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Marienburg en eaux troubles

Je propose à mes compagnons de nous arrêter un moment avant de poursuivre notre chemin vers
l'Oostenpoort, une des portes monumentales qui s'ouvre à l'est de la cité. Je ne souhaite pas attirer
l'attention des coiffes noires et encore moins des mouchards de la ligue des gentilshommes
entrepreneurs. Je suggère donc de dissimuler dans le chariot nos armes et équipements trop voyants.
Ceci fait, nous rejoignons le flot de voyageurs qui s'épaissit à mesure que nous approchons du
Vloedmuur, la puissante muraille qui entoure Marienburg. Les légendes affirment que le Vloedmuur
suit le tracé de murs qui protégeaient jadis une immense cité elfique, sur laquelle est bâtie la capitale
des Wastelands. Je ne sais si ces légendes recèlent quelques vérités ; toujours est-il qu'en certains
endroits de la ville, la base de la muraille est faîte d'une étrange pierre blanche aux reflets argentés.

Les tours de l'Oostenpoort projètent sur nous leurs ombres épaisses alors que nous apercevons les
coiffes noires qui gardent l'entrée de la cité. Aux côtés de deux gardes armés d'hallebardes est assis
un sergent aux cheveux et à la barbe grise, qui converse avec un jeune
garçon en uniforme. Au bout de quelques minutes, je me rends compte de
ma méprise : le jeune garçon est en réalité un hobbit, qui dévisage avec
attention les voyageurs. Une plume à la main, le sergent note avec
application sur un livre usé par les ans le montant des pistoles réclamé aux
gens qui souhaitent entrer dans la cité. En nous jetant à peine un regard, le
vieux soldat énonce d'une voix lasse la somme que nous devons acquitter :
"deux pistoles par jambe". En bonne marienbourgeoise, je signale
qu'Aymerich a un pied bot et ne devrait payer que trois pistoles, malheureusement sans succès.
Délestés de nos premiers sous, nous passons l'arche puissant de l'Oostenpoort pour pénétrer dans la
cité, tandis que mon coeur se met à battre la chamade, la peur se mêlant à la joie de retrouver mon
foyer.

Une rue encombrée par les charrettes, chariots, bêtes de sommes, hommes et femmes de toutes
origines s'ouvre devant nous. Thomas propose de s'arrêter un instant pour se sustenter et profiter
des fameux beignets des wastelands. Je refuse tout net, ne souhaitant pas traîner dans le quartier du
Messteeg, qui pullule de mendiants et tire-laines estaliens avides de nous faire les poches. Peu de
temps après, nous passons le pont du Wirdweck, qui enjambe le canal de Noordmuur. Nous arrivons
dans le quartier d'Handelaarmarkt, un endroit prospère qui m'inspire plus de confiance. Je me
détends un peu et profite de l'atmosphère caractéristique de ma cité : la marée humaine qui se
déploie à l'infini dans les rues étroites bordées d'échoppes, comme un animal fantastique aux milliers
de têtes ; les cris et paroles prononcés dans plus d'une dizaine de langues et dialectes, provoquant un
brouhaha étourdissant ; l'odeur saline de la mer, qui se mêle aux senteurs entêtantes des épices et
aux lourdes effluves des canaux.

Je me tourne vers mes compagnons et m'amuse des expressions contrastées qui animent leurs
visages : le franc sourire de Thomas tranche avec le regard sombre de Konrad, tandis que Menno
n'arrive pas à se départir de son air médusé. J'essaye de détendre l'ovate en lui promettant de le
suivre dans les forêts les plus reculées du vieux monde s’il s'astreint à profiter de l'ambiance de la
ville. A peine avons nous commencé à échanger nos arguments habituels que nous sommes
interrompus par Isham, qui tend le doigt vers un échafaudage en construction, au milieu d'une place
de forme oblongue. Des hommes s'échinent à assembler des piliers de bois pour en faire de sinistres
gibets. Un cri attire notre attention : un des hommes vocifère en traitant de voleurs trois enfants
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vêtus de haillons, qui s'éparpillent à travers la place comme une volée de moineaux. Une silhouette,
dissimilée à notre vue par un des poteaux, fait quelques pas en direction des jeunes malandrins :
habillé de noir de pied en cape, l'homme porte une lourde armure de plates. Son chapeau masque le
haut de son visage, mais laisse entrevoir un nez aquilin et une longue balafre qui orne sa joue gauche.
Plusieurs personnes qui nous entourent chuchotent avec crainte le nom et la profession de l'individu.
Il s'agit d'un certain Krieger, un répurgateur à la réputation redoutable qui officie à Marienburg et
dans les environs. L'homme brandit une arbalète d'un geste vif, ajuste un des enfants et l'abat
froidement. D'une voix tranchante, il ordonne à ses sbires de s'occuper du cadavre, cloué au mur
d'une maison donnant sur la place. Comme le reste de l'assistance, nous détournons le regard et
reprenons avec empressement notre chemin. Je murmure une courte prière à l'adresse de Ranald, lui
recommandant l'âme du pauvre enfant.

