Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Couverture
Page de titre
Copyright
Remerciements
Introduction
Question d’intuition
Question de modélisation
Question d’analogie
Question de corpus
Le plan et la coupe
Roulement
Rouage
Partie I
Analyse des forces
Questions de liaison et d’articulation
Mise en garde
Mise au point
Degrés de liberté
Partie II
Poétique des fluides
Suspense
Transfusion
Sortilèges du feu
Transition de phase
Rhéologie
Pression du temps
Fluides filmiques
Hydrodynamique
Vases communicants
Densité du flux
Questions de diffusion
Ondes en phases
Tension interfaciale
La carotte de Carrie
Orages électriques
L’acteur comme fluide
Corps conducteurs
Débonder les plans
Turbulence
Attracteur étrange
3. Montage plasmateur
Géométrie de l’instable
Inquiétude du regard
Matière-énergie
Conclusion
Bibliographie
Index
Remerciements
Les images doivent plutôt être vues en relation avec une certaine
problématique, comme des réponses à un certain type de questions qu’ici
les modèles métaphoriques nous permettent de poser avec précisions.
Question de corpus
Dans cette théorie heuristique du montage, le choix du corpus
détermine la qualité des problèmes. Selon la méthodologie induite par
l’analyse filmique, les exemples choisis sont des points de départ et non
des justifications a posteriori de problèmes posés théoriquement. Les
modèles mécaniques ne faisant pas l’objet d’une application, ils «
n’apparaissent pas plus importants que les résultats dus à leur application ;
le cinéma ne se réduit pas à une réserve d’“exemples” à exhiber, [un
champ de possibles, mais] plutôt à un territoire à “interroger” 65 ».
Derrière ce souci de qualité, le choix pourrait s’orienter vers une
sélection de cas exemplaires pour donner plus de force aux propositions.
Or, la perspective de la théorie dépend aussi d’un critère de
représentativité.
Les exemples sont pris dans toute l’histoire du cinéma, des expériences de
Marey et des films Lumière aux plus contemporains. Le nombre
d’exemples assure de pouvoir formuler et préciser un peu mieux pour
chaque cas les questions ou les problèmes, et de « mettre à profit la
moindre ébauche de réponse » (Casetti 66). Loin de s’imposer comme des
démonstrations, ces exemples sont la matière d’où peut naître une théorie
heuristique. L’observation d’un phénomène énergétique dans une
configuration d’images induit la recherche d’une formulation mécanique
proposant une vision simplifiée. Ce que l’on remarquera « localement »
pour un type de liaison pourra éventuellement être complété par une
hypothèse de « globalité » relative puisqu’elle ne mènera pas à la
prédiction, à des valeurs quantitatives (donc à la modélisation). « À
“représentativité” égale, on peut s’adresser à une œuvre forte, inventive,
qui retravaille les problèmes, ou à une autre qui en est le reflet
paresseux67. » Ce critère d’exemplarité (mettant en avant la « qualité de la
solution à un problème général ») permet de choisir des raccords, des
séquences parfois des films entiers en ce qu’ils exhibent certaines qualités
du montage de la meilleure façon possible. Si les objets de l’analyse
peuvent parfois donner l’impression d’être ad hoc, c’est justement en
répondant aux exigences de l’exemplarité et de la représentativité.
Le champ d’investigation s’en trouve élargi à toutes les périodes et
toutes les cinématographies puisque le principe générique du montage
peut être exposé sans contextualisation, le modèle mécanique ayant une
force paradigmatique. Ce sont donc les modèles qui structureront les
propositions de cette théorie énergétique du montage selon deux axes
principaux : l’un insistant sur l’analyse des forces en présence dans et
entre les plans, l’autre invitant à reconsidérer la poétique des formes et la
dialectique continu/discontinu. D’une part, la mécanique des solides
permettra d’aborder les problèmes de liaison et d’articulation avec entre
autres la notion de degré de liberté qui considère autant le
fonctionnement que le dysfonctionnement des systèmes mécaniques. La
description des phénomènes fluides et ondulatoires s’attachera aux
transmutations. Leur cinétisme, auquel le cinéma a toujours été attentif,
sensibilisera par exemple notre regard à des figures hydrauliques ou à des
manifestations plus complexes d’induction. On identifiera alors de
nombreux éléments susceptibles d’assurer l’écoulement de l’énergie et
l’on appréciera leur forte capacité à se transformer.
Ces deux principaux moyens de compréhension des processus du
montage ne dessinent pas une évolution de ses pratiques et conceptions
comme le passage de l’image-mouvement à l’image-temps était marqué
par une fracture. Ils ne servent pas à reconnaître voire à opposer cinémas
classique et moderne. La méthodologie des modèles mécaniques ne
prescrit pas leur exclusivité. Mécaniques des solides et des fluides peuvent
être articulées par l’analyse et ainsi permettre de décrire et saisir ce qui se
joue entre les images d’un même film. Elles offrent des précisions devant
la multiplicité des agencements d’images. Le choix des outils de description
sera guidé par la pertinence de l’un ou l’autre modèle, certains pouvant se
rejoindre comme la multiplication des degrés de liberté et les phénomènes
dits turbulents. La complexité des agents porteurs de l’énergie, que
l’analyse s’attachera à révéler, recommande, dans un premier temps,
d’introduire et d’initier le regard à l’énergie du plan puis à l’énergie
mécanique du montage par l’analyse de quelques cas exemplaires.
Introduction à l’énergie du plan
S’intéresser au plan avant tout puisque la problématique d’une énergie
dans le montage
« déborde largement celle des unités de la chaîne filmique, avec ce que ces dernières peuvent
impliquer d’un peu inerte ou de platement combinatoire. Car le plan dans ce qu’il a de vif est à
la fois, ce qui, par l’enchaînement du montage, donne consistance au film, et ce qui, dans le
même mouvement, le met en péril en lui faisant courir à tout moment le risque de la
dislocation. Par sa façon de serrer le réel ou par la seule pression interne de sa temporalité, un
plan, s’il est vraiment un plan, menace toujours de déchirer la continuité trop sage et trop lisse
de cette chaîne filmique hypothétique68. »
Cette analogie est bien sûr fortement liée à la nôtre. Que le montage
rejoue le principe de l’intermittence (par les effets de
disparition/apparition) ou celui de la répétition (en élaborant une forme)
ou d’autres mécanismes, l’analogie entre montage et mécanique insiste
sur la définition du montage comme force en action, energeia.
Malgré cette absence de montage empirique, se manifestent dans le
plan les forces d’action, de réaction, d’interaction (retrouvées dans les
théories d’Eisenstein, Vertov et Pelechian entre autres), de pression du
temps (Tarkovski), et les différents états de l’énergie circulant d’un plan à
l’autre – qu’elle soit contrôlée ou dépensée, régulée ou libérée,
renouvelée ou interrompue, qu’elle témoigne d’une agitation
désordonnée ou productrice.
Le plan et la coupe
La modulation de l’énergie du plan est aussi à penser par rapport aux
variations introduites par les coupes, même pour les frères Lumière
puisque 99 vues présentaient des hiatus ou accidents de natures diverses 74.
Pour les plans séquences également puisque la coupe finale est d’autant
plus sensible qu’elle met un terme à une économie rythmique singulière.
Rappelons rapidement, deux exemples parmi les plus connus : La surprise
de la fin du plan séquence inaugural de La Soif du mal (Welles, 1957) est
mise en scène et comme provoquée/justifiée par l’explosion de la voiture ;
celle du Sacrifice (Tarkovski, 1986) est syncopée et laisse une impression
d’inachevé, rompant le flow chorégraphique (au sens labanien) créé par la
fluidité des entrées et sorties de champ et l’amplitude des mouvements de
caméra réagissant à ceux des personnages, liant et déliant les corps 75. A la
fin de ce plan, deux mouvements sont juxtaposés avec un effet de
complémentarité (sans que l’on puisse parler de raccord) malgré l’échelle
du plan et celle des corps si bien que l’intervalle est ressenti comme une
disruption : Victor (Sven Wollter) prend Adelaïde (Susan Fleetwood) dans
ses bras pour la relever tandis que la maison s’écroule/ le petit garçon
relève son seau pour aller arroser l’arbre mort planté avec Aleksander
(Erland Josephson) au début du film.
Outre ces exemples qui stimulent naturellement notre attention aux
variations d’énergie en deçà des unités de la chaîne filmique, notre œil doit
appréhender avec plus de précisions la « pression » du plan aussi fugace
soit-elle. L’exemplarité d’un événement, la sortie de champ, permet de
décrire ce phénomène. Par commodité, nous prendrons deux exemples
dans un film par ailleurs essentiel à cette théorie : Zabriskie Point
d’Antonioni. Le départ de Daria, à deux reprises, interroge la capacité du
plan à contenir et à canaliser une énergie, une dynamique. La première
fois dans le désert : après que Daria a mis de l’eau dans le radiateur de sa
voiture et refermé le capot (de dos en plan américain, vue en contre-
plongée), elle fait le tour et disparaît presque en montant. La coupe
l’éclipse totalement, le léger recadrage de la voiture opacifie les vitres
(jump-cut). La voiture, qui occupe alors la moitié du champ dans sa
hauteur et la totalité dans sa largeur, démarre et sort par la droite, libérant
le premier plan et découvrant au loin les montagnes désertiques. La
caméra file vers la droite pour la rattraper. Au cours de ce mouvement, la
couleur jaune d’une citerne investit le champ. Le mouvement se poursuit
sur le ciel bleu et s’arrête lorsque la voiture entre à nouveau dans le
champ. Deux mouvements contraires donnent ensuite un effet
d’expansion de l’espace : tandis que la voiture s’éloigne dans la
profondeur, la caméra recule. La désolidarisation des dynamiques de la
voiture et de la caméra interroge la vectorisation du plan et met en
question le principe de réaction usuel du montage. En outre, deux pans de
couleur (le jaune de la citerne puis le bleu du ciel) « font plan » comme le «
raccord fait plan, et l’intervalle travaille dans plusieurs directions » chez
Godard76. Ces deux événements miment les effets de la coupe en affirmant
la puissance de surgissement par la force du haptique. Raymond Bellour
rappelle que ce type d’accélération et l’abolition de la distance entre la
caméra et le monde était parfois le symptôme d’une coupe dans les vues
Lumière comme pour le no 160 filmant d’un train les inondations à Mâcon
en 189677. Montage endogène (chez Antonioni) et premiers accidents de
montage (Lumière) se confondent ici.
Roue
Principe élémentaire de transmission du mouvement, la roue est à la
base de la mécanique et du cinématographe : système d’entraînement, de
roues, roues dentées, engrenages, symbolisant le monde déterministe du
machinisme. Engrener a « dès le XIIIe siècle le sens figuré de commencer une
action puis de s’enchaîner » (DHLF). Ce principe de la dynamique qui
s’intéresse à l’état du mouvement des corps et aux causes qui les
produisent induit une certaine conception du montage de cause à effet.
Les différentes ramifications de l’étymon « roue », ont chacune un
pouvoir métaphorique permettant de décliner autant de formes et de
fonctions du montage. Du latin rota, la roue désigne aussi bien la roue du
char, que la roue hydraulique. Son mouvement renvoie à la force de
l’intervalle, au montage comme déplacement d’un plan à l’autre. Elle se
rapporte aussi à la roue du potier qui modèle la glaise, génère des formes
comme le monteur la matière-temps, selon une métaphore fondamentale
pour Epstein. Si l’on considère le diminutif rouet employé à propos d’une
machine à filer, reviennent les métaphores du tissage des plans ou, au
contraire, de la « robe sans couture de la réalité » chère à Bazin.
Par ailleurs, l’instrument de torture formé d’une roue horizontale sur
laquelle on liait un supplicié (d’où le supplice de la roue) indique la « mise
sous tension » des plans par le montage. Cette tension naît du choix de la
coupe qui interrompt brusquement, fait surgir un élément hétérogène,
activant le principe du conflit et le montage des attractions théorisés par
Eisenstein78, ou joue avec les bords tranchants du cadre, pouvant même
exposer la collure par le split-screen. L’effet vise l’impact sur le spectateur.
Ainsi, Eisenstein disait du montage des attractions qu’il constituait un «
moment agressif – c’est-à-dire tout élément (…) qui fait subir au spectateur
une pression sensorielle ou psychologique – tout élément qui peut être
mathématiquement calculé et vérifié de façon à produire telle ou telle
émotion choc79. » En outre, d’autres acceptions, connues des historiens des
techniques, comme celle désignant, « aux XVIe et XVIIe siècle, une roulette
d’acier dentée mue par un ressort, qui, frappant sur un silex, enflamme la
poudre des armes à feux » (DHLF), renvoient le montage au principe
générique de l’explosion développé par Eisenstein. Depuis, l’idée d’un
embrasement des plans par le choc et les frottements aux points de coupe
s’est souvent manifestée. Elle est dans ces raccords boutefeu qui
amplifient par exemple l’allumage d’un briquet par la détonation
consécutive de l’arme d’un yakusa (Hana-Bi, T. Kitano, 1997. Voir p. 41) ou
le geste de révolte d’un jeune Aïnu lançant une pierre dans la mer «
provoquant » une explosion pyrotechnique (Le Sifflement de Kotan,
Naruse, 1959). Le montage rend sensible la force de propagation et de
projection d’une image vers l’autre, au sens physique du terme comme
imaginaire.
Roulement
Le roulement peut être appréhendé comme un motif qui interroge le
mouvement du plan et ses limites donc la notion même de plan. Rappelons
avec Jean-Luc Nancy les premières images de Close-up de Kiarostami
(1990).
