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Respiration et photosynthèse

Histoire et secrets d'une équation

Claude Lance

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ISBN 978 2 7598 0964 6


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Respiration et Photosynthèse – histoire et secrets d’une équation
Cet ouvrage, labellisé par Grenoble Sciences, est un des titres du secteur Evolu-
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Jean Pelmont, Professeur honoraire à l'Université Joseph Fourier, Grenoble I

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Cet ouvrage a été suivi par Laura Capolo pour la partie scientifique et par
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protéines (J. Yon-Kahn) • La biologie des origines à nos jours (P. Vignais) • Rencontre de
la sciences et de l’art (J. Yon-Kahn) • Physique et biologie (B. Jacrot) • Naissance de la
physique (M. Soutif) • L’Asie, source de sciences et de techniques (M. Soutif) • En phy-
sique, pour comprendre (L. Viennot) • Éléments de biologie à l’usage d’autres disciplines
(P. Tracqui & J. Demongeot) • Energie et environnement (B. Durand) • Gestes et mou-
vements justes (M. Gendrier) • La plongée sous-marine (P. Foster) • Le régime Oméga 3
(Dr A. Simopoulos, J. Robinson, Dr M. de Lorgeril & P. Salen) • Minimum Competence
in Medical English (J. Upjohn, J. Hay, P.E. Colle, A. Depierre & J. Hibbert) • Radio-
pharmaceutiques (M. Comet & M. Vidal) • Abrégé de biochimie appliquée (A. Marouf &
G. Tremblin) • Bactéries et environnement (J. Pelmont) • Bioénergétique (B. Guerin) •
Chemogénomique (E. Maréchal, L. Lafanachère & S. Roy) • Cinétique enzymatique (A.
Cornish-Bowden, V. Saks & M. Jamin) • Enzymes (J. Pelmont) • Enzymologie moléculaire
et cellulaire, Tome 1 et 2 (J. Yon Kahn & G. Hervé) • Glossaire de biochimie environne-
mentale (J. Pelmont) • Mathématiques pour les sciences de la vie, de la nature et de la santé
(J.P. Bertrandias & F. Bertrandias) • Chimie organométallique (D. Astruc) • Descrip-
tion de la symétrie (J. Sivardière)

et d’autres titres sur le site internet :


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Maintenant il faut parler de la jeunesse et de la vieillesse, de
la vie et de la mort. Et peut-être est-il nécessaire, en même
temps, d’exposer la cause de la respiration, car c’est elle qui,
pour certains animaux, fait qu’ils vivent et qu’ils ne vivent pas.
Aristote (Petits traités d’histoire naturelle)

Avant-Propos

Grâce aux progrès des sciences, on peut aujourd’hui considérer que la description
des structures anatomiques et cellulaires des êtres vivants, la nature de leurs consti-
tuants biochimiques, de même que la connaissance des principaux mécanismes qui
assurent leur existence, sont actuellement des faits acquis. Beaucoup sans doute reste
encore à découvrir, mais les inconnues ne se situent plus au niveau des éléments ou
de l’organisation de la machinerie vitale, elles résident désormais dans le contrôle et
la régulation de son fonctionnement.
Parmi les fonctions vitales, deux d’entre elles sont particulièrement importantes car
elles concernent l’existence même de la vie au sein de la biosphère : l’une est la
photosynthèse, qui n’est rien moins que la source de toute énergie et de toute matière
organique, l’autre est la respiration, pourvoyeuse de l’énergie nécessaire au fonc-
tionnement de la très grande majorité des êtres vivants. L’une, la respiration, nous
est familière depuis toujours : respirer, c’est vivre  ; l’autre, la photosynthèse, ne
nous est connue que depuis un peu plus de deux siècles. Leurs liens sont cependant
indissociables : la respiration n’existe que par la photosynthèse, qui lui fournit son
combustible et son oxygène. Vues de l’extérieur, elles semblent apparemment jouer
des rôles opposés, l’une détruisant ce que l’autre produit, mais de cette confrontation
dépend notre existence.
Inverses l’une de l’autre, elles partagent néanmoins des éléments communs, le plus
simple d’entre eux étant l’air de notre atmosphère : d’ailleurs, c’est grâce à la res-
piration d’un animal, une souris, que la fonction photosynthétique d’une plante, un
pied de menthe, a été découverte. Car s’il est manifeste que les animaux respirent,
ce qui se perçoit facilement par les mouvements du thorax, il n’est par contre pas du
tout évident que les plantes respirent et encore moins qu’elle pratiquent la photosyn-
II Avant-Propos