Thomas conduit avec adresse notre véhicule dans les rues de la cité. Nous sommes presque sortis du
quartier d'Handelaarmarkt lorsque qu'un habitant du cru accroche une de nos roues avec sa
charrette. Le ton monte entre notre ami et le marienbourgeois et l'échange dégénère rapidement en
pugilat. D'un coup de poing appuyé, Thomas éclate le nez de son adversaire qui se met à pousser des
couinements dignes d'un goret. Hélas, l'altercation attire l'attention de quatre coiffes noires qui se
dirigent vers nous prestement. Je tente de persuader les gardes que l'homme est le seul responsable
de cette échauffourée, sans succès. Poussant un soupir, je me résous à conclure cet épisode de la
seule manière qui puisse nous éviter une longue nuit désagréable au cachot. Je m'excuse platement
d'avoir oublié de verser mon écot à l'amicale de la milice d'Handelaarmarkt et leurs tend avec un air
contrit deux guilders d'or. Le chef de l'escouade empoche l'argent avec un sourire et nous enjoint de
poursuivre notre route.

Nous pénétrons peu


après dans le quartier
du Paleisbuurt, dont les
demeures, palais et
bâtiments officiels
rivalisent de beauté et
d'audace architecturale.
J'explique à mes
compagnons que cette
partie de la ville abrite
les lieux de pouvoir de
Marienburg et surtout
l'une des merveilles du
vieux monde : le pont
du Hoodbrug, dont les
arches immenses enjambent le fleuve du Reik. De la tour marquant l'entrée de cet ouvrage émane
une telle puissance qu'elle subjugue littéralement mes amis, à l'exception de Konrad. Nous entamons
l'ascension de la tour par une rampe en spirale assez large pour que deux attelages puissent se
croiser sans difficultés. Arrivés sur le pont proprement dit, nous prenons le temps d'admirer le
paysage, d'une beauté à couper le souffle. Vers le nord, nous apercevons l'île forteresse de Rijker, puis
l'immensité de la baie de Marienburg. Sur le canal de Rijksweg, naviguent une multitude de bateaux,
provenant de toutes les contrées du monde connu : caravelles d'Estalie, galéasses de Tilée, galions
bretonniens, felouques d'Araby, drakkars norsques et tant d'autres déversent hommes et
marchandises sur les quais de la plus grande et de la plus belle des cités. Avec enthousiasme, je décris

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à mes amis les différentes parties de la ville, pour m'arrêter plus longuement sur notre destination : le
quartier du Suiddock, ou réside Jean Ty, le brasseur auprès duquel nous devons récupérer notre
marchandise. Après avoir franchi le pont du Niederbrug, nous arrivons sur l'île de Luydenhoek, la
partie la plus orientale du Suiddock.

A quelques encablures de la Beulsplaats, Thomas arrête notre charrette dans une rue calme, laissant
nos chevaux se reposer. A peine ai-je le temps de me délasser qu'un bruit provenant d'une ruelle
attire mon attention : il s'agit d'un cri d'enfant. Je persuade sans peine mes compagnons d'aller jeter
un coup d'oeil. Les cris se répètent mais deviennent moins aigus ; nous tombons sur quatre fiers à
bras en train de battre à mort un jeune
garçon d'une dizaine d'année. Prenant
ma voix la plus grave possible, je hèle les
malandrins en leur intimant l'ordre de
cesser. La réponse est immédiate mais
guère coopérative. Un des hommes me
lance une dague qui passe à moins d'un
pied de mon visage, pour s'enfoncer
profondément dans le bois d'une caisse
qui encombre la venelle. Konrad
réplique en tentant de le transpercer
d'une flèche, hélas sans succès. Les trois
hommes restant brandissent de longs
coutelas et se ruent sur nous. Le sabre
et la dague en main, j'engage le combat
avec l'un de nos adversaires, qui s'avère
puissant mais manque de vitesse. Tandis
que nous ferraillons, Konrad porte à l'un
des brigands un coup de hache
formidable et le blesse grièvement au
bras. Menno monte sur la caisse et lance
la dague sur l'homme qui continue de
brutaliser l'enfant. L'arme de jet passe
largement au dessus de la tête du nervi,
qui se déconcentre toutefois
légèrement. Le gamin en profite pour
dégainer un poignard et lui porter un coup vicieux à l'abdomen. J'arrive pour ma part à passer la
garde de mon adversaire et lui entame profondément le visage avec ma dague. L'affaire commence à
mal tourner pour les quatre hommes, qui tentent de s'enfuir. Je profite de cette ouverture pour me
fendre et d'un coup de sabre, tranche proprement la jambe de mon opposant, qui expire en
s'effondrant. Les trois autres brigands parviennent à prendre la poudre d'escampette et la ruelle
retrouve son calme. Le jeune garçon se redresse et nous salue d'une révérence pleine d'emphase, se
présentant sous le nom de Rodrigo.

