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Le bitcoin : une monnaie ?

Research · September 2015


DOI: 10.13140/RG.2.1.2831.6647

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Jean-Marc Figuet
University of Bordeaux
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LE BITCOIN : UNE MONNAIE ?

Jean-Marc Figuet
Larefi – Université de Bordeaux
jean-marc.figuet@u-bordeaux.fr

L’émergence de monnaies virtuelles fondées sur des protocoles cryptographiques suscite des
interrogations quant à leur statut de monnaie au sens classique du terme. Dans cet article, nous
analysons le cas du bitcoin. Nous montrons qu’il ne satisfait pas aujourd’hui les fonctions
usuelles de la monnaie (moyen de paiement, unité de compte, réserve de valeur). Cependant,
la technologie collaborative et décentralisée, la blockchain, utilisée pour émettre cette
monnaie et régler les transactions recèle offre une alternative à l’organisation centralisée des
systèmes de paiement et de règlement-livraison.

Classification JEL : E42, G21, G23

1
LE BITCOIN : UNE MONNAIE ?

Depuis l’avènement de la monnaie comme intermédiaire des échanges entre agents


économiques, ses formes ont évolué. Ainsi, les métaux précieux (or, argent) ont été remplacés
par les monnaies-papier convertibles en or qui elles-mêmes, depuis la fin des Accords de
Bretton-Woods, ont été remplacées par les monnaies fiduciaires émises par les banques
centrales telles que nous les connaissons actuellement sous leurs formes physiques ou
dématérialisées. La monnaie n’a donc pas de forme particulière mais évolue avec le temps. Le
dénominateur commun est la confiance de la communauté des usagers qui confère à la
monnaie une valeur d’échange permettant de conclure définitivement une transaction. Hicks
(1961) considère d’ailleurs que la forme importe peu. Ce qui importe finalement ce sont les
fonctions que la monnaie en circulation assure. D’ailleurs, Mishkin (2004, p. 44) définit la
monnaie comme : « anything that is generally accepted in payment for good and services or
in the repayment of debts ». La monnaie peut être considérée comme une convention entre les
agents puisque, selon Orléan (2004, p. 26) : « la « substance » de la monnaie, c’est l’accord
qui se fait autour d’elle pour la considérer comme richesse sociale à l’issue d’un processus
autoréférentiel ».

L’évolution technologique a conduit à la création et à l’émergence d’une nouvelle forme de


monnaies : la monnaie virtuelle ou digitale, baptisée aussi crypto-monnaie ou monnaie
marchandise synthétique (Selgin, 2013). Ces monnaies électroniques sont créées à partir d’un
protocole cryptographique de pair à pair1, donc sans banque centrale, comme c’est le cas
habituellement2. Au sens strict du terme, il s’agit donc de monnaies privées au sens de Hayek
(1976, p. 13) : « the further pursuit of the suggestion that government should be deprived of
its monopoly of the issue of money opened the most fascinating theorical vistas and showed
the possibility of arrangements which have never been considered ». Hayek envisageait
qu’un agent privé pourrait émettre la monnaie légale à la place de l’Etat. Dans le cas des
monnaies virtuelles, l’émetteur n’est pas le fait d’un agent mais d’un réseau collaboratif
ouvert à tous. Actuellement, la monnaie la plus connue et la plus utilisée est, sans doute, le

1
Pour les détails techniques, voir, par exemple, Delahaye (2014).
2
La monnaie fiduciaire est émise par la banque centrale, les monnaies scripturales, par les banques
commerciales. Les monnaies complémentaires « traditionnelles » (programme de fidélisation…) reposent sur
l’existence d’une autorité de régulation qui en contrôle l’offre et l’utilisation à des usages dédiés. Les monnaies
digitales, non.

