Trois autres activistes ont été brutalement arrêtés en mars 2014, sous le chef
d’accusation d’appartenance à une « organisation criminelle », « détournement de
fonds », « réunions sans autorisation », « trouble de l’ordre public » et « agression
préméditée ». Ils ont été reconnus coupables de trouble à l’ordre public et condamnés à
trois ans d’emprisonnement et 60 000 dirhams d’amende chacun ; cette condamnation a
été confirmée quelques mois plus tard par la cour d’appel. Leur libération fait aujourd’hui
partie des objectifs des luttes menées par le mouvement23.
19 Parallèlement aux arrestations de militants et à la présence sécuritaire renforcée dans la
région, chaque année depuis le début du conflit les exploitants de la mine mènent des
négociations avec les élus qui représentent la commune rurale d’Imider et avec un certain
nombre d’associations. Ils ont pu conclure ainsi ce que la direction considère comme un
accord promouvant le développement humain dans la région, avec notamment
l’ouverture de colonies de vacances, des programmes de soutien scolaire pour 720 enfants
et l’octroi de 2 000 kits scolaires pour les étudiants. « Pour nous la page est tournée » a
déclaré un représentant de l’entreprise. Selon un porte-parole de cette dernière, celle-ci
dépense 1 million de dollars par an dans des projets de développement de la région. Mais
les militants quant à eux affirment que rien n’a vraiment changé. L’entreprise a
également effectué de lourdes dépenses afin de revaloriser son image dans les médias
marocains et européens. Elle a été jusqu’à sponsoriser le deuxième Forum mondial des
droits de l’homme qui s’est tenu à Marrakech fin novembre 2014.
20 En partant de la sociologie des mouvements sociaux24 – qui met généralement en exergue
trois outils théoriques : les grievance (griefs), les opportunités politiques, la mobilisation
des ressources –, dans le cas d’Imider on peut facilement repérer les griefs qui ont
déclenché les manifestations ; on peut également constater un accroissement des
opportunités permettant l’expression des revendications politiques durant les quinze
premières années du règne de Mohammed VI et, en particulier, l’effervescence de la
sphère publique dans la première moitié de l’année 2011, lorsque les protestations à
Imider commencèrent. Ces protestations font partie du cadre plus large des
manifestations contre les problèmes socio-économiques des petites villes marocaines qui
ont marqué la dernière décennie et de l’impact du nouveau capitalisme mondial avec ses
politiques de classe et ses relations de pouvoir et d’exploitation qui accentuent
l’insécurité alimentaire, la pauvreté et les inégalités25. Par rapport à la mobilisation des
ressources, les impressions sont plus nuancées, ce qui nous aide peut-être à comprendre
pourquoi le mouvement amazigh n’est pas devenu un mouvement de masse dans le sens
conventionnel du terme. Dans ce sens, il peut être utile de comparer celui-ci avec d’autres
mouvements comme le Mouvement des sans-terre (MST) au Brésil qui remporta un large
143
succès en obtenant des terres pour plus de 300 000 familles depuis sa création en 1984.
Dans le cas du MST, l’Eglise catholique était un des piliers centraux du mouvement en
apportant des moyens décisifs pour ses activités dans les zones rurales du Brésil 26. Autant
à Imider que dans le cadre plus général des réclamations faites par les Amazighs, il n’y a
pas d’institution comparable à l’Église catholique brésilienne qui aurait pu apporter son
soutien. Au Maroc, les imams des zones rurales sont contrôlés par les agents du ministère
de l’Intérieur, et les autorités prennent soin de décourager la création de tout lien entre
la religion et les militants d’Imider et, partant, d’éviter tout risque d’hégémonisme de la
cause au sein de la société civile27. Cette année, à l’occasion des fêtes musulmanes de l’Aïd,
l’imam de la région a été interdit de conduire la prière au campement des militants. Les
activistes ont néanmoins réussi à ramener clandestinement un imam d’une région
éloignée afin d’effectuer la prière pour les 3 000 personnes présentes28. Les grévistes sont
également soutenus par une ONG italienne et plusieurs syndicats italiens et espagnols,
passerelles du local au global que peuvent emprunter les manifestations rurales des
régions de la périphérie. Cependant, l’environnement ne semble pas encore propice au
déclenchement d’une action plus large. Même les diverses associations amazighes
existantes dans les villes et villages des alentours ont gardé pour la plupart leur distance
avec les manifestations d’Imider29. La peur du régime autoritaire et le chauvinisme local
encore ancré dans les esprits constituent un frein à l’extension de la base sociale du
mouvement.
21 Les recherches récentes sur les mouvements sociaux ont tenté de comprendre les
motivations des participants, la façon dont ceux-ci sont personnellement touchés, voire
transformés, ainsi que les dynamiques sociales qui accompagnent les groupes
protestataires. Pourquoi certaines personnes s’engagent-elles ? Les liens sociaux sont-ils
assez solides pour convaincre les gens d’adhérer au mouvement et de le renforcer ?
Comment est-il soutenu ? Avec quels moyens ? Quelles sont les dynamiques internes au
groupe des manifestants ? Y a-t-il des opposants ? Existe-t-il une stratégie qui dépasse le
fait de s’asseoir et d’attendre que les problèmes soient traités30 ?
22 Trois jeunes manifestants (âgés de 25 à 35 ans) d’Imider ont été interrogés par courrier
électronique pour mener cette étude au mois de novembre 2014. Le premier a repris ses
études à Agadir après avoir été actif sur place pendant trois ans ; le second a arrêté ses
études pour le moment ; le troisième est sans emploi. Leurs histoires personnelles
témoignent de la gravité de la situation et des dilemmes que pose la mobilisation sociale.
Leurs réponses leur permettant de promouvoir leur lutte et d’exposer leur version des
faits, elles ne doivent pas être examinées sans un regard critique. Mais il ne faut
cependant pas les écarter.
23 D’une manière générale, ces trois militants font preuve d’un fervent engagement et de
beaucoup de détermination. Ils décrivent aussi la solidarité dont fait preuve la population
locale : des hommes et des femmes de tout âge des sept villages de la commune rurale.
D’après leurs déclarations, leurs familles les soutiennent et participent aux actions et aux
marches de protestation en cours. Lorsque j’ai évoqué le « facteur peur », l’un d’eux a
répondu avec défi : « Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir, et il vaut mieux
mourir dans un combat pour la vérité que vivre dans le mensonge. » Un autre a reconnu
être conscient que les autorités avaient le bras long, qu'elles « n'oubliaient jamais » et
qu’elles pouvaient étendre leur influence jusqu’au sein de l’université d’Agadir, créant
ainsi un climat de peur qui tend à inhiber les comportements. Les trois hommes décrivent
l’évolution des affrontements avec l’entreprise minière, depuis les débuts de l’action
144
collective il y a plusieurs décennies jusqu’au stade critique de 2011, qui finit par les
convaincre qu’ils n’avaient plus rien à perdre. L’un d’eux a aussi insisté sur le fait que
leurs premières actions se sont déroulées dans le cadre des manifestations du « Printemps
démocratique » marocain et qu’elles rejoignent celle menée contre une entreprise
nationale de phosphates ces dernières années à Khouribga, à 120 kilomètres au sud-est de
Casablanca31. Ils décrivent les réunions hebdomadaires et les processus de prise de
décision en leur sein – l’existence d’une assemblée générale (agraw) à laquelle chacun
peut participer et voter et de comités spécialisés –, les marches organisées régulièrement
sur les routes nationales afin d’attirer l’attention sur leur combat et le campement qui a
été transformé en structure permanente et dont le nombre d’habitants varie selon les
circonstances. A ma question « que pensez-vouss avoir accompli ? » ils répondent
fièrement avoir sensibilisé la population, avoir acquis leur indépendance en récoltant des
dons financiers et des fournitures et avoir amélioré leur approvisionnement en eau, tout
en restant sceptiques et irrévérencieux face aux efforts de l’entreprise et des autorités
pour mettre un terme à la contestation. Ils ont une connaissance approfondie de l’histoire
de leur région, et leurs revendications s’inscrivent dans le cadre plus large de la lutte des
tribus Aït Atta contre la conquête coloniale française et l’expropriation des terres
collectives qui a suivi et que l’Etat marocain a reconduite. Ceci fait bien sûr partie du récit
amazigh habituel. Ils font aussi référence à un grief ethnique plus précis : ils déclarent
que les autorités ont amené des travailleurs arabes originaires d’une autre région afin de
remplacer les travailleurs locaux. Même si l’un d’eux soulignait le fait que leur
protestation était sociale et non pas un mouvement politique en soi, il a admis que la
promotion de l’identité amazighe et la démocratie sont des questions qui ne peuvent être
séparées. Ils reçoivent des soutiens extérieurs, fondamentalement d’ordre moral,
provenant d’associations européennes et amazighes telles que Tamaynut, mais les
interactions et coordinations avec d’autres groupes de la société civile ont en réalité
baissé depuis 2011, à cause, selon les activistes, des actions préventives menées par les
autorités32. Récemment, des mesures ont été prises pour empêcher la délégation française
de Tamaynut de visiter le site, et deux activistes qui avaient quitté le campement afin de
consulter un médecin dans la ville de Tinghir située à 30 kilomètres ont été arrêtés par les
autorités.
24 A la fin du mois de novembre 2014, de grosses tempêtes, jamais vues depuis des décennies
au Maroc, ont entraîné d’importantes et soudaines inondations dans le sud du pays dans
les contreforts des montagnes de l’Anti-Atlas. Plus de cinquante personnes ont péri, des
centaines de maisons ont été détruites ou lourdement endommagées, et le bétail ainsi que
de nombreuses routes ont été emportés par les flots. Bien que les autorités aient alors
entrepris des opérations d’aide et de sauvetage, celles-ci furent généralement considérées
comme insuffisantes et classées dans le registre des négligences dont la région serait
constamment la victime. La population a été particulièrement furieuse face à l’usage de
camions poubelles utilisés pour transporter les nombreux cadavres. Un mois plus tard, à
peine 200 activistes amazighs, hommes et femmes, venus de tout le pays, manifestèrent
dans le centre-ville de Casablanca, en solidarité avec les victimes des inondations et pour
dénoncer le traitement qui leur avait été réservé par les autorités. Parmi les slogans
scandés par les manifestants et écrits sur les pancartes on remarquait ceux-ci : « Nous ne
sommes pas Arabes », « Les hommes et les femmes sont égaux », « Des milliards vont à la
Palestine et nous cherchons des miettes pour nous nourrir » ; mais aussi : « Nous sommes
nés dans ce pays, nous voulons nos droits33. » Cette manifestation était encadrée par une
145
Conclusion
25 Cinq ans après la brève période du « Printemps » marocain, l’ethnicité amazighe semble
plus que jamais d’actualité. L’État a reconnu officiellement la langue et la culture
amazighes comme une composante de l’identité nationale du pays, même si l’application
de cette reconnaissane reste limitée, tandis que des aspects locaux de l’ethnicité berbère
ont gagné en importance parmi les Rifains, au nord du pays. Les expressions culturelles
amazighes, dans les champs de la musique, de la poésie et de la danse, sont florissantes
grâce à l’essor des réseaux sociaux, de Youtube et d’autres formes de communication de
masse qui ont contribué à l’intensification de l’imaginaire collectif berbère sur tout le
globe. En même temps, le régime marocain s’agrippe au pouvoir et semble plus intéressé
par l’endiguement que par la satisfaction des griefs des Amazighes.
26 Dans l’ensemble, les efforts du mouvement amazigh pour faire face à la véritable
insécurité à laquelle est confrontée la population dans la périphérie marocaine et pour
contribuer à atteindre ses objectifs restent vains. Tels que Sisyphe, ils sont freinés par des
facteurs à la fois exogènes et endogènes. Le mouvement de protestation d’Imider est
symptomatique de ce phénomène.
27 Cependant, compte tenu de la contestation croissante présente dans la sphère publique
marocaine, de la légitimation partielle de l’identité amazighe par l’Etat et des problèmes
préoccupants d’insécurité humaine à la périphérie du pays, seul l’avenir nous dira si ces
contestations locales seront toujours maîtrisables. Quoi qu’il en soit, des recherches plus
approfondies sont nécessaires vu les nombreuses protestations locales qui ont émergé au
cours de ces dix dernières années – à Tamassint (2004), Bouarfa (2006), Sefrou (2007), Sidi
Ifni (2008), Beni Mellal (2009), Sidi Bouafif (2010) ou Khouribga (2011) – et ce, afin
d’examiner, d’une part, si la dimension ethnique est présente lors des manifestations,
comme ce fut le cas à Imider, et, d’autre part, quelles sortes de réseaux sont forgés par les
associations et les organisations engagées dans les protestations.
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groups/public/---ed_norm/---normes/documents/publication/wcms_100799.pdf
WATERBURY J., Commander of the Faithful: The Moroccan Political Elite: A Study in Segmented Politics,
London, Weidenfeld and Nicholson, 1970.
WOLFORD W., « Families, Fields and Fighting for Land: The Spatial Dynamics of Contention in Rural
Brazil », Mobilization, 8/2, 2003, p. 201-215.
147
NOTES
1. Données tirées du World Factbook de la CIA, [en ligne] URL : https://www.cia.gov/library/
publications/the-world-factbook/geos/mo.html
2. http://www.worldbank.org/en/country/morocco/overview
3. Celui-ci est passé de 20 % en 1990 à 87 % en 2009, et probablement à plus de 90 % aujourd’hui,
avec une hausse de 15 % ces cinq dernières années jusqu’à un accès total dans la région d’Al-
Hoceïma. M. Ennaji, “ ﺗﻨﻤﻴﺘﻪ واﺟﺐ وﻃﻨﻲ...“( ”اﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﻘﺮوي اﻵنThe Rural World Today:
Development is a National Need”), January 2, 2013, [en ligne] URL : http://www.hespress.com/
writers/69382.html
4. Par exemple, des entrevues avec des militants, Rabat, Agadir, septembre 2011.
5. D.M. Hart, « The Tribe in Modern Morocco: Two Case Studies », dans Arabs and Berbers, sous la
dir. de E. Gellner, C. Micaud, London: Duckworth, 1973, p. 25-58. D. M. Hart, « Tribalism: The
Backbone of the Moroccan Nation », The Journal of North African Studies, 4(2), 1999a, p. 7-22. D.M.
Hart, « Rural and Tribal Uprisings in Post-Colonial Morocco, 1957-1960: an Overview and a
Reappraisal », The Journal of North African Studies 4(2), 1999b, p. 84-102.
6. B. Maddy-Weitzman, The Berber Identity Movement and the Challenge to North African States,
Austin, TX, University of Texas Press, 2011, p. 79-88.
7. Le recensement officiel effectué en 2014 a révélé que seulement 28 % des Marocains utilisent la
langue amazighe dans leur vie quotidienne contre 34 % dix ans plus tôt. Les militants amazighs
affirment que ces chiffres sont trop faibles et remettent en cause la crédibilité et l’intégrité des
autorités en la matière. Entretiens avec des militants, Rabat et Agadir, septembre 2011.
8. T. Desrues, « Moroccan Youth and the Forming of a New Generation: Social Change, Collective
Action and Political Activism », Mediterranean Politics, 17:1, 2012, p. 23-40, DOI:
10.1080/13629395.2012.655044. T. Desrues, « Mobilizations in a hybrid regime: The 20 th February
Movement and the Moroccan regime », Current Sociology 61(4), 2013, p. 409-423. I. Fernández
Molina, « The Monarchy vs. the 20 February Movement: Who Holds the Reins of Political Change
in Morocco? » Mediterranean Politics, 16 (3), 2011, p. 435-441, DOI:10.1080/13629395.2011.614120.
B. Maddy-Weitzman, « Arabization and its Discontents: The Rise of the Amazigh Movement in
North Africa », Journal of the Middle East and Africa 3(2), June-December, 2012, p. 125-27.
9. B. Maddy-Weitzman, « Arabization and its Discontents: The Rise of the Amazigh Movement in
North Africa », Journal of the Middle East and Africa, 3(2), June-December, 2012, p. 109-135.
10. Les marches de commémoration du « Printemps berbère » chaque 20 avril, en hommage à la
répression de la contestation kabyle de 1980 par les autorités algériennes, un événement central
du calendrier commémoratif berbère moderne organisé ces dernières années par « Tawada »,
attirent généralement quelques milliers de personnes. Des manifestations contre des questions
plus spécifiques, comme l'emprisonnement de militants, le parrainage par la société minière
Managem d'un forum mondial des droits de l’homme réuni à Marrakech et contre la situation
d’abandon des infrastructures de la périphérie de la part de l’État, très endommagées par des
pluies torrentielles, attirent beaucoup moins de personnes.
