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Ponte alle Grazie, une maison d’éditions du groupe
Adriano Salani Editore
© 2009 Adriano Salani Editore, S.p.A.
pour l’édition originale en italien, Problem solving strategico da tasca

© Enrick B. Editions, 2015, Paris


pour la traduction et l’édition en langue française

ISBN : 978-2-35644-097-6

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

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INTRODUCTION

S’il y a un problème,
il existe forcément une solution

On raconte que, durant sa grande expédition vers l’ Orient, Alexandre le


Grand fut confronté à une forteresse inexpugnable se dressant dans les
montagnes du P akistan actuel. Celle-ci apparaissait comme un obstacle
insurmontable au premier coup d’ œil : une citadelle située à plus de 2000
mètres d’ altitude, s’ élevant entre deux pics plus élevés encore, dont les
parois lisses étaient infranchissables. La seule voie d’ accès consistait en un
sentier aussi étroit qu’ impraticable passant entre les montagnes et menant à
l’ entrée de la forteresse.

Alexandre comprit l’ extrême difficulté de l’ opération et, au lieu de


lancer une attaque ou de se préparer à un siège, il fit installer son camp puis
convoqua ses généraux et ses nombreux conseillers. Le grand conquérant
était accompagné non seulement de militaires, mais aussi de savants,
d’ ingénieurs, de scientifiques… et de son maître de rhétorique. Ils
analysèrent ensemble le problème à la recherche de la meilleure solution.
Rapidement, ceux qui formaient ce que je définirais avec ma terminologie
comme l’ « équipe visant à définir la Stratégie de résolution du
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problème » , parvinrent à la conclusion que le seul moyen de s’ emparer de
la citadelle consistait à l’ attaquer par le haut, puisque tout assaut venu du
bas serait inéluctablement voué à l’ échec. En conséquence d’ une telle
conclusion, l’ attention se porta désormais, non plus sur la façon de
conquérir la citadelle, mais sur ce qui permettrait d’ atteindre les sommets

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dominant celle-ci. Il fallait trouver le moyen d’ escalader des parois
verticales, aussi lisses que la glace. En imaginant la réalisation d’ un tel
projet, l’ « équipe » parvint à la conclusion qu’ il faudrait construire une
série de prises auxquelles s’ accrocher durant l’ escalade. C’ est alors
qu’ Alexandre le Grand eut l’ idée géniale de prendre les piquets utilisés
pour les tentes et de les fixer dans la paroi à intervalles réguliers afin de
constituer une succession de prises permettant l’ escalade. Et ce n’ est pas
tout. Les piquets ayant été forgés avec un anneau, la corde fut passée dans
les anneaux afin d’ assurer la montée. P our nous résumer, Alexandre et son
« équipe stratégique » inventèrent l’ escalade en cordée, utilisée de nos
jours encore par les alpinistes pour grimper le long de parois de prime abord
infranchissables.
Grâce à cette invention, un groupe formé des meilleurs soldats
d’ Alexandre monta jusqu’ à l’ un des sommets dominant la citadelle. Il fit
alors appeler le régent et l’ invita à tourner son regard vers le haut alors que,
pendant ce temps, les soldats décochaient une série de flèches qui tuèrent
ses gardes.
Totalement sidéré, le régent se rendit et remit les clés de la forteresse à
Alexandre le Grand en déclarant que seul un être supérieur avait pu faire
grimper ses soldats à une telle altitude et qu’ il n’ était pas de force pour
combattre une divinité.
Ce fut ainsi que, une fois encore, Alexandre parvint à remporter une
bataille sans combattre, contraignant l’ adversaire à la reddition, grâce à sa
démonstration « magique » de puissance sans pareille.

Ce récit constitue un exemple extraordinaire de Stratégie de résolution


de problème, c’ est-à-dire de l’ art de trouver des solutions à des problèmes
impossibles à résoudre selon une logique ordinaire, en recourant à des
expédients qui heurtent le bon sens et offrent des possibilités jusqu’ alors
inaccessibles, car prisonnières de schémas rigides.

Face à un problème apparemment insoluble, Alexandre le Grand et ses


conseillers ont d’ abord redéfini les spécificités de la situation, puis
identifié tous les modes de résolution irrémédiablement voués à l’ échec, en
excluant par là-même d’ y recourir. Sur la base de l’ objectif à atteindre, ils
ont ensuite imaginé ce que serait le scénario idéal qui garantirait le succès.

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Ce procédé les a conduits à détourner leur attention de la prise de la
forteresse pour se focaliser sur la conquête du sommet qui permettrait
d’ aboutir à la victoire finale. Une fois concentrés sur la façon d’ escalader la
paroi pour parvenir au sommet, ils ont à nouveau imaginé le scénario idéal,
définissant les moyens de mettre en place l’ escalade qu’ ils avaient
imaginée.

Comme on l’ aura compris, le parcours allant du problème à sa solution


s’ est déployé en une succession de phases d’ analyse et de créativité au sein
d’ une progression logique, laquelle, en partant de l’ objectif à atteindre, a
conduit à remonter jusqu’ au point de départ, de telle façon que le problème
a été fractionné en plusieurs sous-catégories. P our chacune de ces sous-
catégories, une solution a été recherchée, jusqu’ à ce que la somme de ces
solutions conduise à la solution globale.

Tels sont les fondements de la logique stratégique, cette branche de la


logique formelle qui met au point des modèles d’ intervention basés sur
l’ objectif à atteindre, en adaptant la solution aux caractéristiques du
problème plutôt que de la prédéterminer sur la base de théories relatives à la
nature d’ un phénomène donné. En outre, comme nous le verrons en détail,
Alexandre le Grand et ses conseillers ont eu recours à des expédients qui
ont libéré leur créativité sans rien perdre de la rigueur de leur raisonnement,
des expédients qui, au fil des siècles suivants, ont été formalisés comme des
techniques de Stratégie de résolution de problème.

Ce magnifique exemple tiré des conquêtes d’ Alexandre le Grand


constitue non seulement la démonstration d’ un éclair de génie, mais aussi
d’ une manière de penser par phases méthodiques aboutissant à l’ invention
créatrice – nous reverrons tout cela en détail dans cet ouvrage.

La Stratégie de résolution de problème se caractérise par un constant


recours à des stratagèmes de logique non ordinaire utilisés pour la
planification, mais aussi pour l’ intervention directe sur les situations à
changer.

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Dans la littérature, on peut trouver plusieurs modèles de Résolution de
problème. Nous traiterons ici du modèle formulé de manière originale au
Centre de thérapie stratégique d’ Arezzo et qui constitue l’ aboutissement
moderne de la tradition de l’ École de P alo Alto. P ar définition, ce modèle
peut s’ appliquer à tous les types de problèmes et aux disciplines les plus
diverses. Il a été utilisé dans la recherche empirique, qui a fourni le
fondement méthodologique aux nombreuses formes spécifiques
d’ intervention thérapeutique et de communication stratégique mises au
point au Centre de thérapie stratégique, lesquelles ont été appliquées avec
succès à des milliers de cas cliniques et à des centaines de problèmes de
management.

C’ est précisément du fait de ses caractéristiques, permettant d’ étudier


les difficultés humaines – ainsi que les pathologies – comme des problèmes
auxquels appliquer des procédures logiques rigoureuses mais aussi
incontestablement inventives, que le modèle présenté dans le présent
ouvrage est devenu, depuis bien des années déjà, la référence théorique et
pratique pour les spécialistes, psychothérapeutes et dirigeants du monde
entier.

1. La Stratégie de résolution de problème est le nom du modèle conçu par Nardone –


Problem Solving Strategico® – alliant l’anglais (Problem Solving : résolution de
problème) à l’italien (strategico : stratégique) et que nous avons choisi de traduire en
français par « Stratégie de résolution de problème » .

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CHAP ITRE I

Qu’est-ce que la Stratégie de résolution


de problème ?

En 1972, le célèbre épistémologue Karl P opper (1902-1994) affirmait


que le processus de recherche scientifique et les phases conduisant aux
découvertes obéissent au schéma suivant :
Un problème est identifié ;
Les tentatives de solution mises en œuvre pour résoudre le problème
sont étudiées ;
Des solutions alternatives sont recherchées :
Celles-ci sont alors appliquées ;
Leurs effets sont évalués ;
La stratégie est ajustée afin d’ être pleinement efficace.
Cette procédure peut être considérée comme le fondement de tout
processus de Résolution de problème, celle-ci n’ étant en réalité rien d’ autre
qu’ une méthode rigoureuse pour trouver des solutions à des problèmes, en
suivant les phases successives mises en œuvre dans la recherche
scientifique. Mais, alors que la science a le devoir d’ expliquer les problèmes
étudiés, la Résolution de problème est une « technologie destinée à trouver
des solutions » , c’ est-à-dire des méthodes permettant d’ atteindre les
objectifs spécifiques d’ un projet donné.

Si la science a le devoir de se consacrer à la nature des phénomènes et à


leur formation (en termes de causalité, de hasard, de nécessité, de
temporalité, etc.), avec l’ ambition de décrire et d’ expliquer ses objets

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d’ étude, la technologie fournit, elle, les moyens d’ atteindre des objectifs
spécifiques grâce à la mise au point de procédures et de techniques
permettant de surmonter les difficultés empêchant d’ atteindre les objectifs
préalablement établis.

Le rapport entre la science et la technologie équivaut à celui qui existe


entre la philosophie et la logique – la première s’ intéressant au « savoir »
et, la seconde, au « savoir faire » . La connaissance logique et
technologique se différencie de la connaissance philosophique et
scientifique par la mise en œuvre de savoirs opérationnels non spéculatifs.
En effet, pour savoir faire, il n’ est pas nécessaire de tout savoir, mais
seulement ce qui est indispensable à la réalisation de l’ objectif.

Il existe à l’ évidence un rapport constant d’ influence réciproque entre


les deux types de connaissance, puisque les découvertes technologiques
font évoluer les théories scientifiques et ces dernières, à leur tour,
permettent d’ augmenter les capacités opérationnelles. Cependant, il est
important d’ insister ici sur le fait que la Résolution de problème
puisqu’ elle se consacre à un projet d’ intervention doit abandonner le
« savoir » théorique/scientifique et utiliser le « savoir faire »
1
logique/technologique. Comme Bertrand Russell (1872-1970) nous
l’ enseigne : afin d’ exécuter des procédures rigoureuses, nous devons
distinguer des « niveaux logiques » .

Graphique 1 : Les niveaux logiques d’analy se d’un phénomène ou d’un problème

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Cette distinction est essentielle car, trop souvent, face à un problème, on
a tendance à chercher l’ explication plutôt que la solution. Le piège réside
dans le fait que la solution ne nécessite pas d’ explication préalable du
problème et que c’ est, au contraire, elle qui permettra d’ aboutir, tandis que
les explications dépourvues de preuves empiriques sont trompeuses et
basées sur des connaissances a priori.
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Comme l’ expose Emil Cioran (1911-1995) : « Tout problème profane
un mystère ; à son tour, le problème est profané par sa solution. » Autrement
dit : ce sont les solutions qui expliquent les problèmes, et non l’ inverse.

La Résolution de problème exige de libérer son esprit de la pensée


linéaire causale – c’ est sans doute là la conséquence la plus surprenante de
l’ adoption de cette approche. Cette libération ouvre des perspectives
purement pragmatiques orientées vers la solution dans le présent plutôt
que l’explication dans le passé. Autrement dit, le fait de relever et d’ étudier
ce qui n’ a pas fonctionné et continue à ne pas donner de résultats, mais
aussi ce qui a donné des résultats et pourrait être encore efficace, focalise
l’ attention sur les dynamiques actuelles de persistance et d’ évolution du
problème, et non sur les causes passées de sa constitution.

Cet aspect est vraiment crucial car, si la connaissance scientifique peut


s’ y intéresser pour déterminer comment le phénomène est apparu en en
reconstituant le processus causal, la technologie s’ emploie à comprendre
comment un problème fonctionne présentement. En effet, si je veux
introduire un changement résolutoire, je ne peux le faire que sur la
dynamique de persistance actuelle car personne ne peut changer le passé. En
outre, il existe très souvent d’ énormes différences entre la façon dont le
problème s’ est formé dans le passé et celle dont il s’ exprime au présent.
L’ étude des causes passées est donc contreproductive dans la recherche de
solution aux problèmes actuels. Cette évidence empirique est l’ une des
formes de connaissance les plus difficiles à faire comprendre car nous avons
été éduqués par la rationalité traditionnelle où l’ explication causale
constitue le summum du savoir. Mais il s’ agit là du savoir des
« explications » philosophiques, et non du « savoir opérationnel » des
« solutions » technologiques.

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On passe du savoir abstrait au savoir-faire concret et donc de l’ analyse
du « pourquoi » à l’ évaluation du « mode de fonctionnement » de la réalité
que l’ on souhaite modifier.

Le problème à résoudre ci-dessous nous en offre un exemple lumineux.


On prend un échiquier qui, comme chacun sait, compte 64 cases blanches et
noires alternées. Le problème posé consiste à deviner laquelle de ces 64
cases a été choisie par une personne donnée.

Figure 1

Il semble assez difficile de trouver la réponse exacte. Ça l’ est en effet si


l’ on recourt à des procédures de raisonnement linéaire. Ainsi, je pourrais
commencer mon enquête en demandant, case après case, s’ il s’ agit de celle
qu’ elle a choisie. Ce faisant, je pourrais donc faire 63 tentatives pour
parvenir à la bonne réponse et, avec de la chance, j’ arriverais peut-être même
avant à la solution, cependant, le mérite n’ en reviendrait pas à ma stratégie,
mais au seul hasard.

Il s’ agit là d’ un exemple éclatant de la façon dont, confronté à des


situations particulières, les processus logiques traditionnels s’ avèrent
parfaitement inefficaces. Mais, lorsqu’ on parle de recherche, on pense
d’ abord – comme cela arrive trop souvent dans les pathologies – qu’ il
s’ agit d’ enquêter sur le pourquoi et sur les causes. En suivant une telle

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approche pour la case de l’ échiquier, il faudrait poser à la personne ayant
choisi la case une série de questions pour remonter aux raisons qui ont
motivé son choix. Selon l’ approche théorique adoptée, on pourrait remonter
au complexe d’ Œdipe si l’ on est freudien, à un traumatisme à la naissance si
l’ on est jungien, à une modalité dysfonctionnelle d’ attachement si l’ on est
adepte de la psychologie cognitive ou à un traumatisme sexuel si l’ on
appartient à l’ école psychodynamique. Il s’ agit de procédures laborieuses
et contreproductives dans la mesure où elles concentrent l’ attention sur
d’ hypothétiques explications au lieu de se focaliser sur l’ étude de
solutions efficaces.

En réalité, si l’ on évalue le « mode de fonctionnement » du problème et


ses caractéristiques géométriques, on découvre aisément que l’ échiquier
compte 64 cases formant un grand carré, lequel peut être divisé en deux
rectangles, eux-mêmes divisibles en deux carrés et que cette opération peut
être poursuivie jusqu’ à la dernière case.

On demandera donc à la personne ayant choisi une case si celle-ci se


trouve dans la moitié droite ou dans la moitié gauche de l’ échiquier. Une
fois sa réponse obtenue, les possibilités seront réduites de moitié. Le
questionnement se poursuivra et il s’ agira de savoir si la case choisie se
trouve dans la moitié supérieure ou dans la moitié inférieure restante, il ne
restera plus qu’ un quart des possibilités. On demandera ensuite si la case se
situe dans la moitié gauche ou dans la moitié droite de la partie
sélectionnée. Il ne restera plus que 8 possibilités. On s’ informera ensuite de
savoir si la case choisie est dans la moitié supérieure ou dans la moitié
inférieure et ainsi il ne restera plus que 4 possibilités. On interrogera alors
pour savoir si la case se situe dans la moitié droite ou gauche restante, il
n’ y aura plus que 2 possibilités. Dernière question : il s’ agira de savoir si
la case choisie est celle du dessus ou celle du dessous.

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Figure 2

Figure 3

Figure 4

14
Figure 5

Figure 6

Figure 7

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Nous avons donc obtenu la réponse en six questions grâce à un
stratagème logique, lequel, a posteriori, apparaît fort simple.

Une anecdote historique offre un autre exemple éclairant de Stratégie de


résolution de problème :
Au Moyen Age, un maître chinois de l’ art de la guerre fit un voyage en
Europe. Il fut l’ hôte d’ un prince qui l’ invita à assister à un tournoi – À
cette époque, les tournois au cours desquels les champions des différents
royaumes et principats s’ affrontaient permettaient d’ éviter la guerre ou de
choisir le futur époux de la fille du roi.
Avant le début du tournoi, le maître demanda à ses hôtes de lui
expliquer les tenants et aboutissants de cet événement. Il apprit que le
tournoi était basé sur l’ affrontement des trois meilleurs champions des deux
principautés : les numéros 1 s’ affrontaient d’ abord, puis les numéros 2 et,
enfin, les numéros 3. L’ équipe totalisant le plus de victoires remportait le
tournoi.
Le maître de guerre chinois demanda alors s’ il pouvait faire une
suggestion et fit donc la proposition suivante au souverain : « Faites
combattre votre numéro 3 avec leur numéro 1, puis votre numéro 1 avec leur
numéro 2 et enfin votre numéro 2 avec leur numéro 3. Ce faisant, vous
l’ emporterez deux fois sur trois, même si vous avez perdu le premier
affrontement. » Et il en fut ainsi.

Ce second exemple constitue, à mon avis, la meilleure introduction à ce


que je m’ efforcerai d’ expliquer au fil de ces pages et qui constitue le cœur de
la Stratégie de résolution de problème, à savoir l’ art d’ utiliser des
stratagèmes pour obtenir les plus grands résultats avec un minimum
d’ efforts.

1. Bertrand Russell est l’un des fondateurs de la logique contemporaine et le père de la


philosophie analy tique.
2. Emil Cioran est un philosophe et écrivain roumain.

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CHAP ITRE II

Comment fonctionne la Stratégie de résolution


de problème ?

Définir le problème

Attaquons-nous à un problème – sa nature importe peu car le modèle de


Stratégie de résolution de problème doit pouvoir s’ adapter à toutes les
typologies d’ obstacles à surmonter – en le définissant de la manière la plus
descriptive possible à l’ aide d’ une terminologie on ne peut plus concrète.
Que signifie donc le fait d’ investir le temps nécessaire à l’ analyse de ce
qu’est effectivement le problème, des personnes impliquées, des
circonstances de sa survenue, du moment de son apparition et de son mode
de fonctionnement ?

L’ action consistant à définir concrètement le problème et ses


caractéristiques est le premier pas vers la solution. Il s’ agit de décrire de la
manière la plus empirique possible les termes de la situation problématique,
afin de parvenir à en dessiner une image tangible. Si le travail se fait en
équipe, il est important de parvenir à un accord unanime sur la définition du
problème et sur ses caractéristiques. Si le travail se fait seul, il est
fondamental de s’ efforcer d’ appréhender le problème sous tous les angles
possibles avant d’ en donner une définition. Outre cela, il s’ avère
particulièrement utile d’ imaginer si des proches feraient la même lecture et la
même évaluation du problème en question. Cette démarche pourra éviter de

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rester prisonnier de ses idées préconçues et de ses limites perceptives. En
brûlant les étapes, on prendrait le risque qui est explicitement mis en
exergue dans la fameuse anecdote de l’ ivrogne.

Un soir, un homme ivre perd la clé de chez lui. Il la cherche en vain sous
un réverbère. Il poursuit ses recherches quand un passant sympathique, qui
a décidé de l’ aider, lui demande :
— Mais vous êtes certain de l’ avoir perdue ici ?
— Non, répond-il, mais là où j’ ai perdu ma clé, il fait trop sombre pour
la chercher.

Très souvent, les êtres humains, même les plus intelligents, en cherchant
à surmonter une difficulté, brûlent cette étape car ils la considèrent comme
allant de soi. Mais, lorsqu’ une solution est recherchée sans avoir clairement
déterminé les termes du problème, celui-ci est interprété sur la base des
préjugés et des convictions de la personne concernée, amenée à agir sous
leur influence. Dans ce cas, la stratégie choisie sera adaptée à ses idées
plutôt qu’ au problème.

Le fait de définir un problème exige la mise en place d’ un processus


rigoureux qui nous sauve de la néfaste influence de nos idées et de nos
interprétations erronées.
Chacun d’ entre nous a tendance à vouloir voir dans la réalité ce qui
confirme ses sensations et ses idées : c’ est là le principe fondamental de
l’ auto-illusion, phénomène qui permet à un individu de rapprocher la
réalité de ses désirs et de ses convictions, au lieu de les analyser avec du
recul. C’ est la raison pour laquelle, tout comme Ulysse se fit attacher au
grand mât de son navire pour ne pas être inéluctablement attiré par le chant
des sirènes, nous devons faire en sorte que notre esprit soit « contraint » à
ne pas quitter un parcours rigoureux. Comme nous le verrons, ce parcours
nous permet de ne pas être les victimes de nos auto-illusions et de nos
préjugés idéologiques, tout en orientant notre esprit dans des directions
alternatives où nos penchants naturels pourront être utilisés de manière
constructive. On aura désormais bien compris l’ importance d’ accorder tout
le temps nécessaire à cette première phase de la Stratégie de résolution de
problème, importance indirectement confirmée par une sentence de

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er 1
l’ empereur Napoléon I qui aurait dit : « Habillez-moi lentement, je suis
pressé. »

2
Inventeur de la théorie de résolution des problèmes inventifs ,
l’ ingénieur et scientifique russe Genrich Altshuller (1926-1998) a analysé
les brevets déposés pour des inventions technologiques sur près d’ un
demi-siècle. Celui-ci s’ est efforcé de mettre en évidence le processus créatif
aboutissant à l’ élaboration d’ options nouvelles pour des problèmes restés
jusqu’ alors sans solution. Il insiste beaucoup sur le fait que revenir à
plusieurs reprises sur les caractéristiques d’un problème est la première
clé permettant d’ aboutir à la découverte. Le fait d’ analyser un problème en
s’ efforçant de l’ étudier selon différentes perspectives peut permettre de
mettre au jour des aspects non encore pris en considération et de trouver
ainsi de nouvelles solutions possibles. Du reste, le psychologue et
philosophe américain William James (1842-1910) soutenait déjà que : « Le
génie, en définitive, n’ est guère plus que la faculté de percevoir sur un mode
inhabituel. »

Fameux astronome, mathématicien et physicien, Carl Friedrich Gauss


(1777-1855) fit preuve de son génie mathématique dès l’ enfance. On raconte
qu’ un jour, alors qu’ il n’ avait que neuf ans, l’ instituteur demanda, afin de
calmer ses élèves pour un bon moment, de faire la somme de tous les nombres
entiers de 1 à 100. Un exercice laborieux pour toute personne normale, mais
assurément pas pour le jeune Gauss qui utilisa intuitivement ce qu’ on
appela plus tard « algorithme » en mathématique et apporta le bon résultat à
son maître qui lui demanda comment il avait fait. Il donna l’ explication
suivante : il avait eu l’ idée d’ additionner par paires les nombres extrêmes
de la série et remarqué que les sommes intermédiaires ainsi obtenues
donnaient toujours le même résultat (1 + 100 = 101, 2 + 99 = 101, 3 + 98
= 101, etc.). Sachant qu’ il y avait cinquante paires, il en avait déduit que le
nombre recherché était 50 x 101 = 5050.
P our le théoricien Stafford Beer (1926-2002), un tel processus
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correspond au fait de trouver le réducteur de complexité d’ un problème
complexe pour parvenir à une solution apparemment plus simple. On aura

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bien compris qu’ il s’ agit là de la conséquence du temps passé à procéder à
une analyse attentive du problème et de son mode de fonctionnement.
Une première phase plus longue fait en réalité gagner du temps et de
l’ énergie dans un second temps, en totale conformité avec une sentence de
l’ art du stratagème : « P artir après pour arriver avant. »

S’accorder sur l’objectif

Une fois le problème défini, on s’ efforce de décrire les changements


concrets qui, une fois mis en œuvre, permettront d’ affirmer que celui-ci est
résolu. Il s’ agit donc de définir l’ objectif à atteindre. C’ est la deuxième
étape du processus de Stratégie de résolution de problème.

Une fois encore, clarifier avec soi-même – et avec ses clients dans un
contexte professionnel – ce que représente effectivement le changement
résolutoire peut apparaître comme une étape évidente sur laquelle il est
inutile de passer trop de temps. Mais c’ est tout le contraire : cette phase
remplit plusieurs rôles fondamentaux au sein de la Stratégie de résolution de
problème. En premier lieu, il faut s’accorder sur la réalité concrète qui
permettra de considérer l’objectif atteint. Cela permet de faire le point sans
équivoque aucune sur ce qui doit constituer le cœur de l’ intervention, tout
en contrôlant les éventuelles évolutions erronées du processus de
changement. Dans ce cas aussi, les auto-illusions relatives à
l’ interprétation et à l’ idéologie sont éliminées par la tangibilité de
l’ objectif sur lequel on s’ est accordé, lequel a été explicité dans ses aspects
les plus concrets.
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À cet égard, l’ exemple le plus éclairant nous est donné par la Nasa ,
emblème de la technologie, s’ il en est.
À l’ issue de la construction des deux premières navettes spatiales, les
techniciens du fameux centre aérospatial furent confrontés à la nécessité de
protéger ces merveilles d’ ingénierie d’ éventuelles intempéries climatiques
sévères. Sur la base de cette exigence, un hangar énorme fut conçu et
construit, suffisamment grand pour accueillir d’ autres navettes spatiales à

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l’ avenir. Malheureusement, les techniciens, focalisés sur les besoins
immédiats, ne considérèrent pas un effet paradoxal de la stratégie adoptée. À
l’ intérieur d’ un hangar de très grandes dimensions était reproduit un
écosystème très semblable, sinon pire, à l’ environnement extérieur avec des
décharges électriques, qui valaient bien des éclairs et des orages. Même les
meilleurs concepteurs avaient sous-évalué l’ importance de clarifier les
spécificités de l’ objectif à atteindre, avant de mettre en œuvre les stratégies
destinées à résoudre le problème.

Lorsque le travail implique plusieurs personnes, le fait de s’ accorder


sur l’ objectif à atteindre joue aussi le rôle de teaming, c’ est-à-dire de créer
l’ adhésion de tous sur un objectif donné, condition élémentaire pour que le
groupe puisse agir efficacement à la réalisation du projet. Si le travail a lieu
avec une seule personne, le fait de s’ accorder, grâce à un dialogue, sur les
objectifs et les changements nécessaires à réaliser, a aussi pour effet de
développer un solide esprit de collaboration et de cohésion concernant
l’ objectif désiré. Ceci constitue un premier pas important, destiné à réduire
les éventuelles résistances au changement que le sujet pourrait mettre en
œuvre, consciemment ou non, s’ il avait le sentiment d’ être dirigé et non de
participer à l’ élaboration des solutions.