Je flaire le confrère et m'adresse à lui en argot : " Tu dévides le jars ?". Rodrigo hoche la tête en signe
d'assentiment et nous commençons à deviser dans la langue des gentilshommes entrepreneurs. Le
loustic m'explique qu'il est à la tête d'une bande de jeunes tire-laines, dénommée "la flèche".
L'aplomb du gamin, âgé de neuf ans à peine, m'arrache un sourire et me fait penser à mes débuts au
sein de la bande de la Ferlingante. Mon amusement disparaît brusquement lorsque Rodrigo tend le

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doigt pour désigner une forme recroquevillée sur le sol, dissimulée dans la pénombre. Il s'agit d'un
membre de sa bande, tué par les malandrins que nous avons combattu. L'air affecté, le jeune voleur
m'indique que ces fiers à bras font partie de la bande de la fleur de sang, un ramassis de coupe-
jarrets qui ne respectent pas les commandements de Ranald et qui ont récemment étendu leur
influence dans le Suiddock. Les noms de la flèche et de la fleur de sang ne me sont pas inconnus : le
serviteur de Ranald croisé à Salfen m'a prévenu du conflit entre les deux bandes et m'a conseillé de
m'en tenir à l'écart "dans l'attente d'un signe". Ne pigeant rien à notre échange, mes compagnons
commencent à s'impatienter. Je poursuis néanmoins ma conversation avec Rodrigo en lui rappelant
que nous lui avons sauvé la vie et qu'il nous doit donc un service. Le tire-laine tente de négocier
maladroitement mais je lui cloue le bec d'une réplique bien sentie, et lui demande l'adresse d'une
auberge tranquille sur la rive ouest du Suiddock où se trouve le commerce de Jean Ty. Le garçon me
conseille de nous rendre à l'auberge du griffon, dans le quartier de Sikkeleiland. J'opine du chef, me
gardant d'indiquer à Rodrigo que je connais cette auberge et qu'il s'agit effectivement d'un bon choix.
Rassurée sur les intentions du jeune voleur, je lui demande où je pourrai le trouver si j'ai besoin de
lui. "A l'auberge du griffon pardi", me répond t'il avec malice. Je souris à nouveau et lui donne congés.
Ne se faisant pas prier, Rodrigo se carapate en nous adressant un salut sonore. Je retranscris les
propos du garçon à mes compagnons en omettant les références trop appuyées au monde de la
maraude, sans éviter un regard soupçonneux de Konrad, qui m'interroge sur la profession de Rodrigo.
Je détourne la conversation et propose de faire les poches du brigand que j'ai refroidi : le butin est
maigre, constitué d'une dague et d'un long coutelas.

Nous sortons de la ruelle pour regagner


notre chariot et rejoindre Isham et
Aymerich, qui nous attendent
fébrilement. Menno les rassure en
résumant notre échauffourée et nous
reprenons notre chemin vers l'ouest et
le quartier de Sikkeleiland. La nuit
tombe enfin et les milliers de lumières
de la cité s'allument les unes après les
autres, illuminant les canaux de reflets
mordorés. Nous franchissons le pont du
Draaienbrug et cheminons un bref
moment en direction du nord, pour
atteindre enfin l'auberge du griffon,
située à un jet de pierre du canal de
Bruynwater. Nous laissons nos deux
chevaux aux bons soins du palefrenier
avant de pénétrer dans l'établissement.
L'aubergiste, un homme corpulent doté
d'une moustache impressionnante, se
prénomme Karl Hoff. Je négocie avec lui
le prix de la dernière chambre
disponible de l'auberge, mais n'obtiens
qu'une remise de quelques pistoles.
L'homme est néanmoins plutôt
sympathique et nous engageons
facilement la conversation, tandis que

