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Pourquoi l’arrêt société Eky du 12 Février

1960 rendu par le Conseil d’État est-il essentiel


?

L’arrêt société Eky du 12 février 1960 rendu par le Conseil d’État est un arrêt

essent iel en droit administrat if, car à travers cette décision, la Haute juridict ion a

reconnu une valeur const itutionnelle au préambule de la Const itution de 1958.

Et pour cause, il ressort de « l’expression de la volonté générale » que la loi est

restée pendant longtemps la norme suprême et donc intouchable. Son contrôle par

le juge était mal perçu puisqu’il était inadmissible de soumettre l’expression du

souverain « Peuple » à un quelconque contrôle, aussi, indirect soit -il !

Il a ainsi fallu attendre la Const itut ion de 1958 pour qu’un contrôle de

const itutionnalité des lois soit init ié. De ce fait, la Const itution a pris la place de

la loi au sommet de la hiérarchie des normes qui aura par voie de conséquence le

devoir de se conformer à celle-ci.

Mais qu’en était -il du préambule de la Constitution ?


C’est à cette épineuse quest ion que le Conseil d’État a répondu dans son arrêt du

12 février 1960. En effet, dans l’arrêt soc iété Eky, la Haute juridict ion a reconnu

que le Préambule de la Const itution avait une valeur supérieure à celle des lois,

ainsi qu’à celle des actes administratifs.


ARRÊT SOCIÉTÉ EKY : QUELS SONT LES
FAITS ET LA PROCÉDURE ?
En substance, le gouvernement provisoire présidé par le Général de Gaulle avait,

sur le fondement de la loi ordinaire du 3 juin 1958 qui habilit ait le Président de

la République à prendre par ordonnances et pendant une durée de six mois, des

mesures nécessaires au redressement de la nat ion en attendant une nouvelle

const itution ; adopté des ordonnances en date du 23 décembre 1958 visant à

modifier certaines disposit ions du Code pénal, notamment, celles ayant pour

objet d’inst ituer des contravent ions en cas d'usage de faux moyens de paiem ent.

La société Eky ayant est imé que ces nouvelles disposit ions entravaient le système

de bons publicitaires qu'elle ut ilisait, s’était alors pourvu devant le Conseil d'État

en vue d’obtenir l’annulat ion des disposit ions de ces textes pour excès de

pouvoir.

En effet, la société Eky prétendait que les disposit ions qui avaient été prises

violaient l'art icle 8 de la Déclarat ion des droits de l'homme et du citoyen, ainsi

que l'article 34 de la Constitution qui était contraire à l'art icle 4 du Code

pénal.
Toutefois, le Conseil d'État dans sa décision du 12 février 1960 avait rejeté le

pourvoi, car il est imait que l'ordonnance en cause prise par le gouvernement

l’avait été en applicat ion de son pouvoir législat if.

Enfin, la Haute juridict ion administrat ive avait précisé que les art icles

const itutionnels avaient une valeur équivalente ou supérieure aux lois ainsi

qu’aux règlements, et ce, malgré une contradict ion entre les deux normes

const itutionnelles (l’art icle 8 de la DDHC et l’art icle 34 de la Const itution).


ARRÊT SOCIÉTÉ EKY : LES PRÉTENTIONS
DES PARTIES ET LA QUESTION DE DROIT
En l'espèce, la requérante (la Société Eky) contestait l'ordonnance du 23

décembre 1958 ainsi que le décret du 23 décembre 1958 ayant inst itué les

contravent ions en cas d'usage de faux moyens de paiement, au motif qu’ils

violaient le principe de légalité des infractions énoncé à l’art icle 8 de la

Déclarat ion des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle renvoyait le

préambule de la Const itution du 4 octobre 1958.

De ce fait, elle prétendait que le gouvernement s’était rendu coupable d’un excès

de pouvoir en adoptant lesdit s textes. Dès lors, ces derniers devaient encourir une

annulat ion. D’où la saisine de la haute juridict ion administrat ive.

Dans l’arrêt société Eky, le Conseil d’État devait ainsi répondre à la quest ion de

savoir si le juge administratif pouvait valablement contrôler une ordonnance

prise sur les fondements de l'art icle 92 de la Const itution. Ce fai sant, le Conseil

d’État était donc appelé à préciser indirectement la valeur juridique à accorder au

Préambule de la Const itution.


