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Cas clinique

Une infection humaine à poxvirus : l’orf


Steven Henrya,*, Olivier Ferrarisb, Gaelle Frénois-Veyratb, Michel Segondya, Didier Bessisc,
Charlie Zinsa, Quentin Samaranc, Vincent Foulongnea
a Laboratoire de virologie, CHU de Montpellier, 80 avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France
b CNR-LE – Orthopoxvirus, institut de recherche biomédicale des Armées, unité de virologie, 1 place Valérie-André,
91220 Brétigny-sur-Orge, France
c Département de dermatologie, CHU de Montpellier, 80 avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : steven-henry@chu-montpellier.fr (S. Henry).

RÉSUMÉ
L’orf, ou ecthyma contagiosum, est
une zoonose cosmopolite respon-
sable chez l’homme de lésions cuta-
nées papuleuses évoluant vers des
nodules durant plusieurs semaines
jusqu’à guérison complète sponta-
née. L’infection se fait par contact
direct ou indirect avec un virus du
genre Parapoxvirus après dissé-
mination par un petit ruminant de
la famille des ovins ou des caprins.
Le diagnostic, bien que facilement
orienté par le contexte et la cli-
nique, est confirmé par un examen
histologique et une PCR sur la lésion.
Nous rapportons ici un cas classique
d’infection à orf virus survenu chez

© muratart/Stock.adabe.com
un éleveur de brebis.

MOTS CLÉS
◗ ecthyma contagiosum
◗ orf
◗ poxvirus
◗ zoonose
ABSTRACT
Orf: a human poxvirus infection
KEYWORDS
Orf, or ecthyma contagiosum, is a worldwide zoonosis causing epider-
◗ ecthyma contagiosum mal lesions in humans that progress for several weeks from papules
◗ orf to nodules until total spontaneous recovery. Infection occurs through
◗ poxvirus direct or indirect contact with a virus of the Parapoxvirus genus after
◗ zoonosis dissemination by small ruminants of the sheep or goat family. The dia-
gnosis, although easily guided by the context and clinical examination, is
© 2022 – Elsevier Masson SAS confirmed by histological analysis and PCR on the lesion.We report here
Tous droits réservés. a classic case of orf virus infection in a sheep farmer.

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Cas clinique

Introduction Il s’agit d’infections occupationnelles acquises au contact


d’animaux infectés. Exceptionnelle à partir d’animaux de
Les poxvirus sont des virus ovoïdes de grande taille, à la faune sauvage (deerpox virus, Sealpox virus), l’infec-
ADN double brin. Ils sont regroupés dans la famille des tion est par contre plus fréquente au contact d’ani-
Poxviridae comportant des représentants qui infectent maux d’élevage. On retrouve ainsi le nodule du trayeur
les insectes et de nombreux vertébrés. Ces virus ont provoqué par le pseudocowpox virus (PCPV), ou le
un tropisme préférentiel pour les épithéliums cuta- virus de la stomatite papuleuse bovine, deux virus dis-
néo-muqueux sur lesquels ils induisent des lésions tincts qui infectent le bétail, mais également l’orf, due
pustuleuses à l’origine de leur dénomination « pox ». à l’orf virus (ORFV), responsable d’une infection chez
L’homme est l’hôte exclusif et le réservoir de deux pox- les petits ruminants aussi appelée ecthyma contagiosum.
virus : d’une part, la redoutable variole désormais éradi-
quée depuis 1980, et d’autre part, le Molluscum contagio-
sum responsable de manifestations cutanées fréquentes Observation
et le plus souvent bénignes.Toutes les autres infections
humaines à poxvirus sont d’origine zoonotique asso- Un homme âgé de 59 ans est adressé dans le service de
ciées à des réservoirs animaux distincts. Certaines de dermatologie pour des lésions prurigineuses et ulcérées
ces anthropozoonoses à poxvirus du genre Orthopoxvi- au niveau de la main droite. L’examen clinique retrouve
rus, proches du virus de la variole, tels que le cowpox- la présence de trois nodules ulcérés sur la face dorsale
virus ou le monkeypoxvirus, sont considérées comme : une en regard du premier métacarpien, une en regard
potentiellement émergentes du fait de la perte de la du cinquième métacarpien et une autre au niveau de
protection variolique notamment. Elles restent excep- l’articulation interphalangienne proximale de l’annulaire
tionnelles mais peuvent être sévères car, comme la (figure 1a). Il met également en évidence la présence
variole, elles peuvent être accompagnées de manifesta- d’une autre lésion de la face palmaire de la main en
tions systémiques. La plupart des poxvirus zoonotiques regard de la première commissure interdigitale, avec
ne s’expriment toutefois que par des lésions cutanées un aspect pseudo-bulleux et hématique avec une péri-
qui sont dues à des membres du genre parapoxvirus. phérie érythémateuse (figure 1b).