« Comme la reprise d’un thème cinématique fondamental (au sens d’une “note
fondamentale”), (…) Le vent nous emportera (Kiarostami, 1999), rejoue une scène donnée dans
Close-up (et récurrente chez le cinéaste, depuis Le Pain et la Rue) : ici une boîte métallique
cylindrique, là une pomme, roule à terre, assez longtemps, et la caméra suit sa course erratique
et sans but dans le film, comme un mouvement qui sortirait du film lui-même (de son scénario,
de son propos) mais en concentrant sur lui la propriété cinématique ou cinétique à l’état pur :
un peu de mouvement à l’état pur, même pas pour “figurer” le cinéma, plutôt pour rouler ou
dérouler en lui un entraînement interminable 80. »
Balistique du regard
Répétitions mécaniques
Rouage
Terminons en rappelant que la mécanique du montage a aussi fait
l’objet de figuration. La décomposition répétitive, telle que la pratique
Martin Arnold dans Pièce touchée (1989) en prélevant d’infimes fragments
dans le mouvement des corps d’un homme et d’une femme, recompose
des figures mécaniques (roue, engrenage, bielle, piston sont les plus
évidents) grâce au remontage photogrammatique. Les formes filmiques
sont simples : réversion et bégaiement temporels, inversion aussi avec la
mise en miroir des images latéralement ou horizontalement. Un pas de la
femme répété alternativement à l’endroit et inversé se fait rotation
continue sur un axe vertical. Quand la femme se lève et se rassoit
alternativement, l’effet de piston est d’autant plus saisissant que l’image
donne alors l’impression de défiler horizontalement puisque le mari passe,
par une inversion verticale, de la droite à la gauche du cadre. Les
mouvements mécaniques simples identifiés sont plus ou moins fugitifs. Ils
engendrent rapidement de nouvelles figures. Aux pistons succèdent
d’autres mouvements compensatoires avec plus d’amplitude puisque les
mouvements synchronisés des deux corps y participent. Mais leur mise en
miroir, enchaînant deux mouvements identiques bien qu’opposés par les
directions (l’homme et la femme marchent tantôt de gauche à droite,
tantôt de droite à gauche), après quelques ajustements (de la direction de
l’homme assurant un passage fluide d’un plan à l’autre) annule l’opposition
pour donner l’illusion d’un seul mouvement courbe de gauche à droite,
voire, après accélération d’une rotation. Ce déploiement du mouvement
entraîne un dépliement, une extension latérale de l’espace. Dernier
exemple : le plan du corps quasi immobile et vertical de la femme avec un
très léger mouvement de bras, lorsqu’il est répété quatre fois (avec un
premier renversement haut/bas suivi d’une inversion gauche/droite pour
revenir après un nouveau renversement à une image inversée
latéralement par rapport à la première) et que cette suite est mise en
boucle, a la complexité d’une bielle avec la rotation des bras (dans le sens
inverse des aiguilles d’une montre) et le mouvement de translation du
corps vertical. Le montage répétitif et bégayant de Pièce touchée révèle,
par la recomposition d’un mouvement mécanique (perceptible à l’œil nu),
qui dépasse la logique corporelle, une isomorphie avec la mécanique
classique des solides que nous allons approfondir.
Questions de liaison
et d’articulation
1
Mise en garde
S’inspirer de la mécanique classique des solides pour analyser les
configurations d’images aurait été pour Jean Epstein une aberration à
cause de « l’insoumission des objets filmés aux règles géométriques et
mécaniques, valables dans la réalité. Dans un espace-temps différent de
celui qui fait l’usage général des solides à mouvements restreints, se
constitue aussi une logique différente1. » Il témoigne ici d’une conception
usuelle de la mécanique, alors qu’une connaissance approfondie des
systèmes mécaniques sur laquelle se base cette théorie en révélera les
subtilités et la poésie. Il n’est bien sûr pas question ici de définir les
mouvements dans le plan comme dans un repère ordonné, puisque l’on
préfère parler de vision mécanique du montage plutôt que de revendiquer
une transposition. Par ailleurs, il y a chez Epstein la volonté de dénoncer
une pratique, une habitude, une logique de montage avec des
mouvements ou traversées de champ prévisibles, des modes de
raccordement sans surprise évoquant un engrenage bien huilé – le monde
déterministe du machinisme. Des systèmes mécaniques, il préfère retenir
le hasard qui n’est pas toujours absent comme il le reconnaît avec
l’exemple des voitures :
« De même marque et de même série, on rencontre rarement deux moteurs exactement
pareils ; chacun d’eux manifeste un caractère propre dans les particularités de son
comportement. C’est que la complexité de la structure et des interactions internes d’un
organisme mécanique aboutit à l’individualisation de la machine et donne, au résultat du
fonctionnement de l’ensemble, une nuance d’imprévisibilité, qui signifie l’extrême
commencement de ce qu’on appelle, à d’autres degrés de développement, volonté, liberté,
âme2. »
Mise au point
Des réalisations mécaniques, on retiendra celles dont le mouvement
relatif des différentes pièces ou organes permet à l’objet fabriqué de
remplir le rôle pour lequel il a été conçu. Il s’agit des machines
génératrices ou transformatrices de l’énergie (alternateurs, moteurs
électriques, turbines hydrauliques, à gaz, à vapeur, moteurs à combustion
interne, turboréacteurs…), machines instruments (machines-outils,
machines agricoles, appareils de levage et de manutention, pompes,
métiers à tisser, machines à coudre…).
Ces constructions nécessitent la connaissance des lois de l’énergétique,
de la dynamique des solides et des fluides et de l’aptitude des matériaux à
résister aux efforts variables. Les problèmes de frottement, d’usure, de
corrosion ont en effet une grande influence. On apprécie la fiabilité de la
construction et on évalue la durée de vie compatible avec un
fonctionnement correct. Car la fonction première et répandue de la
mécanique est la production. Si l’on s’en tient là, la mécanique bien huilée
du montage est productive d’un sens, d’une histoire, d’un discours, de
formes, entre autres. Mais la mécanique, comme tout art, peut être
détournée de sa fonction première. Si elle ne produit rien, elle est jugée
inutile, décadente, parasite. C’est ce qu’interrogent par exemple les
sculptures d’un Jean Tinguely (voir infra). De même le montage a bien
souvent remis en cause ce processus de signification, d’ordonnance d’un
sens, de production d’une histoire ou d’un discours de même que la
logique de cause à effet induite par une vision mécaniste des
enchaînements, au profit d’un montage variable jouant des bifurcations et
des dérèglements.
Degrés de liberté
Dans les correspondances auxquelles le modèle mécanique nous invite
avec les différents types de liaisons autorisant plus ou moins de jeu entre
les pièces adjacentes d’un assemblage, la principale notion à retenir est le
nombre variable de degrés de liberté accordé à chaque intersection. La
mécanique définit la position d’un solide indéformable par six paramètres
(trois coordonnées et trois angles). Ainsi, « un solide libre possédant six
degrés de liberté, a la possibilité d’effectuer, en l’absence de tout contact
extérieur, un déplacement quelconque résultant de trois translations et de
trois rotations. Introduire une liaison c’est rendre fixe l’un des six
paramètres ; supprimer un point de contact, c’est donner un degré de
liberté17. » Bien sûr le cadre cinématographique ne se compare pas à un
repère. Le nombre des points de contact des formes de coupe est plus
arbitraire, ne serait-ce que par la variété des paramètres visuels et
sonores. Il s’agit plutôt de réguler l’énergie en privilégiant certains
mouvements ou certains éléments dynamiques du plan et ainsi
d’appréhender, d’interpréter le nombre de degrés de liberté des liaisons
cinématographiques. Un travail d’exclusion guide alors le monteur dans le
choix des raccords.
Nous pouvons remarquer que moins les raccords sont travaillés, moins
on s’attache au(x) point(s) de jonction et élément(s) de liaison, plus on
gagne en degrés de liberté. L’analyse sera donc concentrée sur les petits
dérangements et dérèglements croissants consécutifs. Certains films
jouent par exemple, nous semble-t-il, de l’alternance entre une structure
relativement stable, un état conservatif de l’énergie, et des séquences où
l’équilibre est mis en péril par le nombre croissant de degrés de liberté
accordé au montage, un état plus ou moins dissipatif. Ce battement se
solde, pour d’autres films, par un basculement vers l’entropie. La scène du
bal du diable de Carrie présente un « accident » de montage exemplaire
multipliant, entre autres, les « lignes de contact » par l’intervention
complexe du split-screen générant disruptions et télescopages entre les
plans.
Gond plastique19
Les plans qui mettent en scène et en évidence les articulations sont sans
doute les exemples les plus pertinents pour saisir cette notion de degré de
liberté. On se souvient de l’attention particulière d’Ozu aux petits gestes de
ses acteurs qui suscitaient des raccords. Dans Le Goût du saké, un jeu aussi
précis sur les petits bols de thé ou de condiments est repérable dans les
scènes de repas ou dans des situations semblables autour d’une table. On
suppose qu’Ozu s’est plu à jouer avec l’articulation par l’instabilité de ces
motifs. Au début du film, Hirayama (Chishu Ryu) est assis dans son bureau
face à Shuzo Kawai (Nobuo Nakamura) venu lui proposer un parti pour sa
fille. Dans le champ-contrechamp qui rythme leur conversation, l’attention
du spectateur est attirée par un petit pot blanc rayé de bleu posé sur la
table au premier plan tantôt à gauche tantôt à droite 20. L’effet de
désarticulation introduit par ce pivot, ce dégondage plastique, commente
ou souligne la divergence de point de vue entre les deux hommes (l’un
refuse de marier sa fille, l’autre cherche à le faire changer d’avis) alors que
les regards gardent une certaine convergence puisque cet effet n’est pas
produit par un franchissement d’axe au cours du champ-contrechamp.
Cette divergence dans la logique de cette forme de montage en miroir est
le symptôme d’une libération d’un point de contact. Procédé de
prédilection d’Ozu dans ce film, plusieurs scènes de repas joueront ainsi du
déplacement dans le cadre d’objets utilitaires identiques, commentant les
liens entre les personnages.
Carrie, B. de Palma
Split-screen
« Il avait été prévu que le piano se mettrait à jouer lentement quand la flamme s’allumerait sur
le clavier. Le régulateur de vitesse ayant été détruit lors du transport, le moteur démarra à
plein régime. Cet incident eut pour conséquence que la courroie de transmission sauta de la
roue du piano. J’essayai nerveusement de la remettre en place… Un plomb avait sauté. On le
changea. Le piano marchait à nouveau mais sur trois notes pleines de tristesse. (…) Au bout de
trois minutes, le premier Méta-matic démarra, mais Jean avait mis les courroies à l’envers, de
sorte que le papier en se déroulant montait au lieu de descendre. Jean venait pourtant de
disposer très soigneusement le papier et d’ajuster le bras. Le public devait attendre beaucoup
de choses de cette machine ! Le moteur qui avait pour office d’actionner le bras n’était pas
branché, la situation devint encore plus invraisemblable. (…) Le Méta-matic 21 cracha un mètre
de peinture lorsque les pots de bière se répandirent sur le papier qui se déroulait à l’envers. Le
bras, auquel Jean avait consacré tous ses soins, ne fonctionnait pas. Le ventilateur, en dessous
de la construction, lui, remplissait son office. Il soufflait en direction du public l’épaisse fumée
blanche qui s’élevait de la baignoire d’enfant. La batterie fonctionnait à la perfection.
À la sixième minute, la radio se mit en marche. Il y avait tant de bruit que personne ne pouvait
s’entendre. Le récipient d’essence se renversa sur le piano qui prit feu. La boîte à sous de
Rauschenberg démarra avec une secousse terrible et on ne revit plus jamais les dollars
d’argent. Le moteur du ventilateur commença à taper sur le tambour de la machine à laver
mais les bouteilles refusaient de tomber. Jean avait utilisé un fil trop faible (…) À l’avant du
Métamatic, le petit véhicule à deux roues entreprit son incessant mouvement de va-et-vient.
(…) À la dix-huitième minute, l’extincteur d’incendie devait se mettre en marche derrière le
piano, ce qu’il ne fit pas pour la simple raison que le piano s’était enflammé et que le tuyau de
caoutchouc, brûlé, avait bouché l’extincteur. Mais le véhicule suicidaire se propulsa de trois
mètres en avant. Le moteur était si faible que Jean dut lui donner un coup de pouce. Il avait
toujours su qu’il n’arriverait pas à lui faire parcourir la distance jusqu’à la pièce d’eau. Il ne
remplaça cependant jamais le moteur par un autre, plus puissant, ce qui eût été une opération
facile, pour la simple raison qu’en tant qu’objet fonctionnel il aurait fallu que le véhicule
suicidaire se meuve, mais pas en tant qu’objet d’art.
C’était typique de l’attitude de Jean à l’égard du moteur. La machine comportait, à d’autres
endroits, de gros moteurs qui ne faisaient pratiquement rien ; l’un d’entre eux servait même de
contrepoids ! Pour Jean, le moteur faisait partie de la sculpture. (…)
À la vingtième minute, on brancha les résistances de la première construction. Le métal était en
fusion ; au bout de quelques minutes, tout l’échafaudage cédait sans s’affaisser cependant (…).
Mais les bombes fumigènes s’enflammèrent au contact de la chaleur des résistances. Le feu
gagna rapidement le piano…32. »
Armement du mécanisme
Pression/propulsion
Grippages/Tenseurs
Compression/explosion
Il s’agit de revenir à l’élan du regard, celui de la mère vers son fils dans
Sicilia ! (1998), celui du plan vers son contrechamp. Nouvel impetus traçant
une ligne de force dans la dynamique du montage d’autant plus tendue
que le cadre fixe pique tel un papillon le profil immobile de la mère (Angela
Nugara). Seul le flot amer des paroles agite ses lèvres. Elle se souvient de
sa tentation, de sa faute… Un voyageur a respiré la miche sortant du four…
La suspension de la voix étire le silence tandis que le regard reste tendu. La
coupe est en attente. Le montage sculpte le temps. Le plan du fils (Gianni
Buscarino) accoudé à la fenêtre à l’écoute de ce récit, intervient comme
avec retard.
Cette pose/pause de la mère soutenue par le montage n’est pas sans
évoquer le mié (suspendu dans l’intervalle) de l’acteur Kabuki
s’interrompant pour montrer un état de tension particulier, par une «
coupure » de l’action, par un « blocage » dans une immobilité vivante,
créant ainsi une nouvelle qualité d’énergie. Le concept d’énergie est dans
la technique de l’acteur souvent associé au cri, au débordement d’activité
musculaire et nerveuse, ici plus verbale, gutturale avec l’impétuosité de la
langue. « Mais il indique aussi quelque chose d’intime dont la pulsion est
présente même dans l’immobilité et le silence, une force contenue qui
s’écoule dans le temps sans se déployer dans l’espace 21. » Dans Sicilia !, le
plan s’étire. Le visage « se dilate » comme le « corps dilaté » de l’acteur
Kabuki suspend l’action, transformant l’immobilité en action, retenant les
énergies par les tensions à l’intérieur du corps – la dilatation est en fait un
travail de réduction. Énergie in petto. Avec cette lente expiration, la pause
statique devient transition dynamique.
Sur ce regard comme sur d’autres images suspendues, plans arrêtés à
l’état photographique (le hareng cuisant dans l’âtre) ou encore sur
quelques photogrammes noirs, les cinéastes tuent le rythme et travaillent
la respiration contre la ponctuation. Ainsi, Jean-Marie Straub et Danièle
Huillet semblent arrêter, retenir, suspendre l’élan, la force de projection
de chaque plan sur le suivant pour ouvrir le montage et pénétrer au cœur
de son système énergétique : une énergie dans le temps qui se manifeste à
travers une immobilité traversée et chargée d’une tension maximale.
Technique que l’on retrouve dans le Kabuki comme dans le théâtre Nô
sous l’expression tameru « qui peut être représentée par un idéogramme
chinois signifiant “accumuler”. (…) Tameru indique le fait de retenir, de
conserver. D’où le tamé, la capacité à retenir les énergies, à absorber en
une action limitée dans l’espace les énergies nécessaires à une action plus
ample »22. Il en résulte que sept dixièmes de l’énergie de l’acteur doivent
être utilisés dans le temps et seulement trois dixièmes dans l’espace
comme si l’action ne se terminait pas là où le geste s’arrête, dans l’espace,
mais continuait bien plus avant. L’interruption du plan par la coupe, son
inachèvement apparent ne signifie pas son inaccomplissement.
