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DOCTRINE

Revue militaire générale


n° 04

DOCTRINE
La nécessaire liberté
d’action du chef

ETRANGER
Les opérations de stabilisation
et de reconstruction
LIBRES RÉFLEXIONS
La fin justifie-t-elle
tous les moyens ?

L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE
DES FORCES TERRESTRES

>> Retour d’expérience Les méandres de la justice pénale internationale


Directeur de la publication :
Général (2s) Jean-Marie Veyrat sommaire n° 04
Rédacteur en chef :
Doctrine
Capitaine Stéphane Carmès
Avant-propos p. 4
Maquette : Christine Villey La nécessaire liberté d’action du chef p. 5
Création : amarena La reconnaissance statutaire du militaire en opérations extérieures p. 8
Crédits photos :
Le cadre juridique des opérations extérieures p. 10
ADJ J.R. Drahi/SIRPA Terre
La protection du personnel en opération extérieure p. 13
(1ère de couverture)
CCH J.J. Chatard/SIRPA Terre Existe-t-il un droit dans la guerre ? p. 15
(4e de couverture) Les règles d’engagement en 10 questions p. 18
Photogravure : Saint-Gilles (Paris) La nécessaire collaboration de l’autorité militaire
Gestion du fichier des abonnés : et des prévôts en matière pénale p. 21
Capitaine Stéphane Carmès

Diffusion :
Etranger
bureau courrier du CDEF Les opérations extérieures de la Bundeswehr,
à la lumière du droit international et du droit constitutionnel p. 24

Impression : Section Conception Le problème de la sécurité publique dans les missions actuelles de maintien
de la paix et ses implications pour les interfaces police-militaires p. 28
Impression du CDEF
Tirage : 2 000 exemplaires Les lois de la guerre en situation non conventionnelle p. 31
Dépôt légal : à parution La protection juridique des militaires espagnols en opération p. 34
ISSN : 1293-2671 - Tous droits
Les opérations de stabilisation et de reconstruction p. 38
de reproduction réservés.

Revue trimestrielle Libres réflexions


Conformément à la loi «informatique
La fin justifie-t-elle tous les moyens ? p. 42
et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978,
Le chef et les crimes de guerre p. 46
le fichier des abonnés à DOCTRINE a
fait l’objet d’une déclaration auprès de Le cadre juridique des opérations militaires de l’Union européenne :
la CNIL, enregistrée sous le
l’exemple de l’opération ARTEMIS en République démocratique du Congo p. 50
n° 732939. Le droit d’accès et Le droit en territoire occupé p. 53
de rectification s’effectue auprès du
CDEF.
Retour d’expérience
ARTEMIS : “donner au chef le cadre juridique nécessaire
Centre de Doctrine
à l’exécution de sa mission ” p. 56
d’Emploi des Forces -
L’environnement juridique des forces terrestres en République de Côte d’Ivoire p. 58
BP 53 - 00445 ARMEES.
Le méandres de la justice pénale internationale p. 62
Tél. : 01 44 42 35 91 ou 01 44 42 59 86
PNIA : 821 753 35 91 ou 821 753 59 86
Fax : 01 44 42 35 01 ou 821 753 35 01
Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr
Mel : doctrine@cdef.defense.gouv.fr
éditorial

principes de l’emploi de notre


Armée de terre professionnelle -
la liberté d’action et la légitimité
C•D•E•F de nos actions ; la concentration
des efforts et la gradation des
effets de nos armes ; l’économie
de nos forces et la limitation des
e numéro 4 de DOCTRINE dommages (humains, culturels,

C totalement dévolu à la pro-


blématique juridique de
l’engagement de nos forces
etc.) - s’impose à nous, bien sûr
pour le respect strict des valeurs
universelles qui fondent nos
prend aujourd’hui une dimension démocraties mais aussi dans le
toute particulière. souci essentiel du succès de nos
armes et donc de la consolidation
Nos soldats sont confrontés de des paix que nous cherchons tou-
plus en plus à des situations jours à établir, l’observation la
complexes, où la guerre est sans plus rigoureuse des lois.
être, où les acteurs sont mul-
tiples, de statuts divers, hommes C’est dans cet esprit que je
civils ou non, femmes voire par- remercie Madame BERGEAL et le
fois enfants, en tous cas jeunes personnel de sa direction des
adolescents. affaires juridiques pour leur par-
ticipation importante à l’élabora-
Au-delà même de la superposi- tion de ce numéro qui est de fait
tion des droits, voire de leurs un document de doctrine.
imbrications, parfois même de
leurs contradictions s’établit
donc le nouveau " brouillard " des
conflits de ce siècle.

Brouillard d’autant plus épais


que les adversaires qui souvent
s’opposent à nous s’affranchis-
sent de toutes les règles et lois
qui régentent les conventions de
la guerre. Le Général de Division
Gérard BEZACIER
Il faut donc tout mettre en œuvre
pour que " les voix des lois ne
soient pas si sonores qu’elles
paralysent l’emploi mesuré de
nos armes ". Dans le cadre
désormais bien défini des six

SEPTEMBRE 2004 3 DOCTRINE N° 04


AVANT-PROPOS
ans son ouvrage célèbre, “ Le droit de la guerre et de la paix ” Grotius rapporte qu’un “ fameux
D général romain prétendait que le bruit des armes l’empêchait d’entendre la voix des lois ”.
“ Rien n’est plus commun, commentait Grotius en 1625, que de voir ainsi mettre en opposition le
droit et les armes ”, mais c’est là une erreur grave.

equel de nos militaires en doute

L aujourd’hui ? Confronté à l’essor du


droit pénal international, à la multi-
plicité et à l’empilement des normes inter-
nationales, à la confrontation de droits De quel droit, en effet, le militaire détient-
nationaux hétérogènes dans des actions il le pouvoir exorbitant de faire usage de
multinationales complexes, à la diversi- la violence ?
fication de ses missions hors du champ
connu du droit des conflits armés, au De quel droit, encore, intervient-il au-delà
devoir permanent de justification devant des frontières de son pays ?
les opinions publiques, le militaire voit
aujourd’hui son action quotidienne jau- De quel droit, enfin, prétend-il chez autrui,
gée à l’aune du droit par l’ensemble des faire taire les armes ?
protagonistes.
Il est indispensable que les officiers d’une
armée qui déploie en permanence dix à
Droit étendard parfois, droit instrumen- quinze mille militaires dans des opéra-
talisé souvent, mais droit sans lequel il tions extérieures à leur territoire natio-
n’est pas d’action légitime. nal soient conscients du cadre juridique
de leur action. Les récents travaux de la
commission de révision du statut général
des militaires ont montré l’acuité de ces
questions.

Je ne peux que me féliciter que “ Doctrine ”


ouvre ses colonnes à ce thème et me réjouir
que la réflexion soit ouverte au-delà de la
direction des affaires juridiques. Souhaitons
ensemble qu’elle soit féconde !

Car sans le droit, il n’est pas d’Etat de droit,


il n’est pas de démocratie, “ afin que, écri-
vait Pascal, la justice et la force fussent
ensemble, et que la paix fut, qui est le sou-
verain bien ”.
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

Catherine BERGEAL,
Maitre des requêtes au Conseil d’Etat
Directrice des affaires juridiques

SEPTEMBRE 2004 4 DOCTRINE N° 04


doctrine
La nécessaire
liberté d’action du chef
Avec l’augmentation du nombre d’opérations extérieures, les militaires français sont confrontés à un
problème nouveau, l’absence fréquente d’un cadre juridique clairement défini, avec parfois, en corollaire,
les ennuis judiciaires de certains d’entre eux, heureusement peu nombreux, mais qui ont fait de la protection
juridique des militaires en opération extérieure un sujet particulièrement sensible depuis plusieurs années.
La judiciarisation croissante de notre société occidentale, de plus en plus perceptible en France, n’a fait
qu’accentuer la méfiance, sinon la crainte des institutions judiciaires nationales ou internationales parmi
les membres des forces armées, notamment des forces terrestres, qui refusent à juste titre d’être inquiétés
pour un usage de la force ordonné par les autorités de leur pays.
L’existence de ce risque provoque un “ sentiment d’insécurité juridique ”1 dont les effets psychologiques,
même s’il faut les relativiser, peuvent conduire certains exécutants ou même certains chefs, quelque peu
pusillanimes, à l’inaction, voire au refus des responsabilités.
Or, cette peur du risque, des conséquences possibles des décisions prises à l’occasion d’événements
fortement médiatisés en particulier, peut inhiber l’action de certains chefs aux différents niveaux de
commandement et limiter ainsi leur nécessaire liberté d’action, indispensable à la bonne exécution des
missions que la Nation leur a confiées, dans le cadre ou non d’une organisation internationale ou régionale.

PAR LE GÉNÉRAL (2S) JEAN-MARIE VEYRAT, DIRECTEUR DE PUBLICATION DE LA REVUE DOCTRINE

ordres et consignes, confor- d’actions à mener. Au contrai-


mément à la doctrine d’emploi re, une superposition des droits
des forces françaises, qui res- international, national, local se
te pour nos unités et états- produit toujours, qui ne facili-
majors le meilleur garde-fou, te pas la tâche de ceux qui sont
puisqu’elle fait la synthèse des chargés de les faire respecter.
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

règles internationales et Ceux-ci (magistrats, policiers,


nationales qui doivent s’ap- prévôts) choisissent souvent
pliquer dans l’action des forces d’appliquer le droit qu’ils
armées d’un pays démocra- connaissent le mieux, en géné-
tique. ral le droit national, qui, de tou-
te façon, reste applicable aux
ressortissants français. Ce
LES FORCES ARMÉES EN droit national “ de tous les
OPÉRATION EXTÉRIEURE SONT jours ” est souvent mal adap-
Il importe donc que le cadre ne sont pas toujours au fait des CONFRONTÉES À LA QUESTION té au cadre d’action de nos uni-
juridique de leur action soit réalités du terrain. Avec la DU DROIT APPLICABLE À LEURS tés, qui n’est pas celui de la
clairement défini par les auto- liberté d’action et donc la ACTIONS, Y COMPRIS AVEC SES paix ou de la guerre, mais celui
rités responsables, en parti- confiance qui leur auront été CONSÉQUENCES PÉNALES. d’un conflit généralement non
culier les autorités politiques accordées, les chefs militaires déclaré officiellement ou d’une
ayant fixé l’objectif à atteindre pourront ensuite, aux diffé- Le déclenchement souvent crise, situations non ou mal
dans l’opération, l’effet final rents niveaux de la hiérarchie, rapide des opérations ne per- codifiées.
recherché et les règles d’en- dans le cadre interarmées et met généralement pas de fixer
gagement, ceci en allant bien généralement multinational pour chacune d’elles un cadre De plus, le mélange des diffé-
au-delà du seul avis technique de l’opération, décliner les juridique précis, adapté au rents rôles que les gendarmes
des spécialistes du droit qui directives reçues, donner leurs théâtre concerné et aux types engagés à la suite de nos

SEPTEMBRE 2004 5 DOCTRINE N° 04


ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

forces peuvent être amenés à vent un large écho dans les Au-delà des débats parfois nombre de mises en cause
assumer (Officier de police médias ou si l’un des belligé- complexes des spécialistes sur judiciaires de militaires fran-
judiciaire des forces armées rants en présence sur le le statut des ROE dans le çais pour les actions qu’ils ont
servant dans les prévôtés, théâtre souhaite les exploiter champ du droit international ordonnées ou exécutées res-
“ gendarme mobile en main- à des fins politiques. Il n’est ou national et sur la possibili- te faible.
tien de l’ordre ” 2 ou policier bien sûr pas question ici de té de l’élaboration ou non d’un
international) ne leur facilite contester les procédures cadre juridique adapté à Les craintes ressenties par cer-
pas toujours la compréhension pénales applicables dans les chaque opération et approu- tains d’entre eux viennent sou-
du contexte de l’action des cas avérés de crimes, exac- vé par le Parlement 4, les vent de leur méconnaissance
forces terrestres, qui reste bien tions ou violations manifestes juristes doivent donc proposer des textes devant guider leur
sûr avant tout militaire avec ce du droit des conflits armés, aux autorités civiles et mili- action, à savoir la doctrine
que cela suppose de recours toujours possibles hélas, taires des solutions simples d’emploi des forces 5, déclinée
à la force et à l’usage des même dans les armées des aux problèmes que rencon- ensuite dans les doctrines des
armes ; il peut en particulier vieilles démocraties, mais de trent les militaires de leur pays différentes armées, le TTA 901
provoquer chez certains subor- s’interroger sur celles qu’on sur le terrain. - Forces terrestres en opéra-
donnés du prévôt une mau- pourrait lancer pour des faits Une première réponse aux tion- pour les forces terrestres,
vaise appréciation de leur mis- survenus lors de combats ou interrogations ou aux inquié- les documents d’emploi qui en
sion, qui peut les conduire à incidents graves.3 tudes des militaires existe découlent, du niveau des
trop se raccrocher à des pro- pourtant d’ores et déjà. grandes unités à ceux des cel-
cédures inadaptées à la situa- lules de base des formations,
tion des unités sur le terrain. Il est donc impératif de dispo- LA PREMIÈRE RÉPONSE RESTE et bien sûr les procédures opé-
ser pour chaque opération L’APPLICATION DE LA DOCTRINE rationnelles.
Une mauvaise cohérence d’en- d’un cadre juridique clair, mais D’EMPLOI DES FORCES QUI FIXE Les documents de doctrine, qui
semble des actions des forces surtout de mettre en cohéren- DES RÈGLES D’ACTION CLAIRES ne sont pas des textes à carac-
armées, due à une compré- ce parfaite le droit appliqué, À NOS UNITÉS ET PRÉSERVE tère réglementaire6, décrivent
hension différente de l’esprit les directives politiques, les LA LIBERTÉ D’ACTION d’une façon très complète le
de la mission ou simplement règles d’engagement (ROE), NÉCESSAIRE DES CHEFS. “ Comment ? ” de l’action, avec
parfois à des problèmes de approuvées, il faut le rappeler, des modes d’action, des orga-
relations humaines, peut alors par les autorités politiques Les conditions d’application nisations du commandement
conduire à des incidents nationales, et les ordres et du droit sur les théâtres d’opé- et des formations possibles,
débouchant sur des procé- consignes donnés aux diffé- rations extérieurs peuvent par- mais ils ne sauraient bien sûr
dures pénales, surtout si les rents niveaux de commande- fois inquiéter certains chefs et remplacer les directives, les
événements concernés reçoi- ment. exécutants. Pourtant, le ordres, les consignes que doit

DOCTRINE N° 04 6 SEPTEMBRE 2004


faire rédiger et donner chaque La liberté d’action est, dans l’ar-
1 Cité par un groupe de juristes
civils dans l’étude
doctrine
opinions publiques à faire
retomber l’opprobre sur
chef à son niveau. Ces docu- mée française, l’un des grands “ L’environnement juridique l’ensemble des forces armées
des forces terrestres dans les présentes là-bas pour remplir
ments rappellent également le principes de la guerre8 énon- opérations extérieures ” réalisée une mission fixée par leur pays,
processus d’élaboration des cés par le Maréchal Foch et sans sous la responsabilité du Centre et, in fine, provoquer dans de
décisions, d’abord au niveau doute le plus important des de recherche et de futures opérations extérieures
documentation du CDES - françaises une limitation trop
stratégique, puis opératif et trois. Cette liberté d’action page 16 (Cahier N° 1 des Etudes forte de la liberté d’action des
tactique, et les procédures consiste en fait à conserver la du CRD paru en novembre 2003). chefs militaires.
OTAN et nationales à utiliser. liberté de choix pour pouvoir 2 En opération extérieure, les unités 4 Voir l’étude citée plus haut.
des forces terrestres, même si 5 Instruction 1000- Doctrine
remplir la mission reçue en elles sont renforcées par des interarmées d’emploi des forces
Pour tous les chefs, du géné- tenant compte des contraintes éléments de la gendarmerie, ne en opération- mise à jour
ral commandant en chef au amies (dont les contraintes juri- font pas de “ maintien de l’ordre “, chaque année.
mais appliquent des modes 6 Ce ne sont plus des
sous-officier chef de groupe, diques...), du milieu et de l’ad- d’action particuliers, avec leur “ règlements “, mais des
la bonne connaissance des versaire. armement de dotation, manuels, mémentos, notices.
textes d’emploi7, plus que cel- éventuellement complété par des Contrairement aux règlements
moyens non létaux. C’est la raison sur la sécurité, par exemple,
le des règles juridiques sou- L’exercice de cette liberté d’ac- pour laquelle l’armée de terre ces textes n’ont pas le même
vent absconses, reste le tion, de choix, présente un préfère utiliser le terme de caractère juridique
meilleur garant d’une action aspect intellectuel, psycholo- “ contrôle des foules“. contraignant.
3 A la lumière des informations 7 Qui rappellent et précisent
judicieuse dans le cadre des gique, important ; il n’est donc détenues à la mi-mai 2004 aussi le cadre juridique et
ordres reçus et donc en confor- possible qu’avec la liberté d’es- (La taille restreinte de l’équipe surtout éthique dans lequel
mité avec les principes appli- prit que donnent la bonne de rédaction et d’impression nous agissons (dont l’existence
de DOCTRINE ne permet pas des règles d’engagement,
qués par nos Nations démo- connaissance de son métier de de coller à l’information), de comportement, d’emploi
cratiques. soldat, la confiance en soi et la les récents événements d’Irak, des armes).
Connaissant parfaitement le confiance dans les autres, y avec les exactions commises 8 On devrait dire “ de l’emploi
par certains policiers militaires des forces”.
cadre dans lequel il agit, le long compris dans les magistrats de américains, chargés de garder
processus décisionnel qui a son pays. les prisonniers “ de guerre “
conduit à son action, parfois (dont certains sont bien des
terroristes et leurs complices),
modeste, le chef ou l’exécutant mais aussi de faire respecter
doit faire confiance à sa hié- la loi et le règlement dans les
rarchie et agir, avec la liberté forces, et aussi, peut-être, si
l’enquête le confirme, par
d’action qui lui est donnée. certains soldats britanniques,
ne doivent pas amener nos

En conclusion,

pour disposer de sa nécessaire liberté d’action, le chef militaire doit donc d’abord et surtout bien connaître les règles
d’emploi de son unité, le long processus d’élaboration des décisions qui l’ont amené sur le terrain, les ordres et les
règles d’engagement et de comportement qui bornent son champ d’action, mais dont il pourra demander l’aménage-
ment. Il doit aussi savoir donner une liberté semblable à ses subordonnés, membres comme lui d’une vieille armée dans
laquelle l’initiative, la participation, le respect des valeurs et la maîtrise permanente de la force ne sont pas de simples
concepts intellectuels. Mais il saura aussi, s’il le faut, sanctionner tout manquement et provoquer l’action de la justice.

SEPTEMBRE 2004 7 DOCTRINE N° 04


La reconnaissance statutaire du militaire
en opérations extérieures
a loi nationale constitue le fondement juridique de l’action du militaire en opérations extérieures.
L Y compris sur un territoire étranger, “ en tout temps et en tout lieu ” (article 12 du statut),
le militaire relève exclusivement de la loi nationale. Cette reconnaissance juridique résulte d’un
dispositif articulé principalement autour du statut général des militaires, de la loi pénale et du code
de justice militaire (article 27 du statut), de la loi du 6 août 1955 relative aux avantages accordés aux
personnels militaires participant au maintien de l’ordre dans certaines circonstances, des codes des
pensions (article 20 du statut).

ette reconnaissance juridique ne distingue pas pour autant l’action en opérations extérieures
C comme une action au caractère exorbitant du droit commun : au contraire, les militaires “ sont
soumis à la loi pénale du droit commun ainsi qu’aux dispositions du code de justice militaire ”
(article 27 du statut). A titre professionnel, ils bénéficient d’une couverture des risques et d’un droit
à réparation (articles 20, 58, 59 et 60 du statut) pour les infirmités constatées “ par le fait ou à
l’occasion du service ” (articles L2 et L3 du code des pensions militaires d’invalidité).

PAR LE COLONEL GUILLAUME DE CHERGÉ, CONSEILLER JURIDIQUE DE LA RÉGION TERRE SUD - OUEST

Inadéquation de la recon- - l’assimilation du recours à la dans la procédure judiciaire ordre, il bénéficie désormais
force au cas de légitime défen- lorsque le militaire est convo- d’une qualification juridique
naissance juridique aux
se pour soi ou pour autrui ; qué en tant que témoin de faits positive de son action, dans
réalités des OPEX - la faute professionnelle com- incriminés. Cette procédure fait son prolongement pénal et
mise par imprudence ou abs- abstraction du lien statutaire dans son rattachement au
La reconnaissance juridique tention, notamment en cas pour retenir une qualification service.
apportée par le statut n’est d’urgence ou de non-assis- pénale de l’action menée.
donc pas adaptée à la réalité tance à personne en danger ; La justification pénale de l’ac-
ambiguë des opérations exté- - l’évaluation des dommages tion de force par le militaire tient
rieures. En effet, les opérations subis ou causés au regard du Élargissement du concept au principe de nécessité : “ n’est
extérieures ne sont pas des lien avec le service ; pas pénalement responsable
opérations de guerre mais le - la possibilité toujours en sus- de la légitime défense au le militaire qui, dans le respect
moyen, le plus fréquemment, pens de l’ouverture d’une cadre de la mission des règles du droit internatio-
de mettre un terme à un conflit information judiciaire contre nal et dans le cadre d’une opé-
armé ne présentant pas un un militaire sur dénonciation. La révision du statut général ration militaire se déroulant à
caractère international, sans des militaires, telle qu’elle l’extérieur du territoire français,
que la force projetée soit par- Ainsi, le caractère personnel de apparaît à l’état de projet1, exerce des mesures de coerci-
tie au conflit. Le militaire est l’action du militaire détermine conserve le principe de l’indi- tion ou fait usage de la force
donc exposé à des risques le degré de responsabilité : le vidualité du militaire en opé- armée lorsque cela est néces-
exceptionnels. militaire bénéficie de la pro- rations extérieures. Elle a, tou- saire à l’accomplissement de la
tection de l’Etat dès lors qu’il tefois, pour but de développer mission ”2. Ce principe de
La méconnaissance juridique “ fait l’objet de poursuites les garanties statutaires (article nécessité se fonde logiquement
de ces risques a pour effet une pénales à l’occasion de faits 1 er du statut) en conformité sur un triple critère :
banalisation du régime de res- qui n’ont pas le caractère d’une avec les principes généraux du
ponsabilité en opérations exté- faute personnelle ” (article 24 droit. Si le militaire ne peut pré- - la proportionnalité des
rieures, dans des domaines du statut). Ce caractère per- tendre à une immunité du fait moyens engagés rapportée
caractérisés : sonnel apparaît également qu’il agit en opérations et sur à la réalité du danger ;

DOCTRINE N° 04 8 SEPTEMBRE 2004


ADJ J.R. DRAHI/SIRPA Terre
doctrine

- l’impossibilité de décider et ve, conserve un effet irréver-


Une responsabilité constances de toute évidence
d’agir autrement et, le cas sible qui prive le militaire hiérarchique complexes.
échéant, sans avoir pu ou su auteur victime de l’accident Instrument en opérations exté-
prendre les précautions nor- des avantages statutaires : la rieures d’un droit internatio-
males ; faute détachable du service En conclusion, la définition pré- nal contraignant, le militaire
- l’utilité de l’action de force est caractérisée par une acti- cise des garanties statutaires est bien lui-même, par le sta-
dans le déroulement de la vité menée à des fins person- entraîne le renforcement du tut, un sujet de droit.
mission. nelles, affranchie des règles contrôle a posteriori des condi-
professionnelles usuelles, tions de recours à la force et
La justification pénale élargit contraire au bon sens. d’exposition aux risques. Les
donc le concept de la légitime Particulièrement dans le futures “ dispositions pénales
défense des biens et des per- contexte d’opérations exté- particulières relatives à l’usa-
sonnes au cadre de la mission, rieures, la faute détachable du ge de la force par les militaires
privilégiant le jugement du service serait à examiner sur en dehors du territoire natio-
chef sur le terrain. un plan disciplinaire, voire nal prévues par le code de jus-
pénal. tice militaire ”6 arrêteront sans
L’imputabilité au service “ de doute les précautions procé-
toute blessure résultant d’un durales indispensables. La 1 Rapport de la commission de
révision du statut général des
accident survenu entre le A contrario, le rattachement au mise en cause de la respon-
militaires, sous la présidence
début et la fin d’une mission service de l’accident est admis sabilité personnelle d’un mili- de M. Renaud DENOIX de SAINT
opérationnelle ”3 est reconnue à la seule condition qu’il soit taire a pour préalable l’avis de MARC. 29 octobre 2003.
2 id
sans restriction : l’automatici- manifeste. La distinction la hiérarchie, seule à même
3 id
té de l’imputabilité au service service - hors service (article d’apporter des éléments d’ap- 4 id
d’une blessure a pour seule 1er du règlement de discipline préciation professionnelle. Elle 5 Article 3 du statut général des
militaires.
limite “ la faute détachable du générale 5) n’est donc pas ne peut compromettre le secret
6 Rapport de la commission de
service ”4. opportune en opérations. En de la défense nationale, oppo- révision du statut général des
conséquence, le militaire est sable devant le juge national militaires. 29 octobre 2003.
7 Article 72 de la convention
Cette notion de faute déta- soumis en permanence au comme devant le juge inter-
portant statut de la Cour
chable du service, dégagée par contrôle hiérarchique et aux national7, auquel le militaire pénale internationale du
la jurisprudence administrati- règles de la discipline. aurait été tenu dans des cir- 17 juillet .

SEPTEMBRE 2004 9 DOCTRINE N° 04


Le cadre juridique
des opérations extérieures
une des plus nobles ambitions du droit est d’encadrer le recours à la force. La force doit
L’ être soumise au droit. Mieux même, elle doit être au service du droit. Cette vieille ambition
trouve particulièrement à s’appliquer face aux guerres, et plus généralement à tout type
d’action armée internationale. Les règles juridiques applicables à de telles interventions sont
aujourd’hui multiples, notamment pour réglementer le déroulement des conflits, le sort des
combattants et des non-combattants. Il ne peut être question ici de retracer l’ensemble de ces
règles de droit mais d’analyser les conditions juridiques du recours à la force. Celles-ci sont
à la fois fixées par le droit interne et par le droit international.

PAR LE CHEF DE BATAILLON (TA) PITHOIS, 116 E


PROMOTION DU COURS SUPÉRIEUR D’ÉTAT-MAJOR

Le cadre juridique peut être déclarée sans un vote soutint le gouvernement. En Constitution) et du Premier
de l’Assemblée nationale et 1939, après l’envahissement de ministre “ responsable de la
interne des opérations l’avis préalable du Conseil de la Pologne par les troupes alle- défense nationale ” (article 21).
extérieures la République ”. Un tel pouvoir mandes, le Parlement français Ces dispositions ont souvent
du Parlement est la traduction vota l’augmentation des crédits trouvé à s’appliquer sous la Ve
La Constitution du 4 octobre du principe démocratique selon militaires et le Gouvernement République, lorsque la France
1958 fixe avec précision les pré- lequel, en République, le pou- notifia à l’Allemagne son obli- a appliqué les dispositions
rogatives des pouvoirs exécu- voir de déclarer la guerre relè- gation de faire jouer l’accord d’accords de défense bilaté-
tif et législatif en matière mili- ve de la représentation natio- bilatéral franco-polonais. Ainsi, raux, notamment avec des
taire. Elle prévoit un régime nale. Il en va de même dans les tant en 1914 qu’en 1939, le États d’Afrique, ou lorsqu’elle
particulier pour la déclaration autres démocraties. Parlement fut étroitement asso- a agi en application de réso-
de guerre, que le Parlement doit cié au déclenchement des hos- lutions du Conseil de sécurité
autoriser, et renvoie, pour Ainsi, aux États-Unis tilités, même si les guerres ne des Nations unies. Ainsi le
toutes les autres opérations d’Amérique, c’est le Congrès furent pas, compte tenu des cir- Parlement n’a pas eu à inter-
extérieures, aux compétences qui a le pouvoir de “ déclarer la constances internationales, venir pour autoriser les opé-
de droit commun de l’exécutif. guerre ” (article premier, sec- expressément déclarées. rations au Zaïre (19 mai 1978)
tion VIII de la Constitution amé- ou au Tchad (9 août 1983).
D’une part, en application de ricaine). Le Parlement n’a, bien sûr, pas L’Assemblée nationale a cepen-
l’article 35 de la Constitution, eu, sous la Ve République, à dant eu l’occasion d’en
“ la déclaration de guerre est Cette disposition sur la décla- faire usage des pouvoirs confé- connaître, lors d’une déclara-
autorisée par le Parlement ”. ration de guerre n’a pas trouvé rés par l’article 35. Dans une tion du Gouvernement sur sa
C’est là la reprise d’une tradi- à s’appliquer exactement lors telle hypothèse, l’autorisation politique étrangère et du débat
tion républicaine ancienne des deux premiers conflits mon- du Parlement précéderait la sur cette déclaration (respec-
qu’on retrouvait déjà sous la diaux, même si, à chaque fois, déclaration de guerre qui relè- tivement les 8 juin 1978 et 6
IIIe et la IVe Républiques. Ainsi, le Parlement fut étroitement ve de l’exécutif. Hormis ce cas octobre 1983). Ces débats
l’article 9 de la loi du 16 juillet associé au déclenchement du de la déclaration de guerre, les n’ont jamais été suivis de vote.
1875 disposait que “ le prési- conflit. En 1914, après qu’un dispositions constitutionnelles
dent de la République ne peut décret de mobilisation eut été ne donnent pas de compéten- En 1991, les opérations dans
déclarer la guerre sans l’as- lancé en France, l’Allemagne se ce au Parlement dans le le golfe arabo-persique ont, en
sentiment préalable des deux considéra en état de guerre déclenchement, la conduite et revanche, conduit à un vote du
chambres ”. avec la France. La France ainsi la cessation des opérations Parlement, sur la base de l’ar-
attaquée, un vote déclarant la extérieures de forces armées. ticle 49, alinéa 1 (engagement
De même, l’article 7 de la guerre à l’Allemagne n’avait pas Celles-ci relèvent du président de la responsabilité du
Constitution du 27 octobre 1946 lieu d’être, mais le Parlement de la République “ chef des Gouvernement) pour
disposait que “ la guerre ne fut immédiatement réuni et armées ” (article 5 de la l’Assemblée nationale et de

