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Approches pragmatiques

et modèles de communication

Gérard Pirotton

Merci de citer la signature et les références : < www.users.skynet.be/gerard.pirotton >

« Dans tout système communicationnel, nous


avons, en général, affaire à des séquences qui
ressemblent plus à la séquence : stimulus-et-
réponse, qu'à la séquence : cause-et-effet.
Lorsqu'une boule de billard en heurte une autre, il
se produit un transfert d’énergie : le déplacement de
la seconde boule de billard est fourni en énergie par
l'impact de la première. Par contre, dans les
systèmes communicationnels, l'énergie de la réponse
est fournie par le répondant lui-même. Si je donne
un coup de pied à un chien, sa réaction immédiate
sera fournie en énergie par son métabolisme et non
par mon coup. »
(Bateson, 1980, 159)

Ce texte était initialement construit pour constituer un chapitre d’une thèse en sciences
de la communication. La structure finale de la thèse ayant évolué, ce chapitre reprend
son autonomie par rapport au projet initial et peut donc maintenant faire l’objet d’un
examen pour lui-même.

Il se conclut par un appel à l’élaboration d’un nouveau modèle de la communication,


qui prenne en compte et dépasse les points forts et les limites des trois modèles ici
présentés et analysés.

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -1-


Q uel est le propos de ce document ?
Établir une histoire des théories de
points de comparaison, systématiser
des rapprochements et des distinctions,
la communication ? Peut-être. En tout et poursuivre de cette façon
cas, il s'agit de bien souligner l'article l'explicitation des fils conducteurs
indéfini, une histoire. Cela permet de annoncés. De plus, cette systématisation
relativiser la portée de l'ambition et servira de point d'appui pour la
force à expliciter le fil conducteur à construction des étapes suivantes du
partir duquel cette histoire critique est travail.
présentée. Car la cohérence de l'exposé
est davantage le fait du regard Autre dimension, la critique des
particulier qui est ainsi posé sur des modèles présentés. A cet égard, il n'est
événements plutôt que dans la mise au sans doute pas inutile de le rappeler :
jour réussie de la cohérence inhérente tout modèle est une réduction. Le
aux faits eux-mêmes, et que le travail caractère réducteur de tout modèle fait
d'analyse historique devrait préci- en sorte que chacun d'eux,
sément dégager. Quel est alors « la nécessairement, relève et néglige, met
porte d'entrée », le fil conducteur de en lumière et occulte, visibilise et
cette section ? dissimule des aspects différents des
phénomènes étudiés.
Il sera triple, articulant, autant que faire
se peut, différents angles d'approche. Dans les pages qui vont suivre, il ne
sera pas question de discuter du fait
Le point de vue de la complexité, tout même des modèles, ou de leur utilité ou
d'abord. Dans quelle mesure les de leur incapacité à rendre compte de
différentes théories susceptibles d'aider l'ensemble des phénomènes étudiés.
à penser la communication le font-elles Mais il sera davantage question de les
d'une manière qui appréhende les décrire en tant que modèles, de
choses en en respectant la complexité ? souligner les avantages et les limites de
leurs pertinences respectives, au vu du
Le point de vue de « l'écologie des contexte de leur apparition et de leur
idées », ensuite, comme le propose développement, en fonction des images
Edgar MORIN, (1991) démarche au sein implicites des phénomènes qu'elles
de laquelle il s'agit de prendre supposent et en regard du « tri »
notamment en compte les conditions de spécifique qu'ils opèrent entre les
production de ces théories, le contexte aspects soulignés et les aspects négligés.
de leur apparition et de leur
développement.

Le point de vue métaphorique enfin. Il


s'agira ici de dégager les images
implicites, l'arrière-plan métaphorique,
les métaphores sous-jacentes qui
servent de fondement à la formulation
de chaque modèle. On reconnaîtra ici
une préoccupation inspirée par les
thèses de George LAKOFF.

Au terme de cet exposé, on pourra


enfin, manière de synthèse, dégager des
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -2-
fait que des unités superflues circulent
en même temps que des unités
indispensables. Dans cette conception,
Section I : cette redondance est le fait des signaux
les plus prévisibles, au sein d'un
un premier message. Aussi, la puissance
informative d'une unité tient-elle à
modèle. l'improbabilité de son apparition, au
sein d'une suite d'autres unités. Parmi
l'ensemble des unités d'information
possibles qui peuvent successivement
L'ORIGINE DU SOUCI, LE SOUCI se présenter « à la sortie » du canal de
DE L'ORIGINE. transmission, plus une unité sera
improbable, plus elle sera informative.
SA, 1948, au sortir de la Seconde
U Guerre Mondiale. C'est dans le
Et pour être calculée, cette probabilité
présuppose l'existence d'un répertoire
« BELL System Technical Journal » que fini de signaux - telles les vingt-six
Shannon publie son article désormais lettres de l'alphabet. Conçue en ces
fameux : « The Mathematical Theory of termes, une information peut alors être
Communication ». Le titre l'annonce traduite dans une formule
d'emblée. C'est bien de la mathématique abstraite. (DION ; 1997)
communication dont il entreprend de
construire la théorie. Inutile sans doute de s'appesantir sur la
« traduction mathématique » de ce
La question qui préoccupe Shannon ? raisonnement, ce qui nous éloignerait
« Comment mesurer l'information. » du nôtre. Notons toutefois à nouveau
Voilà bien une question d'ingénieur, que cette approche quantitative ne
confronté, au sein de la BELL Telephone, prend pas en compte la question de la
à la question de la capacité de signification des messages. Car c'est
transmission du câble. Et comme un davantage au niveau de la combinaison
ingénieur, il entreprend de procéder des signaux qu'elle intervient, plutôt
par élimination, pour ne conserver que qu'au niveau des signaux eux-mêmes
ce qui est pertinent au regard de sa pris isolément, en tant qu'unités
question : la mesure. discrètes du répertoire concerné.
Et dans cette « bataille pour le savoir », À l'appui de cette approche
il perd, de réduction en simplification, « probabiliste » de l'information, on cite
les sujets communiquants, la situation quelquefois l'exemple de situations
d'interaction, et même... la signifi- concrètes de communication verbale, au
cation ! sein desquelles le récepteur est capable,
à l'occasion d'une pause ou d'une
Confronté à un problème de limite de hésitation de l'émetteur, de « deviner »
capacité, il va raisonner dans les termes le mot qui allait suivre, voire la fin de la
suivants. La capacité d'un canal est phrase. Or, l'appel à cette situation
fonction de la vitesse à laquelle il montre au moins une chose, en
pourra transmettre les différentes unités complète dissonance avec le cadre
qu'il transporte. Or, cette vitesse est théorique qu'il prétend illustrer. Car ce
handicapée, dans le cas de la langue par que la participation à une situation de
exemple, par la redondance, c.-à-d. le communication sollicite, de la part du
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -3-
récepteur, ce n'est pas seulement une Un émetteur et un récepteur, tout
opération de réception et de décodage, d'abord. Ensuite, un message et sa
mais une activité bien plus complexe. nécessaire traduction dans des signaux
Pour comprendre les messages qui ont conformes, codés, un message à « faire
été émis dans les instants qui ont passer » par un canal approprié. Au
précédé, le récepteur a dû mobiliser, ne long de son parcours le long du canal,
fusse qu'un domaine de connaissance, la suite des signaux peut être brouillée
une portion de l'univers au sein duquel par du bruit, qui en gênera le décodage.
il a pu, au moment fatidique, « puiser » Ce qui, d'ailleurs, va rendre nécessaire
ce qu'il a donc fini par deviner. Ce qui la tolérance d'une certaine redondance
lui a permis cette production correcte, pour pouvoir, en bout de parcours, en
c'est l'appel à un champ sémantique qui recomposer les morceaux...
certes limitait le nombre des
possibilités, mais qui surtout Je dis « implicitement », car c'est à
demandait, pour être constitué comme l'occasion de la jonction de ce cadre
un univers de sens, l'appel à la avec l'approche cybernétique que cette
signification, dont on vu qu'elle était conceptualisation va avoir lieu.
précisément exclue par la théorie.