Autre élan manifeste dans un plan d’Amerika-Rapports de classes que le
montage laisse choir : Karl Rossmann est arrivé chez l’ami de son oncle
dans l’après-midi et est accueilli dans le jardin par Klara. Celle-ci loue les
talents musicaux du jeune homme et l’invite à venir jouer dans ses
appartements après le dîner. Ils quittent le champ laissant libre le décor
que plantait un arbre immense à l’arrière-plan. Ce nouvel espace n’est pas
une simple pause-transition (comme ailleurs les champs désertés). Sa
durée lui donne une autonomie : il devient paysage. Le paysage est aussi
fait de temps, d’énergie dans le temps. « [Il] n’existe pas dans la nature : il
faut lui donner existence en fondant son espace et son temps. C’est donc
affaire de montage23 » comme le souligne Jacques Aumont à propos des
plans sur la Sainte-Victoire dans Cézanne (1989).
Noir sonore
Résonance
Laisser la place au Vide dans un film c’est lui laisser une part d’inachevé
et au-delà, une force de résonance, afin que « le film soit fini par le public »
(selon le mot de Jean Renoir).
Le stalker assis de dos (PT) s’est retourné vers la caméra pour constater
le réveil de l’écrivain et du professeur. En tournant le dos, il coupe la
dynamique du regard. Mais il n’est pas ici question d’emboîter son regard
comme on emboîte le pas de quelqu’un, que nous voyons regarder tout en
voyant ce qu’il regarde. Suit un mouvement de caméra autonome qui ne
se réfère donc pas directement au regard du stalker. C’est dans cette
dynamique qu’a lieu le passage par le vide. On pense alors que traverser la
Zone, c’est être dans l’intervalle, lieu privilégié pour observer la « pression
du temps », ses variations d’intensité ou de dilution. Tandis que l’on glisse
de la terre à la surface de l’eau avant de retrouver une vue en perspective,
les paroles du stalker s’écartent aussi par la métaphore, en substituant au
mystère du sens de notre vie, celui de la musique : « Vous parliez du sens
de notre vie… » La caméra effleure la mousse des pierres : « … de l’art
désintéressé, de la musique par exemple. Elle est moins que tout liée à la
réalité. » La caméra a atteint le bord de l’eau et semble s’élever. « Y serait-
elle liée, c’est sans idéologie, mécaniquement, par un son creux, sans
association ». Dans le cadre, l’opacité de l’eau seulement et quelques
sourdes modulations lumineuses. Sur ce vide, dans ce lieu de la disparition
des figures et de leur inscription libre et infinie, résonnent précisément les
termes de la liaison (« liée », « association »). Le mouvement de caméra
légèrement ascendant anime ce plan qui ne cadre plus que le Vide, le
donne comme un lieu de passage, de circulation, d’ouverture du sens.
Quand les cimes des premiers reflets d’arbres apparaissent : « Et pourtant,
la musique, comme par miracle, pénètre dans le fond de l’âme. » Le cadre
se pose devant un paysage avec lac : « Qu’est-ce qui résonne en nous au
bruit, devenu harmonie, et le transforme en source d’extrême volupté… »
(Cut.) Le professeur et l’écrivain assis l’un derrière l’autre à l’écoute : « …
qui nous unit et nous bouleverse. Pourquoi tout cela et pour qui ? Vous
répondrez : pour personne et pour rien. C’est “désintéressé” : Et bien non.
C’est peu probable car tout, finalement, a un sens, un sens et une raison
d’être. » Imperceptiblement, la caméra s’approche de leur visage qu’une
lente fermeture au noir cerne jusqu’à ne laisser qu’un dernier point
lumineux, un reflet derrière eux, auquel se substitue directement la trouée
de lumière de la profondeur d’un tunnel, dit le « hachoir » – lieu de
passage redouté menant à la Chambre des souhaits.
Lieu où se multiplie le sens, lieu de transformation, lieu de résonance
essentiel au montage, ce mouvement des images dans le Vide, le stalker le
commente très précisément par l’interrogation sur la raison d’être de la
musique et les sensations qu’elle suscite. Rappelons avec Eisenstein que :
« la musique a conservé cette multiplicité de significations émotives dans son discours, cette
polysémie que le langage expulse, lui qui tend à la précision, à l’exactitude, à l’exhaustivité
logique. Or, c’est ce qu’il était avant ; il ne recherchait pas la justesse de l’expression ; mais il
tenait par le biais de la sonorité d’un mot à faire entrer en résonance avec ce mot un large
spectre d’émotions et d’idées associées : à transmettre non pas un concept précis, mais un
complexe de sentiments concomitants29. »
Questions d’écoulement
et de transmutation
1 Appréhender les
fluides
La matière demeure, et la forme se perd1
La réflexion sur le Vide a révélé un des principes essentiels de l’énergie :
malgré les apparences, elle ne se perd jamais. Une énergie qui disparaît
sous une forme réapparaît toujours sous une autre. « La perte d’une forme
entraîne la libération d’une force.2 » Son principe est la métamorphose.
Les manifestations et déformations de ce flux deviennent ici notre
principal objet d’étude. Pour cela, le modèle de la mécanique des fluides
est essentiel en ce qu’il offre une extension de la mécanique rationnelle à
une classe de milieux continus exposés à de fortes déformations. On
désigne en effet sous le nom général de fluides des corps matériels, gaz,
liquides et plasmas, qui peuvent se mettre sous une forme quelconque
lorsqu’ils sont soumis à un système de forces.
Avant d’aller plus loin dans la compréhension des manifestations de
l’écoulement (plus ou moins laminaire ou turbulent), de la déformation et
de la pression des corps, que le montage cinématographique ne peut
ignorer, prenons un cas expérimental tout à fait remarquable en ce qu’il
propose à la fois de saisir et de justifier le passage de la mécanique des
solides (avec la synthèse des principes de l’énergie observés jusqu’à
présent) à la mécanique des fluides (principal guide donc avec la
mécanique ondulatoire pour la suite de notre réflexion). En outre, cette
œuvre initie aux propriétés de l’énergie de la matière, donc sensibilise
notre regard à une pure cinétique en laissant de côté pour l’instant la
question des coupes puisque la force heuristique de cet exemple tient à sa
mise en scène : une composition de réactions en chaîne, avec ses jeux de
répétitions et variations qui doit beaucoup aux sculptures
autodestructrices de Tinguely.
Suspense
Devant une telle orchestration de l’énergie, on pense aux exemples déjà
analysés qui présentaient une forte tendance à l’entropie et à la
combustion de l’énergie en pure perte (c’est-à-dire non stockée, non
réutilisée) : Donald and Pluto, Carrie ou les machines de Tinguely. Ici
cependant, même si le système semble courir les mêmes risques par la loi
des choses (notamment à partir de l’apparition du feu), donc même si une
part de l’énergie est transformée en chaleur, l’autre reste à l’état de travail
assurant ainsi sa conservation et sa réutilisation. Cet appareillage
rythmique est donc concentré sur la circulation de l’énergie sous ses
formes multiples (potentielle ou cinétique, impulsive ou régulée par les
propriétés de la mécanique des solides et de celle des fluides) qui perdure
malgré les obstacles et témoigne ainsi d’une grande richesse dans la
nature et les modes de transmission du mouvement.
Toute la gamme est utilisée : des arrêts dus au retard de certaines
réactions (comme le renversement du pneumatique) aux accélérations
progressives (le déroulement du sac gagnant en amplitude) ou subites
(propulsions, bascules et gicleurs), en passant par les lentes glissades, les
écoulements en pente douce, le roulement des pneus à la vitesse
élémentaire du mouvement, le balancement pendulaire (d’une des
répliques réduites du sac-poubelle initial), les progressions par palier (un
projectile heurte un pneu placé entre deux barreaux d’une échelle
ascendante qui en se déplaçant d’un cran en pousse un autre et ainsi de
suite jusqu’en haut de l’échelle et encore après sur une planche avec
d’autres objets cylindriques de plus petite taille). Fischli et Weiss élaborent
aussi un système de vases communicants à partir de pneus dans lesquels
sont dissimulées des bouteilles (l’une réceptrice, l’autre débitrice). Le
premier, grâce à une impulsion extérieure, fait un quart de tour pour se
placer à côté d’un autre, ainsi le contenu de la bouteille se déverse dans
celle, vide, de l’autre pneu. Nouvel équilibre précaire. Par un jeu de
contrepoids entre les deux bouteilles, le second pneu fait un quart de tour
et le liquide de la « débitrice » est à son tour transmis à la « réceptrice » du
troisième pneu et ainsi de suite…
Cette maîtrise du suspens entretient les doutes du spectateur sur le
succès de chaque étape de ce circuit énergétique. Combien de tours
faudra-t-il attendre avant le choc des sacs-poubelle suspendus ou de leurs
diverses répliques (petit baluchon, ballon gonflable, « boule de feu ») qui
assure la transmission du mouvement – en générant le roulement d’un
pneu, ou en percutant un verre dont le liquide déversé fera son effet, ou
encore en embrasant un liquide répandu sur le sol ? L’impulsion sera-t-elle
suffisante pour relancer les réactions prévues ? Le ralentissement par une
surface collante ne sera-t-il pas fatal au roulement d’une boîte
cylindrique ? Quel sort est réservé au petit équilibriste de fortune (avec sa
tête de bille de bois et ses grands ciseaux en guise de bras et de balanciers)
? Ne tombera-t-il pas avant d’avoir atteint le point de chute prévu pour la
conservation de l’énergie ? Et les « petits véhicules » (chariots bricolés de
tailles variées ou bouilloire montée sur roulettes) ? Parviendront-ils à
vaincre les obstacles semés sur leur route et à transmettre leur cargaison
(source d’énergie liquide, feu ou explosif) ? Autre inquiétude : combien
d’autonomie gardera une paire de chaussures (montée sur un arbre à
came) pouvant imiter la marche ? Quelle distance pourra parcourir un
liquide sur une surface totalement plane ? Sa force motrice sera-t-elle
suffisante ou s’épuisera-t-elle avant l’effet attendu ? Le spectateur ne se
laissera-t-il pas surprendre par la simple vérification de la poussée
d’Archimède (une boîte de conserve dans un sceau remonte au fur et à
mesure qu’il se remplit d’eau et fait basculer la chaise qui était en appui) ?
Suivant les péripéties de ces mobiles, notre œil s’attache au mouvement
même, à ses transformations et à la variabilité des « mobiles »,
appréhende l’énergie rythmique, essence de l’image cinématographique.
La forme est mouvement et réciproquement comme le rappelait Epstein
en redéfinissant la relation entre mouvement et forme,
« relation qui pourrait bien être d’unité, d’identité. Dès qu’une forme reçoit une modification
dans sa façon de se mouvoir dans l’espace ou dans le temps, elle change, elle devient soudain
méconnaissable. (…) Dans la représentation cinématographique, le mouvement paraît inhérent
à la forme ; il est et il fait la forme, sa forme. Ainsi un nouvel empirisme – celui de l’instrument
cinématographique – exige la fusion de deux notions premières : celle de la forme et celle du
mouvement. Le cinématographe ne tient la forme que pour la forme d’un mouvement 3. »
Transfusion
On retrouve dans ce principe epsteinien fondant la photogénie, l’origine
du mot grec rythmos et sa relation avec schèma (« qui désigne la forme
dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide 4
»). On a donc moins affaire à un chronos (un temps divisible) qu’un
rheuma (un temps indivisible), un flux en perpétuel changement. D’où ce
nouveau champ d’investigation : les fluides, c’est-à-dire liquides, gaz et
plasmas (si les deux premiers ont déjà pu être identifiés, ici, on sera surpris
de voir comment « se manifestent » les troisièmes…). Rhein a aussi formé
« rhéologie », science qui étudie l’écoulement et les déformations, la
résistance de la matière dont les manifestations sont ici aisément
observables.
Fischli et Weiss utilisent indifféremment des corps très déformables de
la catégorie des fluides et des matières qui ont la propriété de se
dissoudre, de changer d’état. Ainsi, les liquides se répandent, débordent
ou sont canalisés par un entonnoir. L’air gonfle ou s’échappe des ballons.
La vapeur fait tourner ou avancer toutes sortes de petits « véhicules » (le
chariot à roulettes sur lequel s’élance une bouilloire, les mobiles à vapeur
totalement autonomes avec leur système autoproductif d’énergie).
Conséquences des réactions chimiques (mélange d’eau et d’azote liquide) :
les émanations se propagent avec plus ou moins de force. Au cours de ce
mécanisme réactionnel, un obstacle à la progression du mouvement peut
subir une transition de phase. Ainsi un bloc de sel (à première vue)
s’interpose sur le passage d’un des petits véhicules qui libère
immédiatement de l’eau. La dissolution qui s’en suit lui fraye un passage –
l’inclinaison du plan assurant la poursuite de sa course. Le passage de
l’énergie potentielle à l’état cinétique est toujours entretenu. Plus loin, un
autre petit chariot transportant une bouteille est également arrêté par un
butoir. Cette fois ce sont ses roues avant faites d’un composé salin sous sa
forme cristalline qui sont peu à peu solvatées 5 – un liquide les attendait sur
le sol. Le déséquilibre consécutif assure le relais en déversant le contenu
de la bouteille. Passage de la cinétique chimique à une nouvelle séquence
de cinétique des fluides. Enfin, même changement d’état de la matière
pour un autre hydrosoluble : de petits carrés de sucre fondant sous
l’attaque d’un liquide répandu déséquilibrent l’objet qu’ils supportaient
entraînant un crescendo de réactions – clin d’œil aux anciennes exigences
causales selon lesquelles il faut « qu’il n’y ait rien dans un effet qui n’ait été
d’une semblable ou plus excellente façon dans la cause » (Descartes,
Réponses aux IIe objections). Explication causale moulée sur les principes
de la mécanique newtonienne, qui, en philosophie, a inspiré très
directement la réflexion de Kant et sa définition de la causalité. Faire
l’expérience du Cours des choses, c’est finalement défier le principe de la
causalité, jusqu’à le dénoncer comme un fantôme de l’esprit, jusqu’à en
révéler toute la vanité ? Arthur C. Danto commente ainsi l’expérience : «
The casual chain in The Way Things Go has no function and no goal. But in
concatenating slides, rolls, tumbles, spills, booms, bangs, and spins, it
vividly illustrates what Kant offers by way of characterization of the work
of art : it seems purposive while lacking any specific purpose6. »
Instabilité
Cette vie de la matière renoue avec les théories des présocratiques : «
Diffuse et bienveillante, l’âme du monde assure le renouvellement des
énergies au sein d’une économie magique où rien ne se perd. (…) Tout
change par la circulation des atomes. Les corps s’agrègent et se
désagrègent, les particules élémentaires bondissent à travers le vide en
quête de nouvelles combinaisons…18 » Ce que les métamorphoses d’Ovide
ou la fascinante plasticité du monde lucrétien inspirent aussi : « Les
fleuves, les feuillages, les gras pâturages se métamorphosent en troupeaux
; les troupeaux se changent en corps humains… 19 » Les images, que cette
génération spontanée convoque, suivent la dynamique des fluides à
laquelle l’intelligence hydraulicienne du montage participe.