11. International Crisis Group, « Algeria: Unrest and Impasse in Kabylia », Middle East/North Africa
Report, nº 15, 10 June, 2003, [en ligne] URL : http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?
id=1415&l=1 ; J. Goodman, « Reinterpreting the Berber Spring: From rite of reversal to site of
Convergence », The Journal of North African Studies, 9 (3), 2004, p. 72-75 ; J. Goodman, Berber Culture
on the World Stage, Bloomington, IA, Indiana University Press, 2005, p. 29-48 ; F. Aïtel, We Are
Imazighen, Gainesville, FL, University Press of Florida, 2014, p. 121-123 ; B. Maddy-Weitzman, The
Berber Identity Movement and the Challenge to North African States, Austin, TX, University of Texas
Press, 2011, p. 79-84 et 184-188.
148
12. J. Waterbury, Commander of the Faithful: The Moroccan Political Elite, A Study in Segmented Politics,
London, Weidenfeld and Nicholson, 1970. R. Leveau, Le Fellah marocain, défenseur du Trône, Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985.
13. S.I. Bergh, D. Rossi-Doria, « Plus ça change ? Observing the Dynamics of Morocco’s “Arab
Spring” in the High Atlas », Mediterranean Politics, 20:2, 2015, p. 198-216, DOI :
10.1080/13629395.2015.1033900.
14. Tamaynut, « Les droits de l’homme et les droits des peuples autochtones à la lumière de la
Convention n° 169 de l’OIT », 10 au 14 octobre 2003, [en ligne] URL : http://www.ilo.org/wcmsp5/
groups/public/---ed_norm/---normes/documents/publication/wcms_100799.pdf. I.A. Habibi,
« Collective Lands from Joint Tribal Ownership to State Administrative Control: An Example from
the Zaiane Tribes in the Khenifra Region », Le Monde amazigh, n° 52, novembre 2004, p. 4-5 (en
arabe).
15. Cf. http://www.bladi.info/threads/maladie-tue-26-bebes-anfgou.98993/ ; https://
www.bakchich.info/international/2008/02/13/maroc-le-village-ou-les-enfants-meurent-de-
froid-51700 ; http://www.dailymotion.com/video/x1gju5_road-to-anfgou-1_shortfilms ; https://
www.youtube.com/watch?v=yC5zZo_lLwo. On peut consulter aussi le mur de Facebook « Anfgou
SOS ! Les enfants du froid ». Le 25 novembre 2015, il avait 552 membres et était utilisé comme un
des nombreux sites des réseaux sociaux qui contribuent à diffuser les thématiques amazighes.
16. O. Skalli, « Anfgou : les damnés du froid », TelQuel, 12 mars, 2014, [en ligne] URL : http://
telquel.ma/2014/03/12/anfgou-les-damnes-du-froid_132766
17. M. Moukhlis, « La tragédie d’Anfgou : des Amazighes enterrés vivants », 6 avril 2007, [en
ligne] URL :http://amazighrightswatch.blogspot.co.il/2007/04/la-tragedie-danfgou-des-
amazighes.html
18. En 2012, le chiffre d’affaires de la société était de 53 milliards de dirhams et son revenu net de
5 milliards de dirhams, [en ligne] URL : http://en.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%
A9_Nationale_d’Investissement
19. https://m.facebook.com/Amussu.96Imider
20. A. Alami, « On Moroccan Hill, Villagers Make Stand Against a Mine », New York Times, January
23, 2014, [en ligne] URL : http://www.nytimes.com/2014/01/24/world/africa/on-moroccan-hill-
villagers-make-stand-against-a-mine.html?_r=0
21. Ibid.
22. http://imider96.org/about-us/our-history/
23. https:// www.facebook.com/Amussu.96Imider/photos/
a.264942610188876.86775.264059770277160/1156342587715536/?type=1&theater
24. Cf. W. Wolford, « Families, Fields and Fighting for Land: The Spatial Dynamics of Contention
in Rural Brazil », Mobilization, 8(2), 2003, p. 201-215.
25. K. Bogaert, « The revolt of small towns: the meaning of Morocco’s history and the geography
of social protests », Review of African Political Economy, 2014, (published online 24 September 2014).
<http://dx.doi.org/10.1080/ 03056244.2014.918536> pour plus de détails.
26. W. Wolford, op. cit.
27. Il faut préciser ici que la plupart des discours du mouvement amazigh sont largement
sécularisés et modernes, ce qui conduit ses opposants à les accuser d’être contre l’islam.
28. « 3 rd Anniversary of the Mustapha Ochtouban Detention: The Imam Forbids The Prayer »,
Facebook Page: « Movement on the Road ‘96 Imider shared Amussu : Xf ubrid n 96 (Imider) », 6
October 2014.
29. A. Azergui, « The Seven Plagues of Imider » posted on Facebook Pages: « Movement on the
Road ‘96 Imider » and « Amussu : Xf ubrid n 96 (Imider) », 23 septembre 2014.
30. M. Bennani-Chraïbi, O. Fillieule, « Towards a sociology of revolutionary situations: Reflections
on the Arab uprisings », Revue française de science politique (English), 2012/5, vol. 62, 2012, p. 1-29.
DOI: 10.3917/rfspe.625.0001 ; W. Wolford, op. cit.
149
AUTEURS
BRUCE MADDY-WEITZMAN
Professeur associé au département d’Histoire du Moyen-Orient contemporain et chercheur au
Moshe Dayan Center for Middle Eastern and African Studies de l’Université de Tel Aviv (Israël).
Ses travaux portent sur l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, l’État et les sociétés d’Afrique
du Nord et les mouvements identitaires berbères.
150
La revendication amazighe en
Tunisie : la tunisianité au défi de la
transition politique
Stéphanie Pouessel
Les éléments labellisés amazighs font l'effet d’appâts pour des touristes occidentaux à la
recherche d’exotisme : Matmata et ses maisons troglodytes, le tapis berbère, le couscous
berbère, la tente berbère, autant d’items servant à valoriser les régions du Sud (Tozeur,
Douz) dans lesquelles, paradoxalement, ne résident pas les locuteurs amazighophones.
8 Perpétuation de cette mentalité décomplexée par rapport à la « diversité culturelle »,
durant les quatre années de transition institutionnelle dominées par le poids du
gouvernement et de la représentation parlementaire des islamistes d’Ennahdha, le
ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk3, présente la Tunisie comme une nation arabe et
musulmane ouverte à la pluralité (ta`addudīa4) et refuse la catégorisation de « minorité » (
āqalyīa) pour la culture berbère qu’il classe dans la « diversité culturelle » (tanaw` ṯaqāfī),
empruntant son importance à la charte de l’UNESCO5. Dans la Tunisie post-révolution,
l’État ne peut envisager cette question sans la réinscrire dans le contexte de la
démocratisation : « On ne peut pas être une démocratie sans être ouvert sur la diversité
culturelle » déclare le ministre. Le président de la République lui-même, Moncef
Marzouki, défend une identité arabe ouverte sur l’altérité et met en garde les sociétés
arabes quant à leur propension à produire du racisme envers leurs propres communautés
(noire, juive, amazighe) : « Marécageux ou volcanique, le racisme est un. Et c’est parce
que nous subissons l’arrogance et le mépris des Israéliens, les brimades voire parfois les
assassinats de nos concitoyens en Europe que nous nous devons d’être particulièrement
clairs avec nous-mêmes6. » De plus, dans plusieurs de ses discours, M. Marzouki aime à
rappeler que le terme « Afrique » est issu de l’amazigh Ifrigiya qui désigne le nord-est de
la Tunisie, faisant des Tunisiens les « premiers Africains7 ».
9 Concrètement, aucune politique publique n’a visé directement la culture amazighe, et
aucune reconnaissance constitutionnelle ou symbolique ne lui a été offerte. Mais
localement, sous la bannière des termes dépolitisants de « patrimoine » ou de « festival »,
le message est clair : l’Etat considère la diversité, quelle que soit son origine, comme un
aspect de l’enrichissement de la culture nationale. Certaines municipalités développent
des initiatives comme le « Festival des villages montagneux » depuis 2012 (sur décision du
ministre de la Culture) dans la région de Zraoua. Depuis 2014, l’Etat a mis en valeur un
projet « Patrimoine immatériel » qui inclut le patrimoine amazigh. La municipalité de
Gabès collabore avec les Journées culturelles de Tamerzet, et cela dès avant la révolution.
Ces initiatives culturelles locales proposent, par exemple, un soutien financier et tentent
aussi de dialoguer avec les militants amazighs sur le terrain8. La dimension amazighe se
voit ainsi diluée dans la catégorie de « diversité culturelle » reconnue et soutenue par
l’Etat comme facteur d’épanouissement de la culture nationale.
Conclusion
36 Il serait bien hasardeux aujourd’hui d’évoquer l’existence d’un « mouvement amazigh »
tunisien, tant ses directions divergent et son unité est fragmentée en plusieurs tendances.
La tendance « globalisante » a échoué à la reconnaissance constitutionnelle de la langue
amazighe mais réitère son engagement en faveur de l’identité amazighe transnationale ;
de leur côté, les associations locales poursuivent leurs négociations et leurs coopérations
avec les municipalités pour l’organisation d’événements culturels qui valorisent un des
pans du « patrimoine tunisien ».
37 Si la question amazighe en Tunisie peut paraître bien subsidiaire par rapport aux défis
que rencontre le pays depuis sa révolution, elle n’en reste pas moins révélatrice des
enjeux actuels. Elle a été un des lieux d’expression de la lutte politique contre le
gouvernement à majorité islamiste formé dans le sillage de la révolution. Pour cela, la
défense des minorités et l’appartenance à une aire méditerranéenne ont soutenu un
projet anti-islamiste puis néo-destourien. Censée représenter les régions du Sud, résistant
aux dictatures et à tradition majoritairement islamiste, la cause amazighe s’affilie au
discours nationaliste des néo-destouriens : la nation est tunisienne, dans toute sa
diversité, et non de culture arabo-islamique importée.
38 La situation tunisienne complexifie la problématique amazighe telle qu’elle se déploie
dans d’autres pays du Maghreb. Elle ne peut plus être simplifiée par l’antinomie Arabe/
Amazigh. Au niveau du discours militant, elle semble prendre le relais de la lutte
historique qui se rejoue aujourd’hui en Tunisie, celle des forces politiques néo-
destouriennes de la capitale et du Sahel contre les forces islamistes ou résistantes issues
des régions de l’intérieur du pays. Mais la réalité défie largement ce schéma : tout d’abord
parce que les amazighophones de Tunisie ne sont ni issus des régions dites côtières du
pays ni héritiers de la classe néo-destourienne ; ensuite parce que le paysage politique a
récemment pris une nouvelle tournure via l’alliance entre les deux partis hier rivaux,
Ennahdha et Nida Tounès. Ce « compromis34 » qui a largement décontenancé l’électorat
augure d’une nouvelle phase dont on ne saurait envisager l’issue tant au niveau du
pluralisme culturel que du pluralisme politique.
160
BIBLIOGRAPHIE
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méditerranéenne », Annuaire de l’Afrique du Nord, 39, 2003, p. 49-64.
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l’IREMAM, 2015, [en ligne] URL : http://iremam.hypotheses.org/ [consulté le 15 mars 2015].
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« petit pays homogène par excellence » qu’est la Tunisie », L’Année du Maghreb, VIII, 2012, p.
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Presses universitaires du Mirail, 2000, p. 23-29.
NOTES
1. Région de Matmata-Tamerzet, Zraoua, Taoujout ; région de Djerba-Gellala, Sedouikch, Ajim ;
région de Tataouine-Douiret, Guermessa, Chenini.
2. D. Abbassi, « Le discours historique scolaire des années 90 en Tunisie : l’invention d’une
identité méditerranéenne », Annuaire de l’Afrique du Nord, 39, 2003, p. 49-64.
3. Sociologue, ministre de la Culture (Ennahdha) de 2011 à 2014.
4. Les termes arabes traduits dans cet article respectent la translittération Arabica.
5. Interview dans l’émission « Fissamim », chaîne Ettounsiya, 2/11/2012, [en ligne] URL : http://
www.dailymotion.com/video/xut01k_fi-samim-la-cause-amazigh-en-tunisie-02-11-2012_news.
161
28. S. Al-Hakimi, « man yūrid tahrik ḫūyūt al-fitna al- ͗amaziġīa fi tūnis ? » (Qui veut agiter le chiffon
de la division en Tunisie ?), Al Fajer, 16 novembre 2012, p. 9.
29. « Hawla inkar wa ṭams al-jūḏūr wa al hūwiya al-͗amaziġīa » (A propos du déni des racines et de
l’identité amazighes), Al Fajer, 23 novembre 2012, p. 13.
30. Il remporta l’élection présidentielle au deuxième tour avec 55,68 % des voix contre son
adversaire, Moncef Marzouki.
31. S. Pouessel, « Révolutions et élection en Tunisie : le réveil d’une société résistante », Les
Carnets de l’IREMAM, 2015, [en ligne] URL : http://iremam.hypotheses.org/ [consulté le 15 mars
2015].
32. Entretien, 16 février 2015, Gabès.
33. http://www.leaders.com.tn/article/14980-des-intellectuels-tunisiens-appellent-a-soutenir-
la-candidature-de-m-beji-caid-essebsi.
34. N. Marzouki, « Tunisia’s Rotten Compromise », 2015, Middle East Research and Information
Project, [en ligne] URL : http://www.merip.org/mero/mero071015.
AUTEUR
STÉPHANIE POUESSEL
Anthropologue et chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain
(IRMC) à Tunis (Tunisie). Elle travaille sur les questions de nation, de minorités, de langues et de
migration.
163
Le surgissement de la cause
amazighe en Libye : des espoirs de
reconnaissance aux déconvenues de
la realpolitik
Thierry Desrues
3 Dans un pays travaillé par de puissantes tendances centrifuges induites par les
dynamiques tribales et régionales, l’arabité et le sunnisme ont joué le rôle de ciment de
l’union nationale. En écartant les références propres à l’amazighité, ils ont contribué à
accentuer le syndrome minoritaire ressenti par les militants amazighs. Cela fut le cas au
début du XXe siècle lors de la lutte de la confrérie Senoussi contre la menace coloniale
italienne – dont le retentissement international a fait passer sous silence la résistance
dans l’Adrar Nefoussa4. Plus tard, au début des années 70, à défaut de pouvoir
institutionnaliser un État-nation centralisé5, le colonel Kadhafi a assis son pouvoir
personnel sur la gestion clientéliste des structures tribales traditionnelles6. Ce système de
patronage des communautés locales, que permettait le contrôle de la rente en
hydrocarbures, était doublé par de puissants appareils de sécurité qui, accompagnés par
les comités révolutionnaires décentralisés, se chargeaient de la surveillance du
conformisme idéologique, culturel et linguistique de la population. Sous la férule de ce
système autoritaire, la langue et la culture amazighes ont été niées et leurs défenseurs
persécutés pendant près de quarante ans7.
4 À la fin du mois de février 2011, les Amazighs de Libye ont été nombreux à rejoindre le
soulèvement contre le « Grand Etat des masses, arabe, libyen, populaire et socialiste ».
Partisans dans leur ensemble de l’unité nationale et d’un bilinguisme convivial de l’arabe
et du tamazight, les porte-paroles du mouvement identitaire amazigh libyen ont déclaré
leur loyauté au Comité national de transition (CNT) dès sa proclamation le 3 mars comme
unique représentant légitime de la lutte contre l’ancien régime. Ce faisant, leurs espoirs
d’une prochaine officialisation de la langue et de la culture amazighes ont été très vite
déçus.
5 Dans ce texte, on se limitera à reconstruire la trajectoire de la cause amazighe depuis le
soulèvement de février 2011 jusqu’au début de l’année 2017 et la proclamation de
l’officialisation du tamazight dans les régions amazighophones « libérées ». On reviendra
sur les raisons qui font que les militants ne peuvent pas renoncer à l’officialisation du
tamazight, puis sur les événements qui ont conduit le Haut Conseil amazigh libyen (HCAL)
à boycotter les élections et les institutions. Enfin, on tentera de saisir les conséquences de
la reprise des hostilités entre les principales factions régionales à partir de 2014 et du
retour de la realpolitik imposée par diverses puissances étrangères sur la mise à l’écart de
la cause amazighe. Ce faisant, avant d’aborder ces questions, on présentera brièvement la
discrimination dont a été victime l’amazighité durant le règne de Kadhafi.
amazighe en tant que patrimoine de tous les Libyens sans exception et la langue arabe
sont les deux langues officielles de la Libye. Elles jouissent des mêmes droits et des mêmes
privilèges quant à leur utilisation au niveau de toutes les institutions de l’Etat. » Quant à
la place de la religion : « La Libye est un Etat laïc démocratique et souverain, avec un
régime constitutionnel et parlementaire basé sur la séparation souple et équilibrée des
pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif) et la décentralisation. » Enfin, l’État doit
garantir « l’égalité des libertés et des droits politiques, civiques, économiques, sociaux et
culturels pour tous les Libyens (hommes et femmes)27 ».
