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Noesis

14 | 2008
Sciences du vivant et phénoménologie de la vie
I. La vie vécue et la vie expliquée

Vers une écologie « biotech » ?


L’exemple de la recréation des espèces éteintes

Julien Delord
p. 113-128
https://doi.org/10.4000/noesis.1658

Texte intégral
1 Si ces dernières années, l’idée de recréer des espèces disparues à partir de leur
ADN fossile a enthousiasmé les amateurs de science-fiction, la réalisation de
projets de cette nature est aujourd’hui considérée avec le plus grand sérieux par
certains écologistes. Ainsi, pendant que l’on séquence de l’ADN de mammouth au
Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris (Debruyne et al. 2003) ou de l’ADN
d’ours des cavernes à Lyon (Orlando 2005), une équipe australienne lève
plusieurs millions de dollars pour tenter de cloner le loup de Tasmanie, disparu
depuis près d’un siècle (Vincent 2002).
2 Soyons toutefois prudents ; s’il est vrai que depuis 1984, date à laquelle furent
séquencées les premières bases d’ADN ancien, les progrès ont été considérables,
il n’en reste pas moins que le « rendement » de ces techniques est encore faible –
Svante Pääbo et son équipe ont toutefois réussi à séquencer en quelques années
le chromosome mitochondrial de l’Homme de Néandertal (Green et al. 2008). Ce
type de séquençage relève avant tout d’une finalité cognitive pure dénuée de
visée pratique immédiate – aider les systématiciens, les paléontologues, les
anthro­pologues à comprendre les évènements biologiques passés. Les fantasmes
sur le clonage possible d’ADN de dinosaures ou d’insectes préhistoriques pétrifiés
dans de l’ambre sont nés des errements de jeunesse de la paléogénétique dans
les années  801. Aujourd’hui, en fonction des conditions de conservation des
fossiles, on considère qu’au-delà de quelques dizaines de milliers d’années, l’ADN
est trop dégradé pour être déchiffré. Cela autorise toutefois la plupart des
espèces éteintes depuis l’apparition de l’homme à dévoiler leur patrimoine
génétique. Place donc au « Holocene Park » !
3 Encore trop optimiste diront les sceptiques, comme Ludovic Orlando (2005) qui
estime que les obstacles techniques sont presque infranchissables. Pourtant,
ironie de l’histoire, alors que paraissait L’anti-Jurassic Park d’Orlando, à
l’automne 2005, Terence Tumpey (2005) d’Atlanta et son équipe annonçaient
dans Science qu’ils avaient ressuscité le virus de la grippe espagnole de 1918 ; ils
ont pour cela reconstitué le génome du virus grâce à des prélèvements sur des
tissus infectés et conservés depuis 1918, et ils ont ensuite recréé les protéines du
virus par ingénierie génétique inverse. Certes, il est difficile de concevoir un être
(est-il même vivant ?) plus simple que ce virus, mais un pas décisif semble avoir
été franchi !
4 S’il est tout à l’honneur des scientifiques, comme Orlando, de souligner les
limites de l’étendue de leurs connaissances et de leur champ d’action technique,
il serait toutefois imprudent, comme l’histoire le rappelle parfois cruellement, de
prendre leurs prédictions pour des certitudes. Libre au philosophe de se
détacher de la temporalité particulière du front de la science en train de se faire,
succession d’espoirs vains et de découragement surmontés, afin de pouvoir en
toute liberté jeter son regard dans l’avenir, d’explorer les implications
épistémologiques et éthiques d’un nouvel objet de questionnement, resterait-il
même à jamais virtuel.
5 Au-delà du domaine de la microbiologie et en dehors du laboratoire, lieu
originel et traditionnel de développement des biotechnologies, nous savons que
celles-ci, compte tenu des enjeux, soulèvent de multiples controverses comme en
témoigne l’histoire mouvementée des OGM. L’utilisation des biotechnologies les
plus avancées à des fins environ­nementales et écologiques, dans le but de
recréer ou de sauver des espèces, ne peut à son tour que soulever de nombreuses
interrogations. Comment relier notamment les outils et objets employés par les
biotechnologies aux concepts de l’écologie et de la conservation des espèces ? Les
biotechnologies sont-elles simplement un moyen supplémentaire mis en oeuvre
pour conjurer la crise environnementale, ou bien transforment-elles aussi l’objet
et l’objectif qu’elles sont censées servir  ? N’y a-t-il pas un risque que le remède
biotechnologique se révèle pire que la maladie écologique ?
6 Ce questionnement nécessite tout d’abord que l’on saisisse la nature des
extinctions d’espèce, avant de nous demander en quoi la possible
«  résurrection  » des espèces éteintes permettrait de reconsidérer les modes
d’actions écologiques. Ce lien incongru, entre biotechnologies et écologie,
constitue de plus l’occasion de souligner l’importance de nouvelles lignes de
force à visées unificatrices et intégratives en biologie, qu’il s’agisse de
convergence entre biotechnologies et nanotechnologies ou encore de
l’émergence de la «  biologie synthétique  », adossée à la «  systems biology  ».
Ensuite seulement, nous aborderons la question des limites tant conceptuelles
qu’éthiques de ce que nous caractérisons comme l’« écologie biotech ».

