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Mars 2024

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LES VRAIS POUVOIRS

Intelligence des arbres,

Des collemboles aux myriapodes,


mycorhization, ADN baladeur…
AU CRIBLE DE LA SCIENCE

gros plan sur la mésofaune forestière.


LES MAÎTRES DE L’HUMUS
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312
HORS MARS 2024
SÉRIE
Une publication du groupe

ÉDITEUR
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Siège social : 40 avenue Aristide-Briand, 92220 Bagneux
Directeur de la publication : Gautier Normand
Actionnaire : Président Reworld Media France
(RCS Nanterre 477 494 371)
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DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : Karine Zagaroli
DIRECTEUR ADJOINT DES RÉDACTIONS SCIENCE & VIE :
Philippe Bourbeillon
ASSISTANTE DES RÉDACTIONS SCIENCE & VIE ET SCIENCE & VIE
HORS-SÉRIE : Christelle Borelli

RÉALISATION SCIENCE & VIE HORS-SÉRIE

L’homme
COM’Presse. 6 rue Tarnac, 47220 Astaffort. Tél. 05 53 48 17 60
RÉDACTEUR EN CHEF : Olivier Carpentier
RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : Amanda Schrepf
DIRECTEUR ARTISTIQUE : Émilien Guillon
RÉDACTRICE PHOTO : Géraldine Lafont

au défi de l’arbre
SECRÉTAIRES DE RÉDACTION : Christel Baridon, Amélie Borgne,
Nicolas Chrétien, Gaëlle Combacon, Fabienne Corona,
Lita Doval, Émilie Esnaud-Victor, Jérôme Le Dantec, Vincent
Ourso, Marion Pires, Charlène Torres, Olivier Vignancour
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Kheira Bettayeb, Riva Brinet-
Spiesser, Mathias Chaillot, Adrien Denèle, Coralie Hancock,
Pascale-Emmanuelle Lapernat-Guilhaumon, Lise Gougis,
François Mallordy, Evrard-Ouicem Eljaouhari, Isabelle Verbaere Du Finistère au Japon, la forêt imprègne nos imaginaires. “Elle est un
DIRECTION-ÉDITION état d’âme”, écrit Gaston Bachelard. Dans Princesse Mononoké, le
ÉDITEUR : Germain Périnet
ÉDITRICE ADJOINTE : Charlotte Mignerey réalisateur Hayao Miyazaki évoque une forêt sauvage où son héros,
PUBLICITÉ le prince Ashitaka, doit trouver un remède au mal mystérieux qui
DIRECTRICE GÉNÉRALE : Élodie Bretaudeau-Fonteilles
DIRECTRICE DU PÔLE COMMERCIAL : Catherine Mireux (19 02),
Anne Lefeuvre le ronge : une contrée hors du temps (ci-dessus), où la vie prolifère,
PLANNING : Angélique Consoli (53 52),
Stéphanie Guillard (53 50) dominée par un dieu bourgeonnant qui symbolise le pouvoir extraor-
RESPONSABLE TRAFIC : Catherine Leblanc (43 86)
dinairement résilient de la nature. Selon un sondage ONF/Viavoice
MARKETING / INTERNATIONAL
RESPONSABLE MARKETING : Giliane Douls publié en mars 2021, huit Français sur dix se sentent protégés en forêt.
ABONNEMENTS ET DIFFUSION Est-ce parce que le temps y paraît suspendu ? Il faut une quarantaine
DIRECTRICE MARKETING CLIENT : Catherine Grimaud
CHEF DE GROUPE : Davina Champaigne
CHEF DE PRODUIT : Karine William d’années pour qu’un chêne donne ses premiers glands, deux cents ans
RESPONSABLE VENTES MARCHÉ : Siham Daassa
RESPONSABLE DIFFUSION : Isabelle Fargier de plus pour qu’il soit mature. Cela lui donne le temps… de s’adapter.
RELATIONS CLIENTÈLE ABONNÉS Les arbres, en effet, sont des champions de l’évolution, capables de
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(de 9 h à 19 h, du lundi au vendredi, et le samedi de 9h à 18 h, prix d’un prodiges génétiques, comme partager leur ADN avec une liane ou pré-
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Par courrier : Service abonnement Science & Vie, a permis à la forêt de prospérer depuis son apparition il y a 380 millions
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d’années. Mais voici que, aujourd’hui, elle doit affronter le réchauffe-
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Anjou (Québec), H1J 2L5. Tél. 1 800 363-1310 (français) ment climatique. Vite, trop vite, les températures montent, provoquant
et 1 877 363-1310 (anglais) ; fax (514) 355-3332.
Pour la Suisse : Edigroup Suisse, 022 860 84 50
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sécheresses, épidémies, incendies. La forêt en danger va-t-elle suivre
Pour la Belgique : Edigroup Belgique, 070 233 304
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le rythme ? Ou faudra-t-elle l’aider en “déplaçant” les espèces ? Les
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Autres pays : nous consulter. avis sont partagés, car il ne suffit pas de vouloir planter un milliard
Commande d’anciens numéros et de reliures au 01 46 48 48 83
FABRICATION d’arbres, il faut le faire à bon escient. Des chercheurs de l’université
DIRECTION DES OPÉRATIONS INDUSTRIELLES : Bruno Matillat
de l’Utah ont récemment prouvé que les forêts les plus menacées
PRÉPRESSE
RESPONSABLE DE SERVICE : Sylvain Boularand sont celles qui ont accueilli le plus grand nombre de replantations !
Imprimeur : Maury – France
Noo ISSN : 1966-9437 À l’inverse, en Californie, où 130 millions d’arbres sont morts ces der-
N de commission parita ire : 1020 K 79977
Dépôt légal : février 2024 nières années, la réduction drastique de la densité sylvestre a rendu
les survivants plus résistants aux attaques de ravageurs. La forêt est
donc un lieu paradoxal : fragile, mais résilient, fascinant et surtout
10-31-1282
très mal connu. Avec elle, la science est au taquet. Un défi existentiel,
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Certifié PEFC
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car le monde dans lequel nous vivons ne saurait survivre sans forêt.
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durablement et de Ashitaka, le chercheur de sens, n’a pas fini de courir les bois.
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Olivier Carpentier
S&V Hors Série • 3
HORS

312
SÉRIE AVANT-PROPOS
06 “Les arbres, comme les humains,
peuvent percevoir le monde”
Francis Martin a consacré sa vie de chercheur, à l’Inrae, à la forêt, aux arbres
et à la relation étroite qui les lie aux champignons mycorhiziens. Il fait le point sur
l’état de la recherche et les étonnantes découvertes de ces dix dernières années.

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R S
A
M

DÉCOUVRIR
16 La forêt en 8 questions
Qu’est-ce qu’une forêt ? Un palmier est-il un arbre ? Pourquoi les troncs
s’épaississent-ils ? Qu’est-ce que la lignine ?... Autant de questions aux réponses
parfois étonnantes.

24 Combien y a-t-il d’arbres dans le monde ?


Une récente étude a répertorié plus de 60 000 espèces, mais 9 000 resteraient
encore à découvrir, notamment dans les forêts tropicales.

30 Forêts, le check-up mondial


Entre déforestation et dépérissement, leur superficie recule. Mais certaines
affichent des signaux positifs.

32 L’IA à l’écoute de la biodiversité


Des chercheurs analysent les sons captés dans les forêts pour mieux évaluer
la richesse et le nombre d’espèces qui y habitent.

36 Pharmacie sous canopée


Les animaux utilisent les ressources de la forêt pour se soigner. Une faculté
Recevez Science & Vie qui porte un nom : la zoopharmacognosie.
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4 • S&V Hors Série


SURVEILLER
68 Un trésor sous haute surveillance
Comment satellites et Lidar permettent-ils d’évaluer
l’état de nos forêts ?

74 Mégafeux, le bestiaire
des nouveaux monstres
Pyrocumulus, pyrocumulonimbus, pyrotornades…
À la découverte de ces phénomènes aussi violents
qu’impressionnants.

80 Une forêt brûlée peut-elle


repousser toute seule ?
COMPRENDRE
Intervenir ou laisser faire, le meilleur choix n’est pas
toujours celui que l’on croit.

50 Wood wide web 84 Les arbres à la conquête des Alpes


Cette chaîne de montagnes verdit sous l’effet
Ce réseau souterrain fait de filaments
du réchauffement climatique, mettant en péril
de champignons et de racines entremêlés attise
de nombreux écosystèmes.
la curiosité des scientifiques.

56 Les lianes ont l’ADN baladeur


Des chercheurs viennent de découvrir qu’elles
entretiendraient une liaison étroite avec les arbres.

58 Parole de houppier
Il n’y a pas qu’au niveau des racines que
des échanges se font, les feuilles des arbres
ont aussi leur propre langage.

62 Photosynthèse, une affaire


quantique ?
Une alchimie qui fait des vagues… ou pas.

IMAGINER

© SPENCER ROBERTSON/DESIGN PICS / PHOTONONSTOP - MAREK MIS/SPL - SHUTTERSTOCK - PETER PARKS / AFP
88 Quand la forêt inspire la tech
Cela donne des drones pour reboiser, des piles contenant des
bactéries et la numérisation de parcelles pour gérer les forêts privées.

92 Va-t-on déménager les arbres ?


Planter des espèces adaptées aux climats chauds sous
des latitudes plus septentrionales serait une des clés pour lutter
contre le dépérissement des forêts.

96 L’avenir appartient-il aux forêts urbaines ?


Les arbres atténuent les îlots de chaleur, réduisent la pollution,
absorbent le CO2… Voilà pourquoi les villes misent sur le retour
de la nature dans leurs murs.

102 “En forêt, ce qui nous entoure fait partie


de nous”
Michel Le Van Quyen, chercheur en neurosciences à l’Inserm,
et Alix Cosquer, chercheuse en psychologie environnementale,
décryptent les effets de la forêt sur notre santé.

108 Questions / Réponses


112 C’est écrit, c’est dit…
114 C’était écrit
Après la Première Guerre mondiale, les forestiers inventent
la chirurgie des arbres.

S&V Hors Série • 5


FRANCIS MARTIN

“Les arbres,
comme
les humains,
peuvent
percevoir
le monde”
© ADOBE STOCK

6 • S&V Hors Série


Avant-propos

Longtemps considérées comme des “usines” à bois,


les forêts dévoilent peu à peu leur étonnante vie
cachée. Francis Martin, directeur de recherche à l’Inrae
et ancien directeur du LabEx Arbre de 2011 à 2021,
lève le voile sur ces “arbres monde”. PAR AMANDA SCHREPF

SVHS : Qu’est-ce qui nombreuses pratiques de ges­ d’îlots de sénescence, des


vous fascine chez tion sylvicole, comme la coupe zones rendues à la nature et
les arbres ? rase, ont un impact négatif sur laissées en “libre évolution”,
Francis Martin : la biodiversité et la qualité des préservées de toute interven­
Les arbres sont sols. N’oublions pas que les tion humaine. Dans les forêts
des êtres pas­ forêts préviennent également domaniales, l’objectif mini­
sionnants. Il les risques naturels, et bien mal est de classer 1 % de la
ne faut pas les entendu, elles accueillent les surface forestière en îlots de
réduire à un morceau promeneurs. Comment conci­ sénescence, tout en encou­
de bois. Leur complexité lier ces différents usages tout rageant la création d’une
biologique est équivalente en préservant la biodiversité ? trame de vieux bois intégrant
à celle des humains. Ils ont C’est un exercice délicat pour des îlots de vieillissement et
colonisé pratiquement tous le forestier. Faut­il couper des arbres isolés, également
les écosystèmes de notre les arbres pour les centrales appelés arbres habitats. En
planète, et ce depuis 300 mil­ biomasse ou sanctuariser effet, le bois mort est un élé­
lions d’années – un incroyable une forêt pour conserver ment indispensable du cycle
succès évolutif. Ce sont des une espèce d’insecte rare ? de vie en forêt. Sa présence
altérités qui ont façonné la Aujourd’hui, la préservation favorise une multitude d’or­
plupart de nos paysages ter­ de la biodiversité dans une ganismes, tels qu’insectes et
restres. Ils nous survivront. forêt durable est une priorité. champignons “mangeurs de
bois”. Les forêts anciennes
SVHS : Pourtant, pendant SVHS :C’est très récent. ou en “libre évolution”,
longtemps, on a d’abord Qu’est-ce qui a changé ? riches en très vieux arbres,
pensé la forêt comme F. M. : La forêt française abrite hébergent pics, chouettes et
une ressource en bois de 72 % des espèces de la flore chauves­souris. Toutefois,
chauffage, de construction… du pays, c’est un lieu d’une ces parcelles riches en arbres
Est-ce toujours le cas ? grande naturalité. De ce fait, vieillissants ou morts posent
F. M. : Nos sociétés dépen­ la communauté scientifique des défis aux forestiers, car
dent du bois depuis des défend une politique volonta­ il est nécessaire de sécuriser
millénaires. De nombreux riste visant la protection et la les sentiers de promenades
massifs forestiers, tels que promotion de la biodiversité qui les traversent.
les chênaies de l’Allier, ont forestière. Cette approche est
été plantés sous l’adminis­ désormais intégrée dans les SVHS : Découvre-t-on encore
tration de Colbert, ministre plans de gestion de l’Office de nouvelles espèces d’arbres,
de Louis XIV, dans le but de national des forêts (ONF), qui de lianes, d’arbustes… ?
fournir du bois pour la Marine est responsable de la gestion F. M. : Non, pas en France
royale. En France, 90 % de la des forêts publiques. Au cours métropolitaine, mais dès
surface forestière est encore des dernières années, des que l’on s’aventure dans
dédiée à la production de efforts ont été déployés pour les jungles de l’Amazonie,
bois et, malheureusement, de favoriser le développement du Congo ou de Bornéo, on

S&V Hors Série • 7


découvre régulièrement de hêtres peuvent composer des forêts” ou la coopération
nouvelles espèces végétales. de vastes massifs. entre les arbres, sa démarche
Chaque expédition botanique est empreinte d’un anthro-
dans la forêt guyanaise est SVHS : En 2015, Peter pomorphisme excessif. Peter
l’occasion de découvrir de Wohlleben publie La Vie Wohlleben a clairement
nouvelles espèces. Il est vrai secrète des arbres qui devient franchi les limites des connais-
que la biodiversité de la forêt un best-seller en donnant sances scientifiques actuelle-
amazonienne est incompa- une image un peu magique ment validées et confirmées.
rable. Cette dernière héberge de la forêt. Quel regard D’un autre côté, il a grande-
© JOHN WARBURTON-LEE / PHOTONONSTOP

plus de 16 000 espèces portez-vous sur cet ouvrage ? ment contribué à populariser
d’arbres contre 132 dans F. M. : Mon regard est nuancé. la biologie des arbres. Par
les forêts métropolitaines. D’un côté, je considère que exemple, grâce à son livre,
Bien que la diversité y soit ce livre n’est qu’un recueil la symbiose mycorhizienne
très élevée, on observe peu d’aima bles contes sur la entre les arbres et les champi-
de massifs constitués des forêt et ses habitants, très gnons est désormais connue
mêmes espèces. En Europe, éloignés de la réalité scien- d’un large public, ce qui
en revanche, les forêts tifique. Lorsqu’il aborde des n’était pas le cas il y a dix ans.
mélangées de chênes et de thèmes tels que “l’internet Je suis persuadé que son livre

8 • S&V Hors Série


Avant-propos

du toucher, étant capables de


ressentir la pression du vent. Ils
peuvent “goûter” grâce à des
récepteurs situés à la pointe
de leurs racines, qui leur per-
mettent de quantifier les élé-
ments nutritifs présents dans
la solution du sol. Finalement,
les plantes perçoivent le monde
qui les entoure et réagissent
aux modifications de leur envi-
ronnement. C’est pourquoi les
scientifiques considèrent que
les arbres sont sensibles.

SVHS : Certains pensent que


le fait de parler aux plantes,
embrasser des arbres ou leur
faire écouter de la musique
leur permet de pousser mieux.
Que dit la science ?
F. M. : Aujourd’hui, la science
expérimentale n’a pas encore
confirmé que les arbres réagis-
saient à la présence humaine.
Les arbres semblent nous
ignorer. Toutefois, il est pro-
bable qu’ils “sentent” notre
présence, car notre respiration
modifie la composition de leur
environnement en émettant
du dioxyde de carbone (CO2),
un élément qu’ils consom-
est un best-seller car il offre Le phénotype des arbres est modifié par leur ment. Prétendre que les arbres
environnement. Ainsi, en Patagonie, ce hêtre
une vision apaisante et posi- de Magellan s’est adapté à la violence du vent. sont capables de réagir à notre
tive du monde, prônant une présence, à nos paroles ou à la
coopération amicale entre peut aussi croire à une sorte musique relève davantage
les êtres vivants. Dans nos d’anthropomorphisme… de l’affabulation que d’une
sociétés occidentales où la F. M. : Je ne crois pas. Les réalité scientifiquement éta-
compétition domine et qui arbres sont vraiment des blie. Néanmoins, des études
constatent, angoissées, que êtres sensibles. Ils possèdent récentes suggèrent que les
le changement climatique l’équivalent de nos sens, mais fleurs pourraient “entendre”
affecte profondément notre ils sont répartis sur l’ensemble les abeilles et réagir à leur pré-
environnement, ce livre fait de leurs corps. Leurs feuilles sence en augmentant la pro-
du bien, il rassure. sont capables de percevoir la duction de nectar*.
lumière, indispensable à la
SVHS : Dans votre livre, photosynthèse. Ils réagissent SVHS : Avec le changement
Sous la forêt : pour survivre aux différentes longueurs climatique en cours, quel est
il faut des alliés, vous dites d’onde, détectant ainsi la l’avenir des forêts ?
que les arbres sont des êtres proximité de leurs congé- F. M. : Depuis 2018, suite
sensibles. En disant cela, on nères. Ils possèdent un sens aux sécheresses estivales

S&V Hors Série • 9


répétées, d’importants dépé- d’organismes : des insectes, interagissent avec les arbres.
rissements sont observés des lichens, des mousses et Ils sont indispensables à leur
dans la plupart des massifs une multitude de microbes, nutrition, à leur croissance ; ils
forestiers. Nous craignons virus, bactéries et champi- les protègent du stress et des
des bouleversements majeurs gnons. Chaque arbre est attaques de parasites. Les
dans les forêts européennes. un supra-organisme. Si par décomposeurs dégradent les
Certaines essences, comme malheur les chênes dispa- plantes mortes, les cadavres
le hêtre et le sapin commun, raissaient, plus de 300 êtres d’animaux et de microbes, et
pourraient bien disparaître vivants disparaîtraient avec cette matière organique est
de nos régions. Toutefois, ces eux. Le chêne est une espèce recyclée pour générer l’humus
arbres seront remplacés par architecte, un “arbre monde”. et maintenir la fertilité des
d’autres espèces mieux adap- sols. Ces deux groupes de
tées à un climat plus chaud et SVHS : Et les champignons ?
Ses branches forment un dôme protecteur
sec. Les forêts européennes F. M. : Les champignons sym- de 1 600 m2 : le chêne Ange, situé à Johns Island,
ont traversé plusieurs chan- biotiques, mycorhiziens, aux États-Unis, a un âge estimé à près de 400 ans.
gements climatiques au cours
des derniers millénaires, avec
des alternances de glaciations
et de réchauffements. Par
exemple, il y a 20 000 ans, de
vastes glaciers recouvraient
l’Europe, et une grande
partie de la France actuelle
était couverte d’une steppe.
Il a fallu attendre le dernier
réchauffement climatique, il
y a environ 10 000 ans, pour
que les chênes, les hêtres et
leur cortège d’arbustes reco-
lonisent le territoire euro-
péen. Les arbres ont souvent
été des migrants climatiques.
Mais le changement clima-
tique actuel, provoqué par
les activités humaines, évo-
lue à un rythme dix fois plus
rapide que les changements
climatiques passés, d’origine
naturelle. S’adapter aussi
rapidement sera difficile.
Cela dit, il est vraisemblable
que plusieurs essences sylvi-
coles puissent s’adapter à un
réchauffement modéré, de
l’ordre de + 2°C.

SVHS : Que se passerait-il


si une espèce d’arbre venait
© ADOBE STOCK

à disparaître ?
F. M. : Un arbre n’est jamais
seul. Il héberge un cortège

10 • S&V Hors Série


Avant-propos

champignons sont indispen­ de détecter l’intrusion d’or­ des poisons afin de contrer
sables à l’équilibre de l’éco­ ganismes étrangers. Au la progression des parasites.
système forestier. Sans eux, niveau moléculaire, cela rap­
les forêts ne seraient pas pelle les processus en œuvre SVHS : Le monde souterrain
durables. Il existe aussi des chez les animaux. Des cap­ semble presque plus actif que
champignons pathogènes, qui teurs à la surface des feuilles le monde visible…
profitent des arbres affaiblis détectent la présence d’in­ F. M. : Il n’est pas plus actif,
pour les tuer et s’en nourrir. trus, déclenchant l’émission mais tout aussi essentiel.
de signaux – composés vola­ Pendant des siècles, les scien­
SVHS : Est-ce que les arbres tils, hormones, peptides… – tifiques ont surtout étudié le
peuvent se défendre contre qui alertent l’ensemble de fonctionnement des parties
ce type d’attaques ? la plante de la présence aériennes des plantes. Les
F. M. : Oui, bien sûr. Leur sys­ d’agresseurs potentiels. En racines et leur cortège d’orga­
tème immunitaire est très réaction, feuilles et racines nismes souterrains, compre­
efficace. L’arbre est capable accumulent des toxines et nant des champignons, des
bactéries, ainsi qu’une mul­
titude d’insectes, ont été
négligés, cachés sous terre.
Heureusement, au cours de
la dernière décennie, des
avancées significatives, telles
que le séquençage massif de
l’ADN environnemental, des
endoscopes et des scanners
dédiés, ont permis d’observer
cette vie souterraine diverse.
Cette percée a été révélatrice,
dévoilant que la majorité des
êtres vivants réside dans le
sol des forêts. Ainsi, ces deux
mondes se révèlent complé­
mentaires et indissociables

SVHS : On lit souvent que les


arbres peuvent communiquer
entre eux. Qu’en est-il
vraiment ?
F. M. : Q u e l q u e s é t u d e s
ont démontré l’existence

Si les chênes
disparaissaient, plus
de 300 êtres vivants
disparaîtraient
avec eux
S&V Hors Série • 11
d’échanges de sucres et de exemple d’un arbre-mère plus faible pour ménager la
signaux d’alerte entre de vers ses descendants. Les ressource en eau. Rappelons
jeunes arbres cultivés en pot journalistes ont extrapolé que les forêts anciennes et
dans des serres. Ce transport à partir des connaissances en libre évolution sont de for-
d’éléments nutritifs entre actuelles. Plusieurs équipes midables pièges à carbone.
plantes semble faire inter- de chercheurs sont en train Il faut les préserver et pro-
venir le réseau de filaments de mettre en place des mouvoir leur développement
de champignons mycorhi- expériences en forêt pour à plus grande échelle.
ziens connectant les racines. confirmer ou infirmer ces
Toutefois, l’existence de tels transferts de sucres entre les SVHS : Et il y a aussi les feux…
échanges nutritifs ou informa- arbres via les champignons F. M. : Le feu est un agent
tionnels entre arbres adultes mycorhiziens. En effet, la perturbateur naturel qui
en forêt est controversée. Les polémique est vive au sein a contribué à façonner des
recherches se poursuivent même de notre communauté. écosystèmes, comme les
pour confirmer la réalité de ce forêts méditerranéennes. Les
processus et l’intérêt écolo- SVHS : Le plan national incendies périodiques, provo-
gique de ces interactions dans pour la biodiversité propose qués par la foudre, parcourent
un contexte naturel. de planter un milliard ces communautés végétales,
d’arbres en dix ans. Qu’en créant une mosaïque de pay-
SVHS : D’où vient pensez-vous ? sages et favorisant ainsi la
la confusion ? F. M. : Cette proposition est
F. M. : L’existence des réseaux loin de faire l’unanimité.
formés par le mycélium des Planter un milliard d’arbres
champignons associés aux est un formidable défi ; il
racines est un fait scienti- s’agit de collecter des mil-
fique solidement établi. Ils liards de graines, de produire
représentent plus de 1 000 m un milliard de semis dans
de mycélium par mètre de les pépinières forestières et
racine. Ces réseaux jouent d’accompagner le développe-
un rôle crucial dans l’alimen- ment des jeunes semis trans-
tation de l’arbre-hôte en sels plantés. Il est indispensable
minéraux et dans la distribu- de s’assurer que ces nouvelles
tion des sucres au sein de la plantations ne conduisent pas
toile fongique. Cependant, à un enrésinement massif
contrairement à ce qu’affir- et ainsi, à la destruction des
ment quelques scientifiques, forêts de feuillus existantes.
mais surtout les médias, Dans tous les cas, il faudra
ces réseaux mycorhiziens choisir des espèces adaptées
ne semblent pas servir au climat futur, promouvoir
à échanger des sucres entre le mélange d’essences et une
les arbres d’une forêt ; par densité de tiges par hectare

Les réseaux
représentent plus
de 1 000 m de mycélium
par mètre de racine
12 • S&V Hors Série
Avant-propos

biodiversité. Survivre au pas- recolonisées par les buis- de conviction pour convaincre
sage du feu est une adapta- sons et les arbres, faisant nos concitoyens de dévelop-
tion remarquable développée craindre une multiplication per de vastes étendues sau-
par de nombreux végétaux des départs de feu, bien vages peuplées d’ours, de
pyrophiles pour remporter la souvent d’origine humaine. loups et de bisons, à quelques
compétition interespèces. Le Il faudra être vigilant ! heures des grandes métro-
passage du feu permet aussi poles. En attendant, il est
la libération et la chute des SVHS : Quel est votre regard urgent de favoriser le “réen-
graines du pin d’Alep dans sur la forêt primaire voulue sauvagement” des forêts en
le lit de cendres, riche en élé- par le botaniste et biologiste multipliant les réserves biolo-
ments minéraux. Avec des Francis Hallé ? giques intégrales. •
sécheresses estivales plus F. M. : La proposition de * Flowers respond to pollinator
fréquentes et une végétation Francis Hallé fait rêver et per- sound within minutes by
increasing nectar sugar
plus sèche, les incendies vont met de sensibiliser le public concentration, Marine Veits et al.,
se multiplier et seront de plus et les élus à l’urgence de pré- Ecology Letters, 2020.
en plus puissants. De plus, server et de développer des
les zones périurbaines, en forêts anciennes et de multi- Francis Hallé dessine la flore luxuriante de la forêt
constante expansion, enva- plier les réserves biologiques amazonienne, lui qui veut faire renaître une
forêt primaire de 70 000 ha en Europe. La forêt
hissent les pinèdes et les intégrales. Il faudra cepen- y serait laissée en libre évolution pendant
anciennes terres agricoles dant faire preuve de beaucoup des siècles, sans intervention humaine.

