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Du

même auteur dans la collection &moi

Dangerous Perfection, 2015.


Simple Perfection, 2015.
Take a Chance, 2015.
One More Chance, 2015.
Forever Mine, 2016.
Don’t Go, 2017.

www.collection-emoi.fr
Titre de l’édition originale :
WHEN YOU’RE BACK
Publiée par Atria, un département de Simon & Schuster

Ouvrage publié sous la direction éditoriale


de Marie Chivot-Buhler

Maquette de couverture : Evelaine Guilbert


Photo : © gmast3r / Thinkstock

ISBN : 978-2-7096-5815-7

© 2015 by Abbi Glines. Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie sous
quelque forme que ce soit. Cette édition a été publiée avec l’accord d’Atria, un département de Simon &
Schuster, Inc., New York.

© 2017, éditions Jean-Claude Lattès pour la traduction française.


Première édition janvier 2017.
À Abbi’s Army, la meilleure équipe sur le terrain
au monde. Je n’aurais jamais imaginé avoir un
groupe tel que celui-ci, qui soutient mes livres et
me donne du cœur à l’ouvrage dans les moments
difficiles. Je vous aime et suis reconnaissante de
votre présence à toutes et tous.
Reese

Cela faisait vingt-deux jours, cinq heures et trente minutes que j’avais dit au
revoir à Mase à l’aéroport O’Hare. Après s’être assuré que j’étais en sécurité
chez mon père à Chicago auprès de ma nouvelle famille, Mase était rentré au
Texas, dans le ranch familial qui ne pouvait pas tourner sans lui.
J’avais été très tentée de rentrer avec lui. J’étais prête à démarrer ma vie à
ses côtés et à faire de sa maison notre foyer. Mais d’abord, il fallait que je
m’occupe de cette affaire.
Un peu plus d’un mois auparavant, un Italien d’un très grand raffinement
s’était présenté chez moi à Rosemary Beach, où je travaillais en tant que
femme de ménage auprès des familles les plus fortunées de la ville. Peu de
temps après ma rencontre avec Mase, le père que je n’avais jamais connu – et
dont je n’étais pas sûre qu’il fût encore vivant – avait fait irruption dans ma
vie, désireux d’en faire partie.
Mase m’avait tenu la main tout au long de cet épisode. Benedetto avait
séjourné pendant une semaine avec nous à Rosemary Beach, après quoi nous
avions pris l’avion ensemble pour Chicago.
Je découvris bien vite que j’avais non seulement un père, mais aussi un
frère, de deux ans mon cadet et absolument impayable ; Raul me faisait rire
tout le temps. J’avais également une grand-mère, ou nonna, comme elle
préférait qu’on l’appelle. Elle adorait bavarder avec moi pendant des heures.
Elle me racontait des anecdotes sur mon père quand il était jeune et me
montrait des photos de l’enfance de Raul. Elle me confia comment elle avait
supplié Benedetto de me trouver. S’il n’était pas parti à ma recherche jusque-là,
il avait ses raisons : c’était ce qu’il disait à tout le monde. J’avais envie de le
haïr de ne pas être venu me sauver plus tôt, mais c’était impossible : ma vie
m’avait guidée jusqu’à Mase.
J’avais passé un séjour merveilleux chez eux, mais Mase me manquait. Lui
parler chaque soir au téléphone ne suffisait plus. J’avais besoin de lui. J’avais
plus besoin de lui que d’un père, d’un frère ou de nonna. Mase était ma famille,
la première personne qui avait véritablement été là pour moi après des années
de maltraitance aux mains de ma mère et de mon beau-père.
À présent j’étais enfin à la maison – ou plus précisément l’endroit qui
s’apprêtait à devenir mon chez-moi avant que mon père ne débarque. Mase et
moi projetions d’emménager ensemble, mais tout restait à faire.
Je n’avais pas prévenu Mase que je rentrais plus tôt que prévu. Je voulais lui
faire la surprise.
Le taxi s’arrêta devant la demeure des parents de Mase sur les terres
tentaculaires du ranch. Un coup d’œil rapide à la maison plongée dans le noir
m’informa qu’elle était vide. Tant mieux. La surprise s’adressait exclusivement
à Mase. Je réglai rapidement le chauffeur, extirpai mon bagage du coffre et
gagnai l’écurie d’un pas rapide. Le pick-up de Mase était garé à côté d’un autre
que je ne connaissais pas.
Je posai ma valise à côté de son véhicule et descendis la petite colline qui
menait à l’écurie. Il m’avait expliqué qu’il projetait de passer sa journée à
dresser un cheval. Mon cœur battait la chamade et mes mains avaient hâte de le
toucher. J’étais contente d’avoir passé du temps avec ma famille, mais c’était la
dernière fois que je quittais Mase. S’il ne pouvait pas m’accompagner à
Chicago la fois suivante, je n’irais pas. Ils n’auraient qu’à me rendre visite ici.
Tandis que je m’approchais de l’écurie, un rire féminin flotta jusqu’à moi.
Mase était-il en train de conclure une affaire commerciale ? Je ne voulais pas
l’interrompre s’il était avec une cliente. Je n’allais pas me jeter dans ses bras
s’il était en pleine transaction. Je m’immobilisai à l’extérieur de l’écurie.
— Non, Mase, tu m’as promis l’autre nuit qu’on monterait à cheval
aujourd’hui. Tu ne peux pas revenir dessus sous prétexte que tu as du travail.
J’exige ma balade, affirma la femme.
Le son de sa voix me donna la chair de poule. Elle était jeune, aguicheuse, et
beaucoup trop familière avec lui.
— Je sais que je te l’ai promis, mais j’ai du travail. Tu vas devoir être
patiente, répliqua-t-il.
— Je vais papillonner des cils et faire la moue si je n’obtiens pas ce que je
