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TD de droit administratif général (2e semestre) – Le contrôle de l’administration - L2 droit Marseille 2021-2022

FICHE 3
LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE (I)

DOCTRINE

Pour approfondir le cours

• E. DUBOUT, « Faut-il tuer les catégories de fautes en droit administratif ? », RDP, 2009,
p.1341.
• J. BETAILLE, « Le préjudice écologique à l’épreuve de l’Affaire du siècle : un succès
théorique mais des difficultés pratiques. », AJDA, 2021, p.2228.

JURISPRUDENCE

Lisez les arrêts reproduits ci-après et répondez de manière argumentée aux questions posées

• CE, 24 juin 2019, EARL Valette, n° 407059


• CE, 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, n° 49595/ TC, 19 mai 2014, Mme E…B…c. Maire de
Ventabren n° C3939
• CE Ass., 12 avril 2002, M. Papon, n° 238689
• CE Ass., avis, 6 juillet 2016, Napol, n° 398234
• CE, 22 novembre 2019, Consorts Bujon, n°422655

CAS PRATIQUE
• Résoudre le cas pratique exposé à la fin de la fiche, en prenant soin de justifier de manière
précise vos réponses

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I – JURISPRUDENCE

CE, 24 juin 2019, EARL Valette

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'entreprise agricole à responsabilité
limitée (EARL) Valette, qui exploite des vergers de pêchers et d'abricotiers à Saint-Marcel-lès-
Valence (Drôme), a dû procéder à l'arrachage d'arbres fruitiers entre 2003 et 2010 en exécution
d'arrêtés du préfet de la Drôme pris entre 2004 et 2010 prescrivant l'arrachage de toute parcelle
présentant un taux de contamination par le virus de la sharka, selon les années, de 5 % et plus ou
de 10 % et plus. Elle a recherché la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qu'elle estime
avoir subis du fait de l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme. Par un jugement du 1er avril
2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. La cour administrative d'appel de
Lyon a rejeté l'appel qu'elle a formé à l'encontre de ce jugement par un arrêt du 22 novembre 2016,
contre lequel elle se pourvoit en cassation
[…] 2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi
du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge
administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits
par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les
circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision
aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la
conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.
3. Selon l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au
litige : " I. - Le ministre chargé de l'agriculture peut prescrire par arrêté les traitements et les mesures
nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles inscrits sur la liste prévue à
l'article L. 251-3. Il peut également interdire les pratiques susceptibles de favoriser la dissémination
des organismes nuisibles, selon les mêmes modalités. / II. - En cas d'urgence, les mesures ci-dessus
spécifiées peuvent être prises par arrêté préfectoral immédiatement applicable. L'arrêté préfectoral
doit être soumis, dans la quinzaine, à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ". L'article
1er de l'arrêté ministériel du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux,
produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire énonce que " la lutte
contre les organismes nuisibles mentionnés en annexe A du présent arrêté est obligatoire, de façon
permanente, sur tout le territoire métropolitain ou dans les départements d'outre-mer, dès leur
apparition, et ce quel que soit le stade de leur développement et quels que soient les végétaux,
produits végétaux et autres objets sur lesquels ils sont détectés ". Cet arrêté a inscrit le plum pox
virus à l'origine de la maladie de la sharka à son annexe A.
4. Pour juger que l'EARL Valette n'était pas fondée à demander réparation des préjudices qu'elle
estime avoir subis du fait des arrachages d'arbres illégalement ordonnés par des arrêtés du préfet
de la Drôme entre 2003 et 2010, la cour administrative d'appel, après avoir relevé que ces arrêtés
préfectoraux avaient été pris par une autorité incompétente en l'absence de toute situation
d'urgence au sens du II de l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, a jugé qu'il ne
résultait de l'instruction ni que le ministre aurait pris des mesures différentes de celles arrêtées par
le préfet, ni qu'il n'aurait pu légalement prendre de telles mesures eu égard à la nécessité de maîtriser
la propagation de la maladie. En écartant ainsi l'existence d'un lien de causalité direct et certain
entre le préjudice subi par l'EARL Valette et le vice d'incompétence entachant les arrêtés du préfet
de la Drôme, la cour administrative d'appel, qui n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, retenu
des considérations de simple opportunité, n'a ni méconnu les règles relatives à la dévolution de la
charge de la preuve, ni commis, compte tenu de ce qui a été dit au point 2, d'erreur de droit.
5. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier soumis aux juges du fond que s'il était préconisé par la
plupart des études scientifiques disponibles à l'époque des arrêtés litigieux de procéder à l'arrachage
des parcelles dont les arbres étaient affectés par la maladie de la sharka lorsqu'était atteint un seuil