Le fait de s’ accorder sur les objectifs à atteindre ne peut donc plus être
considéré comme allant de soi et ne valant pas la peine qu’ on y perde du
temps. Il ne faut jamais oublier l’ importance de démontrer les évidences et
que ce qui est évident est souvent dissimulé. Un fait confirmé par cet adage
de Léonard de Vinci (1452-1519) : « L’ expérience ne trompe jamais, ce sont
nos jugements seuls qui nous trompent. »

Évaluer les tentatives de solution

La troisième phase, comme nous l’ indique Karl P opper – mais j’ ai


plaisir à rappeler que, avant lui, celle-ci fut formulée par John Weakland et
P aul Watzlawick, mes maîtres du Mental Research Institute de P alo Alto
(Californie), dans l’ élaboration fondamentale de leur modèle d’ intervention

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sur les problèmes humains –, est constituée par l’ individualisation et
l’ évaluation de toutes les tentatives de solution mises en œuvre pour
résoudre le problème en question et qui se sont soldées par des échecs.
Cette phase est cruciale pour l’ étude de la solution qui part – et ce n’ est pas
un hasard – de l’ évaluation de toutes les tentatives de solution qui ont
échoué. À mon avis, l’ une des intuitions les plus géniales du siècle dernier
a précisément consisté à comprendre qu’ une tentative de solution qui s’ est
soldée par un échec, si elle est réitérée, induit la persistance du problème
tout en en compliquant le fonctionnement.

P renons le cas d’ une personne qui a peur de s’ exprimer en public :


qu’ est-ce qui maintient et alimente cette peur, sinon l’ échec de la tentative
mise en œuvre pour la combattre ? En général, les personnes ayant ce type
de peur cherchent à la gérer en mettant en œuvre des stratégies qui, au lieu
de la réduire, l’ augmente. Le sujet s’ efforcera, autant que faire se peut,
d’ éviter de s’ exposer en public et quand il ne pourra faire autrement, il
cherchera à contrôler le plus possible ses réactions, en se concentrant sur
celles-ci. Malheureusement pour lui, et avec les meilleures intentions du
monde, il produira des effets pires car l’ évitement, s’ il permet de se sentir en
sécurité chaque fois que l’ on esquive la situation que l’ on craint, consolide
la conviction qu’ il s’ agit là d’ une incapacité personnelle et provoque
l’ augmentation progressive de la peur, jusqu’ à la transformer en une
véritable panique. La tentative de contrôle rationnel de ses réactions dans
une situation de peur comme, par exemple, le fait de chercher à être plus
calme, de contrôler son rythme cardiaque, sa respiration et ses agitations
suscite un effet paradoxal : plus l’ on essaie d’ être calme et plus l’ on s’ agite,
plus l’ on cherche à prendre le contrôle, plus on le perd. Cet effet conduira la
personne à être toujours plus incapable de gérer ses réactions, jusqu’ au
moment où se déclenchera une véritable attaque de panique.

Il apparaît donc à l’ évidence que ce sont précisément les tentatives de


solution mises en œuvre par le sujet qui alimentent le problème qu’ il
cherche à résoudre. C’ est pour cette raison que l’ évaluation des tentatives
de solutions instaurées pour surmonter les difficultés présentes offre un
accès privilégié à l’ évaluation du fonctionnement du problème, mais aussi
de sa possible solution.

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Le fait de concentrer son attention sur les tentatives de solution mises
en œuvre pour atteindre l’ objectif préétabli nous libère de la tendance, du
reste parfaitement humaine, consistant à nous efforcer de trouver des
solutions, sans avoir d’abord enquêté sur tout ce qui ne fonctionne pas.
L’ enquête des tentatives soldées par des échecs nous permet de nous
focaliser sur la dynamique concrète qui maintient un problème ou qui, à
l’ inverse, pourrait le modifier.

À cet égard, les « fables » de Léonard de Vinci sont très éclairantes


mais, considérées comme mineures par rapport à ses autres écrits, elles ont
été malheureusement sous-évaluées, alors même que leur puissance
métaphorique me semble particulièrement utile. Ces brefs récits exposent la
façon dont l’ observation de la nature permet fréquemment de relever
combien la tentative de solution maintient ou fait empirer le problème
qu’ elle devrait résoudre. Léonard de Vinci met en garde les hommes, par
l’ intermédiaire d’ analogies empruntées au règne animal et aux phénomènes
physiques, de l’ effet paradoxal de stratégies de solution mises au point à la
hâte, sans prendre le temps de considérer les termes du problème et les
possibles réactions en chaîne suscitées par chaque action.

Voici l’ une de ces « fables » :

Le faucon impatient

N’ ayant pas la patience d’ attendre que le canard refît surface après avoir
plongé sous l’ eau pour lui échapper, le faucon décida de plonger lui aussi,
mais ses plumes détrempées l’ empêchèrent de reprendre son envol, alors que
le canard, depuis les airs, se moquait du faucon qui se noyait.

… et une autre, plus tragique encore :

L’araignée

23
Ayant cru trouver la paix dans le trou de la serrure, l’ araignée y trouva
la mort.

Il est curieux de constater que toutes les « fables » de Léonard de Vinci


offrent une issue contraire et tragique aux événements créés par un
personnage principal, pourtant fermement décidé à tirer avantage de ses
actions.
À mon avis, ce grand génie exprime de façon littéraire l’ importance
cruciale de la méthode d’ évaluation des effets – qui ne sont pas linéaires,
mais circulaires et rétroactifs – de chaque action ayant un objectif déterminé.
Autrement dit, il est important d’ estimer si la solution qui semble bonne ne
peut se transformer en son exact contraire.
Une fois le problème défini et l’ accord sur l’ objectif entériné, il faut
relever et analyser toutes les stratégies mises en œuvre jusqu’ alors afin
d’ en évaluer les effets.
Cela servira à :
a) Déterminer ce qu’ il ne faut pas faire puisque cela n’ a pas fonctionné
et, au contraire, orienter le projet vers de nouvelles solutions ;
b) Relever ce qui a été couronné de succès.

Si des solutions se sont révélées efficaces autrefois, il s’ agira d’ évaluer


si elles peuvent être réutilisées dans la situation présente parce que, s’ il en
est ainsi, la solution permettant d’ atteindre l’ objectif fixé serait alors déjà
trouvée. Malheureusement, comme nous aurons l’ occasion de le voir en
détail, dans la majorité des cas, ce qui a fonctionné dans le passé pour le
même type de problème échoue dans la situation présente car des moments
différents exigent des applications originales ou des variantes nouvelles
d’ une solution donnée. Lorsque des expériences se sont déjà révélées
efficaces, le travail se révèle nettement plus facile que lorsque l’ on doit
littéralement « inventer » la solution. C’ est la raison pour laquelle la
procédure consistant à relever les manœuvres couronnées de succès et à
s’ efforcer de les adapter à la situation présente constitue le premier pas de
presque tous les modèles de Stratégie de résolution de problème. À
l’ évidence, cette méthode ne peut s’ appliquer à des problèmes générés ex
novo, pour lesquels il n’ existe pas d’ expériences préalables. Elle ne
convient guère non plus aux situations complexes où les ramifications du

24
problème se font jour dans différentes conditions. C’ est précisément la
volonté de dépasser ces limites de l’ évolution moderne de la Stratégie de
résolution de problème qui a conduit à utiliser un expédient logique
capable de mener l’ enquête, non seulement sur les tentatives de solution
déjà expérimentées, mais aussi sur celles qui n’ ont pas encore été conçues
ou appliquées.

Avant de passer à cette technique évoluée, il me semble utile de donner


un exemple concret d’ intervention stratégique basée sur l’ analyse des
tentatives de solution mises en œuvre mais ayant échoué ainsi que sur leur
changement résolutoire.

Un manager de cinquante et un ans souffrant d’ une forte dépression


accompagnée de pensées suicidaires se présente un jour à ma consultation.
Il me raconte que, durant l’ année écoulée, il a arrêté ses activités en
cours et s’ est progressivement isolé, réduisant même ses contacts avec ses
proches, jusqu’ à s’ être totalement replié sur lui-même, repli accompagné
d’ une vision foncièrement sombre de la réalité : il ne voit que l’ abîme qui
s’ ouvre sous ses pieds. Cet homme en est arrivé là après une succession de
problèmes intervenus dans son travail de manager. Federico – tel est le nom
de mon patient – exerce cette fonction depuis plus de vingt-cinq ans. Il a
abandonné successivement cinq entreprises importantes, une fois des
résultats significatifs obtenus dans la réorganisation des systèmes de
production. Federico est spécialisé dans la réorganisation des ressources de
l’ entreprise, lorsque celle-ci doit augmenter sa productivité tout en
réduisant ses dépenses, utilisant donc au mieux les ressources disponibles.
Il pourra sembler curieux d’ apprendre que, à chaque fois, il avait atteint
l’ objectif de remise à flot de l’ entreprise pour lequel il avait été embauché et
son succès reconnu. Le problème, qui réapparaissait de manière cyclique,
était le suivant : une fois qu’ il avait réussi à améliorer la production de
l’ entreprise, les propriétaires ou les administrateurs de celle-ci avaient
introduit dans son équipe des personnes qui ne lui plaisaient pas, souvent
des proches ou des personnes recommandées. Idéaliste, Federico avait

25
toujours refusé d’ avoir dans son équipe aussi bien des personnes
incapables d’ accomplir les fonctions qui leur étaient assignées,
alourdissant ainsi la charge de travail de leurs collègues, que des individus
se comportant de manière arrogante du fait de leur statut privilégié. À
chaque fois, il s’ était adressé à l’ administrateur ou au propriétaire, en
faisant entendre ses aspirations idéalistes, mais il n’ avait jamais été suivi et
avait donc démissionné, cherchant une entreprise où il pourrait finalement
créer une « organisation parfaite » . Cette quête de perfection l’ a conduit à
se montrer de plus en plus inflexible et à collectionner des succès qui se
transformaient en autolicenciements rageurs.

En me racontant son histoire, Federico n’ avait pas pris conscience,


même confusément, que c’ était son scénario rigide qui le conduisait au bord
du suicide, mais il se considérait comme un héros dans son refus de tout ce
qu’ il trouvait profondément immoral.
Après l’ ultime épisode, il avait trouvé refuge dans sa famille, en pensant
qu’ il pourrait éviter d’ être confronté à tant d’ immoralité et vieillir
sereinement grâce aux gains importants qu’ il avait réalisés.
Malheureusement, étant une personne très active, le fait d’ avoir pris une
retraite anticipée non seulement ne l’ avait pas aidé à se sentir mieux, mais
l’ avait conduit peu à peu dans les abîmes de la dépression, rongé par une
rage inextinguible à l’ égard du monde et des hommes, rage qui avait fini par
se retourner contre sa femme et ses enfants.

Dans ce cas, la Stratégie de résolution de problème consista à lui


suggérer de plonger au cœur de sa douleur et de sa colère pour pouvoir en
sortir finalement. Je lui prescrivis d’ abord, comme premier pas
5
thérapeutique, de rédiger une sorte de « roman criminel » de son histoire
personnelle dans lequel il devait décrire de manière précise et analytique
chacun des moments au cours desquels le succès s’ était mué en échec au fil
de ses cinq expériences. Federico fut d’ abord rétif, prétextant que, du fait de
ses fonctions d’ ingénieur, il avait plus l’ habitude de faire des schémas que
des récits. À cette objection, je lui répondis qu’ il pourrait parfaitement
schématiser son « roman criminel » , du moment que le résultat restait lisible
et intelligible pour tous.

26
Comme le lecteur attentif l’ aura peut-être déjà compris, cette
prescription est une façon déguisée de faire faire au patient une analyse et
une évaluation de ses tentatives de solution, tant de celles qui ont réussi
que de celles qui se sont soldées par un échec.

Deux semaines plus tard, Federico revint avec un long écrit subdivisé
en cinq parties, correspondant à chacune de ses expériences
professionnelles qu’ il voulut lire et discuter par le menu, en commençant
par le titre donné à son roman : Le Manager moraliste. Comme le titre le
laisse pressentir, en passant en revue ses expériences, il avait pour la
première fois appréhendé les choses d’ un point de vue différent. La
répétition d’ un scénario dans lequel il jugeait et condamnait, en moraliste
et en inquisiteur, les administrateurs des différentes entreprises pour des
comportements fautifs qu’ il finissait par rejeter en donnant sa démission. En
d’ autres termes, il lui était apparu clairement qu’ il faisait preuve d’ une
véritable incapacité d’ adaptation, liée à la rigidité de ses convictions
morales. Et cela ne s’ arrêtait pas là. Il s’ était aussi rendu compte que dans
toutes ces occasions, il aurait pu, en faisant preuve d’ un peu de souplesse,
gérer les personnes indésirables, en les faisant progresser et en leur
permettant de devenir des individus jouant un rôle actif dans une équipe
fonctionnelle. Mais, du fait même de sa rigidité, il avait toujours été
convaincu que les aspects relationnels étaient négligeables dans une
entreprise et que seuls comptaient les chiffres, les calculs et l’ efficacité de la
production.

Après avoir lu et commenté son document, il me raconta que, au cours


des derniers jours, il avait commencé à sortir de son isolement, reprenant
contact avec d’ anciens collègues et amis avec l’ idée de se remettre en selle
professionnellement, mais en faisant preuve d’ une attitude mentale
différente.

À l’ évidence, le travail avec Federico avait comme objectif de le rendre


progressivement plus à même de gérer tout ce qui ne concordait pas
parfaitement avec ses idées et ses convictions. Mais, à cette étape, il apparaît
particulièrement intéressant de remarquer qu’ il a suffi de faire analyser et
évaluer de manière systématique au sujet ses tentatives de solution pour

27
produire un réel changement thérapeutique et personnel. De fait, même si
elles étaient fondées sur une cause juste, ces tentatives avaient conduit
Federico à creuser lui-même le gouffre dans lequel il avait finalement sombré.

La technique consistant à aggraver un phénomène

Afin de faciliter l’ analyse des tentatives de solution dysfonctionnelles,


il ne suffit généralement pas d’ observer ou de demander quelles sont les
solutions qui n’ ont pas produit de résultats positifs, parmi toutes celles
mises en œuvre. Il est important d’ enquêter aussi sur celles qui pourraient
être utilisées à l’ avenir et conduire au fiasco.
Nous avons donc formalisé une technique consacrée à l’ étude de cette
dynamique et, comme nous le verrons, au retournement de ses effets les plus
caractéristiques.

Se mettant dans la peau d’ un patient ayant un problème spécifique, on


se demandera : « Si je voulais aggraver encore la situation au lieu de
l’ améliorer, que pourrais-je faire ? » et on cherchera alors à énumérer toutes
les modalités possibles. Chacune de ces modalités sera décrite de façon à
faire apparaître clairement les méthodes grâce auxquelles il serait possible
d’ aggraver le problème au lieu de le résoudre. Si l’ objectif stratégique vise
à améliorer une situation qui fonctionne déjà, et non à modifier une
situation dysfonctionnelle, il faudra se poser la question suivante :
« Quelles sont les méthodes ou les stratégies qui, si elles étaient adoptées,
conduiraient à l’ échec assuré de mon projet ? »

Comme il apparaît à l’ évidence, la logique des deux questions est


exactement la même, exprimée de manière suggestive dans le stratagème
suivant : « Si tu veux redresser quelque chose, apprends d’ abord toutes les
façons de le tordre davantage. »
Il est important de se souvenir que cette question stratégique est celle
que se sont posés tous les grands inventeurs, qu’ il s’ agisse d’ Archimède,
de Léonard de Vinci ou de Thomas Edison, lorsqu’ ils durent résoudre des
problèmes restés jusqu’ alors sans solution.

28
En effet, comme cela a déjà été expliqué, en faisant le relevé de tout ce qui
peut conduire à l’ échec, je crée immédiatement en moi l’ aversion à l’ égard
de telles actions, comme dans le cas où je souhaite perdre du poids et cesser
de tomber dans la tentation compulsive de manger des choses qui me font
grossir. Si j’ applique la technique consistant à aggraver un phénomène, je
relèverai rapidement que, parmi les options à mettre en œuvre dans cette
direction, il y a d’ abord la tentative vouée à l’ échec de contrôler mon
alimentation en sélectionnant tous les aliments faiblement caloriques et en
écartant ceux qui sont hautement caloriques. Malheureusement, comme le
savent parfaitement tous ceux qui ont tenté de suivre un régime restrictif, il y
a deux types d’ effets : le premier, le plus courant, consiste à suivre le régime
avec succès pendant quelques jours puis à perdre le contrôle et à finir par se
gaver d’ aliments interdits ; le second type d’ effets apparaît dès le début de
la tentative de restriction et consiste en une irrépressible compulsion à
manger plus. Comme l’ a démontré une recherche longitudinale publiée dans
la revue American Psychologist, menée sur plusieurs années et sur des
milliers de cas de personnes au régime (comparées avec un nombre égal de
sujets ne suivant pas un régime alimentaire contrôlé), le fait d’ être au régime
fait grossir. On a donc pu constater que cette tentative de solution a produit
des effets contraires à ceux désirés. L’ attention devra donc désormais se
concentrer sur les moyens d’ éviter d’ affronter le problème selon de telles
modalités dysfonctionnelles. Comme nous le verrons plus avant, sur la base
de cette vision nouvelle, il est possible d’ agir, non seulement en bloquant
les actions contreproductives, mais en mettant en place une solution
efficace.

Cependant, il s’ agit là du premier et du plus évident effet de la


technique car, en contraignant mon cerveau à relever toutes les solutions
ayant échoué, je vais généralement faire en sorte que celui-ci recherche
spontanément d’ autres solutions. Ce processus de stimulation de la
créativité et de l’ inventivité se développe comme une réponse à la
contrainte mentale exercée dans la direction opposée. Ainsi que la majorité
d’ entre nous l’ avons expérimenté au moins une fois dans notre vie, lorsque
nous nous efforçons de concevoir d’ autres solutions de manière volontaire
et rationnelle, nous éprouvons dans la plupart des cas de grandes difficultés
à trouver des voies nouvelles et nous avons tendance à réemprunter nos

29
itinéraires mentaux habituels. Si, au contraire, nous forçons notre esprit à
chercher des méthodes pour aggraver la situation ou aboutir à un échec,
nous agissons de telle sorte que notre rationalité s’ oriente dans cette
direction et donc arrête de bloquer les processus de création. De cette façon,
notre esprit pourra découvrir de nouvelles options puisqu’ il sera libéré du
piège paradoxal de l’ effort volontaire qui inhibe la découverte spontanée.
En d’ autres termes, on recourt à un paradoxe pour bloquer un phénomène
paradoxal.
Grâce à cette demande stratégique apparemment simple, est alors créé
l’ effet réducteur de complexité précédemment décrit.

Cela est parfaitement illustré par le cas d’ un manager d’ une célèbre


maison de haute couture, membre juvénile de la famille propriétaire de la
marque. Le problème résidait dans le fait que ses collaborateurs et leurs
subordonnés, bien que situés au-dessous de lui dans l’ échelle hiérarchique,
avaient tendance à ne pas suivre ses indications et à manquer de motivation
face aux projets du groupe, ralentissant l’ exécution de ce qui devait
permettre d’ atteindre les objectifs préétablis. En commençant à analyser
ensemble ses tentatives de solution, sa position de leader démocratique,
incapable de se faire respecter et d’ être suivi, est apparue clairement. Le
jeune homme se comportait d’ égal à égal avec ses collaborateurs :
chaleureux, il se préoccupait sans cesse de leur état, de leurs difficultés,
souvent même de celles qui n’ étaient pas directement liées au travail. Cette
attitude pourrait apparaître aux yeux de beaucoup comme un idéal de
management et peut-être en aurait-il été ainsi si tous les collaborateurs
avaient été des personnes responsables, n’ éprouvant aucun besoin d’ être
stimulées ou contrôlées. En outre, chaque fois qu’ une erreur avait été
commise par l’ un de ses employés, la stratégie de ce manager consistait à
dialoguer, à s’ efforcer de trouver une explication pour cette erreur et
toujours d’ égal à égal, sans jamais recourir aux récriminations et aux
sanctions. Comme on l’ aura aisément compris, un chef qui s’ efforce de nouer
des liens d’ amitié avec ses collaborateurs et ses subalternes obtient des
réponses sur le plan personnel et affectif, mais perd totalement son pouvoir

30
de commandement, notamment lorsqu’ il s’ agit de corriger des erreurs
commises par ceux-ci. L’ ambivalence alors créée pourrait être traduite en ces
termes : « Si tu es un ami, tu dois me comprendre et ne jamais me critiquer,
encore moins me punir, parce que tu te situes au même niveau que moi et je
peux donc me permettre de te dire certaines choses et de ne pas faire ce que tu
me demandes, oubliant que tu es mon chef. » Dans ce cas, l’ ambivalence
était encore renforcée par le fait que le jeune dirigeant appartenait à la famille
propriétaire et on peut donc imaginer que certains de ses collaborateurs
répondaient favorablement à sa volonté d’ établir des rapports amicaux du
fait des possibles avantages personnels qu’ ils seraient susceptibles d’ en
tirer.

Une fois explicitées la situation et les tentatives soldées par des échecs
de corriger les comportements dysfonctionnels de ses collaborateurs, la
technique consistant à aggraver les choses fut appliquée. Il comprit tout de
suite que, pour cela, il suffisait de continuer à maintenir les stratégies
appliquées jusqu’ alors. Le changement devenait donc une nécessité
inéluctable.
Il fut très intéressant de voir ses réactions émotives en faisant cette
découverte : c’ est ce que nous appelons l’ expérience émotionnelle
corrective. P our la première fois durant notre séance, le jeune patron exprima
avec force son indignation envers lui-même, du fait de son évaluation
totalement erronée de la situation et de ses tentatives de solutions ratées.

Une fois ce nouveau point de vue établi face à la réalité de son problème,
il fut facile de s’ accorder avec lui sur la façon de substituer ses tentatives
ratées avec d’ autres qui pourraient s’ avérer plus efficaces. Et cela,
notamment, en établissant finalement une communication hiérarchisée et en
adoptant l’ attitude de celui qui délègue les tâches à ses collaborateurs, mais
contrôle et, si nécessaire, corrige, éventuellement avec dureté. Le jeune
homme avait finalement compris qu’ un dirigeant, pour être suivi, devait
avant toute chose être admiré et respecté.

La technique du scénario idéal au-delà du problème

31
Outre la technique présentée ci-dessus, et afin de se focaliser plus
concrètement encore sur l’ objectif à atteindre, nous avons mis au point une
autre manœuvre novatrice : imaginer le scénario idéal au-delà du
problème. Il s’ agit de se demander ce que serait le scénario, concernant la
situation à modifier, une fois le problème pleinement résolu ou, s’ il
s’ agissait d’ obtenir une amélioration, une fois atteint l’ objectif
préalablement fixé. Nous devons donc induire notre esprit à imaginer toutes
les caractéristiques de la situation idéale, une fois le changement
stratégique mis en œuvre.
Ce qui peut apparaître comme un travail de pure imagination est, au
contraire, une façon de relever de manière concrète les caractéristiques de la
« réalité idéale » à atteindre, qui souvent nous permet de voir des choses
que nous serions incapables de concevoir si nous travaillions uniquement
sur la réalité présente et passée.

Genrich Altshuller a défini cette technique, caractéristique des grands


inventeurs, comme « l’ imagination de la machine parfaite » . Ainsi, Léonard
de Vinci, quand il étudia les moyens de voler, avait commencé par concevoir
différents types de machines avant de perfectionner ses projets, écartant
progressivement ceux qui lui semblaient moins bons ou tout simplement
irréalisables. De fait, lorsqu’ il conçut une machine capable de s’ élever dans
les airs, dotée d’ une hélice horizontale fonctionnant grâce à une pédale, il
se rendit compte de son infaisabilité puisque ce type d’ hélicoptère devait
fonctionner à la force du coup de pédale d’ un être humain. L’ homme
pouvait, grâce à une exceptionnelle force physique, réussir à soulever la
machine de terre, mais celle-ci retomberait inexorablement au sol. Du fait des
limites des ressources alors à sa disposition, Léonard de Vinci n’ avait pas
la possibilité d’ utiliser un moteur à explosion ou à vapeur et le projet lui
apparut donc irréalisable, aussi génial fut-il. Il en fut de même de son idée de
pouvoir voler grâce à un battement d’ ailes actionnées par le mouvement de
bras d’ un être humain. Ce ne fut donc pas par hasard si le grand génie italien
parvint à mettre au point le premier planeur en observant le vol des rapaces,
lequel n’ exigeait pas une force surhumaine mais exploitait les courants
aériens.
P ourtant, il ne faut pas penser qu’ on doit être un Léonard de Vinci pour
pouvoir imaginer un scénario allant au-delà des problèmes, aussi

32
compliqués et persistants soient-ils. Nous possédons tous la capacité
d’ imaginer ce que nous aimerions trouver dans la réalité, le problème
résidant dans le fait que nous n’ arrivons qu’ exceptionnellement à
transformer nos rêves en réalité. Dans notre cas, la technique sert d’ abord et
avant tout à libérer l’ imagination avant d’ en sélectionner les aspects qui
s’ avéreront les plus aptes à être réalisés concrètement.

Un bon exemple de cette méthode nous est offert par le cas d’ un


footballeur professionnel venu me consulter pour un problème qui
l’ empêchait de donner le meilleur de lui-même dans son métier. Ce
footballeur était le capitaine incontesté de l’ équipe, celui qui servait de
référence à tous du fait de ses qualités indubitables. P our cette raison,
chaque fois que les choses ne se passaient pas bien sur le terrain, tous –
coéquipiers, entraîneur, supporters – s’ en prenaient à lui. Assurément, la
situation inverse arrivait aussi, à savoir que chaque fois que l’ équipe
obtenait de bons résultats, les louanges lui étaient d’ abord adressées. Mais,
du fait qu’ au cours des derniers temps, les résultats n’ avaient guère été
brillants, il sentait désormais et de plus en plus fréquemment sur lui des
regards chargés de rancœur. Cette situation le déprimait et lui faisait perdre
sa motivation, comme si on ne pouvait plus rien faire pour y remédier.
Footballeur doué dès son plus jeune âge, célébré pour ses capacités, il
n’ avait jamais dû forcer son talent pour obtenir d’ excellents résultats. Nous
nous trouvons donc ici face à un champion qui produit naturellement des
résultats extraordinaires et non pas à un sportif qui doit s’ entraîner comme
un esclave pour être performant. Ainsi, alors que le second a l’ habitude de
devoir franchir des obstacles et de gérer les frustrations nées d’ éventuels
échecs, le premier, confronté à l’ échec, s’ avère incapable d’ en gérer les effets
et de réagir de manière adéquate.
Le champion m’ expliqua qu’ il avait connu des périodes sombres au
cours de sa carrière, mais que les choses étaient vite reparties, tandis que,
cette fois, il se sentait en grave difficulté, précisément du fait de l’ hostilité
qu’ on avait à son égard.

