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COMMANDEMENT DE LA DOCTRINE ET DE L’ENSEIGNEMENT

MILITAIRE SUPÉRIEUR DE L’ARMÉE DE TERRE

OBJECTIF DOCTRINE
NOVEMBRE 1999
SOMMAIRE
Editorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1
SIMULATION
DOCTRINE Les systèmes d’information opérationnels
De la doctrine à l’action militaire et la simulation
(2ème partie) IPA DECOURT . . . . . . . . . . . . . . . . . .25
COL BERNEDE . . . . . . . . . . . . . . . . . .2

Le soutien logistique des opérations


LIBRES REFLEXIONS
internationales : une perspective
pour l’armée allemande ? Opérations psychologiques : réflexions sur
MAJ BRETZ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7 une proposition de concept français
LCL FRITSCH . . . . . . . . . . . . . . . . . .30
De la PRCB à la PREO
COL LEBEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12 L’amphibie ? Soyons sérieux....
très sérieux même !
Une nouvelle classification de la CBA MERVEILLEUX
documentation de doctrine opérationnelle DU VIGNAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35
GAL DE GIULI . . . . . . . . . . . . . . . . . .15

ACM : les leçons de l’expérience euro-


péenne (2ème partie)
M. BRUMTER . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19
ÉDITORIAL
noter que cette documentation n’est opérations multinationales. L’article
T oute doctrine élaborée donne
naissance à un certain nombre
de documents supports de son ensei-
pas la documentation opérationnelle,
celle qui alimente en données de
sur la simulation, enfin, met fort op-
portunément en relief les relations et
gnement et de son application. Pen- base actualisées les états-majors pro- interactions entre les systèmes d’in-
dant longtemps, la référence couran- jetés et leurs systèmes d’information formation opérationnels, les sys-
te a été celle des règlements, et force et de communication, même si elle tèmes de simulation et leurs utilisa-
est de constater que l’emploi généra- peut en faire partie. Cette présenta- teurs potentiels.
lisé et abusif de ce vocable a nui à la tion, qui permet déjà de classer les
doctrine puisque de manière implici- travaux de doctrine du comité de co- Ce mois ci, la revue élargit son
ordination des études opération- champ de réflexion en abordant pour
te il associait son non respect à une
nelles, sera reprise pour bâtir les ar- la première fois, dans la rubrique
faute ou une contravention à la loi.
borescences du CD-ROM Armée de libres réflexions, la délicate question
Aujourd’hui, le règlement est à nou-
terre, qui fera l’objet d’une présenta- des actions dans les champs psycho-
veau compris dans sa signification
tion détaillée dans la prochaine li- logiques, qui suscite de plus en plus
originelle de document juridique - à
vraison d’OBJECTIF DOCTRINE. d’interrogations et de débats. Dans la
l’instar du règlement de discipline
même rubrique, l’article sur l’amphi-
générale ou du règlement de service
Par ailleurs, la revue continue de bie présente un point de vue engagé
intérieur - et l’on parle plus juste-
rendre compte des préoccupations mais il ne tient qu’à nos lecteurs d’y
ment de manuel d’emploi et de noti-
doctrinales fonctionnelles avec une répondre s’ils l’estiment nécessaire.
ce de mise en œuvre, ainsi que de
mémentos de fonctionnement. brève présentation de l’actualisation
de la méthode de préparation des La Rédaction
Ce numéro présente la façon opérations sous l’angle du renseigne-
dont le CDES structure et organise ment, la poursuite d’un témoignage
la documentation de doctrine opéra- concernant les actions civilo-mili-
tionnelle pour couvrir l’ensemble des taires ainsi que l’exposé du point de
besoins des forces. Il convient de vue allemand sur la logistique des
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 1
d’attitude et empêchait toute réaction à

DE LA DOCTRINE l’événement.

A L’ACTION MILITAIRE
Avec l’échec de 1870, l’ampleur du
désastre apparaît donc clairement aux
(2ème PARTIE) hommes en situation de responsabilité,
PAR LE COLONEL BERNEDE et ils l’imputent à cette doctrine basée
sur une "abstraction" mais également à
re franco-prussienne de 1870, les esprits des structures d’état-major inadaptées,
D ans la pensée de Lewal, rien
n’est réellement fondé s’il n’y a
pas une solide et réelle étude. Tout est
étaient très marqués par le feu. Depuis
Sébastopol en 1855 mais encore plus
sans parler de l’expérience coloniale qui,
selon Lewal, a fait se fourvoyer les es-
donc lié : "Les militaires les plus irréso- avec Magenta et Solferino en 1859, les prits.
lus ont été... ceux dont l’instruction était esprits traumatisés avaient tiré de ces ex-
C’est en fonction de cette expérien-
la moindre. Par contre, tous les hommes périences la conclusion qu’il n’était pas
ce négative de la dernière guerre qu’est
qui ont rigoureusement commandé... possible de manœuvrer sous le feu et en
publié le nouveau règlement de ma-
ont été les officiers dont le savoir était avaient tiré une doctrine sur les posi-
nœuvres d’infanterie de 1875 alors que
grand" explique-t-il. tions choisies à l’avance.
le "succès" sur la Commune de Paris et
Lewal élabore ainsi une méthode où A partir de ces positions, l’ennemi les campagnes coloniales plaidaient pour
l’étude des règlements s’appuie sur des qui se présenterait serait détruit par le un statu quo. Le règlement du 12 juin
cas concrets. Cette méthode présidera à feu dès qu’il prétendrait livrer bataille. 1875 ne se situe donc plus exactement
l’élaboration et à l’enseignement de la D’où, selon Lewal, cette étonnante pas- au même niveau que les règlements
nouvelle doctrine française de l’Ecole sivité des généraux français lors des opé- antérieurs rédigés sous l’influence
Supérieure de Guerre à la veille de la rations de 1870 (le général Douay à de la pensée de Guibert.
Grande Guerre. Wissembourg, Mac-Mahon à Frœsch-
L’évolution est sensible, le règle-
willer ou encore Bazaine…).
Au lendemain de 1870, il aura fallu ment pose des principes généraux de
dix années avant d’avoir une nouvelle Doctrine manifestement erronée tactique, et ne se contente plus d’être un
institution, l’Ecole Supérieure de Guer- aux effets d’une extraordinairement per- cadre général d’emploi. Prenant posi-
re. Il est certain qu’à la veille de la guer- versité, qui interdisait tout changement tion sur le plan tactique, il établit :
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 2
1/ l’importance prépondérante du feu les préoccupations de tous les profes- idée est coupable d’avoir omis de préci-
comme mode d’action ; seurs et donc, en clair, que les cours ser que l’Empereur procédait toujours à
2/ l’impossibilité, pour une troupe un soient coordonnés dans une direction une longue méditation sur les possibili-
peu considérable, de se mouvoir en ordre positive. Ainsi, Lewal espérait-il créer tés de l’adversaire et que la manœuvre,
serré,... dans la zone très étendue du feu une unité de pensée appuyée sur des comme par exemple celle d’Ulm du 15
efficace de l’ennemi. principes cohérents. C’est donc un re- au 20 octobre 1805, répond aux hypo-
tour aux normes et règles de base que thèses résiduelles.
Il conclut à la nécessitée de fraction- suggère Lewal pour assurer la crédibili-
ner les troupes de première ligne et té de cette science. De là découlent des conceptions aux
d’adopter un mode d’action en ordre caractères singulièrement réducteurs :
dispersé. Ce nouveau type de règlement Dans ces conditions-là, vingt-cinq • la destruction directe de l’en-
devra désormais être modifié en fonc- années de guerre de la Révolution et de n e m i est l’objet principal de la guer-
tion de l’armement : instruction du 20 l’Empire, la forte personnalité de Napo- re ;
avril 1878, suite au fusil modèle 1874, léon, relayées par Jomini qui dans son • la défensive n’est qu’une position d’at-
dit Gras, et règlement du "Précis de l’art de la guerre" analyse les tente pour passer à l’offensive ;
raisons du succès, tandis que Clausewitz • etc...
3 janvier 1889, suite au fusil modèle
étudie l’usure des méthodes de l’Empe-
1886, dit Lebel. En 1896 le règlement Lewal, en 1892, dans l’"Introduction
reur, en font un référentiel qui marque
sur le service des armées en campagne à la partie positive de la stratégie" écrivait :
la pensée de la fin du XIXème siècle et le
comble une partie de la place laissée par "S’appuyant sur des maximes contes-
début du XXème.
la mutation du règlement d’infanterie. tables quoiqu’émanant d’illustres capi-
Désormais, pour pallier cet aspect fugi- Or le lecteur de Clausewitz oublie taines, on répute la méditation de l’his-
tif du règlement de base, un corps de souvent que "De la guerre" est un livre toire militaire suffisante pour initier aux
"doctrine", c’est-à-dire ce qui s’enseigne posthume et inachevé, et fait ainsi des secrets de la stratégie. Seule et mal com-
et qui est destiné à durer pour servir de réductions dangereuses. prise, elle aboutit à la routine sous le
cadre général à la réflexion puis à l’em- nom de tradition en tuant à la fois le rai-
ploi, prend une nouvelle dimension. "Napoléon a toujours marché droit sonnement et le calcul."
au but, sans se préoccuper en rien du
A l’Ecole Supérieure de Guerre, plan stratégique de l’adversaire". Pré- Les règlements de 1910 à 1913, ins-
Lewal a imposé que l’enseignement de sentée ainsi et réduite à cette simple ci- pirés des théories du colonel de Grand-
la tactique soit situé au centre de toutes tation érigée en "vérité révélée", cette maison, soulignent la nécessité d’une
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 3
décision rapide. Il n’y là rien de répré- pas confondre le niveau de la mise en car selon Paul Valéry : "La tactique
hensible ! "C’est la rapidité de l’engage- place des forces, c’est-à-dire le niveau ruine la stratégie. La bataille d’en-
ment qui garantira de la surprise, et la opératif avec celui de l’emploi tactique. semble, gagnée sur la carte, est perdue
violence de l’attaque qui assurera contre en détail sur les coteaux".
la manoeuvre de l’ennemi", écrit Et chacun sait bien qu’à Marengo la
Grandmaison. victoire est double : au niveau opératif En fait, initialement, le raisonne-
d’abord, puis tactique, après avoir frôlé ment de Grandmaison n’était ni faux ni
Certes, ceci n’a rien d’une absurdité, la catastrophe dans ce dernier domaine. juste ; le problème réside dans son appli-
mais attention à la confusion des genres C’est la capacité manœuvrière au niveau cation. Le fait d’avoir opté pour l’offen-
et des niveaux. C’est sommairement ce opératif qui a permis d’amener les forces sive n’est certainement pas critiquable
qui se passe dans l’exemple maintes fois en bonne position sur le champ de ba- dans l’absolu. En revanche, la façon,
avancé de la mise en place des forces taille au sud du Pô, à l’est d’Alexandrie. pour Grandmaison, de présenter sa
françaises lors de la campagne du Pre- Là, après avoir été au bord de la ruptu-
conviction l’est probablement quand il
mier Consul en 1800, à la veille de la ba- re, suite à une position éclatée par dé-
dit : "Dans l’offensive, l’imprudence est
taille de Marengo le 14 juin. "Il faut sa- faut de renseignement, les Français ont
la meilleure des sûretés..." Soyons juste-
voir où il est, et l’attaquer pour sa été en mesure d’abord d’échanger du
ment prudents avec les formules, elles
propre sûreté", poursuit Grandmaison. temps contre du terrain, puis de procé-
courent le risque d’être mal comprises,
Or, justement, à Marengo, Bonaparte, à der à une remarquable concentration
donc mal appliquées et de présenter
l’aube du 14 juin, a été surpris en fla- des efforts grâce à la fameuse grande
batterie d’artillerie préconisée par le gé- ainsi des effets pervers particulièrement
grant délit, au niveau tactique, de dis-
néral Desaix, relayée par l’excellente néfastes. "Il faut, poursuit-il, se préparer
persion par l’attaque du feld-maréchal
charge de cavalerie de Kellerman, le à la méthode qui puisse forcer la victoi-
Mélas, au moment où justement il était
tout, preuve d’un véritable savoir-faire, re en cultivant avec passion, avec exagé-
à la recherche du renseignement sur
c’est-à-dire d’une connaissance des rè- ration, et jusque dans les détails, les plus
l’ennemi.
glements étayée par une solide expérien- infimes parties de l’instruction, tout ce
Preuve est bien là qu’il ne faut pas ce. Preuve est bien apportée là, qu’à la qui porte, si peu que ce soit, la marque
globaliser la manœuvre, qu’il faut bien guerre, on passe d’un niveau à l’autre, de de l’esprit offensif... allons jusqu’à l’ex-
distinguer ses phases et ses niveaux, les la stratégie, au niveau opératif, à la tac- cès et ce ne sera peut-être pas assez".
étudier chacun à leur place pour y ap- tique, sans doute progressivement mais Manifestement, il prend de façon ou-
porter la solution adéquate. Il ne faut qu’en aucun cas il ne faut les confondre, trancière, le contre-pied de 1870.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 4
Dans le tohu-bohu passionné, nul conduire à préparer le fait unique et dé- à une construction simple. Le plus sou-
n’a entendu le commandant Mayer pro- finitivement révolu de la guerre précé- vent, il consiste à focaliser sur un seul
phétiser une guerre de position dure et dente. fait, courant ainsi le risque de le sortir de
longue. Mayer avait tout simplement en son contexte et de mal l’interpréter.
1905, c’est-à-dire après la refonte du rè- Si, sur le chemin qui va de la doctri-
glement en 1902, fait un véritable bilan ne à l’action militaire, il n’existe évidem- Tel est, par exemple, le cas flagrant
doctrinal avec son étude sur les transfor- ment pas de recette ou de méthode in- pour la doctrine d’emploi des chars
mations de la guerre. faillible, sans doute se trouve-t-il après la Grande Guerre. Des myriades
quelques conditions pour éviter les prin- de Chars FT17, telle est l’image qui oc-
Aujourd’hui, comme en 1905, il cipaux écueils, la première étant proba- culte un fait bien réel, à savoir les chars
semble parfaitement inutile de vouloir blement de tenter d’éviter que la doctri- lourds Schneider et Saint-Chamond,
jouer au prophète. Ce qui ne doit pas ne ne devienne "doctrinaire". engagés en rupture dans la deuxième ba-
empêcher de travailler pour… taille de la Marne lors de la contre-of-
A ce débat, l’histoire doit pouvoir fensive de la fin juillet 1918, alors que
COMPRENDRE ET participer, même si elle n’a pas pour les FT17 ne viendront qu’après pour
CONSTRUIRE… mission de valider "le produit". En re- écraser les nids de mitrailleuses, le tout
vanche, l’historien doit participer aux sous une forte couverture aérienne. Le
Soit le concepteur de la doctrine, travaux qui permettent de dégager des concept d’emploi des chars français en
prétextant que nul n’a jamais tiré de vé- points de repères fondamentaux, mais là 1940 s’en trouvera largement vicié ; non
ritables enseignements de l’histoire et aussi des règles s’imposent. dans l’absolu, mais par rapport à la ques-
que le fait historique est unique, tion posée par l’adversaire.
construit son système de référence par le C’est là que l’historien trouve son
raisonnement pur : il débouchera vrai- terrain de prédilection dans l’étude des - Le second écueil, à souligner, est celui
semblablement sur une construction circonstances. Mais la voie de la métho- de l’analogie.
qui, comme le fait historique, sera de historique est manifestement, comme
unique et ne représentera pas grand- les autres, remplie d’écueils dont deux A la fin de l’année 1944, le général
chose dans l’infini des solutions pos- méritent d’être retenus : Leclerc, franchissant les Vosges par le
sibles. Soit la méthode historique, mal col du Dabo, débouche dans la pleine
assimilée, peut, comme des "leçons ap- - Le premier écueil est, sans doute, l’es- d’Alsace et "fonce au galop" sur Stras-
prises" qui ne seraient pas renouvelées, prit de système, qui vise à tout ramener bourg, qu’il prend le 23 novembre 1944.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 5
L’historien Adrien Dansette prétend du "permanent". Manifestement, l’hom- compétence sans laquelle l’officier n’est
qu’il faudra enseigner cette manœuvre me sur le terrain, est préoccupé par les rien.
aux générations à venir. Attention à ce problèmes qu’il a et qu’il aura à résoudre
à "horizon prévisible". A ce titre, l’his- Mais, au bout du compte, il convien-
qui sera retenu.
toire constitue un "axe d’approche, dra à chacun de se souvenir que si tout
S’il s’agit de retenir, par analogie, parmi et avec d’autres", pour aller de savoir est aussi indispensable que relatif,
que l’on peut engager des blindés par il fait cependant partie de cette base hu-
l’indispensable doctrine à l’action mili-
l’étroit col du Dabo, et que l’on peut se maine qui seule permet la réflexion et
taire…
déployer ensuite en plaine pour atta- donc l’action, comme en témoigne ces
quer, c’est une véritable hérésie. Cette Après s’être dotée de règlements propos tenus entre le maréchal Foch et
façon de voir conduirait à ignorer d’exercice, et appris à ses officiers le fon- l’ancien ministre et historien Gabriel
l’énorme travail intellectuel de prépara- dement de ce qui constitue l’honnête- Hanotaux, alors que ce dernier, retiré de
tion de la part du général Leclerc et son homme au sens du XVIIIème siècle, la vie politique, écrivait au lendemain de
remarquable calcul de probabilité. cette institution militaire appartenant la Grande Guerre "Histoire de la nation
désormais au Roi, c’est-à-dire à l’État, a française" :
Pour Leclerc, il s’agissait de trouver
éprouvé le besoin de passer, à la fin du
la faille dans le dispositif d’un adversaire "Monsieur le maréchal… à l’une de ces
XIXème siècle, au stade suivant de l’en-
qu’il savait en difficulté. Les "groupe- heures, où vous devez prendre parti, est-
seignement de la guerre avec la mise en
ments tactiques" de Leclerc ont donc ce que quelque chose de ces fortes
place d’une École Supérieure de Guer-
été envoyés à la recherche d’un "trou" ; études vous aide à résoudre les pro-
re.
quand celui du Dabo est trouvé, il est blèmes ?" interrogeait le premier.
immédiatement exploité. Tels sont les Si pour passer de la doctrine à l’ac-
faits. tion militaire, les difficultés sont consi- "Nullement, mais cela donne
dérables, deux voies, peut-être moins confiance !", répondait le second.
C’est donc bien la nature du travail
intellectuel situé en amont, ses bases, la rocailleuses que les autres, semblent
capacité et l’adéquation des structures pouvoir être privilégiées : celle d’une so-
de l’unité aux missions attribuées qu’il lide culture doublée d’une profonde ré-
convient de retenir. flexion, et celle d’un savoir technique
qui passe par l’apprentissage en école,
Dans la pratique, la difficulté semble mais aussi ailleurs, des données du mé-
bien être de séparer le "circonstanciel" tier pour acquérir cette indispensable
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 6
LE SOUTIEN LOGISTIQUE DES OPÉRATIONS
MULTINATIONALES : UNE PERSPECTIVE POUR
L’ARMÉE DE TERRE ALLEMANDE ?
PAR LE MAJOR BRETZ
(112ÈME PROMOTION DU CSEM)