2
bitcoin3. Mais plusieurs centaines seraient actuellement en circulation. On peut citer, par
exemple, litecoin, peercoin, auroracoin, dogecoin, ripple… Selon l’ECB (2015), la
capitalisation totale de ces monnaies serait de 3,3 milliards d’euros en février 2015, le bitcoin
représentant plus de 80% de cette capitalisation. Le bitcoin a été créé en 2008 par le collectif
Satoshi Nakamoto (2008) pour qui (p. 1) : « A purely peer-to-peer version of electronic cash,
would allow online payments to be sent directly from one party to another without going
through a financial institution ». Les premiers bitcoins ont été créés le 1er mars 2009. La
monnaie est une suite de 0 et de 1 qui est stockée dans un porte-monnaie virtuel attaché à un
compte virtuel (clé publique) à partir duquel le titulaire peut réaliser des transactions en
utilisant une clé privée. Chaque agent peut obtenir des bitcoins soit en les achetant sur des
plateformes d’échange contre de la monnaie traditionnelle (euro, dollar…), soit en réalisant
des transactions libellées en bitcoin, soit en participant à la surveillance du réseau et à la
création de nouveaux blocs de transaction (activité de minage). Le protocole cryptographique
implique que seuls 21 millions de bitcoins pourront être créés à terme, a priori en 2140. En
septembre 2015, environ 14,5 millions de bitcoins circulent.

L’émergence de ces monnaies digitales constitue une innovation financière relevant du


shadow banking qui suscite l’intérêt des banquiers centraux et des régulateurs (Banque de
France, 2013 ; EBA, 2014 ; ECB, 2015), des banques commerciales (par exemple, Santander
InnoVentures, 2015) et des économistes en tant qu’objet d’analyse (Blundell-Wignall, 2014 ;
Böhme et al., 2015 ; Dupré et al., 2015). La problématique est de définir la nature de ces
crypto-monnaies et leur impact sur les systèmes monétaires et financiers contemporains.
Autrement dit, ces monnaies virtuelles remplissent-elles les fonctions traditionnellement
attribuées à la monnaie ? Quels sont les bénéfices et les risques liés à leur utilisation ? Faut-il
les réguler ? Vont-elle bouleverser le système bancaire traditionnel voire impacter la politique
monétaire ? Dans ce papier, nous tentons principalement de répondre à la première question.
Nous montrons que le bitcoin n’a pas aujourd’hui les attributs d’une monnaie traditionnelle.
Néanmoins, la technologie utilisée peut avoir le potentiel de modifier l’organisation
centralisée des paiements et des transactions telle que nous la connaissons.

3
Cf. http://coinmarketcap.com/ pour évaluer la part de marché de ces monnaies.

3
1. Le bitcoin est-il un moyen de paiement ?

L’analyse économique considère qu’une monnaie remplit trois fonctions simultanément :


moyen de paiement, unité de compte et réserve de valeur. La première fonction est considérée
comme essentielle car elle conditionne les deux suivantes.

En tant que moyen de paiement, le bitcoin peut être considéré comme un corollaire du e-
commerce4. Environ 100 000 sites marchands l’accepteraient actuellement comme moyen de
paiement à côté des monnaies traditionnelles. Parmi les plus célèbres, on peut citer : Dell,
Expedia, Microsoft ou encore PayPal. Barclays envisagerait, comme test, d’accepter des
bitcoins lors de dons à des œuvres de charité d’ici fin 2015. Et plus globalement, les banques
investissent dans le secteur des Fintechs, procèdent à des expériences dans des laboratoires
pour estimer le potentiel de développement des procédés cryptographiques et leur impact sur
les activités bancaires traditionnelles. Quant aux Etats, certains mettent en garde contre les
dangers liés à son utilisation et proscrivent son utilisation : c’est le cas de la France (ACPR,
2014) ou de la Chine. Pour l’ECB (2015), le bitcoin n’est pas de la monnaie d’un point de vue
légal. Cependant, des pays tels que l’Allemagne le considère comme une monnaie privée, ce
qui permet de fiscaliser les transactions. Les Etats Unis et le Japon le considèrent, eux,
comme une marchandise ce qui implique une fiscalisation des plus-values et des revenus.