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de contamination de 10 %, il n'en allait pas certainement de même pour un seuil de contamination


de seulement 5 %, en l'absence de consensus en ce sens et compte tenu des marges d'incertitude
dont témoignaient les études alors disponibles. A cet égard, l'arrêté du ministre de l'agriculture et
de la pêche du 27 novembre 2008 relatif à la lutte contre le plum pox virus avait retenu un seuil de
contamination de 10 %, sans prévoir de possibilités d'abaissement de ce seuil pour la période
litigieuse.
6. Dans ces conditions, en jugeant qu'il n'existait pas de lien direct de causalité entre l'incompétence
entachant les arrêtés préfectoraux et les préjudices subis par l'EARL Valette du fait des arrachages
d'arbres ordonnés par les arrêtés du préfet des 14 décembre 2004, 7 octobre 2005, 11 juillet 2006
et 20 avril 2007, qui ont retenu un seuil de contamination de 10 %, la cour administrative d'appel,
par un arrêt suffisamment motivé, n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. En
revanche, l'EARL Valette est fondée à soutenir que la cour a inexactement qualifié les faits de
l'espèce s'agissant des arrêtés des 12 novembre 2003, 10 juin 2008, 27 avril 2009 et 24 juin 2010 qui
ont retenu un seuil de contamination de 5 %, dès lors qu'il ne résultait pas de l'instruction que le
ministre aurait, aux dates considérées, pris des mesures identiques à celles résultant des décisions
incompétemment prises par le préfet.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL Valette, qui ne peut en tout état de cause utilement
invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 13 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de
son protocole additionnel qui n'a pas été invoqué devant la cour administrative d'appel, est
seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant que la cour a rejeté ses
conclusions tendant au versement d'une indemnité au titre des arrachages d'arbres ordonnés par
les arrêtés du préfet de la Drôme du 12 novembre 2003, du 10 juin 2008, du 27 avril 2009 et du 24
juin 2010. (…)

Questions (réponses à justifier) :


1. Quel principe jurisprudentiel permet ici d’identifier directement une faute de la part
de l’administration ?
2. Comment expliquez vous la différence de traitement entre les arrêtés concernant
les arbres contaminés à hauteur de 10% et les arbres contaminés à hauteur de 5% ?

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CE, 26 juillet 1918, Époux Lemonnier

Vu, 1° sous le n° 49.595, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour la dame et le
sieur Y..., demeurant ensemble à Castres, rue de Strasbourg, le sieur Y... agissant tant en son nom
personnel que pour autoriser la dame Y..., son épouse, ladite requête et ledit mémoire enregistrés
au Secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, le 27 juillet 1912, et tendant à ce qu’il plaise au
Conseil annuler une délibération du 15 juin 1912, par laquelle le Conseil municipal de Roquecourbe
a refusé d’accorder aux requérants l’indemnité qu’ils sollicitaient à raison de l’accident dont la dame
Y... a été victime en suivant la promenade publique qui longe les rives de l’Agout, à Roquecourbe,
le 9 octobre 1910 ;
Vu, 2° sous le n° 51.240, la requête présentée pour la dame et le sieur Y..., agissant comme ci-
dessus, ladite requête enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, le 12 novembre
1912, et tendant à ce qu’il plaise au Conseil, au cas où il estimerait que la délibération du Conseil
municipal de Roquecourbe du 15 juin 1912, ne contient pas une décision susceptible de recours,
annuler la décision implicite de rejet qui, dans ce cas, résulterait du silence gardé pendant plus de
quatre mois par la commune sur la demande d’indemnité dont elle a été saisie ; Vu la loi du 5 avril
1884 ; Vu le décret du 22 juillet 1806 et la loi du 13 avril 1900 ;
Considérant que les époux Y... ont tout d’abord assigné devant le tribunal civil, tout à la fois la
commune de Roquecourbe et son maire, le sieur X..., puis personnellement, pour s’entendre
condamner à leur payer une indemnité à raison de l’accident dont la dame Y... a été victime ; que
la cour de Toulouse, par arrêt du 30 janvier 1913, tout en reconnaissant l’incompétence de l’autorité
judiciaire sur les conclusions dirigées contre le maire, a déclaré ce dernier responsable
personnellement et l’a condamné à payer aux époux Y... une somme de 12.000 francs pour
réparation du préjudice par eux souffert ; qu’il a été formé par le sieur X... contre cet arrêt un
recours sur lequel il n’a pas encore été statué par la cour de cassation ;
Considérant que les époux Y... ont, d’autre part, introduit deux pourvois devant le Conseil d’État,
tendant, tous deux, à la condamnation de la commune de Roquecourbe à leur payer une indemnité
de 15.000 francs à raison du dommage résultant de l’accident précité et dirigés, le premier contre
la décision du conseil municipal, en date du 15 juin 1912, rejetant leur demande d’indemnité, le
deuxième, en tant que de besoin, contre la décision implicite de rejet résultant du silence du conseil
municipal au cas où le Conseil d’État ne considérerait pas la délibération du 15 juin 1912 comme
une décision susceptible de recours ; (…)
Sur la fin de non-recevoir tirée par la commune de ce que les époux Y..., ayant obtenu des tribunaux
civils, par la condamnation prononcée contre le maire, le sieur X..., personnellement, la réparation
intégrale du préjudice par eux subi, ne seraient pas recevables à poursuivre une seconde fois, par la
voie d’une action devant le Conseil d’État contre la commune, la réparation du même préjudice :
Considérant que la circonstance que l’accident éprouvé serait la conséquence d’une faute d’un agent
administratif préposé à l’exécution d’un service public, laquelle aurait le caractère d’un fait
personnel de nature à entraîner la condamnation de cet agent par les tribunaux de l’ordre judiciaire
à des dommages-intérêts, et que même cette condamnation aurait été effectivement prononcée, ne
saurait avoir pour conséquence de priver la victime de l’accident du droit de poursuivre
directement, contre la personne publique qui a la gestion du service incriminé, la réparation du
préjudice souffert. Qu’il appartient seulement au juge administratif, s’il estime qu’il y a une faute de
service de nature à engager la responsabilité de la personne publique, de prendre, en déterminant
la quotité et la forme de l’indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires, en vue d’empêcher que
sa décision n’ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu’elle a pu ou qu’elle
peut obtenir devant d’autres juridictions à raison du même accident, une réparation supérieure à la
valeur totale du préjudice subi ;

