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DOCTRINE
La nécessaire liberté
d’action du chef
ETRANGER
Les opérations de stabilisation
et de reconstruction
LIBRES RÉFLEXIONS
La fin justifie-t-elle
tous les moyens ?
L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE
DES FORCES TERRESTRES
Diffusion :
Etranger
bureau courrier du CDEF Les opérations extérieures de la Bundeswehr,
à la lumière du droit international et du droit constitutionnel p. 24
Impression : Section Conception Le problème de la sécurité publique dans les missions actuelles de maintien
de la paix et ses implications pour les interfaces police-militaires p. 28
Impression du CDEF
Tirage : 2 000 exemplaires Les lois de la guerre en situation non conventionnelle p. 31
Dépôt légal : à parution La protection juridique des militaires espagnols en opération p. 34
ISSN : 1293-2671 - Tous droits
Les opérations de stabilisation et de reconstruction p. 38
de reproduction réservés.
Catherine BERGEAL,
Maitre des requêtes au Conseil d’Etat
Directrice des affaires juridiques
forces peuvent être amenés à vent un large écho dans les Au-delà des débats parfois nombre de mises en cause
assumer (Officier de police médias ou si l’un des belligé- complexes des spécialistes sur judiciaires de militaires fran-
judiciaire des forces armées rants en présence sur le le statut des ROE dans le çais pour les actions qu’ils ont
servant dans les prévôtés, théâtre souhaite les exploiter champ du droit international ordonnées ou exécutées res-
“ gendarme mobile en main- à des fins politiques. Il n’est ou national et sur la possibili- te faible.
tien de l’ordre ” 2 ou policier bien sûr pas question ici de té de l’élaboration ou non d’un
international) ne leur facilite contester les procédures cadre juridique adapté à Les craintes ressenties par cer-
pas toujours la compréhension pénales applicables dans les chaque opération et approu- tains d’entre eux viennent sou-
du contexte de l’action des cas avérés de crimes, exac- vé par le Parlement 4, les vent de leur méconnaissance
forces terrestres, qui reste bien tions ou violations manifestes juristes doivent donc proposer des textes devant guider leur
sûr avant tout militaire avec ce du droit des conflits armés, aux autorités civiles et mili- action, à savoir la doctrine
que cela suppose de recours toujours possibles hélas, taires des solutions simples d’emploi des forces 5, déclinée
à la force et à l’usage des même dans les armées des aux problèmes que rencon- ensuite dans les doctrines des
armes ; il peut en particulier vieilles démocraties, mais de trent les militaires de leur pays différentes armées, le TTA 901
provoquer chez certains subor- s’interroger sur celles qu’on sur le terrain. - Forces terrestres en opéra-
donnés du prévôt une mau- pourrait lancer pour des faits Une première réponse aux tion- pour les forces terrestres,
vaise appréciation de leur mis- survenus lors de combats ou interrogations ou aux inquié- les documents d’emploi qui en
sion, qui peut les conduire à incidents graves.3 tudes des militaires existe découlent, du niveau des
trop se raccrocher à des pro- pourtant d’ores et déjà. grandes unités à ceux des cel-
cédures inadaptées à la situa- lules de base des formations,
tion des unités sur le terrain. Il est donc impératif de dispo- LA PREMIÈRE RÉPONSE RESTE et bien sûr les procédures opé-
ser pour chaque opération L’APPLICATION DE LA DOCTRINE rationnelles.
Une mauvaise cohérence d’en- d’un cadre juridique clair, mais D’EMPLOI DES FORCES QUI FIXE Les documents de doctrine, qui
semble des actions des forces surtout de mettre en cohéren- DES RÈGLES D’ACTION CLAIRES ne sont pas des textes à carac-
armées, due à une compré- ce parfaite le droit appliqué, À NOS UNITÉS ET PRÉSERVE tère réglementaire6, décrivent
hension différente de l’esprit les directives politiques, les LA LIBERTÉ D’ACTION d’une façon très complète le
de la mission ou simplement règles d’engagement (ROE), NÉCESSAIRE DES CHEFS. “ Comment ? ” de l’action, avec
parfois à des problèmes de approuvées, il faut le rappeler, des modes d’action, des orga-
relations humaines, peut alors par les autorités politiques Les conditions d’application nisations du commandement
conduire à des incidents nationales, et les ordres et du droit sur les théâtres d’opé- et des formations possibles,
débouchant sur des procé- consignes donnés aux diffé- rations extérieurs peuvent par- mais ils ne sauraient bien sûr
dures pénales, surtout si les rents niveaux de commande- fois inquiéter certains chefs et remplacer les directives, les
événements concernés reçoi- ment. exécutants. Pourtant, le ordres, les consignes que doit
En conclusion,
pour disposer de sa nécessaire liberté d’action, le chef militaire doit donc d’abord et surtout bien connaître les règles
d’emploi de son unité, le long processus d’élaboration des décisions qui l’ont amené sur le terrain, les ordres et les
règles d’engagement et de comportement qui bornent son champ d’action, mais dont il pourra demander l’aménage-
ment. Il doit aussi savoir donner une liberté semblable à ses subordonnés, membres comme lui d’une vieille armée dans
laquelle l’initiative, la participation, le respect des valeurs et la maîtrise permanente de la force ne sont pas de simples
concepts intellectuels. Mais il saura aussi, s’il le faut, sanctionner tout manquement et provoquer l’action de la justice.
ette reconnaissance juridique ne distingue pas pour autant l’action en opérations extérieures
C comme une action au caractère exorbitant du droit commun : au contraire, les militaires “ sont
soumis à la loi pénale du droit commun ainsi qu’aux dispositions du code de justice militaire ”
(article 27 du statut). A titre professionnel, ils bénéficient d’une couverture des risques et d’un droit
à réparation (articles 20, 58, 59 et 60 du statut) pour les infirmités constatées “ par le fait ou à
l’occasion du service ” (articles L2 et L3 du code des pensions militaires d’invalidité).
PAR LE COLONEL GUILLAUME DE CHERGÉ, CONSEILLER JURIDIQUE DE LA RÉGION TERRE SUD - OUEST
Inadéquation de la recon- - l’assimilation du recours à la dans la procédure judiciaire ordre, il bénéficie désormais
force au cas de légitime défen- lorsque le militaire est convo- d’une qualification juridique
naissance juridique aux
se pour soi ou pour autrui ; qué en tant que témoin de faits positive de son action, dans
réalités des OPEX - la faute professionnelle com- incriminés. Cette procédure fait son prolongement pénal et
mise par imprudence ou abs- abstraction du lien statutaire dans son rattachement au
La reconnaissance juridique tention, notamment en cas pour retenir une qualification service.
apportée par le statut n’est d’urgence ou de non-assis- pénale de l’action menée.
donc pas adaptée à la réalité tance à personne en danger ; La justification pénale de l’ac-
ambiguë des opérations exté- - l’évaluation des dommages tion de force par le militaire tient
rieures. En effet, les opérations subis ou causés au regard du Élargissement du concept au principe de nécessité : “ n’est
extérieures ne sont pas des lien avec le service ; pas pénalement responsable
opérations de guerre mais le - la possibilité toujours en sus- de la légitime défense au le militaire qui, dans le respect
moyen, le plus fréquemment, pens de l’ouverture d’une cadre de la mission des règles du droit internatio-
de mettre un terme à un conflit information judiciaire contre nal et dans le cadre d’une opé-
armé ne présentant pas un un militaire sur dénonciation. La révision du statut général ration militaire se déroulant à
caractère international, sans des militaires, telle qu’elle l’extérieur du territoire français,
que la force projetée soit par- Ainsi, le caractère personnel de apparaît à l’état de projet1, exerce des mesures de coerci-
tie au conflit. Le militaire est l’action du militaire détermine conserve le principe de l’indi- tion ou fait usage de la force
donc exposé à des risques le degré de responsabilité : le vidualité du militaire en opé- armée lorsque cela est néces-
exceptionnels. militaire bénéficie de la pro- rations extérieures. Elle a, tou- saire à l’accomplissement de la
tection de l’Etat dès lors qu’il tefois, pour but de développer mission ”2. Ce principe de
La méconnaissance juridique “ fait l’objet de poursuites les garanties statutaires (article nécessité se fonde logiquement
de ces risques a pour effet une pénales à l’occasion de faits 1 er du statut) en conformité sur un triple critère :
banalisation du régime de res- qui n’ont pas le caractère d’une avec les principes généraux du
ponsabilité en opérations exté- faute personnelle ” (article 24 droit. Si le militaire ne peut pré- - la proportionnalité des
rieures, dans des domaines du statut). Ce caractère per- tendre à une immunité du fait moyens engagés rapportée
caractérisés : sonnel apparaît également qu’il agit en opérations et sur à la réalité du danger ;
Le cadre juridique peut être déclarée sans un vote soutint le gouvernement. En Constitution) et du Premier
de l’Assemblée nationale et 1939, après l’envahissement de ministre “ responsable de la
interne des opérations l’avis préalable du Conseil de la Pologne par les troupes alle- défense nationale ” (article 21).
extérieures la République ”. Un tel pouvoir mandes, le Parlement français Ces dispositions ont souvent
du Parlement est la traduction vota l’augmentation des crédits trouvé à s’appliquer sous la Ve
La Constitution du 4 octobre du principe démocratique selon militaires et le Gouvernement République, lorsque la France
1958 fixe avec précision les pré- lequel, en République, le pou- notifia à l’Allemagne son obli- a appliqué les dispositions
rogatives des pouvoirs exécu- voir de déclarer la guerre relè- gation de faire jouer l’accord d’accords de défense bilaté-
tif et législatif en matière mili- ve de la représentation natio- bilatéral franco-polonais. Ainsi, raux, notamment avec des
taire. Elle prévoit un régime nale. Il en va de même dans les tant en 1914 qu’en 1939, le États d’Afrique, ou lorsqu’elle
particulier pour la déclaration autres démocraties. Parlement fut étroitement asso- a agi en application de réso-
de guerre, que le Parlement doit cié au déclenchement des hos- lutions du Conseil de sécurité
autoriser, et renvoie, pour Ainsi, aux États-Unis tilités, même si les guerres ne des Nations unies. Ainsi le
toutes les autres opérations d’Amérique, c’est le Congrès furent pas, compte tenu des cir- Parlement n’a pas eu à inter-
extérieures, aux compétences qui a le pouvoir de “ déclarer la constances internationales, venir pour autoriser les opé-
de droit commun de l’exécutif. guerre ” (article premier, sec- expressément déclarées. rations au Zaïre (19 mai 1978)
tion VIII de la Constitution amé- ou au Tchad (9 août 1983).
