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SUPPORT DE COURS | UVS | 2015 LICENCE 1 AES

LICENCE 1

Administration Economique
Et sociale
HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises

 1 La première mondialisation ou l’apogée de l’Europe

 2 La première Guerre Mondiale

o 2.1 Les origines de la guerre mondiale

o 2.2 Le bilan de la première guerre mondiale

 3 La crise de 1929

o 3.1 La spéculation boursière et le jeudi noir

o 3.2 L’extension de la crise dans le monde

o 3.3 Les analyses de la crise de 1929

 4 La deuxième Guerre Mondiale

o 4.1 Les origines de la 2e GM

o 4.2 La 2e GM, un conflit de type nouveau

o 4.3 Le bilan de la 2e GM

o 4.4 L'économie mondiale en 1945

 5 L’Afrique et les deux guerres mondiales

o 5.1 La participation de l’Afrique à l’effort de guerre

o 5.2 L’impact sur l’évolution des colonies

o 5.3 Conclusion

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises

1 La première mondialisation ou l’apogée de


l’Europe

Vers la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, sous l’impulsion de


l’Angleterre, l’Europe connaît une apogée. Même sur le plan démographique, l’Europe
occupe une place centrale : alors que le monde compte environ 1,7 milliard de
personnes, près du quart de l’humanité vit en Europe et un tiers de la population
mondiale est d’origine européenne. Pendant quelques décennies, l’Europe va dominer
technologiquement et économiquement le monde.

Cette période est aussi une période de globalisation sans précédent et, à certains égards
(ouverture des économies, mouvements des capitaux et des personnes), la
mondialisation était au moins aussi avancée qu’elle ne l’est au début du 21ème siècle.

Les technologies comme le télégraphe et le téléphone révolutionnent les moyens de


communication. Le développement des chemins de fer et de la marine à vapeur ont «
rapetissé » le monde en rapprochant les continents. C’est la période où des millions
d’individus émigrent chaque année de l’Europe vers les Etats-Unis ou l’Amérique du sud.
Les bateaux commerciaux, les trains de marchandises sillonnent la planète et partout le
commerce et les échanges fleurissent. Les grands ports du monde, les grandes villes du
monde forment les mailles d’un réseau mondial cosmopolite.

Depuis le milieu du 19ème siècle, les investissements internationaux sont en plein essor.
L’Angleterre et la France investissement massivement partout dans le monde. La notion
de « risque pays » n’existe pas. Les investisseurs ont la certitude que, sous réserve
d’une gestion saine des projets, leurs fonds seront rentabilisés.

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Les taux d’exportation, quoique moins élevés qu’à l’époque actuelle, sont néanmoins
importants. L’Europe domine le monde. Des expéditions de toute sorte sillonnent le
monde à la recherche des derniers mystères de la planète. C’est l’époque où il est
possible de faire le tour du monde, non seulement en quatre-vingt jours», mais encore
sans se faire arrêter et sans le moindre passeport.

2 La première Guerre Mondiale


Nous allons nous intéresser ici (i) aux causes de la première guerre mondiale, (ii) et à
ses effets.

2.1 Les origines de la guerre mondiale


Au début du XXe siècle, l'Europe à son apogée domine encore le monde, mais elle est
secouée de contradictions :

 en raison des disparités de développement économique et social qui caractérisent les


pays qui la composent ;
 du fait aussi des rivalités et des tensions qui opposent les grandes puissances
européennes et qui multiplient les risques de guerre.

La primauté européenne repose sur 3 facteurs :

 Le dynamisme démographique. L'Europe qui compte 450 millions d'habitants


rassemble 1/4 de la population mondiale et la pression démographique pousse
chaque année un peu plus d'un million d'émigrants à quitter l’Europe pour les
colonies et le Nouveau monde où environ 40 millions d'Européens se sont installés.
 L'expansionnisme colonial. Les métropoles européennes possèdent des empires
coloniaux qui couvrent environ la moitié de la surface du globe en particulier en
Afrique et en Asie, et dont les habitants représentent 1/3 de la population mondiale.

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 L'avance technologique et économique. Acquise à la faveur de la Révolution
industrielle, cette avance a fait de l'Europe où ont surgi toutes les innovations
technologiques sur lesquelles reposaient cette révolution, l'usine, le banquier du
monde, et l'arbitre du commerce international. Elle lui a donné la capacité d'étendre
sa zone d'influence économique à des pays comme la Russie, l'Empire ottoman
(Turquie), la Perse (Iran) et la Chine, pays qui sont devenus des sortes de semi-
colonies européennes.

Mais l'Europe est profondément divisée

 L'opposition entre Europe du Nord et Europe du Sud. L'Europe de 1914 ne forme pas
un ensemble homogène. Elle est constituée d'États qui présentent des situations très
diverses
o du point de vue de l'étendue (vastes empires et petits pays) ;
o du point de vue de la population (plus de 140 millions de Russes, 65 millions
d'Allemands, 45 millions de Britanniques, à peine 40 millions de Français et
seulement 36 millions d'Italiens et 20 millions de Turcs) ;
o du point de vue du système politique (républiques et monarchies ; régimes
démocratiques parlementaires et autocraties ; unifications politiques anciennes ou
au contraire tardives et récentes ; États plus ou moins centralisés ; États plus ou
moins intégrés autour d'une nation et États multinationaux) ;
o du point de vue économique (Europe industrielle du Nord-Ouest et Europe
agrarienne du Sud et de l'Est).
 Les rivalités entre puissances européennes. Elle s'exprime à trois niveaux. :
o sur le plan des nationalités

 minorités séparatistes et indépendantistes de l'Empire austro-hongrois ;


 peuples allogènes (non russes) de l'Empire russe ;

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 panslavisme de la Russie orthodoxe protectrice de la Serbie et qui cherche à
prendre le contrôle des Détroits tenus par les Turcs musulmans ;
 pangermanisme de l'Empire allemand qui aspire à achever la réunion des
terres allemandes.
o sur le plan colonial

 rivalité franco-anglaise au Soudan (Fachoda, 1898) ;


 rivalité anglo-allemande en Afrique australe et orientale ;
 rivalité franco-allemande au Maroc (crise de Tanger en 1905 et d'Agadir en
1911) ;
 rivalité franco-italienne en Tunisie.
o sur le plan géostratégique autour des zones d'influence

 rivalité anglo-allemande sur les mers ;


 rivalité austro-russe dans les Balkans.

2.2 Le bilan de la première guerre mondiale


2.2.1. L’économie de guerre

L’effort de guerre des principales puissances en conflit nécessite des moyens


financiers et humains énormes. La pression fiscale et la dette intérieure et
extérieure des Etats augmentent, alors même que l’activité économique se
paralyse en raison de la mobilisation des hommes pour les combats (8,5
millions d’hommes sont mobilisés pour le conflit). Par ailleurs, les destructions
matérielles et humaines sont énormes. Les destructions matérielles sont
considérables sur la zone des conflits. Les mines de charbon sont noyées, les

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mines de fer sont détruites, ainsi que les usines et les voies ferrées. On estime
qu’en 1918 le PNB des pays en guerre avait diminué d’environ un tiers par
rapport à leurs niveaux de 1914. Enfin, il faut tenir compte du manque à
gagner engendré par le conflit. Lorsque la paix revient, le monde a changé.