thèse : aucun signe extérieur ne vient, chez les végétaux, traduire l’exercice de ces
deux fonctions.
Celles-ci sont traditionnellement représentées par deux équations chimiques clas-
siques, que l’on rencontre dans tout traité élémentaire de physiologie animale ou
végétale. L’une :
C6H12O6 + 6 O2 $ 6 CO2 + 6 H2O
exprime la respiration sous la forme de l’oxydation d’une molécule de glucose en
présence d’oxygène atmosphérique, avec libération de dioxyde de carbone et forma-
tion d’eau. L’autre :
6 CO2 + 6 H2O $ C6H12O6 + 6 O2
traduit la photosynthèse, sous la forme de la synthèse d’une molécule de glucose, à
partir d’eau et de dioxyde de carbone, le tout s’accompagnant d’un rejet d’oxygène.
On peut symboliquement, au moyen de deux flèches inversées, regrouper ces deux
équations en une seule :
C6H12O6 + 6 O2 @ 6 CO2 + 6 H2O
concrétisant ainsi de façon évidente la nature opposée des deux phénomènes. En fait,
une telle formulation ne traduit qu’imparfaitement la réalité  : tout d’abord, il ne
s’agit pas d’une véritable équation chimique équilibrée au sens où l’entendent les
chimistes ; ensuite, le glucose n’est pas nécessairement le combustible de la respi-
ration ni le produit de la photosynthèse. Pour dire vrai, elle est même un peu fausse.
C’est donc une équation phénoménologique traduisant chez les êtres vivants la syn-
thèse ou la destruction de matière organique, en ne faisant intervenir que des corps
minéraux eux-mêmes très simples  : eau, oxygène, dioxyde de carbone. Sa place
se situe au cœur de cet ouvrage. Par empathie, on s’y référera sous le vocable de
La belle Équation.
Son élaboration fut une véritable épopée scientifique. Il fallut plus de deux mille ans,
d’Aristote à Lavoisier et de Saussure – c’est-à-dire la fin du xviiie siècle – pour
aboutir à une définition formelle des deux phénomènes. Il fallut tout le xixe siècle
pour en décrire les manifestations externes et internes et en formuler les équations.
Au début du xxe siècle, respiration et photosynthèse n’apparaissaient encore que
comme des sortes de boîtes noires, dont la connaissance de ce qui se passe à l’inté-
rieur ne reposait que sur le bilan des entrées et des sorties, sans aucune information
sur le fonctionnement de la machinerie. Par vagues successives, la réponse fut appor-
tée au cours du xxe siècle, au fur et à mesure que se développaient des techniques
d’analyse d’une finesse inimaginable. Aujourd’hui respiration et photosynthèse sont
devenues de nouveaux faits acquis, dont on peut suspecter qu’ils ne subiront plus de
42 Première partie - Philosophie

baromètre, est à l’origine du manomètre pour mesurer la pression des gaz. Mais
l’instrument-roi de l’époque, à la source de la Révolution chimique, fut la balance.

3.1.1 - La manipulation des gaz


Remplaçant la cloche de verre de Van Helmont, un nouvel appareil fit son appa-
rition, la cuve à eau, parfois pompeusement nommée appareil hydropneumatique
(fig.  3.1(a) et (b)). C’est à l’Anglais Stephen Hales (1677-1761) qu’est attribuée
cette invention, ou du moins l’addition d’un certain nombre d’améliorations qui
en firent un accessoire absolument indispensable. Il en fit la description dans un
ouvrage, Vegetable Statics, paru en 1727. La trouvaille de Hales fut de séparer le
système de collection du gaz de celui de sa production, le lien entre les deux étant
assuré par le col recourbé de la cornue où se produisait la réaction, ou par un tube de
verre reliant les deux enceintes.