DOCTRINE N° 04 10 SEPTEMBRE 2004


l’article 49, alinéa 4 (sans enga- ministère de la Défense sur des vues de conquête et n’em-
doctrine
La première exception à cette
gement de la responsabilité) les opérations extérieures ; ploiera jamais ses forces contre prohibition est bien connue :
pour le Sénat. Comme l’a alors - un débat sur ce rapport et ces la liberté d’aucun peuple ”. c’est celle fixée à l’article 51 de
souligné le professeur Guy opérations lors du collectif Cette disposition est contem- la Charte du “ droit national de
Carcassonne : “ Juridiquement, budgétaire ; poraine de la Charte des légitime défense, individuelle
évidemment ce vote, comme - une présentation, devant les Nations unies, signée le 26 juin ou collective, dans le cas où un
chacun sait n’était pas indis- commissions de la défense 1945 et entrée en vigueur le membre des Nations unies est
pensable. Il ne s’agissait pas de l’Assemblée nationale et 24 octobre suivant. Les dispo- l’objet d’une agression armée,
d’une autorisation, il s’agissait du Sénat, des objectifs des sitions de la Charte forment le jusqu’à ce que le Conseil de
bien d’un engagement de opérations extérieures dans cadre juridique international sécurité ait pris les mesures
confiance sur un sujet précis. Il le mois qui suit leur déclen- du recours à la force. nécessaires pour maintenir la
n’était pas du tout indispensa- chement ; paix et la sécurité internatio-
ble à ce que juridiquement, le - un déplacement, une fois par L’article 2, paragraphe 4 de la nales ”. Cette disposition
chef des armées soit en mesu- semestre, des parlementaires Charte dispose que “ les paraît, à première vue, simple
re d’engager la France dans ce membres des commissions membres de l’Organisation en posant le droit de légitime
conflit. ” de la défense auprès des (des Nations unies) s’abstien- défense. On sait cependant
Un tel pouvoir du Parlement forces armées en opérations nent dans leurs relations inter- qu’en droit, l’absence de défi-
nécessiterait une révision extérieures. nationales, de recourir à la nition générale de “ l’agres-
constitutionnelle. sion ” ne résout pas toutes les
difficultés posées par l’article
Lors du débat sans vote sur le 51 de la Charte. En la seule pré-
Kosovo, qui a eu lieu à sence de la résolution 3314 de
l’Assemblée nationale le 27 avril l’Assemblée générale des
1999, le président de la com- Nations unies en 1974, l’agres-
mission de la défense a, en ce sion ne peut aujourd’hui se
sens, exprimé le souhait que définir que par l’intervention
le Gouvernement demande du Conseil de sécurité. En l’ab-
l’autorisation du Parlement sence d’une telle intervention,
avant d’engager des forces qui ne s’est depuis 1945 pro-
militaires à l’extérieur. Le duite qu’à une seule reprise à
Premier ministre a alors esti- l’occasion de la “ guerre de la
mé que l’article 35 de la Corée ”, l’État peut user de son
Constitution ne trouvait pas à droit de légitime défense jus-
s’appliquer, mais a déclaré que qu’à ce que celui-ci ait atteint
“ l’hypothèse d’un engage- son but. Cette défense ne per-
ment militaire au sol ne pour- met pas de mener des actions
rait être envisagée, sans que militaires, au-delà de ce qui est
la question vous soit soumise. nécessaire pour repousser
Vous seriez consulté de façon l’agression.
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

formelle pour autoriser, ou


non, par un vote une telle inter- La Charte des Nations unies,
vention ”. à laquelle renvoie l’article 2,
paragraphe 4, prévoit une
Au total, le cadre juridique deuxième exception à la pro-
interne des opérations exté- hibition du recours à la force.
rieures apparaît bien établi. C’est celle figurant aux articles
Conformément à la Constitution, 42 et 53 de l’action collective
il revient au Parlement d’auto- décidée en vue de faire face à
riser la déclaration de guerre. Le cadre juridique menace ou à l’emploi de la for- une menace contre la paix, une
Les autres opérations exté- international des ce, soit contre l’intégrité terri- rupture de la paix ou un acte
rieures relèvent des préroga- opérations extérieures toriale ou l’indépendance poli- d’agression. L’article 42, et
tives de l’exécutif. Dans ce sec- tique de tout État, soit de toute plus généralement le chapitre
ond cas, les modalités autre manière incompatible VII de la Charte à laquelle il
d’information du Parlement Si la Constitution du 4 octobre avec les buts des Nations appartient, sont légitimement
ont cependant été renforcées. 1958 prévoit l’hypothèse de la unies ”. Ainsi la Charte pose regardés comme l’une des
déclaration de guerre, elle ren- un principe général de prohi- pièces maîtresses du disposi-
Ainsi, Alain Richard, ministre voie également au Préambule bition de recours à la force, tif onusien. Ces dispositions
de la Défense, a annoncé le de la Constitution du 27 tout en réservant la licéité d’un ont connu un net regain d’uti-
4 février 1999 quatre mesures : octobre 1946 qui dispose que tel recours dans certaines cir- lisation avec la fin de la guer-
- la préparation d’un rapport “ la République française n’en- constances ou en vue de cer- re froide. Les résolutions en
annuel au Parlement du treprendra aucune guerre dans taines fins. cause n’ont pas pour autant

SEPTEMBRE 2004 11 DOCTRINE N° 04


comporté des dispositions se, il convient de s’interroger Ce droit positif est aujourd’hui
explicites sur le recours à la sur l’intégration dans le droit critiqué par certaines voix,
force, le Conseil de sécurité positif de ce courant. essentiellement dans des Le cadre juridique des
préférant le plus souvent uti- démocraties européennes. actions extérieures est à la
liser une formule permettant D’une part, le droit internatio- Leur revendication d’un droit fois national et internatio-
aux États participants à une nal classique reconnaît de d’ingérence humanitaire est nal. En droit interne, il ren-
force de prendre toutes les longue date le droit pour un notamment rejetée par voie aux prérogatives du
mesures nécessaires pour État d’assurer la protection de nombre d’États du Sud. Hubert législatif et de l’exécutif. Le
accomplir leur mandat. Une tel- ses nationaux à l’étranger en Védrine, ministre des Affaires premier autorise la décla-
le formulation doit être enten- certaines circonstances. C’est étrangères, analyse cette situa- ration de guerre, le second
due de façon extensive et là le sens de la sentence de Max tion en réponse à Dominique dispose de prérogatives
inclure le recours à la force. Huber, président de la CPJI, en Moïsi : “ Le droit d’ingérence étendues nécessaires à l’ac-
1924 sur les biens britanniques dont vous parlez inquiète tion armée extérieure. En
Plusieurs exemples soulignent au Maroc. Cependant, le droit beaucoup de pays, car qui s’in- droit international, la Charte
cette sobriété des résolutions encadre précisément cette pré- gère ? Toujours les mêmes ! Je des Nations unies fixe un
du Conseil de sécurité, dans rogative étatique, car elle por- pense qu’il convient de pré- cadre précis, prohibant le
lesquelles le “ recours à la for- te directement atteinte à la server la souveraineté des recours à la force armée
ce ” n’est mentionné que dans souveraineté d’un autre État. États... Nous avons du mal à mais autorisant celui-ci en
la résolution 169 du 21 février L’intervention, au profit de ses mesurer tout ce qu’elle repré- cas de légitime défense ou
1961 pour l’APRONUC au ressortissants, doit notam- sente encore, pour une immen- d’action collective.
Congo. Par la suite, pour la ment être strictement néces- se majorité d’Etats membres De telles actions collectives,
Somalie, la résolution n° 794 saire et proportionnée. de l’ONU, en termes de digni- sous l’égide des Nations
du 5 décembre 1992 autorisait, té, d’identité nationale, de pro- unies, constituent la néces-
en vertu du chapitre VII de la “ Le droit d’ingérence huma- tection contre une mondiali- saire réponse à des situa-
Charte, l’UNITAF à employer nitaire ” veut aller bien au-delà sation inquiétante. J’ajoute tions humanitaires drama-
“ tous les moyens nécessaires de ce droit de l’État de sauver que, contrairement à une idée tiques dans divers pays du
pour instaurer aussitôt que ses nationaux. Il s’insère reçue, plus de problèmes monde. Cependant, après
possible des conditions de cependant dans un droit inter- découlent de la faiblesse d’un leur développement au
sécurité pour les opérations national fondé sur la souve- certain nombre des 189 Etats début des années quatre-
humanitaire ”. Au Rwanda, la raineté des États. Ainsi, la Cour membres de l’ONU que de leur vingt-dix, de telles opéra-
France était autorisée par la internationale de justice a, en force excessive ”. tions sont aujourd’hui
résolution n° 929 du 22 juin 1946, jugé dans l’affaire du moins nombreuses. La
1994 à employer “ tous les détroit de Corfou que “ le pré- cause en est sans doute
moyens nécessaires pour tendu droit d’intervention ne Cette structuration de la socié- notamment à rechercher
atteindre les objectifs huma- peut être envisagé... que com- té internationale n’ôte en rien dans les critiques que sus-
nitaires ”. En Haïti, la force mul- me la manifestation d’une poli- aux Etats, dans le droit positif, cite immédiatement toute
tinationale était autorisée, sur tique de force, politique qui, les moyens d’agir pour faire action de la part des inac-
le fondement du chapitre VII, dans le passé, a donné lieu aux face aux situations de détres- tifs. Ce paradoxe apparent
par la résolution n° 940 du 31 abus les plus graves et qui ne se humanitaire. Si l’article 2, dépasse de beaucoup
juillet 1994, à “ utiliser tous les sauraient, quelles que soient paragraphe 7 de la Charte pré- l’analyse du cadre juridique
moyens nécessaires pour faci- les déficiences présentes de la voit “ qu’aucune disposition des actions extérieures,
liter le départ des dirigeants société internationale, trouver de la présente Charte n’auto- mais souligne également
militaires ”. aucune place dans le droit rise les Nations unies à inter- que celui-ci n’est pas lacu-
international ”. Le droit huma- venir dans les affaires qui relè- naire. Les États ont, au sein
Pour le Timor oriental, nitaire reflète fidèlement cet- vent essentiellement de la de l’organisation des
l’INTERFET est autorisée à te orientation. Ainsi, l’article 3 compétence nationale d’un Nations unies, les moyens,
“ prendre toutes les mesures du protocole II de 1977, addi- État ”, il ajoute, en effet que lorsqu’ils le veulent, d’agir
nécessaires pour accomplir tionnel aux conventions de “ ce principe ne porte en rien pour faire face à la violen-
son mandat ”. Genève sur les conflits armés atteinte à l’application des ce et à la détresse.
non internationaux, précise mesures de coercition prévues
Indépendamment de la légiti- “ qu’aucune disposition du au chapitre VII ”. C’est sur cet-
me défense et de l’action col- présent protocole ne sera invo- te base qu’a été décidée l’opé-
lective sous l’égide des Nations quée comme une justification ration “ Rendre l’espoir ” en
unies, les quinze dernières d’une intervention directe ou Somalie en 1992. Il en a bien
années ont vu le développe- indirecte, pour quelque motif sûr été de même à partir de
ment d’un courant préconisant que ce soit, dans le conflit armé 1992 pour l’ex-Yougoslavie et
un autre fondement à la force ou dans les affaires intérieures la FORPRONU. Les exemples
armée, celui du “ droit d’ingé- ou extérieures de la haute par- abondent désormais :
rence humanitaire ”. Au-delà de tie contractante sur le territoi- Cambodge, Angola Haïti,
la nécessité morale de faire re de laquelle le conflit se pro- Rwanda, Timor...
face à des situations de détres- duit ”.

DOCTRINE N° 04 12 SEPTEMBRE 2004


doctrine
La protection du personnel
en opération extérieure
’opération extérieure (OPEX) constitue une activité essentielle de nos forces. Le but de la
L réflexion proposée est de s’intéresser à l’environnement juridique du militaire français en
OPEX. Il est estimé que ce dernier n’est pas adéquat, tant pour conduire à bien les missions
que sur le plan de la protection médico-sociale. Pourtant des pistes d’amélioration existent.

Il sera admis qu’une OPEX est une opération à caractère humanitaire qui ne peut être conduite
qu’après un rétablissement (ou établissement) d’un minimum d’ordre public permettant des
conditions de vie acceptables pour la population. Ceci étant souvent compliqué par l’obligation
de séparer - ou faire cohabiter - des populations dont l’amour ou le respect du voisin n’est pas
le souci principal.

L’action des militaires s’inscrit dans un contexte de crise, d’intensité variable (les niveaux
d’intensité pouvant évoluer très rapidement). L’emploi de la force armée ne peut être exclu ;
dans cette éventualité le militaire français est-il juridiquement suffisamment protégé ?
Protégé oui ; suffisamment, non. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’arriver à une situation
d’impunité. La situation actuelle peut néanmoins être améliorée, tout en laissant au juge pénal
la plénitude de ses attributions.

PAR LE COMMISSAIRE - COLONEL GILLES BERNARD, DE LA CELLULE DES AFFAIRES JURIDIQUES DE L’EMAT

Le militaire et l’emploi de l’existence des ROE


ne permet pas de res-
de la force armée en pecter complètement
opération extérieure les dispositions de cet
article.
Principe de base : c’est le droit
français qui s’applique. Concilier l’action éven-
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

tuelle du juge pénal et


Or bien souvent, une OPEX a l’article 16-1 du SGM
un caractère international; le impose donc de recon-
commandant de cette opéra- naître au sein de notre
tion émet des ROE (Rules of arsenal juridique une
Engagement). Il sera admis place aux ROE.
que ces ROE ne posent pas de
problèmes juridiques vis-à-vis L’Etat français admet
de la légalité et du droit des armes sera étudié par rapport Pourtant l’article 16-1 du statut d’un côté que les militaires
conflits armés. aux dispositions du code pénal, général des militaires (SGM) puissent respecter les ROE légi-
au vu de la “ légitime défense ” impose de vérifier “ si les dili- timement émis par une autori-
Le problème est que ces ROE et de l’état de “ nécessité ” ; gences normales, compte tenu té supranationale et, d’un autre
ne constituent pas en droit rien que de très normal sauf des compétences, du pouvoir côté, que sa justice pénale ne
français une disposition légis- que ces notions ont été déve- et des moyens dont ils dispo- les reconnaît pas.
lative ou réglementaire s’im- loppées en tenant compte sent, ainsi que des difficultés
posant au juge pénal. d’une société démocratique et propres aux missions que la loi La commission de révision du
En cas d’éventuelles pour- “ policée ”, situation rarement leur confie ” ont bien été appli- SGM a proposé que le code de
suites pénales, l’emploi des rencontrée en OPEX. quées. La non prise en compte justice militaire soit complété

SEPTEMBRE 2004 13 DOCTRINE N° 04


par la disposition suivante Il ne s’agit pas de revenir sur mission ; c’est un mieux qui
“ n’est pas pénalement res- ces affaires ; simplement de toutefois ne va pas aussi loin
ponsable le militaire qui, dans souligner par leur intermé- que la jurisprudence de la cour
le respect des règles du droit diaire la difficulté d’apprécia- de cassation.
international et dans le cadre tion de l’accomplissement de
d’une opération militaire se certaines activités par rapport
déroulant à l’extérieur du ter- “ au service ”.
ritoire français, exerce des
mesures de coercition ou fait
usage de la force armée Deux situations méritent
lorsque cela est nécessaire à attention. Cette contribution n’avait
l’accomplissement de la mis- pour but que d’évoquer la
sion ”. La première couvre ce que l’on situation juridique des per-
appelle “ les actes de la vie sonnels en OPEX ; si le prin-
Si cette proposition est une courante ”. Le militaire pour- cipe d’engagement de telles
avancée certaine, elle devrait tant appelé “ à servir en tous opérations paraît bien éta-
néanmoins aller plus loin en lieux ” ne bénéficie pas de la bli, les conséquences vis-à-
faisant clairement référence protection que la jurispruden- vis des personnels sem-
aux ROE. Ceci ne représente ce de la Cour de Cassation blent plus floues. Espérons
pas une difficulté juridique reconnaît au salarié en mission que les propositions de la
insurmontable et est de natu- (pourvoi n° 285 du 19 juillet commission de révision du
re à développer un climat plus 2001 ; pourvoi n°133 du 2 avril SGM trouveront un écho
serein pour l’action sans aucu- 2003 ; chambre sociale ; “ mais favorable. Sans doute pour-
nement porter atteinte aux pré- attendu que le salarié effec- rait-on aller plus loin : don-
rogatives de la justice pénale. tuant une mission a droit à la ner un statut juridique
protection prévue par l’article propre à l’OPEX.
L.411-1 du code de la sécurité
La protection médico- sociale pendant tout le temps
de la mission qu’il accomplit
sociale pour son employeur, peu
important que l’accident sur-
Le développement ne s’inté- vienne à l’occasion d’un acte
ressera qu’à la prise en comp- professionnel ou d’un acte de
te des séquelles invalidantes la vie courante, sauf la possi-
par rapport au lien au service. bilité pour l’employeur ou la
Bien que les dispositions de la caisse de rapporter la preuve
loi de 1955 (présomption d’im- que le salarié avait interrompu
putabilité ; abaissement au pour un motif personnel ” ).
seuil de 10% la prise en comp-
te des séquelles imputables La seconde couvre les activi-
aux maladies) soient systé- tés de détente, essentielle-
matiquement étendues aux ment les sorties touristiques.
OPEX, cela n’a pas empêché Cette situation est sans doute
les problèmes relatifs à la très variable selon les théâtres
reconnaissance d’imputabili- d’opération ; toutefois elle ne
té par rapport à l’exécution du peut être ignorée.
service. Il est estimé que la prise en
compte de la jurisprudence de
En effet, certaines affaires rela- la cour de cassation dans les
tives à ce sujet ont créé une textes statutaires et le code
vive émotion dans la commu- des pensions militaires d’in-
nauté militaire. Bien que la validité permettrait de clarifier
conclusion de ces dernières ait la protection médico-sociale
été favorable aux demandeurs, des personnels en OPEX sans
ce résultat a requis des pro- pour autant alourdir les
cédures longues et fasti- charges de l’Etat.
dieuses pour des situations, La commission de révision du
somme toute, assez commu- SGM propose la prise en comp-
nément rencontrées par les te de la présomption d’impu-
personnels en OPEX. tabilité du début à la fin de la

DOCTRINE N° 04 14 SEPTEMBRE 2004


doctrine
Existe-t-il un droit
dans la guerre ?
Si la guerre pose un problème particulier, cela vient de son caractère démesuré, barbare. De même que
la lutte de deux hommes, quand nulle police n’intervient, revêt un caractère de violence sans règle, sans
frein..., de même, la guerre déclarée met en mouvement des forces qui, dès lors échappent à la mesure
du tort subi ou de la menace encourue. C’est un “ sauvage tout ou rien ”. Cette démesure est certaine, elle
blesse notre sens inné de la raison - et on dira que la guerre est “ absurde ” - elle blesse notre volonté du bien
universel - on dira qu’elle est un “ scandale ”. Mais, à la réflexion, la démesure n’est pas tant le signe d’une
folie ou d’une injustice collective, que la preuve de l’absence de toute institution de justice et de raison
supérieure capable de donner à ce genre de conflit une solution mesurée et de pouvoir l’imposer
souverainement aux belligérants. “ La guerre n’est pas une nécessité de droit, ni métaphysique ni religieuse.
Néanmoins, la défense d’un peuple contre une agression portant atteinte à ses droits, à sa dignité, à sa
sécurité peut rendre cette déclaration légitime. Le droit de la guerre acquiert là une noblesse évidente, dans
la mesure où il est le moyen de sauvegarder à travers les aléas, les hauts et les bas de chaque peuple,
l’équilibre international et la paix universelle.” 1

La Paix est œuvre de justice mais elle est aussi œuvre de force.

Aussi devons-nous nous intéresser dans un premier temps à ce que recouvre la notion même de droit dans
la guerre, puis ensuite nous nous intéresserons aux principes fondamentaux de ce droit.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JÉRÔME CARIO, DU CDEF/DREX

n’est pas plus absurde de la violence indiscriminée et les


codifier la conduite des hos- souffrances excessives (Droit
tilités de deux groupes de La Haye).
armés que la circulation
routière. ” Il n’y a donc Les sources de ce droit résident
aucune incohérence à par- dans des coutumes et des
ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

ler de “ droit des conflits conventions internationales. Si


armés.”4 ces coutumes remontent assez
loin dans le temps,5..., les
Le droit dans la guerre est conventions qui ont codifié ce
donc un ensemble des prin- qu’on appelait alors “la loi et
cipes et règles du droit inter- les coutumes de la guerre ”
national public applicables remontent à l’époque de la
lors de conflits et qui ont création de la Croix-Rouge inter-
pour but : nationale et ont donné nais-
sance à ce corpus juridique
Qu’est-ce que le droit droit un comportement qui en - de protéger et d’assurer que appelé indifféremment, droit
dans la guerre ? paraît la négation ? 3 Le para- les non-combattants, civils en international humanitaire ou
doxe n’est qu’apparent. En effet particulier et les militaires hors droit des conflits armés.6
N’y a-t-il pas contradiction dans la guerre, comme le commer- de combat soient traités avec
les termes mêmes lorsque ce, la circulation des hommes, humanité (Droit de Genève), Aujourd’hui c’est donc un
nous parlons de “ droit dans la à l’instar de toute activité - de limiter, voire d’interdire cer- ensemble de traités internatio-
guerre ou de droit des conflits humaine peut donner lieu à taines méthodes et moyens naux nombreux et complexes
armés2” ? Peut-on associer au réglementation.“Après tout, il de combat, afin d’empêcher qui forment l’essentiel du droit

SEPTEMBRE 2004 15 DOCTRINE N° 04


dans la guerre. A ce titre, leur ticle 3, commun aux quatre différentes phases d’un conflit.
portée doit être évaluée avec conventions), - dans la conven- En effet le droit des conflits
les critères et la méthodologie tion de La Haye de 1954 ( l’ar- armés régit deux types de
propres au droit international. ticle 19), - ainsi qu’un traité qui situations :
C’est ainsi qu’avant d’affirmer fait moins de 20 articles, le 2e
que telle règle s’applique à tel protocole additionnel de 1977. - les situations d’affrontement
conflit, il convient de vérifier Ces textes énoncent les où les individus sont expo-
si les États, parties à ce conflit normes minimales de protec- sés aux effets directs des
sont liés par le traité qui énon- tion des victimes. Encore faut- hostilités ;
ce la règle et, dans l’affirmati- il que le conflit armé interne - les situations consécutives à
ve, s’ils n’ont pas fait de réser- atteigne une certaine ampleur l’affrontement où les indivi-
ve au traité. Si par exemple les pour que ces dispositions s’ap- dus se retrouvent au pouvoir
conventions de Genève de pliquent, ce qui n’est pas le cas de l’ennemi.
1949 ont été ratifiées par qua- si la partie rebelle ne contrôle
siment tous les États, il n’en pas une partie de territoire ou Aussi les principes spécifiques
va pas de même de leurs pro- ne dispose pas au moins d’une de proportionnalité14 et de dis-
tocoles additionnels de 1977 force armée organisée. Ces crimination15 sont posés com-
qui ne lient à ce jour que deux textes ne s’appliquent pas a me un impératif au chef mili-
tiers d’entre eux, ni de la fortiori, non plus aux situations taire lors de la planification et
convention de 1980 qui lie de troubles internes. la conduite d’une opération.
moins d’un tiers des États.7 Ils n’ont qu’un seul but, éviter
les maux superflus tout en per-
“ Pour nous, militaires fran- Les principes de mettant au chef militaire de
çais, le droit des conflits remplir la mission assignée,
armés c’est un droit impéra- substance du droit qui se traduit donc par la
tif qui dépasse les règles du dans la guerre nécessité militaire. Cette
droit national.” 8 nécessité militaire entraîne des
Le droit dans la guerre est fon- dommages ou effets collaté-
Ce droit à géométrie variable, dé sur la primauté de l’intérêt raux, qui ne peuvent être que
ne s’applique intégralement des victimes. Cela signifie des accidents.
qu’aux conflits armés interna- qu’en cas de doute, qu’entre
tionaux, à savoir principale- deux comportements, il faut Compris et appliqué comme
ment les conflits armés inter- faire prévaloir celui qui est le cela, le droit des conflits armés
étatiques, tels que les conflits, plus favorable aux victimes. 9 n’est pas une “ arme contre le
Irak - Iran (1980-1988), Irak - Ce principe de protection prio- militaire ”, bien au contraire.
Koweït (1990-1991), Côte ritaire des victimes réside dans “ Contrairement à ce que cer-
d’Ivoire (2002-2003) ou Irak - le fait que ce droit repose tains souhaiteraient ou pour-
coalition anglo-américaine moins sur la réciprocité inter- raient imaginer, le droit des
(2003-...) ; les guerres de libé- étatique que sur l’engagement conflits armés ne doit pas
ration nationale qui opposent unilatéral envers les victimes.10 s’inscrire comme un frein à l’ac-
un peuple à une puissance ou tion mais vient au contraire
à un régime d’occupation Autrement dit ce n’est pas par- l’encadrer.” 16
étrangère, tel que le conflit du ce qu’une partie belligérante
Sahara occidental (1975-...) ; viole le “ jus in bello ” que
les conflits internes où se gref- l’autre partie peut renoncer à
fe une intervention caractéri- l’appliquer, les représailles sont PROPORTIONNALITÉ DISCRIMINATION
sée par l’envoi de forces généralement interdites.11
armées, tels que les conflits
vietnamien (1958-1975) ou On a donc, d’un côté, le droit
afghan (1979-1989/2002). dans la guerre qui réglemente NECESSITÉ MILITAIRE
Dans les conflits armés la conduite des hostilités en se
internes, beaucoup plus fré- fondant sur la conservation des
quents de nos jours, tels que États, c’est la nécessité militai-
le conflit yougoslave, à ses re,12 et d’un autre côté, il exis-
débuts (1990-1991), le conflit te un droit de l’assistance qui Effets Dommages
de Tchétchénie (1994 -...) ou tend à protéger les victimes, collatéraux collatéraux
du Liberia (1989-...), le droit c’est le principe d’humanité.13
des conflits armés se réduit à
la portion congrue, - une dis- Indépendamment de ces prin-
position dans les quatre cipes généraux, il existe des ÉVITER LES MAUX SUPERFLUS
conventions de Genève, (l’ar- principes plus spécifiques aux

DOCTRINE N° 04 16 SEPTEMBRE 2004


Conclusion
doctrine
La mise en œuvre du droit dans la guerre n’échappe pas aux faiblesses du système international actuel, dont le
fonctionnement repose encore largement sur la bonne volonté des États et donc malheureusement sur le droit du plus
fort. On peut se demander dès lors pourquoi un État qui viole délibérément le droit international en s’engageant dans un
conflit armé banni sans équivoque depuis l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies, (objet du jus ad bellum)
respecterait les règles du droit des conflits armés (objet du jus in bello) ?

En réalité, malgré les nombreuses violations graves, on ne saurait ignorer qu’il contribue aussi et malgré tout à épargner
d’innombrables vies, soit parce que les normes qu’il défend ont été assimilées et acceptées, soit encore par intérêt
réciproque, soit enfin par crainte de sanctions ou de l’opprobre internationales.
Mais pour que le droit des conflits armés soit respecté, les États doivent tout d’abord s’employer à devenir parties aux
traités existants et à exécuter les obligations prescrites.
Ensuite, pour que le droit des conflits armés soit connu de tous ceux qui auront à l’appliquer et qu’il soit intégré dans les
systèmes législatifs nationaux, il faut que les États prennent un ensemble de mesures ou dispositions.

Deux types de mesures nationales sont particulièrement importantes :


- les législations nationales que les États doivent adopter pour assurer l’application de ces traités ; “ Les hautes parties
contractantes et les parties au conflit doivent réprimer les infractions graves et prendre les mesures nécessaires pour
faire cesser toutes les autres infractions aux conventions ou au présent protocole qui résulte d’une omission contraire
à un devoir d’agir. ” 17
- les mesures relatives à la diffusion du DCA et à la formation des militaires. “ Les hautes parties contractantes
s’engagent à diffuser le plus largement possible, en temps de paix comme en période de conflit armé les conventions
et le présent protocole dans leurs pays respectifs et notamment à en incorporer l’étude dans les programmes d ‘instruction
militaire. ” 18

Si donc la force est nécessaire, “ elle est nécessairement maîtrisée, c’est-à-dire soucieuse d’épargner les populations
civiles et respectueuse de l’adversaire... Nombreux sont ceux qui pourraient penser que le droit dans la guerre serait de
l’ordre du discours quand l’action, elle, s’inscrirait dans des réalités concrètes d’inspiration bien différente. C’est là une
conception dangereuse et criminelle ”. 19

Le droit dans la guerre ou le principe de la force maîtrisée, s’impose donc à nous de toute nécessité ; à ce titre, il doit irri-
guer notre réflexion, notre formation, notre préparation opérationnelle et nos engagements.

1 G. de Nantes. La guerre, la Convention de Genève du conventions de Genève et - La perfidie ;


la peine de mort. In la CRC 22 août 1864 pour article 1/1 du 1er protocole. - L’interdiction d’exterminer
au 20e siècle. Mars 1976. l’amélioration du sort des 11 Convention de Vienne sur le les survivants ;
2 De façon volontaire, nous militaires blessés. droit des traités, art. 60, par.5. - L’interdiction ou
considèrerons que les notions 7 Lieutenant-colonel Jérôme 12 La nécessité militaire : réglementation de certaines
de droit dans la guerre, droit CARIO. Le droit des conflits C’est le principe qui autorise armes.
international humanitaire ou armés. Éditions Lavauzelle/ le belligérant à prendre toutes 15 Le principe de discrimination
droit des conflits armés CREC. Juillet 2002. les mesures qui seraient - C’est la distinction entre les
représentent le même corpus 8 Article 55 de la Constitution de nécessaires pour conduire à combattants et les personnes
juridique. 1958 : “ Les traités ou accords bien une opération et qui ne civiles ;
3 Pour CLAUSEWITZ : “ L’on ne régulièrement ratifiés ou seraient pas interdites par les - C’est la distinction entre les
saurait introduire un principe approuvés ont, dès leur lois de la guerre. objectifs militaires et les
modérateur dans la philosophie publication, une autorité 13 Le principe d’humanité : biens civils ;
de la guerre sans commettre supérieure à celle des lois, C’est la protection des - C’est la protection renforcée
une absurdité. “ sous réserve, pour chaque non- combattants en toutes de certains biens civils ; de
4 Eric DAVID. Principes de droit accord ou traité, de son circonstances zones protégées.
des conflits armés. application par l’autre partie.” 14 Le principe de proportionnalité 16 Général de division Bruno
Edition Bruylant. Bruxelles Cf : ( Le principe de • C’est un principe de CUCHE. Colloque Le droit
réédition 1999. réciprocité). limitation des opérations international humanitaire et
5 Jérôme CARIO. Le droit des 9 Dans la guerre, “ il est militaires les forces armées. Mai 2000.
conflits armés ou la limitation de préférable de blesser que de - Ce n’est pas le droit illimité Centre de recherche de Saint-
nuire, dans ses règlements et ses tuer et il est préférable de quant au choix des moyens Cyr. Éditions, PIR. Saint-Cyr.
moyens. Thèse de doctorat d’his- faire prisonnier que de de nuire à l’ennemi ; 17 “ G P I -86 ; G I-49 ; G II-50 ;
toire mention Droit international blesser. ” Principe d’humanité - C’est l’interdiction d’infliger G III-129 ; G IV-146 ”.
humanitaire. Université de Nantes, du Comité International de la des souffrances inutiles ; 18 “ GI -47 ; G II-48 ; G III-127 ;
novembre 2001. Croix-Rouge. - C’est l’interdiction de causer G IV-144 ; GPI-83/1 ; H.CP-25.”
6 C’est en 1864 à la suite de 10 “Les hautes parties des dommages étendus, 19 Général d’armée Jean-René
l’ouvrage publié par Henri contractantes s’engagent à durables et graves à BACHELET. Allocution
DUNANT - Un souvenir de respecter et à faire respecter l’environnement naturel. prononcée au SIGEM.
SOLFERINO, que les États la présente convention, • C’est aussi un principe Mars 2001.
adoptent la première grande le présent protocole, en toutes d’interdiction ou de limitation
convention multilatérale sur le circonstances.” Article 1 de certains moyens ou
droit dans la guerre : commun aux quatre méthodes de combat :

SEPTEMBRE 2004 17 DOCTRINE N° 04


Les règles d’engagement
en 10 questions
a notion de règles d’engagement (en anglais : “ rules of engagement ” : R.O.E.) reste pour beaucoup
L un objet d’interrogations. Que recouvre cette expression, à quoi servent les règles d’engagement ?
Quelle est leur origine ? Quelle est leur valeur juridique ? Cet article n’a d’autre ambition que d’apporter
quelques éléments de réponse succincts à ces questions.