Figure 1. Nodules d’orf ulcérés

© Service de dermatologie. CHU de Montpellier

a. Face dorsale de la main droite, trois lésions nodulaires : une en regard du premier métacarpien, une en regard du cinquième
métacarpien et une au niveau de l’articulation inter-phalangienne proximale de l’index.
b. Face palmaire : une lésion au niveau de la première commissure interdigitale.

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Ces lésions évoluent depuis une dizaine de jours et ou les gencives peuvent conduire à une dénutrition de
sont localisées uniquement au niveau de la main droite. l’animal [2]. La transmission se fait par contact direct
Le patient ne présente pas d’antécédent particulier et cutanéo-muqueux ou de manière indirecte à partir de
personne dans son entourage ne rapporte de lésions fomites, puisque le virus est capable de résister plus
similaires. Il n’a pas non plus voyagé récemment. L’in- d’un mois dans l’environnement. Des cas de transmis-
terrogatoire révèle par ailleurs qu’il travaille comme sion ont pu être observés à partir de laine de mouton
éleveur de brebis dans l’Hérault (34) et que ses lésions ou de matériel d’élevage et d’abattage [3,4].
sont apparues suite à la traite d’une brebis, qui présen- La transmission à l’homme est accidentelle par
tait elle-même des lésions sur les mamelles. contact avec les lésions de l’animal infecté ou par
Le reste de l’examen clinique est normal, les aires contact indirect. La contamination inter-humaine est
ganglionnaires sont libres, l’auscultation cardiopul- rare. La période d’incubation est de l’ordre de trois à
monaire et l’examen abdominal sont sans particu- sept jours, à la suite de laquelle des lésions papuleuses
larités. Le bilan biologique – numération de formule non douloureuses apparaissent, le plus souvent au niveau
sanguine (NFS), urée, créatinine, ionogramme, bilan des doigts, des mains, ou des avant-bras. Ces papules
hépatique et Protéine C réactive (CRP) – est normal. évoluent en nodules entourés d’un halo érythéma-
Devant l’aspect des lésions et le contexte de contact teux donnant un aspect en cocarde. Après quelques
avec une brebis, le clinicien suspecte une infection à semaines, les lésions sèchent pour devenir croûteuses
ORFV. Deux biopsies (punch) ont été réalisées, et disparaissent en ne laissant pas de cicatrice.
l’une pour l’anatomopathologie (recherche La maladie est donc relativement bénigne,
d’une dermatose neutrophile en his- sans atteinte systémique et sans alté-
tologie, pour éliminer ce diagnos- ration de l’état général en l’absence
tic différentiel) et l'autre pour le de contexte d’immunodépression
laboratoire de virologie qui sera La transmission se sévère ou d’atteinte sur lésions
transmise au Centre national fait par contact direct de grands brûlés [5]. Aucun trai-
de référence laboratoire expert tement spécifique n’est requis, la
des orthopoxvirus (Institut cutanéo-muqueux prise en charge consiste unique-
de recherche biomédicale des ou de manière indirecte ment en des soins locaux avec
Armées, Brétigny-sur-Orge). à partir de fomites désinfection régulière des plaies
L’analyse histologique décrit une afin de prévenir la surinfection
hyperplasie épidermique peu spé- bactérienne : il s’agit de la principale
cifique et non contributive alors que complication de cette affection, même
la PCR est positive pour un parapoxvi- si des formes à type d’erythème poly-
rus du genre ORFV et confirme le diagnostic morphe, d’érysipèle ou de lymphangite ont pu
d’ecthyma contagiosum ou orf. être décrites [3,6].
La prise en charge consiste en des soins locaux (lavage En France, l’ecthyma contagiosum s’observe surtout chez
à l’eau et au savon, désinfection à l’antiseptique et les éleveurs, comme dans le cas présenté ici. L’infec-
pansements secs). Une ordonnance pour une antibio- tion est donc bien souvent connue des professionnels
thérapie probabiliste par pristinamycine, un gramme de l’agro-alimentaire, mais peut également toucher des
trois fois par jours pendant sept jours, est également publics moins avertis, comme lors des périodes de fêtes
remise, afin de commencer ce traitement en cas d’ap- religieuses pratiquant l’abattage rituel [4,7]. La préven-
parition de signes locaux de surinfection bactérienne tion de cette maladie implique le lavage des mains et
(écoulement purulent, majoration de l’érythème ou des le port de gants lors de la manipulation des cadavres
douleurs, apparition d’une fièvre). animaux ou de la viande, la désinfection des locaux et
du matériel utilisé et la mise en quarantaine des ani-
Discussion maux malades au sein du troupeau. La vaccination des
cheptels est également possible, par autovaccins prépa-
L’infection à ORFV est à l’origine de lésions cutanées rés à partir de lésions d’animaux malades ou bien par
principalement localisées en périphérie du museau un vaccin commercial, mais cette vaccination ne confère
ou des mamelles chez les ovins et les caprins [1]. pas une immunité durable [8].
Après deux à trois jours d’incubation, des bulles pru- Même si la pathologie est peu commune, l’évocation du
rigineuses, suintantes et contagieuses se développent. diagnostic demeure assez simple lorsque la notion d’ex-
Dans certains cas, des formes graves affectant la langue position à des animaux est connue. Les quelques rares