Partout, l’intervention de l’Etat dans l’économie se substitue au marché. Des


comités de coordination de la production sont mis en place. Tandis que la
population civile souffre en silence du rationnement, l’effort est dirigé vers la
production militaire.

L’absence des hommes dans la vie économique de l’arrière favorise l’entrée


des femmes dans la vie active. Parallèlement, l’endettement massif de l’Etat et
les pénuries engendre des épisodes d’inflation qui ruinent les rentiers et les
titulaires de revenus fixes. Le blocage des loyers ajoute encore aux pertes de
la petite bourgeoise et des classes moyennes, pour la location de biens
immobiliers constituait souvent un revenu. La baisse des revenus locatifs a
contribué au mauvais entretien et à la dégradation du patrimoine immobilier
des classes moyennes.

Dans les pays neufs, comme les Etats-Unis, mais aussi en Europe, l’effort de
guerre et la pénurie de main-d’œuvre se traduisent par une rationalisation
économique et des progrès de productivité.

2.2.2 Des pertes humaines considérables

Les pertes humaines : morts et blessés, la « grande saignée »

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 Les pertes en vies humaines. Au total, la 1e guerre mondiale a fait environ
9 millions de morts dont plus de 2 millions d'Allemands, 1.8 million de
Russes, 750 000 Britanniques, 650 0000 Italiens, et près d'1 million et demi
de Français (En France par exemple, on a compté 1,5 millions de morts
militaires : 17% de l’effectif mobilisé, 10,55% de la population active
masculine et 31% de la classe d’âge des 20-35 ans. Proportionnellement à
sa population, la France est, après la Serbie, le pays où les pertes ont été
les plus élevées). Ces morts étaient presqu'exclusivement des militaires,
tués au combat ou morts des séquelles de leurs blessures ou de maladie
entre 1914 et 1918. On considère qu'environ 500 000 soldats sont morts
après la guerre des suites de blessures de guerre ou de maladies
contractées pendant la guerre. A ces morts de la 1ère guerre mondiale,
sont venus s'ajouter les millions de décès provoqués par l'épidémie de
grippe qui s'est propagée dans tous les continents de 1918 à 1920, et qui a
fait 200 000 victimes en France.
 Les blessés (les « gueules cassées »). Le nombre des blessés (invalides,
aveugles, gazés, amputés, handicapés) marqués à tout jamais dans leur
chair s'élève au total à environ 6 millions et demi. Beaucoup ne pourront
reprendre une activité professionnelle normale et devront être pensionnés,
donc à la charge de leur pays.
 Des « générations sacrifiées ». Morts et blessés concernent
presqu'exclusivement le sexe masculin et essentiellement les classes d'âge
situées entre 19 et 40 ans, c'est-à-dire les forces vives, les classes d'âge les
plus fécondes et correspondant aux effectifs les plus nombreux de la
population active. En France, 20% des soldats âgés de 19 à 27 ans en 1914

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ont été tués. Les soldats morts de la 1e guerre mondiale ont laissé 3
millions de veuves et 6 millions d'orphelins.

2.2.3 Des séquelles démographique profondes et durables

Les pertes humaines de la 1ère guerre mondiale ont entraîné (i) un


déséquilibre entre les sexes au profit du sexe féminin, (ii) un vieillissement de
la population et en particulier de la population active sur laquelle va reposer la
reconstruction d'après-guerre.

Le vieillissement de la population a été aggravé par l'important déficit des


naissances des années de guerre au cours desquelles les naissances ont été
sensiblement moins nombreuses que pendant les années d'avant-guerre et qui
a généré des classes creuses à faible effectif, correspondant aux accidents en
creux qui affecteront pendant de nombreuses années la pyramide des âges
des pays belligérants..

En France, on évalue le nombre des naissances « annulées » par la guerre à


1,6 million.

L'effondrement de la natalité pendant la 1ère guerre mondiale a plusieurs


causes : couples séparés ; mariages différés ; comportements malthusiens
renforcés par l'incertitude du lendemain. Dans les pays industrialisés, en
particulier en France, cet effondrement a accentué le déclin démographique et
la dénatalité correspondant à la fin de la transition démographique et à la
montée du malthusianisme.

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La population française n'a retrouvé son niveau d'avant la 1ère guerre
mondiale qu'au début des années 1950.

2.2.4. Des conséquences catastrophiques pour l'Europe

 Des dévastations considérables. Dans les pays où se sont déroulés des


combats, les destructions matérielles ont durement affecté immeubles,
usines, exploitations agricoles, champs, mines de charbon, infrastructures
de communication (ponts, routes voies ferrées, etc.) en particulier en
France, en Pologne, dans les Balkans. En France par exemple, des villages
champenois et lorrains ont été rayés de la carte et n'ont même pas pu être
reconstruits à leur emplacement. Des villes comme la ville de Reims ont
subi d'énormes destructions. Dans tous les pays belligérants à l'exception
des Etats-Unis éloignés des champs de bataille et entrés tardivement dans
la guerre, la production agricole et industrielle s'est effondrée à cause des
impératifs de l'économie de guerre et de la mobilisation d'un grand nombre
d'actifs. La guerre a entraîné une désorganisation des circuits commerciaux
traditionnels. Partout il faut reconstruire, relancer l'activité, revenir à une
économie de paix tout en faisant face à une grave pénurie de main
d'œuvre.
 Un nouvel équilibre économique mondial. La 1ère guerre mondiale a
mis fin à l'hégémonie exercée avant 1914 par l'Europe dans tous les
domaines politique, diplomatique, militaire, financier, économique,
commercial, culturel. L'Europe qui sort du conflit, pays vaincus et
vainqueurs confondus, est saignée démographiquement, épuisée

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économiquement, endettée financièrement, rongée par l'inflation monétaire
et la hausse des prix. Le déclin de l'Europe qui s'amorce au lendemain du
conflit n'a pas été perçu par les contemporains, ce qui a entraîné un certain
nombre d'illusions. Au contraire, la 1ère guerre mondiale a stimulé le
développement et l'essor des pays neufs extra-européens, en particulier le
Japon et les Etats-Unis (voir Encadré) en situation de supplanter désormais
l'Europe à la tête de l'économie mondiale.
 Les bouleversements politiques de l'Europe. La 1ère guerre mondiale a
entraîné la chute de quatre Empires (russe, austro-hongrois, allemand et
ottoman). Elle a créé en Russie les conditions qui ont permis aux
Bolcheviques d'instaurer le premier Etat communiste (voir Encadré). Elle a
aussi débouché dans plusieurs pays en 1918-1919 sur des mouvements
révolutionnaires (Berlin, Munich, Budapest) plus ou moins influencés par le
modèle bolchevique ou sur des grèves de type insurrectionnel (Italie du
Nord, France). Les traités qui ont entrepris de régler le conflit ont remodelé
la carte de l'Europe, en particulier en Europe centrale où de nouveaux Etats
ont surgi (Yougoslavie, Tchécoslovaquie), ou la Pologne a été rétablie.