PAR LE COMMISSAIRE EN CHEF DE DEUXIÈME CLASSE FRANÇOIS MARTINEAU,* DE LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES

Que sont les règles voir ou non faire usage de la aussi toute mesure conduisant D’où viennent-elles ?
force, ou effectuer des actions à restreindre les libertés indi- Il s’agit d’une notion issue de
d’engagement ?
qui pourraient passer pour des viduelles ainsi que les actions l’U.S. Navy, au milieu des
Le glossaire interarmées des provocations. ” ou mesures qui peuvent être années cinquante3. Pourquoi
termes et expressions relatifs perçues comme agressives ou cette origine navale ? Pendant
à l’emploi opérationnel des Nous voilà donc en présence provocantes par un adversaire la Guerre Froide, les bâtiments
forces les définit comme des de deux définitions : ouvertu- potentiel. Ces définitions ont de l’U.S. Navy pouvaient, en
“ Directives provenant d’une re du feu dans un cas, usage de en commun d’avoir été adop- haute mer, se trouver confron-
autorité militaire compétente la force, entendue de manière tées depuis moins de 5 ans. tés à des actions de harcèle-
et précisant les circonstances plus large, dans un autre. Ces Elles reflètent l’évolution des ment des navires du Pacte de
et les limites dans lesquelles définitions sont le reflet de leur missions confiées aux militaires Varsovie4. Il était donc néces-
les forces pourront ouvrir le époque. L’actuelle définition dans le cadre des opérations saire de donner aux comman-
feu ou poursuivre le combat. ” française est issue de celle de de soutien de la paix, militaires dants des directives permettant
Pourtant, un autre texte sou- l’AAP-6 (glossaire de l’OTAN), auxquels on demande de plus de maîtriser les risques d’es-
vent mis en œuvre par les adoptée en 1973, elle-même en plus souvent de se substi- calade lors d’éventuelles
armées françaises, le MC 362 inspirée de la définition améri- tuer aux forces de police ce qui confrontations avec les
de l’OTAN 1, les définit de caine de 1967, toutes défini- les conduit, par exemple, à pro- escadres adverses. La notion
manière légèrement différen- tions datant de l’époque de la céder à des contrôles d’identi- sera ensuite utilisée, au début
te : “ Les ROE sont des direc- guerre froide. La définition du té, à détenir des individus ou des années soixante, par les
tives adressées aux forces mili- MC 362 ainsi que d’autres, arrêter des criminels de guer- éléments de l’U.S. Air Force sta-
taires (individus inclus) qui récemment adoptées2, révèle re. C’est la raison pour laquel- tionnés en Corée du Sud, puis
définissent les circonstances, une conception plus large : le l’état-major des armées ensuite par l’U.S. Army.
les conditions, le degré et la l’usage de la force comprend (EMA) a estimé nécessaire de
manière à respecter pour pou- l’usage des armes mais intègre faire évoluer, pour se rappro- A quoi servent-elles ?
cher des définitions les plus
récemment adoptées, la défi- Les règles d’engagement ont
nition des règles d’engagement pour objet de permettre à l’au-
qui figurera prochainement torité civile ou militaire de
dans la Doctrine interarmées contrôler l’emploi de la force
sur l’usage de la force en opé- aux différents échelons du
ration extérieure, fruit d’un tra- commandement ; et ce, en
vail commun entre l’EMA, les fonction des limitations qu’im-
ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

états-majors d’armées et la posent les impératifs poli-


Direction des affaires juri- tiques, militaires et juridiques.
diques. La France disposera Elles permettent, en détermi-
alors d’un catalogue de règles nant les conditions de l’usage
d’engagement comparable à de la force, aux commandants
ceux de l’OTAN et de l’UE et des forces qui sont déployées,
interopérable avec ces derniers. de gérer en temps de paix des

DOCTRINE N° 04 18 SEPTEMBRE 2004


situations de crise, et en temps que possible, autorisant ou tant dans le cadre d’une coa-
doctrine
sage appelé ROE REQUEST.
de guerre de maîtriser ou de interdisant telle action dans lition ; L’autorité politique, par
contrôler le niveau des hosti- telles circonstances, par - assortir les règles d’engage- exemple, dans le cadre de
lités. La philosophie des règles exemple : “ Il est interdit d’en- ment de commentaires expli- l’OTAN le Comité des plans de
d’engagement est donc de trer dans les eaux territoriales catifs ; défense du Conseil de
limiter l’escalade de la violen- de tel Etat ”. - les règles d’engagement sont l’Atlantique Nord, donne son
ce à l’égard de l’adversaire. destinées à être mises en autorisation par un message
Elles ont aussi une autre fonc- Les principes de base des œuvre sur le terrain par un ROE AUTHORIZATION9. Le com-
tion “ cachée ” : éviter les tirs règles d’engagement : Les ROE militaire du rang, il faut donc mandant stratégique (ex. :
fratricides en fixant les critères sont basées sur l’idée d’une éviter de verser dans le “ juri- SACEUR) va ensuite mettre en
d’identification de l’adversai- gradation de la violence, met- disme ”, la prise en compte œuvre les règles d’engagement
re5. Ces deux aspects en font tant en œuvre le principe de du cadre juridique doit être en répercutant l’autorisation
un outil essentiel du fonction- proportionnalité6 du droit des “ transparente ” pour l’utili- aux commandants subordon-
nement des coalitions multi- conflits armés. Seule la force sateur final ; nés en y ajoutant des com-
nationales. minimale et nécessaire à l’ob- - la rédaction d’une “ carte du mentaires (messages ROE
tention de l’objectif doit être soldat ” qui synthétise en IMPLEMENTATION). Cette opé-
Quels rapports ont-elles utilisée. Second principe : la quelques règles essentielles ration se reproduit tout au long
“compatibilité descendante“ : les règles d’engagement pré- de la chaîne hiérarchique jus-
avec la légitime les échelons subordonnés sont sente un intérêt certain, mais qu’aux unités élémentaires.
défense ? libres de fixer des restrictions il faut veiller au problème de D’une manière générale, le tra-
En l’absence de règles d’en- aux règles d’engagement auto- gestion des différentes ver- vail de rédaction doit être mené
gagement, les militaires dis- risées, jamais de les “ élargir ” sions qui pourraient se le plus en amont possible afin
posent, comme tout citoyen, de leur propre chef. Troisième contredire. de permettre la familiarisation
du droit de légitime défense. principe, l’adaptabilité : les des troupes avec leurs règles
Les règles d’engagement n’ont ROE ne doivent pas rester d’engagement avant le départ
donc pas vocation à autoriser figées une fois pour toute, elle Qui les rédige ? pour le théâtre d’opération.
le recours à la légitime défen- doivent évoluer en fonction de Bien qu’il faille tenir compte
se mais à encadrer le recours la situation sur le terrain ou de du cadre juridique de l’opéra-
à la force en dehors des cas de toute modification du mandat tion et donc associer étroite- Quel droit prendre
légitime défense, lorsqu’il est confié à la force, la procédure ment le conseiller juridique, la
autorisé sur d’autres fonde- d’adoption doit donc être réac- rédaction des règles d’enga- en compte dans la
ments, par exemple une réso- tive. Enfin, les ROE sont géné- gement doit rester une res- rédaction des règles
lution du Conseil de sécurité ralement classifiées7. ponsabilité des opérationnels d’engagement ?
des Nations unies prise en ver- (J3 et J5). Il convient donc d’évi-
tu du Chapitre VII de la Charte Ce que ne sont pas les règles ter la dérive, parfois consta- Les règles d’engagement doi-
et autorisant “ l’utilisation de d’engagement : les règles tée, qui consiste à abandon- vent respecter à la fois le droit
tous les moyens nécessaires ”. d’engagement ne sont pas des ner au conseiller juridique leur international et le droit inter-
La rédaction des règles d’en- instructions tactiques et ne rédaction. ne des Etats qui participent à
gagement peut néanmoins doivent pas contenir de la force. Outre le mandat de la
être l’occasion de rappeler, en consignes relatives à la sécu- force, généralement défini par
préambule des règles d’enga- rité de mise en œuvre des Quand les rédiger ? une résolution du Conseil de
gement elles-mêmes, les armements ni réaffirmer les L’élaboration des règles d’en- sécurité, les normes interna-
conditions qui entourent la règles du droit des conflits gagement est intimement liée tionales relèvent des deux
mise en œuvre de la légitime armés. Le droit des conflits au processus de planification branches du droit internatio-
défense. armés doit être connu des mili- d’une opération. Il s’agit d’une nal que sont le droit des
taires avant qu’ils ne partent procédure en 3 temps dont les conflits armés10 et le droit inter-
Qui les utilise ? en opérations et ne peut être grandes lignes directrices peu- national des droits de l’Homme.
résumé en quelques lignes8. vent être résumées de la façon Les normes applicables peu-
La majorité des armées occi- De la même façon, elles ne doi- suivante : après analyse du vent varier en fonction de la
dentales. L’OTAN, l’ONU et vent pas être utilisées pour la concept d’opération, prise en nature de la crise, du degré de
désormais l’Union européen- gestion de l’espace aérien. compte du cadre juridique de violence de celle-ci. Elles sont
ne disposent de leur propre l’opération ainsi que des objec- donc précisées pour chaque
catalogue de règles d’enga- Quelques points à garder en tifs politiques poursuivis, le opération. En outre, le droit
gement que les armées fran- tête : commandant stratégique national continue à s’appliquer
çaises peuvent être amenées - bannir les termes ambigus. (dans le cadre OTAN), après aux militaires composant la for-
à mettre en œuvre. L’utilisation d’un catalogue avoir consulté les comman- ce. Ainsi, en vertu de l’article
de règles d’engagement per- dants de forces (par ex. : terre, 113-6 du Code pénal et, en
Comment les rédiger ? met d’utiliser des termes air, mer), rédige un projet de outre, pour le personnel mili-
Une règle d’engagement doit standardisés ce qui diminue règles d’engagement dont il va taire, du fait des articles 59 et
se présenter comme une les risques d’ambiguïté. Ceci demander l’approbation au 68 du Code de justice militaire,
phrase, aussi simple et claire est particulièrement impor- niveau politique par un mes- le droit pénal français s’ap-

SEPTEMBRE 2004 19 DOCTRINE N° 04


plique à tous les citoyens fran-
çais hors du territoire de la
République. Les législations des
Etats étrangers peuvent, en
matière d’usage de la force, dif-
férer de la loi française. On
veillera donc, dans l’hypothè-
se d’une opération multinatio-
nale, à ce que l’application des

CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre


règles d’engagement ne contre-
vienne pas à la législation fran-
çaise qui prévaut. Les docu-
ments de référence des
différentes organisations
(OTAN, Union européenne) pré-
voient la possibilité, pour les
Etats participants à une opéra-
tion, d’émettre des commen- d’engagement OTAN “ qui fixe navires français auront reçu
taires ou restrictions qui per- sabilité pénale. La responsabi- la procédure d’adoption des des appels de détresse. “
mettent à chaque Etat de lité pèse alors sur le rédacteur règles d’engagement et fournit 8 On a pourtant vu des règles
un catalogue de ces règles. d’engagement contenir des
respecter sa propre législation. des règles d’engagement. Le 2 Tout comme la directive ONU directives du type : “ le pillage
respect des règles d’engage- “ Règles d’engagement pour les est interdit “, “ traitez
ment par les subordonnés opérations de maintien de la humainement toutes les
Quelle est leur valeur contribue donc à leur sécurité
paix des Nations unies (avril
2002) (MD/FGS/020.0001) “ ou
personnes capturées “, “ le
refus de quartier est interdit “.
juridique ? juridique. le concept “ Use of Force for Mélanger au sein des ROE ces
La fonction de synthèse des EU-led Military Crisis principes permanents avec des
Management Operation “ de règles techniques relatives à
règles d’engagement entre fac- l’Union européenne l’opération peut être source de
teurs politiques, militaires et C’est précisément pour renfor- (ESDP/PESD COSDP 342 du confusion pour les membres
juridiques est une source de cer celle-ci que la direction des 20 novembre 2002). des unités, qui risquent de leur
3 Le premier usage informel de attribuer une valeur identique,
confusion quant à la valeur de affaires juridiques, a proposé, l’expression date du 23 et “ d’oublier ” les principes de
ces règles. Il serait erroné de dans le cadre des travaux de novembre 1954 à l’occasion de droit des conflits armés qui
croire que le respect par les révision du statut général des la publication des “ Intercept n’auraient pas été rappelés
Engagement Instructions for par les règles d’engagement.
règles d’engagement des droits militaires que soit insérée dans the U.S. Navy “. 9 Pour la procédure adoptée
international et national leur en ce texte une disposition posant 4 Ceci explique pourquoi la par l’Union européenne, voir
fait automatiquement acquérir le principe que “ des disposi- marine nationale, habituée aux l’article du Commissaire JORAM
opérations et aux exercices consacré à l’opération
la valeur. Les règles d’engage- tions pénales particulières rela- conjoints avec les marines de “Artémis” .
ment doivent être considérées tives à l’usage de la force par l’OTAN fut, historiquement, la 10 Le droit des conflits armés
comme des ordres du com- les militaires en dehors du ter- première confrontée à cette réglemente l’usage de la force
notion. militaire en situation de conflit
mandement ou, pour parler ritoire national sont prévues 5 En 1982, une étude de l’US armé international ou non-
comme le Code pénal, de “ l’au- par le code de justice militai- Army montrait que sur 269 cas international. Il limite les
torité légitime”. La force en opé- re ”. Ces dispositions particu- de tirs fratricides à l’encontre moyens et les méthodes de
des forces terrestres, 99, soit combat que peuvent employer
ration extérieure est, en effet, lières pourraient, en substance, 37 % résultaient de tirs de les parties belligérantes.
employée sur le fondement d’un poser que “ n’est pas pénale- l’aviation chargée de les L’usage de la force ne peut
ordre d’une autorité légitime, ment responsable le militaire soutenir. aller au-delà de ce que ce
6 La proportionnalité est droit autorise.
c’est-à-dire une autorité publi- qui, dans le respect des règles l’exigence que l’usage de la 11 Cf. Article 21 de la
que compétente11. du droit international et dans force sera limité en intensité, Constitution de la Cinquième
De manière concrète, les règles le cadre d’une opération mili- durée et champ, à ce qui est République sur la nomination
nécessaire pour arrêter et des autorités militaires - loi
d’engagement peuvent-elles taire se déroulant à l’extérieur repousser l’attaque ou la n°72-662 du 13 juillet 1972
exonérer les militaires qui les du territoire français, exerce des menace. Sauf précision portant statut général des
appliquent de toute responsa- mesures de coercition ou fait contraire, la force minimale militaires - décret n°82-138
inclut la force létale lorsqu’elle du 8 février 1982 fixant les
bilité pénale ? L’article 122-4 du usage de la force armée lorsque est nécessaire. Les règles du attributions des chefs d’état-
Code pénal prévoit comme cela est nécessaire à l’accom- temps de guerre seront plus major.
cause d’exonération de la res- plissement de sa mission ”.13 souples que les règles conçues 12 Article 122-4 alinéa 2 du Code
pour les opérations de soutien pénal : “ N’est pas pénalement
ponsabilité pénale l’obéissan- de la paix. responsable la personne qui
ce à un ordre non manifeste- 7 Il y a cependant des exceptions. accomplit un acte commandé
ment illégal de l’autorité Ainsi, dans un but dissuasif, la par l’autorité légitime, sauf si
* Chef du bureau droit des France a déclaré pendant la cet acte est manifestement
légitime.12 Dans la mesure où conflits armés à la Direction guerre Iran-Irak, que “ les illégal. “
l’acte prescrit par les règles des affaires juridiques du bâtiments de guerre français 13 Rapport de la Commission de
ministère de la défense. ouvriront le feu contre les révision du statut général des
d’engagement n’est pas mani- 1 Le 9 novembre 1999, le Comité forces qui refuseront d’arrêter militaires, présidée par M.
festement illégal, l’exécutant militaire a entériné le leurs attaques sur un navire DENOIX de SAINT MARC, du
se verra exonéré de sa respon- document MC 362, “ Règles marchand neutre lorsque des 29 octobre 2003,

DOCTRINE N° 04 20 SEPTEMBRE 2004


La nécessaire collaboration
doctrine
de l’autorité militaire et des prévôts
en matière pénale
n droit français la notion de crise, définie comme une situation intermédiaire entre paix et guerre, n’a
E pas d’existence juridique. Ainsi, l’engagement de la France hors du territoire national s’effectue en
l’absence d’un cadre légal spécifique. La gestion des crises est donc maintenue dans le droit commun
français, auquel il convient d’ajouter des dispositions de portée internationale tels que :
1) La convention sur le statut des forces qui organise, au minimum, un privilège de juridiction,
2) Les règles d’engagement qui, de manière schématique, constituent le cadre de l’action militaire défini
par l’autorité politique.
Ainsi, le membre des forces françaises opérant ou déployé à l’étranger, notamment dans une opération
multinationale, reste sous l’emprise de ces textes et du droit français. Depuis 1999, le Tribunal aux
armées de Paris (TAP) est seul compétent pour connaître de ses actions ou omissions pénalement liti-
gieuses conformément à l’article 59 du Code de justice militaire (CJM). Le procureur de la République
près ce tribunal est assisté par des officiers de police judiciaire des forces armées (O.P.J.F.A.), militaires
de la gendarmerie qui servent dans les prévôtés, et dont une des missions est l’exercice de la police judi-
ciaire aux armées. A ce titre, ils constatent les infractions de toute nature et en avisent le magistrat com-
pétent.
Mais la situation particulière des opérations extérieures impose une collaboration de l’autorité militaire
qui dispose de quelques prérogatives en matière pénale et des O.P.J.F.A. qui doivent prendre en compte
la légitimité de l’action.

PAR LE COMMISSAIRE LIEUTENANT-COLONEL P. JABOT, CONSEILLER JURIDIQUE DU COMMANDANT DE LA FORCE D’ACTION TERRESTRE

Le rôle de l’autorité cice de ses fonctions acquiert Cette obligation d’information des O.P.J.F.A. dans ce type d’ac-
la connaissance d’un crime ou ne doit pas être confondue tion ne s’impose pas mais elle
militaire en matière d’un délit est tenue d’en don- avec la dénonciation ou l’avis peut favoriser, par l’établisse-
pénale ner avis sans délai au procu- du ministre et des autorités ment de procès verbaux d’au-
D’une manière générale, l’au- reur de la République et de habilitées prévus par l’article ditions et de constatations, la
torité militaire a la possibilité transmettre à ce magistrat tous 698-1 du CPP qui permet aux protection des intérêts du mili-
de prendre à sa charge l’infor- les renseignements...qui y sont autorités militaires de requé- taire qui serait mis en cause
mation du procureur de la relatifs ”. C’est en application rir directement l’intervention par une victime de manière
République. Elle dispose, dans de cet article que l’autorité de la gendarmerie aux fins injustifiée. L’autorité militaire
ce cadre, d’un certain pouvoir militaire est tenue d’informer d’enquêter, dans le cadre par doit aussi apprécier l’acte.
d’appréciation. le ministère public de tous les exemple d’un vol commis dans
crimes ou délits dont elle un établissement militaire.
acquiert la connaissance 1. Le pouvoir d’appréciation de
L’information du procureur par L’autorité militaire informe L’autorité militaire a donc l’acte par l’autorité militaire
l’autorité militaire donc le procureur de la l’obligation d’informer le pro-
République soit directement, cureur des actes préjudi- Le Conseil d’Etat le 27 octobre
L’article 40 alinéa 2 du Code soit par l’intermédiaire d’un ciables, notamment ceux qui 19992 a considéré que l’auto-
de Procédure Pénale (CPP) O.P.J.F.A. Cette information auraient pu être constatés lors rité administrative n’est tenue
précise que “ toute autorité n’est soumise à aucune règle d’une action de la Force. En d’aviser le ministère public que
constituée (...) qui, dans l’exer- de forme. conséquence, la présence “ des faits dont elle a connais-

SEPTEMBRE 2004 21 DOCTRINE N° 04


SIRPA/Gendarmerie

sance dans l’exercice de ses Quelle sera alors la sanction ? Une intervention justifiée mandement sera évidemment
attributions, si ces faits lui Il existe quelques dispositions par les textes déterminant.
paraissent suffisamment éta- spécifiques qui constituent des Si une enquête est décidée, les
blis et si elle estime qu’ils por- délits comme par exemple la Les prévôts, ainsi que les offi- relations entre le ministère
tent une atteinte suffisamment dissimulation ou l’altération ciers, gradés et gendarmes pla- public et l’O.P.J.F.A. seront
caractérisée aux dispositions de tout indice d’un crime ou cés sous leurs ordres exercent directes. Quels seront alors les
dont elle a pour mission d’as- d’un délit3, la menace ou l’ac- la police judiciaire militaire éléments d’appréciation ?
surer l’application ”. L’autorité te d’intimidation en vue d’em- conformément aux disposi-
militaire n’est donc pas obli- pêcher le dépôt d’une plain- tions des articles 81 à 88 du - l’acte est-il couvert par la légi-
gée de se borner à transmettre te4, ou encore la subornation CJM et notamment l’article 82 time défense6 ?
immédiatement et de façon de témoin5. Ces cas sont tou- alinéa 4 du CJM qui précise que
automatique et aveugle toute tefois peu nombreux et stric- les OPJFA “ sont tenus, à - l’acte a-t-il été réalisé sous
information concernant un inci- tement délimités. l’égard du procureur de la l’emprise de la nécessité afin
dent préjudiciable. Elle doit République, des obligations de sauvegarder une person-
exercer sa compétence en exa- Il apparaît donc que l’autorité prévues par l’article 19 du ne ou un bien gravement
minant l’affaire. Les faits doi- militaire est tout à fait en mesu- CPP ” qui lui-même souligne menacés7 qui inclut notam-
vent être suffisamment établis, re de juger de l’existence ou qu’ils “ sont tenus d’informer ment les personnes ou des
se rattacher au champ de sa non d’une infraction caractéri- sans délai le procureur de la biens disposant d’un statut
compétence et présenter à ses sée. Il ne s’agit évidemment pas République des crimes, délits spécial désigné dans les règles
yeux un caractère délictueux de dissimuler une infraction et contraventions dont ils ont d’engagement ?
ou criminel. Elle a donc un cer- pénale, mais elle n’a pas à connaissance ”.
tain pouvoir d’appréciation, et craindre de se tromper à partir - existe-t-il une cause d’irres-
peut décider qu’une action de du moment où elle estime que L’application de cet article leur ponsabilité, l’acte ayant été
force menée en conformité l’action a été légitime. impose donc d’informer sans “ prescrit ou autorisé par des
avec les ordres reçus ne pré- délai de toute infraction carac- dispositions législatives ou
sente pas un caractère délic- térisée. S’ils ne participent pas réglementaires ” ou “ com-
tueux ou criminel. Bien sûr, le La prise en compte de la à l’action militaire, c’est grâce mandé par l’autorité légitime,
cas échéant, l’autorité judi- à la collaboration avec l’auto- sauf si cet acte est manifes-
ciaire, qui aurait eu connais- légitimité de l’action rité militaire qu’ils vont pou- tement illégal ”8, autrement
sance des faits par ailleurs, par l’O.P.J.F.A. voir recueillir les renseigne- dit des ordres ont-ils été don-
peut toujours estimer qu’il y a L’intervention de l’O.P.J.F.A., qui ments susceptibles de les nés ?
en la circonstance un man- est justifiée par les textes, doit aider à apprécier l’acte. Dans C’est dans la réponse à ces
quement à l’obligation d’in- permettre de constater la légi- ce contexte, le type de rela- questions que l’action légitime
former. timité de l’action militaire. tions entretenues avec le com- doit trouver sa justification.

DOCTRINE N° 04 22 SEPTEMBRE 2004


L’action légitime couverte pénal local, s’il existe, est cer- dat international donné à la
doctrine
par le droit tainement un exemple de Force et sont validées par le
règles à prendre en compte pouvoir politique français. Elles
Eliminons immédiatement l’ac- dans des opérations (fouille déterminent les conditions
tion qui pourrait être considé- ou perquisition) qui sont en d’exécution de la mission et,
rée comme illégitime ; c’est le principe organisées par une même si elles ne sont pas
cas, par exemple, où il serait directive du commandant de publiées, elles doivent pouvoir
reproché à une opération de la Force. Dans ce type de situa- “couvrir ” les actions militaires
dépasser le cadre du mandat tion, un O.P.J.F.A., qui est menées dans le cadre du man-
de la Force. Ici, le militaire détenteur d’un savoir-faire dat.
inquiété pourra essayer de jus- incontestable, peut néanmoins
tifier son acte en invoquant l’er- se trouver en décalage par rap- La collaboration de l’O.P.J.F.A.
reur inévitable sur le droit9. port au détail de la règle à et de l’autorité militaire, ou de
appliquer. son conseiller juridique, est
Dans le cas d’une action légi- donc nécessaire pour établir
time mais qui a donné lieu à De même, dans le cadre d’une la légitimité de l’acte. Il est en
des comportements involon- opération de soutien de la effet communément reconnu
tairement inadaptés, (ex : bles- paix, des phases de combat qu’en droit, la légitimité est
sure par imprudence), une juris- relativement intense peuvent souvent synonyme de légali-
prudence de la cour de avoir lieu, imposant le respect té. Il est d’ailleurs à souligner
cassation du 5 janvier 2000 a des règles et les principes du qu’à ce jour, aucun membre
1 l’instruction n° 21420/DEF/ SGA/
reconnu la clause d’irrespon- droit humanitaire. Les règles d’une force française en opé- DAJ/APM/EO du 23 octobre 2001.
sabilité pénale aux fautes invo- de droit international, droit des ration n’a fait l’objet d’une 2 affaire Solana.
lontaires commises au cours de conflits armés, devront donc condamnation pénale à raison 3 article 434-4 du code pénal.
4 article 434-5 du code pénal.
l’exécution d’un acte prescrit être appliquées en fonction de l’exécution d’une action 5 article 434-15 du code pénal.
ou autorisé par la loi ou le règle- des événements. militaire. La centralisation des 6 article 122-5 et 122-6 du code
ment. Le droit français offre affaires par le TAP depuis 1999 pénal.
7 article 122-7 du code pénal.
donc, selon les circonstances, Enfin, les règles d’engagement devrait pérenniser cette situa- 8 article 122-4 du code pénal.
les moyens de couvrir une seront invoquées chaque fois tion dans la mesure où les 9 “ N’est pas pénalement respon-
action légitime. que des ordres ont été donnés magistrats de ce tribunal ont sable la personne qui justifie avoir
cru et pouvoir légitimement
dans l’exécution d’une action aujourd’hui une bonne connais- accomplir l’acte, par une erreur sur
D’autres règles de droit peu- légitime ; bien que ne consti- sance des difficultés auxquelles le droit qu’elle n’était pas en
vent, également, être légiti- tuant pas une norme juridique, sont confrontés les militaires mesure d’éviter, “ (article 122-3 du
code pénal).
mement invoquées. Le droit elles sont déclinées du man- en opération extérieure.

Conclusion

L’O.P.J.F.A. sur le théâtre n’a donc aucune raison d’être systématiquement impliqué dans les actions militaires conduites par les
forces dans l’exécution de leur mission ; l’autorité militaire doit jouer son rôle en matière pénale.

Mais il n’y a pas lieu non plus de rechercher à écarter systématiquement l’O.P.J.F.A. L’ établissement d’une relation confiante
entre les autorités militaires et judiciaires s’impose ; il ne doit pas y avoir de suspicion d’infraction dissimulée que l’autorité
judiciaire a la charge de traquer.

En ce sens, il appartient certainement au conseiller juridique du commandement sur le théâtre, en liaison avec le chef des pré-
vôts, de dissiper tous les malentendus et de veiller à ce que les rapports écrits soient empreints d’une certaine prudence pour
ne pas soulever d’inextricables querelles de principe alors qu’aucun incident grave n’est matérialisé.

SEPTEMBRE 2004 23 DOCTRINE N° 04


Les opérations extérieures
de la Bundeswehr
à la lumière du droit international
et du droit constitutionnel

es soldats engagés dans des opérations extérieures veulent connaître la


L justification de l’intervention militaire à laquelle ils participent. Ils demandent
pourquoi ils doivent se séparer de leurs familles pendant une période prolongée,
voire s’exposer au risque de mourir, d’être blessés, déplacés ou torturés.
Ils réclament donc une légitimation crédible de la mission militaire allant de pair
avec une couverture juridique des opérations extérieures. L’absence de cette
légitimation entraînerait la démotivation. L’Etat-patron a donc tout intérêt à éviter ceci.

PAR LE BARON OSKAR MATTHIAS VON LEPEL, CHEF DE LA SOUS-DIVISION “ DROIT INTERNATIONAL,
DROIT CONSTITUTIONNEL, DROIT MILITAIRE ET DISCIPLINE MILITAIRE
“ AU CENTRE DE FORMATION MORALE ET CIVIQUE DE LA BUNDESWEHR

Par le passé, le soldat allemand se voyait Cette procédure de légitimation repose une mission politique par des moyens mili-
en premier lieu comme un combattant mili- sur le principe du “ citoyen en uniforme ”. taires. Il faut à tout prix éviter qu’un usa-
taire qui devait faire ses preuves au sein Nous demandons à nos soldats d’obéir ge contre-productif de la force par certains
des forces armées pour permettre à l’Etat aux ordres tout en gardant un esprit cri- soldats ou le chef militaire lors de l’ac-
de s’affirmer. La légitimation de sa mission tique. Cependant, pour avoir un esprit cri- complissement de leur mission ne nuise
était évidente. Aujourd’hui, il doit se consi- tique, les soldats ont besoin de connaître à la réussite de l’opération.
dérer comme un instrument de la politique les principales raisons de leur engage-
actuelle. Il contribue, dans un nouveau ment ainsi que les principes de droit inter-
contexte de sécurité, à faire valoir des déci- national et constitutionnel sur lesquels Par conséquent, seules les mesures coer-
sions politiques à l’étranger. Il a du mal à repose leur mission. Pour les chefs mili- citives expressément autorisées peuvent
saisir le sens de sa mission s’il ne reçoit taires qui se trouvent face aux questions être appliquées. Contrairement aux conflits
aucune explication. Par conséquent, il doit de leurs subordonnés, cette nécessité armés classiques, le non-recours à la for-
être mis au courant des objectifs politiques représente un énorme défi. ce est la règle et l’emploi de la force l’ex-
poursuivis par l’intervention militaire à ception. Le droit applicable en opération
laquelle il participe. Les supérieurs des militaires engagés dans s’articule donc autour des questions sur-
des opérations doivent, par ailleurs, affron- gissant dans ce contexte.
En outre, il doit connaître la légitimation juri- ter d’autres questions ayant une implica-
dique qui justifie la poursuite des objectifs tion juridique. Il est, en effet, nécessaire Les deux aspects, le “ droit de mener des
par un engagement militaire. Cette légiti- d’expliquer aux soldats dans quelles condi- opérations ” d’une part et le “ droit appli-
mation lui donne la certitude d’agir sur des tions et sous quelle forme ils ont le droit cable en opération ” d’autre part, consti-
bases juridiques solides, en particulier lors- de recourir à la force. L’emploi de la force tuent des éléments essentiels de la for-
qu’il n’est pas complètement convaincu des dans le cadre d’une opération, y compris mation juridique dans le cadre de la
arguments politiques officiels. une opération extérieure, sert à imposer préparation opérationnelle.