De plus, c'est bien cette approche


quantitative, cette préoccupation LE COUP DU THERMOSTAT
« économique » qui fonde cette
définition de la redondance. On sait ilotage automatique, robots,
qu'a contrario, Gregory Bateson a
proposé une tout autre acception de la
P automation... telles sont les images
généralement associées à la cyber-
redondance, au point d'en faire, non pas nétique, science du « contrôle et de la
un obstacle à surmonter, mais quasi communication chez l'animal et la
l'essence de toute communication. machine », comme la définit lui-même
(BATESON ; 1980,168-182) Norbert Wiener dans son ouvrage
fondateur (1948). Les mots-clés de cette
Souci de la quantification de théorie : contrôle ou pilotage du
l'information, volonté d'économie dans processus, rétroaction (ou feed-back, c'est
la transmission le long du câble, selon), voire but à atteindre. Pour
organisation optimale de ressources fonctionner, ces machines auto-régulées
limitées en vue d'un coût minimal, utilisent donc de l'information, qui
réduction au simple d'un phénomène circule dans les circuits ad hoc, une
complexe... on reconnait bien dans ce information susceptible de permettre au
cadre théorique, la rationalité sous-système régulateur d'apprécier
occidentale "mutilante" comme la décrit l'écart entre le résultat intermédiaire, à
Edgar Morin à de nombreuses reprises. un moment donné du processus et le
D'ailleurs, au sens fort, cette théorie résultat final attendu. La mesure de cet
mathématique de la communication est écart fournit au régulateur les moyens
plus précisément une théorie de la de calculer la correction nécessaire et en
« transmission des signaux ! » transmet l'ordre au sous-système
effecteur.
Dans cette réduction, quels constituants
de base sont implicitement retenus ? Cette brève présentation permet malgré
tout de mettre en avant les principales
innovations que la cybernétique
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -4-
apporte dans nos manières de réfléchir. régulation... voilà qui pourrait suffire à
Et il faut pour cela développer quelque caractériser l'épistémologie cyber-
peu l'idée de feed-back. nétique. Encore que le terme d'auto-
régulation soit quelque peu usurpé en
Au sens cybernétique du terme, il s'agit ce qui concerne les machines ! Car si le
d'une information portant sur un concept de régulation permet bien de
résultat momentané, à un moment rendre compte de leur fonctionnement,
intermédiaire d'un processus, une il faut tout de même rappeler que cette
information donc qui va être utilisée régulation est structurée autour d'un
pour corriger/piloter/contrôler l'action but et que ce but a été fixé par un
en train de se faire. C'est le cas, classique, concepteur. La machine cybernétique
du thermostat. Un palpeur va n'est pas pour grand chose dans ce pour
enregistrer, dans une pièce donnée, une quoi elle a été conçue. Il suffit d'ailleurs
température inférieure à celle qui est de la mettre devant une situation non
désirée. Cette différence va être convertie prévue lors de sa conception, ou
en une instruction à destination de la d'introduire « du bruit » dans ses circuits
chaudière, qui se met alors en route. Ce d'information pour la mettre en échec.
fonctionnement de la chaudière a Ce sont précisément ces limites qui
normalement pour effet l'élévation de la fourniront l'occasion de construire ce
température dans la pièce en question, qu'on appellera par la suite : la
une élévation qui, à son tour, va être « seconde cybernétique ».
enregistrée comme telle par le même
palpeur. Une fois atteinte la
température désirée, et dans la mesure
où il n'y a plus de différence entre la LA VICTOIRE DU CODE.
température obtenue et la température
désirée, l'ordre de s'arrêter va être
donné à la chaudière, jusqu'à ce que, la O nmathématique
l'a vu plus haut : la théorie
de la
température ayant à nouveau communication a donc procédé par
significativement baissé, l'opération ne réduction, simplification, suppression
recommence. du superflu... Comment alors une
théorie à ce point limitante a-t-elle pu
Or, dans ce circuit, si le fonctionnement avoir un tel succès ?
de la chaudière est la cause et l'élévation
de la température est l'effet, on voit Divers facteurs peuvent sans doute être
quelques instants plus tard que cette avancés pour fournir des éléments de
même élévation de la température réponse à cette question.
arrête le fonctionnement de la La cybernétique, tout d'abord.
chaudière. L'effet est devenu cause, L'information est constitutive des
l'effet a rétroagit sur sa cause. C'est ce machines cybernétiques. Une théorie
qui fait dire à Bateson que les machines qui permette de conceptualiser cette
cybernétiques sont des systèmes qui donnée essentielle ne pouvait qu'être
« sont toujours conservateurs de quelque bien reçue. De plus, certains de ces
chose. » (BATESON ; 1980,186) aspects, liés à son substrat matériel,
convenaient parfaitement à l'univers
Prise en compte de la dimension des machines : câblage, codage,
temporelle, réintégration de la transmission... tout cela peut, sans trop
dimension téléologique, conception de problèmes, être transféré au monde
circulaire de la causalité, auto- de la cybernétique. Cela valait bien
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -5-
quelques petites incohérences épistémo- en Occident. Celle qui procède par
logiques ! décomposition d'un objet à étudier en
éléments distincts, entre lesquels on
Comme le raconte notamment Yves entreprend d'établir des liens de
Winkin (1981), la toute neuve causalité simple, quasi mécaniste... Celle
cybernétique, mise en pratique durant qui installe entre le sujet connaissant et
la guerre à l'occasion du son objet de connaissance un rapport de
perfectionnement du tir anti-aérien, va distinction, de séparation, d'instru-
chercher au sortir de la guerre à se mentation... Celle qui soutient que
donner un cadre théorique. Les comprendre se décline comme un projet
colloques de la Macy Foundation de maîtrise, à la manière d'Adam qui,
notamment vont offrir la possibilité de par l'acte même de nommer les
poursuivre la réflexion théorique dans animaux du Jardin, en prend
un domaine où il avait surtout fallu possession...
inventer et mettre en œuvre, plutôt que
conceptualiser. Cette théorie On peut aussi observer que ce modèle
mathématique de la communication fait la part belle à celui qui détient le
arrivait donc à point nommé. rôle de l'émetteur. C'est lui qui prend
l'initiative de la communication. C'est
Pourtant, la linéarité des câbles lui encore qui élabore la signification du
téléphoniques et la causalité circulaire message. C'est lui enfin qui, après
de la rétroaction de l'effet sur sa cause, l'avoir codé, l'envoie dans le canal
n'auraient pas dû faire bon ménage. approprié. Celui à qui revient le rôle de
récepteur, quant à lui, se borne à
Toujours quant aux liens avec la recevoir le message et à le décoder,
cybernétique, il faut sans doute dans une opération quasi automatique,
mentionner, à propos de la plupart des en ce sens qu'il maîtrise autant que
chercheurs concernés, une culture l'émetteur le code que celui-ci vient
scientifique commune, un goût d'utiliser. Cette prédominance de
commun pour la manière l'émetteur dans cette séquence de
« ingénieuriale » d'aborder les communication ainsi découpée va
problèmes. Shannon est d'ailleurs un manifestement de pair avec une
ancien élève de Wiener. Une anecdote conception hiérarchisée des rapports
significative de ce fait est à nouveau sociaux... et flatte d'égocentrisme de
racontée par Yves Winkin (1981,36). l'émetteur.
Bateson, qui avait sans doute mieux
entrevu la force novatrice de ces idées, a Les moyens de communication de
tenté de convaincre Wiener de les masse, par les dispositifs techniques
appliquer aux sciences sociales. qu'ils utilisent et par la séparation
physique qu'ils impliquent entre les
« Wiener déclinera toujours, estimant que « professionnels » et leurs « clients » ont
les "sciences humaines sont de très sans doute aussi fourni un surcroît de
pauvres bancs d'essai pour une nouvelle plausibilité à cette théorie. Était-ce la
technique mathématique". (WIENER : seule théorie disponible ? Toujours est-il
1948, 34) » que c'est bien en ces termes que ces
professionnels conçoivent leur travail et
Une autre raison de ce succès : la en ces termes qu'aujourd'hui les futurs
conformité de cette approche à professionnels sont (encore ?) formés.
l'épistémologie rationaliste dominante (MEUNIER : 1994)
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -6-
Dans un ouvrage passionnant, Philippe LA MÉTAPHORE DU TUYAU
BRETON (1992) montre comment les
discours d'accompagnement de ce « Tout se passe comme si le seul élément
nouveau cadre théorique et que Shannon ait pu léguer aux non
ingénieurs soit l'image du télégraphe
singulièrement les écrits de Norbert
qui imprègne encore le schéma d'origine.
Wiener, peuvent être décrits comme On pourrait ainsi parler d'un modèle
une utopie. Dans L'utopie de la télégraphique de la communication »
communication, il explique comment ce (WINKIN ; 1981:20)
discours d'unité (re)trouvée pour
l'humanité, grâce au développement n quels termes la langue (anglaise,
des sciences et des technologies de la
communication, qui apparait au sortir
E en l'occurrence) rend-elle compte
de la communication ? Si le langage
de la seconde guerre mondiale, trouve dispose de mots et d'expressions pour
en cette circonstance historique un parler de la communication, quels
contexte propice à sa réception et à son réseaux sémantiques mobilisent-ils ? A
développement. C'est de plus un quelles images sont-ils associés ? A
discours qui présente la particularité partir de quelles analogies des
d'être dans l'histoire la première utopie situations de communication sont-elles
qui mette en avant, non un contenu pensées ? Telle est l'étude que Michaël
substantiel, mais une communication Reddy a entreprise, dans une approche
valorisée pour elle-même, indépen- empruntant à l'anthropologie culturelle
damment de son contenu. et à la linguistique. Il dégage alors les
caractéristiques d'une image sous-
A toutes ces raisons, dont la liste jacente de base, qui structure, pour les
pourrait sans doute être encore locuteurs de langue anglo-américaine,
complétée, j'en ajouterais volontiers leur conception de la communication.
une, relative aux conditions de Cette « métaphore du Tuyau », qui
réception de cette théorie, au monde imprègne quasi tout le langage sur le
culturel où cette modélisation de la langage, est caractérisée par différents
communication est apparue. Ici, on ne traits :
peut éviter l'hypothèse qu'une telle
théorie correspondait en fait à une 1. l'esprit est un réservoir d’idées ;
conception culturelle implicite du 2. les idées (les significations) sont
phénomène de la communication, une des objets ;
représentation largement généralisée 3. les expressions linguistiques sont
qu'en quelque sorte, cette théorie venait des réservoirs (destinés à
mathématiquement légitimer, scientifi- contenir les idées objets) ;
quement cautionner. Cette représen- 4. la communication est une
tation préalable de la communication, émission (sending).
cette conception culturelle généralisée,
Michaël REDDY (1979) propose de
l’appeler : « la métaphore du tuyau ». Pour illustrer cela, on pourrait prendre
quelques exemples en langue française :
« Qu'est-ce qui a bien pu te mettre une
idée pareille dans la tête? - Une idée m'a
traversé l'esprit. - Avec lui, la
communication ne passe pas - Tu as
certainement une idée derrière la tête -
Rentre-toi bien ça dans la tête - Elle a
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -7-
réussi à faire passer l'essentiel de son par les chercheurs de nouvelles
message - J'ai un peu de mal à métaphores qui permettraient de
rassembler mes idées... » penser et d'appréhender les aspects de
la communication que la Métaphore du
On n'est sans doute pas très loin des Tuyau néglige, voire occulte. (Voir aussi
expressions anglaises à partir PIROTTON ; 1994)
desquelles Michaël Reddy a mis à jour Cette approche permet de mettre au
cette « Métaphore du tuyau ». jour l'existence, en langue anglaise tout
au moins, d'une structure sous-jacente
Selon cette métaphore, que font les qui, tel un modèle simple, schématise
partenaires d'une situation de une situation de communication en un
communication ? cadre au sein duquel quelqu'un cherche
les mots adéquats pour rendre compte
Celui qui prend l'initiative de la de ses idées, avant de les faire parvenir
communication, celui qui a « quelque à son destinataire. La mise au jour de ce
chose à dire », va devoir chercher des fond conceptuel implicite dans la
idées « dans son esprit », « traduire » langue anglaise permet de décrire sous
ces idées qu'il veut « faire passer » et les un autre angle le contexte de réception
« mettre dans » des mots appropriés. du « modèle télégraphique ». Elle
Ces mots vont ensuite être « envoyés » permet d'insister sur le fait que le succès
au destinataire, par le canal adéquat, de ce modèle tient, pour partie, en sa
capable de « conduire » ces mots à bon conformité à une représentation
port. Le récepteur va alors devoir dominante quoiqu' implicite dans la
"ouvrir" ces mots-réceptacles (aller voir culture anglo-saxonne, voire occiden-
« derrière » les mots, comme le dirait tale.
sans doute plus volontiers une
personne d'expression française) pour
voir quelles sont les idées qui s'y
« cachent ». Telle est donc, selon LES FORTUNES du MODELE du
Michaël Reddy, l'entité conceptuelle qui CODE
nous permet d'appréhender une
situation de communication, une
conception qui se reflète automa- C onçu à l'origine dans un contexte
ingénieurial et de servoméca-
tiquement et quasi inconsciemment nismes, ce schéma de base du modèle
dans le langage même par lequel nous télégraphique a bien sûr inspiré de
décrivons/pensons des situations de nombreux travaux dans d'autres
communication. Selon Michaël Reddy, champs disciplinaires, des travaux dont
une proportion écrasante des il serait sans doute vain de tenter
expressions du langage sur le langage l'inventaire. Quelques exemples
ont pour base cette « métaphore du significatifs, toutefois.
tuyau ». Ainsi de la psychologie d'inspiration
Mais si cette métaphore de base marque « scientifique », le behaviorisme, qui ne
de son empreinte le langage courant, pouvait que s'accommoder de ce
elle est également présente, schéma linéaire : la suprématie de
implicitement, dans les différents l'émetteur venait faire écho à la
discours théoriques sur la commu- prédominance du « Stimulus » et
nication. Dans un article consacré à l'opération de décodage, confiée au
cette question, LAKOFF et JOHNSON récepteur, à l'autre bout du canal,
en appellent d'ailleurs à la production s'accordait parfaitement à la
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -8-
« Réponse » de l'organisme ainsi poétique, et métalinguistique. (1)
stimulé. En ce sens, l'approche Redisposées en un schéma d'ensemble,
behavioriste a sans doute représenté, ces six fonctions peuvent alors se
pour le modèle de Shannon, une porte présenter ainsi :
d'entrée toute désignée dans le champ
des sciences humaines. référentielle
Autre exemple : dans l'effervescence de expressive poétique conative
publications de l’immédiat après- phatique
métalinguistique.
guerre, on compte la contribution de
Laswell (1948), qui vient ainsi entrer en
résonnance avec le modèle de Shannon. Ce schéma de Jacobson va établir la
On sait que cinq questions (5W) jonction avec la linguistique saussu-
permettent, selon lui, de distinguer cinq rienne : un autre accent va dès lors
objets d'étude pour qui s'intéresse à la émerger : le code.
communication : « Who says What, to
Whom, through Which channel, with What Saussure opposait « langue » et
effect? » Et l'on retrouve ici, sans « parole ». Pour lui, dans ses efforts de
mystère, les postes isolés par le cadre compréhension, la linguistique devait
théorique du télégraphe : l'émetteur, le exclure les sujets parlants concrets. Et la
message, le récepteur et le canal. Une langue s'analyser comme un code qui
particularité non négligeable : articule signifiant et signifié...
l'évaluation de l'effet, qui situe bien ce
cadre conceptuel dans l'épistémologie Ferdinand de Saussure n'était sans
de la « causalité linéaire ». doute pas dupe du fait que le langage
est un phénomène polymorphe,
On ne peut pas ne pas citer également, susceptible de relever de différents
à la suite d'Yves Winkin, niveaux, de différents domaines de
l'activité humaine et qu'il pouvait donc
« l'analogie frappante entre ce schéma de se laisser analyser, pour chacun de ces
Shannon et le modèle de la communication aspects, par différentes disciplines
verbale que Roman Jacobson propose en scientifiques: biologie, physiologie,
1960 ». (1981;19) psychologie, sociologie, philosophie,
etc. Mais pour fonder une science, il
Contexte fallait lui définir un objet et pour ce
Destinateur Message Destinataire faire, il procéda naturellement selon les
Contact canons de la démarche scientifique
Code classique : distinguer, séparer, isoler,
etc. Dès lors que deux interlocuteurs
Pour Jacobson (1963), chacun de ces six
facteurs correspond à autant de (1)
Expressive = de l'attitude du sujet à l'égard de
fonctions du message, fonctions qui ce dont il parle ;
sont toutes présentes, à des degrés Référentielle = (dénotative, cognitive) contenu
divers. On peut alors caractériser un informatif, ce dont on parle ;
message particulier par celle de ces six Poétique = accent mis sur le message, pour son
fonctions qui prédomine. Pour les propre compte, mise en évidence du côté
palpable des signes ;
énumérer : les fonctions référentielle, Phatique = vérification que le circuit fonctionne
expressive, conative, phatique, Métalinguistique = le langue-objet parle des
objets ; le métalangage parle du langage ;
Conative= orientée vers le destinataire.