Le périmètre d’acceptabilité du bitcoin reste, pour l’instant, faible. Même si le nombre total de
sites marchands au niveau mondial reste incertain (Netcraft recense, en juillet 2015, plus de
178 millions de sites actifs, mais pas uniquement marchands), on peut se faire une idée de
l’utilisation du bitcoin au travers de quelques chiffres. L’e-commerce mondial en 2013 s’élève
à 1 173 milliards d’€. Selon les statistiques du Federal Reserve System (2015), le volume
quotidien des transactions totales en bitcoin serait inférieur à 80 millions alors que les
transactions en dollar scriptural seraient supérieures à 122,4 milliards en 2012. Holden (2015)
estime qu’il y aurait 1,3 millions d’utilisateurs du bitcoin en 2014, et potentiellement, 4,7
millions en 2019. Et, selon lui, l’augmentation du volume des transactions en bitcoin ne serait
pas tant le fait d’un panel plus large d’adoptants qu’une intensification des transactions entre
utilisateurs habituels. Yermak (2013) recense 70 000 transactions journalières en bitcoin dont

4
Il semble que la première transaction réelle en bitcoins a eu lieu en Floride le 21 mars 2010 (cf.
www.washingtonpost.com/news/the-switch/wp/2014/01/03/five-years-of-bitcoin-in-one-post/).

4
80% seraient purement spéculatives. Segendorf (2014) estime que les transactions en bitcoin
représentent 0.01% des transactions quotidiennes par cartes bancaires. A la fois le nombre
d’utilisateurs et le volume des transactions semblent, pour l’instant, très modestes.

Une autre caractéristique du bitcoin est que sa vitesse de circulation du bitcoin est faible.
Seuls 4% des bitcoins en circulation seraient hebdomadairement utilisés, 24% dans les 3 mois
et 50% dans les 6 mois. Plus du tiers serait conservé par leurs détenteurs au-delà de l’année.
Au total, le bitcoin serait peu utilisé pour des transactions sur biens et services. L’utilisation
spéculative du bitcoin peut s’expliquer par l’absence de taux d’intérêt sur cette monnaie. Les
gains issus de sa détention ne peuvent alors provenir que des variations de prix qui peuvent
être très fortes (cf. infra).

Les utilisateurs du bitcoin seraient essentiellement des férus de nouvelles technologies (les
geeks) et des libertariens qui veulent s’affranchir de la tutelle des Etats (Yermak, 2013). Son
usage serait relativement concentré aux Etats Unis et en Chine. Les chinois utiliseraient
notamment le bitcoin pour acheter des biens à l’étranger et envoyer des fonds aux expatriés
(Collomb, 2015). Les paiements transfrontières offrent légitimement un potentiel de
développement puisque les transactions en bitcoins n’impliquent pas de frais de change et
permettent de contourner SWIFT et les systèmes de paiement nationaux. Néanmoins, la
communauté des utilisateurs habituels du bitcoin serait donc actuellement réduite et
géographiquement concentrée.

La monnaie est, par essence, un bien réseau (Katz et Shapiro, 1985). La diffusion du bitcoin
passe nécessairement par son adoption croissante par les vendeurs de biens et services, mais
aussi par son utilisation massive par les agents. Plus une monnaie est utilisée, plus elle inspire
confiance à ses détenteurs et devient attractive pour ceux qui ne l’utilisent pas encore. Ce
n’est pas le cas du bitcoin aujourd’hui, ni d’aucune autre crypto-monnaie, du fait de l’absence
de cours légal qui implique que son adoption repose uniquement sur le bon vouloir des
acheteurs et des vendeurs. En outre, des difficultés liées à son utilisation et à sa volatilité
peuvent être identifiées.

5
2. Quelques obstacles à la diffusion du bitcoin

Plusieurs obstacles technologiques et éthiques semblent actuellement limiter le


développement des transactions en bitcoin.

Sa disponibilité est faible par rapport aux moyens de paiement traditionnels assis sur la
monnaie scripturale. Ces derniers sont, par exemple, instantanément disponibles, sous réserve
de respecter les plafonds débiteurs, pour conclure des opérations. Il en va de même pour les
paiements en monnaie fiduciaire qui, de plus, garantissent le total anonymat des transactions.