33
À ce moment de notre séance, je lui demandai d’ imaginer quel serait le
scénario idéal, une fois le problème surmonté. Sans effort aucun, il
m’ expliqua qu’ il consisterait en une situation qui lui permettrait d’ aller
aux entraînements, serein et content, de voir des partenaires heureux de
jouer avec lui, souriants et disponibles pour lui, avec un entraîneur qui
l’ incitait avec légèreté à pousser son équipe, comme cela était généralement
le cas quand le champion était en forme et, pour finir, des supporters qui
l’ applaudissaient et l’ encourageaient.
Une fois cette image claire dessinée, je lui demandai de réfléchir si ses
réactions habituelles de repli sur lui-même lorsque les choses ne se
passaient pas bien étaient une façon de réduire ou, au contraire, d’ alimenter
les attitudes et les comportements hostiles à son égard. Il n’ eut aucun mal à
me répondre que sa façon de réagir contribuait seulement à faire empirer les
choses. Il apparut donc combien la modification des actions en cours était
un impératif inéluctable.

À cette étape de notre travail, je lui suggérai de faire l’ expérimentation


suivante durant une semaine : il se comporterait comme si les choses
allaient le mieux du monde, même si ce n’ était pas le cas. P our dire les
choses de manière plus concrète : il s’ agissait de se comporter avec ses
coéquipiers, l’ entraîneur et les supporters, comme si tout se passait
parfaitement bien et d’ agir ainsi pour les plus petites choses : saluer chacun
d’ un sourire, être disponible pour les autres, ne jamais apparaître sombre et
fermé et, surtout, ne pas réagir de manière agressive à d’ éventuelles
provocations. Il faudrait, plus généralement, maintenir une communication
qui permettrait aux autres de sentir sa gentillesse et son plaisir d’ avoir des
contacts avec eux. Le footballeur commenta cette directive en me disant que
cela signifierait « faire semblant » que tout allait bien. Je lui répondis que
la fiction réitérée devient réalité et l’ invitai à se lancer dans
l’ expérimentation.

La semaine suivante, le champion mis à l’ écart revint, souriant et


joyeux, et me dit d’ emblée :
— Je ne fais pas semblant, je suis vraiment content parce que dimanche
dernier le match s’ est très bien passé, nous avons gagné 4 buts à 0 et j’ ai

34
très bien joué. Je ne sais pas si c’ est arrivé du fait de la prescription que
vous m’ avez donnée, mais les choses ont changé et je me sens vraiment bien.
P uisque l’ expérimentation s’ était si bien passée, je lui suggérai de
continuer pour mesurer la réalité de son effet. Le footballeur continua à
obtenir d’ excellents résultats.
Après ce rapide changement, il me demanda de l’ aider à « grandir » ,
c’ est-à-dire à apprendre à gérer les moments difficiles sans tomber dans la
dépression.

Il apparaît clairement combien, dans ce cas, la technique du scénario


idéal a permis de dessiner une voie pour faire devenir réalité ce qui pouvait
n’ apparaître que comme un beau rêve. Nous avons tous tendance à élaborer
des prophéties qui s’auto-réalisent, mais l’ astuce consiste à savoir les
orienter pour obtenir des résultats effectifs et ne pas les laisser se retourner
contre nous.

Le fait de se demander quel visage présenterait la réalité comme si le


problème était déjà résolu ou l’ objectif atteint joue un autre rôle important :
celui de nous faire voir quels seraient les effets collatéraux indésirables du
succès de notre projet. Très souvent, comme je l’ ai déjà souligné, les êtres
humains tendent à sous-évaluer le fait qu’ un changement, de quelque ordre
qu’ il soit, active une réaction en chaîne d’ événements. Comme dans la
fameuse métaphore utilisée dans la théorie des catastrophes, un simple
battement d’ ailes d’ un papillon peut déclencher une série d’ événements
aboutissant à un ouragan à des milliers de kilomètres de distance. On peut
relever un tel effet papillon, chaque fois que nous introduisons une
modification, aussi infime soit-elle, dans un système complexe. Il apparaît
donc important de prévoir ce type de processus, surtout quand il va dans
une direction non désirée, afin de pouvoir en éviter les effets.

Le cas sans doute le plus emblématique à cet égard est représenté par la
« révolution verte » pour le combustible des automobiles. Comme chacun
sait, au cours des dernières années, les mouvements écologistes ont exercé
des pressions énormes pour que soit mis au point un carburant écologique
et des recherches scientifiques ont abouti à la production de bioéthanol. Au
lieu d’ être issu du pétrole, ce carburant est produit à partir de céréales,

35
permettant l’ obtention d’ une sorte d’ « essence écologique » . Les
constructeurs automobiles ont compris toute la portée de cette invention
qui permettrait à leurs voitures d’ être non polluantes et écologiques.
Malheureusement, quelques années plus tard, on s’ est aperçu que la majeure
partie de la production mondiale de céréales était désormais utilisée, non
plus à des fins alimentaires, mais orientée sur la fabrication de combustible.
Ce phénomène a provoqué une augmentation des prix et une disponibilité
réduite à destination de l’ alimentation : les prix des pâtes, du pain, des
biscuits, etc. ont augmenté de manière vertigineuse ! Tout cela a mis à mal
l’ équilibre budgétaire des familles dans les pays économiquement forts, tout
en réduisant drastiquement les stocks des aides alimentaires destinées aux
pays où il est encore possible de mourir de faim, empirant ainsi la situation.
Comme si cela ne suffisait pas, un second effet collatéral, et totalement
paradoxal, est apparu. Du fait de l’ augmentation de la demande en céréales
pour la fabrication de combustible, en Amérique du Sud, en Afrique et dans
certains pays orientaux, un processus de déforestation a été engagé, afin de
transformer de nombreuses zones en champs de céréales. Ainsi, un projet qui
aurait dû protéger notre écosystème de la pollution a fini par réduire la
superficie des grands « poumons verts » de la planète.

Le poète et dramaturge Oscar Wilde (1854-1900) nous rappelle que :


« Ce sont toujours les meilleures intentions qui produisent les pires
effets. » Et cela survient surtout lorsque les effets de nos actions n’ ont pas
été suffisamment évalués, lorsque nous nous sommes contentés
d’ estimations qui ne tenaient pas compte des possibles effets boomerang.

La tactique des petits pas

6
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas . »
Ainsi, la sagesse la plus vénérable nous indique la voie à suivre pour
trouver des solutions à des problèmes, même s’ ils sont complexes et
résistants au changement. Dans les faits, afin de rendre applicable une
stratégie mise au point pour débloquer une situation problématique, il est

36
essentiel de commencer par le plus petit changement concret possible.
Débuter par le pas le plus simple à effectuer nous sauve de nos éventuelles
incapacités à mettre en œuvre de grandes actions, tout en réduisant la
résistance au changement du système sur lequel il intervient.

L’ exemple suivant va montrer par contraste combien, dans la résolution


d’ un problème, il est important de prendre en considération les plus
imperceptibles modifications face aux changements d’ envergure. Nous
allons repartir dans un milieu qui ne manque pas de ressources
intellectuelles, la Nasa. P armi les nombreux projets réalisés par ses
ingénieurs, il y a le stylo spatial qui permet d’ écrire, même en l’ absence de
gravité, une chose impossible pour des raisons évidentes tant aux stylos
billes qu’ aux stylos plumes. Le projet naquit précisément pour permettre
aux astronautes de prendre des notes, en surmontant la difficulté imposée par
la spécificité de leur situation.
Le projet fut couronné de succès, mais il coûta plusieurs millions de
dollars, beaucoup d’ énergie et de temps pour les expérimentations. Une
chose curieuse est à noter : les Russes, qui disposaient assurément de
ressources économiques moindres dans l’ histoire de la conquête spatiale,
ont résolu ce problème de manière beaucoup plus simple, en se servant de
crayons à papier. Cet objet conçu il y a fort longtemps fonctionne quelle que
soit la gravité et présente un coût très bas.

En reprenant une maxime populaire, on pourrait dire que le besoin


aiguise l’ esprit. Mais, en examinant les choses de plus près, il apparaît que,
parfois, nous regardons au loin alors que la solution est à côté. Il s’ agit là
d’ un phénomène directement proportionnel à notre intelligence et aux
ressources à notre disposition.

Il ne faut jamais oublier que tout système vivant, du plus infinitésimal


au plus complexe, possède la caractéristique de résister à la modification de
son équilibre quand il s’ est consolidé depuis longtemps déjà. Ce
phénomène surprenant fut reconnu et baptisé « homéostasie » par le
médecin et physiologiste Claude Bernard (1813-1878) qui étudia les
systèmes biologiques et leur tendance à maintenir l’ équilibre constitué,
même confrontés à des dysfonctionnements ou à des maladies. Le bon

37
technicien de la Résolution de problème, tout comme l’ antique stratège,
commencera donc à appliquer la stratégie consistant à se concentrer sur la
plus modeste – et apparemment anodine – intervention à réaliser. Cette
première étape sera suivie par une deuxième, etc. Généralement, il n’ est pas
nécessaire de procéder par petits pas significatifs du point de départ au
point d’ arrivée car, une fois le processus enclenché, la progression n’ est
plus graduelle mais exponentielle. Nous nous trouvons alors confrontés à
l’ effet d’ avalanche : la boule de neige en dévalant la pente prend des
proportions énormes jusqu’ à se transformer en une coulée que rien ne peut
arrêter.

Cependant, le problème se pose de déterminer le premier pas à effectuer


au sein d’ un processus de changement, du fait de l’ accélération qui
s’ ensuivra. À cet égard, la Stratégie de résolution de problème propose une
technique facile à utiliser et incroyablement efficace permettant de planifier
la séquence d’ actions à mettre en œuvre pour atteindre l’ objectif fixé.

La technique de l’alpiniste

Cette technique tire son nom de la préparation mise en œuvre par les
guides de haute montagne avant une ascension. Afin d’ étudier le parcours à
suivre, au lieu de partir de la base de la montagne, ils partent du sommet et
font le chemin à rebours, traçant la route et ses étapes jusqu’ au point de
départ. Ce procédé s’ est démontré empiriquement capable d’ éviter la mise au
point de parcours ne respectant pas l’ objectif premier. Il permet de
concevoir le parcours le mieux adapté jusqu’ au sommet. Face à un problème
complexe à résoudre, afin de construire une stratégie non seulement efficace
mais aussi efficiente, il est utile de partir de l’ objectif à atteindre et
d’ imaginer l’ étape immédiatement précédente, puis de continuer à faire
machine arrière jusqu’ au point de départ. De cette façon, le parcours est
subdivisé en une succession d’ étapes, l’ objectif final est donc fractionné en
une série de micro-objectifs qui partent du point d’ arrivée pour revenir
jusqu’ au premier pas.

38
Cette stratégie mentale contre-intuitive permet donc de construire
aisément la succession d’ actions à mettre en œuvre pour résoudre un
problème, en partant du plus petit changement concret possible.

o
Graphique n 2

Le travail effectué avec les cadres dirigeants d’ une multinationale


pétrolière qui m’ avaient contacté pour bénéficier d’ une formation spécifique
dans la Stratégie de résolution de problème est très éclairant à cet égard.
Durant la journée de séminaire, après avoir introduit le modèle comme nous
venons de le faire dans les pages précédentes, nous avons proposé – comme
c’ est notre habitude – un exercice.
Nous nous sommes donc mis d’ accord sur un objectif à atteindre ayant
l’ assentiment de tous. Le fait de se mettre ainsi d’ accord a permis de faire
converger immédiatement les points de vue de treize personnes
responsables des différents départements de la compagnie sur un objectif
ultime, créant ainsi un esprit d’émulation (effet teaming). L’ équipe

39
transforme alors la somme de ses composantes en une sorte d’ entité unique
puisque tous vont dans la même direction.
Le « modeste » objectif proposé consistait à faire passer les parts de
marché de la compagnie de 9 à 11 % – un défi très exigeant, s’ il en est.

Une fois l’ objectif établi, nous avons défini ensemble tous les
problèmes rendant sa réalisation impossible. Nous sommes ensuite passés à
l’ analyse des tentatives de solution mises en œuvre jusqu’ alors, en
distinguant celles qui avaient fonctionné de celles qui s’ étaient soldées par
des échecs. P uis, travaillant avec la technique du scénario idéal au-delà du
problème, nous avons déterminé toutes les caractéristiques qui devraient
être différentes pour modifier les résultats actuels. Nous avons alors
appliqué la technique de l’ alpiniste et, étape par étape, en avançant à
rebours, tous les directeurs se sont mis d’ accord sur la nature des
changements à mettre en œuvre. Nous sommes ainsi partis du point
d’ arrivée et sommes revenus au point de départ en mettant en évidence onze
étapes, c’ est-à-dire une séquence de onze changements successifs qui
permettraient d’ obtenir le résultat désiré en partant du plus petit objectif
concret réalisable. Ce dernier fut ainsi défini : chaque membre de l’ équipe
devrait constamment communiquer avec les autres sur l’ évolution dans son
propre département, mettant ainsi en œuvre une communication circulaire
qui permettait d’ être constamment informé sur l’ évolution des autres
départements. Le groupe tomba d’ accord pour commencer à réaliser ce micro-
objectif et sur le fait qu’ il faudrait qu’ il soit réalisé avant de passer à la
deuxième étape centrée sur l’ amélioration de l’ organisation interne, tout
comme les trois étapes suivantes.

J’ ai suivi ce groupe de directeurs pendant près d’ un an au cours de


rencontres mensuelles consacrées aux techniques qu’ ils avaient choisi
d’ acquérir à l’ issue de la première journée de formation.
À l’ avant-dernière rencontre, le groupe présenta les graphiques
traduisant l’ évolution du marché où la compagnie totalisait 11,3 % de parts
et expliqua que le grand changement mis en œuvre au sein du système était
sans aucun doute à l’ origine d’ un tel résultat. Désormais, tous travaillent
comme un tout homogène et non plus comme la simple addition de

40
différentes parties. Il est bien connu que la valeur d’ un ensemble
harmonieux est bien supérieure à la somme de ses parties.

Voici donc un exemple de la façon dont une intervention de changement


stratégique peut être réalisée à partir d’ une formation puisque, comme nous
le verrons plus avant, d’ un point de vue de pure stratégie, la formation en
séminaire vise à produire des expériences concrètes de changement.
L’ enseignement peut donc être considéré comme une forme déguisée
d’ introduction au changement, particulièrement utile lorsque le travail se
fait avec un groupe de personnes qui, bien qu’ appartenant à la même
entreprise, possèdent des idées et des modalités propres.

Ajuster progressivement le tir

P arfois les problèmes sont si complexes qu’ ils exigent non pas une
solution unique, mais une série de solutions successives, à l’ image des
matriochkas russes, ces poupées de tailles décroissantes placées les unes
dans les autres qui s’ ouvrent en deux horizontalement, révélant une figurine
similaire mais de taille plus petite et ainsi de suite jusqu’ à la dernière
poupée, souvent un bébé, qui ne s’ ouvre pas.

Face à une situation de ce type, il est essentiel de ne pas affronter tous


les problèmes en même temps mais, au contraire, de se concentrer sur le
moins épineux.
Une fois le premier problème résolu, on pourra passer au deuxième, etc.,
tout en conservant – et ce, depuis le début – une vision d’ ensemble ainsi
que des interactions possibles dans l’ enchaînement des problèmes. En
agissant ainsi, on évitera de se perdre dans la complexité ingérable des
interrelations tout en agissant de manière concrète et sans perdre de vue la
globalité.
Une fois les premières résistances débloquées, la situation pourra
apparaître différente de ce qu’ on imaginait au départ. Il est alors important
de faire un arrêt et de s’ attacher à définir le problème, voire les objectifs.

41
Il ne faut jamais oublier qu’ une Stratégie de résolution de problème
réussie doit faire la synthèse entre la rigueur et la flexibilité.
7
Comme l’ affirmait Gregory Bateson (1904-1980) , « la rigueur seule
aboutit à la mort par asphyxie, mais la créativité seule est pure folie » .

Schéma récapitulatif des différentes phases de la Stratégie


de résolution de problème

42
er
1. Cette phrase aurait été prononcée par Napoléon I alors qu’il s’apprêtait à
combattre. Cette citation est peut-être apocry phe.
2. Genrich Altshuller est l’inventeur de la théorie Triz (son acrony me russe) qui est une
approche algorithmique de résolution des problèmes techniques.

43
3. Stafford Beer a créé en 1959 le concept de variety reducer, traduit en français par
« réducteur de complexité » , mais une traduction plus proche de l’anglais, « réducteur
de variété » , serait préférable pour certains.
4. C’est l’agence américaine responsable du programme spatial civil des États-Unis
créée en 1958.
5. En référence à Romanzo criminale, le fameux roman de Giancarlo De Cataldo (paru
en 2002), basé sur l’histoire vraie d’une bande de voy ous qui fit main basse sur Rome
entre 1977 et 1992.
6. Citation du philosophe chinois Lao Tseu (604-531 av. J.-C.) extraite du Tao Te King
(« le Livre de la Voie et de la Vertu » ).
7. Citation tirée d’un recueil de textes intitulé Vers une écologie de l’esprit (1972,
traduction française en 1977). Gregory Bateson, anthropologue et linguiste, est à
l’origine de l’École de Palo Alto.

44
CHAP ITRE III

Art ou technologie ?

L’ aspect de la Stratégie de résolution de problème qui surprend


généralement le plus – et qui mérite donc qu’ on s’ y arrête – est le recours à
des stratagèmes incontestablement créatifs, voire même « géniaux » , pour
induire finalement le changement, mais dont l’ apparente simplicité peut
désarmer de prime abord. L’ art réside précisément dans le fait de trouver des
solutions simples à des problèmes complexes, là où l’ on attendrait
l’ application de stratégies tout aussi complexes. P our éclaircir les choses,
nous allons prendre deux exemples très différents l’ un de l’ autre, mais basés
sur des procédures de recherche de solution fort semblables.

P endant la Seconde Guerre mondiale, un navire militaire contenant des


munitions, des bombes et des missiles avait sombré dans la baie de Tokyo.
Le problème était fort complexe : il ne s’ agissait pas seulement de ramener le
navire en surface, mais avec une délicatesse et des précautions telles qu’ on
ne risquerait pas de voir le bateau se briser et répandre ainsi son dangereux
chargement dans la mer. De nombreux ingénieurs firent des propositions,
toutes basées sur l’ utilisation d’ énormes engins capables de hisser le
navire, tout en en ralentissant la remontée, de façon à éviter la rupture de la
coque. L’ un des ingénieurs formula une idée originale mais, à première vue,
ridicule, si bien que la majorité de ses collègues commentèrent sa
proposition comme s’ il s’ agissait d’ une plaisanterie. En réalité, c’ était une
solution extraordinaire à un problème qui ne l’ était pas moins. P ar la suite,
l’ invention de cet ingénieur lui valut la célébrité – si grande qu’ il fut même
cité dans un album de Mickey ! Elle consistait à tirer des millions de balles

45
de tennis de table à l’ intérieur de la coque du navire. Comme chacun sait, les
balles de tennis de table flottent très bien, sont légères, non contondantes
et, écrasées, elles se brisent sans endommager la surface frappée. Cette idée,
apparemment extravagante, mais la plus simple et la moins coûteuse des
solutions proposées, fut donc mise en œuvre. Elle fonctionna parfaitement :
le navire refit lentement surface, soulevé par les balles, lesquelles, en vertu
du principe d’Archimède, le ramenèrent en douceur à la surface. Le navire
fut ensuite remorqué sans problème jusqu’ à la rive. Cette solution simple à
un problème complexe apparaît aussi surprenante que contre-intuitive mais,
comme je l’ ai déjà fait remarquer à plusieurs reprises, c’ est la capacité à
adopter des perspectives non ordinaires dans l’ observation d’ un
phénomène qui permet d’ arriver à des solutions vraiment novatrices.
Cependant, l’ adoption d’ une optique différente ne signifie pas laisser libre
cours à son imagination. Comme cela a été décrit dans la succession
d’ étapes à suivre pour accomplir un processus de Stratégie de résolution de
problème, un tel processus peut être réalisé en suivant un parcours
rationnel, qui va cependant au-delà de la rationalité ordinaire. Nous parlons
donc d’ un parcours articulé en phases uniquement réalisables en
abandonnant le sens commun et les assomptions rationnelles rigides.

Le second exemple est offert par un jeune ingénieur souffrant d’ un


trouble obsessionnel compulsif qui le contraignait à contrôler encore et
encore son travail afin de s’ assurer qu’ il l’ avait bien fait. Cet homme ne
cessait donc de faire marche arrière après toute opération entraînant un
minimum de responsabilités, afin d’ en contrôler une nouvelle fois
l’ exactitude. Sa vie s’ était transformée en un enfer d’ insécurité, en quête
d’ une impossible certitude. À l’ issue de la séance d’ enquête stratégique
qui se déroula en suivant les phases décrites précédemment, je lui prescrivis
l’ application d’ un stratagème thérapeutique, construit spécifiquement pour
ce type de problème :
— D’ ici à notre prochaine séance, chaque fois que tu feras machine
arrière pour contrôler une nouvelle fois tes actions, tu devras répéter ce
rituel cinq fois. Ni une fois de plus, ni une fois de moins. Si tu contrôles, tu
dois le faire cinq fois. Tu peux aussi éviter de contrôler naturellement mais,
si tu le fais, répète le tout cinq fois… pas une fois de plus, pas une fois de
moins.

46
Deux semaines plus tard, l’ ingénieur revint et m’ expliqua que, après
quelques jours de « torture » , due à l’ application de ma prescription, les
compulsions obsessionnelles avaient cessé car il n’ en ressentait plus la
nécessité. Que s’ était-il passé ? S’ agissait-il d’ un tour de magie ou d’ une
technique ?
J’ ai personnellement appliqué cette prescription à plusieurs milliers de
patients souffrant de ce type de trouble, avec le même – fort surprenant –
résultat thérapeutique, si bien que celle-ci a fini par constituer un protocole
de traitement du trouble obsessionnel-compulsif appliqué avec succès par
des collègues dans le monde entier.

L’ efficacité de ce stratagème réside dans le fait qu’ il s’ empare de


l’ énergie du trouble pour la retourner contre celui-ci. Autrement dit, on
épouse la logique du problème, tout en augmentant et en ritualisant les
tentatives de solution mises en œuvre pour se rassurer. En agissant ainsi, ce
n’ est plus l’ obsession qui domine les actions, mais c’ est la prescription
paradoxale qui en prend le contrôle. Le fait d’ exaspérer et de ritualiser le
trouble permet d’ en prendre le contrôle, offrant par là même la possibilité
d’ y renoncer. On passe ainsi d’ une tentative de solution dysfonctionnelle,
qui augmentait la persistance du trouble, à une solution fonctionnelle qui
permet son élimination.

Ce type d’ intervention est une pure technologie issue de la Stratégie de


résolution de problème, puisque sa structure reproduit celle de la tentative
de solution dysfonctionnelle – c’ est-à-dire la dynamique paradoxale par
laquelle, en cherchant la sécurité, on finit par alimenter l’ insécurité –, mais
en en réorientant le sens pour en intervertir finalement les effets.
Comme l’ affirmait l’ écrivain de science-fiction Arthur C. Clarke (1917-
2008) :
« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la
magie. » Mais comment y arrive-t-on ?
Il ne faut jamais oublier que, aussi originaux que puissent apparaître les
problèmes humains, ils peuvent être rangés en classes de phénomènes mus
par la même dynamique. Ainsi, tous les sujets souffrant du même trouble
obsessionnel compulsif que notre ingénieur, bien qu’ il s’ agisse de

47
personnes différentes, manifestent néanmoins le même type de problème. Une
fois les dynamiques spécifiques des différents types de problèmes récurrents
classées, on analyse leur persistance – c’ est-à-dire les tentatives de
solution soldées par des échecs qui alimentent le problème – afin de
déterminer le type de changement nécessaire pour parvenir à la solution
fonctionnelle. Autrement dit, une fois identifiées les tentatives de solution
spécifiques pour chaque classe de problème, on peut étudier les stratagèmes
appropriés, basés sur la même structure, permettant d’ obtenir un changement
stratégique.

Cette façon ingénieuse d’ aborder les problèmes et leurs solutions est


représentée, depuis la plus lointaine Antiquité (grecque et orientale) par
l’ art du stratagème, c’ est-à-dire l’ analyse systématique des expédients
logiques qui, délaissant la simple rationalité et le bon sens, aboutissent à la
découverte de solutions originales à des problèmes restés insolubles avec
les procédures ordinaires.
À l’ époque contemporaine, on parle de logique non ordinaire ou
1
d’ ambivalence (Giorgio Nardone, Newton Da Costa ). L’ invention de
stratagèmes est l’ aboutissement d’ une laborieuse étude des classes de
problèmes récurrents et de leur dynamique de persistance, alors que la
formulation de l’ intervention peut être créative et suggestive.

En ce qui me concerne, la mise au point de nombreux protocoles


d’ intervention stratégique au cours des vingt dernières années, s’ est basée,
d’ une part, sur l’ étude et la synthèse effectuée par mes soins de toute la
tradition de l’ art du stratagème et de la logique non ordinaire et, d’ autre
part, sur l’ expérimentation empirique dans un contexte médical ou
entrepreneurial de solutions calibrées pour les typologies récurrentes de
problèmes. La Stratégie de résolution de problème a donc été aussi le
modèle méthodologique de la recherche de solutions fonctionnelles
capables de se substituer aux solutions dysfonctionnelles.

Grâce à tous ces éléments, ce qui était d’ abord une approche artistique
est devenu au fil des ans une véritable technologie de Résolution de
problème, dans la mesure où les modèles de solution stratégique mis au

48
point pour les différentes classes de problèmes ont évolué, devenant non
seulement toujours plus efficaces et efficients en vertu de leurs
perfectionnements progressifs, mais aussi du fait qu’ ils sont reproductibles,
transmissibles et prédictifs dans leurs effets.
2
« Le secret, c’ est qu’ il n’ y a pas de secret » , l’ invention créative ne
correspond pas à un éclair de génie, mais au mode d’ analyse d’ un problème
qui permet de l’ aborder depuis des perspectives non ordinaires. Ainsi que
3
nous l’ enseigne le médecin et biologiste Alexander Fleming (1881-1955),
« le hasard ne favorise que les esprits préparés » .

1. Mathématicien, logicien et philosophe brésilien né en 1929.


2. Citation de Jean Hy ppolite (1907-1968), philosophe français spécialiste de Hegel.
3. Il a découvert accidentellement la pénicilline.

49
CHAP ITRE IV

La Stratégie de résolution de problème en action

Après avoir exposé en détail les caractéristiques de la Stratégie de


résolution de problème, nous pensons qu’ il ne peut y avoir de meilleur
moyen d’ avancer dans notre voyage de découverte que de proposer une
plongée – plus encore que cela a pu être le cas au fil des chapitres
précédents – dans les applications directes de ce modèle à différentes
problématiques.
Nous allons donc présenter de nombreux exemples de Stratégie de
résolution de problème, appliqués à des contextes spécifiques : cas clinique
d’ un individu ou d’ une entreprise, incursions dans le monde scolaire et
dans celui des forces armées. Il pourra s’ agir d’ interventions directes ou
indirectes et déguisées, de plongée dans la recherche pure ou dans son
application la plus radicale. Nous souhaitons ainsi offrir le plus vaste
panorama possible de cette méthode qui permet d’ être le véritable artisan, et
non la victime, de son destin.
L’ exposé des exemples d’ interventions réelles sera subdivisé en trois
parties, correspondant aux trois typologies usuelles d’ application de la
Stratégie de résolution de problème. Il y a d’ abord le coaching, focalisé sur
l’ amélioration des performances. Il y a ensuite la thérapie, appliquée pour
traiter des pathologies psychologiques. Il y a enfin le conseil et la
formation, destinés à des entreprises et à des organismes.

