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Aux origines de l'insécurité en Haïti

En mémoire de M. Jean Fignolé Chérestal, tué par balle à Port-au-Prince, le 23 septembre


dernier et qui a laissé dans le deuil une femme, deux enfants et de nombreux amis...

Publié le 2011-11-03 | Le Nouvelliste

     

National -

Par Jean-Robert Simonise L'insécurité grandit. Elle frappe dans toutes les classes sociales, ici,
à Port-au-Prince. Des personnes connues se font exécuter suite à leur enlèvement et une
rançon versée. Les détaillants du centre-ville crient au secours. Les détenteurs de téléphone
cellulaire qui n'ont pas la chance d'avoir un véhicule sont aux abois. Des « zones grises » ou
zones de non-droit réapparaissent sous une autre forme. C'est le cas de la zone commerciale
de PAP. La nouvelle méthode est moins spectaculaire, certes, mais la Peur revient dans les
esprits à la capitale. Les déclarations rassurantes des responsables, la multiplication des «
points fixes » de la PNH semblent être contestées par la réalité. De manière atroce et
meurtrière. Je crois que nous ne pouvons plus à ce stade nous référer à la vigilance des
autorités de la PNH qui ont l'air dépassées par les événements. Le problème est devenu un
défi à toute la société et au gouvernement. Il est temps de questionner cette violence aux fins
de proposer des idées de solution. L'insécurité est combattue chez nous depuis plus de vingt
ans. Cela fait plus de dix ans que la PNH est assistée par de coûteux programmes de la
communauté internationale. Un plan de réforme de l'institution nationale, selon le prescrit
d'un Manuel sur la Réforme du Système de Sécurité élaboré ailleurs pour les Etats qui sortent
d'une guerre civile. Il convient de conclure que les résultats n'inspirent plus confiance à la
population. Elle veut être rassurée et pouvoir vivre dans son pays. Si nous souhaitons
vraiment faire venir des investisseurs, il faut d'abord penser aux gens d'affaires locaux qui
songent à aller ailleurs à cause de l'insécurité. LES FACTEURS D'INSECURITE 1) LA
FORMATION DES POLICIERS? Il faut rappeler que la formation de nos policiers est
soutenue par la communauté internationale. Des moniteurs de plusieurs pays y interviennent.
Les policiers sont formés en fonction de paramètres fort discutables au regard de notre réalité.
Le policier haïtien, au terme de sa formation, conçoit son travail à l'intérieur d'un véhicule. Il
est rare de voir des patrouilles de police à pied. Il est formé pour solliciter des renforts en cas
de risques. Ces renforts devaient répondre à la moindre alerte dans le cadre d'une tactique de
meutes. Comme cela se fait dans toutes les capitales organisées du monde. Ici les routes sont
mauvaises, les véhicules sont souvent en panne ou en manque de quelque chose. Il y a la
mentalité du nouveau policier haïtien. Et l'homme haïtien s'adaptera-t-il de si tôt de manière
efficiente à un cadre où sévit une hiérarchie « molle »? Pour fournir adéquatement ce service
dans les conditions actuelles, les autorités policières devraient disposer de tout le budget de la
République d'Haïti. Ainsi, après nous avoir dit pendant plus dix ans que cette « police est
jeune » pour justifier l'inefficacité de la PNH, on peut se demander, à bon droit : Qui regarde
nos souffrances? Je ne peux répondre avec assurance à la question posée. Mais le mal frappe
nos compatriotes avant tout. Ce sont les étrangers, les instructeurs de nos policiers qui nous
demandent la patience par l'entremise des coups de communication qui mettent notre
pauvreté, notre détresse à la une de l'actualité. Ils ont le droit de notifier, d'évaluer nos
policiers. Qui évalue le résultat en Haïti? Les victimes ou les prestataires de services? Qui a
procédé à une évaluation sérieuse des différents programmes coûteux financièrement de «
renforcement de la PNH »? Notre gouvernement doit savoir qu'il a la légitimité nécessaire
pour demander des comptes et proposer à nos amis de la communauté internationale des
pistes de solution. Il y a péril en la demeure. Il y va de la vie et des biens des citoyens haïtiens
et de cette précieuse légitimité du président de la République nécessaire aux négociations
avec nos partenaires. Il existe dans ce domaine un phénomène qui a un caractère dialectique.
Quand l'insécurité sévit, les citoyens questionnent la volonté des autorités. Ils sont enclins à
perdre confiance en leurs dirigeants. Et ce doute diminue la légitimité nécessaire aux