wehr, important instrument de la poli- allemands, deux ont pris un caractère


P our répondre aux exigences
d’un nouveau contexte, l’Ar-
mée de terre allemande a repensé
tique extérieure et de sécurité alleman-
de, doit être capable de remplir princi-
multinational.

De plus, l’Armée de terre allemande


son système logistique, y intégrant palement deux missions :
participe à l’"Allied command Europe
d’une part la dimension multinatio- - défendre le territoire national et parti-
Rapid Reaction Corps (ARRC)", au
nale, envisageant d’autre part les ciper à la défense collective au sein de
Corps Européen, au Vème Corps d’armée
possibilités et les limites d’un soutien l’Alliance d’une part,
américano-allemand et contribue active-
opérationnel mutuel. - prendre part, avec ses alliés et parte-
ment à la fondation du Corps d’armée
naires, aux missions de maintien de la
germano-dano-polonais, dénommé
UN NOUVEAU CONTEXTE paix, comme la SFOR, d’autre part.
Corps d’armée multinational Nord-Est,
• Le budget consenti à l’armée, est implanté à Stettin.
Compte tenu des nouvelles condi-
tions d’exercice de la politique de sé- limité, voire réduit. Cette situation Le soutien logistique opérationnel
curité, développées après la chute du l’oblige à utiliser efficacement des res- doit directement répondre à ces défis.
mur de Berlin en 1989, la situation ac- sources nationales. Les tâches élargies demandent un sou-
tuelle de la Bundeswehr peut être carac- tien opérationnel adapté, qui agira généra-
térisée par trois points. • L’Allemagne a augmenté ses efforts
lement dans un contexte multinational.
de coopération avec d’autres nations
• Les missions de l’armée allemande dans les structures multinationales. Ac- Les engagements menés hors des
sont élargies. Actuellement la Bundes- tuellement, sur les trois Corps d’armée frontières nationales imposent la plupart
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 7
du temps la projection des forces sur un
théâtre lointain et le travail sous des cli-
mats et sur des terrains très différents.
L’utilisation du soutien de la nation -
hôte peut jouer une rôle très important
dans ce cas.

Les possibilités offertes par la nation


- hôte, en ce qui concerne l’infrastructu-
re, les transports, les ressources et les
services, peuvent être de qualité très va-
riable. En outre, en fonction du scéna-
rio, l’armée doit prendre des mesures
complémentaires pour assurer la sécuri-
té des convois et des installations logis-
tiques.

Dans ce cadre général, le soutien


opérationnel répond à une nouvelle dé-
Conception du système logistique allemand
marche : contrairement à l’ancien adage
"l’intendance suivra", surtout dans le UNE CONCEPTION RÉNOVÉE Les niveaux brigade et Corps d’ar-
cadre d’un engagement extérieur, c’est au- mée ne comportent généralement pas
jourd’hui le soutien opérationnel qui crée Le système logistique allemand ré- de moyens logistiques organiques.
les conditions nécessaires pour un engage- pond à ces nouveaux défis en répartis- Seules les brigades d’assaut et la brigade
ment. De surcroît, le budget réduit et les franco-allemande font exception.
sant ses moyens à trois niveaux :
ressources limitées conduisent à réflé- Pour soutenir une opération en de-
- le niveau des bataillons,
chir sur des solutions multinationales. hors de l’Europe centrale, soit en réac-
C’est un défi, non seulement pour l’Ar- - le niveau des divisions,
tion à une crise, soit dans le cadre de la
mée de terre allemande, mais aussi pour - le niveau des échelons supérieurs de défense collective, le soutien opération-
toutes les armées européennes. l’Armée de terre. nel s’appuie sur un concept de base :
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 8
XXX • Les grandes unités comportent des
HUKdo éléments de soutien opérationnel orga-
X
niques. Ces éléments soutiennent priori-
EU XX
tairement les opérations dans la zone
d’intervention. Pour bien maîtriser le
soutien opérationnel, un système infor-
XX
matique de commandement est installé
sur le terrain.

XX
X

LA PERSPECTIVE
XX MULTINATIONALE
U
XX Le cas d’intervention des forces ar-
mées allemandes le plus probable est la
BASE BASE DE BASE SOUTIEN participation à des opérations de gestion
NATIONALE THEATRE DIVISIONNAIRE
des crises menées hors de la zone de
Conception du système logistique allemand l’OTAN. Les unités engagées dans le
cadre des opérations en faveur de la paix
• Le niveau Armée de terre, commandé d’une brigade logistique et de la brigade feront partie d’une "Task-Force" multi-
par le Commandement du soutien de médicale, assure la gestion de la base de nationale dont les tâches et la composi-
l’Armée de terre, est responsable de la la zone d’intervention. Une coopération tion seront adaptées à la mission à rem-
gestion de la base logistique et santé du plir. Pour ces opérations, la Bundeswehr
étroite entre les bases est nécessaire
territoire national. possède des Forces de réaction aux
pour assurer un flux continu du matériel crises qui sont entraînées, rapidement
• Au sein d’un théâtre, un commande- et un réapprovisionnement des stocks en disponibles et équipées de matériels mo-
ment de soutien opérationnel composé temps voulu 1. dernes et performants.