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) -9-


appartiennent à la même communauté Dans le champ des sciences humaines,
linguistique, on peut considérer qu'ils on connaît le succès de la notion de
utilisent un même code et ce code code, un succès dû sans doute pour
devient alors, en soi, un objet d'étude, partie à la prégnance du structu-
un objet dont les interlocuteurs sont ralisme ; mais c'est aussi le cas en
« exclus ». biologie avec le fameux « code
génétique », issu des travaux de la
Analyser ainsi la langue en termes de biologie moléculaire sur les problèmes
relations bi-univoques entre signifiant de l'hérédité. Ce qui se transmet, d'une
et signifié ne peut se faire qu'au prix de génération à l'autre, c'est un
multiples réductions, comparables à « programme » chargé d'assurer la
celles du modèle de Shannon : le conformité de la copie à l'original, un
rapprochement entre ces deux cadres programme écrit en un code que la
conceptuels s'en trouvait facilité. biologie moléculaire se donne
précisément pour projet d'élucider. On
Au fil des discussions et des parle ici de transmission d'information,
applications auxquels il a donné lieu, le de programme et de code génétiques,
modèle a fait l'objet de différents etc. L'actualité du décodage du génome
« ajouts et perfectionnements », comme humain est là pour le rappeler.
celui du feed-back. Pourtant, ces
modifications, loin de remettre Ici, il faut bien comprendre les raisons
fondamentalement en cause le modèle, de l'intrusion du code en biologie, en
y ont apporté des aménagements quoi il est apparu à un moment donné,
d'ordre mineur, dans le but d'élargir le comme une réponse possible à un
nombre des cas où il trouvait à problème.
s'appliquer. L'idée de feed-back, issue de
la cybernétique, rendait plus plausible Pour l'observateur, les organismes
l'application à des situations de vivants semblent orienter leur
communication interpersonnelle, par développement vers un but. Or, ce
exemple. Toutefois cette notion, constat est incompatible avec une
intégrée dans l'appareil conceptuel du conception cartésienne de l'explication,
modèle, se contente d'en inverser la pour laquelle bien sûr, la cause doit se
linéarité : c'est le Récepteur qui, cette situer, dans le temps, avant l'effet et non
fois, en une réaction du type Stimulus- après, comme ce serait le cas, avec la
Réponse au message précédemment notion de but. Dès lors, l'idée d'un
reçu, assume à son tour le poste programme qui « guiderait » le
d'Émetteur. Or, la notion de feed-back ne développement d'un organisme, à la
peut donner son plein effet heuristique manière d'un programme qui guide les
que dans la mesure où elle intervient machines à traitement automatique de
comme concept destiné à rendre l'information, satisfaisait à cette
compte des éléments régulateurs d'un existence de l'épistémologie cartésienne.
processus en train de se faire, un
processus auquel les interlocuteurs Car le programme, en tant
participent, l'un et l'autre, au même qu'explication, intervenait bien avant le
titre. Mais cette acception de la notion développement observé. Par ses
de feed-back entraînerait alors un réel instructions codées, le programme
« changement de paradigme, » un « pousse » le développement de
paradigme qui fera précisément l'objet l'organisme « devant lui », tandis que le
de la section suivante. but le « tirait derrière » lui, ce qui était
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 10 -
inacceptable, du point de vue de modèle alternatif se doit de « se
l'explication causale. (ATLAN ; 1979) positionner ».
Ensuite parce que, même abon-
* * damment critiqué, ce modèle est encore
largement utilisé, soit explicitement, soit
* implicitement, en de nombreuses
occasions. Et ses multiples résurgences
s'expliquent sans doute par les raisons
On peut arrêter ici cette
de son succès, décrites dans les pages
(dé)monstration : poursuivre la
précédentes.
narration des fortunes et des malheurs
Et enfin parce que, puisque notre souci
du modèle du télégraphe, dans ses
est de rendre compte des situations de
moindres méandres ne produirait sans
formation et d'apprentissage, il est
doute rien d'autre qu'un vain effet
largement explicatif de nombre de ces
d'accumulation ou une dérisoire
situations, comme on aura l'occasion de
prétention encyclopédique. Mais aussi
l'examiner, dans la suite.
tentative d'autant plus vaine voire
désespérée, que la critique du « Modèle
Dans cette première section, j'ai donc
du Code » a déjà été entreprise par les
présenté le modèle télégraphique de la
meilleurs auteurs et sans doute de
communication, non seulement dans sa
manière plus aiguë. Il est alors plus
formulation, le contexte de son
judicieux ou économique de prendre
apparition et l'usage qui a pu en être
appui sur ces travaux, plutôt que de
fait, mais également dans les différentes
prétendre ici les concurrencer ou, pire
critiques qui lui ont depuis été
encore, feindre de les ignorer. Et cela
adressées.
d'autant plus que, en ce qui concerne
notre propos, des précisions et des
Parcourons maintenant les mêmes
développements complémentaires
étapes, dans la section suivante,
risquent de ne pas nécessairement
concernant une autre approche du
apporter d'éléments significativement
phénomène complexe qu'est la
neufs.
communication.
Aussi, avant de poursuivre, dans les
sections suivantes, l'examen d'autres
modèles théoriques susceptibles de
penser la communication, il peut
s'avérer utile de faire de point, de façon
synthétique, sur les éléments
Section II:
rassemblés jusqu'ici et notamment de l'approche
s'expliquer sur les raisons qu'il peut y
avoir à consacrer cette longue section à Pragmatique.
un modèle déjà abondamment décrit et
commenté.

Tout d'abord, parce que ce modèle ans cette section, un deuxième


représente, historiquement, la première
approche scientifique de la
D mode d'appréhension de la
communication, que l'on peut
communication. A ce titre, il constitue regrouper sous le terme générique de
une référence par rapport à quoi tout l'approche pragmatique. Pour la clarté
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 11 -
de l'exposé, il faut toutefois distinguer LA PRAGMATIQUE LINGUISTIQUE
deux grandes origines au sein de ce
regroupement, deux origines dont, à orsqu'on le rapporte à son origine
l'analyse, les options de fond peuvent se
rejoindre et autoriser à les regrouper
L linguistique, le terme
pragmatique peut être caricaturé
de

dans une seule section de ce travail. comme regroupant tout ce qui ne peut -
actuellement- pas trouver place au sein
D'une part, la pragmatique linguistique, d'un abord logico-linguistique du
à laquelle nous ne réserverons qu'un phénomène complexe qu'est le langage.
bref examen et d'autre part, la Nous l'avons vu, si l'approche
pragmatique psychosociologique. saussurienne distingue la langue de la
Pourquoi peu développer ici la parole, rejetant cette dernière pour
pragmatique linguistique ? Pour définir l'autre comme objet central de la
diverses raisons. Ne pas prétendre à science que fonde cet auteur, c'est
l'originalité, tout d'abord. Les ouvrages davantage du côté de la parole que se
existent qui ont entrepris une situera la pragmatique. On s'intéresse
présentation de synthèse de ce courant moins à la langue comme système de
et je me contenterai d'y faire référence, signes, mais davantage comme prenant
en une présentation bien schématique sens en tant qu'acte de communication
des apports de ce courant. (2) La situé dans un réseau relationnel. Ce qui
continuité de l'exposé, ensuite. Ce qu'on est rejeté par l'approche saussurienne
appellera « l'École de Palo Alto » s'est (les locuteurs, le contexte, l'histoire...)
manifestement construite, tout à la fois est précisément ce que l'on va s'efforcer
à l'encontre et en référence au modèle d'aborder ici. Sous cet angle, le langage
télégraphique. Il y a donc lieu de lui n'est plus réduit à sa seule fonction de
réserver une place significative. C'est véhicule des significations : il a -ou il
sans doute moins explicitement le cas vise en avoir- des effets pragmatiques.
de la pragmatique linguistique, qui s'est Prendre la parole est un acte. Il est des
quant à elle davantage élaborée en paroles qui modifient les états du
contre-point de l'approche saussu- monde et ne se limitent pas à les
rienne. Pour la pertinence du propos, décrire. Prenant part à une interaction,
enfin. Car l'approche pragmatique des locuteurs coopèrent à l'établir, à la
linguistique a moins immédiatement maintenir ou à y mettre fin, ils
donné lieu à des « applications » dans le définissent leurs places respectives et se
champ pédagogique, au contraire de reconnaissent l'un l'autre comme des
« l'approche systémique » qui, quant à interlocuteurs, ils se donnent des droits
elle, s'est largement vue utilisée dans et des devoirs, etc.
des domaines sociaux et éducatifs.