1. L’extinction d’espèce entre tas de sable


et château de cartes…
7 La notion d’espèce semble d’un côté tout à fait anodine, instinctive même, dans
la mesure où il n’est pas une société humaine qui ignore cette catégorie de
pensée. D’un autre côté, aucun critère, aucune définition, aucun concept n’a été
capable de rallier un consensus général de la part des biologistes et des
philosophes de la biologie depuis Darwin et l’avènement de la théorie de
l’évolution. Le concept d’espèce est le lieu d’un affrontement, devenu presque
rituel, entre biologistes et philosophes de tous horizons (Hey 2001). La
contrepartie intellectuelle de cette résistance de l’espèce à toute tentative de
conceptualisation unificatrice et définitive consiste en un développement fécond,
quoique rarement rigoureux, d’analogies et de métaphores, qu’il s’agisse de
l’espèce comme organisme, l’espèce comme individu, l’espèce comme entité
amiboïde, l’espèce comme société, etc. (Cf. Lherminier et Solignac 2005).
8 Ces analogies ont pour caractéristique d’être toutes à des ordres divers de
nature organique ; une forme de vie saisie, comparée, identifiée avec une autre
forme de vie. Le vivant qui répond au vivant à tous les niveaux du vivant,
comme enfermé dans un cercle herméneutique. Ne serait-il pas nécessaire à un
moment de sortir de cet enfermement référentiel du vivant sur lui-même afin de
saisir ce qui fait la spécificité de l’espèce en dehors de sa nature animée ; et de se
rapprocher par la même des modes d’intelligibilité scientifiques des entités
écologiques qui s’apparentent en fin de compte plus à la physique qu’à la
biologie  ? Un peu à la manière d’Henri Atlan (1986), qui situe les processus
vivants « entre le cristal et la fumée », nous avons choisi les analogies physiques
du « tas de sable » et du « château de carte » pour décrire les espèces confrontées
à l’extinction.
9 Précisons de suite que nous ne parlerons ici que des extinctions finales, celles
qui correspondent à la disparition totale d’une lignée vitale2. Il nous faut ensuite
tenir compte des théories écologiques et évolutives quant aux causes et aux
mécanismes d’extinction finale. Au niveau microévolutif, celui des populations et
de l’espèce, deux variables démographiques sont importantes pour expliquer les
extinctions : la survie et la fécondité des individus. Pour qu’une espèce s’éteigne,
il est en effet nécessaire qu’au moins une de ces deux variables se maintienne en
dessous d’un certain seuil. Ces variables sont influencées par différentes causes
biologiques ou non, et qui peuvent interagir entre elles, causes que l’on peut
regrouper sous quatre catégories  : la stochasticité (effets du hasard)
démographique, les facteurs génétiques (interactions au niveau génétique), les
facteurs sociaux (interactions au niveau organismique), la stochasticité environ­-
nementale.
10 Prenons un exemple concret pour essayer de comprendre l’extinction, et, faute
d’avoir à notre disposition un autre modèle, nous comparerons extinction
d’espèce et mort organismique. Pour la plupart des animaux supérieurs, si l’on
sectionne la tête, l’organisme dans son entier meurt ; il en est de même pour tout
organe fonctionnellement indispensable. Mais si l’on sectionne un doigt ou une
patte, on obtient un organisme encore vivant, qui n’est pas plus ou moins vivant,
mais pour reprendre l’expression de Canguilhem (1966) qui va vivre selon une
nouvelle « norme de vie », une « allure de vie » différente.
11 Par contre, si l’on prend une espèce composée de plusieurs populations
séparées (dèmes) et que l’on supprime un ou plusieurs dèmes, au hasard, l’espèce
continuera à exister comme avant. L’extinction peut, semble-t-il, seulement se
résumer à ce fait ultime et presque inaperçu, la dernière relation reproductive
entre les derniers organismes, au sein du ou des derniers couples de l’espèce.
L’espèce ne possède clairement pas les propriétés fonctionnelles d’un organisme ;
en particulier, un niveau d’interaction et d’intégration élevé entre les éléments
qui la constituent, les organismes individuels, fait largement défaut.
12 D’un point de vue physique, l’espèce posséderait ainsi les propriétés d’un
agrégat, dont un exemple paradigmatique n’est autre que le tas de sable, lequel
est également à l’origine du célèbre paradoxe du Sorite. Partons d’un tas de sable
et retirons un grain : il reste un tas de sable. Par récurrence, répétons l’opération
autant de fois qu’il est possible… ultimement, il n’y a plus de sable, donc plus de
tas. Le tas de sable a bien disparu, mais à quel moment précisément  ? Le
paradoxe tient au fait que la définition de « tas » est pour le moins floue, qu’elle
repose avant tout sur une description phénoménologique qui n’a guère à voir
avec un décompte numérique du nombre d’éléments qui le constituent. À vouloir
rabattre en force un domaine de propriétés physiques, esthétiques et pratiques
sur le plan de l’arithmétique par le biais d’une numération rigoureuse, il est
impossible d’éviter l’arbitraire. Or, cet arbitraire-ci n’est pas sans rappeler celui
attaché à la question de la disparition de l’espèce. Mais alors qu’il suffit a minima
de quelques grains de sables accolés les uns aux autres pour former un tas (on
supposera que la seule propriété statique de contiguïté spatiale suffit pour
décrire un tas), les espèces ne peuvent se résumer à la seule coexistence statique
de leurs membres. L’espèce doit aussi être conçue comme un processus
dynamique de relations biologiques entre les individus qui la composent, et
notamment de relations reproductives.
13 Mais ces propriétés relationnelles dynamiques ne sont pas néces­sairement
permanentes  ; elles ne nécessitent pas une intégration forte au sens
organismique, ces dernières rappelant, sans équivalence toutefois, l’instabilité du
« château de carte ». En effet, la moindre perturbation d’une partie (d’une carte)
détruit l’ensemble (le château). À cet égard, les organismes possèdent
heureusement une certaine robustesse (notion intégrant les concepts de
résistance et de résilience) qui leur évite de s’effondrer à la moindre
perturbation. On voit qu’il est difficile de caractériser précisément l’extinction, de
lui donner un statut clair, si ce n’est refuser l’analogie trompeuse avec le concept
de mort individuelle ; toutefois, nous verrons ci-dessous, lorsque nous parlerons
de biotechnologie et de biologie des systèmes, l’intérêt de comparer les espèces à
des systèmes physiques complexes.
14 Pour le moment, il ne fait aucun doute que lorsque l’homme est responsable
d’une extinction, comme presque toujours depuis quelques milliers d’années, il
existe de nombreuses raisons éthiques pour conserver les espèces, mais cela
implique d’avoir prise sur leur destin.