D E

Figure 3.1 - La manipulation des gaz


(a) procédé utilisé par Hales pour extraire les gaz des substances les plus diverses.
(b) cuves à eau utilisées par Cavendish pour la manipulation des gaz. [d’après
J.R. Partington. A history of chemistry, Macmillan, Londres, 1962, vol. 3, p. 115 et 312]
Chapitre 3 - La découverte des gaz 43

Toutefois, la cuve à eau présentait un inconvénient : le contact avec la surface de


l’eau favorisait la dissolution des gaz, ce qui pouvait entraîner des erreurs dans le cas
d’un gaz soluble (gaz sylvestre). La solution vint, apportée par Boyle, qui substitua
le mercure à l’eau, et peu à peu la cuve à mercure (encore nommée cuve hydragyro-
pneumatique) supplanta la cuve à eau. Cavendish l’utilisa dès 1766 et Priestley à
partir de 1772 (cf. fig. 6.1).
Quand il fallait initier une réaction de combustion à l’intérieur d’une enceinte ren-
fermant un gaz, on procédait en introduisant un très petit fragment (un atome) de
phosphore. On l’enflammait soit en focalisant sur lui les rayons du soleil à l’aide
de lentilles convergentes, verres ardents, dont certains avaient de grands diamètres
(jusqu’à 3 pieds), soit en établissant un contact avec un fil de fer recourbé, chauffé
au rouge et introduit à travers le mercure. Quand cela devint possible, on provoqua la
combustion des mélanges gazeux à l’aide d’une étincelle produite par une machine
électrique.
Cependant l’opération de mesure des volumes n’en était pas moins fastidieuse et
assez peu précise. La perfection en ce domaine fut atteinte par Lavoisier qui fit
construire des enceintes métalliques
de grand volume (plusieurs pieds
cubiques), nommées caisses pneuma-
tiques (fig. 3.2). Avec de tels appareils,
qu’on appelait aussi gazomètres  2, on
pouvait, après sa préparation, stocker
des quantités importantes d’un gaz par-
ticulier et, si l’on disposait de plusieurs
gazomètres, injecter à l’intérieur d’une
même enceinte des volumes connus de
deux gaz différents pour les faire réa-
gir. C’est ainsi que Lavoisier réalisa
la synthèse de l’eau.
Figure 3.2 - Caisse pneumatique
de Lavoisier [d’après A. Lavoisier. Traité
élémentaire de chimie, 2ème édition,
Cuchet Librairie, 1793]

3.1.2 - Les autres instruments de mesure


La connaissance des pressions existant à l’extérieur et à l’intérieur d’une caisse
pneumatique était une condition nécessaire pour connaître les volumes gazeux mis

2 Les gazomètres de Lavoisier, de même que ses balances et son calorimètre, sont
conservés au Musée du Conservatoire National des Arts et Métiers, à Paris.
64 Première partie - Philosophie

que par leurs manifestations externes, c’est-à-dire par les mouvements des gaz qu’on
venait de découvrir.