©TRISTAN VALES/BONNE PIOCHE CINEMA/OPALE.PHOTO

S&V Hors Série • 13


© SPENCER ROBERTSON/DESIGN PICS / PHOTONONSTOP

Un sentier de randonnée zigzague entre


les troncs moussus de la forêt tempérée
humide du parc national de Cape Scott,
sur l’île de Vancouver, à l’ouest du Canada.
14 • S&V Hors Série
S&V Hors Série • 15
La forêt en
8 questions
Qu’est-ce qui se cache derrière
l’apparente simplicité des arbres et des
bois ? Petit tour d’horizon de ces êtres
à part, entre anatomie, histoire évolutive
et bizarreries en tout genre. PAR FRANÇOIS MALLORDY

16 • S&V Hors Série


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1 QU’EST-CE
QUE LA FORÊT ?

E
n grande majorité, les arbres vivent
à proximité les uns des autres au sein
de forêts, définies par l’Organisation
des Nations unies pour l’alimentation et l’agri-
culture (FAO) comme “des étendues de terrain
de plus de 0,5 ha contenant des arbres dont la
canopée couvre plus de 10 % de la surface”.
En clair, des terrains densément peuplés en
arbres. Selon la FAO, les forêts couvrent 31 %
des terres émergées. Ces forêts sont de trois
types. Tout d’abord, les forêts plantées par
l’homme pour l’exploitation représentent 7 %
de la superficie forestière totale. Parmi elles se
trouvent les futaies jardinées, mélangeant de
manière artificielle différentes essences.
Ensuite, les forêts secondaires : elles ont
repoussé naturellement sans semis, mais
à la suite d’une exploitation importante par
l’homme – coupes rases, prélèvement impor-
tant de certaines essences, introduction arti-
ficielle de nouvelles espèces… Elles comptent
pour 57 % de la surface forestière totale.
Enfin, les forêts primaires représentent
36 % de la surface forestière totale. Elles sont
composées d’espèces indigènes se renouve-
lant naturellement, sans indications claires de
perturbation significative induite par l’activité
humaine. Mais aucune forêt n’est réellement
“vierge” de toute présence humaine. Ainsi, les
autochtones exploitent la forêt amazonienne
depuis des millénaires, et des chercheurs ont
montré en 2017 qu’ils ont façonné à long terme
la répartition de plusieurs espèces sauvages
© ADOBE STOCK

indigènes d’arbres fruitiers, naturellement


plus présentes au niveau des fleuves et des
lieux de peuplements précolombiens.

S&V Hors Série • 17


2 QU’EST-CE QU’UN ARBRE ?

D
éfinir un arbre semble à première vue facile. troncs d’arbres si caractéristiques, une croissance
Le Larousse s’y essaie en une phrase : “végé- en épaisseur, aussi appelée croissance radiale, doit
tal vivace, ligneux, rameux, atteignant au s’ajouter à cette croissance des méristèmes pri-
moins 7 m de hauteur et ne portant de branches maires, dite apicale – c’est-à-dire aux extrémités.
durables qu’à une certaine distance du sol”. Si l’on C’est là qu’entre en jeu un autre type de cellules
développe, il s’agit donc d’une grande plante vivant proliférantes à l’origine du vrai bois ou xylème
au moins deux ans, contenant de la lignine et possé- secondaire : les méristèmes secondaires. Ces der-
dant des branches à partir d’une certaine hauteur. niers apparaissent au sein de tissus précédemment
Une définition proche de celle de la FAO, qui y rajoute produits par les méristèmes primaires suivant une
une note explicative sibylline : “inclut les bambous, symétrie radiale par rapport au centre de la tige, de
les palmiers et les autres plantes ligneuses remplis- la racine ou du tronc. Ces méristèmes secondaires
sant ces critères”. Le début des ennuis… Pourquoi à croissance dite latérale existent chez les gymnos-
donc ajouter les palmiers dans une note explicative, permes, un groupe de plantes à graines qui contient
eux qui semblent remplir tous les critères susnom- les conifères, et chez les dicotylédones, un groupe
més ? La raison vient du fait que ces végétaux ne particulier d’angiospermes (ou plantes à fleurs).
contiennent pas… de bois ! Et c’est là que ça se corse pour les bambous et les
En biologie, le bois désigne un tissu végétal spé- palmiers. Si ce sont bien des angiospermes, ils ne
cifique appelé le xylème secondaire… qui n’existe sont pas des dicotylédones. Ils ne possèdent donc
ni chez les bambous ni chez les palmiers. Pourtant, pas de méristème secondaire. Impossible pour eux
ces derniers sont bien lignifiés puisqu’ils pré- de produire du bois et de présenter la croissance en
sentent des parois cellulaires imbibées de lignine. épaisseur spécifique des vrais arbres. De fait, ni la
C’est justement cette spécificité qui leur permet canne du bambou ni le stipe (tronc) du palmier ne
de rigidifier leur structure et d’atteindre une taille présentent sur leurs coupes des cernes, qui sont
honorable. Mais ils croissent uniquement en lon- produits par le fonctionnement saisonnier carac-
gueur. Pourquoi ? Car cette croissance s’effectue téristique des méristèmes secondaires. De plus,
au niveau de zones de cellules indifférenciées mas- leur diamètre est moins dépendant de la hauteur
sées à l’extrémité des racines et des tiges appelées de la plante que dans les arbres véritables à base
méristèmes primaires, dont la division et le renouvel- épaisse et à cime effilée, en raison de la crois-
lement perpétuel permettent l’allongement sans fin sance latérale qui se poursuit dès l’instant où les
des végétaux. Or, pour donner naissance aux larges méristèmes secondaires s’activent.

18 • S&V Hors Série


Découvrir

Aubier Duramen Moelle Cernes de croissance

3
POURQUOI
LES ARBRES
S’ÉPAISSISSENT
AU FIL DES ANNÉES ?

Écorce Liber Cambium


Coupe
transversale

D
d’une aiguille
d’épicéa commun, eux sortes de méristèmes secondaires vivantes de soutien à paroi épaisse renforcée
agrandie assurent la croissance en épaisseur en lignine, tandis que les seconds sont des
environ 200 fois.
Comme tous les des arbres : le phellogène et le cam- cellules mortes cylindriques percées et ali-
résineux, Picea bium. En périphérie du tronc, le phellogène gnées bout à bout.
abies est une
gymnosperme.
produit vers l’extérieur le liège ou écorce pri- Au fur et à mesure des saisons qui passent,
maire, un tissu végétal constitué de cellules les cellules vivantes du vrai bois meurent tan-
mortes aux parois doublées de subérine, une dis qu’elles sont remplacées par le xylème
substance imperméable. Plus à l’intérieur du secondaire plus récent, en formation per-
tronc, le cambium produit vers l’extérieur pétuelle dans le cambium. Le bois finit par
le phloème secondaire ou liber. Celui-ci est devenir totalement non fonctionnel dans la
constitué de cellules vivantes alignées ver- conduction de sève et s’accumule dans le
ticalement et appelées tubes criblés. Ces duramen ou bois de cœur, ce bois mort situé
derniers communiquent entre eux par des au centre des arbres qui apparaît plus foncé,
canaux qui permettent le transport de la sève car riche en tanins.
élaborée. Il s’agit d’une sève contenant les
sucres produits dans les feuilles de l’arbre
DU LIBER AU LIVRE
© MAREK MIS/SPL - ENCYCLOPÆDIA BRITANICA

et qui descend vers ses racines.


Tissu végétal à l’aspect feuilleté, situé sous
FIBRES XYLÉMIENNES l’écorce de l’arbre, le liber a été exploité
À l’inverse, le bois fonctionnel, appelé aubier, comme support à l’écriture par de nombreuses
achemine la sève brute qui contient l’eau et sociétés au cours de l’histoire, notamment
les sels minéraux depuis les racines vers le les Mésoaméricains qui en ont tiré le “papier”
sommet de l’arbre. Ce transport est possible de leurs fameux codex. Remplacé par
grâce à l’association de fibres xylémiennes et le parchemin en Occident, il a donné son nom
de vaisseaux. Les premières sont des cellules à un assemblage de feuillets reliés : notre livre.

S&V Hors Série • 19


fruits et présentent un bois dur dit hétéroxylé
Micropyle (car contenant différents types cellulaires).
Ce bois a une structure complexe basée sur
deux plans de symétrie : le système vertical
Style
Tégument contient des éléments longs comme les vais-
Nucelle Paroi seaux et les fibres xylémiennes, tandis que
ovarienne
le système horizontal contient des cellules
micropyle
courtes et lignifiées appelées cellules paren-
Tégument chymateuses, qui servent de réserve et de
soutien.

Mégaspore 615 ESPÈCES DE CONIFÈRES

4
Les gymnospermes, plantes sans fruits ni
fleurs, mais à graines nues, comptent à peine
Nucelle plus de 600 espèces. Apparues il y a environ
300 Ma, elles regroupent quatre familles de
Mégaspore
Funicule
végétaux ayant rapidement divergé et déve-
loppé indépendamment un port d’arbre : les

GYMNOSPERMES ginkgophytes (une seule espèce actuelle,


le ginkgo), les gnétophytes (deux espèces
d’arbres), les cycadophytes (quelques espèces
OU ANGIOSPERMES ? dépassent les 7 m, mais leur tronc ne pro-
vient pas majoritairement du xylème secon-

S
i l’on se restreint aux arbres à vrai bois, daire), et environ 615 espèces de conifères
on compte de 60 000 à 100 000 espèces ou résineux, caractérisés par leurs feuilles en
dans le monde. Ces végétaux ont aiguilles. Si les gnétophytes ont développé un
beau vivre dans des biomes différents, de bois hétéroxylé avec leurs propres vaisseaux,
la taïga arctique à la forêt équatoriale, ils les autres gymnospermes présentent un
appartiennent à deux groupes : les gymnos- bois plus régulier que les dicotylédones, qui
permes (structure de l’ovule à gauche sur le est dit homoxylé. Par opposition au bois dur
schéma) et les dicotylédones (un taxon des des dicotylédones, on l’appelle bois tendre.
angiospermes, ovule à droite). Les dicoty- Ce bois sans vaisseaux ni fibres contient uni-

5
lédones, ou feuillus, apparus il y a 140 mil- quement des trachéides. Ce sont des cellules
lions d’années (Ma), regroupent l’écrasante plus fines ayant à la fois le rôle de conduction
majorité des espèces d’arbres. Ils portent des de la sève et le rôle de soutien.

ET LES ARBUSTES ?
Les arbrisseaux et arbustes
ont un cambium et donc
du bois. Mais ce sont quand
même de faux arbres ! Malgré
© ADOBE STOCK + SHUTTERSTOCK

une organisation similaire,


les arbustes n’ont pas la taille
nécessaire : ils mesurent de 4 m
à 7 m. Les arbrisseaux, eux,
pèchent par leur structure
végétale sans tronc, qui se ramifie
dès la base de la plante.

20 • S&V Hors Série


Découvrir

C’est le pourcentage de bois


de conifères utilisé en construction
à cause de sa croissance plus
rapide, son bois tendre plus
facile à travailler et son coût
moins cher que le bois dur.

6
UN ARBRE A-T-IL UNE
IDENTITÉ GÉNÉTIQUE ? Le “chêne de Napoléon”, dans le canton
suisse de Vaud : cet arbre remarquable

C
fut planté en l’an 1800 pour célébrer
haque arbre constitue à lui seul
le passage de Napoléon Bonaparte.
une communauté de différents indi-
vidus : en raison de sa croissance vieux de plus de deux siècles, situé près
continue pendant des centaines d’années, de Lausanne – différaient par 17 mutations
il accumule des mutations somatiques, de génétiques ponctuelles. Les arbres âgés
sorte que deux branches n’ont pas forcé- apparaissent ainsi comme des mosaïques
ment le même patrimoine génétique. Loin d’individus. Cette propriété est exploitée en
d’être anecdotique, cette propriété est un horticulture, où certaines variétés d’arbres
facteur clé de la diversité végétale, puisque fruitiers proviennent de ces mutations
nombre d’arbres peuvent se reproduire de somatiques. Ainsi, les nectarines dérivent
manière clonale, voire à partir d’une branche d’une branche mutée d’un pêcher duve-
s’enracinant au sol. Ainsi, des chercheurs teux, de même que les noix de coco Kopyor
suisses ont déterminé que deux branches à chair gélatineuse proviennent de branches
terminales du chêne de Napoléon – un arbre mutées de cocotiers ordinaires.

S&V Hors Série • 21


8 QUELS
ARBRES
BATTENT
DES RECORDS ?

P
armi les arbres, les conifères raflent
quasiment tous les records mon-

7
diaux ! Ainsi, l’arbre le plus haut
du monde est un séquoia à bois d’if
(Sequoia sempervirens) nommé Hyperion
qui culmine à 116 m, en Californie. Son
cousin le séquoia géant (Sequoiadendron
giganteum) est l’arbre le plus volumi-

À QUOI SERT
neux : toujours en Californie, le tronc de
l’individu appelé Général Sherman atteint
1 487 m3, soit l’équivalent d’un cube de
LA LIGNINE ? 11,4 m de côté. Le Général Sherman
pourrait aussi concourir au titre d’écorce

P
oint de bois sans lignine, le biopolymère qui le rigidi- la plus épaisse, puisqu’elle atteindrait
fie. Sa polymérisation est désordonnée, ce qui signifie plus de 1 m à sa base. Ces géants ne
que les trois briques constitutives de la lignine, les détiennent toutefois pas le titre d’arbre le
monolignols appelés unités H, G et S, s’associent de manière plus large du monde, un record qui revient
aléatoire pour former un dense réseau de lignine. C’est lui à l’arbre de Tule, un cyprès de marais
qui imprègne la paroi cellulaire et donne du fil à retordre aux mexicain (Taxodium mucronatum) dont le
organismes phytophages. La densification de ce réseau au diamètre est de 11,62 m. L’arbre individuel
cours du développement cellulaire aboutit à la mort de la cel- le plus vieux du monde, Mathusalem, est
lule, qui intègre ensuite le tissu de soutien mort du végétal ; un pin Bristlecone (Pinus longaeva) daté
un peu comme la production de kératine tue nos cellules épi-
dermiques lors du processus de formation de la surface de
notre épiderme. La lignine n’est pas spécifique aux arbres,
mais aux trachéophytes, c’est-à-dire les plantes terrestres
vasculaires : angiospermes, gymnospermes, fougères, lyco-
podes (ci-dessus, la coupe d’une feuille de laurier où elle
apparaît en rose). Elle aurait joué plusieurs rôles clés dans
la diversification des plantes terrestres. Pour comprendre, il
© EYE OF SCIENCE/SPL - EMILIE CHAIX / PHOTONONSTOP

faut retourner 450 Ma en arrière, à la fin de l’Ordovicien. Les


végétaux terrestres fraîchement issus des algues, petits et
sans structures de soutien ni moyen de résister aux rayons
UV-B, développent rapidement des adaptations. Parmi elles,
la désamination d’un acide aminé, la phénylalanine. Elle per-
met aux premiers végétaux terrestres d’accumuler des phé-
nylpropanoïdes simples, qui absorbent les longueurs d’onde
comprises entre 280 nm et 320 nm, soit la longueur d’onde
des UV-B. C’est à partir de ces molécules photoprotectrices
que les monolignols apparaîtront quelques dizaines de mil-
lions d’années plus tard, donnant naissance à la lignine. LE PLUS LARGE

22 • S&V Hors Série


Découvrir

LE PLUS HAUT LE PLUS DISTRIBUÉ

de 4 855 ans, enraciné dans les montagnes le record de l’arbre le plus résistant au froid :
Blanches de Californie. Il remplace le pré- lui seul pousse dans la localité la plus froide
cédent recordman, Prométhée, son congé- du monde hors Antarctique, Oïmiakon en
nère d’au moins 4 862 ans, abattu en 1964 Iakoutie, où la température peut chuter sous
dans le Nevada dans le cadre d’un projet de les – 65°C en hiver.
recherche par un étudiant inconscient de son Le mélèze de Dahurie côtoie en Sibérie l’arbre
âge. Toutefois, il pourrait être bientôt dépassé ayant la plus grande surface de distribution
par Alerce Milenario, un cyprès de Patagonie au monde, le genévrier commun (Juniperus
(Fitzroya cupressoides) récemment estimé communis), omniprésent dans les immensités
à 5 484 ans par un chercheur chilien. du Grand Nord. Enfin, l’arbre le plus isolé du
monde est un conifère néo-zélandais qui se
– 65°C EN HIVER situe à plus de 220 km de son semblable le
L’arbre situé le plus au nord au monde est un plus proche, sur les îles Auckland. Il s’agit
mélèze de Dahurie (Larix gmelinii) poussant d’un épicéa de Sitka (Picea sitchensis) planté
à proximité de l’embouchure de la Khatanga, en 1901 sur l’île Campbell par Lord Ranfurly,
en Sibérie. À quelques dizaines de kilomètres alors gouverneur de Nouvelle-Zélande. Cet
plus au sud, plusieurs de ces arbres forment arbre exotique – il pousse naturellement sur
la forêt clairsemée de Loukounski, la plus sep- la côte ouest de l’Amérique du Nord – atteint
tentrionale du monde. L’espèce détient aussi aujourd’hui 9 m de haut. •

LE PLUS VIEUX
© SHUTTERSTOCK - DAVID FORSTER/ALAMY/HEMIS.FR - EYE35.PIX / ALAMYHEMIS.FR

S&V Hors Série • 23


Combien y a-t-il
d’arbres dans le
© CCI BIOMASS PROJECT/ ESA

24 • S&V Hors Série


Découvrir

monde ?
La Terre abriterait plus
de 70 000 espèces
d’arbres ! Parmi elles,
9 000 resteraient encore
à découvrir, pour la
plupart des essences
rares poussant dans les
forêts tropicales.
PAR ISABELLE VERBAERE

lus de 30 mètres, l’équivalent


d’un immeuble de neuf étages…
C’est la hauteur que peut
atteindre Tovomita maxima, une
nouvelle espèce d’arbre identi-
fiée en Guyane en 2022. “Elle se distingue par
ses racines échasses, qui peuvent dépasser
3 mètres de haut, et son latex jaune”, détaille
Jean-François Molino, l’un de ses décou-
vreurs, chercheur à l’Institut de recherche
pour le développement (IRD) dans l’unité
botanique et modélisation de l’architecture
des plantes et des végétations. “Le dernier
inventaire des arbres de la forêt guyanaise
française, que notre équipe a publié en 2022,
recense 1 811 espèces, dont 143 qu’on n’a pas
su nommer, parce qu’elles n’ont jamais été
répertoriées en Guyane et, pour certaines,
peut-être nulle part ailleurs.”
La Terre abriterait plus de 9 000 espèces
d’arbres encore inconnues de la science.
La plupart vivent dans les forêts tropicales.
Cette estimation est issue d’une étude inter-
nationale publiée dans la revue Proceedings
of the National Academy of Sciences (Pnas),

Le projet Biomass, lancé dans le cadre de l’Initiative


sur le changement climatique de l’Agence spatiale
européenne, a cartographié l’évolution de la
biomasse terrestre de 2010 à 2020 (ci-contre).

S&V Hors Série • 25


le 8 février 2022. Plus de 250 chercheurs ori- International (BGCI), qui compte 2 500 jar-
ginaires de 70 pays y ont participé. L’étude dins botaniques à travers le monde. Elle a été
repose sur les observations collectées ces lancée à l’initiative de l’Union internationale
cinquante dernières années sur 1,2 million de pour la conservation de la nature (UICN) qui
parcelles forestières dans le monde, et mises coordonne l’élaboration de la Liste rouge,
en commun dans la base de données du l’inventaire mondial de l’état de conservation
Global Forest Biodiversity Initiative. “Pour de la faune et de la flore. “Pour conserver les
obtenir ce résultat, nous nous sommes basés arbres, il faut d’abord qu’on les connaisse. Ce
sur les lois statistiques qui caractérisent la genre d’étude est donc essentiel”, souligne
distribution d’abondance des espèces dans Florian Kirchner, responsable “espèces”
un milieu donné”, expose Bruno Hérault, l’un à l’UICN France. L’évaluation a répertorié
des auteurs de cette étude et directeur de 60 065 espèces d’arbres connues. “Ce travail
recherche au Centre de coopération inter- gigantesque a compilé les données collec-
nationale en recherche agronomique pour tées par des milliers de botanistes depuis le
le développement (Cirad) dans l’unité forêts XVIIIe siècle, s’enthousiasme Jérôme Chave,
et société. directeur de l’unité évolution et diversité bio-
logique du CNRS. Il a notamment reposé sur
60 065 ESPÈCES CONNUES les collections des herbiers nationaux comme
Une première évaluation mondiale de l’état ceux de Londres, Berlin, Bruxelles.” Celui du
de conservation des arbres a été publiée en Muséum national d’histoire naturelle, à Paris,
2017 par le Botanic Gardens Conservation compte ainsi près de 6 millions de spéci-
mens et s’enrichit de 10 000 supplémentaires
chaque année. “Il faut compter en moyenne
vingt ans entre le moment où un échantillon
est déposé dans un herbier et celui où il est
étudié et éventuellement décrit comme une
espèce nouvelle”, remarque Jean-François

À gauche, Tovomita maxima, une nouvelle espèce


d’arbre découverte en Guyane. Ci-dessous,
restauration d’une planche de l’herbier du MNHN.

26 • S&V Hors Série


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L’analyse des données satellites à l’aide de l’IA permet de recenser


Depuis une dizaine d’années, de nouvelles
les arbres isolés dont la couronne dépasse 3 m2 dans les zones semi-
arides de l’ouest du Sahara. Résultat : 1,8 million d’individus. techniques de télédétection couplées à l’intel-
ligence artificielle (IA) révolutionnent la col-
Molino. En cause : le manque de botanistes lecte de données sur les arbres. Ainsi l’analyse
experts capables de trancher. des images satellites à très haute résolution de
Il y a aussi de moins en moins de missions l’ouest du Sahara et du Sahel en Afrique a per-
scientifiques sur le terrain. Elles durent en mis – grâce à une méthode de reconnaissance
effet plusieurs mois et exigent beaucoup de des formes – de localiser 1,8 milliard d’arbres
main-d’œuvre. De plus, quand des botanistes isolés et jusqu’alors inconnus, répartis sur une
y participent, ils ne trouvent pas nécessaire- surface de 1,3 million de kilomètres carrés, soit
ment les organes de reproduction, les fleurs et 2,5 fois la superficie de la France.
les fruits, qui sont indispensables pour déter-
miner une espèce et la classer. “Lorsqu’on se LE LIDAR AU SECOURS DES BOTANISTES
rend sur une parcelle, 95 % des arbres en sont Toutefois, dans les régions de forêts denses
dépourvus”, constate Jean-François Molino. comme l’Amazonie, il est très difficile d’iso-
© CARLOS MUNOZ YAGUE/MNHN/DIVERGENCE - NASA

ler la couronne d’un arbre de celle de son


voisin. Les chercheurs ont donc recours à
d’autres outils pour distinguer les individus
Pour conserver les uns des autres, et notamment l’altimétrie
par Lidar (voir p. 68-72). Cette technologie
les arbres, il faut utilise des impulsions laser pour créer des
nuages de points en 3D des arbres, grâce
d’abord qu’on auxquels on mesure précisément la géomé-
trie des troncs, taille et diamètre, ainsi que
les connaisse celle des couronnes, forme et densité des
tiges de chaque individu au sein d’une forêt.

S&V Hors Série • 27


Visualisation en coupe d’une forêt à l’aide des données recueillies d’autres types de rayonnements comme les
par le satellite de la Nasa ICESat-2 (points verts : végétation ; vert clair :
canopée). L’échelle verticale et horizontale est donnée en mètres. ultraviolets et les infrarouges. Or, les feuilles
de chaque espèce d’arbre absorbent et réflé-
“L’altimètre embarqué à bord du satellite chissent une combinaison spécifique de lon-
ICESat a permis de mesurer la taille de tous gueurs d’onde variable au cours de l’année.
les arbres de la planète et de cartographier Avec l’imagerie hyperspectrale par satellites,
les 10 % les plus grands”, détaille Jérôme les botanistes différencient les essences
Chave. Le séquoia à feuilles d’if occupe la présentes dans une forêt et en identifient
première place avec une hauteur moyenne plus facilement de nouvelles. “Ces techno-
comprise entre 70 et 115 mètres, soit la hau- logies représentent un véritable tsunami
teur du second étage de la tour Eiffel ! “Plus de données, qui se compte en pétaoctets
récemment, le Lidar Gedi, conçu par la Nasa (1015), que les scientifiques ont la capacité
et embarqué dans la Station spatiale inter- de traiter grâce à l’intelligence artificielle,
nationale, a détecté une mangrove inconnue
au Gabon, dont les arbres, vieux de plus de
trois cents ans, culminent à 62 mètres, se féli-
cite Laurent Durieux, géographe en charge
de l’initiative One Forest Vision à l’IRD. Cette
technologie permet aux botanistes de cibler
des régions où trouver éventuellement de
nouvelles espèces et de prioriser les missions
de terrain.” Pour ce faire, l’imagerie hypers-
pectrale s’avère déterminante, car elle per-
çoit jusqu’à 490 longueurs d’onde du spectre
électromagnétique, de la lumière visible et

La Colombie est l’un


des pays où la biodiversité
est la plus remarquable : 10 %
des espèces vivantes de la
planète y sont présentes !
© NASA

28 • S&V Hors Série


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Pourquoi l’Europe est-elle si pauvre en espèces ?