Cette physique fondée sur l’écoulement et la transformabilité de la
matière (mater, materia, matrix, l’étymologie confirme cette force) est
encore précisément celle que retrouve Jean Epstein avec un
« cinématographe [qui] détient le pouvoir d’universelles transmutations 20
». Le mouvement dote les images d’une énergie capable de mutations, les
place sous le signe de la varietas. Grâce à lui triomphe la métamorphose :
« De par sa construction, de façon innée et inéluctable, le cinématographe représente l’univers
comme une continuité perpétuellement et partout mobile, bien plus continue, plus fluide et
plus agile que la continuité directement sensible. Héraclite 21 n’avait pas imaginé une telle
instabilité de tout, une telle inconsistance des catégories qui s’écoulent les unes dans les autres,
une telle fuite de la matière qui court, insaisissable, de forme en forme. (…) Cette magie se
réduit à la capacité de faire varier la dimension et l’orientation temporelles 22. »
Rhéologie
Ces remarques permettent d’apprécier combien la rhéologie peut
nourrir la réflexion. Son enseignement permet d’exposer certains
écoulements complexes. Cette science fut en effet créée pour répondre
aux besoins de la technologie moderne puisque les différentes branches de
la mécanique développées au XIXe siècle (l’élasticité, la plasticité, la
mécanique des fluides) n’étaient fondées que sur certains schémas simples
de comportement, schémas quelquefois insuffisants pour décrire
fidèlement les réponses de la matière réelle. Or, les techniciens qui
étudient la transformation des matériaux, leur emploi ou simplement leur
transport dans des conduites ont besoin de connaître aussi exactement
que possible leurs propriétés mécaniques. Science exacte pour la
mécanique, la rhéologie inspirera notre approche des transformations de
figures, des forces d’action et d’échanges des fluides et des transferts
d’énergie, de l’écoulement aux « points de contact » (selon le terme
mécanique, changements de plan pour le film).
Il faut, dans un premier temps, se familiariser avec ces propriétés à
l’aide d’exemples où la reconnaissance des fluides semble relativement
évidente. Dans ce monde des images voué à la transformation, nous nous
arrêterons volontiers à observer des structures mobiles, des objets souples
et malléables : l’eau et la fumée, le feu encore, un faisceau lumineux, la
pression du vent, les circonvolutions nébuleuses et autres phénomènes
météorologiques. Cela n’en fera pas pour autant des exemples ad hoc. Ces
motifs ne restent pas à un niveau métaphorique, ils gardent un caractère
expérimental. Nos investigations, au cours de l’analyse, permettront alors
de mieux poser les problèmes de montage, d’appréhender les variations
énergétiques.
Pression du temps
La recherche et la reconnaissance des propriétés des fluides dans
l’image cinématographique renvoient à l’énergie du plan et à l’évidence de
l’essence du montage révélée par les films Lumière. Outre la forme
endogène du montage, rappelons la relation biorythmique des figures en
mouvement et de la caméra elle-même, deux points essentiels pressentis
et explicités par Andreï Tarkovski. Quelles que soient les distinctions entre
les fluides reconnus dans les plans, l’idée maîtresse est celle du flux, de
l’écoulement (rhein29) qui renvoie le montage à son origine chez les
chauffagistes, les raccordements de tuyaux assurant circulation et
production d’énergie. Origine qui a permis au cinéaste soviétique de
pointer ce qui doit retenir notre attention : la pression du temps dont il
parle en termes de fluide et d’écoulement.
« Les morceaux qu’on ne peut monter ensemble sont ceux où le caractère du temps est trop
radicalement différent. Ainsi, on ne peut pas plus monter du temps réel avec du temps
conventionnel qu’on ne peut raccorder ensemble des tuyaux de diamètres différents. Cette
consistance du temps qui s’écoule dans un plan, son intensité ou au contraire sa dilution, peut
être appelée la pression du temps30. »
On notera l’exactitude des qualificatifs des fluides même s’il faut lire
densité pour intensité versus dilution.
Intuitivement, Tarkovski développe la métaphore autour de l’étymon de
cette science de l’écoulement qu’est la rhéologie : rr(h)ée, appartenant à
une famille indo-européenne – de couler, torrent, fleuve, rivière, ruisseau,
conduite d’eau, canal, tranchée, écoulement, faire couler, pousser, mettre
en mouvement31. Toute l’attention du cinéaste porte sur les veines
liquides, leurs contractions, leurs lieux de circulation et surtout leur
dynamique. Il peut se heurter à la complexité des écoulements avec des
courants et des contre-courants qu’évoquait aussi Bresson32.
« Monter des morceaux à valeur temporelle inégale mène nécessairement à une cassure du
rythme. Pourtant, si cette rupture est amenée par la vie intérieure des plans montés, elle peut
alors être indispensable à l’élaboration du tracé rythmique. Pour désigner ces intensités
temporelles inégales, prenons les métaphores du ruisseau, du torrent, du fleuve, de la cascade,
de l’océan, lesquels, articulés ensemble, constituent un tracé rythmique unique, une nouvelle
formation organique, reflet de la perception du temps qu’a l’auteur 33. »
Notons que cette métaphore intuitive est née alors qu’il avait éprouvé la
complexité des écoulements en montant le Miroir(1974) :
« Ce fut un travail colossal. Il y eut plus de vingt versions différentes. Et par version, je
n’entends pas quelques modifications dans l’ordre de succession de certains plans, mais des
changements fondamentaux dans la construction et l’enchaînement des scènes. J’avais le
sentiment, par moments, que le film ne pourrait jamais être monté et que des erreurs
impardonnables avaient été commises au cours du tournage. Le film ne tenait pas debout, il
s’éparpillait sous nos yeux, n’avait pas d’unité, pas de liant intérieur, pas de logique 34. »
Le Miroir, A. Tarkovski
Ainsi décrite, la rythmique de ces quelques plans donne une première
idée des réflexions de Tarkovski sur la pression du temps, la labilité du
monde fluide de l’écran et la complexité des écoulements des fluides
(mouvements d’un corps humain ou animal, de la caméra, du vent). C’est
bien un souffle, un élan qui passe d’un corps à l’autre et que le montage
rejoue d’un plan à l’autre.
L’intuition du fluide pour définir la pression du temps est sans doute née
chez Tarkovski de la pratique du montage et a nourri sa réflexion
théorique, même s’il en reste à la métaphore. La spéculation théorique
rejoindrait alors la part intuitive et sensitive que plusieurs monteurs
reconnaissent à leur travail. Il n’est, bien sûr, pas question de parler d’«
applicabilité » de la théorie mais seulement de comprendre, en le dépliant,
un phénomène complexe. Cependant, on peut faire l’hypothèse qu’un
monteur aurait de ces modèles une connaissance intuitive qui le guiderait
en parallèle des critères narratifs (on retrouve ici le contre-rail défini par
Epstein) et que ces principes mécaniques et hydrauliques lui viendraient,
comme à nous spectateurs, de l’intelligence de son corps ? Léonard de
Vinci explicitait ainsi l’hydraulique :
« Les anciens ont appelé l’homme un microcosme, et en vérité cette épithète s’applique bien à
lui. Car si l’homme est composé d’eau, d’air et de feu, il en va de même pour le corps de la
terre ; (…) si l’homme recèle un lac de sang où les poumons, quand il respire, se dilatent et se
contractent, le corps terrestre a son océan, qui croît et décroît toutes les six heures, avec la
respiration de l’univers ; si de ce lac de sang partent les veines qui se ramifient à travers le
corps humain, l’Océan emplit le corps de la terre par une infinité de veines aqueuses 36. »
Vases communicants
Un des grands principes hydrauliques, l’un des plus simples aussi, est
sans doute celui des vases communicants. Qu’est-ce qui communique
entre deux images ? Deux espaces traversés par le même élément ? Deux
temps qui versent l’un dans l’autre ? Qu’est-ce qui circule de l’un à
l’autre ? Le raccord reconduit le principe de la vanne dans le montage
hydraulique. Par lui, sont sélectionnés les éléments de circulation, ceux qui
passent d’un plan à l’autre. Comme certains cinéastes ont pu le dénoncer,
tel Ophuls s’attaquant particulièrement à déprogrammer ces clapets du
montage. On se souvient, dans Madame de…, du jeu sur le battant de la
porte exposant ce principe de vanne1.
Quelques exemples permettent d’observer ce phénomène, d’en mettre
à nu le principe, la logique et ce qu’il affecte dans l’image et ce qu’il nous
apprend du comportement de l’énergie dans le montage.
Dévider l’énergie
Écluses et vannes
Pulsion, B. de Palma
Plusieurs principes hydrauliques ont pu être reconnus et utilisés pour
l’analyse de cette séquence : vannes, diffusion et tension interfaciale
(superposition) des courants. Ce travail habituellement observable autour
de la coupe, est ici exposé par le split-screen qui offre une vision simplifiée
des écoulements, une sorte de schématisation du montage traditionnel. Le
système des vases communicants a déjà permis d’aborder la question de la
miscibilité, de la diffusion des éléments fluides, il faut cependant observer
plus précisément certains événements comme la tension interfaciale. Ce
qui nécessite, dans un premier temps, de faire le point sur la densité du
flux.
Densité du flux
Prenons une séquence exemplaire, parmi tant d’autres, où se manifeste
un flux dont le montage va devoir rendre l’écoulement dans toute son
intensité : la charge des bisons dans La Conquête de l’Ouest (épisode
réalisé par Henry Hathaway, 1962). Le troupeau déboule du haut d’une
colline et coule à gueule bée jusqu’au campement des pionniers installant
le chemin de fer. On parle sans hésiter de la traversée d’un fluide à forte
densité et à forte pression. Sa composition et les déformations subies
rappellent plutôt les propriétés des liquides. Ainsi, il se divise de part et
d’autre d’un obstacle (un chariot renversé), en épouse les contours et se
reforme juste après. Puis, la pression étant trop forte, le fluide finit par
avoir raison de ce barrage (démantelé et emporté) et par se répandre à
nouveau sur toute la largeur. Cette force de pression est soumise à
l’observation par une vue générale en plongée comme pour mieux en
apprécier le comportement, les déformations, les accidents, c’est-à-dire
analyser et comprendre ce phénomène, appréhender dans l’image ce que
la mécanique décrit par les interactions des particules entre elles. Tout
mobile dans le plan semble donc participer, par sa force cinétique, à la
reconnaissance de l’énergie de la matière. Il le fait d’autant mieux ici, que
sa force de pression est prise en charge par le montage avec un crescendo
de plans courts et serrés sur la masse des corps ou le martèlement des
pattes. Ces vues rapprochées donnent aussi une idée de l’incompressibilité
de cette veine dont les débordements semblent éclater les orifices de
circulation.
Avec cet exemple, nous avons relevé deux points essentiels dans la
compréhension des fluides cinématographiques : les forces de pression du
fluide que le montage peut faire varier (croissantes ici, on verra plus loin
qu’il peut les décélérer, ou les contrarier plus ou moins périodiquement) et
le degré de densité qu’exacerbe le cadrage. Les exemples suivants
permettront de confirmer ses propriétés (notamment le travail de
Pelechian) et de découvrir d’autres qualités.
Artavazd Pelechian est un cinéaste emblématique dès que l’on touche à
la puissance énergétique des figures en mouvement. Celle-ci anime
invariablement sa conception et sa pratique du montage. Il poursuit les
recherches plastiques du cinéma des années 1920 où le mouvement avait
fait l’objet d’une certaine fétichisation (Eisenstein ne voyait plus en lui, que
ce qui « vient unifier tous les niveaux de la problématique du montage 4 »)
et était essentiel dans la définition du cinéma. « L’art du mouvement, voilà
ce qu’est le cinéma, et j’entends par mouvement le déroulement de la vie
même avec les faits extérieurs qui se succèdent et le mouvement d’esprit
qui les cause. Tout est mouvement, autour de nous dans l’inconnu des
choses, dans les faits perceptibles et non perceptibles 5. » Germaine Dulac
semble ici, comme ailleurs Epstein, renvoyer indirectement aux
préoccupations scientifiques de ses contemporains : comment
appréhender les phénomènes ? « Il ne s’agit de rien moins que de savoir si
le monde est analysable (la matière étant relativement stable et possédant
des propriétés spécifiques) ou s’il ne l’est plus (ou de façon incertaine,
comme l’énonce le principe d’incertitude absolue d’Heisenberg) puisque
traversé par des forces énergétiques ignorant les limites des objets et des
solides6. » Patrick de Haas poursuit en rappelant la redéfinition du rapport
matière/énergie par Ostwald, Bohr, De Broglie, Einstein et, en philosophie,
par Bergson. En renouant avec la pensée du mouvement constitutif de
toute chose, il s’agit pour les cinéastes des années 1920 (Epstein, Delluc,
Dulac, Man Ray, Chomette, Ivens, Steiner…) et plus tard pour Pelechian de
retrouver ce langage abstrait que Marey captait sur un cylindre de fumée,
celui de la « force unique revêtant des formes diverses et présidant à tous
les phénomènes de la nature7 ».
Ondes en phases
Une veine du cinéma semble avoir eu pour préoccupation première la
découverte des principes des fluides essentiels à l’image en mouvement en
l’affirmant, au cœur de l’abstraction, par les métaphores visuelles oscillant
du déluge pluvial au crépitement igné, du ruissellement à la cascade
chromatiques. Pour analyser les fluides, on est très vite amené à parler
d’écoulement mélodique et rythmique, de composition harmonique. La
référence musicale, souvent faite pour le montage, s’affirme avec la
reconnaissance des fluides dans l’image. Eisenstein avait par exemple noté
que le rapprochement du feu et de la musique, fait par Gorki dans les
Incendies déjà cités, n’était pas fortuit :
« La musique est remarquable par le fait que les images créées par elles coulent sans
interruption telles les flammes, sont sans cesse changeantes comme le jeu des flammèches,
mobiles et variées à l’infini10. »
Sur quoi Epstein le rejoint : le cinéma peut révéler que « l’effet est
devenu cause ; la cause, effet 21 » ou nous introduit « assez brutalement
dans l’irréalité de l’espace-temps22 ».