D’une part, en application de ricaine). Le Parlement n’a, bien sûr, pas L’Assemblée nationale a cepen-
l’article 35 de la Constitution, eu, sous la Ve République, à dant eu l’occasion d’en
“ la déclaration de guerre est Cette disposition sur la décla- faire usage des pouvoirs confé- connaître, lors d’une déclara-
autorisée par le Parlement ”. ration de guerre n’a pas trouvé rés par l’article 35. Dans une tion du Gouvernement sur sa
C’est là la reprise d’une tradi- à s’appliquer exactement lors telle hypothèse, l’autorisation politique étrangère et du débat
tion républicaine ancienne des deux premiers conflits mon- du Parlement précéderait la sur cette déclaration (respec-
qu’on retrouvait déjà sous la diaux, même si, à chaque fois, déclaration de guerre qui relè- tivement les 8 juin 1978 et 6
IIIe et la IVe Républiques. Ainsi, le Parlement fut étroitement ve de l’exécutif. Hormis ce cas octobre 1983). Ces débats
l’article 9 de la loi du 16 juillet associé au déclenchement du de la déclaration de guerre, les n’ont jamais été suivis de vote.
1875 disposait que “ le prési- conflit. En 1914, après qu’un dispositions constitutionnelles
dent de la République ne peut décret de mobilisation eut été ne donnent pas de compéten- En 1991, les opérations dans
déclarer la guerre sans l’as- lancé en France, l’Allemagne se ce au Parlement dans le le golfe arabo-persique ont, en
sentiment préalable des deux considéra en état de guerre déclenchement, la conduite et revanche, conduit à un vote du
chambres ”. avec la France. La France ainsi la cessation des opérations Parlement, sur la base de l’ar-
attaquée, un vote déclarant la extérieures de forces armées. ticle 49, alinéa 1 (engagement
De même, l’article 7 de la guerre à l’Allemagne n’avait pas Celles-ci relèvent du président de la responsabilité du
Constitution du 27 octobre 1946 lieu d’être, mais le Parlement de la République “ chef des Gouvernement) pour
disposait que “ la guerre ne fut immédiatement réuni et armées ” (article 5 de la l’Assemblée nationale et de
Il sera admis qu’une OPEX est une opération à caractère humanitaire qui ne peut être conduite
qu’après un rétablissement (ou établissement) d’un minimum d’ordre public permettant des
conditions de vie acceptables pour la population. Ceci étant souvent compliqué par l’obligation
de séparer - ou faire cohabiter - des populations dont l’amour ou le respect du voisin n’est pas
le souci principal.
L’action des militaires s’inscrit dans un contexte de crise, d’intensité variable (les niveaux
d’intensité pouvant évoluer très rapidement). L’emploi de la force armée ne peut être exclu ;
dans cette éventualité le militaire français est-il juridiquement suffisamment protégé ?
Protégé oui ; suffisamment, non. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’arriver à une situation
d’impunité. La situation actuelle peut néanmoins être améliorée, tout en laissant au juge pénal
la plénitude de ses attributions.
PAR LE COMMISSAIRE - COLONEL GILLES BERNARD, DE LA CELLULE DES AFFAIRES JURIDIQUES DE L’EMAT
La Paix est œuvre de justice mais elle est aussi œuvre de force.
Aussi devons-nous nous intéresser dans un premier temps à ce que recouvre la notion même de droit dans
la guerre, puis ensuite nous nous intéresserons aux principes fondamentaux de ce droit.
En réalité, malgré les nombreuses violations graves, on ne saurait ignorer qu’il contribue aussi et malgré tout à épargner
d’innombrables vies, soit parce que les normes qu’il défend ont été assimilées et acceptées, soit encore par intérêt
réciproque, soit enfin par crainte de sanctions ou de l’opprobre internationales.
Mais pour que le droit des conflits armés soit respecté, les États doivent tout d’abord s’employer à devenir parties aux
traités existants et à exécuter les obligations prescrites.
Ensuite, pour que le droit des conflits armés soit connu de tous ceux qui auront à l’appliquer et qu’il soit intégré dans les
systèmes législatifs nationaux, il faut que les États prennent un ensemble de mesures ou dispositions.
Si donc la force est nécessaire, “ elle est nécessairement maîtrisée, c’est-à-dire soucieuse d’épargner les populations
civiles et respectueuse de l’adversaire... Nombreux sont ceux qui pourraient penser que le droit dans la guerre serait de
l’ordre du discours quand l’action, elle, s’inscrirait dans des réalités concrètes d’inspiration bien différente. C’est là une
conception dangereuse et criminelle ”. 19
Le droit dans la guerre ou le principe de la force maîtrisée, s’impose donc à nous de toute nécessité ; à ce titre, il doit irri-
guer notre réflexion, notre formation, notre préparation opérationnelle et nos engagements.
PAR LE COMMISSAIRE EN CHEF DE DEUXIÈME CLASSE FRANÇOIS MARTINEAU,* DE LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
Que sont les règles voir ou non faire usage de la aussi toute mesure conduisant D’où viennent-elles ?
force, ou effectuer des actions à restreindre les libertés indi- Il s’agit d’une notion issue de
d’engagement ?
qui pourraient passer pour des viduelles ainsi que les actions l’U.S. Navy, au milieu des
Le glossaire interarmées des provocations. ” ou mesures qui peuvent être années cinquante3. Pourquoi
termes et expressions relatifs perçues comme agressives ou cette origine navale ? Pendant
à l’emploi opérationnel des Nous voilà donc en présence provocantes par un adversaire la Guerre Froide, les bâtiments
forces les définit comme des de deux définitions : ouvertu- potentiel. Ces définitions ont de l’U.S. Navy pouvaient, en
“ Directives provenant d’une re du feu dans un cas, usage de en commun d’avoir été adop- haute mer, se trouver confron-
autorité militaire compétente la force, entendue de manière tées depuis moins de 5 ans. tés à des actions de harcèle-
et précisant les circonstances plus large, dans un autre. Ces Elles reflètent l’évolution des ment des navires du Pacte de
et les limites dans lesquelles définitions sont le reflet de leur missions confiées aux militaires Varsovie4. Il était donc néces-
les forces pourront ouvrir le époque. L’actuelle définition dans le cadre des opérations saire de donner aux comman-
feu ou poursuivre le combat. ” française est issue de celle de de soutien de la paix, militaires dants des directives permettant
Pourtant, un autre texte sou- l’AAP-6 (glossaire de l’OTAN), auxquels on demande de plus de maîtriser les risques d’es-
vent mis en œuvre par les adoptée en 1973, elle-même en plus souvent de se substi- calade lors d’éventuelles
armées françaises, le MC 362 inspirée de la définition améri- tuer aux forces de police ce qui confrontations avec les
de l’OTAN 1, les définit de caine de 1967, toutes défini- les conduit, par exemple, à pro- escadres adverses. La notion
manière légèrement différen- tions datant de l’époque de la céder à des contrôles d’identi- sera ensuite utilisée, au début
te : “ Les ROE sont des direc- guerre froide. La définition du té, à détenir des individus ou des années soixante, par les
tives adressées aux forces mili- MC 362 ainsi que d’autres, arrêter des criminels de guer- éléments de l’U.S. Air Force sta-
taires (individus inclus) qui récemment adoptées2, révèle re. C’est la raison pour laquel- tionnés en Corée du Sud, puis
définissent les circonstances, une conception plus large : le l’état-major des armées ensuite par l’U.S. Army.
les conditions, le degré et la l’usage de la force comprend (EMA) a estimé nécessaire de
manière à respecter pour pou- l’usage des armes mais intègre faire évoluer, pour se rappro- A quoi servent-elles ?
cher des définitions les plus
récemment adoptées, la défi- Les règles d’engagement ont
nition des règles d’engagement pour objet de permettre à l’au-
qui figurera prochainement torité civile ou militaire de
dans la Doctrine interarmées contrôler l’emploi de la force
sur l’usage de la force en opé- aux différents échelons du
ration extérieure, fruit d’un tra- commandement ; et ce, en
vail commun entre l’EMA, les fonction des limitations qu’im-
ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre
PAR LE COMMISSAIRE LIEUTENANT-COLONEL P. JABOT, CONSEILLER JURIDIQUE DU COMMANDANT DE LA FORCE D’ACTION TERRESTRE
Le rôle de l’autorité cice de ses fonctions acquiert Cette obligation d’information des O.P.J.F.A. dans ce type d’ac-
la connaissance d’un crime ou ne doit pas être confondue tion ne s’impose pas mais elle
militaire en matière d’un délit est tenue d’en don- avec la dénonciation ou l’avis peut favoriser, par l’établisse-
pénale ner avis sans délai au procu- du ministre et des autorités ment de procès verbaux d’au-
D’une manière générale, l’au- reur de la République et de habilitées prévus par l’article ditions et de constatations, la
torité militaire a la possibilité transmettre à ce magistrat tous 698-1 du CPP qui permet aux protection des intérêts du mili-
de prendre à sa charge l’infor- les renseignements...qui y sont autorités militaires de requé- taire qui serait mis en cause
mation du procureur de la relatifs ”. C’est en application rir directement l’intervention par une victime de manière
République. Elle dispose, dans de cet article que l’autorité de la gendarmerie aux fins injustifiée. L’autorité militaire
ce cadre, d’un certain pouvoir militaire est tenue d’informer d’enquêter, dans le cadre par doit aussi apprécier l’acte.
d’appréciation. le ministère public de tous les exemple d’un vol commis dans
crimes ou délits dont elle un établissement militaire.
acquiert la connaissance 1. Le pouvoir d’appréciation de
L’information du procureur par L’autorité militaire informe L’autorité militaire a donc l’acte par l’autorité militaire
l’autorité militaire donc le procureur de la l’obligation d’informer le pro-
République soit directement, cureur des actes préjudi- Le Conseil d’Etat le 27 octobre
L’article 40 alinéa 2 du Code soit par l’intermédiaire d’un ciables, notamment ceux qui 19992 a considéré que l’auto-
de Procédure Pénale (CPP) O.P.J.F.A. Cette information auraient pu être constatés lors rité administrative n’est tenue
précise que “ toute autorité n’est soumise à aucune règle d’une action de la Force. En d’aviser le ministère public que
constituée (...) qui, dans l’exer- de forme. conséquence, la présence “ des faits dont elle a connais-
sance dans l’exercice de ses Quelle sera alors la sanction ? Une intervention justifiée mandement sera évidemment
attributions, si ces faits lui Il existe quelques dispositions par les textes déterminant.
paraissent suffisamment éta- spécifiques qui constituent des Si une enquête est décidée, les
blis et si elle estime qu’ils por- délits comme par exemple la Les prévôts, ainsi que les offi- relations entre le ministère
tent une atteinte suffisamment dissimulation ou l’altération ciers, gradés et gendarmes pla- public et l’O.P.J.F.A. seront
caractérisée aux dispositions de tout indice d’un crime ou cés sous leurs ordres exercent directes. Quels seront alors les
dont elle a pour mission d’as- d’un délit3, la menace ou l’ac- la police judiciaire militaire éléments d’appréciation ?