Note
1. Si les élongations le nécessitent, les personnels appartenant à l’Armée de terre peuvent installer des "points de service" le long
des itinéraires de transport et de ravitaillement et prévoir au besoin des bases avancées.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 9
Dans les missions de paix, il n’est pas entre les nations et les états-majors mul- sur le théâtre peuvent réduire les forces
rare que des nations mettent à disposi- tinationaux dès le début de la planifica- nécessaires. Ceci demande une harmo-
tion des unités sans fournir les éléments tion d’un engagement est nécessaire. Le nisation étroite entre les partenaires
de soutien opérationnel correspondants. soutien opérationnel mutuel au plus bas pour assurer leur protection d’une part
Il est donc nécessaire que tous les élé- niveau doit commencer avec l’échange et pour tirer profit des capacités et du
ments, qui proviennent des différentes des services et des matériels entre les na- réseau routier d’autre part.
nations, soient regroupés pour consti- tions, au cas par cas.
tuer un ensemble cohérent et efficace. Afin d’éviter une compétition entre
Avec le MC 319/1 "Principes et poli- D’ailleurs, la solution, pratiquée
nations sur le théâtre, au plan de sou-
tique logistique de l’OTAN", la confé- avec succès avec l’ IFOR et aujourd’hui
tien, une agence multinationale ou les
rence des hauts responsables de la logis- la SFOR, consiste à répartir les respon-
autorités de l’OTAN ou tout autre orga-
tique de l’OTAN renforce bien les sabilités et les rôles entre les nations.
nisation, pourraient coordonner les ac-
possibilités d’une logistique multinatio- Une nation est en charge d’une fonction
tions, ou servir d’intermédiaire pour
nale, en soulignant la responsabilité col- spécialisée, par exemple le soutien médi-
établir des contrats en leur nom.
lective des pays et des autorités de cal, le soutien en carburant ou les
l’OTAN. moyens de transport. Les unités militaires logistiques in-
Un argument important pour déve- Dans le même contexte, une nation tégrées, agissant sous le commandement
lopper la capacité du soutien opération- peut agir comme nation pilote. Pour le d’un état-major multinational, symboli-
nel mutuel au sein des grandes unités reste, la nation conduit et coordonne la sent une autre approche de la multina-
multinationales et entre les nations est totalité ou une partie du soutien opéra- tionalité. La constitution de force est
l’économie budgétaire qu’il induit. La tionnel. La répartition dans les deux cas adaptée à un scénario concret. Elle est le
logistique multinationale ne peut pas suppose dès le début un accord concer- résultat d’une négociation entre les pays
être un but absolu. nant le remboursement afin d’assurer le participants. Un développement peut
bon fonctionnement du système. être envisagé.
LES POSSIBILITÉS
Une autre possibilité est la forma- Pour faciliter la composition d’une
D’UN SOUTIEN
tion de "pools", par exemple pour les force au sein de l’OTAN ou d’un orga-
OPÉRATIONNEL MUTUEL
moyens de transport. Dans le cadre des nisme militaire européen, les pays pour-
Pour envisager des solutions multi- opérations multinationales, des bases raient assigner des unités de soutien en
nationales, une coopération permanente multinationales ou des points d’entrée permanence.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 10
La standardisation des équipements LES LIMITES D’UN SOUTIEN tique collectif est une perspective inté-
et des procédures demeure un problème MUTUEL ressante pour l’Armée de terre alleman-
majeur du soutien opérationnel dans un de. Aussi dans un contexte de soutien
cadre multinational. Les progrès dépen- Même si une spécialisation permet mutuel, le rôle général de la logistique
dront cependant des volontés politiques d’utiliser au mieux les ressources limi- reste inchangé : il est impératif que les
et économiques des pays membres de tées, une certaine capacité nationale personnels et les moyens matériels af-
l’Alliance. dans les domaines logistiques et du sou- fectés à la logistique et au service de
tien santé devra être conservée. Car le santé soient mis à la disposition des uni-
Toutefois l’acquisition d’armements soutien opérationnel des contingents tés à l’endroit et au moment voulus.
performants incite les nations à tra- nationaux doit être garanti indépendam-
vailler ensemble, eu égard à la réduction ment de la participation d’autres na- Une logistique nationale ou multi-
des budgets militaires en Europe. L’exis- tions. nationale ? La question n’a pas lieu
tence d’agences internationales d’arme- d’être parce qu’il y a ni vraiment un
ment constitue un premier pas dans la Le renforcement d’une politique eu- choix absolu, ni une divergence insur-
bonne direction. ropéenne dans le domaine de la poli- montable.
tique extérieure et de sécurité peut faci-
Elles contribuent d’un côté au rap- liter le développement de solutions La logistique multinationale, même
prochement des alliés et au renforce- multinationales, par exemple une spé- si elle n’est pas un but en soi, peut créer
ment de l’identité européenne en matiè- cialisation de rôle, intégrée dans la des solutions efficaces et moins coû-
re de défense et de sécurité. D’un autre structure de l’armée nationale ou des teuses. A long terme un processus est
côté, du point de vue militaire, cette co- "pools" permanents. envisageable en ce qui concerne la stan-
opération est indispensable pour amé- dardisation.
liorer l’interopérabilité et la standardisa- La multinationalité exige d’être ca-
tion des équipements et des procédures. pable d’accepter des compromis, mais le Enfin, sur le plan politique, la "mul-
niveau élevé d’intégration de l’Armée de tinationalisation" croissante de la logis-
Enfin, sur le plan budgétaire, cette terre allemande impose de soutenir des tique pourrait constituer un nouveau pas
coopération permet de répartir les coûts procédures standardisées et d’éviter des en direction d’une identité européenne
liés à la recherche, à la technologie et au solutions isolées dans les différents or- de sécurité et de défense.
développement, d’être rentable en ganismes, auxquels elle participe.
termes de fabrication en produisant en
plus grande nombre, et de concevoir Dans le cadre actuel des engage-
une logistique commune. ments multinationaux, un soutien logis-
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 11
DE LA PRCB À LA PREO : UNE NOUVELLE APPROCHE DU
RENSEIGNEMENT NÉCESSAIRE AUX FORCES
TERRESTRES EN OPÉRATIONS
PAR LE COLONEL LEBEL
DU CREDAT (CHEF DU BUREAU RENSEIGNEMENT)

Mise au point dans les années conduire l’action qui leur est confiée par
L a PRCB (Pré-
paration Ren-
seignement du
soixante-dix par les Américains sous le
vocable d’IPB (Intelligence Preparation
le biais d’un redoutable targeting 3 .

Champ de Bataille) Cette méthode a prouvé son effica-


of the Battlefield), par une étude rigou-
est la méthode cité par exemple, en janvier 1968 pen-
reuse du milieu et de l’adversaire, elle
d’analyse des fac- dant la Guerre du Viêt-nam, lors du
vise à permettre une planification la plus
teurs nécessaire à la siège de Khe Sanh, "verrou" tenu par six
exhaustive possible des possibilités d’at-
préparation de l’en- mille Marines américains.
teinte des "oeuvres vives" de l’ennemi
gagement comme à sa conduite. Bien dont, par un travail itératif des cellule Pendant soixante six jours, face à
que parfois méconnue, sa logique se plusieurs divisions disposant d’une in-
renseignement, conduite, 3D 1 et 4D 2 ,
fonde sur une approche rationnelle
synthèse, manoeuvre future, elle permet fanterie nombreuse, de centaines de
dont l’histoire contemporaine a
de proposer au commandement des chars T54 et d’une imposante artillerie
confirmé l’efficacité. Toutefois, si
choix dans l’emploi de ses moyens lourde de 130 et 152, sans omettre les
son principe reste parfaitement vali-
d’agression conforme à l’intention qu’il LRM, l’ensemble des moyens améri-
de, il doit aujourd’hui être adapté
s’est fixée. cains vont se déchaîner : mortiers de 120
dans ses modalités pour bien intégrer
et canons de 105 soutenu par l’appui aé-
l’ensemble des facteurs qui condi-
Cette décision étant arrêtée, les sys- rien direct des T28 contre les vagues
tionnent l’emploi des forces ter-
tèmes chargés de la mise en ouvre peu- d’assaut d’infanterie pour les cloisonner
restres.
vent donc, sur très court préavis, de leur 2ème échelon ; canons de 155 et
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 12
de 175 pour neutraliser renforts et ap- en particulier humain, de plus en plus Il convient dès lors d’entreprendre
puis ; enfin B52, F105 et AVENGER enjeu de l’engagement. La population l’analyse des facteurs en considérant
contre les divisions de deuxième échelon n’est pas seulement un "obstacle à la quels sont les acteurs actuels ou poten-
et l’artillerie lourde. manœuvre"… tiels et leurs différentes possibilités d’ac-
tion en termes de moyens (types, quan-
De l’ordre de cent mille tonnes de De plus, le caractérisation de l’enne- tités) et donc de leurs capacités
bombes et de cent cinquante mille mi est souvent très délicate tant dans sa opérationnelles, de leurs déploiements
d’obus furent appliqués avec une coordi- nature (forces armées éventuellement ainsi que des intentions supposées des
nation dont l’efficacité permit la des- identifiées, mais bien souvent milices chefs qui les mènent ou des influences
truction tactique de deux divisions et em- et/ou mafias de tous types) que dans ses qu’ils subissent.
pêchèrent l’intervention des divisions de modes d’action supposés (il n’existe plus
deuxième échelon. Sans l’application de de doctrine établie comme en dispo- Toutes ces choses sont désormais
cette méthode rigoureuse d’analyse des saient les forces soviétiques). bien connues. Toutefois, pour gagner en
facteurs qui permit de préparer une pla- efficacité, il convient donc, en s’atta-
nification minutieuse de l’engagement Dans de nombreux cas vécus, l’ad- chant à conserver la rigueur d’une ana-
dans toutes ses dimensions, il est pro- versaire n’est parfois même pas établi. lyse exhaustive, d’adapter nos méthodes
bable que cette bataille ne connut pas ce Et, même s’il l’est, il sait se diluer, s’im- et les outils de traitement de l’informa-
succès des forces américaines. briquer dans la population dont il joue - tion afférents à la multiplicité de ces fac-
puisqu’elle est l’enjeu - en s’appuyant teurs et à la variété considérable des
Aujourd’hui, au terme de dix ans
sur toutes les possibilités que lui don- types de modes d’action (ou simplement
d’engagements les plus divers depuis la
nent ses moyens militaires parfois de risques, car parfois, il n’y a plus d’ad-
dissolution du Pacte de Varsovie, il
conséquents (les opérations du Kossovo versaire désigné) auquel il faut faire face
semble toutefois nécessaire d’adapter
comme celle du Golfe l’ont rappelé), pour remplir la mission.
cette méthode aux modes actuels de
mais aussi sur tous les aspects liés à l’in-
l’engagement des forces terrestres.
fluence qu’il peut exercer par le biais des La variété de ces combinaisons,
En effet, conçue dans une logique de moyens les plus divers, parfois les moins même si elle n’exclut pas l’hypothèse de
"Guerre Froide", cette méthode n’in- avouables. Terreur et crime organisé ont l’emploi de moyens de frappe qualifiés
tègre que bien peu les facteurs qui per- été et sont, à l’occasion, les modes d’ac- de "haute intensité", n’inclut donc
mettent de prendre en compte le milieu, tion préférentiels… pas systématiquement la bataille.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 13
L’action doit pouvoir désormais s’ar- si celle-ci doit toujours être possible sur choix d’engagement) mais aussi pour
ticuler de façon "vectorielle", c’est-à- court préavis. permettre ces indispensables boucles
dire par une combinaison éminemment courtes entre les systèmes d’action et un
souple et adaptable des différents Cette "préparation renseignement système de renseignement totalement
moyens dont on mettra en œuvre les ca- de l’espace des opérations" doit bien sûr intégré à la fonction SIC.
pacités en les combinant comme on le s’inscrire dans cette logique de la numé-
fait d’une construction vectorielle dans risation dont la géographie vectorisée Ces éléments de réflexion me sem-
sera à court terme l’outil de base sur le- blent au cœur de l’évolution de nos
tout l’espace (c’est à dire dans toute la
quel seront appliquées les nouvelles mé- moyens et de nos méthodes où fonctions
profondeur de la zone de responsabilité
thodes de traitement de l’information renseignement et commandement, tota-
confiée) et la durée (parfois longue) des
qui permettent de gérer chaque élément lement imbriquées, doivent donner aux
opérations.
de renseignement (c’est à dire d’infor- commandeurs en charge de la conduite
A cet effet, il importe donc de dispo- mation avérée) comme un "objet" situé des opérations, comme à chacun des res-
ser d’une méthode adaptée d’analyse des dans l’espace et le temps. ponsables des différentes fonctions opé-
facteurs et donc d’une préparation ren- rationnelles, tous les moyens de
seignement minutieuse, qui devra pou- Il devient alors possible de les relier, connaissance nécessaire pour se situer et
voir s’adapter à l’ensemble de l’espace les combiner à volonté, pour bâtir les mener leur action dans les délais les plus
des opérations et qui ne sera plus limitée hypothèses de situation actuelle et fu- brefs.
aux seuls aspects de la "bataille", même tures (qui permettent de retenir les

