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N°06

Polytechnique insights

Vivre sans vieillir :


mythe ou réalité ?

LA MORT
À quoi s'attendre (d'après la science)
Immortalité et
transhumanisme

Qu'est-ce qu'une
expérience de mort BONUS
imminente ? Des avatars virtuels
Mettre la vie en pause ? nous survivront-ils ?
Édito

Clément Boulle
Directeur exécutif
de Polytechnique Insights

La mort, quoi de neuf ?


Il est particulièrement difficile d’écrire un numéro (et donc un édito…)
sur ce sujet. C’est risquer de pénétrer maladroitement dans le domaine
des choix personnels, de l’intime et, pour certains d’entre nous, du sacré.
Alors, comme à notre habitude chez Polytechnique Insights, nous avons
tenté de nous en tenir à une approche scientifique de l’objet d’étude. Ainsi,
nous avons découvert qu’une hormone psychédélique est sécrétée au
moment fatal pour faciliter le passage vers l'au-delà. Son administration à des
cobayes induirait un état physiologique similaire à celui des expériences de
mort imminente, caractérisée entre autres choses par la lumière au bout du
tunnel, une impression partagée dont témoignent des milliers de personnes
dans le cadre de recherches sur « l’expérience de mort imminente ».
Mais n’ayez crainte, nous repoussons ce moment chaque jour un peu
plus. Alors qu’il y avait 23 000 centenaires en 1950, l’Humanité devrait en
compter 4 millions en 2050 ! Seront-ils en bonne forme physique et
mentale ? En quête d’immortalité, les transhumanistes de la Silicon Valley
investissent des milliards de dollars dans ce domaine de recherche qu’est
le vieillissement.
Last but not least, dans ce numéro, vous apprendrez aussi que le
compostage est la dernière tendance en matière d’obsèques vertes et qu’un
avatar virtuel pourrait vous survivre. Mais comme nous n’y sommes pas
encore, nous vous souhaitons une bonne lecture de ce 3,14 !

clement.boulle@polytechnique-insights.com
Définir
Qu'est-ce que la mort et
le vieillissement ? ........................................................ 5
Alexis Gautreau, directeur de recherche au CNRS et président du
Département de Biologie de l’École polytechnique (IP Paris)
Clémence Guillermain, docteure en histoire et philosophie des
sciences et chercheuse en postdoctorat à Nantes Université

Mettre la vie en pause…


ou mourir temporairement ...................................... 11
Tania Louis, docteure en biologie et chroniqueuse chez
Polytechnique Insights

Disparaître
Qu’est-ce qu’une
expérience de mort imminente ? ............................ 16
Charlotte Martial, neuroscientifique, chercheuse au Coma Science
Group de l’Université de Liège, directrice des études sur les expé-
riences de mort imminente

Écologie post-mortem :
l’essor des « obsèques vertes » ............................ 19
Martin Julier-Costes, chercheur associé en sociologie à l'Université
Grenobles Alpes spécialisé dans le traitement social de la mort et
des morts

Demeurer
Vivre sans vieillir : Mythe ou réalité ? ................. 25
Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS, chef d’unité à
l’Institut Pasteur et membre de l’Académie européenne des sciences
L’immortalité, une vieille utopie
réveillée par le transhumanisme ........................... 30
Stéphane Charpier, professeur de neurosciences à Sorbonne
Université et directeur de recherche à l’Institut du cerveau de Paris
Cecilia Calheiros, docteure en sociologie spécialiste du
transhumanisme

BONUS
Nos avatars virtuels
nous survivront-ils ? .................................................. 35
Laurence Devillers, professeure en Intelligence Artificielle à
Sorbonne Université et chercheuse au CNRS
PREMIÈRE PARTIE

Définir
Arrêt du cœur, absence d'activité cérébrale,
disparition de l’activité moléculaire... Comment
délimiter un concept comme la mort ?
Définir

Qu'est-ce que la mort


et le vieillissement ?
26 février 2024 12 min. de lecture
avec Alexis Gautreau
& Clémence Guillermain

A
Clémence Guillermain ssocier philosophie et biologie peut paraître curieux.
Docteure en histoire et philosophie Pourtant, de nombreux sujets mobilisent les deux
des sciences et chercheuse en
postdoctorat à Nantes Université disciplines qui sont, en retour, nécessaires à leur
compréhension. La mort en est un parfait exemple. Cette
réalité biologique reste un concept abstrait tant qu’on n’en a pas fait
l’expérience dans nos vies. Mais aussi abstrait soit-il, la mort repose
bien sur une réalité biologique.
Clémence Guillermain, docteure en histoire et philosophie des
sciences et chercheuse post-doctorante à Nantes Université, effectue
ses recherches sur le vieillissement et les interactions possibles
entre biologie et philosophie. Avant de s’orienter pleinement vers la
philosophie des sciences, elle a été élève à l’École polytechnique (IP
Alexis Gautreau Paris), où elle a notamment suivi les cours d’Alexis Gautreau, directeur
Directeur de recherche au CNRS
et président du Département de de Recherche au CNRS et président du Département de Biologie de
Biologie de l’École polytechnique (IP
Paris) l’École polytechnique (IP Paris). Pour être comprise, la mort demande
tant un recul philosophique qu’une observation à l’échelle cellulaire,
leur double expertise nous sera utile.

5
Comment définir un concept aussi vague que présent dans
nos vies ?
Clémence Guillermain
C’est effectivement compliqué comme question, mais je pense qu’il y a de toute
façon une clarification à faire entre ce qu’on appelle la mort, le vieillissement ou
encore la fin de vie. Le philosophe Philippe Huneman a, justement, beaucoup
travaillé sur la philosophie de la mort. Dans son dernier livre1, il écrit que le mot
« mort » désigne, dans de nombreuses langues, au moins trois choses différentes :
un état, un processus et un événement. La mort est l’état dans lequel se trouve
quelque chose qui est mort et qui a donc été vivant. C’est un processus dans le sens
où, à un moment donné, l’organisme commence à mourir et meurt progressivement
jusqu’à être déclaré mort. Et c’est un événement dans le sens où l'on peut identifier,
au moins en théorie, un moment précis où l’organisme meurt. Pour comprendre
ce qu’est la mort, il faudrait à la fois comprendre cet événement et les processus
par lesquels on y arrive. Mais comment les comprendre si même leurs critères de
définition dépendent des États, des continents, ou même des cultures ?
Alexis Gautreau
Ça peut dépendre des cultures. Mais globalement on parle d’absence de pouls, de
respiration et d’électroencéphalogramme plat. Le problème est qu’avec ces critères,
il y a beaucoup de personnes qui ont été déclarées cliniquement mortes et qui sont
« revenues » à la vie. Ce sont les fameuses expériences de mort imminente (EMI),
très impressionnantes, et c’est un aspect que la thèse de Clémence a pu aborder.
Les livres grand public, comme celui du docteur Moody2, rapportent les mêmes
témoignages, par exemple, l’impression de sortir de son corps ou de voir la lumière
au bout du tunnel, quelles que soient les cultures et les croyances des personnes.
Nous aurions tous une hormone psychédélique, la diméthyltryptamine (DMT), qui
serait relarguée au moment fatal et qui nous aiderait à faire le passage, le grand
voyage. Il y a très peu d’études sur la DMT, mais c’est fascinant. L’administration
de DMT induit un état physiologique comparable à celui atteint par les personnes
ayant fait une EMI3. Pourquoi l’évolution aurait-elle façonné un tel système ? Faire
le grand voyage, rassuré ou non, devrait être neutre du point de vue de la sélection
darwinienne. Si cette hypothèse est vraie, ce qui est extrêmement difficile à
démontrer, il doit y avoir malgré tout une autre fonction à cette hormone…
C.G.
C’est là où une question en amène une autre, et les deux ont tendance à se
confondre. Selon Ernst Mayr4, la biologie du XXème siècle repose sur deux
approches principales, avec des méthodes et des questionnements distincts. La
biologie des causes lointaines (biologie évolutionniste) veut comprendre pourquoi
on meurt, mais aussi pourquoi des caractéristiques biologiques comme la mort et le
vieillissement n’ont pas été éliminées par la sélection naturelle. Alors que la biologie
des causes prochaines (fonctionnalistes) se demande comment un organisme meurt,
c’est-à-dire quels sont les mécanismes sous-jacents qui font qu’un individu et ses
organes se dégradent progressivement jusqu’à sa mort.

6
Vers quelle question les recherches actuelles sont-elles
majoritairement orientées ?
A.G.
Les recherches dépendent des appels d’offre et donc des financements. Avant, il
n’y avait que des appels d’offre sur les maladies proprement dites, les cancers, les
maladies cardiovasculaires et neurodégénératives. Depuis une dizaine d’années, un
accent très fort est mis sur le vieillissement lui-même, parce qu’on a compris que
même si l’on avait le remède miracle contre le cancer ou Alzheimer, on mourrait
très vite d’autres choses après. Et donc ce qu’il faut, c’est repousser la mort en
ralentissant le processus de vieillissement. Le but du jeu étant de décaler dans le
temps toutes les maladies liées à l’âge, comme toutes celles que j’ai mentionnées,
pour non seulement vivre longtemps, mais vivre longtemps en bonne santé !

C.G.
Oui, tu fais référence à Robert Weinberg5 qui a montré que, même si l’on parvenait
à guérir tous les cancers (deuxième cause de mortalité en France et aux États-Unis),
on arriverait uniquement à augmenter l’espérance de vie d’environ trois ans.

A.G.
En tout cas, l’objectif de tout temps a été de savoir comment on meurt plutôt que
pourquoi, même s’il y a maintenant tous ces financements consacrés à la longévité.