DOCTRINE N° 04 24 SEPTEMBRE 2004


ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre
étranger

Les bases juridiques vers l’adoption de résolutions par les- sentés au Conseil de sécurité ont fait
des opérations militaires quelles les Etats membres sont manda- confirmer par celui-ci la mise en oeuvre
tés pour une intervention militaire dans des stipulations du traité, négociées avec
des Etats étrangers. Les opérations exté- les belligérants et les Etats balkaniques
L’importance de la légitimation rieures de la Bundeswehr actuellement concernés, et obtenu que le non-respect
des opérations extérieures par en cours sont, elles aussi, basées sur de de ces accords soit sanctionné par des
le droit international telles résolutions. Elles légitiment dans le mesures coercitives conformément au cha-
cadre du droit international l’emploi de la pitre VII de la Charte des Nations unies. A
Le cadre fixé par le droit international pour force par des Etats indépendants. cet effet, a été adoptée la résolution 1088
l’engagement de forces armées à l’étran- L’Allemagne ne participe, par principe, du 12/12/1995. En ce qui concerne sa légi-
ger est défini à travers des normes d’in- qu’aux interventions militaires multina- timation au titre du droit international,
terdiction. La norme la plus importante tionales motivées par un mandat des l’engagement de la Bundeswehr dans le
est l’interdiction universelle de recourir à Nations unies. Des exceptions, comme cadre de la SFOR s’appuie donc sur deux
la force dans les relations internationales. nous les avons connues lors de la guerre éléments : le droit international coutumier
Les États sont tenus de régler leurs diffé- aérienne au Kosovo, nécessitent une légi- et le droit international conventionnel.
rends par des moyens pacifiques. Pour timation particulière de par le droit inter-
répondre à cette exigence de la Charte des national. Etant donné que la Bundeswehr partici-
Nations unies, les Etats membres ont pe à une opération militaire multinatio-
transféré leur prérogative de recourir à la En regardant la problématique de plus nale de l’OTAN, on lit parfois que l’enga-
force au système de sécurité collective près, on s’aperçoit qu’il manque encore gement de la SFOR relèverait également
des Nations unies. Ils ont confié la sau- des éléments à une explication complète d’un mandat de l’OTAN en vertu du droit
vegarde de la sécurité internationale au de la couverture des opérations de la international conventionnel. Ceci n’est pas
Conseil de sécurité. Lui seul est autorisé Bundeswehr par le droit international. En correct. Le mandat du Conseil de sécuri-
à infliger les sanctions nécessaires dans effet, les opérations de la Bundeswehr se té obtenu pour l’engagement de la SFOR
les cas d’une menace pour la paix, d’une basent également sur le droit internatio- par les États signataires des accords de
rupture de la paix ou d’une agression. Les nal conventionnel. Prenons comme paix de Dayton n’était pas adressé à
mesures coercitives qu’il impose confor- exemple l’engagement de la SFOR en l’OTAN, mais aux États membres des
mément au chapitre VII de la Charte des Bosnie-Herzégovine. Nations unies. Ce sont eux qui devaient
Nations unies ne sont pas considérées La mission de la SFOR, et précédemment assurer, grâce à leurs troupes, l’applica-
comme une guerre, mais comme des de l’IFOR, découle tout d’abord des dis- tion des accords de paix de Dayton. Ils ont
actions policières internationales réali- positions des accords de paix de Dayton. été chargés de prendre des mesures
sées à l’aide de moyens militaires. Elles décrivent les obligations des anciens appropriées pour accomplir, à l’aide et
belligérants de la guerre civile et la mis- dans le cadre de l’organisation mention-
La tâche du Conseil de sécurité qui consis- sion de la force de paix dont la mise en née en annexe 1-A, les tâches découlant
te à autoriser des Etats indépendants à place a été confiée à l’OTAN. Les Etats des accords de paix.
l’emploi de la force est accomplie à tra- signataires des accords de paix repré- Si, lors de l’élaboration de sa résolution,

SEPTEMBRE 2004 25 DOCTRINE N° 04


le Conseil de sécurité visait l’OTAN, expres- considérait comme anticonstitutionnelles vernement fédéral à ordonner une opéra-
sément mentionnée dans les accords de les opérations militaires sortant du cadre tion extérieure. Il peut uniquement accor-
Dayton, il s’agissait cependant tout de la défense nationale et collective au der ou refuser son consentement à une
d’abord de certains Etats qui conjuguaient titre de l’Alliance. Elle se référait au texte opération extérieure demandée par le gou-
leurs forces, capacités et ressources au du paragraphe 2 de l’article 87a de la Loi vernement fédéral.
titre des accords de Dayton et qui étaient fondamentale : En dehors de la défense,
en même temps membres de l’OTAN. Ils les forces armées ne doivent être enga-
ont décidé d’exécuter en commun le man- gées que dans la mesure où la présente Le droit applicable en opération
dat onusien et de placer les troupes mises Loi fondamentale l’autorise expressément.
à disposition sous le contrôle opération- Etant donné que l’autorisation expresse Les droits et les obligations des troupes
nel d’un état-major de l’OTAN. Cette pro- requise par cet article de la constitution dans les pays de déploiement découlent
cédure n’a toutefois pas transformé les n’est pas contenue dans la Loi fonda- de la mission, définie en vertu du droit
décisions prises par le conseil de l’OTAN mentale, les opérations extérieures de la international et du droit constitutionnel,
en mandat de l’OTAN. En effet, c’était une Bundeswehr n’auraient - d’après ce que du contingent engagé à l’étranger. Des
prise de décision commune réalisée par l’on disait à l’époque - pas été conformes règles d’engagement, stipulées au niveau
des Etats indépendants selon les règles à la Loi fondamentale. international et appelées “ rules of enga-
et les procédures prévues par le traité de gement ” (ROE), constituent l’instrument
l’OTAN. Les opérations militaires des forces de commandement qui permet aux auto-
de l’OTAN ont donc pour base juridique Une controverse politique, suscitant un rités politiques d’influer sur les forces
non pas une décision du conseil de l’OTAN, vif intérêt et menée avec des arguments armées pour atteindre les objectifs poli-
mais les accords conclus au sein des orga- juridiques, a suivi. Cet intense débat public tiques. Il s’agit d’ordres d’opération et
nismes compétents de l’Alliance liant des a été clos par la décision de la Cour consti- d’intervention grâce auxquels des inten-
Etats souverains, membres de l’OTAN, en tutionnelle fédérale du 12/07/1994. Celle- tions politiques peuvent être mises en
vertu du droit international. ci a récusé les réserves émises. Elle a jus- œuvre conformément aux dispositions
tifié sa décision en se référant au légales en vigueur. Les ROE servent de
Il a été demandé aux Etats n’appartenant paragraphe 2 de l’article 24 de la Loi fon- base juridique pour les ordres régissant
pas à l’OTAN de participer, eux aussi, à damentale qui autorise l’Allemagne à les actions des troupes en cas de recours
l’opération de l’OTAN. A cet effet, les Etats adhérer à un système de sécurité mutuel- à la force avec ou sans emploi d’armes à
membres de l’OTAN ont autorisé le conseil le collective pour sauvegarder la paix. feu. Etant donné qu’ils permettent de diri-
de l’OTAN à conclure des accords appro- Selon l’interprétation mise en avant par ger par des moyens politiques les opéra-
priés avec les Etats étrangers à l’Alliance la Cour, cette disposition constitutionnel- tions des troupes engagées à l’étranger,
et prêts à s’engager dans l’opération de le légitime également des opérations de les ROE sont l’expression de la primauté
l’OTAN. soutien de la paix dans le cadre des de la politique.
Nations unies.
Rien qui soit interdit par le droit national
La légitimation des opérations extérieures ou international ne peut être autorisé par
de la Bundeswehr par le droit constitu- Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle les ROE. Le droit international humanitai-
tionnel fédérale a pris une autre décision déter- re doit être respecté également dans le
minante qui a sensiblement marqué les cadre d’opérations de soutien de la paix.
Alors que les opérations militaires de tous pratiques politiques : toute opération Les auteurs des ROE sont obligés d’en
les Etats fournisseurs de troupes pour des armée nécessite l’autorisation parlemen- tenir compte. D’un autre côté, il faut auto-
missions de paix reposent sur des prin- taire préalable du Bundestag - qu’il s’agis- riser des mesures qui impliquent l’emploi
cipes de droit international identiques, se d’une pure mission de paix ou d’un de la force et qui sont garanties par le droit
l’Allemagne présente, contrairement aux mandat des Nations unies prévoyant des international telles que l’autodéfense indi-
autres nations, quelques particularités mesures coercitives conformément au cha- viduelle du militaire.
quant à la couverture des opérations par pitre VII de la Charte onusienne. Cette
le droit constitutionnel. interprétation de la Cour constitutionnel- Chaque engagement fait l’objet de ROE
le fédérale ne ressort pas directement du spécifiques, même s’il existe des ROE
A l’issue de la confrontation Est-Ouest et libellé de la Loi fondamentale. Elle décou- types au sein de l’OTAN. Ceci est néces-
après la réunification de l’Allemagne, le le de la tradition constitutionnelle qui saire, car les contenus des mandats des
gouvernement fédéral de l’époque a amor- accorde une grande importance au parle- Nations unies ne sont pas identiques non
cé avec prudence un virage vers une poli- ment - tradition qu’on a pu observer depuis plus. Les troupes de la SFOR n’ont pas for-
tique de participation à des opérations 1918, abstraction faite seulement de la cément les mêmes droits que celles de la
militaires multinationales. Cette politique pratique étatique du IIIe Reich. KFOR. Les ROE comprennent une liste de
a suscité une forte contestation au sein décisions autorisant le recours à la force
de l’opinion publique allemande. Celle-ci La réserve d’approbation parlementaire dans le cadre des options accordées par le
visait en particulier l’engagement en ne confère cependant aucun droit d’ini- mandat en question, selon les dispositions
Somalie au début des années 90. tiative au Bundestag. Ceci signifie que le du droit international et constitutionnel. Le
L’opposition parlementaire de l’époque Bundestag n’a pas le droit d’obliger le gou- chef militaire qui ordonne une mesure

DOCTRINE N° 04 26 SEPTEMBRE 2004


étranger
impliquant l’emploi de la force ne doit Les ROE s’adressent en premier lieu au
donc pas seulement vérifier si elle est chef militaire. Une version condensée des Conclusion
appropriée, mais il doit également veiller ROE est communiquée aux soldats sous
à ce qu’elle soit conforme aux ROE. la forme d’une fiche de poche. Cette fiche
de poche doit permettre à chaque soldat Le soldat allemand doit être
Les ROE sont négociées au sein des orga- de maîtriser l’application des dispositions
nismes de l’OTAN. Lors des négociations, concernant l’emploi des armes.
informé du but de son
les nations ont la possibilité d’émettre des engagement à l’étranger. Il n’a
réserves qui seront prises en compte.
Exemple : non-utilisation de produits irri- pas besoin de connaître chaque
tants comme le gaz lacrymogène ou le détail juridique de sa mission.
spray à poivre face à des rassemblements
de personnes prêtes à la violence, non- Cependant, il doit être au courant
utilisation de mines terrestres ou réserves des dispositions juridiques et
similaires comme la partie allemande les
a formulées par le passé. légales essentielles afin de
prendre confiance en la légitimité
Les ROE en leur qualité d’ordres conve-
nus à un niveau international n’ont pas des actes dont l’exécution lui est
d’effet immédiat en tant que tels. Selon imposée. Seulement lorsqu’il aura
le droit allemand, les ordres adressés à
des militaires allemands ne peuvent venir acquis cette confiance, il se rendra
que d’un supérieur allemand. Par consé-
compte qu’il devra, lui aussi,
quent, les ROE sont formellement mises
en vigueur par le ministère de la Défense respecter dans ses actes les
allemand. Avant, elles n’ont pas de carac-
limites qui lui sont imposées par
tère contraignant.
le droit.
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

SEPTEMBRE 2004 27 DOCTRINE N° 04


Le problème
de la sécurité publique
dans les missions actuelles de maintien
de la paix et ses implications pour
les interfaces police-militaires
Alors que de récents conflits comme ceux d'Afghanistan et d'Irak indiquent que des opérations
de guerre de forte intensité demeurent un rôle potentiel pour les armées modernes dans un futur
prévisible, les missions de maintien de la paix ou d'imposition de la paix restent les modes de
déploiement les plus répandus. Cependant, même en Irak, il est devenu clair que gagner la phase
de combat de haute intensité d'une opération n'est pas suffisant. La réelle difficulté consiste à
réussir la phase de stabilisation et à “ gagner ” ensuite la paix. Il y a une prise de conscience
grandissante dans la communauté internationale de ce que le type de missions auxquelles nous
contribuons - maintien de la paix, imposition de la paix ou stabilisation après-conflit - nécessite
une approche multifonctionnelle dans laquelle le militaire, le policier ou tout autre participant
n'est qu'un acteur parmi d'autres. Cet axiome implique la nécessité de réaliser la convergence
de diverses capacités fonctionnelles - politique, développement économique, humanitaire,
militaire et légal et ordre public dans la marche vers un état de droit désiré.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL ROLLINS, OFFICIER DE LIAISON BRITANNIQUE AUPRÈS DU CDEF

Il n’y a là rien d’original. Le problème est - se concentrer sur “ l’état final ” plutôt LES EXIGENCES
au centre du rapport Brahimi pour les que sur “ la date finale ”.
Nations unies, est reconnu implicitement Le tissu social profond de toute société
dans les concepts stratégiques de l’OTAN Cependant, même en faisant ces obser- est étayé par un système légal et d’ordre
et a été confirmé dans les cinq principaux vations, il pourrait rester quelques hypo- public efficace. Cela exige tout d’abord de
enseignements qui ressortent de l’expé- thèses déplacées sur la capacité de la com- considérer la totalité du corpus légal et
rience de l’OTAN dans les Balkans, et qui munauté internationale à définir des d’ordre public en même temps. Pour qu’un
sont exprimés de la façon suivante : mandats et réunir les capacités qui seront système de sécurité fonctionne, il faut :
- distribuer les responsabilités clairement adaptées aux besoins sur le terrain, si l’on - un niveau plus général de sécurité au
et au plus tôt, considère une coopération, une planifi- sein duquel un système de sécurité
- assurer des liens proches entre la mis- cation et une coordination adéquates. En publique peut être mis en œuvre,
sion, le mandat et les capacités particulier, la communauté internationa-
- harmoniser les planifications civiles et le peut-elle couvrir tous les besoins suf- - un système légal applicable à la société
militaires et coordonner les actions civiles fisamment tôt dès le début de la crise ? en question,
et militaires Cette énigme s’applique particulièrement
- refermer “ l’écart de détention de l’au- aux questions de sécurité publique com- - la capacité de mener des investigations,
torité publique ” entre la police civile et me à l’interface entre les forces militaires d’arrêter, poursuivre en justice et sanc-
les forces armées, et de police. tionner les criminels.

DOCTRINE N° 04 28 SEPTEMBRE 2004


étranger
Cela doit être basé sur une procédure léga- se produit dans cette zone dans les pre- étendu, et où commencent celles concer-
le reconnue et des forces de police indé- miers jours est l’un des points clés princi- nant la sécurité et l’ordre publique ? Que
pendantes des fonctions judiciaires qui tra- paux pour la stabilité à long terme de cet- se passe-t-il si le système de sécurité n’est
vaillent dans le cadre de normes acceptées te zone. De même, il est évident que pas en place ni capable de l’être avant un
et qui sont perçues comme s’y conformant. l’utilisation de la force militaire peut contri- certain délai ? Jusqu’où vont les forces
buer potentiellement à une solution plus armées en matière de protection de la socié-
Plus encore, les moyens décrits précé- large. Dans les Balkans comme au Timor té civile contre le crime ? Quel est son man-
demment doivent être mis en place au plus Oriental, par exemple, les forces armées dat pour le faire ? Si elles en ont un, quel
tôt dès le début d’une crise avant qu’un ont particulièrement aidé les forces de poli- est son fondement légal ? Les soldats
vide ingérable ne se fasse jour en matière ce dans leurs fonctions et contribué à main- concernés sont-ils entraînés et équipés
de sécurité publique, un vide dans lequel tenir la sécurité publique. pour un tel rôle ? Il y a eu de nombreux
les mauvais éléments se renforceraient et exemples - les premiers jours au Kosovo
rendraient plus difficile les progrès ulté- en sont un - dans lesquels les forces armées
rieurs vers une société stable. Mais de telles IMPLICATIONS POUR LES FORCES ARMÉES se sont trouvées dans cette position, agis-
capacités existent-elles, et dans la négati- sant effectivement comme une police de
ve, comment prendre en compte la situa- La question va cependant au-delà des proximité sans en avoir le mandat express.
tion jusqu’à ce qu’elles soient en place ? réponses toutes faites sur une telle utili-
sation des forces armées. Le fait est que Il est important à ce stade, de préciser la
Il y a une évidence empirique majeure qu’il les forces armées continuent d’être différence, que l’on pense souvent subti-
continuera d’exister un manque de capa- employées directement dans un rôle de le, entre être le responsable ultime du main-
cités de police dans les premières phases sécurité publique, souvent sans le mandat tien de l’ordre légal et public et jouer un
d’une réponse de la communauté interna- adapté ni les règles d’engagement appro- rôle de soutien. Les forces armées devraient
tionale à une situation complexe d’urgen- priées. Cela se produit parce que les exi- idéalement ne jamais être le responsable
ce politique. En dépit des initiatives de gences n’ont pas été correctement identi- ultime du maintien du régime légal et de
l’OSCE, de l’Union européenne et des fiées au préalable par la communauté l’ordre public.
Nations unies de prendre en compte ces internationale et qu’il n’y a pas d’autre
questions comme origine de la préparation moyen de combler immédiatement le vide. Cependant, il existe un nombre important
de capacités, cela renforce les procédures Les forces armées sont alors en face de d’activités qu’elles peuvent mener en sou-
de mobilisation et le cadre légal. Ce vide questions telles que : où s’arrêtent les res- tien d’une autorité légale et de forces de
doit être compris comme le fait que ce qui ponsabilités au niveau de sécurité le plus police aux effectifs sous-dimensionnés.
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

SEPTEMBRE 2004 29 DOCTRINE N° 04


De telles activités incluent : ment les fonctions légales et de police elles- au déploiement et qui anticipe des modi-
- la mise en commun des informations, pour mêmes. Cependant, la mesure dans laquel- fications de priorités dans le temps et
autant que les considérations de sécuri- le cela sera réalisable dépendra des fac- qui inclut les plans pour le transfert des
té le permettent, teurs suivants : responsabilités,
- l’origine des forces et leur composition,
- sécuriser et surveiller les frontières pour - le mandat, - l’entraînement couvrant un large spectre
dissuader les trafics d’armes et de per- - les règles d’engagement et les considé- d’activités,
sonnes, rations légales associées, - la définition de mandats réalistes,
- le niveau d’entraînement,
- soutenir directement les actions de poli- - l’équipement et la structure de la force. - des structures de coopération sur le ter-
ce - par exemple apporter des effectifs de rain comme des centres de commande-
sécurité supplémentaires dans le cadre Il existe un autre registre de raisons qui ment conjoints.
d’une arrestation, de programmes de peuvent limiter l’usage des forces armées
patrouilles ciblées, d’opérations de pour une telle mission, à savoir la sensibi-
recherche ou de contrôle d’émeutes. lité politique locale dans les pays contri- Aucun de ces prérequis n’est facile à réa-
buteurs qui peuvent avoir inclus dans leurs liser et encore moins facile à faire vivre
- l’apport de ressources spécifiques pour constitutions une limite nationale à l’en- dans l’action. Même dans les Balkans
soutenir plus directement les autorités gagement de leurs forces. Cela pourrait aujourd’hui, là où les positions des
légales et publiques, dans ce sens le conduire à sélectionner les forces appro- services de sécurité sont les plus confor-
meilleur exemple au niveau de l’OTAN priées pour une telle mission. tées et là où les deux forces de police inter-
seraient les MSU (Multinational nationale et locale travaillent bien
Specialized Units : unités multinationales Si des forces armées doivent être enga- ensemble, un régime d’ordre public stable
spécialisées), une capacité déployée dans gées en soutien d’une autorité légale ou n’est pas encore réalisé. En particulier, le
un cadre militaire mais incluant des res- de police - une force qui serait physique- crime organisé à grande échelle continue
sources basées sur des effectifs des troi- ment très limitée dans un premier déploie- de poser un problème majeur pour la créa-
sièmes forces (Gendarmerie, Carabiniers, ment - un certain nombre de prérequis tion d’un ordre public et légal effectif.
Garde civile) qui existent chez plusieurs doivent être remplis , ce qui inclut : Le combattre requiert un niveau de capa-
des nations contributrices. cité pour les organisations mandatées
- l’identification de la carence à combler, comme pour les forces locales qu’elle
Potentiellement on doit pouvoir en faire - la parfaite compréhension des limites soutiennent ainsi qu’un niveau de coopé-
beaucoup plus dans l’apport d’une telle dans l’utilisation des forces armées pour ration intergouvernementale et entre les
aide à la police ou aux autorités équiva- les missions d’ordre public, organisations qui est, d’expérience,
lentes, sans pour autant prendre directe- - une planification coordonnée préalable difficile à réaliser.

Il continue d’exister une difficulté potentielle dans la capacité de la communauté internationale à rétablir un régime
efficace de sécurité publique dans le cadre d’opérations de maintien de la paix. Cela provient de l’absence de capacités
déployables immédiatement qui puissent être adaptées à une situation donnée. Le problème est encore renforcé par la
nécessité d’embrasser le spectre de l’ensemble des considérations de sécurité publique d’une manière globale. Cela
peut seulement être réalisé sous la direction d’une autorité civile adaptée et mandatée.
Souvent, en l’absence d’une telle solution, les forces armées se retrouvent impliquées dans les missions de sécurité
publique sans disposer du mandat adéquat non plus que de la préparation requise. Ces deux problèmes peuvent être
traités simultanément en reconnaissant que les forces armées peuvent contribuer plus avant à une sécurité publique
effective et durable sans rester derrière à jouer un rôle de soutien.

De plus, dans le cadre d’une telle approche, la mission recouvre un nombre considérable de composantes qui doivent
être traitées en priorité. Ces problématiques incluent l’examen :

- des exigences potentielles du champ d’intervention décrit ci-avant et des capacités de la communauté internationale à
les satisfaire grâce aux ressources civiles et de police,
- l’extension des capacités militaires potentielles,
- le suivi des implications pour les forces armées de la prise en compte d’une telle mission,
- les arrangements potentiels au niveau du commandement pour intégrer les capacités militaires avec les autorités civiles
et d’ordre public,
- les implications légales et politiques de ce qui précède.

DOCTRINE N° 04 30 SEPTEMBRE 2004


étranger
Les lois de la guerre
en situation non conventionnelle
es lois de la guerre sont constituées d’un ensemble de règles relativement complet
L régissant la guerre conventionnelle entre des Etats-nations possédant des forces
armées régulières et aisément identifiables. Ces règles sont le résultat d’une longue
tradition historique et régissent avec efficacité la conduite de la guerre, quand la
guerre est d’un type classique : la confrontation violente entre des Etats au cours de
batailles et de campagnes militaires menées par des armées et des marines
conventionnelles. Les lois de la guerre sont beaucoup moins efficaces quand il s’agit
de conflits non conventionnels. Cet article étudie la complexité de ces conflits d’un
point de vue juridique afin de permettre de comprendre les raisons des échecs de ces
lois à gérer avec efficacité ce type de conflit et d’identifier ce qui devrait être entrepris
afin de corriger les causes de ces échecs.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL VAN MARTIN, ADJOINT DU CHEF DE DÉTACHEMENT DES OFFICIERS DE L’ARMÉE DE TERRE AMÉRICAINE EN FRANCE

d’un conflit tout à fait conventionnel, on se à s’engager dans le conflit. Au cours d’un
Les propos tenus dans cet article
trouve confronté à des impératifs souvent conflit non conventionnel, nous sommes
n’engagent que leur auteur et ne
contradictoires et mutuellement incompa- fréquemment confrontés à des situations
reflètent pas nécessairement la position
tibles liés à la fois au jus in bello, le droit qui paraissent ignorer ou même rejeter en
officielle du Département de l’Armée de dans la guerre, et le jus ad bellum, le droit bloc les classifications traditionnelles qui
terre, ni du Département de la Défense,
ni du Gouvernement américain.

Le fait même de nommer ces conflits “ non


conventionnels ” devrait attirer notre atten-
tion sur les problèmes légaux et moraux
qu’ils peuvent entraîner. Ce sont des conflits
sales du point de vue légal (ainsi que du
point de vue physique) et ceci pour de
bonnes raisons. Ils se situent à la croisée
des chemins entre les lois de la guerre, le
droit international et le code civil. A la dif-
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

férence des conflits conventionnels au cours


desquels il est relativement aisé de se situer
au niveau légal, dans un conflit non conven-
tionnel il n’y a généralement pas d’accord
en ce qui concerne le statut légal et moral
des différents combattants et celui de leurs
actions. Naturellement, même au cours

SEPTEMBRE 2004 31 DOCTRINE N° 04


constituent les fondations des lois de la international. Elles ne sont pas non plus dans la conduite des conflits. Tout grou-
guerre. Les problèmes légaux qui se pré- nécessairement identifiables en tant qu’or- pe de combattants non conventionnels
sentent au cours d’un conflit non conven- ganisations militaires, bien que, dans la rejettera presque systématiquement cet-
tionnel sont particulièrement sensibles plupart des cas, ces groupes possèdent te distinction et, au contraire, justifiera
aujourd’hui parce que nous nous trouvons quelques-uns des traits qui peuvent carac- ses violations des contraintes du jus in
de plus en plus souvent confrontés à des tériser des organisations militaires. C’est bello en faisant état de la justesse abso-
situations asymétriques qui, presque tou- pourquoi, dans des cas d’opérations réel- lue de sa cause et de sa relative faibles-
jours, débutent ou se transforment en lement non conventionnelles, nous devons se. Ce qui se traduit plus simplement par
conflits non conventionnels. Pour éviter garder présent à l’esprit deux éléments “ Nous sommes faibles mais notre cause
des confusions et pour aller au cœur des importants : le premier est l’instrumenta- est tout à fait juste. A cause de notre fai-
problèmes engendrés par les conflits non lisation, en tant qu’atout militaire, de la blesse, nous ne pouvons pas gagner si
conventionnels, il importe de bien définir population civile par l’un ou même les deux nous respectons les lois de la guerre. Mais,
ce dont on parle. belligérants ; et le second est la confusion étant donné la justesse de notre cause, il
créée à propos du statut légal du ou des faut que nous gagnions et nous avons
A l’une des extrémités du spectre “ non groupes qui mènent les actions non conven- donc le droit de poursuivre le combat sans
conventionnel ”, on trouve des tactiques tionnelles. Un groupe comme le Hamas est tenir compte des lois de la guerre ”. Ce
et des opérations que l’on pourrait presque un excellent exemple de ce type d’entité défi extraordinaire porté aux lois de la
qualifier de conventionnelles. Dans ce cas, non étatique menant des opérations non guerre est devenu courant et acceptable
les deux adversaires utilisent des forces conventionnelles. Hamas utilise la popu- au cours de la deuxième moitié du XXe
équipées et organisées de manière conven- lation palestinienne comme une protection siècle. Cette explication ainsi que ce rejet,
tionnelle mais, l’un d’entre eux ou les deux et prend la population israélienne comme explicite ou implicite, des lois de la guer-
font usage de tactiques non convention- cible principale. re constituaient une façon normale de pré-
nelles, en particulier en mettant en œuvre senter les conflits d’inspiration marxiste
des unités spécialisées. Bien sûr, dans la plupart des conflits que dits de “ libération nationale ”.
Dans ce sens, le “ non conventionnel ” per- nous qualifions de non conventionnels, il
met d’éviter des batailles classiques contre existe toujours une certaine confusion Tous ces conflits avaient invariablement
les forces principales de l’adversaire tout entre conventionnel et non conventionnel une très importante composante non
en menant des raids, des embuscades et quand on fait référence aux acteurs du conventionnelle et, par voie de consé-
autres opérations de combat contre la logis- conflit, aux types de tactiques employées quence, entraînaient des manquements
tique, les moyens de commandement et et aux opérations menées par un ou plu- à l’application des lois de la guerre. Le dis-
autres objectifs “ mous ”. Dans ce cas, les sieurs des belligérants. Le type de guerre cours justificatif présenté au cours de ces
lois de la guerre sont efficaces pour contrô- menée par les Américains au Vietnam conflits par les belligérants d’inspiration
ler l’attitude des combattants. Bien que constitue un exemple classique de cette marxiste est devenu si omniprésent que
nous utilisions parfois le vocable de “ non confusion. nous avons parfois tendance maintenant
conventionnels ” à propos de ces conflits, Arrivé à ce point, on peut commencer à à prendre ce type de raisonnement pour
ils sont en fait absolument conventionnels identifier les problèmes juridiques parfois argent comptant. Le conflit israélo-pales-
et ils doivent être traités comme tels. Les insolubles qui sont liés aux conflits non tinien est un exemple parfait de la capa-
opérations de type “ Chindit ” menées par conventionnels. Parfois, dans ce type de cité à justifier un mépris absolu de la par-
les Britanniques et les Américains contre conflit, le problème juridique le plus cru- tie des lois de la guerre consacrée au jus
les Japonais en Birmanie au cours de la cial réside dans le fait qu’un ou plusieurs in bello en raison de la nature supposé-
Seconde Guerre mondiale constituent un des belligérants refusent de faire la dis- ment juste, au-delà de tout, de la cause
excellent exemple de cette sorte de conflit. tinction entre jus in bello et jus ad bellum. des belligérants et de leur faiblesse. Les
Lors d’un conflit conventionnel, les belli- groupes combattants palestiniens com-
A l’autre extrémité de l’échelle du “ non gérants pensent ou, au moins, donnent à me le Hamas violent les éléments les plus
conventionnel ”, il y a ce que je qualifierai penser qu’ils agissent généralement en basiques des lois de la guerre et pourtant
d’opérations vraiment non convention- conformité avec les lois de la guerre. En ils ne sont presque jamais condamnés
nelles. Mais de quoi s’agit-il réellement ? fait, quel que soit le conflit, il existe tou- comme criminels, sauf par leurs oppo-
Ce sont des opérations au cours desquelles jours un extrême désaccord entre les bel- sants israéliens. A l’opposé, les Israéliens
un des combattants cherche à tirer un avan- ligérants au sujet de la légalité des actions ont à leur disposition des règles d’enga-
tage du fait de se fondre au sein de la popu- de l’autre parti. Ce désaccord est parti- gement très structurées destinées à
lation civile afin d’éviter de s’engager dans culièrement criant en ce qui concerne le démontrer un respect minimum des lois
des conditions défavorables. Ce type d’opé- jus ad bellum. Pourtant, malgré un désac- de la guerre. Savoir si les Israéliens res-
rations non conventionnelles implique sou- cord fondamental à propos du jus ad bel- pectent effectivement ou non les lois de
vent le fait de viser de façon délibérée des lum, les belligérants peuvent tomber d’ac- la guerre demeure bien sûr une question
objectifs civils. De plus, les entités qui cord et souvent le font en ce qui concerne ouverte. Ce qui est surprenant est que,
mènent ce type d’opérations réellement le jus in bello, la façon juste de mener la bien souvent, les Israéliens sont condam-
non conventionnelles n’ont bien souvent guerre. Cette distinction est fondamen- nés en tant que criminels de guerre ou
pas la caution d’un état ni même d’exis- tale si les lois de la guerre doivent avoir à même comme commettant des crimes
tence clairement définie au regard du droit jouer un quelconque rôle de régulateur contre l’humanité alors que les

DOCTRINE N° 04 32 SEPTEMBRE 2004


étranger
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

Palestiniens ont les mains libres. Il est per- tionnels aux yeux du droit international. Les conflits non conventionnels posent un
turbant de voir que l’on ne tend pas à obli- Au XXIe siècle, les guerres semblent desti- grave défi à l’ensemble de l’édifice juridique
ger leurs adversaires non conventionnels nées à opposer en premier lieu des Etats que constituent les lois de la guerre. C’était,
à appliquer les mêmes standards juri- à des organisations transnationales non bien sûr, vrai dans le passé, mais cela l’est
diques. étatiques. Quel est le statut d’Al Qaida vis- d’autant plus aujourd’hui alors que nous
à-vis du droit international et des lois de la entrons dans une période de notre histoi-
Un autre défi, peut-être insoluble, posé aux guerre ? Les membres des groupes sépa- re où conflits et acteurs non convention-
lois de la guerre par les conflits non conven- ratistes basques ou corses sont-ils proté- nels paraissent dominer le paysage des
tionnels est constitué par la confusion qui gés par les lois de la guerre ? Et l’IRA ? guerres. Ce défi met en évidence l’incapa-
règne à propos du statut légal des com- Nombreux sont les conflits non conven- cité criante du droit international et des lois
battants non conventionnels. La question tionnels qui prennent la forme de guerres de la guerre à “civiliser ” quelque peu les
est de savoir s’il s’agit de combattants, tels civiles ce qui amplifie d’autant la confusion conflits modernes. Bien sûr cette faibles-
que définis par les lois de la guerre, ou sim- juridique qui les entoure. Le conflit devra- se n’est pas nouvelle. Durant la Guerre froi-
plement de criminels ? La complexité des t-il tomber sous le coup du droit criminel de, la stratégie des différentes puissances
conflits non conventionnels modernes rend international ou sous celui des lois de la nucléaires, en fonction de laquelle il était
ce simple problème insoluble. Une partie guerre ? Par exemple, les Français qui ont envisagé des frappes nucléaires massives
du problème lié à la détermination du sta- commis des actes de torture durant la guer- de représailles, se moquait totalement des
tut des combattants non conventionnels re d’Algérie devaient-ils être punis en fonc- lois de la guerre. Cet échec évident des lois
provient de l’interprétation que l’on peut tion du droit français, du droit internatio- de la guerre n’a jamais été surmonté et ne
faire des lois de la guerre quant à l’identi- nal ou des deux ? On peut même se le sera probablement jamais. Nous avons
fication des combattants. Les non Afghans demander s’ils avaient violé les lois de la peut-être une plus grande chance de
combattant aux côtés des Talibans étaient- guerre puisque le conflit en Algérie était, résoudre les problèmes juridiques et
ils des combattants légaux au regard des pour les Français, assimilé à une “ action moraux posés par les conflits non conven-
lois de la guerre, ou des combattants illé- de police ” interne ? Il se peut que la der- tionnels. Cependant la résolution de ces
gaux comme le déclare le gouvernement nière caractéristique à prendre en compte problèmes entraînera un important travail
américain ? Pour arriver à résoudre la pour donner ou non le statut de combat- de redéfinition des lois de la guerre et, pour
controverse du statut de ces “ combat- tant réside, comme nous l’avons vu plus l’instant, ce travail n’a même pas com-
tants ”, il faudrait arriver à un consensus à haut, dans le fait que de nombreuses orga- mencé.
propos de la légalité de leurs activités au nisations de combattants non convention-
regard des lois de la guerre et de l’ensemble nels rejettent les lois de la guerre. C’est
du droit international. Une autre facette de clairement le cas du Hamas et d’Al Qaida.
ce problème est liée à l’établissement du Si elles rejettent complètement les lois de
statut légal des organisations dont sont la guerre, dans quelle mesure méritent-
membres ces combattants non conven- elles d’être protégées par celles-ci ?