L’Amérique du Nord compte est-ouest, comme les Alpes ou les plus thermophiles, comme le séquoia.
1 367 espèces d’arbres : c’est trois fois Pyrénées, ce qui a considérablement Mais au quaternaire les périodes
plus que l’Europe, alors que le climat compliqué la migration des arbres vers glaciaires s’enchaînent : une bonne
est similaire. La France métropolitaine, le sud lors des glaciations.” À la fin partie du continent européen est alors
elle, n’abrite que 132 espèces d’arbres de l’ère tertiaire, il y a 2,58 millions recouverte par les glaces. La végétation
indigènes et sauvages (150 à 2 010 d’années, le climat dans l’Hexagone est s’apparente à de la toundra, et les seuls
à l’hectare en Guyane). Pourquoi une chaud et humide, ce qui favorise une arbres qui subsistent sont des bouleaux
telle différence ? “Les grandes chaînes grande diversité, ainsi que le révèlent et des saules nains. Beaucoup d’espèces
de montagnes comme les Rocheuses et les pollens fossiles : des espèces d’arbres ont disparu définitivement
les Appalaches sont orientées nord-sud, tempérées actuelles comme le chêne à cette période à cause du gel et n’ont
alors qu’en Europe elles sont axées et le noisetier coexistent avec d’autres, jamais reconquis le Vieux Continent.

poursuit Laurent Durieux. Les premières général qu’il s’agit d’une structure vivante,
estimations sortent, il va falloir les affiner.” autoportante à la différence des lianes, et
Certaines font l’objet de vifs débats, comme dont le tronc mesure au moins 2 mètres de
l’évaluation du nombre d’espèces d’arbres diamètre. Ils grossissent par épaississement
présentes en Amazonie. “Elles varient entre de leur tronc, ce qui exclut les bananiers et
6 700 et 15 800 ; la marge d’incertitude est les palmiers. Mais, dans certaines études, ces
donc énorme, constate Jérôme Chave. La derniers sont comptés comme des arbres, en
définition subjective des arbres explique raison des difficultés pour les distinguer.”
en partie ces divergences. On considère en
DES HOTSPOTS DE BIODIVERSITÉ
Le parc national de Chiribiquete (2,7 millions d’hectares), en
Colombie, abrite une vaste forêt pluviale. Relief caractéristique : les Les botanistes ont d’autant plus besoin des
tepuis (ci-dessous), des reliefs tabulaires au taux d’endémisme élevé. nouveaux outils pour les guider que près
d’un tiers des espèces qui restent à décou-
vrir seraient rares, avec des populations très
faibles, révèle l’étude publiée dans Pnas, en
2022. À l’instar de Tovomita maxima, dont
Jean-François Molino et ses collègues n’ont
identifié qu’une dizaine de spécimens. Ces
espèces inconnues seraient cantonnées à des
territoires restreints et 43 % seraient pré-
sentes en Amérique du Sud. “La Colombie
est l’un des pays où la biodiversité est la plus
remarquable, 10 % des espèces vivantes de
la planète y sont présentes, s’enthousiasme
Bruno Hérault. Le pays présente des vallées
profondes, séparées les unes des autres par
de hautes montagnes. Ces milieux repré-
sentent de véritables hotspots de biodiversité,
un peu comme les îles, car les petites popula-
© DANIEL GARZON / VWPICS/SIPA

tions isolées évoluent beaucoup plus vite.” Un


isolement, hélas, à double tranchant : “Parmi
les espèces rares, observe Florian Kirchner,
il y en a probablement qui sont menacées et
pour lesquelles on ne peut pas encore agir.”
Ces trésors naturels risquent de disparaître…
avant même d’avoir été identifiés. •

S&V Hors Série • 29


FORÊTS,
LE CHECK-UP
MONDIAL
Elles recouvrent un tiers des
terres émergées, soit 4 milliards
d’hectares. Mais le réchauffement
climatique fragilise les arbres,
notamment en France. PAR RIVA BRINET-SPIESSER
epuis trente ans, la FAO connaissent déjà
(Organisation des Nations des chaleurs éle-
unies pour l’alimentation et vées tout au long
l’agriculture) suit l’évolution de l’année. Elles pour-
de la ressource forestière dans raient rapidement sortir
le monde. “La superficie mondiale de forêt de leurs limites d’acclimata-
a reculé de 100 millions d’hectares sur les deux tion”, remarque Imma Oliveras
dernières décennies, soit plus de 2 %. Même si Menor, directrice de recherche à l’Institut
cette perte tend à ralentir, cela reste considé- de recherche pour le développement (IRD).
rable !” s’émeut Anne Branthomme, experte Une étude publiée dans Nature et à laquelle
auprès de l’organisation. Chaque année, ce la chercheuse a contribué montre qu’au-delà
sont 4,7 millions d’hectares qui disparaissent de 46,7°C, les feuilles perdent leur capacité
en moyenne. Pourtant, derrière ces chiffres de photosynthèse. Aujourd’hui, seulement
alarmants se cache une forte disparité selon 0,01 % du feuillage dépasse cette tempéra-
les régions. Et quelques bonnes nouvelles. ture, mais, dans un modèle de réchauffement
“On observe une dichotomie entre ce qui à + 4°C, ce chiffre passerait à 1,4 % ; un seuil
se passe au nord et au sud du globe, reprend suffisant pour entraîner la mort de l’arbre
l’experte. Alors qu’elles constituent un réser- dans sa totalité.
voir majeur de biodiversité et de carbone,
les forêts tropicales d’Amérique du Sud, TERRES AGRICOLES ABANDONNÉES
d’Afrique et d’Asie du Sud-Est sont les plus Plus au nord, la situation des forêts tempérées
en danger.” Sur les millions d’hectares défo- et boréales semble a priori plus réjouissante.
restés par an, plus de 95 % se situent en zones En Europe, en Amérique et en Asie du Nord,
© ADOBE STOCK

tropicales. L’autre point d’inquiétude repose les surfaces forestières augmentent. Cela,
sur la vulnérabilité des arbres face au réchauf- pour plusieurs raisons. Ces forêts se boisent
fement climatique. “Les forêts tropicales naturellement à mesure que des terres

30 • S&V Hors Série


Découvrir

agricoles sont abandonnées. Des politiques les forêts plus vulnérables aux ravageurs.
de restauration et de reboisement y sont éga- C’est précisément le cas de la forêt française.
lement menées à grande échelle. Enfin, les “Sa surface et sa densité progressent, mais
forêts d’Europe et d’Amérique sont davan- elle fait face à des crises sanitaires répé-
tage aménagées et soutenues par des tées qui accroissent sa mortalité”, indique
plans de gestion durable. Mais malgré Jean-Luc Peyron, membre de l’Académie
leur croissance, elles connaissent d’agriculture de France. C’est ainsi que les
un dépérissement important. peuplements de frênes ont subi l’attaque
“La forêt boréale, par exemple, d’un champignon, la chalarose, et que les épi-
est plus productive grâce à des céas du Grand Est et du Massif central font
températures plus clémentes, face à des attaques récurrentes de scolytes.
mais elle est davantage expo- “Certes, l’état des forêts affiche des signaux
sée aux risques d’incendie”, positifs, relève Anne Branthomme. Mais
note Anne Branthomme. nous devons poursuivre nos efforts pour limi-
Les épisodes de sécheresse ter leur dégradation afin qu’elles continuent
répétés rendent également à rendre service à l’humanité.” •

UNE FORTE DISPARITÉ


SELON LES RÉGIONS
EUROPEETAMÉRIQUE FRANCE
DUNORD La surface de la forêt française a été
Les forêts sont en expansion du fait multipliée par deux en deux siècles, mais
de la régénération naturelle et de la sa mortalité a doublé ces vingt dernières
gestion durable, mais leur croissance années. En 1840, époque du minimum
ralentit avec une exposition plus forte forestier, la forêt représentait 9,5 millions
aux incendies et aux ravageurs. d’hectares, contre 17,3 millions aujourd’hui.

Forêt sur pied


(m3/ha)
<50
51-100
101-150
151-200
201-250
>250
Pas de données

AMÉRIQUEDUSUD AFRIQUE ASIE


La déforestation est La déforestation s’accélère La forêt gagne du terrain :
importante, mais ralentit (République démocratique + 1,2 million d’hectares par an
au Brésil, en Argentine du Congo, Angola, entre 2010 et 2020 (politique
et en Uruguay : – 2,6 millions Tanzanie et Mozambique) : de reboisement en Chine), mais
d’hectares par an entre 2010 – 3,9 millions d’hectares à un rythme plus lent que sur
et 2020, contre – 5,2 millions par an entre 2010 et 2020, la décennie précédente.
la décennie précédente. contre – 3,4 millions pour
la décennie précédente.
© FAO

S&V Hors Série • 31


© JEAN-BAPTISTE STROBEL/DIVERGENCE

32 • S&V Hors Série


Découvrir

L’IA à l’écoute de
la biodiversité
Des scientifiques d’un nouveau genre, les écoacousticiens,
enregistrent les sons émis par les espèces peuplant
les forêts, puis les soumettent à l’intelligence artificielle
afin d’évaluer la biodiversité. PAR KHEIRA BETTAYEB
la fin novembre 2023, comme comme la bioacoustique (une discipline plus
tous les deux ans depuis cinq ancienne), mais à la symphonie produite
ans, Jérôme Sueur, chercheur par tout l’orchestre, à savoir l’ensemble des
au Muséum national d’his- espèces animales peuplant l’écosystème étu-
toire naturelle de Paris, s’est dié. Hypothèse de base : plus un milieu a un
rendu en Guyane, dans la sta- “paysage sonore” riche et complexe, plus ses
tion de recherche des Nouragues, en pleine espèces sont diversifiées.
forêt amazonienne – “à près de neuf heures
de voiture et de pirogue de Cayenne !”. Dans LA MÉLODIE DES FORÊTS
le cadre d’un projet de longue haleine, d’une Grâce à cette approche, “il est possible de
durée de quinze ans, il tente de suivre l’évolu- suivre la biodiversité de tous les milieux,
tion de la biodiversité de ce vaste écosystème même les plus difficiles d’accès : canopée,
ultrasensible, menacé par le changement cli- prairies de haute altitude, etc., se réjouit le
matique et l’orpaillage. Pour ce faire, le scien- chercheur. Et ce, sans mobiliser des experts
tifique ne recense pas les espèces une à une, avec une grande expérience d’observation,
mais recourt à une approche étonnante : sans prélever des espèces protégées pour les
il enregistre les bruissements, les grogne- analyser en laboratoire, et sans déranger les
ments, les bourdonnements et les mille et un écosystèmes. Surtout, l’écoacoustique per-
bruits émis par les animaux qui peuplent la met une analyse en continu et sur de longues
grande forêt. Ces sons feront ensuite l’objet périodes. Cela rend possible le suivi d’altéra-
d’une analyse informatique fine, grâce à de tions relativement lentes, comme celles liées
puissants systèmes d’intelligence artificielle au changement climatique. De quoi déceler
en cours de développement. tout déclin significatif et, le cas échéant, aler-
Jérôme Sueur est écoacousticien. Il est ter sur la nécessité d’agir au plus vite” .
même l’un des pionniers de cette disci- Pour enregistrer la mélodie des forêts,
pline qu’il a contribué à formaliser dans les l’écoacoustique recourt à une technologie dis-
années 2010. À la croisée de l’écologie, de ponible seulement depuis 2008 : des magné-
l’informatique et de l’acoustique, ce nou- tophones automatiques, qui peuvent être
veau domaine de recherche ne s’intéresse installés discrètement dans les écosystèmes
pas aux sons émis par des animaux solistes, et être programmés pour enregistrer à des
heures précises : “Par exemple pendant une
L’écoacousticien Jérôme Sueur, du MNHN, procède au paramétrage
d’un enregistreur sonore installé pour plusieurs mois sur un arbre minute toutes les 15 minutes, pendant plu-
de la forêt du Risoux, dans le massif du Jura. sieurs mois, voire plusieurs années”, précise

S&V Hors Série • 33


le chercheur. De quoi “espionner” la nature
ni vu ni entendu ! Pour analyser ces enre-
gistrements, les chercheurs utilisent le plus Les sons émis par
souvent des algorithmes “simples” conçus
pour considérer le “paysage sonore” de façon un écosystème varient
globale et estimer sa richesse en sons, sans
chercher à identifier les espèces à l’origine d’une espèce à l’autre, d’un
de ces bruits. Cependant, “cette méthode,
si elle est rapide et nécessite peu de calculs, individu à l’autre, et même
est aussi peu précise”, relève Jérôme Sueur.
Aussi les scientifiques tentent-ils aujourd’hui au niveau d’un individu selon
de mettre au point des systèmes capables
d’identifier automatiquement toutes les
le moment de la journée
espèces présentes.
C’est là qu’intervient l’intelligence artifi-
cielle (IA). En écoacoustique, les systèmes 24 000 enregistrements d’espèces animales
d’IA reposent souvent sur la technologie captés à travers le monde. Grâce à cet outil,
de l’apprentissage profond (ou “deep lear- les premiers systèmes d’IA développés par
ning”, en anglais), laquelle s’appuie sur des l’équipe ont permis d’obtenir des résultats
réseaux de neurones artificiels s’inspirant intéressants. Lors de travaux publiés en
© JEAN-BAPTISTE STROBEL/DIVERGENCE

du cerveau humain, capables d’apprendre à 2022 dans la revue The Science of the Total
effectuer une tâche en s’entraînant grâce à Environment, les chercheurs ont enregis-
des bases de données. Pour exercer des algo- tré pendant un an (2 285 heures au total)
rithmes d’IA à reconnaître les cris et bruits les sons émis dans une forêt alpine proté-
de différentes espèces, Jérôme Sueur et son gée en France. Puis ils ont utilisé une IA de
équipe utilisent les fichiers de la sonothèque type “réseau neuronal convolutif” (un type
du Muséum national d’histoire naturelle, une de réseau de neurones artificiels), capable
bibliothèque sonore qui rassemble près de de détecter automatiquement des insectes

34 • S&V Hors Série


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volants pollinisateurs par leur bourdonne- Jérôme Sueur procède au contrôle des sons captés par
un enregistreur AudioMoth (ci-dessus) après l’avoir installé
ment et des pics par le tambourinage qu’ils au cœur d’une prairie bourdonnante d’insectes (à gauche)
produisent en frappant leur bec sur un tronc dans le massif du Risoux.
ou une branche. Au final, l’équipe a noté
que les périodes chaudes – favorisées par le en croissance, en passant par des zones en res-
réchauffement climatique – stimulent l’acti- tauration. Avec succès : “Pour la première fois,
vité des insectes pollinisateurs, alors que les nous avons démontré que même dans la forêt
périodes plus humides la freinent. Pour les tropicale, qui abrite une très grande richesse
pics, c’est l’inverse : leur activité est augmen- d’espèces, il est possible de mesurer la récupé-
tée par l’humidité et réduite par la chaleur. ration des communautés animales de manière
“Ces travaux indiquent qu’il est possible de très standardisée”, se réjouit Jörg Müller de
faire des prévisions pour tenter d’anticiper les l’université de Würzburg.
effets du changement climatique sur la biodi- Toutefois, développer une IA capable de
versité”, commente Jérôme Sueur. reconnaître automatiquement toutes les
espèces à partir d’un enregistrement sonore,
RÉSEAU NEURONAL CONVOLUTIF et pas seulement quelques-unes, demeure
En octobre 2023, des chercheurs allemands ont un vrai défi. Car, explique Jérôme Sueur, “les
rapporté dans la revue Nature Communications sons émis par un écosystème sont très divers :
que de tels systèmes d’IA (à réseau neuronal ils varient d’un groupe d’animaux à l’autre
convolutif) pourraient devenir un formidable (oiseaux, insectes…), mais aussi d’une
© JEAN-BAPTISTE STROBEL/DIVERGENCE

outil pour suivre non seulement le déclin, mais espèce à l’autre au sein d’un même groupe,
aussi la restauration de la biodiversité des d’un individu à l’autre et même au niveau d’un
forêts. Les chercheurs ont testé leur IA, capable même individu selon le moment de la journée
d’identifier les espèces d’oiseaux locales, sur ou de l’année. De plus, ces sons se super-
des enregistrements réalisés en Équateur, sur posent les uns aux autres”. Un vrai casse-
43 parcelles de forêt situées sur un “gradient” tête ! Prometteuse, l’écoacoustique assistée
allant de terrains agricoles (donc très pauvres par la puissance de l’IA en est donc encore
en espèces animales) jusqu’à une zone de forêt à ses balbutiements. •

S&V Hors Série • 35


PHARMACIE
SOUS CANOPÉE
La zoopharmacognosie est
la faculté d’un animal à se soigner
à l’aide d’une substance tirée
de son environnement. Les forêts
fourmillent d’exemples. PAR CORALIE HANCOK

out commence en 1977 lorsque


le primatologue britannique
Richard Wrangham observe un
étrange comportement chez
À Gombe,
les chimpanzés de Gombe, en en Tanzanie,
Tanzanie : alors qu’ils se nourrissent d’ordi- les chimpanzés
mangent
naire plutôt de fruits, voilà que certains les feuilles
d’entre eux ingurgitent sans les mâcher les d’une plante
vermifuge
feuilles rugueuses et velues d’une plante pour se
herbacée, Aspilia mossambicensis. Intrigué, débarrasser
le chercheur découvre par la suite qu’elles de leurs
parasites
ont un effet vermifuge mécanique : comme intestinaux.
dans du Velcro, les vers se retrouvent piégés
dans les poils des feuilles et sont expulsés Les chimpanzés ne sont pas les seuls à avoir
dans les excréments. démontré leurs facultés dans ce domaine.
Quelques années plus tard, un autre prima- Au Brésil, des chercheurs ont récemment
tologue observe, toujours en Tanzanie, une observé pas moins de dix espèces animales
femelle visiblement malade mâcher longue- différentes (tamarin-lion, ocelot, fourmilier…)
ment les tiges d’un petit arbuste, Vernonia lécher la résine exsudée par le tronc d’un
amygdalina, et en extraire le jus, pourtant très arbre, Myroxylon peruiferum, ou s’y frotter.
amer. Quelques heures plus tard, la femelle Or, celui-ci est aussi utilisé par les humains en
avait retrouvé l’appétit et un transit normal. médecine traditionnelle pour ses vertus cica-
Depuis, de nombreuses autres observations trisantes, antibiotiques, anti-inflammatoires
d’automédication ont été faites chez les et antiparasitaires.
chimpanzés. Un terme a même été inventé,
© ROBERTO/ADOBE STOCK

la zoopharmacognosie, pour désigner la JETS D’ACIDE FORMIQUE


capacité des animaux à se soigner avec des Chez les oiseaux également, la zoopharma-
substances végétales, animales ou minérales cognosie a ses adeptes. “Dans la forêt tropi-
qu’ils trouvent dans la nature et sélectionnent cale amazonienne, les aras consomment de
spécifiquement à cet effet. l’argile pour neutraliser les effets toxiques

36 • S&V Hors Série


Découvrir

Dans la forêt amazonienne, les ocelots


utilisent la résine de certains arbres
comme cicatrisant et antibiotique naturel,
tandis que les aras avalent de l’argile pour
se protéger contre des fruits toxiques.

de certains fruits. On dispose aussi de nom- avaient un comportement identique avec de


breuses observations de geais, de merles ou la carotte sauvage”, se souvient le chercheur.
© KARLOS LOMSKY/ADOBE STOCK - OSTILL IS FRANCK CAMHI/SHUTTERSTOCK

de corneilles qui se posent sur des fourmi- Plus étonnant encore, même les insectes
lières. On pense que les jets d’acide formique semblent capables de se soigner ou de
qu’ils reçoivent alors éliminent leurs para- limiter la propagation des maladies. Ainsi,
sites”, raconte Philipp Heeb, ornithologue au en Suisse, les fourmis des bois apportent
CNRS et à l’université Toulouse III. Parfois, dans leurs nids des granules de sève de pin
les vertus des substances naturelles sont séchée. Il a été démontré que celle-ci avait
même utilisées de façon préventive. Ainsi, pour effet d’inhiber la croissance des bacté-
en 2009, son équipe avait publié une étude ries et des champignons. Mais si les animaux
montrant que, en Corse, les mésanges bleues savent qu’ils peuvent se soigner avec les
garnissaient leurs nids de plusieurs plantes plantes, certains savent aussi qu’ils peuvent
aromatiques. Les chercheurs avaient alors les utiliser pour se droguer ! En Sibérie, des
montré que les oisillons élevés dans ces nids rennes ont ainsi été observés consommant
avaient une charge bactérienne moindre et des amanites tue-mouches, un champignon
une meilleure croissance. “En Allemagne, nos connu pour ses effets psychotropes… dont
confrères avaient montré que les étourneaux ces animaux semblent raffoler. •

S&V Hors Série • 37


Tout un
monde sous
l’humus
On ne la voit guère, car elle naît, prospère et meurt
discrètement à l’abri des feuilles tombées et des troncs
pourris… La pédofaune, ou faune du sol, joue pourtant un rôle
essentiel dans la forêt. PAR PASCALE-EMMANUELLE LAPERNAT-GUILHAUMON
© PHILIPPE LEBEAUX

38 • S&V Hors Série


Découvrir

Acariens
trombidiformes
Le trombidion rouge vif, ou aoûtat, fait partie
de la mésofaune et vit principalement sur
les feuilles de la litière. Les sols forestiers
contiennent en moyenne 200 000 acariens
par mètre carré. Ils sont majoritairement
détritivores (les oribates), parfois prédateurs
de collemboles (les gamases).


n hectare de sol Ces organismes assurent
forestier compte également la dissémination
plus d’orga- des graines et la pollinisation
nismes vivants (des mousses, par exemple).
que d’êtres On parle de biocénose fores-
humains sur Terre !”, peut-on tière. Ces organismes du sol
lire sur le site du CNRS. Les sont classés par tailles : la
15 premiers centimètres de microfaune (jusqu’à 0,2 mm),
sol abritent 90 % de la pédo- la mésofaune (0,2 à 2 mm) et
faune. Celle-ci se nourrit de la macrofaune (2 à 20 mm). Les
matière organique issue de la plus abondants dans nos forêts
litière (brindilles, branches, européennes sont les insectes.
feuilles) qu’elle broie, décom- Pour en savoir plus, les cher-
pose, transforme en humus, cheurs se penchent depuis

Nématodes permettant la réincorporation


des minéraux dans le sol où ils
quelques années sur l’ADN
environnemental. Matthieu
Entre la micro et la mésofaune, ces vers pourront être de nouveau pré- Chauvat, enseignant-cher-
sont très abondants et se comptent levés par les arbres. Ce phé- cheur à l’université de Rouen-
en millions par mètre carré. Leurs nomène est donc mécanique Normandie, explique : “Cette
corps sont filiformes, non segmentés. (macrobrassage, galeries, technique consiste à identifier
Saprophages et carnassiers, ils vivent dans fragmentation) ; biologique tous les morceaux d’ADN qui
le sol, près des racines. Ils sont la proie (équilibre du réseau trophique seront trouvés dans un échan-
des acariens et peuvent également par prédation, compétition) ; tillon de sol, en les comparant
servir de nourriture aux champignons. directement chimique (par la à une base de données, où
Ils forment un groupe très important microflore intestinale asso- chaque espèce correspond
en nombre et en biomasse et sont de bons ciée, minéralisation, libération à un code-barre, d’où le nom
indicateurs de la maturité de l’écosystème. d’ions nutritifs) ou indirec- de metabarcoding. On obtient
tement (métabolisation des ainsi une information de pré-
tanins des feuilles de chêne). sence/absence de groupe.”

S&V Hors Série • 39


Collemboles
Ici, Dicyrtoma sp., avec ramification d’un blob (Physarum sp.) sur
du bois en décomposition. Ces petits arthropodes hexapodes – qui
existaient avant les insectes – mesurent entre 0,25 et 9 mm. Les épi-
édaphiques, colorés et pourvus de six à huit ocelles de chaque côté,
vivent en surface. Les eu-édaphiques, qui évoluent en profondeur,
sont généralement blancs et dépourvus d’ocelles. Les hémi-
édaphiques sont intermédiaires, présentant des caractères mixtes,
avec seulement deux à quatre ocelles. Ils sont majoritairement
fongivores, parfois saprophages, phytophages, voire carnivores
(nématodes, protozoaires, rotifères). Les collemboles sont sensibles
aux concentrations de CO2 et d’O3 de l’air, malgré leur vie souterraine
(Lorager et coll., Soil Biology and Biochemistry, 2004).

Clytes béliers
Clytus arietis, coléoptère de la famille
des Cerambycidae qui compte des
milliers d’espèces, mesure entre 9 et
18 mm. Il se développe généralement
dans le bois mort ou en décomposition,
dont il se nourrit pendant plusieurs
© PHILIPPE LEBEAUX

mois – jusqu’à deux ans. Certaines


espèces de Cerambycidae sont
rhizophages : elles se sustentent de
racines.

