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Becker Y. Max Scheler, La pudeur. Traduction par M. Dupuy, 1952. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 26, fascicule 4,
1952. pp. 416-418;
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1952_num_26_4_1992_t1_0416_0000_2
sentiment de pudeur jette une lumière très fraîche sur le fond de cette
âme déchirée; elle est caractéristique de sa méthode.
Après avoir indiqué dans un premier chapitre la situation et la
place de la pudeur dans la nature, Scheleij montre qu'elle n'est pas
un sentiment exclusivement sexuel ni même exclusivement social, mais
qu'elle appartient à la sphère des sentiments qui permettent à l'individu
de protéger ses valeurs contre les menaces de l'universel. Puis il indique
les rapports du sentiment de pudeur avec les émotions apparentées: la
fierté, l'humilité, le repentir et le sentiment de l'honneur. Dans l'ordre
de la pudeur corporelle, il analyse les analogies avec le dégoût et
l'aversion; avec l'angoisse, la crainte et le respect. (Ces analyses nous valent
au passage des affirmations pour le moins curieuses sur le manque
spécifiquement juif de verecundia devant le mystère de Dieu et du monde.)
Distinguant deux formes profondément différentes et irréductibles
du sentiment de pudeur, la pudeur corporelle et la pudeur psychique,
Scheler passe en revue les théories de l'origine et de l'extension de la
pudeur corporelle. Il dénonce les confusions qui présentent le sentiment
de la pudeur comme un produit de l'éducation. Selon Scheler, l'éducation
peut rendre compte de la pruderie et de son négatif, le cynisme et la
tendance à l'obscénité; elle peut exercer une influence très grande sur
l'interprétation morale, religieuse et métaphysique du sentiment de pudeur;
elle explique enfin les innombrables formes die pudeur illusoire au rang
desquels il range avant tout, avec Simmel, la coquetterie. Mais jamais
les théoriciens de l'éducation n'expliqueront la pudeur proprement dite
qui appartient à la constitution mêpne de toute conscience.
C'est dans l'analyse des fonctions de la pudeur sexuelle que Scheler
apporte les vues les plus intéressantes pour le psychologue et le moraliste.
En libérant de l'auto-érotisme et en orientant la libido sur des êtres
d'un autre sexe, elle joue un rôle indispensable dans la formation même
d'un instinct sexuel normal. C'est sa fonction primaire.
Sa fonction secondaire est d'être « la conscience de l'amour ». S'at-
taquant à l'utilitarisme étroit d'une certaine conception intéressée de la
pudeur, Scheler montre son intentionnalité profonde. Témoin à la fois de
la passion et de la personne spirituelle, elle empêche la soumission aux
impulsions aveugles de l'instinct, s'il n'existe pas d'abord hic et nunc
un élan d'amour authentique. On voit dès lors dans quel sens elle retarde
l'union des corps et la fréquence de ces unions. Les pages d'inspiration
nietzcheenne sur la pudeur comme auto-protection de la race noble contre
la vie vulgaire paraissent plus discutables.
Scheler appelle fonction tertiaire celle que la pudeur remplit au sein
même d'un commerce, que commande un amour authentique. Il lui revient
de gardisr à l'acte sexuel son caractère de mouvement expressif de l'amour
qui unit deux êtres. Si la pudeur vise à exclure toute intentionnalité
autre que celle de traduire l'amour, notons que Scheler ne nie nullement
que les rapports entre homme et femme ne soient liés à la reproduction
en vertu d'une finalité objective. D'une manière plus générale, la pudeur
lui apparaît comme une dies fonctions les plus importantes de la
constitution de la conscience morale; indépendamment de tout règlement positif,
ce sentiment forme une des racines de toute éthique. La phénoménologie
rejoint ici les intuitions de Soloviev, dans la « Justification du Bien •».
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