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La protection juridique
des militaires espagnols en opération

Tout au long de leur histoire, les armées espagnoles ont servi sur les théâtres d’opérations sous
la protection de leur drapeau. Cependant, à partir de 1992, les forces militaires ont participé à
de nombreuses missions internationales et, d’un point de vue juridique, elles ont entrepris une
nouvelle démarche, étrangère à la tradition, mais riche en débats.
En Espagne, depuis l’intégration dans l’OTAN - 1982 -, le “ Status of Forces Agreement ” (SOFA)
représente le cadre de référence qui fixe les règles pour la situation des forces hors du territoire
national. Néanmoins, l’éventail opérationnel est plus large et dans certaines occasions, il est
nécessaire de prévoir d’autres cadres (ONU, UE...) pour les opérations militaires extérieures.
Les débats sur la protection juridique des militaires en opération concernent essentiellement
les missions menées par les forces espagnoles dans le cadre des Nations unies ou de l’OTAN.
Avant d’approfondir la spécificité propre de ces domaines, il faut souligner quelques aspects
de l’organisation de la justice espagnole.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JOSÉ IZQUIERDO-NAVARRETE, OFFICIER DE LIAISON ESPAGNOL AUPRÈS DU CDEF

Justice militaire en Espagne La juridiction militaire espagnole n’a pas professionnalisation et de la féminisation
de caractère “corporatif ”. Ses attributions actuelles. Elle fait la distinction entre les
Le régime juridique militaire est adapté aux sont liées à la nature du délit, pas à la condi- fautes légères (34) et les fautes graves (37)
dispositions et garanties constitutionnelles tion du délinquant présumé, ni au lieu où qui peuvent être sanctionnées par des
et il s’applique dans le cadre d’une “ juri- les faits se sont produits. Les conduites peines pouvant aller jusqu’à trente jours
diction spécialisée ” en raison du milieu délictueuses de nature commune ne sont de détention pour les premières et jusqu’à
d’exécution et du droit spécifique appli- pas classées dans la législation militaire, deux mois, pour les secondes. La tutelle
qué. Une réforme entamée en 1988 a été à mais dans la législation ordinaire, bien juridictionnelle de la puissance disciplinaire
l’origine de l’intégration de la justice mili- qu’un militaire en soit l’acteur. est conférée aux tribunaux militaires.
taire dans le pouvoir judiciaire de l’État afin
de sauvegarder le principe de l’unité juri- La loi sur l’organisation territoriale de la Statut des forces dans les missions
dictionnelle consacré par la Constitution juridiction militaire du 15 décembre 1998
de 1978. réduit à 18 le nombre de tribunaux mili- internationales
taires territoriaux et ajuste leurs compé-
La justice militaire espagnole garde une tences aux limites des régions autonomes. La protection juridique des militaires espa-
claire séparation entre le commandement Ils sont regroupés autour de cinq cours ter- gnols en opération dépend de l’exercice de
et la juridiction. La fonction juridictionnel- ritoriales. Deux tribunaux militaires sié- la compétence juridictionnelle et du régi-
le est attribuée aux organes judiciaires mili- geant à Madrid, avec des compétences sur me des droits et des devoirs appliqué à la
taires, en excluant les organes de com- tout le territoire national, et un tribunal mili- force.
mandement qui l’avaient exercée taire spécial pour les officiers supérieurs
auparavant. Elle est administrée par des complètent cette organisation. En plus, une En Espagne, en temps de paix, la juridic-
juges et des magistrats du pouvoir judi- chambre militaire est prévue dans la Cour tion militaire se circonscrit au cadre exclu-
ciaire et, en tant que tels, “ indépendants, suprême. sivement militaire, en connaissant les
inamovibles, responsables et soumis uni- La loi organique sur le régime disciplinai- conduites classées dans le Code pénal mili-
quement à l’empire de la loi ”, selon la re des forces armées du 3 février 1999, a taire et en élargissant sa compétence à tous
Constitution. adapté l’ancien code aux exigences de la les cas fixés dans les accords internatio-

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étranger
naux signés pour l’Espagne, au cas des per à sa juridiction pénale. Néanmoins, la cision juridique remet en question la légi-
forces hors du territoire national (Loi orga- présence de forces étrangères sur le terri- timation de l’action militaire. Le statut des
nique 4/1987 sur la compétence et l’or- toire d’un État pose un conflit de compé- forces apparaît comme le seul instrument
ganisation de la juridiction militaire : Art. tences entre le principe de souveraineté valable pour garantir le régime juridique
12 .3). En temps de guerre, la loi organique territoriale déjà évoqué et le “ principe du des militaires sur les théâtres d’opérations
4/1987 du 15 juillet prévoit un élargisse- drapeau ”, selon lequel les forces d’un État extérieurs. Le SOFA est un accord interna-
ment de ce cadre ; mais cette décision souverain détiennent un privilège d’extra- tional qui s’élabore pour faire face à une
appartient aux “ Cortes Generales ”1 ou au territorialité qui les maintient soumises, situation précise. Aujourd’hui, avant la pro-
gouvernement s’il y a une autorisation n’importe où, à la juridiction de son État jection de la force, il est nécessaire de négo-
préalable. d’origine. L’opposition entre ces deux prin- cier un accord, d’une part, entre l’État ou

Juridictions militaires

Territoire I

Territoire II

Territoire III

Territoire IV

Territoire V

Cours militaires territoriales

Tribunaux militaires centraux

Tribunaux militaires territoriaux

A l’égard de la juridiction internationale, cipes s’est accentuée à partir de la deuxiè- l’organisation internationale qui intègre les
l’évolution du contexte géopolitique a posé me partie du XXe siècle, en parallèle avec forces et, d’autre part, l’État concerné, pour
de nouveaux problèmes. Malgré la mon- l’augmentation de la présence des mili- que le statut des forces soit clairement éta-
dialisation, jusqu’à présent, l’État consti- taires à l’extérieur de leurs frontières. bli. Cet accord a une grande importance,
tue le signe primaire d’identité et le gar- car il apparaît comme une garantie pour
dien de certaines compétences liées à sa L’éclatement actuel du concept d’État - les forces projetées et un instrument de
conception de la souveraineté. L’exercice nation et la fragilisation des structures poli- conciliation de deux souverainetés en
de cette souveraineté est circonscrit à un tiques résultantes de la prolifération des conflit : celle de l’État d’origine et celle de
territoire. En conséquence, l’État-nation guerres civiles altèrent la pratique du droit l’État qui accueille les forces. Les domaines
induit le principe de souveraineté territo- international. En plus, la généralisation de pénal et disciplinaire, les domaines admi-
riale, selon lequel un délit commis à l’inté- la violence dans les crises déborde des nistratifs et les privilèges de la force et de
rieur de ses frontières ne peut pas échap- cadres nationaux de référence et l’impré- ses membres sont à la base du SOFA.

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Dans le domaine opérationnel, les “ règles L’accord distingue les juridictions crimi- Dans une situation de conflit armé, il faut
d’engagement ” (ROE) se trouvent étroi- nelle et civile. En ce qui concerne les mili- distinguer entre le statut des forces de
tement liées au mandat de l’opération et taires, l’immunité par rapport à la juridic- l’OTAN par rapport aux belligérants ou aux
constituent un recours technique pour tion pénale du pays hôte est garantie, bien pays neutres et le statut d’un pays membre
attendre les buts fixés et une référence que le délinquant doive répondre de ses de l’Alliance sur le territoire d’autre pays
juridique pour légitimer l’action. Les ROE actes devant la juridiction nationale res- membres. Dans le premier cas, le statut
sont un outil du commandement qui, sous pective. Par contre, tous les membres de des forces de l’OTAN est défini par le droit
la forme de permissions et d’interdictions, l’opération sont soumis à la juridiction des conflits armés internationaux. Etant
tente de guider l’emploi de la force. A ce civile du pays hôte, sauf dans le cas d’une donné que les pays de l’OTAN ne sont pas
titre, elles deviennent directives particu- demande fondée sur des faits liés au serv- parties au Protocole additionnel I, ce trai-
lières au contingent et l’autorité nationa- ice qui suit la procédure prévue par le té ne concernera pas toutes les troupes ;
le est responsable de leur application, tan- SOFA. mais elles seront soumises au droit inter-
dis que les infractions sont soumises à la Cependant, dans de nombreux cas, ces national. Dans le deuxième cas, le SOFA
juridiction militaire espagnole. dispositions ne sont pas respectées par restera valable. Néanmoins, l’article 15
les autorités locales qui, en situation de prévoit que les paragraphes 2 et 5 de l’ar-
conflit ou de crise, agissent d’une façon ticle 8 ne seront appliqués aux dommages
* Opérations dans le cadre de l’ONU excessivement autonome et à l’écart du de guerre. En plus, les parties pourront
droit international. suspendre ou modifier les dispositions de
Le statut d’une force qui agit sous man- cet accord.
dat des Nations unies dérive des articles Le régime disciplinaire reste une respon-
104 et 105 de la Charte qui prévoient la sabilité nationale. L’éventail de ses pos- Dans une situation de crise, les opéra-
reconnaissance des capacités juridiques, sibilités est très grand, mais généralement tions dépassent le cadre envisagé dans
les privilèges et les immunités de le commandement du contingent espa- l’article 5. Ce type d’opérations qui, dans
l’Organisation et de ses membres. Ces pré- gnol détient le pouvoir de sanctionner la terminologie otanienne, ont d’abord été
visions ont été développées dans la dans la zone des opérations. Les fautes désignées sous le nom de “ Peace Support
Convention sur les privilèges et immuni- légères sont sanctionnées sur le théâtre, Operations ”, sont devenues, à l’occasion
tés de l’ONU (1946) et dans la Convention tandis que les auteurs d’infractions graves du conflit du Kosovo, des “ Crisis Response
sur la sécurité du personnel de l’ONU sont rapatriés et placés sous la respon- Operations ” afin d’élargir le spectre opé-
(1994). sabilité de l’autorité nationale compé- rationnel. La protection juridique des mili-
tente. taires dépend de la définition précise du
Ce dernier accord est appliqué dans les type de l’opération. Si la qualification de
opérations onusiennes décidées par l’or- Enfin, la responsabilité des dommages “ conflit armé ” s’applique, le régime juri-
gane compétent et réalisées sous le liés à l’exercice des fonctions des membres dique des forces est celui décrit dans le
contrôle et l’autorité de l’ONU. La conven- de la force est assumée par l’ONU. paragraphe précédent. Par contre, si les
tion se base sur le principe du droit inter- opérations ne méritent pas cette déno-
national de “ juge ou extrade ” qui permet mination, le régime sera fixé par le statut
à une autorité judiciaire nationale de juger * Opérations dans le cadre de l’OTAN des forces accordé entre l’Alliance et l’État
la conduite délictueuse de ses citoyens qui accueille la mission. Il faut souligner
ou d’extrader le délinquant présumé. Si on élude le débat sur les bases juridiques que l’urgence et la dispersion des pou-
des dernières interventions de l’OTAN, la voirs politiques dans le pays hôte altèrent
La convention ne s’applique pas au cas protection juridique des militaires espa- le cadre de référence. En aucun cas, les
des opérations de coercition autorisées gnols varie selon la situation rencontrée: forces engagées ne doivent rester sans
pour le Conseil de sécurité dans le cadre normale, conflit armé ou crise. protection juridique. Les actions de com-
du chapitre VII de la Charte des Nations bat qui ont lieu éventuellement dans ce
unies. Ce type d’opérations est réglé par Dans une situation normale, le régime juri- type d’opération doivent respecter les prin-
le droit international des conflits armés. dique du personnel de l’OTAN est fixé par cipes internationaux du droit des conflits
Cependant, rien n’empêche l’application les accords de Londres de 1951 (“ Status of armés et du droit international humani-
des droits de l’homme à caractère uni- Forces Agreement ” ou SOFA OTAN) et le taire.
versel tel que l’article 20 l’envisage. protocole et les accords complémentaires
sur le statut des quartiers généraux per- La participation des forces espagnoles aux
La signature d’un SOFA est nécessaire manents (Paris, 1952). Il existe d’autres dis- conflits des Balkans montre les différentes
entre l’État d’accueil de l’opération et positions secondaires telles que les accords sortes d’accords qui encadrent le régime
l’ONU. Le premier de ce type de document entre l’organisation atlantique ou un de ses juridique des militaires sur le théâtre. Dans
est le “ règlement des forces d’urgence de grands commandements et les États qui “ l’annexe militaire ” des accords de
l’ONU ” de 1957. Aujourd’hui, le SOFA suit accueillent les forces ou les quartiers géné- Dayton, se trouvent les principaux élé-
le modèle résultant de la résolution 4/89 raux otaniens ou les accords entre les États ments qui garantissent la protection juri-
de l’Assemblée générale. Il est constitué parties de l’OTAN et les États du partena- dique des forces : l’application “ mutatis
de X articles structurés en 60 sections qui riat pour la paix relatifs au statut des forces mutandi ” des privilèges de l’ONU et la
fixent le régime juridique de l’opération. (SOFA PfP, Bruxelles 1995). compétence exclusive de la juridiction

DOCTRINE N° 04 36 SEPTEMBRE 2004


étranger
pénale et disciplinaire des États membres
de l’OTAN à l’égard de leurs troupes res-
pectives. En résumé, il s’agit d’assurer l’im-
munité du personnel militaire face aux auto-
rités locales et la saisine de la juridiction
militaire dans les hypothèses d’inhibition.

* Autres opérations

En plus des cas précédents, l’intervention


dans le cadre de l’UEO, maintenant de
ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

l’UE, est le seul que l’Espagne a envisa-


gé. La déclaration de Petersberg a permis
de réaliser quelques missions dont le sta-
tut des forces a varié selon les opérations.

Il n’y a pas de grandes différences entre


le régime juridique des forces espagnoles
dans le cadre de l’OTAN et de l’UE. Etant
donné que l’UE n’a pas de personnalité
juridique, car le SOFA prévu n’a pas été
approuvé ; le statut des forces en opéra-
tion a été négocié entre les États membres
et le pays hôte. Ces accords ont été com-
plétés avec d’autres arrangements tech- 1 En Espagne, les “ Cortes Generales“ exercent le
niques entre les commandants des forces pouvoir législatif et sont composées du “ Congrès
des députés “ et du Sénat.
et les autorités administratives locales.

Conclusion
Le nouveau contexte géopolitique, la progressive légitimation du principe d’intervention - soit pour la voie des chapitres VI ou VII
de la Charte des Nations unies - , et l’évolution des concepts stratégiques des organisations de défense occidentales ont induit
une augmentation significative de la présence de forces espagnoles dans les opérations extérieures.

La perception de la protection juridique devient un facteur fondamental du moral des troupes, notamment pour les conséquences
qu’elles pourraient avoir pour leurs familles. Le régime juridique des militaires espagnols en opération dépend à la fois des ins-
tances internationale et nationale.

Par rapport à la première, la présence de troupes espagnoles dans un pays étranger induit un conflit entre les souverainetés dont
la résolution repose sur le SOFA de l’opération. Cet instrument du droit international comporte différents volets ; mais les domaines
pénal et disciplinaire sont perçus comme la clef de voûte de l’environnement juridique. Les SOFA en vigueur reconnaissent la vali-
dité des principes de souveraineté territoriale et du “ drapeau ”.

Dans les problèmes de juridictions en conflit, la juridiction nationale est appliquée de préférence pour les délits qui touchent aux
personnes ou aux propriétés des forces espagnoles ou d’autres forces engagées dans l’opération, en plus des délits commis pen-
dant l’exécution du service. . En ce qui concerne la responsabilité disciplinaire, elle est toujours conférée aux autorités espagnoles.
Dans les opérations de gestion de crise menées dans des zones de conflit dont les structures étatiques n’offrent pas de crédibi-
lité politique, l’immunité de juridiction est généralement invoquée dans le statut des forces.

Au niveau national, la justice militaire constitue une garantie pour la protection juridique des forces espagnoles. La juridiction
militaire s’applique généralement en effet aux délits ou fautes commis par les militaires espagnols hors du territoire national.

SEPTEMBRE 2004 37 DOCTRINE N° 04


Les opérations de stabilisation
et de reconstruction
e changement radical du contexte stratégique a entraîné, ces dernières années, de
L profondes modifications en termes de capacités, structures et doctrines d’emploi
militaires.
Les missions statiques, de défense du territoire, propres de la période bipolaire, ont
évolué vers des engagements dynamiques à l’étranger, allant des missions
humanitaires aux opérations de haute intensité, de manière à couvrir toute la gamme
des conflits.
La sécurité n’a plus une connotation essentiellement militaire, étant devenue un
concept plus ample, à caractère multidimensionnel et multifonctionnel, dans le cadre
duquel l’outil militaire est l’un des “ acteurs ” majeurs de l’action agissant,
conformément aux orientations politiques, à côté des composantes diplomatique,
économique et d’aide civile.

PAR LE GÉNÉRAL GIACOMO GUARNERA, ATTACHÉ DE DÉFENSE ITALIEN À PARIS

Dans les scénarios modernes, les conflits contre la guérilla et le terrorisme, etc.
symétriques classiques, caractérisés par Il s’agit d’un phénomène dont l’apparition
des combats de haute intensité s’inscri- rend le cadre encore plus complexe et sur
vant dans la durée, sont en effet très rares. lequel on reviendra plus tard afin de mieux
Par contre, les opérations de réponse aux en préciser les implications dans le domai-
crises (CROs) sont très fréquentes. Elles ne militaire.
peuvent inclure plusieurs activités opé-
rationnelles menées simultanément et exi- Pour faire face aux nouveaux besoins opé-
geant des capacités diversifiées. rationnels caractérisant les scénarios
Les expériences récentes en Irak ont mon- modernes, les outils militaires doivent se
tré combien la limite entre les opérations doter de capacités distinctes mais com-
de réponse aux crises et celles de guerre plémentaires. Ils doivent être capables de
traditionnelle est faible ou même inexis- s’acquitter des missions de combat à pro-
tante, mais surtout combien la phase de prement parler, mais aussi des tâches de
stabilisation et de reconstruction s’avère stabilisation et reconstruction.
à la fois essentielle, résolutoire et com- L’Armée de terre italienne a depuis long-
plexe. En effet, pour assurer l’ordre et la temps lancé un processus de réorganisa-
sécurité, en réalisant donc les conditions tion structurelle et capacitaire, à travers
pour une démocratisation réelle du pays lequel il a été possible d’assurer une par-
dans lequel les forces sont engagées, il faut ticipation importante de nos unités aux
ADJ J.R. DRAHI/SIRPA Terre

disposer d’un large éventail de capacités, multiples engagements menés sur la scè-
permettant de mener à bien un ensemble ne internationale.
hétérogène d’activités, telles que le désar- A l’heure actuelle, environ 6 500 militaires
mement, la démobilisation et la réintégra- italiens sont engagés en dehors du terri-
tion des ex-combattants et des réfugiés, toire national. La moyenne quotidienne
l’aide humanitaire, sans oublier la lutte des personnels engagés dans des opéra-

DOCTRINE N° 04 38 SEPTEMBRE 2004


étranger
tions hors zone dans les derniers 6 ans toire militaire en victoire politique, il 4) Dans le processus de génération de la
s’élève à 8 000 hommes environ. faut, en fait, conquérir “ les cœurs et les force, au fur et à mesure que la situa-
A ceux-ci il faut ajouter les soldats chargés esprits ” de la population civile, en l’ai- tion se stabilise, il faut procéder à l’al-
d’assurer la défense du territoire national, dant à rétablir des conditions de vie lègement progressif des unités de com-
dans le cadre général de la lutte contre le acceptables, à reconstruire les instal- bat. L’effort portera sur le maintien de
terrorisme : la protection des points sen- lations principales, à remettre en œuvre la stabilité à long terme, à travers une
sibles, dénommée “ Opération Domino ”, l’assistance sanitaire, etc. plus étroite coordination avec les orga-
est assurée depuis 2001 avec en moyenne nisations internationales présentes.
4 000 hommes préposés à la surveillance 2) Les opérations de stabilisation
de presque 150 points sensibles situés dans modernes doivent être lancées sans que 5) Il est essentiel de disposer d’un nombre
88 provinces. l’ensemble du cycle opérationnel soit important de moyens d’appui tactique
interrompu. La planification des activi- et de soutien logistique du combat, afin
L’année dernière, l’Armée de terre italienne tés de combat, de stabilisation et recons- d’assurer un appui adapté aux unités
a engagé sur les différents théâtres opé- truction doit donc être menée simulta- de la composante opérationnelle du
rationnels environ 16 500 personnels, alors nément, comme partie intégrante d’un dispositif terrestre et pour mener à bien
que pour l’opération Domino les effectifs plan d’opération unique et plus vaste. les activités de stabilisation et de
engagés s’élevaient à 10 000 hommes, reconstruction au profit de la popula-
pour un total de 26 500 personnels en un 3) Dans le cadre d’une opération de sta- tion civile.
an, équivalant à 33% de la composante bilisation et reconstruction, le com-
opérationnelle. mandement de la force d’action est 6) L’approche “groupement interarmes du
Il ne s’agit là que de la présentation syn- appelé à remplir la double fonction de niveau brigade - Brigade Task Force ”
thétique d’un engagement intense qui voit “gestionnaire” majeur des activités de adoptée par l’Armée de terre pour défi-
l’Armée de terre italienne, depuis désor- stabilisation et de reconstruction et, en nir les ensembles de forces à engager
mais plus de dix ans, en première ligne en même temps, de responsable direct de au cas par cas dans les opérations a fait
soutien de la paix et de la sécurité inter- la gestion de l’ensemble des forces preuve d’efficacité. D’ailleurs, étant don-
nationale. engagées sur le théâtre, en exerçant né que les opérations de stabilisation,
aussi la direction et le contrôle d’opé- réalisées dans la période après-conflit,
Ces multiples activités opérationnelles ont rations de combat de moindre enver- durent des années, il faut se doter d’un
permis de tirer des leçons utiles non seu- gure, quand cela est nécessaire. Dans ensemble robuste de commandements
lement des expériences nationales, mais ce sens, il faut envisager d’intégrer au de grandes unités et de brigades, pour
aussi de celles mûries par les autres armées sein de la structure de commandement, assurer les relèves des unités et la capa-
de terre. notamment lors de la phase initiale de cité à durer dans le temps.
Les crises internationales de la dernière l’après - conflit, les savoir-faire figurant
décennie (depuis celle dans les Balkans sur le tableau, avant que les structures
jusqu’aux crises plus récentes en civiles ne commencent à fonctionner à En résumé, les leçons apprises ont confir-
Afghanistan et en Irak) ont toutes confir- plein régime. mé que, pour faire face aux défis futurs,
mé le rôle central et le caractère résolutoi- l’outil militaire terrestre doit se doter d’une
re de la composante terrestre pour ce qui vaste gamme de capacités et de moyens
• SURETÉ DE LA ZONE D’ACTION :
est de l’obtention, sur le terrain, des objec- complémentaires et surtout spécialisés,
. SURETÉ DES ITINÉRAIRES
tifs stratégiques arrêtés par le niveau poli- nécessaires pour le bon déroulement des
tique. . PROTECTION DE LA FORCE activités développées dans le cadre d’une
Lors d’opérations de ce type, en effet, l’ap- . DEFENSE/CONTRÔLE DE POINTS SENSIBLES opération de gestion de crise, y compris
parition de conflits dans des zones peu- • CONTRE-TERRORISME/GUERILLA
les activités de stabilisation et reconstruc-
plées exige la présence diffuse du dispo- tion, typiques de la phase après-conflit.
• ACM (CIMIC)
sitif terrestre, essentiel pour assurer le En termes de forces, les composantes
• NEDEX (EOD)
cadre sécuritaire nécessaire pour régler nécessaires pour la conduite des opéra-
• CONTRÔLE DES FOULES
les situations de crise. tions de gestion des crises peuvent être
• RENSEIGNEMENT MILITAIRE schématiquement regroupées en trois
Les leçons apprises ont fait apparaître plu- • ASSISTANCE HUMANITAIRE ensembles.
sieurs autres éléments très importants en • TRANSPORT/RAVITAILLEMENT – Le premier, composé de forces capables
vue de l’actualisation constante des capa- • ASSISTANCE SANITAIRE de mettre en œuvre une capacité de com-
cités futures desquelles l’Armée de terre • RECONSTRUCTION bat réelle et considérable, est indispen-
doit se doter. On se limitera à présenter • RÉTABLISSEMENT DE SOURCES D’ÉNERGIE sable aussi pendant la phase de stabili-
les principaux. • CONTRÔLE DE LA CRIMINALITÉ sation et reconstruction pour faire face
• ENTRAÎNEMENT DES FORCES ARMÉES ET DE LA aux risques prévisibles et graduer les
1) Le succès d’une opération de gestion POLICE
ripostes de manière souple et propor-
des crises dépend notamment d’une tionnelle aux attaques, et constitue en
• SOUTIEN AUX ONG ET OG
planification soigneuse des activités même temps un élément de dissuasion
“ après-conflit ”. Pour transformer la vic- important.

SEPTEMBRE 2004 39 DOCTRINE N° 04


Pour en avoir la confir- C’est dans ce cadre que s’insère l’initiati-
mation, il suffit de se ve OTAN de la NRF - NATO Response Force,
référer aux contingents dont les opérations envisagées, en vue de
déployés au fil du temps l’engagement, peuvent idéalement se
sur les divers théâtres. situer en une sorte de “ zone de super-
Aujourd’hui encore, position ” comprise entre les opérations
dans les Balkans, dans de soutien de la paix et les opérations de
OTAN/SFOR

l’opération “ Antica haute intensité.


Babilonia ” menée en
Irak et dans l’opération Dans cette “ zone de transition ”, la limi-
“ ISAF ” en Afghanistan, te entre guerre et opérations de soutien
– Le deuxième ensemble - en principe, de l’Armée de terre engage des groupements de la paix (OSP) est indéterminée. Voilà
niveau non inférieur à la brigade - doit interarmes (“ task forces ”) articulés autour pourquoi, même dans des scénarios en
être en mesure de contrôler de vastes d’une composante de combat, chargée cours de stabilisation, il faut engager, à
zones - et d’assurer également l’inter- d’assurer la sécurité et la protection, à côté d’un nombre important d’unités com-
diction d’une partie d’entre elles - et côté des composantes spécialisées men- battantes, au sein desquelles trouvent
avoir l’aptitude à agir dans un environ- tionnées plus haut. leur place les forces pour les opérations
nement aussi insidieux que la zone urbai- spéciales (FOS) et les unités d’infanterie
ne, sur tout l’éventail des missions, y L’apparition du terrorisme sur la scène légère entraînées à la lutte contre- gué-
compris le combat rapproché en cas d’ac- internationale complique l’articulation et rilla et contre-terrorisme, des forces spé-
tions de contre- guérilla et de contre-ter- l’équilibrage des unités appelées à mener cialisées de l’armée de terre et des unités
rorisme. les opérations modernes. du type gendarmerie ou MSU comme l’ont
démontré les opérations Licorne en Côte
– Enfin, un troisième ensemble de forces, d’Ivoire et en Haïti où la France a appliqué
composé d’unités spécialisées à dédier ces concepts de façon rentable.
aux activités de stabilisation et recons-
truction : Renseignement, ACM, PSYOPS, Parmi les forces spécialisées de l’Armée
NBC, Génie, Santé et Transports. de terre agissant à côté des FOS et des
unités d’infanterie légère dans la répres-
Dans ce cadre, des forces dites de gen- sion de la guérilla et du terrorisme “orga-
darmerie peuvent être engagées, aux- nisé militairement”, sont comprises les
quelles sont confiées des missions unités chargées de mener l’activité de ren-
typiques des forces de police à statut mili- seignement (Guerre électronique, sur-
taire, destinées en général à assurer l’ordre veillance, HUMINT de niveau tactique),
OTAN/SFOR

public, à mener des enquêtes criminelles, celles de défense NBC, les cellules NEDEX
à lutter contre le crime organisé et à entraî- pour la neutralisation, l’enlèvement et la
ner les forces de police locales. destruction des explosifs, les unités
PSYOPS et ACM.
Chaque ensemble de forces fournit sa
contribution pour parvenir à la situation En effet, les événements militaires s’étant Par ailleurs, les récentes attaques terro-
finale recherchée (“ end state ”), dans un produits sur la scène internationale suite ristes contre la population civile et contre
cadre de sécurité “ militaire ” qui doit, de aux attentats du 11 septembre, ont eu com- les dispositifs et installations des contin-
toute façon, être assurée avant et pen- me conséquence le fait que le terrorisme, gents militaires en Irak et en Afghanistan,
dant l’action de stabilisation. de problème surtout interne, d’applica- montrent que le terrorisme exploite à son
Le concept opérationnel consistant à enga- tion de la loi, est devenu un problème de profit les installations urbaines pour pro-
ger, lors des opérations de stabilisation sécurité internationale. voquer non seulement des effets dévas-
et reconstruction, les unités spécialisées
de manière synergique et complémentai-
re par rapport aux unités combattantes, Pour faire face au terrorisme,
n’est pas du tout nouveau pour l’Armée il faut aujourd’hui non seu-
de terre italienne. lement mettre en œuvre une
vaste gamme de mesures
politiques et économiques,
mais aussi engager des
forces aptes à neutraliser et
combattre cette menace,
dont les paramètres organi-
sationnels et opérationnels
OTAN/SFOR

OTAN/SFOR

prennent de plus en plus une


connotation militaire.

DOCTRINE N° 04 40 SEPTEMBRE 2004


étranger
l’Armée de terre italienne sont
multiples, et concernent en pre-
mier lieu l’entraînement, avec des
cycles spécifiques visant à l’ac-
quisition de l’aptitude à opérer
dans des contextes asymétriques
et dans toutes les dimensions de
OTAN/SFOR

la zone urbanisée, y compris les


passages souterrains.

tateurs sur la population civile, mais aus-


si d’importantes répercussions sur les
plans militaire, politique et économique.
Dans cette perspective, il faut accroître et
qualifier davantage les composantes aptes
à faire face et neutraliser la menace asy-
métrique et terroriste dans tous les envi-
OTAN/SFOR

ronnements, y compris la zone urbaine.


Les initiatives entreprises en ce sens par

En conclusion, l’évolution des scénarios opérationnels a imposé à l’Armée de terre italienne de réorganiser la
presque totalité de ses composantes opérationnelles, sous le signe de la qualité. On est passé d’un effectif de
presque 290.000 personnels en 1991 aux 115.000 d’aujourd’hui, et l’objectif visé est d’arriver, en 2006, à 112.000
hommes et femmes. Une réduction de 60% par rapport à il y a 15 ans.

Grâce à ce processus de rationalisation, l’Armée de terre est aujourd’hui en mesure de mettre en œuvre la presque
totalité des unités (combattantes et spécialisées) nécessaires pour faire face de manière satisfaisante aux besoins
associés aux opérations de stabilisation et reconstruction, en les complétant avec les capacités offertes par
d’autres composantes de l’outil militaire, en fonction de la mission à remplir et des caractéristiques de
l’environnement opérationnel.
Il s’agit, en pratique, d’un ensemble unique de forces à l’intérieur duquel les synergies sur le terrain parmi les
différentes composantes découlent de l’emploi équilibré et fonctionnel de leurs capacités opérationnelles et
spécificités respectives, atteintes suite à un entraînement, une formation et une organisation structurelle conçues
ad hoc.
Le processus d’optimisation et de perfectionnement des capacités n’a pas encore été achevé.

Sur le plan organisationnel, on envisage le renforcement du réservoir des FOS (Forces pour les opérations
spéciales), le complètement du réservoir ISTAR-GE, dans le cadre général des capacités associées au
renseignement tactique, notamment au profit des unités destinées à la surveillance et à la recherche du
renseignement, y compris le HUMINT.
On envisage également la mise sur pied d’un ensemble de forces médianes particulièrement aptes à opérer dans
des environnements complexes, grâce à leurs caractéristiques de mobilité, protection et puissance de feu.
Evidemment, le processus de renforcement vise à l’acquisition d’un niveau élevé d’interopérabilité, orientée vers
l’interarmées et le multinational. Il s’agit maintenant d’aller de l’avant sur la voie entreprise, afin de fournir des
réponses rapides et efficaces en fonction des missions envisageables.