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diagnostics différentiels qui pourraient être évoqués des souches en circulation afin d’identifier des variants
devant l’aspect des lésions cutanées sont par exemple singuliers [11,12] ou de détecter des poxvirus exo-
des lésions de nodules du trayeur, impliquant d’autres tiques d’importation à potentiel risque d’émergence [8].
parapoxvirus, des lésions de leshmaniose cutanée, des
granulomes d’infection fongique ou à mycobactéries,
un kératoacanthome ou une dermatose neutrophilique
Conclusion
(notamment dans la variante dite « du dos des mains »).
Bien qu’endémique, l’infection humaine à ORFV reste
Le recours au diagnostic biologique n’est donc que très
relativement peu rapportée en France de par sa clinique
rarement nécessaire lorsque les lésions et le contexte
bénigne et spontanément résolutive et sa bonne
sont évocateurs, mais il permet toutefois de confirmer
connaissance par les populations majoritairement exposées.
le diagnostic sans ambiguïté.
Toutefois, une prise en charge adaptée est nécessaire
L’analyse histologique par microscopie optique montre
afin de prévenir les complications et la dissémination
classiquement un infiltrat inflammatoire, des kérati-
de ce virus hautement résistant dans l’environnement.
nocytes vacuolisés ou encore une spongiose épider-
Dans un contexte de contact avec des petits ruminants
mique [9]. Dans le cas présent, l’aspect caractéristique
associé à une clinique caractéristique, la suspicion d’une
de l’infection à ORFV n’a pas été observé, suggérant
contamination par l’ORFV doit être évoquée. ❚❚
un manque de sensibilité de l’histologie par rapport
à la biologie moléculaire. En effet, c’est la PCR qui a
permis de confirmer le diagnostic clinique [10]. La bio- Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne
logie moléculaire est également utile à la surveillance pas avoir de liens d'intérêts.

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