4.1 - Antoine-Laurent Lavoisier


Le propos n’est pas de retracer ici la biographie d’un person-
nage, Antoine-Laurent Lavoisier (1743-1794), dont la vie
et l’œuvre ont fait l’objet d’innombrables ouvrages, mais
simplement de montrer le rôle central qu’il joua dans l’évo-
lution des concepts scientifiques de son époque. Comme le
soulignent nombre d’ouvrages, il y eut une « chimie avant
Lavoisier  » et une «  chimie après Lavoisier  ». Ce rôle
fondateur lui est universellement reconnu. Mais il en est un
autre, relativement laissé dans l’ombre, dont l’impact fut
tout aussi grand, dans un autre domaine, celui qu’on nomme
L avoisier aujourd’hui biologie. Après avoir puissamment contribué à
résoudre les énigmes de la chimie, Lavoisier aborda l’étude
des êtres vivants. Sa définition de la respiration, « une combustion lente », a été le
point de départ d’une nouvelle physiologie. Pour mesurer les progrès accomplis, il
suffit de mettre en parallèle le contenu de son Traité élémentaire de chimie (1789)
et son premier travail scientifique : il portait sur la transformation de l’eau en terre
(1770). Vingt ans à peine les séparent. Entre les deux, un abîme s’est creusé.
Dans une expérience célèbre (p. 36), Van Helmont avait montré qu’un arbre pou-
vait se développer en ne recevant que de l’eau comme seul aliment. Une preuve
plus actuelle était fournie par l’observation que l’eau, portée à ébullition pendant
une longue période de temps, laissait toujours apparaître un dépôt terreux plus ou
moins important. Dans un mémoire Sur la nature de l’eau et sur les expériences par
lesquelles on prétend prouver la possibilité de son changement en terre, Lavoisier
dévoile les premiers traits de la méthode qu’il utilisera constamment par la suite.
Ayant distillé une certaine quantité d’eau pendant 101 jours, en circuit fermé, dans
un appareil appelé pélican en raison de sa forme (fig. 4.1), il observa qu’un résidu
solide s’était déposé au fond du pélican. À l’aide de ses balances, Lavoisier établit
alors que le poids du dépôt terreux correspondait très sensiblement à la diminution
de poids du pélican. Ainsi, l’eau ne s’était pas transformée en terre, c’était la paroi
de verre du pélican qui avait été attaquée par l’eau au cours de cette distillation très
prolongée. Ainsi, une mesure précise avait facilement eu raison d’une proposition
erronée. Cette expérience est symbolique : c’est par l’usage de la balance que Lavoi-
sier détruira la théorie du phlogistique. C’est par elle aussi qu’il montrera que la
respiration d’un animal produit de l’eau.
74 Première partie - Philosophie

Figure 4.2 - Appareils utilisés par Lavoiser pour la synthèse (a)


et la décomposition (b) de l'eau [D'après Antoine Lavoisier, Traité
élémentaire de chimie, 2ème édition, Cuchet Librairie, 1793, planche VII]

Si la synthèse de l’eau n’est pas le fait de Lavoisier, sa décomposition par contre lui
appartient entièrement. Le Suédois Torbern Bergman (1735-1784) avait montré que
la limaille de fer, abandonnée dans l’eau, se transforme lentement en ethiops martial
[oxyde de fer noir, Fe3O4] avec libération de gaz inflammable. Lavoisier eut l’idée
d’accélérer la réaction en la soumettant à une température élevée.
Procédant comme pour l’air, par analyse et synthèse (décomposition et recomposi-
tion), au cours d’une expérience publique réalisée le 28 février 1785 devant trente
savants et huit commissaires de l’Académie, Lavoisier fit passer de la vapeur d’eau
dans un canon de fusil porté au rouge (fig. 4.2(b)). Il recueillit un gaz qu’il montra
être « un gaz inflammable particulier » [hydrogène]. Il le recombina avec de l’air pur
Chapitre 6 - Comment le carbone vient aux plantes 135

Figure 6.4 - Dispositif utilisé par de Saussure pour mesurer l'influence d'une atmo-
sphère enrichie en gaz carbonique sur la croissance pondérale d'une plante
[d’après T. de Saussure. Recherches chimiques sur la végétation. Nyon, Paris, 1804]

L’expérience a duré 10 jours. Un pied de pois cultivé dans l’air atmosphérique s’est
ainsi accru de 425 mg. Les teneurs en gaz carbonique de 100 à 50 % se sont révélées
toxiques. La croissance fut de 265 mg à 25 %, de 371 mg à 12,5 %, mais de 583 mg
à 8,3 %, très supérieure à celle observée dans l’air commun 30 :

z Enfin, la moyenne de l’augmentation de chaque plante dans une atmosphère


d’air commun dont le gaz acide occupait la douzième partie [8,3 %], a été de
583 milligrammes (11 grains). J’ai répété plusieurs fois cette expérience, et les
plantes y ont constamment mieux prospéré que dans l’air atmosphérique pur. y

Cette expérience démontrait définitivement que la cause de l’augmentation de poids


et la source du carbone de la matière végétale se trouvaient dans l’air atmosphérique,

