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CHAPITRE 1
LA MÉTHODE COMMUNAUTAIRE
Renaud Dehousse
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I. COMPRENDRE LE MODÈLE
Depuis le lancement de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA),
l’intégration européenne a établi son propre modus operandi : la méthode communau-
taire. En dépit de cinq décennies de débats sur la manière de construire l’Europe, sa
profonde originalité demeure fondamentalement incomprise, même par les plus zélés
de ses partisans – y compris à l’intérieur de la Commission européenne.
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les États – plus particulièrement leurs gouvernements – tiennent une place centrale
dans ce système, ce qui distancie l’Union européenne du modèle fédéral où les liens
entre les parties constituantes et le pouvoir central sont plus ténus.
Pris dans leur ensemble, les éléments en question soulignent l’originalité de la construc-
tion européenne par rapport à des formes plus traditionnelles de coopération
internationale. La différence ne repose pas tant sur l’ampleur des compétences trans-
férées aux institutions européennes – le Conseil de l’Europe bénéficie également de
pouvoirs étendus – que sur la façon dont elles sont exercées. Non seulement la
Commission joue un rôle central dans la conception et le pilotage des politiques euro-
péennes, mais il est aussi extrêmement rare de trouver des organisations internationales
au sein desquelles le vote à la majorité est prévu pour des décisions de nature contrai-
gnante. En effet, dans la plupart des cas, l’adoption de décisions contraignantes requiert
l’unanimité, ou du moins un consensus. Il est vrai que l’Assemblée générale des Nations
unies vote, elle aussi, mais sur des résolutions, textes « de nature politique » – bel
euphémisme pour traduire le fait que les États ne sont pas tenus de les mettre en œuvre.
Inversement, accepter la possibilité de se voir contraint d’exécuter des décisions
auxquelles on s’oppose, comme l’ont fait les États membres au moment de leur
adhésion, équivaut à un transfert de souveraineté, fut-il partiel ou temporaire.
Dans le système institutionnel établi par les traités de Rome, le rôle d’impulsion de la
Commission est d’une nature complètement différente de celui que joue traditionnel-
lement le secrétariat d’une organisation internationale. À travers ses propositions, elle
doit conduire les autres institutions à atteindre les objectifs définis par les traités. Pour
cela, elle dispose d’instruments considérables. En premier lieu, elle possède un quasi-
monopole quant à l’initiative législative, car la plupart des décisions prises dans le
champ du Traité nécessitent une proposition de la Commission qu’elle peut ensuite
amender au cours du processus législatif. Le Parlement européen et le Conseil des
ministres, où siègent les représentants des États membres, ne peuvent pas en principe
prendre d’initiative à ce niveau. S’ils jugent une intervention européenne nécessaire,
ils doivent demander à la Commission de faire une proposition en bonne et due forme.
En outre, ces propositions ne peuvent être amendées qu’avec l’accord unanime des
États membres, ce qui confère à la Commission, en amendant ses propositions, le moyen
d’encourager la formation d’une majorité à l’intérieur du Conseil ou du Parlement.
Ainsi la Commission est de facto, sinon de jure, la troisième branche du pouvoir légis-
latif européen, aux côtés du Parlement et du Conseil. Enfin, en tant que gardienne des
traités, elle doit s’assurer que les États membres respectent bien leurs engagements
communautaires. Elle bénéficie de pouvoirs quasi judiciaires dans le domaine de la
concurrence et remplit un rôle de procureur dans les cas où elle choisit de porter une
affaire devant la Cour de justice.
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B. À qui bénéficie
la méthode communautaire ?
architecture institutionnelle « supranationale » ainsi créée est en fait sensible-
6. Ainsi Robert Schuman écrivait-il en 1953 que « le supranational se situe à égale distance entre, d’une part,
l’individualisme international, qui considère comme intangible la souveraineté nationale et n’accepte comme
limitations de la souveraineté que des obligations contractuelles, occasionnelles et révocables; d’autre part, le
fédéralisme d’États qui se subordonnent à un super-État doté d’une souveraineté territoriale propre.
L’institution supranationale, telle que notre Communauté, […] ne possède pas les caractéristiques d’un État ;
mais elle détient et exerce certains pouvoirs souverains. », dans Paul Reuter, La Communauté européenne du
charbon et de l’acier, Paris, LGDJ, 1953.
7. Alan Milward, The European Rescue of the Nation-State, Londres, Routledge, 1992.
8. Andrew Moravcsik, The Choice for Europe. Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht,
Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 1998, p. 66-67.