40 • S&V Hors Série


Découvrir

Pseudo-scorpions
Ici, une des 137 espèces de France. Cet arachnide
de petite taille (2 à 8 mm) possède des pinces
munies de glandes à venin, permettant à ce
Myriapodes prédateur d’immobiliser ses proies et d’entamer
une digestion externe. Il participe à la régulation
Assez grands pour appartenir à la macrofaune, les mille-pattes
diplopodes ont deux paires de pattes par segment (iule, gloméris) de la mésofaune (collemboles, fourmis) et vit
tandis que les chilopodes (comme la scolopendre) n’en possèdent dans les troncs, la mousse, au sol, dans la litière…
qu’une. Ces derniers sont de grands prédateurs. Les diplopodes, pour
leur part, déchiquettent la litière.

S&V Hors Série • 41


Perce-oreilles
Forficula sp., insecte omnivore principalement nocturne, se nourrit d’insectes morts ou vivants, d’œufs
de limace, de matière végétale en décomposition. Il participe au recyclage de la matière organique et à la
régulation des populations. La femelle pond les œufs dans le sol, sous l’écorce d’arbres ou sous des feuilles
mortes, et s’en occupe jusqu’à leur éclosion à la fin de l’hiver, puis lors des premiers stades larvaires.

Thysanoures
Le plus connu est le poisson d’argent. Ces insectes aptérygotes (sans ailes) sont
détritivores : ils se nourrissent de matière végétale en décomposition, de débris organiques
et de moisissures de la litière de feuilles.

Cigales
rouges
Comme de nombreux
autres insectes (papillons,
mouches, abeilles…),
Tibicina haematodes est
“aérienne” quand elle est
adulte, mais pond ses œufs
dans l’écorce des arbres
ou dans le sol. À l’abri,
les larves se développent
© PHILIPPE LEBEAUX

et passent parfois jusqu’à


quatre ans sous terre.

42 • S&V Hors Série


Découvrir

Fourmis rousses
Également appelée fourmi méditerranéenne,
commune dans le sud de la France, Pheidole
pallidula est un hyménoptère omnivore
qui mesure entre 1 et 5 mm. En creusant
ses galeries, elle brasse le sol et l’enrichit
en profondeur. D’autres espèces élaborent
de grands dômes – jusqu’à 1 m de haut –
d’aiguilles de pin (ex. : Formica rufa) ou des
nids sous les écorces, pierres ou mousses
(Myrmica sp.). Les fourmis telles que F. rufa
se nourrissent de miellat sécrété par les
pucerons dont elles régulent la population.

Tardigrades
Star de la recherche scientifique pour sa résistance aux conditions
CI-CONTRE © SPL

extrêmes, ce petit “ourson trapu”, dit aussi “ourson d’eau”, mesure entre
0,1 et 1 mm. Il se nourrit de débris de plantes, apprécie les zones humides
et on le trouve souvent dans les mousses.

S&V Hors Série • 43


DES HLM SYLVESTRES
Les “arbres-habitats”, exceptionnellement riches en
biodiversité, font désormais l’objet d’une protection. PAR ADRIEN DENÈLE
ogement à saisir : une seule Aujourd’hui, leur protection est intégrée à la
pièce, 2 cm², murs en liège, gestion des forêts, tant ils sont indispensables
peut accueillir toute une famille à la survie de nombreuses espèces. Et la
d’insectes !” Une telle annonce diversité des dendromicrohabitats est riche :
ferait fureur dans les parcs et cavités, blessures et bois apparents, bois mort
forêts, car elle renvoie à un type dans le houppier, exsudats, excroissances…
d’arbres bien particulier : les arbres-habitats soit, en tout, une classification comprenant
ou dendromicrohabitats (du grec dendron, 15 groupes et 47 types différents !
arbre, et micro, petit). Au premier regard Un arbre ne naît pas “habitat” : il le devient
pourtant, ils ne paient pas de mine. Leurs au fil du temps. Une étude** a prouvé qu’en
branches sont cassées, leurs troncs fissurés, Suède, moins de 1 % des jeunes chênes
quand ils ne sont tout simplement pas cou- disposent d’une cavité dont l’intérieur est
chés sur le sol… Il n’y a pas si longtemps, “ces plus vaste que son entrée. Ce chiffre monte
arbres étaient systématiquement abattus, car à 50 % pour les arbres de plus de 200 ans, et
on les pensait gênants”, résume l’une de leurs pratiquement tous ceux de 400 ans et plus
protectrices, Catherine Biache, ingénieure et ont de larges cavités. “Leur temporalité est
coordinatrice d’un guide* à l’attention du per- bien plus longue que celle de la production
sonnel de l’Office national des forêts (ONF). sylvicole”, atteste la responsable de projets
© VOM / FOTOLICHT.COM/ADOBE STOCK

44 • S&V Hors Série


Découvrir

La préservation de la diversité des dendromicrohabitats permet aussi l’ingénieure. Il permet de nombreuses coha-
de lutter contre des insectes ravageurs. Les larves de scolytes bitations bénéfiques. Certaines espèces
(ci-dessous) sont un met de choix pour celles du clairon des fourmis.
comme le lichen peuvent récolter l’eau de
à l’ONF. Les autres arbres sont généralement pluie qui ruisselle sur le tronc, tandis que
abattus avant 120 ans, à l’optimum de leur d’autres vont prospérer à son pied, à l’abri de
croissance pour l’industrie. Ces “HLM fores- la pluie et à l’ombre.”
tiers” peuvent pourtant abriter des insectes, Désormais, les gardes forestiers ont donc
oiseaux, écureuils, champignons, batra- pour mission de protéger ces vieux seigneurs
ciens… et, moins connue, toute une méso- de la forêt. “Il en faut au moins trois par hectare
faune composée de nématodes, tardigrades, pour assurer un rôle de préservation de la biodi-
gastrotriches ou rotifères. Ils y trouvent le versité”, affirme Catherine Biache. Une tâche
gîte, une source d’alimentation, un lieu de plus délicate qu’il n’y paraît. Dans les zones
reproduction, voire l’endroit où ils effectue- de montagne difficiles d’accès, ces arbres
ront leur cycle de vie complet. “Par exemple, vivent et meurent sans intervention humaine,
les arbres sénescents, donc très vieux, pré- mais ceux qui se dressent dans les parcs et
sentent des décollements d’écorce derrière les forêts plus fréquentés présentent parfois
lesquels peuvent venir se nicher des chauves- un danger pour les randonneurs, à cause des
souris”, souligne Catherine Biache. Autre lieu chutes de branches ou même de troncs. Il faut
de vie : les dendrotelmes. Ces écosystèmes alors les couper. Impossible de les préserver
aquatiques que l’on trouve dans les cavités en ville, et c’est bien dommage. Avec la dis-
remplies de quelques litres d’eau abritent parition des toits et des greniers à l’ancienne,
certains types de champignons hyphomy- les espèces animales urbaines n’ont plus qu’à
cètes et des invertébrés aquatiques, ou se rabattre sur leur ultime refuge : les cabanes
© RAPHAËL HELLE / SIGNATURES

servent à des insectes, comme les diptères. pour oiseaux et insectes, en bois bien sûr. •

IMPOSSIBLE À PRÉSERVER EN VILLE * Onf.fr/onf/+/3c0::vieux-bois-et-bois-mort-guide-


De récentes études estiment que 25 % des technique.html
espèces forestières dépendent des arbres- ** Dans la revue Forest Ecology & Management,
habitat. “C’est un espace vertical, résume 2009 (Ranius et al.).

S&V Hors Série • 45


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© MAREK MIS/SPL

Observée au microscope et agrandie environ


570 fois, cette feuille d’élodée du Canada
(Elodea canadensis, également surnommée
“peste-d’eau”) laisse voir ses cellules.
48 • S&V Hors Série
S&V Hors Série • 49
Wood wide web
C’est ainsi que les scientifiques surnomment l’immense
© MAKROBETZ/ SHUTTERSTOCK

réseau de racines et de filaments fongiques qui se déploie


sous le sol et relie les arbres entre eux, transformant la forêt
en une fabuleuse structure interconnectée. PAR LISE GOUGIS
50 • S&V Hors Série
Comprendre

Mycélium d’Agaricus bisporus, notre champignon de Paris. Ce délicat


ette mégastructure vivante réseau de filaments blancs constitue l’appareil végétatif, souterrain,
fascine les biologistes et bou- du champignon. Sa partie aérienne se nomme le carpophore.
leverse notre vision de la forêt.
“Elle peut faire des kilomètres, environnantes, les cultures…” À l’origine de
sachant qu’un gramme de ce vaste réseau social végétal, surnommé
sol contiendrait près de 200 m d’hyphes, les “wood wide web” en référence à internet, un
filaments de champignons, illustre Babacar partenariat à bénéfices mutuels développé
Thioye, enseignant-chercheur en agroéco- au cours de dizaines de millions d’années
logie à l’institut polytechnique UniLaSalle. de coévolution entre les arbres et les cham-
Tous les végétaux se retrouvent ainsi inter- pignons. Une symbiose dite ectomycorhi-
connectés : les arbres d’une forêt, les plantes zienne dont les chercheurs ont une meilleure

S&V Hors Série • 51


Les girolles ou chanterelles (cantharellus)
sont des champignons ectomycorhiziens
qui vivent principalement en symbiose
avec des feuillus et quelques résineux.

compréhension depuis une vingtaine d’années


grâce aux progrès de la génomique. “Sur la
base des modèles disponibles en laboratoire et
des séquençages de génome d’espèces végé-
tales et fongiques, on en sait de plus en plus système racinaire d’un partenaire végétal se
sur ce processus, en particulier sur la synthèse forme à proximité”, décrit Babacar Thioye.
de signaux chimiques pouvant induire cette Le champignon modifie alors la croissance
relation”, explique Claire Veneault-Fourrey, de ce système racinaire en induisant la for-
spécialiste des interactions entre les arbres et mation de petites racines appelées radicelles,
les micro-organismes à l’Inrae et à l’université pour les coloniser. “Le champignon entoure
de Lorraine. Tout débute par une phase de ensuite cette radicelle pour former une sorte
reconnaissance du champignon. “Ses spores de manteau, un manchon de mycélium, puis
© RÉSERVE NATURELLE NATIONALE DE LA FORÊT DE LA MASSANE

détectent des signaux moléculaires quand le pénètre dans les tissus de la racine en se faufi-
lant entre les cellules végétales, sans traverser
leur paroi, pour former ce que l’on appelle le
Les spores détectent réseau de Hartig”, développe Claire Veneault-
Fourrey. De quoi constituer un véritable
des signaux moléculaires organe chimérique, une racine-champignon
appelée mycorhize.
quand le système racinaire C’est au niveau de cette interface que
se déroule l’échange d’éléments nutritifs.
d’un partenaire végétal Le champignon donne à l’arbre de l’azote,
du phosphore et d’autres sels minéraux,
se forme à proximité ainsi que l’accès à l’eau, étant donné que les
réseaux mycéliens permettent d’aller puiser

52 • S&V Hors Série


Comprendre

90 % des
espèces d’arbres
des forêts tempérées
et boréales
dépendent de cette
symbiose Spores du champignon
Thelephora terrestris, vues
au microscope électronique.

plus profondément dans le sol que le système


racinaire de la plante. Autant d’éléments cru- LE RÔLE CRUCIAL DE
ciaux pour son développement ! “90 % des
espèces d’arbres des forêts tempérées et L’ÉPIGÉNÉTIQUE
boréales dépendent de cette symbiose, car Dans quelle mesure l’environnement influence-t-il
les sols forestiers sont pauvres en nutriments l’ectomycorhize ? Pour le savoir, une équipe internationale s’est
biodisponibles pour les arbres”, poursuit la intéressée à la méthylation de l’ADN, l’une des formes principales
spécialiste. Et en échange, le champignon d’épigénétique qui consiste en l’ajout de groupes méthyles sur
bénéficie du carbone photosynthétisé par la molécule d’ADN et entraîne une modification de l’expression
l’arbre sous la forme de sucre, une énergie des gènes, sans forcément modifier la séquence. “Nous avons
nécessaire à sa survie. “La plante ne donne pour cela utilisé des lignées de peuplier génétiquement proches,
bien sûr pas tout, mais on estime qu’elle cède mais dont la régulation de la méthylation de l’ADN génomique
environ 20 % de son carbone au champignon”, a été modifiée, de sorte que certaines présentent un profil
précise Babacar Thioye. de méthylation supérieur ou inférieur à une lignée contrôle”,
explique Claire Veneault-Fourrey, qui a pris part à ces travaux.
BOLETS, LACTAIRES OU TRUFFES Résultat : les lignées moins méthylées ont montré une baisse
Cette relation bilatérale de partage des res- du potentiel de mycorhization, jusqu’à 40 % en moins, ce qui
sources est bien plus complexe qu’il n’y suggère que l’épigénétique joue un rôle central dans la capacité
paraît. Car un arbre n’est pas en association de l’arbre hôte à former l’association symbiotique nécessaire
avec un seul champignon symbiotique, il à son bon développement. “Cela ouvre plein de champs
peut interagir simultanément avec des cen- d’études. La prochaine étape sera de déterminer comment
taines voire des milliers d’espèces différentes l’environnement influence ces capacités d’épigénétique
comme des bolets, des lactaires, des russules, et donc de mycorhization”, conclut la spécialiste. Avec, à la clé,
des cortinaires, des amanites ou encore des de possibles applications en matière de gestion des forêts face
truffes. Et tout cela change en fonction des aux effets du dérèglement climatique comme les sécheresses.
saisons. “Quel est l’intérêt pour l’arbre d’avoir
plein de partenaires différents ? Ont-ils tous ou d’espèces différentes. D’où l’idée selon
la même fonction ou sont-ils au contraire laquelle les arbres pourraient communiquer
complémentaires ? C’est ce que l’on essaie entre eux et même s’entraider via des champi-
désormais de comprendre en laboratoire, en gnons communs… une idée qui va à l’encontre
mettant un arbre en contact avec des cham- de la vision darwinienne d’une compétition
pignons différents, afin de tester les consé- pour la lumière, l’eau et les nutriments ! Cette
quences en termes de croissance”, explique théorie a notamment été popularisée par
© EYE OF SCIENCE/SPL

Claire Veneault-Fourrey. Suzanne Simard, professeure d’écologie fores-


De même, le mycélium d’un champignon tière à l’université de Colombie-Britannique,
peut coloniser les racines d’autres arbres qui a montré en 1997 à l’aide de marqueurs
voisins, qu’ils soient de la même espèce radio actifs l’existence de transferts de

S&V Hors Série • 53


Et si c’étaient les
champignons qui avaient
organisé une vaste
escroquerie des plantes ?

carbone entre des bouleaux et des sapins de


Douglas par le biais du champignon qu’ils par-
tageaient. “Il s’agit d’un flux instantané, on ne
sait pas s’il s’agit d’échanges réguliers et s’ils
passent toujours dans le même sens, tempère
Marc-André Selosse, spécialiste des relations
entre champignons et végétaux au Muséum
national d’histoire naturelle. Surtout, au cours
de cette expérience, certains marquages étayer cette notion de coopération entre les
n’ont pas fonctionné… autrement dit, il ne arbres. “C’est une belle image, mais il faut
s’est rien passé.” se baser sur les faits scientifiques. Une méta-
Dans une étude publiée début 2023, des analyse récente montre qu’il y a un biais de
chercheurs américains ont épluché la littéra- citation dans la littérature : ce sont toujours un
ture scientifique sur le sujet et leur constat ou deux articles qui sont cités pour appuyer
est sans appel : les preuves manquent pour cette idée d’entraide alors qu’il y en a une
quinzaine d’autres qui montrent que ce n’est
Certains champignons poussent directement sur le tronc des arbres pas le cas, pointe Claire Veneault-Fourrey.
(ci-dessous), participant à sa décomposition si l’hôte est malade ou Ce n’est peut-être pas impossible, dans
mort. À droite, d’impressionnantes racines, dégagées par l’érosion.
© YURI MACSIMOV/ADOBE STOCK - PHILIPPE WATERLOOS/ADOBE STOCK

54 • S&V Hors Série


Comprendre

DES PIRATES son voisin qui paie moins. C’est assez sou-

SUR LE WWW vent le cas des plantules qui se trouvent près


d’arbres adultes en région tempérée : elles
“Dans ces réseaux, on a aussi trouvé des truands comme les sont mieux nourries, car elles bénéficient
monotropes, un genre de plantes à fleurs, et certaines orchidées, d’un champignon qui est lui-même déjà bien
à l’instar de la néottie nid d’oiseau” (en photo), pointe Marc‑André nourri par les arbres adultes”, illustre Marc-
Selosse. Ces voleuses partagent un point commun : elles André Selosse.
ne sont pas chlorophylliennes – on les reconnaît ainsi à leur
couleur totalement blanche ou beige. Elles siphonnent DES RÉPONSES DE DÉFENSE SIMILAIRES
donc le produit de la photosynthèse des arbres voisins par Selon d’autres travaux, les plantes semblent
l’intermédiaire de leurs champignons communs pour survivre. se prévenir en cas de danger à travers ce
“Il y a aussi certaines espèces voisines de ces plantes qui sont réseau. “Cela a été montré en laboratoire
vertes mais, comme elles ne font pas beaucoup de photosynthèse, sur des plantes en pot et sur des plantules :
elles exploitent également le réseau, en complément”, lorsque l’une d’entre elles est attaquée, celles
note le spécialiste. Dans ce cas, ajoute‑t‑il, “on est bien loin qui lui sont connectées via des champignons
de toute forme de coopération, c’est même du vol qualifié !” communs déclenchent des réponses de
défense similaires”, continue le mycologue.
Sauf que… dans le cadre de la seule étude
certaines conditions, mais l’importance fonc- menée en situation forestière, il ne s’est rien
tionnelle reste encore à démontrer.” passé : les arbres autour de celui qui a été
Toutefois, il existe bien une forme de coo- attaqué n’ont pas réagi, comme s’ils n’avaient
pération indirecte. Lorsque deux plantes sont pas reçu d’alerte. Il n’y a donc pas de preuve
connectées au même champignon, elles ne que cela existe in situ en forêt.
lui fournissent pas forcément autant de sucre En somme, si l’existence même du réseau
et ne reçoivent pas non plus autant d’eau ni n’est pas remise en question, ses fonctions
de nutriments. “Il peut y avoir des cas où un continuent à questionner les chercheurs.
arbre paie beaucoup plus un champignon, “Comment interpréter que, parfois, une
mais se retrouve moins bien remboursé que plante transfère du sucre à une autre, voire
en alerte une autre, alors que les arbres sont
des machines infernales à compétition ?
Cela révèle la méconnaissance profonde
que nous avons de ce dispositif”, reconnaît
Marc-André Selosse. D’où l’importance de
poursuivre ces recherches, éminemment
difficiles à mener du fait de la fragilité des
filaments fongiques et racinaires. “Cela
nécessitera de sortir de cette vision centrée
sur la plante pour étudier davantage le cham-
pignon qui a tout autant d’existence dans
ce réseau, et sa propre logique évolutive”,
affirme le spécialiste. D’autant qu’à peine 5 %
des 5 millions d’espèces fongiques de notre
planète sont identifiées et répertoriées. Or,
elles pourraient bien être la clé du mystère.
“Et si c’étaient les champignons qui avaient
organisé une vaste escroquerie du point de
vue des plantes en faisant en sorte qu’elles
coopèrent pour qu’il en reste un maximum et
© ADOBE STOCK

qu’ils puissent ainsi multiplier les partenaires


afin de maximiser leurs chances de survie ?”
avance Marc-André Selosse.•

S&V Hors Série • 55


LES LIANES ONT
L’ADN BALADEUR
Courant chez les procaryotes, le mécanisme des
transferts horizontaux d’ADN chez les eucaryotes
est encore mal connu. Or, une nouvelle étude vient
de mettre en évidence la fréquence de ces transferts
entre les lianes et les arbres. PAR AMANDA SCHREPF
ertaines vieilles forêts sont un À l’origine de cette découverte, deux
laboratoire de génomique à ciel études précédemment menées par Moaine
ouvert et racontent des millions El Baidouri. Dans l’une, il a comparé le
d’années d’évolution. L’une génome de centaines de plantes afin d’iden-
d’entre elles vient de dévoi- tifier de possibles échanges d’ADN. “J’ai
ler un de ses secrets : la proximité physique remarqué que le kiwi [une liane, NDLR] avait
entre les plantes grimpantes et les arbres connu pas mal de transferts horizontaux
favoriserait des échanges d’ADN. Ce sont les avec des arbres au cours de son évolution”,
premières conclusions de l’étude* réalisée par explique le chercheur. Intrigué, il reprend les
des chercheurs de l’université de Perpignan, résultats d’une autre étude qu’il avait réalisée
au sein de la Réserve naturelle nationale de sur la vigne en 2014. Là encore des échanges
la forêt de la Massane et publiée dans Plos se sont opérés entre la vigne et les arbres qui
Génétics, en octobre 2023. les portent : citronnier, palmier, etc.
Les échanges de matériel génétique entre
deux espèces non apparentées sont connus et DOUZE TRANSFERTS HORIZONTAUX
portent le nom de transferts horizontaux, là où Pour confirmer cette hypothèse, les chercheurs
les transferts verticaux se réfèrent à l’hérédité ont décidé de travailler sur un écosystème
de gènes via la reproduction sexuée. Le méca- où la main de l’homme n’est pas intervenue
nisme de ces transferts horizontaux d’une depuis des années. Le choix s’est donc porté
© RÉSERVE NATURELLE NATIONALE DE LA FORÊT DE LA MASSANE (X2)

espèce donneuse à une espèce receveuse est sur la forêt de la Massane (en Occitanie), qui
encore mal connu chez les plantes, mais on est gérée depuis plus de cent cinquante ans
observe généralement que de tels échanges en libre évolution et où se côtoient plus de
se déroulent entre organismes ayant des liens 10 000 espèces différentes connues à ce
étroits, comme c’est le cas entre les parasites jour. Ils ont d’abord sélectionné 17 espèces
ou les symbiotes et leurs hôtes. Or, ici, “les dont 6 arbres, 4 lianes, 1 ronce, 2 herbacées,
lianes et les arbres semblent échanger leur 1 arbuste et 3 champignons. Les résultats
ADN, sans que l’on ait besoin d’avoir du para- des génomes séquencés ont confirmé les pre-
sitisme ou du symbiotisme. Cela n’avait pas mières études. “Nous avons identifié douze
été relevé auparavant”, remarque Moaine transferts horizontaux qui ne concernent
El Baidouri, chercheur CNRS au laboratoire majoritairement qu’une famille d’éléments
génome et développement des plantes, et
Le transfert d’ADN entre les lianes – ici du lierre
coauteur de l’étude effectuée dans le cadre en forêt de la Massane – et les arbres serait fréquent
de la thèse d’Émilie Aubin. et source essentielle de diversité génétique.

56 • S&V Hors Série


Comprendre

Les lianes et les


arbres semblent
échanger leur ADN,
sans que l’on ait
besoin d’avoir
du parasitisme ou
du symbiotisme
transposables connue sous le nom de rétro-
transposons à LTR [des séquences d’ADN qui
peuvent se déplacer, se multiplier et s’intégrer
dans le génome du receveur, NDLR]. Six de ces
transferts ont eu lieu entre une liane – le lierre
et le tamier – et un arbre [le frêne et le hêtre
pour le lierre, tandis que le tamier a échangé
avec plusieurs essences, NDLR]”, précise le
chercheur. Cette découverte garde sa part de
mystère en ce qui concerne son mécanisme :
comment est-ce que l’ADN peut être transféré
d’une espèce à une autre ? Et pourquoi ces
transferts semblent facilités entre les lianes
et les arbres ? “Il semblerait que ce soient les
lianes qui récupèrent l’ADN de l’arbre, mais
cela reste à confirmer”, souligne Moaine
El Baidouri, qui encadre un nouveau travail de
recherche afin de cartographier ces échanges.
Ce travail titanesque, où le génome de 12 lianes
a déjà été séquencé, montre l’importance de
préserver la biodiversité. “Ce que nous voyons
n’est que la partie émergée de l’iceberg, car
ces échanges sont sans doute beaucoup plus
fréquents et nombreux. Le fait d’évoluer dans
le même écosystème fait que les espèces
s’enrichissent mutuellement, y compris en
échangeant leur patrimoine génétique. Donc,
si l’on détruit leur écosystème, on impacte
leur évolution même en les privant d’une
source essentielle de diversité génétique”,
conclut le chercheur. •
* Genome-wide analysis of horizontal transfer in
non-model wild species from a natural ecosystem
reveals new insights into genetic exchange
in plants, Aubin E. et al., PLoS Genetics, oct. 2023.

S&V Hors Série • 57


!

Parole de
houppier
Les arbres sont capables de ans les années 80, des
scientifiques découvrent un
communiquer entre eux en phénomène stupéfiant : en

s’échangeant des informations par Afrique du Sud, des hordes


d’antilopes koudous en capti-
les airs à l’aide de composés vité dans des coins de savane
protégés ont commencé à mourir mystérieu-
organiques volatils. Mais le font-ils sement. C’est en trouvant des bovidés morts

“exprès” ? PAR LISE GOUGIS à côté d’acacias, ces arbres à la base de leur
alimentation, que des chercheurs de l’uni-
versité sud-africaine de Pretoria ont été mis
sur la piste d’un mécanisme de défense
chez les plantes. Leur expérience a révélé
que les acacias enrichissaient leurs feuilles
en tanins, des composés de la famille des
© ADOBE STOCK

phénols, au point de les rendre toxiques pour


les herbivores. Surtout, ils se sont aperçus
qu’après une agression, les arbres émettaient

58 • S&V Hors Série


Comprendre

qui alerte les arbres voisins non agressés,


et ceux-ci augmentent à leur tour de près
de 60 % leur production de tanins. Et c’est
efficace : les feuilles ainsi “préarmées”
subissent 20 à 40 % de dégâts en moins.