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nous nous attablons pour prendre notre repas. Konrad l'interroge sur la localisation exacte de
l'entrepôt de Jean Ty. A la mention du nom du brasseur, Karl Hoff prend un air de conspirateur et, à
voix basse, nous rapporte une mauvaise et triste nouvelle : Jean Ty est actuellement emprisonné sur
l'île de Rijker, pour le meurtre de son associé, de la femme de celui-ci et de leurs deux enfants. Le
brasseur sera jugé et, avec une quasi certitude, exécuté dans une semaine. Dans l'attente du
jugement, l'entrepôt de Jean Ty a été mis sous scellés. La récupération de notre chargement de bière
nous paraît bien compromise. Karl Hoff nous mine un peu plus le moral lorsqu'il nous affirme que la
bière est devenue une denrée rare à l'approche du tournoi de bloodbowl qui aura lieu dans un mois.
Son récit achevé, l'aubergiste va vaquer à d'autres occupations en nous laissant tous songeurs. Après
un bref débat, nous décidons d'attendre le lendemain pour nous rendre à l'entrepôt et tenter, sans
grand espoir, de récupérer notre marchandise. Menno nous salue pour aller dormir dans l'étable
tandis que nous regagnons notre modeste chambre, espérant que la nuit porte conseil.

Je me réveille tardivement le lendemain matin, bien après le lever du soleil, pour rejoindre mes
compagnons qui achèvent leurs petits-déjeuners. La grande salle est déjà à moitié pleine et j'avise
Thomas en train de converser avec un homme dégingandé, vêtu de vêtements à l'air fatigué.
L'homme me jette un regard perçant et croisant les doigts, m'informe discrètement de son
appartenance à la "confrérie". La facilité avec laquelle l'information a déjà circulé m'inquiète un peu.
Je prie Ranald pour que la confiance que j'ai placé en Rodrigo ne soit pas une grossière erreur.
Thomas invite l'homme à notre table et j'entame avec lui la conversation de manière badine, sans
révéler à mes amis notre connivence. Le confrère se présente sous le nom d'Handschön, cocher de
son état. En réponse à nos nombreuses questions, il nous confirme le récit de l'aubergiste à propos
de Jean Ty, et le peu de chance que nous avons de récupérer les fûts de bière. Le remerciant pour ses
conseils, nous quittons l'auberge en milieu de matinée pour nous rendre à l'entrepôt du brasseur.

Nos remontons les quais déjà noirs de monde profitant, à l'exception de


Menno, de l'animation du Suiddock. Au milieu des marins de diverses
contrées, des marchands, camelots, dockers, mendiants, tire-laines,
femmes de petite vertu et autre faune interlope, j'attire l'attention de mes
compagnons sur un bâtiment de pierre situé le long du canal de
Bruynwater dont le fronton est orné d'armoiries associant un sanglier et un
tonneau. La demeure est protégée par de nombreux gardes accompagnés
de molosses à la taille impressionnante. J'explique à mes camarades que
cet immense logis appartient à la famille des Van Scheldt, l'une des maisons
marchandes les plus puissantes de la cité, membre du directorat. Peu de
temps après, nous arrivons à notre destination. L'entrepôt de Jean Ty est gardé par six coiffes noires,
armées de hallebardes et d'arbalètes. Nous approchons d'un des miliciens pour lui exposer notre
situation et notre souhait de récupérer la bière commandée par Mayeur. Notre bonne foi et les
papiers prouvant l'achat de la marchandise n'y font rien. Le garde nous confirme malheureusement
les dires de l'aubergiste et du cocher. L'entrepôt est scellé et l'ensemble des biens de Jean Ty a été
placé sous la garde du clergé d'Handrich. Menno demande à notre interlocuteur si il est possible de
faire reconnaître nos droits auprès du temple. Avec un sourire narquois, le garde confirme qu'en
théorie c'est possible, mais que la procédure sera longue et bien plus coûteuse que la valeur de la
marchandise. En bonne marienbourgeoise, je ne peux que confirmer les propos du membre des
coiffes noires. Un peu abattus, nous décidons de rentrer à l'auberge du griffon pour discuter de la
suite à donner à ces évènements forts contrariants.

Alors que nous approchons à nouveau du canal deux hommes vêtus de manière élégante, la rapière
au côté, accostent notre ami Thomas. Ils le saluent avec grâce en le priant de l'accompagner sur un
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bateau situé non loin de là. Un peu interloqué Thomas, qui ne semble pas connaître ces individus,
leur demande qu'elle est la raison de leur invitation. Ces derniers ne répondent pas et, tout se
voulant rassurants, réitèrent leur requête. Après un bref conciliabule, Thomas accepte de les suivre à
la condition de ne pas y aller seul. J'éprouve un coupable soulagement lorsque notre ami demande à
Konrad de l'accompagner. Menno, Aymerich, Isham et moi attendons avec inquiétude le retour de
nos compagnons. Fort heureusement, nos deux amis reviennent au bout d'à peine une demi-heure.
Thomas nous explique qu'ils ont été conduits sur un navire pour rencontrer un elfe de belle
prestance, répondant au nom d'Arion, qui leur a exposé de manière succincte sa demande :
récupérer le trident que nous avions trouvé dans les marais, appartenant en réalité au peuple elfique.
Konrad complète le propos en soulignant que l'elfe, sous des dehors aimables, ne leurs a guère laisser
le choix. Nous nous trouvons donc délestés d'un objet magique de valeur sans avoir touché un liard
en contrepartie. Je peste intérieurement, tout en étant bien consciente que nos deux compagnons ne
pouvaient faire autrement.