veux, menaça-t-elle.
— Pas de petit jeu aujourd’hui, Aida. J’ai vraiment des choses à faire. Tu
monopolises tout mon temps depuis deux jours, contra-t-il d’une voix qui me
fit reculer.
Je connaissais cette voix, il l’utilisait avec moi.
— Mais je m’ennuie, et tu sais me divertir, protesta-t-elle malicieusement.
— Sérieusement, j’ai besoin que tu me laisses avancer sur mon travail
aujourd’hui. Je m’occuperai de toi ce soir. On sortira manger un bout. Je
pourrai même t’emmener danser.
Mon cœur se serra. La conversation dont j’étais témoin ne laissait pas de
place au doute. Mase passait du temps avec une autre femme. Il était très attaché
à elle. Ça s’entendait dans sa voix.
Une fois déjà j’étais partie du principe qu’il me trompait. Je ne voulais pas
recommencer, mais qu’est-ce que tout cela pouvait bien vouloir dire ? Je jetai
un œil au pick-up garé à côté du sien puis à la porte qui ouvrait sur l’écurie.
Mon cœur me soufflait de partir en courant pour me mettre en boule dans un
coin.
Mais ma tête me répondait que je devais faire face à la situation. Quelle
qu’elle soit. Je devais laisser à Mase une chance de s’expliquer.
Toute l’excitation que j’avais ressentie plus tôt était retombée. J’étais
submergée d’émotions que je peinais à démêler.
Le rire de la femme flotta jusqu’à moi, suivi par celui plus grave de Mase,
qui parvenait toujours à réchauffer mon cœur. Il s’amusait. La compagnie de
cette femme le rendait heureux. Étais-je partie trop longtemps ? Avait-il eu
besoin de quelqu’un d’autre ?
Ou s’était-il finalement rendu compte que je n’avais rien de spécial ?
— Bonjour. Je peux vous aider ? m’interrogea la voix féminine.
Je sortis de ma torpeur. Elle se tenait dans l’encadrement de la porte de
l’écurie comme si elle s’apprêtait à partir. De grande taille, elle portait ses
longs cheveux blonds en queue-de-cheval. Sans une once de maquillage elle
était malgré tout éblouissante, avec ses lèvres pleines, ses dents parfaitement
blanches et ses grands yeux verts qui semblaient scintiller de bonheur. Mase
avait cet effet-là sur les femmes.
— Vous êtes ici pour voir un cheval ? poursuivit-elle comme je la fixais en
silence.
Elle portait un jean serré qui soulignait sa taille gracile et ses cuisses
effilées. On aurait dit un mannequin. Tout l’inverse de moi.
— Je, euh…, bafouillai-je.
Comment adresser la parole à cette femme ? J’aurais dû partir. Affronter
Mase tandis qu’elle se tenait devant moi telle une poupée Barbie était au-delà
de mes forces. Il allait nous voir l’une à côté de l’autre et se rendre compte
qu’il n’y avait pas photo.
— Vous êtes perdue ? s’enquit-elle.
Oui. J’étais totalement perdue. Tout ce que je tenais pour vrai, tout ce que je
pensais avoir, n’était qu’une illusion.
— Peut-être, murmurai-je avant de secouer la tête. Non. Je suis venue
voir…
— Reese !
La voix de Mase tonna derrière la femme et, avant que je n’aie pu ajouter
quoi que ce soit, il la dépassa en courant pour me serrer dans ses bras.
— C’est toi ! Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu rentrais ? Je serais allé te
chercher. Bon sang, tu sens si bon. Ton parfum m’a manqué. Tu m’as tellement
manqué, nom d’un chien !
Je scrutai la réaction de la femme par-dessus son épaule. Elle ne souriait
plus et me dévisageait comme si j’étais répugnante.
— Je voulais… j’avais envie de te faire la sur-surprise.
Je butai sur les mots, ne sachant trop que penser. Je l’avais entendu avec elle.
Je savais qu’il passait du temps en sa compagnie et qu’à l’évidence elle n’avait
pas envie de me voir ici.
Il prit mon visage dans ses mains et m’embrassa à pleine bouche. Aussi
blessée que m’ait laissée la conversation entre eux deux, je mis rapidement
mes incertitudes de côté. Le goût de Mase et la sensation de ses lèvres sur les
miennes avaient toujours raison de moi. Il se délecta de ma bouche et je
m’accrochai à lui pour inspirer son parfum. Les caresses de sa langue sur la
mienne me firent frissonner. Quand j’étais avec lui plus rien au monde n’avait
d’importance.
— Hum-hum, je suis encore là, les amis, vous vous souvenez ?
Sa voix vint rompre le délicieux charme qui m’enveloppait. Je me figeai.
Mase recula en riant et lui jeta un œil sans relâcher son étreinte.
— Navré, Aida, mon amoureuse est rentrée et je vais être occupé dans tous
les sens pendant les quarante-huit heures à venir. Voire plus. Trouve-toi
quelque chose à faire à la maison, lâcha-t-il avant de m’embrasser sur le bout
du nez.
— Ce n’est pas très poli de me laisser en plan sans me présenter ton amie,
riposta-t-elle.
Un dégoût évident suintait de sa voix. Mase me gratifia d’un clin d’œil ravi.
— C’est une diva. Tu t’y habitueras. (Puis tournant son attention sur elle :)
Aida, je te présente Reese, la femme dont je parle non-stop, avec qui je passe
des heures au téléphone tous les soirs. Reese, voici ma seule cousine : Aida.
Elle est un peu gâtée, très mélodramatique, et s’ennuie facilement.
Sa cousine ? Dans ce cas pourquoi me fusillait-elle du regard comme si je
la dérangeais ?
Aida me gratifia d’un sourire narquois. Bien que rassurée de les savoir de
la même famille, je ne pouvais m’empêcher d’avoir l’impression qu’elle me
lançait un regard de défi.
Comme c’était étrange…
Mase