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Encadré 1 - Les années folles et l’affirmation de la puissance américaine
Pendant la guerre et au cours des années 1920, les États-Unis bénéficient
d’une croissance rapide. Cette croissance est favorisée par les besoins de
l’Europe et en même temps par la disparition de celle-ci de la scène
économique. La croissance américaine se fonde aussi sur l’exploitation
des innovations de la seconde révolution industrielle (électricité,
automobile), ainsi que des progrès dans la rationalisation du travail. Les
Etats-Unis connaissent une période d’abondance que rien ne semble
devoir arrêter : ce sont les années folles qui encouragent les
extravagances les plus inouïes, tant sur le plan artistique et littéraire, que
sur le plan des mœurs ou celui de la spéculation boursière. Les cours
boursiers ne cessent de monter et cela contribue à l’enrichissement
général. De nombreux américains empruntent pour acheter des actions
et, même à long terme, l’opération semble systématiquement bénéfique
(pendant plus de 10 ans les cours boursiers n’ont cessé d’augmenter).

Cependant les agriculteurs restent exclus de cette prospérité, les prix


agricoles, au contraire des prix industriels, ne cessent en effet de
baisser, tout comme la valeur des terres.

Tandis que l’Angleterre et la France se relèvent péniblement des


conséquences de la première guerre mondiale et que l’Allemagne et
l’Italie glissent lentement vers le fascisme, l’Amérique prend
progressivement ses marques comme première puissance
économique du monde, détrônant ainsi l’Angleterre.

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Encadré 2 - La révolution russe
L’entrée de la Russie dans le conflit aux côtés de la France et de l’Angleterre aura pour
conséquence la chute du régime tsariste et l’instauration brutale d’un régime
communiste à partir de novembre 1917. Ceci se traduit par un chaos économique et
social à grande échelle, des tentatives de contre-révolution, des soulèvements (comme
celui des marins de CRONSTADT en février 1921) et des famines.

En 1921 alors que règne un mécontentement général lié à la guerre et que certaines
régions souffrent de famine, LENINE (1870-1924) au 10ème Congrès du parti
communiste, fait connaître sa décision de mettre en œuvre une « Nouvelle Economie
Politique», dont les principaux axes sont la réconciliation avec le monde paysan (la
redistribution des terres est arrêtée et les paysans peuvent librement commercialiser
leurs surplus sur les marchés locaux), la reconstitution d’un secteur privé (les usines de
moins de 10 ouvriers sont rendues à leur propriétaire, le travail obligatoire est supprimé
et la hiérarchie des salaires réintroduite), le retour progressif au rouble sur le plan
monétaire, le rétablissement partiel de l’héritage et enfin l’encouragement au retour des
investisseurs privés étrangers

Vers la fin des années 1920, STALINE qui a succédé à LENINE décide de renoncer à la
Nouvelle politique économique (NEP) et impose la planification. Le premier plan débute
en 1928 privilégiant l’industrie lourde. Dans les campagnes, les terres sont à nouveau
collectivisées, des fermes d’Etat, les kolkhozes, sont créées, ainsi que des coopératives
paysannes, les sovkhozes. Ces modifications se font dans un climat de terreur et
provoquent des famines en Ukraine en 1933-1934, ainsi que des déportations massives
et arbitraires. Une industrialisation rapide axée sur la sidérurgie, les chemins de fer et
autres industries lourdes et polluantes s’ensuit dans les années 1930, à un prix humain
insensé et au détriment des industries de consommation.

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Encadré 3 - L’hyperinflation allemande et l’avènement du nazisme
L’Allemagne et l’Autriche devaient faire face aux conséquences économiques de leur
défaite. Le traité de Versailles (28 juin 1919) impose à ces deux pays le paiement de
lourdes réparations qui, ainsi que l’avait prévu John Maynard KEYNES les empêcheront
d’opérer leur redressement économique et les précipiteront dans le fascisme.

Pour rembourser leurs dettes, l’Allemagne et l’Autriche eurent recours à la création


monétaire. L’inflation s’installa. Les gouvernements créèrent encore plus de monnaie.
L’inflation augmenta encore ; ce fut l’hyperinflation. Les prix s’envolent. Il faut plusieurs
milliards de marks pour acheter une baguette de pain et les prix changent plusieurs fois
dans la journée ! Les ménagères vont faire leurs courses avec des caddies remplis de
billets. Cela coûte moins de couvrir une pièce avec des billets que d’acheter du papier
peint !

La principale conséquence de l’hyperinflation et la raison pour laquelle elle engendra le


fascisme, est qu’elle ruina les classes moyennes, c’est-à-dire les titulaires de revenus
fixes tels que rentiers, veuves, pensionnés et fonctionnaires. Pour l’économiste Friedrich
von HAYEK (1899-1992), l’hyperinflation est le mal suprême à l’origine du fascisme, la «
Route de la servitude », pour reprendre le titre d’un de ses livres les plus célèbres.

Les difficultés économiques sont encore aggravées par la crise de 1929 qui éclate aux
Etats-Unis, quand les banques américaines font faillite, entraînant celles de banques
autrichiennes et allemandes à qui elles avaient consentis des prêts importants.

L’avènement du Nazisme et la prise du pouvoir par Hitler en janvier 1933, créé


paradoxalement un climat de confiance dans la population et les milieux d’affaire, met
fin à l’inflation allemande et inaugure une phase de dirigisme économique qui sera la
réponse de l’Allemagne et de l’Autriche à la crise des années 1930.

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises

3 La crise de 1929
La crise de 1929 éclate au milieu de la prospérité générale. La rapidité avec laquelle elle
se répand a surpris tous les observateurs. Aucun remède ne parvient à résorber le
chômage massif et la crise de confiance engendrés. Même le New Deal, inspiré par les
théories keynésiennes, ne parvient pas à remettre l’économie américaine sur le sentier
de croissance qu’elle a connu durant les « années folles ». Il faudra attendre la seconde
guerre mondiale, puis le plan Marshall et les années 1950 pour connaître à nouveau ces
taux de croissance.

3.1 La spéculation boursière et le jeudi noir


L'Amérique du début du 20ème siècle est une nation dynamique, totalement vouée au
capitalisme et à l'économie de marché. Tout le monde est persuadé que la richesse et la
fortune sont à la portée de tous. Non seulement par le travail, mais aussi par la
participation au marché financier et la spéculation boursière.