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Au fond :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la dame Y... a été atteinte le 9 octobre 1910, alors
qu’elle suivait la promenade qui longe la rive gauche de l’Agout, d’une balle provenant d’un tir
installé sur la rive opposée avec buts flottants sur la rivière ; que l’autorité municipale chargée de
veiller à la sécurité des voies publiques avait commis une faute grave en autorisant l’établissement
de ce tir sans s’être assurée que les conditions de l’installation et l’emplacement offraient des
garanties suffisantes pour cette sécurité ; qu’à raison de cette faute, la commune doit être déclarée
responsable de l’accident ; qu’il sera fait une juste appréciation du dommage subi par les époux Y...
et dont la commune leur doit réparation intégrale, en condamnant cette dernière à leur payer la
somme de 12.000 francs, sous réserve, toutefois, que le paiement en soit subordonné à la
subrogation de la commune, par les époux Y..., jusqu’à concurrence de ladite somme, aux droits
qui résulteraient par eux des condamnations qui auraient été ou qui seraient définitivement
prononcées à leur profit, contre le maire, le sieur X..., personnellement, à raison du même accident,
par l’autorité judiciaire ;

Tribunal des conflits, 19 mai 2014, Mme E…B…c. Maire de Ventabren

Considérant qu’un agent de la commune de Ventabren ayant engagé une procédure pénale pour
harcèlement contre M.D..., maire de la commune, celui-ci a fait pression sur Mme B..., qui était
directrice générale des services, pour la dissuader de témoigner et a conclu le 7 février 2008 avec
elle un " protocole transactionnel ", aux termes duquel il s’engageait à ne pas la décharger de ses
fonctions jusqu’au 31 mars 2008, Mme B...s’engageant, en contrepartie, à préparer le budget
communal en s’abstenant de presque tout contact avec le personnel communal, à n’avoir aucun
contact avec les candidats à l’élection municipale qui allait se dérouler et à ne pas témoigner contre
le maire ; que Mme B...ayant porté plainte contre le maire, le tribunal correctionnel d’Aix-en-
Provence a, par un jugement du 10 février 2010, condamné le maire pour subornation de témoin
et, au titre de l’action civile, a mis à sa charge le versement de diverses sommes à Mme B... ; que,
par un arrêt du 31 octobre 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement sur la
culpabilité de M. D..., mais s’est déclarée incompétente pour statuer sur les demandes indemnitaires
de Mme B... ; que, saisi par celle-ci d’une demande tendant à la " condamnation in solidum du maire
et de la commune de Ventabren " à lui verser une somme de 5000 euros en réparation du préjudice
qu’elle estimait avoir subi du fait des agissements du maire, le président de la septième chambre du
tribunal administratif de Marseille a jugé, par une ordonnance du 12 juin 2013, que la juridiction
administrative était incompétente pour en connaître ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article 17 du décret du 16 octobre 1849 : " Lorsque
l’autorité administrative et l’autorité judiciaire se sont respectivement déclarés incompétentes sur la
même question, le recours devant le Tribunal des Conflits, pour faire régler la compétence, est
exercée directement par les parties intéressées " ;
Considérant que, ainsi qu’il a été dit, Mme B...recherche l’indemnisation du préjudice qu’elle estime
avoir subi du fait des agissements du maire à son égard ; qu’à cette fin, elle a poursuivi la
responsabilité de celui-ci devant la juridiction judiciaire, puis doit être regardée comme ayant
poursuivi la responsabilité de la commune devant la juridiction administrative ; que la juridiction
judiciaire et la juridiction administrative s’étant toutes deux déclarées incompétentes pour statuer
sur cette demande de réparation des conséquences dommageables d’une même faute, Mme B...est
recevable à demander au Tribunal des Conflits, sur le fondement des dispositions précitées du 1er
alinéa de l’article 17 du décret du 16 octobre 1849, de régler la question de compétence ;