APPEL À DES GARDES DU CORPS


“C’est assez paradoxal, car les plantes
sont en compétition entre elles pour la
lumière. Or, avertir leurs compétiteurs,
c’est leur donner une chance de main-
tenir des feuilles là où elles viennent
justement d’en perdre, pointe Marc-
André Selosse, biologiste et professeur au
Muséum national d’histoire naturelle. Il sem-
blerait que ces avertissements entre végé-
taux ne soient pas volontaires, mais plutôt
des sous-produits de la façon dont la plante
des molécules volatiles, l’éthylène, qui préve- optimise le signal pour elle-même. Le meil-
naient les plantes voisines, déclenchant chez leur signal pour déclencher son système de
elles aussi la sécrétion de tanins, alors même défense dans les feuilles voisines de celles qui
qu’elles n’avaient pas été attaquées. sont attaquées, c’est le signal gazeux, autre-
La même chose a été observée en labo- ment cela mettrait trop de temps à remonter
ratoire par des biologistes américains sur dans les branches. Mais celui-ci peut alors
des saules et des aulnes. Attaqués par des être perçu par une plante voisine…”
centaines de chenilles, ils ont commencé Ces composés volatils organiques par-
à produire des substances rendant leurs viennent aussi aux animaux. Les plantes
feuilles indigestes. Et leurs voisins sains,
qui n’étaient pas en contact racinaire avec
eux, ont dégainé les mêmes défenses
chimiques. Les peupliers aussi réa-
gissent après une agression en
doublant la teneur en tanins de
leurs feuilles. Ils libèrent éga-
lement de l’éthylène

S&V Hors Série • 59


Face à l’appétit des antilopes koudous, les acacias disposent d’une
arme chimique de défense redoutable : des tanins toxiques dont ils les chercheurs ont ainsi pu voir au micros-
vont enrichir leurs feuilles. cope que ces plants déclenchaient d’abord
une réponse dans les cellules de garde de
peuvent ainsi faire appel à des gardes du leurs stomates (les petits orifices par les-
corps pour leur prêter main-forte. Des cher- quels les plantes réalisent leurs échanges
cheurs de l’université libre de Berlin l’ont gazeux), suivie d’une augmentation de la
montré avec des mésanges dans des travaux production de certaines expressions géné-
publiés en 2020. Ces oiseaux insectivores tiques de défense.
se montraient davantage attirés par des Ce monde invisible est donc d’une grande
branches de pin récemment attaquées par complexité, avec des messages de toutes
des larves de tenthrèdes, dont elles raffolent,
alors que les insectes ne s’y trouvaient plus.
Mais elles percevaient le signal de détresse
encore émis par l’arbre. Et cela n’intervient
pas qu’en cas de danger : “Les arbres commu-
niquent de la même façon avec leurs pollinisa-
teurs”, fait remarquer Martin Volf, biologiste
© TILO GRELLMANN/ADOBE STOCK - RODRIGO ARANGUA / AFP

à l’Académie tchèque des sciences.


Reste une question : comment les plantes
font-elles pour capter ces messages ? Pour
le savoir, des chercheurs japonais de l’uni-
versité de Saitama, dans une étude publiée
en 2023, ont mis les plantes… sur écoute ! Ils
ont modifié génétiquement des plants d’Ara-
bidopsis thaliana, une fleur de la famille de
la moutarde, afin de rendre fluorescente la
signalisation calcique, autrement dit leur
réponse à des composés organiques volatils.
En les exposant à des messages chimiques,

60 • S&V Hors Série


Comprendre

Les signaux de défense des plantes seraient essentiellement gazeux


et émis via les cellules de garde des stomates (à droite), des petites ces mêmes spécificités chez d’autres espèces.
cellules en forme de croissant qui facilitent les échanges gazeux. C’est vraisemblablement lié à la composition
de la salive des herbivores, qui diffère.” Le
sortes qui se télescopent. “Ce qui est fasci- chercheur suspecte aussi que cette forme
nant avec ces composés organiques volatils aérienne de communication varie d’un éco-
permettant aux plantes de communiquer, système à l’autre. “Notre prochain objectif
c’est qu’ils sont très spécifiques. Par exemple, sera d’explorer comment elle change d’un
les saules émettent différents médiateurs arbre à l’autre, selon qu’il se trouve en plaine
chimiques selon l’herbivore qui les attaque, ou en altitude, sous les tropiques ou à de plus
développe Martin Volf. Nous avons retrouvé hautes latitudes.” •

LES ARBRES SONT-ILSTIMIDES OU SNOBS?


© VALERY PROKHOZHY/ADOBE STOCK - DENNIS KUNKEL MICROSCOPY/SPL

Si on lève les yeux au ciel lors d’une Muséum national d’histoire naturelle. étude menée par des biologistes de
promenade en forêt, il n’est pas Celles-ci ne résisteraient pas aux l’université Austin, au Texas, parue
rare d’observer dans la canopée des frottements engendrés par les vents. en 2023. Dans la forêt tropicale de
interstices de plusieurs centimètres Selon une autre hypothèse, il l’île Barro Colorado (photo), située
entre les cimes des arbres, appelés pourrait aussi s’agir d’une forme de dans le lac artificiel Gatun du canal
“fentes de timidité”. Voilà près d’un distanciation sociale, notamment pour de Panama, ils ont montré, grâce à un
siècle que le phénomène intrigue les éviter la propagation de maladies et modèle informatique, l’existence
chercheurs, mais il n’a pas encore d’insectes dépourvus d’ailes, ou pour d’un phénomène de répulsion entre
trouvé d’explication définitive. “Cela laisser passer la lumière, essentielle les arbres d’une même espèce. Et
pourrait être purement mécanique chez à la photosynthèse et à la survie des ce, à des distances allant jusqu’à
les espèces dont les petites branches plantes les plus basses. Cela pourrait 100 m, soit bien au-delà du rayon
sont plus fragiles à la cassure que encore être un moyen de maintenir de dispersion naturelle des graines.
chez d’autres”, avance Marc-André une plus grande biodiversité au sein De quoi assurer la coexistence de
Selosse, biologiste et professeur au des forêts, comme le suggère une plusieurs essences différentes.

S&V Hors Série • 61


Photosynthèse,
une affaire
quantique ?
Le débat fait rage entre promoteurs d’une interprétation
quantique de la photosynthèse et tenants d’une
explication physique classique. Si ces derniers ont
l’avantage, le dossier n’est pas clos. PAR EVRARD-OUICEM ELJAOUHARI
a photosynthèse est redouta- elle ne peut être expliquée sans invoquer la
blement efficace. Lorsqu’une mécanique quantique, qui décrit la physique
particule de lumière est captu- à ces échelles. Dans cette théorie, les élec-
rée par une plante, son énergie trons ne peuvent pas avoir n’importe quelle
est utilisée presque à tous les énergie : elle est quantifiée. Si le système
coups ! Si un tel exploit est possible, c’est que est dans son état fondamental, les électrons
le transfert de l’énergie emmagasinée par ce occupent l’état d’énergie le plus bas. Le pre- Selon certains
chimistes,
grain de lumière jusqu’au centre réactionnel mier état d’énergie plus élevé, dit état excité, l’hypothèse
– où s’enclenche la transformation en énergie est séparé de l’état fondamental par une veut que
l’énergie des
chimique – se fait sans quasiment aucune quantité d’énergie bien définie. particules
perte. Face à un tel rendement, une question de lumière
s’est posée : n’y a-t-il pas une raison quan- QUAND LA CHLOROPHYLLE S’EXCITE soit transmise
par vagues
tique à cela ? En effet, les rares phénomènes Un électron de l’état fondamental peut donc au sein des
chloroplastes
qui transportent aussi sûrement l’énergie le occuper l’état excité si, et seulement si, il
(photo) grâce
font grâce aux règles qui régissent l’infini- absorbe une quantité d’énergie exactement à la cohérence
ment petit. En serait-il de même au sein des égale à celle qui les sépare. Et c’est juste- quantique.

végétaux ? En 2007, une étude apporte une ment ce qui se passe au sein des plantes :
réponse : oui, la photosynthèse est quan- lorsqu’un photon est capturé, ce dernier
tique ! “C’était un moment exceptionnel”, se a l’énergie nécessaire pour faire passer
remémore encore Michael Thorwart, physi- l’électron d’une chlorophylle de son état
cien à l’université de Hambourg. Depuis lors, fondamental à son état excité. Et c’est cette
cette affirmation extraordinaire n’a cepen- énergie d’excitation, appelée exciton, qui est
dant eu de cesse d’être nuancée. ensuite transférée de chlorophylle en chloro-
© MAREK MIS/SPL

Puisque la photosynthèse implique des phylle jusqu’au centre réactionnel.


particules de lumière (les photons) et des Or, une chlorophylle ne reste pas plus de
molécules (les chlorophylles, entre autres), deux nanosecondes dans son état excité. Le

62 • S&V Hors Série


Comprendre

transfert de l’exciton jusqu’au centre réaction- quantiques. Sauf que pour fonctionner, de
nel doit donc se faire encore plus rapidement, telles machines et leurs qubits (les supports
et ce avec un rendement de près de 100 % ! de l’information) doivent être refroidis à des
Difficile d’imaginer un quelconque processus températures proches de zéro, sous vide, dans
classique autorisant une telle prouesse. Des des environnements ultracontrôlés, car les
chimistes se sont alors hasardés à avancer états quantiques sont extrêmement fragiles :
l’idée suivante : c’est la cohérence quantique à la moindre perturbation, ils s’effondrent et
qui l’autorise. En d’autres termes, les fonc- perdent leur “quanticité”. Pour les y maintenir,
tions d’onde qui décrivent les états d’exci- il faut donc les isoler le plus possible de leur
tation des chlorophylles seraient comme environnement. Comment une simple plante
synchronisées. “Ainsi, au lieu de sauter de pourrait-elle faire fi de toutes ces précautions ?
site en site comme une balle de ping-pong, Comment maintiendrait-elle une cohérence
l’énergie serait transmise comme une vague, quantique suffisamment longtemps pour
image Graham Fleming, chimiste à l’univer- transmettre efficacement l’énergie, quelles que
sité de Berkeley, en Californie. Toutes les soient la température et le taux d’humidité ?
voies pour transmettre l’énergie pourraient Et pourtant, c’est bien ce qu’ont montré les
alors être explorées en une fois, rendant le différentes expériences de Graham Fleming et
processus bien plus efficace.” de ses collaborateurs à partir de 2007 : à tem-
C’est ce même principe qui est exploité dans pérature ambiante, il y a cohérence quantique
les algorithmes de recherche des ordinateurs entre les états électroniques. De plus, celle-ci

S&V Hors Série • 63


Une alchimie
Chez les organismes autotrophes,
la photosynthèse se produit, la plupart
du temps, au niveau des cellules
internes de la feuille, le mésophylle
foliaire. La lumière du soleil (flèche
jaune) reçue par les chloroplastes
(les cellules chlorophylliennes),
le CO2 (flèche rouge), absorbé par
les stomates, et l’eau (flèche bleue)
captée par les racines vont permettre
de synthétiser la matière organique.
Il en résulte la production de glucose
(flèche violette), à la base de la sève
élaborée, et d’oxygène (flèche
blanche). Ce dernier est rejeté le soir
au cours de la respiration cellulaire.

est maintenue environ 2 picosecondes. Ce qui Après l’euphorie est donc venu le scepti-
est donc, comme attendu, moins que le temps cisme. Théoriciens à leurs bureaux et expé-
de vie d’un exciton et exactement l’échelle de rimentateurs sur leurs paillasses se sont
temps sur laquelle s’effectue le transfert. Elle échinés à ausculter les chlorophylles et le
pourrait donc bel et bien expliquer son efficacité. comportement de leurs excitons. Entre 2011
“C’était fou ! On parle de qubits biologiques, et 2020, des résultats de plus en plus robustes
comme si les plantes étaient des ordinateurs sont publiés. Et le couperet est tombé : “On
quantiques naturels, s’enthousiasme encore a clairement montré que la cohérence électro-
Michael Thorwart. Certains voyaient déjà les nique n’est pas de 2 picosecondes, mais de
découvreurs être récompensés d’un Nobel.” 60 femtosecondes, ce qui n’est donc pas suf-
fisamment long pour transporter l’énergie”,
DÉBUT DES CRITIQUES tranche Dwayne Miller, chercheur à l’univer-
Par la suite, de nombreux résultats ont appuyé sité de Toronto. Cette dernière ne surferait
les travaux de Graham Fleming… “Puis les cri- donc pas sur une vague quantique jusqu’au
tiques sont arrivées”, coupe court le chimiste. centre réactionnel, mais y sauterait bien
Les données expérimentales montrent bien comme une balle de ping-pong. Dont acte.
l’existence de battements, tels qu’on pourrait Pourtant, ce n’est pas exactement la fin de
les voir avec des objets qui oscillent à l’unis- l’histoire : “Car l’énergie des excitons est du
son. Mais est-ce que ce sont bien les fonctions même ordre de grandeur que celle des vibra-
d’onde qui battent ainsi en phase ? “Ce que tions moléculaires. Celles-ci maintiennent
l’on voit, c’est un signal qui oscille”, décrit donc les états excités cohérents un peu plus
Elisabet Romero, chimiste à l’Institut català longtemps, révèle Elisabet Romero. Il n’y
d’investigació química (Iciq), en Espagne. a pas de cohérence quantique au sens strict,
“Ensuite, c’est de l’interprétation.” Et si celle- mais c’est tout de même un état mixte : élec-
ci n’était pas bonne ? En effet, des objets qui tronique et vibratoire.” “La manière dont la
© CLAUS LUNAU/SPL

vibrent, les photosystèmes n’en manquent nature a réussi à optimiser ce transfert d’éner-
pas. À commencer par toutes les molécules qui gie est remarquable, médite Graham Fleming.
les constituent. “Et ces vibrations aussi sont Voir à quel point les végétaux sont sophisti-
cohérentes”, pose Michael Thorwart. qués pousse vraiment à l’humilité.” •

64 • S&V Hors Série


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Des Australiens assistent à la progression


d’un gigantesque feu de broussailles
près de Bargo, bourg de Nouvelles-
Galles du Sud, le 19 décembre 2019.
66 • S&V Hors Série
S&V Hors Série • 67
Un trésor
sous haute
surveillance
Une flotte de satellites ausculte jour et nuit les forêts
de notre planète. Elle permet d’évaluer en temps réel
l’état de la végétation, sa capacité à stocker le carbone,
et les dégâts infligés par les incendies. PAR ADRIEN DENÈLE
otre Planète bleue est aussi… ou privés, comme l’Envisat européen, le
très verte ! Ses mangroves, Daichi-2 japonais et des engins chinois ou
forêts et canopées sont bien indiens. Les données recueillies touchent
visibles depuis l’espace. Un tous les domaines : suivi des hauteurs des
poumon dont la respiration forêts, densités de population, reforestations
est indispensable à la vie sur Terre. Les ou déforestations, incendies en temps réel,
scientifiques l’étudient avec attention depuis à l’aide de technologies toujours plus perfor-
cinquante ans, plus précisément depuis le mantes. Des images en couleurs, mais surtout
23 juillet 1972 et le lancement du satellite de l’invisible : données altimétriques, impul-
Landsat : cet ambitieux programme d’obser- sions laser Lidar ou échos radars de surface.
vation de la Terre est alors mis en œuvre Pourtant, ces satellites constituent, eux aussi,
par l’agence spatiale américaine, la Nasa, et un écosystème à protéger. Plusieurs projets
l’Institut des études géologiques des États- américains ont failli perdre leur financement
Unis (USGS). Huit satellites seront placés en en 2018 sous l’impulsion de Donald Trump.
orbite de 1972 à 2021 avec le lancement de Heureusement, d’autres sont en route,
Landsat 9 (Landsat 6 échoue en 1993). Ils ont comme l’Européen Biomass ou le Canadien
été rejoints par d’autres satellites nationaux WildFireSat, pour assurer la relève.

SOUS LE REGARD DE BIOMASS


C’est l’avenir de la surveillance forestière : ce satellite d’observation européen sera capable de discerner
jusqu’au tronc des arbres, là où ses prédécesseurs s’arrêtent à leurs cimes. Cela grâce à son radar
à synthèse d’ouverture en bande P [la plus grande longueur d’onde radar, NDLR], du jamais vu dans l’espace.
Il s’agit d’un large réflecteur de 12 m de diamètre, déplié comme un parapluie (vue d’artiste, ci-contre).
Il permettra à Biomass de se focaliser sur la fréquence visée de 6 MHz, afin d’obtenir, pour la première
fois, la masse totale des arbres sur Terre – autrement dit la biomasse. Cette donnée permettra d’affiner
les modèles climatiques, notamment pour le calcul du stockage du carbone dans les forêts tropicales.
Mais ce programme d’un budget de 450 millions d’euros a pris du retard : prévu initialement en 2020, le
lancement n’aura lieu, au mieux, qu’en 2024, depuis le site (très forestier) de Kourou en Guyane française.

68 • S&V Hors Série


Surveiller

© ESA

S&V Hors Série • 69


TANDEM-X ÉVALUE
L’ÉLÉVATION DES
MANGROVES
Cette image très colorée met en lumière une forêt de mangrove
à la frontière entre le Bangladesh et l’Inde. Elle a été obtenue
à partir de données du satellite allemand TanDEM-X et de son
© ESA - Jeff Schmaltz/MODIS Rapid Response Team / NASA GSFC

radar haut de gamme à synthèse d’ouverture. Lancé en 2010,


cet instrument a permis de tester une nouvelle technologie
reposant sur la combinaison de techniques d’interférométrie
(utilisées par exemple pour observer les atmosphères de planètes)
et de polarimétrie (une variation de l’onde lumineuse). Le résultat
permet ici d’obtenir la hauteur des arbres de la mangrove.
En rouge : les arbres de 15 m et plus. En vert, ceux dont l’altitude
est comprise entre 6 m et 10 m. En bleu, les arbres les plus bas,
y compris ceux qui sont à peine plus hauts que le niveau de
la mer. Une information importante pour le suivi de la biomasse
des mangroves. Ces données ouvrent la voie au futur lancement
du satellite Biomass, qui sera doté d’un radar encore plus performant.

70 • S&V Hors Série


Surveiller

GEDI ET L’ISS
CARTOGRAPHIENT
LA CANOPÉE
Les astronautes peuvent observer la Terre par le hublot de la Station spatiale
internationale (ISS), mais aussi analyser ses forêts à l’aide d’un instrument très
performant : Gedi, pour Global Ecosystem Dynamics Investigation, installé sur
le module scientifique japonais Kibo, grâce à un lancement sur une Falcon 9
en décembre 2018. Il s’agit d’un système Lidar : une télémétrie basée sur les
impulsions de trois lasers, capables de tirer 242 fois par seconde sur une surface
de 25 m. Cette précision lui permet de cartographier les hauteurs des forêts
et canopées de la Terre, ainsi que leurs structures verticales. Objectif : mieux
comprendre l’impact de la déforestation sur les concentrations atmosphériques
de CO2 dans l’air. Sa mission, de deux ans au départ, a été prolongée. Les
scientifiques doivent à présent étudier les données récoltées par l’instrument.

TERRA ET AQUA
SUIVENT LES INCENDIES
Vues du ciel, les flammes sont si petites qu’elles ne représentent
qu’un pixel, à la différence des larges panaches de fumée qu’elles
propagent, comme ici, lors de l’incendie du 26 juin 2011 dans
le nord-est du Canada. L’image provient des satellites de la Nasa
Terra et Aqua, et notamment de leur spectroradiomètre Modis.
Ces clichés permettent un suivi de l’évolution des feux de forêt,
parfois en temps réel selon la couverture des satellites, sur
des résolutions de 1 km. D’autres instruments, comme VIIRS
ou Landsat, atteignent 30 m de résolution. Ces données sont
visibles sur le site de la Nasa Firms – pour Fire Information
for Resource Management System –, lequel aide les autorités
à suivre l’évolution des incendies. Hélas, ces informations
arrivent parfois trop tard, et des pays comme le Canada, qui
souffre de feux de forêt de plus en plus fréquents, comptent
se doter de satellites dédiés à la surveillance incendie plus
performants. Ce sera le cas en 2029 avec le lancement
© NASA

de WildFireSat par l’agence spatiale canadienne.

S&V Hors Série • 71


SENTINEL
TÉMOIGNE DE LA
DÉFORESTATION
L’étalement urbain, devenu incontrôlable,
a des conséquences dramatiques pour la forêt
et la biodiversité. Autrefois difficiles à mesurer, celles-ci
sont désormais étudiées grâce aux cartes établies
par satellite. Le programme d’observation de l’Union
européenne Copernicus, lancé en 2014, utilise
six satellites Sentinel pour anticiper les conséquences
du changement climatique. Ici, une image
de déforestation tirée de Sentinel 2. Ce satellite est
intégré au service mondial de surveillance des forêts
Starling, pour lequel sont aussi utilisées les données
collectées par Landsat-8 de la Nasa. Les satellites
Sentinel succèdent à Envisat, instrument d’observation
lancé par l’agence spatiale européenne (Esa)
en mars 2002. Paradoxe pour ce satellite si utile
à l’étude et la protection de l’environnement,
il est devenu, depuis sa fin de mission en 2012,
le plus gros “débris spatial” actuel à la suite d’une
défaillance empêchant son désorbitage.

LE LIDAR MODÉLISE NOS FORÊTS


Les couleurs reflètent ici l’élévation bases de données, souvent accessibles géographique et forestière (IGN)
des arbres : en vert les plus petits, au public, permettent aux localités va utiliser cette technologie pour
en rouge ceux qui surplombent ou aux chercheurs de connaître avec modéliser l’ensemble des forêts (hors
la forêt. Elles sont issues de précision la répartition des arbres Guyane) en 3D d’ici à fin 2025. Cela
données Lidar (des tirs laser, depuis au sein d’une forêt, d’en identifier permettra de connaître le captage
© ESA - DOS-SANTOS, M.N., AND M.M. KELLER, LIDAR DATA FOR FORESTED AREAS IN PARAGOMINAS

un satellite ou un survol en avion), les différentes espèces ou de suivre du carbone à proximité des villes,
qui permettent de créer des modèles les déforestations. En France, de prévenir de futurs incendies
en 3D. Ces cartes compilées dans des l’Institut national de l’information et d’améliorer l’accès aux sentiers.

72 • S&V Hors Série


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Mégafeux
Le bestiaire
des nouveaux
© LYDIA VERO/ SHUTTERSTOCK

74 • S&V Hors Série


monstres
Surveiller

Attisés par le réchauffement


climatique, les feux de forêt se
transforment de plus en plus
souvent en mégafeux, des titans
dévastateurs et incontrôlables.
Revue de détail. PAR MATHIAS CHAILLOT

ans la littérature scientifique, la notion de


mégafeu fait débat, mais tout le monde
s’accorde sur un point : sa virulence est hors
du commun. Sa puissance est supérieure
à 10 000 kW/m sur la ligne de front – intensité
au-delà de laquelle les pompiers considèrent qu’il devient
incontrôlable. Sa vitesse de propagation est supérieure
à 50 m/min, ses flammes sont hautes (plus de 10 m) et il peut
se diffuser par sauts (au-delà de 1 km). Il détruit de larges
surfaces, même si les échelles varient fortement. Enfin, il est
directement lié au changement climatique, lequel favorise
les conditions nécessaires à son apparition : une sécheresse
importante, de fortes vagues de chaleur et des vents forts.
Ne représentant que 3 % des incendies, les mégafeux sont
responsables de plus de 50 % des superficies brûlées à cause
des phénomènes météorologiques auto-induits.

À Varympompi, dans la banlieue d’Athènes, un vaste


incendie dévorant villas et bosquets de pins le
3 août 2021 donne naissance à un pyrocumulus.

LES PYROCUMULUS
Cellule convective simple formée (le “champignon atomique” est lui On atteindra moins vite la taille cri-
dans une atmosphère instable, le aussi un pyrocumulus). Grâce à tique pour former des gouttes de
cumulus apparaît quand, sous l’ef- l’énergie thermique du feu qui va pluie”, détaille Solène Turquety,
fet de la chaleur, l’air proche du sol soulever l’air plus haut, le pyrocu- professeur de physique et chimie
se dilate et entame un mouvement mulus requiert moins d’humidité, de l’atmosphère à la Sorbonne,
vertical. En atteignant les strates car il se condense plus facile- qui analyse les conséquences des
plus froides en altitude, la vapeur ment. La vapeur ayant besoin de mégafeux. Certains types de pyro-
se condense, forme un nuage, et noyaux pour s’agréger et former cumulus peuvent aussi couper le
le courant entame un mouvement les gouttelettes, les nombreuses rayonnement solaire et, en créant
descendant en périphérie. Son cou- particules en suspension dans le une zone couverte et une zone
sin le pyrocumulus (officiellement nuage de fumée en font un phé- ensoleillée attenantes, entraîner
nommé “cumulus flammageni- nomène courant. Et ce sont ces un régime de brise : en s’élevant,
tus”) se forme dans les mêmes mêmes particules qui l’empêchent l’air de la partie chaude crée un
conditions, mais à partir d’une souvent de déclencher une pluie : appel d’air venant de la région plus
source de chaleur de haute inten- “Comme il y en a beaucoup en froide, attisant le feu. En moins
sité comme les volcans, les incen- suspension, cela veut dire plus de d’une heure, un pyrocumulus peut
dies… ou les explosions nucléaires noyaux de condensation possibles. ainsi créer son propre microclimat.