fructueuses négociations avec la communauté internationale. En fin de compte, le domaine en
dernier ressort doit être une priorité de la politique. Dans ce jeu à trois (Pouvoir, PNH,
Minustah), c'est lui qui a le plus à perdre. Et bien entendu nous de la population. Il est évident
qu'Haïti n'a jamais eu une police motorisée. L'expérience est nouvelle et ses résultats sont à la
limite de l'intolérable. D'autant que le problème de voies d'accès à certaines poches de
criminalité est une réalité difficile pour la PNH. Il faut donc nous demander à la lumière des
résultats : Nous faut-il une police motorisée, pédestre, ou une police mieux adaptée à notre
condition de pays pauvre en proie à un banditisme protéiforme? Notre policier doit-il être
beaucoup plus un protecteur des droits de l'homme ou un homme entraîné à gérer seul une
situation de combat? Au regard du nombre de policiers tués ou d'abandon de poste sous
pression d'assaillants faiblement équipés ou d'émeutiers, nous nous demandons est-ce que nos
policiers sont encore formés dans notre vieille tradition : « La garde meurt, mais ne se rend
pas ». 2) « LE VETTING » Le « vetting », qui est en fin de compte un processus de criblage
de la police aux fins de la débarrasser des éléments douteux, n'est -il pas devenu un frein à
l'esprit d'engagement de nos policiers? Le policier, qui doit choisir entre le laisser-faire et la
perte probable de son emploi sous l'accusation de violations des droits de l'Homme, ne sera-t-
il pas tenté d'opter pour l'option la moins risquée? On ne peut contester l'hypothèse soutenue
par de nombreux spécialistes de la nécessité de se doter d'une police légitime (honnête et
crédible) pour combattre de manière efficace le banditisme. Mais l'expérience a prouvé que le
« vetting » avait ses limites et est parfois contre-productif. Après l'application dans ce
programme en Bosnie-Herzégovine, les calamiteux résultats ont porté le Département des
droits de l'homme de l'ONU à conduire une enquête. Elle a révélé que le policier ne peut être
considéré comme unique facteur de réussite. La population qui est la victime doit être
entendue et son droit à demander des comptes doit être considéré. Cet audit a révélé que les
symboles nationaux ne doivent point être négligés, car ils peuvent servir à donner une « âme
» à un corps appelé à risquer la vie de ses membres. Un homme est prêt à donner sa vie quand
il est doté de valeurs qui constituent le fondement de la société qu'il est appelé à défendre. De
la nation qui doit être reconstruite. E. Millard, cité par Serge Rumin, n'a-t-il pas affirmé : «
Pour saisir la vraie nature de l'Etat (il convient de) l'appréhender là où elle a ses sources et ses
racines, c'est-à-dire dans la nation elle-même et dans l'ensemble des multiples composantes
qui la constituent ». Cette dernière assertion nous oblige à nous poser des questions sur la
compétence des formateurs étrangers dans leur capacité à « saisir » les multiples nuances
d'une nation comme celle d'Haïti. Je ne veux pas être aussi sévère que Serge Rumin qui s'est
demandé dans sa présentation intitulée « Réforme du Système de la Sécurité dans les Etats
fragiles » s'est demandé : « Peut-on mentionner un seul individu qui ait rejoint la police (...)
pour œuvrer à la Réforme institutionnelle post-conflit (...) qui dans son cursus de formation
ait été formé à ce type de défi? Le défi dépasse la compétence technique policière (...) Ce défi
multidimensionnel et donc complexe requiert la combinaison de plusieurs compétences (...).
3) LE MANQUE DE COORDINATION DE L'ASSISTANCE TECHNIQUE Un corps armé
est rarement efficace quand il est le produit de différents courants de pensée. Il doit être guidé
dans ses premiers pas par des gens dotés d'une solide expérience venus d'un seul pays, qui
doivent être des modèles pour les nouveaux gradués. L'histoire récente a prouvé que des
corps formés par des moniteurs de plusieurs pays deviennent des tours de Babel. Ils sont sans
modèles, et nous osons dire sans père. On est enclin à recenser les nombreux échecs de
l'ONU sur le registre de la sécurité, pour nous convaincre de l'inefficacité des missions de
l'Organisation. Elles peuvent être utiles dans la mesure où elles ne constituent pas des champs
fermés, repliés sur eux-mêmes, qui viennent « imposer » des programmes stratégiques
appliqués partout. Les sociétés ont leurs « particularismes », ce n'est point à ces dernières à