C.G.
Et le vieillissement, lui aussi, ce processus qui nous mène tous irrémédiablement
à la mort, soulève de nombreuses questions. J’ai beaucoup travaillé dessus, et ne
serait-ce que le définir est compliqué. À partir de quand vieillissons-nous ? Est-
ce à partir de la naissance, de la maturité sexuelle ou bien d’une forme de déclin
qu’il faudrait arriver à identifier ? Des modèles plus récents stipulent que notre
vieillissement débute avec un ou plusieurs événements précis qui peuvent être,
comme l’a montré Michael Rera, un de mes collègues, une augmentation drastique
de la perméabilité intestinale6, par exemple. Ce type de phénomène serait une
indication d’entrée dans une fin de vie.

7
Définir

A.G.
La perméabilité intestinale est une maladie chronique qui stimule énormément
le système immunitaire. On s’attend à ce que tous les organes fonctionnent
moins bien lors du vieillissement. En fait, c’est souvent le système immunitaire qui
fonctionne trop. Il devient moins discriminant et commence à attaquer nos propres
organes. Les maladies « auto-immunes » endommagent les organismes de nos aînés
dans une proportion qui s’est accrue ces dernières décennies. Il semblerait tout de
même qu’il reste possible de repousser, ou de ralentir le vieillissement.
Il y a une intervention toute simple qui fonctionne dans beaucoup d’espèces,
des levures unicellulaires aux mouches, en passant par les vers et les souris. En
restreignant assez drastiquement l’apport alimentaire à l’organisme, chaque espèce
vivra un peu plus longtemps7. Après, plus l’organisme est simple, plus le gain est
élevé. Sur la levure, la durée de vie est multipliée par trois. Sur la souris, on n’est
plus qu’à 50 % de gain. Chez l’homme, ce n’est évidemment pas démontré, car
nous vivons déjà 80 ans en moyenne, et personne n’a fait l’expérience. Mais en
gagnant 50 %, on passerait d’une espérance de vie moyenne de 80 à 120 ans.
Une autre expérience a montré qu’on peut isoler des mutants qui vivent plus
longtemps8. C’est une énorme surprise, parce que d’habitude, les mutants sont
« mal foutus ». Mais la plupart de ces mutants qui vivent longtemps étaient touchés
dans des gènes qui codaient pour des protéines impliquées dans la consommation
de l’énergie apportée par l’alimentation7. Les deux observations vont absolument
dans le même sens. C’est comme si notre métabolisme avait été programmé pour
faire un certain nombre de tours et pour, ensuite, nous faire mourir.

8
Définir

Si un tel programme existe, est-il possible d’intervenir


dessus ?
A.G.
Si ce programme existe, cela signifie qu’il a été conservé et façonné au cours de
l’évolution des espèces. Quel serait l’avantage évolutif de nous faire mourir plus
tôt ? Il semble que le prix à payer pour cette longévité augmentée en restriction
calorique soit au niveau de la reproduction. En fait, si l’on vit avec un métabolisme
réduit, on arrivera certes à ralentir notre compte-tours, mais à côté, nous serons
globalement moins efficaces, et notamment dans les dépenses liées au fait de
trouver un partenaire sexuel, de copuler, de procréer, d’amener ses petits à leur
propre maturité sexuelle. Il y a une certaine logique à nous faire vivre à fond
pendant 40 ans — le temps de faire tout ça — puis que nos capacités se dégradent
lentement. Que nos capacités se dégradent lentement ou rapidement après, cela
reste de toute façon en dehors du champ de la sélection darwinienne.

C.G.
Tout ceci a été conceptualisé par Thomas Kirkwood8, qui a développé une des
trois grandes théories de la biologie évolutionniste sur le vieillissement. C’est la
théorie dite du soma jetable, qui repose sur l’idée que chaque individu disposerait
d’une certaine quantité d’énergie, qu’il choisirait d’allouer préférentiellement,
soit à la survie, soit au maintien de l’organisme, soit à la reproduction ou d’autres
mécanismes. Le choix fait aurait un impact sur les autres.
A.G.
De tout cela, on retient qu’il y a des mutants qui peuvent vivre plus longtemps.
Ces mutants sont dans nos gènes, et nos gènes codent pour des protéines. Or
les protéines sont les cibles des molécules pharmaceutiques. L’effet de longévité
pourrait donc, théoriquement, être reproduit à l’aide d’une molécule ciblant ces
protéines qui régulent notre métabolisme. Aujourd’hui, la preuve de concept est
faite. À l’aide de la rapamycine, on arrive à faire vivre plus longtemps les souris9.

9
C.G.
Je nuancerais un tout petit peu, dans le sens où, si on regarde les grandes études
faites sur la longévité, la part génétique de l’espérance de vie est tout de même
assez réduite10. Par ailleurs, les résultats obtenus sur des espèces comme le
nématode et même la souris paraissent plutôt extraordinaires. Pour le moment,
on garde l’impression que c’est plus complexe, et qu’il reste difficile de trouver un
gène ou un petit nombre de gènes chez les espèces plus développées permettant
vraiment d’améliorer considérablement la durée de vie.

A.G.
Évidemment, je suis d’accord, cela ne reste qu’un espoir pour le moment.
Seulement, ce qui est certain aujourd’hui est le lien avec l’alimentation. Ce qui fait
vivre longtemps, c’est la restriction calorique. Et cela se rapproche beaucoup des
mesures prises pour lutter contre le cancer ou le diabète qu’il faut arrêter de nourrir
avec notamment des apports en sucre disproportionnés. Nous avons certes des
programmes qui nous font mourir à 120 ans, mais ce sont ces mêmes programmes
qui mettent des freins aux multiples tumeurs qui se développent en permanence
chez nous. Le phénomène de sénescence, par exemple, empêche de nombreuses
cellules de former des tumeurs en bloquant irrémédiablement leur prolifération,
mais ces cellules sénescentes sécrètent aussi des molécules inflammatoires qui nous
font vieillir.
On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a de nombreux compromis de ce genre,
et toute la question reste de savoir si on parviendra à exploiter le bon côté de ce
programme sans activer simultanément son mauvais côté… n

Pablo Andres

[1] Huneman, P. (2023). Death: Perspectives from the philosophy of biology. Springer Nature.
[2] « La vie après la vie » de Raymond A. Moody.
[3] Timmermann et al., « DMT models the Near-Death Experience » Front Psychol 2018.
[4] Mayr E. (1961) Towards a New Philosophy of Biology: Observations of an Evolutionist. Cambridge (Mass.) ; London : Harvard
university press.
[5] Robert Weinberg. The Biology of Cancer.
[6] Tricoire,, H., & Rera,, M. (2015). A new, discontinuous 2 phases of aging model: Lessons from Drosophila melanogaster. PloS
one, 10(11), e0141920.
[7] Fontana et al., Science 2010. Extending Healthy Life Span—from yeast to humans. Apr 16;328(5976):321-6.
[8] Kirkwood, T. B., & Holliday, R. (1979). The evolution of ageing and longevity. Proceedings of the Royal Society of London.
Series B. Biological Sciences, 205(1161), 531-546.
[9] Brooks-Wilson, A.Kirkwood, T. B., & Holliday, R. (1979). The evolution of healthy agingageing and longevity. Human genetics,
132(12), 1323-1338. Proceedings of the Royal Society of London. Series B. Biological Sciences, 205(1161), 531-546.
[10] Brooks-Wilson, A. R. (2013). Genetics of healthy aging and longevity. Human genetics, 132(12), 1323-1338.

10
Mettre la vie
en pause... ou mourir
temporairement
26 février 2024 7 min. de lecture par Tania Louis

A
rrêt du cœur, absence Dans les placards de votre cuisine
d'une activité cérébrale, se trouvent peut-être du riz, des
refroidissement du lentilles, des noix, des pommes de
corps et, finalement, terre, des oignons, des pommes…
disparition de l’activité moléculaire Toutes ces structures sont d’origine
au sein de chaque cellule. Même végétale. Autrement dit, elles ont été
Tania Louis
Docteure en biologie et chroniqueuse s’ils ne sont pas simultanés, la mort vivantes. Lesquelles le sont toujours,
chez Polytechnique Insights humaine est marquée par différents bien rangées sur vos étagères ?
éléments caractéristiques. Mais Dans certains cas, la réponse est
déterminer le caractère mort ou évidente, une tige qui s’échappe d’un
vivant d’un organisme n’est pas filet de pommes de terre ou un germe
toujours évident. Il y a des situations qui perce la peau d’un oignon sont
cliniques complexes, des animaux des indices peu subtils. Il y a bien de
qui pratiquent la thanatose, ou la vie dans vos placards. Mais ce n’est
simulation de la mort, pour dissuader pas toujours aussi net : comment
leurs prédateurs. Et de nombreux différencier une lentille morte d’une
organismes peuvent passer par des lentille vivante ?
états qui interrogent notre vision
binaire de la vie et de la mort.