surer l’application ”. L’autorité te d’intimidation en vue d’em- conformément aux disposi-
militaire n’est donc pas obli- pêcher le dépôt d’une plain- tions des articles 81 à 88 du - l’acte est-il couvert par la légi-
gée de se borner à transmettre te4, ou encore la subornation CJM et notamment l’article 82 time défense6 ?
immédiatement et de façon de témoin5. Ces cas sont tou- alinéa 4 du CJM qui précise que
automatique et aveugle toute tefois peu nombreux et stric- les OPJFA “ sont tenus, à - l’acte a-t-il été réalisé sous
information concernant un inci- tement délimités. l’égard du procureur de la l’emprise de la nécessité afin
dent préjudiciable. Elle doit République, des obligations de sauvegarder une person-
exercer sa compétence en exa- Il apparaît donc que l’autorité prévues par l’article 19 du ne ou un bien gravement
minant l’affaire. Les faits doi- militaire est tout à fait en mesu- CPP ” qui lui-même souligne menacés7 qui inclut notam-
vent être suffisamment établis, re de juger de l’existence ou qu’ils “ sont tenus d’informer ment les personnes ou des
se rattacher au champ de sa non d’une infraction caractéri- sans délai le procureur de la biens disposant d’un statut
compétence et présenter à ses sée. Il ne s’agit évidemment pas République des crimes, délits spécial désigné dans les règles
yeux un caractère délictueux de dissimuler une infraction et contraventions dont ils ont d’engagement ?
ou criminel. Elle a donc un cer- pénale, mais elle n’a pas à connaissance ”.
tain pouvoir d’appréciation, et craindre de se tromper à partir - existe-t-il une cause d’irres-
peut décider qu’une action de du moment où elle estime que L’application de cet article leur ponsabilité, l’acte ayant été
force menée en conformité l’action a été légitime. impose donc d’informer sans “ prescrit ou autorisé par des
avec les ordres reçus ne pré- délai de toute infraction carac- dispositions législatives ou
sente pas un caractère délic- térisée. S’ils ne participent pas réglementaires ” ou “ com-
tueux ou criminel. Bien sûr, le La prise en compte de la à l’action militaire, c’est grâce mandé par l’autorité légitime,
cas échéant, l’autorité judi- à la collaboration avec l’auto- sauf si cet acte est manifes-
ciaire, qui aurait eu connais- légitimité de l’action rité militaire qu’ils vont pou- tement illégal ”8, autrement
sance des faits par ailleurs, par l’O.P.J.F.A. voir recueillir les renseigne- dit des ordres ont-ils été don-
peut toujours estimer qu’il y a L’intervention de l’O.P.J.F.A., qui ments susceptibles de les nés ?
en la circonstance un man- est justifiée par les textes, doit aider à apprécier l’acte. Dans C’est dans la réponse à ces
quement à l’obligation d’in- permettre de constater la légi- ce contexte, le type de rela- questions que l’action légitime
former. timité de l’action militaire. tions entretenues avec le com- doit trouver sa justification.
Conclusion
L’O.P.J.F.A. sur le théâtre n’a donc aucune raison d’être systématiquement impliqué dans les actions militaires conduites par les
forces dans l’exécution de leur mission ; l’autorité militaire doit jouer son rôle en matière pénale.
Mais il n’y a pas lieu non plus de rechercher à écarter systématiquement l’O.P.J.F.A. L’ établissement d’une relation confiante
entre les autorités militaires et judiciaires s’impose ; il ne doit pas y avoir de suspicion d’infraction dissimulée que l’autorité
judiciaire a la charge de traquer.
En ce sens, il appartient certainement au conseiller juridique du commandement sur le théâtre, en liaison avec le chef des pré-
vôts, de dissiper tous les malentendus et de veiller à ce que les rapports écrits soient empreints d’une certaine prudence pour
ne pas soulever d’inextricables querelles de principe alors qu’aucun incident grave n’est matérialisé.
PAR LE BARON OSKAR MATTHIAS VON LEPEL, CHEF DE LA SOUS-DIVISION “ DROIT INTERNATIONAL,
DROIT CONSTITUTIONNEL, DROIT MILITAIRE ET DISCIPLINE MILITAIRE
“ AU CENTRE DE FORMATION MORALE ET CIVIQUE DE LA BUNDESWEHR
Par le passé, le soldat allemand se voyait Cette procédure de légitimation repose une mission politique par des moyens mili-
en premier lieu comme un combattant mili- sur le principe du “ citoyen en uniforme ”. taires. Il faut à tout prix éviter qu’un usa-
taire qui devait faire ses preuves au sein Nous demandons à nos soldats d’obéir ge contre-productif de la force par certains
des forces armées pour permettre à l’Etat aux ordres tout en gardant un esprit cri- soldats ou le chef militaire lors de l’ac-
de s’affirmer. La légitimation de sa mission tique. Cependant, pour avoir un esprit cri- complissement de leur mission ne nuise
était évidente. Aujourd’hui, il doit se consi- tique, les soldats ont besoin de connaître à la réussite de l’opération.
dérer comme un instrument de la politique les principales raisons de leur engage-
actuelle. Il contribue, dans un nouveau ment ainsi que les principes de droit inter-
contexte de sécurité, à faire valoir des déci- national et constitutionnel sur lesquels Par conséquent, seules les mesures coer-
sions politiques à l’étranger. Il a du mal à repose leur mission. Pour les chefs mili- citives expressément autorisées peuvent
saisir le sens de sa mission s’il ne reçoit taires qui se trouvent face aux questions être appliquées. Contrairement aux conflits
aucune explication. Par conséquent, il doit de leurs subordonnés, cette nécessité armés classiques, le non-recours à la for-
être mis au courant des objectifs politiques représente un énorme défi. ce est la règle et l’emploi de la force l’ex-
poursuivis par l’intervention militaire à ception. Le droit applicable en opération
laquelle il participe. Les supérieurs des militaires engagés dans s’articule donc autour des questions sur-
des opérations doivent, par ailleurs, affron- gissant dans ce contexte.
En outre, il doit connaître la légitimation juri- ter d’autres questions ayant une implica-
dique qui justifie la poursuite des objectifs tion juridique. Il est, en effet, nécessaire Les deux aspects, le “ droit de mener des
par un engagement militaire. Cette légiti- d’expliquer aux soldats dans quelles condi- opérations ” d’une part et le “ droit appli-
mation lui donne la certitude d’agir sur des tions et sous quelle forme ils ont le droit cable en opération ” d’autre part, consti-
bases juridiques solides, en particulier lors- de recourir à la force. L’emploi de la force tuent des éléments essentiels de la for-
qu’il n’est pas complètement convaincu des dans le cadre d’une opération, y compris mation juridique dans le cadre de la
arguments politiques officiels. une opération extérieure, sert à imposer préparation opérationnelle.
Les bases juridiques vers l’adoption de résolutions par les- sentés au Conseil de sécurité ont fait
des opérations militaires quelles les Etats membres sont manda- confirmer par celui-ci la mise en oeuvre
tés pour une intervention militaire dans des stipulations du traité, négociées avec
des Etats étrangers. Les opérations exté- les belligérants et les Etats balkaniques
L’importance de la légitimation rieures de la Bundeswehr actuellement concernés, et obtenu que le non-respect
des opérations extérieures par en cours sont, elles aussi, basées sur de de ces accords soit sanctionné par des
le droit international telles résolutions. Elles légitiment dans le mesures coercitives conformément au cha-
cadre du droit international l’emploi de la pitre VII de la Charte des Nations unies. A
Le cadre fixé par le droit international pour force par des Etats indépendants. cet effet, a été adoptée la résolution 1088
l’engagement de forces armées à l’étran- L’Allemagne ne participe, par principe, du 12/12/1995. En ce qui concerne sa légi-
ger est défini à travers des normes d’in- qu’aux interventions militaires multina- timation au titre du droit international,
terdiction. La norme la plus importante tionales motivées par un mandat des l’engagement de la Bundeswehr dans le
est l’interdiction universelle de recourir à Nations unies. Des exceptions, comme cadre de la SFOR s’appuie donc sur deux
la force dans les relations internationales. nous les avons connues lors de la guerre éléments : le droit international coutumier
Les États sont tenus de régler leurs diffé- aérienne au Kosovo, nécessitent une légi- et le droit international conventionnel.
rends par des moyens pacifiques. Pour timation particulière de par le droit inter-
répondre à cette exigence de la Charte des national. Etant donné que la Bundeswehr partici-
Nations unies, les Etats membres ont pe à une opération militaire multinatio-
transféré leur prérogative de recourir à la En regardant la problématique de plus nale de l’OTAN, on lit parfois que l’enga-
force au système de sécurité collective près, on s’aperçoit qu’il manque encore gement de la SFOR relèverait également
des Nations unies. Ils ont confié la sau- des éléments à une explication complète d’un mandat de l’OTAN en vertu du droit
vegarde de la sécurité internationale au de la couverture des opérations de la international conventionnel. Ceci n’est pas
Conseil de sécurité. Lui seul est autorisé Bundeswehr par le droit international. En correct. Le mandat du Conseil de sécuri-
à infliger les sanctions nécessaires dans effet, les opérations de la Bundeswehr se té obtenu pour l’engagement de la SFOR
les cas d’une menace pour la paix, d’une basent également sur le droit internatio- par les États signataires des accords de
rupture de la paix ou d’une agression. Les nal conventionnel. Prenons comme paix de Dayton n’était pas adressé à
mesures coercitives qu’il impose confor- exemple l’engagement de la SFOR en l’OTAN, mais aux États membres des
mément au chapitre VII de la Charte des Bosnie-Herzégovine. Nations unies. Ce sont eux qui devaient
Nations unies ne sont pas considérées La mission de la SFOR, et précédemment assurer, grâce à leurs troupes, l’applica-
comme une guerre, mais comme des de l’IFOR, découle tout d’abord des dis- tion des accords de paix de Dayton. Ils ont
actions policières internationales réali- positions des accords de paix de Dayton. été chargés de prendre des mesures
sées à l’aide de moyens militaires. Elles décrivent les obligations des anciens appropriées pour accomplir, à l’aide et
belligérants de la guerre civile et la mis- dans le cadre de l’organisation mention-
La tâche du Conseil de sécurité qui consis- sion de la force de paix dont la mise en née en annexe 1-A, les tâches découlant
te à autoriser des Etats indépendants à place a été confiée à l’OTAN. Les Etats des accords de paix.
l’emploi de la force est accomplie à tra- signataires des accords de paix repré- Si, lors de l’élaboration de sa résolution,
Il n’y a là rien d’original. Le problème est - se concentrer sur “ l’état final ” plutôt LES EXIGENCES
au centre du rapport Brahimi pour les que sur “ la date finale ”.