Pour se procurer des bitcoins, un agent doit télécharger un logiciel libre et ouvert (par
exemple, Bittorrent) lui permettant de créer un compte à partir duquel il va échanger une
monnaie légale contre des bitcoins puis réaliser des transactions5. Si l’agent décide de gérer
seul son compte, son anonymat peut être préservé. Il peut aussi en confier la gestion à une
plateforme. Il en existerait une cinquantaine actuellement, dont les deux plus importantes sont
OKCoin pour le yuan et Bitfinex pour le dollar. Dans ce cas, il doit fournir des
renseignements sur son identité. L’ensemble des comptes est inventorié dans la blockchain
qui est un registre décentralisé et, a priori, infalsifiable du fait du protocole cryptographique.
A chaque compte est associé deux clefs. La première est totalement publique et permet de
débiter/créditer le compte. La seconde est purement privée et permet à son détenteur d’initier
les transactions. Si le détenteur perd l’une de ses clefs, il n’y a aucun moyen de les récupérer :
les bitcoins sont définitivement perdus, car il est techniquement impossible de les reproduire.
Il en va de même si l’ordinateur est perdu, volé ou victime d’un piratage. Dans tous les cas, le
détenteur ne peut se retourner vers aucune institution ni faire jouer une quelconque assurance.
Un autre problème se pose lorsque la plateforme, gestionnaire du compte, est victime de
hachage ou fait faillite. Il n’existe en effet aucune forme d’assurance des dépôts sur le bitcoin.
Ainsi, la faillite, a priori frauduleuse, de la plateforme MtGox, en février 2014, au Japon
aurait impliqué la disparition de 850000 bitcoins (voir, par exemple, Ali et al., 2015 ou
Böhme et al., 2015). Moore et Christin (2013) étudient le fonctionnement de 40 plateformes
entre 2010 et 2013 et montrent que 18 d’entre elles ont fermé impliquant dans près de la
moitié des cas des pertes irréversibles pour les déposants. La sécurisation des comptes et des

5
Des bitcoins fiduciaires font progressivement leur apparition avec la mise en place d’un réseau de distributeurs
automatiques où il est possible d’échanger des modèles légales contre des bitcoins. Le premier distributeur aurait
été installé en octobre 2013 à Vancouver. D’après les statistiques de coindesk.com
(http://www.coindesk.com/bitcoin-atm-map/), il existerait, en septembre 2015, 2 distributeurs en France situés à
Paris. Selon la FBF (2014), 58 624 DAB-GAB en euros seraient accessibles en France fin 2013.

6
plateformes est donc un préalable à la diffusion du bitcoin en tant que moyen de paiement et
réserve de valeur. Au vu des difficultés à réguler les banques traditionnelles, se pose la
question de la réglementation à appliquer (sans doute par le Forum de stabilité financière) à
ces plateformes pour protéger les dépôts de ses utilisateurs, notamment si ces plateformes se
situent dans des paradis réglementaires.

La rapidité des transactions peut également poser problème. Dans une transaction en monnaie
scripturale « classique », l’intermédiaire bancaire permet de garantir au vendeur le règlement
réalisé par l’acheteur. Dans une opération en bitcoin, aucun intermédiaire ne peut assumer ce
rôle puisqu’elle a lieu dans un réseau de pair à pair. Toute transaction est alors enregistrée
dans la blockchain. Cette technologie est fondée sur un registre comptable en ligne accessible
à tous les ordinateurs connectés qui vérifient l’origine des bitcoins et valide les transactions.
Toutes les 10 minutes environ, une page est ajoutée (« miner un bloc ») à la blockchain par les
mineurs qui assurent l’entretien et la surveillance du réseau. Ils permettent ainsi le règlement
des transactions. Pour assurer cette fonction, les mineurs sont récompensés, après tirage au
sort, par une prime de 25 bitcoins créés ex nihilo. L’intérêt de ce système collaboratif ouvert
est que n’importe qui peut consulter les transactions réalisées depuis l’origine, ce qui évite
notamment le double-spending problem (Dwyer, 2014). En contrepartie, la vitesse de
réalisation des opérations est faible comparés à celle des moyens de paiement scripturaux
traditionnels. En effet, la taille d’un bloc est limitée à 1 million d’octets, ce qui implique
qu’au plus 7 transactions par seconde peuvent avoir lieu. Ce nombre est extrêmement faible
comparé, par exemple, au réseau Visa qui traite, en moyenne, 2000 transactions par seconde
et peut monter jusqu’à 4000. Le tableau 1 recense les transactions en bitcoins du 3 septembre
2015 et indique que 1,3 transaction par seconde a eu lieu ce jour-là, ce qui est dérisoire. Et les
transactions sont, pour l’essentiel, irrévocables, car il est extrêmement complexe d’annuler
une opération une fois qu’elle a été enregistrée dans la blockchain.