D’autre part, certaines images nous font éprouver le temps par l’espace
parcouru (le cheval sur la route, un piéton traverse, l’eau circule). Selon
l’image de Trinh Xuan Thuan :
« Sur notre navire immobile ancré dans le présent, nous regardons la rivière du temps qui
éloigne les flux du passé et apporte les vagues du futur. Nous accordons une dimension
spatiale au temps, et c’est cette représentation du mouvement du temps dans l’espace qui
donne la sensation du passé, du présent et du futur 23. »
Traversée de la matière
Welles introduit par un semblable court-circuit le début des
investigations pour retracer la vie de Kane. La séquence s’ouvre sur une
apparition, un choc visuel et sonore : le portrait peint de Susan Alexander
sur un éclair. Ce fluide électrique, outre ce pouvoir de faire surgir des
figures, donne aussi vie à l’inanimé comme le montage actualise et
précipite le temps. Suivant cette logique, notons que Citizen Kane (Welles,
1941) abonde en raccords d’accélération (raccourcis très en vogue à
Hollywood depuis les années 1930 que pervertit Welles tout au long de
son premier film28), d’« actualisation », d’« animation » (la page blanche
devient neige, les équipes des deux journaux photographiées prennent vie)
ou de « pétrification » (la femme de Kane devant la porte de Susan saisie
par un photographe fera la une…) Après l’éclair sur le portrait de Susan, la
caméra remonte jusqu’à l’enseigne lumineuse de son night-club, s’avance
pour passer entre les lettres jusqu’à la verrière où l’on distingue une
femme prostrée sur une table. Deux légers éclairs causent sa dissolution
derrière la vitre martelée par la pluie. Sur cette image floue, un éclair
beaucoup plus violent surexpose l’image. Ce choc visuel et sonore appelle
la coupe et nous fait passer à l’intérieur du club, juste derrière la vitre,
comme si nous avions traversé le verre. L’éclair, comme la lumière, est un
« courrier » (Camille Flammarion) et son cavalier, le muntedur est le
monteur (selon une plaisante coïncidence étymologique). La « flamme de
l’éclair transperce toute surface et se propage vers l’intérieur ». (Il est
même une espèce particulière d’éclair « qui fait fondre l’argent dans la
bourse qui reste intacte29 ».) Traversée de la matière : l’éclair a précipité le
passage d’un plan à l’autre. La foudre est aussi au cœur du processus de
transmutation, « elle catalyse le passage d’un élément à l’autre à la
manière de l’œuvre alchimique30 ». Le procédé le plus simple pour le
montage, est sans doute la surimpression. Comme on impressionne
directement une image sur une autre, ici les deux plans lors du passage de
l’intérieur à l’extérieur, la foudre peut réaliser « un miracle figuratif en
frappant une empreinte photographique sur une surface – tel le cas le plus
invraisemblable de céraunographie31 » : « la photographie d’un paysage sur
l’intérieur de la peau de moutons foudroyés 32. » La foudre « joue du
contact et de la distance, inverse les rapports du proche et du lointain, du
dedans et du dehors, du contenant et du contenu 33 ». Ceci nous intéresse
particulièrement pour saisir les rapports de plans. La vitesse de l’éclair qui
dégringole l’échelle du nuage au sol abolit l’intervalle à moins que la
foudre ne soit pur intervalle.
La carotte de Carrie
Revenons brièvement à Carrie pour signaler que l’alerte aux
courtscircuits et autres décharges d’énergie à l’œuvre dans les
dérèglements mécaniques de la séquence du massacre, est donnée juste
avant l’humiliation.
Comme le raccord, la durée de l’éclair est infime mais son mécanisme
est complexe. On décrit la descente du nuage, par bonds successifs de
quelques dizaines de mètres, de petites décharges à peines visibles se
ramifiant puis repartant d’une branche pour descendre à nouveau. C’est
ainsi que nous imaginons les « foudres » de la mère de Carrie s’abattant
sur quelque substitut de sa fille. Une brève séquence, cinq plans rapides,
au cours de la scène du bal juste avant l’élection du couple Carrie/Tommy,
montre en plongée totale Madame White faisant les cent pas autour de la
table de cuisine. Le montage va alors activer et permettre de visualiser la
force de frappe comme venue d’en haut par quatre raccords dans l’axe
avant. Madame White s’arrête devant le plan de travail, pose une carotte
sur la planche et en coupe les fanes avec un couteau de boucher. Un
raccord dans l’axe avant amorce une première descente : elle coupe une
rondelle. Principe répété pour les deux bonds suivants : deux autres
tronçons sautent. Puis la lame du couteau frappant seulement la planche
suscite un dernier raccord dans l’axe, après lequel elle tape encore trois
fois. Les répétitions du geste, ainsi soulignées, ne jouent pas seulement
comme une simple accumulation pour insister ou en décupler la force, les
raccords dans l’axe successifs leur donnent une véritable dynamique. Par la
succession des décharges, le montage trace un canal ionisé directement
jusqu’à ceux qui actionneront le dispositif d’humiliation (Chris et Billy en
embuscade sous l’estrade).
La décharge opère via la coupe et ce choix donne des modes rythmiques
variables. Si l’on prête attention au rapport entre image et son, la coupe
visuelle suit immédiatement l’impact sonore du couteau sur la planche et
dédouble le rythme par ce décalage (comme en musique deux doubles au
lieu d’une croche). Discret, le son « retarde » la coupe et la marque. Même
dans ces cas où le plan ne dure que quelques images, la même question
essentielle se pose toujours : comment couper ? qu’est-ce qui permet d’en
décider ? et avec quelle conséquence sur le temps ?
La foudre défie les conventions temporelles, interroge la simultanéité,
inquiète la temporalité et intéresse le montage lorsqu’il court-circuite
notre perception des phénomènes. La brièveté des images de ces
séquences, jouant sur de subites apparitions et disparitions, renvoie au
paradoxe de la foudre qui éclaire sans rendre visible, révèle des formes et
les ravit aussitôt. Certes, « elle déchire la nuit, illumine le paysage, mais
son éclat nous aveugle et ne nous fait voir le paysage que comme en
négatif, fantomatiquement, passagèrement. (…) Prodige de l’empreinte,
prodige de la lumière et de la distance, [ce phénomène] est aussi prodige
de l’immédiateté, de l’instantanéité 34 », de la précipitation des images, de
leur impact par les coupes.
La connaissance de cet « électrométéore », comme d’autres
phénomènes météorologiques, nous donne une certaine acuité pour
décrire le montage à l’échelle du photogramme. Ajoutons que la force
mythique de ce modèle favorise l’approfondissement de notre
connaissance de l’essence du montage. En sciences, le savant Georg
Christophe Lichtenberg (comme le rappelle M. Wetzel) a vanté le sublime
modèle de la foudre comme apte à ouvrir le champ de la recherche sur la
matière électrique. Son article « Von einer neuen Art die Natur und
Bewegung der elektrischen Matrie zu erforschen » (D’une nouvelle manière
de rechercher la nature et le mouvement de la matière électrique), prend
comme métaphore de départ la comparaison des étincelles de la décharge
électrique avec de petits éclairs. Pour quelle découverte ? Par ces
recherches, il s’agit toujours « d’atteindre l’énigme de la création, scellée
par cette autre énigme fondamentale : le temps. Car depuis les premiers
discours sur la matière et l’énergie, ou plus généralement sur la question
de la lumière – cette dimension mi-matérielle, mi-immatérielle et sublime
– ce qui importe c’est le questionnement de la temporalité en tant
qu’instantané : l’instant donné d’un clin d’œil, d’un coup d’œil, d’un coup
de foudre et de tonnerre35. » En construisant son électrophore qui lui
permettait « de révéler, de conserver la signature de la foudre, c’est-à-dire
assurer à la perception humaine un moyen pour lui rendre visible les
données réelles, Lichtenberg assurait pour la première fois que l’état des
choses est énergétique36. »
Orages électriques
Le montage est bien « une foudre, c’est-à-dire un capteur et un
transmetteur d’énergie. (…) “Quelque chose de semblable à l’électricité ou
à la radioactivité, une force qui transfuse, soude et unifie 37” »38. Il répond
ainsi aux mêmes exigences que la poésie pour Ezra Pound ou encore pour
Charles Olson : « Ainsi le poème [comme le montage] est-il dans
l’obligation d’être une construction d’une haute énergie, en tout point une
décharge d’énergie39. »
Le montage dit à « haute énergie » est le sentiment que donne un
montage soumis à une certaine contingence. Les mouvements incessants
des plans (ceux observés dans le champ et ceux de la caméra) subissent
des bifurcations imprévues et fréquentes, chapelet d’images soumis à des
conflagrations. Terre en transe (Glauber Rocha, 1967) rend
particulièrement sensibles ces « orages électriques » (Brakhage), d’autant
plus que ceux-ci confrontent souvent des images prises dans des
conditions extrêmes de lumière, inquiétant nos repères spatiaux et
temporels dans un récit déjà fortement accidenté.
La caméra laisse échapper les corps en mouvement ou au contraire
répond à leurs gesticulations, s’approche d’eux ou leur redonne de l’air.
Les coupes accusent les hiatus temporels en jouant sur le mouvement.
Ainsi elles confrontent les gros plans du sénateur Diaz immobile (juste
après son discours d’investiture) et dansant avec Silvia dans son palais. À
l’opposé, lorsque Paulo raconte l’épisode du meurtre d’un homme et
l’accusation portée sur lui par la foule, le geste de son bras tendu vers nous
raccorde précisément avec celui de la veuve le désignant.
Les bifurcations des mouvements associées à la ramification des
décharges définissent le montage tout au long du film. Le phénomène le
plus frappant est la création d’une trajectoire ionisée empruntée à deux
reprises, au début et à la fin du film, par une « première décharge » et par
une « seconde » encore plus rapide qui correspondent toutes deux à un
montage différent de la même séquence. Les premières images au palais
du gouverneur Vieira nous plongent dans l’effusion des mouvements et
l’agitation d’un regroupement sur la terrasse devant la situation politique
extrêmement tendue à Eldorado. Un solo de batterie martèle les syncopes.
Nous suivons Vieira de près. Cut. La caméra zoome sur un revolver et
remonte jusqu’au visage de l’homme qui le tient. Un troisième plan
reprend de face Vieira surgissant derrière un pilier et s’avançant dans le
couloir, suivi de Sara et de l’homme au revolver tandis que, hors champ,
des voix protestataires s’élèvent. Comme l’objet de sa vision, le plan
suivant révèle un groupe d’hommes sur la terrasse à l’arrière-plan. Le
mouvement de caméra avançant vers eux poursuit l’élan de la marche du
plan précédent. Une précipitation élide l’approche de Vieira et nous
projette directement au cœur du groupe déjà rassemblé autour du
gouverneur dans un mouvement circulaire cette fois qui se concentre à la
fin seulement sur Vieira et Sara. Le plan suivant s’ouvre sur une autre
décharge : il leur crie de cesser. Après une nouvelle syncope, on le
retrouve de face montant quelques marches jusqu’à une autre terrasse où
tout le monde le suit (la caméra asservie à son mouvement a effectué une
rotation à 180° puis le laisse s’éloigner de dos). Mise en attente par
l’immobilité des corps, mise sous tension aussi avec le martèlement
continu qui va gagner en intensité au plan suivant en accusant la saillance :
Un homme (vu de dos) au volant d’une voiture en mouvement. On
suppose que c’est lui qui entre dans un hall au plan suivant. Retour sur la
terrasse : on apprend à Vieira que le président demande sa démission.
L’homme (Paulo) monte les escaliers, la caméra l’accompagne jusqu’au
groupe. Il tend une mitraillette à Vieira.
Confrontation : Paulo lui demande de résister. La caméra active le
rapport de force : derrière Vieira, elle cadre Paulo de face puis contourne
le gouverneur pour avoir les deux hommes de profil l’un en face de l’autre.
Vieira ordonne alors de disperser les manifestants. La tension devrait être
rompue, pourtant la caméra souligne encore l’opposition en passant
derrière Paulo cette fois pour cadrer Vieira de face (position symétrique au
début de plan). Cut. Elle passe sur les visages interdits de l’assistance. Cut.
Celui de Sara, captant toute la lumière sur un fond obscur, est isolé. La
tension retombe quelques images, le temps d’une césure : en se
retournant, la jeune femme « ferme » le plan sur un noir et le « rouvre »
symétriquement. La caméra recule pour réintroduire Vieira qui lui dicte sa
lettre de démission. Paulo, passant derrière ou devant eux, l’interrompt,
dénigre « leur grand chef » et poursuit ses reproches sur la coupe alors
qu’il s’enfuit déjà avec Sara en voiture. Ils forcent un barrage de police. Les
motards les poursuivent, tirent sur eux… Enfin, changement de tempo, un
plan s’étire (le thème du piano se développe) : la silhouette d’un homme
(Paulo) tenant une mitraillette titubant dans un désert blanc. Par une
brève surimpression, une lettre adressée à Sara commente cette mort et
rappelle le souvenir du dieu de sa jeunesse, don Porfirio Diaz. Première
image de la mémoire : Diaz, très solennel, défile dans une voiture en
brandissant un christ…
Les mouvements de caméra incessants interagissant avec l’agitation du
champ ont activé l’ionisation des plans. De même les coupes, venant
rompre ces mouvements pour leur en substituer d’autres, ont participé à
la multiplication des décharges entre les plans et ainsi tracé ce canal ionisé.
« Celui » qui sera réemprunté à la fin du film, avec un montage accéléré
qui boucle le récit qui a retracé l’épisode politique jusqu’à la crise. Cela
recommence donc précisément avec le solo de batterie sur les quatre
plans très courts de Vieira : d’abord immobile en gros plan et en plan
rapproché, il se met en marche (plan taille) et poursuit avec Sara à ses
côtés (dans la coursive jouxtant la terrasse). Ces quatre plans donnent les
impulsions de la suite du montage avec Paulo dans la voiture, le
regroupement sur la terrasse et un chapelet de plans reprenant des
fragments de ceux du début (notamment le plan circulaire autour du
groupe, l’arrivée de Paulo sur la terrasse) et d’autres, sur les protestations
de tout l’entourage de Vieira. La rapidité des plans, les subites bifurcations
empêchent la synchronisation.