11
Définir

Les graines sont des structures reproductrices,


« La dormance est très
contenant un embryon et des réserves nutritives répandue dans le monde
à l’abri d’un tégument protecteur. Elles sont
capables de se maintenir dans un état d’inactivité
vivant »
apparente jusqu’à ce que les conditions La cryptobiose peut ainsi être considérée
extérieures (température, luminosité, humidité…) comme de la vie à l’état latent, une forme de
déclenchent la germination. Dans l’intervalle, elles mort temporaire, ou comme un troisième état,
ne manifestent pas de signe de vie, mais ne sont différent à la fois de la vie et de la mort2. De fait,
pas mortes pour autant. Elles se trouvent en réalité la physiologie des organismes en cryptobiose est
dans un état de vie extrêmement ralentie qu’on profondément modifiée.
appelle la dormance. Et cet état est réversible :
Il existe plusieurs formes de cryptobioses, liées à
si vous placez des lentilles sur du coton mouillé,
différentes conditions extrêmes. La plus étudiée
elles vont vraisemblablement finir par germer.
est l’anhydrobiose, qui est caractérisée par la
Inutile en revanche de tenter la même chose avec
perte de la quasi-totalité de l’eau d’un organisme,
du riz blanc. Ces graines-là ont été décortiquées
pourtant essentielle au maintien de son intégrité,
et seul le tissu nutritif qu’elles contenaient est
de l’échelle du corps entier à celle des molécules3.
arrivé jusqu’à votre cuisine. Les lentilles vivantes y
Remplacement local de l’eau, transition vers un
côtoient donc du riz mort.
état vitrifié ou protection spécifique de certains
composés, différentes adaptations moléculaires
Ralentir la vie, permettent de tolérer ce changement drastique4.
au point de l’arrêter
La dormance est un phénomène très répandu
dans le monde vivant. Chez certains organismes,
elle est autant systématique que programmée
génétiquement, alors que d’autres ne la
déclenchent que lorsque leurs conditions de
vie deviennent trop défavorables. On parle
également de diapause ou de quiescence pour
désigner certaines formes de ralentissement de
la vie. Comme les plantes à graines, différents
mammifères peuvent par exemple mettre leur
reproduction en pause, les femelles conservant
des embryons sans les implanter tout de suite
dans leur utérus. Ce processus, appelé diapause
embryonnaire1, permet d’adapter les cycles de
vie aux ressources disponibles, qui varient selon
les saisons, et d’assurer à la descendance les
meilleures conditions d’accueil possible.
Chez certains organismes, le métabolisme ne se
contente pas de ralentir : il s’arrête. On dit qu’ils
sont en cryptobiose, c’est-à-dire littéralement
en « vie cachée ». Ils ne sont pas morts, puisque
cet état est réversible, mais ils ne sont plus
manifestement vivants.

12
Définir

Lorsqu’ils sont réhydratés, les organismes


anhydrobiotiques peuvent revenir à la vie, on
parle même de reviviscence. La compréhension
des mécanismes impliqués dans ce phénomène
peut être une source d’innovation pour tous
les procédés de conservation de structures
biologiques par séchage (ou congélation), aussi
bien en médecine qu’en agro-alimentaire.

L’inventivité des micro-


organismes
La cryptobiose existe sur toutes les branches de
l’arbre du vivant. Des animaux en sont capables,
notamment les rotifères, les nématodes et les
fameux tardigrades5, mais aussi des plantes,
comme les mousses et certaines fougères.
Également des lichens, des champignons,
et de nombreux unicellulaires, eucaryotes et
procaryotes. Beaucoup de micro-organismes
peuvent, par ailleurs, former des structures de
résistance, plus ou moins déshydratées, à l’activité
métabolique ralentie voire arrêtée.
Certains champignons et myxomycètes, comme
le blob Physarum polycephalum, traversent les
périodes difficiles sous la forme de sclérotes
desséchés. Les bactéries peuvent se diviser de
façon asymétrique pour produire des endospores
extrêmement résistantes, y compris à la chaleur
et aux antibiotiques. De nombreux protistes,
inclassables unicellulaires eucaryotes qui ne sont ni
des animaux, ni des végétaux, ni des champignons,
forment quant à eux des kystes. Résistantes au froid
et à la dessication, ces structures permettent à de
nombreuses espèces parasites de se disséminer.
Ce qui n’est pas sans rappeler les particules virales,
inertes dans le milieu extérieur, jusqu’à ce qu’elles
rencontrent une cellule à infecter !
Qu’il s’agisse de dormance ou de réelle
cryptobiose avec arrêt du métabolisme (ce qui
n’est pas évident à déterminer en pratique6), ces
états étonnants peuvent devenir de véritables
capsules temporelles, notamment quand ils
sont placés dans des conditions de conservation
favorables. Des kystes ont ainsi été ramenés à la
vie après avoir passé une centaine d’années dans
les sédiments d’un fjord suédois7 ou du fond de la
mer Baltique8.

13
Des mousses ont été ranimées après un millénaire dans le pergélisol
antarctique9. Côté arctique, des nématodes sortis d’un pergélisol daté de
30 000 à 40 000 ans ont repris vie en laboratoire10, ainsi que des rotifères
parthénogénétiques enfouis depuis environ 24 000 ans11. Les plus anciens
virus encore infectieux, tirés de sols gelés sibériens, sont des virus géants
infectant des amibes et flirtent quant à eux avec les 50 000 ans12…

Interroger nos définitions


L’existence de différentes formes de vie ralentie ou à l’arrêt suscite des
débats parmi les spécialistes : où s’arrête la dormance et où commence
la cryptobiose ? La seconde n’est-elle pas qu’une forme extrême de la
première ? Quelles structures rentrent dans quelle catégorie ? Le monde
qui nous entoure est en réalité un continuum, dans lequel il peut paraître
vain d’essayer de distinguer des catégories nettes. Et cela concerne aussi
les notions de vie et de mort. Qu’on privilégie une définition basée sur
les fonctions, les structures, la physico-chimie ou la philosophie, les cas
extrêmes sont précieux pour nourrir nos réflexions.
Peut-on dire que les animaux microscopiques qui ont survécu plusieurs
dizaines de milliers d’années dans des sols gelés y ont « vécu » ? Ont-ils
une durée de vie extrêmement longue, ont-ils été temporairement morts,
ou ont-ils connu un état qui ne relève ni de la vie ni de la mort ? Ces
questions semblent tirées d’œuvres de science-fiction, impliquant de
longs voyages interstellaires, mais elles sont posées par des organismes
qui vivent aujourd’hui sur notre planète. Et il n’y a, pour l’instant, pas de
consensus sur les réponses à leur apporter. n

Tania Louis

[1] Charlotte Cristin. La diapause embryonnaire et sa régulation chez les mammifères, étude bibliographique de 1850 à nos jours. Sciences du
Vivant [q-bio]. 2022.
[2] James S. Clegg. Cryptobiosis — a peculiar state of biological organization. Comparative Biochemistry and Physiology Part B: Biochemistry
and Molecular Biology, Volume 128, Issue 4, 2001, Pages 613-624, ISSN 1096-4959.
[3] Grzyb, T.; Skłodowska. A. Introduction to Bacterial Anhydrobiosis: A General Perspective and the Mechanisms of Desiccation-Associated
Damage. Microorganisms 2022, 10, 432.
[4] Hibshman Jonathan D., Clegg James S., Goldstein Bob. Mechanisms of Desiccation Tolerance: Themes and Variations in Brine Shrimp,
Roundworms, and Tardigrades. Frontiers in Physiology, Volume 11, 2020.
[5] Nadja Møbjerg, Ricardo Cardoso Neves. New insights into survival strategies of tardigrades, Comparative Biochemistry and Physiology
Part A: Molecular & Integrative Physiology, Volume 254, 2021, 110890, ISSN 1095-6433.
[6] Bosch, J., Varliero, G., Hallsworth, J.E., Dallas, T.D., Hopkins, D., Frey, B., Kong, W., Lebre, P., Makhalanyane, T.P. and Cowan. D.A. (2021),
Microbial anhydrobiosis. Environ Microbiol, 23: 6377-6390.
[7] Nina Lundholm, Sofia Ribeiro, Thorbjørn J. Andersen, Trine Koch, Anna Godhe, Flemming Ekelund & Marianne Ellegaard (2011) Buried
alive – germination of up to a century-old marine protist resting stages, Phycologia, 50:6, 629-640, DOI: 10.2216/11-16.1
[8] Anke Kremp, Jana Hinners, Riina Klais, Ari-Pekka Leppänen & Antti Kallio (2018) Patterns of vertical cyst distribution and survival in
100-year-old sediment archives of three spring dinoflagellate species from the Northern Baltic Sea, European Journal of Phycology, 53:2, 135-
145, DOI: 10.1080/09670262.2017.1386330
[9] Esme Roads, Royce E. Longton, Peter Convey. Millennial timescale regeneration in a moss from Antarctica, Current Biology, Volume 24,
Issue 6, PR222-R223, 2014.
[10] Shatilovich, A.V., Tchesunov, A.V., Neretina, T.V. et al. Viable Nematodes from Late Pleistocene Permafrost of the Kolyma River
Lowland. Dokl Biol Sci 480, 100–102 (2018).
[11] Lyubov Shmakova, Stas Malavin, Nataliia Iakovenko et al. A living bdelloid rotifer from 24,000-year-old Arctic permafrost, Current Biology,
Volume 31, Issue 11, 2021.
[12] M, Santini S, et al. An Update on Eukaryotic Viruses Revived from Ancient Permafrost. Viruses. 2023; 15(2):564.

14
DEUXIÈME PARTIE

Disparaître
De la « lumière au bout du tunnel » aux évolutions
des pratiques funéraires, voici ce que la science dit
de la mort.
Disparaître

Qu’est-ce qu’une
expérience de mort
imminente ?
20 février 2024 5 min. de lecture
avec Charlotte Martial

S
e voir en dehors de son Ces phénomènes sont des états
corps, rencontrer des de conscience altérée, et ils
proches décédés, voir peuvent toucher tout le monde,
une lumière au bout sans distinction d’âge, de sexe,
d’un tunnel… Ces images et de croyance ou de non-croyance
sensations sont racontées par des religieuse. L'équipe a ainsi regroupé
personnes qui ont approché la environ 2 000 témoignages du
frontière entre la vie et la mort. Les monde entier, avec une plus
expériences de mort imminente grande représentation des pays
Charlotte Martial
Neuroscientifique, chercheuse au n’ont pas réellement intéressé la francophones et anglophones,
Coma Science Group de l’Université
de Liège, directrice des études sur les
science jusqu’aux années 1970, afin d’obtenir une définition
expériences de mort imminente pourtant elles ne sont pas si rares, plus précise.
et elles disent quelque chose de Les EMI sont des expériences
notre conscience. subjectives riches et intenses,
Après la publication du livre du qui regroupe des éléments
médecin américain Raymond prototypiques clairs : une sensation
Moody, La Vie après la vie , en 1975, de décorporation, la rencontre
les première études scientifiques d’entités, parfois de personnes
ont été publiées. Cependant, décédées, le fait de voir un tunnel
un véritable pic d’intérêt pour avec une lumière au bout. Chaque
ce phénomène a lieu depuis dix expérience est personnelle et
ans. L'équipe du Coma Science unique, mais des dimensions
Group a commencé à étudier les récurrentes sont notables.
expériences de mort imminente il y
a dix ans, avec l’objectif de mieux
comprendre la conscience.