Nations unies, est reconnu implicitement Le tissu social profond de toute société
dans les concepts stratégiques de l’OTAN Cependant, même en faisant ces obser- est étayé par un système légal et d’ordre
et a été confirmé dans les cinq principaux vations, il pourrait rester quelques hypo- public efficace. Cela exige tout d’abord de
enseignements qui ressortent de l’expé- thèses déplacées sur la capacité de la com- considérer la totalité du corpus légal et
rience de l’OTAN dans les Balkans, et qui munauté internationale à définir des d’ordre public en même temps. Pour qu’un
sont exprimés de la façon suivante : mandats et réunir les capacités qui seront système de sécurité fonctionne, il faut :
- distribuer les responsabilités clairement adaptées aux besoins sur le terrain, si l’on - un niveau plus général de sécurité au
et au plus tôt, considère une coopération, une planifi- sein duquel un système de sécurité
- assurer des liens proches entre la mis- cation et une coordination adéquates. En publique peut être mis en œuvre,
sion, le mandat et les capacités particulier, la communauté internationa-
- harmoniser les planifications civiles et le peut-elle couvrir tous les besoins suf- - un système légal applicable à la société
militaires et coordonner les actions civiles fisamment tôt dès le début de la crise ? en question,
et militaires Cette énigme s’applique particulièrement
- refermer “ l’écart de détention de l’au- aux questions de sécurité publique com- - la capacité de mener des investigations,
torité publique ” entre la police civile et me à l’interface entre les forces militaires d’arrêter, poursuivre en justice et sanc-
les forces armées, et de police. tionner les criminels.
Il continue d’exister une difficulté potentielle dans la capacité de la communauté internationale à rétablir un régime
efficace de sécurité publique dans le cadre d’opérations de maintien de la paix. Cela provient de l’absence de capacités
déployables immédiatement qui puissent être adaptées à une situation donnée. Le problème est encore renforcé par la
nécessité d’embrasser le spectre de l’ensemble des considérations de sécurité publique d’une manière globale. Cela
peut seulement être réalisé sous la direction d’une autorité civile adaptée et mandatée.
Souvent, en l’absence d’une telle solution, les forces armées se retrouvent impliquées dans les missions de sécurité
publique sans disposer du mandat adéquat non plus que de la préparation requise. Ces deux problèmes peuvent être
traités simultanément en reconnaissant que les forces armées peuvent contribuer plus avant à une sécurité publique
effective et durable sans rester derrière à jouer un rôle de soutien.
De plus, dans le cadre d’une telle approche, la mission recouvre un nombre considérable de composantes qui doivent
être traitées en priorité. Ces problématiques incluent l’examen :
- des exigences potentielles du champ d’intervention décrit ci-avant et des capacités de la communauté internationale à
les satisfaire grâce aux ressources civiles et de police,
- l’extension des capacités militaires potentielles,
- le suivi des implications pour les forces armées de la prise en compte d’une telle mission,
- les arrangements potentiels au niveau du commandement pour intégrer les capacités militaires avec les autorités civiles
et d’ordre public,
- les implications légales et politiques de ce qui précède.
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL VAN MARTIN, ADJOINT DU CHEF DE DÉTACHEMENT DES OFFICIERS DE L’ARMÉE DE TERRE AMÉRICAINE EN FRANCE
d’un conflit tout à fait conventionnel, on se à s’engager dans le conflit. Au cours d’un
Les propos tenus dans cet article
trouve confronté à des impératifs souvent conflit non conventionnel, nous sommes
n’engagent que leur auteur et ne
contradictoires et mutuellement incompa- fréquemment confrontés à des situations
reflètent pas nécessairement la position
tibles liés à la fois au jus in bello, le droit qui paraissent ignorer ou même rejeter en
officielle du Département de l’Armée de dans la guerre, et le jus ad bellum, le droit bloc les classifications traditionnelles qui
terre, ni du Département de la Défense,
ni du Gouvernement américain.
Palestiniens ont les mains libres. Il est per- tionnels aux yeux du droit international. Les conflits non conventionnels posent un
turbant de voir que l’on ne tend pas à obli- Au XXIe siècle, les guerres semblent desti- grave défi à l’ensemble de l’édifice juridique
ger leurs adversaires non conventionnels nées à opposer en premier lieu des Etats que constituent les lois de la guerre. C’était,
à appliquer les mêmes standards juri- à des organisations transnationales non bien sûr, vrai dans le passé, mais cela l’est
diques. étatiques. Quel est le statut d’Al Qaida vis- d’autant plus aujourd’hui alors que nous
à-vis du droit international et des lois de la entrons dans une période de notre histoi-
Un autre défi, peut-être insoluble, posé aux guerre ? Les membres des groupes sépa- re où conflits et acteurs non convention-
lois de la guerre par les conflits non conven- ratistes basques ou corses sont-ils proté- nels paraissent dominer le paysage des
tionnels est constitué par la confusion qui gés par les lois de la guerre ? Et l’IRA ? guerres. Ce défi met en évidence l’incapa-
règne à propos du statut légal des com- Nombreux sont les conflits non conven- cité criante du droit international et des lois
battants non conventionnels. La question tionnels qui prennent la forme de guerres de la guerre à “civiliser ” quelque peu les
est de savoir s’il s’agit de combattants, tels civiles ce qui amplifie d’autant la confusion conflits modernes. Bien sûr cette faibles-
que définis par les lois de la guerre, ou sim- juridique qui les entoure. Le conflit devra- se n’est pas nouvelle. Durant la Guerre froi-
plement de criminels ? La complexité des t-il tomber sous le coup du droit criminel de, la stratégie des différentes puissances
conflits non conventionnels modernes rend international ou sous celui des lois de la nucléaires, en fonction de laquelle il était
ce simple problème insoluble. Une partie guerre ? Par exemple, les Français qui ont envisagé des frappes nucléaires massives
du problème lié à la détermination du sta- commis des actes de torture durant la guer- de représailles, se moquait totalement des
tut des combattants non conventionnels re d’Algérie devaient-ils être punis en fonc- lois de la guerre. Cet échec évident des lois
provient de l’interprétation que l’on peut tion du droit français, du droit internatio- de la guerre n’a jamais été surmonté et ne
faire des lois de la guerre quant à l’identi- nal ou des deux ? On peut même se le sera probablement jamais. Nous avons
fication des combattants. Les non Afghans demander s’ils avaient violé les lois de la peut-être une plus grande chance de
combattant aux côtés des Talibans étaient- guerre puisque le conflit en Algérie était, résoudre les problèmes juridiques et
ils des combattants légaux au regard des pour les Français, assimilé à une “ action moraux posés par les conflits non conven-
lois de la guerre, ou des combattants illé- de police ” interne ? Il se peut que la der- tionnels. Cependant la résolution de ces
gaux comme le déclare le gouvernement nière caractéristique à prendre en compte problèmes entraînera un important travail
américain ? Pour arriver à résoudre la pour donner ou non le statut de combat- de redéfinition des lois de la guerre et, pour
controverse du statut de ces “ combat- tant réside, comme nous l’avons vu plus l’instant, ce travail n’a même pas com-
tants ”, il faudrait arriver à un consensus à haut, dans le fait que de nombreuses orga- mencé.
propos de la légalité de leurs activités au nisations de combattants non convention-
regard des lois de la guerre et de l’ensemble nels rejettent les lois de la guerre. C’est
du droit international. Une autre facette de clairement le cas du Hamas et d’Al Qaida.
ce problème est liée à l’établissement du Si elles rejettent complètement les lois de
statut légal des organisations dont sont la guerre, dans quelle mesure méritent-
membres ces combattants non conven- elles d’être protégées par celles-ci ?
Tout au long de leur histoire, les armées espagnoles ont servi sur les théâtres d’opérations sous
la protection de leur drapeau. Cependant, à partir de 1992, les forces militaires ont participé à
de nombreuses missions internationales et, d’un point de vue juridique, elles ont entrepris une
nouvelle démarche, étrangère à la tradition, mais riche en débats.
En Espagne, depuis l’intégration dans l’OTAN - 1982 -, le “ Status of Forces Agreement ” (SOFA)
représente le cadre de référence qui fixe les règles pour la situation des forces hors du territoire
national. Néanmoins, l’éventail opérationnel est plus large et dans certaines occasions, il est
nécessaire de prévoir d’autres cadres (ONU, UE...) pour les opérations militaires extérieures.
Les débats sur la protection juridique des militaires en opération concernent essentiellement
les missions menées par les forces espagnoles dans le cadre des Nations unies ou de l’OTAN.
Avant d’approfondir la spécificité propre de ces domaines, il faut souligner quelques aspects
de l’organisation de la justice espagnole.
Justice militaire en Espagne La juridiction militaire espagnole n’a pas professionnalisation et de la féminisation
de caractère “corporatif ”. Ses attributions actuelles. Elle fait la distinction entre les
Le régime juridique militaire est adapté aux sont liées à la nature du délit, pas à la condi- fautes légères (34) et les fautes graves (37)
dispositions et garanties constitutionnelles tion du délinquant présumé, ni au lieu où qui peuvent être sanctionnées par des
et il s’applique dans le cadre d’une “ juri- les faits se sont produits. Les conduites peines pouvant aller jusqu’à trente jours
diction spécialisée ” en raison du milieu délictueuses de nature commune ne sont de détention pour les premières et jusqu’à
d’exécution et du droit spécifique appli- pas classées dans la législation militaire, deux mois, pour les secondes. La tutelle
qué. Une réforme entamée en 1988 a été à mais dans la législation ordinaire, bien juridictionnelle de la puissance disciplinaire
l’origine de l’intégration de la justice mili- qu’un militaire en soit l’acteur. est conférée aux tribunaux militaires.
taire dans le pouvoir judiciaire de l’État afin
de sauvegarder le principe de l’unité juri- La loi sur l’organisation territoriale de la Statut des forces dans les missions
dictionnelle consacré par la Constitution juridiction militaire du 15 décembre 1998
de 1978. réduit à 18 le nombre de tribunaux mili- internationales
taires territoriaux et ajuste leurs compé-
La justice militaire espagnole garde une tences aux limites des régions autonomes. La protection juridique des militaires espa-
claire séparation entre le commandement Ils sont regroupés autour de cinq cours ter- gnols en opération dépend de l’exercice de
et la juridiction. La fonction juridictionnel- ritoriales. Deux tribunaux militaires sié- la compétence juridictionnelle et du régi-
le est attribuée aux organes judiciaires mili- geant à Madrid, avec des compétences sur me des droits et des devoirs appliqué à la
taires, en excluant les organes de com- tout le territoire national, et un tribunal mili- force.