QUELLE EST LA SOLUTION DE L’ARRÊT
SOCIÉTÉ EKY RENDUE EN DATE DU 12
FÉVRIER 1960 ?
En réponse à la quest ion de droit posé dans l’arrêt société Eky, le Conseil d’État

a débouté la requérante en rejetant ses deux demandes.

En effet, sur la première demande relat ive à l’annulat ion de l’ordonnance du 12

décembre 1958 précitée, la haute juridiction administrat ive a est imé qu'il

s'agissait d'un acte de nature législat ive.

Par conséquent, celui-ci ne pouvait pas être contesté dans le cadre d'un recours

pour excès de pouvoir. Ce faisant, le Conseil d’État a confirmé le pouvoir

législat if reconnu au gouvernement pour mettre en place les inst itut ions dans

plusieurs domaines pendant la période transitoire en particulier celles relat ives «

à la vie de la Nat ion, à la protection des citoyens et à la sauvegarde des libertés

».

C’est une solut ion compréhensible puisqu’il n’appart ient pas en pri ncipe au juge

administratif d’apprécier la const itutionnalité des lois. Cela relève plutôt de la

compétence du juge const itutionnel.

Or, l’ordonnance en cause découlait de l’exercice par le gouvernement de son

pouvoir législat if. Il était donc tout à fait légit ime à cette époque que le juge

administratif ne devait pas en vérifier sa validit é par rapport à l’art icle 92 de la

Const itution.
En effet, comme le disait le Professeur Vedel : « le pouvoir législat if du

gouvernement provisoire est un véritable pouvo ir législat if et non une simple

extension du domaine du pouvoir gouvernemental ».

Quant au rejet de la seconde demande, il résulte de l'absence de violat ion par le

décret précité et des disposit ions invoquées par la requérante à savoir l'art icle 8

de la Déclarat ion de 1789 et l'art icle 34 de la Const itution, constatée par le

Conseil d’État. Par là, le Conseil d’État a confirmé son arrêt « Condamine » du 7

juin 1957 par lequel il a reconnu pour la première fois une valeur juridique à la

Déclarat ion des droit s de l’homme et du citoyen de 1789.

Également, l’arrêt société Eky a renforcé la posit ion prise par la Haute

juridict ion administrative depuis l'arrêt Dehaene de 1950 et l'arrêt du Conseil

d'État du 26 juin 1959 « syndicat général des ingénieurs -conseils » à travers

lesquels il a reconnu au préambule de la Const itution le caractère de principe

général de droit rendant ainsi ce dernier imposable « à toute autorité

réglementaire même en l'absence de dispositions législat ives ».

Cette solut ion retenue par le Conseil d’État dans l’arrêt société Eky s’est dès lors

révélée très intéressante pour deux raisons à minima.

Premièrement, par la confrontation du décret du 23 décembre 1958 à une

disposit ion issue du préambule de la Const itution de 1958, notamment l’art icle 8

de la DDHC, la Haute juridict ion administ rative en a conclu implicitement à la

réaffirmat ion de la pleine valeur juridique de celui -ci. De ce fait, le Conseil

d’État a mis fin aux nombreuses co ntroverses doctrinales sur la quest ion de la

force juridique du préambule const itutionnel.


En effet, du fait de son caractère souvent flou et général, beaucoup étaient

perplexes quant à la reconnaissance d’une valeur juridique aux disposit ions du

Préambule de la Const itution. La solut ion de l’arrêt société Eky a donc tranché

une fois pour toutes cette problémat ique.

Finalement, c’est surtout l’apport de la solution d’espèce qui est remarquable. En

effet, par cet arrêt société Eky, le Conseil d’État a enrich i de façon notable le

corpus normat if devant s’imposer à l'administrat ion. Et pour cause, il a réaffirmé

la valeur juridique du Préambule de la Constitution.

Ainsi, il ne fait pas de doute sur le fait que le juge suprême administrat if a

entendu soumettre l’act ion administrative à l'ensemble des textes auxquels celui -

ci fait référence ; à savoir la Déclarat ion des droits de l’homme et du citoyen de

1789, le Préambule de la Const itution de 1946, ainsi que la Charte de

l'environnement de 2005 désormais.

Toutefois, bien que doté d'une pleine valeur juridique, il n’en demeure pas moins

que toutes ces disposit ions du préambule n'ont pas forcément la même portée. En

effet, comme nous l’avons déjà rappelé, l’imprécision de certaines de ces

disposit ions fait parfois obstacle à leur invocabilité devant le juge administrat if

en l'absence d'un texte d'applicat ion.