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Sur la compétence :
Considérant que, eu égard à sa gravité et aux objectifs purement personnels poursuivis par son
auteur, la faute commise par le maire de la commune de Ventabren doit être regardée comme une
faute personnelle détachable du service ; que la juridiction judiciaire, saisie d’une action civile
exercée accessoirement à l’action publique, est dès lors compétente pour connaître de la demande
d’indemnisation présentée par Mme B...contre M.D... ;
Considérant, toutefois, que la faute du maire de Ventabren, commise à l’occasion de l’exercice de
ses fonctions, n’est pas, alors même qu’elle a fait l’objet d’une condamnation par le juge pénal,
dépourvue de tout lien avec le service ; que Mme B...ne saurait dès lors être privée de la possibilité
de poursuivre, devant la juridiction administrative, la responsabilité de la commune ;
Considérant qu’il appartiendra seulement à la juridiction judiciaire et à la juridiction administrative,
si elles estiment devoir allouer une indemnité à Mme B...en réparation du préjudice dont elle se
prévaut, de veiller à ce que l’intéressée n’obtienne pas une réparation supérieure à la valeur du
préjudice subi du fait de la faute commise ;

Questions groupées sur les deux arrêts précédents (réponses à justifier) :


1. Dans les deux espèces, quelle est la nature de la faute commise par le maire ? La
qualification de faute pénale a-t-elle une incidence ?
2. Pourquoi les victimes étaient-elles alors en droit de demander réparation du
préjudice au juge civil comme au juge administratif ?
3. A votre avis, pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il ouvert cette possibilité ?
4. La commune pourra-t-elle se retourner, par la suite, contre l’agent fautif ?

CE Ass., 12 avril 2002, M. Papon

[…] Considérant que M. X..., qui a occupé de juin 1942 à août 1944 les fonctions de secrétaire
général de la préfecture de la Gironde, a été condamné le 2 avril 1998 par la cour d’assises de ce
département à la peine de dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre
l’humanité assortie d’une interdiction pendant dix ans des droits civiques, civils et de famille ; que
cette condamnation est intervenue en raison du concours actif apporté par l’intéressé à l’arrestation
et à l’internement de plusieurs dizaines de personnes d’origine juive, dont de nombreux enfants,
qui, le plus souvent après un regroupement au camp de Mérignac, ont été acheminées au cours des
mois de juillet, août et octobre 1942 et janvier 1944 en quatre convois de Bordeaux à Drancy avant
d’être déportées au camp d’Auschwitz où elles ont trouvé la mort ; que la cour d’assises de la
Gironde, statuant le 3 avril 1998 sur les intérêts civils, a condamné M. X... à payer aux parties civiles,
d’une part, les dommages et intérêts demandés par elles, d’autre part, les frais exposés par elles au
cours du procès et non compris dans les dépens ; que M. X... demande, après le refus du ministre
de l’intérieur de faire droit à la démarche qu’il a engagée auprès de lui, que l’État soit condamné à
le garantir et à le relever de la somme de 4 720 000 F (719 559 euros) mise à sa charge au titre de
ces condamnations ;
Sur le fondement de l’action engagée :
Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires : " Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour
faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la
mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce
fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui " ; que pour l’application