16
« Les expériences sont trop
Ce sont ces aspects prototypiques qui extraordinaires pour être
différencient les EMI d’autres états
subjectifs, comme le rêve, celui-ci étant intégrées dans la vie ensuite. »
variable à l’infini. Habituellement, elles
sont vécues de façon très positive, Le premier travail du Coma Science
malgré le contexte menaçant. Group est donc de déterminer de
façon précise les caractéristiques des
Des conséquences expériences de mort imminente. La
deuxième partie de nos études se
importantes sur la vie des concentre sur la compréhension des
individus potentielles bases neurophysiologiques
Une variété importante d’états peuvent ou cognitives qui peuvent être à
mener à une EMI. Le plus souvent, la l’origine de ces phénomènes.
personne est en mort clinique, donc Alors que se passe-t-il dans le cerveau
en arrêt cardiaque, mais le coma, quand une personne fait cette
les traumas, l’anesthésie, l’AVC sont expérience de mort ? Les chercheurs
parfois à l’origine d’une expérience de en ont une idée plus claire, même s’il
mort imminente. Des individus peuvent reste beaucoup d’études à faire pour le
également vivre ce phénomène dans prouver. Juste après l’arrêt cardiaque,
d’autres contextes où leur vie n’est pas il y a un pic d’activité électrique
en danger : en syncope, dans des états dans le cerveau, qui applique des
méditatifs, lors d’une forte anxiété ou ondes plus rapides dans certaines
d’un orgasme. Par ailleurs, les personnes régions spécifiques dont la région
ayant une propension à vivre des états temporo-pariétale, la zone associée à
dissociatifs sont plus susceptibles d’en la conscience.
vivre. Il peut s’agir par exemple de faire
une action de façon machinale, sans
s’en rendre compte, jusqu’à un état
plus intense, une sensation de sortir de
son corps.
Les expériences de mort imminente
ont des conséquences importantes sur
la vie des personnes, et pour la plupart,
elles sont largement positives. Les
individus rapportent une peur atténuée
de la mort, un état d’esprit plus altruiste,
moins matérialiste et plus tourné vers
le spirituel.
Cependant, 10 à 15 % des témoignages
racontent des conséquences négatives.
Les expériences sont vécues comme
trop extraordinaires pour être intégrées
dans la vie par la suite. Des angoisses,
du stress post-traumatique surviennent
alors. Le nombre d’EMI négatives
pourrait être sous-estimé, car elles ne
sont pas partagées.

17
Le cerveau serait en grande souffrance mais, juste Ceux qui survivent sont ensuite interrogés sur
avant et après l’arrêt du coeur, un pic d’activité ce qu’ils ont vécu. Par ailleurs, l'équipe travaille
électrique permettrait la génération d’une EMI. également avec des substances psychédéliques,
Cela pourrait être un mécanisme de défense ou pour tenter de reproduire des expériences
une façon pour le cerveau de faire face à cette subjectives qui ressemblent aux expériences de
souffrance physiologique. Il y a aussi l’application mort imminente en laboratoire. Des participants
de certaines hormones ou neurotransmetteurs, sains, qui n’ont pas spécialement vécu d’EMI et
comme l’endorphine, qui semble amener cette n’ont pas de troubles particuliers prennent une
sensation de bien-être. Ces explications sont pour dose de diméthyltryptamine (DMT), de psilocybine
la plupart des hypothèses, que les chercheurs ou de kétamine. Dans une étude réalisée avec des
sont en train de tester et nous devrions avoir plus experts en psychédéliques de l’Imperial College
d’informations empiriques dans les années à venir. de Londres, l'équipe a trouvé des chevauchements
importants entre ce que les participants vivent sous
DMT et dans les expériences de mort imminentes
Des effets similaires avec les classiques. Les mêmes images et sensations
psychédéliques reviennent, comme la rencontre d’entités, et le
Pour mieux comprendre sur ce qu’il se passe sentiment d’harmonie avec son environnement.
dans le cerveau lors d’une mort clinique, l'équipe Cependant une différence a été relevée : dans les
mène une étude en salle de réanimation au EMI, les individus ont le sentiment d’être à une
CHU de Liège, où les chercheurs surveillent frontière, celle de la mort en particulier, ce qui est
des patients entre la vie et la mort, avec des moins souvent le cas avec la DMT.
électroencéphalogramme (EEG). Dans l’état actuel de la recherche, une EMI n’est
pas différente d’une hallucination, il s’agirait plutôt
d’un type d’hallucination. C’est une expérience
mentale avec des perceptions qui ne sont pas
associées à l’environnement physique. Néanmoins,
elles sont caractérisées par cette dimension
récurrente, et il y a encore beaucoup d’éléments
inconnus au niveau du cerveau, de la mort et
de la conscience. Cette définition pourrait donc
être remise en cause demain. Nous en sommes
encore au tout début de notre compréhension de
la conscience. Alors qu'expliquer les expériences
de mort imminente nous permettrait de mieux
l'appréhender : d’où elle vient, comment elle
se construit. n

Propos recueillis par Sirine Azouaoui

18
Disparaître

Écologie post-
mortem : l’essor des
« obsèques vertes »
20 février 2024 7 min. de lecture
avec Martin Julier-Costes

Les rites funéraires n’échappent pas à la transition écologique. Tandis que des modes de
sépultures alternatifs vantant la promesse d’un retour à la terre émergent à petits pas, les modalités
traditionnelles d’inhumation et de crémation engagent une réduction de leur impact écologique,
notamment avec des cimetières plus verts.

P
our André Malraux, « la plus belle Ces rites funéraires ont une empreinte écologique
sépulture, c’est la mémoire des non négligeable. Ils génèrent des émissions de
hommes ». La plus écologique, en gaz à effet de serre, consomment des ressources
revanche, reste à déterminer. Nous naturelles et polluent les sols.
sommes ainsi de plus en plus soucieux de l’impact
environnemental de notre mort, mais nous faisons
toujours face à un choix limité. « Seuls deux modes
de sépulture sont légaux en France », explique
Martin Julier Costes, sociologue spécialiste
des questions de fin de vie et de deuil. Il s’agit
de l’inhumation et la crémation. « Il existe bien
une troisième voie, au travers du don de son
corps à la science, précise-t-il, mais très rares
sont les personnes à faire ce choix ». La majorité
(6 sur 10) des sépultures consistent ainsi en des
inhumations. La crémation, quant à elle, gagne
en succès depuis « la fin du XIXe et l’autorisation
de se faire crématiser ». Elle atteint 41 % des
obsèques en 2022 selon l’Association Française
d’Information Funéraire (Afif) et dépasse les 50 %
dans de nombreuses agglomérations.

19
Disparaître

Une des seules études françaises sur Ou l’aquamation, une technique


le sujet, commandée en 2017 par les inverse, qui dissout le corps dans
services funéraires de la Ville de Paris une solution alcaline à 93 °C. « Cette
évaluait à 833 kg de CO2 les émissions méthode est légale en Amérique du
carbone produites par une seule mise Nord, précise le sociologue, mais son
en bière. L’équivalent d’environ 4000 efficacité technique reste à démontrer ».
km en voiture individuelle ou de la D’un élément à l’autre, la terramation
production de 741 litres… de bière. ne mobilise pas de procédés liquides,
mais consiste à « rendre le corps humain
à l’état d’humus ». Un compostage
Des alternatives encore humain autrement dit, qui peut s’opérer
Martin Julier-Costes
Chercheur associé en Sociologie à
l'Université Grenoble Alpes spécialisé
balbutiantes à trois étages différents. Au sol d’abord,
dans le traitement social de la mort Si des solutions plus écologiques avec un procédé d’humusation où le
et des morts
émergent pour rendre hommage aux cadavre est posé sur un lit de broyat,
défunts, aucune n’est encore légalisée puis recouvert de matière organique.
en France. Il existe la promession, une Hors sol ensuite, au travers de ce
initiative suédoise encore balbutiante que propose l’entreprise américaine
et encore non-expérimentée, qui Recompose, avec une décomposition
consiste à utiliser le froid extrême (un du corps en capsules (« récipients de
bain d’azote liquide) pour congeler puis recomposition ») et la création d’un
réduire le corps en poudre. compost en quelques semaines qui

« L'inhumation avec caveau


sera remis à la famille pour qu’elle le
« retourne à la nature », dans un objectif
de revitalisation des sols.