SEPTEMBRE 2004 41 DOCTRINE N° 04


La fin
justifie-t-elle tous les moyens ?
Toujours assurément les méchants ont persécuté les bons et les bons persécuté les méchants ;
“ ceux-là pour servir leurs passions, ceux-ci la charité. Celui qui assassine ne considère pas ce
qu’il déchire ; celui qui soigne considère ce qu’il coupe. Celui-là en veut à la santé, celui-ci à
la pourriture... En tout cela donc ce qu’il faut considérer sinon lequel agit pour la vérité,
lequel pour l’impiété, lequel en vue de nuire, lequel en vue de corriger. 1 Saint AUGUSTIN

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JÉRÔME CARIO, DU CDEF/DREX

Si la condamnation de “ toute violence ” est un prin- la victime, n’oublions pas que le droit humanitaire
cipe parfaitement légitime en soi, elle laisse prolifé- est né sur le champ de bataille pour protéger le com-
rer les exactions des méchants, en désarment les bras battant qui lui aussi devient une victime dès lors qu’il
des justes, aussi un ordre de justice doit d’autant plus est mis hors de combat. Cet effort constant du droit
disposer de la force qu’il sera menacé des désordres humanitaire se heurte cependant aux mutations de
de l’injustice, du terrorisme. la guerre qui ont notamment pour effet la diabolisa-
Dès lors qu’il est question de juste et d’injuste, les tion de l’ennemi, la déshumanisation de l’ennemi.
références morales s’imposent d’elles-mêmes et les Et là, si la torture est de ces violences juridiquement
effets juridiques s’ensuivent aussitôt. La guerre n’y interdites, ne s’inscrit-elle pas comme une “ néces-
échappe pas en tant qu’activité humaine- ou inhu- sité militaire ” dans une guerre sans loi, contre un
maine - parce qu’y sont en jeu la liberté et la respon- ennemi sans honneur ?
sabilité de l’homme. Aussi le choix des moyens et des
méthodes de combat n’est pas illimité.
Inter Arma Caritas 2
A défaut d’un législateur et d’un gendarme universels,
c’est donc aux États qu’il appartient d’élaborer et d’ap- C’est dans sa conscience d’être humain que le prin-
pliquer le droit. Dans le domaine du “ jus in bello ”, cipe humanitaire doit s’enraciner pour lutter contre
l’État doit donner priorité à l’impératif de sécurité qui l’animus belligerandi.
constitue sa mission première, sans pourtant élabo-
rer un droit international, en fonction de sa guerre... - Le respect de l’ennemi
Aussi, dans ce domaine, par-delà les divergences phi- Il n’en a pas été toujours ainsi mais aujourd’hui, il
losophiques, idéologiques ou religieuses, les États est interdit de ne pas faire de quartier, d’achever les
doivent admettre un minimum d’obligations au nom blessés qui tout au contraire ont le droit d’être soi-
des principes de charité, d’humanité et par un intérêt gnés. En toutes circonstances, le combattant au pou-
bien compris. voir de l’ennemi a droit à un traitement humain, au
respect de sa personne et de son honneur. Ces prin-
Peu à peu donc, la morale et le droit ont fait admettre cipes généraux le protègent contre tout acte de vio-
que l’ennemi devait être respecté. C’est pourquoi lence ou d’intimidation, contre les insultes et la curio-
aujourd’hui la référence à des “considérations d’hu- sité publique ; aucune torture physique ou morale,
manité ” tend à devenir contraignante en droit inter- aucune contrainte ne peut être exercée sur lui pour
national et n’autorise pas toutes les violences. De plus obtenir des renseignements de quelque sorte que
si le guerrier est celui qui, par son action, fait souffrir ce soit.

DOCTRINE N° 04 42 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions
Dès lors qu’une personne a le statut de combattant En dépit des exigences morales et au mépris des
régulier, l’ennemi capturé est prisonnier de guerre. engagements pris par les États, on ne peut que
Le traitement d’ailleurs des prisonniers et des popu- constater le plus souvent l’oubli des règles les plus
lations sur un territoire occupé est la mesure de l’in- élémentaires. Aussi à Manille Alexandre HAY, prési-
dice le plus sûr de la civilisation des âmes et des dent du CICR , s’est adressé aux États par ce cri d’alar-
nations. Aussi la troisième convention de Genève me : “ L’accroissement de la violence sans discrimi-
sur la protection des prisonniers soumet le rapa- nation, la violation répétée des principes humanitaires
triement de ces derniers dès la cessation des hosti- essentiels prennent des proportions angoissantes
lités.3 Ce principe est essentiel si l’on veut éviter le particulièrement dans les conflits à caractère idéo-
retour à une sorte d’esclavage, lorsque les pays vain- logique ou racial, - qu’ils soient internes ou interna-
queurs entendent profiter de cette main-d’œuvre tionaux - et où la lutte prend des allures de guerre
soumise et à bon marché pour la faire participer à la totale. Tous les prétextes sont utilisés pour justifier
reconstruction au nom d’une responsabilité collec- l’injustifiable : nécessités ou impératifs militaires,
tive. sécurité de l’État, dernier recours des peuples oppri-
més. Que restera-t-il donc de l’humanité si l’idéolo-
gie empêche de voir l’homme dans l’ennemi sans
Tout n’est donc pas permis dans la guerre. A ceux défense (... ) ?”5
qui comme Clausewitz, pensent que la guerre “ est
un acte de violence et qu’il n’y a pas de limite à la
manifestation de cette violence... Dans une affaire LA TORTURE, UNE NÉCESSITÉ MILITAIRE ?
aussi dangereuse que la guerre, les erreurs dues à
la bonté d’âme sont la pire des choses... L’on ne sau- C’est l’avènement de la guerre totale qui conduit à
rait introduire un principe modérateur dans la phi- la négation de l’ennemi. L’idéologie a fait irruption
losophie de la guerre sans commettre une absurdi- sur le champ de bataille. Avec la croisade contre le
té ” : il faut rappeler ici que la fin ne justifie pas les totalitarisme, les guerres de libération nationale, les
moyens. guerres révolutionnaires pour la conquête du pou-
voir, c’est le triomphe des “ Guerres ” qui prétendent
justifier toutes les violences.
- La limitation des moyens et méthodes de combat
Ce principe est repris par le jus in bello. Confirmant - La “ diabolisation ” ou la “ déshumanisation ” de
et développant “ le droit de La Haye ”, “ le droit de l’ennemi
Genève ” cherche à protéger la personne, contre cer- Dans ces guerres l’autre n’est plus l’ennemi contre
tains effets de la guerre en limitant les méthodes et qui on se bat et avec lequel ensuite on fait la paix,
les moyens de combat.4 l’autre est un scandale condamné à disparaître. La
guerre idéologique continue
ensuite dans les camps, par
l’endoctrinement et le lavage
de cerveau. L’atrocité de la
lutte est impressionnante.
Cette conception de la guer-
re est “ parfaitement ” illus-
tré dans le compte rendu du
général Westerman à la
Convention en 1793 : “ Il n’y
a plus de Vendée ! Elle est
morte sous notre sabre libre,
avec ses femmes et ses
enfants. Je viens de l’enterrer
dans les marais de Savenay.
J’ai écrasé les enfants sous
les pieds de mes chevaux,
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

massacré les femmes qui


n’enfanteront plus de bri-
gands. Je n’ai pas un prison-
nier à me reprocher. J’ai tout
exterminé... Les routes sont
semées de cadavres. Il y en a
tant que sur plusieurs points,
ils font des pyramides. ”

SEPTEMBRE 2004 43 DOCTRINE N° 04


La haine est toujours prompte à envahir les esprits. bat à tout calcul politique, à toute mise en rapport
Pour Che Guevara, la haine est même l’âme de la des pertes subies et des biens recherchés. L’horreur
conception militaire de la révolution : “ La haine est fait entrer la guerre dans le domaine de l’inexpiable
un facteur de lutte. La haine intransigeante de l’en- d’où toute solution pacifique et amiable, tout com-
nemi... convertit l’homme en une machine à tuer effi- promis sont bannis. Qui la fait naître pour chercher
cace, sélective et froide. Nos soldats ont à être ain- à jeter dans le combat l’ami tiède, l’indifférent et le
si ; un peuple sans haine ne peut triompher d’un lâche, l’ennemi même, rompt les possibilités de pour-
ennemi. ” parlers. C’est le bain de sang du terrorisme ou les
sévices des camps de concentration. Faire fond ain-
La guerre moderne, c’est aussi le recours à la gué- si sur la terreur, c’est fanatiser les hommes et comp-
rilla qui a été, depuis 1945, la principale méthode de ter sur le sadisme individuel et collectif. Là encore,
changement des situations politiques ; son principe indubitable condamnation de la torture et de sa fin.
consiste à se fondre dans la population, alors que le Vouloir rendre la guerre inexpiable est criminel de
droit de la guerre repose sur le principe de la discri- deux manières : tout d’abord par le moyen qu’on
mination c’est-à-dire sur la distinction entre le civil emploie, qui est le fanatisme et le sadisme des
et le militaire. La souffrance et la terreur sont deve- hommes, ensuite et surtout par le but même qu’on
nues des armes. se propose, car il est inhumain de faire de la guerre
une lutte inextinguible, sans solution politique, sans
- Dans ces conditions de “ diabolisation ” ou de but autre que l’extermination de l’adversaire.
“ déshumanisation ” de l’ennemi, la torture 6 ne
peut-elle pas être une nécessité militaire ?
Le moraliste à cette question répondra immédiate- La guerre est chose politique ; elle ne doit jamais
ment - NON, de même qu’il affirme qu’il est interdit cesser d’être contenue dans les limites d’un dessein
de tuer, se référant au décalogue et à la morale, et il politique ; elle n’est la rupture délibérée d’un cer-
aura entièrement raison. En effet déjà en 866, le tain ordre pacifique qu’en vue d’un autre ordre
Pape Nicolas 1er demandait que la torture soit aban- meilleur. Mais le sadisme qui crée l’horreur fait de la
donnée comme moyen de preuve judiciaire. En effet guerre la négation de tout ordre humain, de toute
la torture comme moyen physique pour arracher des solution pacifique. Même pour faciliter le “ ciment
aveux ou faire avouer une faute, prive le torturé de national ” dans un guerre de libération nationale, ce
sa liberté et le mène à s’accuser de n’importe quoi procédé est à proprement parler démoniaque.
ou à taire ses crimes pour échapper à la mort. Mais
nous ne sommes pas moralistes et nous ne pouvons
pas oublier le problème de conscience qui s’est posé
à ceux qui durent s’opposer et lutter contre le terro- La guerre est chose politique ; elle ne doit jamais cesser
risme aveugle.

Le tortionnaire cherche à faire mal, non pas physi-


quement seulement mais affectivement. La torture
( d’être contenue dans les limites d’un dessein politique ;
elle n’est la rupture délibérée d’un certain ordre pacifique
qu’en vue d’un autre ordre meilleur.
)
consiste à faire souffrir sciemment. Voilà qui la dis-
tingue nettement des procédés usuels de combat.7
Souvent pratiquée dans la guerre de partisans, dans On conçoit qu’en face de telles entreprises, la socié-
la guerre révolutionnaire pour obtenir des rensei- té,8 qui veut rester humaine et qui garde farouche-
gnements, la torture est contraire au respect dû à la ment l’amour de la paix, doive garder sa maîtrise,
personne. Bien qu’interdite en droit, les occasions surmonter son horreur et sa colère pour résister à
dans lesquelles l’homme torture son prochain sont l’entraînement du crime. Encore faudra-t-il qu’en refu-
multiples, et il nous importe maintenant de les sant de transporter le combat sur ce champ nouveau
dénombrer. Distribuons-les en trois grandes caté- de la haine inextinguible, elle résiste puissamment
gories. à un si terrible et barbare adversaire.

Utilisée comme instrument de combat, la torture - L’arme de la peur


menacera toujours d’éveiller chez celui qui l’applique Une autre raison, apparentée à cette première,
un sadisme qui ne peut-être que réprouvé. quoique très différente, est la volonté de faire peur
à l’adversaire et à l’hésitant. Quand un groupe
- Le climat d’horreur d’hommes ou un pouvoir n’arrive pas à triompher de
Une des raisons qui peut conduire un homme ou un l’adversaire par les moyens normaux de la guerre,
groupe à torturer systématiquement, c’est le projet soulèvement et répression, ils peuvent décider d’user
d’exciter l’horreur. Ce climat d’horreur doit faire sor- de ce moyen anormal, qui décourage ou intimide, et
tir la lutte entreprise hors de toute mesure humai- décuple ainsi la force de celui qui l’emploie en para-
ne, de toute limite. On lui demande d’arracher le com- lysant l’adversaire.

DOCTRINE N° 04 44 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions
Dans la guerre, où la violence règne, En effet tor-
la tentation sera grande pour celui turer n’a
des deux camps qui joue son va- pour but
tout et n’a plus aucun espoir dans que d’obte-

ONU
les moyens de conciliation politique, nir un ren-
de dominer soudain par les plus sau- seignement
vages procédés et briser le moral de et accule
ONU

l’adversaire. Ainsi la torture fait-elle l’individu à révéler ce qu’il sait pour éviter de souf-
son apparition dans la guerre lorsque frir. C’est une sorte de contrat : - la vie ou la mort
l’un des adversaires, le plus souvent l’agresseur voit d’une personne contre la vie ou la mort de dix, vingt,
la victoire lui échapper. Dans les grandes guerres cent, mille, deux milles personnes ; -la vie ou la mort
d’autres moyens équivalents lui sont substitués, gaz contre un secret. D’aucuns affirment que la valeur
asphyxiants, napalm, bombardements des civils, géno- morale de la torture dépend de la valeur de ce secret.
cide... De même lorsque la disproportion des moyens Mais connaît-on à l’avance la valeur d’un secret ?
de contrôle accule à l’échec, ceux qui veulent vaincre
à tout prix n’hésiteront pas à multiplier le coefficient
de leur puissance par celui du facteur humain effec-
tif, la peur. Il nous faut condamner l’appel à de tels En déterminant ces diverses appréciations de la néces-
moyens inhumains. sité militaire pour remplir sa mission, gardons-nous
de donner un blanc-seing au pouvoir légitime ou à
Mais faute d’une entente internationale contre l’in- ses agents. Une société ne peut agir contre le bien et
juste agression, il est impossible de limiter vraiment les droits de l’un quelconque de ses membres, dans
les moyens de guerre sans automatiquement avan- l’arbitraire. La torture est un moyen dangereux et quoi
tager l’adversaire sans scrupule. qu’il en soit, la torture ne sera jamais un moyen de
Si le rebelle a résolu entre lui et la combat normal. Même dans une
force sociale une lutte à mort, guerre juste et nécessaire, les
n’est-ce pas lui qui est respon- procédés efficaces ne sont pas
sable du trouble et lui seul défendables aux yeux de qui
devra subir, si lourd soit-il, les possède un sens exact et rai-
conséquences que nécessite la sonnable de la justice, fonde-
répression ? ment de l’honneur de tout mili-
taire.
ONU

- Le droit de légitime défense


va-t-il jusqu’à l’utilisation de la
torture ?
Dans un pays civilisé c’est l’État qui détient le droit de
légitime défense et c’est un devoir pour lui de l’exer-
cer en faveur des citoyens qui le lui ont remis. 1 Cette citation de St Augustin pose la problématique de la
Faute de quoi, ce même État pousse les indivi- fin et des moyens et doit donc nous conduire à une
appréciation plus circonstanciée du phénomène de la
dus, les combattants dans les exactions des ces violence et de la guerre en particulier.
catégories étudiées et qui sont scandaleuses, tout 2 “ Entre les armes la charité ” ou “ Humanité dans les
simplement criminelles. fracas des armes ” est la devise du mouvement
international de la Croix-rouge et du Croissant -Rouge.
3 L’article 118 de la troisième convention de Genève, prévoit
Mais le rebelle ne perd-il pas le droit de sa liber- “ qu’après la fin des hostilités actives, les prisonniers de
té et du respect de sa dignité du fait même de sa guerre seront libérés et rapatriés sans délai.”
4 Le protocole 1er aux conventions de Genève réaffirme
révolte ? La clandestinité, le terrorisme, ces deux deux règles fondamentales :
faces de la guerre révolutionnaire, dégradent - Dans tout conflit armé, le droit des parties au conflit, de
l’homme. Que le pouvoir ou l’autorité se trou- choisir des méthodes ou moyens de guerre, n’est pas
illimité.
vent démunis face à ces agressions, nous le conce- - Il est interdit d’employer des armes, des projectiles et des
ONU

vons bien, mais n’est-ce pas de son devoir pri- matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à
mordial, à cet État de sauvegarder l’ordre causer des maux superflus. (article 35).
5 Discours de Manille, 1989. Revue internationale de la
pacifique de la vie et des biens des personnes ? N’est- Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
ce pas de son devoir strict et de son droit de tout ten- 6 “ La torture est une brutalité importante ou une série de
ter pour obtenir de celui qui sait, les renseignements mauvais traitements cruels, inhumains ou dégradants,
qui consiste dans la recherche systématique de la
nécessaires, afin de protéger la vie des innocents ? souffrance du patient, de la part de celui qui l’impose.“
La torture si elle est et sera toujours illégale, com- Convention contre la torture adoptée le 10 décembre
me la guerre d’ailleurs considérée comme illégitime 1984 par l’A.G de l’ONU et ratifiée par 102 États.
7 TTA 173 Règlement sur l’interrogatoire des prisonniers
puis illégale par les textes internationaux, n’obtient- de guerre.1974
elle pas là dans ce cadre spécifique une légitimité ? 8 Et donc son armée.

SEPTEMBRE 2004 45 DOCTRINE N° 04


Le chef
et les crimes de guerre
La responsabilité prend un tel poids [dans la guerre] que peu d’hommes sont capables de la
“ supporter tout entière. C’est pourquoi les plus hautes qualités de l’esprit n’y suffisent point.
Sans doute l’intelligence y aide, sans doute l’instinct y pousse, mais en dernier ressort la décision
est d’ordre moral.

Charles de Gaulle, le fil de l’épée.

PAR SÉBASTIEN BOTREAU-BONNETERRE,1 DE LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES

L’activité humaine se structure au fur et à mesure te d’avoir commis un crime et c’est sa responsabili-
qu’elle prend de l’ampleur. Cette structuration pas- té individuelle qui peut être engagée, même s’il n’a
se forcément par la création de normes juridiques fait qu’obéir à des ordres apparemment sensés. Il
qui règlent l’activité humaine. La guerre, activité est donc nécessaire d’expliciter ces relations. La caté-
sociale pluriséculaire, n’échappe pas à ce mouve- gorie des crimes de guerre est communément per-
ment. Ainsi, en raison de la recherche de l’efficacité çue comme une épée de Damoclès menaçant le com-
militaire maximale, les bandes armées désorgani- battant, ce qui n’est que partiellement vrai. Pour
sées des origines se sont disciplinées pour arriver traiter correctement de la responsabilité de l’officier
aux unités militaires modernes fortement structu- face aux crimes de guerre, ceux-ci doivent être préa-
rées. Cette discipline n’est rendue possible que par lablement démythifiés. Ainsi, dans un second temps,
le droit qui en fixe les modalités et les limites. la question de la responsabilité des chefs dans les
relations hiérarchiques pourra être approfondie.
Le pouvoir de commander, l’imperium, inhérent à la
fonction militaire, accroît simultanément les obliga-
tions qui reposent sur le chef militaire. La responsa- La définition du crime de guerre
bilité du chef devient encore plus aiguë dès qu’est
examiné le cœur de l’activité militaire : le combat, Le crime de guerre, une incrimination conditionnée
encadré naturellement par le droit des conflits armés.
Et parmi les dispositions de ce droit complexe, cer- Les crimes de guerre se définissent comme “ des
taines sont considérées si importantes que leurs vio- actes de violence contre les personnes ou les biens
lations par des individus constituent une catégorie qui ne rentrent pas dans le cadre des actes que le
particulière de crimes internationaux : les crimes de droit de la guerre reconnaît comme légitimes de la
guerre. part des forces armées ” 2, c’est-à-dire un acte de vio-
lence contraire aux lois et coutumes de la guerre. Il
Lors des opérations extérieures, le chef, qu’il soit peut être cité en exemple le meurtre d’un prisonnier
officier subalterne, officier supérieur ou officier géné- de guerre. La commission d’un tel acte illégal est sus-
ral, peut être confronté à la notion de crime de guer- ceptible d’engager pénalement la responsabilité de
re. Que l’on accuse un de ses subordonnés d’avoir son auteur. Il convient de ne pas confondre les crimes
commis un tel acte, et c’est sa responsabilité de com- de guerre avec les autres crimes internationaux que
mandant qui est mise en cause, ou qu’on le suspec- sont les crimes contre l’humanité et le génocide, cha-

DOCTRINE N° 04 46 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions
cun de ces deux crimes étant caractérisé par un dol juge prendra en compte la situation matérielle, il
spécial qui est la négation de l’être humain. devra déterminer si la violence qui régnait dans la
L’incrimination de crime de guerre, en raison de ses zone considérée était suffisante pour considérer
origines internationalistes, est complexe à mettre en qu’on n’était plus en temps de paix8.
œuvre. En effet, “ la qualification “ crime de guerre ” Pour le droit français, le crime de guerre est consti-
suppose à la fois la violation d’une règle de droit tué dès lors qu’il s’agit d’un fait réprimé par le Statut
international et l’infraction aux textes de droit com- de la Cour pénale internationale et qu’il prend place
mun et militaire ”3. Si bien que l’Etat doit avoir un dans le cadre d’un conflit armé.
ordonnancement juridique apte à réprimer les
atteintes au droit des conflits armés. La répression
des crimes de guerre doit être normalement assurée Le caractère intentionnel du crime de guerre
par les Etats eux-mêmes. Les juridictions internatio-
nales 4 n’ont vocation à intervenir que si les Etats Le crime de guerre est un crime intentionnel. Il est la
sont incapables de procéder eux-mêmes au juge- conséquence d’un acte réputé consciemment com-
ment de leurs criminels de guerre 5. mis. Il n’existe pas de crimes de guerre involontai-
L’article 8 du Statut de la Cour pénale internationa- rement commis. Ceci explique qu’en cas d’erreur de
le recense toutes les violations du droit des conflits bonne foi, la responsabilité de l’auteur pour crime
armés qui peuvent être qualifiées de crimes de guer- de guerre ne peut être recherchée.
re et qui sont de la compétence de la Cour. Ce sont
ces incriminations qui vont trouver prochainement Il s’agit là d’un aspect fondamental du droit des
leur correspondance en droit français6. conflits armés. Dans le trouble inhérent à l’activité
militaire, il est nécessaire d’examiner soigneusement
Pour qu’un crime de guerre soit commis, l’acte maté- chaque fait avant de conclure à l’existence d’un cri-
riel (le fait de frapper, de tuer, de bombarder...) doit me de guerre.
prendre place au cours d’un conflit armé7. La notion L’article 27 du Statut de la CPI indique que la qualité
de conflit armé est d’appréciation matérielle ; elle officielle (chef d’Etat, ministre ou militaire) de l’auteur
est indépendante de l’appréciation que peuvent avoir du crime de guerre ne peut empêcher la responsabi-
les autorités politiques de la situation. Peu importe lité d’être engagée. Il n’existe pas d’immunité9.
le mandat ou la mission de l’opération extérieure ; C’est une donnée constante que plus le chef est gra-
il est ainsi indifférent que l’opération soit autorisée dé, plus sa connaissance des dispositions du droit
par le Conseil de sécurité des Nations unies, ou que des conflits armés est présumée grande, plus sa res-
la mission soit menée à des fins humanitaires. Le ponsabilité est susceptible d’être mise en cause. Il
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

SEPTEMBRE 2004 47 DOCTRINE N° 04


ne peut être argué de la méconnaissance des dis- peut remarquer un effet de dilution de la responsa-
positions parfois très subtiles du droit des conflits bilité au fur et à mesure que l’on gravit la chaîne de
armés. En effet, nul n’est censé ignorer la loi. De plus, commandement. Là où la présomption de connais-
le chef a toujours l’opportunité de s’adresser aux sance sera forte pour un chef de section, en raison
conseillers juridiques qui sont mis à sa disposition10. du nombre réduit d’hommes sous ses ordres, elle
Ainsi, pour la France, il peut s’agir du conseiller juri- sera bien moindre pour le commandant stratégique
dique du commandant, de la cellule juridique de d’une force multinationale de plusieurs milliers
l’état-major des armées ou de la direction des affaires d’hommes. Néanmoins, la condition de connaissan-
juridiques du ministère de la défense. ce est d’appréciation matérielle, et avec les moyens
de communication modernes, le commandant pour-
ra voir sa responsabilité plus facilement mise en
Les effets du crime de guerre sur les cause, s’il ne diligente pas une enquête sur des
méfaits qui ont été commis13.
relations hiérarchiques
La responsabilité du chef en tant que donneur Les possibilités de défense des subordonnés :
d’ordres la défense de l’ordre supérieur

La responsabilité du chef pour des actes commis par La défense de l’ordre supérieur en droit internatio-
ses troupes est la contrepartie de son pouvoir de nal est un sujet âprement discuté, surtout depuis la
commandement. C’est dans cette responsabilité que rédaction du Statut de la Cour pénale internationa-
le rôle du commandant prend toute sa dimension. le14. La position adoptée par ce dernier tranche net-
Dans le cadre tement avec
du droit pénal les solutions
des conflits dégagées
NUL N’EST CENSÉ
armés, à l’in-
verse d’autres
matières juri-
( IGNORER LA LOI. ) auparavant.

Le droit tel
diques, la qu’il a été
mise en cause de cette responsabilité n’est pas auto- édicté lors des procès de Nuremberg15 rejette caté-
matique. Pour que la responsabilité du chef soit enga- goriquement l’ordre supérieur comme fait justifica-
gée en raison des agissements criminels de ses subor- tif. L’engagement de la responsabilité de l’auteur
donnés, il faut qu’il commette une faute de n’est en rien affecté par l’existence d’un ordre supé-
commandement en n’essayant pas d’empêcher ses rieur, la prise en considération de ce dernier ne s’ef-
subordonnés d’accomplir leur projet criminel, ou en fectue qu’au moment du prononcé de la peine. L’ordre
ne les punissant pas si le forfait a déjà été commis. supérieur joue comme facteur de personnalisation
de la peine, laissant entière la responsabilité du cri-
En droit des conflits armés, le supérieur se définit com- me commis. Cette position sévère constitue actuel-
me celui qui détient le pouvoir ou l’autorité, de jure lement la position française, mais avec le Statut de
ou de facto, d’empêcher un subordonné de commettre la Cour pénale internationale, le droit pénal français
un crime ou de l’en punir après coup. Le critère est le va devoir s’adapter.
contrôle effectif qu’exerce le chef sur les forces pla-
cées sous son commandement. En conséquence, “aus- Le Statut de la Cour pénale internationale a fait évo-
si longtemps qu’un supérieur exerce un contrôle effec- luer cette conception. La défense d’ordre supérieur
tif sur des subordonnés, et dans la mesure où il peut devient une cause d’exonération de la responsabilité
les empêcher de commettre les crimes ou les en punir mais à trois conditions. Premièrement, il faut que l’au-
après coup, il peut être responsable de ces crimes s’il teur de l’acte, qu’il soit militaire ou civil, ait eu l’obli-
n’use de ses moyens de contrôle ”11. gation légale d’obéir aux ordres du gouvernement ou
du supérieur hiérarchique. Deuxièmement, il faut que
Dans l’hypothèse où un subordonné va commettre cette personne n’ait pas su que l’ordre était illégal16.
(ou a commis) un crime de guerre, la responsabilité Et troisièmement que l’ordre ne doit pas avoir été mani-
du chef n’est toutefois engagée que s’il savait, ou festement illégal. Cette solution s’avère ainsi beau-
aurait dû savoir ce qui se préparait, et qu’il n’a pas agi coup plus adaptée aux réalités militaires. La condition
avec les moyens dont il disposait pour interrompre le du “ manifestement illégal ” s’avère nécessaire afin
crime, ou le réprimer12. de maintenir la discipline, fondement de l’armée. Il
faut noter que les ordres manifestement illégaux se
En conséquence, la responsabilité du commandant révèlent assez facilement aux échelons subalternes.
est loin d’être une responsabilité sans faute. Son enga- Le fait d’ordonner la mise à mort des prisonniers de
gement pour des actes criminels commis par ses guerre ou de les torturer ne devrait en effet laisser de
subordonnés est sujet à des conditions précises. On doute à personne sur l’illégalité de l’ordre.

DOCTRINE N° 04 48 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions

Conclusion
Le crime de guerre vient réprimer
les dérèglements des hommes sou-
TPIR

mis à des tensions extraordinaires.


C’est pour cela que cette notion s’attache particu-
lièrement au rôle de l’officier. Ce n’est que par son
exemple, son refus de la compromission, et sa hau- 7 Il n’est pas fait de distinction entre les conflits armés
internationaux et les conflits armés non internationaux.
te tenue morale, que le combat qu’il mène au nom Les opérations militaires françaises actuelles sont des
de sa Nation prend un sens. Le rôle du juriste, mineur opérations extérieures, dont les phases de violence
somme toute, est d’expliciter au plus grand nombre contre des éléments hostiles seront très probablement
qualifiées de conflits armés internationaux.
ce principe naturel. 8 La concentration des forces, les équipements,
les tensions sont autant d’exemples d’appréciation
de l’intensité d’une situation.
9 L’article 124 du Statut de la CPI empêche, certes,
celle-ci de se saisir pendant sept ans d’éventuels crimes
de guerre commis par les ressortissants d’Etats ayant
demandé le bénéfice de cette disposition, comme
1 Chargé d’études à la direction des affaires juridiques la France, mais elle n’est pas une clause d’immunité.
du ministère de la défense, doctorant en droit public, L’Etat se doit d’enquêter et, le cas échéant, de juger
membre du Centre de recherche sur les droits les éventuels crimes de guerre commis par ses
fondamentaux de l’Université de Caen. Les propos tenus ressortissants. En cas de mauvaise volonté, l’Etat
ici sont de la seule responsabilité de leur auteur et ne engage sa responsabilité internationale.
sauraient en aucun cas, engager le ministère de 10 C’est une obligation prévue à l’article 82 du premier
la Défense ou toute autre organisme. Protocole additionnel aux quatre Conventions de Genève
2 BASTID (S.), Le droit des crises internationales, Paris, de 1949, que la France a ratifiées en 2001.
les cours du droit, 1959-1960, fascicule 1, p. 40. 11 Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, chambre d’appel,
3 DONNEDIEU DE VABRES (H.), “ Rapport général“, Procureur c/Zejnil Delalic et autre (affaire Celibici)
in GRAVEN (J.) (dir.), Actes du Ve congrès international 20 février 2001, §198.
de droit pénal, Paris, Sirey, 1952, p. 136. 12 Voir pour les termes exacts l’article 28 a) du Statut
4 C’est le cas des tribunaux pénaux internationaux pour de la Cour pénale internationale.
l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Le Conseil de 13 Le rôle des prévôts s’avère ainsi important pour
sécurité, leur créateur, a estimé que les Etats concernés la protection des officiers. Leur enquête immédiatement
n’étaient pas aptes à juger les exactions commises. après les faits peut permettre de dégager
5 Dans le cas de la Cour pénale internationale, la Cour la responsabilité du commandant, en le mettant
n’intervient que si l’Etat, partie au Statut, ne peut ou ne à l’abri d’éventuelles accusations.
veut pas enquêter sur des crimes qui se sont produits sur 14 Voir GARRAWAY (C.), “ Superior orders and the
son territoire ou qui mettent en cause un de ses International Criminal Court : Justice delivered or
ressortissants. Ceci laisse à penser que le risque de voir justice denied “, Revue internationale de la Croix-Rouge
la Cour pénale internationale engager des poursuites à (RICR), 1999, pp. 790-792, ainsi que DUFOUR (G.),
l’encontre de ressortissants français est faible, en raison “ La défense d’ordre supérieur existe-t-elle vraiment ? “,
des structures judiciaires perfectionnées et robustes de RICR, 2000, pp. 986-987 .
la France. 15 C’est cette conception de l’excuse de l’ordre supérieur
6 Un projet de loi d’adaptation en droit français des qui a été retenue pour les tribunaux pénaux
incriminations prévues au Statut de la Cour pénale internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda.
internationale est en cours d’élaboration par les services 16 Il est à noter qu’en son paragraphe 2 l’article 33 dispose
compétents des différents ministères concernés, dont que l’ordre de commettre un génocide ou un crime
le ministère de la défense. Il est raisonnable de penser contre l’humanité est manifestement illégal. Si bien que
que ce projet sera présenté aux parlementaires avant cette cause d’exonération n’est applicable qu’aux crimes
l’année 2005. de guerre.