Cet épisode, qui s'ajoute à la forte probabilité de ne pas pouvoir récupérer le chargement de bière,
me met de méchante humeur. Je propose donc à mes compagnons de se rendre dans un estaminet
de ma connaissance, la taverne du kraken rouge, pour faire le point sur les options qui s'offrent à
nous et, incidemment, nous envoyer quelques verres. L'établissement est conforme à mes souvenirs :
bondé dès le milieu de la journée, avec une clientèle constituée essentiellement de marins,
marchands et artisans. Une fois attablés, je recommande à mes amis un aquavit norsce. Les tournées
s'enchaînent et contribuent à
nous rendre un peu plus
guillerets, tandis que nous
échangeons sur les suites à
donner à notre équipée. Menno
évoque en premier lieu la
possibilité de libérer Jean Ty,
mais l'idée est rapidement
écartée : la forteresse de Rijker
est réputée imprenable et notre
chance de réussite est proche de
zéro. L'ovate propose ensuite de
nous rendre au temple
d'Handrich pour obtenir
l'autorisation de récupérer notre
marchandise. Là encore, l'idée est séduisante mais n'a guère plus de chance d'aboutir. Au final seules
deux solutions paraissent envisageables : rentrer à Leydenhoven sans le chargement ou cambrioler
l'entrepôt pour récupérer notre bien. La première option est défendue par Konrad et surtout Menno,
qui considère que Marienburg est un lieu de perdition et que nous n'avons rien à gagner à y rester un
seul jour de plus. De mon côté je suis bien sûr favorable au cambriolage de l'entrepôt, qui est la seule
manière d'obtenir notre dû. C'est aussi pour moi l'occasion de renouer avec le "métier" et surtout de
rester en ville pour continuer mon enquête. Thomas partage mon point de vue, et suggère de voler
uniquement ce qui correspond au préjudice que nous avons subit. Maraude oblige, je n'ai aucun mal
à convaincre Aymerich de voter pour l'option du cambriolage. Quant à Isham, il suffit de lui faire
miroiter la possibilité de gagner quelques guilders de plus pour emporter son soutien. L'affaire et
donc entendue. Je suggère de rentrer à l'auberge pour retrouver Rodrigo et essayer d'obtenir son
aide pour l'opération. De retour à notre logis, nous attendons quelques heures avant de voir le jeune
tire-laine entrer dans l'établissement. je lui explique notre plan et lui demande son aide. Rodrigo

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accepte assez facilement de nous donner un coup de main en jouant diversion auprès des gardes de
l'entrepôt. Il refuse par contre tout net de participer au cambriolage, me rappelant qu'il est un simple
tire-laine et qu'il ne tient pas à se voir "réprimander" par la guilde pour avoir désobéi à la loi du
milieu. Lui rappelant sa dette à notre égard, je lui demande a minima de trouver des gars sûrs pour
faire le coup. Rodrigo promet de faire le maximum et de revenir nous voir le lendemain midi. La
journée s'achève de meilleure façon qu'elle n'a commencée. Pourtant, je n'arrive pas à me départir
d'un sentiment d'inquiétude, craignant que mon déguisement ait été percé à jour ou pire, que
Rodrigo ou Handschön aient découvert ma véritable identité et décidé de me trahir. Ces sombres
pensées ne m'empêchent pas de trouver le sommeil et, après avoir regagné notre chambre, je
m'endors rapidement en priant Ranald de m'accorder sa protection.