équivaut aux émissions de 5


crémations. »

20
Il existe enfin une technique en sol, c’est-à- Leur démarche est alors motivée par une
dire un enterrement sans cercueil, en linceul certaine cohérence entre la vie, le corps, la
et avec du broyat pour activer et régénérer nature et l’esprit. L’imaginaire du retour à la
les sols. Dans ce cas, « on refait du nouveau terre est ainsi singulièrement présent dans le
avec du vieux, précise Martin Julier Costes, car procédé de terramation, avec l’idée de « créer
le cercueil n’a été imposé qu’à l’époque de un cycle vertueux entre la vie et la mort, en
Napoléon en France ». régénérant la nature » après l’avoir habité un
certain temps. « D’autres cadres mentaux sont
associés à cette dynamique, poursuit-il, à l’instar
Le retour à la terre de l’animalisme, du chamanisme, ou encore de
Pour le chercheur, toutes ces initiatives la nouvelle philosophie du vivant que portent
mobilisent l’imaginaire « de la douceur, (…) des intellectuels comme Philippe Descola ou
des éléments naturels et du retour à la terre ». Baptiste Morizot ».
Mais leur développement ne s’explique pas Parallèlement, le sociologue observe une
seulement par une montée en puissance des individualisation croissante des comportements
aspirations écologiques dans la société. sociaux, qui expliquerait une « montée
« Certaines personnes s’intéressent au destin en puissance de la personnalisation des
de leur corps en s’inspirant des nouvelles obsèques ». Il s’agit d’une nouvelle manière de
spiritualités, notamment celles issues de se démarquer, en organisant « des obsèques
courants orientalistes comme l’hindouisme, la à son image hors des modes classiques de
méditation ou le bouddhisme ». sépultures » trop associés à des dogmes religieux
ou culturels dominants.

21
En attendant la légalisation de certains de ces rites
funéraires écolos, les premières mesures à prendre
pour diminuer l’impact environnemental de nos
obsèques sont à chercher du côté des cimetières.

Du champ de pierres tombales au


jardin de repos
Les espaces sépulcraux français sont en effet
essentiellement gravillonnés et minéraux.
« L’inhumation avec construction d’un caveau et
pose d’un monument, souvent importé du Sud-
Est asiatique, équivaut aux émissions de gaz à
effet de serre de plus de 5 crémations » alertent,
dans leur étude, les services funéraires de la ville
de Paris.
« Nos cimetières deviennent petit à petit des
espaces paysagers et plus verts », observe
Martin Julier Costes, à l’instar de celui du Père
Lachaise à Paris ou de certains autres à Niort,
Versailles, Lyon ou encore Grenoble. Fouines,
renards, chouettes hulotte y évoluent librement
aux côtés de 140 autres espèces animales et
« plus de 220 espèces végétales sauvages (…)
observées de 2010 à 2020 », selon la mairie de
Paris. La récente étude Cimetières vivants, menée
par l’agence de la biodiversité d’Île-de-France,
démontre que ces espaces ont « une capacité
d’accueil intéressante pour la biodiversité ».

22
Disparaître

Celle-ci bénéficierait tant à l’épanouissement de la vie


sauvage, qu’aux habitants (l’effet poumon vert urbain),
qu’à celles et ceux qui y reposent ou aspirent à le faire
en matière d’acceptabilité écologique. Il reste à « faire
adopter cette transformation auprès des agents et des
citoyens, pointe Martin Julier Costes, qui signale que de
plus en plus de collectivités « se saisissent politiquement
du verdissement du funéraire » comme c’est le cas à Lyon.

S’emparer politiquement des


obsèques vertes
Le tableau n’est pas complet et des angles morts
subsistent dans l’analyse de l’empreinte écologique des
obsèques. « Il n’existe par exemple pas d’étude solide,
associant biologie, hydrologie et chimie, pour étudier
les impacts environnementaux de l’inhumation et de la
crémation sur le sol, l’air ou encore le cycle de l’eau, ou
encore concernant la thanatopraxie et les soins associés »,
remarque le sociologue. L’étude mandatée par les
services funéraires de la ville de Paris « est intéressante,
de son point de vue, mais demeure insuffisante ».
Il appelle donc les pouvoirs publics à s’emparer de la
question, afin d’objectiver cet impact environnemental,
pour ensuite prendre les mesures nécessaires au
verdissement du funéraire, et demain — peut-être —
nous lover dans un cocon végétal et laisser le sol disposer
de notre sépulture. Naturellement ? n

Samuel Belaud

[1] Étude sur l’empreinte environnementale des rites funéraires : Inhumation vs crémation, Services funéraires de la Ville de Paris, 2017.
[2] La révolution du cercueil, Faire l’histoire, ARTE, 2021.
[3] Page personnelle de Martin Julier-Costes
[4] Étude « Cimetières vivants » : Résultats de l’analyse des données 2020 et 2022, Agence régionale de la biodiversité, 2024.

23
TROISIÈME PARTIE

Demeurer
Vivre sans vieillir, ou vivre au-delà de la mort
physique, à travers des avatars…
Les progrès technologiques et scientifiques
rapprochent-ils la science-fiction de la réalité ?
Demeurer

Vivre sans vieillir :


mythe ou réalité ?
16 mai 2023 6 min. de lecture
par Pierre-Marie Lledo

D
epuis maintenant quelques
années, d’importantes sommes
sont versées pour revigorer la
recherche biomédicale et mieux En revanche, en devenant réel, cet espoir
comprendre le vieillissement. Ce nouvel soumettrait nos vies, et surtout l’équilibre
engouement complète les efforts consentis de nos sociétés si sensibles à l’évolution
naguère pour appréhender les mystères de la démographique, à des bouleversements
longévité. Puisque globalement la durée de incommensurables. Voyons, sans plus tarder,
vie ne cesse de croître, le défi est d’assurer les aspects scientifiques et sociétaux de cette
une bonne santé à ces années rajoutées. quête de la jeunesse éternelle.
Pour atteindre l’objectif, les scientifiques sont
invités à repousser le mur de la longévité
naturelle1 afin de vivre aisément au-delà de 115
Pourrons-nous vivre en bonne
ans2. Selon les spécialistes du vieillissement, santé, au-delà de la centaine ?
cette quête ne serait plus une utopie comme Croissant au rythme de deux années par
elle le fut jadis à l’époque de Gilgamesh, ou décennie, notre espérance de vie a déjà plus
de Faust. que doublé. Si elle n’était que de 27 ans pour
un homme et 28 ans pour une femme en 1750,
elle s’établit désormais respectivement à 80
ans et 86 ans, en France3. Pour comprendre
ce phénomène spectaculaire, notons qu’il y a
eu d’abord des progrès des plus significatifs
sur les taux de survie des enfants dans les
premières années après la naissance.
Plus précisément, c’est parce que nous
avons su combattre efficacement la mortalité
infantile par la vaccination et les mesures
d’hygiène sous la houlette des travaux de
Louis Pasteur, puis un peu plus tard par l’usage
des antibiotiques grâce aux découvertes
d’Alexander Fleming, que l’espérance de vie
moyenne s’est accrue.

25
Plus récemment, c’est l’âge du
« Au moins 11 % des enfants
décès qui a été la nouvelle cible des nés en France après 2000 peuvent
chercheurs, avec deux objectifs en espérer être centenaires. »
tête : améliorer la qualité de vie des
seniors, et réduire la charge pesant sur Cette start-up s’est même offert le
les systèmes de santé pour maintenir luxe de recruter le prix Nobel de
la stabilité économique et sociale de Médecine en 2012, le professeur
nos sociétés vieillissantes. Shinya Yamanaka4. S’il est aisé de
Or, la recette est plus complexe qu’il comprendre cet engouement, il
n’y paraît. Contrôler les processus est aussi facile d’en apprécier ses
de vieillissement ou, pour être plus conséquences sur l’ensemble des
précis, éviter qu’ils ne menacent acteurs de la recherche.
l’existence des individus, c’est vouloir En effet, cette nouvelle obsession
éviter toutes les maladies qui naissent détourne l’attention des travaux
par l’usure de nos organes : maladies autrefois dédiés au traitement des Pierre-Marie Lledo
neurodégénératives pour le cerveau, maladies liées à l’âge au profit Directeur de recherche au CNRS,
chef d’unité à l’Institut Pasteur et
rhumatismes pour les articulations, d’une meilleure compréhension membre de l’Académie européenne
des sciences
maladies cardiovasculaires pour le des mécanismes du vieillissement.
cœur, etc. Si cet objectif devait être Initiée dans les années 90, cette
atteint, tel le vœu de Dorian Gray, nous recherche prenait comme modèle
resterions alors d’éternels jeunes gens d’étude des organismes simples
en attendant qu’une mort accidentelle comme un petit ver, le nématode
mette un terme à notre existence. Caenorhabditiselegans, ou la mouche
Alors, mythe ou réalité ? à fruits (Drosophila melanogaster).

Biologie du vieillissement,
une science jeune
Nombre d’entreprises qui pressentent
d’immenses bénéfices à venir
investissent dans des laboratoires
dont l’activité est centrée sur l’étude
du vieillissement. Les fondateurs de
Google, Larry Page et Sergey Brin,
ont fait de la fontaine de jouvence
leur quête ultime en créant Calico
Life Sciences et Verily Life Sciences.
Plus récemment, Sam Altman (de
Open.AI) vient d’investir 180 millions
de dollars dans une entreprise qui 2020

tente de retarder la mort, et la start-


up californienne Altos Lab a réuni
plus de 3 milliards de dollars en
2022 pour parvenir à inverser le
vieillissement cellulaire.