18 Dans le sillage de ce document et en l’absence de réponse du CNT, le Conseil national
amazigh libyen (CNAL) organise la tenue de sa première assemblée générale à Tripoli à la
fin du mois de septembre 2011. Si la présence de plusieurs membres du CNT fait renaître
l’espoir chez certains militants28, la majorité est de plus en plus consciente des difficultés
que rencontre l’accueil de ses revendications auprès d’une population qui n’a aucune
expérience du débat démocratique, de la pluralité ethnolinguistique et qui craint que les
fortes dynamiques centrifuges à l’œuvre en son sein finissent par aboutir à la
désintégration du pays29. La vision pessimiste des seconds va se confirmer dès les
semaines suivantes.
19 Suite à l’annonce de la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011, le CNT proclame que la charia
sera la source d’inspiration de la législation, allant ainsi à l’encontre de la demande du
CNAL de la proclamation d’un État laïc. Un mois plus tard, le gouvernement provisoire
installé le 21 novembre ne fait aucune place aux représentants amazighs, à la berbérité de
la Libye ou à la langue amazighe. La tenue de manifestations d’envergure à Tripoli n’y
change rien. Les revendications amazighes ne sont pas satisfaites. Au contraire, des
discours surannés de l’ancien régime sont repris par les nouveaux dirigeants pour
dénoncer la main du séparatisme ou de la réaction et du colonialisme dans la prétention à
vouloir constitutionnaliser la langue et la culture amazighes30. C’est dans ce contexte
difficile que Fathi Benkhalifa, ancien exilé politique sous Kadhafi et ancien conseiller
juridique du CNT, est élu à la présidence du Congrès mondial amazigh en octobre 2011 31.
Loin des espoirs suscités quelques mois auparavant, cette élection reflète la
préoccupation au sujet de la situation libyenne au sein de la mouvance amazighe
internationale.
À la fin du mois de juin, soit quelques jours avant les élections au CGN, le CNT décide que
les futurs membres de l’assemblée constituante ne seront pas nommés comme prévu par
le parlement mais élus à l’issue d’un processus électoral. Or, ce changement risque de
conforter la position minoritaire des représentants amazighs.
22 Le 7 juillet, les élections au CGN, la future instance parlementaire de la transition, sont un
succès de participation eu égard aux difficultés du contexte national. Deux jours plus
tard, le 9 juillet, le CGN élit son président, Mohamed Youssef el-Magharief, et, le 8 août, le
CNT remet le pouvoir à l’assemblée.
23 Le CGN assume désormais la responsabilité de la formation du gouvernement, de la
gestion d’une nouvelle période de transition et de la préparation de la loi qui régira
l’élection de l’Assemblée constituante. Le 19 février 2013, il confirme que l’élection de
l’Assemblée constituante se fera au suffrage universel direct33. En juin, l’élection à sa tête
d’un Amazigh originaire de Zouara, Nouri Bousahmein, n’atténue pas la méfiance des
militants amazighs qui ne considèrent pas ce proche des Frères musulmans comme un
défenseur de leur cause34. L’adoption de la loi électorale, le 17 juillet, soulève de nouveau
l’opposition des représentants amazighs, toubous et touaregs, mécontents de l’attribution
de seulement six sièges, à raison de deux pour chaque groupe, au sein de la future
assemblée. Le Haut Conseil des Amazighs de Libye (HCAL), constitué en janvier 2013,
annonce alors sa décision de boycotter les élections à l’Assemblée constituante et le
retrait de ses deux représentants au sein du CGN. Il s’élève contre la fin du principe de la
prise de décision par consensus concernant les affaires touchant les droits des Amazighs
(aussi bien ceux du nord que les Touaregs du sud) et des Toubous, au profit du principe du
vote à la majorité des membres. À son avis, les représentants amazighs n’ont aucune
chance d’avoir une voix influente au sein de la future assemblée, puisqu'ils perdent leur
capacité de blocage des décisions qui iraient à l’encontre de leurs intérêts, notamment
dans les domaines culturel et linguistique35.
24 À la fin de l’année 2013, le CGN, décide de repousser les élections constituantes prévues
initialement le 24 décembre en raison du faible taux d’inscription sur les listes électorales
et de prolonger son mandat qui devait arriver à terme le 7 février 2014. L’initiative du
CGN est vécue par d’amples segments de la population comme un coup de force. La
population avait protesté à plusieurs reprises au cours des semaines précédentes dans la
capitale en demandant la fin de l'insécurité et de la période de transition. Cette décision
ne fait qu’aggraver son mécontentement vis-à-vis du gouvernement et du parlement
provisoire. Dans ce climat délétère, le CGN fait marche arrière, et les élections sont fixées
au 20 février36. En fait, comme le souligne Saïd Haddad, la décision du CGN de prolonger
son mandat s’inscrit dans un contexte politique polarisé par le débat puis par l’adoption
de la loi sur l’exclusion politique. Cette décision intervient dans une configuration de
dyarchie institutionnelle qui voit s’affronter le pouvoir exécutif dirigé par le Premier
ministre, Ali Zeidan, et le CGN, présidé par Nouri Bousahmein.
25 Le 25 juin ont lieu les élections au Conseil des députés (le parlement). Le HCAL appelle
également au boycott. À l’issue de ces scrutins contestés, deux grandes coalitions
s’affrontent. La première soutient le gouvernement de Tobrouk ou gouvernement du
Conseil des députés, tandis que la seconde appuie le CGN basé à Tripoli 37.
26 La présence de franchises de l’État islamique au Levant et en Irak (Daesh selon son
acronyme en arabe), l’émigration clandestine vers l’Europe et le trafic d’armes sont
autant de menaces qui pèsent sur l’avenir institutionnel du pays. Elles finissent par
mobiliser les chancelleries occidentales qui imposent des négociations entre les parties
170
sous la tutelle de l’envoyé spécial de l’Organisation des Nations Unies. Après un peu plus
d’une année de conversations, auxquelles les représentants du HCAL ne sont pas conviés38
, un accord entre les principales factions rivales, dont les deux grandes coalitions qui
appuient respectivement le CGN et le Congrès des députés, est signé le 17 décembre 2015
à Skhirat (Maroc). Cet accord approuve la formation d’un gouvernement d’union
nationale conduit par Fayez El-Sarraj, un « indépendant », architecte de profession, élu au
CGN et fils d’un ancien ministre à l’époque de la monarchie. Le 19 janvier 2016, Fayez El-
Sarraj propose un gouvernement d’Union nationale de 32 ministres à même de
représenter toutes les factions politiques, des fédéralistes aux Frères musulmans, en
n’oubliant pas les minorités amazighes, toubous et touarègues39. Cette première mouture
est rejetée par les principales factions libyennes. En fait, cette présidence, qui doit être
ratifiée par les deux parlements, sous-estime l’état des rapports de force en faveur du
général Haftar, commandant l’Armée nationale libyenne, qui jouit de l’appui du
Parlement de Tobrouk et dont la progression récente permet de freiner l’expansion de
Daesh en Cyrénaïque.
27 Dans ce contexte incertain, les militants amazighs se voient dans l’obligation de choisir
leur camp entre les successives coalitions qui se forment ou de se replier sur le terrain de
l’autogouvernement et de l’action au niveau local40, tout en continuant à mener des
actions de plaidoyer au niveau international.
28 Les combattants amazighs de Zouara et de l’Adrar Nefoussa ont appuyé la coalition
« Aube de la Libye », dominée par des milices islamistes, qui s’oppose au Parlement de
Tobrouk à l’est du pays. Cette coalition est loin de contrôler tout le territoire de la
Tripolitaine, comme le montre le fait qu’une partie de la région aux pieds de l’Adrar
Nefoussa est tenue par les milices de la ville de Zinten qui retiendraient le fils cadet du
dictateur déchu, Seïf al-Islam Kadhafi. Aux prises avec des divergences idéologiques, elle
ne se maintient que pour faire face à un ennemi commun : « le recyclage des Kadhafistes 41
».
29 En mars 2016, le gouvernement dit d’« Union nationale » s’installe enfin à Tripoli sous la
pression de l’ONU et la menace de la franchise locale de Daesh qui avance dans la région
de Syrte42. Les deux autres parlements qui se disputent la Libye ayant refusé de
reconnaître ce gouvernement, le pays se retrouve désormais déchiré entre trois
principales instances rivales et divisé en plusieurs territoires. Dans un sursaut d’autorité,
qui reflète en fait sa faiblesse, le Premier ministre a d’emblée décrété la fin de la guerre
civile. En vain, depuis lors les tensions inter-libyennes n’ont pas connu de trêve. Aucune
des parties ne semble en mesure de remporter une victoire définitive sur les autres,
tandis que croît le risque de sanctuarisation de territoires auto-administrés par des
milices qui échappent au contrôle de l’une ou l’autre des trois grandes coalitions43.
Conclusion
30 Depuis l’insurrection de 2011, les porte-parole de la cause amazighe en Libye ont posé
l’officialisation du tamazight, un État aconfessionnel, la représentation équitable au sein
des institutions et l’autogouvernement régional comme autant de revendications
intangibles. Cette fermeté vise à compenser la faiblesse démographique des locuteurs de
la langue amazighe et l’hostilité dont fait preuve à leur encontre une partie importante de
la population arabophone, relayée par des partisans du panarabisme, de l’islamisme et du
salafisme.
171
31 Les travaux de l’assemblée constitutionnelle44 ont fait l’impasse sur leurs revendications,
reflétant la prégnance croissante du prisme arabo-islamique dans le projet politique de la
future Libye. Cela confirme la thèse de Sawani et Pack selon laquelle le boycott
institutionnel n’a pas été efficace45. En se retirant des pourparlers des diverses instances
qui ont été mises en place, les représentants de la mouvance identitaire amazighe ont
perdu une partie de leur légitimité pour critiquer le processus de transition
institutionnelle. Aujourd’hui, ils maintiennent leur boycott des institutions tant que leurs
droits ne seront pas reconnus, oubliant qu’ils sont devenus inaudibles auprès des
populations arabophones et des pays étrangers impliqués dans le conflit.
32 Dans un contexte de conflit armé tantôt ouvert tantôt latent entre les grandes coalitions
régionales et les milices locales, l’avenir institutionnel du pays semble se jouer entre les
tenants d’un nationalisme panarabiste emmenés par le général Haftar et leurs opposants
regroupés dans la coalition « Aube libyenne » sous l'influence de tendances plutôt
proches des Frères musulmans. L’insécurité régnante et les risques de désintégration du
pays font que de plus en plus de Libyens réclament le retour d’un pouvoir fort capable de
restaurer la stabilité. Cette nouvelle donne nourrit les espoirs des anciens partisans de
Kadhafi46, au grand dam des militants amazighs qui voient leurs revendications exclues
des agendas des négociateurs internationaux47.
33 Les soutiens successifs apportés par les représentants amazighs aux institutions
reconnues par l’ONU, qu’il s’agisse du parlement de Tripoli ou du gouvernement d’union
nationale, n’ont pas été très payants48. La cause amazighe n’a guère plus à attendre du jeu
des alliances entre les puissances internationales et voisines du pays. Celles-ci sont
surtout préoccupées par le contrôle des flux migratoires, la stabilisation et l’exploitation
de la rente pétrolière du pays ainsi que par les nouveaux équilibres régionaux qui se
jouent sur le terrain libyen. La plupart d’entre elles sont d’ailleurs franchement hostiles
au pluralisme linguistique et culturel amazigh. Elles perçoivent celui-ci comme un défi
sécessionniste de plus en Libye, qui a l’inconvénient, qui plus est pour certaines d’entre
elles, d’interpeller des problèmes ethniques qu’elles ont à gérer dans leur propre pays
(Turquie, Algérie, Tunisie).
34 En attendant, la question amazighe reste entière. L’apprentissage de l’auto-gouvernement
dans les terroirs de l’Adrar Nefoussa49 ou à Zouara est relayé par la revendication chez
certains Amazighs du droit à l’autonomie, tandis que d’autres, face au statu quo qui
s’installe, parlent du droit à l’auto-détermination, voire d’un retour aux combats50. En
dehors des régions du nord-ouest du pays, on sait peu de chose de l’évolution de la cause
amazighe. Les nouvelles qui marquent l’actualité font parfois état d’affrontements entre
Touaregs et Toubous dans le sud-ouest du pays où se joue le contrôle de champs
pétroliers sur lesquels des compagnies et des puissances étrangères ont des visées 51.
35 Au milieu des annonces périodiques d’un retour aux armes52, le HCAL a déclaré en février
2017 l’officialisation de la langue amazighe dans les territoires sous le contrôle des milices
qui le soutiennent53. Peu importe que ces annonces visent à montrer la détermination du
HCAL ou son impuissance ; ce qui est fort probable, c’est que tant que l’amazighité de la
Libye sera reléguée au second plan par les principaux acteurs nationaux et
internationaux, la revendication de sa reconnaissance officielle reviendra comme un
serpent de mer et sera un facteur de fragilisation du futur État libyen.
172
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SUÁREZ COLLADO Á., El movimiento amazigh en el Rif: identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas, tesis doctoral, Madrid, Universidad Autónoma de Madrid.
NOTES
1. « About Libya », United Nations Development Program, [en ligne] URL : http://
www.ly.undp.org/content/libya/en/home/countryinfo.html [consulté le 24 avril 2016].
2. Cf. S. Chaker et M. Ferkal qui suggèrent que l’émergence culturelle berbère est probablement
confortée par l’ibadisme, majoritaire parmi eux. Ce dernier constituerait un facteur de
renforcement de la conscience d’une spécificité ethnoculturelle dans l’ensemble libyen,
173
15. B. Maddy Weitzman, The Berber Identity Movement and the Challenge to North African States,
Austin, University of Texas Press, 2011.
16. A. Suárez Collado, El Movimiento amazigh en el Rif: identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas.
17. En ce qui concerne les luttes au sein du régime de Kadhafi sur les stratégies à suivre entre les
partisans d’un retournement d’alliance avec l’Europe et les Etats-Unis et les panafricanistes, on
renvoie à L. Martinez, « Nouvelle Libye ? », Outre-Terre, nº 3, vol. 20, 2007, p. 253-262, [en ligne]
URL : http://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2007-3-page-253.htm DOI : 10.3917/
oute.020.0253 [consulté le 23 septembre 2016].
18. I. Mandraud, « Les Berbères n’excluent pas de réclamer l’indépendance », Le Monde,
13/12/2013, [en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/libye/article/2013/12/03/les-berberes-n-
excluent-pas-de-reclamer-l-independance_3524725_1496980.html#aq7yADT5GRLMAavF.99
[consulté le 16 octobre 2016].
19. T. Friel, « Berbers can no longer be suppressed in Libya », 28/10/2012, [en ligne] URL : http://
www.thenational.ae/news/world/middle-east/berbers-can-no-longer-be-suppressed-in-libya
[consulté le 23 septembre 2016].
20. Information fournie par Mazigh Bouzakhar, que l’auteur tient ici à remercier.
21. Constitué à huis clos le 27 février 2011, dix jours après les premières manifestations à
Benghazi, c’est le CNT qui persuada le Conseil de sécurité des Nations Unies d’adopter la
résolution 1973, permettant à l’OTAN d’intervenir en Libye. La célérité avec laquelle il a été
constitué s’expliquerait par les conversations périodiques établies à partir de 2005 entre des
membres du Congrès mondial amazigh, la Ligue libyenne des droits de l’homme, le Front de salut
national libyen et l’Union constitutionnelle libyenne. Sous la bannière de la « Conférence
nationale pour l’opposition libyenne », ils créent alors une feuille de route devant permettre
l’instauration d’institutions démocratiques en Libye. Cf. A. Moreau, « Six ans avant comment les
Berbères libyens préparaient la chute de Kadhafi », Apache/Inhoud heerst, 22/07/2013, [en ligne]
URL : https://www.apache.be/fr/2013/07/22/six-ans-avant-comment-les-berberes-libyens-
preparaient-la-chute-de-kadhafi-1/ [consulté le 15 septembre 2016].
22. L. Bouyaakoubi, « “Libye libyenne” ou “Libye arabo-musulmane” ? Les prémices d’une “crise
berbère” », Amazigh World, [en ligne] URL : http://www.amazighworld.org/human_rights/
index_show.php?id=2597 [consulté le 12 janvier 2017].
23. Cf. S. Chaker et M. Ferkal, « Berbères de Libye : un paramètre méconnu, une irruption
politique inattendue ».
24. Plusieurs sites amazighs libyens vont surgir, tels Nefusa Mountain Media Group, Libya Al Hurra
TV et Imazighen Libya Youtube. Cf. Merolla et Daharaoui, infra.
25. Y. Plantade, « A propos de “Voix berbères” », Le Monde, 29/09/11, [en ligne] URL : http://
amazigh.blog.lemonde.fr/a-propos/ [consulté le 10 septembre 2016].
26. Ibid.
27. Masin, « Pour le mouvement amazigh, la Libye est un Etat laïc qui ne peut exister sans
tamazight », Tamazgha, 30/08/2011, [en ligne] URL : http://www.tamazgha.fr/Pour-le-
mouvement-amazigh-la-Libye.html [consulté le 12 septembre 2016].