Notre deuxième journée à Marienburg commence


sous un ciel chargé, le soleil peinant à percer les
lourds nuages provenant des landes amères. Pour
une fois, je me réveille à peu près en même temps
que mes compagnons. Nous nous rendons de
concert dans la salle commune pour prendre un
petit déjeuner roboratif mais sans saveur. A peine
avons nous achevé notre repas que la porte de
l'auberge s'ouvre sur un elfe de noble allure, paré
d'atours chatoyants. J'ai beau avoir croisé à
plusieurs reprises des elfes des mers à Marienburg,
leur vue me saisi à chaque fois. Leurs visages à la
fois magnifiques et étranges, leur regards intenses et leurs gestes pleins de grâce me déroutent et me
ravissent à la fois. Je me reprends toutefois rapidement, un peu inquiète à l'idée que l'elfe vienne
pour nous. D'une voix profonde ce dernier nous adresse un "merci", bref et mélodieux. Mon
inquiétude se confirme lorsque tous les regards se tournent vers nous, tandis que l'elfe remet à
chacun d'entre nous un présent, pour nous remercier d'avoir rendu au peuple elfique le trident
magique. Je tente de faire preuve de gratitude alors que l'elfe me tend une paire de bottes noires de
belle facture, m'expliquant que celles-ci permettent de faire preuve d'une extrême discrétion et
d'emporter avec moi de lourds objets sans être encombrée. Ma couverture de pâtre nommé Bobby
en prend un coup, tandis que l'elfe remet à mes compagnons des objets magiques plus
extraordinaires les uns que les autres : un médaillon d'adamantite pour Konrad, une bourse magique
pour Isham, un arc et des flèches pour Aymerich, un anneau elfique pour Menno et une magnifique
épée pour Thomas, nommée Vallental. Une fois ses cadeaux remis, l'elfe se fend d'une révérence et
nous salue, nous assurant à nouveau de sa profonde reconnaissance.

J'ai à peine le temps de retrouver mes esprits que Rodrigo fait son entrée dans l'établissement,
accompagné d'Handschön. Tout sourire, le jeune malandrin me tend une affiche sur laquelle figure
mon portrait de jeune fille m'accusant de dénonciation calomnieuse et promettant une récompense
de cinq guilders pour ma capture. Les regards soupçonneux de mes amis m'obligent à ressortir
l'histoire de mon mariage forcé, qui m'a conduit à fuir Marienburg. J'essaye de maintenir une
apparente décontraction, même si mon inquiétude se mue désormais en angoisse : je suis désormais
à peu près persuadée que ma couverture est éventée et que c'est une question d'un ou deux jours
avant que les assassins des membres de la Ferlingante ne retrouvent ma trace. Handschön enfonce le
clou en m'appelant mademoiselle, alors qu'une servante hobbit s'approche de notre table en me
faisant le signe de Ranald. Rodrigo nous présente avec un enthousiasme non feint la servante hobbit,
contrebandière de son état, nommée Pasta Chutta. Cette dernière nous explique qu'elle connaît un

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moyen pour s'introduire par le toit dans l'entrepôt de Jean Ty. Je lui demande si elle connaît un
moyen d'en sortir, notamment par les nombreux tunnels qui percent le sous-sol de Marienburg. Sans
se démonter, la confrère me répond qu'elle pense qu'un tunnel débouche dans l'entrepôt mais quel
n'en est pas sûr. L'échange se poursuit un moment puis, prenant une profonde inspiration, je résume
la situation : la majorité de mes compagnons souhaite que nous nous emparions des tonneaux de
bière de Jean Ty, pour respecter notre contrat et surtout parce que la bière est devenue une denrée
rare ; la contrebandière nous propose de rentrer dans l'entrepôt par le toit, sans savoir si nous
pourrons ressortir par un autre endroit ; Handschön nous attendra sur le canal de Bruynwater, à un
lieu encore indéterminé ; les trois compères nous réclament chacun un quart des gains de
l'opération, nous laissant le dernier quart à nous partager. Adressant une prière muette à Ranald, je
laisse la folie - ou la chance - l'emporter sur la sagesse. Mes compagnons et moi acceptons l'accord et
Pasta Chutta nous donne rendez-vous à la nuit tombée.