Les signes de prospérité sont partout. Chaque américain jouait en bourse et comptait
bien s’enrichir car la valeur des actions ne cessait d’augmenter depuis 1919, soit près de
10 ans d’augmentation. Si l'on refait le calcul en suivant l'évolution réelle du cours des
actions on s’aperçoit que 400 dollars investis en 1919 sur le marché boursier seraient
devenus 21 000 dollars en 1929, juste avant le krach, soit une multiplication par 52 de
la mise initiale. Plus le temps passait, plus la prospérité s'installait et plus les américains
étaient persuadés qu'en investissant habilement en bourse, ils pouvaient devenir riches.

Tout change le jeudi 24 octobre 1929, baptisé le jeudi noir, date à laquelle le marché
s'effondre. Avec la crise, des millions d'américains qui avaient investi leurs économies en
bourse furent ruinés. Le pouvoir d'achat s'effondra brutalement. Les entreprises
fermaient les unes après les autres et le chômage augmenta dramatiquement. Plus de la

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moitié de la richesse nationale américaine a disparu dans la crise de 1929 et on a atteint
le chiffre de 14 millions de chômeurs en l'espace de 3 ans.

3.2 L’extension de la crise dans le monde


La crise de 1929 s'est étendue au monde par trois mécanismes :

 L'interdépendance des banques internationales. La ruine des banques


américaines a entraîné la ruine de certaines banques européennes, comme en
Autriche et en Allemagne, à cause de l'endettement de ces banques auprès des
banques américaines.
 Le cercle vicieux du protectionnisme. Vers les Etats-Unis, d'une part, qui
n'avaient plus de pouvoir d'achat et qui ont de plus commencé à adopter des
mesures protectionnistes pour lutter contre la crise, vers le reste du monde d'autre
part, puisque chaque pays a commencé à se protéger.
 La crise de confiance. Celle-ci ébranla le monde et entraîna une chute de
l'investissement et une méfiance à l'égard du capitalisme. La crise de 1929 allait
donner raison aux partisans de l'insuffisance de la demande globale dans une
économie de marché. Et c'est donc tout naturellement que la théorie de KEYNES sur
la nécessité de l'intervention de l'Etat pour relancer la demande globale allait
s'imposer. Mais, comme on le souligne souvent, c'est en fait la deuxième guerre
mondiale et surtout le Plan MARSHALL, avec le supplément d'activité économique
qu'ils ont engendré, qui allait permettre aux Etats-Unis de sortir durablement du
marasme.

3.3 Les analyses de la crise de 1929


Sur les causes de la crise de 1929, les avis ont longtemps été partagés. Mais aujourd'hui
on s'oriente de plus en plus vers une explication unique. Pendant longtemps, cependant,
deux thèses opposées étaient en présence.

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 La thèse de la surproduction. La crise de 1929 était selon les marxistes le
révélateur des contradictions internes du capitalisme. Les marxistes y voyaient la
preuve de leurs analyses. Ils considéraient donc que le capitalisme conduirait à des
crises sans cesse plus violentes, jusqu'à la destruction complète du capitalisme. Et ils
se frottaient les mains devant les difficultés des Etats-Unis.
 La thèse d'une insuffisance de la demande globale. C'est la thèse de KEYNES.
Selon KEYNES et les keynésiens, il peut arriver que l'économie de marché soit
"coincée" dans une situation de sous-emploi des capacités de production du fait de
l'insuffisance de la demande globale et principalement à cause du pessimisme des
investisseurs privés. Dans ce cas, le système ne peut pas rebondir de lui-même, il
faut une intervention de l'Etat pour le remettre dans la voie du plein-emploi, à la fois
en se substituant aux investisseurs privés par l'investissement public et en injectant
du pouvoir d'achat dans l'économie pour redonner confiance aux investisseurs privés.
 Vers une explication monétaire de la crise. De plus en plus, notamment à la
lumière des crises boursières des années 1980 et 1990, on tend cependant à
privilégier une explication légèrement différente, qui reprend seulement certains
éléments de l'explication keynésienne. Cette nouvelle explication a été avancée au
départ par le monétariste Milton FRIEDMAN, dans son livre Histoire Monétaire des
Etats-Unis. Il propose de distinguer la crise boursière de 1929 de la crise économique
proprement dite. Il soutient que c'est la réaction des autorités monétaires à la crise
boursière qui a constitué le principal élément de transmission de la crise boursière à
l'économie réelle. Si la politique monétaire avait été appropriée, la crise boursière ne
se serait pas transmise pas à l'économie réelle et le monde se serait remis très
rapidement de l'explosion de la bulle spéculative de 1929.

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4 La deuxième Guerre Mondiale


Nous allons nous intéresser ici aux origines de la 2ème GM, aux ruptures qu'elle a
introduite, et enfin à ses conséquences

4.1 Les origines de la 2e GM

Tableau 1 - Chronologie des origines de la 2e guerre mondiale


1931 Agression japonaise contre la Mandchourie.
1933 Le Japon et l'Allemagne quittent la Société des Nations.
1935 Agression italienne contre l'Ethiopie.
Mars 1936 L'Allemagne nazie entreprend la remilitarisation de la Rhénanie.
Juillet 1936 Début de la guerre d'Espagne. Le général Franco qui a pris la direction du putsch déclenché cont
le gouvernement légal, est soutenu par l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste.
Hitler et Mussolini envoient des troupes combattre contre les Républicains espagnols, tandis que
démocraties prônent la non-intervention.
Novembre Axe Rome-Berlin et Pacte anti-komintern germano-japonais.
1936
Juillet 1937 Le Japon attaque la Chine et s'empare de Pékin
Novembre L'Italie adhère au Pacte antikomintern.
1937
Décembre L'Italie quitte la Société des Nations.
1937
Mars 1938 Anschluss : réunion de l'Autriche à l'Allemagne.
29 septembre Conférence de Munich : le Premier ministre britannique, Chamberlain, et le Président du conseil
1938
français, Daladier, cèdent aux exigences de Hitler qui annexe la région des Sudètes et entrepre
Avril 1939 L'Allemagne nazie revendique Dantzig.
L'Italie fasciste envahit et annexe l'Albanie.
Mai 1939 Pacte d'acier unissant l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste.

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
23 août 1939 Pacte germano-soviétique de non-agression.
1e septembre La Wehrmacht envahit la Pologne.
1939 La France décrète la mobilisation générale.
3 septembre Le Royaume-Uni suivi par la France déclarent la guerre à l'Allemagne.
1939

4.2 La 2e GM, un conflit de type nouveau


La 2e guerre mondiale est une guerre mondiale et totale qui dépasse en horreur la
guerre de 14-18 et qui revêt un certain nombre de caractéristiques nouvelles par rapport
au 1er conflit mondial.