28. K. Zurutuza, « Libya’s Berbers feel rejected by transitional government », Interview, Tripoli,
Libya Deutsche Welle, 08/11/2011, [en ligne] URL : http://www.dw.com/en/libyas-berbers-feel-
rejected-by-transitional-government/a-15515687 [consulté le 12 septembre 2016]. Y. Plantade,
« A Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle ».
29. Comme le rappelle Fathi Benkhalifa, « la notion que les Libyens peuvent être différents et
unis à la fois est très difficile à faire passer dans un pays qui émerge de décennies de politique
unanimiste ». Cité par Y. Plantade, idem.
30. Fathi Terbil, ministre de la Jeunesse et des Sports, accuse les Berbères d’être « une menace
pour l’arabité de la Libye ». « Minorités : les Berbères, nouvelle force politique », Courrier
175
44. C. Geha, F. Volpi, « Constitutionalism and political order in Libya 2011-2014: three myths
about the past and a new constitution », The Journal of North African Studies, 21/4, 2016, p. 687-706,
DOI: 10.1080/13629387.2016.1165097.
45. Y. Sawani, J. Pack, « Libyan constitutionality and sovereignty post Qadhafi: the Islamist,
regionalist and Amazigh challenges ».
46. M. Galtier, « Libye : les kadhafistes préparent leur retour », Middle East Eye, Londres, Courrier
international, le 05/12/2016, [en ligne] URL : http://www.courrierinternational.com/article/libye-
les-kadhafistes-preparent-leur-retour, [consulté le 15 décembre 2016].
47. F. Bobin, « A Zouara, la révolution silencieuse des Berbères libyens », Le Monde, 19/10/2016,
[en ligne] URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/19/a-zouara-la-revolution-
silencieuse-des-berberes-libyens_5016255_3212.html#pHDz7lXylzMpHzx3.99 [consulté le 20
octobre 2017].
48. M. Galtier, « À Zouara, les Libyens édictent leurs propres lois », Libération, 7 avril 2016, http://
www.liberation.fr/planete/2016/04/07a-zouara-les lybiens-edictent-leurs-propres-lois_1444685
[consulté le 15 octobre 2016].
49. Masin, « Un tournant dans le combat amazigh en Libye », doc. cit. [consulté le 22 septembre
2016].
50. E. Alamasude, M. Buzakhar, « From failed state to regional autonomy : Amazigh self-
determination in Libya », nationalia.info, 14/04/2016, http://www.nationalia.info/opinion/10760/
from-failed-state-to-regional-autonomy-amazigh-self-determination-in-libya [consulté 14
septembre 2016]. Des combattants amazighs ont occupé le complexe gazier de Mellitah pendant
plusieurs jours à partir du 26 octobre 2013. Celui-ci est exploité par une société libyenne (NOC) et
un pétrolier italien (ENI). Ils sont allés jusqu’à couper l’alimentation vers l’Italie durant vingt-
quatre heures le 6 novembre 2013 dans une tentative visant à forcer le CGN à réviser l’article 30
du projet constitutionnel. Pour les combattants, il s’agissait là d’un signal fort donné aux
autorités libyennes de transition qui restera, cependant, sans suite. Masin, « Amazighs de Libye :
être ou ne pas être », tamazgha.fr, 9 novembre 2013, [en ligne] URL : http://tamazgha.fr/
Amazighs-de-Libye-le-pire-est-a.html [consulté le 17 septembre 2016].
51. V. Stocker, « En Libye, la guerre oubliée des Touaregs et des Toubous », Orient XXI,
28/09/2015, [en ligne] URL : http://orientxxi.info/magazine/en-libye-la-guerre-oubliee-des-
touaregs-et-des-toubous,1030, [consulté le 15 avril 2016].
52. R. Amokrane, « L’armée amazighe libyenne défile à Adrar N’fousa ! », Tamurt, 1 er mars 2017,
[en ligne] URL : http://www.tamurt.info/larmee-amazighe-libyenne-defile-adrar-nfousa/
[consulté le 2 mars 2017].
53. « Tamazight décrété langue officielle en Libye », Kabylie-news, 23 février 2017, [en ligne] URL :
http://kabylie-news.observalgerie.com/actualite/politique/tamazight-decretee-langue-
officielle-libye/ [consulté le 2 mars 2017].
AUTEUR
THIERRY DESRUES
Chargé de recherche du Consejo superior de investigaciones cientificas (CSIC) à l’Instituto de
estudios sociales avanzados (IESA) de Cordoue (Espagne). Chercheur associé de l’Institut de
recherche et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence et du
177
Centre Jacques-Berque pour les sciences humaines et sociales au Maroc à Rabat ; ses travaux
portent sur les régimes politiques, l’action associative (pour le développement local, de groupes
d’intérêts sectoriels, de plaidoyer, contestataire), les mouvements identitaires (islamistes,
amazighes), les cadets sociaux (jeunes, femmes) et le changement social au Maghreb ainsi que le
racisme et la xénophobie en Espagne.
178
universitaires à Madrid provenant du Rif. Cependant, ce n’est qu’au milieu des années 90
que la tenue d’événements liés à la culture et à la langue amazighe acquiert une certaine
continuité. Et il faudra encore attendre le début des années 2000 pour que des
associations, se définissant spécifiquement comme amazighes, apparaissent à divers
endroits du pays. Depuis lors, leurs activités ainsi que la nature de leurs revendications
ont évolué sous l’influence de trois facteurs fondamentaux : le contexte historique et les
particularités du système politique espagnol ; l’évolution de la question amazighe en
Afrique du Nord ; les changements ayant eu lieu dans les dynamiques migratoires et à
l’intérieur de la propre communauté amazighe en Espagne.
4 Cet article analyse l’évolution de l’activisme amazighe en Espagne, des premières
initiatives entreprises en 1970 jusqu’à nos jours, en tenant compte des dimensions
suivantes : les transformations de la structure organisationnelle ; la typologie des
acteurs ; les dynamiques de mobilisation ; les activités et le degré d’institutionnalisation
atteint. Dans une première partie, on propose une approche globale des instruments
d’analyse employés pour examiner la nature et les caractéristiques de l’activisme de la
diaspora amazighe et l’interrelation de celui-ci avec le contexte du pays d’accueil, les
processus de changement expérimentés dans les pays d’origine et les transformations
internes du groupe. Dans une deuxième partie, on aborde l’évolution de l’activisme
amazighe au cours de trois périodes : les années 70 à Madrid ; les années 90 ; les années
2000.
5 Le corpus de la recherche est composé d’un total de vingt-deux entretiens semi-
structurés en profondeur, réalisés au cours de deux périodes différentes : avril 2008 -
octobre 2011 et octobre 2013 - janvier 2014, auprès d’activistes de la cause amazighe à
Madrid, en Catalogne et au Pays basque. Parallèlement, des sessions d’observation
participante ont été réalisées entre 2008 et 2014 durant des manifestations, des réunions,
des conférences et des célébrations organisées par les associations amazighes dans ces
régions d’observation. D’autres matériels tels que la presse écrite et des articles en ligne,
des documents produits par des associations, des militants et des intellectuels liés à la
cause amazighe ont été analysés. Enfin, on a suivi des groupes et des communautés
Facebook, des forums de discussion et des sites web concernant l’activisme amazighe en
Europe et en Afrique du Nord.
établissent de multiples connexions et échanges entre les pays d’origine et les pays où
elles se sont établies ou par lesquels elles transitent6. Quand on aborde les diasporas, on
considère aussi bien le pays d’accueil que le pays ou le territoire d’origine, le système de
relations établi entre les deux pôles et l’espace global. L’activité de ces populations doit
donc être analysée d’un double point de vue : d’une part, leurs politiques en tant
qu’immigrants (immigrant politics), c’est-à-dire les actions ayant pour objectif d’améliorer
leurs droits et leurs conditions sociales, économiques et politiques dans le pays d’accueil,
d’autre part, les politiques envers la patrie (homeland politics), qui concernent les activités
transnationales entreprises par rapport aux questions de politique domestique ou
extérieure du pays d’origine7. Ces deux agendas politiques, selon Østergaard-Nielsen8,
n’opèrent pas nécessairement de manière indépendante. Ils peuvent se superposer et,
parfois même, se renforcer.
8 La forme et l’étendue des deux types d’agenda ainsi que la sphère d’influence des
diasporas sont déterminées par plusieurs facteurs : la structure d’opportunité au niveau
local et global, la composition du groupe diasporique ainsi que certains micro-éléments
comme les réseaux sociaux et l’implication personnelle de certains acteurs locaux et de la
diaspora. En premier lieu, la structure d’opportunité – déployée aussi bien au niveau local
que globalement9 – comprend dans le cas du pays d’accueil non seulement son contexte
économique, politique et social, mais aussi ses conditions structurelles et son ambiance
normative, administrative et législative10. C’est ainsi qu’on a observé que les groupes
d’immigrants sont organisés autour de divers clivages (cleavages), que leurs demandes
sont diversifiées et qu’ils font appel à des stratégies qui diffèrent en fonction des canaux
de participation disponibles dans le pays d’accueil. Ces divers facteurs sont d’autant plus
importants qu’ils configurent la principale structure ou le contexte dans lequel ils sont
socialisés et le principal interlocuteur avec lequel ils négocient leurs identités11. Les
modèles d’inclusion politique de chaque État représentent le cadre de référence dominant
pour l’activisme des groupes immigrants et la base sur laquelle les États de résidence
élaborent leurs politiques (re)distributives envers ces populations12. Par conséquent, la
structure d’opportunité politique dans l’État d’accueil constitue un des facteurs
expliquant la raison pour laquelle les actions de plusieurs groupes originaires d’un même
pays prennent des chemins différents selon le pays où ils s’établissent 13. Dans le cas de
l’Espagne, ce facteur revêt un intérêt particulier, étant donné l’organisation politique de
l’État et l’existence de tensions au sein de certains groupes nationaux (basques, catalans) ;
cela a amené la diaspora amazighe à adopter différents modèles de participation et de
représentation dans la sphère publique ainsi que divers modèles de coopération avec les
institutions et les sociétés locales, conformément aux processus d’intégration des
immigrants et à l’intérêt porté par chaque gouvernement régional aux minorités
ethniques et à la diversité culturelle. La combinaison de ces facteurs a donné lieu à divers
niveaux d’institutionnalisation de la cause amazighe. Celle-ci peut être envisagée selon la
triple perspective suivante : l’incorporation des demandes formulées par les groupes
diasporiques dans l’agenda politique du gouvernement des territoires de résidence ;
l’utilisation des catégories propagées par l’activisme amazighe de la part des organismes
gouvernementaux ; la participation ou la collaboration des organisations de la diaspora
amazighe avec d’autres organisations sociopolitiques locales. C’est ainsi que l’on a pu
observer que les organisations amazighes de Catalogne et du Pays basque ont établi une
relation d’interlocution et de coopération plus étroite avec les autorités et les institutions
locales que les associations existantes dans d’autres régions du pays. L’ampleur de ces
liens constatée au cours des dernières années concerne les aspects suivants : le soutien
182
Internet constitue aussi un espace dans lequel les membres épistémiques peuvent négocier
leur identité et maintenir les liens psychologiques avec l’identité culturelle de leurs
territoires d’origine23. Cette question est particulièrement importante dans le cas des plus
jeunes générations qui trouvent parfois grâce à Internet la manière de maintenir les liens
avec leurs territoires d’origine et d’exprimer simultanément leurs identités hybrides24.
Parfois, le réseau constitue aussi un espace de pouvoir à travers lequel les générations les
plus jeunes s’autonomisent et peuvent se déplacer jusqu’à des espaces offline et s’intégrer
dans le groupe des membres visibles25. L’importance et la notoriété de chaque catégorie
d’affiliation à l’intérieur de la diaspora ont changé au fur et à mesure que l’activisme
amazighe dans la diaspora a évolué dans les pays d’accueil.
13 Finalement, d’autres éléments de nature micro, tels que la répercussion d’événements
constitutifs, les accidents et les continuités biographiques ainsi que le rôle de certains
acteurs, contribuent à la forme et à l’extension de l’activisme immigrant et diasporique,
encourageant l’adoption de nouvelles demandes et d’alliances, l’introduction de
variations dans le discours ou la construction de certaines chaînes transnationales (
transnational brokerage)26. Dans cette optique, à l’intérieur de la diaspora amazighe, les
réseaux – aussi bien les formels que les informels – ont eu une grande importance dans
les campagnes de mobilisation ainsi que dans les processus de micro-mobilisation. Le
contact et la connaissance personnelle préalables ont été le moteur de l’incorporation des
deuxièmes générations et des nouveaux immigrants aux associations amazighes créées au
sein de la diaspora, ainsi que la base de certaines pratiques transnationales, en particulier
celles ayant supposé un rapprochement entre les activistes amazighes résidant dans les
pays nord-africains et les autorités et les institutions espagnoles. De même, l’implication
personnelle de certains acteurs – aussi bien des politiciens que des activistes de la société
d’accueil, que des personnalités ou des leaders activistes de la diaspora – a été décisive
quand il a été question de lancer certaines initiatives, de créer et de maintenir certaines
structures d’organisation ou d’introduire et de promouvoir de nouveaux registres de
revendication au sein de l’activisme amazighe.
années 70 joueront un rôle fondamental dans la réalisation de ces deux tâches dans la
mesure où ils encourageront l’activisme amazigh dans leur territoire d’origine, le Rif.
19 À cette époque au Maroc, plusieurs groupes d’étudiants universitaires organisaient des
activités culturelles dont le but était de promouvoir et récupérer ce que l’on appelait la «
culture populaire33 » marocaine. Ils réagissaient au manque d’attention porté à la culture
et à la langue amazighes aussi bien au niveau institutionnel qu’à l’intérieur des
organisations auxquelles ils appartenaient, notamment le syndicat des étudiants, l’Union
nationale des étudiants marocains (UNEM), et certains groupes politiques de gauche
comme ceux du mouvement marxiste-léniniste marocain. Ces organisations étaient
marquées par une idéologie nationaliste arabe et révolutionnaire et par l’idéal de l’unité
arabe. La diversité ethnique ou culturelle du pays ne faisait pas partie de leurs principales
préoccupations34. Pour la jeunesse marocaine de l’époque, il était alors plus simple de
s’identifier politiquement comme progressiste ou révolutionnaire, dans la mesure où il
s’agissait d’idéologies représentant des valeurs positives, que de poser la question de l’
amazighité, qui pouvait être considérée comme quelque chose de rétrograde et populiste,
pouvant être associée à une tentative de récupération de la politique coloniale française,
ou comme un attentat à l’unité du pays35.
20 Or, tandis que le climat politique du Maroc ne favorisait pas un engagement de la
jeunesse en faveur de la défense de la langue et de la culture amazighes, la situation était
tout à fait différente pour les Amazighs de la diaspora. Durant les années 60 et 70, les
discours sur la diversité se sont renforcés dans les sphères académiques européennes et
nord-américaines qui voyaient grandir la présence des étudiants marocains36. Ces
derniers sont entrés en contact avec des mouvements régionalistes en expansion à
l’époque aux quatre coins du monde. C’est dans ce contexte que, par exemple, l’Académie
berbère est créée en 1967 à Paris par un groupe d’intellectuels kabyles qui cherchaient à
défendre les minorités ethniques et culturelles face aux tendances uniformisatrices de
certains États37 ainsi qu’à intégrer certains aspects idéologiques – comme la théorie du
colonialisme interne38, défendue aussi bien par le mouvement breton que par l’occitan, le
basque et le catalan – dans le discours identitaire de certains secteurs de la diaspora 39.
21 Durant cette première phase, l’activisme amazigh en Espagne est concentré à Madrid, où
des étudiants universitaires provenant du Rif essaient de trouver une réponse tant à leurs
inquiétudes artistiques et politiques qu’à leurs préoccupations identitaires stimulées par
le contexte de bouillonnement culturel et d’ouverture politique dans le pays au cours des
dernières années du franquisme (1939-1975) et des premières années de la transition
démocratique (1975-1978). D’une part, ces étudiants cherchent à s’aligner avec « des
originaires des autonomies de Catalogne et de Galice40 », dans le but de trouver des
cercles avec lesquels ils pourront partager des intérêts et des préoccupations similaires
et, d’autre part, créer des collectifs spécifiques pour pouvoir se distinguer clairement des
autres étudiants universitaires marocains présents à cette époque à Madrid. C’est dans ce
sens que furent entreprises des initiatives comme la formation du groupe musical Bereber
70 et la constitution de l'Association des Étudiants du Rif, indépendante de la section du
syndicat UNEM à Madrid41.