Les fragments de paroles ont un ancrage flottant dans l’image d’autant
qu’ils doivent rivaliser avec la puissance du retour de la batterie mixée
avec les chants tribaux qui accompagnaient la première apparition de Diaz
(au début du film). On entend les reproches de Paulo : « Ce sera le début
de notre histoire, voir Diaz assumer le pouvoir. » Et comme par un hasard
de montage, un bref synchronisme fait retour lorsque Paulo bouscule
Vieira dictant sa lettre de démission : « Regardez, c’était notre chef, notre
grand chef ! »
Nouvelle précipitation accusée par le décalage image et son (la première
en avance sur le second selon la première chronologie) : le premier plan de
Paulo et Sara dans la voiture sur un « Respectez les ordres, dispersez les
manifestants ! » de Vieira. Le martèlement des tirs des motards
poursuivant la voiture a remplacé celui de la batterie (tandis que le thème
du piano revient). Les saccades du montage confrontent les coups reçus
par Paulo d’un côté et par Diaz de l’autre au cours d’une cérémonie de
couronnement. Puis, sur la plainte off de Paulo devant cette situation
impensable, un travelling avant sur Diaz attendant de recevoir la couronne
alterne avec celui au ralenti sur Paulo rampant sur le dos, une mitraillette à
la main. Alors, un filé partant de Paulo et Sara enlacés sur la route jusqu’à
Diaz couronné recevant plusieurs charges de mitraillette (que l’on
continuera d’entendre sur les plans suivants) initie la salve finale : désordre
photogrammatique de flashes blancs et d’inserts de Paulo sur la route
soutenu par Sara, ou, tenant la couronne aux côtés de Diaz, la lâchant et
s’écroulant. Ce sont « les orages électriques constitués de photogrammes
complètement blancs qui sont intercalés entre les images enregistrées
d’une machine qui est en train de te broyer l’existence 40 » écrit Brakhage à
propos de l’expérience du spectateur de cinéma. Le montage n’est plus
que précipitation, syncope et dérivation du temps, hiatus. Un filé,
identique au premier, revient sur Diaz en gros plan et son discours
fanatique jusqu’à la crispation finale. À nouveau les bruits incessants des
tirs sur le même plan de Paulo et Sara seuls sur la route. Elle lui demande
ce que prouve la mort. Réponse : « Le triomphe de la beauté et de la
justice. » La caméra se détache d’eux devançant la marche de Paulo sur la
route. Lorsqu’une convulsion l’arrête, elle creuse encore la distance. Image
finale : Paulo reparaît seul tenant sa mitraillette sur un horizon vide tandis
que l’on entend les décharges répétées, les bruits de sirène, et le même
concerto pour piano qui accompagnait déjà cette image au début du film.
Le temps s’y étire jusqu’à ce que ses genoux fléchissent tandis que la lutte
entre l’orchestre et les tirs de mitraillettes se poursuit encore sur le
générique final.
Le montage, par précipitation et ionisation des plans, a créé un chenal
plasmique lors de la séquence d’ouverture « réemprunté » pour celle de
clôture. Ces deux décharges encadrent le film et réduisent l’intervalle,
l’histoire de cette vie, à néant. Alors, pourquoi raconter ? À quoi servent
ces images dont le flux chaotique est donné comme celui de la conscience
de Paulo ? À comprendre, à donner sens ? Qu’est-ce que raconter ?
Promettre l’impossible : donner le temps ? La foudre met en garde contre
le temps, « élément de l’invisibilité même » : « Le temps soustrait tout ce
qui pourrait se donner à voir. Il se soustrait lui-même à la visibilité 41. »
L’acteur comme fluide
« L’espace cinématographique ne possède ni homogénéité, ni symétrie, c’est qu’il représente
un espace en mouvement ou, pour mieux dire, un espace suscité, non plus comme un espace
euclidien, par des positions bien déterminées de solides aux formes stables, mais par des
déplacements mal définis de spectres qui sont mobiles aussi dans leur forme et qui se
comportent comme des fluides42. »
Ainsi, entre les deux disparitions de Johannes dont nous avons proposé
une analyse, se dessine le passage d’un état stable à un état turbulent. On
se référera alors à l’image donnée pour comprendre la dynamique d’un
système dissipatif non chaotique convergeant vers un comportement
unique d’équilibre : de même que tous les ruissellements d’une même
vallée aboutissent dans la rivière qui coule dans le fond, toutes les
trajectoires (situées dans ce que l’on appelle le bassin des attractions)
convergent vers un attracteur. On se souvient du mouvement que la fuite
de Johannes avait initié au début : les hommes de la maison partis
successivement à sa recherche le rejoignaient. Il était un point de
convergence. Dans le second extrait au contraire, la dynamique des plans
est divergente (les directions des personnages sont doublées par celles des
volets latéraux) et trahit la présence de ce que l’on nomme
scientifiquement, pour les mêmes raisons dans les phénomènes turbulents
observés, un attracteur étrange. Le corps de l’acteur (ici Johannes) serait
une cause turbulente, comme d’autres corps en mouvement le laissaient
pressentir.
Forme transitionnelle
La turbulence n’est pas seulement synonyme de chaos. On lui reconnaît
un pouvoir créateur de formes transitionnelles entre autres.
Retrouvons ici l’intelligence hydraulicienne du cinéaste Artavazd
Pelechian. Les Saisons (1975) s’ouvre sur un des archétypes de la
turbulence : un torrent emportant un homme et son mouton.
Mouvements violents auxquels le montage réagit par l’irrégularité des
plans plus ou moins courts en fonction de la résistance de l’homme à se
maintenir hors de l’eau. Les coupes interviennent presque toujours dès
qu’il disparaît dans un rouleau, mimant l’intermittence cinématographique
avec ses effets de disparition et de surgissement, que l’agitation soit
maximale ou que les images ralenties et le thème vivaldien bercent le
tumulte. Mouvement retenu auquel succède la rondeur des vagues de
nimbus blancs dans un ciel noir sur quatre longs plans fixes. Après cette
ouverture, plusieurs écoulements se manifestent par les mouvements de
la transhumance et de la moisson. Les groupes d’hommes emportant les
moutons ou charriant les meules de foin ruissellent sur le flanc des
montagnes minérales ou enneigées pour les uns, herbées pour les autres.
Leur vitesse varie aussi en fonction du degré de frottement sur le sol. À
part ceux qui se fondent dans le torrent, les autres forment des figures
d’écoulement : glissement des meules sur l’herbe entraînées par la course
des hommes dont on reconnaît à la rapidité un moindre degré de viscosité
par rapport aux glissades dans les ravins ou sur les pentes enneigées de
ceux qui dévalent assis, leur mouton dans les bras.
L’enchaînement de ces flux est complexe puisque Pelechian ne joue à
aucun moment sur le montage continu : jump-cuts dans le désordre du
torrent, directions opposées des troupeaux, des courses avec le foin,
brusques changements d’échelles pour les autres glissades. Ces séquences
sont par ailleurs entrecoupées de différents chapelets d’images au cadre
fixe ou aux mouvements quasi figés : sur les montagnes, les maisons d’un
village et les visages des habitants. Le montage final, par contre, mêlera et
enchaînera plusieurs plans extraits de ces différents écoulements. Mettant
un terme à la séquence du mariage dans le village où le couple est
emporté par le fleuve de la foule, une coupe convoque l’image du marié au
milieu des tourbillons (celle de l’ouverture du film). L’alternance se met en
place et se complique d’un troisième élément : l’homme avec son mouton
glissant sur la neige. Ce tissage permet de passer de la longue séquence du
mariage à celle de la descente dans la neige via la résurgence de celle du
torrent qui joue un rôle conducteur et, enfin, à celle dans le ravin. Déjà, les
mouvements désordonnés de la foule qui obstruent trop souvent le
champ, motivaient des coupes et suscitaient ces basculements, le passage
à ces formes transitionnelles, étaient propices aux mutations.
Passons à l’autre signe de turbulence très sensible dans le cinéma de
Pelechian. Comme la mécanique des fluides se heurte à la difficulté de
décrire les fluides en mouvement dans la mesure où les objets ne sont pas
a priori identifiables et sont en nombre quasiment infini 47, le cinéaste, ne
peut circonscrire ou encadrer l’objet filmé : fleuves sans rives, nuages dans
des ciels sans fin, foules, troupeaux sans marges. La théorie de la distance
prend alors un sens particulier : dans ses montages, pas de début ou de fin
d’événement toujours pris in media res, pas d’avant ni d’après (répétition,
inversion du temps, retour du même), peu ou pas de repères temporel et
spatial (exit la relativité, « nos conceptions et nos lois déterminant l’espace
et le temps sont caduques48 »), pas de but ni d’origine suivant la prophétie
en exergue au texte « Le montage à contrepoint » : « Une naissance sans
géniteurs. Imaginez un monstre qui dévore ce dont il est issu. Ou encore
un processus, dans lequel les uns en mourant ignorent à qui ils donnent
naissance, les autres, en naissant, ignorent qui ils tuent 49. » Comme dans
une nébuleuse ou un ouragan, chaque particule est en relation dynamique
avec toutes les autres et à tous les niveaux. Le montage à distance entraîne
les plans dans le même tourbillon, dans une même turbulence.
« Les éléments ou complexes fondamentaux, les détonateurs du montage à contrepoint,
exercent une action réciproque sur d’autres éléments selon une droite et remplissent une
fonction que l’on pourrait qualifier de nucléaire, entretenant ainsi un double lien
contrapuntique avec n’importe quel autre élément du film, selon des lignes vectorielles. Ils
provoquent une “réaction en chaîne” bilatérale entre tous les maillons subordonnés,
descendante d’abord, ascendante ensuite 50. »
Saut dialectique
Il semble que l’on soit revenu au point où nous avait déjà conduit
l’analyse du Cours des choses. Mais l’intuition première d’une intelligence
hydrodynamique du montage a été précisée et complétée au fil des
analyses ; la prédisposition des fluides à la mutation et à la transformation
également développée à partir de la vertu plasmatrice du montage. La
mécanique des fluides facilite sans doute la description d’autres types de
comportement énergétique qui échappaient à la mécanique classique des
solides. Suivre l’évolution scientifique n’était pas motivé par la croyance
d’en tirer la vérité (bien relative en sciences plus qu’ailleurs depuis que le «
réalisme scientifique » a été ébranlé 73). L’enchaînement de ces deux
modèles s’est imposé au fur et à mesure que l’observation des
phénomènes énergétiques se précisait. La mécanique des fluides invite à
réfléchir à la nature même de l’image filmique, à ses propriétés
fondamentales. Or le montage s’est aussi défini par rapport au principe
mécanique du cinéma, à l’intermittence, par la dualité entre l’illusion de
continuité du film et la pensée des coupes comme le lieu
de toutes les disparitions/apparitions/transformations.
1. Voir p. 70 « raccord dissipatif ».
2. « Les treize postures de la longue boxe » de Wu Yuxian cité par Catherine Despeux in
Taiji Quan, art martial, technique de longue vie, Éd. Guy Trédaniel, Maisnie, 1991, p. 113.
3. Catherine Despeux, op. cit., p. 91.
4. J. Aumont, Montage Eisenstein, op. cit., p. 89.
5. Cinéa-ciné pour tous, janvier 1925, repris dans Germaine Dulac, Écrits sur le cinéma
(19191937), Paris expérimental, 1994, p. 51.
6. P. de Haas, op. cit., p. 78.
7. Étienne-Jules Marey, La Méthode graphique dans les sciences expérimentales et
principalement en physiologie et en médecine, G. Masson, éditeur, libraire de l’Académie de
Médecine, 1878, p. IX. Cité par Georges Didi-Huberman « La danse de toute chose », in
Mouvements de l’air, Gallimard, 2004, p. 250.
8. Artavazd Pelechian, « Le montage à contrepoint » (1971-1972), Trafic, no 2, 1992.
9. On parle de diffusion moléculaire lorsque deux fluides peuvent se mélanger librement
et intimement, qu’ils sont miscibles.
10. Eisenstein, Disney, op. cit., p. 37.
11. Maurice Lemaître, Le film est déjà commencé ? (Séance de cinéma), coll. «
Encyclopédie du cinéma », André Bonne, 1952, p. 59.
12. Outre le goût de Kurosawa pour les turbulences temporelles, ces scènes font suite au
Chemin du serpent (réalisé la même année) dont il reprend le même personnage quelques années
plus tard.
13. Voir Johan Girard, Répétitions. L’esthétique musicale de Terry Riley, Steve Reich et
Philip Glass, PSN, 2010, p. 182-183.
14. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, (1927) PUF, p. 75, cité
par J. Girard, op. cit. Sur la saltation, voir F. Albera, op. cit.
15. B. Stiegler, La Technique et le temps, 3. Le Temps du cinéma et la question du mal-
être, Galilée, 2002, p. 58.
16. Ibid.
17. Cf. « The Eclipse of Time », in Cinéma et Cie, vol. IX, Carocci editore/Téraèdre,
printemps 2009, p. 80.
18. Au début, le rythme alterné des plans fixes et des plans en mouvement accuse les
oppositionsénoncées. Plans en mouvements : n o 1, 2, 5, 8, 9, 12, 15, 19, 21. Plans fixes : n o 3, 4, 6,
7, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 18, 20.
19. En 1955, Einstein écrit dans une lettre après la mort de son ami Michele Besso : «
Pour nousautres physiciens convaincus, la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une
illusion, même si elle est tenace. » Cité par Trinh Xuan Thuan, L’Infini dans la paume de la main,
op. cit., p. 194.
20. Trinh Xuan Thuan, op. cit., p. 192-194.
21. « Tête-à-queue de l’univers », Intelligence d’une machine, Écrits, 1, op. cit., p. 258.
22. « Le temps n’est pas fait de temps », op. cit., p. 286.
23. In L’Infini dans la paume de la main, op. cit., p. 197.
24. M. Antonioni, intervention au colloque du 31 mars 1958 avec les élèves du C.S.C.
publié inBianco e Nero, no 6, juin 1958, trad. fr. Fabrizio Donini Ferretti, Écrits, Images modernes,
2003, p. 11.
25. M. Ricard, L’Infini dans la paume de la main, op. cit., p. 194.
26. Ibidem.
27. V. Burgin, op. cit., p. 85.
28. Voir pour exemple l’analyse de Dante’s Inferno d’Harry Lachman (1935) dans Penser
et expérimenter le montage, PSN, 2009, p. 46-47.
29. Jacques Roubaud, « Le temps de l’éclair. Poèmes (un prélèvement) », De la foudre,
Antigone, no 19, 1994, p. 20.
30. E. Bullot, « La foudre A+B », in Météorologie, Cinergon, no 10, 2000, p. 63.
31. Images créées par les « rayons cérauniques » adjectif barbare, ou plutôt grec, dont
CamilleFlammarion donne l’étymologie : kéraunos, la foudre. Voir C. Flammarion, Les Caprices de
la foudre, 1905, p. 249, cité par p. 249 ou la retranscription de cette page dans Antigone, no 20, p.
137.
32. C. Flammarion, op. cit., p. 276.
33. G. Didi-Huberman, Les Caprices de la foudre, L’Empreinte du ciel, Antigone, no 20,
1994,.
34. G. Didi-Hubermann, op. cit., p. 37 et 55.
35. Michael Wetzel, « La signature de la foudre. G. C. Lichtenberg et l’Électrophore »,
Antigone, no 19, p. 96.
36. Op. cit., p. 97.
37. Ezra Pound, Au cœur du travail poétique, trad F. Sauzey, L’Herne, 1980. p. 55.
38. Erik Bullot, op. cit., p. 66.
39. Charles Olson, « Le vers projectif », 1950, trad. M. Pleynet, in Tel Quel, no 19, 1964, p.
4, cité par E. Bullot, ibid.
40. Métaphores et vision, trad. Pierre Camus, Centre Georges Pompidou, 1998, p. 45.
41. J. Derrida, Donner le temps. 1 La fausse monnaie, coll. « La philosophie en effet »,
Galilée, 1991, p. 17.