Le reste de l'après-midi se déroule sans


évènement notable, jusqu'à ce que quelqu'un
vienne toquer à la porte de notre chambre.
Tandis que Konrad ouvre l'huis avec précaution,
un homme au teint hâlé apparaît sur le seuil.
Isham pousse un cri d'exclamation et s'avance
vers l'individu pour le serrer dans ses bras. Le
mercenaire nous présente son frère, Akim. Ce
dernier semble très préoccupé et nous explique
qu'il est venu requérir l'aide d'Isham. Sa
maîtresse, Klara de Roelef, va être forcée de se
marier avec un jeune noble qu'elle abhorre. La
jeune femme est retenue par sa famille et Akim
espère qu'Isham pourra aider sa maîtresse
d'une manière ou d'une autre. En proie à un
conflit intérieur, le mercenaire fini par répondre
à son frère qu'il ne pourra l'aider qu'une fois sa
présente mission achevée. Je tente de rassurer
le mercenaire en lui disant que notre mission
trouvera très certainement une fin rapide,
quelqu'en soit l'issue. Après le départ d'Akim,
nous attendons avec une impatience certaine la
tombée de la nuit. Une heure après le coucher
du soleil, nous retrouvons l'halfeling à proximité de l'auberge du griffon. Pasta Chutta est
méconnaissable : vêtue de cuir noir, elle à le visage couvert de suie et son regard luit d'une résolution
farouche. Nous lui emboîtons le pas, alors qu'elle s'engage dans d'étroites ruelles. La grincheuse
connaît son affaire et nous fait faire des tours et des détours pour s'assurer de ne pas être suivie. je
ne suis pas certaine que cela suffise pour semer des larrons de la haute pègre, même si cela me
rassure un peu. Au bout d'un long moment, Pasta Chutta nous désigne un mur pentu en brique et
nous invite à l'escalader. Nous arrivons avec quelques difficultés au sommet pour apercevoir la
silhouette de l'entrepôt de Jean Ty, illuminé par les torches des coiffes noires. L'halfeling s'engage
avec assurance sur une longue planche qui permet de rejoindre le toit du bâtiment. Menno, Aymerich
et Isham franchissent l'obstacle sans problèmes tandis que Konrad, Thomas et moi faisons assaut de
maladresse. Après moults péripéties nous parvenons enfin de l'autre côté. La contrebandière fait un
signe à l'adresse de Rodrigo, dissimulé dans une venelle toute proche, avant de soulever une trappe

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située sur le toit. Je me glisse en silence derrière la hobbit tout en maudissant mes autres
compagnons, aussi discrets qu'une troupe de nains foudroyeurs. Fort heureusement, la diversion de
Rodrigo et des membres de sa bande arrive à point nommé.

Nous entendons les cris des gardes et les bruits de cavalcade avant même de toucher le sol.
L'intérieur du bâtiment est encombré de tonneaux et l'odeur forte du houblon sature l'atmosphère.
Konrad fait un geste en pointant du doigt une forme affalée sur le sol. Il s'agit d'un homme de forte
carrure, dont la gorge a été proprement tranchée. Après un rapide tour du propriétaire, nous
découvrons trois autres cadavres. Pendant que mes compagnons s'intéressent aux tonneaux de bière,
je me rends dans ce qui semble être le bureau de Jean Ty, suivie par Thomas. Avec l'oeil d'une
professionnelle, j'avise rapidement une statuette, un stylet d'argent et un tableau de maître que je
dissimule dans mes bottes magiques. En décrochant le tableau, je découvre un coffre dissimulé dans
le mur, équipé d'une serrure à l'aspect complexe. A ce moment précis, j'entends comme une voix, un
chuchotement issu des ombres qui m'enveloppe, me cajole et me conforte. Emplie d'une confiance et
d'un optimisme renouvelés, je tire ma dague en murmurant le nom de Ranald, le mystificateur divin,
prince des voleurs et rôdeur de la nuit. Par miracle, la serrure s'ouvre en quelques secondes. "Ceci est
le signe" me dis-je. "Et la solution à mes problèmes et ceux de mes compagnons". Thomas fait mine
de s'emparer du contenu du coffre mais je lui adresse un sourire enjôleur et apaisant en lui désignant
mes bottes, dans lesquelles je glisse deux bourses rebondies, un registre et plusieurs parchemins.
"Fais donc confiance à la petite Elisa" lui dis-je en lui faisant un clin d'oeil. Nous rejoignons nos
compagnons, qui ont réussi à engager six fûts de bière sur des rails. Par je ne sais quel miracle, Pasta
Chutta a découvert un passage secret qui nous permet de sortir la cargaison de manière discrète.
Nous nous engageons dans un tunnel pour se retrouver quelques minutes plus tard devant une
lourde grille de fer, fermée par un cadenas. En état de grâce, je sors à nouveau ma dague et sans
efforts, je parviens à crocheter le verrou. Je murmure alors discrètement, tandis que la lueur
gibbeuse de la lune se reflète sur mon visage : "Les ombres sont tes maîtresses, la nuit est ton
royaume".

L'enchantement du moment est brisé par un appel de


Menno. Quatre dockers gisent sur le sol, leurs
dépouilles atrocement mutilées. A ma gauche, Konrad
pousse un cri d'alerte. Un rat immense de forme
humanoïde se dresse devant lui, tenant une épée
courbe dans la main. Konrad et Isham engagent le
combat contre ce monstre alors qu'à quelques coudées
sur ma droite, une autre créature sort de l'ombre pour
se jeter sur moi et Thomas. Fort heureusement, le
combat s'achève rapidement. Malgré leur férocité, nos
adversaires sont en infériorité numérique et
succombent prestement, Isham et Thomas portant le
coup fatal. Par précaution, je m'assure du trépas de
notre adversaire en lui plantant mon sabre dans le
coeur. A peine avons nous soufflé que nous apercevons un bateau à quai qui commence à s'engager
sur le fleuve. Konrad sort son arc et plante une flèche dans le bras du marin qui largue les amarres.
Bien que blessé le marin fait mine de continuer ; une lame transperce soudain son sternum et il
s'effondre sur le pont. Avec un large sourire, Handschön apparaît derrière le matelot et nous invite à
le rejoindre. Comme un seul homme, mes compagnons se ruent en direction de l'embarcation en
portant les fûts de bière, tandis qu'un combat s'engage avec les autres marins.