REVENIR A L'ARTICLE
Notes
1. 3D : "coordination des actions dans la 3ème dimension", cette cellule traite tout autant des question de feu indirect que des
actions de frappe d’ALAT ou de l’arme aérienne.
2. 4D : "coordination des actions dans le champ électronique et gestion des télécommunications et SIC", cette cellule traite,en
l’occurrence de l’IGE, itervention (offensive) de guerre électronique, autrement dit le brouillage, qui comme chacun sait est
une mesure offensive.
3. Targeting : "ciblage" en français qui, au terme de l’application de l’IPB ou de la PRCB permet l’établissement de
catalogues d’objectifs et de moyens dédiés pour les traiter.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 14
ge militaire courant on fait régulière-
UNE NOUVELLE CLASSIFICATION DE ment référence aux règlements de ma-
nière extensive, ce qui n ‘est pas tota-
LA DOCUMENTATION DE DOCTRINE lement faux puisque tout document
OPÉRATIONNELLE officiel, y compris un ordre, a une va-
leur juridique, mais on réserve désor-
PAR LE GÉNÉRAL DE GIULI
mais cette appellation aux textes de
ADJOINT DOCTRINE
mise en application d’une disposition
législative.
L a classifica-
tion et la
structuration de la
reçu une approbation par une autori-
té habilitée -, puis de classer la docu-
mentation en fonction de ses finali- • Le MANUEL D’EMPLOI qui
documentation de tés, enfin de structurer par niveaux comme son nom l’indique traite d’em-
doctrine ont été celle concernant la doctrine. ploi des forces quel qu’en soit le ni-
une des premières veau (manuel d’emploi de la division,
préoccupations du TYPOLOGIE DES DOCUMENTS manuel d’emploi de l’escadron de
CDES dès sa mise chars LECLERC)
sur pied à l’été 1998. Jusqu’alors la Il y a 4 types de documents, dont la
référence était constituée par le TTA définition donnée dans l’IM 2000 • La NOTICE qui explique la mise en
125 qui recensait la documents de /EMAT/BPO du 26 Juin 1995, actuelle- œuvre et le fonctionnement de sys-
l’armée de terre suivant une classifi- ment en vigueur, et rappelée ci-dessous tèmes d’armes ou les caractéristiques
cation essentiellement centrée sur reste sans changement:
de matériels ou munitions
les armes. Mais force est de convenir
que ce document, toujours en vi- • Le REGLEMENT qui est un texte
• Le MEMENTO qui :
gueur, nécessite d’être revu. juridique traitant le plus souvent de
l’organisation et du fonctionnement - soit est un recueil thématiques de don-
Cette révision doit être globale. Il général de l’Armée de terre en temps nées diverses
convient en premier lieu de bien rap- normal (le règlement de discipline gé- - soit définit l’organisation, le fonction-
peler quelle est la typologie des do- nérale, le règlement du service de gar- nement et les procédures d’un organe
cuments de référence - ceux qui ont nison). Il est à noter que dans le langa- opérationnel.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 15
CLASSIFICATION pour ce qui concerne l’enseignement militaire supérieur ;
DE LA DOCUMENTATION
• La documentation technique qui resterait comme aujourd’hui sous la responsabi-
Actuellement l’IM 2000 précitée lité de la DCMAT et de la DCTEI.
distingue la documentation générale, à
laquelle elle s’applique et dont découle
STRUCTURER
le TTA 125, et la documentation tech-
nique qui, en fait, recouvre les docu- LA DOCUMENTATION DE DOCTRINE OPÉRATIONNELLE
ments spécifiques des équipements rele- Celle-ci est désormais structurée en quatre niveaux comme illustré sur la planche
vant du matériel et des transmissions. Il ci dessous :
est proposé de décomposer cette docu-
mentation générale et technique en
quatre catégories :
LES NIVEAUX DE LA
• La documentation générale qui traite DOCUMENTATION DE DOCTRINE
de l’organisation et du fonctionne-
ment de l’armée de terre relevant des NIVEAU 1 CONCEPTS et
EMPLOI DES FORCES TERRESTRES
attributions ou des besoins de l’EMAT
et des régions terre ;
DOCTRINES INTERARMES
NIVEAU 2 Nomenclature DIA à créer
• La documentation de doctrine opéra-
tionnelle regroupant l’ensemble des
documents concernant les forces ter- NIVEAU 3 DOCTRINES D'ARME
Documents INF ABC ART etc.
restres en opérations dont la responsa-
bilité serait assurée par le CDES en
liaison avec le CFAT et le CFLT ; NIVEAU 4 DOCUMENTS TOUTES ARMES

• La documentation à caractère pédago- documentation IM 2000 12

gique qui échoirait tout naturellement


au COFAT en liaison avec le CDES
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 16
Cette articulation permet de mieux séparer la documenta- Le niveau deux se décomposerait de la manière suivante :
tion interarmes – qui traite de l’emploi selon une logique fonc-
tionnelle interarmes - de la documentation toutes armes – ou
Détail domaines Niveau 2
documentation commune à toutes les armes -. En notant que
dans le TTA 125 actuel, la notion de "toutes armes" est devenue
une classification fourre-tout. Emploi Composante
terrestre Division Brigade
G.U.
Logistiques
Grande Unité C.A.

L’articulation globale des documents donnerait l’arbores-


cence suivante :
Fonctions SIC
OPS CDT RENS LOG

Combat Défense
Agencement indirect anti-aérienne
espace Terr.
CLASSIFICATION DOCUMENTATION NBC ACM
Contact COM
OPERATIONNELLE
DOMAINES

Niveau 1 Général Action Maîtrise de Maîtrise de Défense


Opératif Forces terrestres de force la violence l'information sur le
en opérations
territoire
Sous-domaines Niveau 2
Niveau 2 Emploi Fonction Engagements Opérations
Grande Unité OPS Spécifiques spécifiques
interarmes
Combat en Zone urbaine
Général
cadre conceptuel Combat de nuit
Niveau 3
interarmes
interarmes INF ABC ART GEN Engagements Combat antichar
spécifiques Franchissement
à dominante
et armes TRN SIC MAT Déception
Guerre électronique

Mesures générales Techniques Opérations aéromobiles


Niveau 4 de sécurité et Méthodes Terminologie
et procédures Opérations aéroportées
de protection
Opérations amphibies
Opérations Opérations en terrain désertique
spécifiques
Opérations en terrain accidenté
et enneigé
Opérations en jungle et en forêt
Opérations spéciales

Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 17


Ce niveau deux constitue le cœur de Hormis l’emploi général des armes Cette structuration de la documen-
la responsabilité doctrinale d’un qui évolue déjà vers une référence tation de doctrine constitue désormais la
CDES centré sur la dimension inter- unique, c’est à dire un cadre conceptuel référence qui est notamment mise en
armes de l’engagement des forces. interarmes, et le niveau du régiment qui œuvre dans le cadre du comité de coor-
tend à devenir, de manière systématique dination des études opérationnelles.
Quant au niveau trois, il détermine-
rait les sous–domaines suivants : en opérations, un groupement tactique Elle constitue également la trame
interarmes à dominante qui nécessite des propositions faites à l’EMAT en vue
Sous-domaines Niveau 3 également une validation de cohérence de revoir les directives en vigueur trai-
Niveau 3 Domaines doctrinale par le CDES, le niveau trois tant de ce dossier.
+ ALAT devient la responsabilité des comman-
INF ABC Feux Feux GEN TRN MAT SIC/
S.S S.A TRS
dants d’école dans le cadre des attribu-
31. emploi général
tions élargies qui seront les leurs à la dis-
32. emploi Gt I.A./Rgt

33. emploi S/Gt./U.E.