Commençons donc brièvement par la


pragmatique linguistique avant On peut alors proposer la définition
d'aborder, dans un second temps, la suivante :
pragmatique psychosociologique.
« Par pragmatique au sens strict, on
entendra désormais tout ce qui concerne le
rapport des énoncés aux conditions les plus
générales de l'interlocution, sans lesquelles
une situation communicable ne pourrait se
(2) Voir la bibliographie en fin de ce texte. produire par discours. Cela revient à
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 12 -
proposer de faire entrer le concept de étudiée par les ingénieurs en
relation interlocutive dans l'analyse. » télécommunication, ni à l'aspect
(JACQUES, 1990 : 857) sémantique de la question, centré sur les
relations entre le nom et la chose nommée;
Sans prétention encyclopédique, il y a il s'intéressait, essentiellement, aux effets
lieu toutefois de citer quelques auteurs pragmatiques de la communication, c.-à-d.
qui ont marqué cette approche : Émile aux effets que la communication a sur ceux
Benveniste (1966-1974), Austin J-L qui utilisent un certain système de
(1970), Oswald Ducrot (1981), François communication, qu'il s'agisse du langage
ou, peut-être, de la communication non
Récanati (1979), John R. Searle (1979) ou
verbale. »
Rodolphe Ghiglione (1986) (3) Enfin, (WATZLAWICK, in : WINKIN, 1988 : 45)
plus récemment, des publications dans
cette perspective s'enrichissent des Chez Bateson, vie personnelle et vie
travaux menés en psychologie sociale. intellectuelle se confondent. Sans pour
(GHIGLIONE, TROGNON, 1993) (4) cela entrer dans une entreprise
biographique, il peut être significatif de
se souvenir que c'est en référence à
L'ECOLE DE PALO ALTO Gregor Mendel, le biologiste qui mena
des travaux fameux sur les lois de
Gregory Bateson, notre ami et notre
À maître » : le ton est donné. Ainsi
s'ouvre, en 1967, l'ouvrage par lequel
l'hérédité, que son père, biologiste lui-
même, l'appellera Gregory. Bateson
reconnait cette filiation à diverses
« l'École de Palo Alto » entreprend de reprises et notamment dans ce passage :
présenter les bases théoriques d'une
étude des "effets pragmatiques de la « C'est de mon père William Bateson, qui
communication humaine". (WATZ- était généticien, que j'ai hérité de la
LAWICK, BEAVIN, JACKSON ; 1972) plupart de mes outils. » (1977:88)
C'est dire que la filiation avec les
travaux de Bateson est tout à la fois C'est donc davantage dans un univers
reconnue, affirmée et revendiquée. A de pensée "organiciste" que Bateson va
tout seigneur tout honneur : puiser son inspiration, au contraire des
commençons donc par les apports de penseurs présentés dans la section
Gregory Bateson. précédente qui, quant à eux, faisaient
explicitement référence à l'univers des
Un extrait d’une interview de machines, fussent-elles de traitement
Watzlawick situera d'emblée les intérêts automatique de l'information. Qu'est-ce
de Bateson. qui a bien pu pousser un tel homme à
écrire notamment à propos de la
« Naturellement, Bateson ne s'intéressait schizophrénie, des dauphins, des
pas beaucoup à tout ce qui concerne la loutres, des scarabées, de l'évolution, et
transmission de la communication, déjà de bien d'autres choses encore ?

(3)
Pour une présentation d'ensemble, voir : On le sait, c'est par l'anthropologie que
MEUNIER Jean-Pierre et PERAYA Daniel, Bateson commence sa carrière
Introduction aux Théories de la Commu- scientifique. Un travail chez les Iatmuls
nication, de Boeck-Université, Bruxelles, 1993. donna lieu à un ouvrage
(4)
d'anthropologie, au sein duquel il
Voir aussi une récente synthèse sous la plume
aborde l'étude d'une cérémonie
d'Anne REBOUL et Jacques MOESCHLER
particulière, le Naven. Il construit à
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 13 -
cette occasion un certain nombre de s'impose avec la "Mimésis", qui
concepts, dont la fameuse caractérise les travaux de René Girard.
« schismogénèse ». Il en distingue deux
types : symétrique et complémentaire. Ce sont ses participations aux
De quoi s'agit-il ? conférences de la Macy Foundation, (dès
1942) au cours desquelles Bateson va
Bateson avait observé… notamment rencontrer le cybernéticien
Norbert Wiener, qui vont lui fournir le
« des séquences d'interactions sociales où concept de « feed-back négatif », concept
les actes de A sont des stimuli pour les de base de l'auto-régulation. Cette idée
actes de B, qui deviennent, à leur tour, des de feed-back est bien connue et a déjà
stimuli, pour une action plus intense de la été rappelée dans la section précédente.
part de A, et ainsi de suite,...(...). Ces Qu'il suffise de souligner deux ou trois
séquences schismogénétiques peuvent être
aspects majeurs.
réparties en deux classes :
a) schismogénèse symétrique, les actions
de A et de B se stimulent mutuellement, Tout d'abord le fait que cette idée
sont essentiellement similaires - cas de centrale, conçue par les ingénieurs du
compétition, de rivalité, etc; contrôle, a une portée très générale, ce
b) schismogénèse complémentaire, les dont se sont vite rendu compte les
actions qui se stimulent réciproquement participants aux conférences de la
sont essentiellement dissemblables, mais Fondation Macy. On peut par exemple
réciproquement appropriées : domination citer Kurt Lewin, « inventeur » de la
et soumission, assistance et dépendance, dynamique des groupes. Mais on
exhibitionnisme et voyeurisme, etc." pourrait aussi citer, à titre de boutade,
(BATESON, 1977:122) une énumération à la Bateson :

Il faut souligner ici la portée du « organismes dans leurs environnements,


changement de point de vue. L'unité écosystèmes, thermostats, machines à
d'analyse n'est plus le comportement vapeur autoréglages, sociétés, ordinateurs,
du sujet individuel, mais la nature et les etc. » (1980:160)
modalités de la relation entre deux
sujets, une nature que l'on peut alors Ensuite, ce concept est sans doute
qualifier, traiter comme un objet de nécessaire pour rendre compte de ce
connaissance. Cet accent sur que l'on peut regrouper sous le vocable
l'interaction. (WATZLAWICK, de l'intentionnalité, qu'il s'agisse de
WEAKLAND : 1981) est un des apports résoudre un problème, de corriger la
majeurs de l'approche pragmatique, et course d'un missile, de saisir un verre
elle le doit à Bateson. d'eau ou de poursuivre sa proie, pour
un prédateur.
Bateson était préoccupé par le fait que
la schismogénèse, comme processus Enfin (?) il faut identifier les questions
cumulatif, devait immanquablement épistémologiques cruciales que pose ce
aboutir, d'escalade en escalade, à une concept. Bateson les évoque en ces
situation paroxystique. Comment alors termes :
expliquer le "retour à la normale" d'une
relation entre A et B, quand les « Depuis Aristote, la cause finale avait
comportements de chacun d'eux sont toujours été un mystère. On ne se rendait
envisagés comme des réponses aux pas compte à ce moment-là (...) qu'il
comportements de l’autre ? Le parallèle faudrait reconstruire l'ensemble de la

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 14 -


logique à cause de la récursivité. » Palo Alto. (BATESON, 1972b :9-94) Ce
(WITTEZAELE, GARCIA, 1992:56) sont ces accents qui permettent de
comprendre des affirmations comme
Illustrons de quoi il s'agit. Les travaux celles-ci :
de BERTALANFFY (1968), auxquels
Bateson se réfère à l'occasion, ont mis en « Les études de familles de schizophrènes
lumière quelques-unes de ces ne laissent aucun doute : l'existence du
nécessaires recompositions, dont la plus malade est essentielle à la stabilité du
fondamentale sans doute : l'explication système familial, et ce système réagit avec
causale elle-même ! Ainsi, si rapidité et efficacité à toute intervention,
interne ou externe, visant à modifier son
« ...les mêmes conséquences peuvent avoir organisation. » (WATZLAWICK et al.
des origines différentes, (...) des effets 1967:26)
différents peuvent [aussi] avoir les mêmes
causes ». (WATZLAWICK et al.
1967:126)
CONTENU et RELATION
La référence faite ici aux travaux de
BERTALANFFY n'est pas sans a notion de feed-back n'est pas le
importance. Car cette dernière citation L seul concept de la cybernétique a
avoir ainsi "migré" dans le champ des
permet de situer le lien entre une des
caractéristiques de ce paradigme relations humaines. C'est largement le
(l'accent sur l'interaction) et les cas de la distinction Contenu/Relation,
questions d'ordre épistémologique, présentée par les auteurs d' « Une
soulevées par la notion de feed-back. Logique... », comme un des axiomes de
Car si la rétroaction négative a permis la communication, de leur modèle, tout
de rendre compte des corrections au moins...
successives dont un
La distinction Contenu/Relation, axio-
« système est le siège, autour d'un point matisée dans le cadre de la pragmatique
d'équilibre, elle a aussi permis de faire le lien systémique, peut être exemplative, tout
avec le concept d'homéostasie, fut-elle à la fois de l'origine cybernétique du
familiale ! » (WATZLAWICK et al. concept, mais aussi des transformations
1967:135) qu'elle doit subir, au moment de son
incorporation dans le champ des
Bateson quant à lui fait référence à ce sciences sociales. Dans quel cadre est
concept dans un article de 1963 et alors né ce concept ?
intitulé : "Le rôle des changements
somatiques dans l'évolution". Nous La construction de machines à
avons là un fait central pour notre traitement automatique de l'infor-
propos, car on ne peut être plus clair mation va faire émerger une distinction
quant à l'arrière-plan biologique du de base. D'une part, les données, avec
concept, emprunté aux travaux de lesquelles travaillent ces machines, les
Claude Bernard. données brutes (une mesure, par
exemple), « captées » par les
Ces accents sur l'homéostasie et les instruments adéquats. Et d'autre part,
interactions ont par exemple fourni les les programmes, qui décrivent les
bases d'une « théorie de la opérations qui doivent être faites sur
schizophrénie » et du fameux « double ces données.
bind », qui a fait la fortune de l'École de
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 15 -
On a nommé les termes de cette message transmis par B a (...) deux sortes
distinction Indice et Ordre, pour de signification (...). D'une part, il peut
désigner respectivement les données et être considéré comme un "rapport" sur le
les programmes. fait que A a fonctionné à un moment
précédent et, d'autre part, c'est un "ordre"
Notons que, si cette distinction peut ou une cause du fonctionnement ultérieur
de C. » (BATESON, RUESCH, 1951:205)
nous apparaître aujourd'hui comme
immédiatement intelligible, quasi
Sur base de cette distinction, Bateson va
évidente, trop évidente peut-être, c'est
proposer le terme de
sans nul doute dû à la généralisation de
l'informatique qui nous a habitués à la
« métacommunication, qu'il définit comme
distinction entre les data et les logiciels, « communication sur la communication ».
entre les données et les instructions. Le Nous décrivons comme métacommuni-
parallèle peut d'ailleurs être fait cation tout échange d'indices et de
immédiatement avec la distinction propositions sur a) le codage et b) la
propre au paradigme cognitiviste, au relation entre ceux qui communiquent ».
sein duquel on distingue la mémoire (BATESON, RUESCH, 1951:238)
sémantique et la mémoire procédurale.
Nous présenterons plus loin cette Dans cette conception, l'ordre (la
distinction, dans la section consacrée à relation) se trouve à un niveau logique
l'approche cognitive. supérieur par rapport à l'indice (le
contenu), tandis que la métacom-
Mais que devient cette distinction, dès munication est quant à elle supérieure
lors qu'on ambitionne de l'utiliser pour aux deux niveaux précédents. Ce qui
rendre compte, non plus du fonction- pose problème, on en conviendra, dans
nement des machines de traitement le cas par exemple où une information,
automatique de l'information, mais de loin de "subir" l'opération réalisée par
la communication humaine ? l'exécution d'un programme, en
provoque au contraire la mise en
En 1951, Bateson et Ruesch (BATESON, œuvre ! Dans la conception de base
RUESCH ;1951) entreprennent d'utiliser donc, il y a un rapport hiérarchique
cette distinction pour étudier la entre les deux termes de cette
communication humaine et notamment distinction.
les pathologies de la communication,
ainsi d'ailleurs que la relation Mais on notera aussi le changement de
thérapeutique elle-même. A cette perspective. Alors que la distinction
époque, Bateson est encore très proche entreprend au départ de rendre compte
de la cybernétique et des discussions de ce qui se passe dans la machine, la
des conférences Macy. De plus, il distinction reprise par Bateson et l'École
présente cette distinction en référence à de Palo Alto va concerner ce qui se joue
la théorie des Types Logiques, dont il entre les partenaires engagés dans une
fit, on le sait, un abondant usage. situation de communication. Et l'on
retrouve donc ici l'accent sur
« Considérons le cas de trois neurones A,B l'interaction.
et C disposés en série de sorte que le
fonctionnement de A conduise au
fonctionnement de B, et que le
fonctionnement de B déclenche celui de C.
Même dans ce cas extrêmement simple, le
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 16 -
UNE RUPTURE AVEC BATESON ? la transmission de ces connaissances, mais
ne déterminant pas l'efficacité des
près sa collaboration avec Ruesch, interventions. » (WITTEZAELE,
A Bateson va poursuivre ses
travaux, dans les aléas de la recherche
GARCIA, 1993 :177).