SEPTEMBRE 2004 49 DOCTRINE N° 04


Le cadre juridique des opérations militaires
de l’Union européenne
L’exemple de l’opération “Artémis ”
en République démocratique du Congo
e premier septembre 2003 s’achevait le mandat de la force multinationale intérimaire d’urgence à
L Bunia, en République démocratique du Congo. L’opération “Artémis ” prenait fin, comme prévu, à
peine trois mois après son lancement sur le fondement de la résolution n° 1484 du Conseil de sécurité
des Nations Unies du 30 mai 2003. Cette opération militaire de l’Union européenne, qui présentait de
nombreux enjeux sécuritaires, humanitaires et politiques1, devait également confirmer les capacités
militaires de gestion de crise de l’Union européenne et, partant, concrétiser les objectifs de la politique
européenne commune en matière de sécurité et de défense (P.E.S.D). L’opération “Artémis ” n’était
certes pas la première opération militaire de l’Union européenne. L’opération “ Concordia ”, conduite
entre mars et décembre 2003 en ex-République yougoslave de Macédoine, marquait les débuts de
l’Union comme acteur militaire. Elle s’appuyait cependant sur les moyens de l’Organisation du Traité
de l’Atlantique Nord (O.T.A.N).

PAR LE COMMISSAIRE CAPITAINE (AIR) FRÉDÉRIC JORAM,* DE LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES

L’opération en R.D.C a donc été la première opération taires de l’Union européenne, qui constituent désor-
militaire autonome de l’Union européenne, conduite mais un cadre d’action supplémentaire pour les forces
avec ses seules capacités de commandement. Elle armées françaises.
était placée sous le contrôle politique et la direction
stratégique des organes politiques et militaires per-
manents créés pour la mise en œuvre de la P.E.S.D. Un cadre juridique nouveau pour des opérations
Le Conseil de l’Union européenne, le secrétaire géné- de paix
ral - haut représentant, le comité politique et de sécu-
rité (COPS), le comité militaire, l’état-major de l’Union Comme la majorité des missions nationales ou de
européenne et le secrétariat général du Conseil étaient l’Alliance atlantique, l’opération “ Artémis ” s’est ins-
tous impliqués dans la préparation, le suivi et le contrô- crite dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécuri-
le de l’opération “ Artémis ”. La chaîne de comman- té des Nations unies. Fondé sur le chapitre VII de la
dement était, elle, constituée de structures non per- Charte des Nations unies, celui-ci autorisait l’usage
manentes, créées pour l’opération. Le commandant de la force pour contribuer à stabiliser les conditions
de l’opération disposait d’un état-major de niveau de sécurité à Bunia et y améliorer la situation huma-
stratégique, appelé “ Operation Headquarters ” (O.H.Q) nitaire, pour assurer la protection de l’aéroport et des
et installé à Paris, et le commandant de force d’un état- personnes déplacées se trouvant dans les camps de
major de force à Entebbe en Ouganda, le “ Force Bunia et, si la situation l’exigeait, pour contribuer à
Headquarters ” (F.H.Q). assurer la sécurité de la population civile et du per-
sonnel des Nations unies et des organisations huma-
Outre ce cadre politique et institutionnel nouveau et nitaires dans la ville.2 La nouveauté ne réside donc
toujours évolutif, il est aujourd’hui utile de revenir sur pas là, mais dans le cadre juridique spécifique de tou-
les caractéristiques juridiques des opérations mili- te opération militaire de l’Union européenne.

DOCTRINE N° 04 50 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions
Adoptés à l’unanimité des Etats
membres3, les actes juridiques du
Conseil de l’Union ont un caractère
politique contraignant. Pour l’opé-
ration “Artémis ”, l’action commune
du 5 juin 20034 désignait la nation -
cadre et les commandants de l’opé-
ration et de la force, approuvait le
plan opérationnel (OPLAN), autori-
sait les règles d’engagement, déci-
dait du lancement de l’opération et
en confiait le contrôle politique et la
direction stratégique au C.O.P.S. En
application de cette action commu-

CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre


ne, une décision du Conseil lançait
l’opération le 12 juin.

L’Union européenne a élaboré plu-


sieurs concepts opérationnels, dont
l’un, adopté en novembre 2002 avec
l’approbation des Etats membres,
est relatif à l’usage de la force5.
Homologue européen du document
M.C.6 362 de l’OTAN, il contient un catalogue de règles n’a donc pas fait l’objet d’un statut particulier. Cette
d’engagement très similaire, directement utile pour carence sera bientôt comblée, lorsque les Etats
le choix des règles d’usage de la force propres à chaque membres auront ratifié le texte qu’ils ont récemment
opération. La procédure relative aux règles d’enga- signé9.
gement (autorisation, mise en œuvre, requête) y figu- Ce “ S.O.F.A U.E interne ” sera alors l’homologue euro-
re également ; elle implique le conseiller juridique. Ce péen de la convention de Londres du 19 juin 1951 sur
type de document, dont l’utilité a été prouvée lors des le statut des forces de l’O.T.A.N, dite “ S.O.F.A. O.T.A.N ”.
opérations de l’Alliance atlantique, est, notamment, Les rapports entre ces deux textes sont d’ailleurs envi-
un gage d’interopérabilité entre les différents contin- sagés dans l’accord sur le statut des forces de l’Union
gents nationaux composant une force. Dans les opé- européenne. Celui-ci s’appliquera en effet aux quar-
rations multinationales, les règles d’engagement, auto- tiers généraux, aux forces et à leur personnel mis à la
risées par une instance politique, constituent l’outil disposition de l’Union européenne pour la prépara-
privilégié du contrôle exercé par les Etats membres. tion et l’exécution des missions de Petersberg, lorsque
leur statut ne sera couvert par aucun autre accord.
En outre, un accord sur le statut des forces (S.O.F.A7),
qui résulte du consentement d’un État au déploiement Enfin, d’autres actes conventionnels peuvent devoir
d’une force sur son territoire, a été conclu avec être conclus par l’Union européenne à l’occasion
l’Ouganda, pays hôte de la base de soutien à voca- d’une opération militaire : accord de renonciation
tion interarmées (B.S.V.I.A) et de l’état-major de for- entre Etats membres à se demander mutuellement
ce (F.H.Q). Celui-ci contenait, notamment, des dispo- des indemnités en cas de préjudice aux personnes
sitions relatives à la libre entrée sur le territoire, au et de dommages aux biens, accords généraux sur la
port de l’uniforme et des armes, aux droits et taxes participation des Etats tiers à l’opération militaire de
sur les importations et réexportations, au règlement l’Union, arrangements concernant l’échange d’in-
des dommages et aux privilèges de juridiction. Adopté formations classifiées avec des Etats tiers ou des
sur la base d’un accord franco-ougandais8, ce statut organisations internationales et, éventuellement,
a fait exception à l’article 24 du Traité sur l’Union euro- accord entre l’Union européenne et l’O.T.A.N sur la
péenne. Ce dernier prévoit en effet que les accords sécurité des informations.
sur le statut des forces de l’Union européenne sont
conclus par le Conseil de l’Union européenne sur recom-
mandation de la présidence. Des problématiques juridiques récurrentes

L’Union européenne ne disposait pas, à l’époque de Les problématiques juridiques rencontrées lors de
l’opération “ Artémis ”, d’accord sur le statut des res- l’opération “ Artémis ” sont analogues à celles soule-
sortissants des Etats membres stationnés dans un vées par toute opération de soutien de la paix entraî-
autre Etat membre. La présence en France des agents nant l’usage de la force armée. Quelques exemples
non français de l’O.H.Q, citoyens européens ou non, en attestent. Adoptées avant le début de l’opération

SEPTEMBRE 2004 51 DOCTRINE N° 04


ou à son commencement, les règles d’engagement ne pourrait ouvrir prochainement sa première enquête
préjugent pas du cadre juridique de l’emploi de la for- et son procureur a indiqué publiquement son intérêt
ce. Celui-ci est en effet dicté par les circonstances. Le pour les évènements survenus en R.D.C. Il est natu-
droit des conflits armés est le seul droit conçu pour rel pour le procureur de la Cour de souhaiter s’appuyer
réglementer la conduite des hostilités, mais son appli- sur la présence d’une force internationale ou, après
cabilité ne va pas toujours de soi. Aussi l’emploi de la la fin de l’opération, sur les informations collectées
force demeure-t-il le plus souvent soumis aux seules par celle-ci. Cette question devra désormais être pri-
dispositions du droit pénal national des militaires enga- se en considération pour toute opération de gestion
gés dans l’opération. Cette situation peut poser des de crise future, car elle implique l’établissement d’une
problèmes d’interopérabilité entre contingents natio- procédure de coopération avec la C.P.I et, notamment,
naux, que les commandants d’opération et de force une répartition des rôles entre les Etats participant à
doivent prendre en considération. l’opération et l’Union européenne elle-même.

Comme d’autres forces internationales dans des cir-


constances comparables, la force multinationale inté-
rimaire d’urgence a dû procéder à l’arrestation d’in-
dividus armés menaçant ses membres ou entravant
l’accomplissement de sa mission. En l’absence d’au- * Affecté au bureau du droit des conflits armés de la
torité judiciaire locale à laquelle remettre ces per- direction des affaires juridiques du ministère de la
défense, le commissaire capitaine (air) Joram a exercé
sonnes, la force peut être amenée à les détenir les fonctions de conseiller juridique du commandant
quelques heures. Se pose alors la question du régi- de l’opération “Artémis”.
me juridique applicable. Le régime des prisonniers de 1 Cf. notamment la presse institutionnelle du ministère
de la défense (Armées d’aujourd’hui n°282, juillet-
guerre prévu par la troisième convention de Genève août 2003, pp. 17-18 ; Air actualités n°563 juillet 2003,
ne trouvant à s’appliquer que dans une situation de pp. 4-7 ; Terre Info Magazine, n°147, septembre 2003,
conflit armé international, il faut s’efforcer d’organi- pp. 16-23 ; Air actualités n°564 août -septembre 2003,
pp. 4-7 ; Armées d’aujourd’hui n°284, octobre 2003,
ser des conditions de rétention conformes au droit pp. 32-52 ; Terre Info Magazine, n°148, octobre 2003,
international des droits de l’homme. pp. 18-21 ; Air actualités n°656 octobre 2003, pp. 9-29).
Sur la situation en République démocratique du Congo
avant l’opération “Artémis ”, voir notamment l’ouvrage
La présence et l’intense activité des contingents récent de Colette Braeckman, Les nouveaux prédateurs.
déployés en Ouganda et en République démocratique Politique des puissances en Afrique centrale, Fayard,
du Congo ont immanquablement généré des conten- 2003, 310 pages.
2 Résolution n°1484 du Conseil de sécurité des Nations
tieux extra - contractuels. La politique de règlement unies du 30 mai 2003, paragraphes 1 et 4.
des dommages relève des autorités nationales et 3 Cf. article 23 du Traité sur l’Union européenne.
chaque contingent en est donc responsable sur le L’article 23 paragraphe 1 permet néanmoins à certains
Etats membres, selon le principe de l’abstention
théâtre. Pour la France, le règlement amiable des dom- constructive, de ne pas prendre part au vote sans
mages a été effectué par la direction du commissariat empêcher pour autant l’adoption de l’action commune.
du théâtre, en coopération avec la direction des affaires 4 Journal officiel de l’Union européenne n°L143
du 11.06.2003, p. 50.
juridiques. 5 “ Use of Force Concept for EU-led Military Crisis
Management Operations “ (ESDP/PESD COSDP 342
Enfin, le déploiement de forces dans une aire géo- du 20 Novembre 2002).
6 Military Committee.
graphique marquée par des génocides, des crimes 7 Status of forces agreement.
contre l’humanité et des crimes de guerre soulève la 8 Cf. Journal officiel du 29.08.2003 (p. 14 736).
question de la coopération avec les juridictions pénales 9 Le 17 novembre 2003.
internationales. La Cour pénale internationale (C.P.I)

Le conseiller juridique mis à la disposition du commandant ne peut traiter seul l’ensemble de ces questions. Aussi doit-il pouvoir
s’appuyer sur plusieurs acteurs institutionnels, de la nation - cadre comme de l’Union européenne. A cet égard, l’existence d’un
service juridique au sein du Secrétariat du Conseil doit permettre la mise en œuvre d’une chaîne juridique fonctionnelle de plu-
sieurs niveaux - Union européenne, stratégique et opératif -, des instances européennes jusqu’au théâtre d’opération.

La relève prochaine de l’O.T.A.N par une force européenne en Bosnie-Herzégovine donnera une nouvelle occasion d’éprouver le
fonctionnement des structures politico-militaires de la P.E.S.D. En outre, les futures opérations militaires de l’Union européenne
devront confirmer la pertinence du cadre juridique de la gestion militaire des crises et l’importance du conseil juridique au cours
de la planification et de la conduite des opérations.

DOCTRINE N° 04 52 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions

Le droit
en territoire occupé
Le premier janvier 2004, l’armée américaine achevait son huitième mois d’occupation du territoire irakien...
Après avoir invoqué des faux prétextes pour attaquer l’Irak (notamment la présence d’ADM), Washington a
finalement présenté son intervention militaire comme une guerre de libération. Cet objectif n’était pas le seul,
et certainement pas le principal. Mais cela relève du jus ad bellum et les lignes qui vont suivre s’intéressent au
jus in bello. Sur ce plan, l’Irak est un territoire occupé depuis près d’un an et, plus l’occupation perdure, plus le
respect de la 4e convention est difficile à assurer car progressivement les forces d’occupation, ne serait-ce que
par leur seule présence, freinent le développement normal du pays occupé. Cette occupation a pourtant eu l’aval
du Conseil de sécurité avec les résolutions 1483 du 22 mai 2003 entérinant l’Autorité provisoire de la coalition
et 1511 du 16 octobre 2003 délivrant une surprenante présomption de respectabilité et de représentativité au
Conseil intérimaire de gouvernement installé par les forces d’occupation.

On ne peut pourtant que constater le quiproquo qui s’est installé entre la population irakienne, persuadée d’être
sous tutelle américaine ou occidentale avec des forces recluses dans les lieux de villégiature de l’ancien régime,
et des forces d’occupation, s’appuyant sur une élite cooptée et asservie, convaincues d’avoir déjà accompli
l’essentiel de leur mission. Cette situation s’explique en partie parce que le droit applicable en Irak aujourd’hui
(la 4e convention de Genève que toutes les Parties en présence ont ratifiée) est loin d’être correctement
appliqué.

PAR MICHEL DEYRA, DIRECTEUR DE L’IPAG DE L’UNIVERSITÉ D’AUVERGNE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES, FACULTÉ DE DROIT DE CLERMONT-FERRAND

Un territoire est occupé à partir du moment où il est pla-


cé de fait sous l’autorité de l’ennemi, même sans recours
à la force de ce dernier. C’est le contrôle territorial effectif
de l’endroit où des personnes civiles vivent qui est pris en
compte : si celui-ci ne peut s’exercer à cause des combat-
tants adverses, il s’agira seulement d’un territoire envahi
où les règles applicables sont celles du champ de bataille.
L’occupation de guerre est une situation provisoire qui
n’entraîne pas la disparition de l’Etat occupé dont la sou-
veraineté, même affectée, subsiste et dont le gouverne-
ment, même en exil, a le droit de poursuivre les hostilités.

En définitive, les règles que pose le droit international


humanitaire sont dans la logique de la Charte des Nations
US ARMY

unies en vertu de laquelle l’acquisition des territoires par


occupation est illégale. Aussi, l’occupation de guerre n’a
aucun effet translatif de souveraineté (art. 47 C IV) et il
Après que les standards minimums d’humanité de la 4e faut donc régler le problème de la répartition du pouvoir
convention de La Haye de 1907 se soient révélés totalement entre l’Etat occupant et l’Etat occupé. Il s’agira, pour le pre-
inefficaces durant les deux dernières guerres mondiales, le mier, de prendre les mesures nécessaires à assurer le main-
droit de Genève a élaboré en 1949 des règles beaucoup tien de l’ordre et la protection de la vie publique et, pour
plus précises, tentant d’empêcher, par le droit, la résur- le second, de garantir sa population contre l’arbitraire éven-
gence des barbaries de la seconde guerre mondiale. tuel des forces d’occupation.

SEPTEMBRE 2004 53 DOCTRINE N° 04


Assurer le maintien Garantir la population contre l’arbitraire
de l’ordre public éventuel de l’occupant

La Puissance d’occupation doit maintenir les lois de La protection de la population civile, particulière-
l’Etat occupé, notamment sa législation pénale, et ment vulnérable aux actes des forces d’occupation,
les tribunaux chargés de la sanctionner, sauf si sa est assurée par trois mécanismes.
sécurité est menacée. Avec la présence de milices
ou de mouvements de résistance et l’hostilité plus En premier lieu, le respect des garanties fondamen-
ou moins marquée de la population civile face à l’en- tales d’un traitement humain. Afin d’assurer le res-
vahisseur, cette sécurité a de fortes chances d’être pect des droits de la personne au pouvoir d’une Partie
menacée. Dans ce cas, la Puissance occupante édic- au conflit, sont interdits le meurtre, la torture, les
tera une législation pénale pour maintenir l’ordre châtiments corporels, les mutilations, le pillage et
dans le gouvernement du territoire, protéger les toutes autres mesures de brutalité. Dans le même
biens et les lignes de communications de l’armée et ordre d’idées, les ressortissants étrangers ont le droit
de l’administration occupantes. Cette législation de quitter un territoire occupé sauf si les intérêts
devra être publiée et offrir toutes les garanties nationaux de la Puissance occupante rendent leur
conventionnelles, notamment le respect des règles présence absolument nécessaire. Dans ce cas, il peut
de non-rétroactivité, de proportionnalité des peines, y avoir internement ou mise en résidence forcée.
de recours en grâce, de déduction de la détention
préventive et de limitations à la peine de mort (uni-
quement pour espionnage et sabotage ayant causé En deuxième lieu, le droit de mener une vie aussi
mort d’homme et si la législation pénale du territoi- normale que possible. Administrateur de fait du ter-
re occupé le prévoyait dans de tels cas (art 68.2 C ritoire, l’occupant a trois obligations. D’abord, il doit
IV). Par ailleurs, la détention de civils est aussi enca- faciliter le bon fonctionnement des établissements
drée : celle-ci doit avoir lieu en territoire occupé, consacrés aux soins et à l’éducation des enfants ou,
avec des conditions d’hygiène, d’alimentation, d’as- si les institutions locales sont défaillantes, assurer
sistance spirituelle et de soins maintenant les déte- l’entretien ou l’éducation de ceux-ci (art. 50.1 C IV).
nus dans un bon état de santé, avec des garanties Ensuite, l’occupant doit assurer le maintien des éta-
spéciales pour les femmes et les enfants (art. 50 et blissements et services médicaux et hospitaliers ain-
76 G IV), et permettant les visites des délégués du si que la santé et l’hygiène publique. L’occupant ne
CICR sans pouvoir en limiter la fréquence et la durée peut procéder à des réquisitions à son profit que de
(art.143 G IV). L’internement de personnes civiles, manière temporaire et si les besoins de la popula-
pour d’impérieuses raisons de sécurité, obéit aux tion civile sont couverts (art. 56 et 57 C IV). Enfin, il
règles très strictes fixées par la 4e convention (art. doit permettre aux différents ministres des cultes
79 à 141). d’assurer l’assistance spirituelle de leurs coreli-
gionnaires, et aux sociétés de secours d’acheminer
Quant aux membres des milices et des mouvements les actions de secours individuels et collectifs quand
de résistance organisés agissant à l’intérieur d’un la population est insuffisamment approvisionnée (art
territoire occupé, ils doivent être considérés comme 55, 58 à 63 C IV). En particulier, la Puissance occu-
prisonniers de guerre s’ils sont capturés, à condi- pante doit permettre aux ONG neutres et impartiales
tion d’être organisés de façon hiérarchique, d’avoir de vérifier l’état de l’approvisionnement de la popu-
un signe distinctif reconnaissable à distance, de por- lation et accorder le libre passage aux secours. Mais
ter ouvertement les armes lors des engagements et cela ne dégage en aucun cas la puissance occupan-
de se conformer aux lois et coutumes de la guerre te de sa responsabilité d’assurer elle-même l’ap-
(art. 4.2 G III). Les prisonniers de guerre (y compris provisionnement de la population.
le plus connu d’entre eux, Saddam Hussein) ne béné-
ficient pas d’une immunité de poursuite pour les
crimes qu’ils auraient commis, et peuvent subir des En troisième lieu, le respect de l’allégeance et l’ap-
interrogatoires dans les strictes limites posées par partenance de la population de l’Etat occupé à ce der-
l’article 17 de la 3e convention de Genève. En cas de nier. Il est interdit de transférer, déporter ou implan-
poursuite par la puissance détentrice, tout prison- ter hors du territoire occupé les personnes protégées,
nier de guerre doit être jugé par les mêmes tribu- en masse ou individuellement (art 49 C IV) et d’im-
naux et selon la même procédure que les membres planter les ressortissants de la puissance occupan-
des forces armées de la puissance détentrice. Ainsi, te en territoire occupé ; de plus, la prise d’otage et
un prisonnier de guerre aux mains des forces amé- la coercition morale et physique à l’encontre des
ricaines peut être jugé par une cour martiale appli- civils, notamment pour obtenir des informations,
quant le code pénal militaire américain avec les garan- sont prohibées. Il est enfin interdit d’enrôler des
ties fondamentales d’indépendance et d’impartialité. enfants dans des organisations ou formations dépen-

DOCTRINE N° 04 54 SEPTEMBRE 2004


libres réflexions
dant de l’occupant, de contraindre la population occu- D’autre part, il y a des interrogations liées au main-
pée à s’engager dans ses forces armées, d’astreindre tien de l’ordre public : si la tyrannie du Parti Baas a
celle-ci à un travail qui l’obligerait à prendre part à cessé, doit-on pour autant croire à la légitimité du gou-
des opérations militaires (art. 50 §2 et 51 C IV). vernement intérimaire ? Doit-on ignorer les problèmes
de ravitaillement en nourriture, gaz, électricité, essen-
Ainsi donc, la Puissance occupante doit prendre les ce, les problèmes de santé publique et de sécurité ?
mesures nécessaires à assurer le maintien de l’ordre, L’unité irakienne dans un régime démocratique avec
et la Puissance occupée doit garantir sa population des Kurdes divisés en sous-groupes rivaux, des
contre l’arbitraire éventuel des forces d’occupation. Sunnites et des Chiites soumis à diverses écoles de
Si de nombreuses dispositions, notamment celles pensée est une chimère. La balkanisation opposant
concernant le traitement humain et le respect de l’al- les communautés, les tribus, les clans, voire les
légeance et l’appartenance de la population irakienne familles elles-mêmes a entraîné depuis l’occupation
à l’Irak, sont correctement observées par les forces la mort de centaines de civils désormais délibéré-
d’occupation, la situation actuelle dans ce pays sus- ment pris pour cible.
cite cependant deux séries d’interrogations.
Les Etats-Unis ont annoncé en février qu’ils quitte-
D’une part, celles liées au respect des droits de la raient l’Irak le 30 juin 2004 et, faute de pouvoir orga-
personne, civil ou prisonnier de guerre. Les disposi- niser des élections libres d’ici cette date, ils laisse-
tions adoptées par l’Autorité provisoire de la coali- ront à la tête de ce pays, avec une constitution
tion et le Conseil intérimaire de gouvernement sont provisoire, un gouvernement non élu qui ne sera pas
préoccupantes, particulièrement en ce qui concerne le “ gouvernement représentatif internationalement
l’indépendance du pouvoir judiciaire, la liberté d’ex- reconnu ” qu’exige la Résolution 1511. Et c’est cette
pression et d’association, la liberté de mouvement, même Résolution qui met en place la force multina-
l’accès à l’information dans la langue appropriée et tionale sous commandement unifié américain à
les litiges patrimoniaux. L’adoption d’une Constitution laquelle les Etats membres de l’ONU sont appelés à
provisoire le 8 mars n’est pas de nature à rassurer fournir une assistance, y compris de forces militaires.
sur ce plan, et sûrement pas les... Irakiennes. Ce que
les 25 membres du Conseil intérimaire ont paraphé
sera-t-il approuvé par 25 000 000 d’Irakiens ? Par
ailleurs, l’accès du CICR auprès de certains prison- Etranges paradoxes que ni le jus ad bellum,
niers de guerre n’est pas facilité alors que les délé- ni le jus in bello ne sauront résoudre !
gués doivent pouvoir rencontrer tous les prisonniers
et internés, dans tous les lieux où ils sont détenus,
avec des entretiens réalisés sans témoins et aussi
souvent que le CICR le juge nécessaire ; de plus, si
les prisonniers de guerre peuvent être transférés
hors du pays dans lequel ils ont été capturés, ils peu-
vent aussi être détenus dans leur propre pays, et
dans cette hypothèse, bien que rien de spécifique
ne soit prévu, il semble logique de leur accorder le
même droit aux visites familiales que celui octroyé
aux civils protégés par la 4e convention.
US ARMY

SEPTEMBRE 2004 55 DOCTRINE N° 04


ARTEMIS :
“ donner au chef le cadre juridique
nécessaire à l’exécution de sa mission ”

L’opération ARTEMIS débute en national sous le nom de “ MAMBA ” le 4 juin 2003 ; elle deviendra européenne
le 16 juin.

Opération de sécurisation de zone et de population au plus profond de l’Afrique dans une région ravagée par
les affrontements meurtriers entre milices sur fond de luttes ethniques, ARTEMIS a confirmé l’impérieuse
nécessité de donner d’emblée au chef militaire les moyens de sa liberté d’action.

PAR LE GÉNÉRAL THONIER, COMMANDANT LA 9E BLBMA

Le Centre d’évaluation et de pour ce qui est des règles aujourd’hui que la mission de ROE qui lui
retour d’expérience (CEREX) d’engagement (ROE). Ce fut, possibilité laissée aux chefs, garantissent un cadre
du Commandement de la en revanche, le vide jusqu’au niveau le plus bas juridique approprié à
doctrine et de concernant les procédures (chefs d’équipe), de faire un l’emploi éventuel de toute la
l’enseignement supérieur de traitement des usage maîtrisé de leurs gamme des moyens
(CDES) a qualifié cette prisonniers, suspects ou armes a été un facteur clé de militaires mis à sa
opération de “ complexe par criminels avérés. la crédibilité et de l’efficacité disposition. Ce fut le cas
son environnement, de la force. L’usage autorisé pour ARTEMIS. Cette
périlleuse dans sa projection Indiscutablement ma liberté et légal de la force, au-delà capacité à utiliser toutes
et l’ouverture de théâtre, d’action a été grandement de la légitime défense, dans mes armes, y compris
ardue dans son application facilitée par des règles le cadre de la conduite des aériennes, sans avoir à en
et dangereuse dans sa d’engagement claires et opérations a permis de demander préalablement
conduite ” rajoutant que “ la sans ambiguïté ; celles mettre en œuvre les savoir- l’autorisation au COPER
simplicité des principes mis d’une force allant au combat faire appris et répétés à aurait pu se révéler
en œuvre ont, à eux seuls pour enlever la décision par l’instruction et à déterminante dans cette
assuré sa réussite ”. En effet le feu si nécessaire. Elles l’entraînement. Ces ROE opération où l’approche
l’absence de planification en m’ont permis de prendre étaient intrinsèquement factuelle et la perception de
amont, l’isolement de Bunia, l’initiative, de choisir des porteuses d’une véritable la situation du moment
la méconnaissance des modes d’action volonté d’action : ne pas exigeaient des réponses
forces en présence ont délibérément offensifs qui subir et imposer à rapides et adaptées que
imposé des décisions se sont révélés très “ l’adversaire ” notre volonté. seul le chef “ au contact ”
d’opportunité et le recours à dissuasifs. Notre capacité à Cet état d’esprit fait de peut correctement évalué.
un référentiel simple et tout utiliser à bon escient nos vigilance, d’initiative et de A cela s’ajoute, pour
d’exécution. L’opacité, la armes en respectant une réactivité a sans doute aussi ARTEMIS, la qualité des
gravité et la volatilité de la solide discipline de feu dans contribué à dissuader les hommes désignés pour
situation dans la province un rapport de forces pas milices de s’en prendre cette opération.
de l’ITURI justifiaient que la toujours favorable a directement à la force. L’expérience des théâtres
force soit dotée d’un cadre fortement tempéré Dans ce type d’engagement, africains, le parfait
juridique approprié. Ce fut l’agressivité et l’assurance le COMANFOR doit disposer professionnalisme dans
indiscutablement le cas des milices. Je suis persuadé dès la prise en compte de la l’exécution, la motivation

DOCTRINE N° 04 56 SEPTEMBRE 2004


collective, m’ont permis des
retour d’expérience
force. Il a constitué un traitement des “ enfants- moment en leur donnant
choix tactiques et véritable handicap dès les soldats ” a donné naturellement les moyens
logistiques risqués que premières confrontations et satisfaction car ces enfants de remplir leur mission. Ce
seules des unités aguerries, pendant la phase de appréhendés et désarmés fut le cas à Bunia où ils ont
soudées et cohérentes stabilisation de la situation ont pu être remis à des participé aux actions de
pouvaient exécuter. Il ne sécuritaire dans Bunia. organisations onusiennes force planifiées et sont
sert effectivement à rien de Les principes néanmoins ou non gouvernementales intervenus à ma demande
disposer de ROE retenus consistaient à même si leurs capacités de sur tous les incidents de feu
“ musclées ”, si le chef ne appréhender réinsertion de ces enfants ou arrestations de miliciens,
peut pas ou n’ose pas les systématiquement si besoin semblent avoir été atteintes. criminels ou délinquants. Je
déléguer pour des raisons par la force et en faisant note que leur présence et
liées à l’inexpérience ou usage de nos armes tout leur statut de gendarme ont
tout simplement à la auteur de crime, délit, acte Dans cette situation mon sans doute apporté plus de
méconnaissance des ou intention hostile à souci a aussi été de poids aux menaces
hommes placés sous ses l’encontre de qui que ce protéger mes personnels en proférées à l’encontre des
ordres. En effet si le cadre soit... en conformité avec les laissant le moins paraître potentats locaux de
juridique est indispensable ROE. Les armes étaient cette vulnérabilité juridique. traduction devant le Tribunal
et ne doit pas être un carcan saisies et détruites. Les Oter tout état d’âme par des pénal international. Il n’en
qui réduit la marge de coupables faisaient ordres clairs, et faire appel demeure pas moins qu’un
manoeuvre du chef au systématiquement l’objet systématiquement aux détachement prévôtal
risque de le rendre d’un interrogatoire détaillé prévôts. Leur présence a été n’exclut pas l’établissement
vulnérable, il est tout aussi en présence des prévôts, ressentie comme une de procédures de traitement
indispensable voire capital puis étaient relâchés sans assurance par l’ensemble des prisonniers, suspects ou
de pouvoir laisser à tous les autres formes de procès... des personnels parce que criminels avérés adaptés
niveaux la marge d’initiative Même si cette attitude leur statut d’officier de aux conditions juridiques
qui leur revient. Cette marquait notre volonté de police judiciaire garantissait dans lesquelles évolue la
subsidiarité n’est possible ne pas subir, contribuait à la véracité des faits et actes force. Ce point nécessite
que si les chefs se abaisser les violences face à d’éventuels délateurs une étude d’autant plus
connaissent et connaissent interethniques ou tout ou devant une quelconque approfondie que les
leurs subordonnés. Il est simplement la délinquance, juridiction nationale. Mais il opérations sont de plus en
également à mes yeux force est d’admettre qu’elle faut que les prévôts soient plus appelées à se dérouler
certain que la cohésion des était peu dissuasive à aux ordres du COMANFOR dans des zones de non-
unités élémentaires, l’encontre les récidivistes qui doit rester le seul droit.
l’estime et la confiance potentiels ou pire à habilité à juger des priorités
réciproques, et bien sur l’encontre des miliciens. d’emploi au regard de la
l’expérience des cadres de Paradoxalement le situation opérationnelle du
contact, sont des facteurs
qui, bien que non
quantifiables, permettent
de faire face avec plus de
sérénité aux situations “ non
conventionnelles ”.