1. Une guerre idéologique

C'est une guerre qui oppose 2 camps antagonistes :

 d'un côté les puissances de l'Axe, dictatures fascistes qui exaltent le chef, l'Etat tout
puissant, la discrimination raciale, la force, le droit de conquérir le monde, et qui
prétendent instaurer partout de gré ou de force un « ordre nouveau » ;
 et de l'autre les Etats de la Grande Alliance et les mouvements de résistance qui
déclarent défendre les valeurs de liberté, de démocratie et les droits de l'homme.

2. Une guerre de mouvement

C'est une guerre qui s'appuie sur des stratégies résolument offensives : « guerre éclair »
; batailles de chars (Koursk) et batailles aéronavales (Pearl Harbor, Midway) de grande
ampleur ; débarquements massifs (opérations Torch et Overlord).

3. Une guerre technique

Une guerre motorisée qui met massivement en œuvre des moyens de destructions de
plus en plus puissants (chars, bombardiers, porte-avions).

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
Une guerre qui accélère les innovations technologiques : électronique-informatique
(radar, équipement radio, ordinateur) ; nylon (parachute) ; moteur à réaction ; fusée.

Une guerre qui s'appuie sur la production de masse et standardisée d'armes de plus en
plus destructrices et de moyens de transports dont la vitesse, le rayon d'action et la
capacité ne cessent de croître : V1 et V2 allemands ; B29 américains ; bateaux de
transport Liberty ship.

Une guerre qui mobilise toutes les ressources :

 ressources économiques : matières premières, sources d'énergie, carburants ou


produits de remplacement (ersatz) ;
 ressources humaines (soldats, ingénieurs, travailleurs, hommes et femmes,
soldats des colonies, travail forcé).

Pour gagner la guerre, il faut avoir la capacité de construire plus d'avions, de navires, de
chars, de canons que l'adversaire ne peut en détruire.

Les nazis se comportent partout en propriétaires qui confisquent et prélèvent tout ce


dont ils ont besoin, se livrant à un véritable pillage (aryanisation des biens juifs) et
réquisitionnant la main-d'œuvre dans le cadre du Service du Travail Obligatoire, qui
mobilise plus de 7 millions de déportés du travail dans les usines allemandes à la fin de
la guerre. Les pays occupés sont relégués dans le rôle de fournisseurs de l'Allemagne en
matières premières et en produits agricoles, tandis que leur population est soumise à un
rationnement sévère aggravé par le « marché noir ».

Toutefois, grâce à la puissance de l'économie des Etats-Unis dont le président Roosevelt


avait décidé de faire « l'arsenal des démocraties » dans le cadre du « Victory Program »,
les Alliés ont réussi à battre les puissances de l'Axe.

4. Une guerre d'anéantissement

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C'est une guerre qui frappe autant ou plus les civils que les militaires : mitraillage des
routes de l'exode ; bombardements massifs des villes (Londres, Dresde) ; représailles et
massacres d'otages (Oradour-sur-Glane) ; extermination des juifs, des slaves, des
tziganes dans les ghettos et les camps ; bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

C'est une guerre sans merci qui ne peut s'achever que par la défaite totale de l'un des
deux camps.

4.3 Le bilan de la 2e GM

4.3.1. Les pertes humaines et les destructions

4.3.1.1 Pertes humaines et impact démographique

Les pertes humaines liées à la 2e GM sont sans précédent : 40 à 50 millions de morts, à


peu près autant de civils que de militaires, dont plus de 5 millions de Juifs.

Dans les pays les plus touchés, la surmortalité a frappé davantage les jeunes et le sexe
masculin, entraînant une féminisation et un vieillissement de la population (aggravé par
le déficit des naissances), ainsi qu'une diminution de la population active. Les séquelles
démographiques sont cependant moins durables qu'après la 1ère guerre mondiale. On
enregistre avant même la fin du conflit une reprise de la natalité, amplifiée après la
guerre par un baby-boom de grande ampleur et de longue durée.

Mais le conflit a entraîné des déplacements massifs de populations (30 millions).

4.3.1.2 Destructions matérielles

Les dévastations matérielles considérables, et seuls les États-Unis sont épargnés. Les
pays les plus touchés sont l'URSS, la Pologne, la Yougoslavie, l'Allemagne et le Japon.
Les destructions entraînent une paralysie des transports et de l'appareil productif, et un

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
effondrement de la production. Il faut reconstruire l'économie, ravitailler et loger les
populations.

4.3.2 Un monde nouveau

4.3.2.1 La primauté américaine confirmée et renforcée

La suprématie acquise par les États-Unis à la faveur de la 1ère guerre mondiale se


trouve nettement renforcée. C'est le seul pays qui sort de la guerre avec une puissance
économique plus grande qu'avant le conflit. La production a doublé ; le plein emploi a
été rétabli ; la balance commerciale est largement excédentaire ; la suprématie du
dollar, devenu monnaie de réserve, est consacrée par les accords de Bretton Woods de
1944.

Grâce à la guerre, les Etats-Unis ont retrouvé le chemin de la croissance et de la


prospérité. Détenteurs du monopole de l'arme nucléaire, mais confrontés à la nouvelle
puissance soviétique, ils renoncent à retourner à leur isolationnisme traditionnel

4.3.2.2 L'affirmation de la puissance soviétique

La guerre a révélé la puissance militaire de l'URSS et lui a permis de réaliser une double
expansion :

 expansion territoriale en Europe (Carélie finlandaise, États baltes, territoires polonais


peuplés de Biélorusses et d'Ukrainiens, Kœnisberg en Prusse orientale, Ruthénie
hongroise, Bessarabie roumaine) et en Extrême-Orient (îles Kouriles et sud de l'île de
Sakhaline) ;
 expansion de sa zone d'influence en Europe de l'Est.

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La victoire contre le fascisme a permis d'exorciser les crimes staliniens et le pacte
germano-soviétique de 1939. Elle a aussi renforcé le rôle des Soviétiques au sein du
mouvement communiste international.

Mais la situation de l'URSS est catastrophique sur le plan démographique et


économique. La guerre a aggravé les goulets d'étranglement, la reconstruction va être
difficile et s'accompagner d'une restalinisation de l'économie et de la société.

4.3.2.3 Le déclin et la dépendance de l'Europe

L'Europe sort de la guerre divisée entre vainqueurs et vaincus et très affaiblie. La


reconstruction économique s'engage dans des conditions extrêmement difficiles. On
s'achemine à l'Est vers la soumission à l'hégémonie soviétique, et à l'Ouest vers
l'acceptation du leadership américain et la dépendance vis à vis des États-Unis. L'Europe
va bientôt devenir le lieu d'affrontement entre les deux seuls vrais vainqueurs, les États-
Unis et l'URSS.