de financement pour ses idées Bateson, de son côté, trouvait Erickson


singulières. C'est ainsi que s'est trop interventionniste. Il s'est à de
construit le "Projet Bateson", qui a réuni, nombreuses reprises « méfié du désir
pendant une petite dizaine d'années, volontaire et conscient de provoquer
une équipe interdisciplinaire. De ce des changements » (Idem : 177). Dans
travail étonnant naîtra donc le concept « Vers une Écologie de l'Esprit », on
de "double contrainte". Le succès de trouve d'ailleurs deux articles qui
cette première publication (1956) et les abordent très explicitement cette
nouvelles perspectives qu'elle offre question, au sein desquels il s'en prend
pour la pratique clinique va d'une part à ce qu'il appelle « le but conscient »
presser le groupe à poursuivre ses (1972b :183-204)
recherches et publier davantage, mais
va aussi mettre le centre en contact avec En 1963, Bateson va quitter Palo Alto
d'autres cliniciens, dont certains pour aller étudier les cétacés, à propos
rejoignent le groupe. Si des desquels il poursuivra ses recherches
rapprochements très nets pouvaient sur la communication et l'approche
être faits avec les idées travaillées par interactionnelle du comportement.
l'équipe au cours des années (Voir notamment 1972b :118-132)
précédentes (accent interac-tionnel, le
contexte, la famille comme système Le rappel de ces éléments assez
etc.), des divergences vont aussi anecdotiques peut finalement paraître
progressivement apparaître, et comme bien dérisoire. Toutefois, ils sont
particulièrement autour de la significatifs à mon sens, d'une part du
fascination qu'exerçaient sur certains fait que les centres d'intérêt de Bateson
membres de l'équipe les méthodes de avaient une portée bien plus générale
thérapeutes de génie comme Don D. que les orientations thérapeutiques
Jackson ou l'hypnose, telle que la prises par ses anciens collaborateurs et
pratique Milton Erickson, dont les d'autre part, un conflit bien plus large
interventions paraissent « magiques ». que l'affrontement de personnages
Lequel Jackson créera d'ailleurs le MRI, comme Milton Erickson, Don D.
en 1959. (Mental Research Institute) Jackson et Gregory Bateson. A ce point
du développement, il nous faut donc
On voit immédiatement poindre ici les mettre en lumière la nature de ces
ingrédients d'une « schismogénèse ». divergences.
Car ces intervenants mettaient l'accent Une lecture attentive des dates
sur leur capacité à induire du auxquelles ont initialement été publiés
changement dans le système familial. les différents articles qui composent
Ainsi que le notent Wittezaele et Garcia "Vers une Écologie de l'Esprit" montre
dans leur description de cette histoire. que, dans les années qui suivirent,
Bateson n'a cessé de réfléchir à ces
« ...pour eux, il s'agira de faire en sorte que questions. Ainsi, dans ce passage :
le thérapeute devienne efficace dans son
rôle d'agent de changement, la théorie « ...une pure rationalité projective, non
devenant un simple 'langage', favorisent assistée par des phénomènes tels que l'art,
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 17 -
la religion, le rêve, etc. est nécessairement Très explicitement, on a ici à faire à une
pathogénique et destructrice de la vie; la contradiction au sens dialectique du
virulence de ce processus ressort terme, ou plutôt "dialogique", comme
précisément du fait que la vie dépend de aime à le dire Morin. Mais c'est bien sur
circuits de contingences entrelacés, alors cette base que vont se développer les
que la conscience ne peut mettre en
évolutions respectives des thérapies
évidence que tels petits arcs de tels circuits,
brève et stratégique (l'accent sur le
que l'engrenage des buts humains peut
manœuvrer. (...) en ne saisissant que des « comment » et non sur le « pourquoi »,
arcs de circuits, l'individu est l'identification des règles familiales, les
continuellement surpris et, par tâches à faire, de séance en séance,
conséquent, irrité, lorsque ses stratégies prescrites par le thérapeute, après
'de tête', une fois mises en pratique, se identification d'un objectif, l'accent aussi
retournent contre leur inventeur. » sur le changement, fut-il de type II...) et
(1972a, 157-158) les recherches poursuivies par Bateson,
qui « culminent » dans son livre
posthume « La peur des anges », que
On sait l'intérêt de Bateson pour le Zen, d'aucuns qualifieraient volontiers de
il a d'ailleurs eu de longues spiritualisme prophétique.
conversations à ce sujet avec Alan
Watts par exemple, à propos des Il serait trop simple, en identifiant cette
paradoxes et du "koan", propre à la contradiction, de tracer une ligne de
"pédagogie" du Zen. partage situant Bateson et la thérapie
brève de chaque côté de cette fracture.
Nous sommes précisément ici au nœud D'une part, Watzlawick reconnait
d'une différence entre des inspirations volontiers que s'ils ont vu loin, c'est
philosophiques orientales et qu'ils avaient pu monter sur les épaules
occidentales. L'une, par les accents d'un géant (!). D'autre part, malgré ses
qu'elle met sur les interdépendances, les travaux sur les "structures qui relient",
liaisons multiples qui unissent les êtres Bateson a toujours fait usage de la
et les choses, s'interdit, à l'extrême, théorie des types logiques, véritable
toute intervention qui ne pourrait que machine de guerre rationaliste contre
perturber l'harmonie de ces divers les paradoxes, pourtant constitutifs du
réseaux interreliés et dont vivant (BAREL, 1979) Sans doute est-ce
l'enchevêtrement est inaccessible à la aussi de cette ambivalence dont il parle
pensée et à l'action planifiée. L'autre, dans ce passage :
par les accents qu'elle met sur la
séparation de l'homme et de la nature, « Tel que je le vois, le progrès en science
sur la séparation du sujet et de l'objet, provient toujours d'une combinaison de
légitime et survalorise la capacité pensées décousues et de pensées
d'intervention de l'homme sur son rigoureuses ». (1972a :90)
environnement. Si l'un se condamne à
l'impuissance, l'autre s'illusionne sur ses
capacités de maîtrise. Depuis le premier
point de vue, le second est perçu UNE NOUVELLE
comme une arrogance quasi ridicule, COMMUNICATION ?
voire sacrilège ; depuis le second point
omme dans le cas du modèle
de vue, la position du premier semble
être toute empreinte de fatalisme. C télégraphique, je voudrais exa-
miner quelque peu les conditions de
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 18 -
réception de ce modèle interactionniste, Accent toujours que l'affirmation de la
des raisons de son succès... et de ses complexité de toute situation de
infortunes. Dans son livre à ce sujet, communication. Ce qui n'est pas sans
Yves Winkin (1981) montre bien le conséquences, tant sur le plan
bouillonnement d'idées qui, aux États- conceptuel que méthodologique. La
Unis, suivit la fin de la seconde guerre cybernétique et la théorie générale des
mondiale. Mais on pourrait tout autant systèmes servent d'arrière-plan
ajouter les caractéristiques de théorique. Méthodologiquement, on
l'enseignement et de la recherche, ainsi procède par "niveaux de complexité, de
que les modes de financement et le rôle contextes multiples et de système
des différentes fondations. C'est sans circulaires (idem : 25), ce qui revient,
nul doute des éléments de ce type qu'il comme le propose Bateson à
faudrait évoquer pour expliquer
l'existence de ce "Collège Invisible". « suivre l'exemple de ce que l'on
cherche à étudier ». (1984:70)
C'est sous ce titre qu'Yves Winkin
regroupe différents chercheurs qui, bien Un corollaire qui explicite le fondement
qu'ils ne travaillent pas aux mêmes précédent : la communication est un
endroits, ni sur les mêmes objets, n'en phénomène social et doit donc être
partagent pas moins un certain nombre appréhendé comme tel. Car le social
d'idées de base, des « fondamentaux », n'intervient pas au simple titre de
comme les nomme Bateson (1972a, 15) contexte : il est au contraire constitutif
Parmi ces fondements : de l'objet même que l'on étudie. Le
Collège Invisible compte d'ailleurs un
« une opposition à l'utilisation en sciences certain nombre d'anthropologues,
humaines du modèle de la communication même s'ils sont quelquefois un peu
de Shannon. » (WINKIN, 1981:22) "excentriques", à la mode de Bateson...
Et ce n'est sans doute pas sans lien avec
l'affirmation du caractère intrinsè-
On ne peut être plus clair. Et pourquoi quement social de toute situation de
cette opposition ? Parce que communication. C'est ce qui amène
Yves Winkin à écrire :
« ...l'utilisation du modèle de Shannon en
linguistique, en anthropologie ou en « Pour les membres du Collège Invisible, la
psychologie a entraîné la résurgence de recherche sur la communication entre les
présuppositions classiques de la hommes ne commence qu'à partir du
psychologie sur la nature de l'homme et de moment où on se pose la question : parmi
la communication. » (idem : 22) les milliers de comportements
corporellement possibles, quels sont
Autre fondement, sans doute : ceux retenus par la culture pour
l'intégration des différents modes de constituer des ensembles
comportement en jeu dans toute significatifs ? » (WINKIN, 1981:22-23)
situation de communication. Qu'il
s'agisse des gestes, des attitudes, de Car dans toute situation concrète de
l'usage de l'espace, du contexte... cet communication, les sujets qui y sont
ensemble est présent pour faire de la engagés mobilisent des ressources
communication « un tout intégré ». qu'on ne peut concevoir comme
(idem : 24) simplement leurs. Elles ont été acquises
au sein d'une culture et d'un groupe

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 19 -


social particuliers, et dans des contextes l'observation de sujets aphasiques par
qui ne sont pas explicitement identifiés exemple. Cependant, si cette inscription
comme des contextes d'apprentissage. au sein d'un cadre thérapeutique
A ce titre, ces ressources sont largement présente cet avantage, il a sans doute
non conscientes et donc mobilisées en aussi induit des préoccupations
situation, de manière non délibérée. Dès d'efficacité, de renforcement des
lors, dans cette conception, l'étude de la capacités d'intervention, plutôt que
communication se doit d'aborder, de d'approfondissement de la réflexion sur
façon intégrée, les sujets, la culture et la portée même de ce souci.
l'interaction.

