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INRA Prod. Anim.

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2015, 28 (2), 119-124 Quelles exigences de qualités pour les
poissons d'élevage et issus de la pêche ?
F. LEFÈVRE, J. BUGEON
INRA, UR1037 Physiologie et Génomique des Poissons, F-35000 Rennes
Courriel : florence.lefevre@rennes.inra.fr

La chair de poisson est, au même titre duits d’aquaculture (dont les coquillages niveau d’exigence pour chaque critère
que la viande des animaux terrestres, un et crustacés) dans l'ensemble de la con- peut être différent selon l'espèce ou le
produit carné. Ce produit présente néan- sommation des produits aquatiques n'a type de produit.
moins quelques particularités. Il recou- cessé d'augmenter depuis le début des
vre, sous le nom générique de « poisson », années 1990 jusqu'à représenter 42% en 2.1 / Qualités sanitaires
une très grande variété de genres et 2012 (FAO 2014). En France, le volume
d'espèces dont les caractéristiques exploi- total de poissons commercialisé issu de La première qualité exigée de tout
tées (taille, morphologie, aspect) condui- la pêche est de l'ordre de 350 000 tonnes aliment est d'être sain et exempt de tout
sent à des produits variés. Ainsi pour les en 2011, tandis que la pisciculture fournit élément potentiellement pathogène pour
espèces de la famille des salmonidés de l'ordre de 50 000 t de poisson (en 2010) l’Homme. Les poissons peuvent contenir
(truites, saumon), la commercialisation, pour un chiffre d'affaire d'un peu plus des éléments pathogènes de différentes
de la même manière que pour les ani- de 200 millions d'euros (FranceAgrimer natures comme des parasites (nématodes
maux terrestres, peut être faite sous dif- 2013). La pisciculture française se répar- Anisakis spp par exemple) des bactéries
férentes formes, fraiche (entier, darne, tit en trois grands secteurs : la salmoni- (Listeria monocytogenes, Salmonella
filet…), transformée (fumé, séché, mariné, culture (truites, saumon) (35 800 t), la spp., Shigella spp., Escherichia coli…),
produits traiteur…) ou en conserves et pisciculture marine (bar, dorade, turbot, des virus, des biotoxines (intoxication à
plats cuisinés. D’autres espèces présen- maigre) (5 700 t) et la pisciculture d'étang l’histamine par exemple) et des produits
tent en revanche des formes de valorisa- (carpe, gardon…) (8 000 t) dont une chimiques (Polluants Organiques
tion plus limitée, comme le Panga vendu partie de la production est destinée au Persistants et métaux lourds par exem-
sous forme de filet. repeuplement (FranceAgrimer 2013). ple).
Sous le même terme de « poisson », La consommation moyenne de produits Par leur milieu de vie aquatique, les
on peut parler d'un animal sauvage, issu aquatiques des français est de l'ordre de poissons peuvent être contaminés par
de la pêche, ou d'un animal issu d'une 35 kg/hab/an, ce qui contribue à plus de des polluants présents dans l'eau et qui
filière de production dont on peut assu- 8% de l'apport protéique total et un peu peuvent pénétrer dans le poisson par
rer la traçabilité sur une partie voire plus de 13% de l'apport en protéines ani- les branchies. La voie de contamination
l'ensemble de son cycle de production males (FranceAgrimer 2014). Les pois- privilégiée reste l’alimentation par
(origine génétique, alimentation, condi- sons représentent une consommation de laquelle on observe un phénomène d'ac-
tions de production, fraicheur). En l'ordre de 24 kg/an/hab (FranceAgrimer cumulation des composés toxiques tout
conséquence, les qualités recherchées 2014). La consommation de poisson est au long de la chaîne alimentaire que ce
sont très variables d'une espèce à l'autre donc importante dans le monde et en soit pour les poissons sauvages ou pour
ou d'un groupe de produits à l'autre. France pour l’apport en protéines. Néan- les poissons d’élevage dans le cas d’uti-
moins, après une forte augmentation entre lisation pour la fabrication des aliments
1 / Production et consomma- les années 1960 et 1990, elle s'est stabi- de matières premières contaminées. Les
lisée depuis le début des années 2000, avec risques sanitaires sont en partie liés à
tion de poissons même une tendance récente à la baisse l'état de fraicheur du poisson et à un
(FranceAgrimer 2014). A cette consom- strict respect de la chaîne du froid. La
L'originalité des poissons est de pro- mation correspond une production mon- fraicheur est un critère plus facilement
venir de deux filières distinctes, des diale dans laquelle l’aquaculture prend une maitrisable pour les poissons d'aquacul-
captures, issues de la pêche, et des pro- place de plus en plus importante (se rap- ture puisque, contrairement à ceux issus
duits issus de la pisciculture. A l'échelle prochant de 50%). Ce n'est pas le cas au de la pêche, l'approvisionnement est
mondiale, le volume des poissons pêchés niveau national où la part de production adaptable à la demande du marché.
est de l'ordre de 80 millions de tonnes piscicole est faible et stagne. En consé-
en 2011 (dont 87% de captures marines), quence, la France n'est pas autosuffisante 2.2 / Qualités technologiques
tandis que celui des poissons issus de la pour sa production de produits aquatiques
pisciculture est d'environ 44 millions de et importe de l'ordre de 1,9 millions de Comme pour d’autres produits ani-
tonnes en 2012 (FAO 2011, FAO 2014, tonnes (équivalent poids vif, tous pro- maux, le marché exige une certaine cali-
tableau 1). La production mondiale de duits aquatiques) pour une valeur de 4,6 bration pour la commercialisation. On
poissons d’aquaculture a connu une très millions d'euros (FranceAgrimer 2014). peut par exemple observer chez la truite
forte croissance ces 40 dernières années arc-en-ciel trois tailles de commerciali-
(moyenne de 8,8% annuelle) et en 2011 2 / Principales qualités recher- sation : la truite portion (≈250 g, < 1 an),
elle a rejoint et désormais dépasse la pro- la truite à filet (≈500 g) et la grande truite
duction de viande bovine (« Earth Policy chées (≈1-3 kg, ≈ 2 ans) destinée au fumage.
Institute », http://www.newscientist.com/ En sortie de pisciculture, étant donnée
article/dn23719-farmed-fish-overtakes- la variabilité de la croissance, un tri
farmed-beef-for-first-time.html#.VVso- Les qualités recherchées concernent est nécessaire pour satisfaire ces exi-
PntlBc. Par conséquent la part des pro- tous les critères de qualité, toutefois le gences.