2. Les modes d’intervention techniques en


écologie
15 Si c’est l’agir humain qui est le principal responsable de la crise actuelle
d’extinctions, alors il paraît simple de modifier les choses. Il suffit de transformer
ce même agir humain en le subordonnant à des normes et des objectifs
environnementaux qui conduisent à une cessation de ces extinctions. Dès lors,
deux grandes stratégies d’actions se distinguent :

une stratégie passive qui consiste à laisser faire la nature afin qu’elle
puisse elle-même « guérir » de ses maux, en partant du précepte que la
nature sait le mieux ce qui est bon pour elle. Il s’agit de la norme de
naturalité.  
l’autre stratégie serait au contraire active. Elle part du principe que le
laisser-faire environnemental est moralement et politiquement difficile à
imposer et que si l’homme a été capable de détruire la nature, il doit à
l’inverse maintenant être capable de « recréer » ou au moins de restaurer,
de conserver, de modifier la nature dans une direction qui soit bonne pour
elle. C’est l’idée que l’artifice ne doit pas être opposé au naturel, mais au
contraire, le guider, l’infléchir, le promouvoir, plus efficacement et plus
rapidement. Il s’agit clairement d’une éthique prométhéenne.

16 Jusqu’à récemment, toutes les actions de conservation des espèces, in- ou ex-
situ, c’est-à-dire sur site ou dans des endroits spécialisés (réserves, zoos, banques
de graines, etc.), même lorsque ces actions semblent éminemment artificielles
(avec l’utilisation de fécondation artificielle et de plans de gestion des
accouplements pour limiter les effets génétiques délétères par exemple)
obéissent à un paradigme ou schème technologique modeste, qui est celui du
«  pilotage  » (Larrère et Larrère, 2001). On ne crée pas la nature, on la pilote.
L’ingénierie du vivant n’est pas celle des machines, de l’artifice triomphant. On
pourrait distinguer ces deux paradigmes technologiques comme suit (voir
Tableau 1) :
17 L’ingénieur est celui qui, grâce à des outils ou des modèles, assemble les parties
d’une machine ou d’un système en vue de l’effectuation d’une fonction
déterminée.
18 Le pilote, au contraire, ne connaît pas le détail du fonctionnement du système,
généralement complexe, qu’il doit néanmoins conduire à un objectif donné. Par
exemple, un pilote de navire, à son gouvernail (cyber en grec) ne connaît pas
dans le détail l’ensemble des mécanismes de son bateau et des conditions
météorologiques qui influent sur l’avancée de celui-ci. Il doit néanmoins jouer
avec l’ensemble de ces paramètres pour suivre son objectif. De même pour les
écologistes chargés de gérer des populations. Le détail des phénomènes
biologiques et environnementaux leur échappe (ce qui se passe au niveau de
chaque individu par exemple), mais ils doivent guider la population dans son
ensemble et optimiser ses chances de survie indépendamment du sort de chaque
individu  : C’est une conception holiste qui domine, et une approche top-down.
Les moyens d’action du pilote sont très généraux, ils se situent au niveau des
macrophénomènes. En jouant par exemple sur les schémas de reproduction des
individus, en usant des stratagèmes de la sélection naturelle, ils influent en
premier lieu sur les taux de survie et de fécondité des organismes de la nouvelle
génération dans son ensemble.

Tableau 1

Nature
du système
Compliqué Complexe
Orientation
de l'intervention
technique

« Top down » Mécanicien Pilote

« Bottom up » Ingénieur Démiurge

Caractérisation des quatre modes d’action technologiques. Le schème du « mécanicien » correspond à


l’analyse (ou démontage) d’un système compliqué selon ses parties. Les autres schèmes sont explicités ci-
dessous.

19 Maintenant, il semble qu’une barrière conceptuelle soit franchie avec la


possibilité (toute théorique il est vrai) de recréer des espèces disparues. En
permettant de manipuler directement l’ADN, les biotechnologies nous obligent à
repenser non seulement les frontières de la technologie, mais aussi notre
philosophie de la technique et finalement l’ontologie des objets ainsi manipulés.
Entrons un peu plus dans les détails.