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de ces dispositions, il y a lieu - quel que soit par ailleurs le fondement sur lequel la responsabilité
du fonctionnaire a été engagée vis-à-vis de la victime du dommage - de distinguer trois cas ; que,
dans le premier, où le dommage pour lequel l’agent a été condamné civilement trouve son origine
exclusive dans une faute de service, l’administration est tenue de couvrir intégralement l’intéressé
des condamnations civiles prononcées contre lui ; que, dans le deuxième, où le dommage provient
exclusivement d’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions, l’agent qui l’a
commise ne peut au contraire, quel que soit le lien entre cette faute et le service, obtenir la garantie
de l’administration ; que, dans le troisième, où une faute personnelle a, dans la réalisation du
dommage, conjugué ses effets avec ceux d’une faute de service distincte, l’administration n’est
tenue de couvrir l’agent que pour la part imputable à cette faute de service ; qu’il appartient dans
cette dernière hypothèse au juge administratif, saisi d’un contentieux opposant le fonctionnaire à
son administration, de régler la contribution finale de l’un et de l’autre à la charge des réparations
compte tenu de l’existence et de la gravité des fautes respectives ;
Sur l’existence d’une faute personnelle :
Considérant que l’appréciation portée par la cour d’assises de la Gironde sur le caractère personnel
de la faute commise par M. X..., dans un litige opposant M. X... aux parties civiles et portant sur
une cause distincte, ne s’impose pas au juge administratif statuant dans le cadre, rappelé ci-dessus,
des rapports entre l’agent et le service ;
Considérant qu’il ressort des faits constatés par le juge pénal, dont la décision est au contraire
revêtue sur ce point de l’autorité de la chose jugée, que M. X..., alors qu’il était secrétaire général de
la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, a prêté son concours actif à l’arrestation et à
l’internement de 76 personnes d’origine juive qui ont été ensuite déportées à Auschwitz où elles
ont trouvé la mort ; que si l’intéressé soutient qu’il a obéi à des ordres reçus de ses supérieurs
hiérarchiques ou agi sous la contrainte des forces d’occupation allemandes, il résulte de l’instruction
que M. X... a accepté, en premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service des
questions juives de la préfecture de la Gironde alors que ce rattachement ne découlait pas de la
nature des fonctions occupées par le secrétaire général ; qu’il a veillé, en deuxième lieu, de sa propre
initiative et en devançant les instructions venues de ses supérieurs, à mettre en œuvre avec le
maximum d’efficacité et de rapidité les opérations nécessaires à la recherche, à l’arrestation et à
l’internement des personnes en cause ; qu’il s’est enfin attaché personnellement à donner l’ampleur
la plus grande possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la cour d’assises de
la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant
notamment en sorte que les enfants placés dans des familles d’accueil à la suite de la déportation
de leurs parents ne puissent en être exclus ; qu’un tel comportement, qui ne peut s’expliquer par la
seule pression exercée sur l’intéressé par l’occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité
exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là-même
une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions ; que la circonstance, invoquée par M.
X..., que les faits reprochés ont été commis dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de
tout lien avec le service est sans influence sur leur caractère de faute personnelle pour l’application
des dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;
Sur l’existence d’une faute de service :
Considérant que si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d’origine juive arrêtées puis
internées en Gironde dans les conditions rappelées ci-dessus a été organisée à la demande et sous
l’autorité des forces d’occupation allemandes, la mise en place du camp d’internement de Mérignac
et le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d’y interner les ressortissants étrangers " de race
juive ", l’existence même d’un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé
notamment d’établir et de tenir à jour un fichier recensant les personnes " de race juive " ou de
confession israélite, l’ordre donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations
d’arrestation et d’internement des personnes figurant dans ce fichier et aux responsables
administratifs d’apporter leur assistance à l’organisation des convois vers Drancy - tous actes ou
agissements de l’administration française qui ne résultaient pas directement d’une contrainte de

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l’occupant - ont permis et facilité, indépendamment de l’action de M. X..., les opérations qui ont
été le prélude à la déportation ;
Considérant que si l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité
républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de
l’autorité de fait se disant " gouvernement de l’État français " qui " établissent ou appliquent une
discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif ", ces dispositions ne sauraient avoir pour
effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements
commis par l’administration française dans l’application de ces actes, entre le 16 juin 1940 et le
rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ; que, tout au contraire, les
dispositions précitées de l’ordonnance ont, en sanctionnant par la nullité l’illégalité manifeste des
actes établissant ou appliquant cette discrimination, nécessairement admis que les agissements
auxquels ces actes ont donné lieu pouvaient revêtir un caractère fautif ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la faute de service analysée ci-dessus engage,
contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, la responsabilité de l’État ; qu’il incombe
par suite à ce dernier de prendre à sa charge, en application du deuxième alinéa de l’article 11 de la
loi du 13 juillet 1983, une partie des condamnations prononcées, appréciée en fonction de la mesure
qu’a prise la faute de service dans la réalisation du dommage réparé par la cour d’assises de la
Gironde ;
Sur la répartition finale de la charge :
Considérant qu’il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l’espèce, des parts
respectives qui peuvent être attribuées aux fautes analysées ci-dessus en condamnant l’État à
prendre à sa charge la moitié du montant total des condamnations civiles prononcées à l’encontre
du requérant le 3 avril 1998 par la cour d’assises de la Gironde ;

Questions (réponses à justifier) :


1. Quelle est la nature de la faute commise par M. Papon ?
2. M. Papon pourra-t-il se retourner contre l’État afin qu’il le couvre des
indemnisations mises à sa charge ? Pour quelle raison ?