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120 / F. LEFÈVRE, J. BUGEON

Tableau 1. Quelques chiffres de production et de consommation des poissons issus de la production piscicole ou de la filière
pêche.

Production
Total Captures Captures Total Aquaculture Aquaculture
Total
Captures continentales marines Aquaculture continentale marine
Monde
(1) 158* 11,6* 79,7* 66,6* 41,9* 24,7*
(dont 136,2 (82,4 en 2011
(million de t)
consommation
91,3* (11,1 en 2011 dont
dont 69,9
(dont 44,2 (dont 38,6 (dont 5,6
(Chiffres 2012) 10,1 poissons) poissons) poissons) poissons)
humaine) poissons)
Europe (1)
(million de t) 15,8* 12,9* 2,9* 0,5* 2,4*
(Chiffres 2012)
(2)
France
(en t) 419 236* 225 900*
(Chiffres 2011)
667 000* 43 800
France
(3) (dont 417 000 464 000* (dont 35 800 5 700
(en t) poissons, (dont 202 700*,
salmonidés et (bar, daurade,
210 000 310 000 frais, (dont 49 500
(Chiffres 8 000 autres autres poissons
coquillages, 154 000 poissons)
2010/2011) poissons eau marins)
19 000 congelés)
douce)
crustacés)
(2)
Consommation *
Monde Afrique Amérique Asie Océanie Europe France
35,2*
(dont  24
Consommation
(kg/an/hab)
18,9* 9,7* 14,2* 21,6* 25,4* 22,0* poissons ; 81%
pêche, 19%
(3)
pisciculture)
Contribution
à l'apport
en protéines 6,5* 18,2* 6,9* 23,2* 11,1* 11,5* 13,3*
animales (%)
Contribution à
l'apport protéique 16,7* 4,2* 3,9* 7,7* 6,9* 6,5* 8,4*
total (%)

* Poissons + autres produits aquatiques (coquillages et crustacés).


(1) (2) (3)
FAO (2014) ; FAO (2013) ; FranceAgriMer (2013).