3. La résurrection des espèces éteintes


20 Soit l’ADN prélevé et conservé d’une espèce, avant ou après qu’elle ait disparu.
Cet ADN, après amplification et déchiffrage, peut théoriquement être conservé en
tant que donnée sur un fichier informatique par exemple. Après un temps
arbitrairement long, cet ADN reconstitué par ingénierie inverse peut être
réintroduit dans une cellule, et par clonage redonner vie à un organisme qui est
censé appartenir à l’espèce disparue. Évidemment, il s’agit d’un nouvel
organisme, même s’il possède le même génome nucléaire que l’organisme sur
lequel l’ADN a été prélevé. L’espèce, pour sa part, semble capable de disparaître,
de s’éteindre, et de réapparaître, de ressusciter, dans la mesure où les techniques
biotechnologiques le permettent.
21 On peut dès lors s’interroger  : ne peut-on pas après tout établir de parallèle
avec les organismes qui entrent en dormance, ou cryptobiose, pendant des
années et qui peuvent revivre en quelques heures ? Ne peut-on considérer l’ADN
(disons l’ensemble d’un génome) comme la structure ultime de l’espèce, un peu
comme chez un organisme en cryptobiose, les structures cellulaires et
fonctionnelles conservées sont ultimement celles qui permettront à l’organisme
de revivre ?
22 La comparaison, pour aussi séduisante qu’elle paraisse, est toutefois difficile à
assumer pour plusieurs raisons.
23 Cela supposerait que l’espèce puisse se résumer à un ADN. Or, cela est
difficilement justifiable dans la mesure où cet ADN est incapable de rendre
compte des processus cellulaires, organismiques, populationnels qui constituent
le fonctionnement vital de l’espèce.
24 La cryptobiose ne nécessite aucune intervention extérieure (Tirard 2003), juste
un signal déclencheur pour que l’organisme revive de lui-même. Ce n’est
absolument pas le cas pour l’ADN. Comme le souligne Henri Atlan (1999), l’ADN
est une molécule morte !
25 L’ADN n’est que l’information – ou plutôt porte l’information – laquelle fut
accumulée par la lignée d’organismes qui a abouti à l’espèce donnée. L’ADN ne
constitue pas à proprement dit une structure fonctionnelle, c’est-à-dire une
structure informative au sens actif du terme, mais plutôt une mémoire,
causalement inerte (Godfrey-Smith 2000).
26 Si l’on ne peut attribuer par conséquent à l’ADN de propriétés vitales
extraordinaires, il n’en demeure pas moins qu’il a la particularité fort
intéressante d’être manipulable, et à travers la notion d’information génétique,
de constituer un concept opératoire précieux dans le contexte du développement
accéléré des biotechnologies. Ces biotechnologies, qui semblent se destiner à une
modification en profondeur des êtres vivants et de notre pouvoir sur la vie en
général, sont nées de recherches tout à fait réductionnistes, qui consistèrent à
isoler et à manipuler les éléments de plus en plus fondamentaux des structures
organiques, recherches souvent menées d’ailleurs par des physiciens ou des
chimistes devenus biologistes. À partir de ces recherches se sont développées des
techniques, comme l’ADN recombinant ou l’ingénierie génétique inverse, qui
permirent d’avoir prise sur des éléments organiques de plus en plus
élémentaires. Ces techniques s’allient aujourd’hui de plus en plus étroitement
aux principes d’auto-organisation et d’information partagée et distribuée, ce qui
transforme en partie leurs fondements conceptuels et la philosophie de l’action
technique à ce niveau du vivant.