Chaque illustration ne constitue pas un simple exemple, mais une


Stratégie de résolution de problème appliquée à de nombreux cas entrant

50
dans la même catégorie. À l’ évidence, cette procédure de base a été adaptée
aux spécificités du cas traité. La structure de l’ intervention reste identique,
mais c’ est l’ application qui est toujours changeante, ajustée en fonction
des différences individuelles et des circonstances. La rigueur
méthodologique doit s’ allier à la souplesse d’ adaptation et l’ approche
systématique à l’ imagination.

Q uand la Stratégie de résolution de problème se focalise


sur la performance

Il y a une dizaine d’ années, on a fait appel à moi pour aider un joueur de


tennis de réputation internationale qui, après une succession de succès,
enchaînait les défaites mais, plus grave encore, souffrait d’ un blocage
observable sur le cours. Ce joueur était très jeune et, à moins de vingt ans, il
faisait déjà partie des meilleurs joueurs du monde. Il avait été propulsé sous
les feux des projecteurs non seulement à cause de ses prestations, mais aussi
parce que son jeu était très particulier : intuitif, peu technique mais explosif
et surprenant pour son adversaire. En le regardant jouer, on assistait à de
véritables exploits, mais aussi à de criantes erreurs.

Le jeune athlète fut bien sûr accueilli au sein de la Fédération italienne


de tennis comme le nouveau joyau qu’ il fallait faire resplendir plus encore.
Il partit donc à Rome, au siège national de la Fédération pour améliorer son
style et ses performances. Mais c’ est précisément à cette phase que les
problèmes commencèrent à apparaître car les instructeurs de la Fédération,
dont l’ approche s’ appuyait sur les schémas techniques du tennis
traditionnel, commencèrent à soumettre le jeune Federico – tel est le nom du
jeune joueur de tennis – à des sessions d’ entraînement éreintantes, basées
sur l’ apprentissage des bases techniques qu’ il n’ utilisait pas dans son jeu
totalement intuitif. Ce jeune talent fut contraint d’ apprendre des choses qui
lui apparaissaient extrêmement ennuyeuses, puisqu’ elles allaient contre ses

51
inclinations naturelles. Il m’ expliqua que, si jusqu’ alors il avait considéré
son sport comme un jeu divertissant et exaltant, une fois placé sous l’ aile
« protectrice » des entraîneurs de la Fédération, le jeu magnifique s’ était
transformé en un labeur fastidieux.

On voit bien comment, avec les meilleures intentions du monde, les


entraîneurs avaient produit les pires effets sur Federico. Celui-ci avait perdu
son enthousiasme et, en outre, le travail de conditionnement destiné à
obtenir de lui un jeu obéissant aux schémas classiques était entré en conflit
avec son style intuitif. P ar conséquent, le jeune joueur de tennis n’ arrivait
plus à se laisser aller à ses inclinations naturelles durant les matches, mais
sans parvenir non plus à se conformer aux schémas préétablis selon lesquels
il était entraîné. Résumons-nous : voici un cas où une bonne solution
générale, faute d’ être adaptée au cas particulier, risquait d’ aboutir à un
échec cuisant.
Il fallait donc parvenir, d’ une part, à débloquer le talent de Federico qui
avait été pris au piège et, d’ autre part, à bloquer la tentative de solution
ratée mise en œuvre par les entraîneurs de la Fédération.

En appliquant le modèle de Stratégie de résolution de problème, il


apparaît clairement que, pour Federico, la façon « d’ aggraver la situation »
consistait à poursuivre ce type d’ entraînement qui avait mis son jeu en
cage, alors même qu’ il ne pouvait refuser de suivre les indications de ses
entraîneurs. Le problème ne présentait donc pas de solution simple, et cela
d’ autant plus que j’ avais été invité à intervenir, non par la Fédération
italienne de tennis mais par le précédent entraîneur de Federico qui l’ avait
« élevé » , sportivement parlant, depuis qu’ il était enfant et avec lequel
j’ avais déjà collaboré pour aider d’ autres jeunes athlètes. Cet entraîneur
s’ entendait très mal avec ses collègues de la Fédération et donc tout ce
qu’ il pourrait proposer serait refusé par principe et la même chose serait
vraie pour moi, étant donné qu’ ils n’ avaient pas requis mon assistance.
Nous n’ avions donc qu’ un seul levier à notre disposition, et ce levier
c’ était Federico lui-même.

En analysant ses tentatives de solution, il apparut clairement qu’ il


s’ était employé, avec application et en faisant beaucoup d’ efforts, à suivre

52
les indications des entraîneurs et s’ était soumis à de rudes entraînements
sans jamais protester, mais qu’ il en éprouvait un fort ressentiment. Son
comportement contrastait avec ses émotions : il y avait, d’ une part, la
volonté de collaborer et, de l’ autre, l’ incapacité d’ y aller à fond. Cette
situation me conduisit à proposer une tentative de solution qui pourrait
sauver la situation sans compromettre les relations.

Je suggérai donc à Federico de commettre volontairement d’ évidentes


erreurs dans les techniques traditionnelles qui lui étaient enseignées.
Ainsi, au lieu de s’ appliquer et de s’ efforcer de reproduire tous les
mouvements techniques enseignés afin de démontrer qu’ il était capable de
les réaliser parfaitement, il devait mettre en évidence son incapacité à
apprendre. Le jeune homme trouva cette prescription assez surprenante car il
avait grandi avec l’ idée de devoir s’ engager à apprendre le mieux possible
tout ce qui lui était enseigné, mais il comprit qu’ il s’ agissait là d’ une
manœuvre pour entamer la rigueur des responsables techniques de la
Fédération.
Il commença donc à devenir « la malédiction » de ses entraîneurs car
d’ élève diligent, il se transforma en élève pénible, incapable d’ apprendre
même les choses les plus simples. Les entraîneurs étaient d’ autant plus
surpris que le jeune homme avait recommencé à gagner, mais en jouant
« son » jeu.

Au fil de nos séances, Federico se montra très content de « faire tourner


en bourrique » ses entraîneurs et, quand il faisait semblant de ne pas savoir
faire quelque chose en commettant de grossières erreurs, il éprouvait un
sentiment de libération. La prescription fut suivie durant plusieurs mois.
J’ avais demandé au jeune athlète de ne cesser de s’ excuser auprès de ses
maîtres de s’ être ainsi transformé en un « cabochard » , incapable
d’ apprendre les leçons qu’ on lui donnait, même si cela se trouvait en totale
contradiction avec le fait qu’ il avait recommencé à gagner, à sa façon, dans
les tournois. Il se passa une chose étrange – mais prévue par la stratégie
mise en œuvre. P rogressivement, les responsables techniques commencèrent
à penser que, puisque Federico était si rétif à cet apprentissage, qu’ il fallait
le laisser jouer à sa façon car c’ était le seul moyen qu’ il pût donner le
meilleur de lui-même.

53
P arvenus à cette étape du travail, il apparut très clairement comment,
grâce à un stratagème apparemment minimaliste, quelque chose s’ était
déclenché dans l’ interaction dysfonctionnelle entre Federico et ses
entraîneurs qui avait transformé le cercle vicieux négatif en un processus
vertueux de changement. Et le tout sans que les responsables techniques ne
se fussent rendu compte de quoi que ce soit, considérant même leur
changement d’ avis comme issu d’ une découverte personnelle.
Federico a poursuivi sa brillante carrière, désormais libre de s’ exprimer
au mieux, en suivant son talent et non des schémas préétablis. Nous avons
lancé une boule de neige qui, en roulant, s’ est transformée peu à peu en une
avalanche et ainsi le changement est-il apparu naturel, spontané, et non
l’ effet d’ une stratégie subtile.

Un champion de sports de combat nous offre un cas fort singulier. Ce


sportif vint me demander de l’ aide à cause d’ une difficulté paradoxale
éprouvée dans sa discipline où il était un véritable champion. Il était
épouvanté par deux adversaires et se sentait incapable de les affronter sur le
ring, si bien qu’ il avait – littéralement – évité de les rencontrer en les
excluant de ses combats. Étant donné qu’ il était professionnel, il ne pouvait
remettre indéfiniment le combat avec ses deux rivaux car tous trois étaient
parvenus au plus haut niveau dans leur catégorie et ils devaient bientôt
s’ affronter pour que le titre puisse être décerné. Le problème était limpide,
tout comme l’ objectif, qui consistait non seulement à le faire combattre
contre ses rivaux, mais à faire cela sans qu’ il en éprouvât d’ épouvante.

Dans ses tentatives de solutions, il avait successivement recouru à la


tentative d’ évitement qui lui avait permis de s’ en sortir jusqu’ à maintenant,
mais qui n’ était désormais plus une option. P uis il avait tenté de ne pas
penser à ses deux adversaires car quand il laissait son esprit partir dans
cette direction, il éprouvait de véritables frissons déclenchés par la peur.
Une telle réaction l’ avait conduit à ne pas faire ce qui est une pratique
courante dans la discipline, à savoir étudier ses adversaires et leurs

54
spécificités, à l’ aide de vidéos de leurs combats. Notre sportif affirmait que,
chaque fois qu’ il lui était arrivé de voir ses deux collègues combattre, il
s’ était convaincu de ne pas être à la hauteur, non pas du fait de sa technique
ou de ses capacités, mais de son caractère. Ses deux rivaux apparaissaient
beaucoup plus agressifs, assurément plus « méchants » durant leurs
rencontres, et cela faisait naître en lui une grande crainte, tant et si bien
qu’ il avait abandonné toute ambition de les étudier.

Comme nous l’ avons déjà précisé précédemment, pour tous les


problèmes basés sur la peur, la typologie habituelle de tentatives de
solution mises en œuvre correspond précisément à celles auxquelles a
recouru notre « guerrier épouvanté » : le refus d’ affronter la peur et la
tendance à éluder les situations considérées comme menaçantes. Ces deux
tentatives de solution ont échoué et conduit à l’ augmentation de la peur et
non à sa diminution et, très souvent, cette peur accrue se mue en véritable
panique.

Comme dans la majorité des cas de ce type, c’ est par l’ entremise d’ une
technique spécialement mise au point pour cette catégorie de problèmes que
notre athlète a été amené à regarder sa peur en face pour la transformer en
« courage » . Il reçut d’ abord la prescription suivante : s’ isoler et s’ exercer
chaque jour, pendant un laps de temps convenu à l’ avance à s’ abandonner à
ses pires cauchemars concernant le combat avec ses deux rivaux. Il devait
laisser libre cours à tout ce qui lui viendrait alors à l’ esprit, toutes les
émotions et sensations évoquées ainsi devaient avoir la possibilité de se
faire jour. Cette prescription a produit un véritable effet paradoxal : le fait
d’ évoquer la peur et toutes les images qui lui sont associées de manière
volontaire en bloque l’ expression au niveau psycho-physiologique. C’ est
ce qu’ il nous faut faire découvrir au patient, de façon à le mettre dans la
situation de saint Thomas, celui qui doit toucher pour croire. Une fois ce
premier objectif atteint, au cours d’ un véritable entraînement, on apprend au
sujet à augmenter volontairement sa peur pour pouvoir la diminuer.

Dans le cas de notre combattant, l’ issue fut pour lui fort surprenante car
il n’ aurait jamais imaginé que le meilleur moyen d’ apaiser une peur
consistait à l’ alimenter de manière volontaire.

55
Une fois cette découverte faite, il s’ entraîna avec diligence et commença
alors à étudier ses futurs adversaires, en analysant méthodiquement leurs
principaux combats. Cette étude le conduisit à ramener à de plus justes
proportions ses rivaux, commençant à distinguer dans leur manière
agressive de combattre de nombreux points faibles dont il pourrait se servir
lors des rencontres. Mais il restait une autre expérience concrète à lui faire
vivre avant qu’ il ne fût totalement prêt à faire face à ses deux adversaires. Il
lui fallait réussir à affronter leur regard « mauvais » , sans se sentir écrasé par
leurs personnalités. Dans ce but, je l’ incitai à faire leur connaissance avant
de les rencontrer, d’ inviter chacun d’ eux à une rencontre conviviale avant
les combats. C’ est ainsi que notre athlète invita à déjeuner ses adversaires,
avec le but déclaré de connaître en dehors du ring les personnes qu’ il
devrait combattre. Je lui conseillai de se montrer envers eux d’ une grande
cordialité durant la rencontre mais, en même temps, de maintenir un contact
visuel pendant toute l’ entrevue. Il ne devait pas faire preuve d’ une attitude
défiante, mais se comporter comme quelqu’ un qui a tout intérêt à faire
connaissance avec une personne donnée. Je motivai ma suggestion en lui
expliquant que les yeux étaient considérés comme le « miroir de l’ âme » et
qu’ il devait donc regarder ses adversaires dans les yeux afin de comprendre
ce qui se cachait derrière le méchant regard manifeste durant les combats.

C’ est ainsi que notre athlète, en rencontrant ses deux adversaires,


parvint à connaître les véritables personnes qui se dissimulaient derrière
leurs personnages. Dans un cas, il m’ expliqua s’ être trouvé devant une
personne peu sûre d’ elle-même et si intimidée par sa gentillesse qu’ elle
s’ était montrée clairement mal à l’ aise à plusieurs reprises durant la
conversation. Au contraire, le second adversaire était apparu comme un
acteur-né qui avait fait montre de tous les talents qu’ il possédait hors du
ring comme, par exemple, le fait d’ être un amant extraordinaire ou de mieux
chanter que certains professionnels. À ce sujet, mon patient cita l’ un de ses
vieux maîtres : « Qui s’ exhibe ne brille pas. »

C’ est ainsi que notre guerrier épouvanté retrouva la sérénité, ayant


redonné leur juste place tant à ses adversaires qu’ à ses réactions phobiques.
Le tournoi international auquel participèrent les trois athlètes se conclut
par une victoire ex æquo de mon patient et du comédien-né, tandis que celui

56
qui manquait d’ assurance se classait deuxième. Chose curieuse à noter :
tous trois sont devenus de grands amis. Notre guerrier rasséréné m’ a relaté
que ses deux amis le considéraient comme le plus préparé et le plus
courageux des adversaires qu’ ils eussent jamais rencontré. La fragilité
acceptée et gérée devient une force et la gentillesse peut vaincre la brutalité.

P armi les problèmes les plus récurrents en milieu managérial, on trouve


celui de dirigeants parfaitement qualifiés et capables en matière
entrepreneuriale (organisation, production, marketing, rapport coût-
bénéfices, etc.), mais déficients dès qu’ il s’ agit d’ établir des relations et de
communiquer de manière efficace. Ce phénomène s’ explique sans doute par
le fait que, au cours des études de management, trop peu de temps est
consacré à l’ acquisition de compétences en matière de communication et de
relations, si bien que, le plus souvent, les plus lucides d’ entre eux
demandent à suivre de telles formations dans des centres spécialisés alors
qu’ ils sont déjà entrés dans le monde du travail. Ce n’ est pas un hasard si,
depuis des années, les deux cours proposés à Arezzo et à Milan dans notre
École de communication stratégique sont toujours complets.

J’ ai choisi le cas d’ un dirigeant expert, appelé par une importante


maison de prêt-à-porter en crise à cause de problèmes d’ organisation liés à
la production et à la distribution de la marque – une marque fort
prestigieuse, soit dit en passant. Ce dirigeant était effectivement un
véritable expert en matière de réorganisation interne des grandes
entreprises, ayant accumulé une solide expérience dans d’ importantes
sociétés du monde entier. Il fut donc choisi pour son expérience
incontestable et offert un contrat comptant de nombreux zéros.

Le paradoxe qui se fit jour et à cause duquel l’ entreprise se tourna vers


mon Centre, peut se résumer ainsi : au cours des derniers mois écoulés,
l’ idylle amoureuse entre l’ entreprise et le dirigeant à succès s’ était brisée.
Cette rupture pouvait sembler incompréhensible à l’ issue d’ une
observation superficielle puisque, au cours des deux années de dur labeur

57
accomplies par le dirigeant, des résultats positifs avaient été obtenus, qui
apparaissaient à l’ évidence aux yeux de tous. L’ entreprise fonctionnait
désormais dans une parfaite harmonie entre la production, la distribution et
la vente, comme si notre homme avait débloqué un mécanisme, obtenant une
synchronisation parfaite.
Cependant, les propriétaires de l’ entreprise, qui appartenaient à la
famille du fondateur, avaient progressivement fait preuve à son endroit d’ un
détachement, d’ un refus, qui avait abouti à un véritable boycottage.
Autrement dit, les propriétaires discréditaient ce manager dans sa relation
avec le conseil d’ administration, ne lui reconnaissant pas le mérite gagné à
bon droit par son travail.

Enquêtant avec le directeur des ressources humaines de l’ entreprise, qui


avait été mandaté pour demander notre aide, il apparut rapidement, en
empruntant les différentes étapes de la Stratégie de résolution de problème,
que le problème ne se situait pas sur le plan du mérite professionnel, mais
sur celui de la relation personnelle. Le dirigeant, totalement concentré sur
ses performances, avait sous-évalué le fait de mettre en valeur les
propriétaires de la marque. Il n’ avait pas considéré la possibilité que son
succès puisse se transformer en démonstration publique de l’ incompétence
de ceux qui l’ avaient appelé à l’ aide. Sur le plan rationnel, les résultats
positifs constituent une évidence mais, sur les plans émotif et relationnel,
cette réalité, faute d’ être filtrée et adoucie en associant à ses succès
personnels les propriétaires, devient généralement insupportable. P ar
conséquent, un phénomène paradoxal se fait jour et qui peut se résumer
ainsi : plus la personne chargée de résoudre les problèmes de l’ entreprise
l’ a fait avec succès, plus elle finit par être rejetée et boycottée.

P arvenu à cette conclusion avec le responsable des ressources


humaines, nous avons élaboré une succession de changements à introduire
et, utilisant la technique de l’ alpiniste, nous sommes arrivés à définir le
premier pas à accomplir. Le responsable des ressources humaines devait
parler avec le dirigeant – une relation d’ estime réciproque s’ étant instaurée
entre eux – et l’ informer de ce qui était apparu à l’ issue de notre entretien,
l’ invitant à mettre en œuvre, avec lui, un parcours de changement
stratégique, susceptible de modifier cette situation difficile.

58
Le manager accepta de procéder à la première manœuvre, apparemment
minimale. Chaque jour, il devait aller voir le PDG, qui était le fils aîné du
fondateur de l’ entreprise, pour lui exposer la situation actuelle, ses projets,
ses considérations dans le but d’ obtenir son avis, mais surtout une sorte de
regard sur son travail, motivé par une nécessité apparue récemment à la suite
des changements mis en œuvre. Disons-le autrement. Notre manager devait
déclarer ouvertement ses difficultés à gérer l’ avenir de l’ entreprise. Tant
qu’ il s’ était agi de faire les changements internes nécessaires pour
synchroniser l’ organisation et la production, il s’ était senti à la hauteur de
sa tâche. Désormais, au contraire, il fallait gérer le bon fonctionnement
nouvellement acquis et le faire évoluer. Et, pour cela, le dirigeant avait
besoin de l’ aide des fondateurs de l’ entreprise, lesquels, en vertu de leur
expérience seraient susceptibles de lui donner les meilleurs conseils
possibles.

Comme on l’ aura bien compris, il s’ agissait d’ un stratagème pour


inverser l’ ancienne relation entre les deux individus, marquée par la
position haute du manager et la position basse du président. Celui-ci devait
permettre au propriétaire de se sentir non seulement important, mais
nettement supérieur à la personne qui, dans la réalité des faits, avait résolu
les problèmes que lui-même s’ était révélé incapable de gérer.
Cette ambivalence relationnelle joue un rôle fondamental car elle permet
à une personne de collaborer, de participer, alors qu’ elle s’ était retranchée
dans une position défensive, se sentant – paradoxalement – disqualifiée par
le succès de la personne qu’ elle avait elle-même appelé à l’ aide.

Comme cela arrive dans la majorité de tels cas, il a suffi de mettre en


œuvre un nouveau type de relation pour qu’ une évolution naturelle se fasse
et que les étapes successives du changement planifié se produisent sans
contrainte. Le manager travaille désormais avec plaisir dans l’ entreprise et,
en dehors du travail, il joue souvent au golf avec le PDG.
Il ne faut jamais oublier que l’ ingénu est arrogant, alors que le sage est
humble.

59
UNE MOITIÉ DE VIOLONISTE

Il existe une catégorie de personnes avec lesquelles j’ aime


particulièrement travailler : ce sont les musiciens car, quand il s’ agit
d’ artistes véritables, ils allient la rigueur de la discipline à l’ inspiration
créative.

Le cas d’ un violoniste connu est l’ un des plus sympathiques que j’ ai


eu à traiter. Ce violoniste avait été pris au piège d’ une fixation qui
amoindrissait ses performances artistiques. Voici, en quelques mots, de quoi
il s’ agissait.
Durant l’ un de ses derniers concerts, notre violoniste, en plaçant son
archet à proximité de son visage afin d’ obtenir des effets harmoniques
spécifiques, avait ressenti une forte contracture au bras et un
engourdissement soudain. Craignant le blocage de son bras, il avait
aussitôt déplacé l’ archet de l’ autre côté du violon, de façon à ouvrir plus
grand son bras et à dissiper la contracture. Cette expérience « traumatique »
avait ouvert en lui un abîme de craintes jusqu’ alors inconnues. P our la
première fois, il considérait la possibilité d’ un blocage durant un concert :
en contractant excessivement son bras pour déplacer l’ archet vers
l’ extrémité intérieure du violon, il pourrait en perdre le contrôle avec des
conséquences désastreuses. À cause de cette crainte, devenue une véritable
obsession, il jouait désormais du violon en prenant soin de ne pas déplacer
l’ archet dans la moitié de l’ instrument la plus proche de son visage, afin
d’ éviter tout risque de contracture et d’ erreurs éventuelles. Il est évident
que cette attitude amoindrissait son talent d’ interprète, si bien que lui-
même expliquait se sentir une « moitié de musicien » , puisqu’ il jouait en
utilisant la moitié de la surface de son violon.

En utilisant les techniques de la Stratégie de résolution de problème et,


plus précisément, celle du scénario idéal au-delà du problème, ce fut le
musicien qui proposa comme image idéale le fait de pouvoir jouer du violon
sans devoir déplacer son bras vers l’ intérieur, de façon à ne plus avoir de
problème de contracture. Même si cette contracture n’ était survenue qu’ une
seule fois, personne ne pouvait lui assurer que cela ne se renouvèlerait pas
et ce manque de contrôle était insupportable. S’ il avait pu jouer du violon

60
sans l’ appuyer contre sa joue, en l’ éloignant de son corps, il aurait
contourné son pénible problème.

Inspiré par son image idéale, je lui suggérai de commencer à s’ entraîner


à jouer du violon en le tenant éloigné de son visage, en le faisant reposer
sur son épaule. J’ ajoutai que j’ avais déjà connu des musiciens qui avaient
connu un regain de célébrité du fait d’ une approche hétérodoxe de leur
instrument. Ainsi, un contrebassiste avait appris à utiliser son archet plutôt
que ses doigts pour jouer son instrument assis, comme s’ il s’ agissait d’ un
violoncelle, et cela l’ avait rendu vraiment unique ! J’ ai aussi connu un
pianiste qui jouait en prenant des positions insolites et en faisant des
mouvements qui auraient fait frémir un instrumentiste traditionnel,
positions et mouvement qui étaient précisément à l’ origine de son succès !
J’ étais convaincu que mon patient pourrait construire quelque chose de
similaire, en transformant ses limites en une qualité supplémentaire, sa
fragilité en une force, sa présumée incapacité en une vertu supérieure.
Ma prescription piqua sa curiosité et il se mit au travail.

Quelques semaines plus tard, lors de la séance suivante, il avait apporté


son instrument et me joua un morceau en tenant son violon appuyé sur
l’ épaule, coincé entre le bras et la poitrine, exploitant alors l’ ensemble de
l’ instrument. Le musicien semblait amusé d’ avoir recouru à un tel
1
expédient, qui lui semblait être une sorte d’ « œuf de Colomb » . Certains
de ses collègues qui avaient joué en prenant cette position avec lui
considéraient qu’ il s’ agissait là d’ une pratique artistique snob car le fait de
jouer du violon en prenant une position apparemment impossible, et qui
dérogeait à la tradition, était au final une façon de souligner plus encore son
talent de concertiste.

Nous sommes donc arrivés à l’ idée suivante : lors de son prochain


concert en public, il se positionnerait ainsi, en expliquant cependant au
préalable qu’ il allait jouer en utilisant une technique nouvelle, mise au
point par ses soins, et destinée à obtenir des sonorités nouvelles et une
performance accrue – celle-ci était due au fait que la nouvelle position lui
permettait d’ utiliser mieux encore son archet sur la partie de la corde la plus
proche du corps. Cette idée lui plut beaucoup, elle lui semblait sortie de

61
l’ imagination d’ un véritable « matador des planches » , où un trouble était
transformé en une invention artistique.

Il donna une série de concerts au cours desquels il connut un triomphe


qui dépassa largement ce qu’ il avait pu connaître avant l’ incident qui
l’ avait bloqué. Il y a cependant quelque chose qu’ il n’ avait pas prévu, et
qui faisait pourtant partie intégrante de ma stratégie : après avoir joué et
connu le succès grâce à sa nouvelle méthode calquée sur la structure de son
problème, la solution se fit jour comme un effet apparemment spontané. En
effet, pendant un concert, il reprit naturellement la position traditionnelle et
put jouer son instrument sans aucun problème. Il alterna alors les deux
positions selon les exigences des mouvements musicaux le plus
spontanément du monde.

Quand nous nous sommes revus après cette nouvelle découverte, le


violoniste me demanda si j’ avais prévu une telle conséquence et je lui
répondis que, lorsque l’ esprit se bloque sur quelque chose, plus nous
cherchons volontairement à le débloquer et plus nous l’ enracinons. Il avait
été nécessaire d’ appliquer un stratagème qui lui permît de concentrer son
attention sur autre chose afin que l’ objectif pût émerger spontanément. Je lui
expliquai que dans la tradition de l’ art du stratagème, cet effet est défini
comme le fait de « traverser la mer à l’ insu du ciel » .

Le dernier exemple de cette partie consacrée aux difficultés dans


l’ accomplissement de son travail appartient à une autre classe de problèmes,
dans laquelle on observe l’ incapacité de se libérer d’ une stratégie qui a
longtemps fonctionné, jusqu’ à ce qu’ elle se retourne complètement et
produise l’ effet contraire.