30 T. de Saussure. ibid., p. 31.


Chapitre 9 - La respiration cellulaire 205

z Le rapport entre l’oxygène contenu dans le gaz carbonique 23 et la quantité


totale d’oxygène consommé paraît dépendre plus de la nature des aliments
que de la classe à laquelle appartient l’animal. Ce rapport est le plus grand
lorsque les animaux se nourrissent de grains, et il dépasse souvent l’unité.
Quand ils se nourrissent exclusivement de viande, ce rapport est le plus faible,
et varie de 0,62 à 0,80. Avec le régime des légumes, le rapport est en général

intermédiaire entre celui que l’on observe avec le régime de viande et celui
que donne le régime de pain (...)
Le rapport entre l’oxygène contenu dans l’acide carbonique et l’oxygène
total consommé varie, pour le même animal, depuis 0,62 jusqu’à 1,04, suivant
le régime auquel il est soumis. Il est donc bien loin d’être constant. y

Figure 9.4 - Appareil de Regnault et Reiset pour la mesure des échanges gazeux respi-
ratoires d'un animal [d'après Regnault et Reiset. Ann. Chim. Phys., 3e série, 1849, 26, planche III]

Ainsi, selon la nature de l’alimentation : chien nourri de viande (QR = 0,742), lapin
nourri de carottes (QR = 0,918), poule nourrie d’avoine (QR = 0,967), le quotient
respiratoire variait. D’une manière générale, il était proche de l’unité pour une ali-
mentation à base de sucres, et voisin de 0,7 pour une alimentation carnée.

L’interprétation de ces valeurs viendra une quinzaine d’années plus tard à la suite
des travaux de deux physiologistes allemands, Max Pettenkofer (1818-1901) et
Carl von Voit (1831-1908). Un problème avait depuis toujours intrigué et perturbé
tous ceux qui jusque-là avaient étudié la respiration : il s’agissait de l’intervention
ou non de l’azote dans la respiration des animaux. Toujours, dans un sens ou dans
l’autre, les réponses avaient été des plus douteuses, car toujours situées à la limite de
Chapitre 13 - Nouveaux concepts 305

Lorsqu’un atome est radioactif, il émet un rayonnement caractéristique. L’atome se


désintègre pour donner naissance, après une chaîne d’intermédiaires plus ou moins
longue, à un atome stable. Au cours de ce processus, la radioactivité décroît progres-
sivement selon une loi exponentielle : en des temps égaux, une même fraction de
la masse de l’élément disparaît à la suite des désintégrations. La vitesse de désinté-
gration des atomes radioactifs est caractérisée par leur demi-vie ou période : c’est le
temps nécessaire pour que la moitié de la masse radioactive disparaisse. Pour cer-
tains atomes, cette période est très brève : 7,2 s pour 16N, 3,15 min pour 31P. Elle est
de 14,3 j pour 32P, de 88 j pour 35S, et 5 730 ans pour 14C.
Quand leur période n’est pas trop brève, ces isotopes radioactifs peuvent servir de
marqueurs ou de traceurs pour les molécules qui les contiennent. Parmi les traceurs
les plus utilisés en biochimie figurent 14C, 3H (tritium), 32P, 35S, pour les isotopes
radioactifs, et 2H (deutérium), 13C, 18O, 15N, pour les isotopes stables (isotopes
lourds). Comme on le verra, l’utilisation des isotopes a joué un rôle capital dans
l’élucidation des mécanismes de la respiration et de la photosynthèse.

13.2 - Vues nouvelles en chimie


Ces nouvelles conceptions sur la structure des atomes eurent des répercutions immé-
diates en chimie. Avec elles, il devenait alors possible d’expliquer des phénomènes
jusque-là simplement constatés. Il en était ainsi de la liaison chimique, de la disso-
ciation des molécules ou de l’oxydation, qui reçut enfin son statut définitif.