22 Malgré toutes ces actions, l’activité de la diaspora amazighe établie à Madrid s’est
fondamentalement centrée sur le développement d’un agenda politique pour la patrie (
homeland politics), et plus particulièrement sur la promotion et le développement de
l’activisme amazigh dans sa région d’origine. Ainsi, la diaspora contribua activement à la
création de la première association amazighe du Rif, Intilaka Atakafia, en 1978 dans la ville
186
évidence l’existence d’une population amazighe dans le pays. Ainsi, durant les années
préalables à son approbation, l’inclusion du tamazight comme langue co-officielle et
maternelle des musulmans de Melilla constitua une des questions centrales du débat
politique local. La Gauche Unie (IU) de Melilla et certaines associations amazighes nées
dans ce contexte, comme l’Association des amis du Tamazight (1994), l’Association
culturelle Zarifaslit (1994) ou encore le Collectif de documentation et des études
Amazighes, dont le fondateur était originaire de Melilla, sont les promoteurs de ce débat.
30 Un des principaux arguments de la campagne en faveur de la co-officialité de cette langue
reposait sur des études et des rapports qui avaient repéré les problèmes d’échec scolaire
au sein de la population musulmane et les avaient attribués au manque d’attention
institutionnelle envers la langue maternelle de cette partie de la population de Melilla53.
Le statut fut approuvé en mars 1995 et, bien qu’il n’ait finalement reconnu que la «
pluralité culturelle et linguistique » de Melilla, cela servit à lancer la création d’un réseau
de soutien local à la question amazighe – constitué non seulement d’associations
spécifiquement amazighes mais aussi d’organisations politiques locales et d’organisations
religieuses54 –, à la mise en route de certaines initiatives par les pouvoirs publics locaux –
telles la création du « Séminaire permanent de la culture tamazight » en 1995 et la
création de la « Bibliothèque amazighe » dans le Service des publications de la ville
autonome en 1998 – sans oublier d’autres expériences plus éphémères55.
31 Le statut marqua aussi le point de départ de certains engagements politiques, comme la
promotion de l’inclusion du tamazight dans l’inventaire des langues européennes
qu’allait réaliser la Commission de la culture du parlement européen56, et de la
sensibilisation accrue de certains partis politiques parlementaires – particulièrement le
Parti nationaliste basque (PNV) et Convergència i Unió (CiU)57 – envers la question
amazighe.
32 À partir de la seconde moitié des années 90, l’université devient un autre espace de
prédilection pour la langue et la culture amazighes à travers l’organisation de cours de
tamazight58 et de séminaires spécifiques sur ces questions 59. De même, de nouvelles
études vont être menées et vont devenir des références, comme La Lengua rifeña de
Tilmatine, El Molghy, Castellanos et Banhakeia qui sera publiée en catalan (1995) et en
espagnol (1998). En 1996, pour la première fois en Espagne, l’enseignement de la langue
amazighe est introduit dans les études officielles de philologie de l’université de Cadix.
33 En ce qui concerne la structure de l’activisme amazigh au cours de cette période, elle se
caractérise principalement par le caractère personnalisé des associations existantes,
créées à partir d’initiatives individuelles des membres « visibles » de la diaspora. Cette
dynamique est à l’origine du surgissement d’organisations comme l’Association culturelle
amazighe créée en 1994 par Khalid Amzir à Bilbao60, l’Association de culture tamazight
(1995)61 et la Fondation méditerranéenne Montgomery Hart des études amazighes et du
Maghreb (1997)62, fondée par Rachid Raha à Grenade, et le Centre Mohamed Abdelkrim El
Khattabi d’études et de documentation (CADE), fondé à Barcelone par Mohamed El Hafi et
Souleiman El Morabit63. Le dynamisme de ces associations dépendait du niveau d’activité
de leurs fondateurs, de telle sorte que les leaders associatifs les plus actifs se sont
consolidés comme des interlocuteurs de référence pour les institutions et organisations
qui, à cette époque, commencèrent à s’intéresser à la question amazighe. Parmi ces élites,
le cas de Rachid Raha est digne d’intérêt, car il est devenu un des principaux
interlocuteurs de l’activisme amazigh pour certaines institutions politiques étatiques et
européennes. En effet, après la création de la Fondation Montgomery Hart, Rachid Raha,
189
défense des particularités des autres communautés, les langues et les cultures des
minorités, et de l’implication de certains personnages politiques et sociaux locaux dans la
cause amazighe. Le processus de montée en visibilité de la culture et de l’identité
amazighes en Catalogne a été canalisé grâce à une coopération fluide entre associations et
institutions, parmi lesquelles il faudrait mentionner des centres éducatifs et de
recherche, comme le Centre Internacional Escarré per a les Minories Ètniques i Nacionals
(CIEMEM), l’Institut Europeu de la Mediterrània (IEMed), l’université de Barcelona (UB) et
l’Université autonome de Barcelone (UAB) ; des mairies et divers organismes de la
Generalitat, comme la Direction générale des universités, le Département de l’Action
sociale et de la citoyenneté, l’Agence catalane de coopération au développement ; des
organisations publiques et privées à caractère social et culturel, comme le Club des amis
de l'Unesco de Barcelone – avec lequel le Congrès mondial amazigh (CMA) établit un
contrat de collaboration pour « promouvoir l’identité socioculturelle de la communauté
amazighe de Catalogne » en mai 200672 –, l’Associació CAF (Comunitats Auto Finançades),
le Fons Catalá de Cooperació et SODEPAU ; sans compter les associations locales,
notamment de quartier. De même, certains partis politiques catalans, Convergencia i Unio
(CiU) et Esquerra Republicana de Cataluña (ERC) en particulier, ont participé à ce
rapprochement entre la cause amazighe et les institutions et les sociétés locales, en
contribuant activement à l’adoption de mesures comme la résolution 1197/VI du
parlement de Catalogne, le 6 mars 2002. Celle-ci marque un point d’inflexion pour la
cause amazighe dans la diaspora, car il s’agit de la première expression officielle de
soutien d’un parlement étranger aux revendications culturelles et linguistiques
amazighes provenant tout à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de l’Afrique du Nord 73.
40 ERC a été particulièrement actif dans ces deux champs, et sa participation dans les
gouvernements tripartis de 2003-2006 et 2006-2010 favorisa la consolidation de
l’activisme de la diaspora amazighe dans l’arène publique catalane, ainsi que son
institutionnalisation à travers trois voies principales. En premier lieu, il a reçu un soutien
politique et économique à travers l’assistance et le patronage de rencontres et de
célébrations promues par des organisations amazighes au niveau local74 et international75.
En deuxième lieu, via le soutien et la promotion de politiques et d’initiatives de
reconnaissance du collectif amazigh dans le contexte de la diaspora, en particulier à
travers l’impulsion de l’enseignement de la langue amazighe dans certaines écoles
catalanes76, à travers les médias locaux, comme le programme d’information
hebdomadaire que Barcelona Televisió transmettait en amazigh, et avec la publication de
documents institutionnels en format bilingue (catalan-tamazight) relatifs aux questions
d’intégration et de vie en commun77. Finalement, ce soutien est illustré par la création
d’institutions responsables du soutien et de la diffusion de la culture amazighe, comme
l’Observatoire catalan de la langue amazighe (OCLA)78 à l’intérieur de l’Institution
Llinguamon-Casa de las Llengües en 2005 et la fondation de la Casa Amaziga de Catalogne
79
en 2010.
41 Les étroites relations et les dynamiques de collaboration établies entre l’activisme de la
diaspora amazighe en Catalogne et les institutions et les sociétés locales ont favorisé
l’émergence d’une forte identification des militants amazighs de la diaspora et d’Afrique
du Nord avec la Catalogne. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre des initiatives comme
la proposition de création d’un Conseil des Rifains d’Europe en Catalogne80, ou le
déplacement du siège du CMA de Paris à Barcelone81, qui concrétisent la convergence des
discours et des modèles de représentation adoptés par certaines associations amazighes 82.
192
d’initiatives rifaines (CIR) grâce auquel différentes actions furent menées comme le
programme de radio transnational Azul (« salut » en amazigh) entre Madrid et
Al Hoceima. Cette initiative permit de lancer une plateforme innovatrice de
communication entre les deux continents, grâce à laquelle les gens du Rif établis à Madrid
et ceux qui continuaient à vivre dans la région se racontaient leurs projets de vie
respectifs, permettant ainsi de diffuser la culture amazighe à travers les ondes. Ainsi, à la
différence de la Catalogne, l’agenda de la diaspora amazighe à Madrid était plutôt centré
sur son aspect diasporique et transnational que sur l’activisme immigrant. Cette tendance
s’est manifestée par des actions comme l’organisation de rencontres entre des militants
amazighs des territoires d’origine et des membres de la diaspora, des institutions et des
acteurs de la société civile locale88. Malgré tout, la capacité d’action de l’activisme à
Madrid était conditionnée par les ressources et la disponibilité économique et
biographique des personnes engagées et par un contexte local moins favorable à la
reconnaissance des particularismes.
Conclusion
46 La diaspora amazighe en Espagne a joué différents rôles au cours de l’histoire. Ses
capacités d’action ont été conditionnées soit par les circonstances et les ressources
disponibles dans les régions d’établissement, dans ses territoires d’origine et au niveau
international, soit par l’influence exercée par certains réseaux et personnalités. La
conscience diasporique – entendue comme une intellectualisation d’une condition
existentielle au-delà des conditions économiques et sociales89 provoquant la réflexion sur
des questions telles que « Quel est le problème amazigh ? » – est présente au sein de
l’immigration amazighe depuis les premières initiatives militantes. La préservation de
cette conscience est fondamentalement due aux associations amazighes qui ont joué un
rôle important dans la génération d’espaces où la mémoire et l’identité collective peuvent
être exprimées et recréées. Finalement, l’activisme de la diaspora amazighe en Espagne
apparaît plutôt comme « contenu », étant donné son interaction épisodique, publique et
collective avec les organisations de la société civile, les institutions, les gouvernements et
les partis politiques locaux du pays de résidence, sa préférence pour organiser son agenda
autour de manifestations non violentes et la priorisation de ses actions dans des régions
ayant des systèmes pluralistes de représentation d’intérêts.
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NOTES
1. Voir « François Alfonsi, député européen, crée un « groupe d’amitié » avec le peuple berbère -
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197
2. Déclaration du Congrès mondial amazigh à l’occasion du Forum permanant des peuples autochtones,
New York, 18-24 mai 2009.
3. Le cas de la Catalogne est à part, puisque diverses recherches et organisations locales
indiquent qu’environ 80 % de la population provenant du Maghreb est amazighe. Voir par
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8. Ibid.
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19. On reprend ici la typologie élaborée par D. Pasura, « A Fractured Transnational Diaspora: The
Case of Zimbabweans in Britain », International Migration, nº 50, 1, 2012, p. 143-161.
20. Á. Suárez-Collado, « A Tired Diaspora? Pitfalls and Discontinuities in the Amazigh Diaspora
Activism in The Netherlands ». Á. Suárez Collado, « Cyberactivisme et liens transnationaux au
Rif », dans Les Nouvelles sociabilités du Net en Méditerranée, sous la dir. de S. Najar, Paris, Khartala,
198
2012, p. 101-115 ; Á. Suárez Collado, « La esfera virtual del activismo amazigh en Europa: una
alternativa de identificación para las segundas generaciones », dans Prácticas culturales juveniles y
movimientos sociales en el Mediterráneo ¿Un cambio de época?, sous la dir. de G. Lobillo et al., Málaga,
Círculo de Estudios Audiovisuales Ad Hoc, 2016, p. 273-283. Á. Suárez Collado, « La etnicidad
frente al Islam: el discurso de identidad de las comunidades amazighes en España », Revista de
Estudios internacionales mediterráneos, 16, 2014, [en ligne] URL : https://revistas.uam.es/
index.php/reim/article/view/929 [consulté le 18 février 2015].
21. J. Brinkerhoff, Digital Diasporas. Identity and Transnational Engagement, Cambridge, Cambridge
University Press, 2009.
22. Á. Suárez Collado, « Cyberactivisme et liens et liens transnationaux au Rif », op. cit. ; Á. Suárez
Collado « La etnicidad frente al Islam: el discurso de identidad de las comunidades amazighes en
España ».
23. J. Brinkerhoff, Digital Diasporas...
24. M. Van Den Bos M., L. Nell, « Territorial bounds to virtual space: transnational online and
offline networks of Iranian and Turkish–Kurdish immigrants in the Netherlands », Global Networks
, nº 6, 2, 2006, p. 201-220.
25. Á. Suárez-Collado, « La esfera virtual del activismo amazigh en Europa: una alternativa de
identificación para las segundas generaciones », op. cit.
26. F. Adamson, « Mechanisms of diaspora mobilization and the transnationalization of civil
war », dans Transnational Dynamics of Civil War, sous la dir. de C. Jeffrey, Cambridge, Cambridge
University Press, 2013, p. 63-88.
27. M. Bruneau, Diasporas, Montpellier, GIP Reclus, 1995.
28. Ibid.
29. R. Pennix, M. Schrover, Bastion of bindmiddel? Organisaties van immigraten in historisch perspectief
, Amsterdam, Aksant, 2001.
30. A. Van Heelsum, « Moroccan Berbers in Europe, the US and Africa and the Concept of
Diaspora », Occasional Lecture Series, UCLA Center for European and Eurasian Studies, 2003, [en
ligne] URL : http://escholarship.org/uc/item/3f35d97x [consulté le 1 er septembre 2013] ; A. Van
Heelsum, H. Van Amersfoort, « Moroccan Berber Immigrants in The Netherlands, Their
Associations and Transnational Ties: A Quest for Identity and Recognition », Immigrants &
Minorities: Historical Studies in Ethnicity, Migration and Diaspora, nº 25, 3, 2007, p. 234-262 ; R. Strijp,
« Moroccan Associations in a Dutch Town », dans Culture, Structure and Beyond. Changing Identities
and Social Positions of Immigrants and their Children, sous la dir. de M. Crul et al., Amsterdam, Het
Spinnuis Publishers, 1999, p. 49-74 ; N. Karrouche, « Where National Histories and Colonial Myths
Meet: “Histoire Croisée” and Memory of the Moroccan-Berber Cultural Movement in The
Netherlands », dans Religions in Movement. The Local and the Global in Contemporary Faith Traditions,
sous la dir. de R. Hefner et al., New York, Routledge, 2013, p. 114-132 ; Á. Suárez-Collado, « A Tired
Diaspora? Pitfalls and Discontinuities in the Amazigh Diaspora Activism in The Netherlands ».
31. Á. Suárez-Collado, El Movimiento amazigh en el Rif: identidad, cultura y política en las provincias de
Nador y Alhucemas, thèse de doctorat, Universidad Autónoma de Madrid, Madrid, 2013.
32. S. Chaker, Berbéres aujourd’hui, Paris, l’Harmattan, 1989.
33. L’élément central du discours amazigh durant cette première période fut la défense de la «
culture populaire ». La culture amazighe était considérée comme la base et la véritable culture de
la population marocaine, bien que déplacée par les cultures arabe et française imposées par
l’élite urbaine. Voir A. Boukous, Langage et culture populaires au Maroc, Casablanca, Dar al-Kitab,
1977 ; H. Rachik, « Construction de l’identité amazighe », dans Usages de l’identité amazighe au
Maroc, sous la dir. de H. Rachik, Casablanca, Imprimerie Anajah, 2006, p. 15-66.
34. M. Majid, Les Luttes de classes au Maroc depuis l’Indépendance, Rotterdam, Editions Hiwar, 1987.
35. T. Lehtinen, Nation à la marge de l’État, la construction identitaire du Mouvement culturel amazigh
dans l’espace national marocain et au-delà des frontières étatiques, thèse de doctorat, École des Hautes
199
Études en sciences sociales, Paris, 2003 ; F. Ait Mous, « Le réseau associatif amazigh : émergence
et diffusion », dans Usages de l’identité amazighe au Maroc, sous la dir. de H. Rachik, Casablanca,
Imprimerie Anajah, 2006, p. 131-159.
36. M. Willis, « Las políticas de la identidad bereber (amazigh) », dans El Magreb. Realidades
nacionales y dinámicas regionales, sous la dir. de Z. Yahia et H. Amirah, Madrid, Editorial Síntesis,
2008, p. 283-299.
37. K. Slimani-Direche, Histoire de l’émigration kabyle en France au XX e siècle. Réalités culturelles et
politiques et réappropriations identitaires, Paris, l´Harmattan, 1997, p. 93.
38. La théorie du « colonialisme interne » concerne la situation par laquelle une région
périphérique – dont la population diffère culturellement des populations du centre de l’État – se
trouve économiquement et politiquement contrôlée par le centre, tel que dans une situation
coloniale. Voir F. Schrijver, Regionalism after regionalisation. Spain, France and the United Kingdom,
Amsterdam, Amsterdam University Press, 2006, p. 56.
39. Á. Suárez-Collado, El Movimiento amazigh en el Rif., p. 147.
40. Interview avec un membre du groupe d’étudiants du Rif à Madrid participant à la création de
l’association Intilaka Atakafia. Voir Á. Suárez-Collado, op. cit., p. 148.
41. Á. Suárez-Collado, idem, p. 148, 233.
42. Interview avec un membre de l’association Intilaka Atakafia. Voir Á Suárez-Collado, idem, p.
149.
43. Á. Suárez-Collado, idem, p. 153-154.