Le cas emblématique est celui d’ un romancier célèbre qui, à partir d’ un


certain moment, ne parvint plus à terminer son roman. Il m’ expliqua que son
inspiration était totalement bloquée et que, chaque fois qu’ il se mettait
devant son ordinateur, il était incapable de produire de matière pour son

62
nouveau roman, attendu par son éditeur. Cet auteur était aussi très
préoccupé du fait qu’ il avait déjà déplacé la date de remise de son manuscrit
depuis plus d’ un an, prétextant des problèmes de santé ou de famille.
L’ éditeur s’ était montré très compréhensif car il s’ agissait de l’ un de ses
auteurs phares mais il commençait à le presser, et cela aussi parce qu’ il lui
avait déjà versé une avance confortable. L’ auteur m’ expliqua que ce qui le
préoccupait le plus était dû au fait qu’ il avait toujours recouru à une
technique lui permettant de mettre un point final à ses textes sans grands
efforts mais que, désormais, cette stratégie se révélait être un échec total.
Généralement, il commençait par penser à la trame de l’ histoire, puis il
l’ articulait dans une séquence temporelle avant de débuter l’ écriture des
chapitres. La fin de l’ histoire arrivait donc comme la conséquence directe de
ce qu’ il avait raconté précédemment. Autrement dit, l’ auteur ne décidait pas
de la fin à donner à son roman avant de l’ avoir écrit car il voulait laisser
libre cours à son imagination et parvenir à construire un final sensationnel,
conséquence directe de ce processus. P résentement, malheureusement, après
avoir écrit le premier chapitre et choisi le titre de son nouveau roman, il
s’ était montré incapable d’ en développer la trame, chapitre après chapitre,
jusqu’ à la fin. Quant au chapitre déjà écrit, il le trouvait médiocre. Il était
convaincu que son inspiration s’ était tarie et, à plusieurs reprises, avait
pensé que peut-être le moment était-il venu de mettre fin à sa brillante
carrière d’ écrivain et de se recycler, en devenant critique par exemple. Dans
tous les cas, il devait d’ abord honorer l’ engagement pris avec son éditeur,
peut-être pour la dernière fois. En appliquant les différentes phases de la
Stratégie de résolution de problème à ce patient, le point le plus critique
consistait en son absolue fidélité à l’ égard de la méthode utilisée jusque-là
avec succès et l’ incapacité qui s’ ensuivait à trouver une autre manière de
procéder dans l’ écriture de son roman. À la demande qui lui fut faite de
déterminer la façon d’aggraver encore la situation, l’ écrivain avait
répondu qu’ il lui suffisait de poursuivre dans cette voie, sa pire crainte
s’ étant réalisée. Tout comme dans le fait d’ imaginer le scénario idéal au-
delà du problème, l’ image idéale consisterait à avoir clairement en tête
toute son histoire, fin comprise.

63
P arvenus à cette étape et sachant que le titre du livre était déjà
déterminé, nous avons analysé quelle serait la meilleure fin pour une œuvre
portant un tel titre en appliquant la technique de l’alpiniste. Nous avons
discuté un peu et l’ auteur, pressé par mes questions, commença à proposer
des fins à rebondissements et je commentai les impressions suggérées par
chacune d’ elles. Après une bonne demi-heure, nous nous sommes mis
d’ accord sur la fin qui convenait le mieux parmi les trois propositions qu’ il
avait faites. Je lui suggérai alors de mettre par écrit, avec le talent littéraire
qui était le sien, les dernières pages du livre qu’ il avait conçues en
discutant avec moi. Intrigué, l’ auteur suivit mon conseil.

Moins d’ une semaine plus tard, il m’ apporta sept pages correspondant à


la fin, très réussie, de son livre. P uis je commençai à discuter avec lui de ce
qui se passerait avant cette fin, du meilleur dernier chapitre possible. Nous
avons donc discuté jusqu’ à ce qu’ il propose un fragment de trame qui
s’ adaptait remarquablement au final. Je lui suggérai une nouvelle fois de
mettre le tout par écrit.

Comme on l’ aura bien compris, le travail se poursuivit ainsi au fil de


sept séances, chacune consacrée à la construction d’ un chapitre, en
procédant depuis la fin du roman vers son début. Je ne l’ autorisai à relire le
tout en procédant cette fois-ci du début jusqu’ à la fin qu’ une fois la
structure de l’ œuvre établie. À sa grande surprise, l’ écrivain aima beaucoup
ce roman. Quand son éditeur le reçut, il fut enthousiaste et lui dit avoir noté
une intéressante évolution dans son écriture. Certes, celui-ci ne pouvait pas
imaginer que le livre avait été écrit en partant de la fin.
Transformer notre façon de penser ordinaire en une modalité insolite à
laquelle on se tient en procédant de manière rigoureuse est l’ une des
meilleures façons de débloquer nos pièges mentaux.

Q uand la Résolution de problème devient une thérapie

Avant de présenter des exemples de psychothérapies basées sur la


Stratégie de résolution de problème, il me semble nécessaire de préciser que

64
cette partie va rendre compte – de manière condensée – de la production
scientifique ainsi que de la technologie élaborée et formalisée par votre
serviteur et ses collaborateurs au cours des vingt dernières années. On
trouvera aussi des démonstrations de la façon dont les pathologies
psychiques et comportementales peuvent être considérées comme des
classes de problèmes dotés d’ une structure répétitive, même lorsqu’ ils se
présentent chez des personnes ou dans des contextes familiaux singuliers.
La preuve en est que les protocoles de traitement ainsi que les techniques
spécifiques mises au point pour les formes les plus récurrentes de
psychopathologies fonctionnent sur un type de problème quel que soit le
contexte culturel. Je n’ en donnerai qu’ un exemple : le traitement spécifique
mis au point pour le trouble d’ attaques de panique fonctionne aussi bien
aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Europe, en Chine, en Russie qu’ en
Arabie Saoudite. Cela démontre incontestablement que, si la technologie
thérapeutique est modelée sur la structure des pathologies, elle peut être
appliquée avec succès par des thérapeutes différents et dans des contextes
fort éloignés les uns des autres puisque, à chaque type de problème,
correspond une solution précise.

Enfin, je veux insister sur le fait que ne seront présentés ici que des
exemples mettant en évidence avec la plus grande clarté la façon dont les
procédures de solution ont été construites à partir du modèle de Stratégie de
résolution de problème. Les lecteurs intéressés trouveront à la fin de ce livre
une présentation de la production scientifique et des technologies
thérapeutiques du Centre de thérapie stratégique. Dans le contexte du
présent ouvrage, il est impossible de passer en revue les dizaines de
techniques inventées ainsi que les nombreux protocoles de traitement
formulés. On aura une idée de la chose en sachant qu’ ils remplissent vingt-
six ouvrages et des dizaines d’ articles !

P our introduire notre propos, nous nous contenterons de signaler la


référence concernant le premier projet de recherche-intervention de la
Stratégie de résolution de problème, appliqué à la psychothérapie et mis en
œuvre entre 1985 et 1990. Consacré au traitement de courte durée des
troubles phobico-obsessionnels, c’ est lui qui a donné la plus grande
impulsion et la plus grande notoriété à mon travail de recherche dans le

65
domaine clinique, grâce à l’ énorme succès remporté par son application. Dès
le départ, ce projet prit en considération les formes spécifiques de tentatives
de solution mises en œuvre par les patients souffrant de panique, de
phobies, d’ obsessions et de compulsions.

Cette recherche empirique servit de point de départ à l’ expérimentation


qui consista à mettre au point des stratégies capables de briser ces cercles
vicieux pathologiques. Il apparut à l’ évidence que ceux-ci se formaient à la
suite de la dynamique créée entre l’ apparition du trouble et les tentatives
ratées de le combattre. À l’ issue d’ une phase prolongée de tentatives
expérimentales pour trouver des solutions efficaces, nous sommes parvenus
à élaborer une série de stratagèmes thérapeutiques, modelés sur les
pathologies en question, et qui se sont avérés capables d’ interrompre leur
persistance et de permettre aux patients de se libérer totalement.

Cette typologie de recherche-intervention fut aussi appliquée par la


suite à la majorité des formes principales de psychopathologie. Furent alors
étudiées les tentatives de solution dysfonctionnelles typiques entretenant
les différents cercles vicieux pathologiques, afin de s’ en servir pour mettre
au point des stratagèmes thérapeutiques spécifiques capables d’ interrompre
les équilibres dysfonctionnels.

Nous allons maintenant présenter des exemples particulièrement


édifiants de ce travail en passant en revue des types de problèmes cliniques
avec les solutions thérapeutiques mises au point – une sorte de passage en
revue rapide d’ un panorama malheureusement trop vaste pour être examiné
dans son intégralité.

E N CAS DE PANIQ UE

En analysant le trouble d’ attaques de panique comme un problème dont


on cherche à mettre au jour le fonctionnement et en étudiant les tentatives de
solution mises en œuvre, il apparaît que tous les sujets qui en souffrent
suivent un scénario très précis. Ils s’ efforcent d’ éviter toutes les situations
susceptibles de provoquer la panique ; ils recherchent l’ aide et le réconfort

66
des autres et tentent de contrôler leurs réactions en réprimant et en
rationalisant leurs impulsions.
Formulons-le autrement : nous pourrions définir la stratégie mise en
œuvre pour combattre la panique et aboutissant à l’ échec comme
l’ interaction entre l’ évitement, la demande d’aide et la tentative de
contrôle. Ces trois modalités confirment et alimentent l’ incapacité du sujet
à faire face à la peur quand elle devient pathologique. Chacune des
situations évitées confirme sa dangerosité, en accroissant la crainte. Toute
aide demandée et reçue souligne son incapacité personnelle et fait donc
croître la peur d’ agir seul. La volonté de contrôler rationnellement ses
impulsions les exaspère.

La recherche psychophysiologique a permis de montrer comment la


panique surgit quand le sujet cherche à contrôler ses réactions indésirables
mais, ce faisant, les exacerbe jusqu’ à en perdre le contrôle. L’ analyse
tomographique des zones du système nerveux qui s’ activent durant une
attaque de panique confirme ce paradoxe psychophysiologique. Si, par
exemple, le symptôme se caractérise par le cœur qui bat la chamade ou le
souffle qui vient à manquer, ce sont précisément les efforts faits pour
contrôler ces deux processus naturels qui vont les modifier. La tentative de
solution devient alors le problème.
Sur chacune de ces trois tentatives de solution dysfonctionnelles a été
élaborée une technique thérapeutique capable d’ en interrompre
l’ application ou d’ en réorienter les effets.

En ce qui concerne le paradoxe psychophysiologique, la technique de


« l’ imagination du pire » a été mise au point depuis la fin des années 1980.
Elle consiste à conduire un sujet à exaspérer sa peur afin de la réduire
(comme nous l’ avons déjà vu dans le cas du « guerrier épouvanté » ) : un
paradoxe a le pouvoir de créer un contre-paradoxe thérapeutique capable de
bloquer le paradoxe pathologique. C’ est la principale technique de
traitement du trouble d’ attaques de panique, comme le reconnaissent
désormais la grande majorité des spécialistes.

P arallèlement, on démontre au patient combien il est dangereux de


continuer à demander de l’ aide, de sorte que celui-ci éprouve bientôt de la

67
crainte à le faire et peut ainsi bloquer ce cercle vicieux. Enfin, le recours à la
« technique de l’ alpiniste » , permet de programmer une série de contre-
évitements, du plus petit au plus grand. L’ application du modèle de
Stratégie de résolution de problème nous permet de nous focaliser sur les
solutions, évitant ainsi de nous perdre dans la complexité des analyses de
personnalité et d’ histoire personnelle. De cette façon, en un laps de temps
allant de deux à quatre mois, nous amenons le patient à surmonter
rapidement son trouble, considéré par l’ Organisation mondiale de la santé
comme la principale forme de psychopathologie puisqu’ elle concerne près
de 20 % des êtres humains.

En ce qui concerne le trouble obsessionnel compulsif aussi, la


recherche-intervention a permis de relever les tentatives de solution
traditionnellement utilisées. Dans ce cas, le cercle vicieux pathologique qui
se constitue est essentiellement basé sur le contrôle, d’ abord rationnel, de
ses pensées et de ses actions, avant que ne se développent des pensées ou
des actions totalement irrationnelles. Comme dans le cas des personnes qui,
obsédées par la crainte de la contagion (du sida ou d’ autres maladies
infectieuses), deviennent progressivement obnubilées par leur hygiène
personnelle ainsi que celle de leurs lieux de vie.

En considérant cette dynamique qui voit le problème être alimenté grâce


aux rituels exécutés de manière compulsive, la technique mise au point
(comme dans le cas de l’ ingénieur manquant de confiance en lui et qui met
en place des rituels de contrôle) consiste à suggérer au patient un contre-
rituel planifié et standardisé avec l’ objectif de prendre le contrôle de la
phobie au lieu d’ être contrôlé par elle. Cette prescription peut varier en
fonction du type de rituel mis en œuvre par le sujet. En effet, le rituel peut
être réparateur quand il sert à remédier à quelque chose qui a eu lieu : « je
me lave parce que je me suis sali » , préventif lorsqu’ il sert à prévenir : « je
contrôle les appareils électroménagers et les robinets pour éviter les fuites
éventuelles » , propitiatoire en exécutant le rituel pour que ce que l’ on
craint ne puisse arriver ou bien magique, attribuant alors au rituel exécuté

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le pouvoir d’ influencer le cours des événements. P our chaque type de rituel
obsessionnel compulsif a été mis au point un contre-rituel spécifique,
capable de bloquer la répétition compulsive.
L’ étape suivante consiste en une application clinique de la technique
de l’ alpiniste : le sujet doit affronter le risque minimal, jusqu’ à se libérer de
toutes les précautions obsessionnelles mises en œuvre avec l’ illusion de se
protéger.
Le trouble obsessionnel compulsif met plus encore en évidence le fait
qu’ une partie de l’ intervention reste inchangée, tandis que l’ autre s’ adapte
à la spécificité de la phobie et des rituels exécutés par le sujet pour se
conformer à leur logique spécifique.

Il est essentiel d’ insister sur le fait que, grâce à ce type de traitement –


ce que confirment les nombreuses recherches menées pour évaluer son
efficacité sur des milliers de cas dans le monde entier –, il est possible
d’ amener le patient à une guérison rapide d’ une pathologie qui constitue la
« bête noire » des formes de troubles psychiatriques, laquelle est trop
souvent traitée sans succès, même en recourant aux électrochocs.

Le doute, en tant que méthode d’ analyse de la justesse des observations


et des raisonnements, constitue l’ un des fondements de la recherche
scientifique et technologique mais, comme le recommandait déjà une devise
philosophique grecque il y a 2500 ans, « Rien de trop » , car tout ce qui est
en excès devient dangereux. Quand le doute se transforme en obsession, de
critère logique de rationalité, il se mue en une torture mentale paralysante.
Les patients souffrant de cette pathologie sont pris au piège de demandes
constantes pour savoir si ce qu’ ils font, ont fait ou pourraient faire est juste
ou injuste, correct ou incorrect, moral ou immoral, sain ou fou, bon ou
mauvais, etc.

Le doute devient le fondement d’ une chaîne obsessionnelle de


questions, en quête de réponses rassurantes et définitives et, pour cette
raison même, impossibles à obtenir. Cette quête chimérique d’ une « vérité »

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aboutit à la constitution d’ un véritable labyrinthe mental dans lequel les
sujets se perdent et dont ils restent prisonniers.
Le plus souvent, les sujets souffrant d’ un tel trouble sont totalement
handicapés et contraints à abandonner leur activité professionnelle car ils
sont constamment bloqués par le doute qui s’ impose à eux avant
d’ entreprendre quoi que ce soit. Un tel tableau clinique constitue un défi
souvent insurmontable pour les thérapies psychiatriques et
psychologiques puisqu’ il s’ agit là d’ une véritable perversion de
l’ intelligence et de la rationalité. En outre, les sujets souffrant de cette
pathologie remettent constamment en question les méthodes thérapeutiques,
suscitant de grandes difficultés chez leurs soignants.

En appliquant la Stratégie de résolution de problème à la dynamique


récurrente de cette pathologie, le doute pathologique s’ élève sur la
tentative ratée de trouver une réponse capable de bloquer la chaîne
d’ interrogations au niveau rationnel. Cette tentative apparaît comme une
véritable mission impossible car il est toujours possible d’ opposer un
doute à une affirmation, quelle qu’ elle soit. La solution ne peut donc être
trouvée au niveau logique. Mais, si l’ on se concentre non plus sur les
contenus mais sur la forme de la dynamique, on peut noter que les questions
que le sujet se pose et les réponses qu’ il se donne aboutissent à la
formation d’ un cercle vicieux au sein duquel les premières emprisonnent les
secondes, lesquelles alimentent de nouveaux doutes. On peut donc en
déduire que, afin de bloquer la chaîne illimitée du doute, il faut interrompre
cette dynamique d’ interdépendance entre les questions et les réponses.

P arvenu à cette étape du travail, le lecteur, comme la majorité des


psychothérapeutes rationalistes, pourrait suggérer au sujet d’ arrêter de se
poser les questions qui génèrent la chaîne du doute. Malheureusement, une
telle entreprise est irréalisable, voire totalement contreproductive car, en
s’ efforçant de ne pas penser à quelque chose, on finit par se torturer avec
cette seule pensée. Vouloir contraindre l’ esprit à bloquer le doute crée plus
de doutes encore. Si, durant une thérapie, je ne peux demander à mon patient
de bloquer les questions, je peux en revanche lui demander de bloquer les
réponses. Autrement dit, il s’ agit de suggérer à la personne affectée par un
doute pathologique d’ éviter de le combattre directement, mais de le laisser

70
s’ exprimer avant de bloquer les réponses, provoquant ainsi sa chute. En
évitant de répondre rationnellement à chaque question, on cesse de nourrir
le cercle vicieux en en bloquant instantanément le mécanisme pervers.

Comme l’ exposait déjà le philosophe Immanuel Kant (1724-1804),


« chaque réponse donnée sur le principe de l’ expérience engendre une
2
nouvelle question » , mais il ne peut y avoir de réponses correctes à des
questions incorrectes. Dans le cas présent, il faut laisser de côté les
réponses et analyser la validité des questions. Les patients acceptent
généralement ce raisonnement alternatif puisqu’ il apparaît aussi logique et
tortueux que le leur, tout en leur offrant une issue cohérente à une rationalité
devenue incohérente.
Dans les faits, on amène les sujets souffrant de « doute pathologique » à
appliquer le « blocus des réponses afin d’ inhiber les questions
pathogènes » et, en quelques semaines, ils parviennent à sortir
définitivement de leurs labyrinthes mentaux.

Construite ad hoc pour cette classe de problèmes psychologiques, la


technique mise en œuvre est, elle aussi, le fruit créatif de l’ application
rigoureuse du modèle de Stratégie de résolution de problème, lequel a
permis d’ examiner une dynamique formelle en en déterminant le point de
rupture.

E N CAS DE PATHOPHOBIE

À notre époque, la pathophobie est sans conteste l’ une des formes les
plus récurrentes de trouble psychologique. Il s’ agit de la crainte phobique
de maladies, telles que les cardiopathies, les tumeurs, les scléroses, les
maladies infectieuses, mais il peut y en avoir bien d’ autres. Cette forme
obsessionnelle de préoccupation conduit les sujets à accumuler les visites
chez le médecin et les examens cliniques. On estime que plus de la moitié
des examens diagnostiques pratiqués dans le secteur public sont inutiles. Si
l’ on ajoute à cela les consultations privées et l’ accès « en ligne » à des
sites de diagnostic médical, on aura compris l’ extension du problème et ses
répercussions sur le secteur médical et la société tout entière, sans compter

71
celles qui s’ exercent sur les individus concernés. Considérant cette
pathologie comme une classe spécifique de problèmes caractérisés par un
fonctionnement récurrent, on constate que tous ceux qui manifestent ce
trouble mettent en œuvre les mêmes modalités dysfonctionnelles pour le
combattre. Le pathophobique cherche constamment à être rassuré sur sa
santé, se soumet à de fréquents examens cliniques et s’ efforce d’ éviter
d’ écouter son corps car tout signal reçu l’ épouvante. Dans ce cas encore,
les trois tentatives de solution mises en œuvre, loin de réduire le problème,
l’ alimentent. Elles deviennent donc la cible de l’ intervention stratégique,
destinée à corriger le mécanisme vicieux qui crée et nourrit la pathophobie.

P renons l’ exemple du cas – récurrent – d’ une personne obsédée par la


peur de souffrir d’ une cardiopathie qui la conduira inexorablement à
l’ infarctus. Cette personne aura constamment besoin d’ être tranquillisée par
son médecin et soumettra à tous les examens diagnostiques existants. Elle
ne voudrait jamais pouvoir entendre son cœur, ou alors l’ entendre toujours
battre régulièrement, car toute modification présumée la panique.

La technique mise au point pour bloquer et réorienter le cercle vicieux


pathologique consiste à prescrire à la personne un contrôle systématique de
son cœur. Autrement dit : toutes les heures (à 8 heures, à 9 heures, à
10 heures, etc.), elle devra noter son rythme cardiaque en se prenant le pouls
et en notant le résultat. Cette procédure sera répétée trois fois, avec une
minute d’ intervalle entre deux relevés. De cette façon, nous obtiendrons un
véritable « journal de bord » de son cœur.

Il est surprenant de constater que le cœur de tels patients fonctionne


normalement et que ces relevés répétés tendent à devenir plus réguliers
encore avec un battement parfaitement rassurant. P our les patients, cela
représente une découverte déconcertante, qui produit une « expérience
émotionnelle corrective » des convictions phobiques passées.

Le traitement se poursuit en conservant cette prescription, réduite


cependant à des relevés toutes les deux heures, et en y associant la
suggestion de ne plus demander à être rassuré et de ne plus faire d’ examens
diagnostiques.

72
Le patient « guérit » généralement en quelques semaines, alors qu’ est
progressivement réduite la fréquence des relevés quotidiens du rythme
cardiaque, jusqu’ à ne plus considérer un tel relevé que comme une
possibilité en cas d’ inquiétude.

Le lecteur sceptique pourra l’ observer sur lui-même : le fait de relever


son rythme cardiaque trois fois de suite inverse le phénomène pathogène du
désir de contrôle et modifie donc le rythme cardiaque, apportant le réconfort
là où on trouvait la peur.

Les désordres alimentaires constituent, avec les troubles obsessionnels


compulsifs, l’ une de mes spécialités, tant en matière d’ étude que de
traitement, ce dont témoignent de multiples publications traduites en
plusieurs langues. Une expérience réussie d’ une vingtaine d’ années dans le
traitement des pathologies alimentaires les plus extrêmes – anorexie,
3
boulimie rebelle et vomiting –, marquée par la mise au point de protocoles
de traitement toujours plus pointus pour les différentes variantes de ces
troubles m’ a conduit, au cours des dernières années, à réfléchir aussi à leur
prévention. Cette idée s’ est faite jour en constatant comment le point
d’ arrivée thérapeutique de toutes les formes de désordres alimentaires
coïncide avec l’ élaboration d’ un rapport équilibré entre la nourriture et le
4
corps. Cela est souligné aussi par l’ étymologie du mot « diète » . Mais un
problème s’ est alors posé : conduire une personne anorexique ou
boulimique à un équilibre alimentaire durable n’ avait que peu de rapports
avec les « diètes » habituellement suggérées par les spécialistes de
l’ alimentation. Celles-ci sont basées sur un contrôle draconien des calories
ou des caractéristiques nutritionnelles des aliments, alors qu’ il faudrait
enseigner le « plaisir » de la nourriture à tous ceux et celles qui sortent
d’ une pathologie alimentaire.
Sur la base de cette constatation, j’ ai appliqué à la nutrition le modèle
de Stratégie de résolution de problème afin d’ obtenir des indications

73
réellement efficaces sur la gestion de l’ alimentation et de son corps, gestion
susceptible d’ être maintenue dans le temps.

Il est important de rappeler ici que toutes les diètes ne font pas maigrir,
mais qu’ aucune n’ est efficace si elle n’ est pas poursuivie dans la durée.
Dans le cas des prescriptions de diètes, l’ adhésion thérapeutique ne
dépasse pas les 10 %. Cela signifie que 90 % des personnes au régime ne
réussissent pas à le suivre ou à l’ accepter. Ce n’ est donc pas un hasard si
les recherches longitudinales ont montré comment celui qui est au régime
grossit plus que celui qui ne l’ est pas.

En utilisant notre modèle pour ce type de troubles, il apparaît que la


façon « d’ aggraver la situation » consiste en une tentative ratée de contrôle
de la nourriture, qui aboutit à la perte de contrôle. Cela peut se faire de
différentes façons, lesquelles, au final, correspondent aux différentes formes
de pathologie alimentaire. En revanche, le « scénario idéal » repose sur la
capacité de pouvoir manger ce que l’ on aime sans prendre de poids.

Mais comment est-ce possible ?


Exactement de la même façon que lorsqu’ il s’ agit de mettre un point
final à une psychothérapie des désordres alimentaires, en suivant une règle
simple : manger ce qu’ on aime aux repas. C’ est ainsi qu’ est née l’ idée du
régime paradoxal, c’ est-à-dire le fait de « ne manger que ce que l’ on aime,
mais de ne le faire qu’ aux trois repas principaux » .

L’ effet totalement surprenant expérimenté par tous ceux qui l’ ont essayé
peut se résumer ainsi : en suivant cette règle agréable, les encas et les orgies
de nourriture cessent immédiatement. Et ce n’ est pas tout. Après quelques
jours, les plats préférés autorisés sans limite aucune ne sont plus aussi
désirables et laissent la place aux suggestions faites par le corps. Autrement
dit, une fois assouvie la transgression suscitée par la restriction alimentaire,
l’ organisme demande ce dont il a besoin, il s’ autorégule. Ainsi, la personne
en surpoids maigrit sans devoir faire de sacrifices, même si ce n’ est pas avec
un plaisir total, et celle qui se trouve en lutte constante contre la nourriture
pour garder la ligne, peut cesser de se battre et prendre du plaisir à manger
sans risquer de grossir.

74
Grâce à cette méthode, nous sommes récemment intervenus dans des cas
sévères de pathologie alimentaire, guidant les personnes afin qu’ elles
parviennent à établir une relation équilibrée, saine et durable, avec la
nourriture.

« T OUT LE MONDE ME REJETTE. » – UN CAS EXEMPLAIRE


DE THÉRAPIE BRÈVE STRATÉGIQ UE

Alessandro se présente à ma consultation. C’ est un jeune ingénieur


d’ Italie du Nord qui n’ exerce cependant pas le métier pour lequel il est
qualifié, travaillant dans la pharmacie familiale avec sa mère et son frère, et
qui souffre de ce que la psychiatrie définit comme une psychose
paranoïaque.