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CE Ass., avis, 6 juillet 2016, Napol

(…) 1. En vertu de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence peut être déclaré sur tout
ou partie du territoire de la République " soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves
à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de
calamité publique ". Selon l’article 2 de la même loi, l’état d’urgence est déclaré par décret en conseil
des ministres ; sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi.
L’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état
d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer au ministre de l’intérieur et aux préfets le
pouvoir d’ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit. Dans sa rédaction issue de
la loi du 20 novembre 2015, cet article 11 précise que les perquisitions en cause peuvent être
ordonnées " en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à
l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou
des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une
personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. / La
décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur
de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La
perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent.
Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux
témoins. (...) Lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire en dresse procès-
verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République (...) ".
Ces dispositions de la loi du 3 avril 1955 habilitent le ministre de l’intérieur et les préfets, lorsque
le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence l’a expressément prévu, à ordonner des
perquisitions qui, visant à préserver l’ordre public et à prévenir des infractions, relèvent de la police
administrative, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du
19 février 2016, et sont placées sous le contrôle du juge administratif. (…)
Sur les questions relatives aux conditions d’engagement de la responsabilité de l’État :
6. Toute illégalité affectant la décision qui ordonne une perquisition est constitutive d’une faute
susceptible d’engager la responsabilité de l’État.
Saisi d’une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d’accorder réparation des
préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l’illégalité fautive entachant l’ordre
de perquisition. Le caractère direct du lien de causalité entre l’illégalité commise et le préjudice
allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision ordonnant la perquisition est
seulement entachée d’une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge considère, au vu de
l’ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision ordonnant la perquisition
aurait pu être légalement prise par l’autorité administrative, au vu des éléments dont elle disposait
à la date à laquelle la perquisition a été ordonnée.
7. En outre, les conditions matérielles d’exécution des perquisitions sont susceptibles d’engager la
responsabilité de l’État à l’égard des personnes concernées par les perquisitions.
Ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016,
les conditions de mise en œuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de l’article 11 de la
loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure,
dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence.
En particulier, la perquisition d’un domicile de nuit doit être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité
de l’effectuer de jour. Sauf s’il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu
sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou
dissimuler des éléments matériels, l’ouverture volontaire du lieu faisant l’objet de la perquisition
doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu’à défaut
d’autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes

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et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents.
L’usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au
déroulement de l’opération et à la protection des personnes. Lors de la perquisition, les atteintes
aux biens doivent être strictement proportionnées à la finalité de l’opération ; aucune dégradation
ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d’éléments en rapport avec l’objet de la
perquisition.
Toute faute commise dans l’exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3
avril 1955 est susceptible d’engager la responsabilité de l’État. Il appartient au juge administratif,
saisi d’une demande en ce sens, d’apprécier si une faute a été commise dans l’exécution d’une
perquisition, au vu de l’ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du
comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l’action
administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence.
Les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d’incidence sur la caractérisation
d’une faute. (…)
8. Si la responsabilité de l’État pour faute est seule susceptible d’être recherchée par les personnes
concernées par une perquisition, la responsabilité de l’État à l’égard des tiers est engagée sans faute,
sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages
directement causés par des perquisitions ordonnées en application de l’article 11 de la loi du 3 avril
1955.
Doivent être regardés comme des tiers par rapport à la perquisition les personnes autres que la
personne dont le comportement a justifié la perquisition ou que les personnes qui lui sont liées et
qui étaient présentes dans le lieu visé par l’ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce lieu.
Doivent notamment être regardés comme des tiers les occupants ou propriétaires d’un local distinct
de celui visé par l’ordre de perquisition mais perquisitionné par erreur ainsi que le propriétaire du
lieu visé par l’ordre de perquisition, dans le cas où ce propriétaire n’a pas d’autre lien avec la
personne dont le comportement a justifié la perquisition que le bail concernant le lieu
perquisitionné.

Questions (réponses à justifier) :


1. Dans le cadre de l’Etat d’urgence, la responsabilité des services de police
administrative peut-elle être engagée à la suite d’une perquisition ? Pour quel
motif ?
2. Quel type de faute est exigé pour reconnaitre une telle responsabilité ? En a-t-il
toujours été ainsi concernant les activités de police ?
3. Les tiers à la perquisition peuvent-ils également demander réparation ? Quelle
serait le fondement d’une telle responsabilité de l’Etat ?
4. Cette évolution jurisprudentielle est-elle généralisée, ou y-a-t-il des exceptions ?

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CE, 3 octobre 2018, M. L.