4.3.2.4 L'ébranlement de la puissance coloniale

La guerre a mis en évidence les faiblesses et les divisions des puissances coloniales et
réveillé les nationalismes indigènes. Elle a entraîné l'effondrement des empires coloniaux
des pays vaincus et conduit les vainqueurs, tantôt à faire des concessions, tantôt à
réprimer. La décolonisation est en marche, mais il apparaît déjà qu'elle va se faire au
prix de guerres meurtrières :

 En Afrique, malgré les espoirs suscités par le discours de Constantine du général De


Gaulle et les réformes annoncées à la conférence de Brazzaville en 1944, la fin de la
guerre est marquée par les émeutes sanglantes de Sétif de mai 1945.
 Au Moyen-Orient, où l'indépendance du Liban est intervenue dès 1943, le Royaume-
Uni, confronté au problème de la cohabitation entre Juifs et Arabes, se prépare à
abandonner son mandat sur la Palestine.

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 En Asie, l'indépendance est proclamée en Indonésie par Soekarno, au Vietnam par Hô
Chi Minh.
 En Inde on s'achemine vers l'indépendance et la partition.

4.4 L'économie mondiale en 1945


4.4.1 Les conséquences de la guerre

 Un nouveau morcellement économique du monde. La 2ème guerre mondiale a


rapproché les blocs ouverts constitués autour des Etats-Unis (dollar), du Royaume-
Uni (livre sterling), de la France (franc), et entraîné la suppression des blocs
autarciques constitués par les dictatures fascistes. Cependant, la victoire de l'URSS et
son expansion en Europe centrale ramènent au premier plan l'antagonisme entre le
capitalisme et le communisme stalinien.
 La persistance des inégalités. À l'issue de la guerre, une certaine redistribution
des richesses s'opère entre les pays industrialisés au profit surtout des États-Unis.
Mais le Japon et les Etats européens, vaincus et vainqueurs confondus, se trouvent
dans une situation difficile. Dans le reste du monde, la guerre n'a pas modifié
sensiblement les inégalités pesant sur les pays pauvres.
 Le renforcement de l'interventionnisme étatique. En 1945, les impératifs de la
reconstruction et du retour à une économie de paix, dans un contexte difficile
d'endettement, de pénurie persistante et d'inflation, rendent nécessaires les
interventions des Etats dans l'économie

4.4.2 Les premières tentatives de réorganisation.

 La mise en place d'un nouveau Système monétaire international (SMI). Les


accords de Bretton Woods de 1944 prévoyaient de rétablir la stabilité monétaire. En
1945, le nouveau SMI repose sur trois principes :

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o le retour à l'étalon de change-or (Gold exchange standard) c'est-à-dire le
rétablissement de la convertibilité des monnaies entre elles et avec le dollar ; la
devise américaine devient une monnaie de réserve, la seule convertible en or, et
la monnaie de référence internationale.
o la fixité des parités qui implique que chaque État s'engage à maintenir la parité de
sa monnaie par rapport à l'or et au dollar, à l'intérieur d'une marge de fluctuation
maximale de 1%.
o l'entraide mutuelle qui s'établit par l'intermédiaire du Fonds monétaire
international (FMI) alimenté par les États membres, la quote-part des Etats-Unis
représentant 31%.
 L'aide à la reconstruction. Créée en 1945, la Banque internationale pour la
reconstruction et le développement (BIRD) a pour mission d'aider les États membres
à réaliser, au lendemain de la guerre, des investissements productifs destinés à
relancer leur économie.
 Vers la libération des échanges. Afin de permettre le retour à la libération des
échanges et de relancer le commerce mondial déprimé depuis la crise des années
1930, il faut au préalable combattre le protectionnisme douanier à outrance et les
pratiques de dumping qui s'étaient instaurées avant la guerre, dans le contexte de
crise.

4.4.3 L'entrée dans l'ère atomique

La 2ème guerre mondiale a permis d'accélérer les découvertes scientifiques et


techniques. Elle a donné naissance à des complexes militaro-industriels engagés dans la
course aux armements atomiques, laquelle va devenir, avec la conquête de l'espace, le
principal enjeu de la compétition entre les États-Unis et l'URSS. Cependant, beaucoup
d'innovations nées pendant la guerre ont trouvé, après 1945, des applications pacifiques
dans les secteurs de l'électronucléaire, de l'électronique-informatique, de l'aéronautique
et de l'espace, ouvrant ainsi la voie à une 3erévolution industrielle.

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5 L’Afrique et les deux guerres mondiales


Nous nous intéresserons ici d’abord à la participation de l’Afrique dans les deux guerres
(tant du point de vue militaire que sur le plan économique), et ensuite à l’impact de
cette participation sur l’évolution historique du continent.

5.1 La participation de l’Afrique à l’effort de guerre

5.1.1 Sur le plan militaire

Pendant les deux guerres mondiales, les pays colonisateurs n’hésitent pas à puiser dans
leur vivier colonial. Des unités prélevées souvent de force dans toutes les colonies ont
donc participé activement à l’effort de guerre.

Ainsi, pendant la 1e GM, l'armée française a recruté près de 158 000 hommes en Afrique
du Nord et 134 000 en Afrique noire... Tous les pays africains sont impliqués. Des
affrontements ont également eu lieu sur le sol africain. Si l'Afrique dispose de peu de
soldats de formation au début des hostilités, commence alors une “véritable chasse à
l’homme”, aussi qualifiée de nouvelle traite des Noirs. Nombreux sont les hommes,
femmes et enfants, recrutés, souvent de force, pour servir de porteurs et suppléer aux
moyens dont dispose traditionnellement l’intendance pour ravitailler les armées, comme
la route, le rail ou les animaux de charge. Plus de 150.000 soldats et porteurs perdent la
vie au cours du premier conflit. Le nombre des blessés et mutilés est encore plus élevé.
Le rapatriement des soldats est accompagné en 1918-1919 par une épidémie de grippe
qui touche tout le continent.

Durant la 2e GM, les sujets français des colonies étaient de nouveau soumis au
recrutement et à la conscription. Déjà, à partir de 1930, 15.000 hommes furent recrutés

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chaque année et incorporés dans les régiments de « tirailleurs sénégalais », appellation
qui désignait tous les soldats noirs des possessions françaises, sans distinction d’origine.
En 1939-1940, un contingent de 80.000 hommes fut envoyé en France et 100.000
autres soldats africains franchirent la mer, entre 1943 et 1945, pour aller combattre en
Italie et au-delà.

Jusqu’en juin 1940, l’Afrique du Nord fournit à elle seule 216.000 hommes dont 123.000
Algériens. De 1943 à 1945, 385.000 hommes originaires d’Afrique du Nord, dont
290.000 Algériens, Tunisiens et Marocains, participent à la libération de la France.
L’armée d’Afrique intervient dans la libération de la Corse (septembre-octobre 1943), la
campagne d’Italie (entrée à Rome le 15 juin 1944), la campagne de Provence (août
1944) avant de remonter vers le nord pour rejoindre l’ensemble de l’armée française.

5.1.2 Sur le plan économique

Pour l’Afrique noire, l’effort de guerre ne consistait pas seulement à fournir des soldats
mais aussi des matières premières et des denrées alimentaires qui étaient prélevées sur
la production de la population locale dans des conditions parfois dramatiques.