44. Le Groupe de travail de Madrid était formé par Karim Chemlal, Hasan Ouass, Mohamed
Toufali, Mohamed Tahiri, Kais Marzouk El Ouariachi, Cadi Kaddour et Mohamed Hafhafi. La
plupart d’entre eux habitaient à Madrid, mais certains, comme El Ouariachi et Kaddour,
étudiaient à Paris et se rendaient à Madrid assez fréquemment. Voir Á. Suárez-Collado, op. cit.,
p. 164.
45. Interview avec un membre du « Groupe de travail de Madrid ». Cf. Á. Suárez-Collado, idem,
p. 235.
46. Á. Suárez-Collado, idem, p. 279-287. Á. Suárez-Collado, « The Amazigh Movement in Morocco:
new generations, new references of mobilization and new forms of opposition », Middle East
Journal of Culture and Communication, nº 6, 2013, p. 55-70.
47. S. Chaker, Berbéres aujourd’hui.
48. La Charte d’Agadir fut la première systématisation et dissémination de l’idéologie amazighe au
Maroc et le premier document formel collectif de demande de l’officialisation du tamazight à
l’État du Maroc. Voir H. Rachik, « Construction de l’identité amazighe ».
49. Dans un discours prononcé le 20 août 1994, le roi Hassan II reconnaissait le besoin d’enseigner
les « dialectes berbères » dans les centres scolaires et d’introduire leurs trois variantes
linguistiques dans les services d’information. Cette dernière mesure sera la seule à être mise en
œuvre durant son règne.
50. La Commission nationale du V e Centenaire fut créée pour diriger les actes commémoratifs de
la découverte de l’Amérique. Dans leur organigramme et dans leur programmation, deux autres
sections furent inclues, Sefarad 92 et Al Andalus 92, destinées à diffuser les contributions juive et
arabo-musulmane à la culture espagnole.
51. Parmi les activités qui ont eu lieu au cours de l’année 1992, on peut mentionner la rencontre
organisée par l’Association canarie d’archéologie et de préhistoire à l’Université de La Languna,
les journées célébrées à Melilla avec la coordination des associations Averoes, Neópolis et Al
Qalam et la rencontre organisée par l’Association des étudiants marocains à Grenade. Voir « El
movimiento cultural amazigh en España », Revista Campus, 11 juillet 1997.
52. H. Bouzalmate, « Amazigh 92: por la creación del Centro de estudios Amazigh », Aldaba
(Revista del Centro Asociado de la UNED), nº 19, 1992, p. 203-211.
200
53. V. Moga, « El repte de la construcció social en una ciutat de frontera hispanomarroquina:
l’estat de la qüestió amaziga a Melilla (1985-2005) », dans Els Amazics avui, la cultura berber, sous la
dir. de M.A. Roque et al., Barcelona, IEMed, 2009, p. 213-224.
54. Parmi les formations politiques se trouvent la Gauche unie, le Parti indépendant hispano-
berbère, la Coalition pour Melilla, Vértice socialista et, parmi les religieuses, la Commission
islamique et la Communauté musulmane. Voir M. Tilmatine, « El amazige (bereber) en el
contexto de la inmigración : ¿hacia un proceso de reconocimiento? », Al-Andalus Magreb, nº 10,
2003, p. 265-279.
55. Parmi ces initiatives, on trouve le Musée berbère de Melilla, le Centre d’investigation et de
documentation amazighe et l’émission de bulletins journaliers et hebdomadaires d’informations
en tamazight à la télévision locale de Melilla. Voir V. Moga, « El repte de la construcció social en
una ciutat de frontera hispanomarroquina: l’estat de la qüestió amaziga a Melilla (1985-2005) ».
56. Cette initiative provient d’Abdelkader Mohamed, eurodéputé de IU pour Melilla et membre
de ladite Commission de la culture du parlement européen. Voir Melilla Hoy, 26 juin 1996.
57. La proposition d’inclure le tamazight comme langue co-officielle à Melilla reçut le soutien du
PNV et de CiU durant le débat politique et parlementaire. Ces deux partis politiques et Esquerra
Republicana de Catalunya (ECR) ont apporté leur soutien, national et internationalement, aux
revendications de l’activisme amazigh.
58. Comme exemple, on peut citer les cours de tamazight de l’Institut universitaire « Nuestra
Señora de África » à Madrid, de l’Institut interuniversitaire d’études de l’ancien Proche-Orient à
Barcelone et le Centre culturel universitaire à Grenade. Dans ces cas-là, les enseignants étaient
des étudiants universitaires ou de doctorat d’origine amazighe. De même, à partir de 1992, on
commença à organiser des cours de langue amazighe à l’Université autonome de Barcelone. Voir
C. Castellanos, H. Akioud, « La Presència de la llengua amaziga (o berber) », Treballs de
sociolingüística catalana, nº 14-15, 2000, p. 77-87. « La enseñanza del tamazight en España », Melilla
Hoy, 30 septembre 1998.
59. On peut mentionner le « Cours sur la langue et la culture tamazight » organisé par
l’université de Grenade et la mairie de Melilla et le séminaire « La realitat amaziga (bereber) al
Nord d’Africa » qui eurent lieu durant l’été 1996, ou le « Séminaire international en méthodologie
et enseignement de la langue amazighe » en février 1999. Voir Melilla Hoy, 27 juillet 1996 ; « El
movimiento cultural amazigh en España », Revista Campus, 11 juillet 1997 ; « Dossier Amazigh » nº
14, mars 1998 ; et « Dossier Amazigh » nº 21, mars 2000.
60. Interview avec un membre de la diaspora amazighe à Bilbao, 17 janvier 2014.
61. « El movimiento cultural amazigh en España », Revista Campus, 11 juillet 1997.
62. Ideal, 18 mars 1997.
63. Interview avec un membre de la diaspora amazighe à Barcelone, 18 avril 2009.
64. Melilla Hoy, 7 juin 1997.
65. Melilla Hoy, 17 juillet 1997.
66. Voir le résultat de la recherche de F. Marti, Un Monde de paroles, paroles du monde : étude sur les
langues du monde, Paris, l’Harmattan, 2006, et une information sur la participation de Rachid Raha
au journal Melilla Hoy, 22 novembre 1998 et El Faro, 22 novembre 1998.
67. La plupart du temps, il s’agissait de partis politiques et de syndicats de gauche et d’extrême-
gauche, comme : la Confédération syndicale des commissions ouvrières (CCOO), la Confédération
générale du travail (CGT), la Confédération nationale du travail (CNT) et IU, des organisations
culturelles telles que les Clubs des amis de l’Unesco, des groupements de voisins et des
organisations anti-racistes comme SOS Racisme.
68. Aussi bien CCOO que le Club des amis de l´Unesco de Madrid, en étroite collaboration avec
l’Association des émigrants marocains en Espagne (AEME), ont cédé leurs locaux aux
organisations et aux collectifs constitués par d’ anciens membres de l’AEME pour la célébration
d’activités liées à la cause amazighe en différentes occasions comme les « Journées de la culture
201
amazighe dans le Rif » – qui ont eu lieu au siège de CCOO à Madrid les 25 et 26 mars 1999 – ou,
postérieurement, les activités organisées par Rif Radio Libre.
69. La CGT fut l’une des organisations politiques locales qui prêta le plus d’attention à la situation
de l’activisme amazighe dans le nord de l’Afrique dans ses bulletins d’information.
70. Dans le cas du Maroc il convient de citer le Manifeste amazigh, la création de l’Institut royal
de la culture amazighe (IRCAM), l’augmentation du nombre d’associations amazighes dans tout le
pays, l’introduction de l’enseignement tamazight dans les écoles et la création – postérieure à
l'illégalisation – du Parti démocratique amazigh du Maroc (PDAM). Dans le cas de l’Algérie, les
révoltes de l’année 2001 en Kabylie (le Printemps noir), l’apparition du mouvement Citoyen des
Aarchs et le mouvement en faveur de l’Autonomie de la Kabylie.
71. Une des questions les plus contestées par les activistes amazighs en Espagne et dans d’autres
pays de la diaspora est l’omission des prénoms amazighs dans les listes de prénoms fournies par
les ambassades aux institutions officielles locales, de sorte que les parents ne peuvent pas donner
des prénoms amazighs à leurs enfants.
72. Voir « Signature d’une convention CMA-Unesco Catalunya », Secrétariat du CMA, 2006 [en
ligne] URL : http://amazighworld.org/human_rights/index_show.php?id=514 [consulté le 15 juin
2010].
73. Dans cette résolution, le gouvernement de l’État espagnol est instamment prié d’introduire la
demande de respect des droits humains et, en particulier, ceux concernant les droits de l’identité
amazighe dans les négociations bilatérales avec les gouvernements d’Afrique du Nord. De même,
la Catalogne est déclarée terre d’accueil politique et culturel de la population amazighe. Enfin, il
est fait mention de l’intention de promouvoir l’enseignement du tamazight au même niveau que
les autres langues de l’immigration en l’incorporant à l’enseignement universitaire.
74. Au niveau local, le soutien financier pour la célébration d’activités, de festivals et de journées
relatives à la culture et à la cause amazighes provient aussi bien des mairies – sous forme de
cession d’espaces et de composition de budgets – que du gouvernement de la Generalitat. Cet
appui était destiné à des associations amazighes et à d’autres entités comme, par exemple, l’UB
pour l’organisation du IVe Printemps Amazighe en 2006. Voir URL: http://www.informaley.com/
subvenciones/resolucion-uni-756-2006-22-marzo-publicidad-al-otorgamiento-
subvenciones_0_3576480.html [consulté le 20 septembre 2015]. Il faut mentionner aussi
l’engagement de certains politiciens catalans envers la cause amazighe comme Joan Tardá, qui a
assisté avec assiduité aux activités organisées par l’activisme amazigh, à l’intérieur et à
l’extérieur de la Catalogne. À ce propos, au niveau local, on rappellera sa participation et sa
présence lors des festivités du Yennayer organisées par l’Association culturelle pour les droits du
peuple amazigh en Catalogne dans la localité de Rosas en 2012 et, en dehors de la Catalogne, sa
participation aux journées sur le tamazight de la ville de Melilla en décembre 2004. De même, il
conviendrait de souligner le rôle prédominant de Tardá et de ERC pour impulser les démarches
de deux propositions de loi auprès du parlement de l’État espagnol : d’abord, en 2004 pour
officialiser le tamazight à Melilla, ensuite, en 2007 concernant l’utilisation d’armes chimiques par
l’Espagne durant la guerre du Rif.
75. Au plan international, en dehors de l’approbation de la résolution 1197/VI, le parlement de
Catalogne a reçu des activistes amazighs à plusieurs reprises. Ce fut le cas en janvier 2008, quand
une délégation fut reçue par des députés d’ERC et par Carod-Rovira, en qualité de vice-président
de la Catalogne. Réciproquement, des représentants des partis politiques catalans (CiU, ERC), des
institutions et des organismes officiels (l’Agence catalane de coopération au développement)
ainsi que des organisations locales (Centre Unesco de Catalogne) ont participé au cours des
dernières années aux différents forums internationaux organisés par l’activisme amazigh,
comme les assemblées du Congrès mondial amazigh à Nador (2005) et à Meknès (2008), sans
oublier les rencontres sur l’autonomie et le fédéralisme de 2007 et 2009 au Maroc. En ce qui
concerne le financement des rencontres internationales, on peut citer comme exemple la V e
202
Assemblée du CMA de 2008, à laquelle aussi bien le gouvernement catalan que l’Agence catalane
de coopération au développement apportèrent 15 000 €. Voir « Où sont passés les 45 000 € du
Congrès mondial amazigh ? », Jeune indépendant, 20 octobre 2008.
76. En 2005, grâce à un accord avec le département de l’Éducation de la Generalitat de Cataluña,
les cours de tamazight démarrent dans quatre centres éducatifs hors des horaires de classe. Le
nombre des écoles dans lesquelles on donnait ces cours augmenta progressivement jusqu’à
atteindre le nombre de huit pendant l’année scolaire 2011-2012. Voir M. Tilmatine, «
L’enseignement de l’amazigh en Catalogne : bilan et perspective », dans Langue maternelle et
diaspora maghrébine, sous la dir. de M. Ennaji, Centre Sud Nord, 2014, p. 65-88.
77. On peut citer comme exemple les documents « Benvinguda a les dones que arriben a
Catalunya » de l’Institut Català de les Dones, en tamazight rédigé en alphabet latin, et « Consells
de seguretat » du Corps des pompiers de la Generalitat, en tamazight rédigé en alphabet tifinagh.
78. Le OCLA fut créé en 2007 suite à un accord entre Linguamón-Casa de les Llengües, la UAB et
l’université de Cadix. Son rôle depuis lors a été celui d’élaborer des textes et de la documentation
pour l’enseignement de la langue amazighe et son processus de standardisation. Au sein de
l’OCLA s’unissent le Grup d’Estudis Amazics (formé dans la UAB en 2000) et la Comissió
d’Ensenyament dans le but de préparer le matériel pour l’enseignement du tamazight et les
programmes pour la formation de professeurs. Voir A. Baha, C. Castellanos, Report sobre el
moviment..., op. cit., et M. Tilmatine, « L’enseignement de l’amazigh en Catalogne : bilan et
perspective ».
79. La Casa Amaziga de Catalunya fut créée en 2010 avec le soutien du secrétariat à l’Immigration
de la Generalitat de Catalogne dans le but de promouvoir en Catalogne le « fait propre et la
différence amazighe » et « promouvoir le propre fait et la différence catalane à Tamazgha »,
d’orienter les Imazighen en Catalogne et de promouvoir le co-développement à Tamazgha. Voir
A. Baha, C. Castellanos, Report sobre el moviment..., op. cit.
80. Interview d'un membre de la diaspora amazighe à Barcelone, 18 avril 2009.
81. El País, 6 juillet 2009.
82. Par exemple, le Nouvel An amazigh est rebaptisé « Día de la Festa Nacional dels Amazics »
(Jour de la Fête nationale) par l’Associació Cultural pels Drets del poble Amazigh à Catalunya.
83. Communiqué de l’Associació Catalano Amaziga ACDPAC, 26 octobre 2012.
84. Dans ce sens, il convient de citer le programme « Llengua i cohesió social » de la Asociació
Cat-Arif de Sant Adriá de Besòs, qui a obtenu le prix Francesc Candel en 2013.
85. Interview d'un activiste amazigh membre de Azraf, Bilbao, 17 janvier 2014.
86. La V e Assemblée du CMA à Meknès peut compter sur un soutien économique de 30 000 € du
gouvernement basque, d’après les informations diffusées dans les journaux, comme « Où sont
passés les 45000 € du Congrès mondial amazigh ? », Jeune indépendant, 20 octobre 2008. On peut
consulter aussi les témoignages de militants dans Á. Suárez-Collado, El Movimiento amazigh en el
Rif..., op. cit., p. 474.
87. Interview d'un activiste amazigh membre de Azraf, Bilbao 17 janvier 2014. Interview d'un
membre de la seconde génération de l’activisme amazighe au Pays basque, Bilbao, 17 janvier
2014.
88. On peut citer l’organisation de la rencontre d’Ahmed Adghimi avec divers groupes
parlementaires à Madrid, en mai 2008, après la dissolution de son parti, le PDAM, par le
gouvernement marocain, ou la conférence d’Ahmed Asside à Madrid, en juin 2012, suite aux
polémiques maintenues avec des secteurs de l’islam politique au Maroc.
89. W. Safran, « Diasporas in Modern Societies: Myths of Homeland and Return », Diaspora, nº 1, 1,
1991, p. 83-99.
203
AUTEUR
ÁNGELA SUÁREZ COLLADO
Politologue et sociologue ; postdoctorante à l’Aire de sciences politiques à l’université de
Salamanque (Espagne), spécialisée dans l’étude des mouvements sociaux et de la politique locale
en Afrique du Nord et des migrations marocaines en Europe.
204
1 L’expansion vertigineuse d’Internet a renouvelé et développé les discours portant sur les
identités. De nouvelles possibilités de communication, de prises de contacts et d’échanges
s’offrent aux individus et aux minorités actives au-delà des frontières nationales. Les
populations amazighes, tant sur leurs territoires d’origine que dans la diaspora, sont
influencées par les effets de cette expansion et par les rapports entre localisation et
globalisation que celle-ci a induits1. Cette déterritorialisation fait que, d’une part, on
assiste ces dernières années à l’intensification des contacts entre les communautés
amazighes du nord de l’Afrique et la diaspora et les « pays d’origine », ou encore parmi les
immigrés eux-mêmes, renforçant ainsi des formes pré-existantes de transnationalisme2 ;
d’autre part, sur les sites internet les spécificités nationales et locales sont mises en avant
par la création et la diffusion de discours d’identification qui, dans le cas des Amazighs,
mettent en exergue la variation linguistique locale et les informations d’une région ou
d’un groupe diasporique déterminés. Ces deux processus ne sont pas isolés sur le Net
puisque les internautes participent aux discours identitaires de leurs communautés
locales et transnationales hors ligne. L’action politique et culturelle « dans la rue »,
corrélée à l’activisme virtuel, s’en trouve amplifiée.