Sujets

Section III:
l'approche
Interaction culture
cognitive
DANS un BUT THERAPEUTIQUE
ans la section précédente, on a
n peut éventuellement s'étonner
D sommairement présenté les bases
O de ce que cet ensemble de
linguistiques de l'approche pragma-
tique, dont les fondements, à un certain
considérations, issu d'un cadre
niveau, se comparent à ceux de
davantage thérapeutique, trouve sa
l'approche psychosociologique. Reve-
place dans une présentation des
nons un instant à ce champ pour
modèles de communication. Deux
introduire cette troisième section, que
éléments au moins peuvent venir
nous consacrons, au risque d'être
alimenter la réflexion sur ce point.
caricatural, à un examen rapide d'une
D'une part, comme on l'a vu, l'approche
troisième approche de la
psychosociologique de la communi-
communication.
cation prend nettement appui sur les
A l'origine de cette approche, on
travaux de Bateson, pour lequel la
retrouve des travaux linguistiques et
communication est manifestement une
philosophiques qui contribuent à mettre
de ses quêtes principales. D'ailleurs,
en évidence la contribution décisive de
l'ouvrage fondateur (WATZLAWICK et
celui ou celle qui occupe le poste de
al. 1967) affiche ses prétentions
"récepteur". A l'exception des situations
conceptuelles quant à une théorie de la
de communication stéréotypées, loin de
communication. D'autre part, la
n'être qu'une activité passive de
procédure qui consiste à s'intéresser au
réception-décodage « automatique »,
"pathologique" pour comprendre le
l'activité du récepteur consiste bien au
"normal" n'est pas aussi exceptionnelle
contraire à élaborer la signification du
que cela. Dans un domaine proche,
message, prenant appui pour cela sur sa
celui de la linguistique et de la
perception du contexte, attribuant des
psychologie du langage, des chercheurs
intentions au locuteur, etc.
ont notamment travaillé à partir de
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 20 -
Prenons un exemple. hypothèses sur les raisons qui peuvent
amener notre interlocuteur à opter pour
« "Une tasse de café m'empêcherait de ce non respect, des raisons que nous
dormir. » (5) avons besoin d'identifier pour
comprendre la signification de ce que,
Bien sûr, à un certain niveau, cette dans ce non respect même, il cherche
phrase peut être entendue comme une malgré tout à dire. Nous procédons
affirmation sur l'effet du café. Mais à un donc à un « calcul inférentiel », un
autre niveau, selon les circonstances et raisonnement logique, nous procédons
les intentions qui sont prêtées au à des inférences, des déductions, des
locuteur, cette même phrase sera computations...
entendue, soit comme un refus, soit
comme une acceptation d'une tasse de De telles considérations amènent donc
café. Ce qui apparait alors clairement des chercheurs à se préoccuper de la
c'est que l'une ou l'autre de ses façon dont s'y prend un locuteur
significations ne peut être extraite du lorsqu'il attribue une/des signification-s
contenu explicite du message, par une à des messages verbaux. Ces chercheurs
simple opération de décodage, mais que sont alors amenés à s'inspirer d'un
cette signification est le résultat d'un paradigme montant et dominant dans
« calcul inférentiel » de celui ou de celle le champ des sciences humaines
que l'on ne pourrait plus alors appeler contemporaines : l'approche cognitive,
récepteur que de façon excessivement ainsi que le font deux auteurs
restrictive. représentatifs de ce courant Dan
Sperber et Deirdre Wilson, dans leur
Paul Grice,(6) un philosophe du langage, ouvrage "La Pertinence.(7)
généralement considéré comme au
fondement de cette approche, a mis en
avant des « Maximes » que sont censées
respecter des interlocuteurs pour
qu'une communication soit possible, L 'APPROCHE COGNITIVE, QU'EST-
par exemple ne pas dire ce que l'on croit CE À DIRE ? (8)
faux ou ne pas dire ce que l'on croit
hors de propos. A un niveau plus e terme générique de « cognition »
général encore, un principe général
encadre ces maximes : un Principe de
L recouvre un ensemble de
préoccupations dont il n'y a pas lieu
Coopération. Pour prendre part à une d'entreprendre ici l'inventaire. Mais il
communication, un locuteur doit s'agit incontestablement d'un
présupposer de la part d'autrui qu'il paradigme qui s'impose aujourd'hui
tente de lui communiquer quelque comme majeur dans le champ des
chose. Lorsque ces maximes, non écrites sciences humaines. Il appartiendra à
et pourtant le plus souvent mises en l'histoire des idées d'approfondir les
application, ne sont pas respectées,
nous trouvons cela étonnant et nous
nous mettons à échafauder des (7) Voir SPERBER, WILSON : 1989

(8) Cette section et la suivante sont très


(5) Proposé Par SPERBER et WILSON, 1979:25 largement inspirées et reprises à un article
publié précédemment. (CHARLIER,
(6) Voir en français GRICE : 1979. PIROTTON : 1995)

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 21 -


raisons du succès de l'approche démarches scientifiques nouvelles
cognitive, ce que nous n'entreprendrons (physiologie du cerveau, neurosciences,
pas ici. Prenons seulement l'un ou intelligence artificielle, robotique,
l'autre exemple pour illustrer le propos. logique formelle, ...) associant des
techniques de pointe à la reprise de
Du côté des sciences de l'éducation, questions de recherche presqu'aussi
l'approche cognitive manifeste l'incon- anciennes que la démarche scientifique
testable avantage de centrer, tant les elle-même. Certains voient d'ailleurs
chercheurs en pédagogie que les dans cet ensemble la possibilité -enfin-
praticiens en situation concrète, sur « le d'aborder scientifiquement des
sujet apprenant ». De l'épistémologie questions vertigineuses comme : qu'est-
génétique de Piaget aux recherches sur ce qu'un esprit ? Qu'est-ce que la
les structures d'accueil, c'est bien ce pensée ? Qu'est-ce que penser ?
même souci de prendre en compte le
point de vue de l'apprenant dont il
s'agit. Les chercheurs se préoccupent
moins des contenus à transmettre ou ... et COGNITIVISME
des actes pédagogiques posés par les
enseignants que de l'activité cognitive renons le risque de la caricature,
de l'apprenant, des opérations mentales
qu'il met en œuvre, de ses stratégies
P en prétextant la brièveté de la
section que nous consacrons à ce point.
d'apprentissage, etc. (9)
Incontestablement, l'approche cognitive
Dans le champ des théories de la doit une large part de son succès à
communication, comme on l'a vu, l'ordinateur, aux possibilités de calcul et
l'intérêt contemporain pour la cognition de simulation qu'il permet. Mais au-
se manifeste également par la prise en delà des performances quantitatives et
compte de celui à qui, dans le modèle de rapidité de calcul, l'informatique
du code, on ne réservait que le simple fournit aussi à l'approche cognitive un
rôle de récepteur et de décodeur. surcroît de scientificité toute
Prenant appui sur des travaux symbolique.
d'origines diverses, (pragmatique L'approche cognitive pure et dure
linguistique, psychologie du langage, semble le produit d'un positivisme
logique conversationnelle,...) les anglo-saxon très affirmé voire
chercheurs en communication ont dogmatique, sans beaucoup de subtilité,
centré leurs efforts sur les activités, les tout empreint d'une technicité tatillonne
« calculs inférentiels » que les messages et empêtré dans des procédures
étaient susceptibles de susciter dans le compliquées à souhait. Elle repose
chef des destinataires d'un message, également sur un certain nombre de
qu'il s'agisse d'un message publicitaire quasi axiomes épistémologiques
ou des lecteurs d'un journal. implicites, qui paraissent pour le moins
ambigus, aussitôt qu'ils sont explicités.
D'une manière générale, on regroupe
sous l'expression de « sciences Pour prendre la mesure de ce
cognitives » une ensemble de mouvement, une citation extraite d'un
ouvrage de synthèse qui ambitionne de
(9)
Voir à titre d’exemple : RICHARD : 1989 ou faire le point sur cette approche.
BOURGEOIS, NIZET : 1997. L'extrait ci-dessous concerne
précisément la manière dont
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 22 -
l'apprentissage peut être conçu dans à la manière des ordinateurs digitaux. En
cette approche. d'autres termes, la cognition est
représentation mentale : on considère que
« L'acquisition de nouvelles connaissances l'esprit opère par une manipulation de
résulte du transfert, dans l'une des deux symboles représentant des traits du monde
mémoires permanentes [déclarative et ou représentant le monde comme étant
procédurale] d'une copie des structures dans un certain état. »
provisoires créées en mémoire de travail. » (VARELA et al. 1993,32-33)
(RICHARD, BONNET, GHIGLIONE :
1990 ; 101) La pratique de la simulation
informatique des habiletés de l'expert
La référence à l'ordinateur est ici tout à humain est guidée par le raisonnement
fait patente, et d'autant plus pernicieuse suivant : si une simulation
qu'elle se montre non consciente d'elle- (informatique) reproduit, dans ses
même, c'est-à-dire ne prenant pas en réussites et ses échecs, les performances
compte le fait que cette formulation soit d'un échantillon de sujets humains pour
éventuellement acceptable, à condition une compétence bien cernée, c'est donc
qu'elle se décrive comme « une façon de que l'architecture de la simulation
parler ». Tout au contraire, elle se correspond à la façon dont procède
présente ici comme une description effectivement le sujet humain moyen.
objectiviste du « fonctionnement » Sur cette base, un glissement est très
cognitif. On pourrait toujours rétorquer rapidement opéré et d'autant plus
qu'il s'agit là d'un manque de vigilance insidieux qu'il est non explicite. Puisque
des auteurs, ou d'une exception tout c'est ainsi que procède l'ordinateur, le
aussi isolée que regrettable : il n'en est sujet humain "rationnel" ne devrait-il
rien. Il s'agit bien de la tenir, dans pas, lui aussi, procéder de cette façon ?
l'évidence transparente de la métaphore Et la machine qui imitait/simulait
de l'ordinateur qui lui sert de sous- devient la référence, l'artefact est
bassement, comme représentative d'un devenu le modèle.
fondement paradigmatique, certes
quelquefois moins visible, mais non Plus peut-être que l'objet d'étude lui-
moins présent pour la cause. Toutes ces même, ce sont les moyens
productions se rejoignent sur ce point : d'investigation en place qui
implicitement ou explicitement, le déterminent, certes la qualité et la
cerveau peut avantageusement être fiabilité des résultats, mais davantage
comparé au fonctionnement d'un encore la nature des observations et des
ordinateur. Point à point, la mémoire conclusions auxquelles on aboutit, le
procédurale et la mémoire sémantique, statut du savoir ainsi produit, sa
la mémoire de travail et la mémoire à généralisabilité et sa tranférabilité à
long terme correspondent aux d'autres contextes, pédagogiques et
programmes et aux données, à la communicationnels, en l'occurrence.
mémoire vive et à la mémoire morte. Le
principe de ce fonctionnement De plus, tout ce qui, chez le sujet
commun : le traitement de humain, ne se prête pas à la simulation
l'information. informatique est plus ou moins
délibérément écarté, voire dénigré, sous
« Le cognitivisme consiste en l'hypothèse des étiquettes péjoratives comme
selon laquelle la cognition -humaine l'introspection, la spéculation, et autres
comprise- est la manipulation de symboles conjectures.
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 23 -
Ce glissement (l'intelligence artificielle COGNITION, COTATION à la
imitant l'expertise humaine devient le HAUSSE.
modèle à l'aune duquel on évalue les
performances et la rationalité des sujets a question se posait à propos du
humains) me semble aussi fonder un
autre glissement : puisque l'ordinateur
L modèle télégraphique de la
communication : comment expliquer la
pense, il est donc possible d'être en prégnance d'un modèle à ce point
interaction avec lui ! réducteur ?