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Restée en arrière, calme et sereine, je me débarrasse des oripeaux de mon déguisement avant de
marcher en direction du bateau. Au moment où l'esquif commence à s'éloigner du quai, mes
compagnons se retournent en me hélant. Je me fends alors d'une belle révérence et leurs adresse
avec un large sourire les paroles suivantes, d'une voix haute et claire : "Elisa et la guilde de la
Ferlingante vous saluent bien". Eclatant de rire devant l'air ahuri de Thomas, je bondis vers la ruelle la
plus proche, les laissant à leur destin. Les dés sont jetés. S’ils ne le savent pas déjà, ceux qui voulaient
la perte de la bande de la Ferlingante vont bientôt apprendre que son dernier membre est en ville. Et
sortir de leur terrier pour partir en chasse, sous le regard attentif des serviteurs de Ranald. Quant à
mes compagnons, ils apparaissent désormais comme les victimes d'une simple arnaque et, a minima,
comme de farouches opposants à ma modeste personne. Je prie les dieux pour que cela suffise à
épargner leurs vies !

Quelques pas plus loin, je grimpe à la


Tour de Van Heljan, un ancien phare
abandonné bordant le canal du
Brynwater. Les larmes aux yeux,
j'assiste à la conclusion de notre
aventure. Mes compagnons
affrontent un monstre marin à
l'aspect démoniaque, sur lequel est
juchée une silhouette psalmodiant
des paroles impies. Alors que je suis
persuadée que tous mes amis vont
passer de vie à trépas, Konrad
encoche une flèche à son arc et d'un
geste assuré, transperce l'oeil du
sorcier. Avec un hurlement à glacer le
sang, l'homme s'effondre et disparaît
avec la bête immonde dans les flots.
Je regarde la lune et souris "il fallait
attendre le signe" me dis-je. Je
descends de la tour pour rejoindre les
ombres et me rendre chez le
Voyageur, car lui seul peut désormais
m'aider.

Tous les sens en alerte, je parcours les rues de la cité vers ma destination, à l'affût de la moindre
menace. Presque une heure plus tard, j'arrive devant la porte familière. Je tends un guilder au
mendiant avachi contre le mur en torchis, chuchotant les paroles rituelles : "Pour le divin félin, puisse
le doux lait à un sequin ravir son palais". La porte refermée, je me tiens dans l'étroit vestibule, où
presque un an plus tôt, je pleurais la mort de ma mère, les mains encore couvertes de son sang.
Comme un automate je décroche la torche qui orne le mur et m'engage dans le couloir lambrissé de
bois usé par les ans. J'ouvre la porte de bronze et, récitant le dis du voyageur, commence à descendre
l'escalier de pierre. Il serait fastidieux et surtout puni de mort de décrire le chemin que j'empruntais
cette nuit là, guidée par les signes de la maraude. Après un long moment, perdue dans mes
souvenirs, je me retrouve devant la Porte, ornée du Chat, de la Croix et du Corbeau. "Une seule
chance, m'avait-il dit". La porte s'ouvre devant moi en silence tandis que je pénètre dans le temple,
dont nul ne doit prononcer le nom, ni décrire les richesses sublimes qu'il renferme. Dans la

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pénombre, je distingue sa silhouette. Je fais quelques pas pour m'agenouiller humblement à ses
pieds puis me redresser, fière et tremblante de peur. "Tu es belle Elisa, encore plus que ta mère, et
trop jeune pour rejoindre le royaume de Morr" me dit t'il dans un murmure, d'une voix rauque qui
me fait frémir d'effroi et d'un coupable désir. "Pèse bien mes mots, car ils seront rares et
commanderons ton destin. J'accepte ton offrande, car elle servira à sauver la vie d'un innocent. Ta
dîme je te la laisse, car elle est due en partie à tes compagnons de maraude et m'importe peu. Quant
à la vie, tu la dois à la mission que je vais te confier. Tu partiras à l'aube, pour remettre ce parchemin
au comte Théodosius, qui réside à Kreutzhofen, loin au sud de l'Empire, dans les montagnes grises.
Va, ma fille et lorsque tu reviendras à Marienburg, tu sauras de qui tu dois te venger, car les serviteurs
du prince de la nuit vont veiller".

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