A ces différents types de produits vont de plus une variabilité importante des 2.3 / Qualités nutritionnelles
correspondre également des exigences rendements de découpe qui peuvent aller
en termes de rendements de découpe et par exemple chez la truite arc-en-ciel de La composition de quelques espèces
de transformation (figure 1). Ce sera le 75 à 86% pour le rendement en carcasse de poissons, issus de la pêche ou d'éle-
rendement en carcasse pour les poissons et de 37 à 44% pour le rendement en vage, et comparée à la viande, est pré-
vendus entiers éviscérés, l'aptitude à la filet paré (parage extra) et pelé (Bugeon sentée dans le tableau 2. La chair de
découpe (manuelle ou automatisée) et et al 2010). L’évaluation directe et indi- poisson est un produit carné qui possède
les rendements en filets pour les poissons recte, via l’analyse de la morphologie, les mêmes qualités nutritionnelles que
vendus sous forme de darne ou de filets, permettent d’envisager l’amélioration de la viande en tant qu'apport de protéines
ou enfin l'aptitude aux procédés de trans- ces caractères par sélection génétique de qualité, couvrant les besoins en acides
formations (salage, séchage, fumage, (Haffray et al 2013). Au-delà de cette aminés essentiels de l'Homme. La gran-
cuisson…) pour les poissons transformés. variabilité de conformation, des malfor- de particularité de la chair de poisson
mations de type fusions vertébrales peu- concerne ses lipides avec une grande
A toutes ces étapes les performances vent affecter l'aspect global des poissons richesse en acides gras polyinsaturés à
des animaux vont être déterminées par et les rendements de découpe et sont de longues chaînes de la série n-3 (ω3)
leurs caractéristiques initiales en termes de nature à déprécier le produit (Taylor et (acide eicosapentaénoique : EPA et
morphologie et d’adiposité. On observe al 2011). acide docohexaénoïque : DHA) parti-
culièrement bénéfiques pour la santé
Figure 1. Illustration de la relation entre morphologie des poissons et rendements
humaine. La présence plus ou moins
en filets chez la truite arc-en-ciel. Variabilité de la morphologie sur l'axe discriminant
importante de ces acides gras est condi-
entre un lot de truite à bas rendement (42%, en bleu) et haut rendement (50% en
tionnée par i) la teneur en lipides mus-
rouge).
culaires et ii) la nature des acides gras
présents dans l'alimentation du poisson.

La variété des espèces de poissons


consommées englobe des poissons dits
« maigres » (lieu, merlan, morue…), dont
le muscle ne renferme que quelques %
de lipides (essentiellement neutres), et
des poissons dits « gras » dont la teneur
en lipides musculaires peut largement
dépasser les 10% (hareng, maquereau,
saumon d'élevage…). Tous les intermé-

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Quelles exigences de qualités pour les poissons d'élevage et issus de la pêche ? / 121

Tableau 2. Composition (valeur moyenne et min-max entre parenthèses) pour 100 g de filet frais de quelques espèces de
poissons issus de la production piscicole ou de la filière pêche. Comparaison avec la viande de quelques espèces terrestres et
illustration de l'évolution de cette composition dans des produits transformés.

EPA +
Nom Protéines Glucides Lipides
Nom commun Origine Eau (g) DHA 3/6 Réf
scientifique (g) (g) totaux (g)
(mg)
Poissons
79,3 18,2 0,4 0,9
Lieu noir Pollachius virens Pêche ANE (78,3-80,2) (17,2-19,4) (0,2-0,7) (0,8-1,0)
266 11,7 (1)
Cabillaud 79,7 17,9 0,8 0,4
Gadus morhua Pêche ANE (79,63-80,6) (17,5-18,9) (0,2-1,4) (0,2-0,5)
176 7,5 (1)
(morue)
80,1 18,0 0,3 0,4
Sole Solea solea Pêche ANE (78,8-81,3) (16,8-19,6) (0,1-1,0) (0,3-0,5)
100 5,1 (1)
Dicentrarchus 76,8 20,1 0,3 1,6
Bar sauvage Pêche ANE (75,8-77,5) (19,6-20,5) (0,2-0,7) (1,0-1,8)
404 7,2 (1)
labrax
Spondyliosoma 72,9 20,5 0,2 5,1
Dorade grise Pêche ANE (70,9-74,1) (20,1-21,4) (0,1-0,4) (3,6-7,3)
858 4,8 (1)
cantharus
Cyprinus carpio Elevage 77,3 17,7 1,4 2,5
Carpe (74,5-79,3) (17,5-18,0) (0,7-2,8) (0,6-4,2)
126 0,6 (1)
carpio France
Elevage 76,5 18,3 0,3 3,8
Turbot* Psetta maxima (72,6-78,3) (18,1-18,5) (0,1-0,7) (1,7-7,6)
792 3,3 (1)
France
Truite arc-en- Oncorhynchus
Pêche, Iran 78,4 19,2 NR 1,12 350 3,8 (2)
ciel portion mykiss
Truite arc-en- Oncorhynchus Elevage, 75,5 19,4 0,9 2,9
715 1,8 (1)
ciel portion mykiss France (74,1-76,2) (18,5-20,3) (0,4-1,6) (1,5-4,4)
Truite arc-en- Oncorhynchus Elevage, 72,3 19,1 1,4 6,0
1145 1,7 (1)
ciel à filet mykiss France (69,9-75,2) (18,5-20,5) (0,1-2,8) (2,7-8,5
Dicentrarchus Elevage, 72,8 21,4 0,2 4,1
Bar - élevage (71,8-75,2) (20,7-22,1) (0,1-0,2) (2,5-4,8)
1017 3,5 (1)
labrax France
Elevage 72,7 20,8 0,3 4,8
Dorade royale Sparus aurata (70,4-74,7) (19,8-21,4) (0,1-1,1) (2,9-7,4)
882 2,9 (1)
France
Elevage
Saumon 65,6 20,0 0,2 12,9
Salmo salar Norvège, (52,6-67,7) (17,6-21,4) (0,1-0,3) (10,1-17,1)
1481 1,9 (1)
Atlantique
Ecosse
Sardina Pêche 75,6 21,9 6,9
Sardine (73,3-78,1) (19,3-23,9)
NR
(2,5-11,5)
1300 10,1 (3)
pilchardus Méditerranée
Scomber 66,4 18,1 0,2 14,2
Maquereau Pêche ANE (63,2-71,8) (17,1-18,8) (0,1-0,4) (8,7-18,5)
2470 8,2 (1)
scombrus
68,3 18,7 1,1 10,6
Hareng «gras» Clupea harengus Pêche ANE (66,3-69,0) (18,4-19,0) (0,4-2,1) (9,7-13,1)
1276 6,8 (1)
Viandes d'animaux terrestres
Races
Bœuf** Bos taurus laitières et 69-65 20,4-23,0 NR 2,3-8,7 7-14 0,3-0,5 (4)
à viande
Porc*** Sus scrofa 59-75 16,2-22,3 NR 2,1-23,6 1-4 0,03-1,7 (5)
Elevés en 0,16-
Agneau**** Ovis aries 68-76 18,0-20,2 NR 4,5-13,7 4-15
0,20
(3)
bergerie
Poulet Gallus gallus Filet, cuisse 70,8-78,4 18,4-26,2 NR 1,3-4,5 NR NR (6)
Poissons transformés
Truite arc-en- Oncorhynchus Elevage, 65,4 23,1 0,2 7,0
1333 2,4 (1)
ciel fumée mykiss France (62,4-68,6) (21,6-25,0) (0,1-0,6) (4,6-8,5)
Cabillaud pané
® Gadus morhua Pêche ANE - 13 16 6,7 NR NR (7)
Findus *****
Sardine à Sardina Conserve, 62,2 24,0 0,9 10,5
1535 5,0 (1)
l'huile d'olive pilchardus chair égouttée (59,7-66,3) (21,9-26,3) (0,3-1,4) (8,2-12,7)
Sardine à
Sardina Conserve,
l'huile végétale 57,9 25,0 0,4 13,8 1862 1,4 (1)
pilchardus chair égouttée
(non olive)
Maquereau Scomber Conserve, 64,4 17,8 2,5 13,9
1669 5,9 (1)
au vin blanc scombrus chair égouttée (63,4-66,3) (15,8-20,2) (0,1-5,1) (13,3-14,3)

EPA = acide eicosapentaénoique ; DHA = acide docohexaénoïque ; ANE = Atlantique Nord-Est ; NR = Non Renseigné ;
*Turbot : filet frais avec TA sous-cutané ; **Bœuf : 7 morceaux différents (Tende de tranche, Macreuse à bifteck, Paleron, Bavette,
Faux-filet, Entrecôte dégraissée, Plat de côte dégraissé) ; ***Porc : 9 morceaux différents (Côte échine, Côte première, Escalope de
Jambon, Filet mignon, Poitrine fraiche, Rôti épaule, Rôti filet, Rôti pointe, Travers) ; ****Agneau : 5 morceaux différents (Gigot, Collier,
Selle dégraissée, Côte filet dégraissée, Côte première dégraissée) ; ***** : 63,2% de cabillaud.
(1) (2) (3)
Projet Composition nutritionnelle des produits aquatiques - www.nutraqua.com ; Fallah et al (2011) ; Bouderoua et al (2011) ;
(4) (5) (6) (7)
CIVINRA (2006 – 2009) ; INAPORC (2005) ; Brunel et al (2006) ; http://www.findus.fr/fr/produits/poissons/iid/79.html

diaires existent, et l'on peut, pour certai- exemple, chez la truite arc-en-ciel, une musculaires au stade portion après trois
nes espèces dont les salmonidés, large- sélection divergente basée sur une esti- générations de sélection entre la lignée
ment moduler cette teneur par les pra- mation de la teneur en lipides musculaires « maigre » et la lignée « grasse » (5,41
tiques d'élevage ou les choix génétiques par le fat-meter®, conduit à une différence vs 8,72% du poids frais, Quillet et al
(voir Lebret et al 2015, ce numéro). Par de plus de 3% sur la teneur en lipides communication personnelle).

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122 / F. LEFÈVRE, J. BUGEON

2.4 / Qualités sensorielles raux. Les composés d'arômes volatils, comme la tenue des filets. Pour les pois-
déterminant l'odeur des produits, sont sons issus de la pêche, la question de la
Les qualités sensorielles sont celles dérivés de l’oxydation des acides gras fraicheur est primordiale aussi bien pour
perçues par nos sens depuis la perception polyinsaturés et pourraient être à l’ori- le potentiel de transformation que pour la
visuelle (aspect, couleur) du produit jus- gine des flaveurs spécifiques des pois- distribution en cas de vente du produit
qu'à la dégustation en bouche qui intègre sons. Les poissons d'eau douce et d'eau non transformé.
des perceptions de flaveur (goût + odeur) de mer ont des composés volatils diffé-
et de texture. rents (Haard 1992). Chez les espèces Pour le consommateur, la question du
d'eau douce, un problème de qualité prix est déterminante ; viennent ensuite
Pour les poissons vendus entiers l'aspect majeur est la présence d'« off-flavor » des préoccupations sanitaires, liées à la
global recouvre l'intégrité (absence de (odeur de moisi associée à un goût de fraicheur et à l'environnement pour les
blessure, d’altération des nageoires), la vase). Ce défaut est dû à la présence dans produits de la pêche, et à l'ensemble des
couleur de la robe, la présence de mucus, la chair de géosmine et d'isobornéol, conditions de production pour les pois-
etc. Un certain nombre de critères exter- composés produits par des microorganis- sons d'élevage. In fine, la facilité d'usage
nes peuvent être pris en compte dans mes parfois présents dans le milieu du produit et de bonnes qualités organo-
l'évaluation de la fraicheur telle que (Robin et al 2006). Un contrôle strict leptiques sont recherchées. La présence
l'aspect de l'œil, la couleur des branchies, des lots en sortie de pisciculture doit d'arêtes est une particularité connotée
la brillance de la robe, etc. Pour les être effectué pour éviter la commerciali- négativement, qui peut être un frein à la
espèces commercialisées en filets ou en sation de ce type de produit. consommation, en particulier chez certai-
darnes, la couleur des filets est un para- nes espèces comme la carpe par exemple.
mètre de qualité qui conditionne le com- Les critères de texture recherchés
portement d'achat. La majorité des espè- chez la chair de poisson sont très diffé- Pour répondre à ces exigences des
ces consommées sont à chair blanche et rents de ceux de la viande des animaux démarches de qualité se sont dévelop-
l'évaluation de la couleur portera sur la terrestres. Les caractéristiques recher- pées dans la filière pêche comme dans
blancheur, la brillance ou une chair plus chées sont l'intégrité ou la tenue pour les filières piscicoles et se traduisent par
ou moins translucide ou laiteuse (Digre le produit cru, et plutôt la fermeté, le la mise en place de cahiers des charges
et al 2011). La couleur rose-orangée de moelleux/gélifié et la jutosité pour les Label Rouge (7 pour des produits de la
la chair est caractéristique des salmonidés produits transformés. Ces qualités dépen- pêche et 9 pour des productions piscico-
(truites, saumon). Cette coloration est liée dent de l’organisation musculaire, de la les, en 2011).
à la fixation dans le muscle de pigments nature, de la quantité et des propriétés des
caroténoïdes : l’astaxanthine et/ou la can- protéines des fibres musculaires et du 4 / Questions de recherches
taxanthine, apportés par l’alimentation. tissu conjonctif. La teneur en lipides
Elle n'affecte pas le goût du produit. musculaires participe également à bon prioritaires
L'intensité et l'homogénéité de cette nombre de caractéristiques texturales dont
couleur est une qualité essentielle pour le moelleux et la perception de jutosité.
ces espèces (Choubert 1992). Au-delà Ces qualités texturales dépendent donc De nombreux travaux de recherches
de la couleur, l'aspect général des filets des caractéristiques initiales du produit, appliqués visent à maitriser la qualité
est un critère de qualité important dans résultant de l'ensemble des conditions sanitaire des produits. Ils concernent la
le choix du consommateur. Le tissu adi- d'élevage, des conditions d'abattage, de mise au point de méthodes d'évaluation
peux musculaire n'est pas ou peu pig- l'évolution post-mortem, et des procédés de la fraicheur, l'augmentation de la
menté et, par contraste avec les fibres de transformation appliqués. durée de vie des produits par différentes
musculaires qui sont pigmentées, une biotechnologies (additifs antimicrobiens
perception visuelle de la teneur en lipi- 3 / Exigences des acteurs des ou antioxydant, irradiation, traitement
des est possible via l'appréciation de haute pression, biopréservation…) ou
l’importance du développement des adi- filières grâce à l'amélioration des emballages
pocytes au sein des cloisons conjonctives (matériau, atmosphères modifiées…).
(myoseptes) séparant les muscles et au
sein du périmysium (équivalent du per- Chaque acteur de la filière, du produc- La maîtrise des rendements de découpe
sillé). Enfin, un défaut majeur de qualité, teur au consommateur, a des exigences et de transformation est une question
le « gaping » concerne à la fois un défaut diverses vis-à-vis du produit. La première importante pour les espèces élevées jus-
d'aspect et de texture des filets. Il s'agit préoccupation est d'ordre économique, qu’à des stades « grande taille » comme
d'une ouverture des feuillets musculaires avec un souci de rentabilité. les salmonidés (saumon, truite), vendus
engendrée par la rupture des myoseptes après transformation. En termes de recher-
et/ou de l’interface myomère/myosepte. Pour le producteur, il s'agit de produire ches, cela se traduit par l’étude des déter-
Ce défaut concerne quelques espèces efficacement, en améliorant l'efficacité minismes biologiques de ces rendements.
comme la morue et les salmonidés, avec alimentaire et en maitrisant la croissance, Cela passe par l'étude de deux phénoty-
une fréquence d’apparition plus impor- afin que celle-ci soit homogène au sein pes clés que sont l’importance et la répar-
tante au printemps et début d’été. Son d’un lot pour satisfaire les besoins de tition des masses adipeuses d'une part,
déterminisme biologique est toutefois calibration des produits. La maitrise des et la description de la morphologie des
multifactoriel et reste encore non mai- rendements de découpe est également animaux (répartition des masses mus-
trisé en élevage. une préoccupation, il faut donc contrô- culaires) d'autre part. Les évolutions des
ler la morphologie des poissons, l'adipo- schémas de sélection et l’amélioration des
La flaveur de la chair de poisson frais sité et la répartition des tissus adipeux. outils de phénotypage (morphométrie,
est globalement jugée comme assez échographie) permettent d’envisager une
neutre. Le consommateur recherche Pour les transformateurs, les préoccupa- amélioration génétique de ces caractères
d'ailleurs souvent un produit sans odeur tions s’expriment en termes de qualité de (Haffray et al 2013).
de poisson. Les composés déterminants la matière première, dont l'aspect, la cou-
de la flaveur sont, en ce qui concerne la leur, etc., ainsi que des questions d'apti- La principale qualité nutritionnelle de
saveur, les acides aminés libres, les pep- tudes à la transformation, qui incluent la la chair de poisson est son apport en aci-
tides, les acides organiques, les bases maitrise des rendements de transforma- des gras long polyinsaturés (AGLPI) de
quaternaires ammoniaquées et les miné- tion, mais aussi des éléments de texture la série n-3 (EPA et DHA) qui résulte

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Quelles exigences de qualités pour les poissons d'élevage et issus de la pêche ? / 123

directement de la nature de l'aliment, les consommateurs de poisson. La com- Conclusion


puisque la composition en acides gras préhension du déterminisme de la texture
de la chair de poisson est le reflet de la reste une question essentielle et passe
composition en acides gras de l'aliment par une caractérisation fine et multi- Les poissons représentent une grande
(Médale 2009). L'évolution actuelle de échelle du muscle (composition, archi- variété de produits, de par l'origine même
la nature des matières premières dans tecture) qui requiert de nombreuses de la matière première et la diversité
les aliments commerciaux, du fait de la méthodologies (rhéologie, biochimie, des procédés de transformation qui leurs
raréfaction des farines et huiles de pois- transcriptomique, histologie, analyse sont appliqués. Les filières pêche et aqua-
sons issues de sous-produits de la pêche, d’image). Un déterminisme génétique de culture révèlent une complémentarité
peut remettre en cause cette qualité. Un la texture des filets crus a été démontré dans la fourniture de produits très divers
des enjeux des recherches en nutrition récemment (Dupont-Nivet et al 2012) (espèces, tailles). Les questions de recher-
est d'anticiper cette évolution des aliments dont les bases biologiques, en termes ches qui découlent d'une telle diversité
en maintenant la productivité de l'éle- de composition protéique et d’organi- sont nombreuses et variées. Au-delà de
vage et la qualité des produits. La com- sation tissulaire, restent à déterminer. leurs qualités gustatives et de leur prati-
préhension et la maitrise de la capacité De même, l'évolution de la composition cité, ces produits sont souvent prisés
de dépôt et/ou de synthèse des AGLPI des aliments pour poissons ou des systè- pour leurs qualités nutritionnelles dans
chez les poissons est une question essen- mes de production peuvent modifier la fourniture d'acides gras oméga 3. Les
tielle pour le maintien de la qualité notablement la qualité. Il apparaît donc problèmes sanitaires qui peuvent découler
nutritionnelle du produit. nécessaire de conforter nos connaissan- de la pollution des milieux aquatiques
ces sur la relation entre les caractéris- amènent l’Agence nationale de sécurité
La texture de la chair de poisson est tiques musculaires et la qualité de la sanitaire (Anses) à recommander de
déterminante car un manque de tenue des chair afin d’améliorer la qualité des pro- consommer deux portions de poissons par
filets peut être un facteur limitant pour duits et surtout d’éviter l’apparition de semaine, en variant les espèces et les
les transformateurs et cela fait partie des défauts de qualité qui seraient préjudi- origines.
critères d’appréciation du produit pour ciables à la filière.

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Résumé
Le produit alimentaire « poisson » présente la particularité de recouvrir de nombreuses espèces animales, provenant de milieux
aquatiques variés (en termes de qualité d'eau, température, salinité…) et issus de captures dans le milieu « naturel » ou de filières de
productions aquacole. La part de l'élevage dans cette production est croissante au niveau mondial mais reste limitée au niveau national.
Le poisson peut exposer à des problèmes sanitaires particuliers, mais présente des qualités nutritionnelles remarquables pour son apport
en acides gras oméga 3. Les poissons présentent des qualités organoleptiques variées, sont utilisés dans des recettes/transformations
très diverses, et participent ainsi à la diversité culinaire des produits carnés.

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124 / F. LEFÈVRE, J. BUGEON

Abstract
What quality for fish products?

Fish and fish products bring together many different species from various environments (water quality, temperature, salinity…).
Moreover, they include captured wild animals taken from their natural environment, and reared fish. The proportion of fish from
breeding in global production is increasing throughout the world but in France it remains quantitatively limited. Fish products may
present some sanitary issues but are greatly appreciated for their nutritional qualities especially due to their high ω3 fatty acids
content. Their organoleptic qualities are diversified and are used in many kinds of preparations allowing fish products to contribute
to animal protein culinary diversity.

LEFÈVRE F., BUGEON J., 2015. Quelles exigences de qualités pour les poissons d'élevage et issus de la pêche ? In :
Numéro spécial, Le muscle et la viande. Picard B., Lebret B. (Eds). INRA Prod. Anim., 28, 119-124.

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