2010

2000

1990

26
En étudiant les mécanismes de survie
du nématode exposé à des conditions Il n’a pas été surprenant d’apprendre que
difficiles, Gary Ruvkun découvrit cette chercheuse de renom fut ensuite
l’existence d’une phase léthargique recrutée par Calico pour en devenir sa
nommée « stade dauer ». Cette stase vice-présidente. Depuis ces premiers
permet au nématode de survivre grâce au travaux, une multitude d’études ont
ralentissement de son métabolisme selon été développées par une communauté
un mécanisme semblable à celui qui, chez grandissante de scientifiques afférés à
l’Homme, contrôle la sécrétion d’insuline. repousser la limite de la durée de vie.
À la même époque, une chercheuse en
biologie moléculaire, Cynthia Kenyon,
parvint à doubler l’espérance de vie du
Soigner le vieillissement :
même ver en provoquant une mutation une révolution en sciences
d’un gène impliqué, lui aussi, dans la biologiques ?
production d’un facteur de croissance Le vieillissement est une succession de
analogue à l’insuline.
changements responsables d’altérations
qui s’amoncèlent avec l’âge, mais
il doit être distingué de la maladie.
Proposée initialement dans les années
2010, la biologie du vieillissement
distingue une liste de caractéristiques
comprenant l’instabilité du génome,
le raccourcissement progressif des
télomères, les altérations épigénétiques,
le dysfonctionnement des mitochondries,
une régulation du repliement des
protéines défectueuse, la dérégulation
de la détection des nutriments, la
sénescence cellulaire, l’épuisement du
renouvellement des cellules souches et des
défauts de communication intercellulaire.

&

27
Demeurer

Depuis, d’autres marqueurs se sont rajoutés à Il existe un autre axe de recherche actuellement
la liste, comme l’autophagie compromise, une très en vogue : rendre les processus de
dérégulation de l’épissage, un microbiome vieillissement réversibles. On sait aujourd’hui
perturbé et l’inflammation plus ou moins reprogrammer des cellules pour les rajeunir,
chronique. L’addition de ces nouveaux facteurs, et mon laboratoire, avec d‘autres, ont réussi à
au moins pour les deux derniers, appuie l’idée démontrer que le vieillissement cérébral pouvait
d’une vision holiste de l’humain selon laquelle « être inversé en changeant la composition
le tout est plus que la somme de ses parties »5. sanguine de sujets âgés6.
Nous ne serions qu’un holobionte, c’est-à-dire Aujourd’hui, nous sommes capables de
une entité formée par différentes espèces qui reprogrammer des processus moléculaires pour
cohabitent pour ne former qu’une seule entité rajeunir les cellules nerveuses du cerveau7. Ces
écologique. Autrement dit, nous ne serions le recherches prouvent déjà que des organismes
produit, non pas seulement de nos gènes, mais comme la souris peuvent gagner plus d’un
d’une symbiose mutualiste entre nous (l’hôte) et tiers de leur vie, et conserver une bonne santé
nos invités (le microbiome), et le vieillissement mentale et physique.
dépendrait aussi de cet équilibre fragile.
Dans ce cas, comment se pourrait-il que le Une plus longue longévité, et
microbiome, ou son image-miroir qu’est notre
système immunitaire, contribue à la biologie
après ?
du vieillissement ? Nous savons que le système L’Insee estime qu’en France, au moins 11 %
immunitaire reconnaît les dangers de toutes des enfants nés après 2000 peuvent espérer
devenir centenaires, voire « supercentenaires ».
sortes, grâce à des récepteurs innés qui
Le nombre de centenaires a d’ailleurs explosé
différencient le soi du non soi. Or, les agents
depuis les années 1960 : de 450 à l’époque, on
microbiens, les débris cellulaires ou les nutriments
en décompte aujourd’hui près de 30 000, dont
interagissent avec des récepteurs qui déclenchent
près de 90 % sont des femmes. Les modèles des
la réponse immunitaire innée connue pour démographes prédisent qu’il pourrait y en avoir
réduire l’autophagie. Les pathologies associées treize fois plus en 20608.
au vieillissement correspondent donc à cet état
chronique de dysrégulation de l’autophagie.
Ceci se traduit par l’accumulation de déchets
intracellulaires et d’une réaction inflammatoire
chronique – un processus auto-entretenu qui
aboutirait au déclin de l’organisme.

28
Demeurer

À ces estimations exagérément « Mourir de vieillesse, c’est une mort


optimistes, il convient de rappeler rare, singulière et extraordinaire », écrit
que l’espérance de vie ne progresse Michel de Montaigne dans un essai
pas de façon uniforme sur la planète. consacré à l’âge10. Comme le pensait
En France, elle ne progresse que Montaigne, nous ne connaîtrions plus
très faiblement depuis quelques alors que des morts accidentelles,
années quand elle recule de façon brutales ou bien des morts choisies.
préoccupante aux États-Unis9. Dans ce dernier cas, la mort ne
Depuis les années 70, les progrès en résulterait pas d’une lassitude vis-à-
matière de prévention des maladies vis de la souffrance ou de la maladie
cardiovasculaires ont permis de – puisqu’elles n’existeraient plus –
sensiblement faire reculer la mortalité mais tout simplement de l’ennui, de
en réduisant ce type de maladies, mais la dépression, ou du spleen causé par
aujourd’hui les marges de progression la répétition inlassable et insipide des
de cette prévention sont minimes. jours. Après la promesse scientifique
Leur part dans l’amélioration de d’une éternelle jeunesse, serions-nous
l’espérance de vie devient donc condamnés au suicide assisté ? n
négligeable. Si les progrès scientifiques
peuvent nous laisser espérer un jour Pierre-Marie Lledo
de ne plus mourir de vieillesse, alors
de quoi allons-nous mourir ?

[1] Véritable « mur biologique », la limite naturelle atteinte par la doyenne de l’humanité reste toujours Jeanne Calment –
122 ans et 164 jours.
[2] Les personnes atteignant l’âge de 115 ans sont qualifiées de supercentenaires.
[3] En revanche, l’espérance de vie en bonne santé nous place au 10e rang européen avec 64 ans pour les hommes et 65
ans pour les femmes.
[4] Chercheur japonais qui a démontré que l’on peut reprogrammer des cellules, à l’aide d’un cocktail de quatre gènes
seulement, pour en faire des cellules embryonnaires.
[5] Une maxime que l’on attribue au philosophe et polymathe Aristote (384–322 av. J.-C.).
[6] Moigneu C, Abdellaoui S, Pfaffenseller B, Wollenhaupt-Aguiar B, Chiche A, Kuperwasser N, Pedrotti Moreira F, Li H, Oury
F, Kapczinski F, Lledo PM et Katsimpardi L (2023). Systemic GDF11 attenuates depression-like phenotype in aged mice via
autophagy, Nature Aging 3, 213–228.
[7] Katsimpardi L, Kuperwasser N, Camus C, Moigneu C, Chiche A, Tolle V, Li H, Kokovay E et Lledo P M (2019). Systemic
GDF11 stimulates the secretion of adiponectin and induces a calorie restriction-like phenotype in aged mice. Aging Cell
e13038.
[8] Cependant, l’espérance de vie dans l’Union européenne diminue pour la deuxième année consécutive, après une baisse
plus importante entre 2019 et 2020. Par rapport à 2020, l’espérance de vie des femmes et des hommes a diminué de 0,3 an.
En 2021, l’espérance de vie est de 82,9 ans et de 77,2 ans pour les hommes. L’espérance de vie à la naissance la plus élevée
a été enregistrée en Espagne (83,3 ans), en Suède (83,1 ans), au Luxembourg et en Italie (82,7 ans chacun), tandis que la
plus faible a été observée en Bulgarie (71,4 ans), en Roumanie (72,8 ans) et en Lettonie (73,1 ans).
[9] La fréquence de l’obésité, des décès dus à la dépendance aux opioïdes, ou un accès aux soins très inégalitaire font que
les Etats-Uniens vivent en moyenne, quatre ans de moins que les Français.
[10] « Mourir de vieillesse, c’est une mort rare, singulière et extraordinaire et d’autant moins naturelle que les autres ; c’est la
dernière et extrême sorte de mourir ; plus elle est éloignée de nous, d’autant est-elle moins espérable ; c’est bien la borne
au-delà de laquelle nous n’irons pas, et que la loi de nature a prescrite pour n’être point outrepassée ; mais c’est un bien
rare privilège de nous faire durer jusque-là. » Michel de Montaigne, « De l’âge », Les Essais, 1595.

29
L’immortalité, une
vieille utopie réveillée
par le transhumanisme
20 février 2023 7 min. de lecture
avec Stéphane Charpier
& Cecilia Calheiros

Du « coma dépassé » au « téléchargement de l’esprit » projeté par les transhumanistes,


la frontière entre la vie et la mort ne cesse de se parer de mystères. Mais face aux
espoirs d’immortalité qu’ils suscitent, se dressent les limites de la réalité scientifique
et de la condition humaine. Les récentes avancées en neurosciences réprouvent ainsi
cette aspiration à tuer la mort, qui tient davantage de l’idéologie que d’un projet
techno-scientifique sérieux.

L
es récentes révolutions Pour lui, il s’agit d’un « concept
scientifiques en primaire » qui ne prend son sens
intelligence artificielle, en qu’en opposition (« en négatif ») à
génétique, en biologie la vie. C’est pourquoi son travail
et en neurosciences, conjuguées consiste à « étudier la mort en tentant
à l’émergence du transhumanisme de comprendre ce qui se passe dans
(courant qui défend l’idée d’un un cerveau qui est encore vivant ».
dépassement de la condition L’idée qu’un être humain dont le cœur
humaine), ont ainsi remis la quête de bat est forcément vivant demeure Stéphane Charpier
Professeur de neurosciences à
l’immortalité sur le devant de la scène, largement partagée. Sorbonne Université et directeur
de recherche à l’Institut du cerveau
ou du moins d’un prolongement Pourtant, en découvrant le coma de Paris
substantiel de la vie. Mais avant de dépassé1 au milieu du 20e siècle,
comprendre comment et pourquoi Pierre Mollaret et Maurice Goulon ont
repousser la mort, encore faut-il démenti ce principe et « engendré,
savoir la définir. selon Stéphane Charpier, un nouveau
Et la question n’est pas si simple : statut de l’existence humaine », en
« la mort, en tant que scientifique, décrivant la possibilité d’avoir un
je ne sais pas ce que c’est », avoue cadavre au cœur battant, mais dont
Stéphane Charpier, Professeur le cerveau est détruit.
de neurosciences à Sorbonne
Université, directeur de l’équipe Cecilia Calheiros
Docteure en sociologie spécialiste du
Neurosciences du Cerveau (Inserm, transhumanisme
Hôpital Pitié Salpetrière).