Tableau 1 : Statistiques des transactions en bitcoins le 9/9/2015


Nombre de blocs 137
Nombre moyen de blocs/heure 5
Temps moyen pour miner un bloc 10 min 30s
Nombre moyen de transactions/heure 5285
Nombre moyen de transactions/seconde 1,468
Source : http://www.coindesk.com/data/bitcoin/

7
La faiblesse des transactions par seconde peut certes s’expliquer par une demande encore
atone. Mais, selon Gavin Andresen, qui a été le principal développeur de la blockchain entre
2010 et 2014, la technologie actuelle est un facteur de limitation du potentiel de
développement des opérations. La taille des blocs serait trop faible pour permettre un essor
convenable des transactions. Il a proposé, en août 2015, de créer en 2016 une fourche (fork)
pour permettre la coexistence de deux blocs, pas nécessairement de même taille ni
compatibles, permettant d’accroître la capacité du système. Cette proposition impliquerait, de
facto, la création d’un deuxième bitcoin, baptisé bitcoin XT fork, concurrent du bitcoin
traditionnel.

Une difficulté supplémentaire d’utilisation tient à la forme des prix qui est peu intuitive. Par
exemple, le 9 septembre 2015, 1 BTC vaut environ 213 €, ce qui implique qu’une baguette de
pain à 1 € vaut 0,00469484 BTC. Le bitcoin est bien divisible mais son offre étant fortement
inélastique, les prix des biens et services sont affichés avec de nombreux chiffres après la
virgule, ce qui ne facilite pas sa diffusion en tant qu’unité de compte.

Se pose également la question des coûts de transactions. Pour Nakomoto (2008), l’absence de
banques centrales et commerciales, de systèmes de paiement et de chambres de compensation
réduit les coûts de transaction supportés par les utilisateurs et constitue un avantage décisif du
bitcoin vis-à-vis des monnaies traditionnelles. Folkinshteyn et al. (2015) estiment le coût
moyen des transactions en bitcoin entre 0 et 1% alors qu’une transaction bancaire classique
couterait entre 2 et 5%. Dans la blockchain, seuls les mineurs sont aléatoirement
récompensés. On peut donc anticiper que le surplus des utilisateurs est plus important dans le
cas d’un réseau de paiement décentralisé que dans celui qui l’obtient dans un réseau
centralisé. Cet argument doit cependant être tempéré. Le marché des mineurs est contestable
au sens de Baumol et al. (1982). Il n’y a théoriquement ni barrière à l’entrée, ni barrière à la
sortie dans ce système de pair à pair. N’importe quel agent peut intégrer la blockchain en tant
que mineur et offrir ses services, c’est-à-dire mettre la puissance de son ordinateur à
disposition du réseau pour miner des blocs. Un nombre croissant de mineurs implique une
surveillance accrue de la blockchain qui renforce la confiance dans la monnaie. Les mineurs
sont attirés par la prime de 25 BTC (un peu plus de 5000 € en septembre 2015) pour miner un
bloc. Mais, cette prime étant versée aléatoirement, les mineurs ressemblent à des chercheurs
d’or modernes : plus ils sont nombreux, plus la probabilité de toucher la prime est faible. Et
ce, malgré la puissance de calcul croissante mise en place par les mineurs. En outre, l’offre de

8
bitcoins étant théoriquement croissante à taux décroissant, le minage d’un bloc devient de
plus en plus difficile (cf. graphique 1).