S&V Hors Série • 75


LES PYRO-
CUMULONIMBUS
De la même façon qu’un cumulus peut devenir nouveaux départs de feu. Au niveau du sol,
un redoutable cumulonimbus, le pyrocumu- les mouvements ascendants/descendants
lus peut aussi prendre sa forme orageuse : le rendent les vents de surface erratiques, pou-
pyrocumulonimbus. Pour Solène Turquety, vant faire changer les flammes de direction
“si l’atmosphère est particulièrement ins- et provoquer des sauts de feu. Lors du “Black
table, tous les ingrédients du pyrocumulo- saturday”, un incendie australien particuliè-
nimbus sont réunis. En hauteur, des cellules rement violent en 2009, les braises emportées
de convection se mettent en place, donnant à par le panache convectif ont déclenché des
la fois un mouvement ascendant et descen- incendies 33 km devant la ligne de front.
dant, accélérant le vent de surface. Avec un Enfin, comme tout nuage d’orage, le pyro-
soulèvement très rapide, on obtient la for- cumulonimbus peut être à l’origine de rafales
mation d’un système équivalent à un orage, descendantes : quand les différences de tem-
avec des gouttelettes d’eau et de glace dans pérature restent importantes et que le cou-
la partie supérieure”. Résultat : un nuage rant ascendant n’est plus assez fort, le volume
blanc au sommet d’une colonne brun-gris d’air humide s’effondre brutalement. C’est
chargée de suie et de fumée (photo ci-des- en atteignant le sol à grande vitesse qu’il
sus). Et là encore, inutile d’attendre la pluie. crée des rafales dans toutes les directions.
Même si les gouttelettes atteignent la taille En juin 2017 au Portugal, une rafale descen-
nécessaire, l’air sec va absorber l’humidité et dante aurait coûté la vie à 47 personnes sur
© BROOK MITCHELL / GETTY/AFP

la chaleur de l’incendie va faire s’évaporer les une route restée ouverte, car jugée en dehors
dernières molécules d’eau avant qu’elles ne de la zone à risque. Quant à l’incendie de
touchent le sol. Plus haut, en revanche, la col- Spark Lake (Canada) en 2023, il a généré une
lision des particules de glace charge le nuage tempête étendue sur une surface de 160 km2
en électricité et peut provoquer des éclairs et envoyé des panaches de fumée à plus de
sur des dizaines de kilomètres, à l’origine de 16 km d’altitude.

76 • S&V Hors Série


Surveiller

LES FUMÉES
STRATOSPHÉRIQUES
“Le panache lié à la combustion de la biomasse Administration américaine affirmaient dans
comporte énormément de particules fines, de Science que 10 à 25 % du carbone suie qui gravite
gaz et de vapeur d’eau. Dans ces situations dans les couches basses de la stratosphère pro-
convectives, le nuage peut continuer à se sou- vient de pyrocumulonimbus. Les traces des feux
lever tant qu’il ne retrouve pas une situation de l’été 2020 aux États-Unis ont été détectées
stable. Pour les feux les plus intenses, cela en septembre au-dessus de la France, et celles
intervient très haut, parfois au niveau de la du “Black summer” australien (incendies de
tropopause – la barrière dynamique entre la 2019-2020) visibles pendant plus d’un an. C’est
troposphère et la stratosphère –, voire au- la première fois qu’on étudiait les conséquences
delà”, précise Solène Turquety. d’une montée des fumées dans la stratosphère
Conséquence, les mégafeux changent la moyenne, avec notamment une diminution du
dynamique des particules polluantes en les taux d’ozone ou de dioxyde d’azote, entraînant
diffusant de manière plus large. “Une fois une perturbation de la chimie de l’ozone.
dans la stratosphère, elles peuvent y rester
des mois et faire le tour du monde”, sou-
En janvier 2020, les mégafeux ravagent le sud-est de l’Aus-
ligne la chercheuse. En 2023, des équipes tralie. La fumée dégagée atteint de très hautes altitudes.
de la National Oceanic and Atmospheric Sur ce cliché satellite, recouvre la Nouvelle-Zélande.

© GEOPIX/ALAMY/HEMIS.FR

S&V Hors Série • 77


LES TOURBILLONS LES PYROTORNADES
DE FEU Comme les tornades, les pyrotornades se for-
À ne pas confondre avec les “tornades de feu”, ment sous des nuages d’orage. Si les courants
les tourbillons de feu sont des phénomènes cou- verticaux rencontrent des vents cisaillants
rants pouvant apparaître avec des feux de basse horizontaux alors que le pyrocumulonimbus
intensité. Ils se forment de la même manière que se gonfle, ce dernier se met à tourner sur lui-
les tourbillons de poussière, depuis le sol, quand même. Le feu entretient ses courants ascen-
l’air chaud en ascension se met en rotation sous dants, le nuage ses courants descendants, et le
l’effet de vents cisaillants ou d’irrégularités de ter- phénomène s’accélère. À ce jour, seules deux
rain. En quelques secondes à quelques dizaines “vraies pyrotornades” ont été documentées.
de minutes, ils peuvent être responsables d’une La première apparaît en 2003 lors de l’incendie
élévation des flammes, du renforcement de leur australien de la région de Canberra. Après plu-
puissance, de projections de débris enflammés et sieurs jours de feu continu, les nuages forment
de déplacements imprévisibles. des cellules hautes de 10 km. Avec des vents
horizontaux de 250 km/h, des vents verticaux
à 150 km/h et une largeur d’un demi-kilo-
Le 16 août 2021, un tourbillon de feu menace Janesville,
en Californie, au cours du gigantesque incendie “Dixie”. mètre, la tornade de feu atteint une intensité
© JUSTIN SULLIVAN/GETTY/AFP

78 • S&V Hors Série


Surveiller

de niveau EF-2 à EF-3 (sur une échelle de 0 à 5)


capable de soulever des voitures, dessinant
près de la capitale une cicatrice de 20 km.
C’est un phénomène similaire qui se pro-
duit en 2018 en Californie, lors du Carr Fire :
le pyrocumulonimbus généré par l’incendie
double de taille pour atteindre 12 km de haut
en 30 minutes. En montant, le nuage com-
mence à tourner, les masses d’air ascendantes
et descendantes entrent en rotation à leur tour
et le vortex accélère à 64 m/s. Mais contraire-
ment à sa cousine de Canberra, il n’a jamais
été prouvé qu’elle était rattachée à la base du
nuage, ce qui fait dire à certains chercheurs
qu’elle ne peut pas être considérée comme une
réelle pyrotornade. Il s’agit malgré tout du plus
puissant événement de type tornade jamais
enregistré dans l’histoire de la Californie. •
À NOUVELLES
MENACES, NOUVEAUX
MOYENS DE LUTTE
“Avec le développement ligne de front afin de brûler
urbain et l’augmentation des tout le combustible disponible.
températures, nous allons y être “Ça ne marche pas partout ni
de plus en plus confrontés et dans toutes les conditions, mais
sur des saisons plus longues”, le feu peut lutter contre lui-
prévoit le lieutenant- même sans mettre en danger
colonel Marc Dumas, chef nos équipes.”
de groupement opérations Malgré le doublement des
au Service départemental capacités de stockage d’eau
d’incendie et de secours des camions, maintenant
des Bouches-du-Rhône. En jusqu’à 13 000 litres, les
prévention, l’aménagement solutions techniques
du territoire reste essentiel. atteignent vite leurs limites.
Le retour du pastoralisme “Sur des mégafeux, leur
et de l’agriculture pourrait efficacité est mise à mal,
contribuer à créer des barrières car la puissance thermique
antifeux. Même si “certaines fait s’évaporer l’eau avant
cultures, pour économiser qu’elle ne touche le sol.” En
l’eau, préconisent de ne pas Corse, les sapeurs-pompiers
débroussailler. L’ambition est expérimentent des tanks
louable, mais on constate que lanceurs d’eau (photo ci-
ça crée des continuités pour le dessus), aux capacités de
feu”, regrette Marc Dumas. franchissement quasi illimitées.
Le feu devenu incontrôlable, Pourtant, bien souvent, la
© C.GIUGLIANO / FTVIASTELLA

les pompiers recourent parfois meilleure solution reste…


à des méthodes ancestrales le retrait. “Car une fois sur
comme le feu tactique, des feux de très forte intensité,
pourtant abandonné au cours la lutte est inefficace”,
du XXe siècle : allumer un reconnaît le lieutenant-colonel
nouveau foyer en aval de la Marc Dumas.

S&V Hors Série • 79


© VALENTINO BELLONI/HANS LUCAS

80 • S&V Hors Série


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Une forêt
brûlée peut-
elle repousser
toute seule ?
Que se passe-t-il après un incendie ? Vaut-il mieux
laisser faire la nature, ou lui donner un
“coup de pouce” ? Réponse au cas par cas. PAR RIVA BRINET-SPIESSER

ans les forêts de Gironde, à l’Office national des forêts (ONF). De façon
dévastées par les flammes lors générale, les incendies sont dévastateurs :
des incendies de l’été 2022, en région méditerranéenne, on estime qu’il
des chercheurs tentent de faut en moyenne trente ans pour retrouver
repérer les pins maritimes un aspect forestier et plus d’un siècle pour
encore en vie. Ceux ravagés par des feux de retrouver une forêt mature. Mais la forêt
sol sont pour la plupart condamnés, mais pour fait souvent preuve d’une capacité de rési-
les autres, tout n’est pas perdu : la vitalité des lience étonnante. Dans les régions méditer-
cellules du tronc – phloème et cambium – reste ranéennes habituées aux flammes, certaines
bonne dès lors que moins de 75 % de la cou- espèces, dites pyrophiles, savent tirer béné-
ronne est brûlée, laissant espérer une reprise fice du feu. C’est le cas du pin d’Alep mature,
possible *. Avec ces indicateurs, les forestiers dont la résine contenue dans les cônes fond
agissent de façon ciblée sur les seuls arbres avec la chaleur : les écailles explosent et
condamnés et laisseront les autres reprendre. libèrent les graines, assurant ainsi le main-
“Notre doctrine consiste d’abord à observer la tien de l’espèce. “Le pin d’Alep garde le feu
manière dont l’écosystème se remet du trau- en mémoire, s’enthousiasme Bruno Teissier
matisme, puis à l’accompagner dans sa régé- Du Cros, expert en défense des forêts contre
nération naturelle”, affirme Julien Bouillie, les incendies à l’ONF pour le Var et les Alpes-
directeur adjoint forêts et risques naturels Maritimes. Plus il est exposé, plus les pousses
des cônes sont nombreuses.” Le chêne-liège,
lui, résiste aux flammes grâce à son écorce en
Quelques mois après avoir été la proie des
flammes, en 2022, une forêt de Gironde se remet liège qui joue le rôle d’isolant thermique – si
de l’incendie, dont elle porte encore les stigmates. bien que de premières branches vertes appa-
Les pins maritimes ont ici plutôt bien résisté.
raissent en à peine une semaine. “Son but est

S&V Hors Série • 81


de réagir plus vite que ses concurrents et de
redevenir dominant une fois le feu passé”,
reprend l’expert. Quant à l’arbousier, s’il brûle
totalement, ses solides racines lui permettent
de puiser dans les réserves du sol. “Lorsque
l’on revient trois mois après, les arbousiers
mesurent 30 centimètres. La forêt est extrê-
mement puissante pour réagir après un feu.
Dans 95 % des cas, il faut laisser la nature
refaire sa vie ; au mieux, nous lui donnons un
coup de pouce en protégeant le sol avec des
branchages qui évitent l’érosion et facilitent
l’infiltration de l’eau.”
De récentes études ** de l’Institut natio-
nal de recherche pour l’agriculture, l’ali-
mentation et l’environnement (Inrae) et du
Commissariat à l’énergie atomique (CEA)
étayent notre connaissance de l’adaptation
des espèces aux incendies. En comparant la
biomasse avant et après les mégafeux qui ont
ravagé la forêt australienne en 2019 et 2020,
La résistance de certaines espèces est hors du commun : ravagés par
“nous constatons qu’en un an, la quasi-tota-
des mégafeux en 2019 et 2020, les eucalyptus d’Australie ont
lité des stocks de carbone a été récupérée. retrouvé une partie de leur feuillage dans les mois suivant l’incendie.
Les eucalyptus, habitués au feu, sont repar-
tis très vite”, estime Jean-Pierre Wigneron, Plus les feux sont longs et intenses, plus
directeur de recherche au centre Inrae ils pénètrent dans les sols, au risque de les
Nouvelle-Aquitaine Bordeaux, qui a contri- déstructurer. “On observe alors une perte
bué à ces études. À l’inverse, dans les forêts de la fertilité et une régression biologique
boréales dont l’exposition aux flammes est de l’écosystème. Le sol est une composante
plus récente, en raison de l’augmentation essentielle de la capacité de la forêt à se
des sécheresses, “les stocks de biomasse reconstituer”, remarque Julien Bouillie. Ces
se reconstituent très lentement. Les bou- incendies ravageurs brûlent également les
leaux de Sibérie, par exemple, résistent mal. graines qui ne peuvent plus germer. Pour que
L’adaptation est un processus qui prend des les espèces reprennent, il faudra alors que les
milliers d’années”, complète le chercheur. semences soient apportées par les vents ou
Certaines circonstances peuvent ralen- les animaux, un processus qui prendra davan-
tir, voire anéantir la régénération naturelle. tage de temps.

LANDES ARBUSTIVES
Nous replantons dans Autre problématique majeure : la fréquence
des incendies. “En région méditerranéenne,
l’optique de rendre les forêts on estime qu’une forêt qui subit plus de trois
passages de feu au même endroit en trente
moins sensibles aux risques ans voit sa régénération ralentir, constate
l’ingénieur forestier. Cela peut prendre plu-
© LIZ JAKIMOW/SHUTTERSTOCK

d’incendie et mieux sieurs décennies, en passant parfois par un


stade de landes arbustives avant de retrou-
adaptées aux effets du ver une forêt.” Pour les pins d’Alep, on sait
qu’un laps de temps entre deux feux infé-
changement climatique rieur à vingt ans – âge auquel ils deviennent
matures et recréent des cônes – empêche

82 • S&V Hors Série


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Près de Jérusalem, en Israël, un arbousier entame sa repousse après


leur régénération. Ces dégradations répé- un incendie. Surnommé “arbre à fraises” à cause de ses fruits,
tées entraînent aussi une perte de diversité Arbutus unedo est également résistant au changement climatique.
des espèces : les plus frugaux, comme les
pins, pourront subsister, alors que ceux qui L’autre étape de prévention des risques
ont davantage besoin de minéraux ou d’hu- d’incendie repose sur la gestion durable de
midité, comme les feuillus, disparaîtront plus la forêt, avec des coupes régulières rédui-
vite. sant la biomasse potentiellement combus-
Dans ces secteurs brûlés fréquemment, les tible. Cela facilite l’accessibilité aux sites et
forestiers interviendront donc pour éventuel- casse la dynamique du feu. “L’arbousier est
lement replanter de nouveaux arbres. “Mais l’avenir de la forêt méditerranéenne, car il est
pas tout de suite, précise Bruno Teissier Du résistant au réchauffement climatique. Nous
Cros. Il faut attendre entre deux et cinq ans choyons cette espèce en sélectionnant les
pour savoir si un site est définitivement rejets pour former de petites futaies. Avec un
perdu.” Et surtout, pas n’importe comment : faible sous-bois et un houppier dense, nous
“Nous replantons dans l’optique de rendre évitons les risques d’embrasement”, confie
les forêts moins sensibles aux risques d’in- Bruno Teissier Du Cros. C’est en combinant
cendie et mieux adaptées aux effets du chan- l’ensemble de ces opérations – adaptation aux
gement climatique”, explique Julien Bouillie. risques et accompagnement dans la régéné-
Pour cela, les expérimentations visent à ration – que nos forêts seront préservées. •
augmenter la diversité des essences. Des
études en laboratoire, menées dans le cadre * Projet FORLand : forêt expérimentale et transition
du projet européen ForManRisk, ont montré agroécologique, université de Bordeaux, soutenu
que les populations de pins maritimes “Dune par l’Inrae.
© MOSHE EINHORN/SHUTTERSTOCK

continentale”, qui poussent dans la région de ** Global increase in biomass carbon stock domi-
Barcelone, et de pins maritimes de Leiria, que nated by growth of northern young forests over
l’on trouve dans le centre du Portugal, sont past decade, publié dans Nature Geoscience en
plus résistantes à la sécheresse que celles octobre 2023, ainsi que Large loss and rapid recovery
situées dans les Landes. Trois plantations of vegetation cover and aboveground biomass over
en forêt permettent aujourd’hui d’obser- forest areas in Australia during 2019–2020, publié
ver leur performance en conditions réelles. dans Remote Sensing of Environment en mai 2022.

S&V Hors Série • 83


LES ARBRES
À LA CONQUÊTE
DES ALPES
Conséquence de la fonte des phénomène d'une ampleur
telle qu’il est visible depuis
glaciers, les arbres envahissent l’espace : à mesure que le
climat se réchauffe, les mon-
des surfaces autrefois ouvertes.
© WILL PERRETT/ALAMY STOCK/HEMIS.FR

tagnes verdissent, révèle

Bonne nouvelle ? Pas vraiment, une étude de 2023 menée


par des chercheurs de l’université de Leeds
car ces colons mettent en péril (Royaume-Uni) à l’aide d’images satellites.
En utilisant un algorithme, ils ont analysé
de nombreuses espèces animales près d’un million de kilomètres de limites

et végétales. PAR LISE GOUGIS forestières dans 243 régions montagneuses


du monde, là où la forêt encercle totalement

84 • S&V Hors Série


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La haute vallée de la Romanche, dans les Alpes
françaises, est une terre de conquête pour les baisse des activités pastorales au cours du
arbres qui grignotent peu à peu les pentes nues. XXe siècle, et en particulier au recul du pâtu-
rage et de l’entretien des alpages par les ber-
la montagne et n’a donc pas été impactée par gers et les éleveurs.
les activités humaines. Résultat : 70 % d’entre Paradoxalement, ce constat global de ver-
elles se sont déplacées entre 2000 et 2010, dissement des montagnes n’est pas une
prenant en moyenne 1,2 m d’altitude chaque bonne nouvelle. Il ne profite pas à toutes les
année. “C’est assez choquant de pouvoir plantes : celles provenant des basses altitudes
identifier de tels changements en l’espace de et, poussées par le réchauffement clima-
quelques années à peine, alors qu’on s’atten- tique, migrant plus haut pourraient à terme
dait à ce que les limites forestières des mon- concurrencer les espèces très spécialisées qui
tagnes ne réagissent que très lentement au s’y trouvent déjà. “Les plantes alpines sont
réchauffement climatique”, souligne Joseph adaptées à des conditions difficiles, mais
Holden, qui a dirigé ces travaux. elles ne sont pas très compétitives, explique
Sabine Rumpf, professeure en sciences de
AUGMENTATION DES TEMPÉRATURES l’environnement à l’université de Bâle. La bio-
Les montagnes européennes sont en pre- diversité unique des Alpes subit dès lors
mière ligne. Dans une étude parue dans une pression considérable.”
Science en 2022, des chercheurs suisses ont Ce phénomène a commencé à être observé
montré que la biomasse végétale a augmenté dans la région montagneuse des Highlands,
au-dessus de la limite des arbres dans près en Écosse. Une équipe de l’université de
de 80 % des Alpes entre 1984 et 2021, tan- Stirling a constaté que des plantes alpines
dis que le manteau neigeux a diminué. Le comme la saxifrage penchée et la sabline
phénomène est surtout marqué au-dessus des montagnes ont décliné de 50 % depuis
de 2 200 m d’altitude et se révèle particuliè- le milieu des années 1990, au point d’être
rement rapide côté français, où quelques aujourd’hui menacées d’extinction. “Sur le
grands massifs des Alpes du Sud comme long terme, cette ascension des arbres dans
l’Oisans ou le Mercantour peuvent être les zones qui en étaient auparavant dépour-
considérés comme des points chauds de ver- vues pourrait aussi impacter le cycle de l’eau,
dissement selon une étude internationale en réduisant l’approvisionnement de certaines
publiée en 2021 dans Global Change Biology. régions situées en aval. C’est quelque chose
En cause : l’augmentation des températures qu’il va falloir très prochainement étudier”,
estivales depuis le milieu des années 1980, alerte Joseph Holden. D’autant que ce phé-
qui a favorisé la croissance des plantes en alti- nomène devrait s’aggraver. “Des montagnes
tude, auparavant limitée par un enneigement plus vertes, cela signifie une moindre réflexion
prolongé. Mais, dans les Alpes comme dans de la lumière du Soleil, ce qui va amplifier le
la plupart des massifs européens, la recolo- réchauffement et donc diminuer le manteau
nisation de la végétation a une autre origine neigeux et son pouvoir réfléchissant”, conclut
anthropique, puisqu’elle est aussi liée à la Sabine Rumpf. Bref, c’est un cercle vicieux. •

FAUNE EN DANGER
Certaines espèces d’animaux arctico-alpins, coutumiers du froid,
voient leur habitat – autrefois ouvert et couvert de neige une grande
© GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO

partie de l’année – changer. Ils se retrouvent alors en péril. C’est


le cas du lièvre variable, ainsi que du lagopède alpin, un oiseau
dont le plumage brun devient blanc en hiver… et qui ne peut plus
se fondre dans son milieu, faute de neige ! Si bien qu’il figure sur
la liste rouge des espèces en danger du comité français de l’Union
internationale pour la conservation de la nature (UICN).

S&V Hors Série • 85


© SHUTTERSTOCK

Dans cette cité du futur imaginée


par les architectes biomimétiques
du mouvement “solarpunk”, les arbres
ont la part belle (vue d’artiste).
86 • S&V Hors Série
S&V Hors Série • 87
Quand la forêt
inspire la tech
Drones de reboisement, numérisation des plans
de gestion, mycorhization artificielle, piles boostées
aux bactéries… La forêt offre un terreau aux start-up
et aux labos. Démonstration en 4 exemples. PAR ADRIEN DENÈLE
© DENDRA SYSTEM

88 • S&V Hors Série


Imaginer

DES DRONES
POUR REBOISER
La société australienne AirSeed promet de reboiser
en larguant des graines… à l’aide de drones. En Australie,
où le gouvernement souhaite planter 1 milliard d’arbres
d’ici à 2050, l’enjeu attire ingénieurs et investisseurs.
Nombreuses sont les sociétés de drones qui espèrent
vendre aux entreprises des “bilans carbone équitables”
en échange d’arbres plantés. Pour cela, les drones
d’AirSeed fonctionnent en deux temps. Après un premier
survol des zones propices aux plantations d’arbres, les
données cartographiques passent à travers les mailles
algorithmiques. L’étape est nécessaire pour connaître
les zones les plus aptes à recevoir des graines. Car “il
y a une différence entre les graines plantées et les arbres
qui poussent”, prévient Lauren Fletcher, président
de la première société de drones de reboisement,
BioCarbon Engineering, devenue Dendra Systems.
Cet ancien ingénieur de la Nasa s’est lancé dans cette
entreprise dès 2009. “Dès le départ, j’ai compris que
la technologie était la partie facile”, raconte-t-il.
Rien de plus simple que de larguer des graines !
“Le véritable défi est d’ordre biologique.
Les conditions de pousse des plantes sont
très variables selon l’environnement, les
conditions météo ou le type de graine. Dans
la forêt tropicale du Panama, nos graines
fleurissaient en vingt-quatre heures avec
un taux proche de 100 %. Mais dans une
forêt boréale non loin de Reno, au Nevada
(États-Unis), le taux était proche de 1 % !”
Le constat semble partagé par Jonathan Dawe,
directeur commercial chez AirSeed : “Créer des
drones et planter des graines ne contrebalance pas
la dévastation causée par la déforestation.” Et d’appuyer :
“Il est essentiel de se concentrer sur la restauration
de la biodiversité, en examinant quelles espèces
doivent être plantées selon la fonction qu’elles
remplissent dans l’écosystème.” L’entreprise
a lancé en 2023 son projet de séquestration
de carbone sur une zone de 240 ha,
et vise les 100 millions de graines
plantées en 2024, grâce à son drone
capable d’éjecter un nombre théorique
de 40 000 graines par jour !
Le drone de reboisement de Dendra
Systems peut éjecter jusqu’à 50 espèces
de plantes différentes (photo principale),
tandis que les capsules éjectées par les drones
© AIRSEED

d’AirSeed contiennent les graines d'arbre et les


nutriments essentiels à leur croissance (ci-contre).

S&V Hors Série • 89


DESALGORITHMESPOURGÉRERLESFORÊTSPRIVÉES
Sylvamap, société nantaise, est gestionnaires forestiers. Or, l’État impose suivre n’est pas chose facile, et engage
spécialisée dans la numérisation un plan de gestion sur quinze ou vingt ans plusieurs générations. C’est pourquoi
du plan de gestion, un élément pour les forêts de 20 ha et plus.” Tenir un nous proposons une plateforme web qui
central de la gestion des forêts privées plan de gestion nécessite de connaître remplace tous les documents papier.
en France. “Celles-ci représentent 75 % la cartographie et la topographie Et nous compilons les données en nous
du parc français, détaille Alban Le Cour de son bien, ainsi que les espèces qui appuyant sur des algorithmes et des
Grandmaison, P-DG de Sylvamap. Nos y poussent. “Il constitue une garantie données GPS.” De quoi faciliter le suivi
clients, ce sont leurs propriétaires et de gestion durable de la forêt. Le des populations d’arbres en France.
© SYLVAMAP

90 • S&V Hors Série


Imaginer

DES PILES CONTENANT


DES BACTÉRIES
Pourquoi forêt et technologie le milieu, sur laquelle les bactéries
devraient-elles systématiquement se déposent en film, ainsi qu’une
s’opposer ? Il peut arriver que tige conductrice pour capturer les
ces deux “contraires” s’attirent. électrons échangés.” Le résultat :
Comme en Martinique, où vivent un courant électrique certes
au cœur des mangroves des faible (de l’ordre de 100 μW par
bactéries aux propriétés dites pile), mais bien réel. En mettant
électroactives. Or, si on les place plusieurs piles en réseau, celui-ci
dans une pile (photo), ces bactéries devient suffisant pour alimenter
peuvent produire un courant de petits capteurs ou des ampoules
électrique, de quoi alimenter led. Le tout sans apport de minerais
de petits appareils, comme rares comme pour les batteries

DES l’explique Paule Salvin, maîtresse


de conférences au Laboratoire des
lithium-ion. “C’est donc un atout
de diversification énergétique,
CHAMPIGNONS matériaux et molécules en milieu
agressif (L3MA) de Martinique.
notamment pour l’indépendance
du réseau martiniquais, vante Paule
POURREMPLACER Dans leur milieu naturel, ces
bactéries se fixent sur des particules
Salvin. Les mangroves constituent
l’habitat naturel de ces bactéries,
DES ENGRAIS telles que des oxydes de fer, ou des
composés sulfatés, afin
qui s’épanouissent dans l’eau salée,
dans un environnement sans
Et si, au lieu des engrais azotés, on employait
de trouver de l’énergie. oxygène, ce qui rend
de simples champignons pour fertiliser les Pour y parvenir, possible la conception
champs ? C’est l’idée lancée par Mycophyto, elles échangent de piles. Nous
société niçoise fondée en 2017. Il s’agit naturellement avons même
d’utiliser des champignons mycorhiziens. des électrons réussi à cultiver
Cet organisme se lie en effet aux racines avec des deux types
des plantes pour leur apporter de l’azote surfaces solides. de bactéries
et du phosphore. Le champignon, lui, puise “Au L3MA, nous compatibles”,
du carbone. Cet échange permet d’optimiser avons développé se réjouit
les résistances des plantes, de mieux survivre un prototype de pile la chercheuse
aux sécheresses, et augmente les transferts utilisant cette propriété, qui espère un jour
détaille Paule Salvin. “pouvoir recharger
de nutriments. Mycophyto revendique ainsi
Nous apportons une électrode un smartphone” uniquement
une hausse des rendements de 15 % à 30 % en tissu de carbone, neutre dans à l’aide de sa pile microbienne.
et une forte réduction des intrants, dont
l’eau. Mais les espèces de champignons sont
si nombreuses et les combinaisons avec les
plantes si vastes qu’il est complexe de trouver
le cocktail idéal pour chaque plantation
(photo : une équipe de Mycophyto procède
à des analyses in situ). La firme a donc conçu
des IA dédiées à la sélection des meilleurs
champignons, que la société développe au
sein de serres et stocke dans une biobanque.
Cette symbiose des plantes, mais aussi des
© MYCOPHITO - PASCAL LARGEN

moyens de production, semble intéresser


les investisseurs. Mycophyto a obtenu
une première levée de fonds de 1,4 million
d’euros en 2019, et une nouvelle
de 4 millions d’euros en janvier 2023.