Sentir Reese dans mes bras atténuait un peu la frustration de ne pas avoir été
informé de son arrivée. J’aurais pu aller la chercher à l’aéroport. Je n’aimais
pas l’idée qu’elle arrive sans personne pour l’accueillir.
— Tu as pris un taxi ? m’enquis-je.
Cette perspective non plus ne me plaisait guère. Reese se contenta de hocher
la tête.
— J’aurais préféré que tu m’appelles.
Je l’attirai tout contre moi, puis marchai jusqu’à mon pick-up. J’allais
l’installer dans la voiture et la ramener à la maison. Où sa place l’attendait.
— Je trouvais ça sympa de te faire la surprise.
Elle n’avait pas l’air dans son assiette, comme si quelque chose la
contrariait. Peut-être la fatigue du voyage.
— Appelle-moi la prochaine fois, même s’il n’y aura pas de prochaine fois.
Je ne veux plus être séparé de toi comme ça. Si tu veux retourner à Chicago, je
t’accompagne.
Son corps sembla se détendre et elle se laissa aller contre moi. C’est
exactement ce dont j’avais besoin aujourd’hui. Aida était épuisante. Ses
bavardages non-stop avaient eu une seule vertu : me faire supporter l’absence
de Reese.
Dès son retour, ma mère allait devoir prendre le relais et s’occuper d’Aida.
Je déposai la valise de Reese à l’arrière, puis glissai une main sous son cul
parfait pour l’aider à grimper à bord. Son rire cristallin déclencha une vague
de chaleur à travers tout mon corps. J’avais besoin de son rire.
— Je ne te quitterai pas d’une semelle pendant au moins deux jours. Je suis
en manque, déclarai-je en prenant le volant. Et puis je t’ai pris deux livres à la
bibliothèque la semaine dernière. J’ai hâte que tu me les lises.
Elle posa sa tête contre mon épaule et poussa un soupir d’aise.
— Je t’ai fait la lecture quasiment tous les soirs pendant mon absence.
— Ouep, mais tu n’étais pas nue dans mon lit.
Elle rit de plus belle et j’eus le sentiment que tout devenait instantanément
parfait dans ma vie. C’était elle que j’attendais. Avant elle, rien n’avait de goût,
pas même les filles que je fréquentais. Aucune ne m’avait fait ressentir cette
excitation à l’idée de me réveiller chaque matin et de voir son visage. Ou de
m’endormir chaque soir en la serrant dans mes bras.
— Tu veux que je te fasse la lecture nue au lit ? répéta-t-elle d’une voix
amusée.
— Un peu, oui. Je veux que tu fasses tout toute nue.
Reese inclina la tête pour me dévisager.
— Tu n’es pas sérieux.
Je scrutai son visage enjoué.
— Si, bébé. Quand je parle de toi toute nue je suis très, très, sérieux.
Elle éclata de rire. Je l’attirai tout contre moi. C’était exactement ce dont
j’avais besoin.