Bien qu’ ayant grandi dans une famille où il n’ a pas manqué d’ affection
et n’ ayant subi ni mauvais traitements ni abus, Alessandro souffre de
l’ impression constante d’ être rejeté par les autres ou même qu’ ils lui en
veulent. Cette impression, confortée par des sensations de panique pure, l’ a
peu à peu rendu incapable de frayer en société, ce qui lui a valu d’ être
considéré comme un phobique social. De plus, comme cela arriverait à
quiconque se mettrait dans sa peau, il a constamment le sentiment d’ être
contrecarré, exclu, voire même agressé, si bien qu’ il évite tout contact avec
les autres afin d’ atténuer cette sensation qui le terrorise. Cependant, comme
c’ est le cas dans les formes les plus sévères de ce trouble, cette tentative de
solution a conduit à une augmentation exponentielle de la phobie sociale.
En outre, le jeune homme éprouve le besoin constant d’ être en présence de
figures protectrices, comme sa mère et sa sœur. Son père, le seul qui refuse
d’ accéder à ses demandes, est constamment accusé par son épouse de ne pas
aider un fils si fragile.

Dans ce contexte familial devenu, avec les meilleures intentions du


monde, complice de la persistance du problème, s’ ajoute encore l’ épouse
d’ Alessandro, plus inquiète et protectrice que les autres. Cette dernière
souffre d’ attaques de panique et, si elle se trouve dans une situation où

75
Alessandro manifeste son problème, elle y ajoute le sien : il entre dans une
panique paranoïaque et elle dans une panique due à une crise d’ angoisse.

Le trouble d’ Alessandro s’ était développé progressivement à partir de


l’ université avant que sa symptomatologie exacerbée ne se fît jour à la fin de
ses études, au moment où le jeune homme aurait dû assumer des
responsabilités familiales et professionnelles. De fait, comme beaucoup de
spécialistes l’ ont observé, c’ est précisément à ce moment que surgissent les
troubles de ce type.

Alessandro avait aussi une longue histoire médicale, avec sept années
de traitement psychiatrique à base d’ antidépresseurs et de neuroleptiques,
auxquels s’ ajoutait la possibilité de prendre des anxiolytiques durant les
crises. Il s’ agit d’ ailleurs de la thérapie pharmacologique habituelle dans ce
type de pathologie, une thérapie qui ne produit que rarement de véritables
résultats, hormis le fait de contenir la pathologie par l’ inhibition des
impulsions résultant d’ une prise massive de sédatifs. Malheureusement,
cette répression chimique agit non seulement contre les symptômes, mais
aussi au détriment des ressources personnelles : le sujet peut avoir
effectivement moins de crises, mais il reste hébété, incapable de mener une
vie autonome et indépendante.

La complexité du cas et la gravité de la situation apparaissent à


l’ évidence. Comme d’ habitude, après avoir défini le problème en détail et
s’ être accordé sur les objectifs en en donnant une image concrète, nous
avons analysé les tentatives de solution dysfonctionnelles. Il apparut à
l’ évidence que ce qui avait été mis en œuvre était loin d’ avoir donné les
résultats escomptés. En reprenant le point de vue de la logique stratégique,
le modèle récursif qui maintient le problème d’ Alessandro correspond à la
stratégie d’ évitement et à la demande d’ aide et de réconfort, en présence
d’ un système familial ultraprotecteur et anxiogène qui sert de bouclier à son
problème et d’ un traitement pharmacologique qui inhibe tant ses
symptômes que ses ressources personnelles.

Dans tous les cas de ce type, à la fin de la première séance, une


orientation est suggérée, présentée comme une façon de mieux comprendre

76
pourquoi les autres le rejettent ou lui en veulent :
— D’ ici à notre prochaine séance, chaque fois que tu sortiras faire des
courses – une chose que je ne te demande évidemment pas de faire seul –, tu
devras observer attentivement toutes les personnes que tu rencontreras et
chercher les marques de leur rejet. P rends des notes car nous en discuterons
la prochaine fois.

Dans le cas présent, et du fait de la gravité de la situation, j’ avais préféré


expliciter le concept :
— Tu comprends, il est essentiel pour notre travail de comprendre de
quelle façon les autres manifestent leur rejet. Nous pourrons ainsi ajuster le
tir pour ta défense. Je te demande donc de prêter une attention particulière
aux détails qui montrent que tous t’ en veulent.

Étudiée spécifiquement pour les sujets souffrant de paranoïa, cette


prescription a pour but d’ introduire un changement, apparemment minimal,
mais produisant un effet boule de neige, sur les modalités récursives
dysfonctionnelles mises en œuvre par le sujet pour combattre le problème.
Alessandro revint deux semaines plus tard, m’ expliquant s’ être employé
à étudier soigneusement la façon dont les autres le rejetaient. Il l’ avait fait
avec les clients de la pharmacie, lorsqu’ il marchait dans les rues en
compagnie de son épouse ou dans les magasins. Il avait été fort surpris de ne
découvrir aucun signal concret de refus ou d’ hostilité à son égard, si bien
qu’ il n’ avait pris aucune note. Au contraire, quelqu’ un avait même répondu
à son regard « inquisiteur » par un sourire, et cela lui était apparu
totalement incroyable.

Que s’ était-il passé ? « Tout simplement » , sa façon de communiquer


avec les autres avait changé, aboutissant à la modification des effets
produits. En effet, les patients souffrant de psychose paranoïaque tendent à
avoir une attitude fermée envers les autres, évitant tout contact visuel. Cette
attitude marque le refus de l’ autre, qui réagira en se fermant à son tour pour
se protéger. Si, au contraire, je « contrains » la personne – grâce à une
prescription déguisée – à regarder les autres ou à observer leur
comportement, je fais en sorte que, à son insu, celle-ci manifeste une attitude
d’ ouverture envers les autres, qui répondent sur le même ton. De cette façon,

77
la trame du refus se transforme en un scénario fait de contact et
d’ acceptation.

Après une telle expérience sans équivoque, réitérée à plusieurs reprises


au cours des jours suivants, il fut relativement facile d’ amener Alessandro à
réaliser ce que je viens d’ expliquer et qu’ il était l’ artisan de son cruel
destin, ce qui signifiait donc qu’ il pouvait, de la même façon, être l’ artisan
de son changement.

P arvenus à cette étape et en utilisant la technique de l’ alpiniste, nous


avons construit une série progressive d’ expériences de contacts sociaux
auxquels Alessandro s’ est appliqué, séance après séance, en utilisant le
stratagème qui consistait à établir un contact visuel avec les autres et à être
le premier à les saluer et à leur sourire. Grâce à cette stratégie, le jeune
homme a pu surmonter sa paranoïa et sa phobie sociale en quatre mois.

P arallèlement à ce travail, la thérapie pharmacologique a été


progressivement réduite par le neurologue travaillant dans notre centre,
tout comme a été peu à peu éliminé le soutien familial. Autrement dit, toutes
les tentatives de solution qui maintenaient le problème ont été supprimées,
transformant la peur dysfonctionnelle en peur fonctionnelle.

La réduction pharmacologique s’ est faite sur une année afin d’ éviter les
effets rebond ou effets collatéraux dus à l’ arrêt de la prise des médicaments.
Durant cette période, Alessandro me rapportait chaque mois tous les
progrès réalisés dans sa vie, dont le retour à sa vocation d’ ingénieur, avec
un emploi dans le secteur de la certification de sécurité dans les entreprises
– une autre façon de sortir, tant d’ un point de vue familial que
professionnel, du réseau protecteur qui l’ avait pris au piège. Dans le même
temps, ayant constaté les résultats obtenus par son mari, son épouse a suivi
une thérapie pour résoudre ses attaques de panique.
Depuis quelques années maintenant, Alessandro et sa femme sont
autonomes et indépendants ; ils voyagent dans le monde entier, explorant
ensemble tout ce qu’ ils avaient jusqu’ alors évité et craint.

78
Comme le démontre ce cas exemplaire, le fait qu’ un trouble soit sévère,
pénible et persiste depuis des années ne signifie pas que son traitement
doive être douloureux et prolongé dans le temps.

Q uand la Stratégie de résolution de problème devient


formation et conseil en management

Du fait de la distance prise vis-à-vis des traditions orthodoxes et des


intérêts économiques des laboratoires pharmaceutiques, l’ approche
purement stratégique a été confrontée à des résistances initiales de la part du
monde médical – des résistances surmontées en démontrant son efficacité et
son efficience. En revanche, cette approche a reçu d’ emblée un accueil
favorable des entreprises. Ce milieu est assurément plus libre vis-à-vis des
orthodoxies théoriques, mesurant la validité d’ un modèle sur la base de ses
capacités à produire des résultats effectifs. P our cette raison, il apparaît à
l’ évidence que les modèles psychothérapeutiques traditionnels sont
confrontés à d’ énormes difficultés d’ application dans ce domaine, alors
qu’ une approche orientée sur un résultat obtenu rapidement correspond
d’ emblée à la réalité managériale. Ce n’ est pas un hasard si, dès le début de
ma carrière, les demandes d’ intervention stratégique dans ce secteur ont été
aussi nombreuses qu’ importantes. L’ ensemble de mes collaborateurs a pris
part de manière croissante à ces interventions, se spécialisant toujours
d’ avantage dans l’ application de la Stratégie de résolution de problème à
des contextes non médicaux.

P lusieurs exemples de telles interventions dans des réalités complexes


vont être maintenant présentés, où la complexité n’ est pas due à une
distorsion pathologique de la perception de la réalité, comme dans la
thérapie, mais à des dysfonctionnements dans la gestion d’ établissements
structurés au personnel nombreux.

Avant de passer à la description des cas sélectionnés pour cet ouvrage,


il me semble utile de dire que notre modèle de Stratégie de résolution de
problème a été appliqué avec succès à des établissements très différents entre

79
eux, tant dans leurs ambitions que leur organisation : des sociétés
lucratives comme Coca-Cola, Barilla, British American Tobacco, Tamoil, des
sociétés à but non lucratif, telles les forces armées, la police pénitentiaire ou
l’ Association des coopératives (en Italie), des organismes de formation, à
l’ instar du Ministère italien de l’ instruction public, mais aussi
d’ importants cabinets de conseils, à l’ image du Kaizen Institute.

Cette liste a pour but de donner une idée de la flexibilité et


l’ adaptabilité de l’ approche, tout en rappelant que, lorsqu’ on travaille
pour améliorer le facteur « humain » , on peut trouver des applications dans
tous les contextes et situations, puisque même les organisations les plus
grandes et les plus complexes sont créées et gérées par des hommes et des
femmes.

La gestion du leadership par les managers et dirigeants constitue l’ une


des difficultés les plus fréquemment rencontrées dans les entreprises. Trop
souvent, on sous-évalue le fait que le rôle du « chef » ne transforme pas de
facto une personne en un leader. Les problématiques dérivant d’ un
leadership inefficace peuvent être multiples, la plus évidente consistant
dans le mauvais fonctionnement de l’ entreprise.
P armi les nombreuses formes possibles d’ incapacités à diriger, j’ ai
choisi de présenter ici celle qui s’ est le plus fréquemment présentée au cours
des dernières années : l’ incapacité à déléguer et à contrôler.
En utilisant la « technique du scénario idéal » et en imaginant le leader
rêvé, il apparaît à l’ évidence que, si les compétences techniques sont
importantes, il s’ agit avant tout de la capacité de faire travailler de manière
autonome ses subordonnés, afin de révéler les capacités personnelles de
chacun. Il faut, dans le même temps, contrôler les performances, corriger les
erreurs et encourager les succès. À cette capacité de gestionnaire doit
s’ ajouter un charisme personnel tel, que le leader sera admiré et suivi par ses
collaborateurs. Jules César était un grand chef de guerre, plus suivi par la
crainte qu’ il inspirait que par l’ admiration qu’ il suscitait ; Alexandre le

80
Grand était un meneur d’ hommes, aimé et admiré et, pour cette raison, suivi
partout et en toutes circonstances par ses soldats.

Voici le cas d’ une entreprise fournissant sur le marché un produit très


avancé dans le domaine de l’ ameublement, une forme spécifique de matelas et
de lit garantissant un meilleur sommeil, même aux insomniaques. La firme
n’ était pas en crise, elle présentait même un bon chiffre d’ affaires, mais elle
nourrissait l’ ambition d’ être mieux cotée en bourse. Avec cet objectif en
tête, les deux responsables de la firme élaborèrent un parcours de formation-
transformation que devraient suivre les dirigeants régionaux afin
d’ améliorer leurs performances managériales.
La première journée de séminaire fut consacrée à faire travailler les dix-
neuf directeurs régionaux sur la technique avancée du « scénario idéal »
basé, dans le cas présent, sur l’ avenir de leur groupe de travail. Chacun de
ces managers avait une dizaine de subordonnés, experts en marketing et en
vente directe. En faisant exposer à chacun son image idéale, il apparut
d’ emblée que la très grande majorité des directeurs aspiraient à avoir un
groupe de subordonnés capables de suivre à la lettre leurs indications et,
dans le même temps, aptes à les mettre en pratique sans avoir constamment
besoin d’ aide. Grâce au recours à cet expédient, on a pu définir le problème
qui empêchait l’ entreprise de progresser : la présence, dans la majorité des
régions, d’ un modèle dysfonctionnel d’ interaction entre le directeur et ses
collaborateurs.

La difficulté résidait dans le fait que les directeurs se plaignaient de


devoir intervenir sans arrêt sur des problèmes que leurs collaborateurs ne
savaient pas gérer de manière autonome. Cela les contraignait à passer une
partie importante de leur temps à résoudre ces problèmes, au lieu de
travailler sur le développement de nouveaux réseaux de vente. Autrement
dit, les directeurs passaient la plus grande partie de leur temps à se
substituer à leurs subordonnés pour s’ attaquer aux difficultés auxquelles
ces derniers n’ arrivaient pas à faire face. P ar conséquent, ils se retrouvaient
non seulement surchargés d’ un travail qui n’ était pas directement de leur
compétence, mais ils s’ exposaient aussi à déresponsabiliser leurs
collaborateurs, lesquels risquaient de se sentir dévalorisés par de telles
interventions. Si un dirigeant se substitue à ses adjoints en intervenant

81
directement pour résoudre les problèmes, au lieu d’ assister à leur
épanouissement professionnel et leur montrer comment dépasser leurs
limites, il construit une structure faite de collaborateurs incapables et
frustrés. Ces collaborateurs sont à jamais dépendants de lui, le plaçant dans
l’ obligation d’ intervenir personnellement et de concentrer sur sa personne
toutes les responsabilités. Les tentatives de solution mises en œuvre
jusqu’ alors par le groupe de dirigeants vinrent confirmer cette hypothèse
initiale ; elles consistaient pour l’ essentiel en interventions directes chez
les clients afin de résoudre des situations problématiques avec les
collaborateurs, accompagnées du recours à des attitudes paternalistes à
l’ égard du collaborateur en difficulté. Cela revenait à dire : « Je te fais des
reproches parce que tu es un incapable, puis je fais les choses à ta place. »
Cette ambivalence stratégique enchaînait le collaborateur à son
incompétence et contraignait son chef à se substituer constamment à lui.
Nous proposons alors de travailler selon la technique du « comment
aggraver la situation » , faisant clairement émerger le dysfonctionnement de
leur modèle de rapport avec leurs subordonnés et le fait que, s’ il était
poursuivi, non seulement l’ entreprise ne parviendrait pas à obtenir de
meilleurs résultats, mais elle connaîtrait un déclin progressif. Nous
suscitons ainsi la peur de l’ échec avec une vision claire de la façon d’ y
parvenir : dans une telle situation, un changement de stratégie devient non
plus souhaitable, mais indispensable.

Sur la base de la comparaison entre les techniques du « scénario idéal »


et de « comment aggraver la situation » , nous appliquons alors la
« technique de l’ alpiniste » , élaborant à rebours toutes les étapes
nécessaires pour aller de la réalité présente à l’ objectif désiré. Le processus
de changement se base essentiellement sur la prescription suivante :
déléguer les tâches, en contrôler l’ exécution et intervenir sur le
collaborateur si celui-ci n’ a pas exécuté comme il fallait sa tâche, mais pour
lui apprendre comment faire, sans se substituer à lui. Tout cela doit se faire
progressivement en partant d’ objectifs minimalistes qui vont prendre
progressivement de l’ ampleur.
Ce travail s’ est poursuivi pendant près de six mois, marqué par une
rencontre mensuelle du groupe avec notre équipe afin de superviser la
transformation des directeurs en leaders capables de déléguer et de

82
contrôler. L’ année qui suivit notre intervention, la firme obtint le meilleur
chiffre d’ affaires de toute son histoire.

À la fin des années 1980, lors d’ une première grave crise industrielle, le
secteur textile de P rato fut confronté à une situation difficile tant sur le plan
économique qu’ en matière d’ emploi. Un important cabinet de conseil avait
été chargé par l’ administration publique provinciale et régionale de trouver
une solution au problème, en modifiant l’ organisation du travail. Le cabinet
de conseil s’ était donc mis au travail et, après avoir soigneusement évalué
la situation du secteur textile de P rato, il avait mis au point une solution
novatrice susceptible de sauver les entreprises de la crise. Il s’ agissait de
transformer les différents ateliers, habituellement en compétition les uns
avec les autres, en îlots de production. Du fait de la concurrence, ces ateliers
s’ efforçaient d’ abaisser leurs coûts afin de maintenir leur présence sur le
marché, aggravant la compétition entre les ateliers, marquée par la réduction
des recettes. Le cabinet de conseil proposait de réunir les ateliers dans des
hangars qui accueilleraient les activités d’ un plus grand nombre de
personnes, construisant ainsi une chaîne de production dans laquelle
chacun aurait sa part de responsabilité. Ce regroupement permettrait
d’ abaisser les coûts de production, tout en augmentant la qualité. Ces
travailleurs avaient tout à gagner à une restructuration entrepreneuriale
ainsi conçue.
En outre, cela serait réalisé grâce à des fonds régionaux et européens et
ne coûterait donc pas un centime aux ateliers, tout en baissant les coûts de
production de chacun et en augmentant les recettes. Cette transformation
garantirait un plus grand nombre de commandes, tout en maintenant, voire
en augmentant, le niveau de production.

Le projet parut excellent et les administrations chargèrent le cabinet de


le mettre en œuvre. On procéda ainsi à la constitution du premier îlot de
production pilote, avant d’ en créer d’ autres, une fois la pertinence du
projet vérifiée. Tout se passait bien jusqu’ au moment où les responsables de
la société durent sélectionner le premier groupe d’ artisans. Un problème se

83
posa alors : aussi avantageux le projet apparaissait-il, les individus qui,
depuis des années avaient été rivaux et souvent en conflits, renâclaient à se
rassembler sous le même drapeau. Autrement dit, le facteur humain et
relationnel s’ opposait aux calculs économiques et productifs, aussi exacts
fussent-ils.

Composé d’ ingénieurs, d’ avocats et d’ économistes, le cabinet de


conseil se trouvait désarmé car incapable de résoudre un problème aussi
absurde. Deux membres de ce cabinet participèrent à un séminaire proposé
par P aul Watzlawick et votre serviteur sur le thème du changement. À la fin
du séminaire, ils vinrent nous voir pour nous demander de les aider à
affronter cette situation. En effet, en observant la situation avec les yeux
d’ un économiste ou d’ un ingénieur, celle-ci apparaissait parfaitement
absurde. De fait, voilà des personnes proches de la ruine qui refusaient de
travailler ensemble au sein d’ une structure qui les aurait sauvées et
protégées. Quand nous avons demandé aux consultants si le problème se
situait uniquement dans le groupe pilote, ils nous répondirent qu’ il s’ était
présenté dans tous les groupes. Le problème ne touchait donc pas une
minorité, mais était issu d’ une situation de rivalité et de conflit, qui s’ était
répétée au fil du temps dans ce secteur. Un tel refus risquait de faire échouer
un projet qui devait éviter la disparition du secteur textile dans la région,
avec toutes les conséquences aisément imaginables.
Nous avons défini ensemble un objectif : réussir à transformer cette
situation de méfiance réciproque entre les responsables de chacun des
ateliers textiles en une collaboration pleine et entière de tous.

Les trois premières phases de la Stratégie de résolution de problème ont


été réalisées avec les consultants, et non les intéressés, puisque c’ étaient
les premiers qui avaient fourni et appliqué des tentatives de solution
dysfonctionnelles. Cela nous conduisit à nous mettre d’ accord sur le fait
que, dans ce cas, l’ intervention directe d’ une personne extérieure au projet
s’ imposait, afin qu’ elle puisse travailler, non sur ce qui touchait aux
emplois et à l’ économie, mais sur les dynamiques relationnelles. À l’ image
du bateau qui refit surface grâce aux balles de ping-pong, il s’ agissait de
réaliser une intervention capable de faire changer la disposition des
personnes les unes envers les autres.

84
Un premier rendez-vous fut donc fixé avec les personnes qui devaient
constituer le premier îlot de production, en leur disant que des experts
allaient tenter de faire en sorte que leur appréciation réciproque se modifie,
leur permettant de travailler ensemble. Une telle déclaration peut apparaître
purement formelle, mais elle est en réalité très riche de sens car nous avons
voulu créer d’ emblée une attente capable de générer le fameux effet
Hawthorne : le fait que les personnes sachent qu’ on a recouru à un expert
pour améliorer leur réalité produit, en soi, une prédisposition au
changement. Cela ressemble beaucoup à l’ effet placebo ou, mieux encore, au
fait qu’ il nous suffit de savoir qu’ un médecin fameux va nous soigner pour
nous sentir mieux, par l’ effet de l’ attente ainsi créée.

La rencontre se déroula dans une salle municipale afin d’ éviter toute


connotation médicale. Elle fut axée sur la proposition faite aux participants
d’ appliquer deux techniques avancées de la Stratégie de résolution de
problème : le « scénario idéal » et « comment aggraver la situation » .

On aura sans doute pressenti que, dans le cas présent, les sujets n’ étant
ni des intellectuels ni des scientifiques, il fut difficile de les entraîner à faire
un travail purement mental. Nous avons passé une journée entière à
rassembler les réponses données aux différentes déclinaisons de demandes
spécifiques aux deux techniques de Stratégie de résolution de problème,
tout en gérant les dynamiques conflictuelles entre les différents membres du
groupe. À la fin de la journée, nous avons finalement réussi à créer en eux
une attente positive à l’ égard du projet et d’ une éventuelle collaboration.
Ce résultat fut obtenu après avoir instillé en chacun d’ eux, à travers la
technique visant à déterminer « comment aggraver les choses » , un
sentiment bien réel de peur devant l’ évolution possible de leur emploi au
cas où le projet échouerait et que cet échec serait dû à leur incapacité à
collaborer et à se faire confiance.

Afin de gérer ce sentiment et de ne pas leur transmettre une conception


moralisante de la bonté humaine, nous avons terminé la journée en
proposant de résoudre un dilemme logique bien connu qui semblait
parfaitement adapté à la situation : le dilemme des deux prisonniers. Cet

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authentique paradoxe sémantique a été un casse-tête pour des générations
de logiciens et de mathématiciens car on ne peut en donner une explication
purement rationnelle et doivent être pris en compte des aspects émotionnels
et relationnels impossibles à évaluer avec certitude.

Voici de quoi il s’ agit. Un juge doit condamner deux escrocs et, afin de
décider de leur peine, ils les fait enfermer dans deux cellules éloignées l’ une
de l’ autre. P uis, il leur présente à chacun le dilemme suivant : « Si tu te
déclares innocent et que ton acolyte se déclare coupable, tu seras
immédiatement libéré et lui sera condamné à cinq ans de prison. Si tu te
déclares coupable et lui innocent, vous échangerez les rôles, il sera donc
libre et tu seras emprisonné pendant cinq ans. Si vous vous déclarez tous
les deux innocents, étant donné qu’ il existe des preuves de votre
culpabilité, vous purgerez chacun trois ans de prison. Si vous vous déclarez
tous deux coupables, vous ne passerez que trois mois en prison. »
La difficulté réside dans le fait que chacun doit se fier à l’ autre et être sûr
que c’ est réciproque. En effet, s’ ils se font confiance et se déclarent tous
deux coupables, la peine à purger sera minimale pour chacun, mais il suffira
que l’ un « trahisse » la confiance pour que l’ autre soit condamné à la peine
maximale…

Comme il arrive souvent lorsque, dans des situations comme celles-ci,


on recourt à des techniques qui décontextualisent apparemment le problème
– avant de le recontextualiser dans une perspective différente –, des effets
étranges sont observés. Dans notre cas, nous avons assisté à une nette
modification de la communication non verbale entre les participants, qui
passèrent d’ une tendance à éviter tout contact visuel et signes de
connivence à un jeu de regards, de clins d’ œil et de sourires réciproques,
changements d’ emblée observables par un observateur extérieur.

Grâce à ce dilemme surprenant, lumineux, parfaitement adapté à la


situation, l’ effet quasiment magique observé à la fin de la journée par les
membres du cabinet de conseil eut une issue positive dans les semaines qui
suivirent. Le projet d’ îlot de production fut lancé et, pour les consultants,
il fut désormais possible de construire la filière de production en

86
sélectionnant pour chacune des phases de production les personnes les
plus qualifiées.
Le projet connut un tel succès qu’ il a été repris dans d’ autres secteurs
de production italiens témoignant de problèmes similaires.

P our finir, nous soulignerons que, contrairement à ce que l’ on pense


généralement, ce ne sont pas les entreprises qui font les hommes, mais les
hommes qui font les entreprises. L’ homme n’ est pas le résultat des
circonstances : c’ est lui qui les crée.

Quand une entreprise aborde le difficile moment où elle doit licencier


des employés, les considérations sont généralement étroitement liées aux
avantages qu’ elle pourra en tirer, au détriment desdits employés. Une telle
considération apparaît comme une réalité implacable ; pourtant, nous allons
montrer dans l’ exemple qui suit qu’ il est possible d’ agir autrement.

Le cas que je souhaite présenter ici n’ a pas été traité par moi ou par mes
collaborateurs spécialisés dans la formation et le conseil entrepreneurial,
mais par l’ un de nos élèves de l’ École de communication qui a obtenu le
titre de formateur après avoir suivi une formation proposée annuellement
dans notre centre. Il s’ agit d’ un dirigeant d’ une grande entreprise
fabriquant des hottes pour les cuisinières et les cheminées qui s’ est trouvé
confronté au terrible impératif de devoir licencier des centaines de
personnes du fait de l’ effondrement du marché engendré par la grave crise
survenue l’ année précédente.

Face à une si difficile décision, le dirigeant choisit de se placer dans une


perspective différente de celle généralement adoptée lorsqu’ il faut tailler
dans les effectifs. En effet, on choisit plutôt de se séparer des personnes qui
jouent un rôle mineur dans l’ entreprise ou qui coûtent trop cher ou, à
l’ inverse, certains postes sont garantis aux personnes ayant le plus
d’ ancienneté. La perspective non ordinaire choisie par notre dirigeant pour
affronter ce problème a consisté à se demander qui souffrirait le moins d’ être

87
licencié. Il en est ainsi arrivé à la conclusion qu’ il devrait licencier les
personnes qui auraient le plus de probabilités de se réinsérer rapidement
dans le monde du travail. Son attention se déplaça donc de ceux qui étaient
les plus utiles à l’ entreprise à ceux qui pourraient retrouver le plus
rapidement un emploi à des postes semblables.