Par ailleurs, les guerres ont provoqué de nombreuses difficultés économiques et


sociales.

Coupées de la métropole, les colonies ne recevaient presque plus de produits


manufacturés, si ce n’est au marché noir. Dans les régions agricoles, les paysans étaient
astreints à fournir des céréales. Dans les régions humides, le long de la côte, quelques
cultures d’exportation, comme la banane, s’effondrèrent tandis que d’autres, café ou
coton, progressaient. Le pouvoir d’achat des Africains, toutefois, était laminé par des
prix extrêmement bas à l’exportation et des prix élevés à l’importation. Dans les régions
forestières, l’obligation de fournir du caoutchouc désolait les campagnes. En effet, en
l’absence de culture d’hévéas, la population était obligée d’aller chercher loin en brousse

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des lianes à caoutchouc et beaucoup de villageois périrent, victimes des serpents ou de
maladies. Pendant ce temps, en ville, des cartes de rationnement étaient délivrées aux
Européens et aux Noirs assimilés, « vivant à l’européenne ». Des biens de
consommation arrivaient de temps à autre en provenance des colonies britanniques
voisines. La discrimination touchait également les producteurs : le cacao était payé 2,60
francs le kilo aux Africains, 4,50 francs aux Européens. De plus, les Blancs étaient
dispensés du travail forcé, tandis que des villages entiers de Noirs pouvaient être
réquisitionnés pour travailler à la réfection de routes ou sur des plantations appartenant
à des Blancs. À titre d’exemple, voici les obligations qui pesaient sur un cercle
administratif de Guinée : « Le cercle fournit actuellement : 490 manœuvres pour le
chemin de fer Conakry-Niger ; 80 manœuvres pour la plantation Baro (cercle de
Kankan) ; 80 manœuvres pour la plantation Delsol ; 15 manœuvres pour des
bananeraies africaines ; 40 manœuvres pour les bananeraies de Linkeny ; 200
manœuvres pour les travaux publics de Kankan ; 100 manœuvres pour le poste de
carbonisation de Conakry ; 100 manœuvres pour les travaux de réfection des routes.
Total : 1 105. C’est une lourde charge pour le cercle ; beaucoup de désertions car
l’indigène du cercle répugne à travailler pour les autres même payé et nourri (sic), d’où
réclamations fréquentes du CFCN [Chemin de fer Conakry-Niger] et des planteurs. Tout
déserteur repris est déféré devant le tribunal du premier degré (article 28 du Code pénal
indigène) ». L’exploitation économique s’accompagna, en Afrique-Occidentale, d’un
durcissement de la politique coloniale. Le régime de Vichy, d’orientation fasciste,
supprima toutes les institutions à caractère « représentatif », le Conseil colonial, les
conseils municipaux, les partis politiques, les syndicats, et la représentation à
l’Assemblée nationale française disparut avec cette dernière. Le Code pénal fut révisé
dans un sens répressif. Le régime fasciste introduisit également des mesures racistes
jusqu’alors inconnues : rationnements différents selon que l’on était Africain ou
Européen, wagons différents pour voyageurs blancs ou noirs et, même, prix différents
en fonction de l’appartenance

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
En 1942, les Joola de basse Casamance se révoltèrent contre de telles exactions,
conduits par la prêtresse Aline Sitoé qui protestait contre le fait que les agents du
commandant exigeaient des paysans davantage de riz qu’ils n’en produisaient
réellement. Des troupes intervinrent et plusieurs dizaines de personnes furent tués.
Aline Sitoé fut exilée à Tombouctou avec ses principaux lieutenants (elle allait d’ailleurs
y mourir). Là comme ailleurs, la production baissa. La main d’œuvre était rare du fait du
recrutement et de la conscription mais aussi parce que la population fuyait les agents de
la colonisation française et cherchait refuge dans les colonies britanniques et portugaises
voisines. Au Sénégal, l’exportation de l’arachide, qui avait atteint 580.000 tonnes à la
veille de la guerre, tomba à 174.500 tonnes en 1941. Il fallut procéder à un recrutement
massif de navetanes, ou travailleurs saisonniers, dans les pays voisins comme la Guinée
française et le Soudan français pour voir la production remonter à 429.000 tonnes en
1945.

Par ailleurs, la désorganisation des transports se répercute sur le commerce extérieur


qui chute, la flambée des prix accroît la cherté de la vie et le développement du marché
noir. La demande induite par les guerres est à l’origine d’une relative croissance
industrielle qui sera remise en cause avec le rétablissement, en 1945, des courants
commerciaux avec l’Europe.

La guerre eut néanmoins quelques contrecoup heureux : au Sénégal par exemple, une
fabrique d’huile végétale y fut créée, prélude à une bien timide industrialisation par
l’entreprise française Lesieur qui fut autorisée à construire une huilerie à Dakar ; sa
production atteignit 40 000 tonnes en 1941. Le gouvernement reçut des demandes
d’autres industriels sollicitant l’autorisation d’ouvrir des usines et, malgré le
conservatisme et les tracasseries administratives, le mouvement était amorcé vers une
nouvelle autosuffisance économique. Ainsi, « malgré l’opposition des industriels
métropolitains, l’huilerie se développa au Sénégal à la suite de la pénurie de matières
grasses inhérente à l’état de guerre et du manque de transport ».

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Le rétablissement de la paix a toutefois remis en question l’industrialisation par
substitution et a provoqué un arrêt de la croissance industrielle. La situation économique
et sociale est aggravée par la démobilisation, l’arrêt des industries de guerre et une
conjoncture agricole défavorable. La conjoncture économique subit de profondes
modifications à la fin des hostilités. Tous les pays connaissent une très forte hausse des
prix alors que les armées française et britannique débauchent les ouvriers qu’elles
employaient pendant la guerre. Le chômage et le sous-emploi sévissent. Dans les
années qui suivent immédiatement la fin de la guerre, la pénurie se maintient et les
premiers « plans » mis en œuvre dans les colonies visent à accroître le rôle de celles-ci
comme fournisseurs de matières premières. Plus tard, ces objectifs allaient être quelque
peu modifiés tout en restant cependant centrés sur le développement des productions
primaires et sur des investissements essentiellement orientés vers des équipements
indispensables tels que les ports, aéroports, routes et centrales électriques.

5.2 L’impact sur l’évolution des colonies


Les deux guerres mondiales ont eu des effets importants sur le continent africain. Elles
ont en particulier ouvert de nouveaux horizons à de nombreux Africains, en particulier
aux membres de l’élite cultivée. Dans nombre de régions d’Afrique, les deux guerres ont
favorisé sinon toujours l’éveil d’un mouvement nationaliste, du moins le développement
d’une attitude plus critique de l’élite cultivée à l’égard du pouvoir colonial, et donc le
développement d'une élite qui sera plus tard appelée à gouverner.