4. Caractérisation de l’« écologie Bioech »


27 La possibilité de l’alliance entre les biotechnologies et l’écologie, au moins au
point de vue conceptuel, est rendue possible par la conjonction de deux
tendances scientifiques et techniques, en apparence contra­dictoires, mais qui
finissent par se conforter l’une l’autre.
28 La première tendance est l’aspiration des biotechnologies « vers le bas », dans
le programme ou encore la convergence NBIC «  Nanotechnology Biotechnology
Information technology and Cognitive sciences  ». Il s’agit de faire converger au
niveau moléculaire les sciences physiques et les sciences de la vie et de tirer parti
des potentialités qu’elles offraient chacune indépendamment. Manipuler la
matière à l’échelle nanométrique ne consiste pas seulement à reproduire à l’aide
d’atomes les prouesses techniques qui peuvent être accomplies à des échelles un
millier ou un million de fois supérieures, mais à tirer profit des processus
complexes et auto-organisés de la matière vivante à cette échelle pour créer des
sortes de nanorobots capables de se répliquer et de créer des nano-chaînes
d’assemblage. Car, après tout, qu’est-ce qu’une cellule, si ce n’est une micro-usine
moléculaire ? Et c’est là que se situe le deuxième tour de force des promoteurs du
programme NBIC, comme le soulignent Jean-Pierre Dupuy et Alexis Grinbaum
(2005), à savoir ramener la vie à des processus d’auto-assemblage moléculaire, et
plus généralement, à redéfinir la vie en des termes qui appartiennent à ceux des
artefacts et de la technique. Les frontières entre l’animé et l’inanimé se
brouillent tout en bas, à l’échelle des constituants élémentaires de la matière,
autorisant une ouverture quasiment infinie du champ des possibles.
29 Par ailleurs, ce qui ne serait finalement que de la chimie améliorée, appuyée
sur de grandes ambitions pratiques et d’ambitieux présupposés métaphysiques,
se trouve conforté par un deuxième mouvement  ; celui qui tire les
biotechnologies vers le haut, vers les sommets des hiérarchies du vivant en
l’occurrence. Ce mouvement est pour le moment surtout de nature théorique,
mais il n’est pas moins essentiel que le premier en contribuant d’une part à
légitimer la conception de la vie issue de la convergence NBIC, et d’autre part à
définir tous les niveaux du vivant, de la molécule à la biosphère, selon une
conception unifiée de la vie, potentiellement sujette aux visées prométhéennes
les plus aventureuses de l’homme.
30 Cette approche, dont l’une des figures de proue est Stuart Kauffman (2000), est
la biologie des systèmes auto-organisés. Kauffman cherche à définir et à
comprendre ce qu’est un «  agent autonome  », synonyme pour lui d’entité
vivante, en s’appuyant sur des expériences et des simulations informatiques
impliquant des réseaux en tout genre. La particularité de Kauffman et d’autres
théoriciens de la biologie des systèmes (Cf. Kitano 2000) est d’expliquer par un
modèle archétypique, celui des systèmes en réseaux, et qui est reproduit à
différents niveaux du vivant, les processus vitaux aussi essentiels que
l’émergence et l’évolution de processus auto-organisés autonomes dans une
«  soupe  » de molécules catalytiques, le fonctionnement de réseaux génétiques,
l’organisation des écosystèmes ou encore la coévolution d’espèces entre elles
dans une communauté biotique. Presque toutes les grandes transitions du vivant
telles que définies par Maynard-Smith et Szathmáry (2000) peuvent être ainsi
expliquées par des processus d’évolution et d’auto-organisation. Il n’y a dès lors
plus qu’un pas que franchiront avec allégresse les partisans de l’écologie biotech
pour unifier tous les mécanismes du vivant, à savoir ne saisir dans le
fonctionnement des systèmes écologiques qu’un incrément macroévolutif des
processus qui donnèrent naissance aux premiers systèmes biotiques, et qui
seront peut-être bientôt de nouveau reproduits en laboratoire.