2 Dans cet article, nous nous interrogerons sur la manière dont certains sites Web
contribuent et réfléchissent à la construction identitaire amazighe/berbère, tout autant
au niveau local que transrégional, par le biais de la mise en valeur artistique et culturelle.
Il s’agira, dans un premier temps, d’examiner leurs discours à partir de la critique et de la
subversion des constructions historiques ainsi que des approches « nationales/
nationalistes » et « globalisantes » au Maghreb et en Europe. Nous nous attacherons
ensuite à identifier les réactions de ces sites lors des « printemps arabes » et les
changements apportés par les révolutions sur le terrain, en Libye, en Tunisie et au Mali,
205
tilelli.nl et arifnews.com ; le site chleuh souss.com ; les sites des îles Canaries izuran.blogspot.nl
et azarug.org11 ; le site libyen tawalt.com ; les sites « pan-berbères » tamazgha.fr (France),
monde-berbere.net (Belgique) et amazighworld.org (Amérique du Nord).
7 Si quelques sites utilisent une des variantes locales de l’amazigh (par exemple
taqbaylit.com), la référence à cette langue est également soulignée par des sites qui ont
recours aux langues utilisées dans les échanges internationaux, à savoir l’anglais, le
français et l’arabe (par exemple tawalt.com pour cette dernière), mais aussi les langues de
la diaspora amazighe, comme l’espagnol, le néerlandais et l’italien. Ce recours à un large
spectre de langues a permis une diffusion plus souple et plus large de leur message.
D’autres sites se présentent sous un aspect plurilingue mais « séparé », avec des pages en
amazigh et des pages écrites dans une autre langue voire dans plusieurs autres. Dans
d’autres cas, il est possible de choisir entre différentes versions, en amazigh, en anglais ou
en français par exemple (mondeberbere.com). Il semble que ces choix linguistiques soient
liés, d’une part, au fait que la majeure partie de ces sites sont organisés via l’activité
culturelle dans la diaspora et, d’autre part, à la volonté de communiquer avec le plus
grand nombre possible d’individus « d’ici et d’ailleurs » et en particulier avec ceux du
nord de l’Afrique. La généralisation de la scolarisation et la multiplication des points
d'accès à Internet ont aussi apporté indirectement leur contribution à la diffusion des
messages amazighs vers le public nord-africain12.
8 Nous pouvons clairement affirmer l’importance de la diffusion de la production littéraire
et artistique sur les sites amazighs dans les négociations et les affirmations identitaires.
Ces sites consacrent en effet plusieurs pages d’information sur les nouvelles productions
et rendent également possible la diffusion de textes en berbère grâce à une publication
facile d’accès et quasiment gratuite. La circulation plus dense des œuvres sur le Web que
favorisent ces sites a permis entre autres d’améliorer les échanges et les interactions
entre la production du Maghreb et celle de la diaspora, que stimulent nombre d’écrivains,
d’acteurs et de régisseurs travaillant des deux côtés de la Méditerranée13.
9 Les sites amazighs sont une plateforme d’interactions et de dialogues pour les différents
genres littéraires, musicaux et visuels. Par ailleurs, la place de l’oralité est souvent très
présente. Sur les pages d’accueil, la référence aux genres oraux apparaît par exemple sous
la forme de proverbes et de locutions, souvent affichés dans les icônes ou les emblèmes
qui dénotent les intérêts, les sentiments et l’identification des associations et des
communautés. Ces genres rattachés à l’oralité sont traduits et transcrits sur les sites
bilingues et multilingues. Le genre littéraire du conte, notamment, est souvent abrégé et
parfois complété d’une notice bibliographique indiquant que les sites réutilisent le «
passage à l’écrit » déjà réalisé par les collections publiées hors ligne14. Quant aux
chansons, elles sont proposées sous forme audio ou audiovisuelle, parfois avec la
transcription et/ou la traduction des paroles. Des enregistrements de réunions et de
manifestations politiques, de festivals, de concerts et quelquefois de séances dédiées aux
contes, également sous forme audiovisuelle, reproduisant ainsi la communication orale,
sont mis en ligne. Les proverbes, contes, anecdotes et chants du patrimoine oral
médiatisé ont une visibilité plus ou moins bonne selon les sites et les liens vers les sous-
pages « artistiques »15. Ces liens renvoient à toutes sortes de genres littéraires,
promouvant autant l’oral que la prose et la poésie écrites, comme l’illustrent les sites des
associations à l’étranger, contenant des liens vers la « nouvelle » production de romans et
de poèmes écrits soit dans la langue vernaculaire soit dans la langue de la diaspora.
207
10 Par rapport aux sites amazighs du début des années 2000, l’attention s’est focalisée de
plus en plus sur les genres écrits, et l’utilisation du tamazight s’est intensifiée jusqu’à se
retrouver sur tous les sites. Un autre élément novateur réside dans la publication des
recensions de romans et de poèmes, voire parfois d’analyses littéraires dérivant de thèses
de master et de doctorat16. Ces recensions et analyses sont une aide essentielle à la
réflexion, notamment sur les éléments plus proprement esthétiques. Toutefois, elles
servent aussi à éclairer et à diffuser des discours qui, d’une part, traitent de la vision
homogénéisante et manipulatrice de l’identité culturelle promue par les centres du
pouvoir intellectuel et politique et, d’autre part, stimulent la critique des « tabous » et des
comportements traditionalistes à l’intérieur des communautés amazighes locales et
transnationales17. L’apparition de « l’autocritique » dans les romans et les comptes-rendus
est remarquable et spécifique du discours artistique mais peut rester inaperçue au regard
des débats politiques des sites et des critiques apportées par les diverses tendances et les
générations d’activistes.
11 Beaucoup d’œuvres produites en dehors du réseau Internet, de façon « hors ligne », sont
également diffusées par les sites diasporiques, parfois avec des extraits, des descriptions
et des commentaires, d’autres fois simplement pour en faire la publicité, voire, dans
d’autres cas, avec des vidéos d’entretiens. Ces sites participent ainsi à l’épanouissement
de productions littéraires issues autant des communautés amazighes d’Afrique du Nord
que des milieux de l’immigration et qui n’avaient pas pour objet premier de se faire
connaître grâce au Web.
12 La musique et les films jouent également un rôle de premier plan dans la construction
identitaire « numérique ». Karrouche18 écrit, par exemple, que « grâce à Internet, les izran
[chants/chansons] et les rituels ont maintenant la possibilité d’être recueillis sur des sites
où l’authenticité et la capacité des individus à agir de façon indépendante peuvent être
retrouvées » (notre traduction). La musique et les chants amazighs ont été un référent
important dans la carrière artistique de nombreux chanteurs/chanteuses berbères
d’origine maghrébine19, tels que Khalid Izri (Maroc), Idir (Algérie)20, Lazhar Ben Ouirane
(Tunisie) et Dania ben Sassi, la chanteuse amazighe libyenne qui est devenue l’icône du
mouvement amazigh libyen. En puisant dans les chants du patrimoine oral, les chansons
amazighes contemporaines aident à établir une continuité significative dans le processus
de régénération et de construction identitaires. Ces chants, très populaires par la
description et les réponses qu’ils apportent aux soucis du quotidien, forment un creuset
émotionnel fort envers les communautés amazighes de l’Afrique du Nord et celles de
l’émigration21. Les chansons contemporaines qui ont pour thématique les conditions de
vie des gens et l’expression de leurs inquiétudes et de leurs joies jouent un rôle social
crucial car elles ont le pouvoir de modifier leurs idées, décisions et projets. Selon
Dahraoui22, les chansons amazighes sur le Net deviennent un moyen de se rapprocher des
autres Imazighen éparpillés dans le monde, de s’identifier à la communauté berbère
locale et globale, mais également de rappeler la mémoire d’une terre qui, dans
l’imagination de ceux qui vivent en diaspora, tend à devenir de plus en plus abstraite.
Selon l’évolution des sites, le degré relationnel de la culture berbère avec le reste du
monde adoptera des parcours différents ; par exemple, la création du site agraw.com
pouvait être vue au départ comme le produit d’un échange entre des individus aimant la
musique amazighe et les chansons révolutionnaires et qui ont souhaité les partager sur
Internet. Par la suite, ce site a évolué et s’est transformé en un espace virtuel recueillant
des histoires, des forums, des albums de musique, des vidéos et des articles 23.
208
contrôle du sultan durant la colonisation française82. L’article présente l’émir comme une
figure ayant sacrifié sa vie pour créer les conditions qui auraient permis aux Rifains de
vivre avec dignité et dans la prospérité. Le site semble également suggérer qu’il avait
établi des institutions et une constitution librement adoptées et acceptées par tous les
Marocains, en passant sur le fait qu’il s’agissait d’une constitution conforme à la tradition
de l’élection du calife83. Le lien que fait cet article entre la figure d’Abdelkrim et le
Mouvement du 20 février a pour but de justifier ses propres réclamations d’une
constitution et d’institutions véritables et d’une réelle lutte contre la corruption au
Maroc. De fait, il rejette les « fausses » constitutions et institutions, qu’il considère être la
façade démocratique trompeuse d’un régime autoritaire84. Enfin, ce lien soulève la
question de l’autonomie de la région du Rif, en prenant soin cependant d’éviter les
contradictions inhérentes à la figure de l’émir par rapport à la conception démocratique
actuelle.
29 Quant à l’ensemble des informations que l’on trouve sur Internet concernant le
Mouvement du 20 février, nous avons noté des divergences entre les différents sites. Dès
l’été 2011, plusieurs groupes sortent du Mouvement du 20 février. Ils seront suivis par le
mouvement islamiste Justice et spiritualité en décembre de la même année. Ces divisions
sont exploitées par le gouvernement85 et donneront naissance à des informations et des
interprétations tellement contrastées sur les sites marocains qu’il s’avérera difficile, pour
le plus grand nombre, de savoir lesquels étaient indépendants ou non, cette confusion
s’étendant par ailleurs aux sites des activistes et aux associations.
30 La question de la vitalité du mouvement est clairement l’objet de débats entre les diverses
parties, comme nous le voyons dans l’usage des photographies et des vignettes attractives
et symboliques marquant leurs discours. C’est dans ce sens que le 20 février 2015, le site
www.hespress.com publie la traduction en arabe d’un article paru plus tôt dans Le Monde 86
, intitulé « Quatre ans après, un “printemps” marocain introuvable », accompagné d’une
image représentant « le contour de craie » d’un mouvement considéré comme mort. Le
texte affirme que le Mouvement est très affaibli bien que son esprit soit toujours vivant.
31 La volonté de contrer une telle image apparaît deux jours plus tard. Le 22 février 2015, le
site anwalpress.com publie un article intitulé « Dans l’une de ses manifestations à Rabat, le
Mouvement du 20 février insiste sur l’élimination de la corruption et les fonctionnaires
corrompus ». Cet article décrit la manifestation comme l’un des plus grands
rassemblements du Mouvement depuis 2012 et montre plusieurs photos de manifestants
où l’on voit le drapeau amazigh.
32 La présence de contrastes importants dans les interprétations s’explique notamment par
le nombre limité de manifestants87 et de drapeaux amazighs, indiquant de fait que l’élan
initial s’est essoufflé, voire qu’il serait sur sa fin. Toutefois, la manifestation en soi indique
qu’il subsiste un souffle du Mouvement du 20 février qui n’a pas encore dit son dernier
mot.
Conclusion
33 Internet a réduit les distances géographiques en créant des espaces où les groupes et les
individus peuvent s’exprimer et donner satisfaction aux désirs des communautés
dispersées géographiquement mais unifiées virtuellement, grâce aux interactions
dynamiques propres au numérique et à la consommation de produits culturels diffusés
216
par ces mêmes médias. Les sites Web amazighs ont su exploiter à bon escient ce réseau
moderne d’échanges et de partages, tandis que les productions littéraires, musicales et
visuelles ont contribué aux processus de construction et reconstruction de l’identité
amazighe de ces sites à partir d’un discours gratifiant sur le « soi ». Bien que cette
revitalisation par ce média de l’héritage culturel ait pu faire émerger une certaine forme
d’« essentialisme stratégique », nous devons cependant souligner que l’innovation
artistique et l’activisme politique forment une facette indéniable des sites amazighs. De
ces échanges, un ensemble de stratégies « créatives » a vu le jour pour participer en ligne
et hors ligne à la formulation d’une communauté localisée mais transnationale. Les
productions artistiques en s’associant progressivement au discours sociopolitique vont
renforcer ce dernier ; nous l’avons vu dans le cas de la locution « printemps arabe » que
plusieurs sites amazighs ont contribué à redéfinir non seulement par la critique mais
aussi par la renégociation. Nous constatons, en observant les stratégies de
communication des sites et des blogs amazighs, que ceux-ci expriment de la distance
quant à la locution « printemps arabe », en la détournant ou en soulignant la pluralité des
mouvements politiques ayant participé à ce « printemps ». Les internautes préfèrent
associer le « printemps arabe » au « printemps » et à « l’été » amazighs, deux métaphores
saisonnières faisant référence aux protestations berbères passées et récentes, ou le
remplacer par l’expression « printemps nord-africain ». Nous avons ensuite montré
l’attention qui est portée à « l’irruption politique » des Imazighen libyens (et de façon
plus réduite aux tunisiens). Elle est perçue comme une concrétisation de l’idée de
Tamazgha exprimée entre autres dans leur appropriation des chansons kabyles ou encore
dans les textes de la nouvelle « star » Dania ben Sassi qui rendent hommage aux Amazighs
de Libye, en particulier, et à l’amazighité, en général. En ce qui concerne les sites rifains
marocains, la locution « printemps arabe » laisse le champ au « Mouvement du 20
février ». Les participations des associations amazighes aux manifestations des années
2011-2012 pour la démocratie et la justice ont été soutenues par les sites berbères
marocains. Sur les sites rifains notamment, on remarque la contestation des informations
données par les sites des médias marocains officiels, particulièrement sur le rôle de la
monarchie dans le printemps démocratique, soutenue par une bataille de photos sur la «
mort » du mouvement après 2011-2012. Le débat et le positionnement des sites amazighs
ne sont pas dépourvus de contradictions. Par exemple entre le pluralisme revendiqué et
l’idée de Tamazgha comme lieu de l’unité des Imazighen en tant qu’« autochtones » par
respect envers les autres groupes, entre l’État-nation pluriel et l’unité transnationale
amazighe, ou encore entre la conception « démocratique » du Mouvement du 20 février et
la République du Rif de l’émir Abdelkrim El Khattabi. Si les sites amazighs ne font pas face
à ces contradictions de leur propre discours, leur fonction de forum reste significative en
permettant à leurs utilisateurs d’interagir, de se positionner par rapport aux «
révolutions », évoluant par le biais d’une influence mutuelle, et de partager le sentiment
« d’être chez soi » au sein de ces espaces virtuels.
217
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2. Notons qu’il y a une différence entre les notions de diaspora et de migration. La « diaspora »
implique que des causes politiques, économiques ou écologiques ont forcé les groupes à émigrer,
tandis que les « migrants » choisissent de partir, toutefois la ligne de séparation entre les deux
groupes n’est pas toujours claire. Dans ce texte, le terme « diaspora » dans son sens le plus
général inclut les formes de migration individuelle et volontaire.
3. L’espace géographique des communautés usant de la langue berbère s’étend du Maroc à l’oasis
de Siwa en Egypte et passe par l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Il inclut également les populations
berbérophones du Mali, du Niger et du nord du Burkina Faso. Ramos-Martin parle de l’émergence
de l’identité amazighe dans les îles Canaries, bien que la langue amazighe n’y soit pas parlée. Cf. J.
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principalement la France, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et l’Italie.
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sous la dir. de H. Wasserman, series ‘Internationalising Media Studies’, New York, Routledge,
2011, p. 236-252 ; K.H.A. Leurs, Digital Passages : Moroccan-Dutch Youths Performing Diaspora, Gender,
and Youth Cultural Identities Across Digital Space, Utrecht, Université d'Utrecht 2013 (thèse). Loh, «
Les jeunes Berbères et la cyber-résistance », Tamazgha.fr, 2005, 9 juillet, [en ligne] URL : http://
tamazgha.fr/Les-jeunes-berberes-et-la-cyber-resistance,1377.html ; L. Oulhadj, « La ruée vers
Internet », Tawiza, décembre 2004, [en ligne] URL : http://tawiza.x10.mx/Tawiza92/
oulhadj.htm ; À. Suárez Collado, « The Amazigh Movement in Morocco, New Generations, New
References of Mobilization and New forms of Opposition », Middle East Journal of Culture and
Communication, 6, 2013a, p. 55-74 ; À. Suárez Collado, « Mouvements sociaux sur la Toile : les
effets des NTIC sur le militantisme amazigh au Maroc », dans Le Cyberactivisme au Maghreb et dans
le monde arabe, sous la dir. de S. Najar, Tunis, IRMC, et Paris, Karthala, 2013b, p. 41-54 ; À.Suárez
Collado, « À la recherche d’une place dans le « Printemps arabe » : les TIC et la contestation
amazighe pendant les émeutes en Afrique du Nord », dans Les Réseaux sociaux sur Internet à l’heure
des transitions démocratiques, sous la dir. de S. Najar, Paris, Khartala, 2013c, p. 379-397.