mandement qui l’avaient exercée taire spécial pour les officiers supérieurs
auparavant. Elle est administrée par des complètent cette organisation. En plus, une En Espagne, en temps de paix, la juridic-
juges et des magistrats du pouvoir judi- chambre militaire est prévue dans la Cour tion militaire se circonscrit au cadre exclu-
ciaire et, en tant que tels, “ indépendants, suprême. sivement militaire, en connaissant les
inamovibles, responsables et soumis uni- La loi organique sur le régime disciplinai- conduites classées dans le Code pénal mili-
quement à l’empire de la loi ”, selon la re des forces armées du 3 février 1999, a taire et en élargissant sa compétence à tous
Constitution. adapté l’ancien code aux exigences de la les cas fixés dans les accords internatio-
Juridictions militaires
Territoire I
Territoire II
Territoire III
Territoire IV
Territoire V
A l’égard de la juridiction internationale, cipes s’est accentuée à partir de la deuxiè- l’organisation internationale qui intègre les
l’évolution du contexte géopolitique a posé me partie du XXe siècle, en parallèle avec forces et, d’autre part, l’État concerné, pour
de nouveaux problèmes. Malgré la mon- l’augmentation de la présence des mili- que le statut des forces soit clairement éta-
dialisation, jusqu’à présent, l’État consti- taires à l’extérieur de leurs frontières. bli. Cet accord a une grande importance,
tue le signe primaire d’identité et le gar- car il apparaît comme une garantie pour
dien de certaines compétences liées à sa L’éclatement actuel du concept d’État - les forces projetées et un instrument de
conception de la souveraineté. L’exercice nation et la fragilisation des structures poli- conciliation de deux souverainetés en
de cette souveraineté est circonscrit à un tiques résultantes de la prolifération des conflit : celle de l’État d’origine et celle de
territoire. En conséquence, l’État-nation guerres civiles altèrent la pratique du droit l’État qui accueille les forces. Les domaines
induit le principe de souveraineté territo- international. En plus, la généralisation de pénal et disciplinaire, les domaines admi-
riale, selon lequel un délit commis à l’inté- la violence dans les crises déborde des nistratifs et les privilèges de la force et de
rieur de ses frontières ne peut pas échap- cadres nationaux de référence et l’impré- ses membres sont à la base du SOFA.
* Autres opérations
Conclusion
Le nouveau contexte géopolitique, la progressive légitimation du principe d’intervention - soit pour la voie des chapitres VI ou VII
de la Charte des Nations unies - , et l’évolution des concepts stratégiques des organisations de défense occidentales ont induit
une augmentation significative de la présence de forces espagnoles dans les opérations extérieures.
La perception de la protection juridique devient un facteur fondamental du moral des troupes, notamment pour les conséquences
qu’elles pourraient avoir pour leurs familles. Le régime juridique des militaires espagnols en opération dépend à la fois des ins-
tances internationale et nationale.
Par rapport à la première, la présence de troupes espagnoles dans un pays étranger induit un conflit entre les souverainetés dont
la résolution repose sur le SOFA de l’opération. Cet instrument du droit international comporte différents volets ; mais les domaines
pénal et disciplinaire sont perçus comme la clef de voûte de l’environnement juridique. Les SOFA en vigueur reconnaissent la vali-
dité des principes de souveraineté territoriale et du “ drapeau ”.
Dans les problèmes de juridictions en conflit, la juridiction nationale est appliquée de préférence pour les délits qui touchent aux
personnes ou aux propriétés des forces espagnoles ou d’autres forces engagées dans l’opération, en plus des délits commis pen-
dant l’exécution du service. . En ce qui concerne la responsabilité disciplinaire, elle est toujours conférée aux autorités espagnoles.
Dans les opérations de gestion de crise menées dans des zones de conflit dont les structures étatiques n’offrent pas de crédibi-
lité politique, l’immunité de juridiction est généralement invoquée dans le statut des forces.
Au niveau national, la justice militaire constitue une garantie pour la protection juridique des forces espagnoles. La juridiction
militaire s’applique généralement en effet aux délits ou fautes commis par les militaires espagnols hors du territoire national.
Dans les scénarios modernes, les conflits contre la guérilla et le terrorisme, etc.
symétriques classiques, caractérisés par Il s’agit d’un phénomène dont l’apparition
des combats de haute intensité s’inscri- rend le cadre encore plus complexe et sur
vant dans la durée, sont en effet très rares. lequel on reviendra plus tard afin de mieux
Par contre, les opérations de réponse aux en préciser les implications dans le domai-
crises (CROs) sont très fréquentes. Elles ne militaire.
peuvent inclure plusieurs activités opé-
rationnelles menées simultanément et exi- Pour faire face aux nouveaux besoins opé-
geant des capacités diversifiées. rationnels caractérisant les scénarios
Les expériences récentes en Irak ont mon- modernes, les outils militaires doivent se
tré combien la limite entre les opérations doter de capacités distinctes mais com-
de réponse aux crises et celles de guerre plémentaires. Ils doivent être capables de
traditionnelle est faible ou même inexis- s’acquitter des missions de combat à pro-
tante, mais surtout combien la phase de prement parler, mais aussi des tâches de
stabilisation et de reconstruction s’avère stabilisation et reconstruction.
à la fois essentielle, résolutoire et com- L’Armée de terre italienne a depuis long-
plexe. En effet, pour assurer l’ordre et la temps lancé un processus de réorganisa-
sécurité, en réalisant donc les conditions tion structurelle et capacitaire, à travers
pour une démocratisation réelle du pays lequel il a été possible d’assurer une par-
dans lequel les forces sont engagées, il faut ticipation importante de nos unités aux
ADJ J.R. DRAHI/SIRPA Terre
disposer d’un large éventail de capacités, multiples engagements menés sur la scè-
permettant de mener à bien un ensemble ne internationale.
hétérogène d’activités, telles que le désar- A l’heure actuelle, environ 6 500 militaires
mement, la démobilisation et la réintégra- italiens sont engagés en dehors du terri-
tion des ex-combattants et des réfugiés, toire national. La moyenne quotidienne
l’aide humanitaire, sans oublier la lutte des personnels engagés dans des opéra-
public, à mener des enquêtes criminelles, celles de défense NBC, les cellules NEDEX
à lutter contre le crime organisé et à entraî- pour la neutralisation, l’enlèvement et la
ner les forces de police locales. destruction des explosifs, les unités
PSYOPS et ACM.
Chaque ensemble de forces fournit sa
contribution pour parvenir à la situation En effet, les événements militaires s’étant Par ailleurs, les récentes attaques terro-
finale recherchée (“ end state ”), dans un produits sur la scène internationale suite ristes contre la population civile et contre
cadre de sécurité “ militaire ” qui doit, de aux attentats du 11 septembre, ont eu com- les dispositifs et installations des contin-
toute façon, être assurée avant et pen- me conséquence le fait que le terrorisme, gents militaires en Irak et en Afghanistan,
dant l’action de stabilisation. de problème surtout interne, d’applica- montrent que le terrorisme exploite à son
Le concept opérationnel consistant à enga- tion de la loi, est devenu un problème de profit les installations urbaines pour pro-
ger, lors des opérations de stabilisation sécurité internationale. voquer non seulement des effets dévas-
et reconstruction, les unités spécialisées
de manière synergique et complémentai-
re par rapport aux unités combattantes, Pour faire face au terrorisme,
n’est pas du tout nouveau pour l’Armée il faut aujourd’hui non seu-
de terre italienne. lement mettre en œuvre une
vaste gamme de mesures
politiques et économiques,
mais aussi engager des
forces aptes à neutraliser et
combattre cette menace,
dont les paramètres organi-
sationnels et opérationnels
OTAN/SFOR
OTAN/SFOR
En conclusion, l’évolution des scénarios opérationnels a imposé à l’Armée de terre italienne de réorganiser la
presque totalité de ses composantes opérationnelles, sous le signe de la qualité. On est passé d’un effectif de
presque 290.000 personnels en 1991 aux 115.000 d’aujourd’hui, et l’objectif visé est d’arriver, en 2006, à 112.000
hommes et femmes. Une réduction de 60% par rapport à il y a 15 ans.
Grâce à ce processus de rationalisation, l’Armée de terre est aujourd’hui en mesure de mettre en œuvre la presque
totalité des unités (combattantes et spécialisées) nécessaires pour faire face de manière satisfaisante aux besoins
associés aux opérations de stabilisation et reconstruction, en les complétant avec les capacités offertes par
d’autres composantes de l’outil militaire, en fonction de la mission à remplir et des caractéristiques de
l’environnement opérationnel.
Il s’agit, en pratique, d’un ensemble unique de forces à l’intérieur duquel les synergies sur le terrain parmi les
différentes composantes découlent de l’emploi équilibré et fonctionnel de leurs capacités opérationnelles et
spécificités respectives, atteintes suite à un entraînement, une formation et une organisation structurelle conçues
ad hoc.
Le processus d’optimisation et de perfectionnement des capacités n’a pas encore été achevé.
Sur le plan organisationnel, on envisage le renforcement du réservoir des FOS (Forces pour les opérations
spéciales), le complètement du réservoir ISTAR-GE, dans le cadre général des capacités associées au
renseignement tactique, notamment au profit des unités destinées à la surveillance et à la recherche du
renseignement, y compris le HUMINT.
On envisage également la mise sur pied d’un ensemble de forces médianes particulièrement aptes à opérer dans
des environnements complexes, grâce à leurs caractéristiques de mobilité, protection et puissance de feu.
Evidemment, le processus de renforcement vise à l’acquisition d’un niveau élevé d’interopérabilité, orientée vers
l’interarmées et le multinational. Il s’agit maintenant d’aller de l’avant sur la voie entreprise, afin de fournir des
réponses rapides et efficaces en fonction des missions envisageables.
Si la condamnation de “ toute violence ” est un prin- la victime, n’oublions pas que le droit humanitaire
cipe parfaitement légitime en soi, elle laisse prolifé- est né sur le champ de bataille pour protéger le com-
rer les exactions des méchants, en désarment les bras battant qui lui aussi devient une victime dès lors qu’il
des justes, aussi un ordre de justice doit d’autant plus est mis hors de combat. Cet effort constant du droit
disposer de la force qu’il sera menacé des désordres humanitaire se heurte cependant aux mutations de
de l’injustice, du terrorisme. la guerre qui ont notamment pour effet la diabolisa-
Dès lors qu’il est question de juste et d’injuste, les tion de l’ennemi, la déshumanisation de l’ennemi.
références morales s’imposent d’elles-mêmes et les Et là, si la torture est de ces violences juridiquement
effets juridiques s’ensuivent aussitôt. La guerre n’y interdites, ne s’inscrit-elle pas comme une “ néces-
échappe pas en tant qu’activité humaine- ou inhu- sité militaire ” dans une guerre sans loi, contre un
maine - parce qu’y sont en jeu la liberté et la respon- ennemi sans honneur ?
sabilité de l’homme. Aussi le choix des moyens et des
méthodes de combat n’est pas illimité.