Pourtant, même parmi ceux qui avaient Quelques hypothèses peut-être, de mon
puisé dans ce paradigme matière à point de vue, qui consistent à
inspirer leurs propres recherches, recontextualiser les choses. Au premier
certains prennent aujourd'hui leurs rang des explications du succès de cette
distances à l'égard de cette option conception : sa conformité au modèle
fondatrice. cartésien, à la façon occidentale d'être
au monde, une conception qui
« ...petit à petit, l'accent s'est déplacé de la s'identifie à un projet de possession de
signification à l'information, et de la la nature, dans lequel des objets
construction de la signification au dépourvus d'esprit sont manipulés au
traitement de l'information. Ce sont service d'une fin que seul un esprit peut
pourtant des choses bien différentes. A concevoir.
l'origine de ce glissement, une métaphore
qui est devenue dominante, celle de
Dans la foulée, on peut aussi voir dans
l’ordinateur ; c'est à cette aune que l'on a
fini par juger qu'un modèle théorique est
l'ampleur de cette approche dans les
valable. L'information ne s'intéresse pas à sciences humaines contemporaines la
la signification » domination de fait de ceux et celles qui
(BRUNER : 1991,20) voient dans ce néo-positivisme
d'inspiration anglo-saxonne la seule
La force d'évidence de cette métaphore façon de faire de la science, mimant les
de l'ordinateur est telle qu'il nous est procédures des sciences dites exactes (10)
difficile d'imaginer le «fonctionnement» et qualifiant de spéculations
de l' «appareil» cognitif autrement continentales (entendre ici le Vieux
qu'en des termes d'informations (ou de Continent) les autres démarches. Autre
représentations) manipulées par des raison, en germe dans le point
procédures. Cette conception nous précédent : un dualisme esprit/corps,
empêche de concevoir la pensée comme tout aussi prégnant dans la culture
une production sociale, par exemple, ou occidentale. L'esprit contrôle le corps,
comme un phénomène impliquant des comme une entité distincte et pour tout
dimensions proprement biologiques. dire transcendante.
Car dans cette conception, comme le
note perfidement Searle : Si d'autres raisons peuvent vraisem-
blablement être encore avancées, elles
« La pensée semble de nature formelle et tiendront peut-être aux divers contextes
abstraite, étrangère à cette matière humide au sein desquels l'approche cognitive a
et visqueuse qui constitue notre cerveau. » trouvé à se développer et a ainsi donné
(SEARLE : 1990) à des acteurs des moyens de se

(10) Voir STENGERS : 1992

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 24 -


repositionner les uns par rapport aux
autres dans ces divers champs. A un
autre niveau toutefois, la succession de
ces modèles et de leurs limites, même si
elles sont présentées avec plus ou moins
de bonheur, de justesse ou de parti-pris, Section IV:
n'en finissent pas moins pas rendre
nécessaire l'affrontement d'autres modèles de la
questions : Qu'est-ce qu'un modèle de la
communication ? Qu'est-ce qui se
communication
dégage de la comparaison des limites et
points forts respectifs des différents
modèles que nous avons présentés ? A « Tout se passe comme si le
quoi sert-il de disposer de modèles ? seul élément que Shannon ait
pu léguer aux non-ingénieurs
soit l'image du télégraphe qui
Telles sont les questions que nous allons
imprègne encore le schéma
maintenant aborder.
d'origine. » (11)

COMMUNICATION : QUELLES
METAPHORES ?

a métaphore du Tuyau représente,


L selon Michaël Reddy, l'image
structurale implicite, caractéristique de
la langue anglaise, à partir de laquelle
est appréhendé la phénomène de la
communication. (12) Mais une telle
affirmation peut trouver à s'appliquer à
d'autres langues que l'anglais et à
d'autres objets que la communication.
Tel est le projet scientifique que
poursuit George Lakoff, un auteur
quelque peu atypique dans le champ de
la linguistique cognitive mais tout à fait
passionnant, précisément par la
contestation du cognitivisme qui fonde
toute son œuvre. Pour lui, une
métaphore n'est pas un simple jeu
littéraire, une curiosité philologique.

(11) Yves WINKIN : La Nouvelle


Communication. Bateson, Birdwhistell,
Goffman, Hall, Jackson, Scheflen, Sigman,
Watzlawick. Textes recueillis et présentés, le
Seuil, Points, 1981. Page 20.

(12) Voir ci-dessus, section I

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 25 -


Elle représente une caractéristique mêmes très largement tributaires du
majeure de la manière dont procède la type d'accès aux objets du monde
cognition humaine, un procédé de physique que nous "fournit" et nous
projection qui consiste à impose notre corps. (14) Selon les
*métaphores que nous utilisons, nous
« ...comprendre (et d'en faire l'expérience) construisons donc des mondes
quelque chose dans les termes d'une différents !
autre. »
(LAKOFF, JOHNSON : 1985,15) Ce raisonnement pourrait être tenu
dans le champ scientifique et
Contrairement à l'usage habituel du singulièrement en ce qui concerne la
terme, la métaphore ne constitue pas communication. Sachant que chaque
pour Lakoff un procédé de style, limité *métaphore est susceptible d'éclairer un
à la langue, mais elle définit le procédé aspect que d'autres laissent dans
cognitif par lequel nous attribuons du l'ombre, il est alors légitime de procéder
sens à nos expériences, et nous nous y à une exploration d'un objet en utilisant
orientons. Si le langage comporte des pour ce faire plusieurs *métaphores. Ce
expressions métaphoriques, c'est selon qui revient à poser la question, à propos
lui parce que notre "appareil cognitif" de chacune d'entre elles : si nous
lui-même est *métaphorique.(13) voyons les choses comme cela, qu'est-ce
que cela donne ? Si nous cherchons à
Si Lakoff a mis au jour de tels procédés explorer le phénomène complexe qu'est
dans un nombre impressionnant la communication, qu'est-ce que le
d'expressions du parler et de l'agir recours à cette approche *métaphorique
quotidiens, il soutient aussi, par la peut apporter de neuf ?
généralité des conclusions qu'il en tire,
que cette vigilance *métaphorique Ce même raisonnement peut alors être
trouve également sa pertinence dans appliqué à la comparaison entre eux de
l'étude des discours scientifiques en différents modèles théoriques d'un
général et singulièrement des même objet, chacun d'eux se voit alors
productions scientifiques qui caractérisé par une *métaphore
concernent la communication. Dans principale qui sous-tend sa construction
cette dernière section, nous allons et détermine ainsi tout à la fois ce qu'il
examiner les implications de telles donne à comprendre et ce qu'il néglige,
affirmations quant à notre objet. ce qu'il éclaire et ce qu'il laisse dans
l'ombre, ce qu'il appréhende et ce qui
Dans la perspective constructiviste de lui échappe.
Lakoff, notre compréhension de la
"réalité" est moins le fait d'un "déjà là"
des objets dont la nature essentielle
nous serait immédiatement accessible,
mais est davantage le fait de la re-
construction que nous en faisons sur (14)On sait que c'est davantage encore Mark
base des *métaphores disponibles, elles- Johnson qui a travaillé cette dimension des
thèses *métaphoriques.
(13)
l'astérisque (*) précédant le terme de JOHNSON Mark, The Body in the Mind. The
métaphore signalera, dans les pages suivantes, Bodily Basis of Meaning, Imagination and
l'usage de ce terme dans le sens construit la Reason. The University of Chicago Press,
Lakoff. Chicago and London, 1987

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 26 -


Inspirons-nous pour cela de l'idée déjà pourrait par exemple rapporter
formulée en 1994 par Jean-Pierre chacune de ces contributions théoriques
Meunier selon qui les théories de la aux contextes intellectuels, culturels,
communication peuvent être économiques, sociaux... dans lesquels
appréhendées comme des *métaphores elles sont apparues et ont été retenues,
qui se réalisent, précisément parce au détriment d'autres propositions
qu'elles construisent des mondes et théoriques. Ce qui permet alors de
orientent des conduites. (15) La citation rendre compte de leurs succès ou de
d'Yves Winkin en exergue de cette leurs infortunes, par exemple selon les
section nous met sur la voie : acteurs qui s'en saisissent et la place
empruntons-la résolument. Elle nous qu'ils occupent, cherchent à occuper et à
permet de dresser un tableau-synthèse, légitimer dans leurs champs de
autour de quelques idées structurantes. pratiques respectifs. Ce qui nous fournit
l'occasion d'une référence supplé-
Première idée, une typologie sommaire mentaire au travail d'Edgar Morin. (18)
des théories de la communication. Tout
d’abord, il est commun d'identifier le Ensuite, nous l'avons rappelé ci-dessus,
modèle de Shannon et Weaver comme puisque chaque *métaphore néglige des
fondateur de ceux qui insistent sur la aspects différents, il devient possible,
dimension transmissive de la dans la deuxième entrée de ce tableau,
communication. Ensuite, le terme de de contraster ces théories sur base des
pragmatique, qui peut englober les aspects de la communication qu'elles
approches qui se centrent sur permettent de comprendre ou qu'elles
l'interaction. Enfin, les travaux en laissent impensés. Ce qui permet de
sciences cognitives introduisent la plus dresser le tableau suivant.
large prise en compte de l'activité de
celui qui se voyait attribuer le rôle de
simple récepteur dans le premier
modèle, par la prise en compte de
processus inférentiels. (16) Certes, cette
typologie est sans doute sujette à
caution. (17) Un travail plus nuancé

(15) de professionnels de la communication,


notamment... mais peut-être le terme ne
recouvre-t-il plus, dans ce cas, le même champ
d'expérience...
MEUNIER Jean-Pierre, Les théories de la
Communication comme métaphores qui se
réalisent, in « Recherches en Communication »,
N.o1 , 1994, Louvain-la-Neuve, UCL/COMU.
Pages 73 à 92.