30
Les deux réanimateurs ont en fait conceptualisé les premiers le principe de mort cérébrale. Ils
définissaient ce statut comme un « coma dans lequel se surajoute à l’abolition totale des fonctions de
la vie de relation (ndlr - absence de réactivité musculaire et nerveuse), non des perturbations, mais une
abolition également totale de la vie végétative (ndlr - absence de respiration spontanée) ».
Ce faisant, la vision cardiocentrée de l’existence n’a plus lieu d’être et, du point de vue médical, ce qui
fait qu’un être humain n’est pas mort, ce n’est plus son cœur qui bat, mais son cerveau qui vit. Depuis
2012, l’OMS emprunte également ce point de vue cérébral dans sa définition de la mort : « la disparition
permanente et irréversible de la capacité de conscience et de toutes les fonctions du tronc cérébral ».

L’onde de la mort n’est pas fatale Il n’en fallait pas moins pour attiser la curiosité
Courant 2011, ennuyé par une présentation du neuroscientifique et d’embarquer son équipe
scientifique au cours d’un colloque, Stéphane Inserm à l’Institut du Cerveau (Hôpital Pitié
Charpier préfère la lecture d’un article publié dans Salpetrière à Paris) dans un projet visant à étudier
la revue Plos One5, dont le titre mentionne une ce phénomène plus en détail.
mystérieuse « vague de la mort » (Wave of Death). « Nous avons abandonné le principe de
Les auteurs y évaluent l’activité cérébrale qui décapitation et mis en place un protocole
se produit au moment de la mort, « en étudiant permettant d’éteindre le cerveau, puis de le
ce qui se passe dans le cerveau d’un rat avant, réanimer ensuite, tout en étudiant l’activité
pendant et après une décapitation », précise-t- cérébrale à l’aide de microélectrodes insérées
il. Et comme attendu : « ils constatent que cette dans les neurones de notre modèle », résume
activité s’éteint très vite, mais qu’après quelque le chercheur.
temps une onde gigantesque apparaît sur Après avoir confirmé le phénomène neuronal
l’électroencéphalogramme devenu plat ! » C’est d’onde de la mort, les chercheurs ont assisté, au
ce que ces chercheurs néerlandais ont appelé moment de réanimer les modèles, à l’apparition
« l’onde de la mort », suggérant qu’il s’agit du « d’une deuxième onde ! (…) Un signe électrique
dernier signal qu’un cerveau produit avant de du retour en vie du cerveau », qu’ils ont nommé
définitivement s’éteindre. « onde de la réanimation ». Les scientifiques ont
ainsi caractérisé deux marqueurs neuronaux qui
permettent de décrypter la frontière entre la vie
et la mort. Il manque encore des paramètres
pour définir précisément la mort d’un point
de vue neurophysiologique, mais leurs travaux
permettent d’attribuer une signature à deux états
distincts : « je suis peut-être en train de mourir » et
« je suis en train de revenir ».
Un électroencéphalogramme plat ne signifie
donc pas forcément que tout est fini, ce qui
fait dire à Stéphane Charpier que « la mort est
une asymptote ». Une courbe dont le point de
convergence avec la ligne de fin est un horizon
plus qu’indécis. n

31
Demeurer

Un être humain est donc considéré comme « Le transhumanisme aspire à la fin de l’humain
vivant dès lors que son cerveau est capable tel qu’il existe et l’avènement d’un nouveau,
de générer « un bruit de fond électrique » résume-t-elle, qui sera soit immortel, soit amortel,
rappelle Stéphane Charpier. Ce phénomène, selon que vous soyez un transhumaniste nord-
qui résulte de l’activité spontanée et américain ou français. » Par amortel, comprenez
endogène du cerveau, est mesurable à un être humain dont la durée de vie en bonne
l’aide d’un électroencéphalogramme ou de santé est considérablement prolongée, sans
microélectrodes que les scientifiques insèrent à pour autant être éternelle. En somme, le projet
l’intérieur des neurones. transhumaniste revient à proposer une société
où « la condition humaine s’émancipe de ses
limites biologiques ».
L’immortalité, l’horizon
permanent du transhumanisme L’illusion de l’éternel
L’étude électro-neuronale permet aux À en croire les personnes qui se réclament de ce
chercheurs de « différencier trois dimensions courant, l’immortalité n’est pour l’instant qu’un
physiologiques de l’existence : vivant, éveillé « point à l’horizon ». Pour l’atteindre, certains
et conscient », auxquelles correspondent transhumanistes3 plaident pour une approche
des signatures électriques particulières. Ce biologique du contre-vieillissement (ou
triptyque qu’énonce Stéphane Charpier, par « longévisme ») avec pour objectif de stopper,
ailleurs auteur de La science de la résurrection voire d’inverser le processus de sénescence.
(2020)2, permet de comprendre que « ce qui D’autres croient que la « vraie liberté consiste
fait qu’un être humain n’est pas mort, ce à se détacher de son enveloppe corporelle »,
n’est plus seulement son cœur qui bat, ni affirme la chercheuse.
sa capacité à respirer spontanément, mais
bien son aptitude à produire une expérience
subjective consciente. »
Alors, si la mort coïncide avec l’incapacité
d’être conscient, la quête d’immortalité chère
aux transhumanistes revient-elle à continuer
de faire vivre notre cerveau après que notre
corps nous ait lâché ? « Pas seulement », répond
Cecilia Calheiros, sociologue spécialiste de la
santé et des religions qui a consacré sa thèse
de doctorat à ce sujet.

32
Demeurer

Dans ce cas, l’essence de l’existence est située dans le cerveau,


dont il faudrait préserver les souvenirs et le fonctionnement « pour
le rendre impérissable » en le cryogénisant comme ce que propose
Alcor Life Extension Foundation aux États-Unis, ou par des procédés
de téléchargement de l’esprit4. À défaut de tendre vers le domaine du
possible, ces méthodes présentent l’avantage d’alimenter l’imaginaire
de nombreux artistes et auteurs de science-fiction.
Illusoire donc ? « Sans aucun doute » lâche Stéphane Charpier. Selon
lui, « le projet transhumaniste est une fable métaphysique. On peut
augmenter ses capacités d’existence, corriger des défauts, suppléer
certaines faiblesses, mais augmenter l’humain en tant qu’entité ou
cryogéniser son cerveau, relève tout simplement de la chimère. » Le
neuroscientifique reconnaît la capacité des humains à produire des
réseaux de neurones artificiels, à « bricoler des cerveaux », mais il
considère inimaginable qu’une machine puisse produire, ni même
répliquer les processus neuronaux qui sous-tendent la subjectivité.

Les moyens justifient la fin


Finalement, le caractère novateur du transhumanisme ne réside pas
dans la quête de la vie éternelle. « Ce qui est inédit, c’est d’affirmer que
cette immortalité est plausible, grâce à un discours basé sur les avancées
techno-scientifiques.
Les objectifs transhumanistes parviennent ainsi à convaincre des acteurs
présents dans des sphères clés de nos sociétés : industrie, recherche,
santé, etc. », pointe Cecilia Calheiros. Par conséquent, le transhumanisme
est, selon elle, « l’expression la plus exacerbée qui soit de la société
néolibérale, qui intime à chacun d’être la meilleure version de soi-même
et d’améliorer sans cesse ses compétences ». La sociologue considère ce
mouvement « avant tout comme une idéologie, qui renforce un pouvoir
déjà présent ».

33
Dans le contexte transhumaniste, l’adage qui veut que la fin justifie les moyens
ne tient donc plus, puisque cette fin (la mort) est appelée à disparaître.
Le mythe transhumaniste repose alors sur un mouvement inverse où les
moyens (les technosciences) justifieraient une nouvelle fin (l’immortalité/
l’amortalité). L’ambition est « une maîtrise infinie du monde » et des
conditions biologiques de l’existence, qui ramène les transhumanistes au
mythe de Frankenstein, selon Stéphane Charpier. Pour lui, « avec ce roman,
Mary Shelley écrit le premier texte transhumaniste. Elle imagine un corps fait
de fragment de cadavres qui vit et accomplit le rêve des transhumanistes :
priver l’être humain de la mort. »
Les quêtes de l’immortalité et de la longévité jalonnent l’Histoire de l’humanité
depuis ses prémisses. Elles se concrétisent au travers d’innombrables
mythes relatant des mortels ayant osé aspirer à l’immortalité des dieux
et condamnés en retour à des supplices (Prométhée, Icare etc.). L’essor
du transhumanisme est une réactualisation moderne de cette ambition.
Inachevable, ce mouvement se heurte au mur de l’objectivité et de la
démarche scientifique. « Peut-on être conscient sans avoir de corps ? Est-ce
qu’une machine peut réellement produire de la subjectivité ? » questionne
rhétoriquement Stéphane Charpier, en guise de conclusion.
Tant qu’aucun transhumaniste ne peut apporter de démonstration objective
ou la preuve que c’est possible, la mort demeurera l’horizon partagé de
chacun d’entre nous. n

Samuel Belaud

[1] P. Mollaret, M. Goulon, Le coma dépassé (mémoire préliminaire), 1959.