31 Ils souhaitent en quelque sorte ramener l’histoire de la vie à un processus
techno-scientifique contrôlé, annuler la temporalité, en l’occurrence quatre
milliards d’années d’évolution, et ne retenir que l’organisation, alors que la vie
est organisation progressive de la matière dans le temps. Cependant, réduire
l’ensemble du vivant au dépliement dans un temps long de systèmes en
perpétuelle reproduction par auto-organisation et sélection, afin de pouvoir
ensuite se focaliser sur les produits de ce processus reviendrait, comme le
regrettait déjà Bergson (2001) à propos de l’évolutionnisme spencerien, à
« reconstituer l’évolution avec des fragments de l’évolué ».
32 Quoi qu’il en soit, la voie conceptuelle est désormais tracée pour réaliser dans
toute son ampleur le programme NBIC, à savoir re-produire la vie et re-créer la
nature à partir du bas, du domaine nano, transformer les biologistes
moléculaires en ingénieurs de l’évolution, enfin intégrés dans le royaume des
artifices. Damien Broderick (2001), l’un des plus fervents partisans de la
convergence NBIC y voit la possibilité extraordinaire pour les hommes «  de
court-circuiter tous “les errements darwiniens” et d’arriver directement à une
création (design) organique réussie et adaptée ».  
33 On peut légitimement s’interroger sur l’optimisme techniciste triomphant de
cet auteur. Le cadre conceptuel qui rend possible l’idée d’une écologie biotech, la
convergence NBIC et l’unification de la biologie de la molécule à la biosphère par
la science des systèmes en réseau, repose sur les postulats de la science de la
complexité, et en particulier sur l’idée exposée par John Von Neumann (1948)
que la seule façon de décrire par un modèle un processus complexe est
précisément ce processus même. Pour le dire simplement, la seule manière de
déterminer le futur d’un système complexe est de le faire «  tourner  », car il
comportera toujours une part irréductible de non-prédictibilité.
34 On comprend dès lors que la seule démarche possible de l’ingénieur « biotech »
du futur est une démarche bottom-up dans un cadre non plus déterministe, mais
complexe ou holiste (Voir Tableau 1) ; il ne lui reviendra pas de concevoir dans
les moindres détails un objet avec une fonction déterminée ; son succès passera
au contraire par des créations qui bousculent ou dépassent ses prédictions
initiales, des créations qui seront capables d’explorer des chemins inattendus et
inexplorés. On passe du paradigme technique de l’«  ingénieur  » à celui du
« démiurge », mais un démiurge aveugle, ou tout du moins malvoyant ! Non pas
un Dieu tout puissant qui élabore sa création selon un dessein transcendant,
mais un démiurge hésitant, confrontant en permanence son oeuvre à la pierre de
touche de la sélection. Plutôt que de jouer avec les puissances de l’énergie et de
l’information (comme les ingénieurs des xixe et xxe  siècles), le démiurge aveugle
joue avec les puissances de l’auto-organisation et de la sélection, naturelle et
artificielle. Mais il sacrifie alors au processus de complexification et
d’organisation de son objet une partie de son pouvoir de contrôle. La notion de
« contrôle » se dissout dans celle, indirecte, de « contrainte » ; contraintes à la fois
internes et externes au système, sur les modes de la prévisibilité et de
l’émergence.
35 Revenons à notre objet initial, les extinctions d’espèces. Dans le cadre d’un
projet où il serait envisagé de recréer des espèces à partir de leur ADN grâce à
des techniques biotechnologiques, on mesure à quel point le projet fait sens dans
les conditions que l’on a énoncées. Pour le moment cependant, les
biotechnologies ne permettent pas de recréer la vie en tant que telle, mais
seulement de recréer (après les avoir remodelées) des formes de vie. De plus,
quel que soit l’avancement des biotechnologies, les espèces ne ressuscitent pas
seules, mais grâce à l’intentionnalité humaine issue elle-même du processus