(16) SPERBER Dan, WILSON Deirdre, La


Pertinence, Communication et Cognition,
Minuit, Coll. Propositions, Paris, 1989. (1986, être envisagés.
pour l'édition originale, en anglais)
(18)
MORIN Edgar, La Méthode, Tome 4, Les
(17)Toute typologie est construite à partir d'un Idées, leur Habitat, leur Vie, leurs mœurs, leur
point de vue, forcément discutable en tant que Organisation. Le Seuil, Paris, 1991.
tel puisque d'autres points de vue pourraient
Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 27 -
modèles

\ TRANSMISSION INTERACTION INFERENCE

aspects

L'activité Coder - décoder Proposer des Computer


du sujet Émettre - recevoir définitions de Inférer
Faire passer relation, des places et
des positions

Accents Code La relation et sa Activités cognitives


majeurs Message structure du « récepteur »

Ce qui est Signaux « codés », Rôle, position, place Indices


« échangé » « informations »

Le contexte non pris en compte pris en compte pris en compte

significatio donnée dans le « comprise » au sein produite à partir des


n message de la relation indices et de
« calculs »
inférentiels

*métaphore télégraphe orchestre ordinateur


sous-jacent
e

n tableau comme celui-ci pourrait Le MODELE TELEGRAPHIQUE


U appeler une série de commen-
taires, vu le caractère forcé des e modèle, sans doute parce qu'il
schématisations auxquelles il procède C est historiquement le plus ancien,
ou encore la liste des aspects retenus, a fait l'objet de nombreuses critiques,
par exemple. Renonçant à exposer et notamment quant à l'excessive
justifier dans le détail chacune des réduction des rôles d'émetteur et de
options qui sont prises, concentrons- récepteur (19) et le fait qu'il accrédite une
nous sur sa dernière ligne, consacrée
comme il se doit, aux *métaphores. (19)
des acteurs auxquels l'approche pragmatique
entend restituer une autre dimension, en les
insérant dans des relations sociales.

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 28 -


relation sociale fondamentalement Le MODELE de l’ORCHESTRE
inégalitaire. Le recours à des
technologies, qu'elles soient anciennes
ou nouvelles ainsi que le prestige dont C ette *métaphore de l'orchestre,
suggérée par Yves Winkin, est
disposent ces technologies et ceux qui désormais reçue comme telle. Si elle
les maîtrisent vient renforcer la peut apparaître adéquate pour rendre
plausibilité, la légitimité et le bien-fondé l'idée d'interaction, elle peut toutefois
de ce modèle. Cependant, la vigilance suggérer aussi l'idée d'une partition
particulière aux *métaphores vient strictement écrite et d'un chef. L'image
éclairer d'un jour nouveau le succès d'une petite formation de jazz serait
qu'a rencontré et continue à avoir ce alors davantage appropriée, dans la
modèle « linéaire », marqué par le mesure où elle évoque sans doute un
caractère mécaniciste et ingénieuriale de cadre rythmique, par exemple et un
ses origines. savoir-faire des musiciens. Mais elle
évoque aussi une capacité
En effet, les travaux de Michaël Reddy d'improvisation des instrumentistes.
que Lakoff reprend à son compte Dans ce cas, une « fausse note », ou une
permettent d'avancer l'argument disharmonie peuvent très bien, si elles
suivant. La force d'évidence que sont reprises plus tard, être intégrées
présente ce modèle tient aussi à son dans « l'architecture » de la
étroite correspondance avec la performance. On peut reconnaître dans
« Métaphore du Conduit », (20) une cette capacité à intégrer un événement
*métaphore qui imprègne massivement imprévu, une caractéristique de la
les expressions de la langue anglaise et seconde systémique, davantage
qui servent à parler de situations de marquée par une inspiration
communication. Ainsi, d'une certaine organiciste.
manière, ce modèle peut être vu comme
une explicitation d'une conception Il nous faut toutefois concéder que les
implicite de la communication, telle origines cybernétiques du concept de
qu'elle est « dissimulée » dans la langue, feed-back par exemple, peuvent amener
anglaise en l'occurrence. Dans ces certains présentateurs de cette approche
conditions, un tel cadre théorique ne à avoir recours à l'univers des
pouvait que gagner en plausibilité et machines. Toutefois, plus qu'une autre
légitimité. sans doute, cette image de l'orchestre
offre l'avantage de montrer que la
Ce modèle se centre donc communication ne se réduit pas à la
essentiellement sur la transmission du prestation individuelle, même du
message. soliste, mais qu'elle incorpore la
nécessité d'une concertation, d'un
ajustement fin et incessant entre les
différents exécutants.

Ce modèle se centre donc sur


l'interaction et ses modalités entre les
parties prenantes à la communication.
(20)
REDDY Michaël, “The Conduit Metaphor”.
in ORTONY A. Ed., Metaphor and Thought,
Cambridge University Press, Cambridge, 1979.

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 29 -


Le MODELE de l’ORDINATEUR complexe à comprendre, et en occultent
d’autres : en cela, ils seraient donc

S ilaletransmission,
modèle du télégraphe insiste sur
c'est ici davantage
davantage complémentaires plutôt que
simplement opposés.
l'activité du récepteur qui va être
explorée. On se préoccupera moins du Ces trois modèles peuvent encore être
message transmis mais de la manière contrastés en ayant recours cette fois à
dont le récepteur s'y prend pour le la théorie des prototypes (22) On met
comprendre. Ainsi que l'affirment dans alors en évidence les situations
détour Sperber et Wilson : exemplatives, emblématiques de ce
pour quoi chaque modèle a été
« La communication est un processus qui construit et ce pour quoi ses vertus
met en jeu deux dispositifs de traitement heuristiques sont particulièrement
de l'information. L'un des dispositifs avérées. Pour chaque modèle, cette
modifie l'environnement physique de situation-type représente la référence
l'autre. Ceci a pour effet d'amener le avec laquelle une situation va être
second dispositif à construire des comparée afin de pouvoir décider si elle
représentations semblables à certaines des
relève ou non de son champ de
représentations contenues dans le
premier. »(21)
pertinence. Pour chaque modèle, les
situations prototypiques propres aux
On voit ici condensées deux deux autres vont aussi être comparées
affirmations nodales de cette approche : de la sorte et être situées plus ou moins
l'activité du récepteur qui est définie à la périphérie de chaque figure
comme une construction de représen- centrale. Du point de vue de chaque
tation et le modus operandi, explicitement modèle, les deux autres apparaissent
défini comme traitement de l'infor- alors comme des théories locales, quand
mation. L'activité cognitive du lui-même pose sa vocation générale.
récepteur est explicitement décrite à Pour chaque modèle, les noyaux
partir de la *métaphore de l'ordinateur. prototypiques des deux autres modèles
Cette approche de la communication se apparaissent comme des cas particuliers
centre donc moins sur le message à en regard de la vocation générale à
transmettre et son contenu informatif laquelle lui-même prétend. Ce qui
que sur la manière dont le récepteur s'y permet de dresser le petit tableau
prend pour traiter l'information reçue. suivant :

PROTOTYPE de la
COMMUNICATION ?

rois modèles donc qui, comme


T toute *métaphore, mettent en
évidence certains aspects de l'objet

(21) SPERBER Dan, WILSON Deirdre, La


Pertinence, Communication et Cognition,
Minuit, Propositions, Paris, 1989 (1986 pour
(22) telle que l'a proposée Eleanor Rosch.
l'édition originale) Page 11

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 30 -


Modèle Accent sur Centration Situation
prototypique

De la la technologie utilisée techno-centré conversation


transmission téléphonique

De la relation socio-centré l'interaction de face à


l’interaction face

De la l'individu individuo-centré audition/lecture


cognition

CONTRIBUTION des/aux SCIENCES « Oui ou non, l'apprentissage est-il un


de la COMMUNICATION processus strictement individuel de
traitement de l'information, gouverné
ous avons contrasté en trois pour l'essentiel par les principes de
N *métaphores les modèles utilisés rationalité abstraite et de fonctionnalités
cognitives indépendantes du type d'agent,
en sciences de la communication. Je
de contenus et de situation dans lequel il
suggère à ce stade un petit détour par
est en œuvre? » (25)
une distinction dichotomique proposée « Ou bien au contraire, l'apprentissage
par Monique Linard. (23) Dans un récent est-il l'activité significative et motivée de
article, elle insiste sur le fait que les transformation de l'information en
débats autour des NTIC (24) sont en fait connaissance, par un sujet biologique et
de nouveaux emballages pour de psycho-social qui se construit lui-même en
vieilles questions. La pointe de son construisant son savoir, à partir de ses
argumentation consiste à affirmer interactions avec des objets et d'autres
qu'entre l'information et la connais- sujets, dans le cadre de situations
sance, il y a toujours un sujet, situé et déterminées ? » (26)
incarné.
Si l'on opte pour la première branche de
Elle propose ainsi une grande l'alternative, on adhère à un « modèle
opposition paradigmatique concernant objectiviste de la connaissance »(27).
une question abyssale, dans la
simplicité même de sa formulation : (25) LINARD Monique, La distance en
qu'est-ce qu’apprendre ? formation : une occasion de repenser l'acte
d'apprendre, Communication au colloque
« Open and Distance Learning : Critical Success
Factors ». Genève, 1994.Page 13

(23) Une chercheuse française en sciences (26) Idem, page 13.


humaines qui s'est spécialisée depuis vingt ans
dans le recours aux technologies audio-visuelles (27)Idem, page 13. Monique Linard fait ici
et informatiques à des fins éducatives. référence, pour ce modèle objectiviste, à la façon
dont il est décrit et critiqué par Lakoff, in :
(24)Nouvelles Technologies de l'Information et Women, Fire and Dangerous Things, Op. Cit. et
de la Communication spécialement les pages 157 à 218.

Approches pragmatiques - modèles de la communication (G. PIROTTON) - 31 -


« ...une «ingénierie de la formation» est
possible, au sens de traitement logico- Mécaniciste Organiciste
déductif rigoureux est complet du terme. »
(28)

Télégraphe Interaction
Si l'on opte pour la seconde branche, les
choses deviennent plus complexes,
précisément dans le sens développé par Inférence
des auteurs comme Edgar Morin. (29)
Dans ce cas,

« Les sujets ne sont plus simplement des On voit ainsi apparaître une quatrième
«opérateurs» rationnels. Ils sont des case, dont le vide est comme l’appel à la
«acteurs» identifiés par un corps, un construction d’un quatrième modèle,
psychisme, une histoire, un rôle et un qui intégrerait les acquis des trois
contrat particuliers et par les potentiels et précédents, qui ne s’oublierait pas
les limites de leur constitution biologique.
comme modèle, qui ne resterait pas
Ces acteurs ne sont plus, en conséquence,
des calculateurs parfaits, mais des vivants
ignorant de la *métaphore sur laquelle
recherchant des compromis acceptables. »(30) il serait immanquablement fondé et qui
serait construit autour des fondements
Si nous reprenons alors la dichotomie de la seconde option de la dichotomie
proposée par Monique Linard en de Monique Linard.
l'appliquant à notre propos, on voit que
les *métaphores « fondatrices » de ces
trois modèles de la communication
auquel nous venons de procéder nous
permet pour les contraster davantage
encore en un seul schéma et de dresser
le tableau suivant : Gérard PIROTTON ■

(28) Idem, page 13

(29)
Voir son « monument », les quatre tome de
La Méthode.

(30) Idem, page 13

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