Dans ce but, il chargea une société de reclassement de gérer les profils


professionnels de ses employés et leurs possibilités de retrouver un emploi,
puis il expliqua ouvertement à ses employés son intention de licencier
d’ abord ceux qui avaient toutes les chances de retrouver tout de suite un
emploi sur le territoire national. De cette façon, il placerait au bas de sa liste
ceux qui rencontreraient le plus de difficultés à retrouver du travail, en
espérant une reprise du marché qui lui éviterait d’ en arriver là.

Cette démarche m’ apparaît particulièrement intéressante car j’ ai eu, pour


la première fois de ma vie, l’ impression d’ assister à un licenciement éthique.
Je m’ explique : face à une crise réelle du marché et à la nécessité de licencier
une partie de ses employés afin de pouvoir garantir les emplois des autres,
on s’ est efforcé d’ établir qui devait quitter l’ entreprise sur la base des
possibilités de chacun à retrouver un emploi, en lui faisant une offre
concrète. P our chacun de ses employés, le directeur a pris la responsabilité,
avec la société de reclassement, de proposer la meilleure offre d’ emploi
possible, en préparant pour chacun un profil d’ évaluation qui faciliterait
son insertion dans la nouvelle entreprise.

L’ ensemble de ces démarches montre bien comment une approche


stratégique de la Stratégie de résolution de problème peut être utilisée non
seulement pour obtenir des succès, mais aussi lorsque des décisions
cruciales doivent être prises, comme celle de licencier une partie du
personnel afin de permettre à une entreprise de survivre.

L’ intervention dans le monde des institutions qui me tient le plus


particulièrement à cœur, tant par les résultats obtenus que du fait des liens

88
affectifs établis avec les participants au projet, est celle réalisée avec
l’ Armée italienne. Cette intervention s’ est poursuivie pendant plusieurs
années dans une succession de phases de formation et de sélection,
permettant d’ obtenir des cadres dirigeants qui excellaient dans ces deux
domaines, une nécessité pour une armée passée de la conscription
obligatoire à l’ enrôlement volontaire correspondant à un choix
professionnel. C’ est dans ce but qu’ un premier groupe de militaires a été
formé à la communication et à la Stratégie de résolution de problème. Les
membres de ce groupe ont été supervisés au fil des ans dans leur travail
d’ instruction des dirigeants militaires et des nouveaux formateurs, jusqu’ à
ce que des centres permanents soient constitués dans ce but exclusif.

Dans le cas de ce processus de transformation de la direction d’ une


institution aussi particulière que l’ armée, nous avons rencontré et résolu de
nombreux problèmes. L’ insertion des femmes dans les nouvelles forces
armées professionnelles constitua une difficulté qui nécessita une manœuvre
stratégique spécifique. Le problème se posait notamment dans les corps
d’ élite, où était profondément enraciné le classique préjugé masculin sur la
faiblesse féminine sur lequel on s’ appuyait pour affirmer qu’ il était
impossible aux femmes de devenir des combattantes fiables et expertes.
L’ objectif consistait donc à persuader les militaires masculins de la qualité
et de la fiabilité des femmes durant les opérations militaires.

Jusqu’ alors, toutes les tentatives de solution avaient été basées sur une
attitude protectrice à l’ égard du « sexe faible » . Il s’ agissait simplement de
distinguer les devoirs et les rôles de chaque sexe, en évitant de placer les
femmes dans des situations considérées a priori comme adaptées à la seule
gente masculine. Et cela même si les expériences faites dans les forces armées
d’ autres nations avaient démontré, non seulement que les femmes étaient
aptes à accomplir toutes les activités militaires, mais qu’ elles obtenaient
dans certains cas de meilleurs résultats que leurs collègues masculins. Dans
une forme de « galanterie » envers les femmes en uniforme, des privilèges
avaient été accordés, tels que l’ eau chaude et l’ exemption des tâches les
plus dures et risquées. Mais les militaires percevaient ces exemptions comme
la preuve même du fait que, en mission, les femmes auraient été des
équipières peu fiables. Cette perception avait comme conséquence directe de

89
voir les militaires de sexe masculin refuser l’ idée d’ avoir à leurs côtés une
femme sur les théâtres d’ opération.

En appliquant la technique du « scénario idéal » , notre groupe de


formateurs, experts dans la Stratégie de résolution de problème, suggéra que,
pour persuader les « Machos » d’ accepter les femmes comme coéquipières, il
faudrait assimiler celles-ci aux « Amazones » , ces combattantes meilleures
que les hommes, auxquelles pouvaient être confiées les missions les plus
périlleuses en temps de guerre. De cette métaphore naquit l’ idée de
communiquer aux militaires de sexe masculin cette donnée, exacte qui plus
est, de manière très suggestive. On partit du fait suivant : au terme
d’ épreuves de préparation militaire des autres forces armées, les femmes
n’ étaient pas apparues plus faibles mais, au contraire, meilleures. Ce sont
donc les femmes qui auraient dû se préoccuper d’ avoir des collègues
masculins fiables, et non l’ inverse. Autrement dit, la stratégie consista à
susciter chez les militaires de sexe masculin la crainte de ne pas être à la
hauteur et de devoir mériter de travailler avec leurs collègues de sexe
féminin. La situation précédente avait donc été totalement renversée. D’ un
point de vue technique, il s’ agissait de « restructurer » la perception de la
réalité des militaires de sexe masculin afin de modifier leur attitude et leur
comportement.

P our vérifier l’ efficacité de cette solution, nous avons procédé à son


application expérimentale dans un bataillon qui comptait les premières
femmes militaires de carrière. Le groupe des militaires formateurs organisa
une rencontre, qui était aussi une leçon, avec les officiers et les sous-
officiers, sur le thème de la comparaison des « performances militaires »
entre hommes et femmes. Durant cette présentation, à laquelle je participai
ainsi que mes collaborateurs afin de superviser le travail, il fut démontré de
manière suggestive aux « Machos » , et pas seulement à l’ aide de chiffres,
comment les « Amazones » étaient nettement plus performantes qu’ eux. On
sait bien que les femmes résistent mieux à la fatigue et à la douleur, elles sont
plus coopératives et assurément plus intuitives, possèdent plus de
capacités d’ apprentissage… et bien d’ autres choses encore.

90
Il fut drôle de voir se transformer les visages des indomptables
militaires, qui prirent l’ expression stupéfaite de ceux qui font une
découverte aussi inattendue que terrifiante. Désormais, le problème, ce
n’ étaient plus les femmes, mais bien eux !
L’ expérimentation eut un succès sans équivoque, éliminant les
résistances à l’ insertion des femmes dans une armée de métier.

Dans ce cas, comme dans de nombreuses autres formes d’ intervention


stratégique, en restructurant la perception d’ une réalité, nous nous sommes
appuyés sur un stratagème capable de transformer tant les limites en
ressources, que les supposés points forts en points faibles sur lesquels agir
pour introduire le changement. Nous avons « agité l’ herbe pour faire sortir
les serpents » .

La capacité à communiquer efficacement constitue une compétence


essentielle de l’ expert en Résolution de problème. Les limites de cet
ouvrage ne permettent pas de traiter de la Communication stratégique, qui
est le second élément constitutif fondamental de notre approche pour la
résolution des problèmes humains, nous renvoyons donc nos lecteurs aux
textes déjà publiés sur ce thème. En présentant des exemples d’ intervention,
il est impossible de ne pas mentionner cette partie fondamentale de notre
travail car la formation à la communication stratégique est très souvent le
moyen permettant de mettre en œuvre la Stratégie de résolution de problème.

Ce fut le cas de l’ un des principaux cabinets en conseil et gestion des


organisations productives, qui s’ est tourné vers nous pour établir une
comparaison entre nos deux modèles. Durant un tel échange stratégique
réciproque de Résolution de problème est apparu un élément qu’ ils
devaient pouvoir améliorer de manière significative, à savoir la capacité à
communiquer de manière plus efficace avec leurs clients, établissant une
relation plus solide, susceptible d’ augmenter la collaboration et de
contourner plus facilement les résistances au changement. On me permettra
de souligner le fait que la capacité à reconnaître ses limites et la volonté

91
inébranlable de ne cesser de s’ améliorer n’ appartiennent qu’ aux meilleurs,
et ce n’ est donc pas un hasard si cette firme connaît un tel succès.

Dans cette optique, nous avons analysé le problème en présence et il est


rapidement apparu qu’ il existait une nette antinomie entre le modèle
d’ intervention clairement stratégique et le mode de communication
indéniablement cognitif. Autrement dit, les membres de ce cabinet de conseil
présentaient à leurs clients les solutions stratégiques aux problèmes de
leurs firmes de façon directe et rationnelle, comme s’ il s’ agissait d’ un
simple passage d’ informations. Au contraire, si l’ on souhaite conduire
quelqu’ un à changer d’ idée et de comportement, il est important d’ utiliser
un style de communication persuasif. Cette réalité rendait leur travail bien
plus difficile et marqué par la frustration de constater que les solutions
proposées n’ étaient pas appliquées par leurs clients.
En se basant sur cette révélation, le personnel a été entraîné aux
techniques de communication de façon que ces excellents experts en
Résolution de problème puissent devenir aussi d’ efficaces communicants.

P armi les « inventions technologiques » mises en œuvre, la technique


du « dialogue stratégique » et celle destinée à « insuffler de la magie dans
les mots » constituent le fer de lance de notre travail. La première est une
technique raffinée permettant de transformer un simple entretien en un
véritable processus de changement stratégique. La seconde est basée sur le
recours au langage non verbal et paraverbal, destiné à rendre la
communication verbale plus suggestive et efficace.

Si je suis incapable de persuader quelqu’ un de suivre mes indications,


celles-ci, aussi efficaces qu’ elles puissent être, seront un échec dans la
mesure où elles resteront inexploitées. Je ne résiste pas à la tentation de citer
à nouveau Alexandre le Grand, dont l’ une des grandes forces résida dans sa
capacité à persuader ses soldats de le suivre dans ses entreprises et ses
ennemis de se rendre sans combattre. Le souverain macédonien comptait
dans sa suite Anaxarque, élève de P rotagoras, grand maître de rhétorique
qui l’ aidait à préparer ses fameux discours. P armi les stratégies rhétoriques
d’ Alexandre, il en est une qui me plaît particulièrement : elle concerne les
questions qui donnent l’ illusion de pouvoir choisir les réponses, utilisées

92
face aux souverains des cités ou des États qu’ il voulait conquérir. Avant de
lancer une attaque, Alexandre le Grand se présentait au souverain régnant,
en lui faisant la proposition suivante : « P réfères-tu que je détruise ton
royaume, que je tue tous tes sujets, que je rase tes villes, que j’ efface de
l’ histoire ta lignée ou que je te laisse régner en tant que satrape d’ une
province de l’ Empire universel d’ Alexandre, en conservant tous tes
privilèges et en sauvant ton peuple ? » Ce n’ est pas un hasard si, dans la
très grande majorité des cas, les souverains choisissaient de devenir satrape
de l’ Empire. De cette façon, grâce à une stratégie et à une communication
raffinées, le plus grand chef de guerre de l’ histoire vainquit sans combattre
la plupart de ses batailles.

1. Expression utilisée pour désigner une idée simple, mais ingénieuse.


2. Citation tirée de Prolégomènes à toute métaphysique future (1783). Kant y réfléchit
sur le développement des sciences naturelles en tant que cy cle de questions et de
réponses en continuelle évolution.
3. Vomissements répétés de petites quantités de nourriture.
4. Vient du mot grec signifiant « manière de vivre » .

93
Conclusion

P our conclure ce voyage de découverte, il me semble important de


proposer quelques pistes de réflexion qui feront sens alors que le lecteur a
pris connaissance et assimilé de nombreuses notions au fil de ces pages.

En premier lieu, la Stratégie de résolution de problème, étant une


méthode basée sur les résultats, ne subit ni l’ effet des idéologies
dominantes ni des religions, puisque son principe directeur est la preuve de
son efficacité. Celle-ci, qui pourrait sembler n’ être qu’ une divagation
purement épistémologique, est au contraire un argument à l’ actualité forte
dans l’ univers de la science et de ses applications. En effet, la science subit
– contrairement à ce qui pourrait sembler et à la situation telle qu’ elle
existait il y a quelques siècles – l’ influence des normes sociales et des
croyances, qu’ elles soient politiques, économiques ou religieuses. Tant et
si bien que souvent la recherche scientifique semble tout sauf scientifique,
la démonstration étant faite dès le départ d’ un projet grâce à une
méthodologie élaborée à cet effet, au lieu de partir à la découverte de
connaissances effectivement utilisables. Ainsi en est-il des recherches
publiées dans les « revues scientifiques » qui démontreraient le pouvoir
des prières dans la guérison du cancer et, comme par hasard, ces recherches
ont été faites dans une université profondément religieuse. Il en va de même
des recherches démontrant la supériorité intellectuelle des Japonais sur les
autres êtres humains du fait que leur langue, basée sur les idéogrammes,
nécessiterait non seulement l’ intervention de l’ hémisphère gauche, mais
aussi de l’ hémisphère droit, oubliant totalement que les Chinois devraient
être plus intelligents encore puisque leur système d’ idéogrammes est très

94
supérieur à celui des Japonais. Et que dire de la découverte quotidienne
d’ un gène du bonheur, du plaisir, de la peur ou de quelque malformation
physique associé à un médicament prometteur, voire miraculeux. Mais en
menant l’ enquête, on découvre bientôt que toutes ces recherches sont
financées par des laboratoires pharmaceutiques qui appliquent depuis des
années des techniques avancées de marketing, recourant à une recherche
scientifique corrompue comme rampe de lancement pour leurs médicaments.
La liste des exemples d’ une science corrompue par la foi, l’ idéologie ou le
marché est interminable, et ce ne sont là que quelques exemples. Mon
objectif n’ est pas de prononcer un sermon moralisateur, mais de tenter de
faire comprendre que, si la méthode adoptée pour intervenir sur un
phénomène est basée sur son efficacité effective et non sur des théories a
priori, on parvient à une rigueur absolue. De fait, les résultats réplicables et
prévisibles dans la réalité, et pas uniquement en laboratoire, ne sont pas
soumis aux aléas précédemment décrits.

Il y a bien des années, eut lieu à Florence un congrès consacré à la vérité


auquel participèrent des philosophes, des psychologues et des
scientifiques, dont Umberto Galimberti et votre serviteur. Bien que nos
positions fussent très différentes, nos présentations s’ accordaient sur un
concept fondamental. Galimberti, avec son extraordinaire talent oratoire,
présenta un excursus historique sur le concept de vérité. Celle-ci fut
d’ abord la vérité des éléments naturels et de la représentation de divinités
qui leur étaient liés. P uis, elle devint la vérité monothéiste, celle d’ un dieu
suprême unique, vision qui a dominé pendant des millénaires et qui, encore
e
à l’ heure actuelle, domine de nombreuses réalités. À la fin du XIX siècle, on
parvint à la « vérité scientifique » , la connaissance objective des faits. Mais
quelques décennies suffirent pour que celle-ci fût complètement démontée
par la science elle-même. Kurt Gödel, Werner Heisenberg et Albert Einstein
démontrèrent l’ impossibilité de séparer le sujet observant de l’ objet
observé, avec l’ effondrement de l’ illusion positiviste de la connaissance
objective. De nos jours encore, la majorité des chercheurs accomplissent
leur travail sur la base de cette illusion. Vers la fin du deuxième millénaire,
la vérité coïncida avec l’ efficacité. Autrement dit, au cours des dernières
décennies, l’ unique forme de vérité acceptable est la vérité technologique,

95
ce qui revient à affirmer qu’ est vrai tout ce qui œuvre à atteindre les
objectifs préétablis.

Si l’ on adopte cette perspective, la Stratégie de résolution de problème


ne représente plus seulement une méthode étonnamment fonctionnelle pour
résoudre des problèmes ou parvenir aux buts désirés, mais devient aussi un
critère fondamental pour la connaissance. L’ efficacité d’ une solution, si elle
est réplicable et prédictive, nous permet de connaître avec précision le
problème qu’ elle a résolu. On laisse donc de côté l’ idée rationaliste selon
laquelle il faut connaître pour changer et l’ on arrive inéluctablement à
l’ idée exactement inverse. Ce ne sont plus les explications des phénomènes
qui orientent vers les solutions, mais ce sont les solutions qui conduisent
1
aux explications. Ainsi que le soulignent Heinz von Foerster (1911-2002)
et son « impératif esthétique » : « Si tu veux voir, apprends à agir. »

1. Heinz von Foerster est l’un des fondateurs de la cy bernétique de deuxième ordre et
un contributeur important du constructivisme radical.

96
Bibliographie des œuvres et inventions
1
de Giorgio Nardone par Roberta M ilanese

Nous avons le plaisir de présenter dans les pages suivantes une


bibliographie des publications de Giorgio Nardone et de ses collaborateurs
qui ont marqué l’ essor et la diffusion du modèle stratégique, non seulement
dans le domaine thérapeutique, mais aussi dans ceux de l’ entreprise et de
l’ éducation. La majorité des œuvres présentées ici ont été traduites en
plusieurs langues (anglais, espagnol, français, allemand et parfois aussi en
russe et en japonais), jouissant donc d’ une diffusion internationale. De fait,
psychologues, psychothérapeutes, enseignants, dirigeants et
professionnels de disciplines variées venus du monde entier ont témoigné
de son succès et donc permis au modèle de se diffuser bien au-delà des
frontières italiennes et européennes.

Si certains textes s’ adressent à un domaine d’ intervention spécifique


(psychothérapie, formation-conseil, déblocage des performances), la majorité
des livres sont « transversaux » dans la mesure où ils rassemblent des
constructions théoriques et opérationnelles ainsi que des exemples qui
n’ ont pas un unique domaine d’ application. Le lecteur se voit donc offrir
plusieurs parcours de lecture selon ses intérêts spécifiques qui lui
permettront d’ approfondir ce fascinant modèle qui, avec ses techniques
« apparemment » simples, a permis d’ obtenir des résultats extraordinaires
dans une gamme très diversifiée de problèmes fort complexes.
Si tout cela peut de prime abord sembler magique, il ne s’ agit que de
technologie avancée mais, comme le soutenait Arthur C. Clarke, « toute
technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »

97
Nardone Giorgio, « Brief Strategic Therapy of P hobic Disorders:
A Model of Therapy and Evaluation Research » in Weakland J. H.,
Ray W. A. (éditeurs), Propagations: Thirty Years of Influence from
the Mental Research Institute, Routledge, 1995.
Le chapitre rédigé par Giorgio Nardone date de 1988 : il s’ agit du
premier travail de recherche systématique sur le traitement de l’ agoraphobie
dans une perspective brève stratégique jamais publié. Si le terme de
« protocole de traitement » est encore absent, ce travail présente les quatre
étapes de la procédure de Stratégie de résolution de problème et nous
trouvons déjà, sous forme embryonnaire, quelques-unes des inventions les
plus créatives et efficaces dans la résolution de ce type de trouble.

Nardone Giorgio, Watzlawick P aul, L’Art du changement, traduit


de l’ anglais par Ivan-Denis Cormier et François Rigal, L’ Esprit du Temps,
2003, Le Bouscat.
Rapidement devenu un classique, cet ouvrage présente l’ approche
stratégique comme un nouveau modèle théorique et opérationnel destiné à
la résolution rapide de problèmes touchant les individus, les couples et les
familles. Dans ce livre, sont aussi présentés, de manière articulée et
systématique, les deux premiers protocoles de traitement mis au point pour
traiter les troubles phobico-obsessionnels : l’ un pour l’ agoraphobie et
l’ autre pour le trouble obsessionnel compulsif. P our chacun de ces deux
protocoles sont spécifiés le processus thérapeutique, subdivisé en quatre
étapes, ainsi que les stratagèmes d’ intervention correspondants.

Nardone Giorgio, Suggestione → Ristrutturazione = Cambiamento.


L’approccio strategico e costruttivista alla piscoterapia breve, Giuffrè,
1991, Milan.
Cet ouvrage se présente comme un manuel, complet et détaillé, sur
l’ approche stratégique de la thérapie. Six cas thérapeutiques y sont
minutieusement décrits en présentant la succession de manœuvres mises en
œuvre dûment commentées. On découvre successivement un cas de trouble
obsessionnel compulsif, une phobie scolaire supposée, un cas
d’ agoraphobie, une thérapie de couple, un trouble anorexique grave et une
psychose supposée. Sont déjà présents dans ces cas, tant dans le domaine de

98
la phobie obsessionnelle que dans celui des troubles alimentaires, des
inventions thérapeutiques fondamentales introduites au sein de protocoles
de traitement qui seront formalisés par la suite.

Nardone Giorgio, Peur, panique, phobies, un modèle de stratégie


brève pour une résolution rapide des problèmes, traduit de l’ anglais
e
par François Rigal et Léa Morel, l’ Esprit du temps, 2010 (2 édition
française), Le Bouscat.
Cet ouvrage offre un compte-rendu précis d’ une expérience de recherche
empirique dans le domaine clinique. P our la première fois sont définis, de
manière détaillée, les systèmes perceptivo-réactifs caractéristiques des
différents troubles phobiques, à savoir les modalités de perception et de
réaction des réalités propres aux personnes souffrant de ce type de
problèmes. L’ auteur distingue cinq systèmes perceptivo-réactifs différents
qui nécessitent autant de variantes au sein du protocole de traitement : le
syndrome d’ agoraphobie, le syndrome d’ attaque de panique, le syndrome
alliant agoraphobie et attaques de panique, le syndrome obsessionnel
compulsif, le syndrome phobico-hypocondriaque. P our chaque trouble sont
présentées les différentes étapes du processus thérapeutique, accompagnées
des inventions thérapeutiques afférentes.

Nardone Giorgio, Manuale di sopravvivenza per psicopazienti, ovvero


come evitare le trappole della psichiatria e dela psicoterapia, P onte alle
Grazie, 1994, Florence.
Devenu un classique et présenté désormais dans une nouvelle édition
actualisée, ce livre est un instrument fort utile pour faire le choix d’ un
thérapeute. L’ auteur s’ est placé de l’ autre côté de la barrière, se mettant
dans la peau des patients et explorant dans cette perspective les possibilités
actuelles offertes par la psychiatrie et la psychothérapie. P ar l’ intermédiaire
d’ anecdotes tragicomiques, d’ histoires exemplaires et de travaux
scientifiques, Giorgio Nardone dessine, de manière scientifique mais non
sans ironie, une carte détaillée des « pièges » dans lesquels pourrait tomber
le patient qui s’ aventure dans le vaste territoire des thérapies de l’ esprit. Il
s’ agit là d’ un guide précieux et irremplaçable pour trouver le thérapeute
adapté pour un coût personnel, existentiel et économique minimal.

99
Nardone Giorgio, Fiorenza Andrea, L’intervento strategico nei contesti
educativi: communicazione e Problem Solving per i problemi scolastici,
Giuffrè, 1995, Milan.
Cet ouvrage peut être considéré comme un outil opérationnel efficace
pour les enseignants, les éducateurs et les travailleurs sociaux. Il s’ agit
d’ un véritable manuel détaillant l’ approche stratégique en milieu éducatif.
Les auteurs servent de guides au lecteur pour lui permettre de découvrir
« comment » résoudre effectivement et en peu de temps les problèmes les
plus fréquemment rencontrés à l’ école. Les pistes stratégiques indiquées
sont approfondies pour chacun des principaux problèmes qui se manifestent
dans le milieu éducatif : déficit d’ attention avec hyperactivité, trouble
oppositionnel avec provocation, trouble de l’ évitement, mutisme sélectif
ainsi que les conflits et litiges entre élèves. Les résultats de la « recherche-
intervention » et les nombreux exemples donnés mettent en évidence
l’ efficacité et l’ efficience de l’ approche, même lorsqu’ elle est appliquée de
manière « indirecte » .

Watzlawick P aul, Nardone Giorgio (sous la direction de), Stratégie


de la thérapie brève, traduit par Lou Aubert, éditions du Seuil, 2000, P aris.
Ce livre offre un panorama complet et exhaustif de la Thérapie brève
stratégique. Il rassemble des essais composés par les plus fameux
représentants de cette approche : Heinz von Foerster, Ernst von Glasersfeld,
Stefan Geyerhofer, P aul Watzlawick, Jeffrey Zeig, Cloé Madanes, Steve de
Shazer, John Weakland et Giorgio Nardone. Dans son essai, ce dernier
présente des exemples de stratégies et de stratagèmes originaux pour le
traitement de troubles spécifiques, tels que les attaques de panique, les
compulsions, le doute obsessionnel, la dépression, la boulimie et le blocage
de performances.

Nardone Giorgio, Psychosolutions – Comment résoudre rapidement


les problèmes humains complexes, traduit par Ivan-Denis Cormier, Enrick
B. Éditions, 2015, P aris.
Dans cet ouvrage destiné à un large public et devenu rapidement un
succès éditorial, Giorgio Nardone guide le lecteur au fil de cas cliniques
relevant des troubles psychopathologiques les plus variés : « psychoses

100
présumées » , troubles phobiques, troubles obsessionnels et compulsifs,
troubles alimentaires. P our la première fois, sont aussi présentées les
principales manœuvres d’ intervention utilisées en cas de manies, de
paranoïas, de dépressions et de thérapies de couple, dont certaines seront
développées dans des ouvrages ultérieurs. La dernière partie,
particulièrement originale, est consacrée au self-help (« développement
personnel » ) stratégique, défini comme la capacité que chacun de nous
possède de remplacer les « auto-illusions dysfonctionnelles » par des
« auto-illusions fonctionnelles » grâce à l’ utilisation de techniques et de
stratagèmes spécifiques.

Nardone Giorgio, Verbitz Tiziana, Milanese Roberta, Manger


beaucoup, à la folie, pas du tout, traduit par Véronique Gourdon, éditions
du Seuil, 2004, P aris.
Cet ouvrage livre les précieux résultats de la recherche appliquée aux
troubles alimentaires. Outre les deux pathologies alimentaires classiques –
anorexie nerveuse et boulimie nerveuse –, les auteurs ont identifié un
troisième type de trouble alimentaire, défini comme le « syndrome du
vomissement » ou « vomiting » . Ce dernier est considéré comme un
véritable « syndrome » , plus proche d’ une « perversion » basée sur la
nourriture, qui nécessite de ce fait un traitement spécifique. Le lecteur
trouvera un tableau complet et approfondi des protocoles de traitement mis
au point pour ce type de troubles, chacun exigeant des variantes
thérapeutiques spécifiques. On distingue donc les stratégies d’ intervention
pour l’ anorexie (sacrificielle et abstinente), pour la boulimie (Botero, yo-yo,
hyperphagiques) et pour le « syndrome du vomissement » (transgressions
inconscientes, transgressions conscientes mais regrettées, transgressions
conscientes et appréciées). Chacune de ces catégories exige un type de
traitement spécifique, individuel ou familial, précisément décrit par les
auteurs, tant d’ un point de vue théorique que par la transcription de cas
cliniques.

Nardone Giorgio, Au-delà des limites de la peur. Comprendre la peur


pathologique pour mieux la surmonter, traduit par Marie Kastner-Uomini,
Enrick B. Éditions, 2015, P aris.