9. Hans-Jürgen Küsters, Les Fondements de la Communauté économique européenne, Bruxelles, Labor, 1990.
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En ce qui concerne la mise en œuvre des décisions communautaires, confier une tâche
de supervision à une institution que sa nature plurinationale protège des pressions
politiques directes a permis d’établir la crédibilité du système en rendant plus probable
le respect par chacun des décisions communes10. La politique de concurrence en offre
une excellente illustration. Contrairement aux autres politiques européennes, qui sont
mises en œuvre par les administrations nationales, c’est à la Commission qu’a été
confiée la mission d’appliquer les principes généraux définis par le traité CEE. Ce choix
s’explique aisément : l’alternative (laisser aux États membres le soin de mettre en œuvre
les règles de concurrence) aurait menacé l’uniformité des conditions de concurrence à
l’intérieur de la Communauté – chaque État interprétant les règles communautaires à
sa façon – mais par-dessus tout, elle aurait été beaucoup moins crédible, eu égard à la
tradition d’interventionnisme économique de certains États.
Cette situation aurait rapidement engendré une atmosphère de défiance mutuelle.
Pourquoi le Bundeskartellamt (Office fédéral allemand de contrôle de la concurrence)
aurait-il dû faire preuve de zèle dans l’application du droit européen aux entreprises
allemandes, si les mêmes règles étaient appliquées de façon laxiste dans les autres
pays ? Autrement dit, dans un système international marqué par un manque de
confiance entre les États, un contrôle centralisé a l’avantage de rendre les engagements
pris au niveau communautaire plus crédibles, favorisant ainsi le développement d’une
logique de coopération entre les États membres.
L’usage du vote – autre forme de renonciation à la souveraineté – découle de considé-
rations d’un ordre différent. Dans un système où les traités ne définissent souvent que
des objectifs à atteindre en des termes généraux, les institutions sont mises à contri-
bution pour prendre un certain nombre de décisions communes. Dans ce contexte,
l’unanimité est pénalisante, chaque participant jouissant d’un droit de veto. À l’inverse,
la décision majoritaire facilite la prise de décision… même lorsque l’on ne vote pas !
Les études du processus décisionnel démontrent que les votes effectifs ne représentent
seulement que 20 % des décisions pour lesquelles un vote aurait été possible selon le
Traité11. Mais la simple possibilité d’une prise de décision à la majorité encourage les
différents protagonistes à rechercher un compromis. Naturellement, l’efficacité de la
prise de décision a un coût, à savoir la possibilité pour un gouvernement d’être mis en
minorité par ses pairs. Mais aussi longtemps que personne n’est mis en minorité de
manière trop fréquente, les avantages que l’on retire des décisions prises dans d’autres
domaines atténuent le coût global du système. De plus, un certain nombre de garanties
ont été mises en place pour convaincre les États les plus méfiants. Aujourd’hui encore,
l’unanimité reste requise dans les domaines sensibles, et les gouvernements y restent
attachés, comme en témoignent les « lignes rouges » tracées par le gouvernement
britannique lors des dernières conférences intergouvernementales, pour s’assurer que
la Grande-Bretagne ne se verrait pas obligée d’accepter des choix inacceptables,
notamment en matière de politiques fiscale et sociale. Même lorsqu’un vote est permis,
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12. Pascal Lamy, « L’Europe de demain », Discours d´ouverture de l´année académique de l´ULB, Bruxelles,
14 octobre 2002.
13. Simon Hix et Christopher Lord, «The Making of a President: The EP and the Confirmation of Jacques Santer
as President of the Commission », Government and Opposition, 31 (1), 1996, p. 62-76.
14. Jean Joana et Andy Smith, Les Commissaires européens : technocrates, diplomates ou politiques ?, Paris,
Presses de Sciences Po, 2002.
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C. La méthode communautaire
comme mode de gouvernance
absence d’un exécutif fort, capable d’assigner à l’Union des objectifs
15. Cette vision «madisonienne» trouve un écho dans les travaux de Giandomenico Majone. Voir Giandomenico
Majone, «Federation, Confederation, and Mixed government: A EU-US Comparison», dans Anand Menon, Martin
Schain, Comparative Federalism : The European Union and the United States in Comparative Perspective,
Oxford, Oxford University Press, 2007.