orienté, polarisé de la vie humaine. Comme le résume Hans Jonas, « Le “oui” de
la vie [est] un “non” sans réserve opposé au non-être ». Tout objet technique est
un objet téléologique. Mais, dans le cadre des nano-bio-technologies, il semble
que la téléologie technique ne relève plus seulement de la volonté humaine,
externe, mais qu’elle émerge du système homme-technique, qu’elle franchisse
aisément la barrière du vivant et qu’elle passe du processus technique au
processus vital et inversement.
36 Mais cette caractérisation de l’écologie biotech et de la future possible
recréation des espèces laisse de côté deux questions essentielles auxquelles nous
allons tenter de donner des pistes de réponse : la question de l’environnement et
celle de la définition de l’espèce.
37 Le premier niveau «  environnemental  » qui pose problème est celui de la
cellule. On sait que l’état de la cellule, un ovule énucléé entre autres, va avoir un
impact important sur le développement du futur embryon et la création d’un
organisme viable, à cause de l’importance des interactions épigénétiques au
cours du développement ontogénétique. En utilisant par exemple un ovule
d’éléphante pour recevoir de l’ADN de mammouth, jusqu’où pourra-t-on
s’assurer que le petit mammouth n’a pas été trop « éléphantisé » ?
38 Autre problématique, celle de l’environnement biotique et abiotique dans
lequel les êtres recréés vont vivre. On sait qu’une grande partie de la disparition
des espèces provient de la destruction de leur habitat par les activités humaines.
Jusqu’où un habitat déterminé est-il consubstantiel d’une espèce donnée  ? Pour
véritablement recréer une espèce, il faut que celle-ci redevienne fonctionnelle et
autonome, c’est-à-dire qu’on reconstitue des populations viables génétiquement
et démographi­quement ; or les conditions environnementales qui constituent la
«  niche  » sont primordiales tout comme les interactions avec les espèces déjà
présentes, dont il faut s’assurer qu’elles ne sont pas menacées à leur tour… Ne
courre-t-on pas le risque de faire des erreurs de réintroduction comme pour les
espèces allochtones devenues envahissantes  ? On assisterait alors au cas inédit
d’une espèce non étrangère géographiquement qui deviendrait étrangère
«  temporellement  ». Ceci toutefois n’est pas sans rappeler ce qui se passe
actuellement en France avec les loups et les ours en voie de réintroduction dans
certains massifs montagneux.
39 Enfin, on constate que les techniques biotechnologiques telles qu’elles sont ici
théorisées et anticipées permettent à l’homme de franchir allègrement les
hiérarchies du vivant, de « shunter », de s’affranchir des mécanismes de hasard-
sélection aux niveaux intermédiaires pour s’orienter vers des mécanismes de
type lamarckien, qui du moins repoussent la sélection darwinienne à des
niveaux supérieurs. C’est par là même notre vision de la vie qui s’en trouve
changée, et en particulier notre conception de l’espèce.
40 Agir sur l’ADN, le modifier, le conserver, le faire s’exprimer dans une cellule
étrangère nous interroge directement au niveau de l’espèce, de l’ontologie de
l’espèce précisément, qui devient soudain plus obscure. Comment rendre compte
de manière cohérente de cette pseudo-disparition de l’espèce, des discontinuités
spatio-temporelles, du rôle prééminent joué par l’information génétique sans
réduire l’espèce à celle-là ? L’espèce, certes, peut être pensée comme un faisceau
de lignées d’organismes en interaction, mais cette représentation n’en n’épuise
pas le concept. La vie de l’espèce est aussi mémoire et organisation, c’est-à-dire
information ; et par là, elle offre aux humains une prise sur son destin, pour être
modifiée, réinterprétée. L’espèce est donc aussi logos ou concept. Je signalerai
simplement une tentative pour rendre compte de cet aspect dual de l’ontologie
de l’éspèce par une approche conceptualiste (Delord 2007).