42. J. Epstein, « Logique du fluide », Écrits, tome 2, op. cit., p. 214.
43. Voir Nicole Brenez, Étude critique de Shadows, coll. « Synopsis », Nathan, 1995, p. 61.
44. M. Jeanneret, op. cit., p. 165. Nous aurions aussi bien pu nous référer à la figure
emblématique d’Erasme.
45. Voir « Rythme », in E. Barba, L’Énergie qui danse, op. cit., p. 198.
46. Véronique Campan, « Humeurs changeantes du ciel et de la voix (Ordet, Vampyr, Le
Sacrifice) », in Météorologie, Cinergon, no 10, 2000, p. 48.
47. Voir D. Salin et J. Martin, La Mécanique des fluides, op. cit., p. 46.
48. « Le montage à contrepoint », op. cit., p. 105.
49. A. Pelechian, op. cit., p. 90.
50. A. Pelechian, op. cit., p. 103.
51. Ibid.
52. Voir M. Jeanneret, op. cit., p. 76.
53. « Tête à queue de l’univers », Intellignence d’une machine, op. cit., p. 257.
54. Merci à Stefani de Loppinot de m’avoir montré les notes de Michael Snow.
55. Carnets, « Atmosphère », tome 1, op. cit., p. 406.
56. Selon la définition d’Eisenstein tirée des « Méthodes de montage » (in Le Film : sa
forme/son sens, op. cit., p. 65-68) : « Dans le montage tonal, nous concevons le mouvement dans
son sens le plus large. La conception de mouvement va en effet embrasser les vibrations de toutes
sortes qui peuvent se dégager d’un plan » (p. 65). Il donne comme exemple la séquence du port
d’Odessa dans le brouillard jouant sur les vibrations lumineuses. « Le montage tonal ajoute [ainsi]
au montage rythmique [qui prend en compte la durée ressentie par le spectateur s’opposant au
montage métrique] une autre qualité, métaphoriquement musicale elle aussi : les plans successifs
sont montés pour obtenir des rapports de “sonorité émotionnelle” ; ce qui unifie les plans d’un
même moment du film, c’est qu’ils proposent au spectateur la même émotion, la même “tonalité”.
» (Voir J. Aumont, Les Théories des cinéastes, op. cit., p. 16.)
57. A. Schoenberg, « Opinion ou perspicacité » (1926), op. cit., p. 200.
58. In La Non-indifférente Nature, op. cit., p. 112-113.
59. Voir Jacques Aumont, Montage Eisenstein, op. cit., p. 87-88.
60. In La Non-indifférente nature, Œuvres 2, coll. « 10/18 », UGE, 1976, p. 271-338.
61. « El Greco », op. cit., p. 251-269.
62. S.M. Eisenstein, « Piranèse et la fluidité des formes », op. cit., p. 277.
63. S.M. Eisenstein, op. cit., p. 279-280.
64. E. Bullot, « La foudre A + B », op. cit., p. 64.
65. Voir l’article d’E. Bullot, op. cit., p. 61-68.
66. Aristote, Météorologiques, coll. « Des Universités de France », Les Belles Lettres, 1982,
p. 4.
67. À moins que le nombre de fragments « détonateurs » et la distinction entre
compression etexplosion ne soient pas si évidents dans ce type de séquence. « Le centre de gravité
de leur effet n’est pas tant dans les explosions que dans les processus de compression qui
précèdent les explosions. L’explosion peut survenir. Parfois elle est à la hauteur de l’intensité des
tensions qui l’ont précédée, parfois non, parfois elle est presque inexistante. L’essentiel de la
décharge d’énergie est consommé dans le processus de dépassement, et il n’y a pour ainsi dire pas
d’arrêt au point atteint, car le processus même du dépassement est déjà un processus de
libération. Presque toujours, ce sont précisément les scènes de compression que l’on retient le
mieux de mes films. » (« Serge Eisenstein », Mémoires 1, Œuvres 3, trad. J. Aumont, UGE, 1978, p.
70.)
68. Voir La Non-indifférente Nature, Œuvres 2, op. cit.
69. In « La Centrifugeuse et le Graal », op. cit., p. 126.
70. Op. cit., p. 125.
71. Notons au passage que le montage subit lui aussi le poids de cette convention au
point quel’on parle souvent d’accident lorsque l’unidirectionnalité non justifiée par le récit n’est
pas respectée, essentiellement à partir du parlant qui ramenait les images à notre mode
d’appréhension des phénomènes, de l’espace et du temps (si l’on s’en remet à la vieille querelle
entre le monde du rêve caractérisant le cinéma muet et celui de la réalité le parlant). Il a donc fallu
tout un appareillage formel pour introduire les changements de direction du temps (analepse ou
prolepse). Un film en a multiplié les symptômes : Le jour se lève. Lors du premier retour en arrière
où, après un carton explicatif sur le mode de récit adopté (ajouté à la demande du producteur), le
dispositif s’encombre de trois types de raccord alors qu’un seul aurait pu suffire (d’autres films de
la même époque et voire antérieurs font preuve d’une économie d’effets) : la substitution
présent/passé se fait dans l’alternance du champ-contrechamp entre Gabin regardant par la
fenêtre et la place devant son hôtel, le soir (alors que la police l’attend) et le matin du crime ; elle
est soulignée par la surimpression et encore, par la petite musique stridente et la voix de Jules
Berry rappelant le souvenir.
72. Voir « Questions de temps », L’Infini dans la paume de la main, op. cit., p. 204.
73. Devant les succès remportaient par la physique depuis le XVIIe siècle, nombreux
étaient ceux qui voyaient dans la science une méthode permettant de dévoiler la vérité ultime de
la réalité, qui considéraient que la validité d’une théorie physique tient au fait que tout le monde
s’accorde à reconnaître qu’elle donne une description « vraie » de la nature. Mais à la fin du XIXe,
plusieurs événements firent que la méthode scientifique ne garantissait plus qu’une théorie donne
une description réaliste de la nature. On s’interrogea alors sur le type de savoir généré par les
sciences. Une des réponses fut donnée par les positivistes… Voir, Yoav Ben-Dov, Invitation à la
physique, coll. « Points Sciences », Seuil, 1995, p. 138.
3
Montage plasmateur
Géométrie de l’instable
Les phénomènes impermanents, le mouvement essentiel des choses
mobilisent l’objectif depuis la tentative encyclopédique de Marey
s’intéressant aux « changements de profils des liquides dans les ondes »
comme aux déformations des mouvements de l’air qu’il tente d’enregistrer
en construisant la machine à fumée 1. « Il en résulte à l’écran un monde où
l’attention de l’observateur se trouve appelée, bien plus fréquemment et
plus vivement que dans le monde réel, sur la diversité et le changement 2. »
Nombreux sont ceux qui furent frappés, devant les premières images du
Cinématographe, par ces mouvements infimes, essence même des images
animées. Jean Louis Schefer commente l’importance de cet événement :
« Les personnages sous le masque dur de leur grimage blanc, avec leurs lèvres passées au noir,
se dépla[çaient] luttant contre les rides d’un vent invisible dans un monde amolli (chutes, bris,
vent, pluies, rafales de toute sorte ou nuit soufflant : ôtez tout cela des premières images et
vous n’avez plus de mouvement parce que ces déplacements de grains météorologiques –
nuages passant, feuilles agitées – sont la première respiration du monde dans les images : et
son âme, longtemps hostile, est le temps apparu)3. »
Vibration est sans doute le terme qui résume le mieux les points
essentiels qui ont été abordés. Dans la première acception du terme vibrer,
on retrouve l’origine balistique de l’énergie mécanique du montage : «
action de lancer une arme (par exemple) après avoir brandi » au sens latin.
La vibration est réaction, mise en mouvement et correspond à divers «
schémas » de montage. En outre, mettre en vibration implique un
changement, une modification et même une transformation profonde des
éléments, comme on l’a vu pour le corps de l’image. Ainsi, pervibrer
signifie « modifier un corps dans ses propriétés physiques, par vibrations »
(DHLF) et renvoie à la vision de la matière-image, que l’on pourrait dire
sous influence aristotélicienne, comme « une sorte de continu qui peut
acquérir des qualités, des formes ». Ce principe générateur des
transformations a été proposé pour développer l’idée d’énergie dans le
montage. Montage ou vibrage des images, c’est finalement ce que les
analyses ont toujours pointé. Cette vision trahit sans doute une certaine «
métaphysique du continu » (même si elle considère la saltation) d’autant
plus forte que l’on a insisté sur une des propriétés essentielles de
l’énergie : la conservation. Cela peut surprendre sachant que la
problématique du montage est plus souvent posée en termes
d’articulation, de collage associatif. « Le caractère discret d’une
transformation est une simplification réalisée par notre appareil perceptif 1.
» Ainsi, observer les étapes, les discontinuités d’une transformation, en
repérer les agents, simplifie et favorise la compréhension. La terminologie
usuelle de l’analyse du montage invite à une approche discontinue par
l’identification locale des modes de raccordement et même pour les
structures de montage, à l’échelle de la séquence (champ-contrechamp,
montage alterné) voire du film (montage parallèle). C’est ce que mettent
en évidence certaines équations de montage : 1+1=1 ou 1+1=3, c’est-à-
dire, « une image plus une image fusionnent en une image résultante, par
complexification ou abstraction ; ou alors, les deux images originelles
gardent leur autonomie, et leur combinaison forme une image nouvelle
qui ne les annule pas mais s’ajoute à elles2. »
Si la discontinuité, la fragmentation et la disjonction ont été
particulièrement envisagées dans la première partie, c’est en gardant,
comme principe directeur, la force de travail de l’énergie. La théorie de la
distance de Pelechian propose aussi de dépasser la description locale du
montage, en pointant que l’association de deux fragments peut se faire à
distance en étant attentif à cette intelligence énergétique du montage, en
pensant à l’interaction des éléments sous le régime de la polarisation
d’une chaîne d’images. Les deux modèles mécaniques d’appréhension des
enchaînements (discrets et continus) utilisés ici renvoient d’ailleurs à ces
deux modes d’appréhension des phénomènes discret et continu.
Cette question a occupé Jean Epstein, comme nous l’avons dit, sur
plusieurs pages d’Intelligence d’une machine4 : « Qu’une réalité puisse
cumuler continuité et discontinuité, qu’une suite sans fissure soit une
somme d’interruptions, que l’addition d’immobilités produise le
mouvement, c’est ce dont la raison s’étonne depuis les Éléates 5. » De
même, Eisenstein fondait l’organicité du montage sur les oppositions. Tous
deux renouaient avec la pensée héraclitéenne articulant une contradiction
fondamentale : la nature perpétuellement changeante de toutes choses et
l’ordre et l’unité qui pourtant les régit toutes6.
« L’harmonie des contraires suppose que chaque chose puisse être désignée comme une
tension entre deux contraires, ou bien comme étant constituée d’un ensemble de contraires, et
qui explique que l’identité apparente de chaque chose repose sur cette harmonie des
contraires. (…) [Celle-ci] introduit dans la compréhension de ce que sont les choses une forme
de relativisme : une même réalité peut être considérée différemment selon qui la perçoit mais
aussi et surtout, selon ce avec quoi elle entre en rapport 7. »
La sensation d’une énergie circulant dans et entre les plans, avec ses
variations et ses transformations, faciliterait donc le phénomène du
continu, entre autres par la connaissance intuitive qui nous vient du corps.
Cette vibration des images implique donc une autre « réaction », celle du
corps du spectateur. La qualité vibratoire du montage, celle d’une force
mettant en mouvement, redit alors l’intelligence énergétique toute
intuitive (qu’elle soit mécanique ou hydraulique), que l’on a reconnue au
monteur et que l’on suppose pour le spectateur. Elle assurerait cette
transfusion, ce passage de l’énergie du montage par le corps du
spectateur. Cependant cette mise en mouvement du spectateur n’implique
pas seulement « un regard vif parmi les plans, [c’est-à-dire un] amour du
plan, (…) des interstices où se fourrer, caché ou accueilli par le déroulé du
film10 », mais, littéralement, une émotion (« emotion picture »). Ce que l’on
peut appeler « émotion », c’est justement « le mouvement de caméra à
l’envers, celui qui passe dans le corps du spectateur11 ». Daney ne donne-t-
il pas ici une équivalence, pour le spectateur, de l’« écoute » des images,
de la connaissance intuitive de l’énergie des plans dont part le monteur
pour créer leur vibrage ? Dans ce que nous appellerons mouvement de
montage à l’envers, « “à l’envers” désigne donc l’effet mystérieux de
réponse, par lequel le film bouge ou paraît bouger à l’intérieur du corps 12
». Ce mouvement inverse n’est pas contrariant ou opposé, mais bien
complémentaire, il naît par conduction.
En outre la naissance de l’émotion, telle que la décrit Daney, rappelle les
premières observations sur l’énergie du plan et l’énergie mécanique du
montage avec les films Lumière par exemple. L’essentiel à retenir est la
variation rythmique, la musicalité, le battement pneumatique de l’énergie.
« L’émotion n’est jamais donnée au départ, elle naît en cours de route, à des moments
mystérieusement précis, par accumulation, fatigue, envie d’accélérer ou de ralentir. Deux
exemples pour moi inoubliables. Le ralentissement de la Nuit du chasseur : les enfants
échappent à l’ogre qui rugit, montent dans une barque et le plan d’après, tout a basculé selon
le rythme du fleuve. L’accélération de The Saga of Anatahan, au milieu du film, avec les
stocksshots de la fin de la guerre13. »
Bibliographie
Écrits de cinéastes
Le Siècle de Godard, Guide pour les Histoire(s) du cinéma, Art Press, Hors
série, novembre 1998
Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Hölderlin-Cézanne, Antigone,
Aigremont, 1990.
Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Moïse et Aaron, Ombres, Toulouse,
1990.
Aumont Jacques, Montage Eisenstein, coll. « ça cinéma », Albatros, 1979.
—, Amnésies. Fictions du cinéma d’après Jean-Luc Godard, P.O.L., 1999.
Bellour Raymond, « L’arrière-monde », in Cinémathèque no 8, automne
1995.
Bergala Alain, Godard au travail, les années 1960, Cahiers du cinéma, 2006.
Bouhours Jean-Michel (dir.), Len Lye, trad. Pierre Camus, Centre Georges
Pompidou, 2000.
Brenez Nicole, Étude critique de Shadows, coll. « Synopsis », Nathan, 1995.
Costa Fabienne, « Sur les pas de Lilian Gish », in Cinémathèque no 17,
printemps 2000.
Didi-Huberman Georges et Mannoni Laurent, Mouvements de l’air,
Etienne-Jules Marey, photographe des fluides, Gallimard, 2004.
Faux Anne-Marie (dir.), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Conversations
en archipel, Cinémathèque française-Mazzotta, 1999.
Hasumi S., Yasujirô Ozu, coll. « Auteurs », Cahiers du cinéma, 1998.