Graphique 1 : La difficulté du minage

Source : coindesk.com (2015)

La rentabilité de l’activité de minage est décroissante dans le temps car le coût de production
est croissant. Les mineurs doivent, en effet, investir dans des ordinateurs dont la puissance de
calcul est de plus en plus importante pour augmenter la probabilité de remporter la prime.
Selon le site bitcoin.watch, la puissance totale du réseau bitcoin serait, en septembre 2015, de
l’ordre à 5 200 000 petaFLOPS, ce qui en ferait aujourd’hui le réseau mondial le plus
puissant6. Au-delà de coûts fixes sans cesse croissants, cette course à la puissance est, selon
Dupré et al. (2015, p.6) : « un élément destructeur de commun d’un point de vue écologique »,
car elle consomme de l’énergie. Pour les mineurs, le niveau des coûts n’est en rien
problématique, car ils objectent que la production de moyens et de services de paiement
traditionnels impliquent des coûts bien plus importants (coûts de production, de stockage, de
surveillance…) que ceux qu’ils supportent. Et l’émission décentralisée d’une monnaie
virtuelle n’implique aucun revenu de seigneuriage, contrairement à l’émission centralisée
d’une monnaie fiduciaire. Le marché du minage est en phase transitoire, car les mineurs qui
encaisseront durablement des pertes sortiront du marché. Le risque est d’obtenir, à l’équilibre,
un marché oligopolistique où les mineurs forment un cartel7 et modifient la rémunération de
la surveillance de la blockchain et l’émission de nouveaux bitcoins. Là encore, peut se poser
le problème de la régulation des mineurs.

Au-delà des obstacles technologiques à sa diffusion, les utilisations les plus connues du
bitcoin ont défrayé la chronique et posent des problèmes éthiques. Cette monnaie virtuelle est
souvent associée au développement du Darknet. Ainsi, du fait de l’anonymat des transactions,
6
A titre de comparaison, l’ordinateur le plus puissant au monde, le Thiane-2, offre une puissance de 34
petaFLOPS.
7
Il existe déjà des pools de mineurs qui se partagent les primes reçues

9
qui peut être total par l’utilisation de filtres tels que « bitcoin fog », le bitcoin est considéré,
comme l’un des moyens de paiement privilégiés pour acquérir des biens et services illégaux
(drogue, papiers d’identité, trafic d’armes, meurtre, prostitution…), mais également de
favoriser le financement du terrorisme, l’évasion fiscale ou le blanchiment de capitaux. Ces
problèmes ont notamment été révélés lors de la fermeture du site Silk Road par les autorités
américaines en octobre 2013 (voir, par exemple, Christin, 2013).

Les crises chypriote et grecque ont également révélé que le bitcoin permettait de contourner la
réglementation sur les mouvements de capitaux et ainsi de désintermédier les établissements
de crédit. Dans le cas chypriote, en 2013, les titulaires d’un compte de dépôt supérieur à
100000 euros, notamment les russes, se sont rués sur le bitcoin pour éviter de participer au
bail in. En Grèce, en juillet 2015, les transactions en bitcoin ont augmenté de 300% pour
contourner la réglementation sur les retraits bancaires. Le pic des transactions quotidiennes a
été ainsi enregistré la semaine du 6 juillet 2015, suite au résultat du référendum grec selon les
statistiques de coindesk.com. Des pays à forte inflation, tels que l’Argentine et le Venezuela,
qui appliquent des réglementations strictes sur les achats de dollars ont également un
pourcentage d’utilisateurs important. Le bitcoin peut ainsi apparaître comme une valeur
refuge au point d’en faire une sorte d’or numérique. Cependant, sa volatilité vis-à-vis de
l’euro et du dollar doit fortement tempérer cet argument.

3. La volatilité du bitcoin
Au-delà de sa faible acceptabilité actuelle, une particularité du bitcoin est qu’il n’est
finalement pas accepté directement comme moyen de paiement. En effet, les sites fixent
d’abord les prix en monnaies fiduciaires traditionnelles (USD, €…) puis les convertissent en
bitcoins au taux de change courant. Le bitcoin n’est donc pas considéré comme une monnaie à
part entière. Il ne sert pas d’unité de compte. La raison principale de cette acceptabilité limitée
est sa forte volatilité vis-à-vis des principales devises (cf. graphiques 2 à 5)