parition des inspections.
34. emploi Sect./Pelot.Grpe

REVENIR A L'ARTICLE

Notes :
1. Qui reste encore valide en l’attente de sa refonte suivant les principes exposés ci-après.
2. Il est à noter qu’il ne faut pas confondre la documentation de doctrine opérationnelle avec la documentation opérationnelle
qui est celle que les unités en opérations prennent pour constituer les bases de données des systèmes d’information et de com-
mandement et anciennement remplir les "caisses manœuvre".
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 18
Afin que cette aide reçoive la visibi-
lité qu’elle mérite et qu’elle traduise, de
ACM : LES LEÇONS DE meilleure manière, l’influence politique,
géostratégique et économique de
L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE l’Union européenne dans le monde, il
(2ème PARTIE) est prévu de créer, très prochainement,
PAR M. CHRISTIAN BRUMTER un service commun de gestion de l’aide
MEMBRE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE communautaire aux pays tiers.
ET OFFICIER DE RÉSERVE (ORSEM)
Cela permettra une simplification et
Cette description des différents élé- une rationalisation de la gestion, une co-
A près avoir, dans la première
partie de son article (parue
dans le numéro d’octobre 1999
ments à prendre en compte nous hérence accrue dans les choix des ac-
tions à financer, une plus grande trans-
conduit à examiner les flexibilités à assu-
d’OBJECTIF DOCTRINE), envisa- parence à l’égard des opérateurs
rer.
gé les champs d’application possibles économiques, des économies d’échelle
des actions civilo-militaires, mis en et une meilleure prise en compte de la
Au niveau international
évidence les intervenants, l’impor- nature éminemment politique des pro-
tance croissante des moyens finan- A la Commission européenne, l’aide grammes.
ciers engagés et les procédures, communautaire en faveur des pays tiers L’accès aux programmes et aides
M. BRUMTER nous invite, dans la est gérée par diverses directions géné- communautaires sera donc facilité. Tou-
seconde partie de son article, à consi- rales dont les compétences sont répar- tefois, il est évident que la concurrence
dérer les instruments mis en oeuvre ties sur une base géographique. entre les demandeurs sera alors plus
aux niveaux international et des Etats vive. Cette compétition sera encore plus
membres de l’Union européenne au Les montants consentis en 1997 grande après l’introduction de l’euro qui
profit des actions civilo-militaires. s’élèvent au total à 7 milliards d’écus facilitera encore les comparaisons entre
d’aide auxquels s’ajoutent 2 à 3 milliards projets.
(Les idées présentées dans cet ar-
ticle, personnelles à l’auteur, ne sau- d’écus à titre de prêts et garanties. Cela De plus, soulignons qu’aujourd’hui
raient engager la Commission euro- oblige à une grande efficacité dans la toutes les actions d’urgence, pro-
péenne). gestion. grammes ou appels d’offres de l’Union
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 19
européenne ou de la Banque mondiale La maîtrise de la gestion de ce conti- pays apparemment stable et globale-
sont inscrits dans plusieurs sites web et nuum est aujourd’hui d’autant plus im- ment calme, dans lequel des sources
bénéficient du courrier électronique par portante que si les dépenses consacrées structurelles de conflits potentiels se
route 400. par l’Union européenne à l’aide d’ur- dessinent comme la marginalisation
gence ont cru de 500 millions de dollars constante d’une forte minorité, le recours à
Tout opérateur économique, toute en 1998 à 3 500 millions de dollars en des instruments répressifs ou l’absence de
entreprise, peuvent y recourir. Evidem- 1993, les dépenses d’aide au développe- mécanismes efficaces de conciliation paci-
ment, le minitel n’est pas ici une confi- ment, elles, ont stagné. Tout se passe fique des intérêts de groupes ethniques,
guration de grand secours. comme si les moyens, forcément limités, sociaux ou politiques concurrents.
de la communauté internationale ne suf-
En vue de valoriser la large panoplie Dans ce cas, les objectifs im-
fisaient qu’à soulager les situations de
d’instruments disponibles la Commis- médiats des actions à entreprendre
détresse aiguë qui se présentent de par le
sion européenne a, pendant l’été 1996, sont la consolidation de la paix civile, la
monde.
soumis au Conseil et au Parlement eu- mise en place de structures politiques et
ropéen, deux documents de synthèse qui Soucieuse d’efficacité et d’utilisation socio-économiques viables.
doivent être considérés comme des optimale des moyens notamment finan-
cadres pour les actions à entreprendre ciers, la Commission européenne en- Les instruments privilégiés à utiliser
dans des situations complexes. tend donc placer la prévention des sont l’assistance ciblée (information, for-
conflits potentiels au centre de ses pré- mation et éducation), le renforcement de la
Y est, notamment, analysé le conti- cohésion économique et sociale, l’aide à la
occupations. La "facture" devrait être
nuum que constituent l’aide d’urgence, la démocratie, l’amélioration de la gestion
moins lourde, en principe.
réhabilitation, la reconstruction et l’aide des affaires publiques ou de la société
au développement. Dans cette optique, la Commission civile ainsi que l’instauration d’un dia-
propose une méthodologie qui distingue logue politique de qualité.
Ce lien entre ces trois concepts peut quatre types de situation comprenant
d’ailleurs aussi être qualifié de conti- • Dans des situations de tension
chacun des objectifs immédiats à at-
guum, notion reflètant mieux le fait que teindre et nécessitant la mise en œuvre avec troubles ouverts (troubles so-
ces actions peuvent se dérouler simulta- d’instruments spécifiques. ciaux, opposition armée, manifes-
nément et non pas successivement ou tations massives), la gravité de la situa-
que leur progression n’est pas forcément • D’abord, les situations sans ten- tion dépend non seulement des
linéaire. sions apparentes : c’est la situation d’un 0 événements eux-mêmes mais aussi des
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 20
réactions des structures politiques et des • Le troisième type de situation est Le premier objectif immédiat est le
pouvoirs existants. le conflit ouvert. Il y a alors deux objec- rétablissement de la paix c’est-à-dire la
tifs immédiats à atteindre. Le premier réussite des pourparlers de paix et le re-
La question est alors de savoir si les est la gestion de conflits, l’atténuation tour à la normalité.
forces d’opposition sont en mesure de de la menace d’extension verticale et ho-
faire valoir les revendications négo- rizontale ainsi que le soulagement des Les instruments à mettre en œuvre
ciables et si les pouvoirs publics sont en souffrances humaines immédiates et la concernent alors la démobilisation, le
mesure de les satisfaire. Dans ce contex- désarmement, le rapatriement et la réin-
prévention du problème des réfugiés.
tégration des réfugiés, le déminage, l’ai-
te, l’objectif idéal à atteindre est la pré- Les instruments à mettre en œuvre peu-
de humanitaire, le dialogue politique, la
vention des troubles par l’apaisement vent être les sanctions, même à l’égard
restructuration de l’Etat et l’amorçage
des tensions et la prévention d’un écla- de pays tiers, la fourniture d’aide huma-
de la reconstitution d’un tissu écono-
tement d’hostilités. nitaire, le prépositionnement armé et
mique et social.
l’envoi d’observateurs.
Les instruments à mettre en œuvre Le second objectif immédiat vise la
sont le dialogue politique avec les partis Le second objectif immédiat est la
consolidation de la paix qui peut se réa-
résolution du conflit par la cessation des
concernés, ce qui relève de la diplomatie liser par l’amplification des instruments
hostilités, par l’engagement d’un dia-
préventive, les menaces de sanctions ou précédemment décrits.
logue politique et par le soutien aux ini-
la mise en œuvre de mesures spécifiques tiatives de paix et d’opérations mili- Telles sont les orientations qui gui-
comme de déploiement préventif de taires. deront les Etats membres de l’Union
troupes et l’envoi d’observateurs, l’envoi lorsqu’ils débatteront de situations ana-
d’une aide humanitaire d’urgence pour • Quatrièmement, dans la situation logues et lorsqu’ils arrêteront la pano-
éviter les flux de réfugiés économiques. d’après-conflit dans laquelle la violence plie des mesures à prendre ainsi que l’ef-
armée organisée est sporadique ou a dis- fort financier à consentir. Ces fonds ne
Des mesures de consolidation de la paix
paru, par cessez le feu ou accord de paix, seront dépensés que dans ces buts, que
pourraient être appliquées et intensi-
les conséquences de la guerre sont tou- dans ce cadre et selon les priorités d’ac-
fiées dès lors qu’elles sont ciblées sur le jours présentes et visibles dans la large tion retenues, en accord avec toutes les
nœud du conflit ou le soulagement du couche de la population de réfugiés et autorités impliquées.
groupe marginalisé et doublées d’une d’ex-combattants toujours en phase de
assistance au gouvernement afin d’assu- réinsertion. La situation reste donc très C’est dans ce cadre qu’évolueront
rer l’instauration d’une solution durable. volatile. les actions civilo-militaires qui ne doi-
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 21
vent en aucun cas être considérées une étroite et constante relation avec les tournant dans les négociations, peut être
comme automatiquement liées à des si- opérateurs économiques qu’ils soient in- remis en route.
tuations de crise aiguë. dustriels, commerciaux et financiers. La
connaissance du marché, des possibilités Il est arrivé aussi qu’une organisa-
En effet, même si elles sont de production, des stocks disponibles et tion internationale mobilise, en 48 h, 2
moindres dans des situations sans ten- des moyens de transport ou de livraison millions d’écus pour l’achat de médica-
sion apparente, les actions civilo-mili- est un effet indispensable. ments et d’instruments médicaux à li-
taires, qui contribuent à atténuer les ef- vrer dans la semaine. Conduire des
fets de la violence ou à faciliter les L’on ne peut imaginer des ACM ACM signifie aussi anticiper, montrer
sorties de crise, doivent être considérées sans le concours de réseaux d’informa- son influence lors de la conférence des
tion ou de recherche de partenariat donateurs, être actif lors de la définition
comme faisant partie intégrante d’un
d’entreprise. Car ces actions doivent, au des termes des appels à concurrence.
dispositif de prévention.
niveau national, emprunter des voies Des actions plus officieuses peuvent
Prévenir, empêcher que le pire se institutionnelles et publiques ou parapu- aussi être entreprises car tout embargo a
produise, limiter la complexité d’une si- bliques, non des voies intuitu-personae ses limites et un isolement économique
tuation, contenir le risque dans un cadre ou de circonstance. Pour des actions n’interdit pas aux industriels de prendre
mêlant étroitement le politique et l’éco- des contacts utiles.
maîtrisé par les Etats intéressés : tels
nomique, l’honorabilité, la compétence
sont les modes d’action. C’est d’ailleurs, Certaines structures nationales sont
et l’expérience des acteurs impliqués
dans le même esprit, qu’aux Nations donc à favoriser. Il s’agit d’abord des
sont gage de crédibilité et de bon achè-
Unies existe un département "coordina- vement. structures de coordination non seule-
tion de l’aide humanitaire" et qu’une ment entre les activités militaires et ci-
cellule "gestion financière et écono- Des procédures administratives viles mais aussi entre les activités finan-
mique des crises" sera créée à la Banque souples doivent aussi être prévues. En cières, commerciales et industrielles.
Mondiale. milieu international, la vitesse de réac- Cette coordination doit être réalisée sur
tion est un facteur déterminant. Tel pro- zone, au niveau local, mais aussi au ni-
Au niveau des Etats membres gramme, défini en juillet 1995 lors d’une veau de l’Etat membre.
conférence des donateurs, peut ne pas
Il s’agit d’abord de développer les avoir été mis en œuvre de longs mois Elle doit impliquer étroitement sa
liaisons et les interfaces. Il n’existe pas puis subitement, du fait d’un relâche- représentation auprès des organisations
d’action civilo-militaire efficace sans ment de pressions politiques ou d’un internationales concernées.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 22
Lorsqu’elles sont informées, les repré- civile conduites par des militaires dans important, pour le rayonnement de son
sentations permanentes d’un Etat auprès un but quasi militaire et dans des zones pays, d’envoyer un escadron ou d’aug-
des institutions internationales jouent ainsi d’implantation des forces. menter les effectifs de sapeurs compo-
un rôle tout à fait déterminant. Malheu- sant un bureau technique chargé de la
reusement la réalité des information ne Il est clair aussi qu’une gestion de
reconstruction. Le service public de
parvient pas toujours, dans des délais sortie de crise visant à déstabiliser une
l’application d’une traité international
prescrits, à cet échelon. zone, nécessite l’intervention d’une ad-
doit apparaître comme une mission au
ministration dont la perennité est assu-
Dans un contexte aussi volatile, les rée. Elle ne saurait être enfermée no- moins aussi importante que le déneige-
responsabilités méritent d’être claire- tamment dans une durée de présence ment d’une autoroute ou le ramassage
ment définies. L’intégration européenne des forces. L’on ne peut refuser d’initier des banlieusards.
se serait faite différemment si l’adminis- ou d’entreprendre une ACM parce que
tration communautaire avait pu dialo- l’on quittera la zone dans quelques mois. ***
guer, au niveau des Etats membres, avec Tant il est vrai que, même lorsque le
Puisqu’elles contribuent à la conso-
des organes interministériels de coordi- principal des forces quitte un territoire,
lidation du tissu social et économique et
nation dotés de prérogatives administra- la communauté internationale, et donc
au rétablissement de la paix, les ACM
tives et d’une influence politique leur les Etats membres qui la composent,
sont, par nature, plurifactorielles et plu-
permettant de définir et de faire appli- peuvent continuer leur action en s’ap-
ridisciplinaires. Elles sont aussi duales
quer les instructions dans des délais ra- puyant sur des éléments résiduels. Des
pides. ACM COMFRANCE, il est possible de ou mixtes comme l’est aussi une part im-
passer à une mission civilo-militaire portante des forces armées.
En France, c’est le Secrétariat Gé- d’assistance, puis à un poste d’expansion
néral de Coordination Interministérielle Une réflexion sérieuse semble de-
économique.
pour les questions d’intégration euro- voir être menée sur les ressources que
péenne (SGCI), placé sous l’autorité di- Créer une structure civilo-militaire les armées, - qui consacrent des moyens
recte du Premier ministre. Sans une particulière disposant d’une autonomie importants à la formation continue de
telle fonction de coordination, les ac- d’action est assurément une décision po- leurs personnels qui ont ainsi acquis un
tions de crise, civilo-militaires, ne reste- litique puisque les ressources des forces vaste champ de connaissances -, peuvent
ront au mieux que des actions militaro- sont limitées. Mais une autorité de haut affecter à de telles actions non pas à titre
civiles, c’est à dire des actions de nature niveau devra bien décider s’il est plus accessoire mais à titre complémentaire.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 23
L’Union européenne s’était propo- Actions de pénétration, ou de rayon- ganisations internationales. Rien
sée d’utiliser en Bosnie-Herzégovine des nement, les ACM sont par essence des n’échappera à CNN et tout sera discuté
sapeurs, des personnels sanitaires, des opérations spéciales car leur logique est au Congrès des Etats-Unis et au Parle-
transmetteurs d’infrastructures, des per- plus englobante que la mission impartie ment européen.
sonnels du service des essences ou des aux forces. Elles sont plus que les ac-
Dans un tel contexte, le cadre "na-
ingénieurs de l’armement qui connais- tions de "pacification". Elles se dévelop-
tional" des ACM doit être aménagé, ou-
sent l’industrie. Pour avoir utilisé les sa- peront de plus en plus au stade de pré-
vert et réceptif, car il est certain que
peurs, à défaut d’avoir pu confier crise afin de contrer des menaces
mieux vaut être plusieurs sur un projet
d’autres types de travaux, je puis témoi- diffuses.
qui "marche", que tout seul sur un pro-
gner du fait que la communauté interna-
L’enjeu est donc aujourd’hui de défi- jet qui ne peut être mis en œuvre. Et
tionale a unanimement reconnu la qua-
nir le système le plus efficace, c’est-à- rien qu’en Bosnie, depuis quelques an-
lité des prestations fournies, le sérieux et
dire qui rapportera le plus à l’Etat ou à nées, c’est près de 1,2 milliards d’écus
la compétence du travail réalisé.
l’Alliance qui le mettra en œuvre en d’aide qui sont annuellement consentis
L’ouverture d’esprit, la disponibilité termes économiques ou culturels. La au titre de l’aide multilatérale.
des personnels d’exécution sur zone ont volatilité de la situation internationale
Les stratégies d’influence ayant pris
seules permis de surmonter nombre de ne permet pas en effet de douter que les le pas sur les stratégies de confrontation,
difficultés pratiques, d’entraves procé- ACM se développeront dans les années c’est aux Etats d’utiliser les instruments
durales ou de ratiocinations juridiques, à venir. Il est clair aussi que les Etats internationaux qui sont à leur disposi-
qui auraient pu nuire au déroulement composant l’Union européenne, dont tion et de tirer profit des ressources of-
des travaux. les économies seront de plus en plus in- fertes même en favorisant les synergies.
tégrées, mèneront des actions de péné-
La question de la place et de l’auto- tration économique de plus en plus fré-
nomie des ACM est posée. Il ne peut y quentes, conjointement ou isolément,
être répondu que si l’on prend en consi- car ils essaieront souvent de refléter
dération à la fois l’intérêt des forces et leurs différences politiques.
l’intérêt du pays. Car le sujet véhicule
des questions fondamentales sur les souve- De surcroît, la mondialisation aura
rainetés des Etats et les prérogatives des pour conséquence que chaque crise, si
organisations internationales. petite soit-elle, verra s’impliquer les or-
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 24
mement rapide des technologies mises
en œuvre.
LES SYSTÈMES D’INFORMATION
Parmi les résultats des réflexions
OPÉRATIONNELS ET LA SIMULATION ayant donné naissance au principe dit
PALP (Programmes d’Armement à Logiciel
PAR L’INSPECTEUR PRINCIPAL DE L’ARMEMENT DECOURT
Prépondérant), la certitude a été acquise
(DÉLÉGATION GÉNÉRALE POUR L’ARMEMENT)
qu’il faut renoncer à des développe-
ments monoblocs, au profit d’une lo-
d’une description d’environnement, adap-
L es Systèmes
d’Information
Opérationnels (SIO)
tée à des besoins particuliers ; il ne faut
donc pas imaginer nécessairement der-
gique incrémentale, par tranches succes-
sives, chacune s’appuyant sur les
résultats acquis au cours des travaux pré-
et les techniques de rière ce terme des mécanismes extrême- cédents (cf la figure ci-après).
simulation ont de ment sophistiqués. De la même façon,
nombreuses interac- un système d’information n’est pas un Cette logique permet à la fois de li-
tions, qui présentent ensemble informatique, mais avant tout miter les risques liés à la compréhension
des apports réci- le moyen de permettre à une commu- et à l’évolution du besoin, et de profiter
proques variés et fructueux ; on nauté humaine organisée de remplir ses du rythme d’évolution des technologies
constate par ailleurs un certain objectifs. employées ; elle s’appuie par ailleurs sur
nombre de points communs dans les techniques de maquettage et de pro-
leurs enjeux, et les difficultés de ces UNE PRÉOCCUPATION totypage, qui contribuent à limiter les
deux domaines présentent suffisam- COMMUNE : L’ÊTRE HUMAIN risques techniques et fonctionnels.
ment d’analogies pour que certains AU CŒUR DU SYSTÈME
principes puissent être appliqués De la même façon, l’utilisation de la
dans chacun d’entre eux pour les ré- Le domaine des systèmes d’informa- simulation à fins de formation ou d’en-
soudre. tion est confronté essentiellement aux traînement doit s’insérer dans une lo-
conséquences de deux situations parti- gique comparable : il faut viser des ob-
Le terme de simulation est à culières : l’interaction forte entre un jectifs définis selon une logique
prendre dans son acception la plus géné- groupe humain et le système automatisé incrémentale, et se fixer des étapes rai-
rique : toute reconstitution artificielle qui lui est destiné, et l’évolution extrê- sonnables vers des objectifs ambitieux.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 25
Un projet bien mené est celui qui
besoin besoin parvient en permanence à réaliser ce
perçu besoin perçu besoin grand écart consistant à intégrer les sou-
véritable véritable cis des uns et des autres sans pour autant
dévier du cap fixé…
génération n...
risque de rejet
du système SIO ET SIMULATION : DES
génération 2
spécifications extension par APPORTS RÉCIPROQUES
incréments
génération 1 Outre une certaine communauté de
principes, ainsi qu’il vient d’être vu, les
capacité
opérationnelle liens entre simulation et systèmes d’in-
minimale formation existent également du point
de vue des finalités opérationnelles.
Travaux Travaux de Utilisation temps
Préalables Réalisation L’apport des techniques de simula-
tion dans les SIO permet essentielle-
Par ailleurs, un des soucis permanents qu’il faut garder à l’esprit est la double né-
ment de viser trois types d’objectifs : la
cessité d’être concret vis-à-vis des futurs utilisateurs et de les impliquer dans la dé-
précision des besoins, la formation et
marche suivie, afin de susciter leur adhésion tant aux objectifs qu’à la démarche sui- l’aide à la décision.
vie, condition sine qua non de réussite lors de la mise en place du système.
Dans le premier cas, l’usage de la si-
Bien sûr, ce sont là des principes qui peuvent paraître relever de l’évidence, voire mulation sert à restituer l’environne-
du simple bon sens ; outre le fait qu’il aura fallu procéder par erreurs successives pour ment d’emploi du système futur, de
parvenir à ces conclusions, il faut garder à l’esprit que cette démarche, pour limpide façon à rendre le plus concret possible
et évidente qu’elle paraisse en théorie, est difficile à mettre en œuvre : même si l’on son modus operandi : les techniques de
laisse de côté les difficultés de contractualisation d’objectifs nécessairement mal préci- maquettage et/ou de prototypage trou-
sés au départ, il faut surtout se méfier des risques de dérive du besoin ou de divergen- vent ainsi leur pleine concrétisation, qui
ce du projet sous la pression des utilisateurs, des évolutions technologiques ou des fac- vise à permettre à de futurs utilisateurs
teurs d’environnement. de se prononcer en toute connaissance
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 26
de cause sur les fonctionnalités néces-
saires dans un système qui n’est pas en-
MAITRE
core réalisé (la figure ci-après illustre D'OUVRAGE
l’utilisation de la simulation dans le ma- CONTRAINTES VEILLE TECHNO.
quettage).