En outre, en déboutant la requérante, l’arrêt société Eky s’est voulu sans nul

doute pourvoyeur d'enseignement s concernant les rapports entre la loi et les

règlements sous la V è m e République. En effet, le Conseil d’État en retenant cette

solut ion, a marqué de son sceau, la dist inct ion entre les actes administrat ifs et les

actes législat ifs dégagés en 1907.


De ce fait, le cas d’espèce permet de préciser les domai nes de compétence

respect ifs de la loi ainsi que des règlement s, tel qu'ils résultent, notamment, des

articles 34 et 37 de la Const itution. C’est en s’y référant que le Conseil d’État a

conclu que la déterminat ion des contravent ions ainsi que des peines qu i leur sont

applicables, objets du décret du 23 décembre 1958, relevait de la compétence du

pouvoir réglementaire.

Dès lors, la requête prétendant que ledit décret était en contradict ion avec

l'art icle 8 de la Déclarat ion de 1789 et l'article 34 de la Cons t itution ne pouvait

être accueillie favorablement.

C’est pourquoi, malgré la contradict ion tranchée entre l’article 8 de la

Déclarat ion des droits de l’homme et du citoyen qui précise que : « nul ne peut

être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulgué e antérieurement au délit »

ayant servi de fondement à l’une des requêtes de la société Eky et l'art icle 34 de

la Const itution qui ne prévoit la compétence du législateur que pour les domaines

de crimes et délit s en laissant ainsi au pouvoir réglementaire le soin des

contravent ions, le Conseil d’État a préféré concilier les deux normes

const itutionnelles plutôt que de les opposer.

Ainsi, a-t-il usé de l’adage « Specialia generalibus derogan » en considérant que

l'art icle 34 de la const itution avait voulu in staurer une except ion à l'art icle 8 de

la DDHC.

En conséquence, il a constaté l’abrogation implicite de l’article 4 du Code pénal

qui disposait que « nulle contravent ion ne peut être punie de peines qui n'aient

été prononcées par la loi ».


De toute évidence, cet article contredisait l'art icle 34 de la Const itution du 4

octobre 1958 précité qui demeurait l’unique fondement légal de la créat ion des

contravent ions. Dès lors, l’article 4 précité devait être considéré comme abrogé,

car contraire à l’art icle 34 de la Const itution qui lui était supérieure.
QUELLE EST LA PORTÉE DE L’ARRÊT
SOCIÉTÉ EKY RENDU LE CONSEIL D’ÉTAT ?
Par cet arrêt société Eky, le Conseil d’État a reconnu la Déclarat ion des droits de

l’homme et du citoyen comme étant une norme à valeur const itut ionnelle et par

voie de conséquence, le Préambule de la Const itut ion de 1958 en ce que ce

dernier référence ladite Déclarat ion.

Il est vrai que ce n’était pas la première fois que la Haute juridict ion

administrative reconnaissait le caractère de valeur juridique à cette Déclarat ion

(CE, du 7 juin 1957, arrêt Condamine) ou au préambule de la Const itution (CE,

du 7 juillet 1950, l'arrêt Dehaene ; CE, du 26 juin 1959, Syndicat général des

ingénieurs-conseils). Toutefois, le Conseil d’État a innové en ce qu e ce dernier a

annulé une ordonnance sur le fondement de l’art icle 92 de la Const itut ion.

Ainsi, tout en confirmant sa jurisprudence antérieure relat ivement à la valeur

juridique à accorder au préambule const itutionnel, le Conseil d’État dans l’arrêt

société Eky a reconnu aux deux textes précités (à savoir la Déclarat ion des droits

de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que le préambule de la Const itution de

1958), une valeur const itutionnelle.

Par ailleurs plus tard, par une décision du 16 juillet de 1971 (Décision n° 71-44

DC du 16 juillet 1971), le Conseil de droit constitutionnel a jugé que le


Préambule de la Const itution de 1958 avait une valeur const itutionnelle. L’arrêt

Commune d’Annecy du 3 octobre 2008 en constitue également une illustration.

En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que la Charte de l’environnement avait

une valeur const itutionnelle, car le contenu est dans le préambule const itutionnel.

Enfin, il en ressort de l’arrêt société Eky que les normes const itutionnelles ont

une équivalence et qu’en cas de contradict ion, la règle spéciale ou nouvelle doit

l’emporter sur la règle générale ou ancienne.

L’arrêt du 12 février 1960 confirmant la const itutionnalité du préambule

const itutionnel a donc été favorablement accueilli par la jurisprudence

postérieure.

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