Ainsi l’absence de structure


administrative iturienne,
notamment pas de police ni
de système judiciaire a
imposé l’établissement de
conduites à tenir précises
vis-à-vis des criminels
avérés, pillards et autres
délinquants pris sur les lieux
de leurs méfaits ou tout
simplement vis-à-vis des
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

miliciens faits prisonniers au


cours des accrochages, alors
que la force n’avait aucun
mandat pour exécuter des
tâches de police. Ce vide
juridique pouvait entraîner
une décrédibilisation de la

SEPTEMBRE 2004 57 DOCTRINE N° 04


L’environnement juridique des forces terrestres
en République de Côte d’Ivoire
Le 19 septembre 2002 des mutins ont mené des attaques simultanées contre des objectifs à la fois militaires
et politiques à Korhogo (nord), Bouaké (centre) et à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
La tentative de coup d’Etat a échoué à Abidjan mais a fait basculer tout le nord du pays sous le contrôle des
rebelles. La Côte d’Ivoire depuis cette date est divisée, de facto, en deux zones : la zone nord sous l’emprise
totale des rebelles et la zone sud sous l’autorité de l’armée régulière.
L’environnement juridique des forces françaises en République de Côte d’Ivoire est complexe dans la mesure
où se trouvent sur place, d’une part, des forces permanentes sur le fondement de l’accord de défense entre
la République de Côte d’Ivoire et la France signé le 24 avril 1961, et d’autre part, la force Licorne, dont
l’intervention initiale, dans le cadre de la protection des ressortissants français, a trouvé son fondement
juridique dans une norme coutumière avant de s’enrichir de nouvelles missions fondées sur une demande
des différentes parties en conflit puis sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Après avoir rappelé l’évolution du cadre des missions, il est aussi utile de rappeler les protections juridiques
dont les militaires français bénéficient lors de leur séjour en Côte d’Ivoire.

PAR LE LIEUTENANT (T) STÉPHANIE NICOL,*DE LA DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES

LA PROTECTION DES l’opération d’évacuation des Charte des Nations unies.


RESSORTISSANTS ressortissants français et Sa licéité n’a pas été
FRANÇAIS étrangers. Celle-ci a explicitement admise par la
commencé le 26 septembre jurisprudence de la Cour
Dans un contexte de quasi- 2002 sur l’ensemble du internationale de Justice2.
guerre civile, les troupes territoire ivoirien sous le Néanmoins, elle constitue
françaises en Côte d’Ivoire1 nom d’opération Licorne. une pratique tolérée par la
(TFCI) ont été immédia- communauté internationale.
tement mises en alerte. La Cette décision de la France Dans sa sentence arbitrale
priorité était de mettre en de renforcer son dispositif du 23 octobre 1924 rendue à
œuvre sans délai une force sur le territoire ivoirien est l’occasion de l’affaire des
capable d’assurer la sécurité un exemple de l’application biens britanniques au Maroc
des ressortissants étrangers du principe d’ “ intervention espagnol, Max HUBER,
dans les zones de combat d’humanité ”, consistant en Président de la Cour
qui s’étendaient jusqu’au un envoi de forces armées permanente de justice
nord du pays, d’où l’arrivée, sur le territoire d’un Etat internationale, estima
le 22 septembre 2002, des étranger, afin de soustraire à qu’ “ il est incontestable qu’à
premiers renforts militaires l’emprise d’un un certain point, l’intérêt de
français auprès du gouvernement défaillant ou l’Etat de pouvoir protéger
43e BIMA. Les soldats de mouvements séditieux ses ressortissants et leurs
français, outre la protection des ressortissants menacés biens doit primer le respect
des ressortissants français de violations graves des de la souveraineté, et cela
et étrangers, stricto sensu, droits de l’homme. même en l’absence
avaient pour mission d’obligations
d’assurer la sécurisation des Ce concept d’intervention conventionnelles. Le droit
installations et des moyens d’humanité est un principe d’intervention a été
permettant d’effectuer à de droit coutumier ne revendiqué par tous les
tout moment et dans les faisant l’objet d’aucune Etats, ses limites seules
meilleures conditions, reconnaissance dans la peuvent être discutées. ”

DOCTRINE N° 04 58 SEPTEMBRE 2004


L’intervention d’humanité
retour d’expérience
jamais pour autant mettre gouvernement et ceux des cessez-le-feu étant
doit respecter certains en œuvre les accords de rebelles. A la demande du régulièrement violé, la
principes. Elle doit être défense. L’environnement président ivoirien, Laurent France a proposé ses “ bons
limitée à l’évacuation de juridique de la force Licorne GBAGBO et avec “ l’accord ” offices ” et a organisé une
ressortissants sans a été façonné par les de l’autre partie signataire table ronde avec les
discrimination3, et doit être événements émaillant le (les mutins), les autorités protagonistes du conflit
strictement limitée dans le processus de paix et françaises ont assigné à afin de trouver une solution
temps. Enfin, elle ne doit engendrant différents l’opération Licorne une à la crise.
pas être un prétexte ayant accords entre les mission de surveillance de
pour objet de s’ingérer dans protagonistes de la crise. ce cessez-le-feu en plus de L’accord de Linas-
les affaires intérieures d’un la mission de sécurisation Marcoussis du 24 janvier
Etat, condition que le des ressortissants 2003
ministre des affaires L’IMPLICATION DE étrangers, la première de
étrangères, Monsieur LA FRANCE DANS ces deux missions devant Le 24 janvier 2003,
Dominique de VILLEPIN a LE RÈGLEMENT être temporaire en la conférence de Linas-
rappelé4. La Force Licorne a, DE LA CRISE IVOIRIENNE attendant le déploiement Marcoussis, à l’instigation
par ailleurs, cantonné son L’accord de cessez-le-feu sur le terrain d’une force du gouvernement français,
action dans des limites du 17 octobre 2002 de la CEDEAO5. Par rassemblait l’ensemble des
propres à éviter que la conséquent, la force Licorne partis politiques représentés
licéité de l’intervention soit A la suite de négociations a assuré seule, dans un à l’assemblée nationale,
contestée par la soutenues par la France et premier temps, cette le rassemblement
communauté internationale. entreprises sous l’égide mission délicate. Ce n’est des républicains et les
Le conflit s’enlisant des chefs d’Etats de la qu’en janvier 2003, date représentants politiques
inexorablement, la France Communauté économique d’arrivée des forces de la de la rébellion : Mouvement
s’est trouvée “ impliquée ” des Etats de l’Afrique de CEDEAO, que l’action sera pour la justice et pour la
à la demande des l’Ouest (CEDEAO), un accord coordonnée entre les deux paix (MJP), Mouvement
protagonistes qui de cessez-le-feu a été signé forces, dites forces populaire ivoirien du grand
souhaitaient lui voir jouer le 17 octobre 2002 impartiales. La situation se Ouest (MPIGO), Mouvement
un rôle de médiateur, sans par les représentants du dégradant et l’accord de patriotique de Côte d’Ivoire
ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

SEPTEMBRE 2004 59 DOCTRINE N° 04


(MPCI). Les protagonistes Marcoussis et afin de réconciliation nationale, la l’égard du contingent
de la crise ont signé cet prolonger cette initiative, protection des civils militaire étranger déployé
accord, nonobstant le refus le Conseil de sécurité des immédiatement menacés de sur un territoire donné.
du Président de la Nations unies a, le 4 février violences physiques à En l’espèce, il n’a pas été
République de Côte d’Ivoire 2003, adopté à l’unanimité l’intérieur de leurs zones nécessaire de négocier un
d’entériner celui-ci. la résolution 1464 donnant d’opérations et en fonction accord sur le statut des
Cet accord de réconciliation une nouvelle dimension à de leurs moyens...”8. forces françaises en Côte
prévoyait, entre autres, la l’environnement juridique d’Ivoire. En effet, il existait
mise en place d’un de la force Licorne. La résolution 1464 rappelle, déjà un accord d’assistance
gouvernement de par ailleurs, certains technique en date du
réconciliation nationale et principes fondamentaux 24 avril 1961, dont l’annexe 1
le maintien du Président de La résolution 1464 du du droit international public établit le statut des
la République Laurent Conseil de sécurité des “ encadrant ” l’exécution et membres des forces armées
GBAGBO à la tête de l’Etat. Nations Unies l’accomplissement de la françaises sur le territoire
Cependant, l’accord de mission, dont le respect de la République de Côte
Linas-Marcoussis était un Le Conseil de sécurité, en de la souveraineté de l’Etat d’Ivoire. Ses articles 1 et 2
texte purement ivoirien adoptant cette résolution, ivoirien et la non-ingérence prévoient la compétence
dont les dispositions endossait l’accord de Linas dans ses affaires des juridictions françaises
impliquant le gouvernement - Marcoussis. Il entérinait intérieures. Ceci signifie lorsqu’une infraction
français ou les forces ainsi la présence des forces concrètement que la imputée à un membre des
françaises étaient soit françaises et de la CEDEAO responsabilité première forces armées françaises a
rédigées comme relevant en Côte d’Ivoire afin quant au rétablissement été commise à l’intérieur
d’une possibilité (§ 3f ), soit d’empêcher toute reprise de la paix incombe au des installations de ces
comme dépendant d’une des affrontements sur la gouvernement ivoirien, forces. Elles sont,
demande ivoirienne (§ 3 et ligne de cessez-le-feu ainsi les forces impartiales également, compétentes
§5 et § VII, points 1 et 2 de que la participation à la n’intervenant qu’en soutien lorsqu’une infraction de
l’annexe). Le texte de Linas sécurité des ministres de au gouvernement de droit commun a été
- Marcoussis était une l’opposition jusqu’à ce que réconciliation nationale. commise en dehors des
invitation expresse à le gouvernement ivoirien en installations de ces forces
envoyer le personnel soit capable et si l’auteur de l’infraction
nécessaire pour “ veiller à l’établissement des La résolution 1528 du 27 était en service. Dans tous
la sécurité des personnalités conditions permettant la février 2004 les autres cas les tribunaux
ayant participé aux mise en œuvre du ivoiriens sont compétents12.
travaux ” de la table ronde programme national Face à des échéances Cet accord prévoit, donc,
“ et si nécessaire à celle des désarmement, électorales présidentielles dans certains cas une
membres du futur démobilisation, réinsertion. importantes en 2005 et à immunité juridictionnelle
gouvernement de En outre, conformément une situation qui se stabilise devant les tribunaux
réconciliation nationale ”. aux vœux exprimés au point difficilement, la ivoiriens ce qui ne signifie
14 des conclusions de la communauté internationale9 en rien l’impunité car
Cette invitation a été faite conférence des chefs d’État a décidé d’envoyer une chaque soldat devra
au nom de la table ronde sur la Côte d’Ivoire qui “ Opération des Nations répondre de ses actes
et non au nom du s’était tenue à Paris unies en Côte d’Ivoire ”. devant les juridictions
gouvernement ivoirien. Or, les 25 et 26 janvier 2003, Pour les forces françaises françaises13.
la Côte d’Ivoire malgré une au lendemain de l’accord ce changement se
situation chaotique restait de Linas - Marcoussis, le concrétisera par une
un territoire souverain avec paragraphe 9 de la évolution des missions Aujourd’hui les théâtres
un président légitimement résolution autorise, sur la puisqu’elles interviendront d’opération où les forces
élu dont l’approbation était base du Chapitre VII6 de la essentiellement en soutien françaises sont amenées à
nécessaire afin de pouvoir Charte “ les États membres de l’ONUCI mais leur intervenir se multiplient.
mettre en œuvre cet accord. participant à la force de la environnement juridique Le cadre juridique de ces
Ce n’est que le 25 janvier CEDEAO en vertu du restera, pour l’essentiel, missions n’est jamais
2003, lors du sommet des Chapitre VIII,7 de même que le même10. identique et peut être
chefs d’Etat africains à les forces françaises qui les complexe comme au
Paris que le président soutiennent, à prendre les Kosovo. L’utilité de mettre
Laurent GBAGBO a accepté mesures nécessaires pour LE STATUT DES FORCES en place des juristes auprès
expressément l’accord de assurer la sécurité et la FRANÇAISES SUR du commandement, comme
réconciliation. liberté de circulation de LE TERRITOIRE IVOIRIEN c’est le cas en Côte d’Ivoire
La communauté leurs personnels et pour est aujourd’hui reconnue.
internationale a exprimé assurer, sans préjudice des Ce sont les accords de statut Ce dernier est là pour
son soutien à l’application responsabilités du des forces11 qui déterminent conseiller le commandant
de l’accord de Linas- Gouvernement de les tribunaux compétents à de la force et non pas pour

DOCTRINE N° 04 60 SEPTEMBRE 2004


limiter l’action des troupes
retour d’expérience
sur le terrain.
En outre, une vision juste
et éclairée du contexte
juridique de l’opération
sera synonyme d’ordres
clairs et par là même de
réussite de l’opération.
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

* Le lieutenant NICOL est chargée


d’études au bureau du droit des
conflits armés de la Direction
des affaires juridiques.
Elle exercé des fonctions de
conseiller juridique au sein
de la KFOR et au profit
du COMANFOR Licorne.
1 Les Troupes Françaises en Côte
d’Ivoire (TFCI) se composent 4 Communiqué de presse du fréquemment utilisée par le - Intervenir, à la demande de
du 43e Bataillon d’infanterie de Sénat du 4 octobre 2002 : Conseil, comprend l’usage de la l’ONUCI, pour soutenir des
Marine, d’un détachement “ Dans ce contexte, force. éléments de cette dernière dont
avancé des transmissions, M. Dominique de VILLEPIN, 7 Le Chapitre VIII de la Charte la sécurité serait menacée ;
d’un poste de protection et Ministre des Affaires étrangères permet aux organisations - Intervenir en cas d’éventuelles
de sécurité de la défense, a précisé les priorités françaises : régionales, telles que la actions belligérantes, si les
d’un détachement prévôtal, “ la sécurité des ressortissants CEDEAO, d’intervenir pour conditions de sécurité l’exigent,
d’un détachement de transport français, pour laquelle notre l’application de mesures en dehors des zones placées
aérien militaire et d’une escale dispositif a été renforcé à coercitives avec l’autorisation sous le contrôle direct de
aérienne militaire. hauteur de 900 hommes, le du Conseil de sécurité. l’ONUCI ;
2 Cf. l’arrêt du 24 mai 1980 de la maintien de l’unité du pays et 8 Le mandat des forces françaises - Aider à protéger les civils dans
Cour internationale de justice de la stabilité régionale, allié et de la CEDEAO a été renouvelé les zones de déploiement de
Personnel diplomatique et à un souci permanent de non- par les résolutions 1498 leurs unités ; ”
consulaire des Etats-Unis à ingérence dans les affaires du 4 août 2003 et 1527 11 En anglais : Status of Forces
Téhéran. La Cour ne s’est pas intérieures de ces pays et du 4 février 2004. Agreement (S.O.F.A.)
considérée saisie de la question l’appui à la médiation africaine 9 Résolution 1528 du Conseil de 12 Néanmoins le gouvernement
du caractère licite ou illicite des et au dialogue, qui doit Sécurité des Nations unies, 27 français peut demander aux
interventions d’humanité. demeurer prioritaire ”. février 2004 : “ Agissant en autorités ivoiriennes, qui
3 Cf. l’arrêt du 27 juin 1986 de la 5 La mise sur pied d’une force de vertu du Chapitre VII de la peuvent refuser, de renoncer à
Cour internationale de justice la CEDEAO en Côte d’Ivoire a été Charte des Nations unies, leur droit de juridiction.
Activités militaires et décidée lors du sommet d’Accra décide de créer l’Opération des 13 En l’occurrence le Tribunal aux
paramilitaires au Nicaragua : le 29 septembre 2002. Cette Nations unies (ONUCI) pour une armées de Paris.
“ Selon la cour, pour ne pas force d’interposition avait pour durée 12 mois à compter
avoir de caractère d’une objectif, à terme, de relever les du 4 avril 2004”.
intervention condamnable dans forces françaises actuellement 10 Le § 16 de la résolution
les affaires intérieures d’un déployées en Côte d’Ivoire, dans “ Autorise les forces françaises,
autre Etat, non seulement le cadre de l’opération Licorne. pour une durée de 12 mois à
l’“ assistance humanitaire ” doit 6 L’utilisation du Chapitre VII de compter du 4 avril 2004, à user
se limiter aux fins consacrées par la Charte permet au Conseil de de tous les moyens nécessaires
la Croix-Rouge, à savoir “ prévenir sécurité d’imposer des mesures pour soutenir l’ONUCI,
et alléger les souffrances des coercitives aux différentes conformément à l’accord que
hommes “et” protéger la vie et parties au conflit. Il peut donc doivent conclure l’ONUCI et les
santé et faire respecter la sur cette base autoriser la force autorités françaises, et,
personne humaine ” ; elle doit multinationale à faire usage de en particulier, à :
surtout être prodiguée sans la force afin de remplir sa - Contribuer à la sécurité générale
discrimination à toute personne mission. L’expression “ toutes de la zone d’activité des forces
dans le besoin...”. les mesures nécessaires ”, internationales ;

SEPTEMBRE 2004 61 DOCTRINE N° 04


Les méandres
de la justice pénale internationale

Le présent article n’a d’autre ambition que de tirer quelques enseignements d’une expérience juridico-
opérationnelle en milieu multinational. Elle est à replacer dans le contexte de coopération de l’époque entre
le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et la Force de stabilisation (la SFOR). Comme chacun
sait, celui-ci a considérablement évolué dans les années suivantes afin de permettre l’inculpation et la
condamnation d’un plus grand nombre de personnes inculpées pour crimes de guerre. D’emblée, il est licite
de dire que le strict respect du cadre juridique de cette coopération SFOR - TPIY est une garantie de succès.
Pour s’en convaincre, après avoir dépeint le cadre général de cette mission, il est proposé de tirer quelques
enseignements au regard d’une expérience de 6 mois sur le théâtre.

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL PHILIPPE PETREL, DE LA DIRECTION DES ÉTUDES DU CESAT/CSEM1

LE CADRE GÉNÉRAL responsables de violations ce qui explique que le des Etats à coopérer, le TPIY
graves du droit humanitaire Tribunal soit encore s’est imposé comme un
COMPRENDRE LE TPIY POUR international commises sur compétent pour des crimes élément essentiel du
COMPRENDRE LE CADRE le territoire de commis au Kosovo. règlement des conflits en
DE LA MISSION l’ex-Yougoslavie entre Après des débuts difficiles, ex-Yougoslavie.
Il est créé par la résolution le 1er janvier 1991 et une voire chaotiques, dus pour
827 du Conseil de sécurité date à déterminer lorsque partie au système Il est à noter une autre
le 25 mai 1993 pour juger la paix sera rétablie. Celle- procédural dont il s’est doté caractéristique forte : sa
les personnes présumées ci n’est toujours pas fixée, et pour partie à la réticence procédure anglo-saxonne.
A l’époque, le TPIY souffre
de l’inadaptation de sa
procédure, fortement
inspirée du droit anglo-
saxon (le common Law).
Celle-ci conduit en effet à
d’interminables
interrogatoires et contre-
interrogatoires de témoins.
La durée de certains procès
atteint ainsi dix-huit mois
comme dans le cas du
général croate Tihomir
Blaskic.

D’une manière générale, le


ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

but des investigations du


TPIY en Bosnie-Herzégovine
est de collecter le maximum
d’informations et de preuves
sur les sites susceptibles de
contenir des charniers; de
conduire les enquêtes et les

DOCTRINE N° 04 62 SEPTEMBRE 2004


exhumations de ces mêmes
retour d’expérience
aérienne et terrestre des messages formatés. du sous-chef opérations et
charniers pour rassembler renforcée des sites reconnus Ainsi, chaque lundi, le LO- répondre, en respectant
des preuves sur ces crimes comme étant les plus TPIY adresse directement la lettre et l’esprit des
de guerre; d’étudier et sensibles. au JOC de SHAPE le bilan réglementations
copier tout document hebdomadaire du soutien juridiques, aux
disponible ayant un lien apporté au TPIY “ Weekly nombreuses sollicitations
avec ces questions ; LA MISSION DE L’OFFICIER report of SFOR support to de ses correspondants du
d’entendre des témoins et DE LIAISON the ICTY ”. Par ailleurs, TPIY/Sarajevo. Il lui est
victimes de ces crimes ; Inséré au sein de la cellule cette mise en réseau lui donc demandé d’allier
enfin d’auditionner les coordination du bureau permet d’envoyer - en deux qualités : assise et
personnes inculpées pour opérations de la SFOR, temps réel - des ordres de discernement.
crimes de guerre. l’officier de liaison auprès conduite aux différentes • Premier rédacteur des
du TPIY (LO-TPIY) fait unités subordonnées correspondances
également partie intégrante parfois pénalisées par le adressées au Tribunal de
Dans ce cadre, comment du Joint Operation Center manque d’anticipation du la Haye, il doit savoir
s’inscrit l’action de la force (JOC) où il occupe d’autres TPIY. maîtriser les nuances de la
de stabilisation (SFOR) de fonctions. Sa mission se langue indispensables à la
l’OTAN ? Uniquement dans décline comme suit : * La bataille des délais ou mise en forme d’une lettre
un cadre réglementaire et l’importance des filtres. diplomatique.
juridique qui est décliné des * Relations avec le bureau Tout document à caractère • Il doit enfin être capable
résolutions du Conseil de du TPIY de Sarajevo et son externe ou ayant valeur de présenter une situation
Sécurité et des accords de chargé de mission. d’ordre passe par de synthétique au chef
Dayton2 (General Framework * Relations au sein de l’état- nombreux filtres : chef de opérations de la SFOR afin
Agreement for Peace - major SFOR : le LO-TPIY la cellule coordination, de faciliter une prise de
GFAP). L’accord signé par le est également en relation chef de CO, conseiller décision rapide sur des
TPIY et SHAPE -The avec le bureau du juridique voire politique, sujets sensibles sur le
Memorandum of conseiller juridique officier de communication... plan politico-militaire.
Understanding- en mars 96, (LEGAD) pour le contrôle sous-chef opérations. A titre de comparaison,
constitue le document de juridique du soutien Notons au passage la le meilleur exemple que
référence pour tout ce qui apporté par la SFOR ; le G2 place clé occupée par le l’on puisse citer est la
concerne le soutien que la pour l’appréciation de la LEGAD. Dans l’acception présentation de planches
SFOR peut procurer au menace potentielle sur la anglo-saxonne, il est synthétiques par les
Tribunal de la Haye. Il est zone d’enquête... chargé d’assurer une officiers traitants du CPCO.
ensuite décliné en * Relations avec les unités assise juridique solide aux
procédures opérationnelles subordonnées : dans son décisions opérationnelles
permanentes (SOP) très domaine, il est prises en amont. LES LEÇONS APPRISES
détaillées pour la Force responsable de la Autrement dit, il va
(unités déployées sur le rédaction et de la mise à chercher dans la Le cadre général étant posé,
terrain ; officier de jour des SOP et des ordres réglementation quels enseignements
liaison....) : 3407 pour les de conduite (les FRAGO) particulière de l’opération majeurs peut-on en tirer ?
investigations en règle aux divisions. (règles d’engagement et Trois grandes familles se
générale et 3409 pour les règles de comportement détachent : l’influence de la
personnes inculpées de UNE CULTURE OTANIENNE qui se trouvent dans les politique étrangère sur ce
crimes de guerre. QUI IMPRÈGNE TOUS LES ACTES OPLAN et les SUPLAN) la sujet sensible, la pression
Concrètement, dès janvier DU TRAVAIL justification de l’action de médiatique, le strict respect
1996, cela se traduit par la A l’instar de tous les insérés la force. Etant donné la du cadre juridique.
fourniture d’un complément en état-major otanien, son sensibilité politico -
d’informations sur la zone cadre de travail est médiatique des affaires, * Influence de la politique
en question ; des équipes caractérisé par : ce contrôle a priori peut étrangère : Ainsi, dès le
de liaison et un aller jusqu’à l’envoi du début de l’année 1997, le
environnement sûr procuré * De nombreux ordinateurs document au bureau du tribunal opère-t-il une
par des patrouilles aux travaillant en réseau. conseiller juridique du forte pression pour
alentours du lieu d’enquête ; Le système de SACEUR pour amener les forces de
l’hébergement et communications approbation. maintien de la paix à faire
l’alimentation auprès des électroniques sécurisées la chasse aux criminels de
unités de la SFOR et (CRONOS) est omniprésent guerre. Le procureur de
l’évacuation sanitaire en cas et permet d’envoyer QUE PEUT-ON EN DÉDUIRE l’époque, madame Louise
d’urgence. A partir d’avril rapidement à SHAPE, à POUR LE LO-TPIY ? HARBOUR, fait une
1996, la SFOR assure des une division, à un • Interlocuteur privilégié du déclaration en ce sens afin
vols de reconnaissance ainsi rédacteur dans le bureau TPIY, il doit être capable de pouvoir arrêter
qu’une surveillance voisin des documents ou de parler en lieu et place 74 personnes inculpées de

SEPTEMBRE 2004 63 DOCTRINE N° 04


crimes de guerre. C’est
l’époque où se tient
l’affaire du général croate
Tihomir BLASKIC pour
lequel les autorités croates
refusent initialement de
fournir au TPIY la moindre
preuve. Concrètement,
cette pression politico-
judiciaire exige que les
acteurs sur le terrain - LO-
TPIY, LEGAD....- fassent
preuve de constance, et
disons-le de fermeté pour
ne pas céder à l’effet
caisse de résonance.
ADC F. CHESNEAU/SIRPA Terre

* La pression médiatique :
de la pertinence des
informations diffusées par
l’Agence France Presse
(AFP). Qu’en est-il
réellement ? Le 27
décembre 1996, l’officier
de liaison reçoit une
information d’un officier
communication français. compte-rendu n’est Le strict respect du cadre m’appelle pour signaler que
Rapportée par l’AFP, elle remonté jusqu’au juridique : le mandat, tout l’officier américain en
signale que des soldats commandant de la le mandat et rien que le charge d’accompagner
auraient empêché une division. Malgré les mandat. C’est là toute l’équipe du TPIY ne fournit
équipe du comité réserves de l’OL-TPIY et l’importance de la précision pas le même niveau de
d’exhumation bosniaque de l’OFF. COM. français, et de l’exhaustivité des sécurité. Après contrôle sur
de poursuivre son travail il est décidé d’apporter paragraphes - mesures de le terrain, il apparaît en fait
sur la zone de Kladanj un démenti officiel. Le coordination et aspects qu’une des inspectrices a
(Nord-Est de la Bosnie lendemain, l’officier de juridiques - des ordres de pris l’initiative de demander
Herzégovine et secteur de quart de la DMN/N rend conduite donnés aux unités qu’on l’escorte à l’intérieur
responsabilité de la compte par CRONOS que subordonnées. Chaque d’habitations ce qui dépasse
division multinationale quelque chose s’est phrase a son importance : le cadre légal du mandat. A
Nord DMN/N) dans réellement passé : une “ la Force de stabilisation Sarajevo, après contrôle des
laquelle reposeraient équipe de la police fournira un environnement termes exacts du FRAGO et
120 personnes tuées en militaire américaine n’avait sûr aux enquêtes du TPIY des SOP par le LEGAD, il est
juillet 1995. Dans la même pas jugé utile de rendre ainsi que la liberté de prouvé que la force est dans
dépêche, il est dit que le compte. Conséquence de mouvement ”. Il est d’autre son droit le plus strict.
président de cette même ce quiproquo : l’OFF. COM. part précisé que “ les unités
commission demande au de la SFOR doit faire de la Force de stabilisation
commandant en chef de la amende honorable au ne sont pas obligées de Parallèlement à cela, un
SFOR de retirer ses soldats cours du traditionnel point fournir d’escortes directes point de presse est préparé
afin que le comité puisse de presse de fin de ou de garder les sites qui et une correspondance est
continuer son travail. journée. Quelle leçon sont en cours envoyée le jour même au
L’OL-TPIY rend compte peut-on en tirer ? d’investigation ”. chef des enquêteurs à la
immédiatement au chef Que les procédures de Un exemple précis va Haye - Monsieur HENDRICK-
de la cellule coordination compte-rendu anglo- éclairer le bien fondé de ces avec copie au bureau du
du G3 après avoir contrôlé saxonnes sont si strictes règles. Au cours d’une LEGAD de SHAPE afin de
cette information auprès que si rien ne remonte investigation réalisée dans désamorcer définitivement
de la DMN/N ainsi que des dans les délais, on la région de Bosanski la rumeur. Quels
sources de renseignement considère qu’il ne s’est Samak (secteur Nord-est et enseignements en tirer a
de théâtre ou nationales rien passé. Il faut être zone de responsabilité de la posteriori ? L’importance
(les fameuses National convaincu qu’il n’y a, dans DMN/N sous d’établir des relations de
Intelligence Cells). ce domaine, que peu de commandement américain) confiance avec ceux qui
Personne ne semble être place pour le bon sens mi-décembre 1996, un des détiennent la Loi dont le
au courant et aucun français. employés du TPIY- Sarajevo LEGAD.

DOCTRINE N° 04 64 SEPTEMBRE 2004


retour d’expérience

Demande de soutien du TPIY :


procédures

(Soutien du travail d’investigation)

TPIY
Mémorandum
Bureau du tribunal
Bureau du procureur à Sarajevo/Zaghreb

SHAPE Département des enquêtes

Demande de soutien
Politique générale à une enquête
PC SFOR INFO

CR courants INFO
CAOC PC SFOR
Bureau OPS/J3
Directives de politique générale

Ordre de conduite CR courants


pour le soutien
J2 de l’enquête

Plates formes
aériennes Information
préliminaire

Equipe du tribunal
Divisions sur le terrain

SEPTEMBRE 2004 65 DOCTRINE N° 04


Intégré d’emblée dans la understanding) cosigné par n’acceptent d’ordres que 1 Officier de liaison de la Force de
boucle opérationnelle, son le TPIY et SHAPE le 9 mai des chefs militaires et pas stabilisation de l’OTAN (SFOR)
contrôle juridique a priori 1996, “ il est convenu que du tribunal ”. Bref, une auprès du Tribunal pénal
est une assurance-vie les personnels de la SFOR nouvelle fois, la stricte international pour l’ex-
nécessaire et suffisante puissent détenir les application des règles Yougoslavie (TPIY), le
pour les unités qui personnes inculpées pour juridiques acceptées par les lieutenant-colonel PETREL a
exécutent ces mêmes crimes de guerre en deux parties a permis à la effectué en renforcement de
ordres et a fortiori pour s’appuyant sur les mandats force de rester stricto sensu LANDCENT une mission en
l’OL-TPIY. d’arrêt accompagnés des dans le cadre de son Bosnie Herzégovine du 1er
actes d’accusation mandat. novembre 96 au 27 mars 97.
Un autre cas d’espèce peut correspondants et toute 2 Signés le 14 décembre 1995, les
être cité lorsqu’au mois de information complémentaire accords de Dayton ont mis fin à
mars 1997, une équipe du fournie par le tribunal. Ces la guerre en Bosnie-Herzégovine
TPIY enquêtant dans la mêmes documents devant en consacrant la division du
région de Prijedor et Banja être transmis au bureau du pays en deux entités tout en
Luka (secteur ouest et zone LEGAD auprès du SACEUR prévoyant la mise en place
de responsabilité de la par le bureau du procureur à d’institutions communes.
division multinationale sud- la Haye qui lui-même les
ouest- DMN/SO - sous transmet au bureau du
commandement LEGAD de la Force. Ce
britannique) veut dernier enfin est chargé de
interpeller des personnes la ventilation des mêmes
ne figurant pas sur le informations aux unités
poster des inculpés pour subordonnées par le biais
crimes de guerre. Une du poster des personnes
nouvelle mise au point de inculpées ou tout autre
l’OL-TPIY et du LEGAD moyen jugé ad hoc ”.
remet les choses en Il est même précisé plus loin
conformité avec la réalité. “ qu’il n’y a pas de clause
précise permettant aux
Elle confirme ainsi la Force équipes du TPIY d’inculper
dans son bon droit au des personnes directement
regard de la légalité. Qu’en sur le terrain. Les unités de
est-il ? Selon l’accord la SFOR doivent préciser
(Memorandum of clairement qu’elles

En définitive, c’est bien l’application rigoureuse du cadre juridique qui permet à

un Béotien en matière de justice pénale internationale de remplir sa mission

dans la lettre et l’esprit. Reste que l’objectif plus concret de cet article est de

tirer quelques enseignements d’un poste en milieu multinational afin que ceux

qui, désireux de se préparer individuellement à des responsabilités similaires,

puissent disposer d’exemples concrets. Insérés dans la base de données RETEX

que constitue actuellement l’armée de terre, ils pourraient alors faciliter la

compréhension dans le temps de missions apparemment complexes.

DOCTRINE N° 04 66 SEPTEMBRE 2004


) La nécessaire liberté d’action
du chef - p. 5
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre
L’ environnement juridique des forces terrestres en images

Le cadre juridique
des opérations extérieures- p. 10
CCH J.J. CHATARD/SIRPA Terre

Les opérations de stabilisation


et de reconstruction - p. 38
ADJ J.R. DRAHI/SIRPA Terre

Le droit en territoire occupé - p. 53


US ARMY
(
DOCTRINE

C.D.E.F
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces

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