101
Cet ouvrage a pour but d’ expliquer au grand public quelles sont les
formes de peur pathologique, comment elles se forment, se maintiennent et
peuvent être surmontées rapidement. Il présente une classification des
principales pathologies phobiques : les monophobies, les phobies
généralisées, les obsessions compulsives, les fixations hypocondriaques et
les phobies post-traumatiques. Dans un style agréable et facile sont
présentées de nombreuses inventions thérapeutiques originales et
fondamentales mises en œuvre au sein des protocoles de traitement des
troubles phobico-obsessionnels. Et c’ est pour cette raison que, bien que le
livre soit conçu pour un large public de non spécialistes, il constitue aussi
un outil utile pour les spécialistes qui souhaitent se familiariser avec les
évolutions les plus récentes dans le traitement de ce type de troubles.

Nardone Giorgio, Mariotti Roberta, Milanese Roberta, Fiorenza Andrea,


La terapia dell’azienda malata. Problem solving strategico
per organizzazioni, P onte alle Grazie, 2000, Milan.
Dans cet ouvrage, les auteurs invitent le lecteur à découvrir comment
prévenir et soigner les inévitables embûches placées sur le chemin du
succès de nombreuses entreprises et organisations. En présentant leur
approche systématique, ils se proposent de guider le lecteur à la découverte
d’ une méthode, perfectionnée et efficace, pour la résolution d’ objectifs
stratégiques précis. En donnant des exemples de cas empruntés à divers
modèles organisationnels (petites entreprises, grandes firmes, groupes
financiers, organisations à but non lucratif, coopératives, structures
militaires), ce livre constitue un support valide non seulement pour le
conseiller appelé à « débloquer » une situation dysfonctionnelle dans une
entreprise, mais aussi pour le manager désireux de franchir avec succès les
vagues successives de changem? ent au sein de son entreprise.

Nardone Giorgio, Giannotti Emanuela, Rocchi Rita, Modelli


di famiglia, P onte alle Grazie, 2001, Milan.
Dans cet ouvrage, Giorgio Nardone et ses collaboratrices résument les
résultats d’ années de recherche-intervention concernant les multiples
schémas d’ organisation familiale apparaissant dans le paysage italien
actuel. Ils distinguent six modèles de familles : hyperprotectrices,

102
démocratico-permissives, intermittentes, autoritaires, déléguantes,
sacrificielles. Chacun de ces modèles est illustré par l’ exposition de cas
cliniques emblématiques. Les stratégies de solution sont simples et claires,
les thérapies rapides et efficaces. Le résultat consiste en une photographie
claire et nette de la situation en train d’ émerger au sein de la famille et de ses
modèles de référence, mais surtout du parcours possible vers la résolution
de nœuds problématiques ainsi que de conflictualités dangereuses.

Loriedo Camillo, Nardone Giorgio, Watzlawick P aul, Zeig Jeffrey


K., Strategie e stratagemmi della psicoterapia, Franco Angeli, 2002,
Milan.
Dans cet ouvrage, les auteurs proposent tout à la fois des exposés
théoriques approfondis et des cas cliniques, conduisant ainsi le lecteur à
saisir pleinement en quoi consiste une intervention de psychothérapie
brève, grâce à une observation in vivo. La contribution de Giorgio Nardone
expose comment, à partir des premiers modèles stratégiques, a été
développée celui de la Thérapie brève évoluée, caractérisé par l’ élaboration
et l’ usage de protocoles de traitement spécifiques pour des pathologies
précises. La transcription minutieuse de six séances d’ un cas emblématique
de phobie assortie d’ attaques de panique met au jour les stratégies et les
stratagèmes au sein desquels les deux principes clés d’ une intervention
stratégique, la rigueur et la créativité, s’ unissent et s’ alimentent
réciproquement, aboutissant à une intervention caractérisée par une
efficacité et une efficience surprenantes.

Rampin Matteo, Nardone Giorgio, Terapie apparentemente magiche,


Mc Graw-Hill, 2002, Milan.
Dans ce livre original et novateur, Matteo Rampin, psychiatre, mais
aussi habile prestidigitateur et illusionniste, analyse les processus, les
stratégies et les techniques thérapeutiques de Giorgio Nardone ainsi que
celles d’ autres thérapeutes stratégiques fameux. En abordant leur travail et
en adoptant une perspective non ordinaire, celle de l’ illusionniste, Rampin
s’ efforce de comprendre le « truc » des « apparences magiques »
thérapeutiques. Il met en évidence les éléments qui confèrent une apparence
magique au travail des thérapeutes étudiés et comment des individus aux

103
styles fort distincts ont, du point de vue de la théorie de l’ illusionnisme,
des points communs. Giorgio Nardone, qui a fourni les matériaux d’ étude et
revu le manuscrit, apparaît ici dans une position inédite, celle de l’ « objet
étudié » et non celle, habituelle, du sujet qui étudie. Ce livre constitue
donc une contribution unique en son genre, tant pour les chercheurs que
pour les psychothérapeutes puisque tous y trouveront des indications
aussi utiles qu’ importantes pour leur pratique clinique et pour leurs
recherches.

Nardone Giorgio, Cagnoni Federica, Perversioni in rete.


Le psicopatologie da Internet e il loro trattamento, P onte alle Grazie,
2002, Milan.
Depuis des années, on parle beaucoup d’ internet et de toutes les
activités qui s’ y déroulent. Les nouvelles technologies ont révolutionné
l’ économie, notre façon de travailler, d’ étudier, de penser. Et, d’ une certaine
façon, elles ont aussi modifié nos maladies car se sont développées de
véritables pathologies liées à un usage excessif, voire aberrant, d’ internet.
Grâce à la solide expérience acquise pour soigner les troubles de
l’ alimentation ainsi que les troubles phobico-obsessionnels (lesquels
présentent des mécanismes de fonctionnement analogues), les auteurs en ont
tiré des thérapeutiques spécifiques pour les pathologies « émergentes »
liées à internet, qu’ il s’ agisse des achats compulsifs, des paris en ligne, des
jeux de hasard, du trading en ligne, de la dépendance au chat, de la
surinformation (ou infobésité) et de la dépendance au cybersexe.

Nardone Giorgio, Non c’è notte che non veda il giorno, P onte alle
Grazie, 2003, Milan.
Le trouble d’ attaques de panique figure parmi les troubles les plus
répandus et invalidants car il menace – voire compromet – la vie
quotidienne d’ un grand nombre de gens. L’ objectif de cet ouvrage est de
présenter au lecteur, de la façon la plus claire et accessible possible, les
connaissances actuelles sur le fonctionnement des pathologies de panique
et, surtout, les thérapies qui se sont révélées efficaces pour les surmonter
rapidement. P lusieurs « formes de panique » sont présentées au fil d’ un
passage en revue des peurs pathologiques et de leur traitement : peur de

104
perdre le contrôle, peur de prendre l’ avion, peur des hauteurs, peur de
perdre les personnes chères, peur des animaux, agoraphobie, claustrophobie,
peur du refus sociale, fixations hypocondriaques, obsessions compulsives,
dysmorphophobie.

Nardone Giorgio, Chevaucher son tigre. L’art du stratagème


ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions
simples, traduit par Nathalie Koralnik, éditions du Seuil, 2008, P aris.
Dans ce livre, Giorgio Nardone analyse l’ art du stratagème et présente
treize stratagèmes essentiels comme une synthèse des innombrables
stratagèmes présents dans la littérature. Chaque stratagème représente un
critère logique non ordinaire applicable aux problèmes les plus divers,
indispensables chaque fois que les interventions logiques aboutissent à
des échecs. Chacun d’ eux est raconté en recourant aux exemples les plus
variés. Chevaucher son tigre offre une lecture enthousiasmante et stimulante
à toute personne qui s’ intéresse au changement et désire apprendre comment
obtenir le maximum de résultats avec le minimum d’ efforts.

Nardone Giorgio, Al di là dell’amore et dell’odio per il cibo, Superbur,


Rizzoli, 2003, Milan.
Ce texte est le fruit d’ une minutieuse recherche qui a permis d’ étudier
précisément les formes contemporaines de désordre alimentaire grâce à des
expériences concrètes de solution de ces problèmes. P our l’ anorexie, la
boulimie, le vomiting, l’ hyperphagie compulsionnelle (binge eating) et
l’ orthorexie, sont analysées la formation et la persistance de chacun de ces
troubles, permettant ainsi de démystifier nombre de « mythes » qui, lorsque
l’ on parle de troubles alimentaires, jugent la société, la culture ou la famille
comme les seuls et uniques coupables. Giorgio Nardone guide le lecteur en
relatant de nombreux cas réels, qu’ il s’ agisse de l’ obsession de perdre le
contrôle, de l’ hyperphagie compulsionnelle, de l’ abstinence ascétique, de
l’ anorexie chronique ou de la compulsion irrésistible générant le plaisir,
typique des personnes aimant se faire vomir. Toutes les interventions
stratégiques décrites ici permettent de débloquer rapidement les troubles
alimentaires les plus complexes et résistants au changement.

Nardone Giorgio, Salvini Alessandro, Le dialogue stratégique.


105
Nardone Giorgio, Salvini Alessandro, Le dialogue stratégique.
Communiquer en persuadant : techniques avancées de changement,
traduit par Nathalie Koralnik, éditions Satas, 2012, Bruxelles.
Ce livre constitue l’ aboutissement de recherches, d’ applications
cliniques et de conseil managérial effectués pendant plus de quinze ans au
Centre de thérapie stratégique d’ Arezzo. Technique mise au point pour
mener une conversation « thérapeutique » , le dialogue stratégique est
capable de produire des changements rapides et radicaux chez
l’ interlocuteur dès la première rencontre. En guidant l’ individu pour qu’ il
« comprenne » mais, surtout, qu’ il « ressente » de manière différente sa
situation problématique et en lui indiquant ce qu’ il faudrait faire pour
changer, cette technique sophistiquée produit une véritable « expérience
émotionnelle corrective » chez celui qui la vit. De cette façon, le
changement n’ est pas seulement rendu souhaitable, mais devient inévitable.

Nardone Giorgio, Wazlawick P aul, Brief Strategic Therapy, Rowman


& Littelfield P ublishers Inc., 2005, Lanham (États-Unis).
Destiné avant tout aux spécialistes de langue anglaise, cet ouvrage livre
un tableau complet de la Thérapie brève stratégique dans ses aspects
théoriques et pratiques qui la distinguent des autres formes de
psychothérapie. Les auteurs présentent les techniques de traitement mises
au point pour des pathologies spécifiques grâce à la recherche empirico-
expérimentale portée par le Centre de thérapie stratégique d’ Arezzo. Les
résultats de la recherche, menée sur près de 3 500 cas traités au centre entre
1988 et 1998, témoignent d’ une efficacité moyenne de 86 % avec une durée
moyenne de traitement qui, au fil des ans, s’ est abaissée à 5-6 semaines. Les
cas présentés sont utilisés pour démontrer l’ efficacité de la méthode ainsi
que la façon dont la thérapie peut devenir un voyage bien planifié –
rigoureux mais jamais rigide –, dont le point de départ, la direction et la
durée peuvent être établis au départ.

Nardone Giorgio, Rampin Matteo, La mente contre la natura, P onte


alle Grazie, 2005, Milan.
Grâce au travail accompli durant des années au Centre de thérapie
stratégique concernant les troubles sexuels, des techniques thérapeutiques

106
ont été développées pour permettre de débloquer ce qui, dans la sexualité, a
été piégé par l’ esprit. À travers le récit de cas concrets, cet ouvrage propose
d’ analyser les principales tentatives de solutions récurrentes qui sont le
plus souvent à la base de troubles sexuels ainsi que les techniques
thérapeutiques mises au point au sein de l’ approche stratégique afin de
résoudre ce type de problèmes. Anxiété de prestation, troubles du désir,
anorgasmie, éjaculation précoce, impotence, peur de la pénétration,
paraphilies, paranoïas sexuelles. Chacun de ces troubles peut être pris en
charge et résolu très rapidement en recourant au stratagème adapté.

Nardone Giorgio, Correggimi se sbaglio, P onte alle Grazie, 2005,


Milan.
Ce livre a pour objectif de présenter au lecteur une méthode de
communication perfectionnée qui permet de dialoguer « de manière
stratégique » avec son partenaire. Il s’ agit du « dialogue stratégique »
appliqué aux relations de couple, fruit de la recherche et de l’ expérience de
décennies de travaux et destiné à amener les personnes à changer leur réalité
grâce à cette façon de communiquer avec les autres et avec elles-mêmes. Le
lecteur est guidé dans un parcours au cours duquel il apprend des tactiques
simples mais efficaces pour communiquer avec les personnes de façon à
transformer les désaccords en accords et les éventuels conflits en alliances.

Nardone Giorgio, P ortelli Claudette, La Connaissance


par le changement. L’évolution de la thérapie stratégique brève, traduit
par Evelyne Sedlak et Christian Le Bras, éditions Satas, 2012, Bruxelles.
Structuré comme un véritable manuel de Thérapie stratégique brève, ce
livre résume les travaux de recherche et d’ expérimentation clinique effectués
au Centre de thérapie stratégique d’ Arezzo depuis sa création. Mises au
point au cours des quinze dernières années, les stratégies d’ intervention
concernant les troubles psychologiques les plus répandus sont précisément
décrites. La pratique clinique est détaillée grâce à des exemples concrets de
cas liés aux troubles les plus variés : troubles phobiques, troubles
obsessionnels compulsifs, troubles alimentaires, dépression, problèmes de
l’ enfance, psychoses présumées, etc.

Nardone Giorgio, Loriedo Camillo, Zeig Jeffrey K., Watzlawick P aul,


107
Nardone Giorgio, Loriedo Camillo, Zeig Jeffrey K., Watzlawick P aul,
Ipnosi e terapie ipnotiche, P onte alle Grazie, 2006, Milan.
P endant plus d’ une décennie, les auteurs de cet ouvrage ont étudié les
spécificités de la communication hypnotique et sont parvenus à élaborer de
nouvelles méthodes pour pouvoir l’ utiliser avec succès dans le domaine de
la Thérapie brève. Étant une méthode « naturelle » , fondée sur les
caractéristiques individuelles du sujet, l’ hypnose se révèle très efficace
pour aider les patients à se libérer de leurs comportements pathologiques.
Abordée ici par Giorgio Nardone, l’ « hypnose sans transe » apparaît
particulièrement efficace car elle permet de contourner les résistances aux
changements des personnes sans recourir nécessairement à l’ induction
formelle de la « transe » . Nardone décrit en détail les différentes techniques
de communication suggestive qui permettent de se placer sur la même
longueur d’ onde que le patient et de rendre le changement inévitable… de
« rendre les paroles magiques » .

Muriana Emanuela, P ettenò Laura, Verbitz Tiziana, I volti della


depressione: curarsi in tempi brevi, P onte alle Grazie, 2006, Milan.
Grâce à un travail approfondi de recherche-intervention mené au Centre
de thérapie stratégique d’ Arezzo, les auteurs de ce livre ont étudié comment
se forme, comment se maintient et comment s’ interrompt la dépression. Celle-
ci n’ est pas appréhendée ici comme une maladie, mais comme une souffrance,
conséquence de problèmes variés, qui présente de multiples facettes, toutes
caractérisées par une même attitude de renoncement. Selon la façon dont se
fait le renoncement, des types différents ont été individualisés : le déprimé
radical, le rêveur déçu de lui-même, le rêveur déçu par les autres, le moraliste.
Riche en exemples cliniques, ce livre a été écrit de manière à être lu et
compris par tous. Le lecteur pourra ainsi se rendre compte que la dépression
n’ est pas une maladie incurable et que sa guérison ne nécessite pas
nécessairement de suivre des thérapies parfois plus dévastatrices que la
maladie elle-même.

Nardone Giorgio, Le Régime paradoxal. Comment lever les blocages


psychologiques qui empêchent de maigrir et de se maintenir en forme,
traduit par Nathalie Koralnik, éditions Satas, 2010, Bruxelles.

108
En analysant les résultats de nombreux régimes, un paradoxe essentiel
se fait jour : ils sont tous efficaces, mais aucun ne fonctionne effectivement.
Autrement dit, tous les régimes proposés au cours des dernières années sont
capables de provoquer un réel amaigrissement, mais c’ est le maintien du
résultat qui pose problème. Giorgio Nardone guide le lecteur à la
découverte de ce qu’ il a défini comme le « régime paradoxal » , qui permet de
retrouver une relation saine et équilibrée avec la nourriture en se
réappropriant l’ aspect fondamental de celle-ci : le plaisir de manger. Le
présupposé fondamental du régime paradoxal mène à la reconstitution d’ un
rapport à la nourriture basé sur la capacité de « s’ autoriser » ce que l’ on a
envie de manger durant les trois principaux repas, en ayant le plus de plaisir
possible à la dégustation, allié à une étude attentive du contexte et à
l’ introduction d’ activités physiques agréables et adaptées.

Nardone Giorgio, Cambiare occhi, toccare il cuore, P onte alle Grazie,


2007, Milan.
Cet ouvrage (« Changer de regard, toucher le cœur » ) n’ est pas un
simple livre de thérapie, mais une sorte de manuel dans lequel Giorgio
Nardone a rassemblé et condensé des années de pratique clinique des
aphorismes thérapeutiques. L’ aphorisme est considéré ici comme une
véritable technique stratégique. Créant une sorte de danse interactive, ce
recueil alterne les « perles de sagesse volées » , c’ est-à-dire les aphorismes
d’ auteurs célèbres, et « les perles trouvées » , des pensées formulées par
l’ auteur lui-même durant ses vingt années de pratique thérapeutique au fil
de ses rencontres avec plus de dix mille patients.

Milanese Roberta, Mordazzi P aolo, Coaching strategico. Trasformare


i limiti in risorse, P onte alle Grazie, 2007, Milan.
Le modèle de coaching présenté dans ce livre dérive directement du
modèle de Stratégie de résolution de problème et de communication, fruit de
plus de vingt ans d’ application empirique, tant dans les activités cliniques
qu’ au Centre de thérapie stratégique. Le coaching stratégique est une
typologie d’ intervention destinée à développer les talents d’ un individu,
afin de mettre au jour ses ressources et lui permettre de les exprimer au
maximum de leurs potentialités. À partir de techniques comme « l’ auto-

109
illusion stratégique » , « la tentative de solution redondante » , « les
incapacités primaires et évoluées » , les auteurs appliquent le modèle du
coaching stratégique aux situations les plus variées : manager trop
disponible, manager irascible qui perd le contrôle, syndrome du Saint-
Bernard, harcèlements sur le lieu de travail, bourreau de travail, entrepreneur
en échec.

Nardone Giorgio, Balbi Elisa, Sillonner la mer à l’insu du ciel. Leçons


sur le changement thérapeutique et les logiques non ordinaires, traduit
de l’ italien par Nathalie Koralnik, éditions Satas, 2012, Bruxelles.
Dans cet ouvrage, Giorgio Nardone développe, avec Elisa Balbi, des
thématiques complexes mais essentielles pour toute personne s’ intéressant
au changement stratégique. P ar une utilisation toujours plus délibérée du
paradoxe, de la croyance et de la contradiction dans sa pratique en tant que
praticien ou consultant, Giorgio Nardone est parvenu à identifier les
constantes qui permettent, cas après cas, de choisir la stratégie la plus
adaptée pour affronter et résoudre les plus importantes pathologies à
l’ échelle de l’ individu, du groupe ou de l’ entreprise. De la thérapie de
couple au trouble de panique, du trouble compulsif aux paranoïas et aux
délires, des problèmes sexuels aux interventions en entreprise, ce livre
rassemble une multiplicité d’ exemples, mais aussi de niveaux de lecture, qui
le rendent incontournable pour toute personne souhaitant perfectionner ses
capacités en Résolution de problème en milieu thérapeutique,
entrepreneurial ou dans tout autre contexte pour lequel l’ efficacité et la
rapidité de l’ intervention sont des facteurs essentiels.

Skorjanec Branka (sous la direction de), Come smettere di fumare,


P onte alle Grazie, 2008, Milan.
Issu d’ un véritable groupe de travail organisé au cours des dernières
années au sein du Centre de thérapie stratégique, ce livre expose les
méthodes et les techniques destinées à aider ceux qui souhaitent arrêter de
fumer. Une méthode complète est proposée, qui allie acupuncture auriculaire
et psychothérapie stratégique ; elle permet de maximiser les effets de
changement avec une efficacité supérieure à 90 %. Une section du livre est
consacrée aux dépendances à d’ autres types de substances fumées qui, pour

110
certaines, se rapprochent d’ un point de vue psychologique de la
dépendance à la cigarette, mais d’ une manière plus dramatique et
compliquée.

Cagnoni Federica, Milanese Roberta, Cambiare il passato. Superare


i traumi con la terapia strategica, P onte alle Grazie, 2009, Milan.
Dans ce livre est exposé le protocole de traitement mis au point au cours
des cinq dernières années dans le Centre de thérapie stratégique d’ Arezzo
pour soigner l’ état de stress post-traumatique, qui a révélé de très hauts
niveaux d’ efficacité et d’ efficience. P ar le récit de cas de victimes de viols,
de violences, d’ inondations, de décès soudains et d’ autres événements
catastrophiques sont présentées les manœuvres utilisées pour aider les
personnes victimes d’ un traumatisme à franchir l’ onde de peur et de douleur
qui a soudainement envahi leur vie. Ce texte donne l’ occasion de
démystifier la croyance selon laquelle la thérapie stratégique ne s’ occupe
que du présent, ignorant complètement le passé. Comme le montre cet
ouvrage, dans le cas de traumatismes laissant des traces indélébiles dans
notre mémoire, il est possible d’ intervenir avec une psychothérapie brève
non pour effacer la mémoire, mais pour y restructurer la perception au
présent.

Giorgio Nardone
Avec P aul Watzlawick, Giorgio Nardone a fondé le Centre de thérapie
stratégique d’ Arezzo où il exerce ses activités de psychothérapeute,
d’ enseignant et de coach.
Reconnu comme l’ un des spécialistes et thérapeutes les plus rigoureux
et créatifs, il est considéré comme l’ un des grands représentants des
chercheurs de l’ École de P alo Alto, du fait de ses travaux novateurs
nombreux.
La création de protocoles spécifiques de traitement pour les pathologies
psychologiques les plus invalidantes constitue à l’ évidence sa plus grande
contribution. Grâce à ces protocoles, il a pu montrer qu’ il était possible de
soigner de manière rapide et efficace la grande majorité des pathologies
psychiques et comportementales. Il a ensuite mis au point un nouveau
modèle de Thérapie brève et de Stratégie de résolution de problème, dont

111
témoignent les vingt-six livres publiés à ce sujet et traduits en plusieurs
langues.
Sa contribution scientifique et expérimentale constitue non seulement
un modèle d’ application, mais une véritable école de pensée
internationalement reconnue, dont s’ inspirent aussi bien des spécialistes
que des thérapeutes et des managers. Depuis des années, il donne des
conférences et des séminaires dans le monde entier.
Giorgio Nardone dirige actuellement l’ École de spécialisation post-doc
en psychothérapie brève stratégique dont le siège principal se trouve à
Arezzo avec une antenne à Florence. Il dirige aussi le Master en thérapie
brève stratégique à Milan, Rome, Bogota, Barcelone, Madrid, P aris, Liège,
Heidelberg et Moscou.
Il est le directeur scientifique de l’ École de formation managériale en
communication, Résolution de problème et coaching stratégique dont le
siège se trouve à Arezzo avec des annexes à Milan, Madrid et P aris.
Il est aussi le directeur général de la société de formation et de conseil
spécialisé dans le développement des ressources humaines, le Strategic
Therapy Center, « Change Strategies » .
Giorgio Nardone occupe aussi d’ autres charges :
Il coordonne le Réseau mondial de psychothérapie brève stratégique et
systémique ainsi que la Rivista Europea di Piscoterapia Breve Strategica
e Sistemica.
Il est le codirecteur de la revue Journal of Brief, Strategic and Systemic
Therapies.
Il est le fondateur émérite de The American Association of Brief &
Strategic Therapists et directeur de la collection « Essais de thérapie
brève » aux éditions P onte alle Grazie à Milan.

P our terminer cette bibliographie commentée, qu’ on me permette un


témoignage personnel. En 1994, alors que j’ étais encore étudiante en
psychologie, un étrange livre a croisé mon chemin dans une librairie de
P adoue. Il s’ intitulait L’art du changement et l’ un des auteurs, Giorgio
Nardone, m’ était totalement inconnu. Attirée par le titre, j’ achetai le livre
qui allait changer à jamais ma vie professionnelle… et pas uniquement.
Quinze années se sont écoulées et j’ évoque toujours ce moment avec une

112
grande émotion et une énorme gratitude envers le « hasard » – ou le
« destin » – qui avait mis ce livre sur ma route.
Nombreux sont ceux qui affirment que, qui a rencontré un maître doit, à
un moment où à un autre, « le tuer » pour pouvoir exprimer pleinement ses
propres ressources. Je souhaite aux lecteurs de cet ouvrage le destin
inverse : si vous deviez rencontrer par hasard un véritable maître, comme
Giorgio Nardone l’ a été – et l’ est encore – pour moi, surtout, prenez-en
bien soin !

1. Psy chologue et psy chothérapeute, Roberta Milanese est chercheur associé au Centre
de thérapie stratégique (CTS) d’Arezzo et enseignante à la Scuola di Specializzazione in
Psicoterapia Breve Strategica (« École de spécialisation en psy chothérapie brève
stratégique » ), dirigeant des masters cliniques et organisationnels en Italie et à
l’étranger. Roberta Milanese est aussi responsable organisationnel à la Scuola di
comunicazione, problem solving e coaching strategico (« École de communication,
résolution de problème et coaching stratégique » ) de Milan. Depuis 2000, elle est
responsable du centre milanais affilié au CTS d’Arezzo, où elle est psy chothérapeute,
consultante, coach et coauteur de plusieurs ouvrages.

113
Bibliographie

Altshuller Genrich, Innovation Algorithm, Technical Innovation Center,


1999, Worcester.
Beer Stafford, Platform for Change, John Wiley & Sons, 1995, New York.
Clarke Arthur C. in Owen Nick, The Magic of Metaphor, Crow House
P ublishing, 2001, Glasgow.
Boorstin Daniel J., Les Découvreurs, Robert Laffont, 1990.
Da Costa, Newton C. A., « The Logic of Self-Deception » in American
Philosophical Quarterly, 1, 1989a.
—, « On the Logic of Belief » in Philosophical and Phenomenological
Research 2, 1989b.
Léonard de Vinci, Prophéties-Philosophie-Aphorismes, traduit par Louise
Servicen, Folio Sagesses, 2015.
P opper Karl, Toute vie est résolution de problèmes. Questions autour de
la connaissance de la nature, Actes Sud, 1999, Arles.
Russell Bertrand, The Philosophy of Bertrand Russell. Edited by P.A.
Schilpp, Library of Living P hilosophers, vol. V, 1946, Illinois.
Watzlawick P aul, Weakland John H., Fish Richard, Change. Principles of
Problem Formation and Problem Resolution, W. W. Norton &
Company, réimpression, 2011.

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