Inter Arma Caritas 2
A défaut d’un législateur et d’un gendarme universels,
c’est donc aux États qu’il appartient d’élaborer et d’ap- C’est dans sa conscience d’être humain que le prin-
pliquer le droit. Dans le domaine du “ jus in bello ”, cipe humanitaire doit s’enraciner pour lutter contre
l’État doit donner priorité à l’impératif de sécurité qui l’animus belligerandi.
constitue sa mission première, sans pourtant élabo-
rer un droit international, en fonction de sa guerre... - Le respect de l’ennemi
Aussi, dans ce domaine, par-delà les divergences phi- Il n’en a pas été toujours ainsi mais aujourd’hui, il
losophiques, idéologiques ou religieuses, les États est interdit de ne pas faire de quartier, d’achever les
doivent admettre un minimum d’obligations au nom blessés qui tout au contraire ont le droit d’être soi-
des principes de charité, d’humanité et par un intérêt gnés. En toutes circonstances, le combattant au pou-
bien compris. voir de l’ennemi a droit à un traitement humain, au
respect de sa personne et de son honneur. Ces prin-
Peu à peu donc, la morale et le droit ont fait admettre cipes généraux le protègent contre tout acte de vio-
que l’ennemi devait être respecté. C’est pourquoi lence ou d’intimidation, contre les insultes et la curio-
aujourd’hui la référence à des “considérations d’hu- sité publique ; aucune torture physique ou morale,
manité ” tend à devenir contraignante en droit inter- aucune contrainte ne peut être exercée sur lui pour
national et n’autorise pas toutes les violences. De plus obtenir des renseignements de quelque sorte que
si le guerrier est celui qui, par son action, fait souffrir ce soit.
ONU
les moyens de conciliation politique, nir un ren-
de dominer soudain par les plus sau- seignement
vages procédés et briser le moral de et accule
ONU
l’adversaire. Ainsi la torture fait-elle l’individu à révéler ce qu’il sait pour éviter de souf-
son apparition dans la guerre lorsque frir. C’est une sorte de contrat : - la vie ou la mort
l’un des adversaires, le plus souvent l’agresseur voit d’une personne contre la vie ou la mort de dix, vingt,
la victoire lui échapper. Dans les grandes guerres cent, mille, deux milles personnes ; -la vie ou la mort
d’autres moyens équivalents lui sont substitués, gaz contre un secret. D’aucuns affirment que la valeur
asphyxiants, napalm, bombardements des civils, géno- morale de la torture dépend de la valeur de ce secret.
cide... De même lorsque la disproportion des moyens Mais connaît-on à l’avance la valeur d’un secret ?
de contrôle accule à l’échec, ceux qui veulent vaincre
à tout prix n’hésiteront pas à multiplier le coefficient
de leur puissance par celui du facteur humain effec-
tif, la peur. Il nous faut condamner l’appel à de tels En déterminant ces diverses appréciations de la néces-
moyens inhumains. sité militaire pour remplir sa mission, gardons-nous
de donner un blanc-seing au pouvoir légitime ou à
Mais faute d’une entente internationale contre l’in- ses agents. Une société ne peut agir contre le bien et
juste agression, il est impossible de limiter vraiment les droits de l’un quelconque de ses membres, dans
les moyens de guerre sans automatiquement avan- l’arbitraire. La torture est un moyen dangereux et quoi
tager l’adversaire sans scrupule. qu’il en soit, la torture ne sera jamais un moyen de
Si le rebelle a résolu entre lui et la combat normal. Même dans une
force sociale une lutte à mort, guerre juste et nécessaire, les
n’est-ce pas lui qui est respon- procédés efficaces ne sont pas
sable du trouble et lui seul défendables aux yeux de qui
devra subir, si lourd soit-il, les possède un sens exact et rai-
conséquences que nécessite la sonnable de la justice, fonde-
répression ? ment de l’honneur de tout mili-
taire.
ONU
vons bien, mais n’est-ce pas de son devoir pri- matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à
mordial, à cet État de sauvegarder l’ordre causer des maux superflus. (article 35).
5 Discours de Manille, 1989. Revue internationale de la
pacifique de la vie et des biens des personnes ? N’est- Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
ce pas de son devoir strict et de son droit de tout ten- 6 “ La torture est une brutalité importante ou une série de
ter pour obtenir de celui qui sait, les renseignements mauvais traitements cruels, inhumains ou dégradants,
qui consiste dans la recherche systématique de la
nécessaires, afin de protéger la vie des innocents ? souffrance du patient, de la part de celui qui l’impose.“
La torture si elle est et sera toujours illégale, com- Convention contre la torture adoptée le 10 décembre
me la guerre d’ailleurs considérée comme illégitime 1984 par l’A.G de l’ONU et ratifiée par 102 États.
7 TTA 173 Règlement sur l’interrogatoire des prisonniers
puis illégale par les textes internationaux, n’obtient- de guerre.1974
elle pas là dans ce cadre spécifique une légitimité ? 8 Et donc son armée.
L’activité humaine se structure au fur et à mesure te d’avoir commis un crime et c’est sa responsabili-
qu’elle prend de l’ampleur. Cette structuration pas- té individuelle qui peut être engagée, même s’il n’a
se forcément par la création de normes juridiques fait qu’obéir à des ordres apparemment sensés. Il
qui règlent l’activité humaine. La guerre, activité est donc nécessaire d’expliciter ces relations. La caté-
sociale pluriséculaire, n’échappe pas à ce mouve- gorie des crimes de guerre est communément per-
ment. Ainsi, en raison de la recherche de l’efficacité çue comme une épée de Damoclès menaçant le com-
militaire maximale, les bandes armées désorgani- battant, ce qui n’est que partiellement vrai. Pour
sées des origines se sont disciplinées pour arriver traiter correctement de la responsabilité de l’officier
aux unités militaires modernes fortement structu- face aux crimes de guerre, ceux-ci doivent être préa-
rées. Cette discipline n’est rendue possible que par lablement démythifiés. Ainsi, dans un second temps,
le droit qui en fixe les modalités et les limites. la question de la responsabilité des chefs dans les
relations hiérarchiques pourra être approfondie.
Le pouvoir de commander, l’imperium, inhérent à la
fonction militaire, accroît simultanément les obliga-
tions qui reposent sur le chef militaire. La responsa- La définition du crime de guerre
bilité du chef devient encore plus aiguë dès qu’est
examiné le cœur de l’activité militaire : le combat, Le crime de guerre, une incrimination conditionnée
encadré naturellement par le droit des conflits armés.
Et parmi les dispositions de ce droit complexe, cer- Les crimes de guerre se définissent comme “ des
taines sont considérées si importantes que leurs vio- actes de violence contre les personnes ou les biens
lations par des individus constituent une catégorie qui ne rentrent pas dans le cadre des actes que le
particulière de crimes internationaux : les crimes de droit de la guerre reconnaît comme légitimes de la
guerre. part des forces armées ” 2, c’est-à-dire un acte de vio-
lence contraire aux lois et coutumes de la guerre. Il
Lors des opérations extérieures, le chef, qu’il soit peut être cité en exemple le meurtre d’un prisonnier
officier subalterne, officier supérieur ou officier géné- de guerre. La commission d’un tel acte illégal est sus-
ral, peut être confronté à la notion de crime de guer- ceptible d’engager pénalement la responsabilité de
re. Que l’on accuse un de ses subordonnés d’avoir son auteur. Il convient de ne pas confondre les crimes
commis un tel acte, et c’est sa responsabilité de com- de guerre avec les autres crimes internationaux que
mandant qui est mise en cause, ou qu’on le suspec- sont les crimes contre l’humanité et le génocide, cha-
La responsabilité du chef pour des actes commis par La défense de l’ordre supérieur en droit internatio-
ses troupes est la contrepartie de son pouvoir de nal est un sujet âprement discuté, surtout depuis la
commandement. C’est dans cette responsabilité que rédaction du Statut de la Cour pénale internationa-
le rôle du commandant prend toute sa dimension. le14. La position adoptée par ce dernier tranche net-
Dans le cadre tement avec
du droit pénal les solutions
des conflits dégagées
NUL N’EST CENSÉ
armés, à l’in-
verse d’autres
matières juri-
( IGNORER LA LOI. ) auparavant.
Le droit tel
diques, la qu’il a été
mise en cause de cette responsabilité n’est pas auto- édicté lors des procès de Nuremberg15 rejette caté-
matique. Pour que la responsabilité du chef soit enga- goriquement l’ordre supérieur comme fait justifica-
gée en raison des agissements criminels de ses subor- tif. L’engagement de la responsabilité de l’auteur
donnés, il faut qu’il commette une faute de n’est en rien affecté par l’existence d’un ordre supé-
commandement en n’essayant pas d’empêcher ses rieur, la prise en considération de ce dernier ne s’ef-
subordonnés d’accomplir leur projet criminel, ou en fectue qu’au moment du prononcé de la peine. L’ordre
ne les punissant pas si le forfait a déjà été commis. supérieur joue comme facteur de personnalisation
de la peine, laissant entière la responsabilité du cri-
En droit des conflits armés, le supérieur se définit com- me commis. Cette position sévère constitue actuel-
me celui qui détient le pouvoir ou l’autorité, de jure lement la position française, mais avec le Statut de
ou de facto, d’empêcher un subordonné de commettre la Cour pénale internationale, le droit pénal français
un crime ou de l’en punir après coup. Le critère est le va devoir s’adapter.
contrôle effectif qu’exerce le chef sur les forces pla-
cées sous son commandement. En conséquence, “aus- Le Statut de la Cour pénale internationale a fait évo-
si longtemps qu’un supérieur exerce un contrôle effec- luer cette conception. La défense d’ordre supérieur
tif sur des subordonnés, et dans la mesure où il peut devient une cause d’exonération de la responsabilité
les empêcher de commettre les crimes ou les en punir mais à trois conditions. Premièrement, il faut que l’au-
après coup, il peut être responsable de ces crimes s’il teur de l’acte, qu’il soit militaire ou civil, ait eu l’obli-
n’use de ses moyens de contrôle ”11. gation légale d’obéir aux ordres du gouvernement ou
du supérieur hiérarchique. Deuxièmement, il faut que
Dans l’hypothèse où un subordonné va commettre cette personne n’ait pas su que l’ordre était illégal16.