Les deux guerres mondiales ont influé directement sur la situation politique de l’Afrique
occidentale selon plusieurs modalités. Tout d’abord, la mobilisation forcée de tant
d’Africains pour la guerre suscita une vive colère chez tous les Africains de toutes les
classes et en particulier chez les épouses, les mères et les grands-mères qui ne
supportaient pas de se voir arracher maris, fils et petits-fils. Beaucoup d’Africains qui
étaient restés devaient d’ailleurs souffrir presque autant que ceux qui avaient été

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
envoyés à la guerre, mais bien sûr d’une manière différente. En second lieu, les Africains
qui accomplissaient un service actif en Birmanie ou en Inde entrèrent en contact avec
les mouvements indépendantistes de ces régions. L’expérience qu’ils en tirèrent n’élargit
pas seulement leur horizon politique, elle les familiarisa aussi avec les stratégies et
tactiques anticoloniales suivies à l’époque, et ils n’allaient pas hésiter à mettre en œuvre
certaines d’entre elles à leur retour chez eux. En troisième lieu, lorsque ces soldats
regagnèrent leur pays après la guerre, ils espéraient recevoir de généreuses
récompenses sous la forme d’indemnités, de primes de démobilisation, d’emplois, etc. ;
or celles-ci n’arrivèrent jamais. Leur déception les conduisit à grossir les rangs des
nationalistes et certains d’entre eux devinrent même des dirigeants actifs de
mouvements de masse. Dans ces conditions, la guerre renforça considérablement les
sentiments anticoloniaux et nationalistes en Afrique occidentale.

Plus globalement, la résistance de l’Afrique se manifesta sous divers aspects,


notamment politique, militaire, économique et culturel.

 Politiquement, la décennie 1935-1945 fut marquée par la montée du nationalisme


moderne, l’apparition de nouveaux niveaux de conscience politique, les balbutiements
d’organisations politiques modernes et la naissance de journaux nationalistes comme
le Courrier du golfe du Bénin.
 Militairement, les Africains participèrent en soldats à la lutte contre les dictatures
fascistes d’Europe — encore que, sujets coloniaux, ils étaient souvent exploités par
l’une et l’autre partie du conflit européen. Il est parfois arrivé à des Africains de
s’armer en même temps contre leurs propres maîtres coloniaux.
 Culturellement, la résistance africaine prit parfois une tournure religieuse, comme ce
fut par exemple le cas avec les mourides au Sénégal ou les disciples de Shaykh
Ḥamahūllāh au Sahel. Ces deux mouvements étaient apparus auparavant, mais ils
prirent de l’ampleur pendant la décennie 1935-1945. Toutefois, l’Islam ne fut pas la
seule religion à apporter une réponse africaine à l’ère du fascisme. Le christianisme

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
et les religions traditionnelles africaines prirent aussi une coloration politique à
certaines époques. Il convient de noter, en particulier, la nature « androgyne » des
croyances traditionnelles. Des prêtresses, comme des prêtres, se manifestèrent face
aux pressions du changement social. Sous l’effet des difficultés économiques de cette
décennie du fascisme, les Joola de basse Casamance se soulevèrent pendant une
brève période contre l’ordre colonial, sous la direction de la prêtresse Aline Sitoé. Une
fois de plus, la culture africaine était mise en demeure de répondre au défi de
l’injustice coloniale.
 Quant à la résistance économique de l’Afrique, elle se traduisit par la naissance de
syndicats et de mouvements coopératifs modernes, et par la revendication par
l’Afrique d’une part plus équitable de la production de ses propres économies
naissantes.

Par ailleurs, l’aspiration à vivre mieux et autrement se manifeste dans les années 1945-
1948 de façon parfois explosive en raison du régime économique et politique imposé
pendant la guerre. Les excès de « l’effort de guerre » (travail forcé, prélèvement de
produits, etc.), la pénurie et les hausses vertigineuses de prix entraînant le marché noir
combinées avec le blocage des salaires, les méthodes autoritaires de la chefferie et des
autorités coloniales, tout cela devient insupportable avec le retour de la paix. Dans ce
contexte, l’aspiration des élites à voir reconnaître leurs droits et leur vocation à jouer un
rôle économique et politique va s’appuyer sur un profond mouvement populaire dans
lequel les revendications économiques sont étroitement associées aux revendications
anticoloniales telles que l’abolition du travail forcé et de la discrimination raciale, et
l’octroi des droits politiques. Cette unanimité recouvre des divergences qui apparaissent
dès la fin des années 40 et surtout après les indépendances. Pour certaines couches
bourgeoises, l’objectif se limite à prendre la place occupée par les Européens ; pour les
masses, l’aspiration à la libération nationale est indissociable d’une aspiration à la
libération sociale. Certains leaders issus de l’élite (la minorité ayant reçu une formation

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HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE | chapitre 2 - de la première mondialisation aux premières crises
scolaire de type européen) se font les porte-parole de ces aspirations populaires ;
poursuivre ce chemin jusqu’au bout suppose que ces gens, pour reprendre une formule
célèbre d’Amilcar Cabral, acceptent de « se suicider en tant que classe », et cet
itinéraire n’a pas été le plus fréquent.

5.3 Conclusion
La seconde guerre mondiale fut donc un événement décisif, le catalyseur d’une
transformation radicale. L’Afrique qui émergea du conflit était bien différente du mirage
de tranquillité qu’y avaient vu les colonisateurs. De ce point de vue, la période 1914-
1945 correspond non pas à l’apogée du colonialisme mais au commencement de sa
décadence. La seconde guerre mondiale rompit en particulier le silence entourant la
politique coloniale dans les années 30 et jeta l’Afrique dans une nouvelle tourmente. Elle
accéléra l’évolution d’attitudes qui avaient déjà commencé à changer, et en particulier,
de nouvelles politiques se dessinaient. Dans l’ensemble, la période 1914-1945 a vu se
cristalliser de nouvelles formes de résistance africaine, notamment des mouvements
politiques, une ébullition religieuse et culturelle, une activité syndicale nouvelle, un essor
des mouvements de grève et l’apparition du journalisme politique africain. La seconde
guerre mondiale a joué un rôle particulièrement important de catalyseur. Cette
guerre n’apprit pas à l’Europe à être moins impérialiste, mais elle apprit à l’Afrique à
être plus nationaliste et y stimule la prise de conscience politique. Les masses
paysannes, épuisées par l’effort de guerre, écoutèrent avec une attention particulière les
dirigeants qui bientôt apparurent, lorsque le moment vint d’élire des députés noirs à
l’Assemblée nationale française. Le système colonial devint d’autant plus intolérable
qu’on avait combattu à côté du colonisateur pour la liberté. L’effervescence gagna
l’Afrique tropicale tout entière ; les soubresauts, grèves, manifestations et révoltes
révélèrent le caractère de la période d’après-guerre, qui se distingua nettement de
l’immobilisme de la période précédente.

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