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Ainsi, en utilisant la classification donnée par Olivier Treib, Holger Bähr et Gerda Falkner16,
on pourrait définir la méthode communautaire comme reposant sur des actions juridi-
quement contraignantes et exécutoires, prises selon des procédures institutionnalisées, dans
un système caractérisé par une grande dispersion de l’autorité. Au-delà de ces éléments
de base, son utilisation peut conduire à une variété de résultats plus grande
que l’on ne le croit souvent, car les décisions adoptées selon la méthode Les directives européennes sont un
communautaire ne font pas nécessairement l’objet d’une mise en œuvre des types d’actes faisant partie du
droit dérivé de l’Union européenne.
rigide. Si l’on a recours à des directives ou à des clauses dérogatoires, elles Définies à l’article 249 du Traité ins-
peuvent laisser subsister une grande diversité. De façon similaire, elles tituant la Communauté européenne,
elles imposent des obligations de ré-
peuvent inclure des réglementations matérielles ou procédurales (par sultats, tout en laissant une certaine
exemple : forcer les gouvernements nationaux à notifier à la Commission marge de manœuvre aux États mem-
bres dans le choix des moyens, à la
ou aux autres États membres les mesures qui peuvent entraver la libre cir- différence des règlements euro-
culation intracommunautaire avant qu’elles ne soient adoptées). Les péens. Ainsi, les directives doivent
être transposées, en respectant un
processus décisionnels de l’Union peuvent aussi – et le font de plus en certain délai, dans chaque État mem-
bre, par un acte juridique national.
plus17 – offrir suffisamment d’espace pour les intérêts privés, comme en Toutefois, les dispositions claires,
témoigne le rôle attribué aux partenaires sociaux dans la politique sociale précises et inconditionnelles des di-
ou aux représentants de l’industrie dans les procédures de standardisa- rectives bénéficient, selon la
jurisprudence de la Cour de justice
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tion. En d’autres mots, contrairement à une opinion largement répandue , des Communauté européennes,
d’une applicabilité directe dans l’or-
la méthode communautaire caractérise avant tout le processus de prise de dre juridique national, et sont donc
décisions, plutôt que les résultats auxquels celles-ci aboutissent. Bien que directement invocables devant le
juge national.
processus et résultats puissent être liés, le fait est que la méthode com-
munautaire n’aboutit pas nécessairement à une centralisation de l’autorité
aux mains de bureaucrates désireux d’imposer de manière rigide leur solution. Comme l’on
vient de le voir, les exemples en sens contraire abondent.
16. Oliver Treib, Holger Bähr et Gerda Falkner, « Modes of Governance… » art. cité.
17. Voir le chapitre 20 sur les nouveaux modes de gouvernance.
18. Voir en particulier la critique énergique de Giandomenico Majone, Dilemmas of European Integration. The
Ambiguities and Pitfalls of Integration by Stealth, Oxford, Oxford University Press, 2005.
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En ce qui concerne les textes adoptés, la courbe est identique. Chaque année, l’Union
adopte environ 200 textes législatifs (graphique 2) ; l’élargissement ne semble pas avoir
perturbé ce rythme de façon durable. La chute enregistrée en 2005 semble avant tout
liée aux efforts effectués l’année précédente pour faire passer un grand nombre de
textes avant l’adhésion des nouveaux États membres.
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Sources : Fiona Hayes-Renshaw, Wim Van Aken, Helen Wallace, « When and Why the EU Council of
Ministers Votes Explicitly », Journal of Common Market Studies, 44 (1), mars 2006, pour 1999-2001 ;
Observatoire des institutions européennes, pour 2002-2006.
22. Philippe Pochet, « Social Europe : Still Binding Regulations ? », papier présenté lors du workshop CONNEX
sur « The Community Method : How much do we know about it », Paris, 29 novembre 2007.
23. La moyenne est de 20 % sur la période 1999-2004 selon Fiona Hayes-Renshaw, Wim Van Aken, Helen
Wallace, « When and Why the EU Council of Ministers Votes Explicitly », Journal of Common Market Studies,
44(1), Mars 2006. Selon notre base de données, cette moyenne est de 24 % pour la période 2002-2006.
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Il est intéressant de noter que la période précédant le vote tend à se raccourcir. Avant
l’élargissement, la durée moyenne entre la transmission d’un acte au Conseil et la décision
de le soumettre à un vote atteignait presque 475 jours. Cette durée s’est aujourd’hui
réduite aux alentours de 450 jours, ce qui pourrait expliquer l’accélération constatée dans
les procédures législatives. Bien entendu, le nombre relativement limité de votes durant
cette période impose de grandes précautions dans l’interprétation de ces données. À tout
le moins peut-on relever que, contrairement à beaucoup de prévisions avancées avant
2004, le Conseil élargi n’est pas moins enclin à voter que ses prédécesseurs.