[2] S. Charpier, La science de la résurrection, 2020.
[3] longlonglife.org/fr/
[4] Kurzgesagt – In a Nutshell, Can you upload your mind & live forever ?
[5] van Rijn CM, Krijnen H, Menting-Hermeling S, Coenen AM. Decapitation in rats: latency to
unconsciousness and the 'wave of death'. PLoS One. 2011 Jan 27;6(1):e16514.

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Nos avatars virtuels
nous survivront-ils ?
07 févrirer 2024 5 min. de lecture
avec Laurence Devillers

Q
ue deviennent les Beaucoup d'entreprises peuvent
données numériques désormais proposer de transformer
d’une personne après l’héritage numérique d’un individu
sa mort ? en avatar virtuel ou « deadbot », qui
Une grande partie lui survit dans permettrait d’échanger avec des
l’espace numérique, comme proches disparus, promettant ainsi
les profils créés sur des sites une certaine immortalité virtuelle.
internet ou des réseaux sociaux. Déjà en 2017, Microsoft avait
Laurence Devillers Cela donne lieu à une utilisation déposé un brevet, obtenu quatre
Professeure en Intelligence
Artificielle à Sorbonne Université et mémorielle du web, à l’image ans plus tard, pour la création d’un
chercheuse au CNRS des pages Facebook. Depuis des agent conversationnel à partir des
années, la plateforme propose, données d’une personne.
en effet, de transformer le compte Il s’agissait donc de mettre au
d’une personne décédée en page point un double virtuel pour faire
commémorative, permettant ainsi « revivre » les personnes décédées.
de s’y recueillir, d’y laisser des « De tout temps, on a voulu être
messages, des photos, etc. invincible, immortel. Ça fait partie
Aujourd’hui, la possibilité de de nos mythes fondateurs, personne
sauvegarder numériquement des n’a envie de mourir. Puis un avatar
morts franchit une nouvelle étape virtuel du défunt, chatbot ou robot,
avec l’intelligence artificielle. par personne, économiquement,
c’est intéressant », explique la
chercheuse et professeure en IA,
Laurence Devillers.

35
Demeurer

Depuis, une véritable économie s’est Deepbrain AI propose un service nommé


mise en marche. En 2018, James Vlahos Re;memory. Pour 10 000 dollars, on crée un
entraînait un chatbot pour qu’il parle à la avatar virtuel reproduisant les visages, les
manière de son père, décédé d’un cancer. voix, les expressions de la personne décédée,
Ce journaliste américain avait accumulé les que les proches peuvent venir voir dans un
données, interrogé son père et enregistré studio. Somnium Space veut aller encore
sa voix. James Vlahos a ensuite cofondé la plus loin, en créant un métavers dans lequel
plateforme HereAfter AI, décrite comme les utilisateurs peuvent se plonger pour aller
une « application de mémoire interactive ». à la rencontre des personnes décédées.
L’objectif est de collecter les histoires,
souvenirs, et enregistrements d’une
Créer un avatar virtuel à
personne de son vivant pour s’entretenir avec
virtuellement, après son décès, à travers un partir de milliards de données
chatbot. De nombreuses startups proposent Ces technologies sont permises par une
ainsi de créer des doubles numériques qui avancée rapide des systèmes d’IA générative.
survivent à la mort. Les agents conversationnels, qui détectent
de la parole, qui font des interprétations
sémantiques et qui enclenchent des réponses
selon ce qui a été détecté, sont communs
sur internet.

36
Ces « deadbots » sont basés sur des milliards de Cependant, ces « deadbots » resteront des
données, pour générer des phrases et répondre représentations imparfaites des individus. « Dans
comme si une personne dialoguait. On utilise l’état actuel de la technologie, on peut arriver à un
ainsi les enregistrements vocaux d’une personne, stade assez élevé d’imitation, de ressemblance,
les e-mails et textos qu’elle a pu écrire, ses sans doute dans la voix, peut-être dans le
témoignages et son histoire pour créer un vocabulaire, mais ce ne sera pas parfait. Il y aura
chatbot, une sorte d’avatar virtuel. des hallucinations, la machine va forcément faire
« La machine apprend les régularités dans les des erreurs et inventer des propos », prévient
données existantes du défunt. Les IA génératives la chercheuse.
permettent de modéliser d’immenses corpus qui
peuvent être ensuite adaptés à une personne et à
une voix. L’IA va chercher dans ce grand modèle
des informations en lien avec le thème évoqué
par l’utilisateur. L’IA produit ainsi des paroles que
la personne décédée n’aurait peut-être jamais
énoncées », détaille Laurence Devillers.
Ces algorithmes vont donner l’illusion de
discuter avec une personne décédée. Mais la
spécialiste de l’IA insiste sur le fait qu’il s’agit
bien d’une illusion. Les start-ups proposant ces
services présentent une sorte d’immortalité, ou
de prolongation de la mémoire d’une personne
décédée, en reproduisant sa voix, sa manière de
parler, son apparence.

37
Demeurer

La machine fonctionne, en effet, comme une En réalité, elle prend un historique de ce qu’on a
moulinette statistique. L’IA crée des puzzles dit au fur et à mesure, l’enrichit avec ses réponses
à partir des mots prononcés par la personne. et les questions qu’on a posées. C’est de plus en
Quand il n’y a pas de données, elle peut regarder plus précis. On pourra peut-être demain avoir des
des données proches et faire émerger des propos objets qui vont s’adapter à nous, mais ce n’est pas
qui ne sont pas forcément ce que la personne le cas aujourd’hui », indique Laurence Devillers.
aurait dit. Par ailleurs, l’IA ne s’adaptera pas au fil
du temps et des conversations avec l’utilisateur.
« Le cœur du modèle est très riche de différents Des risques importants pour les
contextes, donc on a l’impression que la machine utilisateurs
va plus ou moins s’adapter à nous, quand on pose Il ne s’agit donc pas réellement d’immortalité,
une question. mais ces « deadbots » semblent plutôt être des
façons de faire vivre des souvenirs, que l’on peut
venir consulter, et avec lesquels on peut interagir.
Les concepteurs de ces technologies affirment
que cela peut non seulement aider à en savoir plus
sur nos ancêtres, mais aussi à faire notre deuil.
Or, il n’est pas si certain que ces outils soient
entièrement bénéfiques pour leurs utilisateurs.
Dans son rapport de 20211, co-rédigé par
Laurence Devillers, le Comité national pilote
d’éthique du numérique (CNPEN), pointait déjà
les risques des chatbots classiques, tels que ceux
utilisés sur des sites internet marchands. Quand les
utilisateurs n’ont pas réellement conscience qu’ils
s’entretiennent avec des robots, il y a un risque
d’anthropomorphisme ou bien d’attachement à
la machine.

38
Demeurer

Pour Laurence Devillers, ce danger


pourrait être amplifié si le chatbot reprend
les anecdotes, les expressions, la voix ou
le visage d’une personne proche défunte.
« Cela pourrait rallonger le processus
de deuil et faire perdurer le manque, la
souffrance, parce que l’objet est là. Cela
floute le rapport à la machine. Et on ne peut
plus les éteindre, car elles représentent
quelqu’un qu’on aime », craint-elle.
Le risque est d’autant plus grand que la
machine n’a pas vraiment de raisonnement
ou de moral. Ainsi, pour les deadbots,
le rapport pointe un possible « effet de
“vallée de l’étrange” pour l’interlocuteur :
soit le chatbot profère des propos
offensants, soit, après une séquence de
répliques familières, il débite une phrase
totalement différente de ce qu’aurait pu
dire la personne imitée ».
Cet effet pourrait induire un « changement
psychologique rapide et douloureux »,
craignent les auteurs. Laurence Devillers
évoque également une possibilité
d’addiction à ces plateformes, avec
un risque de retranchement individuel
et d’isolement.

La nécessité d’une réflexion


collective sur ces outils
Au-delà des inquiétudes sur les effets
psychologiques que pourraient avoir ces
technologies sur les utilisateurs, se pose
la question des données. En effet, pour
arriver à créer ces avatars virtuels, les
systèmes d’IA ont besoin d’énormément
de données provenant des défunts.
Pour l’instant, la loi pour une République
numérique de 2016 prévoit la possibilité de
donner des directives sur la conservation,
l’effacement ou la communication de ses
données, et de désigner un autre individu
pour les exécuter.

39
Mais si ces deadbots se multiplient, le
recueil, la conservation et l’utilisation
des données des défunts posent des
questions : est-ce que les enfants peuvent
avoir des droits sur les données ? L’avatar
et ses données ont-ils une date limite
d’existence ? Laurence Devillers explique
que dans les plateformes existantes, il
s’agit d’un contrat entre l’industriel et
l’utilisateur, et qu’il revient, pour l’instant,
à ce dernier de vérifier le futur de ses
données personnelles.
Le marché des deadbots en est à ses
débuts, et il n’est pas encore sûr que
les utilisateurs s’emparent massivement,
au quotidien de ces outils. Cependant,
les services d’avatars virtuels se
multiplient ces dernières années. Avec
le développement des objets connectés,
ces robots conversationnels pourraient
prendre de la place dans nos vies. Pour
Laurence Devillers, il faudrait organiser
une réflexion collective sur ces outils. « Ce
n’est pas forcément négatif ou positif, mais
je pense qu’en tant que société, nous ne
sommes pas encore prêts », affirme-t-elle.
Il s’agirait ainsi d’éduquer les utilisateurs,
pour comprendre les enjeux et les risques
de ce monde artificiel. Laurence Devillers
plaide également pour la création
d’un comité établissant des règles afin
d’encadrer ces pratiques. « Tout ça a une
incidence sur la société et il est donc
urgent qu’on y réfléchisse réellement,
au lieu de laisser quelques industriels
décider », conclut la professeure. n
Sirine Azouaoui

[1] Rapport du Comité national pilote d’éthique du numérique sur les


agents conversationnels, 2021

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