13.2.1 - La liaison chimique


Généralisant le concept de l’atome d’hydrogène aux autres atomes possédant un plus
grand nombre d’électrons, de protons et de neutrons, le physicien danois Niels Bohr
(1885-1962) fut amené à distribuer les électrons sur différentes orbites ou couches
(K, L, M, ...), créant ainsi un modèle de structure atomique connu sous le nom
« d’atome de Bohr ». Lorsqu’une couche est saturée par les électrons qu’elle peut
accepter, les autres électrons se répartissent alors progressivement sur des couches
(ou sous-couches) plus externes. Seule la couche électronique la plus externe, celle
qui possède le niveau d’énergie le plus élevé, détermine les propriétés chimiques.
En simplifiant : la couche la plus interne (K) se trouve saturée quand 2 électrons y
sont présents, la suivante (L) peut accepter 8 électrons, et il en va de même (schéma-
tiquement) pour les suivantes 8. C’est ce qu’illustre la fig. 13.4 représentant la struc-

8 La couche M peut accommoder 18 électrons et la couche N 36 électrons. En fait, ces


couches sont subdivisées en sous-couches comportant un nombre défini d’électrons
(2, 8, 8 pour M ; 2, 8, 18, 8 pour N). Il existe donc toujours une sous-couche, la plus
externe, saturable par 8 électrons.
306 Troisième partie - Biochimie

ture électronique de quelques atomes particulièrement intéressants. On voit ainsi que


la couche K de l’hydrogène n’est pas saturée : il lui manque 1 électron, lequel est
présent dans l’atome d’hélium (He). Pour les autres atomes (C, N, O), la couche K
est saturée et la couche L l’est plus ou moins. Pour atteindre la saturation, il manque
ainsi 4 électrons au carbone, 3 électrons à l’azote et 2 électrons à l’oxygène. La satu-
ration de la couche L n’est réalisée que dans le néon (Ne), un gaz rare de l’air qui,
précisément pour cette raison, est un gaz très inerte (gaz monoatomique).

H He

C N O Ne

Figure 13.4 - Distribution des électrons sur différentes couches électroniques (K, L)

Les couches périphériques étant plus ou moins saturées en électrons, c’est de leur
tendance à accepter des électrons supplémentaires de façon à atteindre la saturation
(8 électrons, règle de l’octet) que résulte la liaison chimique, dont le type principal
est la liaison de covalence. Cette liaison repose sur la mise en commun de 2 électrons
(doublet), chaque atome fournissant un électron, lesquels vont alors graviter à la
périphérie de la nouvelle molécule formée.
On voit ainsi (fig. 13.5) que 2 atomes d’hydrogène mettent en commun chacun 1 élec-
tron pour donner la molécule H2, diatomique, forme naturelle du gaz hydrogène
(dihydrogène). De même, deux atomes d’oxygène ou d’azote mettent en commun
2 ou 3 électrons de façon à constituer deux ou trois doublets de liaison. On obtient
alors les molécules naturelles diatomiques O2 et N2 (dioxygène, diazote). Les liai-
sons formées sont ainsi dites simples, doubles ou triples. Plus particulièrement, la
mise en commun de 4, 3 ou 2 électrons entre plusieurs atomes d’hydrogène et des
atomes de carbone, d’azote ou d’oxygène, permet de créer les molécules de méthane
(CH4), d’ammoniac (NH3) ou d’eau (H2O) : chaque atome d’hydrogène possède une
couche K saturée par 2 électrons, et les autres atomes ont leur couche L saturée par
422 Troisième partie - Biochimie

IV) peuvent largement permettre la synthèse d’un ATP, voire de plusieurs. Le com-
plexe III ne peut assurer que la synthèse d’un seul ATP. Quant au complexe II, il est
à l’évidence inapte à la synthèse d’ATP.
malate
citrate
pyruvate
α-cétoglutarate
Site I
ascorbate

e
NADH I e–
E°’ = – 0,32 V Site II Site III
∆G°’ = – 19,4 kcal
cyt. c
E°’ = + 0,065 V Q III IV O2
E°’ = + 0,26 V E°’ = + 0,81 V
∆G°’ = – 7,7 kcal ∆G°’ = – 25 kcal
e–
Succinate II
E°’ = – 0,05 V
∆G°’ = – 4,6 kcal

Figure 16.6 - Localisation des sites de phosphorylation au niveau des com-


plexes transporteurs d'électrons de la chaîne respiratoire (cf. fig. 15.11)