10
Graphique 2 : taux de conversion BTC/USD

Source : coindesk.com (2015)

Graphique 3 : Volatilité BTC/USD Graphique 4 : Volatilité BTC/EUR


VOLBTCDOL VOLBTCEURO
16,000
24,000

14,000
20,000
12,000

16,000
10,000

12,000 8,000

6,000
8,000
4,000
4,000
2,000

0 0
I II III IV I II III IV I II III IV I II III IV I II I II III IV I II III IV I II III IV I II III IV I II
2011 2012 2013 2014 2015 2011 2012 2013 2014 2015

Graphique 5 : Volatilité EUR/USD


VOLEURODOL
.00014

.00012

.00010

.00008

.00006

.00004

.00002

.00000
I II III IV I II III IV I II III IV I II III IV I II
2011 2012 2013 2014 2015

Les graphiques ci-dessus montrent que la volatilité du bitcoin est sans commune mesure avec
celle des monnaies traditionnelles. Cette forte volatilité explique pourquoi le bitcoin n’est pas
utilisé en tant qu’unité de compte alors que le dollar et l’euro le sont. Si tel était le cas, les
marchands seraient obligés de calculer en permanence les prix, ce qui impliquerait des coûts
de mises à jour significatifs (Lo and Wang, 2014). La variabilité permanente des prix induirait

11
également de l’incertitude pour le consommateur qui est habitué à des prix relativement fixes.
La forte volatilité du bitcoin le rend, pour l’instant, incapable de préserver la valeur. D’après
les statistiques de coindesk.com, 1 BTC valait 0,07 USD le 19/7/2010, 979,45 USD
(+139991,14%) le 25/11/2013 et 239,77 USD (-75,53%) le 7/9/2015. Aux mêmes dates, 1€
valait successivement 1,2957 USD, 1,3514 USD (+ 4,3%) et 1,1657 USD (- 12,26%). Le
pouvoir d’achat du bitcoin est donc fortement instable. Ses variations peuvent exposer ses
détenteurs à des pertes ou à des gains spectaculaires. Le bitcoin ne peut alors être considéré
comme un actif parfaitement sûr et liquide, ce qui est la caractéristique des monnaies des pays
où l’inflation est maitrisée.

3500 BTC sont créés quotidiennement, indépendamment des conditions de l’offre et de la


demande. Il peut y avoir trop de bitcoins en circulation quand le cours chute et pas assez
quand le cours monte. D’où une forte volatilité. Si le protocole cryptographique est
inattaquable, l’offre de bitcoins ne peut être certes manipulée, ce qui éviterait toute illusion
monétaire du fait de l’absence de biais inflationniste. Pour autant, rien ne garantit que le taux
de croissance de l’offre soit économiquement optimal au sens de Friedman (1960).

Un autre facteur de volatilité est le fait que toute monnaie virtuelle n’a pas de valeur
intrinsèque. Comme le rappelle la Banque de France (2013) : « bitcoin n’est adossé à aucune
activité réelle et/ou actifs sous-jacents ». Aucune banque centrale ne régule les conditions de
l’offre et la demande au travers de la politique monétaire. Son cours est donc complexe à
déterminer car, par essence, le bitcoin est « déterritorialisé ». Il n’est donc la contrepartie
d’aucune base monétaire nationale ou régionale. Cette absence de lien va donc au-delà des
propositions de l’école autrichienne qui, si elle défendait l’idée que la monnaie légale ne soit
émise par l’Etat, proposait une monnaie rattachée à l’or pour assurer sa stabilité. Une étude
économétrique de Ciaian et al. (2014) confirme que les déterminants traditionnels des taux de
change ne sont pas significatifs et que des comportements spéculatifs, liés à des rumeurs,
peuvent affecter son prix. Depuis son apparition, le bitcoin a été victime de nombreux « flash
crashes ». Par exemple, le 10 avril 2013, le bitcoin a perdu 61% de sa valeur en dollars (de
266 à 105 USD) du fait de l’incertitude sur les conditions du règlement de la crise chypriote.
Le 19 août 2015, il perd près de 20% suite à l’annonce d’un possible fork (cf. supra) et aux
ventes massives d’investisseurs sur la plateforme Bitfinex qui représente environ le tiers des
transactions quotidiennes de bitcoin en dollar.