(ou a commis) un crime de guerre, la responsabilité Et troisièmement que l’ordre ne doit pas avoir été mani-
du chef n’est toutefois engagée que s’il savait, ou festement illégal. Cette solution s’avère ainsi beau-
aurait dû savoir ce qui se préparait, et qu’il n’a pas agi coup plus adaptée aux réalités militaires. La condition
avec les moyens dont il disposait pour interrompre le du “ manifestement illégal ” s’avère nécessaire afin
crime, ou le réprimer12. de maintenir la discipline, fondement de l’armée. Il
faut noter que les ordres manifestement illégaux se
En conséquence, la responsabilité du commandant révèlent assez facilement aux échelons subalternes.
est loin d’être une responsabilité sans faute. Son enga- Le fait d’ordonner la mise à mort des prisonniers de
gement pour des actes criminels commis par ses guerre ou de les torturer ne devrait en effet laisser de
subordonnés est sujet à des conditions précises. On doute à personne sur l’illégalité de l’ordre.
Conclusion
Le crime de guerre vient réprimer
les dérèglements des hommes sou-
TPIR
PAR LE COMMISSAIRE CAPITAINE (AIR) FRÉDÉRIC JORAM,* DE LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
L’opération en R.D.C a donc été la première opération taires de l’Union européenne, qui constituent désor-
militaire autonome de l’Union européenne, conduite mais un cadre d’action supplémentaire pour les forces
avec ses seules capacités de commandement. Elle armées françaises.
était placée sous le contrôle politique et la direction
stratégique des organes politiques et militaires per-
manents créés pour la mise en œuvre de la P.E.S.D. Un cadre juridique nouveau pour des opérations
Le Conseil de l’Union européenne, le secrétaire géné- de paix
ral - haut représentant, le comité politique et de sécu-
rité (COPS), le comité militaire, l’état-major de l’Union Comme la majorité des missions nationales ou de
européenne et le secrétariat général du Conseil étaient l’Alliance atlantique, l’opération “ Artémis ” s’est ins-
tous impliqués dans la préparation, le suivi et le contrô- crite dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécuri-
le de l’opération “ Artémis ”. La chaîne de comman- té des Nations unies. Fondé sur le chapitre VII de la
dement était, elle, constituée de structures non per- Charte des Nations unies, celui-ci autorisait l’usage
manentes, créées pour l’opération. Le commandant de la force pour contribuer à stabiliser les conditions
de l’opération disposait d’un état-major de niveau de sécurité à Bunia et y améliorer la situation huma-
stratégique, appelé “ Operation Headquarters ” (O.H.Q) nitaire, pour assurer la protection de l’aéroport et des
et installé à Paris, et le commandant de force d’un état- personnes déplacées se trouvant dans les camps de
major de force à Entebbe en Ouganda, le “ Force Bunia et, si la situation l’exigeait, pour contribuer à
Headquarters ” (F.H.Q). assurer la sécurité de la population civile et du per-
sonnel des Nations unies et des organisations huma-
Outre ce cadre politique et institutionnel nouveau et nitaires dans la ville.2 La nouveauté ne réside donc
toujours évolutif, il est aujourd’hui utile de revenir sur pas là, mais dans le cadre juridique spécifique de tou-
les caractéristiques juridiques des opérations mili- te opération militaire de l’Union européenne.
L’Union européenne ne disposait pas, à l’époque de Les problématiques juridiques rencontrées lors de
l’opération “ Artémis ”, d’accord sur le statut des res- l’opération “ Artémis ” sont analogues à celles soule-
sortissants des Etats membres stationnés dans un vées par toute opération de soutien de la paix entraî-
autre Etat membre. La présence en France des agents nant l’usage de la force armée. Quelques exemples
non français de l’O.H.Q, citoyens européens ou non, en attestent. Adoptées avant le début de l’opération
Le conseiller juridique mis à la disposition du commandant ne peut traiter seul l’ensemble de ces questions. Aussi doit-il pouvoir
s’appuyer sur plusieurs acteurs institutionnels, de la nation - cadre comme de l’Union européenne. A cet égard, l’existence d’un
service juridique au sein du Secrétariat du Conseil doit permettre la mise en œuvre d’une chaîne juridique fonctionnelle de plu-
sieurs niveaux - Union européenne, stratégique et opératif -, des instances européennes jusqu’au théâtre d’opération.
La relève prochaine de l’O.T.A.N par une force européenne en Bosnie-Herzégovine donnera une nouvelle occasion d’éprouver le
fonctionnement des structures politico-militaires de la P.E.S.D. En outre, les futures opérations militaires de l’Union européenne
devront confirmer la pertinence du cadre juridique de la gestion militaire des crises et l’importance du conseil juridique au cours
de la planification et de la conduite des opérations.
Le droit
en territoire occupé
Le premier janvier 2004, l’armée américaine achevait son huitième mois d’occupation du territoire irakien...
Après avoir invoqué des faux prétextes pour attaquer l’Irak (notamment la présence d’ADM), Washington a
finalement présenté son intervention militaire comme une guerre de libération. Cet objectif n’était pas le seul,
et certainement pas le principal. Mais cela relève du jus ad bellum et les lignes qui vont suivre s’intéressent au
jus in bello. Sur ce plan, l’Irak est un territoire occupé depuis près d’un an et, plus l’occupation perdure, plus le
respect de la 4e convention est difficile à assurer car progressivement les forces d’occupation, ne serait-ce que
par leur seule présence, freinent le développement normal du pays occupé. Cette occupation a pourtant eu l’aval
du Conseil de sécurité avec les résolutions 1483 du 22 mai 2003 entérinant l’Autorité provisoire de la coalition
et 1511 du 16 octobre 2003 délivrant une surprenante présomption de respectabilité et de représentativité au
Conseil intérimaire de gouvernement installé par les forces d’occupation.
On ne peut pourtant que constater le quiproquo qui s’est installé entre la population irakienne, persuadée d’être
sous tutelle américaine ou occidentale avec des forces recluses dans les lieux de villégiature de l’ancien régime,
et des forces d’occupation, s’appuyant sur une élite cooptée et asservie, convaincues d’avoir déjà accompli
l’essentiel de leur mission. Cette situation s’explique en partie parce que le droit applicable en Irak aujourd’hui
(la 4e convention de Genève que toutes les Parties en présence ont ratifiée) est loin d’être correctement
appliqué.
PAR MICHEL DEYRA, DIRECTEUR DE L’IPAG DE L’UNIVERSITÉ D’AUVERGNE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES, FACULTÉ DE DROIT DE CLERMONT-FERRAND
La Puissance d’occupation doit maintenir les lois de La protection de la population civile, particulière-
l’Etat occupé, notamment sa législation pénale, et ment vulnérable aux actes des forces d’occupation,
les tribunaux chargés de la sanctionner, sauf si sa est assurée par trois mécanismes.
sécurité est menacée. Avec la présence de milices
ou de mouvements de résistance et l’hostilité plus En premier lieu, le respect des garanties fondamen-
ou moins marquée de la population civile face à l’en- tales d’un traitement humain. Afin d’assurer le res-
vahisseur, cette sécurité a de fortes chances d’être pect des droits de la personne au pouvoir d’une Partie
menacée. Dans ce cas, la Puissance occupante édic- au conflit, sont interdits le meurtre, la torture, les
tera une législation pénale pour maintenir l’ordre châtiments corporels, les mutilations, le pillage et
dans le gouvernement du territoire, protéger les toutes autres mesures de brutalité. Dans le même
biens et les lignes de communications de l’armée et ordre d’idées, les ressortissants étrangers ont le droit
de l’administration occupantes. Cette législation de quitter un territoire occupé sauf si les intérêts
devra être publiée et offrir toutes les garanties nationaux de la Puissance occupante rendent leur
conventionnelles, notamment le respect des règles présence absolument nécessaire. Dans ce cas, il peut
de non-rétroactivité, de proportionnalité des peines, y avoir internement ou mise en résidence forcée.
de recours en grâce, de déduction de la détention
préventive et de limitations à la peine de mort (uni-
quement pour espionnage et sabotage ayant causé En deuxième lieu, le droit de mener une vie aussi
mort d’homme et si la législation pénale du territoi- normale que possible. Administrateur de fait du ter-
re occupé le prévoyait dans de tels cas (art 68.2 C ritoire, l’occupant a trois obligations. D’abord, il doit
IV). Par ailleurs, la détention de civils est aussi enca- faciliter le bon fonctionnement des établissements
drée : celle-ci doit avoir lieu en territoire occupé, consacrés aux soins et à l’éducation des enfants ou,
avec des conditions d’hygiène, d’alimentation, d’as- si les institutions locales sont défaillantes, assurer
sistance spirituelle et de soins maintenant les déte- l’entretien ou l’éducation de ceux-ci (art. 50.1 C IV).
nus dans un bon état de santé, avec des garanties Ensuite, l’occupant doit assurer le maintien des éta-
spéciales pour les femmes et les enfants (art. 50 et blissements et services médicaux et hospitaliers ain-
76 G IV), et permettant les visites des délégués du si que la santé et l’hygiène publique. L’occupant ne
CICR sans pouvoir en limiter la fréquence et la durée peut procéder à des réquisitions à son profit que de
(art.143 G IV). L’internement de personnes civiles, manière temporaire et si les besoins de la popula-
pour d’impérieuses raisons de sécurité, obéit aux tion civile sont couverts (art. 56 et 57 C IV). Enfin, il
règles très strictes fixées par la 4e convention (art. doit permettre aux différents ministres des cultes
79 à 141). d’assurer l’assistance spirituelle de leurs coreli-
gionnaires, et aux sociétés de secours d’acheminer
Quant aux membres des milices et des mouvements les actions de secours individuels et collectifs quand
de résistance organisés agissant à l’intérieur d’un la population est insuffisamment approvisionnée (art
territoire occupé, ils doivent être considérés comme 55, 58 à 63 C IV). En particulier, la Puissance occu-
prisonniers de guerre s’ils sont capturés, à condi- pante doit permettre aux ONG neutres et impartiales
tion d’être organisés de façon hiérarchique, d’avoir de vérifier l’état de l’approvisionnement de la popu-
un signe distinctif reconnaissable à distance, de por- lation et accorder le libre passage aux secours. Mais
ter ouvertement les armes lors des engagements et cela ne dégage en aucun cas la puissance occupan-
de se conformer aux lois et coutumes de la guerre te de sa responsabilité d’assurer elle-même l’ap-
(art. 4.2 G III). Les prisonniers de guerre (y compris provisionnement de la population.
le plus connu d’entre eux, Saddam Hussein) ne béné-
ficient pas d’une immunité de poursuite pour les
crimes qu’ils auraient commis, et peuvent subir des En troisième lieu, le respect de l’allégeance et l’ap-
interrogatoires dans les strictes limites posées par partenance de la population de l’Etat occupé à ce der-
l’article 17 de la 3e convention de Genève. En cas de nier. Il est interdit de transférer, déporter ou implan-
poursuite par la puissance détentrice, tout prison- ter hors du territoire occupé les personnes protégées,
nier de guerre doit être jugé par les mêmes tribu- en masse ou individuellement (art 49 C IV) et d’im-
naux et selon la même procédure que les membres planter les ressortissants de la puissance occupan-
des forces armées de la puissance détentrice. Ainsi, te en territoire occupé ; de plus, la prise d’otage et
un prisonnier de guerre aux mains des forces amé- la coercition morale et physique à l’encontre des
ricaines peut être jugé par une cour martiale appli- civils, notamment pour obtenir des informations,
quant le code pénal militaire américain avec les garan- sont prohibées. Il est enfin interdit d’enrôler des
ties fondamentales d’indépendance et d’impartialité. enfants dans des organisations ou formations dépen-
L’opération ARTEMIS débute en national sous le nom de “ MAMBA ” le 4 juin 2003 ; elle deviendra européenne
le 16 juin.