De telles conclusions étaient en harmonie avec les mesures des rapports P/O et en
expliquaient les valeurs. Les électrons provenant du succinate ne produisaient que
2 ATP car seuls deux complexes phosphorylants (III et IV) étaient empruntés. Ceux
provenant de substrats dont les oxydations libéraient du NADH pouvaient produire
3 ATP puisque trois complexes phosphorylants (I, III et IV) intervenaient. Quant au
donneur d’électrons artificiel, l’ascorbate, il ne pouvait produire que 1 ATP puisque
seul le complexe IV était mis en jeu.
Toutes ces observations s’ordonnaient donc selon un schéma de fonctionnement
de la chaîne respiratoire très cohérent : celle-ci était définitivement constituée de
différents complexes (fig. 15.10(b)), chacun d’eux étant spécifiquement sensible à
certaines catégories d’inhibiteurs. On découvrait maintenant que certains d’entre
eux étaient de plus associés à la synthèse de l’ATP. On  distingua ainsi trois sites
de phosphorylation : le site I (complexe I), le site II (complexe III) et le site III
(complexe IV).
L’emploi de l’électrode à oxygène et de méthodes spectrophotométriques perfor-
mantes (p. 357) vint conforter ces interprétations. La figure 16.7 représente ainsi
deux tracés d’électrode à oxygène exprimant, en fonction du temps, l’évolution de la
teneur en oxygène du milieu.
Chapitre 16 - Phosphorylations 423

PLWRFKRQGULHV PLWRFKRQGULHV
VXFFLQDWH VXFFLQDWH
&RQFHQWUDWLRQHQ2 —0

&RQFHQWUDWLRQHQ2 —0
 $'3  $'3

 
$'3 ROLJRP\FLQH

  $'3 '13

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7HPSV PLQ 7HPSV PLQ

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Figure 16.7 - Phosphorylation oxydative dans les


mitochondries isolées. Explications dans le texte.

La figure 16.7(a) peut s’analyser ainsi : l’addition de mitochondries au milieu ne se


traduit que par une consommation d’oxygène insignifiante. Celle-ci ne devient sen-
sible que si un substrat (succinate par exemple) est ajouté, mais la vitesse est encore
relativement lente. Une addition d’ADP l’accélère considérablement. La vitesse
revient ensuite à sa valeur antérieure si on à pris soin de n’ajouter au milieu qu’une
très faible quantité d’ADP (quantité limitante 27). Un tel comportement indique que
les mitochondries sont fortement couplées : en effet, s’il existe un lien de dépen-
dance strict entre absorption d’oxygène et phosphorylation, quand tout l’ADP aura
été phosphorylé, l’arrêt de la phosphorylation va se répercuter sur le transport d’élec-
trons et ralentir très fortement la consommation d’oxygène, voire même l’arrêter. Il
en résultera ainsi une inhibition apparente. Si l’on réinjecte une nouvelle quantité
limitante d’ADP, la phosphorylation est restaurée et le transport d’électrons de nou-
veau accéléré, jusqu’à nouvel épuisement de l’ADP. Quand le transport d’électrons
est ainsi fortement ralenti par suite d’un défaut de phosphorylation, l’addition d’un
agent découplant (dinitrophénol) provoque aussitôt une oxydation intense en levant
la contrainte que la phosphorylation exerçait sur le transport d’électrons.
Selon une nomenclature très technique mais classique 28, l’état phosphorylant asso-
cié à une oxydation intense est appelé état 3, et l’état non phosphorylant associé
à un transport d’électrons ralenti est l’état 4. Le rapport des vitesses d’oxyda-
tion entre ces deux états constitue ce que l’on appelle le Contrôle Respiratoire
(CR = V(état 3)/V(état 4)). Il donne la mesure du contrôle que la phosphorylation exerce

27 C’est-à-dire inférieure à la quantité d’ADP qui, par phosphorylation oxydative,


permettrait d’utiliser tout l’oxygène dissous dans le milieu pour produire de l’ATP.
28 B. Chance, G.R. Williams. Adv. Enzymol., 1956, 17, p. 65 (The respiratory chain and
oxidative phosphorylation).
552 Troisième partie - Biochimie

au printemps, pousse sur des sols encore recouverts de neige, la chaleur dégagée est
telle qu’elle fait fondre la neige autour de la plante et permet sans doute à cette fleur
d’assurer sa fécondation dans des conditions extrêmes (fig. 19.6).