12
4. Bitcoin et finance
Une fonction importante de la monnaie est de permettre aux agents de réaliser des
transactions financières. Ceux-ci ont accès à des supports d’épargne, au marché du crédit, à
des marchés financiers. Les systèmes bancaires fonctionnent sur le principe de réserves
fractionnaires, ce qui permet de créer de la monnaie. L’environnement monétaire proposé par
le bitcoin est radicalement différent : pas de réserves fractionnaires, donc pas de marché du
crédit, ni de taux d’intérêt. Chaque bitcoin étant unique, aucune duplication n’est possible. Cet
environnement explique que les gains proviennent aujourd’hui uniquement des variations de
prix. D’où la présence de comportements spéculatifs de la part des détenteurs de bitcoins,
conformément à la loi de Gresham.

Malgré tout, la finance classique s’interroge sur le potentiel de développement du bitcoin en


tant que monnaie de libellé d’opérations financières. Depuis 2013, des hedge funds se sont
lancés dans le trading sur le bitcoin8. En février 2015, Crypto Facilities Ltd a lancé un
forward qui permet aux investisseurs de prendre des positions courtes et/ou longues avec effet
de levier sur le prix en dollar du bitcoin. Depuis mars 2015, la Financial Industry Regulatory
Authority a donné son accord pour la commercialisation du premier ETF bitcoin, GBTC, sur
le marché OTC aux Etats Unis. Depuis le 19 mai 2015, le New York Stock Exchange cote un
indice sur le bitcoin, le NYXBT, et l’envisage comme un actif émergent. Le crowdfunding est
également un vecteur de développement du bitcoin. Un nombre croissant de starts-up lèvent
des fonds en bitcoin témoignant là encore de l’intérêt pour la crypto-monnaie. Goldman Sachs
a agi en tant que chef de file pour lever des fonds pour Circle Internet Financial qui fournit
des services sur le marché du bitcoin.

Surtout, la finance traditionnelle investit le champ des Fintech pour estimer les possibles
applications de la cryptographie. Le NYSE et BBVA ont investi dans la plateforme Coinbase
en janvier 2015. Le Nasdaq teste une plateforme d’échange fondée sur la blockchain.
Santander InnoVentures (2015) anticipe que la technologie utilisée dans la blockchain a le
potentiel de modifier l’environnement financier actuel. La généralisation d’un réseau de pair à
pair dans les opérations financières pourrait considérablement simplifier les systèmes de
paiement et de règlement-livraison. Cette simplification des structures post trade impliquerait
des économies de l’ordre de 20 milliards par an à partir de 2022. La technologie utilisée par

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Pour l’année 2013, le fonds bitcoin du hedge fund maltais Exante affiche un rendement de 4847%.

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les monnaies virtuelles pourrait donc avoir un impact puissant sur le business model des
banques. Pour Palychata (2015), la diffusion des crypto-monnaies pourrait même rendre les
établissements de crédit « superflus » en l’absence de réaction de leur part. On peut également
s’interroger sur le potentiel des crypto-monnaies à résoudre, au moins partiellement,
l’exclusion bancaire qui affecte aujourd’hui 2,5 milliards de personnes.

Le bitcoin ne peut pas être, aujourd’hui, considéré comme une monnaie à part entière.
L’absence de valeur intrinsèque et de cours légal se traduisent par une forte volatilité de son
prix qui ne lui permet pas de remplir les fonctions traditionnelles de la monnaie. Néanmoins,
l’anonymat des opérations réalisées et la réduction des coûts de transactions peuvent induire
un potentiel de développement. En outre, la technologie utilisée pour l’émission de bitcoins et
le règlement des transactions offre des opportunités au système financier de modifier ses
pratiques. Dans un environnement décentralisé de pair à pair, tel que celui proposé par la
blockchain, le rôle des banques pourrait évoluer. Si les monnaies virtuelles se diffusent
massivement dans l’économie, la question de leur régulation, pour protéger les utilisateurs, et
de leur impact sur la politique monétaire se posera avec acuité.

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