S&V Hors Série • 91


Va-t-on
déménager
les arbres ?
Comment protéger nos forêts du réchauffement
climatique ? En y implantant des arbres
adaptés aux conditions environnementales
des latitudes plus méridionales… PAR RIVA BRINET-SPIESSER
our faire face au dépérissement climatique à l’Office national des forêts (ONF).
des forêts d’épicéas du nord-est Mais le climat évolue trop vite. Si nous vou-
de la France, les chercheurs et lons maintenir notre couverture forestière,
ingénieurs forestiers rêvent d’y nous devons imiter cette migration naturelle
implanter le chêne tauzin, origi- en l’accélérant.” Patricia Raymond, cher-
naire du sud de l’Europe, ou le chêne chevelu cheuse au ministère canadien des Ressources
de Hongrie, plus résistants à la sécheresse. naturelles et des Forêts, qui collabore au pro-
Pour cela, ils travaillent à la mise en œuvre jet Dream (pour Desired regeneration through
d’un dispositif : la migration assistée. Cette assisted migration), complète : “Pour rester
dernière consiste à introduire volontairement dans des conditions climatiques favorables,
– par l’action de l’homme – des espèces issues les espèces devraient migrer quatre fois plus
d’autres régions, afin d’aider les forêts à faire rapidement que leur vitesse naturelle !”
face au réchauffement climatique. Un défi Pour ces experts, il y a urgence à agir, même
d’autant plus grand que les essences pro- s’ils reconnaissent que leur connaissance
viennent de régions éloignées de leur aire de des migrations assistées est encore modeste.
répartition naturelle. “Nous ne savons pas si les espèces dépla-
Plus précisément, il est possible de faire cées garderont la même qualité et la même
migrer soit des arbres d’une espèce qui productivité, mais nous devons dès à présent
n’existe pas encore sur le territoire de des- lancer des expérimentations, car les informa-
tination, soit des arbres d’une espèce déjà tions que nous retirerons dans cinquante ans
présente, mais issus d’une provenance dif- seront essentielles pour l’avenir de nos
férente. “Les espèces forestières migrent en forêts”, anticipe Erwin Ulrich.
principe naturellement, comme ce fut le cas La méthode choisie pour ces migrations
à la fin de la période glaciaire, lorsqu’elles assistées est d’implanter des parcelles
sont revenues dans le nord de l’Europe à la
faveur de graines apportées par le vent ou les Le chêne zéen est un bon candidat
aux essais de “migration assistée” :
animaux, raconte Erwin Ulrich, pilote de la ces jeunes arbres seront replantés sur
mission adaptation des forêts au changement les parcelles expérimentales de l’ONF.

92 • S&V Hors Série


Imaginer

© ONF

S&V Hors Série • 93


En 2020, les pépinières de Naudet à Lambesc, dans le département nord-ouest du Québec des cerisiers tardifs, ori-
des Bouches-du-Rhône, ont fourni à l’ONF les plants de différentes
espèces d’arbres résistant à un climat plus chaud. ginaires de la région des monts Allegheny, en
Pennsylvanie. L’emblématique érable à sucre,
d’essences de manière ciblée, sur une partie dont les peuplements les plus méridionaux
du territoire, précisément là où un dépéris- souffrent de la sécheresse, est implanté plus
sement des arbres est observé. “Nous allons au nord, dans la région de Saguenay. Non sans
expérimenter des mélanges en introduisant succès : le programme affiche un taux de survie
deux à trois essences par station [superficie des arbres de l’ordre de 80 % après cinq ans.
ayant un sol et un climat homogènes, NDLR].
Nous cherchons à diversifier le cortège d’espè­ TESTS HYDRIQUES
ces pour avoir le plus de chance possible que Principal défi de la migration assistée : bien
l’une d’entre elles s’en sorte”, explique Erwin choisir les essences d’origine. Pour cela, l’ONF
Ulrich. Depuis 2018, l’ONF déploie sur tout le réalise des tests hydriques en pépinière afin
territoire français un dispositif de migration
assistée et d’introduction d’espèces sur des
parcelles nommées “îlots d’avenir”. “Notre
objectif est d’identifier une quinzaine de pro­
Nous devons dès
venances par espèce afin de conseiller les plus
adaptées à chaque région”, prévoit Brigitte
à présent lancer des
Musch, responsable du pôle ressources
génétiques forestières à l’ONF. Les espèces
expérimentations, car les
majoritairement introduites dans les 428 îlots
d’avenir déjà plantés sont le chêne sessile,
informations que nous
provenant du Tarn, et le chêne pubescent, issu
des régions méditerranéennes. Le chêne zéen
retirerons dans cinquante ans
venant d’Andalousie, repéré pour sa croissance
en période estivale, vient également prendre
seront essentielles pour
l’avenir de nos forêts
© ONF (x3)

place dans de nouveaux îlots. Au Canada,


le projet Dream a permis d’implanter dans le

94 • S&V Hors Série


Imaginer

de vérifier que les essences issues de zones Plants de chêne zéen. Originaire du pourtour
méditerranéen, et notamment d’Andalousie, cet arbre
plus sèches résistent effectivement mieux que est particulièrement résistant à la sécheresse.
celles déjà présentes dans la zone d’accueil. Au
Canada, le projet Dream utilise des modèles hébergent des insectes dans la terre ou dans
mathématiques intégrant les variables cli- les feuilles. Ces graines sont en outre sou-
matiques actuelles et les prévisions du Giec. mises aux rayons X afin de détecter d’éven-
Ils permettent d’identifier les espèces qui tuels champignons ou larves qui se seraient
poussent aujourd’hui dans les conditions logés à l’intérieur. Enfin, pour éviter tout bras-
qui seront les nôtres en 2050 et 2080. Même sage génétique, les îlots sont implantés à plus
si, en attendant, ces plantes doivent s’adap- de 500 m d’un peuplement classé.
ter à un environnement en pleine mutation : Les chercheurs pointent un dernier chal-
“Nos régions connaissent encore des périodes lenge à relever : disposer de quantité suffi-
de froid et des gelées de printemps tardives, sante de semences. “Nous devons nouer des
indique Brigitte Musch. Avec les îlots d’avenir, partenariats avec les pays d’origine et éviter
nous testons jusqu’où nous pouvons faire une qu’une concurrence ne s’installe autour des
migration sans dommage pour les arbres.” espèces résilientes convoitées, s’inquiète
Erwin Ulrich. Il faut relancer des vergers
RISQUES INVASIFS à graines avec les arbres adaptés aux climats
Ces migrations ne sont cependant pas sans futurs, or ils ne seront productifs que dans une
risques. Les chercheurs portent une attention quinzaine d’années.”
particulière aux espèces envahissantes, “sur- Pour tenter de gagner du temps, l’ONF expé-
tout lorsqu’elles proviennent de zones hors de rimente des plantations appelées “parcelles
l’Europe, précise Brigitte Musch. Nous avons nursery”, dans lesquelles les arbres sont plan-
un protocole de suivi des risques invasifs tés à distance les uns des autres pour les faire
pour chacune des espèces, et certaines sont fructifier plus vite. Mais l’échelle de temps de
exclues de notre liste”. Une autre menace est ces projets reste longue, très longue : il faut
l’introduction de nouvelles maladies. Pour la attendre de cent à deux cents ans pour qu’un
limiter, les migrations des îlots d’avenir se arbre soit mature. Une bagatelle pour l’arbre,
font à partir de graines, et non de plants, qui une éternité pour l’homme. •

S&V Hors Série • 95


L’avenir
appartient-il
aux forêts
urbaines ?
L’architecte italien Stefano Boeri a conçu
le projet “Liuzhou Forest City” (ici, vue
d’artiste) en Chine. Cette forêt urbaine devrait
bientôt accueillir 30 000 habitants dans
des bâtiments couverts de végétation.
© STEFANO BOERI ARCHITETTI

96 • S&V Hors Série


Imaginer

De Pékin à Paris, de nombreuses villes misent sur les


“forêts urbaines” pour lutter contre la pollution de l’air
et contrer le réchauffement climatique. Mais sont-elles
aussi efficaces que prévu ? PAR KHEIRA BETTAYEB
ini le tout minéral ! En périurbaine, y compris les forêts, les arbres
juin 2024, dans le XIVe arron- des rues, les arbres des parcs et des jardins,
dissement de Paris, la place et les arbres d’endroits abandonnés”.
de Catalogne devrait avoir Après avoir été en partie effacées du pay-
changé de visage pour abriter sage urbain dans les années 1950 pour lais-
une miniforêt qui comptera, à terme, plus de ser notamment la place à des parkings et des
450 arbres. Bientôt, ce devrait être le tour du routes, ces structures connaissent un retour
quartier de la Confluence, à Lyon, de se parer en grâce. Elles apparaissent désormais
d’un tel écosystème formé, cette fois, d’un comme un outil indispensable pour atténuer
millier d’arbres… En France comme un peu les îlots de chaleur urbains et la pollution de
partout dans le monde, les “forêts urbaines” l’air, dans un contexte de changement clima-
(re)commencent à fleurir. Forêts urbaines ? tique et d’urbanisation croissants. De fait, les
Selon l’Organisation pour l’alimentation et vertus des arbres et des forêts urbaines ne
l’agriculture (FAO), ce sont “des réseaux ou sont plus à prouver. D’après l’Onu, les arbres
des systèmes incluant toutes les surfaces correctement placés autour des bâtiments
boisées, les groupes d’arbres et les arbres réduisent de 30 % les besoins en climatisation.
individuels se trouvant en zone urbaine et Selon des travaux espagnols parus en 2023

S&V Hors Série • 97


dans The Lancet, si la couverture arborée Plantations sur la place de Catalogne à Paris en décembre 2023
(ci-dessus et ci-contre). À terme, cette miniforêt urbaine devrait
d’une ville atteignait 30 % – contre 14,9 % abriter plus de 450 arbres.
en moyenne actuellement –, la température
diminuerait de 0,4°C en moyenne pendant Marc Saudreau, spécialiste en écophysiolo-
les canicules estivales, ce qui permettrait gie végétale à l’Inrae de Clermont-Ferrand.
d’éviter près de 40 % des décès directement “D’une part, leurs feuilles réfléchissent une
liés aux chaleurs extrêmes. La pollution de partie de l’énergie solaire vers l’atmosphère,
l’air serait elle aussi impactée : par exemple, ce qui empêche les surfaces situées sous leur
d’après une étude chinoise parue en juin 2023 ombrage de se réchauffer et de libérer dans
dans la revue PLoS One, la forêt urbaine de l’air, la nuit venue, la chaleur ainsi emmaga-
la ville de Zhengzhou stocke chaque année sinée. Ensuite, afin de réguler leur propre
14,7 t de carbone et élimine 412 kg de pollu- température, les arbres utilisent le processus
tion atmosphérique. d’évapotranspiration, qui consiste à émettre
L’origine de ces “superpouvoirs” ? Tout de la vapeur d’eau dans l’air depuis les sto-
d’abord, les arbres agissent comme des para- mates, ces pores microscopiques à la surface
sols et des climatiseurs. “Leur potentiel rafraî- des feuilles. Or, pour vaporiser l’eau liquide,
chissant est lié à deux processus”, explique ils doivent prélever de l’énergie autour d’eux,
sous forme de chaleur…”

Pour bénéficier dans UNE ARME CONTRE LES CANICULES


Les arbres ont également un double effet
des délais raisonnables
© GUILLAUME BONTEMPS/VILLE DE PARIS

dépolluant. “Ils fixent du dioxyde de carbone


de l’air (CO2, impliqué dans le changement cli-
des bienfaits des forêts matique) via le processus de photosynthèse,
qui utilise la lumière du soleil pour convertir
urbaines, il est impératif le CO2 et l’eau en matière organique (notam-
ment des sucres) et en O2, dit le chercheur.
de mieux les concevoir De plus, leurs feuilles fixent les particules
fines, cette catégorie de particules polluantes

98 • S&V Hors Série


Imaginer

d’un diamètre inférieur à 2,5 microns.” Bref, développée par le botaniste japonais Akira
les forêts urbaines semblent être une arme Miyawaki, en plantant beaucoup de jeunes
efficace contre les canicules et la pollution. arbres de façon très dense et très serrée sur
Sauf que… ça dépend ! Pour Hervé Jactel, une surface de quelques centaines de mètres
écologue forestier à l’Inrae de Bordeaux, “S’il carrés. “Cette méthode entraîne une forte
est bien établi que les forêts urbaines telles mortalité dès les premières années. Et les
que définies par la FAO peuvent rendre des essences ne sont pas choisies en fonction de
services écosystémiques majeurs, il n’est leur aptitude à atténuer les îlots de chaleur
pas du tout certain que tous les projets de ou à dépolluer. De plus, avant que ces ‘forêts’
forêts urbaines déployés jusqu’ici offrent de n’arrivent éventuellement à fournir des ser-
tels bénéfices…” Et l’écologue de pointer vices écosystémiques, il faudra patienter
plus spécifiquement les projets “Miyawaki”, plusieurs décennies.”
ces microforêts conçues selon la technique
MÉLANGE D’ESPÈCES
Selon le chercheur, “pour bénéficier dans des
délais raisonnables des bienfaits des forêts
urbaines, il est impératif de mieux concevoir
© GUILLAUME BONTEMPS/VILLE DE PARIS- VINCENT ISORE/IP3

celles-ci, en tenant compte en particulier des


connaissances acquises sur l’écologie des
essences forestières”. Problème : “à ce jour,
il est encore difficile de dire quelles espèces
d’arbres et quel mélange d’espèces privilé-
gier, comment les planter (en ligne, en parc,
etc.) et en quelle quantité, observe Georges

À Chambéry, le soleil printanier fait scintiller des


myriades de particules de pollen en suspension
dans l’air. Elles peuvent provoquer de graves crises
d’allergie chez les citadins qui y sont sensibles.

S&V Hors Série • 99


Najjar, climatologue urbain à la faculté de Le 2 novembre 2023, un arbre s’abat en plein cœur de la ville
de Béthune (Pas-de-Calais) à la suite d’une tempête. La multiplication
géographie et d’aménagement de Strasbourg. des événements météorologiques violents, en relation avec
Sachant qu’il existe un seuil de surface arbo- le réchauffement climatique, menace les plantations urbaines.
rée totale, encore mal évalué, au-delà duquel
les bénéfices n’augmentent plus, à cause Pour Tamara Iungman, biologiste spéciali-
notamment de la quantité d’eau dans le sée en santé publique à l’Institut de Barcelone
sous-sol d’une ville, qui limite la survie et le pour la santé mondiale, “ces impacts néga-
fonctionnement des arbres dépendant de ce tifs impliquent de sélectionner des espèces
sous-sol”. Début 2022, un projet multidisci- d’arbres non allergènes, de déterminer les
plinaire destiné à en savoir plus a vu le jour emplacements appropriés pour la plantation
à Strasbourg (voir encadré). et d’exercer une surveillance continue”. Pour
Au service forestier du Département de ce faire, “il convient de mettre en œuvre une
l’agriculture des États-Unis, Lara Roman véritable collaboration entre les urbanistes,
pointe un autre facteur important à prendre les écologues forestiers, les spécialistes de la
en compte pour améliorer la conception des gestion de l’eau et les jardiniers des villes”,
forêts urbaines : leurs possibles méfaits. Car, relève Hervé Jactel. Or, déplore le cher-
chose peu connue, “les arbres peuvent aussi cheur, “cela n’est pas encore assez le cas
rendre de mauvais services écosystémiques en France, malheureusement”. •
qui peuvent avoir des conséquences néga-
© LUDOVIC MAILLARD/ PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

tives pour les habitants”, développe la scien-


tifique américaine, qui a copublié un article
sur ce sujet en 2021, dans la revue Ambio. Les arbres peuvent
Ainsi les forêts urbaines peuvent-elles
impacter l’environnement, notamment en pro- aussi rendre de mauvais
voquant une surconsommation d’eau (pour
les irriguer). Ensuite, elles peuvent avoir des services écosystémiques
conséquences sur la santé, à cause de leurs
pollens allergisants et du risque de chute des qui peuvent avoir des
arbres et de leurs branches, en particulier en
cas de tempêtes et d’orages. Enfin, ces forêts conséquences négatives
peuvent entraîner des surcoûts pour les villes.

100 • S&V Hors Série


Imaginer

COMMENT ÉVALUER L’IMPACT DES ARBRES?


À l’Institut national des sciences adjacentes à Strasbourg : tilleuls, Les données recueillies pourraient
appliquées de Strasbourg, micocouliers et platanes, explique servir à valider des modèles
Tania Landes dirige le projet Tania Landes. Nous avons donc équipé informatiques de simulation
multidisciplinaire “TIR4sTREEt”, pour six arbres de ces rues de différents susceptibles d’aider à identifier quelle
“Thermal InfraRed for Street Trees”, capteurs afin de suivre pendant rue planter, ainsi que les espèces, les
soit “l’infrarouge thermique pour deux ans leur capacité à transpirer quantités d’arbres et la manière de les
l’étude des arbres de rue”. “Nous et à rafraichir, leur croissance, planter. Le projet devrait se terminer
© SCIENCE PHOTO LIBRARY

cherchons à caractériser l’impact l’humidité et la température dans en 2025. Le premier thermogramme


des arbres sur la microclimatologie leur environnement proche, et leur ci-dessus montre les différences
urbaine, dans le cas précis de trois température de surface ainsi que thermiques entre les arbres (en
espèces qui jalonnent trois rues celle des bâtiments et voirie.” bleu) et la voirie (en rouge).

S&V Hors Série • 101


MICHEL LE VAN QUYEN ALIX COSQUER

“En forêt,
ce qui nous
entoure fait
partie de nous”
© PETER SCHATZ/ALAMY/HEMIS.FR

102 • S&V Hors Série


Imaginer

Les arbres nous font du bien… oui, mais


comment ? Michel Le Van Quyen *, chercheur
en neurosciences à l’Inserm au Laboratoire
d’imagerie biomédicale, et Alix Cosquer **,
chercheuse en psychologie environnemen-
tale au Centre d’écologie fonctionnelle et
évolutive, confrontent leur vision des effets
de la forêt sur notre santé. PAR RIVA BRINET-SPIESSER
SVHS : Les confinements partie de la nature. Ce sen-
vécus lors du Covid timent d’appartenance est
ont rappelé que nous d’ailleurs nécessaire à notre
avons en nous une équilibre psychique. Il nous
envie irrépressible aide à réfléchir aux modes
de nature. Pourquoi, d’interactions, individuels
malgré l’urbanisation et collectifs, que nous sou-
de nos sociétés, notre haitons établir avec les envi-
attachement à la nature ronnements naturels. Le fort
est-il aussi persistant ? développement ces dernières
Michel Le Van Quyen : années de pratiques récréa-
Les premiers fossiles tives de nature, de sport ou
d’Homo sapiens, vieux de loisirs, souligne ce besoin
de 300 000 ans, attestent des populations à entrer en
que les peuples euro- contact avec la nature.
péens vivaient en contact
permanent avec la nature. SVHS : Que nous procure
Le naturaliste américain la forêt en particulier ?
Edward O. Wilson propose M.L.V.Q. : L a f o r ê t o f f r e
une hypothèse évolution- une expérience de nature
niste que j’aime beaucoup : intense, une sorte d’immer-
la biophilie. Elle dit que sion. En 1984, le scientifique
nous sommes attirés par américain Roger Ulrich rap-
les environnements natu- porte dans une étude publiée
rels parce que nous avons dans Science que voir des
appris à apprécier les élé- arbres, même par la fenêtre,
ments qui ont assuré notre génère des effets psycholo-
survie. Cette symbiose avec giques positifs, en particu-
la nature a laissé des traces. lier auprès d’individus ayant
© PHILIPPE MATSAS/FLAMMARION

Il suffit d’une promenade en subi une opération. Lorsque


forêt pour comprendre que l’on est en forêt, l’expérience
tout ce qui nous entoure fait va au-delà, il y a les odeurs,
partie de nous. les bruits…
Alix Cosquer : D’un point de
vue biologique et écologique, SVHS : La forêt provoque une
nous faisons effectivement sorte d’éveil sensoriel ?

S&V Hors Série • 103


M.L.V.Q. : Les sens sont cer-
tainement la première porte Notre cerveau fonctionne
d’entrée. Nous savons par
exemple que le bruit des mieux lorsqu’il est dans
grandes villes est une source
de stress majeure. Le silence un environnement naturel,
qui règne en forêt permet de
diminuer le rythme des sollici- car c’est le milieu dans
tations. Le cerveau se détend
et peut se reconstr uire. lequel il s’est construit
Notre système nerveux auto-
nome est constitué de deux
branches, le système sym- odorantes, appelées découverte majeure à ce
pathique qui est un accéléra- phytoncides. Ont-elles sujet, qui dit que les odeurs
teur de toutes nos fonctions également un rôle ? des forêts influeraient sur
physiologiques et le système M.L.V.Q. : Le professeur notre système immunitaire.
parasympathique qui les met Qing Li a contribué à une Il a étudié les phytoncides
au repos. Des études menées
par le professeur Qing Li
[médecin immunologiste au
Département d’hygiène et
de santé publique à l’univer-
sité de médecine de Tokyo,
membre fondateur de la
Société japonaise de sylvo-
thérapie, ndlr] indiquent que
l’activité parasympathique
double pendant une marche
en forêt par rapport à une
marche en ville. Des effets
sur la baisse de la pression
artérielle et de la fréquence
des battements cardiaques
ont été documentés. Des
recherches portent actuel-
lement sur une diminution
des phénomènes inflamma-
toires. Plus innovant encore,
une récente étude anglaise
montre que notre présence
en forêt accroît notre contact
avec des bactéries favorables
à notre microbiote intestinal,
en particulier Mycobacterium
vaccae qui a un effet sur
la sérotonine, un neuro-
transmetteur régulateur
des émotions.
lumbia - Canada.

SHVS : Les arbres libèrent


des molécules organiques

104 • S&V Hors Série


Imaginer

de résineux comme le cyprès la preuve scientifique à ce nombreux travailleurs ont


et a observé leurs effets sur qui n’était qu’une intuition : connu le syndrome du karo-
les lymphocytes NK (natural la forêt nous fait du bien. Il shi, ou littéralement “mort
killers, en anglais), qui tuent a développé la pratique des par dépassement de tra-
les cellules cancéreuses ou “bains de forêt”, ou shinrin vail”, ndlr]. Le gouverne-
infectées par un virus. Après yoku en japonais. Comment ment japonais encourage
une marche de six heures, ce courant est-il né ? alors les balades en forêt.
le taux des cellules NK A.C. : Tout est parti d’une Ce qui est intéressant, c’est
augmente de 50 % chez les intuition, effectivement. que cette pratique a été sou-
individus qui marchent en La société japonaise a une tenue par des programmes
forêt par rapport à ceux qui culture historique très forte de recherche, comme ceux
marchent pendant la même de la promenade en forêt du professeur Qing Li, pour
durée en ville. Et cet effet comme source de détente comprendre les interactions
perdure pendant un mois ! et de bien-être. Dans les en jeu entre les individus
années 1980, le pays fait face et le milieu forestier. Les
SVHS : Le professeur Qing Li à une crise sociale majeure preuves apportées par ces
est un pionnier. Il a apporté liée au stress au travail [de études ont ensuite influencé
de nouvelles politiques
publiques, avec notamment
l’aménagement de forêts
labellisées. Elles se carac-
térisent, par exemple, par
un ensemble d’essences
particulières, ou par des
paysages ouverts favorisant
l’entrée de lumière. Ce sont
des forêts dans lesquelles
des bénéfices sur la santé ont
été prouvés.