[…] 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...A..., fils d’un ancien
supplétif de l’armée française en Algérie, est né en 1963 au camp " Joffre " de transit et de
reclassement des anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et de leurs familles, situé à
Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), avant d’être transféré en 1964 au camp de Bias (Lot-et-Garonne),
où il a vécu jusqu’en 1975. Il se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 mars 2017 par lequel la
cour administrative d’appel de Versailles a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 10 juillet
2014 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande tendant à la condamnation
de l’État à lui verser la somme de 1 000 000 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir
subis du fait de l’abandon des anciens supplétifs de l’armée française par la France après la signature
des " accords d’Evian " du 19 mars 1962, du refus d’organiser leur rapatriement en France, ainsi
que des conditions d’accueil et de vie qui ont été réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles
sur le territoire français. […]
Sur les conclusions relatives aux préjudices liés au défaut d’intervention de la France en Algérie
pour protéger les anciens supplétifs de l’armée française et au défaut de rapatriement en France :
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, à l’appui de sa demande de
réparation, M. A...a mis en cause la responsabilité pour faute de l’État en soutenant qu’étaient
fautifs, d’une part, le fait de n’avoir pas fait obstacle aux représailles et aux massacres dont les
supplétifs de l’armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien,
après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet
1962, en méconnaissance des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, dites " accords
d’Evian " et, d’autre part, le fait de n’avoir pas organisé leur rapatriement en France. Cependant,
les préjudices ainsi invoqués ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et
l’Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l’État sur le fondement de la faute.
4. Il suit de là que la cour administrative d’appel de Versailles, qui n’a pas méconnu les exigences
découlant des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit en déclinant la compétence
de la juridiction administrative pour connaître des conclusions tendant à la réparation de préjudices
liés à l’absence d’intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l’armée
française.
5. En revanche, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la cour a entaché son arrêt d’erreur de
droit en ne relevant pas d’office l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître des
conclusions tendant à la réparation de préjudices liés à l’absence de rapatriement en France des
anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et de leurs familles.
Sur les conclusions tendant à la réparation de préjudices liés aux conditions d’accueil et de vie
réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et à leurs
familles :
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, à l’appui de sa demande de
réparation, M. A...a mis en cause la responsabilité pour faute de l’État du fait des conditions
d’accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l’armée
française en Algérie et à leurs familles.
7. Après avoir caractérisé comme indignes les conditions de vie qui ont été réservées aux anciens
supplétifs de l’armée française en Algérie et à leurs familles dans des camps, comme le camp Joffre
et le camp de Bias, ainsi que les restrictions apportées à leurs libertés individuelles, du fait, en
particulier, du contrôle de leurs courriers et de leurs colis, de l’affectation de leurs prestations
sociales au financement des dépenses des camps et de l’absence de scolarisation des enfants dans
des conditions de droit commun, la cour administrative d’appel de Versailles a donné aux faits qui

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lui étaient soumis une exacte qualification en jugeant qu’avait ainsi été commise une faute de nature
à engager la responsabilité de l’État.
8. Toutefois, pour rejeter les conclusions dont elle était saisie, la cour n’a pas recherché la valeur
des préjudices dont M. A...demandait réparation, mais s’est bornée à faire état d’un ensemble de
mesures d’ordre financier mises en place par l’État au bénéfice des anciens supplétifs de l’armée
française et de leurs familles ainsi que de la reconnaissance solennelle du préjudice qu’ils ont
collectivement subi, notamment par la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation
et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, pour en déduire que ces mesures devaient
être regardées comme ayant permis, autant qu’il est possible, l’indemnisation des préjudices dont
se prévalait le requérant. En statuant ainsi, la cour a, eu égard à la nature des préjudices invoqués,
entaché son arrêt d’erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède que l’arrêt du 14 mars 2017 doit être annulé, sans qu’il soit besoin
d’examiner les autres moyens du pourvoi, en tant seulement qu’il statue sur les conclusions tendant
à la réparation des préjudices liés, d’une part, à l’absence de rapatriement des anciens supplétifs de
l’armée française et de leurs familles et, d’autre part, aux conditions de vie qui leur ont été réservées
en France. […]
11. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 5 que c’est à tort que le tribunal
administratif de Cergy-Pontoise a admis la compétence de la juridiction administrative pour
connaître des conclusions tendant à la réparation du préjudice lié à l’absence de rapatriement des
anciens supplétifs de l’armée française et de leurs familles. Le jugement du 10 juillet 2014 doit dès
lors être annulé sur ce point, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête. Il y a lieu
d’évoquer, dans cette mesure, et, statuant immédiatement sur la demande présentée par M. A...à ce
titre, de la rejeter comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
12. En second lieu, il résulte de l’instruction que la responsabilité pour faute de l’État doit être
engagée à raison des conditions de vie indignes réservées à M. A...entre sa naissance au camp "
Joffre " en 1963 et son départ du camp de Bias en 1975, qui ont notamment fait obstacle à son
apprentissage du français et entraîné des séquelles qui ont exigé un accompagnement médico-
psycho-social. Dans les circonstances de l’espèce, et l’État n’ayant pas opposé la prescription
quadriennale à la demande de l’intéressé, il sera fait une juste évaluation des préjudices matériel et
moral qui ont été directement causés au requérant du fait des conditions dans lesquelles il a vécu
entre sa naissance au camp " Joffre " en 1963 et son départ du camp de Bias en 1975 en fixant le
montant de son indemnisation à 15 000 euros. Il en résulte que M. A...est fondé à soutenir que c’est
à tort que, par le jugement du 10 juillet 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la
demande de réparation qu’il a présentée à ce titre.