Figure 19.6 - Inflorescence de Symplocarpus fœtidus (chou puant,


skunk cabbage), une Aracée d'Amérique du Nord, dont l'élévation
de température lors de la crise respiratoire a fait fondre la couche
de neige qui l'entourait. [J. Brisson, Université de Montréal, Canada]

En fait, les fonctions de ces protéines découplantes sont encore plus générales, car on
les rencontre dans toutes les mitochondries, animales ou végétales 14. Leurs capacités
découplantes en font vraisemblablement des éléments régulateurs du métabolisme
énergétique. Ainsi, la théorie chimiosmotique de Mitchell offrait non seulement
l’explication du mécanisme de la synthèse de l’ATP, mais, indirectement, en pro-
posant un mécanisme de découplage, elle rend aussi compte des phénomènes de
thermogenèse

19.3 – Épilogue : À l’ère de la biologie moléculaire


Toute histoire a une fin. Ici s’arrête l’aventure initiée il y 2 500 ans avec le traité
De la respiration d’Aristote et close – arbitrairement – en 1997 avec la revue de
P. Boyer sur l’ATP synthase 15. L’Histoire, évidemment, ne s’arrête pas en 1997.

14 Il existe même un troisième système pour diminuer la synthèse d’ATP. Chez les végétaux,
la membrane interne mitochondriale, en plus du complexe I, possède deux autres NADH
déshydrogénases localisées sur les faces interne et externe de la membrane interne.
Le NADH cytosolique ou matriciel peut donc être oxydé par ces déshydrogénases en
court-circuitant ainsi le complexe I, site d’une éjection de protons.
15 P.D. Boyer. Annu. Rev. Biochem., 1997, 66, p. 717 (The ATP synthase – A splendid
molecular machine).
Chapitre 19 - Unités et diversité 553

Elle ne s’y est pas arrêtée, d’ailleurs. Le lecteur d’aujourd’hui aurait peine à
reconnaître l’ATP synthase de 1997, comme le montre la figure  19.7, réplique,
à une dizaine d’années d’intervalle de la figure 18.15. On a continué à démonter
la machine et celle-ci n’a certainement pas fini de livrer ses secrets (fig. 19.7(a)).
Les sous-unités γ et ε de F1 sont devenues solidaires des sous-unités c de Fo. Elles
constituent désormais le nouveau rotor de la machine. Les sous-unités a et b de Fo
sont le support de F1 en établissant un contact avec la sous-unité δ de F1. Les protons
n’entrent plus par les sous-unités c, ils le font par la sous-unité a. L’angle de rotation
de 120° a été scindé en deux étapes de 90° et 30°, correspondant à deux phases de
la synthèse de la molécule d’ATP. On a même pu, en greffant une bille métallique
sur le rotor (fig. 19.7(b)) et en plaçant l’ensemble dans un champ magnétique tour-
nant, provoquer la synthèse de l’ATP en faisant tourner le rotor dans un sens, et son
hydrolyse en inversant le sens de rotation 16. Le rendement électromécanique de la
machine est excellent (80-90 %). L’ATP synthase est devenue un système nanoélec-
trochimique, modèle d’un moteur circulaire biologique. La modernité s’est emparée
du sujet : l’ATP synthase est entrée de plain-pied dans la Biorobotique moléculaire.

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Figure 19.7 - L'ATP synthase (a) modèle plus récent (2011) (b) l'ATP synthase, machine
moléculaire [(a) d'après J. Farineau, J.F. Morot-Gaudrit La photosynthèse, processus physiques,
moléculaires et physiologiques. Editions Quæ, Paris, 2011. (b) d'après H. Ueno, T. Suzuki, K. Kinosita,
M. Yoshida, Proc. Natl. Acad. Sci. © National Academy of Sciences, U.S.A, 2005, 102, p. 1333]

Tenter de cerner l’actualité au plus près pour mentionner la dernière nouveauté serait
de peu d’intérêt car, comme l’a amplement démontré le récit de cette aventure, la

16 H. Ueno, T. Suzuki, K. Kinosita, M. Yoshida. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 2005, 102, p. 1333
(ATP-driven stepwise rotation of FoF1-ATP synthase).

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