Dans une optique comparable, la si- ETUDES


PRELIMINAIRES
mulation peut être utilisée en phase de
recette pour s’assurer du bon fonction-
nement du SIO livré, en permettant de MODELISATION SIMULATION
le soumettre à son environnement d’em- EXP. DE BESOIN
INITIALE INTERVIEWS MAQUETTE
ploi futur dans toute sa diversité.

En ce qui concerne l’utilisation des


techniques de simulation pour la forma-
tion à l’emploi des SIO, l’apport est
UTILISATEURS
assez comparable : il s’agit de reconsti-
tuer l’environnement du système à
moindres frais, en simulant ses diffé-
rentes entrées et sorties, pour permettre BESOIN VALIDE
la formation des futurs utilisateurs dans
des situations très réalistes, voire de tes- Enfin, le recours à la simulation visés concernent la planification de
ter leurs réactions dans des conditions dans une optique d’aide à la décision est l’emploi des forces, en aidant l’opéra-
"aux limites". Dans tous les cas, la simu- d’une nature différente. Le système teur à optimiser l’emploi simultané de
lation permet de placer la personne for- d’information opérationnel est ici utilisé toutes les ressources qui lui sont al-
mée dans un environnement complexe dans son emploi réel, et la simulation est louées. Dès lors que tous ont conscience
et réaliste, de façon à lui permettre d’ap- activée par l’utilisateur du système, en des apports et des limites de ce type de
prendre concrètement la manipulation vue de représenter le résultat d’actions po- techniques, elles peuvent être d’un ap-
du SIO. tentiellement exécutables : les objectifs port précieux à tout responsable en opé-
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 27
ration ; les cas d’utilisation sont innom- blement aller assez loin, notamment si l’on veut que l’utilisateur s’instruise dans des
brables et variés : planification des conditions réalistes : il faudra ainsi doter chacun de son terminal habituel tout autant
chaînes logistiques, emploi des forces que de son arme de service…
terrestres, définition de plans de vol, etc.
Enfin, l’organisation de la simulation d’entraînement repose elle-même sur un
On le voit donc, les apports de la si- système d’information dédié, qui organise tous les échanges entre les acteurs réels ou
mulation au domaine des systèmes d’in- fictifs en présence, et permet également l’évaluation de la qualité des réactions des
formation opérationnels sont de plus en personnels entraînés (concept d’analyse après action).
plus concrets et riches. Symétrique-
ment, il est important de prendre Bref, dans le cas de la simulation d’entraînement, dès lors que l’on vise un niveau
conscience que des liens existent égale- de formation qui dépasse l’apprentissage de base, on se place nécessairement dans une si-
ment dans l’autre sens, en particulier en tuation d’interactions fortes entre les moyens de simulation et les systèmes d’infor-
ce qui concerne la simulation d’entraî- mation.
nement.

En effet, à partir du moment où on


envisage d’utiliser la simulation pour
Envoi périodique Envoi périodique
entraîner des personnels à leur métier, d'un compte-rendu d'un compte-rendu
on ne peut ignorer que désormais, dans de situation (perçue) Analyste avec de situation (réelle)
la plupart des cas, l’exercice de leur acti- SICF :
vité passe par l’utilisation de SIO, ou Comparaison des deux calques
pour le moins repose sur la contribution
à un niveau ou un autre d’un ou plu-
sieurs SIO. Joueur équipe
de SICF
Ainsi, selon les cas, il faudra au
moins simuler l’effet des systèmes d’in- SCIPIO
formation actifs à un moment donné, de
la même façon qu’on simule l’effet des
systèmes d’armes, mais il faudra proba-
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 28
Un cas particulier de ces interactions est présenté sur la figure suivante, illustrant les interactions entre SCIPIO, futur sys-
tème d’entraînement du niveau EMF, et SICF, système de commandement de haut niveau de l’Armée de terre, pour l’analyse
après action.

En conclusion, les points communs entre les domaines des SIO et de la simulation, au moins d’entraînement, sont frappants,
tout autant que la profondeur de leurs interactions dès lors qu’un environnement réaliste est nécessaire.

C’est pourquoi il n’est désormais plus possible aux deux mondes de s’ignorer, et chacun pourra ainsi profiter des avancées
méthodologiques et technologiques de l’autre.

Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 29


OPÉRATIONS PSYCHOLOGIQUES : RÉFLEXIONS SUR UNE
PROPOSITION DE CONCEPT FRANÇAIS
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL FRITSCH
(111ÈME PROMOTION DU CSEM)

armées. Car bien que s’appli- sous-entendant qu’en fait, tout relève de
L ors de son intervention
devant le Collège In-
terarmées de Défense en dé-
quant essentiellement au mi-
lieu terrestre, l’action psy-
l’action psychologique. C’est pourquoi,
avant tout travail d’élaboration de doc-
cembre 1998, le Chef d’Etat- chologique est un outil utilisé trine et d’organisation, il convient de
Major des Armées a annoncé à tous les niveaux de com- définir un concept qui n’est pas encore
une complète remise à plat de mandement, qu’il soient stra- figé dans la réflexion française. C’est à
la fonction opérations psy- tégiques, opératifs ou tac- ce travail de mise sur pied de la fonction
chologiques des armées fran- tiques. Et à ce titre, il "opérations psychologiques" en France que
çaises. L’auteur de ces lignes ayant eu concerne tous ceux qui auront à l’uti- cet article tente d’apporter une modeste
l’occasion de réfléchir sur ce type liser dans le cadre d’un état major in- contribution, en soumettant à la ré-
d’opérations en 1998 au sein d’un terarmées ou non. flexion des lecteurs une partie des
groupe de recherche du Cours Supé- conclusions tirées par ce groupe de tra-
rieur d’Etat Major, cet article a pour L’action psychologique, qu’est-ce au
vail 1 .
but de présenter un domaine qui, s’il juste ? Bannie de nos outils militaires
est très largement développé chez depuis la fin de la guerre d’Algérie, elle
a été complètement oubliée en France, UN CONCEPT À REDÉFINIR
nos alliés, en particulier américains,
reste chez nous encore au stade em- et il existe aujourd’hui une aura mysté-
Le premier travail consiste à carac-
bryonnaire. Il s’agit donc de propo- rieuse et vaguement diabolique qui fait
tériser, et même plus largement, à éla-
ser des orientations de réflexion sur d’elle une opération de tromperie, d’in-
borer le concept. En France, ce concept
un sujet qui relève encore en France toxication, ou bien qui tend à faire d’el-
d’action psychologique reste à définir,
de la recherche dans un cadre inter- le l’ultima ratio de l’action militaire, en
peu de ceux qui travaillent sur ce sujet
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 30
arrivant à se mettre d’accord. Une partie borer le plus librement une doctrine, variés, agissant uniquement sur le psychisme
des différents concepts relatifs à l’action c’est à dire les limites de son champ d’individus ou de groupes d’individus, en
psychologique a été définie en son d’application dans les différents cadres vue d’influencer leur processus de prise de
temps dans l’instruction provisoire sur d’emploi de nos forces. Et les auteurs du décision vers un comportement souhaité.
l’emploi de l’arme psychologique (TTA TTA 117 avaient trouvé un nom pour ce
concept, même s’ils ne purent l’utiliser Cette définition suscite les commen-
117) de 1957, qui a servi de base par la
pour des raisons historiques : c’est l’ac- taires suivants :
suite aux travaux de l’OTAN sur cette
question. tion psychologique. Les "mesures et moyens variés" sont
dits "agissant uniquement sur le psychis-
En effet, les documents de référence me" par opposition à ceux pouvant agir
L’ACTION PSYCHOLOGIQUE :
de l’OTAN en la matière (ATP-35(B), UN CONCEPT GÉNÉRAL aussi sur le physique d’un individu. Pour
section XI) ont repris et adapté les défi- illustrer cette distinction, on peut se ré-
nitions et classifications établies par le En effet, le TTA 117 édicte que férer à l’exemple de l’utilisation de "Fuel
TTA 117. "dans l’usage normal, cette expression Air Explosive Bomb 3 " par l’aviation
devrait s’appliquer à toutes les actions américaine pendant l’opération "Tem-
Or ces deux documents sont mar- civiles ou militaires, offensives ou défen- pête du Désert". L’utilisation de cette
qués par leur histoire, celle des guerres sives, psychologiquement conduites. En arme a eu évidemment un impact psy-
de décolonisation pour le TTA 117, fait, pour les Forces Armées Françaises, chologique, mais ne peut pas être consi-
celle de la guerre froide pour le docu- un autre usage a prévalu 2 ".
dérée comme de l’action psychologique.
ment de l’OTAN. Comme les forces ar-
Nos forces armées ayant perdu jus-
mées françaises sont restées hors de ce En revanche, le largage de tracts in-
qu’à la mémoire de la signification de
domaine depuis 1959, elles ont mainte- vitant à la reddition 4 qui suivait ces
cette expression, il est possible aujour-
nant l’opportunité de pouvoir imaginer bombardements relevait, lui, de la pure
d’hui de la reprendre pour désigner ce
un concept adapté à la nouvelle situation action psychologique au sens où elle est
concept dans son acception la plus géné-
stratégique et débarrassé des "scories" définie ci-dessus. On remarquera au
rale. L’étude des différents travaux fran-
dues au poids du passé. çais ou étrangers sur la question permet passage que les forces armées ou de po-
de proposer la définition suivante : lice sont les seules institutions à pouvoir
Cette approche a conduit à admettre influencer sans action psychologique,
comme point de départ un concept le Action psychologique : mise en grâce à leurs armes. A contrario, toute
plus large possible, afin de pouvoir éla- œuvre coordonnée de mesures et de moyens entité non autorisée à recourir à l’action
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 31
armée doit utiliser l’action psycholo- LES OPÉRATIONS le filtre d’un média. Ainsi, un message
gique au sens défini plus haut si elle veut PSYCHOLOGIQUES publicitaire est élaboré directement par
obtenir un comportement particulier l’acteur, et diffusé tel quel dans un espa-
Il est préférable de réserver l’expres- ce acheté à cet effet dans un média. A
d’un public donné.
sion "opérations psychologiques" au do- contrario, la communication consiste à
Ainsi la publicité est une pure "ac- maine militaire. Cette expression pré- délivrer un message à des médias qui
tion psychologique", impliquant la mise sente l’avantage de reprendre la vont le traiter et le diffuser selon leur
en œuvre de moyens extrêmement va- dénomination utilisée chez nos alliés, sa- convenance à leur public. Et on se rend
riés destinés à obtenir de la cible la déci- crifiant ainsi à l’exigence d’interopérabi-
compte ici que les règles ne peuvent pas
lité, permettant en outre d’utiliser
sion d’adopter un comportement parti- être les mêmes puisque le filtre que re-
l’acronyme OPSY (prononcer "opsi")
culier. Ce comportement se réduit dans présente le média va évaluer le message
suggéré à la place de l’anglicisme
ce cas à un acte simple d’achat. qui lui est communiqué, et en assumer la
"PSYOPS" (prononcé "psaïopse" dans
responsabilité s’il le diffuse, alors que le
En fait, tout le monde pratique l’ac- le jargon otanien). Toutefois cette défi-
message publicitaire sera reçu tel quel,
tion psychologique. A titre d’exemple, nition n’enferme pas ce concept dans
et sa teneur assumée seulement par son
une doctrine préétablie, permettant
une organisation humanitaire (par natu- auteur.
ainsi d’en élaborer une construite sur
re tout à fait honorable), au lieu de sim-
mesure et adaptée au besoin des forces Dans le domaine militaire, cette dis-
plement diffuser une information : "X
françaises. S’il n’est pas possible de pré- tinction implique que les opérations
enfants meurent de faim chaque jour senter ici de façon exhaustive l’ébauche psychologiques utilisent leurs propres
dans le pays Y", préférera montrer par de doctrine élaborée par le groupe moyens de communication (tracts, haut-
des affiches, ou mieux par des films, un d’étude cité plus haut, il semble indis- parleurs, station radio), ou achètent des
enfant squelettique en larmes, cherchant pensable d’en développer un point es- espaces dans un média local comme les
ainsi à exercer une véritable pression sur sentiel : publicitaires, pour atteindre directe-
l’émotivité du public afin d’obtenir des ment leur cible. Les cellules "communi-
fonds. Aussi les forces armées ont perçu Ne pas confondre communica-
tion et opérations psychologiques cation" des états-majors doivent en re-
très tôt le parti qu’elles pouvaient tirer vanche traiter avec des médias, avec une
d’actions psychologiques à usage mili- L’action psychologique civile ou mi- exigence de crédibilité qui exige de ban-
taire, que l’on peut nommer "opérations litaire a pour caractéristique de s’adres- nir toute forme de confusion entre ces
psychologiques". ser directement à la cible sans passer par deux activités.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 32
Il est en revanche évident que ces avant l’opération militaire. Conçue au les règlements de compte sanglants. En
deux types d’action doivent être étroite- plus haut niveau par une équipe qui de- plus de ces moyens traditionnels, les
ment coordonnées. vait faire approuver ses travaux par des équipes d’OPSY américaines ont utilisé
représentants du National Security la "promotion par l’objet" chère à nos
UN EXEMPLE CONCRET : Council, elle a débuté par des émissions publicitaires en distribuant ballons de
LES OPÉRATIONS radio et télévision vers Haïti, ses effets football, tee-shirts, autocollants, etc...,
étant amplifiés par le parachutage de pour la plus grande joie des Haïtiens.
PSYCHOLOGIQUES
10000 postes radio.
AMÉRICAINES EN HAITI
Cette opération, à la mesure des
Au milieu de programmes d’actuali- moyens américains, a donc montré de
Pour illustrer plus concrètement
té ou de musique populaire haïtienne, manière mesurable l’efficacité des
l’action des OPSY, l’exemple de l’opéra-
des programmes spécifiques visaient à OPSY dans ce cadre d’opérations en fa-
tion américaine "Uphold Democracy"
légitimer l’intervention américaine, à
en Haïti de septembre 1994 mérite veur de la paix où, pour réussir, une
promouvoir le régime démocratique du
d’être analysée. Cette opération visait à force a autant besoin de moyens de
président Aristide et à discréditer la
rétablir le président Aristide et un régi- convaincre que de vaincre.
junte militaire. Le succès de cette cam-
me démocratique renversé par le géné- pagne a pu être mesuré à la chaleur de Pour conclure, l’exemple de Haïti dé-
ral Raoul Cedras en 1991. Ce dernier l’accueil des troupes américaines lors de montre que les opérations psycholo-
ayant démissionné sous la pression de leur débarquement, contrairement à ce giques, en particulier dans le cadre
l’imminence d’une intervention améri- qui s’était passé pour les forces de d’opérations de maintien de la paix où il
caine, les forces terrestres U.S. ont pu l’ONU quelques mois plus tôt. n’y a normalement pas d’adversaires à
débarquer pacifiquement, obtenir un ré-
Après le débarquement, les unités tromper ou à manipuler, ne présentent
tablissement de la paix intérieure et
d’OPSY ont recentré leurs messages pas forcément cet aspect négatif que l’on
contribuer à une réconciliation nationa-
vers le soutien du peuple haïtien aux prête à ce terme. Elles ressembleront
le.
opérations américaines, et facilité les plutôt à une campagne publicitaire des-
Les experts américains estiment que opérations de récupération d’armes. En tinée à "vendre" l’action de la force et à
le soutien apporté par les OPSY à cette transmettant les appels à la réconcilia- promouvoir nos intérêts nationaux,
opération a été à la base du succès. Cette tion du président Aristide par radio, comme savent si bien le faire nos alliés
campagne d’OPSY a commencé bien haut-parleurs ou tracts, elles ont évité les plus proches.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 33
Elles ne devront cependant jamais être confondues avec la communication médiatique. Il importe que chacun d’entre nous,
en toute occasion, le fasse savoir pour «dédiaboliser» l’action psychologique militaire en France, alors que les réticences de toutes
origines 5 restent vives : il faut pouvoir mettre en œuvre des opérations psychologiques en toute bonne conscience et ne pas lais-
ser l’exclusivité de ce champ d’action aux autres nations.