Enfin, la fréquence à laquelle les États expriment leur opposition à une proposition de la
Commission n’apparaît pas avoir significativement changé. Pour l’évaluer, nous avons ad-
ditionné tous les votes négatifs et les abstentions de chaque État membre – ces deux
instruments pouvant tous deux être utilisés pour manifester, à des degrés divers, leur dés-
accord – et les avons comparés aux nombres de textes qui ont donné lieu à des votes publics24.
Sur les 101 votes publics24 intervenus entre janvier 2002 et avril 2004, les deux États les
plus enclins à voter contre une proposition ou à s’abstenir, à savoir la Suède et le Royaume-
Uni, ont été mis en minorité respectivement à 21 et à 16 reprises sur les 101 votes rendus
publics, ce qui représente un « taux d’opposition » de 21 % et 16 % (voir graphique 4).
24. Nous ne prenons pas en compte les actes législatifs adoptés sous la règle de l’unanimité qui ont donné lieu
à des abstentions.
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25. Fiona Hayes-Renshaw, Wim Van Aken et Helen Wallace, « When and Why the EU Council of Ministers Votes
Explicitly », Journal of Common Market Studies, 44 (1), Mars 2006, p. 161-169.
26. Renaud Dehousse, Florence Deloche-Gaudez et Olivier Duhamel (dir.), Élargissement…, op. cit.
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1 État 2 États 3 États plus de 3 États
Toutefois, l’Union reste très éloignée d’un véritable système majoritaire : même les
décisions prises par un vote conservent un caractère consensuel, eu égard au seuil élevé
requis par le Traité pour atteindre la majorité qualifiée (plus de 70 %) et à la réticence
que les ministres éprouvent à mettre un grand nombre d’entre eux en minorité. Quoi
qu’il en soit, les données quantitatives disponibles suggèrent clairement qu’en ce qui
concerne la prise de décision, l’élargissement n’a pas entraîné de perturbation majeure
du système.
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27. Stanley Hoffman, « Obstinate or Obsolete ? The Fate of the Nation State and the Case of Western Europe »,
Daedalus, Proceedings of the American Academny of Arts and Science, 95(3), 1966, p. 862-915.
28. Arrêts Viking c/ITWF et Laval c/Byggnads du 11 et du 18 décembre 2007.
29. Claus-Dieter Ehlermann, « How flexible is Community Law ? An Unusual Approach to the Concept of ‘Two
Speeds’ », Michigan Law Review, 82, 1983-1984, p. 1274-1293 ; Charles Sabel et Jonathan Zeitlin, « Learning from
Difference : The New Architecture of Experimentalist Governance in the European Union », European Law
Journal, 14(3), 2008.
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avec la société civile, peuvent être utilisés par les institutions européennes pour renforcer
leur influence30. On a ainsi pu montrer que les modes d’action, et même la structure des
organisations non gouvernementales, étaient souvent influencés par les politiques de
l’Union31. Une bonne partie de l’ambiguïté de la situation actuelle découle du fait que le
tournant de la gouvernance a été largement pris afin de permettre à l’Union européenne
de s’immiscer dans des domaines politiques pour lesquels la délégation de pouvoirs aux
acteurs supranationaux, pierre d’angle de la méthode communautaire, était considérée
comme inacceptable – le meilleur exemple étant la fameuse méthode ouverte de coopé-
ration, dont un des buts était clairement d’européaniser l’un des bastions des États
modernes : leurs systèmes de protection sociale.
Plutôt qu’appréhender la relation entre l’ancienne et la nouvelle gouvernance comme un
bras de fer dans lequel l’une serait clairement appelée un jour à prévaloir sur l’autre, on
devrait les envisager comme des approches distinctes, bien que non antagonistes, de la
prise de décision au niveau européen. Comme la plupart des systèmes de gouvernance
contemporaine, l’Union européenne a recours à un mélange, parfois contradictoire, de
principes organisationnels et normatifs, de modèles de participation, de logiques compor-
tementales, de procédures opératoires et de ressources de légitimation32.
Ainsi, quels que soient les buts de ses promoteurs, l’idée que la « nouvelle » gouvernance
va nécessairement entraîner la mort de la méthode communautaire n’apparaît pas perti-
nente. Comme l’a observé un récent courant de la littérature critique, l’effectivité et la
viabilité à long terme de ces nombreux et nouveaux instruments restent à démontrer33.