Questions (réponses à justifier) :


1. La responsabilité de la France pour avoir abandonné les harkis au moment de
l’indépendance de l’Algérie et pour ne pas avoir organisé leur rapatriement a-t-elle
été retenue ? Pour quelle raison ?
2. La responsabilité de la France pour les conditions d’accueil et de vie réservées sur
le territoire français aux anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et à leurs
familles a-t-elle été engagée ? Sur quel fondement ? Quelle règle aurait
éventuellement pu y faire obstacle ?

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II – CAS PRATIQUE

Dans une partie reculée du monde se trouve le petit Etat d’Amestris, appliquant le droit français.
Une réunion de crise s’y tient en haut lieu car les pays voisins sont en guerre l’un contre l’autre.
L’un d’entre eux demande à passer par les voies aériennes d’Amestris pour mener ses opérations
militaires. Il est décidé par le gouvernement d’accepter. Le pays est trop faible politiquement,
économiquement et militairement selon ses dirigeants pour risquer de froisser ce voisin belliqueux.
Apprenant la nouvelle, une militante est outrée. Elle l’est d’autant plus que les avions passent à
faible altitude juste au dessus de la crèche dont elle s’occupe. Elle envisage d’engager une action en
responsabilité contre l’Etat d’Amestris qui a autorisé ce survol.
1. L’action envisagée vous semble-t-elle avoir une chance de succès ?
Sur le territoire d’Amestris se trouve la charmante bourgade de Vergazon. La ville a décidé de
rénover sa fameuse base de loisirs. Celle-ci a en effet une grande utilité sociale et économique : les
visiteurs y affluent l’été et la commune organise des activités de découverte de la nature le reste de
l’année. Le grand lac, pièce maîtresse de la base, manquait cruellement d’aménagements. Un ponton
a été érigé afin de permettre aux visiteurs de profiter des paysages, de pêcher, de courir, de
plonger…Depuis la réouverture, c’est un succès. L’installation fait le bonheur des riverains et est
massivement fréquentée.
Il est cependant très vite signalé à la mairie que le ponton est glissant. Aussi, deux décisions sont
prises : le passage hebdomadaire d’un produit antidérapant par le gardien et l’ajout d’un panneau
« Sol glissant – Ralentissez – Ne pas courir ». La majorité des coureurs de la ville retire donc le
ponton de son circuit. Malgré ces précautions, ce qui devait arriver arriva. Guiseppa Parla, persistant
à emprunter le ponton lors de son jogging quotidien, glisse et se casse la cheville. Selon elle, « le
panneau est derrière un buisson, on ne voit rien ! » En colère, elle souhaite attaquer la commune
pour obtenir compensation.
2. Pensez-vous que cette action peut aboutir ?
Non loin de la base se situe le quartier culturel de Vergazon. Béatrice Eratops, conservatrice au
musée d’Histoire naturelle de la ville, ne tient plus en place. On vient de lui proposer un contrat de
travail dans un musée reconnu. Quelques semaines plus tard, elle reçoit un courriel. Dossiers,
billets, logement et voiture de fonction : tout est prêt, et elle est attendue. Il faut simplement un
papier tamponné par la mairie certifiant qu’elle a bien rendu les clefs du musée, et elle pourra partir
et signer son contrat.
Pas de chance : c’est Léa Latrenne, son ennemie depuis le bac à sable, qui s’occupe de ce service.
Contente d’avoir l’occasion de mettre des bâtons dans les roues à sa rivale, elle joue la montre et
utilise les méandres administratifs de la commune à son avantage, la renvoyant de service en service
et profitant de l’inattention de ses supérieurs. Le temps se fait trop long au goût du futur employeur.
Excédé, il téléphone à Béatrice pour lui signaler qu’il décide finalement de se passer de ses services.
Le monde de la conservatrice s’effondre. Son appartement est vidé et sa vie professionnelle stoppée
nette ; plus de travail ni à Vergazon ni ailleurs. Remontée, elle compte bien obtenir réparation.
3. Que conseilleriez-vous à Béatrice ?

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