Leutrat Jean-Louis, Des traces qui nous ressemblent, coll. « Spello »,
Comp’Act, 1990.
Mannoni Laurent, Étienne-Jules Marey : la mémoire de
l’œil, Cinémathèque française/Mazzotta, 1999.
Nancy Jean-Luc, L’Évidence du film. Abbas Kiarostami, Gevaert, Bruxelles,
2001.
Païni Dominique, Rencontres avec Jean-Marie Straub et Danièle Huillet,
Limelight-École régionale des Beaux-Arts du Mans, Strasbourg-Le Mans,
1995.
Véray L. (dir.) Abel Gance, nouveaux regards, 1895, no 31, AFRHC, 2000.
Théorie et philosophie de l’art
A
advective (force) 185
Alle otto. Solito posto
176
Anticipation of the Night 202-204
ANTONIONI Michelangelo 32, 61-63, 65, 106, 170
ARNOLD Martin 43
À travers l’orage 202
Auberge du dragon (L’) 154
Au début 163
Au hasard Balthazar 60
AUMONT Jacques 13, 23, 111, N2, N3, N26, N48, N59, N63, N67
B
Baisers de secours 109
balistique 7, 37, 39, 83, 97, 139, 209
Belle ensorceleuse (La) 55
bielle 43
Blow Up 62
Blow Out 54, 65
BRAKHAGE Stan 169, 180, 183, 202, 204
BRENEZ N. 43, 87, N43
BRESSON R. 61
BRESSON Robert 13-14, 53, 60, 69, 83, 99, 108, 117, 143, 146
BURGIN Victor 170, 175
C
calorique 8
CARNOT Leonard Sadi 8
Carrie 39, 69, 75, 81, 83-84, 86-87, 89-92, 94-98, 135, 158-159,
178
catastrophes (théorie des) 19, 77, 134, 210, N25, N38, N42, N64
Cézanne 111
chaleur 7-8, 28-29, 88, 94, 123, 135
champ magnétique 77, 80-81, 84, 124
Chaos 1 90
CHAPLIN C. 54 Char 91
cinématique 36, 132
cinétique des fluides
138
circulation 22, 28-29, 37, 49-50, 68, 73, 76, 79, 81, 102, 106,
115, 125-126, 132, 135, 142, 145-146, 151, 154-156, 158-159, 162,
185,
187, 207, N19 Citizen
Kane 177
CLAIR R. 55, 167
Clock Cleaners 75, N10
Close-up 36-37 collage 30,
51, 57, 68, 209
compresseur 39, 98
condensation 81, 144
Conquête de l’Ouest 160
contamination 76, 157, 159, 169, N4, N19
courroie 89, 91, 93, 97-98
Cours des choses (Le) 132, 138, 141, 200
Crossroads 42
Cyclograveur 89
Cyclop (Le) 90
D
DANEY S. 28, 212, N56
DE PALMA B. 39, 54, 66-67, 75, 81, 90, 98, 158-159
degré de liberté 14, 22, 27, 51, 68-70, 75, 80, 83, 98-99, 188
DES PALLIERES A. 167
Designs on Jerry 132 DICKINSON
T. 55
diffusion 9, 153, 159-160, 165, 167, 215
discret 209-210
DISNEY W. 75, 84, 139-141 Dissecting
Machine 89
dissolution 59, 138, 147, 177, 193, 196
Don’t Look Now 157
Donald and Pluto 75, 81, 135 DREYER
C. T. 185
E
Éclipse (L’) 170
EISENSTEIN S.M. 4, 8, 14-15, 19, 24, 31, 35, 40, 42, 83, 98, 115,
139-141, 143, 162, 166, 168-169, 184, 195-198, 207, 211, N5, N18,
N21
électromagnétique 176
EMPEDOCLE 140
energeia 7, 31, 185
énergie 6-10, 13-14, 17, 19-22, 24-29, 31-33, 37-39, 42, 48-49,
52, 59-60, 68-70, 75-77, 79, 81, 83-84, 86, 88, 90-91, 96, 98-104, 106,
109-111, 113, 115, 121, 124, 126-127, 131-132, 134-143, 145,
147, 153-156, 162-163, 176, 178-180, 184, 192, 195, 200, 202, 205-
207,
209-215, N1, N19
Enfer 91
engramme 38, 147, 207
entropie 8, 69, 88, 115, 135, 188, 194, 198
EPSTEIN J. 8, 14, 22, 24, 35, 47-48, 87, 100-101, 108, 115-116, 119,
137, 141-142, 144, 150, 162, 171, 184, 192, 196, 199, 202-203,
207, 211, N2, N14, N62
Eurêka 90-91, 95, 98
Évangile selon Saint Mathieu (L') 120
excentrique 96
explosion 14-15, 31, 33, 35, 39, 86, 88, 98, 109, 112, 196-198, N26
F
FELLINI Federico 73, 98 FISCHLI P.
132, 136-141
flow 31, 214
fluide 7-8, 25, 44, 48, 63, 91, 114, 126-127, 135, 137, 140-141, 143,
146-147, 150-152, 154, 156, 158, 160, 162-163, 165, 167, 176, 184-
186, 191-193, 196, 198, 204-205, 214 flux 29, 79, 83, 102, 118, 125-
126, 131, 137, 141, 145, 147, 151, 156-157, 160, 165, 167, 170-171,
183, 187, 190, 206-207, 211, 213-
214, N19 force 6-8, 11, 13-16, 18, 21, 26-28, 31-32, 35-36, 39, 48, 51,
54, 6061, 67, 76-77, 80-81, 83, 91, 97, 100, 104, 109-110, 114, 123,
127, 131-132, 135-136, 138, 141-143, 145, 151, 155-156, 160, 162-
163,
165, 176, 178-181, 184-187, 195-197, 204, 210, 212-213, N8
Fury 39
fusion 59, 9l4, 137, 167, 198
G
GARREL P. 105
Gaslight 55
GIANIKIAN Y. 38, 144
Ginger et Fred 73
GITAI A. 117
Glace à trois faces (La) 116
GODARD J.-L. 13, 32, 87, 118-119, 125, 167
GOLDBERG R. 132
gond plastique 65, 72-73
GONDRY M. 53-54
Goût du saké (Le) 57, 71, 123-124, 126
gravité 134
Grève (La) 42
GRIFFITH D.W. 42, 202 guidage
49, 68, 79
H
H2O 205
Habitants (Les) 163, 167
Hana-Bi 35
HANOUN M. 70, 111
HELLMAN M. 39
HERACLITE 139, 143, 206, 211
Histoire(s) du cinéma 87, 143, N24
HITCHCOCK A. 39, 53, 65, 87, 184
Homage to New York 92
Home Stories 43
Hommes, Années, Vies 38
Hue, Chroma, Tint 213
HUILLET D. 107, 109-110
I
impetus 37, 109
Inconnu du Nord Express (L’) 53
intervalle 32, 35, 37, 60, 68, 98-105, 108-114, 116, 118-119, 123-
124, 178, 183, 215
Intolérance 42
J
jo-ha-kyu 187 jump-cut
32, 83, 91, 190
K
KIAROSTAMI A. 36-37
KITANO T. 35
KOULECHOV L. 40
Kristall 43 KUROSAWA K. 167-
169, N12
L
LAPLACE P.S. 7
LAVOISIER A. 7
Le vent nous emportera 36
LEE R. 154 liaison
complète 52, 55, 67
liaison démontable 65
liaison élastique 59
liaison non démontable 50, 52, 63, 65, 67-68
liaison rigide 52, 57, 67
Ligne générale (La) 15, 195
LUMIÈRE L. 26, 28-29, 31-32, 145, 211-212 LYE L.
166-167, 170
M
Madame de... 59, 70, 154
Made in USA 118-119
MAREY E.-J. 9, 26, 31, 162-163, 201
matière 7-8, 10, 24-26, 35, 57, 77, 101-102, 117, 121, 127, 131-132,
137-145, 147, 151, 162-163, 176-177, 179, 191-192, 194-199, 202-
207, 209, 214, N31 matière-
énergie 138
mécanique des fluides 10, 30, 126, 131, 144, 147, 190, 200
mécanique des solides 10, 12, 16, 27, 44, 47, 75, 127, 131, 135,
152,
200 méta-matic 92 Méta-
mécanique 88-89 mickey-
mousing 56 Miroir (Le) 146
miscibilité 156, 160, 165, 168
Moïse et Aaron 109, 111, N5
Mon oncle d’Amérique 67
montage alterné 12, 40, 65, 79, 86, 106, 157-158, 165, 209
montage parallèle 42, 209
moteur 37, 48-49, 62, 76, 89, 91-94, 192, N26
MULLER M. 43
N
NARUSE M. 36, 125
Nuit (La) 61, 106, 174
Nuit du chasseur (La) 212
O
Octobre 169
Oiseaux (Les) 39
ondes 7, 10, 14, 24, 126, 140, 166, 176, 201-202, N3
OPHULS M. 59, 70, 154
Ordet 185
Othon 107
OZU Y. 56-57, 70-73, 124-125
P
PASOLINI P.P. 107, 120, N29
PELECHIAN A. 14, 24, 31, 162-163, 189-191, 194, 210, N70
Pièce touchée 43, 49 pillow
shot 121, 125 piston 43, 79,
89, N19 pivot 65, 72, 120
plasma 131, 137, 139-140
plasmaticité 139-141, 206-
207 Play 43 polarisation 76,
210 polariser 6, 147 Politics
of Perception 42 POLLET J.-D.
167 pompe 10, 39 prégnance
14, 51
pression 15, 22, 28, 31-32, 35, 61, 77, 86, 88, 97, 114, 131, 141,
144-147, 150-151, 160, 162, 165, 169, 186-187, 196, 198, 213
principe d’incertitude 162 Pulsion 159, 167
R
raccord à 180° 57, 62, 84, 87, 97, 120
raccord dans l’axe 39, 54-55, 66, 83, 98, 124, 173-174, 178
Raccord dans le mouvement
173 raccord de mouvement 56
raccord de regard 62, 94, 125
Rameau’s Nephew 193, 199
rasoir d’Occam 18
réductionnisme 207 relativité
14, 25, 100-101, 190 RESNAIS A.
67
ressort 35, 59, 148
rhein 145, 186
rhéologie 137, 144,
146
RICARD M. N25
RICCI LUCCHI A. 38, 144
ROEG N. 157
ROHMER E. 105
Rome ville ouverte 186
ruptilité 87, 116
S
Sacrifice 31
saillance 106, 118, 156, 169, 181
Saisons 163, 189, 194, 199
Sicilia ! 109-110
Sifflement de Kotan (Le) 36
Sisters 158-159
SNOW M. 193-194, 213-215 Soif
du mal (La) 31
solide 14, 24, 51, 68, 80, 132, 135, 162, 184, 203, N21
Sonate en la majeur 104-105
Sorcières ou Blanche neige et les sept nains 89
soudage 59, 68, 80 soupape 86, 97
split-screen 6, 35, 53-54, 61, 69, 81, 84, 86-87, 90, 96-97, 158-160,
215
Stalker 114
statique 37, 53, 110
STEINER R. 162, 205, N2
STENGERS I. 16, 18, N36
STRAUB J.-M. 107-110
Sugar Water 53
T
tameru 110
TARKOVSKI A. 8, 14, 24, 31, 114, 145-147, 150, N69
tension 15, 35, 38, 42, 54, 59, 61, 80-81, 83-84, 86-87, 95, 97-98,
109-113, 119-120, 167-169, 181, 186-187, 197, 211
tension interfaciale 160, 165, 167
Terre en transe 180, 184
The Shooting 39
thermodynamique 7-8, 10, 14, 24, 29, 88, 194, 198
THOM R. 10-11, 13, 16-17, 19, 22, 50, 102-103, 210, N1, N64
THUAN T.X. 18, 171, 199, N16
TINGUELY J. 24, 49-50, 88-92, 94-95, 98, 132, 135, N2 torseur
96
travail 7-8, 11, 21-22, 28-29, 38, 51, 68, 73, 79, 88, 110, 123-124,
135, 147, 150-151, 156, 159-160, 162, 169, 178, 188, 210
turbulence 127, 188-190, 192-193, 203
U
Une femme mariée 125
Un espion a disparu 57
V
Vaine Illusion 167
VAN DER KEUKEN J. 13, 150
Vertigo 59
VERTOV D. 12, 25, 31, 37, 83, 101, 109, N3
VEYRE G. 29
Vide 24, 98-99, 102-105, 108, 112-116, 119-120, 126, 131
vide quantique 101, 124
VINCI Léonard 14, 150, 191, 194
viscosité 144, 151, 169, 189, 195
VON MAYER J.R. 8
Voyage à Tokyo 56-57
W
WEISS D. 132, 136-141, 220 WELLES
O. 31, 176-177
Y
Yeux de l’araignée 168
Z
Zabriskie Point 32-33, 42, 62, 87, 184
Table of Contents
Page de titre
Copyright
Table
Remerciements
Introduction
Une théorie énergétique du montage Qu’est-
ce que l’énergie ?
Question d’intuition
Question de modélisation
Question d’analogie
Question de méthodologie : théorie
explicative ou descriptive
Question de vérification et de pertinence
Question de corpus
Introduction à l’énergie du plan
Montage en puissance dans le plan
Le plan et la coupe
Introduction à l’énergie mécanique du montage
Roue
Roulement
Rouage
Partie I Analyse des forces Questions de liaison et d’articulation
1. Modèle de la mécanique classique des solides
Mise en garde
Mise au point
Liaisons mécaniques : types et fonctions
Degrés de liberté
2. Chambres d’expérimentation Mécanique débridée
Donald and Pluto
Carrie au bal du diable
Les Méta-mécaniques de Jean Tinguely
3. Énergie de l’intervalle Poétique du Vide
Modification du régime énergétique
Intervalle/intermittence
Limite versus bord du
plan
Énergie dans le temps/ Énergie
dans l’espace
Indétermination et
mutabilité temporelle
Partie II Poétique des fluides Questions d’écoulement et de transmutation
1. Appréhender les fluides
La matière demeure, et la forme se perd
Le cours des fluides
Suspense
Transfusion
Sortilèges du feu
Transmutation (Alchimie du cinéma)
Instabilité
Transition de phase
Rhéologie
Pression du temps
Fluides filmiques
2. Figures d’écoulement et de diffusion
Hydrodynamique
Vases communicants
Densité du flux
Questions de diffusion
Ondes en phases
Tension interfaciale
Interroger l’écoulement temporel
Caprices du montage / Décharges d’énergie
Traversée de la matière
La carotte de Carrie
Orages électriques
L’acteur comme fluide
Corps conducteurs
Débonder les plans
Turbulence
Attracteur étrange
Forme transitionnelle
Seuil
d’écoulement/saltation
3. Montage plasmateur
Géométrie de l’instable
Inquiétude du regard
Matière-énergie
Conclusion
Bibliographie
Liste des abréviations
Index