Conclusion
41 La possibilité de faire revivre des espèces s’apparente à une victoire contre
l’irréversibilité de la destruction, de la mort au niveau supra­organismique. Mais
l’impact des biotechnologies sur les entités et les processus à ce niveau ouvre un
questionnement à la fois métaphysique, en redéfinissant notre rapport et notre
compréhension de ces entités, et un questionnement éthique dont nous avons
seulement entrevu quelques pistes.
42 La vie est désormais prête à descendre en deçà de la vie pour se reconstruire,
pour subsister, pour conserver son être et pour se perpétuer  ; mais en même
temps, elle ouvre la voie au déploiement de nouveaux dangers qui ne peuvent et
ne doivent laisser indifférent. Comme le souligne Jean-Pierre Dupuy (2004), nous
touchons là aux limites même de toute éthique en ce que nous sommes
potentiellement face à des cas où nous ne savons pas ce que nous sommes en
mesure même d’imaginer, où nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
L’écologie biotech représente ainsi un espoir pour l’environnementaliste
soucieux de la préservation de notre milieu de vie, mais un espoir lointain qui ne
saurait être envisagé qu’après un travail de clarification éthique de longue
haleine. Nous ne sommes pas encore prêt pour « l’extinction de l’extinction ».

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Notes
1 Il est avéré aujourd’hui que les résultats publiés dans les plus grandes revues
scientifiques au début des années 1990 annonçant le déchiffrement de matériels
génétiques vieux de plus de cent millions d’années étaient tous totalement erronés  ; il
s’agissait en fait de contaminations des échantillons fossiles par de l’ADN contemporain
(Cf. Orlando 2005).
2 On peut considérer d’autres types d’extinctions qui surviennent suite à des processus de
spéciation, mais qui n’impliquent pas de cessation de la lignée. C’est par exemple ce qui
arrive lorsqu’une espèce-mère donne naissance à deux espèces-filles par spéciation
allopatrique. On parle alors d’extinction non-phylétique.
Pour citer cet article
Référence papier
Julien Delord, « Vers une écologie « biotech » ? », Noesis, 14 | 2008, 113-128.

Référence électronique
Julien Delord, « Vers une écologie « biotech » ? », Noesis [En ligne], 14 | 2008, mis en ligne le 28
juin 2010, consulté le 10 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/noesis/1658 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/noesis.1658

Auteur
Julien Delord
Julien Delord est actuellement enseignant-chercheur au département environnement
(CERES/ERTI) de l’École Normale Supérieure, Paris. Après avoir fait des études d’écologie
sanctionnées par le diplôme d’ingénieur agronome, il a obtenu un doctorat d’histoire et de
philosophie des sciences grâce à une thèse sur l’histoire et les enjeux éthiques du concept
d’extinction d’espèce qui sera bientôt publiée aux Presses du Muséum National d’Histoire
Naturelle. Julien Delord a été durant deux années Fellow du Konrad Lorenz Institute for Evolution
and Cognition Research (Altenberg, Autriche). Il poursuit des recherches sur l’épistémologie des
sciences environnementales, en premier lieu l’écologie, ainsi que sur les problématiques éthiques
de la conservation de la biodiversité et du changement climatique.

Droits d’auteur
Tous droits réservés

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