REVENIR A L'ARTICLE

Notes
1. Outre l’auteur de ces lignes, ce groupe de travail comprenait le LCL DE STABBENRATH, le CBA ROLLIER, le MAJ (All)
NEUREUTHER, le CCDT DUMONT et le MAJ(US) GADDIS.
2. Il s’agit de l’aspect purement défensif de l’action psychologique.
3. Arme larguée par tranche arrière d’avion cargo provoquant un effet de souffle dévastateur et la combustion totale de l’oxygè-
ne de l’air dans un rayon de plusieurs centaines de mètres.
4. Ce tract disait en substance "Vous venez d’être bombardé par l’arme conventionnelle la plus puissante en service dans les forces
des Etats Unis. Nous recommencerons demain. Pour vous rendre, les modalités sont..."
5. cf article de J. Isnard "Les armées veulent contrôler les esprits ", Le Monde, 23 janvier 1999.
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 34
de départ solide dans les savoir-faire déjà
détenus.
L’AMPHIBIE ? SOYONS SÉRIEUX…
Après avoir repris les données fon-
TRÈS SÉRIEUX MÊME ! damentales et les axes de développement
PAR LE CHEF DE BATAILLON MERVEILLEUX DU VIGNAUX de la doctrine française, nous pourrons
(112ÈME PROMOTION DU CSEM) constater que l’amphibie apparaît de
plus en plus comme une composante
Ce renouveau se traduit de plusieurs privilégiée de la capacité de projection.
A près avoir été
un domaine
relevant de l’histo-
façons : participation importante aux
commissions interarmées de réflexion
En effet, la souplesse apportée par la
maîtrise de ce domaine particulier offre
rique, de l’exotique sur la doctrine ou les matériels, études aux décideurs de haut niveau un outil de
voire de l’anecdo- pour le développement de nouveaux négociation et d’action qui semble bien
tique, l’amphibie moyens de mise à terre et désignation adapté aux crises actuelles.
semble prendre une
claire des unités plus spécifiquement
place importante Dans ce domaine, il ne s’agit nulle-
orientées vers l’acquisition et l’entretien ment de redécouvrir l’Amérique, mais
dans les études militaires françaises
de savoir-faire spécifiques à ce domaine d’utiliser les connaissances accumulées
actuelles. Effet de mode, tocade, mi-
métisme ? Rien de tout cela, heureu- (les deux brigades légères blindées et la par les professionnels de l’Armée de
sement ! brigade aéromobile, en l’occurrence). terre et en particulier chez les Troupes
Il apparaît en effet que nulle place de Marine.
A l’heure où la construction d’un
deuxième porte-avions est mise en ne peut être laissée à l’improvisation Elles ont toujours été familiarisées
balance avec l’acquisition de moyens dans ce qui est déjà un domaine d’excel- avec ce mode d’action un temps relégué
amphibies supplémentaires pour nos lence de plusieurs armées occidentales. comme accessoire. Les armées fran-
camarades de la “Royale”, l’Armée de çaises redécouvrent ce qui est non un
terre se penche également sérieuse- L’amphibie est un mode d’action
mode de transport mais un mode d’ac-
ment sur cette nouvelle orientation complexe à la doctrine en pleine évolu-
tion.
dans l’optique du renforcement de la tion et dont l’adéquation évidente aux
capacité de projection. menaces actuelles peut trouver une base ***
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 35
Au vu de la complexité de ce mode les domaines de la planification, des flux, l’utilisation des systèmes d’analyse
d’action tel qu’il est développé actuelle- structures de commandement et de l’en- de l’environnement et l’élaboration
ment, il apparaît nécessaire de bien traînement. d’une doctrine logistique.
prendre en compte les dernières évolu-
tions majeures avec un point rapide sur Fondant ses travaux sur les docu- Ce GIE 1400 correspondrait à un
le concept amphibie en cours. ments de base de l’OTAN (AAP 6, ATP bataillon interarmes à quatre unités de
8, 36 à 39 et AJP 1) et nationaux combat, dont une de chars, et renforcé
Ce concept est inspiré de la doctrine (concept d’emploi des forces et concept d’éléments du génie, d’appui mortier et
OTAN adaptée aux moyens nationaux. national des opérations amphibies ou antichar, plus une vingtaine d’appareils
Comportant toutes les phases (opéra- CNOA) ainsi que sur les retours d’expé- de l’ALAT. Une UCL (Unité de Com-
tions en amont de J-3 mois à J-10, si- rience de 1997, 1998 et 1999 (FANFAR, mandement et de Logistique) renforcée
multanément à la préparation, à l’em- EOLE, FANFAT et CATAMARAN), de moyens de maintenance et de com-
barquement, à la répétition, et au cette commission oriente ses réflexions munication à longue distance viendrait
transit, opérations des forces avancées sur la mise à terre d’un Groupement In- compléter ce groupement.
de J-10 à J, puis débarquement) de terarmées Embarqué (GIE) de 1400 sol-
A cet ensemble de forces déjà im-
l’opération amphibie dans son acception dats, avec leurs matériels lourds et dotés
portant viennent s’ajouter la participa-
la plus classique (“amphibious assault” d’une autonomie logistique débarquée
tion au PC du CATF (“Commander of the
ou débarquement), ce concept intègre de trois jours de combat.
Amphibious Task Force”).
néanmoins les trois autres opérations
amphibies susceptibles d’être envisagées Le concept évolue également par
L’objectif tactique d’une telle unité
(“amphibious withdrawal” ou rembar- l’adaptation du concept français qui in-
pourrait raisonnablement être la saisie
quement, qui est toujours planifié, “am- tègre pour la première fois depuis les
d’une plate-forme portuaire et aéropor-
phibious demonstration” ou manœuvre opérations en Indochine l’hypothèse
tuaire, en tant que point d’entrée sur le
de déception, “amphibious raid” ou ac- d’une mise à terre sur une côte hostile
théâtre d’opérations, sur des élongations
tion de va-et-vient). faiblement tenue (avec rapport de force inférieures à la centaine de kilomètres et
minimal de 4 contre 1 selon les der- pour une durée maximale de 36 heures.
Travaillant sous mandat de l’EMA, nières études). Les travaux sont actuelle-
la Commission Interarmeés des Etudes ment orientés vers les communications S’il reste de nombreux problèmes à
Amphibies (CIEA) fait porter ses efforts et les systèmes de commandement en résoudre, le cadre de l’action amphibie
sur les particularités de l’amphibie dans opérations amphibies, la gestion des est néanmoins maintenant défini à un
Objectif Doctrine - Novembre 1999 - 36
degré suffisant pour pouvoir envisager tionnées jouent ici un rôle éminent dans qu’ils offrent un intérêt majeur, dans un
sa mise en œuvre à courte ou moyenne le cadre de l’amphibie. En effet, ces es- cadre purement national comme multi-
échéance par nos forces. paces sont un cadre préférentiel pour national.
former et entraîner nos unités comme
Ce développement récent d’un pour acquérir une culture interarmées En outre, l’amphibie est un mode
concept français ne fait que traduire l’in- indispensable. La présence ancienne d’action souple et qui donne une liberté
térêt qu’un tel mode d’action offre pour déjà d’hommes de la Marine, de l’Armée d’action supplémentaire au politique.
la gestion des crises actuelles. de l’air et de l’Armée de terre qui met- L’accompagnement probable de la force
tent en œuvre procédures et moyens amphibie par des unités puissantes de la
Présente dans le Pacifique, l’Océan
(aéronefs, unités de mêlée et d’appui, Force d’Action Navale (FAN), incluant
Indien, l’Atlantique et la Méditerranée,
BATRAL, EDIC et CEDIC), même li- sous-marins, porte-avions et aéronefs
la France, par ses possessions territo-
mités, est une évidence. embarqués, en font un objectif militaire
riales, ses accords avec les pays riverains
dont la durée limite de fait le nombre
ou les possibilités d’engagement dans un Elle fait de ces territoires un lieu
cadre multinational, fait sans conteste d’agresseurs potentiels. Les acteurs ac-
d’instruction qui a sensibilisé à l’amphi- tuellement redoutés comme les terro-
partie des pays auxquels une force am- bie la majorité de ceux qui ont y servi.
phibie apporterait une précieuse valeur ristes et les preneurs d’otages consti-
Les entraînements communs et les tuent une menace totalement écartée
ajoutée. La superficie et la répartition échanges avec d’autres pays dotés d’uni-
des terres de souveraineté française do- jusqu’à la fin de la mise à terre.
tés à vocation amphibie y sont égale-
tent en particulier notre pays d’une La prise de risque militaire et poli-
ment courants. De plus, ces DOM-
Zone d’Exclusivité Economique (ZEE)
TOM peuvent devenir une zone socle tique est donc limitée, et ce d’autant
gigantesque (3ème rang mondial avec 11
pour le déroulement d’une opération plus que le déploiement de cette force
millions de km2, dont seulement 300
amphibie réelle : si l’engagement de nos dans des eaux nationales pour la phase
000 pour la métropole) avec des intérêts
moyens français dans le cadre du scéna- de débarquement proprement dite ne
dispersés sur l’ensemble du globe dans
rio 3 du Livre Blanc doit toujours être s’effectuera qu’au dernier moment. L’ef-
le cadre d’un monde à la stabilité pour le
envisagé, là n’est pas leur unique avanta- fet de surprise à longue distance obtenu
moins fugace.
ge. C’est également comme base de dé- par la combinaison de l’action des trois
Les départements et territoires part ou d’embarquement (voir La Ré- armées et des forces spéciales sur un ad-
d’outre-mer, collectivités territoriales et union pour l’opération OSIDE), voire versaire d’importance moyenne a déjà
pays de déploiement des forces préposi- comme éventuel lieu de répétition, fait ses preuves, comme l’a prouvé la
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guerre des Malouines. Souplesse et ré- la matière que cette capacité pourrait naval) à la pratique du drill avec nos ca-
versibilité restent, nous le voyons, deux être développée. Les cadres et les soldats marades de la Marine, la multiplication
des caractéristiques-clés de ce mode de ces unités ultramarines ou légères des exercices fait de ces forces les élé-
d’action qu’est l’amphibie. blindées ont ainsi embarqué et débarqué ments précurseurs et l’avant-garde de
plusieurs fois sur les BATRAL, TCD, l’Armée de terre dans le domaine am-
Les qualifications existantes et en- EDIC et CEDIC pour des exercices qui phibie.
tretenues au sein des unités de la 9ème les ont familiarisés avec cette notion de
BLBIMa, de la 6ème BLB et des unités changement de milieu dans un cadre Cependant, il est bien évident que le
stationnées outre-mer permettent aux tactique de plus en plus contraignant. coût d’acquisition et d’entretien de la
forces terrestres de disposer immédiate- Les régiments d’infanterie de Marine capacité complète ne peut qu’être réduit
ment d’un vivier de compétences disposent en outre d’unités, appelées en se reposant sur les savoir-faire exis-
unique. Détachements d’Assistance Opération- tants. Il ne saurait être question d’éluder
nelle (DAO), spécialisées dans l’acquisi- le problème des matériels spécifiques
Au travers des postes armés dans les tion autonome du renseignement en pour disposer d’une capacité digne de ce
unités de la Marine qui traitent de ce complément des capacités des sections nom. Un effort consistant sera nécessai-
domaine (Ecole des fusiliers marins, cel- de reconnaissance régimentaires, dont re et a déjà été entamé, en particulier
lule amphibie à l’état-major d’ALFAN, l’engagement dans le cadre des opéra- avec les travaux de conception du Nou-
etc…), de la qualification obtenue à tions des forces armées est envisagé par veau Transport de Chaland de Débar-
QUANTICO par les stagiaires désignés la CIEA. quement (NTCD).
chaque année, et de l’expérience des ac-
tions extérieures, les Troupes de Mari- De plus, la proximité entre les De même, dans le domaine de l’en-
ne, dont le goût pour l’amphibie n’est quatre commandos d’assaut de Lorient traînement, le niveau souhaitable pour
pas nouveau, sont en mesure de fournir et la 9ème BLBIMa donne corps à cette disposer d’unités opérationnelles exige-
à la fois l’ossature et la matière premiè- notion de complémentarité entre le rait par an un exercice de type TECH-
re de ces troupes spécialisées réclamées COS et ses unités chargées de l’action PHIB (acquisition et mécanisation des
par tous. dans la frange littorale. Il n’est nul be- opérations d’embarquement et de dé-
soin de chercher loin les possibilités barquement) par unité élémentaire, et
C’est donc à coût restreint, sous en- d’entraînement en commun ainsi of- un entraînement majeur engageant le
veloppe pratiquement constante et en fertes. De la maîtrise technique (officier volume d’un GIE par brigade. L’effort
partant d’un encadrement déjà averti en d’embarquement, officier d’appui feu est à développer également dans la ges-
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tion des ressources humaines avec la sys- encore les discours et en forçant les men-
tématisation des qualifications et peut- talités : celui de la culture interarmées.
être la création d’un domaine de compé- Comment concevoir le développement
tence reconnu et géré comme tel. Ce cohérent d’un savoir-faire amphibie sans
développement doctrinal pourrait ainsi développer les échanges entre la Marine
aboutir à l’apparition d’un corps d’ex- et les Forces terrestres, sans inculquer
perts de l’amphibie dont les personnels de culture marine ou terrestre dans nos
issus des Troupes de Marine pourraient écoles de formation respectives ? Com-
naturellement prendre une part impor- ment espérer arriver à une coopération
tante, et ce à tous les niveaux de com- opérative poussée en continuant à rai-
mandement concernés. sonner en termes de rivalité et non de
complémentarité ?
***
Ce concept amphibie est un savoir- Saisissons cette chance de relancer
faire complexe à mettre en œuvre, mais sur des bases saines une coopération né-
parfaitement cohérent avec la doctrine cessaire !
actuelle. Qui plus est, il correspond à un
réel besoin : en offrant à nos chefs un
outil opératif particulièrement utile par
sa souplesse, sa réactivité et les possibles
modalités de mise en œuvre, l’action
amphibie est adaptée aux principes ac-
tuels de la gestion de crise. S’appuyant
sur le vivier de spécialistes existant, le
développement d’une vraie spécialité
apparaît donc comme une nécessité
pour accompagner cette évolution.
Il reste cependant un domaine où les
efforts sont à porter de façon plus mar-
quée en traduisant plus concrètement
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