Sur la base des données empiriques réévaluées dans ce chapitre, l’importance de la
méthode communautaire n’apparaît pas sur le déclin. Et le traité de Lisbonne contient
des éléments qui devraient, selon toute probabilité, contribuer à son renforcement grâce
à l’extension du vote à la majorité qualifiée et à son introduction dans le domaine de
la sécurité et de la justice. Plus fondamentalement, la gouvernance de l’Union euro-
péenne est bien trop complexe pour être pensée au moyen de dichotomies simplistes.
Plutôt que de réfléchir en termes d’alternatives, nous devrions essayer d’analyser
comment anciens et nouveaux modes de gouvernance se combinent et comment ce
mélange évolue au fil du temps34.
Certes, les données quantitatives qui sont évoquées ici renvoient principalement au
processus décisionnel, sans nous dire grand-chose de l’influence que les institutions
peuvent avoir sur la substance des décisions prises. Des travaux récents ont montré que
les accords conclus au Conseil tolèrent une plus grande flexibilité (sous forme de déro-
gations ou d’opt-out, par exemple) que par le passé, ou qu’ils débouchent parfois sur
des compromis incohérents35. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour
30. Laura Cram, « In the Shadow of Hierarchy : The Commission and the Community Method », Papier présenté
lors du workshop CONNEX sur « The Community Method : How much do we know about it », Paris,
29 novembre 2007.
31. Rosa Sanchez-Salgado, Comment l’Europe construit la société civile, Paris, Dalloz, 2007.
32. Johan P. Olsen, , « EU Governance : Where do We Go from Here ? » art. cité, p. 7.
33. Timo Idema et Daniel R. Kelemen, « New Modes of Governance, the Open Method of Co-ordination and
other fashionable red herring », Perspectives on European Politics and Society, 7(1), 2006, p. 108-123.
34. Johan P. Olsen, , « EU Governance : Where do We Go from Here ? », art. cité, p. 6-11.
35. Sara Hagemann et Julia De Clerck-Sachsse, « Decision-making in the Enlarged Council of Ministers :
Evaluating the Facts », CEPS Policy Brief, 119, janvier 2007.
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déterminer si les équilibres de base – entre l’Europe et les États et entre les différentes
institutions européennes – ont évolué. À un autre niveau, celui de la mise en œuvre des
politiques européennes, on a pu montrer que les mécanismes de contrôle de l’Union
européenne étaient loin d’être suffisants pour garantir une mise en œuvre fidèle des
décisions communes36. Enfin, le fait que la méthode communautaire conserve à l’heure
actuelle un rôle central dans l’Union européenne n’implique pas nécessairement qu’il
s’agit d’un modèle intrinsèquement stable. Comme on le verra au chapitre suivant, elle
a de tout temps rencontré une forte opposition, et reste contestée dans de nombreux
cercles. Certaines de ses réussites, comme son adaptation à la montée en puissance du
Parlement européen, pourraient même amener de nouveaux problèmes. Ainsi, le fait
que les deux tiers des textes législatifs adoptés en codécision par le Conseil et le
Parlement le soient dès la première lecture peut être vu de deux façons différentes37.
D’un côté, cela montre que les institutions ont été capables de trouver un mode de
coopération fluide. D’un autre, comme ces accords privilégient le dialogue informel
entre les deux branches du pouvoir législatif38, on pourrait tout aussi bien faire valoir
que cette tendance contribue à renforcer le biais élitiste du système décisionnel
européen. Si la pression en faveur d’une démocratisation de l’Union européenne
persiste, comme cela est probable, le modèle communautaire devra continuer à évoluer.
POUR APPROFONDIR
DEHOUSSE (Renaud), DELOCHE-GAUDEZ (Florence) et DUHAMEL (Olivier) (dir.),
Élargissement. Comment l’Europe s’adapte, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.
HIX (SIMON), The Political System of the European Union, Basingstoke, Palgrave,
2005 [2e éd.].
MILWARD (Alan), The European Rescue of the Nation-State, Londres, Routledge,
1992.
MORAVCSIK (Andrew), The Choice for Europe. Social Purpose and State Power
from Messina to Maastricht, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 1998.
OLSEN (Johan P.), « EU Governance : Where do We Go from Here ? », dans Beate
Kohler-Koch et Fabrice Larat (dir.), European Multi-level Governance :
Contrasting Images in National Research, Cheltenham, Edward Elgar Publishing,
2008.
36. Gerda Falkner, Oliver Treib, Miriam Harlapp et Simone Leiber, Complying with Europe. EU Harmonsisation
and Soft Law in the Member States, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
37. Voir sur ce point le chapitre 3.
38. Michael Shackleton, « The Politics of Codecision », Journal of Common Market Studies, 38, juin 2000, p. 325-
342.
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