s'adapter à l'ONU. C'est à elle de savoir s'adapter aux réalités des nations. Les problèmes de
sécurité dans les Etats fragiles sont compris par l'ensemble des bailleurs de manière
différente, et l'aide de ce fait arrive en fonction d'intérêts spécifiques de chaque bailleur. Cette
partialité de l'aide nous renvoie au problème récurrent du manque de coordination de l'aide
internationale. On se demande, au vu des résultats, si la partialité de l'aide ne rend pas l'aide
au renforcement de la sécurité aussi peu productive que l'aide au développement. 4) LA
CRIMINALITE COMME ARME POLITIQUE Les forces de l'ONU sont arrivées en Haïti en
2004 à la suite d'un conflit politique interne. Elles ont aidé à faire baisser le niveau de
violence. De manière fort honorable. Mais ont-elles établi la paix en Haïti? Est-elle du ressort
de la Minustah, qui est ,fort souvent, sous pression des représentants des politiciens qui
veulent associer la Minustah à une force de destruction ou d'occupation? L'historien
britannique Victor Davis Anson, dans « La guerre du Péloponnèse », affirme, à juste titre,
qu'un conflit n'est pas résolu tant que ses causes n'auront pas été évacuées. La violence, dès
lors, selon Anson, n'est pas définitivement éteinte. Elle peut reparaître à n'importe quel
moment. Quelles étaient les causes profondes du conflit de 2004? A-t-on jamais pensé à aider
les Haïtiens à construire la PAIX en faisant face de manière responsable à l'objet du conflit?
Je crois, au demeurant, que la PAIX n'est pas de la compétence première de l'ONU en Haïti.
Elle incombe avant tout aux dirigeants haïtiens. Il s'agit du chantier principal des
gouvernements haïtiens. Ils ne peuvent réussir les autres sans celui-là, d'abord. La violence en
2004 était politique. Il y a deux ans, elle était considérée comme criminelle par de nombreux
spécialistes. Et aujourd'hui, quelle est sa nature? Est-elle une forme de déstabilisation? Je ne
puis avancer aucune réponse définitive. Un président vient de commencer son mandat. Les
premiers signaux nous indiquent qu'il n'a pas que des amis en Haïti. La paranoïa n'est pas de
mise. Cependant, la nouvelle violence est inquiétante. 5) LA PAUVRETE La banque
Mondiale nous a proposé une formule de lutte contre la pauvreté (le DSNCRP). Mais le cadre
macroéconomique pouvant soutenir la croissance a peu évolué. L'inflation est plus ou moins
contenue. La monnaie est relativement stable. Mais le taux de chômage demeure
préoccupant. La production nationale ne décolle pas. Les appels aux investisseurs étrangers
n'ont pas encore eu les réponses escomptées. A-t-on pensé à établir un lien entre cette
politique économique qui ne favorise pas la relance et l'insécurité chronique chez nous? Ceux
qui sont intéressés à s'informer sur les incidences de politiques économiques semblables à la
nôtre, mais moins sévères, peuvent consulter : James K. Galbraith « L'ETAT PREDATEUR
», éditions du Seuil, Paris, 2009. ; Naomie Klein « La stratégie du choc » Actes Sud, Paris,
2008. CONCLUSION Le plan de sécurité de la PNH, qui s'applique sur de longues périodes,
n'est-il pas facilement étudié et déjoué par les criminels? La PNH ne devrait-elle pas
constituer un é-major mixte ad hoc (PNH-Minustah) pour bâtir des plans plus souples et qui
s'étalent sur une durée plus courte? L'assistance de la Minustah à la PNH ne devrait-elle pas
être un peu plus musclée? A quoi servent les véhicules blindés de la Minustah? Servent-ils à
soutenir efficacement la PNH qui est dans une situation qui semble dépasser ses capacités et
celles de la UNPOL? Le gouvernement ne devrait-il pas cesser de considérer les rapports
officiels sur l'état de la sécurité en Haïti comme des chapitres de l'Evangile? Le
gouvernement ne devrait-il pas être à l'écoute de la population pour évaluer ses frustrations
par rapport à l'insécurité? Des gens malintentionnés peuvent croire, à tort, que j'ai la sotte
prétention de m'ériger en donneur de leçons. Loin de là. J'ai voulu dans cet article partager
mes idées avec les autres, avec le faible espoir que mes concitoyens cesseront de compter les
tués par balles dans leurs rangs.

BIBLIOGRAPHIE : -Sous la direction de Severine Bellina, Herve Magro et Violaine de


Villemeur « La gouvernance démocratique ». Paris, Editions Kartala, Ministère des Affaires
étrangères et européennes, (France) 2008. -Victor Davis Anson « la Guerre du Péloponnèse »
Flammarion, Paris, 2008. (Pour la traduction)

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