SVHS : A-t-on identifié des


durées et des fréquences pour
que ces bains de forêt soient
efficaces ?
A.C. : L a p l u p a r t d e s
études portent sur un
minimum d’immersion de

Notre présence
en forêt accroît notre
contact avec des
bactéries favorables
à notre microbiote
intestinal
S&V Hors Série • 105
Une promenade 2015 dans PNAS, vont dans le
même sens. L’observation au

en forêt diminue l’activation scanner du fonctionnement


cérébral montre qu’une pro-

de certaines structures menade en forêt diminue


l’activation de certaines

cérébrales, comme celles du structures, comme celles du


cortex préfrontal, impliquées

cortex préfrontal, impliquées dans les ruminations. En


étant tourné vers la nature,

dans les ruminations le cerveau modère également


notre tendance à la planifica-
tion permanente, inhérente à
la vie citadine.
quarante-cinq minutes ; lorsqu’ils sont en situation
cela semble un seuil à partir d’immersion avec la nature. SVHS : Ces travaux
duquel on observe des résul- Ces immersions permettent soutiennent la
tats physiologiques et une une prise de distance par rap- “sylvothérapie”. En quoi
baisse du niveau de stress. port aux questionnements du consiste-t-elle ?
Ces pratiques doivent aussi quotidien et procurent le sen- A.C. : Les pratiques de syl-
perdurer dans le temps. Nous timent d’être en harmonie vothérapie se déroulent
observons un impact impor- avec un environnement plus souvent en trois temps. On
tant de la régularité des vaste que soi. commence par une immer-
immersions en forêt. M.L.V.Q. : Les travaux de sion axée sur l’attention, en
Gregory Bratman, publiés en faisant peu de bruit pour être
SVHS : Vous mentionnez
un effet sur le stress. Que
sait-on du rôle des forêts
sur notre fonctionnement
psychologique ?
A.C. : Dans les années 1990,
les travaux de Rachel et
Stephen Kaplan, professeurs
de psychologie environne-
mentale à l’université du
Michigan, ont abouti à une
théorie selon laquelle les
milieux naturels restaurent
notre capacité d’attention.
Les explications avancées
sont intéressantes : elles
combinent la dimension évo-
lutive que nous avons évo-
©️ GUILLAUME FEUILLET / NATURIMAGES

quée précédemment – notre


cerveau fonctionne mieux
lorsqu’il est dans un envi-
ronnement naturel, car c’est
le milieu dans lequel il s’est
construit – à une dimension
“interactionnelle” liée à l’ex-
périence que vivent les gens

106 • S&V Hors Série


Imaginer

dans un moment de calme


intérieur comme extérieur. Voir la nature comme
Vient ensuite une période
d’interaction : marcher len- médicament est une
tement, toucher les arbres,
écouter les bruits de la forêt, réflexion dangereuse,
regarder le feuillage. Puis
un moment réflexif, qui peut car elle réduit la portée
être individuel ou partagé
avec d’autres, sur ce que de l’expérience
procurent ces expériences
de nature.

SVHS : On pourrait croire cherchent davantage une un médicament au cours


à une approche un peu connexion sensorielle et émo- de traitement contre des
sectaire… tionnelle avec la nature. Ce pathologies chroniques.
A.C. : Derrière le terme de champ-là est peu documenté Un bain de forêt pourrait-il
sylvothérapie se cachent d’un point de vue scientifique l’être aussi ?
différentes approches qui et il y a une certaine pru- M.L.V.Q. : Les bénéfices
n’ont pas le même objectif. dence de la recherche vis-à- sont attestés, mais de là à
Certaines pratiques utilisent vis de ces sujets. en prescrire l’usage, nous
le milieu forestier comme M.L.V.Q. : Nous avons en n’y sommes pas encore !
support d’accompagnement France deux groupes qui ont Il nous faudrait mener des
pour des soins de santé ou de du mal à dialoguer. D’un côté, études sur un large panel de
bien-être. D’autres pratiques des scientifiques qui consi- population pour savoir quoi
dèrent ces sujets comme trop prescrire et dans quelles
ésotériques, et de l’autre une conditions. Selon moi, voir
médecine complémentaire la nature comme un médi-
qui est vite taxée d’être sec- cament est une réflexion
taire. Nous aurions besoin dangereuse, car elle réduit
de trouver un équilibre, car la portée de l’expérience. Il
la recherche sur les bienfaits nous faut davantage avoir
de la forêt doit être davan- une perception philoso-
tage soutenue. phique du sujet.
A.C. : Je suis tout à fait
SVHS : Manquons-nous d’accord, nous devons être
de données scientifiques ? vigilants à ne pas avoir une
A.C. : Pour le moment, les approche utilitariste de la
études dont nous disposons nature. La dimension posi-
proviennent d’autres pays tive de ces expériences de
dans lesquels les espaces nature devrait nous conduire
forestiers sont différents des à réfléchir aux rapports que
nôtres. Il y a tout un champ nous entretenons avec le
à développer à l’échelle de la vivant et à cultiver notre
France. Par exemple, on ne appartenance au monde. •
connaît pas les bénéfices de
la pratique sportive en forêt.
* Auteur de Cerveau et Nature,
SVHS : Des expérimentations coll. Sciences, éd. Flammarion.
se développent pour ** Autrice de La Sylvothérapie,
prescrire le sport comme éd. Que sais-je ?.

S&V Hors Série • 107


Imaginer

Questions
Réponses
UN ARBRE PEUT-IL
ÊTRE ÉPIPHYTE ?
Oui, c’est notamment le cas de l’épicéa de Sitka.
En Californie, un séquoia à feuilles d’if dénommé Terex Titan
abrite plusieurs de ces épicéas à mi-hauteur, dont l’un mesure
2,5 m de haut. Ces épiphytes [organismes croissant sur d’autres
plantes sans en tirer leur nourriture, NDLR] abritent eux-mêmes
des mousses et des lichens différents de ceux trouvés sur
le séquoia. De manière générale, les arbres servent de support
à tout un écosystème épiphyte se développant à leur
surface. Ainsi, certaines espèces de lombrics martiniquais
vivent quasi exclusivement dans les arbres ! C’est ce qu’a
montré une équipe de chercheurs français dans un article
paru en mars dans la revue Soil Biology and Biochemistry.
© JAKA SURYANTA / ALAMY /HEMIS.FR - AURÉLIEN BRUSINI / HEMIS.FR - THE NATURAL HISTORY MUSEUM / ALAMY /HEMIS.FR

Au moins trois espèces nouvellement décrites de vers de terre


crèchent dans l’humus qui naît sur les arbres depuis des
parties mortes de leurs épiphytes : petites plantes, lichens,
champignons, algues… F. M.

À quoi
ressemblaient
les forêts
de la préhistoire ?
Le premier arbre connu, Archaeopteris,
un progymnosperme, remonte à 380 millions
d’années (Ma) environ. Appartenant à un groupe
frère des gymnospermes et pouvant atteindre 40 m
de haut, il permet d’avoir un aperçu des “arbres”
de l’époque, qui comptent aussi des lycophytes et des
fougères géantes de la même taille. Ces premières
forêts tropicales – sans bois véritable – devaient
grouiller d’amphibiens et d’insectes géants, jusqu’à leur
effondrement il y a environ 305 Ma. Les gymnospermes

108 • S&V Hors Série


Qu’appelle-t-on une rivière volante ?
En Amazonie, des chercheurs de l’institut Max‑Planck équivalent à celui de l’Amazone, soit 170 000 m3 par
et de l’Institut national de recherche spatiale seconde. Pour les scientifiques brésiliens étudiant
(INPE) étudient ce phénomène depuis des années. ce phénomène, ces grands flux de vapeur alimentés
Les rivières volantes amazoniennes désignent par la transpiration des arbres sont responsables
les grands flux de vapeur d’eau qui se déplacent de près de 40 % des précipitations dans l’Amazonie
au‑dessus du bassin de l’Amazone et s’écoulent de l’Ouest. En somme, une forme de recyclage naturel
à rebours du plus grand fleuve du monde vers de l’eau par les arbres. Ce phénomène de plus en plus
l’intérieur des terres. Dès 1992, la quantification étudié vient d’être mis en évidence dans d’autres
de ces flux de vapeur a permis de déterminer leur régions du monde comme la Sibérie ou l’Afrique
importance : en Amazonie, ils représentent un débit centrale. Il serait menacé par la déforestation. F. M.

Qu’est-ce qu’une
forêt ancienne ?
“Une forêt ancienne se caractérise par l’absence
de défrichement depuis au moins la première moitié
du XIXe siècle, quelle que soit la gestion forestière pratiquée”,
explique Diane Sorel, conservatrice de la réserve
naturelle nationale de la forêt de la Massane. L’absence
de défrichement a permis de préserver et de conserver les
sols forestiers et la biodiversité. Ainsi, une forêt dite naturelle
est une forêt ancienne, mature – dont les arbres ont plus
de 80 ans – et composée d’essences indigènes. “Le concept
de degré de naturalité d’une forêt vise à mettre en lumière
les caractéristiques propres aux forêts naturelles : biodiversité,
complexité structurale et maturité des peuplements,
microhabitats, bois morts, intégrité des processus dynamiques
et fonctionnels de l’écosystème, continuité spatiale
et temporelle (ancienneté)…”, conclut Diane Sorel. A. S.

prennent la relève et restent très dominantes jusqu’à


l’avènement des angiospermes, qui se diversifient
à partir du Crétacé grâce à une coévolution avec leurs
insectes pollinisateurs. À l’avènement de l’agriculture,
les forêts sont virtuellement toutes des forêts primaires.
Mais la déforestation et l’agriculture entraînent
leur morcellement, par exemple en Europe, sur les
pourtours de la Méditerranée, où les forêts défrichées
donnent naissance à la jachère méditerranéenne
désormais omniprésente. À la frontière entre la Pologne
et la Biélorussie, la forêt de Bialowieza donne aujourd’hui
© RNN MASSANE

le dernier aperçu de ce à quoi pouvait ressembler la forêt


primaire en Europe continentale au sortir de la dernière
glaciation, avant l’avènement des sociétés agricoles. F. M.

S&V Hors Série • 109


Imaginer

COMMENT ÉVALUER
LES STOCKS DE CARBONE ?
Chaque espèce d’arbre diffère d’une (équipés de Lidar), ou grâce à des
autre. Pour connaître avec précision satellites en orbite. Pour les analyser,
combien de carbone y est stocké, il faut les chercheurs s’appuient sur les
d’abord couper l’arbre et le peser. progrès du machine learning. Fin 2022,
Ce sacrifice permet de dresser des une étude internationale parue dans
profils types pour chaque espèce. Grâce Nature a réussi, par cette méthode,
à des équations dites “allométriques”, à estimer les stocks de carbone des
on peut estimer le carbone stocké forêts du Rwanda. Bilan : les forêts
simplement avec le diamètre du tronc naturelles n’y couvrent que 11 %
et la hauteur de l’arbre. Ces données de la surface, mais constituent 51,4 %
sont récoltées par des survols en avion du stock national de carbone. A. D.

Les forêts françaises ont-elles vraiment


besoin des loups et des ours ?
“Les ennemis de mes ennemis sont consacré à l’alimentation, ce qui les des maladies. “La proportion
mes amis”, dit l’adage. Eh bien, amène à moins manger et à sélectionner de sangliers infectés par la peste porcine
il vaut aussi dans les écosystèmes uniquement les végétaux les plus ou la tuberculose bovine est moindre
forestiers où les loups, ennemis des nutritifs.” Et de poursuivre : “Il en résulte dans les zones où les loups sont présents”,
herbivores, favorisent la végétation. une forêt plus diversifiée en termes indique Jean‑Louis Martin. Le rôle
“Les loups régulent non seulement les d’espèces végétales, avec un sous‑bois de l’ours brun est, lui, assez différent :
populations d’herbivores en prélevant plus fourni et des arbres qui se régénèrent même s’il est parfois considéré comme
un certain nombre de proies”, explique mieux”. Ce qui a aussi des effets positifs un grand prédateur, sa consommation
Jean‑Louis Martin, écologue et directeur sur la qualité du sol ou sur certaines de viande ne dépasse jamais 25 %.
de recherche émérite au CNRS. “Mais espèces animales qui, par exemple, Il se nourrit en revanche beaucoup
ils exercent aussi ce que l’on appelle nichent ou se cachent dans les sous‑bois. de fruits et de baies. Cela favorise
© SHUTTERSTOCK

une écologie de la peur : le temps investi En s’attaquant préférentiellement aux la dissémination des graines qui sont
par les herbivores pour échapper à leurs animaux faibles et malades, les loups rejetées dans ses crottes en plus de celles
prédateurs se fait aux dépens du temps participent également à la régulation qui s’accrochent à ses poils. C. H.

110 • S&V Hors Série


Va-t-on créer une “Opep” des forêts ?
Face au “roi pétrole” et son royaume de l’Opep, l’opposition forestière s’organise. Le 26 octobre 2023, à Brazzaville, s’est tenu
le “Sommet des trois Bassins”. Il regroupait les pays des trois plus grandes forêts primaires de la planète : le Congo (Afrique),
l’Amazonie (Amérique du Sud) et Bornéo-Mékong (Asie du Sud-Est). À eux seuls, ces bassins constituent les trois quarts
de la biodiversité mondiale et 80 % des forêts vierges du monde. Des zones menacées par la déforestation liée aux productions
de soja, cacao ou huile de palme, et où près de 11 millions d’hectares ont disparu en 2022. L’alliance du président Lula au Brésil
et d’Antonio Guterres (Onu) devrait permettre de lutter contre ce phénomène en mettant en commun les ressources et, surtout,
en stoppant l’effet de “fuite”, à savoir l’habitude des entreprises de délocaliser la déforestation d’un de ces pays à un autre. A. D.

COMMENT RÉENSAUVAGER
LA VILLE ?
“Il suffit de laisser pousser les plantes”, assène Boris Presseq, botaniste
spécialiste de l’écologie urbaine au Muséum d’histoire naturelle
de Toulouse. Des exemples, il peut en citer plein, et en premier lieu ces
friches où foisonnent herbes et petites plantes, mais qui sont souvent
considérées comme des dépotoirs : “Le vivant sauvage est respectable, mais
pollué, car on porte un regard biaisé sur ces espaces riches en biodiversité.
Dans ces friches, on peut trouver des oiseaux, des batraciens, des insectes…
Rien que sur la commune de Toulouse, on compte 880 espèces de plantes
sauvages”, explique celui qui parcourt la ville Rose pour inscrire à la craie,
au sol, le nom des plantes sauvages que l’on trouve encastrées dans les
© ROMAN ROBROEK / ALAMY I / HEMIS.FR

trottoirs, gouttières et autres brèches urbaines. Et de citer le classique


pissenlit ; la vigne vierge ; le lierre souvent arraché alors qu’il protège les
arbres de la chaleur ; les nombrils de Vénus qui s’accrochent aux murs
sans effriter la pierre ; l’albizia ; le frêne ; l’acacia et le figuier très rustiques
et économes en espace. Sa recommandation ? Arrêter la surminéralisation
des espaces lors des projets urbains, les plantes et arbres “en pot” et,
© XXX

surtout, “accepter cette nature qui est malmenée aujourd’hui”. A. S.

S&V Hors Série • 111


C’EST
LA FORÊT où seul le gagnant obtiendra sa
HYPERCONNECTÉE place. Chaque postulant devra sur-
De Francis Martin, vivre dans un monde souterrain et
éd. Salamandre, 2022, inhospitalier : le sol. Ne pas se faire
240 p., 19,90 €. dévorer par les taupes, éviter les
Connaître les interactions étroites pièges des mycorhizes, déchiffrer
entre les champignons et les arbres les énigmes de l’atmosphère du
n’a jamais été aussi simple grâce sol… autant d’épreuves à relever. forestiers doivent-ils envisager ?
à ce livre structuré sous forme Une BD scientifique passionnante Quelles essences risquent de dispa-
d’abécédaire. Du A de “amanite” pour découvrir la richesse de ces raître et quelles sont celles qui vont
au Z de “zone de combat”, Francis quelques centimètres de terre que peupler les forêts du XXIe siècle ?
Martin, directeur de recherche nous foulons chaque jour sous
émérite à l’Inrae et auteur de Sous nos pieds. LA FORÊT :
la forêt : pour survivre il faut des HISTOIRE, USAGES,
alliés (éd. Humen Sciences, 2019), FORÊTS, REPRÉSENTATIONS
présente de façon claire et illus- DES RACINES ET ENJEUX
trée la richesse de cet écosystème, ET DES HOMMES De StéphanieThiébault,
aujourd’hui menacé par le change- De Hervé Le Bouler, CNRS éditions, 2023, 384 p., 27 €.
ment climatique. éd. Delachaux et Niestlé, Parler de la forêt réveille les ima-
2022, 240 p., 34 €. ginaires, mais sait-on exactement
SOUS TERRE Hervé Le Bouler met son expérience ce qu’est la forêt ? D’où vient son
De Mathieu Burniat, de forestier au service de la forêt nom ? Qu’est-ce qui constitue cet
avec la collaboration française et des menaces qui pèsent écosystème ? Quels sont les enjeux
de Marc-André Selosse, sur elle, et il apporte des réponses planétaires étroitement liés à elle ?
éd. Dargaud, 2021, aux questions des gestionnaires Stéphanie Thiébault, directrice de
176 p., 21,50 €. des forêts : quels seront les effets recherche au CNRS, a conçu ce
Hadès, dieu des enfers, a décidé de du changement climatique sur les livre comme une suite de chapitres
passer la main. Il organise donc un massifs tricolores ? Quels modes courts, où œuvres d’art, photos et
grand concours façon Squid Game de gestion les propriétaires et les schémas explicatifs accompagnent

C’EST
“Il est vrai que je suis une forêt
pleine de ténèbres et de grands
arbres sombres ; mais qui ne craint
pas mes ténèbres trouvera sous mes
cyprès des sentiers fleuris de roses”
FRIEDRICH NIETZSCHE, PHILOSOPHE, AINSI PARLAIT
ZARATHOUSTRA, 1883.
© SERVICES PRESSE - LIBRARY OF CONGRESS (X2)

“Dans la profondeur de la forêt résonnait un appel,


“Le tigre compte et chaque fois qu’il l’entendait, mystérieusement
sur la forêt, excitant et attirant, il se sentait forcé de tourner
le dos au feu et à la terre battue qui l’entourait,
la forêt compte et de plonger au cœur de cette forêt toujours
plus avant, il ne savait où ni pourquoi ; il ne se
sur le tigre” posait pas la question, mais l’appel résonnait
PROVERBE CAMBODGIEN
impérieusement dans la profondeur des bois”
JACK LONDON, ÉCRIVAIN, L’APPEL DE LA FORÊT, 1903

112 • S&V Hors Série


ÉCRIT
Sardar : il suit le directeur d’une

C’EST zone préservée de la taïga qui se


rend de village en village expli-

DIFFUSÉ quer aux populations nomades


pourquoi elles doivent renoncer à
la chasse traditionnelle aux lynx,
VOYAGE SOUS NOS PIEDS aux loups et aux ours – à suivre
Un film documentaire réalisé par dans Mongolie, le sanctuaire
le récit de l’évolution des écosys- Vincent Amouroux, ZED, 2015, de la taïga. À voir également,
tèmes forestiers et de leurs rela- 84 min. Disponible sur Youtube. les quatre autres épisodes de
tions avec les sociétés humaines. Le monde secret des petites bêtes cette série passionnante : Brésil,
du sol et du sous-sol : ces vers replanter l’Amazonie ; Canada,
À L’OMBRE DES de terre, acariens et autres col- la voie des ancêtres ; Gabon, la
ARBRES : PLANTER LA lemboles qui contribuent, à leur forêt qui soigne et Papouasie-
VILLE POUR DEMAIN échelle, à faire de notre planète un Nouvelle-Guinée, le temps
De Caroline Mollie, havre de vie. Filmé en deux par- des solutions.
éd. Delachaux et Niestlé, ties, ce documentaire hors norme
2023, 208 p., 27 €. donne l’envie furieuse d’aller se LE MYSTÈRE DES RIVIÈRES
Architecte-paysagiste, Caroline promener en forêt, à quatre pattes VOLANTES D’AMAZONIE
Mollie offre ici une ode à l’arbre en et la loupe à la main. Un film documentaire réalisé par
ville et, plus précisément, à l’ombre Pascal Cuissot, 54 min. Accès gratuit
qu’il apporte. Son regard de spécia- GARDIENS DE LA FORÊT sur Arte.tv jusqu’au 7 juillet 2023.
liste de l’urbanisme végétal n’en Une série documentaire en 5 épisodes Les cieux d’Amazonie sont par-
oublie pas, néanmoins, les difficul- de 53 min. Accès gratuit sur Arte.tv courus par de grands courants
tés que ces géants verts posent jusqu’au 20 mai 2027. de vapeur d’eau, surnommés
quand leurs racines s’infiltrent Cinq réalisateurs nous “les rivières volantes” (voir aussi
dans les sous-sols de la ville. Pour emmènent dans un voyage ini- p. 109 de ce numéro). Le scienti-
y remédier, de bonnes pratiques tiatique chez les peuples pre- fique brésilien Antonio Donato
de plantation existent et elle en fait miers vivant aujourd’hui en Nobre a consacré sa carrière à étu-
la démonstration. forêt. Mention spéciale à Hamid dier ce phénomène…

DIT
“Crois-en mon expérience : tu trouveras
quelque chose de plus dans les bois que
© SERVICES PRESSE - SP - BILWISSEDITIONALAMY/HEMIS.FR - FRÉDÉRIQUE PLAS

dans les livres. Les arbres et les rochers


t’enseigneront ce que tu ne pourrais
apprendre des plus grands maîtres”
BERNARD DE CLAIRVAUX, ABBÉ (1090-1153), LETTRE 106 À MAÎTRE
HENRI MURDACH

“Plus la forêt est


diverse, plus elle “Une forêt
interdit l’accès aux
invasifs et plus elle
est d’abord et
trouve les ressorts
à ces changements
avant tout un
particuliers” écosystème”
GILLES BŒUF, BIOLOGISTE STÉPHANIE THIÉBAULT, DIRECTRICE
SPÉCIALISTE DE LA DE L’INSTITUT ÉCOLOGIE ET
BIODIVERSITÉ ENVIRONNEMENT DU CNRS

S&V Hors Série • 113


C’ÉTAIT ÉCRIT
DANS

AU CHEVET
DES ARBRES
APRÈS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE,
LES FORÊTS ONT AUSSI LEURS “GUEULES
CASSÉES”. DES ARBRES ÉVENTRÉS OU
MITRAILLÉS AUXQUELS LES FORESTIERS
VEULENT REDONNER LEUR VIGUEUR PRIMITIVE.
Entre février et décembre 1916, près de 60 millions d’obus
s’écrasent sur le champ de bataille de Verdun. Une “zone
rouge” de la Grande Guerre dont les forêts ont gardé les
stigmates : balles et mitraille piégées dans les écorces, obus
enfouis dans les sols. Au lendemain de la Première Guerre
mondiale, les forestiers tentent de sauver les arbres encore
debout, car, disent-ils, “on se rend actuellement compte
de la nécessité qui s’impose de préserver par des mesures
conservatoires les essences qui nous restent”. Et parmi
ces mesures, il y a “la chirurgie des arbres” que présente
cet article paru dans La Science et la Vie en février 1919. Ce
traitement nécessite de bien observer l’arbre touché afin
d’ajuster les soins à apporter et, “en premier lieu, élaguer
les souches et les branches mortes ou inutiles”. Mais les
choses sérieuses commencent lorsque les branches pré-
sentent des crevasses, car il faut alors placer sur chacune
d’entre elles “des attelles de bois qu’on attache soigneuse-
ment avec de la ficelle”, explique-t-on dans le papier. Plus
complexe : le traitement des cavités où le bois pourri doit
d’abord être éliminé pour permettre à l’arbre de cicatriser.
Les blessures sont traitées avec “une pommade antisep-
tique maintenue par une ligature, afin d’empêcher la cavité
de s’agrandir, puis on remplira celle-ci de ciment”. Le tout
est ensuite consolidé avec des clous et du fil de fer. Un
peu barbare ? L’auteur de l’article certifie pourtant que la
cicatrisation s’opère par-dessus le ciment et, au bout de
quelques années, le cambium forme un bourrelet sur les
bords de la blessure, assurant ainsi la survie de l’arbre.
Notons que cette méthode a été abandonnée au début des
années 1980. On se demande bien pourquoi… A. S.

114 • S&V Hors Série


ÉVÉNEMENT
SCIENCE & VIE JUNIOR
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tout compris pour toute une famille avec enfant(s) :
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transport, pension complète, parc Harry Potter, museum...

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* Extrait de règlement : Reworld Media Magazines organise, du 1/02/24 jusqu’au 15/03/24, une loterie intitulée «ticket d’or 35 ans SVJ». Un ticket d’or sera broché dans
chaque magazine SVJ n°414 vendu par abonnement ou en kiosque. Seuls 35 tickets édités seront gagnants. L’attribution des lots se fera par tirage au sort le 20/03/2024.
Le 1er lot est un voyage pour les membres d’un même foyer, à Londres (séjour de 5 jours pour 4 personnes maximum : transport, hébergement, sorties museum, parc Harry
Potter en pension complète). Ce concours est ouvert à tous les résidents de France. Seuls les foyers avec un ou plusieurs enfants mineurs peuvent participer. Une copie
du livret de famille sera demandée. Dans l’hypothèse où un participant gagne un ticket d’or en contravention avec les conditions de jeu précitées et prévues dans le Règle-
ment, son lot ne lui sera pas attribué et restera la propriété de Science & Vie Junior. Pour les participants vivant en Corse ou DOM-TOM, le départ pour Londres sera pris en
charge au départ de Paris. Les gagnants seront déterminés selon les modalités prévues au règlement du concours disponible gratuitement sur le site science-et-vie-junior.fr.
Sous le haut patronage de
Monsieur Emmanuel MACRON
Président de la République

urgence
climatique
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exposition permanente
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En partenariat avec Avec le soutien de En collaboration avec


Ministère de la
Transition écologique
et de la Cohésion
des territoires
Ministère de la
Transition énergétique
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