Opération de sécurisation de zone et de population au plus profond de l’Afrique dans une région ravagée par
les affrontements meurtriers entre milices sur fond de luttes ethniques, ARTEMIS a confirmé l’impérieuse
nécessité de donner d’emblée au chef militaire les moyens de sa liberté d’action.
Le Centre d’évaluation et de pour ce qui est des règles aujourd’hui que la mission de ROE qui lui
retour d’expérience (CEREX) d’engagement (ROE). Ce fut, possibilité laissée aux chefs, garantissent un cadre
du Commandement de la en revanche, le vide jusqu’au niveau le plus bas juridique approprié à
doctrine et de concernant les procédures (chefs d’équipe), de faire un l’emploi éventuel de toute la
l’enseignement supérieur de traitement des usage maîtrisé de leurs gamme des moyens
(CDES) a qualifié cette prisonniers, suspects ou armes a été un facteur clé de militaires mis à sa
opération de “ complexe par criminels avérés. la crédibilité et de l’efficacité disposition. Ce fut le cas
son environnement, de la force. L’usage autorisé pour ARTEMIS. Cette
périlleuse dans sa projection Indiscutablement ma liberté et légal de la force, au-delà capacité à utiliser toutes
et l’ouverture de théâtre, d’action a été grandement de la légitime défense, dans mes armes, y compris
ardue dans son application facilitée par des règles le cadre de la conduite des aériennes, sans avoir à en
et dangereuse dans sa d’engagement claires et opérations a permis de demander préalablement
conduite ” rajoutant que “ la sans ambiguïté ; celles mettre en œuvre les savoir- l’autorisation au COPER
simplicité des principes mis d’une force allant au combat faire appris et répétés à aurait pu se révéler
en œuvre ont, à eux seuls pour enlever la décision par l’instruction et à déterminante dans cette
assuré sa réussite ”. En effet le feu si nécessaire. Elles l’entraînement. Ces ROE opération où l’approche
l’absence de planification en m’ont permis de prendre étaient intrinsèquement factuelle et la perception de
amont, l’isolement de Bunia, l’initiative, de choisir des porteuses d’une véritable la situation du moment
la méconnaissance des modes d’action volonté d’action : ne pas exigeaient des réponses
forces en présence ont délibérément offensifs qui subir et imposer à rapides et adaptées que
imposé des décisions se sont révélés très “ l’adversaire ” notre volonté. seul le chef “ au contact ”
d’opportunité et le recours à dissuasifs. Notre capacité à Cet état d’esprit fait de peut correctement évalué.
un référentiel simple et tout utiliser à bon escient nos vigilance, d’initiative et de A cela s’ajoute, pour
d’exécution. L’opacité, la armes en respectant une réactivité a sans doute aussi ARTEMIS, la qualité des
gravité et la volatilité de la solide discipline de feu dans contribué à dissuader les hommes désignés pour
situation dans la province un rapport de forces pas milices de s’en prendre cette opération.
de l’ITURI justifiaient que la toujours favorable a directement à la force. L’expérience des théâtres
force soit dotée d’un cadre fortement tempéré Dans ce type d’engagement, africains, le parfait
juridique approprié. Ce fut l’agressivité et l’assurance le COMANFOR doit disposer professionnalisme dans
indiscutablement le cas des milices. Je suis persuadé dès la prise en compte de la l’exécution, la motivation
Le présent article n’a d’autre ambition que de tirer quelques enseignements d’une expérience juridico-
opérationnelle en milieu multinational. Elle est à replacer dans le contexte de coopération de l’époque entre
le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et la Force de stabilisation (la SFOR). Comme chacun
sait, celui-ci a considérablement évolué dans les années suivantes afin de permettre l’inculpation et la
condamnation d’un plus grand nombre de personnes inculpées pour crimes de guerre. D’emblée, il est licite
de dire que le strict respect du cadre juridique de cette coopération SFOR - TPIY est une garantie de succès.
Pour s’en convaincre, après avoir dépeint le cadre général de cette mission, il est proposé de tirer quelques
enseignements au regard d’une expérience de 6 mois sur le théâtre.
LE CADRE GÉNÉRAL responsables de violations ce qui explique que le des Etats à coopérer, le TPIY
graves du droit humanitaire Tribunal soit encore s’est imposé comme un
COMPRENDRE LE TPIY POUR international commises sur compétent pour des crimes élément essentiel du
COMPRENDRE LE CADRE le territoire de commis au Kosovo. règlement des conflits en
DE LA MISSION l’ex-Yougoslavie entre Après des débuts difficiles, ex-Yougoslavie.
Il est créé par la résolution le 1er janvier 1991 et une voire chaotiques, dus pour
827 du Conseil de sécurité date à déterminer lorsque partie au système Il est à noter une autre
le 25 mai 1993 pour juger la paix sera rétablie. Celle- procédural dont il s’est doté caractéristique forte : sa
les personnes présumées ci n’est toujours pas fixée, et pour partie à la réticence procédure anglo-saxonne.
A l’époque, le TPIY souffre
de l’inadaptation de sa
procédure, fortement
inspirée du droit anglo-
saxon (le common Law).
Celle-ci conduit en effet à
d’interminables
interrogatoires et contre-
interrogatoires de témoins.
La durée de certains procès
atteint ainsi dix-huit mois
comme dans le cas du
général croate Tihomir
Blaskic.
* La pression médiatique :
de la pertinence des
informations diffusées par
l’Agence France Presse
(AFP). Qu’en est-il
réellement ? Le 27
décembre 1996, l’officier
de liaison reçoit une
information d’un officier
communication français. compte-rendu n’est Le strict respect du cadre m’appelle pour signaler que
Rapportée par l’AFP, elle remonté jusqu’au juridique : le mandat, tout l’officier américain en
signale que des soldats commandant de la le mandat et rien que le charge d’accompagner
auraient empêché une division. Malgré les mandat. C’est là toute l’équipe du TPIY ne fournit
équipe du comité réserves de l’OL-TPIY et l’importance de la précision pas le même niveau de
d’exhumation bosniaque de l’OFF. COM. français, et de l’exhaustivité des sécurité. Après contrôle sur
de poursuivre son travail il est décidé d’apporter paragraphes - mesures de le terrain, il apparaît en fait
sur la zone de Kladanj un démenti officiel. Le coordination et aspects qu’une des inspectrices a
(Nord-Est de la Bosnie lendemain, l’officier de juridiques - des ordres de pris l’initiative de demander
Herzégovine et secteur de quart de la DMN/N rend conduite donnés aux unités qu’on l’escorte à l’intérieur
responsabilité de la compte par CRONOS que subordonnées. Chaque d’habitations ce qui dépasse
division multinationale quelque chose s’est phrase a son importance : le cadre légal du mandat. A
Nord DMN/N) dans réellement passé : une “ la Force de stabilisation Sarajevo, après contrôle des
laquelle reposeraient équipe de la police fournira un environnement termes exacts du FRAGO et
120 personnes tuées en militaire américaine n’avait sûr aux enquêtes du TPIY des SOP par le LEGAD, il est
juillet 1995. Dans la même pas jugé utile de rendre ainsi que la liberté de prouvé que la force est dans
dépêche, il est dit que le compte. Conséquence de mouvement ”. Il est d’autre son droit le plus strict.
président de cette même ce quiproquo : l’OFF. COM. part précisé que “ les unités
commission demande au de la SFOR doit faire de la Force de stabilisation
commandant en chef de la amende honorable au ne sont pas obligées de Parallèlement à cela, un
SFOR de retirer ses soldats cours du traditionnel point fournir d’escortes directes point de presse est préparé
afin que le comité puisse de presse de fin de ou de garder les sites qui et une correspondance est
continuer son travail. journée. Quelle leçon sont en cours envoyée le jour même au
L’OL-TPIY rend compte peut-on en tirer ? d’investigation ”. chef des enquêteurs à la
immédiatement au chef Que les procédures de Un exemple précis va Haye - Monsieur HENDRICK-
de la cellule coordination compte-rendu anglo- éclairer le bien fondé de ces avec copie au bureau du
du G3 après avoir contrôlé saxonnes sont si strictes règles. Au cours d’une LEGAD de SHAPE afin de
cette information auprès que si rien ne remonte investigation réalisée dans désamorcer définitivement
de la DMN/N ainsi que des dans les délais, on la région de Bosanski la rumeur. Quels
sources de renseignement considère qu’il ne s’est Samak (secteur Nord-est et enseignements en tirer a
de théâtre ou nationales rien passé. Il faut être zone de responsabilité de la posteriori ? L’importance
(les fameuses National convaincu qu’il n’y a, dans DMN/N sous d’établir des relations de
Intelligence Cells). ce domaine, que peu de commandement américain) confiance avec ceux qui
Personne ne semble être place pour le bon sens mi-décembre 1996, un des détiennent la Loi dont le
au courant et aucun français. employés du TPIY- Sarajevo LEGAD.
TPIY
Mémorandum
Bureau du tribunal
Bureau du procureur à Sarajevo/Zaghreb
Demande de soutien
Politique générale à une enquête
PC SFOR INFO
CR courants INFO
CAOC PC SFOR
Bureau OPS/J3
Directives de politique générale
Plates formes
aériennes Information
préliminaire
Equipe du tribunal
Divisions sur le terrain
dans la lettre et l’esprit. Reste que l’objectif plus concret de cet article est de
tirer quelques enseignements d’un poste en milieu multinational afin que ceux
Le cadre juridique
des opérations extérieures- p. 10
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre
C.D.E.F
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces