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Titre de l’édition originale :
WHEN YOU’RE BACK
Publiée par Atria, un département de Simon & Schuster
ISBN : 978-2-7096-5815-7
© 2015 by Abbi Glines. Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie sous
quelque forme que ce soit. Cette édition a été publiée avec l’accord d’Atria, un département de Simon &
Schuster, Inc., New York.
Cela faisait vingt-deux jours, cinq heures et trente minutes que j’avais dit au
revoir à Mase à l’aéroport O’Hare. Après s’être assuré que j’étais en sécurité
chez mon père à Chicago auprès de ma nouvelle famille, Mase était rentré au
Texas, dans le ranch familial qui ne pouvait pas tourner sans lui.
J’avais été très tentée de rentrer avec lui. J’étais prête à démarrer ma vie à
ses côtés et à faire de sa maison notre foyer. Mais d’abord, il fallait que je
m’occupe de cette affaire.
Un peu plus d’un mois auparavant, un Italien d’un très grand raffinement
s’était présenté chez moi à Rosemary Beach, où je travaillais en tant que
femme de ménage auprès des familles les plus fortunées de la ville. Peu de
temps après ma rencontre avec Mase, le père que je n’avais jamais connu – et
dont je n’étais pas sûre qu’il fût encore vivant – avait fait irruption dans ma
vie, désireux d’en faire partie.
Mase m’avait tenu la main tout au long de cet épisode. Benedetto avait
séjourné pendant une semaine avec nous à Rosemary Beach, après quoi nous
avions pris l’avion ensemble pour Chicago.
Je découvris bien vite que j’avais non seulement un père, mais aussi un
frère, de deux ans mon cadet et absolument impayable ; Raul me faisait rire
tout le temps. J’avais également une grand-mère, ou nonna, comme elle
préférait qu’on l’appelle. Elle adorait bavarder avec moi pendant des heures.
Elle me racontait des anecdotes sur mon père quand il était jeune et me
montrait des photos de l’enfance de Raul. Elle me confia comment elle avait
supplié Benedetto de me trouver. S’il n’était pas parti à ma recherche jusque-là,
il avait ses raisons : c’était ce qu’il disait à tout le monde. J’avais envie de le
haïr de ne pas être venu me sauver plus tôt, mais c’était impossible : ma vie
m’avait guidée jusqu’à Mase.
J’avais passé un séjour merveilleux chez eux, mais Mase me manquait. Lui
parler chaque soir au téléphone ne suffisait plus. J’avais besoin de lui. J’avais
plus besoin de lui que d’un père, d’un frère ou de nonna. Mase était ma famille,
la première personne qui avait véritablement été là pour moi après des années
de maltraitance aux mains de ma mère et de mon beau-père.
À présent j’étais enfin à la maison – ou plus précisément l’endroit qui
s’apprêtait à devenir mon chez-moi avant que mon père ne débarque. Mase et
moi projetions d’emménager ensemble, mais tout restait à faire.
Je n’avais pas prévenu Mase que je rentrais plus tôt que prévu. Je voulais lui
faire la surprise.
Le taxi s’arrêta devant la demeure des parents de Mase sur les terres
tentaculaires du ranch. Un coup d’œil rapide à la maison plongée dans le noir
m’informa qu’elle était vide. Tant mieux. La surprise s’adressait exclusivement
à Mase. Je réglai rapidement le chauffeur, extirpai mon bagage du coffre et
gagnai l’écurie d’un pas rapide. Le pick-up de Mase était garé à côté d’un autre
que je ne connaissais pas.
Je posai ma valise à côté de son véhicule et descendis la petite colline qui
menait à l’écurie. Il m’avait expliqué qu’il projetait de passer sa journée à
dresser un cheval. Mon cœur battait la chamade et mes mains avaient hâte de le
toucher. J’étais contente d’avoir passé du temps avec ma famille, mais c’était la
dernière fois que je quittais Mase. S’il ne pouvait pas m’accompagner à
Chicago la fois suivante, je n’irais pas. Ils n’auraient qu’à me rendre visite ici.
Tandis que je m’approchais de l’écurie, un rire féminin flotta jusqu’à moi.
Mase était-il en train de conclure une affaire commerciale ? Je ne voulais pas
l’interrompre s’il était avec une cliente. Je n’allais pas me jeter dans ses bras
s’il était en pleine transaction. Je m’immobilisai à l’extérieur de l’écurie.
— Non, Mase, tu m’as promis l’autre nuit qu’on monterait à cheval
aujourd’hui. Tu ne peux pas revenir dessus sous prétexte que tu as du travail.
J’exige ma balade, affirma la femme.
Le son de sa voix me donna la chair de poule. Elle était jeune, aguicheuse, et
beaucoup trop familière avec lui.
— Je sais que je te l’ai promis, mais j’ai du travail. Tu vas devoir être
patiente, répliqua-t-il.
— Je vais papillonner des cils et faire la moue si je n’obtiens pas ce que je
veux, menaça-t-elle.
— Pas de petit jeu aujourd’hui, Aida. J’ai vraiment des choses à faire. Tu
monopolises tout mon temps depuis deux jours, contra-t-il d’une voix qui me
fit reculer.
Je connaissais cette voix, il l’utilisait avec moi.
— Mais je m’ennuie, et tu sais me divertir, protesta-t-elle malicieusement.
— Sérieusement, j’ai besoin que tu me laisses avancer sur mon travail
aujourd’hui. Je m’occuperai de toi ce soir. On sortira manger un bout. Je
pourrai même t’emmener danser.
Mon cœur se serra. La conversation dont j’étais témoin ne laissait pas de
place au doute. Mase passait du temps avec une autre femme. Il était très attaché
à elle. Ça s’entendait dans sa voix.
Une fois déjà j’étais partie du principe qu’il me trompait. Je ne voulais pas
recommencer, mais qu’est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Je jetai
un œil au pick-up garé à côté du sien puis à la porte qui ouvrait sur l’écurie.
Mon cœur me soufflait de partir en courant pour me mettre en boule dans un
coin.
Mais ma tête me répondait que je devais faire face à la situation. Quelle
qu’elle soit. Je devais laisser à Mase une chance de s’expliquer.
Toute l’excitation que j’avais ressentie plus tôt était retombée. J’étais
submergée d’émotions que je peinais à démêler.
Le rire de la femme flotta jusqu’à moi, suivi par celui plus grave de Mase,
qui parvenait toujours à réchauffer mon cœur. Il s’amusait. La compagnie de
cette femme le rendait heureux. Étais-je partie trop longtemps ? Avait-il eu
besoin de quelqu’un d’autre ?
Ou s’était-il finalement rendu compte que je n’avais rien de spécial ?
— Bonjour. Je peux vous aider ? m’interrogea la voix féminine.
Je sortis de ma torpeur. Elle se tenait dans l’encadrement de la porte de
l’écurie comme si elle s’apprêtait à partir. De grande taille, elle portait ses
longs cheveux blonds en queue-de-cheval. Sans une once de maquillage elle
était malgré tout éblouissante, avec ses lèvres pleines, ses dents parfaitement
blanches et ses grands yeux verts qui semblaient scintiller de bonheur. Mase
avait cet effet-là sur les femmes.
— Vous êtes ici pour voir un cheval ? poursuivit-elle comme je la fixais en
silence.
Elle portait un jean serré qui soulignait sa taille gracile et ses cuisses
effilées. On aurait dit un mannequin. Tout l’inverse de moi.
— Je, euh…, bafouillai-je.
Comment adresser la parole à cette femme ? J’aurais dû partir. Affronter
Mase tandis qu’elle se tenait devant moi telle une poupée Barbie était au-delà
de mes forces. Il allait nous voir l’une à côté de l’autre et se rendre compte
qu’il n’y avait pas photo.
— Vous êtes perdue ? s’enquit-elle.
Oui. J’étais totalement perdue. Tout ce que je tenais pour vrai, tout ce que je
pensais avoir, n’était qu’une illusion.
— Peut-être, murmurai-je avant de secouer la tête. Non. Je suis venue
voir…
— Reese !
La voix de Mase tonna derrière la femme et, avant que je n’aie pu ajouter
quoi que ce soit, il la dépassa en courant pour me serrer dans ses bras.
— C’est toi ! Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu rentrais ? Je serais allé te
chercher. Bon sang, tu sens si bon. Ton parfum m’a manqué. Tu m’as tellement
manqué, nom d’un chien !
Je scrutai la réaction de la femme par-dessus son épaule. Elle ne souriait
plus et me dévisageait comme si j’étais répugnante.
— Je voulais… j’avais envie de te faire la sur-surprise.
Je butai sur les mots, ne sachant trop que penser. Je l’avais entendu avec elle.
Je savais qu’il passait du temps en sa compagnie et qu’à l’évidence elle n’avait
pas envie de me voir ici.
Il prit mon visage dans ses mains et m’embrassa à pleine bouche. Aussi
blessée que m’ait laissée la conversation entre eux deux, je mis rapidement
mes incertitudes de côté. Le goût de Mase et la sensation de ses lèvres sur les
miennes avaient toujours raison de moi. Il se délecta de ma bouche et je
m’accrochai à lui pour inspirer son parfum. Les caresses de sa langue sur la
mienne me firent frissonner. Quand j’étais avec lui plus rien au monde n’avait
d’importance.
— Hum-hum, je suis encore là, les amis, vous vous souvenez ?
Sa voix vint rompre le délicieux charme qui m’enveloppait. Je me figeai.
Mase recula en riant et lui jeta un œil sans relâcher son étreinte.
— Navré, Aida, mon amoureuse est rentrée et je vais être occupé dans tous
les sens pendant les quarante-huit heures à venir. Voire plus. Trouve-toi
quelque chose à faire à la maison, lâcha-t-il avant de m’embrasser sur le bout
du nez.
— Ce n’est pas très poli de me laisser en plan sans me présenter ton amie,
riposta-t-elle.
Un dégoût évident suintait de sa voix. Mase me gratifia d’un clin d’œil ravi.
— C’est une diva. Tu t’y habitueras. (Puis tournant son attention sur elle :)
Aida, je te présente Reese, la femme dont je parle non-stop, avec qui je passe
des heures au téléphone tous les soirs. Reese, voici ma seule cousine : Aida.
Elle est un peu gâtée, très mélodramatique, et s’ennuie facilement.
Sa cousine ? Dans ce cas pourquoi me fusillait-elle du regard comme si je
la dérangeais ?
Aida me gratifia d’un sourire narquois. Bien que rassurée de les savoir de
la même famille, je ne pouvais m’empêcher d’avoir l’impression qu’elle me
lançait un regard de défi.
Comme c’était étrange…
Mase
Sentir Reese dans mes bras atténuait un peu la frustration de ne pas avoir été
informé de son arrivée. J’aurais pu aller la chercher à l’aéroport. Je n’aimais
pas l’idée qu’elle arrive sans personne pour l’accueillir.
— Tu as pris un taxi ? m’enquis-je.
Cette perspective non plus ne me plaisait guère. Reese se contenta de hocher
la tête.
— J’aurais préféré que tu m’appelles.
Je l’attirai tout contre moi, puis marchai jusqu’à mon pick-up. J’allais
l’installer dans la voiture et la ramener à la maison. Où sa place l’attendait.
— Je trouvais ça sympa de te faire la surprise.
Elle n’avait pas l’air dans son assiette, comme si quelque chose la
contrariait. Peut-être la fatigue du voyage.
— Appelle-moi la prochaine fois, même s’il n’y aura pas de prochaine fois.
Je ne veux plus être séparé de toi comme ça. Si tu veux retourner à Chicago, je
t’accompagne.
Son corps sembla se détendre et elle se laissa aller contre moi. C’est
exactement ce dont j’avais besoin aujourd’hui. Aida était épuisante. Ses
bavardages non-stop avaient eu une seule vertu : me faire supporter l’absence
de Reese.
Dès son retour, ma mère allait devoir prendre le relais et s’occuper d’Aida.
Je déposai la valise de Reese à l’arrière, puis glissai une main sous son cul
parfait pour l’aider à grimper à bord. Son rire cristallin déclencha une vague
de chaleur à travers tout mon corps. J’avais besoin de son rire.
— Je ne te quitterai pas d’une semelle pendant au moins deux jours. Je suis
en manque, déclarai-je en prenant le volant. Et puis je t’ai pris deux livres à la
bibliothèque la semaine dernière. J’ai hâte que tu me les lises.
Elle posa sa tête contre mon épaule et poussa un soupir d’aise.
— Je t’ai fait la lecture quasiment tous les soirs pendant mon absence.
— Ouep, mais tu n’étais pas nue dans mon lit.
Elle rit de plus belle et j’eus le sentiment que tout devenait instantanément
parfait dans ma vie. C’était elle que j’attendais. Avant elle, rien n’avait de goût,
pas même les filles que je fréquentais. Aucune ne m’avait fait ressentir cette
excitation à l’idée de me réveiller chaque matin et de voir son visage. Ou de
m’endormir chaque soir en la serrant dans mes bras.
— Tu veux que je te fasse la lecture nue au lit ? répéta-t-elle d’une voix
amusée.
— Un peu, oui. Je veux que tu fasses tout toute nue.
Reese inclina la tête pour me dévisager.
— Tu n’es pas sérieux.
Je scrutai son visage enjoué.
— Si, bébé. Quand je parle de toi toute nue je suis très, très, sérieux.
Elle éclata de rire. Je l’attirai tout contre moi. C’était exactement ce dont
j’avais besoin.
Reese pénétra dans la maison tandis que je sortais sa valise du coffre. Je pris
un moment pour la regarder entrer chez moi – bientôt notre chez-nous.
L’atmosphère était différente quand elle était là. Elle apportait de la chaleur et
un rayon soleil dans son sillage.
Elle jeta un œil par-dessus son épaule et me sourit.
— Tu viens ?
— Je profitais de la vue, répliquai-je avec un petit sourire en coin avant de
la rejoindre.
Une fois la porte passée, je posai la valise et attirai Reese dans mes bras.
Elle poussa un cri de surprise tandis que je la soulevais jusqu’au canapé. Je me
laissai tomber sur le cuir usé en la plaquant contre mes genoux et elle
s’agrippa à mes épaules.
— Bienvenue à la maison, soufflai-je avant de l’embrasser à pleine bouche.
Le mec en moi avait envie de la mettre à poil et de la sauter contre la porte.
Mais l’homme en moi qui savait ce dont elle avait besoin allait d’abord
l’abreuver d’amour. Je ne voulais surtout pas qu’elle pense que tout était une
question de sexe pour moi. J’étais tombé amoureux d’elle bien avant que nous
ne couchions ensemble. Elle était trop exceptionnelle pour être traitée comme
une vulgaire paire de fesses… même si son postérieur était particulièrement
divin.
Reese retira mon chapeau qu’elle lança sur le fauteuil voisin et plongea ses
doigts dans mes cheveux. Ses baisers ressemblaient à du miel chaud et j’aurais
pu continuer comme ça toute ma vie. Mes mains sur ses courbes douces et ma
bouche sur la sienne allaient bien au-delà de mes espérances. Reese allait bien
au-delà de mes espérances.
L’arrondi délicat de ses lèvres effleura mon menton tandis qu’elle déposait
une traînée de baisers sur tout mon visage.
— Tu ne t’es pas rasé, murmura-t-elle.
— Je ne savais pas que tu arrivais.
— J’aime bien. C’est sexy, susurra-t-elle avant de m’embrasser de nouveau.
— Ça va abîmer ta peau douce, déplorai-je avant de me laisser happer par la
délicatesse de son baiser.
Mes mains glissèrent sous son T-shirt pour atteindre sa peau brûlante et elle
frissonna dans mes bras.
— Ça ne me gêne pas que ça pique un peu. Si c’est toi qui en es la cause,
concéda-t-elle en se positionnant à califourchon sur moi.
Sa chevelure sombre retomba en cascade sur ses épaules et elle me gratifia
d’un petit sourire mutin qui me fouetta le sang.
Je pris son visage dans mes mains et caressai ses joues.
— Jamais je ne pourrai faire de mal à ce visage. Ce serait une tragédie.
Elle rougit et laissa reposer sa tête sur mes paumes.
— J’ai envie de toi, murmura-t-elle.
Une étincelle d’excitation éclaira son visage. C’est tout ce dont j’avais
besoin.
— Lève les bras.
Elle obtempéra sans broncher. Je retirai délicatement son T-shirt. À la vue
de son soutien-gorge j’eus l’impression d’être un ado qui découvrait une paire
de seins pour la première fois. Bon sang, ils m’avaient manqué, ceux-là.
— Je les veux dans ma bouche, mais il faut que je me rase, l’informai-je
sans réussir à détacher mon regard de sa poitrine.
— S’il te plaît, Mase. J’ai envie de sentir ta peau contre la mienne. Ça me
plaît. Sincèrement.
Elle allait me rendre fou. Moi aussi j’avais envie de voir les marques que je
laisserais sur sa peau. Je me sentais coupable d’avoir envie de lui faire le
moindre mal, mais ses supplications étaient irrésistibles.
Je dégrafai son soutien-gorge, libérant ses seins. Mon cœur se mit à battre à
tout rompre. Ces tétons parfaits avaient autant envie de moi que j’avais envie
d’eux.
Nom d’un chien. Je penchai la tête en avant pour en aspirer un dans ma
bouche en le faisant rouler sous ma langue. Les gémissements de Reese qui
s’agrippait à mes cheveux firent monter mon adrénaline en flèche. J’avais
envie de la mordre pour l’entendre hurler de plaisir. Mais c’était impossible.
Jamais je n’aurais fait quoi que ce soit susceptible de l’effrayer. Je voulais
qu’elle se sente chérie et en sécurité dans mes bras.
— Enlève ton T-shirt, m’invita-t-elle dans un gémissement.
Je ferais tout ce qu’elle voulait. Je laissai son téton ressortir de ma bouche
pour retirer mon T-shirt en un temps record. En quelques secondes mes lèvres
étaient de retour à leur place. Reese caressa doucement mon torse du bout des
ongles, puis recouvrit mes pectoraux de la paume de ses mains. Elle se laissa
aller en arrière en murmurant mon nom. À cet instant-là, j’eus l’impression
d’être un roi.
Autrefois, elle avait eu peur de tout ça. Jamais je ne prendrais pour argent
comptant le fait qu’elle me faisait confiance pour l’aimer et lui donner du
plaisir. La vie l’avait brisée une fois, et j’avais la ferme intention que cela ne se
reproduise pas. Je la protégerais envers et contre tout.
Ses hanches commencèrent à rouler et je réprimai une grimace. Ma bite
allait exploser dans mon jean. La pression de la fermeture Éclair mêlait la
douleur au plaisir.
Je lâchai son téton pour l’embrasser à pleine bouche et me délecter de sa
douceur. Elle poussa un gémissement et j’interrompis notre baiser pour poser
mon front contre le sien.
— Si on enlevait ton pantalon ? suggérai-je.
— Si on enlevait le tien ? répliqua-t-elle avec un petit sourire en coin, avant
de se relever.
Fasciné, je la regardai se tortiller lentement pour retirer son pantalon. Une
petite culotte en satin noir fit son apparition et la douleur à mon entrejambe
s’accentua. Je déboutonnai mon jean pour me soulager. Tout du long, je gardai
les yeux rivés sur Reese. Son jean glissa par terre ; elle le jeta sur le côté.
— Ta petite culotte, soufflai-je dans une sorte de grognement.
Elle rougit et son regard s’embrasa de désir tandis qu’elle la retirait
prestement. À présent elle était entièrement nue. Bon sang, je la voulais comme
ça dans mes bras pour toute l’éternité.
— Tu n’as pas enlevé ton jean, souligna-t-elle en fixant mon caleçon qui
dépassait.
— Je m’y employais, mais tu m’as déconcentré.
— Alors lève-toi, je vais t’aider, répliqua-t-elle en souriant d’un air
malicieux.
Si elle me l’avait demandé, j’aurais sauté d’une falaise. J’obéissais au doigt
et à l’œil à ce sourire.
Reese
Mase se leva et mes yeux se posèrent sur son ventre sculpté de muscles si
durs que je ne pus m’empêcher de les toucher.
— Tout ce que tu veux, m’assura Mase en me dévisageant comme si je
représentais tout pour lui.
C’était le Mase que je connaissais. L’homme en qui j’avais confiance. Celui
qui ne me ferait jamais de mal. Je me sentais coupable d’en avoir douté
quelques minutes plus tôt. Je n’avais jamais connu de relation saine et je n’étais
pas encore habituée à faire confiance. Jusqu’à maintenant.
Je parcourus l’espace qui nous séparait et tirai sur son jean jusqu’à me
rendre compte qu’il portait encore ses bottes. Je les adorais.
— Il va falloir les enlever, soulignai-je.
Il eut un petit sourire en coin, se pencha et les ôta en un tournemain.
— C’est fait.
Il me donnait l’impression de pouvoir demander n’importe quoi. C’était une
sensation enivrante, mais qui forçait l’humilité. Je continuai à tirer sur son jean
en ménageant des pauses pour admirer ses cuisses musclées et ses mollets
parfaitement dessinés.
Je me relevai en jetant un œil sur son caleçon. Je sentis le feu me venir aux
joues tandis que je le tirai lentement. J’entendis le souffle de Mase s’accélérer
et sentis un frisson d’excitation traverser tout mon corps. Me sentir au plus
près de lui – et a fortiori de son pénis – l’excitait. Pour moi aussi la sensation
était forte. Sachant qu’il aimait que je prenne mon temps, je fis une pause et
relevai les yeux sur lui après avoir suffisamment descendu son caleçon pour le
mettre à nu. Ses yeux brûlaient de désir.
Je penchai de nouveau la tête en avant et déposai un baiser sur son gland
tout gonflé.
— Putain, bébé, grogna-t-il.
Ça me plaisait. Non, j’adorais ça.
Je fis descendre son caleçon le long de ses jambes, puis me relevai et
caressai son ventre en remontant les mains jusqu’à son torse. Ses mains
reposèrent sur mes hanches.
— Je vais te porter jusqu’au lit, affirma-t-il en me tirant à lui.
— O.K., murmurai-je.
Il me souleva tout contre sa poitrine. J’enroulai mes jambes à sa taille et il
me transporta jusqu’à la chambre. Sa bouche recouvrit la mienne d’un baiser
avide. Puis il me déposa délicatement sur son immense lit.
J’écartai les jambes, les mains tendues vers lui, mes yeux rivés aux siens. Je
voulais qu’il m’enveloppe, qu’il me complète.
Mase se glissa aussitôt dans mes bras.
— Je t’aime, souffla-t-il avec ferveur tout en m’embrassant dans le cou. Je
t’aime tellement que ça me coupe la respiration. Tu es tout mon cœur, Reese.
Toute ma vie.
Il déposa une traînée de baisers le long de mon cou puis entreprit de
mordiller ma clavicule.
— Mase, lâchai-je dans un gémissement en soulevant mes hanches.
J’en voulais plus, je le voulais en moi, qui m’emplisse.
Il glissa une main entre mes jambes et son doigt fondit instantanément en
moi.
— Tu es trempée, bon sang, grogna-t-il.
Il retira son doigt qu’il porta à sa bouche pour le sucer. Puis il abaissa tout
son corps et je sentis son érection appuyer sur moi.
C’était ce dont j’avais besoin. Ce lien.
Il plongea lentement en moi. Les muscles de ses bras saillirent et il ferma
les yeux très fort. Je contemplai son visage magnifique. Sa mâchoire serrée, la
veine qui pulsait dans son cou. Tout un spectacle qui me faisait vibrer de
plaisir.
Une fois au plus profond de moi il rouvrit les yeux. Ils étaient porteurs
d’une telle émotion que je sentis les miens s’embuer. Il n’avait pas besoin de
me décrire ses sentiments pour moi – je les lisais sur son visage. Il était
entièrement à nu à ce moment-là, je le savais.
— Enroule tes jambes autour de moi, m’invita-t-il d’une voix rauque en
s’enfonçant plus profondément en moi. (Sa bouche effleura mon oreille et
j’obtempérai.) C’est si bon.
Je m’agrippai à ses épaules, prête à le sentir bouger en moi et à cette
sensation incroyable, plus qu’incroyable : je n’avais pas les mots pour décrire
mes sensations quand Mase me faisait l’amour.
— Écarte bien les cuisses pour moi, bébé. Laisse-moi t’aimer jusqu’à en
oublier mon nom.
Ces seuls mots suffirent à me transporter au bord de l’orgasme. Était-ce
possible ?
— C’est parfait, comme ça. Je vais te faire du bien. Je veux que tu grimpes
au septième ciel comme moi quand je suis en toi.
Je commençai à lui dire que j’y étais déjà, que je savais ce qu’il ressentait,
lorsque ses hanches se mirent en mouvement, me faisant instantanément perdre
la capacité de penser et de respirer. Il émit des grognements de plaisir et je
sentis des étincelles de chaleur se répandre en moi.
Lorsque le premier orgasme explosa en moi, il me souleva contre son torse
en me murmurant à quel point j’étais belle, et d’autres mots doux dont je ne me
souviens pas tant le rythme de son corps me propulsait déjà vers l’orgasme
suivant. À grands pas. Je le serrai contre moi comme si ma vie en dépendait.
Lorsque arriva le troisième orgasme, Mase poussa un cri et hurla mon
prénom tandis qu’il était lui-même secoué par sa propre vague de jouissance. Il
enfouit sa tête dans le creux de mon cou pour reprendre son souffle.
Son plaisir me fit trembler une ultime fois, après quoi nous nous
effondrâmes ensemble, nos cœurs battant à tout rompre.
Le jour suivant j’appris qu’Aida et moi serions les seuls de la famille Colt à
la fête des Stout. Mon beau-père avait dû se rendre à Austin pour affaires et ma
mère l’avait accompagné. Elle m’avait appelé pour me demander de prendre
Aida avec nous. Elle ne voulait pas qu’elle fasse le chemin en voiture toute
seule. Je n’étais pas sûr qu’Aida était prête à se montrer gentille envers Reese,
mais je lui avais néanmoins proposé de venir avec nous.
Après avoir fait l’amour sur la table de la cuisine après le petit déjeuner,
puis sur le canapé pendant qu’on était censés regarder un film, puis sur le lit
quand elle était allée faire une sieste, Reese avait eu besoin de se reposer. Je
l’avais réveillée une heure avant le départ pour qu’elle ait le temps de se
préparer.
On frappa à la porte et, quand j’ouvris, le sourire d’Aida m’attendait. Elle
portait une robe rouge qui était sans doute hors de prix et une paire de talons
aiguilles, ce qui n’avait en réalité rien d’inhabituel pour ce genre de soirée. Les
Stout, immensément riches, gravitaient dans des cercles très fermés. Aida avait
l’air de bien meilleure humeur. Soulagé, je m’effaçai pour la laisser entrer.
— Reese sera prête dans quelques minutes, annonçai-je.
Au même instant, la porte de la chambre s’ouvrit sur Reese, habillée d’une
jupe en jean et d’une paire de bottes. Je n’avais d’yeux que pour ses jambes.
Nom de nom, ces jambes étaient incroyables. Et elles étaient à moi. Tous les
hommes allaient avoir les yeux rivés dessus.
Elle portait un joli petit chemisier blanc noué à la taille qui laissait voir sa
peau hâlée. Je levai les yeux sur son visage, le souffle coupé. Ses longs
cheveux noirs tombaient en cascade sur son épaule. Comme toujours, son
maquillage était réduit à sa plus simple expression. Hors de question que je la
perde de vue pendant la soirée.
— Tu es sublime, bébé. On devrait peut-être rester ici, proposai-je en toute
honnêteté.
Le visage de Reese s’illumina et elle eut un petit sourire en coin.
— Euh, ouais… j’imagine que le jean ça le fait aussi, commenta Aida d’une
voix hésitante.
Le visage de Reese se décomposa aussitôt, son front barré d’inquiétude. Je
savais que sa garde-robe était limitée. Elle ne possédait pas de robe de grands
couturiers comme les autres invitées du barbecue, mais aucune de ces femmes
ne lui arrivait à la cheville. Aucune robe ne pourrait rivaliser avec elle.
— Je croyais que c’était un barbecue. Je peux trouver quelque chose de plus
habillé. Je ne savais pas…
— Tu es parfaite. À tel point que je ne te quitterai pas d’une semelle de la
soirée, la rassurai-je.
Elle détacha les yeux d’Aida pour les poser sur moi, l’air incertaine.
— Il a raison. Ça fera l’affaire. Il faut y aller sinon on va faire une entrée un
peu trop remarquée, souligna Aida.
Je m’approchai de Reese pour la tirer vers moi.
— Tu es à tomber par terre. Je te le jure.
Je glissai une main sur le creux de ses reins pour l’accompagner jusqu’à la
porte.
Aida eut un petit sourire forcé puis tourna les talons à son tour.
— Elle est si élégante. Je devrais trouver quelque chose de plus habillé. J’ai
des chaussures à talons, insista Reese.
— Non, elle est trop habillée, la rassurai-je.
Reese, tendue, n’avait pas l’air de me croire sur parole.
Aida se hissa en premier par la portière passager de mon pick-up. Après
réflexion, je guidai Reese jusqu’à la portière conducteur et l’aidai à grimper
dans la cabine pour qu’elle s’assoie au milieu, à côté de moi. Je ne voulais pas
froisser Aida en lui demandant de descendre pour laisser monter Reese en
premier. Je montai derrière Reese et pris place au volant.
— Je suis trop loin de la radio, se plaignit Aida.
Je ne pensais pas qu’elle ait cherché intentionnellement à se retrouver assise
entre Reese et moi, mais je n’en étais pas sûr.
— Tant mieux, répliquai-je tant je détestais qu’elle soit aux commandes de
l’autoradio.
Une fois sur la route principale, je glissai une main sur la cuisse dénudée de
Reese que je serrai doucement. Ce geste sembla la rassurer.
— Qui est invité à cette soirée ? Les gens du coin ? s’enquit Reese.
— Tous ceux qui font affaire avec les Stout : banquiers, avocats, ranchers, et
les responsables des chaînes de restaurants qui possèdent une de leurs
franchises. Ils arrivent en avion du pays tout entier, précisa Aida d’un air très
satisfait.
Reese se raidit.
— Tu donnes aux Stout plus d’importance qu’ils n’en ont en réalité,
corrigeai-je en la fusillant du regard.
Elle se contenta de hausser les épaules.
— Ils ont de l’importance pour tous ceux qui n’ont pas la chance d’avoir
une légende du rock comme paternel.
— Mon père est rancher, rectifiai-je.
Je n’aimais pas le fait qu’elle mentionne Kiro. Je ne parlais pas beaucoup de
mon père biologique. Il ne faisait pas partie de ma vie ; mon beau-père m’avait
élevé. Mon seul lien avec Kiro était Harlow. Il avait joué un rôle bien plus
déterminant dans la vie de ma demi-sœur.
— Comme tu veux, Mase. Mais tu as la célébrité dans le sang, ce n’est pas la
fin du monde, contra Aida avec un petit sourire narquois.
Reese lissa sa jupe d’un air nerveux. Voilà qu’elle stressait pour ce foutu
barbecue. J’avais envie de laisser tomber. Hors de question de la forcer à faire
quoi que ce soit.
— On peut rentrer maintenant. Tu n’as qu’un mot à dire, lui confiai-je en
serrant de nouveau sa cuisse.
— Quoi ? Jamais de la vie ! Je ne veux pas rater cette soirée, s’insurgea
Aida d’une voix suraiguë qui dépassait les bornes.
— J’ai envie d’y aller, confirma Reese en s’appuyant contre moi.
— Dès que tu veux rentrer à la maison, il suffit de me le dire. Je ferai
raccompagner Aida, précisai-je en ignorant le regard noir de cette dernière.
Reese se laissa aller contre moi sans dire un mot.
L’immense portail de fer était grand ouvert et deux armoires à glace en
costume gardaient l’entrée. Je m’arrêtai pour baisser ma vitre.
— Nom ? s’enquit l’un d’eux.
— Mase Colt, annonçai-je en faisant l’économie du Manning, car la plupart
des gens me connaissaient sous ce patronyme.
Il hocha la tête.
— Bienvenue, monsieur Colt, vous pouvez avancer.
Je m’engageai sur la somptueuse allée en brique jusqu’à la façade d’une
demeure de deux étages bien plus imposante que la majorité des habitations de
la région. Le voiturier attendait, mais il était hors de question que je laisse un
gosse en smoking garer mon pick-up.
Il s’approcha avec son sourire factice.
— Je peux garer mon propre véhicule, l’informai-je.
Il eut l’air désorienté.
— Oh, très bien… c’est là-bas, mais ce n’est pas la porte à côté, fit-il en
montrant la gauche de la maison.
— Merci, répliquai-je avant d’aviser Reese et Aida. Vous pouvez descendre
ici, ça vous évitera de marcher.
Reese posa une main sur mon bras.
— Je reste avec toi. Ça ne me gêne pas de marcher.
— Je sors, annonça Aida en levant les yeux au ciel.
Le voiturier se précipita pour lui ouvrir et l’aider à sortir. La portière
refermée, je me dirigeai vers la zone de parking. Je n’avais jamais aimé laisser
mes clés à un parfait inconnu. J’étais quand même capable de garer ma
bagnole tout seul.
Reese
Le jardin où se tenait le barbecue semblait sorti tout droit des pages d’un
magazine. Des lanternes accrochées à d’immenses chênes jetaient leur lueur
dans la nuit tombante, et des guirlandes de lumière blanche recouvraient les
tables et les chaises capitonnées (qui n’avaient pas l’air à leur place en
extérieur) d’une voûte étincelante baroque.
Sur scène, un orchestre jouait dans tous les styles, de la musique country au
classique. Il y avait même une piste de danse englobée de la même canopée de
lumière qu’autour du buffet.
Mais c’est surtout l’élégance des femmes qui attirait l’œil. Aida avait vu
juste : ma jupe en jean détonnait. Même les hommes ne portaient pas de jean.
J’aurais dû me rendre compte que Mase avait opté pour un pantalon kaki coupe
droite avec ses bottes au lieu de son sempiternel jean. Et que sa chemise bleu
clair à col boutonné était bien plus habillée que ce qu’il portait d’habitude.
Pourquoi n’avais-je pas insisté pour me changer ?
Sa main posée sur le creux de mes reins me guida en direction de la foule.
Les gens devisaient en petits groupes, une coupe de champagne à la main. Des
diamants brillaient aux doigts, poignets, oreilles et cous des femmes. Était-ce
la première fois que Mase se rendait à ce genre de barbecue ? Il avait dû
participer à plus d’un. Pourquoi m’avoir affirmé qu’Aida était trop habillée ?
— Mase Colt, l’accueillit d’une voix grave un homme élancé aux larges
épaules et tempes grisonnantes. Ravi de te voir. Je n’étais pas là lors de la
dernière transaction. Hawkins m’a dit que tout s’était bien passé, comme
toujours.
— En effet. Mon père était content, acquiesça Mase.
C’était la deuxième fois de la soirée qu’on l’appelait Colt au lieu de Colt
Manning. Je ne l’avais encore jamais entendu faire l’économie de son dernier
patronyme.
L’attention de l’homme se porta sur moi. Un court instant, j’eus envie de me
cacher sous une table.
— Et je vois que tu as une femme magnifique à ton bras.
— Oui, monsieur, répondit Mase en maintenant sa main contre mon dos.
Voici Reese Ellis. Reese, voici Arthur Stout, un de nos partenaires
commerciaux et l’hôte de ce modeste barbecue.
Arthur émit un petit rire.
— En réalité, la faute revient à mon épouse. Elle voit toujours les choses en
grand. C’est un plaisir de vous rencontrer, Reese. Il était temps que Mase soit
accompagné. Un honnête homme a besoin d’une honnête femme à ses côtés.
Cela fait des années que j’explique cela à Hawkins, mais il fait la sourde
oreille.
— Lorsqu’il la rencontrera, vous n’aurez plus à le lui rappeler. Les choses
se feront naturellement.
L’affirmation de Mase fit battre mon cœur et irradier une sensation de
chaleur dans toute ma poitrine. Arthur Stout acquiesça avec un large sourire.
— C’est bien vrai. Dieu sait que ce fut le cas avec sa mère. Qu’elle repose
en paix. Elle a emporté une part de mon âme en quittant ce monde.
— Arthur, chéri, il faut que tu fasses la connaissance de Chantel, du country-
club. Je te racontais l’agréable moment que nous avions passé autour d’un thé,
l’autre jour, intervint une femme.
Elle avait l’air d’avoir quelques années à peine de plus que moi. Sa bague en
diamant chatoyait dans la lumière.
— J’arrive, ma chérie, répondit-il. Je dois y aller. Amusez-vous bien tous
les deux.
Je le regardai partir, puis tournai les yeux vers Mase, quelque peu perplexe.
— Piper est sa deuxième épouse. La première est décédée du cancer il y a
dix ans. Il a épousé Piper il y a quatre ans, expliqua Mase pour dissiper ma
confusion.
— Mais elle a l’air si jeune, murmurai-je en regardant la femme prendre le
bras du sexagénaire.
— Elle avait vingt-deux ans lorsqu’il l’a épousée. Son fils Hawkins a un an
de plus qu’elle.
Beurk.
Mase scruta mon visage et se mit à rire.
— Viens. Allons prendre un verre. Stout a lancé sa propre brasserie il y a
environ sept ans. Certains cidres devraient te plaire ; je sais que tu n’es pas trop
fan de bière.
Je l’accompagnai jusqu’au somptueux bar.
— Te voilà enfin ! J’ai croisé Aida un peu plus tôt, elle m’a dit que tu étais
arrivé. Je me demandais si tu n’étais pas allé te planquer après l’avoir déposée.
Mase se retourna en direction de la voix. Un homme séduisant aux cheveux
blonds courts et aux yeux d’un bleu pâle avançait vers nous.
— Aida n’a pas précisé que tu venais accompagné, poursuivit-il en
s’arrêtant devant nous pour me dévisager avec un petit sourire satisfait.
— Hawkins, répliqua Mase d’un ton plus tranchant qu’il n’avait utilisé avec
le père de ce dernier.
Hawkins sourit de toutes ses dents avant de tourner enfin son attention sur
Mase.
— Dis-moi que c’est une autre de te cousines, commenta-t-il.
Mase glissa une main autour de ma taille pour m’attirer contre lui.
— Non. Elle est avec moi.
Hawkins continuait de sourire.
— Reese, voici Hawkins Stout. Hawkins, voici Reese Ellis, enchaîna Mase
d’une voix agacée.
Hawkins me tendit la main.
— Enchanté, Reese Ellis.
Je glissai ma main dans la sienne, qu’il souleva aussitôt pour la porter à ses
lèvres et y déposer un baiser. Je me figeai, prise au dépourvu.
Mase se racla la gorge et Hawkins détacha son regard du mien pour toiser
Mase d’un air amusé.
— Du calme. J’ai compris, dit-il avec un petit sourire en coin avant de
reculer. Passez une belle soirée. Nous avons plusieurs bières inédites qui
pourraient vous plaire.
— On va au bar de ce pas, conclut Mase.
Hawkins me gratifia d’un ultime sourire avant d’aller saluer d’autres
convives.
Je m’apprêtais à dire quelque chose mais me ravisai. Comme Mase non plus
ne disait rien, je mis le cap sur le bar.
Il commanda une bière et j’optai pour un cidre à la myrtille. Une fois servis,
nous vîmes arriver Aida droit sur nous… ou sur Mase. Elle avait l’air
totalement bouleversée.
— J’ai besoin de toi, s’étrangla-t-elle.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit-il.
Elle me jeta un regard insistant avant de l’implorer de nouveau.
— Je ne peux pas en parler ici. Je t’en prie.
Mase hocha la tête.
— O.K. Tu veux aller où ?
— Un endroit où on soit seuls. C’est juste… je ne peux pas.
Elle posa une main sur sa bouche et plissa les yeux dans une attitude
dramatique. Je n’étais pas sûre de bien vouloir croire qu’il y avait un
problème.
Mase hocha la tête en direction de la maison.
— Rentrons.
Elle acquiesça. Mase posa une main sur mon dos pour me guider à
l’intérieur. Je savais bien que ce n’était pas l’idée qu’Aida se faisait d’être «
seuls ». Je m’apprêtai à protester lorsqu’elle remarqua que je leur avais
emboîté le pas.
Son visage se renfrogna aussitôt.
— Je ne peux pas en parler avec elle. Toi seulement.
Mase secoua la tête, prêt à en découdre.
— C’est Heath. Il est ici avec elle, expliqua Aida dans un sanglot.
Mase fronça les sourcils.
— Je sais que c’est dur, Aida, mais je ne peux pas laisser Reese toute seule.
Elle ne connaît personne.
J’avais une chance, infime, de m’attirer les bonnes grâces d’Aida.
— Mais si. J’ai un verre, je peux très bien m’asseoir dans une de ces jolies
chaises en attendant. Va avec elle. Elle est bouleversée.
Mase n’eut pas l’air convaincu. Aida sanglota de plus belle :
— Mase, je t’en prie. J’ai besoin que tu me tires de ce mauvais pas.
— Vas-y, répétai-je.
Mase finit par pousser un soupir avant de déposer un baiser sur mon front.
— Je reviens vite, murmura-t-il.
Je hochai la tête. Il emboîta le pas à Aida en direction de la maison. Je les
regardai disparaître à l’intérieur puis me retournai pour embrasser le décor de
la soirée du regard. J’étais dans un lieu plein d’inconnus, et encore personne
ne s’était assis. Peut-être les tables étaient-elles réservées au dîner.
Je m’avançai vers les ombres, hors de portée de la lumière des lampions.
De là j’apercevais la maison et pourrais voir Mase à son retour.
Ce n’est qu’une fois dans la pénombre, lorsque mes yeux s’accommodèrent
à l’obscurité que je me rendis compte que je n’étais pas seule. Je marquai une
pause. Était-ce un problème ? Peut-être devrais-je m’excuser et trouver un
autre endroit tranquille.
— Il vous délaisse pour une autre et vous vous cachez aussitôt dans le noir,
commenta une voix grave.
Je distinguai la silhouette d’un homme adossé à une botte de foin, une bière
à la main. Je le dévisageai rapidement pour voir s’il représentait un danger. En
premier je remarquai son jean, puis sa chemise blanche, semblable à celle que
portait Mase – sauf qu’il avait roulé les manches jusqu’aux coudes. Je notai
surtout ses yeux verts qui brûlaient intensément d’un feu intérieur.
— Vous avez décidé ?
Sa question me fit prendre conscience que je le regardai fixement.
— Quoi ? fis-je d’un air confus.
Il émit un grondement sourd qui ressemblait à un rire, la tête inclinée sur le
côté. Je m’aperçus qu’il avait les cheveux noués en queue-de-cheval. Malgré la
semi-pénombre, je remarquai ses mèches blondes. Il devait passer beaucoup de
temps au soleil.
— S’il était prudent de rester en ma compagnie ? C’est ce que vous vous
demandez, n’est-ce pas ?
Était-ce prudent, en effet ?
— À mon avis, c’est sujet à débat, affirma-t-il.
— Sujet à débat ?
Il avala une gorgée de bière en me scrutant avant de préciser :
— Si c’est prudent ou pas. (Il émit de nouveau un petit rire à peine
perceptible.) Vous avez un visage très expressif.
Comment pouvait-il voir mes traits dans l’obscurité ?
Il changea de position et croisa la cheville gauche sur la droite. Je jetai un
œil à ses bottes, qui n’étaient pas comme celles de Mase. On aurait plutôt dit
des rangers.
— Qu’est-ce que vous faites comme ça dans le noir ? demandai-je malgré
moi.
— Je sirote ma bière en paix, répondit-il en soulevant son verre.
Je hochai la tête. Ça se tenait. Peut-être qu’il n’aimait pas la foule lui non
plus.
— Et vous, qu’est-ce que vous faites comme ça dans le noir ?
Je jetai un œil à la maison ; aucun signe de Mase pour le moment.
— Je… mon ami est allé s’occuper de quelque chose. Sa cousine est toute
chamboulée.
Il me dévisagea en buvant sa bière. Son attitude me rendait nerveuse.
Comme s’il pouvait lire dans mes pensées.
— Alors qu’il sait pertinemment que vous êtes mal à l’aise au milieu d’une
foule d’inconnus. Un homme ne devrait jamais laisser une femme toute seule.
Il ne savait rien de la situation. Qui était-il pour juger ?
— Sa cousine est bouleversée. Je lui ai dit de l’accompagner.
— Ça ne change rien au fait qu’il n’aurait pas dû vous laisser.
Cet homme me déplaisait. Je préférais encore affronter la foule plutôt que
de rester planquée dans le noir avec lui.
— Évitez les suppositions si vous ne savez pas de quoi vous parlez, le
rabrouai-je vertement avant de retourner vers les lumières à temps pour
apercevoir Mase qui me cherchait des yeux.
Il descendait les marches à grandes enjambées et dépassa plusieurs
personnes qui tentèrent d’attirer son attention. Lorsque ses yeux se posèrent
enfin sur moi, il eut l’air soulagé.
Je le rejoignis rapidement en décidant de ne pas lui parler de cette
rencontre.
Mase
Aida en faisait des tonnes. Elle avait commencé à sortir avec Heath l’été
précédent, mais la relation avait plus compté pour elle que pour lui. Elle avait
rompu un an plus tôt parce qu’il l’avait trompée avec une de ses amies. Quand
elle avait commencé à fréquenter le cousin de Hawkins, je l’avais prévenue que
Heath Stout était un séducteur. Et voilà qu’un an plus tard elle donnait dans le
mélodrame ? Elle se doutait bien qu’il serait présent à la soirée.
Je détestais laisser Reese, mais je savais que c’était le seul moyen pour
qu’Aida se calme. Je cherchai Reese parmi la foule de convives. Elle n’était pas
là où elle était censée m’attendre. Plusieurs personnes m’interpellèrent, mais je
restai concentré sur elle. Lorsque je la vis enfin marcher vers moi, je poussai
un soupir de soulagement. Elle allait bien.
— Désolé, fis-je en l’attirant par la taille tout contre moi. Aida faisait sa
drama queen.
— Je t’en prie. Pas de problème. Je me suis un peu baladée.
Je jetai un œil à l’endroit dont elle était sortie et vis un homme surgir de
l’ombre. Il me regarda avec un petit sourire amusé, mais je ne le connaissais
pas. Il portait un jean, des rangers et une queue-de-cheval bien plus
impressionnante que la mienne.
— River, viens ici, je veux te présenter quelqu’un, gronda tout à coup
Arthur Stout.
En me retournant, je le vis agiter une main à l’attention de l’homme à la
queue-de-cheval tandis qu’il revenait vers moi. River le rejoignit sans se
presser. Lorsqu’il arriva à notre hauteur, Arthur le gratifia d’une grande claque
dans le dos.
— Mase, voici River Kipling. Il est le manager du Stout & Hawkins
Steakhouse à Key West. Après avoir ajouté des fruits de mer au menu, il est
désormais à la tête de notre franchise la plus performante. Je l’ai fait venir ici
pour qu’il fasse de même dans nos restaurants de Dallas. Il s’y connaît en fruits
de mer, expliqua Arthur. River, voici Mase Colt, notre principal fournisseur de
bovins à viande, en dehors de notre propre cheptel. Le ranch de Mase offre de
la qualité pure. Il faut absolument que tu ailles lui rendre visite pour voir
comment se déroulent ses opérations.
— De Key West à Dallas. C’est un sacré dépaysement, observai-je.
Je n’appréciai pas sa manière de zieuter du côté de Reese ni la manière
qu’elle avait de se raidir à côté de moi.
— Certains paysages valent particulièrement le détour, répliqua-t-il les yeux
rivés sur Reese.
Je n’appréciais vraiment pas ce genre de conneries.
— Attends-toi à une visite de River et moi la semaine prochaine. Il faut que
je lui présente plusieurs personnes. Maintenant finis ton verre et emmène-moi
cette jolie fille sur la piste de danse, ordonna Arthur avant de s’éloigner en
compagnie de River – qui jeta un ultime coup d’œil à Reese avant de tourner
les talons.
— Je ne l’aime pas, dit Reese avec fermeté.
— Qui ça ? fis-je en la dévisageant.
— Ce type, River. Il m’agace.
Je souris et me penchai pour l’embrasser. J’avais envie de ses lèvres. J’avais
également envie de la plaquer contre un mur avec sa jupe relevée à sa taille.
Les bottes pouvaient rester.
— Moi non plus je ne suis pas fan.
Deux heures plus tard, je m’étais efforcé de sourire et de bavarder avec tous
les invités que mon beau-père aurait voulu que je salue. Tout du long Reese
était restée bien à l’abri à mon côté. Je devais constamment réprimer ma colère
lorsque les hommes détaillaient ses jambes. Ce soir elle les mettait en
évidence, il fallait donc bien s’y attendre. Mais ça ne voulait pas dire que ça me
rendait jouasse.
À ma grande surprise, Reese choisit des travers de porc pour le dîner.
J’étais à peu près sûr qu’elle était la seule femme à en prendre. Le spectacle de
Reese en train de manger ses ribs était sexy comme pas deux et j’avais eu un
mal de chien à me concentrer sur ma propre assiette : mes yeux se rivaient sur
sa bouche et sa langue qui pourléchait la sauce sur ses lèvres.
Après le repas, prêt à partir, je recherchai Aida. Je voulais la laisser ici pour
ne pas avoir à la gérer plus tard une fois à la maison. J’avais de vastes projets
pour Reese et sa petite jupe… sans oublier ses bottes.
— Viens danser, m’incita Aida en refermant par surprise une main sur mon
bras.
— Je suis sur le départ, répliquai-je.
Elle fit la moue.
— Tu n’as pas dansé avec moi de toute la soirée. On danse toujours à ce
genre de fête.
Je m’apprêtais à réitérer mon refus lorsque Reese s’écarta
imperceptiblement de moi.
— Vas-y, danse. J’attends ici.
— Tu vois ? Elle s’en moque. Allons danser.
Aida était bien plus gaie que quand je l’avais laissée. Un peu trop. Ces
derniers jours, ses sautes d’humeur me donnaient le mal de mer. Je n’avais pas
l’habitude qu’elle reste dans les parages pendant si longtemps ; habituellement,
elle venait à raison de quelques jours d’affilée deux fois par an – exception
faite de l’été dernier où son séjour avait été un peu plus long.
Je n’avais pas envie de danser avec elle. Je n’avais même pas dansé avec
Reese, essentiellement parce que je ne voulais pas qu’elle panique à l’idée de
se retrouver au milieu de tous ces gens. À l’évidence elle ne se sentait pas à
l’aise au cœur d’une foule d’inconnus. Danser avec Aida me paraissait injuste.
— S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, supplia Aida en attirant l’attention
sur elle et en me traînant par la main. Après une danse on pourra y aller.
On partirait dès que je serais prêt.
— Vas-y, insista Reese en me poussant gentiment.
Nom d’un chien. Je n’en avais pas envie. Aida et moi avions appris à danser
avec ma mère quand on était gamins, ce qui amusait Aida. Elle n’aimait pas ce
qui me faisait plaisir à moi, comme la pêche, la randonnée et le camping.
C’était Harlow qui m’avait accompagné pour toutes ces activités. Aida avait
toujours été singulière ; elle voulait être le centre de l’attention.
Elle continua à m’implorer en me tirant le bras. Je voyais bien que je
n’allais pas m’en sortir.
— D’accord. Une danse, cédai-je.
Son visage s’illumina d’un large sourire. Je jetai un œil à Reese tandis
qu’Aida m’entraînait en avant :
— Je reviens tout de suite.
Reese hocha la tête en me souriant.
Ça sentait le mauvais plan.
Reese
J’avais déjà fait des ménages dans des demeures somptueuses, mais rien de
comparable à celle-ci. La maison des Finlay était immense et sublime. Elle était
au bord de l’eau, et son allée était remplie de voitures de luxe. Nous logions
chez Grant et Harlow, mais ils étaient partis tôt pour tout préparer. Nous avions
proposé de garder Lila Kate, mais Grant avait répondu qu’elle serait difficile
s’il n’était pas dans les parages. Mase avait répondu que c’était surtout Grant
qui serait difficile. Le spectacle de Grant Carter et de sa fille en train de faire
ses premiers pas en se dandinant était adorable. Il lui tournait constamment
autour, prêt à la rattraper à tout instant. Quand elle tombait, il intervenait à la
vitesse de la lumière et vérifiait qu’elle n’avait rien avant de lui faire des
bisous sur ses petits genoux potelés.
— Kiro est arrivé. Il doit être avec Dean puisqu’ils ont pris la limousine,
constata Mase sans émotion.
Je m’apprêtais à faire la connaissance de deux légendes du rock. Mase était
blasé. Cela dit, Kiro l’avait ignoré la majeure partie de sa vie et je pouvais
comprendre qu’il n’ait pas des masses envie de le voir. Je n’étais pas sûre de
l’apprécier. À mes yeux, beaucoup de choses jouaient en sa défaveur.
Avant même que je n’aie pu poser un pied hors de la Mercedes, Mase l’avait
contournée pour m’aider à sortir. Je le laissais faire, étant donné que j’étais
chargée de la grande boîte à pois rose et marron qui contenait le cadeau de
Lila Kate. Nous avions fait les magasins à Dallas pour trouver le plus beau
cadeau. Nous étions tombés sur une paire de bottes de cow-boy roses assorties
d’un chapeau en cuir de la même couleur et Mase avait insisté pour les acheter.
C’était le cadeau idéal pour Lila Kate de la part de son oncle Mase.
Je lui avais acheté un cheval en peluche qu’elle pourrait emporter partout
avec sa nouvelle panoplie. Mase affirmait qu’il lui apprendrait à monter à
cheval, mais après avoir vu Grant surveiller sa fille, je n’étais pas sûre qu’il la
laisserait monter un jour sur une selle. C’en serait probablement trop pour lui.
— Allons faire la fête, lança Mase en me gratifiant d’un clin d’œil.
Il me prit l’emballage cadeau des mains et je lissai le devant de ma robe
jaune. C’était un luau, une fête hawaïenne, et j’avais revêtu ma plus belle robe
de plage et une paire de sandales à lanières. Harlow était habillée de la même
manière et cette fois-ci je n’avais pas peur de détonner.
— Il y a beaucoup de monde, constatai-je en regardant les voitures qui
arrivaient.
— Oui, Grant a vécu à Rosemary quasiment toute sa vie. Il connaît tout le
monde.
Mase frappa à la porte et une femme nous ouvrit avec un large sourire. On
aurait dit une égérie de Victoria’s Secret.
— Bonjour Mase, dit-elle avant de poser ses yeux d’un vert perçant sur moi.
Salut Reese, comment ça va ?
— Merci pour ton invitation, Blaire. Ça me fait très plaisir de te revoir.
Blaire s’effaça et nous fit signe d’entrer :
— Il faut absolument qu’on s’organise une journée entre filles un de ces
quatre : toi, Harlow, Bethy, Della et moi. Même si pour ça on doit prendre
l’avion pour le Texas, affirma Blaire avec détermination.
Je n’avais jamais eu de journée entre filles. Ça devait être sympa.
— Harlow est au bord de la piscine. Grant fait barboter Lila Kate en
compagnie de Rush et Nate. Sortez donc retrouver tout le monde. Pour l’instant
je m’occupe de l’accueil des invités. J’irai poser votre cadeau avec les autres.
Mase remercia Blaire puis posa une main sur le creux de mes reins pour me
guider à travers l’impressionnante demeure des Finlay jusqu’à un magnifique
patio à l’arrière et un escalier qui menait à une piscine sortie tout droit d’un
hôtel de luxe.
Il y avait des convives partout. Certaines femmes étaient en bikini, d’autres
en robes courtes comme moi. Les hommes en maillot de bain ressemblaient
tous à des top models. Je scrutai les visages pour voir si je reconnaissais
quelqu’un d’autre à part Harlow.
Mes yeux se posèrent sur quelqu’un que je ne m’attendais pas à voir ici. En
maillot de bain, il se prélassait sur une chaise longue, arborant un bronzage à
faire pâlir la plupart des autres gars, à croire qu’il vivait sur un bateau. Depuis
la soirée barbecue je me souvenais parfaitement de sa chevelure : brune avec
des mèches, tirée en une queue-de-cheval emmêlée. Même avec sa paire
d’Aviateur je sentais son regard peser sur moi. Qu’est-ce qu’il pouvait bien
foutre ici ?
— Mase, quel plaisir de te revoir, lança une voix féminine.
En me retournant je tombai sur le visage familier de Della Kerrington, que
j’avais déjà rencontrée ; sauf que cette fois-ci, elle portait un nouveau-né
emmailloté dans une couverture bleue.
— Et Reese, ajouta-t-elle avec un sourire sincère qui me mit instantanément
à l’aise. Je suis contente de vous voir.
Mase désigna le bébé d’un mouvement du menton.
— Félicitations. J’ai entendu dire que ce petit gars était né le mois dernier.
Della baissa les yeux sur l’enfant et sourit.
— Oui. Il est arrivé un mois en avance, mais il est parfait, et je ne me
souviens pas d’avoir été aussi heureuse. Il nous complète.
— Comment s’appelle-t-il ? demanda Mase.
— Cruz. Cruz Woods Kerrington.
— C’est cool comme nom, ça me plaît, la complimenta Mase.
— Moi aussi, et félicitations, ajoutai-je.
Della nous sourit chaleureusement.
— Merci à tous les deux. Je reviens te voir plus tard, Reese. Pour le
moment, je dois donner à manger à un petit garçon affamé, s’excusa-t-elle
avant de retourner à l’intérieur.
— Je l’aime bien, observai-je en la regardant s’éloigner.
— Ouep, c’est la meilleure chose qui soit arrivée à Kerrington. Avant elle
ce type était un vrai coureur de jupons, déclara Mase en me gratifiant d’un clin
d’œil.
Je ris et il glissa une main autour de ma taille pour me guider dans
l’escalier qui menait à la piscine. Je jetai un œil à la chaise où j’avais repéré ce
visage familier, mais il avait disparu. Bizarre.
— Regarde comme je saute, papa ! s’écria une petite voix.
Un adorable garçonnet se tenait au sommet d’une cascade en roche
artificielle. Il avait l’air bien trop petit pour être tout là-haut, mais son regard
brillait d’une lueur déterminée.
— Je te regarde. Fais voir, l’incita une voix d’homme du bassin.
Je m’inquiétais trop du bambin pour détacher mes yeux de lui et regarder
son père. Sa mère savait-elle qu’il était tout là-haut ?
Le garçonnet sourit de toutes ses dents d’un air qui me laissa à penser que
c’était un charmeur malgré son jeune âge. Puis il prit son élan, ramassa son
petit corps en boule et effectua deux saltos avant dans les airs avant de plonger
dans l’eau.
Tout le monde l’acclama, moi y compris. J’étais soufflée.
Sa petite tête émergea, rayonnant de fierté. Il était adorable.
— J’t’avais dit que j’en ferais deux, lança-t-il à Grant.
Puis il nagea jusqu’à lui et gratifia ce grand costaud tatoué d’un high five.
Même si Rush Finlay me tournait le dos, je savais exactement de qui il
s’agissait. Je l’avais déjà vu dans des magazines et à la télé. C’était le fils de
Dean Finlay. Il se retourna pour sourire à Grant qui gloussait de rire.
— Ne doute jamais des capacités de mon fils, ironisa-t-il.
Grant secoua la tête en riant. Rush Finlay avait rejoint l’échelle de la piscine
lorsqu’il leva les yeux sur Mase. Si je n’étais pas entièrement amoureuse de
Mase, je serais bien forcée d’admettre que je n’avais jamais vu d’homme aussi
beau. Mais Mase était incomparable. Rush devrait se contenter d’une seconde
place.
— Mase, lança Rush avec un sourire avant de sortir de l’eau.
Je dus détourner les yeux. Même sa manière de sortir de la piscine était
séduisante.
— Il est doué, ton gamin, commenta Mase.
— Un peu ouais, comme son père, répondit Rush.
— Et il aime bien le rappeler à tout le monde, renchérit Grant de la piscine.
Je me tournai enfin vers Rush Finlay. J’étais bien contente qu’il ait une
serviette autour de la taille. Même si elle ne cachait pas les gouttes d’eau qui
ruisselaient sur son torse.
Rush tourna son attention vers moi.
— Reese, fit-il en me surprenant à m’appeler par mon prénom. Ravi de te
rencontrer.
— Ravie moi aussi, parvins-je à marmonner.
Puis il se tourna vers Mase :
— Tu as vu Kiro ?
— Pas encore, répondit Mase en secouant la tête.
— Il est à l’intérieur avec Emily. Il préfère qu’elle ne reste pas trop au
soleil.
Mase écarquilla les yeux.
— Emily est ici ?
Rush passa une main dans ses cheveux courts gorgés d’eau avant de hocher
la tête.
— Ouais. Il ne voulait pas qu’elle rate l’anniversaire de sa petite-fille.
Ça alors. Après tout ce que Mase m’avait raconté sur la mère de Harlow, je
n’aurais jamais pensé que Kiro la laisserait sortir de son centre médical
spécialisé de Los Angeles, ne serait-ce que pour une journée.
— J’imagine qu’il se sent de l’emmener avec lui maintenant que le monde
entier est au courant de son existence, commenta Mase d’un air préoccupé.
— Mon père pense que c’est la dernière année que Kiro enregistre avec
Slacker Demon. Selon lui, Kiro est prêt à quitter le groupe. J’imagine que le
moment est venu pour tous les autres aussi. Après tout, ils sont ensemble
depuis vingt-cinq ans.
— Il est temps qu’ils prennent leur retraite, approuva Mase.
— Le monde de la musique n’est pas de cet avis, pourtant, pondéra Rush.
Mais s’ils sont tous prêts, alors c’est le moment. Je ne suis pas sûr que mon
père en soit là.
La conversation se poursuivit et je tournai mon attention vers les autres. Je
scrutai la piscine et le cabanon à proximité lorsque mes yeux accrochèrent de
nouveau la même paire d’Aviateur. Il était encore en train de m’observer.
Mase
Nous n’avions pas encore vu Harlow, mais nous savions à présent qu’elle
était sans doute en compagnie de ses parents. La présence d’Emily lui était
difficile. Elle avait passé la majeure partie de sa vie avec la certitude que sa
mère était morte. Lorsqu’elle avait découvert qu’elle était vivante, mais
incapable de communiquer ou de faire quoi que ce soit, elle avait eu beaucoup
de mal à gérer. Kiro avait-il seulement pensé aux sentiments de Harlow en
emmenant Emily avec lui ?
Agacé, je cherchai des yeux une personne à qui confier Reese pendant que
j’allais m’assurer que ma sœur allait bien. Si mon père lui gâchait cette
journée, j’allais me mettre en rogne. Ne pouvait-il pas penser à autre chose
qu’à lui-même, pour une fois ?
Je vis Blaire sortir de la maison et touchai le coude de Reese :
— Je vais vérifier que Harlow s’en sort malgré la présence de sa mère. Elle
n’a pas l’habitude et ça m’inquiète. Je te laisse quelques minutes avec Blaire.
Ça te va ?
— Bien sûr, acquiesça Reese.
En nous voyant approcher, Blaire nous rejoignit aussitôt.
— J’allais voir Harlow. Elle n’est pas dehors, et je sais qu’Emily est ici,
donc…
Ma phrase resta en suspens. Je savais que Blaire comprendrait mon
inquiétude. Elle hocha la tête.
— Vas-y. Ça me laisse le temps de faire la connaissance de Reese. On va
discuter autour d’un Mai Tai.
Je jetai un œil à Reese, qui m’encouragea d’un petit coup de coude.
— Ça va aller. File.
La sachant en sécurité, je regagnai la maison pour chercher ma sœur.
Je ne mis pas longtemps à la trouver. Elle se tenait dans la cuisine, les yeux
braqués au mur. C’est ce que je craignais. Harlow n’avait pas besoin de gérer
ce genre de conneries le jour de l’anniversaire de sa fille. Évidemment, c’était
sa mère, mais elle n’avait pas eu beaucoup de temps pour digérer le fait qu’elle
en avait une, et encore moins pour accepter le fait que notre père l’avait
secrètement tenue enfermée à l’écart du monde.
— Harlow, murmurai-je pour ne pas l’effrayer.
Elle se retourna, les yeux brillant de larmes contenues.
— Salut, dit-elle doucement.
— Je vais lui dire de partir. Il n’aurait pas dû te faire ça, assénai-je d’une
voix qui trahissait ma colère.
Elle secoua la tête.
— Non, ce n’est pas ça. Il m’avait prévenue qu’il l’amènerait. C’est plutôt…
ce n’est pas à cause d’elle que je pleure. Mais à cause de lui. Le voir en sa
compagnie me brise le cœur, Mase. Tu ne les as pas vus. Jusqu’à récemment,
j’ignorai tout de cette facette de notre père. Quand il est avec elle, tout prend
son sens. Lui-même prend tout son sens. Elle était tout pour lui, et il l’a perdue
dans des circonstances tragiques. Je le regarde, et je me dis… et si je ne m’en
étais pas sortie ? Et si j’étais morte en salle d’accouchement ? Et si Grant
s’était retrouvé à élever Lila Kate sans moi ? Aurait-il été capable de devenir
ce père aimant et merveilleux qu’il est aujourd’hui, ou aurait-il fait comme
Kiro ? (Elle renifla et essuya ses larmes.) Tu lui en veux terriblement, et je
comprends pourquoi. Je sais qu’il s’est mal comporté avec toi et ta mère. Mais
il était brisé et, pendant un temps, ma mère l’a sauvé, avant qu’il ne la perde. Il
ne sait pas être heureux. Il a perdu l’amour de sa vie.
Je m’apprêtai à répliquer que ce salaud avait des gosses et des
responsabilités, mais je me ravisai en voyant le visage de Reese passer en un
éclair devant moi. Je l’avais trouvée. Elle avait changé mon monde et, même
au bout de si peu de temps, je savais qu’elle représentait tout mon avenir. Et si
je devais la perdre ? Et si elle devait disparaître demain ? Comment ferais-je
face ? Est-ce que j’arriverais seulement à m’en relever ?
— Il est comment avec elle ? m’enquis-je.
J’avais besoin de croire que Kiro pouvait aimer de cette manière. Je voulais
malgré tout que l’homme qui m’avait donné la vie ait des qualités qui rachètent
ses torts. J’avais toujours été persuadé que c’était impossible.
Harlow sourit, les yeux emplis d’émotion.
— Il la traite comme la chose la plus précieuse au monde. Il lui brosse les
cheveux et lui raconte des histoires du passé. Il l’appelle son ange. C’est…
c’est magnifique. J’aurais aimé qu’il ait la chance de vivre sa vie avec elle. Je
pense qu’on aurait tous les deux grandi avec un père totalement différent.
Même Nan serait sans doute différente si ça avait été le cas.
L’amour pouvait-il détruire quelqu’un à ce point ? Je ne m’étais jamais posé
la question, mais plus d’une fois je m’étais demandé si Kiro avait une âme. Je
voyais sa manière de vivre et je me demandais comment ma mère avait pu
faire l’erreur grossière de coucher ne serait-ce qu’une seule fois avec cet
homme.
Mais s’il avait perdu son âme lorsqu’il avait perdu son avenir avec Emily,
alors il n’était plus un tel monstre à mes yeux. Ça le rendait humain – pas le
dieu du rock qu’on connaissait, mais un homme qui avait aimé de tout son être
et perdu cet amour.
— Il nous aime. Il t’aime. Il est fier de toi. Je l’ai entendu parler de toi à
Emily l’autre jour. Apparemment ma mère aussi t’aimait. Il lui racontait que tu
étais devenu un beau jeune homme et qu’elle serait fière du petit garçon qu’elle
avait adoré. Il ne sait pas partager ses émotions, mais Emily est tout pour lui.
Son seul lien avec le bonheur. Je veux qu’elle soit à ses côtés.
Je n’avais jamais entendu Kiro me dire qu’il était fier de moi. Je ravalai la
boule d’émotions qui comprimait ma gorge et hochai la tête.
— D’accord. Dans ce cas viens dehors avec moi. Profite de la fête de ta fille.
Célébrons la vie. La tienne et la sienne.
Harlow sourit et enroula ses bras à ma taille.
— Tu me donnes une autre raison d’aimer papa. Il m’a donné le meilleur
frère au monde.
Mes yeux ne me picotaient pas du tout… O.K., d’accord, un peu quand
même.
Reese
Blaire nous dégota un Mai Tai chacune avant de me guider vers deux
chaises longues. Elle montra du doigt la cascade en roche artificielle :
— Il ne faudrait pas rater le spectacle.
Je tournai mon attention vers la cascade en sirotant ma boisson. Nate Finlay
était de nouveau perché au sommet mais cette fois-ci il tenait la main d’un
homme plus âgé. Même sans voir sa silhouette élancée, je l’aurais reconnu à
son corps musclé recouvert de tatouages et aux bracelets en or à ses poignets.
— Dean Finlay, murmurai-je.
Je savais qu’il serait ici, mais je ne m’attendais pas à le voir comme ça.
— Ouep, fit Blaire d’un ton amusé.
Nate hurla : « Go ! » et ils plongèrent ensemble dans l’eau.
— Il essaie de convaincre Dean de faire des saltos avec lui, mais Dean
refuse. Il a peur de se casser quelque chose.
Je ris en pensant à l’image de Dean en train de faire des pirouettes dans une
piscine.
— C’était ma chaise, interrompit une voix dans mon dos.
Je la reconnus instantanément. Je n’étais pas sûre d’avoir envie de croiser
son regard. Je n’avais toujours pas compris ce qu’il faisait ici. J’attendais que
Mase se rende compte de sa présence et fasse quelque chose, en vain.
— Sois gentil, Captain. Si tu as envie de te joindre à nous, tu peux t’asseoir
là, répliqua Blaire en montrant une chaise de l’autre côté de la mienne.
Captain ? Je croyais qu’il s’appelait River Kipling. Ça ne ressemblait en
rien à Captain.
— Reese, voici mon frère Captain. Il passe son temps à faire le petit malin,
annonça Blaire.
Son frère ? Quoi ?
— Je ne fais pas mon petit malin, sœurette. Je dis juste ce que je pense. Je ne
tourne pas autour du pot. Inutile de gaspiller ma salive.
Blaire émit un petit gloussement avant de lever les yeux au ciel.
— En fait il est sympa une fois qu’on le connaît.
Pour l’avoir déjà rencontré, je n’étais pas d’accord avec le fait qu’il était
sympa. D’autant plus qu’il m’avait menti sur son nom.
— Je… euh.
Fallait-il dire à Blaire que je l’avais déjà vu ?
— Ce qu’elle veut dire, c’est qu’on s’est déjà rencontrés. On était tous les
deux à la soirée organisée par mon nouveau partenaire commercial. Cependant
je me suis présenté sous le nom de River Kipling. (Il se tourna vers moi.) C’est
mon vrai nom. Captain est un surnom.
Blaire écarquilla les yeux en se redressant dans sa chaise :
— C’est vrai ?
Je hochai la tête. J’eus envie d’ajouter qu’il s’était comporté comme un
imbécile, mais me ravisai. J’aimais bien Blaire. Je ne voulais pas insulter son
frère.
— Ton copain a dansé avec sa cousine depuis ? s’enquit Captain, River, ou
quel que soit son nom.
Décidément ce type ne me revenait pas. Je me fendis d’un sourire et secouai
la tête. Même s’ils avaient fait une sortie à cheval et un tour aux enchères de
bovins ensemble. J’avais incité Mase à aller aux deux dans l’espoir qu’Aida
devienne une copine, mais ça n’avait servi à rien. Elle continuait à me fusiller
du regard ou à me gratifier de petits sourires triomphants chaque fois qu’elle
quittait la maison seule avec Mase, comme si elle avait remporté une espèce de
concours. C’était vraiment bizarre.
— Ça ne m’aurait pas gêné de voir ça, commenta-t-il. J’ai posé des
questions sur eux à Hawkins, et il m’a répondu qu’Aida n’était pas vraiment la
cousine de Mase. C’est la nièce de son beau-père, et en plus elle a été adoptée.
On dirait bien qu’elle a des vues sur ton homme.
— Captain, ça suffit. Mase est dingue de Reese. Elle a déménagé à Dallas
pour vivre avec lui. Et il veille sur elle exactement comme Rush veille sur moi.
Ne va pas lui donner matière à s’inquiéter.
J’appréciai les mots de Blaire, mais si Captain disait vrai, alors… était-il
possible qu’Aida ressente plus pour Mase qu’un simple lien familial ? Voulait-
elle plus ? Cette idée me fit grincer des dents. Si c’était vrai, c’était
complètement tordu.
— Tu n’as pas vu sa cousine, insista Captain. Des longs cheveux blonds,
toute en jambes et en belles courbes. Un sacré spectacle.
Quoi encore ? Il essayait de me faire peur ? Pourquoi me détestait-il autant ?
Je ne lui avais rien fait. Il était grossier avec moi depuis le début.
— Et donc, Reese, tu fais quoi au ranch toute la journée ? demanda Blaire
pour changer de sujet.
Je couchais avec Mase, je me baladais, je faisais le ménage, à part ça rien de
spécial. Il fallait que je m’occupe. Je n’aimais pas vivre aux crochets de Mase.
J’avais envie de gagner de l’argent et de décrocher mon diplôme de fin
d’études secondaires. J’avais l’intention d’en parler à Mase à notre retour.
J’avais besoin d’un projet de vie.
— J’ai rendu visite à ma famille à Chicago pendant un mois et depuis mon
retour je passe du temps avec Mase autour du ranch. Je veux trouver un travail.
Je n’ai pas encore commencé à chercher, mais je pensais faire des ménages. Et
j’aimerais reprendre des études.
Je passai sous silence le fait que c’était en vue de passer mon bac, puis de
suivre un programme de formation universitaire en ligne, si j’en avais les
moyens.
— Ça te plaît, les ménages ? s’enquit Blaire.
Pas vraiment, mais pendant longtemps je n’avais pas pu prétendre à autre
chose. Maintenant que je lisais mieux, d’autres options s’ouvraient à moi. Je
m’inquiétais de ma capacité à me concentrer sur ma lecture et mon écriture une
fois sous pression dans le cadre d’un travail.
— Ce n’est pas le boulot de mes rêves, mais je le fais bien. Si je trouve autre
chose, je l’accepterai volontiers. J’ai envie de passer à autre chose.
Blaire sourit.
— Ouais, moi aussi j’avais envie de passer à autre chose quand je
m’occupais des voiturettes à boissons sur le terrain de golf. Je comprends tout
à fait.
— Reese.
La voix de Mase me parvint comme un véritable soulagement. Je levai les
yeux : il se tenait devant moi. Son regard glissa jusqu’à Captain.
— Kipling, c’est ça ? fit-il d’un air perplexe et un peu énervé.
— Colt, c’est ça ? Il paraît qu’en réalité c’est Manning, répliqua Captain en
dévisageant Mase d’un air blasé.
— Mase, voici mon frère Captain, dont le vrai nom est River Kipling,
expliqua Blaire.
— Ton frère ? répéta Mase en la regardant d’un air intrigué.
— Eh oui.
— « Le monde est petit » et toutes ces conneries, commenta Captain.
— Ouais, acquiesça Mase avant de me tendre la main. Merci, Blaire, d’avoir
tenu compagnie à ma chérie. Harlow va bien et ne va pas tarder à sortir pour
profiter de la fête de sa fille.
— Tant mieux, commenta Blaire, visiblement soulagée.
Je glissai ma main dans celle de Mase pour me relever.
— Ça m’a fait plaisir de discuter avec toi, dis-je à Blaire en évitant
soigneusement de croiser le regard de Captain.
Je crus entendre un petit rire grave suite à mon affront manifeste, mais je
l’ignorai.
— Je passerai au ranch la semaine prochaine avec Hawkins pour voir
l’exploitation bovine, lança Captain à Mase.
Ce dernier hocha la tête.
— À la semaine prochaine, alors.
Je voyais bien que je n’étais pas la seule à ne pas apprécier Captain River
Kipling.
Nous traversâmes le jardin et Mase me prit un autre verre. Lorsqu’il se
tourna pour me le tendre, je vis ses yeux se fixer sur quelque chose, ou
quelqu’un, derrière moi.
— Kiro, fit-il simplement.
Kiro. Kiro Manning. J’avais regardé Dean Finlay sauter d’un rocher avec
son petit-fils et maintenant Kiro Manning se tenait derrière moi.
— Content que tu aies pu venir. Harlow voulait que tu sois là, répliqua une
voix grave.
Mase le fusilla du regard avant de rétorquer :
— Je ne laisse jamais tomber ma sœur.
Derrière moi l’homme souffla et Mase se raidit. Je lui caressai doucement
le bras pour tenter de le calmer.
— Tu vas me présenter à ton amie ? s’enquit Kiro.
Mase posa les yeux sur moi et je me retournai enfin pour faire face à son
père. Il était exactement comme sur les photos que j’avais vues de lui, et se
mouvait de la même manière que dans ses clips. Mais il avait abandonné son
fils pendant des années. Je ne pouvais pas le lui pardonner.
— Kiro, voici Reese, ma petite amie. Reese, je te présente mon père, Kiro
Manning.
Kiro me sourit et secoua la tête.
— Ce gars ne présente jamais aucune fille comme sa petite amie. Tu dois
être exceptionnelle.
— C’est, euh, hum… ravie de vous rencontrer.
Kiro eut un petit sourire narquois. Il ressemblait tellement au petit sourire
de Mase que je le dévisageai d’un air fasciné.
— Il faut que j’aille trouver ma petite-fille et voir si je peux la prendre à
Grant suffisamment longtemps pour qu’elle rencontre Emily, affirma Kiro
avant de tourner les talons.
Le départ abrupt de son père ne sembla pas déranger Mase le moins du
monde. Bien au contraire, il me guida d’une main posée sur le creux de mes
reins :
— Allons manger un bout.
Mase
Arthur Stout avait rendez-vous avec moi à la grange le jour même. Il avait
appelé la veille pour m’expliquer qu’il voulait faire l’acquisition d’un de mes
quarter horses âgés, le mieux dressé, pour le centre équestre que son épouse
gérait sur les terres du ranch. En temps normal, je n’échangeais que du bétail
avec les Stout, mais parfois sa femme avait besoin d’une monture fiable pour
ses cours. Arthur s’adressait toujours à moi et, en l’occurrence, j’avais deux
chevaux qui pourraient bien faire l’affaire.
J’avais embrassé Reese sous la couette avant de partir. Le soleil n’était pas
encore levé. Ça m’ennuyait de savoir qu’elle resterait la majeure partie de la
journée à la maison, à moins qu’elle ne décide de passer me voir. Elle n’avait
pas besoin de ce genre d’isolement. Aida était partie rendre visite à grand-mère
Colt pendant quelques jours en compagnie de ma mère et j’étais soulagé de ne
pas avoir à gérer tout ce drame pendant que j’essayais de trouver un moyen
d’offrir à Reese une vie bien remplie.
J’aperçus Arthur qui garait sa Ford F-450. J’époussetai la terre de mes
mains et m’approchai du véhicule pour l’accueillir. J’avais bouchonné et
brossé Buttercup et Rose pour qu’il les examine. Les deux auraient quatorze
ans cette année. L’âge parfait pour des débutants.
— Bonjour Mase, me lança Arthur en descendant la colline à ma rencontre.
— Bonjour, répliquai-je en reculant mon chapeau pour mieux le voir.
— C’est déjà l’après-midi pour un rancher, hein mon garçon ? s’exclama-t-
il en riant.
Il n’était que 9 heures du matin, mais il avait raison. On se levait
suffisamment tôt pour que 9 heures ressemble davantage au milieu de journée
des autres gens. Arrivé au sommet de la colline, il jeta un œil au manège et
hocha la tête :
— Beau travail. Les affaires doivent bien marcher pour toi. Je suis ravi de
voir ça.
— Oui, monsieur, les affaires sont florissantes.
— Tant mieux, tant mieux, dit-il en retirant son chapeau pour essuyer la
sueur de son front avec sa manche. Je suis venu voir ces chevaux dont je t’ai
parlé au téléphone, mais j’ai aussi une autre proposition pour toi. L’entreprise
de mon épouse est prospère et elle a besoin d’aide pour toute la partie
administrative du travail : les coups de fil, les mails, et aussi nettoyer la
sellerie, ce genre de choses. (Il ménagea une pause et coiffa de nouveau son
chapeau.) J’ai entendu dire que ta petite amie cherchait un travail. Elle m’a bien
plu, et je pense qu’elle s’entendrait bien avec Piper.
Où avait-il entendu dire que Reese cherchait un travail ? Elle ne m’en avait
pas parlé. En plus, je n’étais pas sûr d’avoir envie qu’elle bosse sur la
propriété des Stout. Pas avec Hawkins dans les parages.
— Je ne suis pas certain qu’elle cherche un travail. Elle ne m’en a pas parlé.
Je ne sais pas d’où vous tenez cette information, elle a plutôt envie de
reprendre ses études. Mais j’apprécie l’offre.
Arthur eut l’air déçu. Il hocha la tête :
— Compris. Je voulais juste vérifier. Piper a eu d’autres femmes en
entretien, mais elles étaient… plus âgées et elles l’ont traitée, euh, comme,
euh… disons que ça n’a pas fonctionné. Elle a besoin de quelqu’un de son âge.
J’acquiesçai d’un mouvement de tête. Mais je n’allais pas le laisser
entretenir cette idée.
— Vous êtes prêt à voir les championnes ? m’enquis-je en gagnant l’écurie.
Reese ne cherchait pas de travail. Sinon elle m’en aurait parlé, non ?
Reese
Comme à son habitude, Mase était parti tôt ce matin-là, mais il revint aux
alentours de 8 h 30 pour me réveiller. Piper avait été ravie d’apprendre que
j’étais intéressée par le poste. Elle m’attendait vers 11 heures. Heureusement,
elle ne vivait pas au rythme du ranch. Elle aimait bien dormir.
Mase m’embrassa et m’assura que j’allais très bien m’en sortir. Il viendrait
me chercher vers 10 h 40 pour m’accompagner au rendez-vous. Je n’avais pas
de voiture et en plus je n’étais pas sûre de me repérer dans les environs. Voilà
une autre question à laquelle je n’avais pas pensé. Comment faire pour me
rendre au travail tous les jours ? Car cette fois-ci je ne pourrais pas y aller à
pied.
Mase
Quand mon réveil sonna à 6 h 30, je m’étirai de tout mon long. Les
événements de la soirée précédente et la tristesse avec laquelle je m’étais
endormie me revinrent à l’esprit. Mase était parti avec Aida pendant une
éternité. Je l’avais attendu pour dîner pendant plus d’une heure, avant d’avoir
trop faim et de manger seule, après quoi j’avais débarrassé, puis pris une
douche. Et il n’était toujours pas arrivé.
Quand l’heure était venue de prendre mon livre de lecture, je m’étais rendu
compte que c’était un phénomène récurrent. Aida avait besoin de lui, et il
accourait. Ça m’inquiétait. Ils n’étaient pas liés par le sang, mais ce n’est pas
lui qui me l’avait appris. Quelqu’un d’autre s’en était chargé.
Je secouai la tête, repoussai la couverture et me levai. Il fallait que je me
concentre sur ma journée de travail. Pas sur Mase. Ni sur Aida. Il fallait que je
trouve une solution à cette situation. J’espérais bien que mon attitude de la
veille avait envoyé le bon message. Il m’avait contrariée et je voulais qu’il en
ait conscience. Je ne passerais pas ma vie en seconde position derrière sa
cousine.
Lui était ma priorité. Pourquoi pas moi ?
Je me brossai les dents et m’habillai. Aujourd’hui, plutôt que de bouder
parce que Mase m’avait déçue la veille, j’allais faire mes preuves au travail.
Lorsque je sortis de la chambre, j’aperçus Mase debout devant les
fourneaux. Il me tournait le dos, mais je voyais bien qu’il était occupé à faire à
manger. Je traversai le salon pour me rapprocher de la cuisine.
Mase se retourna au moment où j’entrais et me gratifia de ce sourire qui me
faisait battre le cœur.
— Bonjour, beauté. Le petit déjeuner est quasi prêt.
Le petit déjeuner ? Habituellement on mangeait des céréales ou quelque
chose que Maryann, sa mère, nous avait apporté. Mase n’était-il pas censé
travailler aux écuries ?
— Assieds-toi, je vais te chercher un jus d’orange, m’invita-t-il en
s’essuyant les mains sur le torchon calé sur le devant de son jean.
Je restai interdite. Je ne comprenais toujours pas ce qui se passait.
Il s’immobilisa en voyant mon expression.
— Ça va ? s’enquit-il d’un air préoccupé.
Je hochai la tête et m’installai à table pendant qu’il me servait un verre de
jus d’orange.
— Le café sera bientôt prêt.
— Qu’est-ce que tu fais ? bafouillai-je.
Il fit glisser ce qui ressemblait à une omelette de la poêle dans une assiette et
se tourna vers moi.
— Je te prépare le petit déj. Je n’ai pas pu te faire à dîner après ton premier
jour de travail. Alors j’ai pensé me rattraper sur le petit déjeuner de ton
deuxième jour, même si ce n’est pas la même chose. Je n’ai pas fermé l’œil de
la nuit. Je t’ai regardée dormir. Je m’en voulais de t’avoir laissée toute seule.
Il s’approcha de moi avec un air sérieux. Il posa l’assiette devant moi puis
se pencha en avant pour plonger son regard dans le mien.
— Jamais je ne t’abandonnerai, et pourtant je l’ai fait hier soir. Ça ne se
reproduira plus. Tu es la personne la plus importante de ma vie.
Mon cœur, tout étourdi, s’emballa. J’étais en colère contre lui, mais ses
paroles la faisaient fondre comme neige au soleil. C’était Mase. L’homme en
qui j’avais confiance, que j’aimais. Je lui souris.
— Merci, murmurai-je.
Il se pencha vers moi et m’embrassa tendrement.
— Ne me remercie pas. Je ne le mérite pas, murmura-t-il contre mes lèvres.
Sois en rogne contre moi. Balance-moi des trucs à la figure. Merde, si tu veux,
donne-moi une beigne. Mais ne me remercie pas. Ça me tue.
Je pris son visage entre mes mains. J’adorais ce visage.
— Et si je t’aimais, plutôt ? répliquai-je en souriant.
Il ferma les yeux et se laissa aller entre mes mains.
— Ça me semble pas mal.
Je jetai un œil à l’assiette qu’il avait déposée devant moi. Son omelette au
fromage avait l’air divine, et suffisante pour trois personnes.
— Prends-toi une assiette et mange avec moi. Elle est énorme.
— C’est pas faux, fit-il en riant.
Au cours du petit déjeuner, je lui parlai de tout ce que j’avais eu envie de lui
dire la veille. Il me raconta sa journée, et pourtant j’eus l’impression qu’il
laissait quelque chose de côté. Ça se voyait dans ses yeux. Et à aucun moment il
ne m’expliqua pourquoi Aida était venue.
Ça me gênait.
Quelque chose turlupinait Reese. Depuis que j’étais allé la chercher dans
l’après-midi, elle semblait lointaine. Son sourire ne collait pas avec son
regard. Et puis elle donnait l’impression de s’accrocher à moi. Non pas que ça
me dérange. Mais elle ne me laissait pas la quitter d’une semelle. On avait pris
une douche ensemble avant de faire l’amour dans la salle de bains, puis de se
reposer sur le canapé, serrés l’un contre l’autre.
À présent elle était assise sur mes genoux, un bras autour de mes épaules, la
tête sur ma poitrine. La culpabilité de la nuit dernière me taraudait encore.
Pourquoi se comportait-elle si différemment ? Avait-elle peur que je
l’abandonne de nouveau ? Avait-elle l’impression qu’il fallait qu’elle s’agrippe
à moi ? J’adorais ça, mais je ne voulais pas qu’elle le fasse parce qu’elle s’en
sentait obligée.
Je voulais qu’elle sache que j’étais à elle pour toujours. Inutile de me suivre
comme mon ombre. Je n’irais nulle part. Je caressai ses cuisses nues du bout
des doigts en pensant à tout ce qu’elle avait traversé pour en arriver là.
Elle avait tellement évolué que je ne me pardonnerais jamais si mes
agissements stupides lui mettaient des bâtons dans les roues. Elle était à moi,
mais j’étais tout autant à elle. Personne d’autre ne pourrait me posséder de cette
façon.
— Je t’aime, murmurai-je dans ses cheveux.
— Moi aussi, je t’aime, répondit-elle en dessinant un cœur sur ma poitrine
du bout des doigts.
— Je ne te quitterai plus, promis-je.
Il fallait qu’elle me croie. Elle resta silencieuse, à tracer des cœurs sur ma
poitrine.
— Je t’appartiens, Reese. Sache-le, bébé. Sache que je t’appartiens.
Elle interrompit ses dessins et inclina son visage vers moi.
— Et si un jour tu n’étais plus à moi et que tu n’y pouvais rien ?
Que voulait-elle dire ?
— Je peux te jurer que ça ne changera jamais. Personne d’autre ne me
conviendrait mieux que toi. Personne ne me complète comme toi. Personne
n’aura jamais cette place.
Elle sourit et déposa un baiser sur ma poitrine.
— J’ai envie de te croire.
Eh ben merde alors. Moi aussi j’avais envie qu’elle me croie. Il me semblait
que c’était le cas. Est-ce que la pagaille de la nuit dernière avait remis ça en
doute ? L’avait fait douter de moi ?
Je pris son visage entre mes mains de sorte qu’elle me regarde droit dans
les yeux.
— Tu vois cet homme face à toi ? Il t’aimera jusqu’à son dernier souffle.
C’est toi et personne d’autre, Reese. Toi.
Elle se laissa aller dans mes bras.
— O.K.
O.K. ? Ha ! C’est tout ce qu’elle allait dire ? O.K. ?
— Ce « O.K. » veut dire que tu me crois ?
Elle hocha la tête.
— Je te crois. Je te crois tout le temps.
Je l’attirai contre mon torse pour la serrer fort. C’était ma place. Avec elle
je serais toujours chez moi. Le moment était venu de passer à l’étape suivante
et de lui prouver que j’étais sérieux. Pour toujours.
Ce matin-là, Reese bavardait au téléphone avec son père. Elle n’était pas
attendue au travail avant 9 heures, et elle l’avait appelé pour prendre de ses
nouvelles. Elle n’avait pas trop l’habitude de faire ça. Il allait sans doute lui
demander bientôt de leur rendre visite et il me faudrait préparer le ranch pour
mon absence. Hors de question qu’elle y retourne sans moi.
— Oui, j’adore y aller. Piper, ma boss, est vraiment super. Et j’ai appris à
bouchonner les chevaux, expliqua-t-elle d’une voix enjouée.
Son enthousiasme me donna le sourire. Au début, je n’avais pas trop su quoi
penser quand son père avait débarqué dans sa vie. J’avais peur qu’il n’ait des
arrière-pensées. Mais ce n’était pas le cas. Il souhaitait sincèrement faire la
connaissance de sa fille. Je ne m’étais pas aperçu à quel point Reese en avait
besoin. Les horreurs de son passé semblaient s’estomper, même si elles
feraient toujours partie d’elle. Mais elle refusait qu’elles définissent sa vie. Sa
mère et son beau-père ne lui servaient pas d’excuse pour ne pas aller de
l’avant. Reese croyait en elle.
Après l’avoir déposée au travail, je me rendis chez ma mère. Je ne lui avais
pas parlé depuis l’incident avec Aida. Je savais que son pick-up était parti, mais
je ne posai aucune question. J’étais plus que soulagée de la savoir loin.
En revanche le pick-up de Major était de nouveau là. Il avait été absent la
veille, mais apparemment il n’avait pas quitté la ville. Je me garai et gagnai la
maison.
Major était encore attablé.
— Tu t’es cru où ? Dans un bed and breakfast ? ronchonnai-je en allant
embrasser ma mère et me servir une tasse de café.
— Fais pas la tronche. Il y en a tout plein pour toi aussi, répondit-il la
bouche pleine.
— Bonjour mon fils, m’accueillit ma mère.
— Bonjour, m’man.
— Reese est au travail ? s’enquit-elle.
Je hochai la tête en avalant une gorgée brûlante.
— Tu lui as dit que ta cousine en pinçait pour toi ? enchaîna Major.
Si je n’avais pas été chez ma mère, je lui aurais mis mon poing dans la
gueule.
— Major, le mit en garde ma mère.
Il leva les deux mains en l’air.
— Je demande, c’est tout.
— Aida est rentrée chez ses parents. Elle a arrêté l’université en plein
semestre, et ils vont l’obliger à y retourner cet été. Son père n’est pas très
content qu’elle ait tout plaqué pour venir ici, expliqua ma mère. Mais elle est
jeune et elle va apprendre. Laissons tout cela derrière nous.
— Donc tu n’as rien dit à Reese, insista Major en souriant de toutes ses
dents.
Je le fusillai du regard par-dessus ma tasse de café.
— Moi non plus je n’aurais rien dit. C’est super flippant quand tu y
réfléchis.
— Tu vas la fermer, oui ? grognai-je.
Il se leva pour aller déposer son assiette vide dans l’évier.
— Mais oui je vais la fermer. Le boulot m’attend.
— Le boulot ? répétai-je, surpris.
— Ouais. Je travaille sur la construction de l’extension du restaurant Stout
& Hawkins. Le nouveau type qui chapeaute le projet, River Kipling, m’a
embauché. Si la franchise réussit aussi bien que celle de Key West, Arthur
l’enverra à Rosemary Beach pour en construire une autre, et j’irai avec lui.
Histoire de me lever une de ces bombasses dont j’arrête pas d’entendre parler.
La perspective de River Kipling déménageant en Floride, loin de Reese,
était très agréable.
Reese
Une heure après mon arrivée, Piper pénétra dans le bureau avec deux tasses
de café.
— Bonjour, lança-t-elle gaiement.
Aussi bizarre que ce soit de l’imaginer mariée à Arthur, un homme qui
aurait pu être son père, j’aimais bien Piper. Elle avait les pieds sur terre, et je
l’avais vue donner ses cours d’équitation aux enfants : elle était gentille. Je
culpabilisais d’avoir pensé qu’Arthur l’avait épousée pour sa beauté et sa
jeunesse et qu’elle l’avait épousé pour son argent. Piper ne dégageait pas ce
genre d’ondes.
— Bonjour, répondis-je en prenant la tasse qu’elle me tendait. Merci. J’en ai
bien besoin.
— Une bonne tasse de café ça fait toujours du bien, dit-elle en prenant place
sur un des fauteuils en cuir. Alors, dis-moi, comment ça se passe pour toi ?
J’adorais mon travail. J’avais l’impression d’être productive.
— Ça me plaît beaucoup.
Piper prit une gorgée et me sourit par-dessus le rebord de sa tasse.
— Tant mieux. Je suis très satisfaite de ton travail. Tu te donnes à cent pour
cent. Tu travailles avec application et détermination. Les employés comme toi,
ça ne court pas les rues. J’espère pouvoir te garder pendant un moment.
— Merci, répliquai-je en sentant ma poitrine se gonfler de fierté.
J’avais eu tellement peur de ne pas être à la hauteur. Et voilà qu’elle se disait
impressionnée par mon travail. J’en étais capable. Mase avait raison. Il croyait
en moi, il fallait que j’en fasse de même.
— Maintenant que tu m’as prouvé que tu pouvais gérer le quotidien, j’ai
besoin d’ajouter une tâche à ta liste. Mon mari a fait venir quelqu’un pour
gonfler le menu en incluant des fruits de mer à son grill de Dallas, comme il
l’a déjà fait avec succès à Key West. River Kipling. Il a besoin d’aide pour
gérer ses reçus et ses factures. Jusqu’à ce que l’extension du restaurant soit
terminée, Arthur va avoir besoin d’utiliser mes meubles classeurs pour
organiser tout ça. Je vais donc te demander de classer la paperasse que
rapporte River, qui te sollicitera à l’occasion pour passer des coups de fil de sa
part quand il est sur site.
Oh, non. Comment lui dire que je ne voulais pas travailler avec River ? Elle
venait de m’annoncer que je faisais du bon boulot et qu’elle voulait me garder.
Je ne pouvais pas refuser. Et puis il n’allait passer que ponctuellement au
bureau. Ce n’était pas une catastrophe.
— O.K., bien sûr, répondis-je d’un ton incertain.
Elle me gratifia d’un sourire approbateur et avala une dernière gorgée de
café avant de se lever.
— Il sera là avant le déjeuner pour tout passer en revue avec toi. Je lui ai dit
que tu l’attendrais.
Aujourd’hui ? Déjà ? J’avais besoin de plus de temps. Mais je hochai la tête.
Je ne pouvais pas faire autrement.
— Super. Bien, au travail. J’ai un élève qui arrive dans cinq minutes. Passe
une belle matinée, Reese.
Je lui marmonnai sans doute une réponse du même acabit, je n’étais pas trop
sûre. J’avais l’esprit préoccupé par River… ou Captain. Il fallait que j’en parle
à Mase. Il devait être au courant que je voyais River plus fréquemment – et puis
quoi ? Il serait furax, et je perdrais sans doute mon poste.
Or j’aimais bien mon boulot. Je n’arriverais pas à trouver mieux. L’avoir
sur mon CV allait m’ouvrir de nouvelles portes.
Au bout d’un moment je réussis à me détacher suffisamment de Captain
pour me concentrer sur mes e-mails et mes appels téléphoniques. Je
bouchonnai deux chevaux pour Piper et lui apportai une tasse de café. Au
moment où j’allais prendre ma pause déjeuner, alors que Piper venait de partir
pour retrouver son mari, la porte du bureau s’ouvrit. Je n’eus pas besoin de
lever le nez pour savoir de qui il s’agissait.
La même tignasse en queue-de-cheval, l’éternel sourire de petit malin. Je lui
jetai à peine un coup d’œil avant de replonger sur l’écran de mon ordinateur
pour terminer un message. Ou en tout cas essayer.
— Cette mesure te dérange ? demanda-t-il avant de déposer un sac sur mon
bureau.
Impossible de l’ignorer ; Piper m’avait demandé de l’aider. Je m’obligeai à
lever les yeux sur lui.
— Qu’est-ce que tu as pour moi ? m’enquis-je en grimaçant intérieurement.
Il eut un petit sourire en coin.
— D’abord, j’ai la meilleure bouffe mexicaine de tout Dallas rien que pour
toi. Après manger, on passera à la suite.
Il m’avait encore apporté le déjeuner. Ça n’avait plus rien d’amical, je le
savais. Il essayait de flirter avec moi. Mais j’étais avec Mase, et ça n’allait pas
marcher.
— J’ai déjà mangé, prétendis-je.
Captain secoua la tête comme si je le décevais.
— Je n’aime pas trop les menteuses.
Argh. Ce type me gonflait.
— Parlons boulot. Tu as besoin que je classe quoi ?
Je refusai de rentrer dans son petit jeu.
Il ouvrit le sac dont il sortit les tacos les plus délicieusement parfumés de la
planète. Il en déballa un dont il prit une bouchée avant de s’asseoir en face de
moi. Qu’est-ce qu’il essayait de faire ? De me torturer ?
— C’est ma pause déjeuner. Je pensais partager avec toi, mais si tu veux
faire semblant que tu as déjà mangé, ça ne devrait pas te déranger que je mange
devant toi. Je meurs de faim.
Super. J’essayai de respirer par la bouche pour ne pas sentir le fumet divin
de sa nourriture, mais trop tard. J’en avais envie. Je posai les yeux sur l’écran
de mon ordinateur et relus la même phrase trois fois de suite : chaque fois elle
voulait dire quelque chose de différent. Il me troublait, et je n’aimais pas ça.
— Tu peux me passer un autre taco ? fit-il.
Je levai les yeux ; il était en train de froisser l’emballage du premier.
— Je n’étais pas au courant que ma nouvelle tâche consistait à te nourrir.
Débrouille-toi, ripostai-je.
Ma réaction le fit rire. Du coin de l’œil, je le vis se lever et sortir un autre
taco du sac. Il resta debout à le déballer, puis le déposa pile devant moi avant
d’en prendre un autre pour lui et de se rasseoir.
— Sont tellement bons, commenta-t-il.
J’essayai de ne pas regarder son offrande. Pourquoi était-il si déterminé à
me donner à manger ? Pourquoi apportait-il toujours des mets délicieux ?
Pourquoi pas des choses que je détestais ? Ça simplifierait pourtant bien les
choses.
— Mange, Reese. Ce n’est pas une demande en mariage ; c’est un putain de
taco, sans déconner.
Je lui lançai un regard noir avant de céder et de mordre dans le taco. J’évitai
son regard, et il évita de jubiler. Nous restâmes assis en silence, et je terminai
mon taco malgré le pincement de culpabilité qui accompagnait chacune de mes
bouchées.
— Un autre ? s’enquit Captain.
Le mal était fait, autant en prendre un deuxième. Nous n’échangeâmes
aucune parole. Il n’y eut aucun accrochage. Le moment était calme, comme le
serait, je l’espérais, notre relation professionnelle.
Il nettoya les restes de notre festin avant de sortir une grande enveloppe
qu’il posa devant moi.
— Voici un premier lot tout mélangé, plein de factures. Je vais faire en sorte
de te les faire suivre tous les deux jours pour que cela ne se reproduise pas.
Sinon, tu as un téléphone portable ? Je vais avoir besoin de t’envoyer des SMS
pour que tu passes certains coups de fil pour moi.
J’avais effectivement un portable, mais je n’étais pas sûre d’avoir envie
qu’il m’envoie des textos. Je le fixai en silence.
Il poussa un soupir et haussa un sourcil en me gratifiant d’un regard
exaspéré.
— Tu préfères un texto ou que je vienne te voir chaque fois que j’ai besoin
que tu passes un coup de fil ?
Je lui donnai mon numéro illico et il rigola.
— Je viendrai lundi pour passer en revue d’autres éléments qui auront
besoin d’être classés séparément.
Je hochai la tête. Pouvait-il partir maintenant ?
Il me sourit, puis tourna les talons.
— J’ai bien aimé notre déjeuner, lança-t-il avant de sortir du bureau.
Il avait systématiquement le dernier mot. C’était agaçant.
Mase
— Vendredi soir. Allez, mec. Ça bottera Reese, un bon honky tonk. Ça fait
mille ans qu’on n’y est pas allés tous les deux. Boire un coup, faire une petite
partie de billard, danser un peu… Ce sera sympa, me harcela Major qui s’était
assis sur un piquet de clôture tandis que je dressais Bingo, mon nouveau
quarter horse.
J’étais sûr et certain que Reese n’apprécierait pas ce type de bar. J’ignorai
donc la proposition de Major pour la cinquième fois d’affilée.
— Tu n’as pas un truc à faire ? répliquai-je, agacé qu’il me tourne autour.
— Je ne commence pas avant deux heures. Hé, on pourrait faire un bowling.
Je vous mettrai une raclée à tous les deux.
Je le fusillai du regard. Je n’allais pas m’emmerder au bowling.
— Tu t’ennuies ? C’est ça ? C’est déjà fini avec Cordelia ?
Il fronça les sourcils comme s’il ne comprenait pas ma réaction.
— Cordelia ? Merde alors, ça fait plus d’un mois que je ne l’ai pas vue.
C’est pas comme si j’étais parti pour l’épouser. C’était un bon coup, c’est tout.
Je levai les yeux au ciel et me remis au travail. Parfois c’était impossible
d’avoir une conversation avec lui.
— Je vais te manquer, une fois en Floride. Tu le sais. Tu ferais bien de
profiter de ton Major pendant qu’il est encore là.
— Je te vois assez comme ça. Tu es tout le temps dans la cuisine de ma mère
à t’empiffrer.
— Ooooh, tu es jaloux parce qu’elle m’aime plus ?
— Non… et sinon tu ne couches toujours pas avec la nouvelle copine de ton
père ?
Je pensai que cette réponse le mettrait en rogne. Après tout, Major avait
contribué à la fin du mariage précédent de son père en couchant avec sa belle-
mère.
Il se contenta de rire.
— Pas encore.
Si je ne l’avais pas aussi bien connu, je me serais dit qu’il plaisantait.
Malheureusement, il était sans doute très sérieux.
— Reese se plaît à son boulot ? demanda-t-il en descendant d’un bond du
piquet, le signe peut-être qu’il allait enfin me laisser tranquille.
— Elle s’éclate. Piper est super avec elle.
— Tant mieux, je n’aurai à botter les fesses de personne, observa-t-il avec
un sourire en coin.
Je ne réagis pas. Je savais trop bien à quel point il essayait de me rendre fou.
— Va bosser, ordonnai-je.
— Ce n’est pas encore l’heure.
— Pointe-toi en avance.
J’avais pour projet d’acheter une bague le lendemain, ou tout du moins d’en
trouver une que j’aimerais bien voir sur la main de Reese. Je ne voyais pas
trop à quoi elle allait ressembler, mais je voulais qu’elle soit parfaite. Comme
Reese.
Tout en bossant pendant la journée, je réfléchis à divers scénarios pour ma
demande en mariage. Je voulais marquer le coup d’une manière inoubliable.
Elle méritait ce qu’il y avait de meilleur. J’allais le lui offrir. Pour toujours.
Ces pensées m’aidèrent à tenir la journée même si Reese me manquait
beaucoup. Chaque jour j’avais hâte d’aller la chercher au travail. Comme 17
heures approchaient, je consultai l’heure, de plus en plus impatient.
Lorsque j’ouvris la porte de son bureau, elle se tenait les fesses en l’air,
penchée sur un rayonnage bas de son placard. Le jean qu’elle portait lui allait
comme un gant.
— Ne bouge pas, ordonnai-je en m’approchant parderrière pour glisser une
main sur la rondeur de son postérieur.
Elle inclina la tête sur le côté et me regarda en riant.
— Bien le bonjour à vous aussi.
— Ma copine a un bien joli derrière, répliquai-je en le caressant tandis
qu’elle restait penchée en avant pour moi.
— Merci, mais si je reste dans cette position, je vais attraper une crampe.
Je retirai la main de ses fesses et reculai à contrecœur. Lorsqu’elle se
redressa, je l’agrippai par les hanches et attirai son postérieur contre moi.
— Mmmmm, lui murmurai-je à l’oreille. Tu m’as manqué.
Elle se laissa fondre contre moi.
— Toi aussi tu m’as manqué.
Je glissai les mains sur son T-shirt et soupesai ses seins lourds dans mes
paumes.
Elle appuya sa tête contre ma poitrine et poussa un gémissement doux qui ne
fit que m’encourager. D’un petit coup sec, j’abaissai les bonnets en dentelle de
son soutien-gorge et fis rouler ses tétons entre mes doigts.
— C’est si bon, murmurai-je avant d’embrasser sa tempe.
— Je suis tout à fait d’accord, dit-elle le souffle court.
La sentir contre moi tout alanguie et pleine de désir ne m’aidait pas
vraiment à garder mon sang-froid. Je m’imaginai déjà la cambrer par-dessus
le bureau et nous propulser dans une vague de plaisir. Je fis glisser mes mains
vers le bas, mais elle les agrippa pour les maintenir en place.
— Arrête, dit-elle en appuyant mes mains contre sa poitrine. J’ai besoin de
ce boulot.
Et moi c’était d’elle que j’avais besoin, mais on pouvait faire ça dans mon
pick-up avant de rentrer à la maison.
— J’ai envie de retirer ton jean et de plonger en toi, bébé. Il faut qu’on y
aille, alors.
Ses mains sur posèrent sur sa taille et elle entreprit de déboutonner son jean.
Qu’est-ce que ça voulait dire ? Reese aimait le sexe, mais elle n’était pas du
genre à l’initier dans un endroit public comme ici, où quelqu’un risquait
d’entrer. Y compris sa boss.
— Piper est partie retrouver Arthur pour une réunion de travail. Il n’y a
personne, expliqua-t-elle en tortillant les hanches pour baisser son jean.
Son jean tomba sur ses chevilles, puis elle plaça les deux mains sur le bord
du bureau, rejeta ses cheveux en arrière et me lança un coup d’œil.
— J’ai envie de toi maintenant.
Ça ne lui ressemblait pas, mais je n’allais pas me plaindre. Son joli cul
frétillant m’attendait. Jamais de la vie je ne lui dirais non. Si quelqu’un entrait,
je la couvrirais ; peu important si on voyait mes miches.
Elle écarta les jambes aussi grand que son jean le permettait et leva les
fesses en l’air. Aucun homme n’aurait pu détourner le regard : le spectacle de
la beauté et du sexe en un.
Je défis rapidement mon jean avant de prendre à pleines mains ses seins qui
se balançaient librement.
— Tu mouilles ? demandai-je en l’embrassant sur le dos.
— Ma culotte est trempée.
Putain.
D’une main je pris position avant de plonger en elle d’une poussée rapide.
Elle se cambra sous moi. Ses seins emplirent mes mains et je me mis à
coulisser lentement en elle, en jouissant de sa chaleur étroite et de ses
gémissements étouffés.
J’embrassai tous les endroits que je pouvais atteindre dans son dos tandis
que mes mains malaxaient ses tétons.
— Mase, haleta-t-elle. Oh mon Dieu.
Je ne vais pas mentir ; j’adorais ça quand elle m’appelait « mon Dieu ».
— Ma petite chatte brûlante, soufflai-je en accélérant mes coups de reins.
Bientôt elle porterait au doigt une alliance proclamant au monde entier
qu’elle était à moi. Cette pensée fit rugir l’homme des cavernes qui
sommeillait en moi et je sentis ma bite palpiter en elle. Je voulais la faire
mienne. La marquer et que personne d’autre ne la touche jamais.
— Oui, gémit-elle. Plus fort.
J’intensifiai mes coups de boutoir et ses poings se serrèrent sur le bureau
tandis qu’elle criait mon prénom. Ses parois se refermèrent sur mon sexe et je
me sentis me raidir par spasmes tandis que je jouissais en elle, son prénom aux
lèvres.
Il nous fallut plusieurs minutes pour reprendre notre souffle. Lorsque le
monde refit surface autour de nous, je souris en la voyant étendue sur le
bureau, contentée.
— Je n’arrive pas à croire qu’on a fait ça, dit-elle à bout de souffle.
— Honnêtement, moi non plus. Mais tu m’en vois ravi.
Elle rit et cacha son visage dans ses mains.
— Moi aussi.
Ma poitrine se serra d’émotion, et je laissai glisser ma main le long de son
dos. C’était ma femme.
Reese
Les jours suivants s’écoulèrent sans que j’aie à gérer la présence de Captain.
Faire l’amour dans mon bureau avait été imprudent, mais j’avais besoin
d’associer le lieu à Mase. La fois prochaine, quand Captain poserait de la
nourriture sur le bureau, je me rappellerais qu’à ce même endroit Mase
m’avait prise. C’était notre coin à nous à présent. Dans mon esprit, ça
dégageait complètement Captain. Je pouvais même sentir l’odeur de Mase en
entrant dans le bureau. Il avait marqué ce territoire, et ce sentiment me plaisait.
Me donnait confiance en moi. J’avais l’impression qu’il était ici avec moi.
Captain ne donna aucun signe de vie le vendredi, et je poussai un soupir de
soulagement à la fin de ma semaine de travail. Plus de déjeuners, plus de
commentaires visant à me faire douter de Mase, plus de flirt. Je pouvais
profiter de mon boulot sans sa présence agaçante.
Mase et moi venions d’arriver à la maison quand Major surgit à notre
hauteur, habillé d’un jean, d’un T-shirt noir moulant, d’une paire de bottes et
d’un chapeau de cow-boy.
— Vous serez prêts dans combien de temps ? lança-t-il comme si nous
avions des projets.
Je jetai un œil à Mase.
— Je t’ai dit qu’on n’irait pas avec toi, répliqua-t-il d’un air renfrogné.
Major ne se laissa pas déstabiliser.
— Mais j’ai trois billets pour le concert de Pat Green chez Billy Bob ce
soir, dit-il en brandissant les tickets. Vous ne pouvez pas me laisser y aller seul.
Sérieusement, c’est Pat Green. Alors habillez-vous et en route.
J’ignorais qui était Pat Green, mais la réaction de Mase m’informa qu’il le
savait. Il semblait hésiter. Il finit par se tourner vers moi :
— Ça te dit un concert ce soir ? Ou tu préfères rester ici ?
Je voyais bien qu’il avait envie d’y aller, et honnêtement, ça avait l’air
sympa. Je ne savais pas qui étaient Billy Bob ou Pat Green, mais j’étais
partante. Je hochai la tête.
— Ouais, j’aime bien aller à des concerts.
En réalité je n’avais jamais mis les pieds à un concert, mais je m’abstins de
le préciser.
— Et tu vas adorer Pat Green. Il n’y a pas mieux en live, à part peut-être
Robert Earl Keen. Allez mettre des fringues sur vos jolis petits culs, insista
Major tandis que Mase lui jetait un regard noir.
Major rigola et gagna la maison d’un pas nonchalant.
— Quand on fait abstraction des conneries qu’il débite, il est tolérable,
commenta Mase d’un air agacé.
Je ris. J’aimais bien Major. Il était drôle.
— Il ne me dérange pas.
Mase n’eut pas l’air très convaincu alors que nous regagnions la chambre.
— Et pas de coups fourrés là-dedans. Le concert nous attend. En plus c’est
pas juste si j’ai le son mais pas les images, conclut Major derrière nous.
Nous dégustâmes un délicieux repas au café Billy Bob avant de prendre nos
places. Je n’avais pas les affaires de cow-girl pour aller avec les deux cow-
boys qui m’accompagnaient, mais je portais quand même des bottes et un jean.
J’avais noué une chemise en flanelle pour dévoiler mon ventre, tel que j’avais
vu Piper le faire, mais Mase l’avait dénouée en secouant la tête avant de la
remettre dans mon pantalon.
L’endroit ne ressemblait en rien à l’idée que je me faisais d’un honky tonk.
Nous en avions parlé dans la voiture en chemin et Mase m’avait précisé que ce
n’était pas à proprement parler un honky tonk, mais plutôt un grand bâtiment
renfermant un restaurant, un magasin et une immense scène. Il y avait tant de
choses à voir que je n’arrivais pas à tout digérer, même si je remarquai bien
vite que j’étais une des rares à ne pas porter de chapeau de cow-girl.
Une fois à nos places, Mase s’assit entre Major et moi. Il y avait deux sièges
vides à côté de moi, et le reste de la rangée se remplit rapidement. Mase et
Major partirent nous chercher à boire, et je m’installai pour contempler le
public. Plusieurs filles portaient leur chemise telle que j’avais essayé de le
faire. Je souris en pensant aux penchants possessifs de Mase ; j’aimais bien
qu’il ait envie de me garder pour lui tout seul.
Quelqu’un se glissa sur le siège à côté de moi et en levant les yeux je
reconnus immédiatement son regard vert et son sourire insupportable. Que
faisait-il ici ? Mon expression devait être transparente, car il se mit à sourire
de toutes ses dents.
— Ça alors, quel hasard de te voir ici, fit-il de sa voix traînante comme s’il
n’y était pour rien.
Une femme aux boucles blondes et au sourire démesuré s’appuya contre lui,
me dévoilant un décolleté impressionnant dans son débardeur argenté brillant.
— Salut, moi c’est Kingsley, me salua-t-elle en posant une main sur la
jambe de Captain.
Le savoir accompagné me donna envie de pousser un soupir de
soulagement. J’aurais préféré qu’il laisse Kingsley s’asseoir à côté de moi.
— Enchantée, moi c’est Reese, répliquai-je en souriant avec sincérité.
J’étais tellement heureuse de sa présence, elle n’avait pas idée.
— Reese, ce n’est pas un prénom de garçon ? s’enquit-elle en gloussant. Je
n’ai jamais entendu une fille porter ce nom.
Je préférai passer sous silence l’existence de la célèbre actrice Reese
Witherspoon et me contentai de hausser les épaules.
— Eh bien voilà qui est fait, répliquai-je avant de tourner de nouveau mon
attention sur le public en espérant que notre conversation était terminée.
— Je ne savais pas que tu étais fan de Pat Green, commenta Captain.
Je lui adressai malgré moi un petit sourire forcé.
— Je ne le connais pas du tout. Mais Mase l’aime bien, alors voilà.
Captain émit un petit son réprobateur.
— Un homme devrait inviter sa femme là où elle a envie d’aller.
Je serrai les poings sur mes genoux. Voilà qu’il recommençait.
— C’est le cas. J’avais envie de venir ce soir. J’aime bien écouter de la
musique et c’est la première fois que je vais à un concert.
Au début il ne dit rien, mais mon répit fut de courte durée :
— Donc c’est ton premier concert ? De toute ta vie ? s’enquit-il d’un ton
incrédule.
Je hochai la tête en évitant son regard.
Kingsley lui posa une question que je n’entendis pas et, comme elle
enchaînait en bavassant, je compris qu’elle essayait de retenir son attention.
Heureusement qu’elle était là. Si Mase et Major arrivaient vite avec les
boissons, je pourrais bientôt m’appuyer contre Mase et me sentir à l’abri du
harcèlement constant de Captain.
— Pat Green joue de la country assez populaire. Il est texan. Je pense que ça
devrait te plaire, m’assura Captain. Ses concerts sont de qualité.
Je me tournai vers lui.
— De toutes les places que compte cette immense salle, comment as-tu fait
pour atterrir pile à côté de moi ? demandai-je.
Captain prit son petit air suffisant.
— À ton avis ils viennent d’où les billets de Major ? répliqua-t-il d’un ton
nonchalant.
J’en étais sûre.
— Si j’avais su que tu n’étais jamais allée à un concert, j’aurais choisi
quelque chose de plus important, ajouta-t-il.
Je laissai son commentaire faire son chemin. Que voulait-il dire par là ? Ce
n’est pas comme s’il avait acheté ces billets dans le seul but de me faire venir
ici. Il ne pouvait pas savoir qui Major allait inviter… si ?
J’allais lui poser la question lorsque je repérai le chapeau de Mase, puis son
long corps musclé vêtu de jean qui marchait vers moi. Il était à moi, cet
homme qui faisait régulièrement tourner les têtes des filles. Pas facile à croire,
mais c’était vrai.
— Désolé, ça a mis longtemps. Il y avait beaucoup de monde, s’excusa-t-il
en se laissant tomber à côté de moi en me tendant mon soda.
Il n’avait pas encore remarqué Captain. Mais Major, qui l’avait vu, leva la
main en souriant :
— Salut River, Kingsley. Super les places, mec, merci !
Je sentis Mase se raidir à côté de moi. Puis il tourna la tête, regarda Captain,
son rancard, puis moi. Je m’appuyai contre lui en souriant pour le rassurer. Il
posa un bras sur mes épaules et je me laissai aller contre lui, ce qui sembla
apaiser sa tension.
— C’est River qui m’a donné les billets. Kingsley est responsable du service
au restaurant. Ça fait pas longtemps qu’ils sont ensemble, expliqua Major à
Mase.
Ce dernier se contenta de hocher la tête. Je savais qu’il n’aimait pas
beaucoup l’idée d’être à un concert grâce à des places payées par Captain. Il
caressa mon bras du bout des doigts en me serrant contre lui. Il avait les yeux
rivés à la scène vide, en pleine réflexion.
Captain se leva et descendit l’escalier, vraisemblablement pour aller
chercher à boire. Je souris à Mase.
— J’ai hâte que ça commence.
Il déposa un baiser sur mon nez.
— Moi aussi. Une des chansons me fait penser à toi. L’entendre alors que tu
es à côté de moi sera un instant inoubliable.
J’aimais qu’il pense à moi en écoutant une chanson. Je pris une gorgée de
soda et décidai de me détendre. Nous allions passer un beau moment. Inutile de
laisser Captain gâcher la soirée. En plus, Mase ne l’appréciait pas en raison de
quelques commentaires malpolis. Il ne savait pas tout. Il finirait pas oublier la
présence de Captain.
Lorsque les lumières s’éteignirent et que la scène s’illumina, tout le monde
se mit debout en applaudissant. Des sifflements et autres cris de joie emplirent
l’atmosphère. Mase se leva, me prit la main et me plaça devant lui avant
d’enrouler ses bras autour de moi. Je me laissai aller contre sa poitrine. Plus
rien n’avait d’importance.
J’étais tout enveloppée par Mase et la musique était géniale. Major chantait
en chœur à côté de nous, et je fus surprise de constater qu’il avait une très jolie
voix. Pas une fois je ne tournai les yeux en direction de Captain et Kingsley.
Pour moi, ils n’étaient pas là.
Sur scène, Pat Green se mit à parler d’une chanson et autour de moi tout le
monde devait la connaître car les acclamations reprirent de plus belle.
— C’est la prochaine, me murmura Mase à l’oreille. Ma chanson pour toi.
Je tendis aussitôt l’oreille, me redressai et attendis le début de la mélodie.
Mase me caressait le bras, serré contre moi, et effleura mon oreille de ses
lèvres en me susurrant les paroles. L’entendre chanter pour moi me faisait
tourner la tête.
All I’m looking for is you.
Ces mots firent palpiter mon cœur dans ma poitrine et je me retournai pour
le dévisager.
You came upon me wave on wave.
Il chantait avec une telle intensité dans le regard que je le serrai contre moi
en priant pour que cet instant dure à jamais. Lui et moi ici, ensemble, et Mase
qui chantait pour moi. La soirée était parfaite.
Mase
Lorsque la porte du bureau s’ouvrit juste après 14 heures, je savais déjà que
c’était lui. Mon corps entier se raidit en levant les yeux sur Captain. Son regard
brillait d’une certaine lueur lorsqu’il entra dans la pièce de son pas nonchalant.
— Bonjour, Reese. J’ai des documents et des factures pour toi, annonça-t-il
en se laissant tomber dans le fauteuil en cuir le plus proche de mon bureau.
— O.K., répliquai-je.
Je m’étais déjà résignée à ne pas l’interroger sur les billets de concert.
— Le concert a eu l’air de te plaire, commenta-t-il comme s’il pouvait lire
dans mes pensées. (Une fois encore. Mais comment faisait-il ?)
— C’était un excellent concert, observai-je, même si je n’avais aucun
élément pour comparer.
Il eut un petit sourire en coin.
— Tu dis ça maintenant. Attends de voir un groupe comme U2 en live. Là tu
verras ce que c’est qu’un excellent concert.
Je ne voyais même pas qui était U2. J’ignorai donc sa remarque.
— Les factures ? fis-je en tendant la main pour en finir avec cette
conversation.
Il émit un petit rire :
— Tu ne m’aimes pas beaucoup, Reese. Pourquoi donc ?
Je n’avais pas la réponse, si ce n’est qu’il me rendait nerveuse. Et qu’il
flirtait avec moi. Eh bien si en fait, j’avais la réponse :
— Tu flirtes. Je n’aime pas ça.
Il me scruta un moment, puis son air amusé se mua en expression sérieuse.
Il se pencha en avant, les coudes sur ses genoux. Son visage s’était rapproché
du mien et le bureau entre nous faisait office de gardefou.
— Je ne flirte pas avec toi, Reese. Quand je le ferai, tu verras la différence.
Oh. O.K. Pourtant ça y ressemblait beaucoup. M’étais-je trompée ? Étais-je
en train de lire de travers ses tentatives pour être amical ? Non. Il avait eu ce
commentaire sur le fait qu’il voulait ce qui appartenait à Mase.
— Tu as eu certains commentaires… sur moi…
Ma voix resta en suspens et je me sentis rougir. Il haussa les épaules.
— Je suis sincère. Je me moque de ce que peuvent penser les autres. Si j’ai
un truc à dire, je le dis. Ça ne veut pas dire que je flirtais, ma belle.
Il était tellement déroutant. Agacée, je serrai le poing sur mes genoux.
— O.K. Très bien, dans ce cas oublions tout ça et au travail. Qu’est-ce que tu
m’as apporté ?
Il plongea une main dans sa poche arrière et en ressortit une enveloppe en
papier kraft.
— Tiens. (Puis il se leva pour regagner la porte.) Si tu as des questions,
appelle ou envoie un SMS, dit-il sans se retourner.
Lorsque la porte se referma derrière lui, je me laissai retomber sur ma
chaise en poussant un soupir de frustration. J’avais réussi à passer pour
l’emmerdeuse de service. Il avait joué la carte de la sincérité et retourné le
propos en me faisant passer pour une imbécile.
Je décidai de me débarrasser de cette sensation en ouvrant l’enveloppe. Elle
contenait de la paperasse et des factures, en trop grand nombre pour que j’aie
le temps de tout traiter dans la journée. Il me restait beaucoup de choses à faire
pour Piper. Elle partait le lendemain, et j’allais devoir nourrir les chevaux en
plus de les bouchonner et de nettoyer les écuries. Piper avait récemment
remercié l’employée des écuries parce qu’elle n’arrêtait pas de passer des
coups de fil personnels pendant ses heures de travail. Elle n’avait pas encore
embauché de remplaçante.
Des journées bien chargées m’attendaient et j’allais finir tard. Je
m’apprêtais à appeler Mase lorsque son nom apparut à l’écran. Je souris à la
perspective d’entendre sa voix.
— Salut. J’allais t’appeler.
— Salut bébé, j’ai un problème. Je déteste t’annoncer ça par téléphone, mais
je suis en train de faire mon sac et de boucler deux trois trucs avant de décoller
à 18 heures.
Quoi ? Il partait ?
— Que se passe-t-il ? demandai-je en m’inquiétant de le voir s’en aller au
pied levé.
— C’est Kiro. La mère de Harlow a des ennuis de santé et Kiro pète les
plombs. Il réagit comme à chaque fois et Harlow se retrouve toute seule face à
ce merdier. Elle n’a pas besoin de ça ; son cœur… bref je t’ai déjà raconté. Il
faut que j’aille m’occuper de lui, que je le calme et que je rassure ma sœur. Je
partirais bien avec toi, mais ça ne va pas être beau à voir. Kiro… n’est pas dans
son état normal. Il est complètement azimuté. Mais je n’ai pas envie de te
laisser. Je me sens vraiment tiraillé.
De mon côté je ne pouvais pas partir. J’avais du boulot par-dessus la tête,
sans oublier que Piper s’absentait et comptait sur moi.
— J’ai beaucoup de travail. Je dois assurer pendant l’absence de Piper. Vas-
y. Va aider Kiro et tiens-moi au courant.
— Je t’aime. Tu vas me manquer. J’appellerai chaque soir. Ma mère m’a dit
qu’elle assurerait tes trajets en voiture et qu’elle passerait te prendre à 17
heures ce soir ; je serai déjà parti à l’aéroport.
— Moi aussi je t’aime. Ne t’inquiète pas pour moi. Tu vas me manquer,
mais ta famille a besoin de toi. Tu penses que Maryann peut passer me
chercher plutôt à 18 heures ? Je vais finir plus tard aujourd’hui.
— Oui, d’accord, répondit-il après un temps d’hésitation. Je n’aime pas
l’idée que tu finisses tard.
J’avais envie de le serrer dans mes bras et de sentir ses baisers sur mes
lèvres. Mon cœur se serra. Mais je n’allais pas lui dire qu’il me manquait déjà.
Il avait suffisamment de choses à régler de son côté. Je n’allais pas en rajouter.
— Tout va bien. J’ai beaucoup de paperasses à classer, c’est tout. Fais un
bon voyage et appelle-moi en arrivant.
Il poussa un soupir.
— Bon sang, je déteste te quitter comme ça.
Moi aussi je détestais ça.
— Ça va passer vite. Tu vas me manquer, mais je serai là à ton retour.
— Je t’aime tellement, dit-il avec ferveur.
— Et moi donc, répliquai-je.
Mase
Le jet privé nous emmena en Floride. Je n’allais pas m’y attarder, car il
fallait que je file à Los Angeles pour m’occuper de Kiro. Mais d’abord j’allais
discuter avec Harlow ; elle était au courant de tout. Et puis je voulais la
rassurer : j’allais gérer la situation. Je ferais tout mon possible pour qu’elle
arrête de se faire un sang d’encre.
Grant ouvrit la porte avant que je n’aie le temps de frapper. Je lui avais
annoncé mon arrivée par texto depuis l’aéroport. Il avait l’air stressé.
— Merci d’être venu, murmura-t-il.
Je hochai la tête :
— La prochaine fois, préviens-moi plus tôt, d’accord ?
Grant inclina la tête en direction de l’arrière de la maison.
— Elle est sur la terrasse au téléphone avec Dean pour avoir des nouvelles
de Kiro. Lila Kate est déjà au lit.
Je posai mon sac par terre et traversai la maison.
J’aperçus Harlow assise sur une chaise, le téléphone au bout de son bras
ballant le long de son corps. Elle avait le menton posé sur ses genoux repliés.
— Il ne répond pas, dit-elle d’un air triste.
Elle ne m’avait pas regardé, et pensait que j’étais Grant.
— Je pars à L.A. ce soir. Dès que je sais comment il va, je t’appelle,
affirmai-je.
Au son de ma voix elle releva la tête brusquement et fit volte-face. Ses yeux
s’emplirent instantanément de larmes.
— Je lui ai demandé de ne rien te dire, dit-elle d’une voix étranglée.
— Il a tenu promesse. C’est Rush qui m’a mis au courant. Et c’est toi qui
aurais dû le faire, répliquai-je en m’approchant d’elle pour prendre ses petites
mains dans les miennes.
— Tu vas te mettre en colère contre lui. Il n’a pas besoin de ça. Il souffre,
protesta-t-elle dans un sanglot.
J’en avais conscience. Et si Harlow n’était pas là, je lui aurais mis une
rouste. Mais jamais je n’aurais fait de peine à ma sœur.
— Je ne me mettrai pas en colère. Je sais qu’il est au plus mal. Je vais lui
parler. Voir si je peux l’aider à y voir plus clair et à lâcher la vodka. Il faut
qu’il trouve un moyen de faire face sans sombrer dans l’alcool. Sinon il va
replonger dans la drogue. Il faut que quelqu’un y mette un frein et on sait tous
les deux que Dean n’en est pas capable.
Harlow posa son front sur ses genoux.
— Il l’aime tellement. Je ne peux même pas l’imaginer, Mase. Je ne sais pas
comment il supporte de voir la femme qu’il adore prisonnière à ce point dans
son propre corps. Ça me fend le cœur. Je veux qu’il soit heureux. Ça fait si
longtemps qu’il ne l’a pas été.
Si un des enfants de Kiro devait pleurer sur son sort, c’était bien Harlow.
Elle l’aimait d’une manière qui m’échappait. Le père qu’elle connaissait était
tellement différent du Kiro que je fréquentais. J’étais content qu’il chérisse
Harlow. Je le détesterais au dernier degré et je me laverais les mains du
bonhomme s’il ne lui portait pas une telle adoration. À mes yeux ça le
rachetait. Il aimait ma petite sœur. C’était un argument suffisant pour le
protéger de sa propre bêtise.
— Il s’accroche à Emily depuis si longtemps. Ça le secoue. Il a l’impression
de la perdre une nouvelle fois. Mais c’est lui-même qu’il va perdre si personne
ne le rappelle à la raison. Je ne vais pas être dur avec lui, mais je vais le forcer
à voir les choses dans leur contexte. Il en a besoin, Harlow.
Elle renifla en hochant la tête, puis essuya une larme qui s’était échappée sur
son visage.
— Je l’aime, dit-elle à mi-voix.
Je la serrai contre moi.
— Je sais. C’est pour ça que je vais faire tout ce que je peux pour le sauver
de lui-même.
Elle s’accrocha à moi et nous restâmes ainsi jusqu’à ce que ses sanglots
tarissent. Lorsqu’elle s’écarta, elle passa sa manche sur son visage.
— Où est Reese ?
Reese. J’avais été contraint de la laisser. Je détestais ça. J’avais besoin d’elle.
— Elle a décroché un nouveau boulot et sa boss va s’absenter. Elle doit la
remplacer. Et, honnêtement, je ne veux pas qu’elle voie Kiro dans cet état.
Harlow me gratifia d’un sourire triste.
— Je suis désolée que tu aies été obligé de la laisser derrière toi.
Pas autant que moi. Je tendis la main pour caler une de ses mèches de
cheveux derrière son oreille.
— Elle me manque. Je ne vais pas te mentir. Mais dans l’immédiat, Kiro a
besoin d’aide. Et pour toi, je vais faire le nécessaire pour qu’il en ait.
Harlow poussa un soupir et se laissa retomber sur sa chaise.
— Il t’aime toi aussi, tu sais. Il est fier de toi. Il ne le dit pas, mais il est fier
de l’homme que tu es devenu. Que tu ne sois pas comme lui.
Je n’étais pas comme lui parce que j’avais été élevé par un homme bien.
Mais je m’abstins de le dire à Harlow. Je me contentai de hocher la tête, parce
qu’elle avait besoin de mon soutien.
Elle rit et serra ma main dans la sienne.
— Tu es d’accord avec moi parce que tu ne veux pas me contrarier. Tu es
pire que Grant. Je sais que tu ne me crois pas. Je ne sais pas si tu me croiras un
jour. Mais je connais papa. Je sais qu’il t’aime.
Son rire me donna le sourire. La tension qui enserrait ma poitrine se
relâcha un peu.
— Je veux que tu me promettes que tu vas arrêter de t’inquiéter. Et de
pleurer. Repose-toi, profite de Lila Kate, et épargne le pauvre Grant. Il se fait
un sang d’encre pour toi.
Harlow jeta un œil à la maison, et un sourire fin éclaira son visage.
— J’ai de la chance de l’avoir. Il est merveilleux. Grâce à lui mon monde
est plus lumineux.
Tant mieux.
— Dans ce cas, concentre-toi là-dessus. Sa lumière et tout le bazar. Et arrête
de t’inquiéter.
Harlow rit de plus belle, et je sentis qu’elle allait mieux. Je pouvais la
laisser pour aller voir Kiro, sachant qu’elle était désormais dans un meilleur
état d’esprit.
La porte s’ouvrit et Grant passa la tête dans l’entrebâillement.
— C’est bien son rire que je viens d’entendre ? s’enquit-il d’une voix pleine
d’espoir.
— Tout à fait. J’apporte un peu de féerie, tu comprends. Tu devrais en
prendre de la graine, répliquai-je en me levant. (Je déposai un baiser sur le
front de Harlow.) Je t’adore.
Elle me serra dans ses bras.
— Moi aussi je t’adore.
Grant s’approcha d’elle et Harlow se leva pour se pelotonner contre lui. Il
lui caressa le dos et cala sa tête sous son menton.
— Merci, dit-il en me regardant comme si je venais de résoudre tous les
problèmes de la planète.
— La prochaine fois tu m’appelles quoi qu’elle en dise. Inutile qu’elle
s’inquiète. Elle est têtue, mais tu peux l’être encore plus. J’ai bien vu. J’étais là
quand tu t’es planté devant la porte de l’hôpital en refusant de bouger tant que
ta femme ne sortait pas vivante de la pièce.
À ce souvenir, une lueur de peur mêlée de soulagement traversa son regard.
— C’est bien noté, acquiesça-t-il.
Harlow me sourit.
— Tu lui apprends à se retourner contre moi.
Je haussai les épaules.
— Quand il est question de ta santé et de ton bonheur, petite sœur, je fais
tout le nécessaire. Pareil pour lui.
Harlow déposa un baiser sur le menton de Grant. Il tourna son attention vers
elle et je devins instantanément invisible. J’avais commencé à lui dire que
j’allais me mettre en route pour Los Angeles lorsqu’elle me regarda enfin.
— Tu ne partiras pas ce soir. Tu vas passer la nuit ici et tu verras ta nièce au
réveil. Tu prendras le petit déjeuner avec nous. J’ai envie de passer du temps
avec toi avant que tu partes voir papa.
Je voulais rentrer auprès de Reese le plus vite possible, mais j’étais épuisé,
et elle avait raison : il fallait que je voie Lila Kate. Je hochai la tête et Grant
gloussa.
— Quoi ? fis-je.
Il eut un petit sourire en coin.
— C’est marrant de voir que toi aussi tu lui obéis au doigt et à l’œil.
Je n’étais pas de cet avis, mais j’adorais Harlow et j’avais du mal à lui dire
non.
En plus, si je voyais Kiro alors que j’étais épuisé, ça n’allait servir à rien.
Autant faire plaisir à Harlow et être vraiment efficace auprès de Kiro le
moment venu.
Reese
La nuit dernière le lit avait semblé bien vide sans Mase. Je n’avais réussi à
m’endormir que très tard et m’étais réveillée fatiguée. Je me préparai donc un
bon café pour remplir la Thermos de Mase avant l’arrivée de Maryann.
Lorsque j’entendis son pick-up, j’attrapai rapidement mon déjeuner et la
Thermos pour la rejoindre. En arrivant à la hauteur du véhicule, je m’aperçus
que Major était au volant. Je passai la tête par la portière passager.
— C’est toi qui m’accompagnes ? m’enquis-je pour m’assurer qu’il n’était
pas venu chercher Mase.
Il me gratifia de son sourire qui donnait toujours l’impression qu’il cachait
quelque grand secret.
— Ouep. Maryann n’a pas pu venir : un des veaux a eu des complications.
Elle m’a demandé d’aller te chercher.
Je grimpai dans le véhicule et posai mes affaires sur le siège avant
d’attacher ma ceinture.
— Merci.
— Je t’en prie. Mais je vais être honnête avec toi. Elle m’a promis un bon
gueuleton, alors…
J’éclatai de rire. Mase se plaignait tout le temps parce que Major dévorait le
garde-manger de sa mère. De ce que j’avais entendu dire, Major n’avait pas
vraiment de mère, et il me faisait un peu de peine. Cela étant, il avait quand
même couché avec sa belle-mère. Peut-être ne méritait-il pas vraiment ma
compassion.
— Tu as causé à Mase ?
— Oui. Il a appelé hier soir quand il a atterri en Floride pour me dire qu’il
allait voir Harlow.
Major poussa un long soupir.
— Cette famille est naze.
Mase était le fils d’une célébrité. Il n’était pas censé avoir une vie normale.
Mais visiblement c’était pire que ce que j’imaginais.
— Il a l’air inquiet, me contentai-je d’ajouter.
Major me jeta un œil avant de regagner la route principale.
— On peut dire ça, oui. Mais il s’inquiète uniquement pour Harlow. Si elle
n’était pas là, il n’en aurait rien à foutre de Kiro. Cet homme lui a peut-être
donné la vie, mais il n’est pas son père.
J’étais de cet avis, même si ça me rendait triste de me dire qu’il n’avait pas
avec son père biologique la même relation que pouvait avoir Harlow. Kiro
avait raté l’opportunité d’apprendre à connaître l’homme extraordinaire
qu’était son fils.
— Et le boulot, comment ça se passe ? Ça te plaît ou tu es prête à tout
plaquer ?
J’ouvris la Thermos en bâillant.
— Ça me plaît. J’adore travailler avec Piper.
Il hocha la tête d’un air approbateur :
— C’est bien. Dommage que tu n’aies pas pu partir avec Mase, du coup.
Oui, c’était bien dommage.
— Tu penses qu’il va bientôt faire sa demande ?
Sa demande ? Quoi ? Je reposai la Thermos en fronçant les sourcils.
— Quelle demande ?
Major me regarda comme si je plaisantais. Puis il rigola en levant la main
gauche.
— « Veux-tu m’épouser » ? Ce genre de demande.
Oh… Oh ! Je n’avais pas encore songé à ça. Bien entendu, j’envisageais
mon avenir avec Mase, mais je ne m’attendais pas à un mariage dans
l’immédiat. Nous avions à peine commencé à vivre ensemble.
Mon silence fit rire Major.
— Visiblement pas, fit-il.
Je le dévisageai en me demandant ce qu’il pouvait bien attendre de moi.
Heureusement, nous arrivions au ranch des Stout et la conversation allait
bientôt prendre fin. Une fois arrivée aux écuries, je serais débarrassée. Je
n’avais pas de réponse à lui donner, si ce n’est que j’en doutais.
Le pick-up s’immobilisa et il se tourna vers moi.
— Par curiosité, tu ne dis rien parce que tu ne veux pas qu’il fasse sa
demande ou parce que tu penses qu’il n’a pas envie de la faire ?
Je décidai de m’inspirer des principes d’honnêteté de Captain.
— Je pense qu’il n’est pas prêt. Ça ne fait pas longtemps qu’on est ensemble.
S’il était vraiment prêt à m’épouser, il me l’aurait déjà demandé. Je pense qu’il
attend qu’on ait un peu vécu ensemble.
Major opina du chef avant de hausser les épaules.
— Peut-être, dit-il avant d’incliner le bord de son chapeau comme le faisait
souvent Mase. Bonne journée, Reese.
Je sortis du pick-up avant que Major ne me pose d’autres questions
indiscrètes.
J’avais réglé mon réveil à 9 heures pour être prêt à affronter mon père.
J’aurais besoin d’un café avant toute chose. La veille, Harlow n’avait pas arrêté
de me trouver des raisons de me retenir à Rosemary Beach. J’avais fini par lui
dire que je l’adorais mais qu’il fallait que j’y aille. J’avais hâte de retourner
auprès de Reese et pour cela il fallait d’abord que je voie Kiro.
En approchant de la cuisine j’entendis deux voix. Je reconnus celle de Dean
mais pas celle de la femme ; elle avait un accent. En pénétrant dans la pièce
baignée de lumière, je vis une dame plus âgée s’activer aux fourneaux pendant
que Dean, assis à table, sirotait son café en feuilletant un numéro de Rolling
Stone. Il leva les yeux et me sourit.
— Bonjour, mon grand. Tu t’es levé avant lui. Ouf, fit-il.
— Café ? m’enquis-je.
La dame s’essuya les mains sur son tablier et se précipita sur la cafetière.
— Je m’en occupe, l’interrompis-je. Si vous voulez bien m’indiquer les
tasses.
Elle me sourit nerveusement avant de jeter un œil à Dean.
— Marlana est nouvelle, expliqua-t-il. Marlana, voici le fils de Kiro. Inutile
de le servir. Il n’est pas du tout comme son père.
Elle tourna les yeux vers moi d’un air tendu puis sortit une tasse du placard
avant de retourner prestement à sa poêle à frire. La pauvre femme devait
affronter mon dingo de paternel. Pas étonnant qu’elle soit stressée comme pas
deux.
Je me versai une tasse de café avant de m’asseoir en face de Dean.
— Tu veux un journal ? Normalement il y en a un à côté de la porte d’entrée
et Marlana l’apporte dans la cuisine. Je ne sais même pas pourquoi on le reçoit
étant donné que ni lui ni moi ne le lisons.
— Je vais le chercher, s’empressa Marlana en sortant à toute vitesse de la
pièce.
Je n’avais pas besoin du journal, mais je n’avais pas eu le temps de la
retenir. Dean haussa les épaules.
— Elle a très envie de bien faire. Espérons que Kiro ne la fera pas fuir.
— Mon objectif est de lui remettre les idées en place avant de repartir.
— On n’atteint pas toujours ses objectifs. N’oublie pas que cet homme vit
uniquement pour Emily. Et qu’il est vraiment en train de la perdre.
Mon cœur se serra. Je n’arrêtais pas de penser à Reese.
— C’est à en regretter de tomber amoureux, pas vrai ? lança Dean en
plongeant de nouveau le nez dans son magazine.
Il avait tort. Jamais je ne regretterais les sentiments que j’éprouvais pour
Reese. Elle m’avait ouvert les yeux sur le monde de manière inouïe. Elle avait
changé ma vie. Elle m’avait offert le bonheur véritable. Je secouai la tête.
— Non, je ne regrette pas. (Dean leva les yeux.) Avant Reese, j’ignorais que
le monde pouvait être plein de rêves. Qu’on pouvait se lever le matin heureux
de respirer. Qu’un seul sourire d’elle me donnerait le sentiment d’être un roi.
L’aimer vaut… vaut tout. Une vie dans la peur d’aimer ne vaut pas la peine
d’être vécue.
Il reposa son magazine en fronçant les sourcils, puis continua à siroter son
café. Il n’avait pas l’air de me croire. En réalité, il était tout aussi triste que
Kiro. Il n’avait jamais connu de véritable émotion, à l’état brut. Il ignorait à
quel point l’amour d’une femme pouvait être épanouissant.
Je voyais bien qu’il avait envie de réagir, mais il se ravisa.
— Kiro ne va pas émerger avant deux bonnes heures. Je te suggère de ne
pas le réveiller. Sans quoi ça va corser ta visite.
— Très bien. Je vais manger un bout et appeler Reese.
Dean reposa sa tasse.
— Marlana prépare des pancakes et des saucisses. Enfin, c’est ce qu’elle
faisait jusqu’à ce qu’elle courre chercher ton journal. Franchement, elle est
trop vieille pour s’activer dans tous les sens.
Sur ces mots il sortit de la cuisine de sa démarche chaloupée qui me faisait
penser à mon père. J’avais compris depuis bien longtemps que seules les stars
du rock étaient capables de rouler des mécaniques comme ça.
Marlana revint en traînant des pieds et déposa le journal devant moi.
— Le petit déjeuner est bientôt prêt, m’assura-t-elle avant de retourner aux
fourneaux.
Je dépliai le journal, même si je me contrefoutais de son contenu. Mais elle
était allée me le chercher et je ne voulais pas la blesser.
Reese
La veille, j’avais appelé Maryann pour qu’elle passe me chercher une heure
plus tôt afin de ne pas être là au retour de Captain. Plus j’y pensais, plus je
regrettais de lui avoir parlé de ma dyslexie. Pourquoi réussissait-il toujours à
me faire dire des choses ?
Mase m’avait appelée en arrivant à Los Angeles. Nous avions discuté tandis
qu’il se rendait chez son père à Beverly Hills. Je sentais bien qu’il était tendu à
l’idée de ce qu’il allait trouver sur place et je me sentais coupable de ne pas
être à ses côtés.
Pour rattraper mes heures de la veille, j’étais arrivée plus tôt au bureau ce
matin. J’étais tellement épuisée que j’avais fini par mieux dormir. Si tout se
passait bien aujourd’hui, Mase allait rentrer à la maison.
Piper aussi allait rentrer et je voulais m’assurer que tout serait nickel pour
son retour. Je passai en revue les chevaux et balayai la poussière qui avait
recouvert les sols pendant la nuit. Puis je retournai au bureau.
Le reste de la matinée passa rapidement. J’étais impatiente que Mase
m’appelle, mais je parvins à me concentrer sur mon travail pour tout boucler
et prendre de l’avance.
Après le départ de Piper pour le déjeuner, la porte s’ouvrit sur un petit
garçon qui devait avoir dix ans à tout casser. Au début, je crus qu’il s’agissait
d’un élève de Piper dont les parents étaient en retard. Jusqu’à ce que Captain lui
emboîte le pas.
Quoi ?
— Je suis content de te trouver. Henry et moi avons fait la route hier mais tu
étais partie plus tôt.
Il avait organisé la visite d’un gamin ? J’étais perdue.
— Euh, oui, j’ai fini en avance, mentis-je avec un pincement de culpabilité.
— Ce n’est pas grave. Henry et moi nous sommes arrangés pour revenir
aujourd’hui. On a même apporté des fajitas au bœuf du restaurant. Le père de
Henry est chef cuisiner chez Stout & Hawkins à Dallas. C’est devenu mon pote.
Je voulais lui présenter une autre de mes amies.
À quoi jouait-il ? Il m’apportait encore à manger en prétextant de la visite
d’un gamin pour que je me tienne à carreau ? Captain était insensé. Il affirmait
qu’il ne flirtait pas et voilà qu’il me faisait un coup comme ça.
— Mon père fait les meilleurs fajitas au bœuf du monde, renchérit Henry
avec fierté. (Il était chou.) Il t’en a fait des spéciaux. Avec sa sauce secrète.
— Oh, merci. Ça sent divinement bon, lui répondis-je tandis que Captain
disposait les mets devant moi.
— On peut faire un pique-nique ? C’est plus rigolo de manger dehors. En
plus ici ça sent le caca de cheval, commenta Henry en fronçant le nez.
Captain éclata de rire et se tourna vers moi.
— Ça te conviendrait, Reese ?
Comme si j’allais dire non à un petit garçon. Il le savait. Bon sang, ce
type…
— Bien sûr, répliquai-je la mâchoire serrée avant de me forcer à sourire et
de ramasser la boîte que Captain avait déposée devant moi.
— Super. Je vais chercher la couverture dans mon pick-up, annonça-t-il.
Il sortit aussitôt du bureau, nous laissant Henry et moi les mains chargées de
nourriture.
— Il a une couverture dans son pick-up ? m’étonnai-je.
— Ouep, fit Henry en secouant la tête. On regarde les étoiles quand mon
père finit très tard.
Donc Captain veillait sur ce gamin pendant que son père travaillait. Je ne
m’attendais pas à cela. Ça ne collait pas avec l’image que j’avais de Captain.
— Kingsley est venue avec nous l’autre soir. Elle avait pris des milkshakes
et on a regardé le ciel. Mais elle n’a pas beaucoup aimé : elle n’arrêtait pas de
se plaindre.
Ce qui en disait long sur elle. J’espérais que Captain épargnerait dorénavant
sa présence à Henry. Il n’avait pas besoin de ça. Je me demandais qui était sa
mère : elle n’avait pas l’air présente dans le tableau, mais je n’osais pas poser
la question.
— C’est bon. On te suit, Henry. Trouve-nous un coin pique-nique de
premier choix, annonça Captain en revenant.
Je ne lui avais jamais vu le sourire dont il gratifia Henry. Il était sincère. Ni
forcé ni calculé. Un sourire dénué de malice.
Henry s’éloigna des écuries et s’arrêta hors de portée de leur odeur. Il
hocha la tête pour nous informer qu’on pouvait s’installer là et sa chevelure
hirsute lui tomba dans les yeux. J’avais envie de lui caler ses mèches derrière
ses oreilles, mais je n’étais pas sûre qu’il apprécie.
Captain étendit la couverture, me prit la nourriture des mains et la disposa
par terre tandis que Henry l’imitait. Captain sortit une cannette de sa poche
arrière et la lança à Henry. Puis il se tourna vers moi.
— J’en ai pris une pour toi aussi, dit-il en me la tendant.
— Merci, parvins-je à articuler.
Je m’assis en tailleur, la boîte de nourriture sur les genoux.
— Ça ne va pas être simple de manger des fajitas comme ça. Mais au moins
ça ne sent pas mauvais et c’est plus rigolo, observa Henry en me souriant.
— Tu as raison. Ça sent bien meilleur et c’est sympa comme tout. En plus, je
déjeune dans mon bureau tous les jours, alors ça change.
Henry dévisagea Captain.
— Elle est mieux que Kingsley. Elle sait s’amuser, elle au moins.
J’évitai de regarder Captain en me concentrant sur mon repas. Il fallait que
je tienne le coup. J’en toucherais deux mots à Captain dès que Henry serait
reparti. Je me demandais ce qu’il pouvait bien avoir derrière la tête en
l’amenant ici. Essayait-il de me manipuler ?
Je me méfiais de lui. Et la situation me donnait bien raison.
Je mordis dans ma fajita. Je sentais le regard du garçon peser sur moi. Il
guettait ma réaction.
— Hummm, c’est délicieux. La meilleure fajita du monde. Tu as raison, ton
père est sacrément fort.
Henry eut un immense sourire, puis se pencha à son tour sur son repas.
Je sentais aussi le regard de Captain, mais je refusais de le lui rendre.
J’allais déjeuner et être sympa avec Henry, mais à partir de maintenant je
fermerais la porte du bureau à double tour en l’absence de Piper. Fini les
interruptions intempestives de Captain.
— Si tu racontais à Reese le livre que tu es en train d’écrire, Henry ?
suggéra Captain. (Henry le regarda d’un air timide.) Elle va adorer, promis,
l’encouragea-t-il.
Le garçonnet finit par braquer ses grands yeux marron vers moi. Les taches
de rousseur qui parsemaient son nez le rendaient plus mignon que jamais.
— En novembre, j’ai gagné le tournoi d’orthographe de mon école. Puis
j’ai participé à la compétition de l’État que j’ai gagnée elle aussi. J’irai au
concours national en mai.
Eh bien, il y avait de quoi être fier. À son âge, je n’étais même pas capable
d’écrire mon prénom correctement.
— C’est génial ! le complimentai-je. Tu dois être drôlement doué.
Henry jeta un regard à Captain avant de poursuivre.
— C’est pour ça que j’écris un livre : parce que je suis dyslexique. C’est
quand on ne voit pas toujours les mots et les nombres comme les autres gens,
précisa-t-il en me scrutant.
La raison de la visite de Henry prenait enfin tout son sens. Elle n’avait rien
d’une combine. Je hochai la tête.
— Je sais ce qu’est la dyslexie, confirmai-je.
Il sembla soulagé de ne pas avoir à s’expliquer.
— La plupart du temps, personne ne s’occupe des enfants dyslexiques et ils
pensent qu’on ne peut rien y faire. J’ai envie de leur dire que ce n’est pas vrai
du tout. Avec mon père, on a épelé tous les mots qu’on pouvait pendant des
mois avant les concours d’orthographe. Je suis sûr et certain que les gens qui
sont dyslexiques peuvent faire tout ce qu’ils ont envie de faire. Il faut
simplement qu’ils croient en eux.
Je sentis l’émotion serrer ma gorge. Ce petit garçon allait vivre sa vie
pleinement. Personne ne lui dirait jamais qu’il était stupide et il aurait
l’opportunité de terminer le lycée et d’étudier à l’université. Je ne connaissais
pas son père, mais je l’aimais déjà. Parce que Henry ne subirait jamais ce que
j’avais subi. Je reposai ma fajita en retenant mes larmes.
— C’est merveilleux, Henry. Les enfants et les adultes qui souffrent de
dyslexie ont bien besoin d’entendre ce message. D’être inspirés par ton
histoire.
Henry souriait de toutes ses dents.
— C’est bien ce que je me dis, oui. Si mon père ne m’avait pas répété plein
de fois que je pouvais réussir tout ce que j’entreprenais, je n’aurais même pas
essayé de participer au concours. Mais j’en avais envie, et il m’a convaincu de
le faire.
Je souhaitais le même soutien à tous les enfants. Ça me brisait le cœur de me
dire que ce n’était pas le cas, que certains grandiraient en pensant qu’ils
n’étaient pas normaux. S’entendre dire qu’ils étaient capables de tant et plus
ferait des miracles pour leur amour-propre.
— Ton père a l’air d’être un homme à part, observai-je.
— Oui, c’est le meilleur.
Une fois encore, pas un mot sur sa mère.
Le moment était venu de dire à Henry que j’étais dyslexique moi aussi.
Pourtant je ne partageais jamais ça avec personne. C’était douloureux pour
moi. Mais ce petit bonhomme allait faire face au monde entier. Il était fier de
lui malgré ses difficultés. Il n’y avait aucune honte à être dyslexique.
— Henry, dis-je tandis qu’il levait les yeux. Moi aussi je suis dyslexique.
Il écarquilla imperceptiblement les yeux, puis un immense sourire illumina
son visage.
— Je savais que tu étais spéciale, répliqua-t-il. Comme moi.
Ses mots pénétrèrent dans mon cœur et je sus qu’ils y resteraient pour
toujours.
Mase
Je sentais mon cœur tambouriner dans mes oreilles tandis que je descendais
de mon pick-up pour regagner les écuries à grandes enjambées. J’avais
interrompu quoi entre eux, bordel ? Ma réaction était-elle exagérée ? J’avais
laissé à Reese l’occasion de s’expliquer, et elle s’était mise à bafouiller,
incapable d’être claire. J’avais même eu l’impression qu’elle défendait cette
espèce de connard.
Si je lui faisais confiance ? Oui ! Je n’avais jamais eu de raison de me
méfier. C’était ma Reese à moi. Elle était si adorable. Comment on en était
arrivés là, bon sang ? C’était quoi son problème à ce fils de salaud, pour qu’il
s’imagine qu’il pouvait lui apporter son déjeuner ? Il savait qu’elle était prise.
À quoi ça rimait ?
Il voulait ce qui m’appartenait. Je balançai une selle contre le mur en hurlant
un flot d’injures. Ce n’est pas ce que je souhaitais trouver en rentrant à la
maison. J’aurais voulu embrasser Reese et la serrer contre moi pour respirer
son parfum. Mais elle cachait quelque chose. Je le voyais bien dans ses yeux.
Putain de merde. Étais-je aveugle à ce point ? Elle était toute perdue quand
je l’avais rencontrée, mais ça ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas envie
d’explorer des choses. Avais-je juste servi à sa guérison ? Avait-elle des vues
sur d’autres ? Cette seule pensée me rendait malade. Je ne voulais pas qu’elle
s’intéresse à d’autres mecs.
En plus cette espèce de connard était loin d’être moche et il le savait. Il
utilisait sa belle gueule pour l’impressionner. Et elle mordait à l’hameçon. Ça
marchait. Je m’adossai au mur et pris une profonde inspiration. J’étais son
premier en tout. Elle n’avait jamais laissé personne d’autre l’approcher d’aussi
près.
Étais-je égoïste de ne pas la laisser partir, si c’est ce qu’elle voulait ? La
traitais-je comme une possession au mépris de ses besoins ?
— Putaaaaaaaain ! hurlai-je tandis que la douleur me transperçait la
poitrine.
Je me complaisais dans ma réaction excessive. Étais-je mentalement épuisé
après avoir géré Kiro ? La scène tournait sans cesse dans ma tête.
— Je l’ai plantée sur place, murmurai-je.
Je ne lui avais pas laissé la possibilité de me suivre pour m’expliquer. Je ne
lui avais même pas laissé un seul instant pour rassembler ses pensées. Elle
avait eu l’air aussi surprise que moi.
Je ne pouvais pas la laisser toute seule à se faire du mouron toute la journée.
Elle n’avait rien fait de mal. Évidemment, elle ne m’avait pas dit que ce trou du
cul de River, Captain, ou je ne sais quoi Kipling lui apportait son déjeuner.
Mais exiger une réponse de sa part et partir en trombe alors qu’elle n’arrivait
pas à s’exprimer n’était pas la solution.
C’était Reese. Ma Reese à moi. Il y avait forcément une raison pour qu’elle
n’ait rien dit. Peut-être avait-elle peur que je réagisse exactement tel que je
venais de le faire. Ou que je l’oblige à quitter son boulot. Elle adorait son
travail. Il faisait sa fierté, et la voir s’épanouir face aux encouragements
évidents de Piper était un vrai bonheur.
Il fallait que j’y retourne. Je fonçai vers la porte, mais Major me coupa dans
mon élan. Il me dévisagea comme si j’avais perdu la tête.
— Dégage, grognai-je en le poussant.
Mais il m’agrippa les épaules.
— Elle n’est pas ici, dit-il d’une voix agacée.
— Quoi ? m’écriai-je en le repoussant.
— Elle a appelé Maryann. Ta mère est allée la chercher.
Reese.
— Merde. Elle va bien ? m’enquis-je avant de le contourner pour regagner
la maison de ma mère.
— Elle pleurait tellement fort que tante Maryann comprenait à peine ce
qu’elle racontait. Elle a couru jusqu’à la porte, m’a montré du doigt et m’a dit :
« Va dire à mon fils qu’il a intérêt à arranger la situation. »
Il fallait que je fasse quelque chose. Reese pleurait. Tout ça à cause de mon
sale caractère.
— Mais qu’est-ce que tu as foutu ?
— River Kipling était dans son bureau. Il lui apporte à déjeuner de temps en
temps. Elle ne m’en a jamais parlé.
Major émit un sifflement grave.
— C’est un beau parleur. Mais Reese a fait quelque chose de mal ?
— Elle ne m’en a jamais parlé ! hurlai-je, mourant d’envie d’en découdre.
— Merde alors, Mase. Si elle pensait que tu allais réagir comme ça, je ne
peux pas lui en vouloir. Jamais tu ne te mets dans cet état. Je ne t’ai jamais vu te
ridiculiser comme ça de toute ma vie. C’est quoi ton problème, putain ?
Ça ne me ressemblait pas. Je ne perdais pas la boule pour des broutilles. Je
faisais gaffe, je pesais le pour et le contre. Je prenais des décisions mûrement
réfléchies. Je n’étais pas cette espèce de mariolle qui pétait les plombs à tout-
va.
— Arrête de hurler et écoute-toi un peu. Tu te comportes comme un dingue
pour un rien. Il lui apporte à manger, et alors ? Elle baise avec lui, oui ou non ?
Non. Je peux te la donner, la réponse. Elle t’aime. Toi. Ressaisis-toi.
Ressaisis-toi. Les mots repassaient dans ma tête. Ceux-là même que j’avais
dits à Kiro. Parce qu’il perdait la tête pour une femme.
Je me comportais comme… mon père. Toute ma vie je m’étais efforcé
d’imiter l’homme qui m’avait élevé. Un homme droit dans ses bottes. Un
homme prudent et réfléchi, tout en étant fort. Et en un clin d’œil voilà que
j’étais devenu l’homme dont le sang courait dans mes veines.
Je ne voulais pas être comme lui. Mais je le comprenais. Je n’avais pas
perdu Reese, et pourtant je devenais fou. Et si un jour je devais effectivement la
perdre ? Pourrais-je m’en remettre ? Deviendrais-je l’homme à qui je
ressemblais au lieu d’être celui qui m’avait tout appris ?
— Il faut que je la voie, murmurai-je avec impuissance.
— Ouais, eh bien ta mère va bientôt rentrer avec elle, et à ta place j’éviterais
d’être là quand elle débarque. Elle n’est pas vraiment fière de toi.
Moi non plus je n’étais pas fier de moi. J’avais fait faux bond à Reese, et à
moi-même. Tout ça, ce n’était pas moi.
Le pick-up de ma mère se détacha à l’horizon. Je partis en courant dans sa
direction. Je n’allais pas attendre que Reese vienne à moi. Il fallait que je la
voie tout de suite. Ma mère s’arrêta en me voyant approcher. J’éludai son
regard, les yeux rivés sur Reese. Son visage était tout rouge et marbré d’avoir
tant pleuré. Tout cela à cause de moi.
Jamais je n’aurais pensé me haïr à ce point.
Reese
J’avais déposé Reese au bureau après un long baiser langoureux, après quoi
j’avais mis le cap sur ce connard de River Kipling. J’avais passé un coup de fil
à Arthur pour lui demander où le trouver. Il m’avait informé qu’il était dans les
bureaux de la chaîne de restaurants Stout & Hawkins.
Je franchis l’entrée principale et souris à la réceptionniste. J’avais besoin de
son aide.
— Bonjour, fis-je en inclinant le bord de mon chapeau.
— Bonjour, répondit-elle d’un ton un peu trop guilleret.
— Arthur m’a dit que je pourrais trouver River Kipling dans les parages ce
matin. Savez-vous où il est ?
Elle ne demanda même pas de pièce d’identité. Elle hocha la tête et montra
la porte.
— Prenez par là : le troisième bureau sur la droite.
Je la gratifiai d’un clin d’œil et me mis en route pour mettre la main sur ce
salopard.
Je ne pris même pas la peine de frapper à la porte. J’entrai en coup de vent
et refermai derrière moi. River était à son bureau. Lorsqu’il leva les yeux sur
moi, je lus une lueur de défi dans son regard. J’allais mettre un terme à ses
conneries.
— Je t’attendais plus tôt, annonça-t-il en se laissant aller contre son dossier
d’un air satisfait.
— Je me suis d’abord occupé de Reese. J’ai été absent pendant quelques
jours et j’avais besoin de retrouver ma femme, répliquai-je en insistant sur le «
ma ».
Il eut un petit sourire narquois.
— Tu es venu revendiquer ton bien comme un putain d’homme des
cavernes ?
Nom de Dieu, je détestais cette tête de con.
— Je suis ici pour protéger Reese. C’est mon boulot. À cause de toi elle
était prête à faire une croix sur un job qu’elle adore. Je ne te laisserai pas tout
gâcher. Elle a surmonté plus de saloperies que tu ne peux l’imaginer. Elle n’a
pas besoin que tu viennes la chambouler.
Il avait presque l’air pris de remords.
— Elle a surmonté sa dyslexie. Elle a affronté ses démons. Elle va bien. Elle
n’a pas besoin qu’on lui colle aux basques pour la protéger du monde. Elle a le
droit d’avoir des amis, non ?
Elle lui avait dit pour sa dyslexie ? J’étais fier d’elle. Jusqu’ici elle ne s’était
confiée qu’à Piper et à moi.
— Sa dyslexie l’a empêchée d’avancer pendant longtemps. Mais elle a
traversé bien pire que ça. Ne va pas croire que tu la connais. C’est faux. Et si
elle veut que je la protège, je le ferai. De tout et de tout le monde. Elle n’a pas
eu ça la majeure partie de sa vie, mais elle l’aura pour le restant de ses jours.
River fronça les sourcils, se pencha en avant et s’accouda au bureau.
— Tu ne lui rends pas justice en partant du principe que sous prétexte
qu’elle a eu la vie dure en grandissant elle n’est pas assez forte pour prendre
soin d’elle. Je sais pertinemment que ça a fait d’elle une personne encore plus
forte. J’ai eu la même vie qu’elle.
Je détestais vraiment ce salaud.
— Quoi ? La vie a été dure avec toi ? Tu as reçu deux ou trois baffes ? Tu as
fini par partir quand tu as été assez grand pour mettre les bouts ? Eh bien tant
mieux pour toi. Ce n’est pas de cet enfer-là que je parle. Ne t’approche pas
d’elle. Tu as de la paperasse à classer ? Tu lui apportes et basta. C’est moi qui
assurerai les déjeuners.
River avait l’air de peser mes paroles, décidant de la réponse à leur
apporter. Ses reparties pleines d’esprit semblaient s’être taries.
— J’essayais d’être sympa, c’est tout, dit-il en haussant les épaules. Vous
vous mettez trop la rate au court-bouillon avec cette affaire, tous les deux. La
confiance joue un rôle primordial dans une relation.
Si je lui collais mon poing dans la figure, j’allais finir en taule. Je me
demandais si le jeu en valait la chandelle.
— Ton côté « sympa » lui a valu de finir en larmes hier. À gros sanglots. Ce
que tu as fait hier n’avait rien de sympa. C’était un coup bas, après quoi tu l’as
plantée là à se démerder toute seule. Un ami ne ferait pas ça. Tu n’es qu’un
connard. Aucune femme ne mérite un tel manque de respect.
Il ne dit rien. Il fallait que j’en profite pour partir avant qu’il ne réplique
quelque chose qui me retienne. Un jour j’aurais l’occasion de lui botter le cul.
Mais ce n’était ni le moment ni le lieu.
J’ouvris la porte et sortis sans demander mon reste.
Lorsque le week-end arriva, tout était rentré dans l’ordre. Captain n’avait
pas remis les pieds dans mon bureau. Il avait fait porter des dossiers par Major
deux fois, et j’avais pu souffler un peu.
Aujourd’hui Mase allait voir deux chevaux qu’il pensait acheter. J’avais
décidé de faire les courses. Maryann se rendait en ville pour faire quelques
achats et avait proposé de me déposer au supermarché et de repasser me
prendre une heure plus tard.
C’est la première fois que je faisais les courses sans Mase, et j’avais un peu
peur d’oublier ce qu’il voulait. Je savais bien qu’il ne m’en ferait jamais le
reproche, mais j’avais envie de bien faire les choses. J’aimais l’idée de
prendre soin de lui.
Après avoir passé une bonne dizaine de minutes à choisir les bons fruits et
légumes, je gagnai les autres allées. Ça n’exigeait pas de moi trop de lecture.
Cela faisait des années que je m’occupais des courses, et j’avais l’habitude de
repérer les articles grâce à leur emballage et leur étiquette.
— La petite pute a bien grandi.
Son murmure me glaça le sang. Je connaissais cette voix. Cela faisait des
années que je ne l’avais pas entendue, mais je l’aurais reconnue entre mille. Je
restai figée, incapable de me retourner.
— Alors, on dit pas bonjour à son papa ? insista Marco.
Ce n’était pas mon père. C’était le mari de ma mère, mais pas mon père :
mon tortionnaire.
— Si tu t’approches, je vais hurler de toutes mes forces, l’avertis-je sans me
retourner.
Je ne voulais pas voir son visage. Les cauchemars dans lesquels il
apparaissait avaient tout juste commencé à s’estomper. Je haïssais ce visage.
Son rire grave et menaçant me transperça d’un frisson d’horreur.
— Mais non, tu ne crieras pas. Tu ne veux quand même pas que tout le
monde découvre que tu es une vraie petite salope ? Parce que je vais le leur
dire. Comment tu m’as séduit. Comment tu voulais coucher avec ton beau-père.
Je parie que ton petit copain plein de thune ne sait même pas que tu es une vraie
putain. À moins qu’il aime ça, dit-il en me touchant les cheveux.
Un jet de bile remonta dans ma gorge. J’allais vomir. J’essayai de retrouver
ma voix, mais j’étais figée de terreur. Comme quand j’étais enfant.
— Peut-être bien qu’il aime les petites salopes débiles. Avec un gros cul et
des gros nibards. Ça doit être son truc.
Je fermai les yeux. Non. Il ne pouvait pas me faire ça. Je ne le laisserais pas
faire. J’étais plus forte à présent. J’avais grandi. La petite fille n’était plus là.
— J’ai mis un moment à te trouver. Mais ça fait une semaine que je
t’observe. Je sais où tu vis, où tu travailles. Tu es trop conne pour conduire
toute seule. Ça ne m’étonne pas.
Mon corps se recouvrit de sueur froide. Que faisait-il ici ? Pourquoi
voulait-il me retrouver ?
— Ta mère est morte. Enfin, c’est pas comme si tu en avais quelque chose à
foutre. Après tout, tu t’es enfuie. Espèce de bonne à rien, poursuivit-il en
refermant la main sur mes cheveux qu’il tira violemment en arrière.
Il fallait que je m’échappe. Mais j’étais incapable d’émettre le moindre son.
Ça devait être un cauchemar. Il n’était pas vraiment là. Ça n’était pas vrai. Il
fallait que je me réveille.
— Même pas une petite larme pour ta mère ? Les salopes dans ton genre
n’en ont rien à foutre de leur mère. Mais ton beau-père, tu l’aimais, pas vrai ?
vociféra-t-il en me tirant les cheveux.
— Lâche-moi, parvins-je à articuler sous l’emprise de la terreur.
Il éclata de rire.
— J’ai mis un moment à te trouver, gamine. Je ne vais pas te laisser en si
bon chemin. Tu lui as dit que c’est moi qui t’avais eue en premier ? Que ce
corps m’appartenait ? Que tu te pavanais avec tes fringues moulantes pour
m’inciter à te toucher ?
Mon estomac se retourna. Je me penchai en avant, écrasée par la nausée. Il
tira ma tête en arrière d’un coup de poignet.
— Si tu sors d’ici avec moi, je ne lui dirai rien de tes sales petits secrets, me
murmura-t-il à l’oreille.
Son haleine empestait une odeur de lait tourné. Je plaquai la main sur ma
bouche de peur de vomir sur le sac de courses. Je ne pouvais pas hurler tout en
bataillant pour empêcher mon estomac de rendre tout son contenu. Je fermai
les yeux et priai pour que Dieu, s’il existait, me sauve. Je n’étais pas prête à ça.
Et peut-être y avait-il un dieu parce que je sentis soudain que Marco lâchait
mes cheveux. Je fis volte-face. Captain, le visage crispé par la fureur, avait
refermé la main sur le bras de Marco. Je voyais enfin son visage. Il avait
considérablement vieilli.
— Tu vas dégager d’ici sans te retourner et je te laisserai vivre, affirma
Captain d’une voix intraitable sans hausser le ton.
Marco tenta de dégager son bras en rétorquant d’une voix haut perchée :
— Tu veux te faire arrêter pour agression ?
Captain n’eut pas l’air intimidé. Il continuait de dévisager Marco comme
s’il s’agissait de la créature la plus vile de la planète.
— Pousse un cri et tu ne reverras jamais le lever du soleil. Ne me cherche
pas, le vioque. Ne me cherche pas, articula-t-il.
Captain ne plaisantait pas. Il n’y avait pas l’ombre d’un sourire sur son
visage. On aurait dit l’expression d’un homme sans âme. Il voulait s’assurer
que Marco voie bien à quel point il était intransigeant.
Je reculai.
— Ramasse tes courses, Reese, m’ordonna Captain. Je vais raccompagner
ce tas de merde à l’extérieur. Il ne reviendra pas. Je te le promets, affirma-t-il
sans détacher le regard de Marco.
Puis il se mit en marche, la main fermement agrippée à son bras.
Je les regardai gagner la porte d’entrée. Puis je sortis mon téléphone pour
appeler Mase. J’allais m’effondrer et je n’étais pas sûre d’avoir la force de
sortir d’ici.
Mase
J’étais adossé à la tête de lit, Reese dans mes bras. Sa tête reposait contre ma
poitrine et sa respiration s’était calmée. Elle dormait depuis plus d’une heure et
je n’avais pas bougé.
Et je resterais dans cette position pendant des semaines, bon sang, pendant
des mois si nécessaire. Je la tiendrais le temps qu’il faudrait. Je voulais qu’elle
se sente à nouveau en sécurité. Je n’allais pas laisser la peur prendre le dessus.
J’aurais tant aimé effacer cet homme de sa mémoire pour qu’elle ne soit plus
jamais dans cet état.
Une fois qu’elle aurait repris ses esprits, j’appellerais la police. Il lui fallait
une ordonnance restrictive. Ensuite je renforcerais la sécurité du ranch. Je
toucherais un mot à Piper pour m’assurer qu’elle ne soit jamais seule aux
écuries. Mieux encore, j’allais lui apprendre à tirer. Elle aurait un pistolet.
On frappa à la porte, et ma mère m’appela à voix basse. Je n’osais pas
parler de peur de réveiller Reese. Ma mère franchit la porte entrouverte. Ses
yeux étaient pleins d’inquiétude.
— Qui était cet homme ? murmura-t-elle.
— Son beau-père.
— Oh Seigneur, non, souffla-t-elle, les larmes aux yeux.
— Ouais, acquiesçai-je à mon tour pour confirmer ce qu’elle pensait.
Elle se couvrit la bouche pour étouffer un sanglot.
— Oh, Mase, tu étais au courant ?
Je hochai la tête.
— Elle m’en a parlé avant qu’on…
Ma mère comprit où je voulais en venir.
— Tu restes ici et tu prends soin d’elle. J’apporterai à manger. Ton père
s’occupera des écuries.
— Merci.
Nous savions l’un comme l’autre que je n’irais nulle part de toute façon. Ma
place était à côté de Reese.
Ma mère déposa un baiser sur le front de Reese, puis sur le mien.
— Aucune fille ne devrait vivre une telle horreur, murmura-t-elle.
— Je me sens si impuissant, avouai-je.
Je voulais régler tous ses problèmes. Je voulais tout effacer. Mais comment
réparer son passé ?
Ma mère me passa une main dans les cheveux.
— Tu es ce dont elle a besoin. Ne te sens pas impuissant. Sois là pour elle.
— D’accord. Je suis là.
Ma mère hocha la tête puis tourna les talons et sortit de la pièce.
Après son départ, la maison replongea dans le silence. Je continuai à faire la
liste dans ma tête de tout ce que j’aurais à faire pendant qu’elle se reposait.
J’allais la protéger, faire tout ce qui était en mon pouvoir, et plus encore.
Reese émit un petit cri, et je resserrai mon étreinte en lui murmurant à
l’oreille :
— Je suis là, tu es en sécurité. Dors, ma chérie.
Elle se calma instantanément au son de ma voix. C’est tout ce que j’avais à
faire pour le moment. Le reste allait devoir attendre. Je m’en occuperais bien
vite.
En une seconde tout mon univers s’était retrouvé menacé. J’aurais dû être
avec elle. Je repoussai les cheveux qui tombaient sur son visage et contemplai
la magnifique femme étendue dans mes bras. Malgré toute la douleur qu’elle
avait connue elle était tout aussi belle à l’intérieur. Douce, honnête. Elle était à
moi. Je l’avais trouvée. Elle était faite pour moi. C’est elle qui changerait mon
monde. Rush avait raison : elle était tout ce dont je pouvais rêver.
Qui eût cru que Rush Finlay pouvait être aussi sage ? C’était lui le fils d’une
rock star subversive, alors que moi je m’étais rangé des voitures. Pourtant
c’est lui qui avait prononcé les paroles les plus honnêtes que j’avais jamais
entendues de toute ma vie.
Captain
Harlow avait emmené Reese faire les magasins avec les filles. Au départ,
Reese n’avait pas voulu me quitter et je n’avais pas l’intention de la forcer.
Mais devant l’enthousiasme de Harlow, elle avait fini par se détendre. Au final,
elle m’avait assuré que tout allait bien. J’avais dit à Harlow que je ne voulais
pas qu’elles quittent Rosemary Beach ; je voulais être à proximité en cas de
besoin. Harlow m’avait promis qu’elles ne s’éloigneraient pas. L’objectif était
juste que Reese se change les idées.
J’étais en route pour jouer au golf avec Grant et Rush au Kerrington
Country Club lorsque mon téléphone sonna. Le numéro qui s’affichait était
inconnu et je ressentis illico un sentiment de peur détestable. Je n’aurais pas dû
laisser Reese partir sans moi.
— Allô ? répondis-je la gorge nouée.
— Mase Manning ? s’enquit une voix masculine.
— Oui.
— Je suis l’inspecteur Northcutt de la police de Fort Worth. On a retrouvé
Marco Halls.
Une vague de soulagement me submergea. Ils l’avaient trouvé. Ce salopard
n’était plus dans la nature.
— Nous avons porté plainte et Reese à une ordonnance restrictive. Quelle
est la prochaine étape ?
J’étais prêt à mettre un terme à cette affaire. Je voulais le voir derrière les
barreaux.
— Il est mort, annonça Northcutt.
Je pris une profonde inspiration, le temps de digérer l’information. Ce fils
de chien était mort. Nom de Dieu.
— La femme de chambre du motel où il logeait l’a découvert ce matin. Il
était mort depuis deux jours. Personne n’était au courant. Il avait réglé la
chambre en avance et avait demandé à ne pas être dérangé ; il était censé partir
aujourd’hui.
— Comment est-il mort ? demandai-je avec un profond sentiment de
soulagement, car plus jamais il n’approcherait Reese.
— Blessure par balle à la tête. Une seule balle. Vous étiez bien entendu le
premier suspect, mais nous sommes allés interroger vos proches. Nous avons
parlé à Mme et M. Colt, ainsi qu’à Major Colt, qui nous ont informés que
Reese et vous-même n’aviez pas quitté la maison pendant deux jours et que
vous veniez de partir pour Rosemary Beach en Floride pour rendre visite à
votre sœur. Nous allons vérifier ces déclarations, mais vous n’êtes plus
suspect. Cet homme semblait avoir bien des ennemis. L’enquête préliminaire
montre qu’il était impliqué dans un trafic de drogue. Il devait sans doute de
l’argent. Toute information sur lui pourra nous être utile.
— Bien sûr. Mais Reese ne l’avait pas vu, ni lui ni sa mère, depuis ses seize
ans, lorsqu’ils l’ont jetée dehors. Quand elle est tombée sur lui au
supermarché, elle le revoyait pour la première fois. Ça l’a vraiment secouée.
Nous ne savons rien sur lui si ce n’est ce qu’il faisait à Reese quand elle était
plus jeune.
— C’est bien ce que nous pensions. Ce crime n’a rien d’impulsif. Il a été
soigneusement planifié et dissimulé. Tout indique un tueur à gages. Ce qui
signifie que nous pourrions ne jamais savoir…
Sa voix resta en suspens. Le ton de sa voix me laissa entendre qu’il ne
voulait pas savoir. Il avait la déposition de Reese, qui expliquait ce que cet
enfoiré lui avait fait.
Mais un tueur à gages ? Qui avait-il bien pu se mettre à dos ? Des gens qui
étaient au courant pour Reese ? Qui pensaient qu’elle détenait quelque chose
d’important ? Mon sang ne fit qu’un tour. La peur revenait en force.
— Si c’était un tueur professionnel, est-il possible qu’il soit à la recherche
de Reese, pensant qu’elle sait quelque chose ?
Il fallait que je la mette à l’abri. Où qu’elle soit, il fallait que je la retrouve.
Le détective se racla la gorge.
— Il y avait quelque chose sur la scène du crime qui nous laisse à penser
que Reese n’est pas en danger. Quelque chose qui le relie au trafic de drogue.
Nous avons déjà croisé cette carte de visite, dit-il à voix basse.
— De quoi voulez-vous parler ? (J’écartai le téléphone de ma bouche et
jetai un œil à Grant :) Je dois aller chercher Reese. Maintenant.
Il hocha la tête et effectua un demi-tour avec son pick-up.
— Nous avons trouvé une carte. Elle ne comportait pas d’empreinte, et elle
était imprimée avec les mots : « Pour ma petite fille. »
Je fermai les yeux en poussant un soupir. Que s’était-il passé ? Ce salopard
s’en était pris à la fille de qui cette fois-ci ?
— De retour à Fort Worth, nous vous demanderons de bien vouloir venir
répondre à des questions tous les deux.
— Oui, bien sûr. Il n’y avait aucune empreinte nulle part ?
— Comme je le disais, il s’agit d’un travail de professionnel. Aucune trace.
À part cette note. Et… (Il ménagea une pause.) Il s’agit d’une carte de visite qui
explicite les raisons de cette mort. Nous l’avons déjà vue. Plus d’une fois.
L’encre et la confection sont identiques. Nous l’avons analysée. Mais je ne peux
pas vous en dire plus.
Une carte de visite. Voilà la seule chose qui me signifiait que Reese était en
sécurité. L’auteur de l’assassinat de Marco n’avait aucune raison de s’en
prendre à Reese. Je doutais même que quiconque ait fait le lien entre elle et le
passé de Marco.
Je raccrochai au moment où nous arrivions à hauteur du café devant lequel
Harlow et Reese nous attendaient. Reese avait l’air inquiète. Je voulais la sentir
tout contre moi pendant que je lui racontais ce que je venais d’apprendre. Elle
s’approcha du pick-up à grands pas.
— Que se passe-t-il ?
Je l’attirai contre moi en prenant une profonde inspiration pour calmer les
battements de mon cœur.
— Que se passe-t-il ? répéta-t-elle contre ma poitrine.
Tout allait bien. Elle était là. Elle était en sécurité. Et quelqu’un d’autre avait
pris le soin d’assurer sa sécurité pour toujours.
— Il est mort, annonçai-je. Marco est mort.
Elle recula et me dévisagea dans un mélange de choc et d’espoir.
— Quoi ? murmura-t-elle.
— Il est mort, répétai-je.
Je décidai de ne pas rentrer dans les détails. Pas pour le moment.
— Oh mon Dieu, souffla-t-elle avant d’être secouée d’un sanglot. Il est parti.
Parti pour toujours ?
Je hochai la tête. Je comprenais son émotion.
— C’est fini, bébé.
Je pris sa tête entre mes mains en remerciant le ciel de l’avoir mise à l’abri.
Et de me l’avoir donnée.
Reese
Pendant les deux semaines qui suivirent, la vie reprit son cours. Mase
m’apportait le déjeuner chaque jour et Captain n’avait jamais remis les pieds
au bureau. Soit il me laissait des documents dans un dossier sur la table à
l’extérieur de la pièce, soit il envoyait Major. J’étais moins à cran et le
traumatisme qui m’avait terrassée lorsque Marco avait réapparu était en train
de s’estomper.
Ce fut un dimanche après-midi que tout bascula. De nouveau.
Mase et moi avions passé la matinée à traîner ensemble à la maison, après
quoi il était allé jeter un œil aux écuries. Après l’épisode de Marco au
supermarché, nous manquions non seulement de nourriture mais aussi
d’essuie-tout et de shampooing. Je passais la salle de bains en revue pour
vérifier qu’il ne fallait rien d’autre lorsque je tombai sur la boîte de tampons
neuve que j’avais achetée le mois précédent.
Les yeux rivés dessus, je tentai de me souvenir à quelle date auraient dû
arriver mes règles. Je sortis ma plaquette de pilule de l’armoire à pharmacie.
Deux semaines. J’aurais dû les avoir deux semaines plus tôt.
Je reposai la plaquette d’une main tremblante et retournai m’asseoir dans la
chambre pour reprendre mes esprits. Les deux dernières semaines avaient été
mouvementées. Au milieu de tout ça, je n’avais pas pensé à mes règles. Et
j’avais oublié de prendre la pilule le lendemain de l’incident avec Marco.
Sauf que le jour d’après j’en avais pris deux. Nous n’avions même pas
couché ensemble ce soir-là. J’étais dans un sale état. Ça ne collait pas. Je ne
pouvais pas être enceinte.
Je posai une main sur mon ventre en imaginant un instant que c’était le cas.
Que je portais le bébé de Mase. Un sentiment de joie me traversa, rapidement
remplacé par une sensation de malaise. Mase ne m’avait pas encore demandé
de l’épouser. Il n’était pas prêt à avoir une famille. Je ne pouvais pas lui
imposer ça. Il comptait sur moi pour prendre la pilule, et je lui avais fait faux
bond.
Comment pourrais-je devenir mère sans en avoir eu une moi-même ? Je
n’avais pas d’exemple. Celle que j’avais eue n’avait rien de recommandable
pour un enfant. Les mains sur mon ventre, je savais qu’il me fallait consulter
un médecin. Sans Mase. Inutile de paniquer pour rien, mais comment aller chez
le médecin sans prévenir personne ?
Piper. J’allais demander à Piper de m’y emmener. Je lui faisais confiance et
je savais qu’elle comprendrait. C’est ce que je pensais, en tout cas.
Je rangeai la boîte de tampons sur l’étagère et terminai ma liste de courses.
Je n’allais pas me préoccuper de ça pour l’instant. Il y avait une chance pour
que je ne sois pas enceinte. J’étais peut-être simplement en retard. J’allais
m’accrocher à cet espoir.
— Salut bébé, lança Mase en passant la porte d’entrée.
Je retournai dans le salon munie de ma liste. Jamais je ne me lasserais de le
voir avec son jean poussiéreux, son chapeau de cow-boy et ses bottes. Parfois,
j’avais du mal à croire qu’il était à moi. Il s’approcha de moi en souriant.
— Si tu continues à me regarder comme ça tu ne risques pas d’aller au
supermarché.
Je voyais très bien ce qu’il avait en tête. C’était tentant, mais j’avais trop
peur à présent. Même si je n’étais pas enceinte, je risquais peut-être de faire
une bêtise après avoir oublié de prendre ma pilule. Je tapotai sa poitrine en
croisant les doigts pour que l’inquiétude ne se lise pas sur mon visage.
— Il faut que je fasse les courses, soulignai-je.
Il baissa la tête et happa mes lèvres dans un baiser brûlant qui me fit tout
oublier.
— Tout ce que tu voudras, murmura-t-il en me donnant une claque sur les
fesses avant d’ajouter : bon sang, j’adore ce cul.
Je brandis la liste de course :
— Priorités, rétorquai-je en allant chercher mon sac à main.
— Moi aussi j’ai des priorités, dit-il d’un air amusé.
Était-il possible d’aimer quelqu’un aussi fort que j’aimais cet homme ?
Était-ce seulement raisonnable ?
Mase
Mase avait rappelé à mon arrivée au bureau. Cette fois-ci j’avais décroché,
car si je continuais à l’ignorer, il allait finir par venir à la grange. Je n’en
doutais pas une seconde. Je lui avais dit que j’avais passé un agréable moment
au déjeuner et qu’il me manquait. Il avait eu l’air satisfait et nous avions
raccroché.
Me retrouver assise dans son pick-up après le travail était une tout autre
affaire. Il y avait cet énorme secret entre nous, et je culpabilisais de le tenir à
l’écart. Il m’avait embrassée et serrée contre lui en arrivant chez Piper. Je me
sentais tellement en sécurité dans ses bras.
La culpabilité était comme un poids mort dans mon ventre. J’avais peur de
ressortir perdante.
— Au cas où elle serait encore là quand on arrivera au ranch, je préfère te
prévenir qu’Aida est ici. Elle était chez ma mère pour le déjeuner, m’annonça
Mase en me jetant un coup d’œil pendant qu’il conduisait.
Je n’étais pas d’humeur à voir Aida. Le timing n’était pas idéal.
— O.K. Elle a dit pourquoi elle était venue ? m’enquis-je en prenant soin de
ne pas avoir l’air trop agacée par la nouvelle.
Il haussa les épaules.
— À mon avis, elle s’ennuie. Il n’y a pas vraiment de raison.
— Oh, fis-je.
Quoi qu’il en soit, le moment était venu de rendre visite à mon père. La
présence d’Aida n’avait aucune importance. Je pris la balle au bond :
— On peut aller chez mon père ? Je crois que je suis prête.
Mase posa un bras sur mes épaules et enroula une mèche de cheveux autour
de ses doigts.
— Je réserverai le vol ce soir. Tu veux l’appeler pour le prévenir de notre
arrivée ?
Je hochai la tête.
Il se pencha pour déposer un baiser sur mon front.
— Tout ce que tu voudras, bébé. Tu n’as qu’à demander.
Cette fois-ci, lorsqu’il me surnomma « bébé », mes mains se posèrent sur
mon ventre. Comment faire pour le lui dire ?
— Ma mère a envoyé les restes du déjeuner à la maison. On peut manger un
bout et réserver les billets. Tu es prête à partir quand ?
— Après-demain. Il faut d’abord que je prévienne Piper et que je termine
certains dossiers aux bureaux.
— Parfait. Ça me laisse le temps de boucler les choses de mon côté.
Nous nous engageâmes dans l’allée. Le pick-up d’Aida était garé là, et Aida
était assise sur les marches de la véranda. Plus possible de l’éviter, je n’avais
plus le choix.
Mase serra mon épaule.
— Désolé.
Avant que je n’aie eu le temps de descendre de mon siège, Mase était déjà là
pour me prendre la main. Je le laissai m’aider et me serrer contre lui tandis
que nous regagnions la maison. Aida se leva en nous voyant arriver. Elle avait
les yeux rougis par les larmes, et sa lèvre inférieure tremblait.
— Je voulais vous présenter mes excuses à tous les deux, bredouilla-t-elle
en reniflant. Je ne voulais pas vous causer d’ennuis. Je suis revenue ici pour
vous dire que j’étais désolée. (Et s’adressant directement à Mase :) Tu me
manques. Notre amitié me manque. Je veux retrouver mon cousin.
Je sentis le corps de Mase se détendre.
— J’ai toujours été là, Aida. C’est toi qui as changé la donne. Tu ne pouvais
pas accepter Reese, alors qu’elle fait partie de moi.
Aida hocha la tête. Une larme coula le long de son visage parfait.
— Je sais. J’étais jalouse. Je n’avais encore jamais eu à te partager. Je suis
désolée. (Et se tournant vers moi :) Je suis sincèrement désolée. Je n’avais pas
l’intention de craquer comme ça.
— Si tu peux accepter Reese et comprendre qu’elle fait partie de ma vie à
présent, alors on pourra de nouveau être amis. Je te considère comme ma
petite cousine depuis toujours. Je tiens à toi. Je veux que tu sois heureuse. Mais
je ne tolérerai jamais que tu fasses du mal à Reese. Jamais.
Aida prit une mine boudeuse. Mais avec ses lèvres charnues, c’était difficile
de savoir.
— Je ne lui ferai pas de mal. Je le promets. Moi aussi je veux que tu sois
heureux.
— Alors oublions le passé et recommençons depuis le début, conclut Mase.
Aida le gratifia d’un immense sourire.
— Vraiment ?
Mase hocha la tête.
— Vraiment.
J’avais envie de la croire. Mais au fond de mes tripes quelque chose me
disait que ce n’était pas sincère.
Mase
Reese était préoccupée. Je n’arrivais pas à savoir par quoi et, quand
j’essayai d’aborder le sujet, elle se refermait comme une huître. J’étais presque
soulagé d’arriver à Chicago. J’espérais qu’elle avait simplement besoin de
voir sa nouvelle famille et qu’elle était très tendue à l’idée de parler de son
passé à Benedetto. Je voulais m’assurer que c’était la raison de sa nervosité.
J’avais l’habitude qu’elle me parle et qu’elle se confie à moi. Elle avait
changé : comme si elle avait érigé un mur et qu’elle refusait de me laisser
passer. Ça me foutait carrément la trouille. Si c’était à cause de la visite d’Aida
chez mes parents, je pouvais très bien la renvoyer chez elle. Mais j’avais
besoin que Reese me dise ce qui n’allait pas. Je me sentais totalement démuni.
Benedetto nous retrouva au retrait des bagages et à ma grande surprise
Reese l’accueillit en le prenant dans ses bras. Je m’attendais qu’elle soit plus
réservée tant qu’elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler.
— Tu m’as manqué, dit-il d’un air ravi en la serrant contre lui.
— Toi aussi, tu m’as manqué, répliqua-t-elle. Merci de nous accueillir au
pied levé.
Benedetto fronça les sourcils.
— Ne t’excuse jamais de me rendre visite. Tu es chez toi dans ma maison.
Quand tu veux, passerotta.
Sa grand-mère aussi l’appelait passerotta, et elle m’avait expliqué que ce
terme affectueux signifiait « petit moineau ».
— Nonna a hâte que tu arrives, ajouta-t-il en prenant sa valise. (Puis se
tournant vers moi :) Ravi de te revoir, Mase.
— De même, monsieur.
Je pris ma valise et posai une main dans le dos de Reese.
— Je suis heureux que tu sois ici, poursuivit Benedetto. La dernière fois,
quand tu es parti, Reese pensait constamment à toi. Ce n’était pas facile pour
elle.
— J’ai eu beaucoup de mal à la laisser, acquiesçai-je.
Ma réponse sembla satisfaire Benedetto, qui nous guida vers son Escalade
gris métallisé, que son chauffeur avait garée le long du trottoir.
— Asseyez-vous tous les deux à l’arrière. Je vais m’asseoir devant avec
Hernaldo, nous convia Benedetto. Raul voulait venir te chercher, mais il avait
cours cet après-midi. Il a hâte de vous revoir, tous les deux.
Reese ressemblait énormément à son frère Raul. C’était d’ailleurs étrange
de le regarder dans les yeux et d’y retrouver Reese. Son frère n’avait ressenti
aucune amertume à perdre son statut de fils unique. Bien au contraire, il avait
accueilli avec joie la perspective d’avoir une grande sœur et semblait
sincèrement heureux de passer du temps avec elle.
— Moi aussi j’ai hâte de le voir, acquiesça Reese.
Je savais qu’elle le pensait. Aussi forte que soit la douleur que lui causait
encore son père, elle adorait son frère.
— Bien entendu, Nonna va requérir toute ton attention. Elle a déjà
commandé le dîner. Et à coup sûr elle sera sur son trente et un, expliqua-t-il à
Reese avec un clin d’œil qui la fit rire.
Elle se tourna vers moi. J’aurais tant aimé qu’elle grandisse dans cet
environnement, entourée du soutien de cette famille aimante. En tout cas, elle
l’avait à présent et c’était une bonne chose.
— J’ai parlé avec Nonna la semaine dernière, enchaîna Reese. Elle m’a
demandé quand j’allais revenir.
Benedetto opina du chef.
— Oh oui, elle trépigne d’impatience depuis que tu as annoncé ta visite.
La conversation se poursuivit dans le 4 × 4. Reese était assise tout contre
moi, sa main dans la mienne. C’était peut-être cela qui l’avait préoccupée.
J’espérais qu’elle réussisse bien vite à briser le mur du silence qu’elle avait
érigé entre nous.
Il ne fallut pas longtemps pour franchir le portail en fer forgé de la
propriété DeCarlo. Lors de ma première visite, j’avais dû ravaler ma colère à
l’idée que Reese avait passé sa vie à lutter pour sa survie tandis que son père
biologique habitait dans le luxe le plus total. Mais petit à petit, la joie qui se
lisait sur le visage de cet homme alors qu’il faisait la connaissance de Reese
avait fini par avoir raison de mon amertume. J’étais persuadé qu’il n’avait pas
su où la chercher. Ce qui l’avait maintenu à l’écart n’avait plus d’importance
aujourd’hui. Il tenait désormais une place dans sa vie.
Nonna ouvrit la porte d’entrée en grand, le visage rayonnant de bonheur.
— Je vais aider ton père. Va voir ta grand-mère, l’incitai-je en déposant un
baiser sur ses lèvres.
Elle pivota aussitôt les talons et se précipita vers sa grand-mère.
— Elle fait du bien à sa Nonna, observa Benedetto derrière moi.
— Et sa Nonna le lui rend bien, répliquai-je.
Il hocha la tête, mais son visage se barra d’inquiétude.
— J’aurais aimé qu’elle ait toujours eu cette famille. Mais j’ai fait ce que
j’ai pensé être le mieux.
Il s’était trompé. Ce qu’il avait pensé être le mieux s’était révélé un vrai
cauchemar.
— C’est à Reese de partager son passé avec vous. Mais je vais être sincère :
rien n’aurait pu être pire que la vie à laquelle elle a survécu.
Benedetto se raidit, le visage empreint de douleur. En savait-il plus qu’il ne
voulait bien le laisser croire ? Comment était-ce possible ?
— J’ai commis beaucoup d’erreurs dans cette vie, observa-t-il tandis que
Nonna emmenait Reese à l’intérieur. Mais, cette erreur-ci, je ne pourrai jamais
me la pardonner. J’emporterai cette partie souillée de mon âme dans la tombe.
Il était au courant. C’était obligé.
— Rentrons. Hernaldo déposera les bagages dans les chambres, conclut-il.
Nous gagnâmes la maison en silence. Je repassais ses mots en boucle dans
ma tête. Comment savait-il que Reese avait souffert ? Qui avait pu l’en
informer ? Elle était venue jusqu’ici pour lui en parler et se défaire de ce
fardeau. S’il était déjà au courant, pourquoi ne pas le lui dire ?
— Savoir ma fille avec un homme qui est prêt à sacrifier sa vie pour la
protéger me réconforte. Elle t’aime, et je vois bien que tu l’aimes. Mais je veux
que tu comprennes : si à un moment tu cesses de l’aimer ou n’es plus en
mesure de la protéger, je veux que tu l’amènes ici. Est-ce clair ?
Jamais je n’abandonnerais Reese. Quelles que soient les circonstances.
— Je comprends. Mais ce jour n’arrivera jamais. Reese est toute ma vie.
Mon avenir.
Benedetto hocha la tête.
— Bien. C’est ce que je voulais entendre.
Reese
La porte de mon bureau s’ouvrit après un coup bref. En levant les yeux je
vis entrer Aida. Je ne l’avais pas vue depuis notre retour. Et apparemment ma
chance venait de me quitter puisqu’elle débarquait ici.
— Bonjour Aida, la saluai-je tandis qu’elle prenait place de l’autre côté de
mon bureau.
— J’ai pensé qu’on pourrait parler en privé. J’aimerais te dire un certain
nombre de choses. Des choses que tu dois entendre, parce que, de ce que je
vois, tu n’es pas très futée.
Son insulte me fit l’effet d’une gifle. J’avais bien souvent entendu ces mots
dans ma vie.
— J’ai entendu dire que tu étais enceinte, mais je vois que tu ne portes
toujours pas de bague. Mase ne fait pas sa demande. Ça devrait t’éclairer. S’il
était amoureux de toi comme il le prétend, vous seriez fiancés. (Elle me lança
un sourire glacial.) Quand un homme veut une femme, il le fait savoir au
monde entier. Tu ne peux pas en dire autant, n’est-ce pas ? Réfléchis un peu à
ça, Reese. Pense à toutes ses belles paroles qui ne sont pas suivies d’actes. Ce
n’est pas en lui mettant le grappin dessus avec un bébé que ça va marcher.
Mauvais plan, fit-elle en se levant et en balançant ses cheveux par-dessus son
épaule.
Je n’avais rien à dire. Je refusais de croire un traitre mot de sa diatribe,
même si c’était difficile. D’autant plus que Charlie avait en gros dit la même
chose. Étais-je vraiment stupide ?
— Quand il en aura marre de toi et qu’il passera à autre chose, je l’attendrai.
Je l’attends depuis que je suis toute petite. Ce n’est pas toi qui me l’enlèveras. Il
s’est égaré, c’est tout. Mais c’est moi qui l’aurai au final. Alors profite du peu
d’attention qu’il te porte encore.
Elle me lança un sourire triomphant avant de quitter mon bureau en claquant
la porte.
Je restai sans bouger, les yeux rivés sur la porte. Mase m’aimait. Je le
savais. Dans ce cas pourquoi ses mots me faisaient-ils mal ? Pourquoi la
laissais-je me blesser ? Elle était en colère parce que Mase était avec moi. Ça
n’allait pas chercher plus loin. Je n’allais pas me laisser déstabiliser. C’était
hors de question.
Et pourtant ce fut le cas tout le reste de la journée.
Mase
Couverture
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Du même auteur
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Dédicace
Chapitre 1 : Reese
Chapitre 2 : Mase
Chapitre 3 : Reese
Chapitre 4 : Mase
Chapitre 5 : Reese
Chapitre 6 : Mase
Chapitre 7 : Reese
Chapitre 8 : Mase
Chapitre 9 : Reese
Chapitre 10 : Mase
Chapitre 11 : Reese
Chapitre 12 : Mase
Chapitre 13 : Reese
Chapitre 14 : Mase
Chapitre 15 : Reese
Chapitre 16 : Mase
Chapitre 17 : Reese
Chapitre 18 : Mase
Chapitre 19 : Reese
Chapitre 20 : Mase
Chapitre 21 : Reese
Chapitre 22 : Mase
Chapitre 23 : Reese
Chapitre 24 : Mase
Chapitre 25 : Reese
Chapitre 26 : Mase
Chapitre 27 : Reese
Chapitre 28 : Mase
Chapitre 29 : Reese
Chapitre 30 : Mase
Chapitre 31 : Reese
Chapitre 32 : Mase
Chapitre 33 : Reese
Chapitre 34 : Mase
Chapitre 35 : Reese
Chapitre 36 : Mase
Chapitre 37 : Captain
Chapitre 38 : Reese
Chapitre 39 : Mase
Chapitre 40 : Reese
Chapitre 41 : Mase
Chapitre 42 : Reese
Chapitre 43 : Mase
Chapitre 44 : Reese
Chapitre 45 : Mase
Chapitre 46 : Reese
Chapitre 47 : Mase
Chapitre 48 : Reese
Épilogue
Remerciements