8. Voir B. Maddy-Weitzman, The Berber identity Movement and the Challenge to North African States,
Austin, University of Texas, 2011, p. 275-276, et les répertoires Web : http://
berber.startkabel.nl/, http://www.mondeberbere.com/ (sites Web), https:// www.temehu.com/
imazighen/amazigh-berber-websites.htm et http://www.rezki.net/Sites-berberes-en-langue-
francaise.html.
9. S. Azizi, « Les Idaw Facebook : typologie de groupes amazighs sur un réseau social virtuel »,
dans La Culture amazighe : réflexions et pratiques anthropologiques du temps colonial à nos jours, Actes
du colloque de Fès, 28-29 mai 2009, sous la dir. de H. Belghazi, Rabat, IRCAM, 2013, p. 55-76.
10. D. Merolla, « Migrant Websites, WebArt, and Digital Imagination » ; « Music on Dutch
Moroccan Websites ».
11. Il s’agit de sites nationalistes qui assument les « références historiques » berbères des
Canaries.
12. S. Najar, Le Cyberactivisme au Maghreb et dans le monde arabe.
223
13. D. Merolla, « Digital Imagination and the ‘Landscapes of Group Identities’ : Berber Diaspora
and the Flourishing of Theatre, Video’s, and Amazigh-Net » ; « Migrant Websites, WebArt, and
Digital Imagination » ; « Music on Dutch Moroccan Websites ».
14. D. Merolla, « Migrant Websites, WebArt, and Digital Imagination » ; M. Lafkioui, «
Interactions digitales et construction identitaire sur les sites Web berbères » ; «
Multilingualism, Multimodality and Identity Construction on French-Based Amazigh (Berber)
Websites ».
15. Il est possible de parler d’oralité médiatisée ou technauriture dans le cas des sites qui
reformulent les genres oraux à travers l’intermédialité d’Internet. Cf. R. Kaschula, «
Technauriture : Multimedia Research and Documentation of African Oral Performance », dans
Multimedia Research and Documentation of Oral Genres in Africa - The Step Forward. sous la dir. de D.
Merolla et al., LIT Verlag, 2012, p. 1-21. Le Net est caractérisé par l’intégration des médias de
communication anciens et nouveaux qui portent souvent des traces ou soutiennent de nouvelles
formes de l’oralité, ce qui se retrouve également sur les sites Web amazighs. Intermédialité
indique « the interconnectedness of modern media of communication » (l’interconnexion des
médias modernes de la communication), tandis que multimédia indique l’utilisation de «
separate media used at the same time, such as in sound and slide shows » (des supports médias
utilisés en même temps, comme dans le cas de la musique jouée pendant les diaporamas) et
multimodalité ce qui se passe dans les films qui « combine moving images, voices and music »
(combinent les images en mouvement, les dialogues et la musique). À ce propos, on renvoie à K.B.
Jensen, « Intermediality », dans International Encyclopedia of Communication, sous la dir. de W.
Donsbach, Oxford, UK et Malden, MA, Wiley-Blackwell, 2008, p. 2385-2387. Bien que
l’intermédialité ne soit pas un phénomène nouveau (voir I.O. Rajewsky, « Intermediality,
Intertextuality, and Remediation : A Literary Perspective on Intermediality », Intermédialités/
Intermedialities 6, 2005, p. 43-64), dans le cas du Net les utilisateurs de sites font l’expérience de
l’intermédialité en utilisant ces différents médias et en passant librement de l’un à l’autre. On
peut interpréter les genres oraux médiatisés comme une nouvelle spécialisation de l’oralité, celle
qui exige une certaine connaissance technique et même une alphabétisation de base du public.
Cf. D. Merolla, « Intersections : Amazigh (Berber) Literary Space », dans Vitality and Dinamism.
Interstitial Dialogues of Language, Politics, and Religion in Morocco’s Literary Tradition, sous la dir. de
K.R. Bratt et al., Leiden University Press, Leiden, 2014, p. 47-72. Voir par exemple, sur le site
tamazgha.fr, les rubriques de la page culturelle en langue kabyle (http://www.tamazgha.fr/-S-
tmazight-.html) et la vidéo d’une chanson pour enfants (http://www.tamazgha.fr/Tifawin.html).
16. Voir par exemple les comptes-rendus de Lahoucine Bouyaakoubi sur amazighnews.net et
akunad.com/net et ceux de Said Chemakh sur tasekla.wordpress.com.
17. D. Merolla, « Intersections : Amazigh (Berber) Literary Space » , Vitality and Dinamism.
Interstitial Dialogues of Language, Politics, and Religion in Morocco’s Literary Tradition.
18. N. Karrouche, Memories from the Rif, Moroccan-Berber Activists between History and Myth (thèse),
Rotterdam, Rotterdam University, 2013, p. 245.
19. Actuellement, la majorité des chansons enregistrées par les artistes rifains font usage de la
forme lyrique « izran/izlan ». Quelques artistes font usage de poèmes écrits par des poètes
amazighs qui composent également des izran/izlan.
20. Pour Idir, voir J.E. Goodman, Berber Culture on the World Stage : From Village to Video,
Bloomington, Indiana University, 2005, p. 61-68 et 123-142.
21. A.B. Dahraoui, Amazigh Culture and Media : Migration and Identity in Songs, Films and Websites
(thèse), Amsterdam, ASCA/University of Amsterdam, 2014, p. 61.
22. Ibid, p. 24.
23. Ibid, p. 164.
24. Par exemple, le rapport de la commission sur la régionalisation au Maroc est explicite sur la
promotion de l’arabe, tandis que pour l’amazigh, on se réfère à une loi à venir (« Maroc, identité
224
amazighe, etc. »), voir le blog d’« Amazigh », 27 juin 2011. Cf. aussi A. Boukous, «
L’officialisation de l’amazighe : enjeux et stratégies », Asinag, n° 8, 2013, p. 16 ; M. Oiry-Varacca,
« Le « printemps arabe » à l’épreuve des revendications amazighes au Maroc : analyse des
enjeux territoriaux et politiques des discours sur l’identité », L’Espace politique, 18, 2012-3, [en
ligne] URL : http://espacepolitique.revues.org/2504.
25. A. Bouguermouh et D. Brahimi, « A propos de La Colline oubliée, le roman et le film : entretien
avec Denise Brahimi », Awal, Cahiers d’études berbères, n° 15, 1997, p. 3-8 ; S.G. Carter, « Moroccan
Berberity, Representational Power and Identity in Video Films », Gazette, n° 63, 2-3, 2001,
p. 241-262 ; S.G. Carter, « Constructing an independent Moroccan nation and national identity
through cinema and institutions », The Journal of North African Studies, n° 13, 4, 2008, p. 531-559 ;
D. Hart, Muslim Tribesmen and the Colonial Encounter in Fiction and on Film, Amsterdam, Het
Spinhuis, 2001 ; B. Hasnaoui, « Les séries télévisées étrangères dans la télévision marocaine :
processus d’identification affective et d’aliénation culturelle », dans Langues et médias en
Méditerranée, sous la dir. de A. Lachkar, 2012, p. 203-208 ; O. Idtnaine, « Le cinéma amazigh au
Maroc : éléments d’une naissance artistique », Africultures, 20-10-2008, [en ligne] URL : http://
www.africultures.com/php/?nav=article&no=8117 ; D. Merolla, « De la parole aux vidéos :
oralité, écriture et oralité médiatique dans la production culturelle amazighe (berbère) », Afrika
Focus, n° 18, 1-2, 2005b, p. 33-57 ; D. Merolla, « La Narration dans l’espace littéraire berbère »,
Encyclopédie berbère, n° 33-34, 2012, p. 5236-5251.
26. Voir aussi J.E. Goodman, Berber Culture on the World Stage : From Village to Video, Bloomington,
Indiana University, 2005. Il a travaillé entre autres sur la réutilisation du patrimoine oral dans la
chanson contemporaine kabyle.
27. La réflexion critique sur multimédialité et multilinguisme a conduit Merolla à utiliser la
notion d’espace littéraire berbère pour expliciter l’imbrication de la création littéraire et
l’attention donnée – et partagée dans la diversité des genres et des langues – à la langue ainsi
qu’aux lieux et à l’histoire locale et/ou à la diaspora berbères, manifestant de fait une tendance à
se « narrer » pour se « construire » dans un ensemble de textes qui ne sont pas structurés par
les institutions littéraires d’un seul « champ » (selon la définition bourdieusienne). D. Merolla,
Gender and community in the Kabyle Literary space, Leiden, CNWS, 1996, p. 13-16 et 28-40 ; D.
Merolla, « La Narration dans l’espace littéraire berbère », Encyclopédie berbère, n° 33-34, 2012,
p. 5236-5251 et B. Anderson, Imagined communities, London/New York, Verso, 1983 [1991], p. 5. La
définition « d’espace littéraire berbère » (amazigh) a été productive, étant reprise dans les
études, par exemple dans A. Ameziane, « La littérature kabyle dans l’expérience éditoriale du
HCA : quelques notes exploratoires », Revue des études berbères, 2009, [en ligne] URL : http://
www.centrederechercheberbere.fr/la-litterature-kabyle-dans-lexperience-editoriale-du-hca-
quelques-notes-exploratoires.html#_ftn18 ; A. Bounfour,. Introduction à la littérature berbère. 1.
Poésie, Paris, Peeters, Lovain, 1999, p. 4-9 ; S. Chaker, « La langue de la littérature écrite berbère :
dynamiques et contrastes », Études littéraires africaines, n° 22, 2006, p. 17 ; S. Chemakh, «
Littérature berbère : regard sur l’œuvre de Mohya », (sans date) [en ligne] URL : http://
auresiennekahina.over-blog.org/article-litterature-berbere-regard-sur-l-oeuvre-de-
mohya-87646231.html ; S. Chemakh, « Salas et Nuja ou l’amour possible… A propos du premier
roman de Brahim Tazaghart », Tuzunt, site dédié à la littérature amazighe et à la traduction en
amazighe, 13 octobre 2009 [en ligne] URL : http://www.tamazgha.fr/Salas-et-Nuja-ou-l-amour-
possible,1267.html ; S. Pouessel, « Writing as resistance : Berber literature and the challenges
surrounding the emergence of a Berber literary field in Morocco », Nationalities Papers : The
Journal of Nationalism and Ethnicity, n° 40, 3, 2012, p. 373-394 ; F. Tissot, Pour une ethnolinguistique
discursive du conte berbère à la croisée des cultures : relation orale et « méta-médiation » (thèse),
Besançon, Université de Franche-Comté, 15 janvier 2011, p. 22 ; F. Tissot, « Dire le conte berbère
à la croisée des cultures : pour une ethno-linguistique discursive », Revue électronique des écoles
postdoctorales ED LISIT et ED LETS, n° 8, 2 novembre 2011b, [en ligne] URL : http://revuesshs.u-
225
71. « Aujourd’hui la Libye a gagné sa liberté. Avec le sang des combattants, l’histoire a été écrite.
Tamazgha tendit ses mains et ses bras. Le sourire aux lèvres. Elle embrasse la liberté. Main dans
la main nous avons appelé à la révolution. Tamazight est notre langue et [doit être] officielle
dans la Constitution comme notre droit. À la lumière de la lune, nous sortirons » (traduction des
auteurs). Voir <www.youtube.com/watch ?v =zy1bn0BncEw>.
72. Nous remercions Thierry Desrues pour ses commentaires.
73. T. Desrues, « Le Mouvement du 20 février et le régime marocain : contestation, révision
constitutionnelle et élections », L’Année du Maghreb, n° 8, 2012, [en ligne] URL : <http://
anneemaghreb.revues.org/1537>.
74. M.J. Willis, Politics and Power in the Maghreb : Algeria, Tunisia, and Morocco from Independence to
the Arab Spring, New York, OUP, 2014, p. 228.
75. Ibid, p. 226.
76. Á. Suárez Collado, « Mouvements sociaux sur la Toile : les effets des NTIC sur le militantisme
amazigh au Maroc », p. 384-385.
77. M.J. Willis, Politics and Power in the Maghreb : Algeria, Tunisia, and Morocco from Independence to
the Arab Spring, p. 228.
78. D. Maghraoui, « Constitutional Reforms in Morocco : Between Consensus and Subaltern
Poltics », dans North Africa’s Arab Spring, sous la dir. de G. Joffé, London, Routledge, 2013, p. 182.
79. T. Desrues, « Le Mouvement du 20 février et le régime marocain : contestation, révision
constitutionnelle et élections ».
80. Voir O. Glacier, Universal Rights Systemic Violation and Cultural Relativsim in Morocco, New York,
Palgrave MaCMillan, 2013, p. 122.
81. On peut voir la photo sur le site : http://zarii.canalblog.com/
archives/2012/02/09/23481786.html
82. Voir « Émir Abdelkrim Khattabi, “Communiqué sur le projet de constitution marocaine de
1962” [Document historique, traduit de l’arabe par Karim R’Bati] » sur <libres-pensees.dans.le-
vent.over-blog.com/article-emir-abdelkrim-khattabi-communique-sur-le-projet-de-constitution-
marocaine-de-1962-document-his-108677618.html>.
83. A. Miquel, « Autour du califat et de la notion de légitimité », Tiers-Monde, 23, 92, 1982,
p. 791-794.
84. Au Maroc, le monarque est le chef de l’État et le Commandeur des croyants ; de ce fait,
désobéir au roi signifie désobéir à Dieu. Le monarque est également le chef des Forces armées
royales marocaines, il est le président du Conseil de sécurité et le chef du Conseil suprême de la
magistrature. O. Glacier, Universal Rights Systemic Violation and Cultural Relativsim in Morocco, p. 108.
85. Voir K. Laachir, « Managed Reforms and Deferred Democratic Rule in Morocco and Algeria »,
dans Democracy and Reforms in the Middle East and Asia, sous la dir. de A. Saikal et A. Acharaya,
London, I.B. Tauris et Co. Ltd, 2014, p. 51-52.
86. Le 19-02-2015 : < http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/19/quatre-ans-apres-un-
printemps-marocain-introuvable_4579498_3212.html?
xtmc=quatre_ans_apres_un_printemps_marocain_introuvable&xtcr=1>
87. On peut penser qu’il s’agissait d’environ un millier de personnes, cf. <https://
www.youtube.com/watch ?v =GZXOF5X6x0g>.
229
AUTEURS
DANIELA MEROLLA
Professeure de littérature et art berbères à l’Institut national des langues et civilisations
orientales (INALCO), université Sorbonne Paris Cité (France). Ses travaux récents portent sur les
genres oraux et écrits et les nouveaux médias berbères au Maghreb et dans la diaspora amazighe
en Europe.
ABDELBASSET DAHRAOUI
Docteur en « Media Studies » de l’université d’Amsterdam (Pays-Bas). Sa thèse intitulée «
Amazigh Culture and Media: Migration and Identity in Songs, Films and Websites » a été
soutenue en 2014 (sous la direction de Patricia Pisters et Daniela Merolla). Il a été conseiller
culturel de la Fondation culturelle Prins Claus, et il travaille à l’université Radboud de Nijmegen
(Pays-Bas).
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Notices biographiques
7 Daniela Merolla est professeure de littérature et art berbères à l’Institut national des
langues et civilisations orientales (INALCO), université Sorbonne Paris Cité (France). Ses
travaux récents portent sur les genres oraux et écrits et les nouveaux médias berbères au
Maghreb et dans la diaspora amazighe en Europe.
8 Stéphanie Pouessel est anthropologue et chercheure associée à l’Institut de recherche
sur le Maghreb contemporain (IRMC) à Tunis (Tunisie). Elle travaille sur les questions de
nation, de minorités, de langues et de migration.
9 Angela Suarez Collado est politologue et sociologue. Postdoctorante à l’Aire de sciences
politiques à l’université de Salamanque (Espagne), elle est spécialisée dans l’étude des
mouvements sociaux et de la politique locale en Afrique du Nord et des migrations
marocaines en Europe.
10 Mohand Tilmatine est professeur à l’université de Cadix (Espagne) dans la spécialité
« Études berbères ». Il dirige également depuis 2000 le groupe de recherche HUM 685
Langues et sociétés arabes et berbères (http://www.uca.es/grupos-inv/HUM683/). Ses
axes de recherche en sciences humaines et sociales couvrent la question des minorités et
des revendications identitaires berbères en Afrique du Nord et dans la diaspora en
Europe.
11 Tassadit Yacine est directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
(EHESS) de Paris (France). Membre du Laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS, du
CNRS et du Collège de France et directrice de la revue Awal , elle est spécialiste de
l’anthropologie de la domination (les problèmes liés à la langue, les relations hommes-
femmes).