Reese pénétra dans la maison tandis que je sortais sa valise du coffre. Je pris
un moment pour la regarder entrer chez moi – bientôt notre chez-nous.
L’atmosphère était différente quand elle était là. Elle apportait de la chaleur et
un rayon soleil dans son sillage.
Elle jeta un œil par-dessus son épaule et me sourit.
— Tu viens ?
— Je profitais de la vue, répliquai-je avec un petit sourire en coin avant de
la rejoindre.
Une fois la porte passée, je posai la valise et attirai Reese dans mes bras.
Elle poussa un cri de surprise tandis que je la soulevais jusqu’au canapé. Je me
laissai tomber sur le cuir usé en la plaquant contre mes genoux et elle
s’agrippa à mes épaules.
— Bienvenue à la maison, soufflai-je avant de l’embrasser à pleine bouche.
Le mec en moi avait envie de la mettre à poil et de la sauter contre la porte.
Mais l’homme en moi qui savait ce dont elle avait besoin allait d’abord
l’abreuver d’amour. Je ne voulais surtout pas qu’elle pense que tout était une
question de sexe pour moi. J’étais tombé amoureux d’elle bien avant que nous
ne couchions ensemble. Elle était trop exceptionnelle pour être traitée comme
une vulgaire paire de fesses… même si son postérieur était particulièrement
divin.
Reese retira mon chapeau qu’elle lança sur le fauteuil voisin et plongea ses
doigts dans mes cheveux. Ses baisers ressemblaient à du miel chaud et j’aurais
pu continuer comme ça toute ma vie. Mes mains sur ses courbes douces et ma
bouche sur la sienne allaient bien au-delà de mes espérances. Reese allait bien
au-delà de mes espérances.
L’arrondi délicat de ses lèvres effleura mon menton tandis qu’elle déposait
une traînée de baisers sur tout mon visage.
— Tu ne t’es pas rasé, murmura-t-elle.
— Je ne savais pas que tu arrivais.
— J’aime bien. C’est sexy, susurra-t-elle avant de m’embrasser de nouveau.
— Ça va abîmer ta peau douce, déplorai-je avant de me laisser happer par la
délicatesse de son baiser.
Mes mains glissèrent sous son T-shirt pour atteindre sa peau brûlante et elle
frissonna dans mes bras.
— Ça ne me gêne pas que ça pique un peu. Si c’est toi qui en es la cause,
concéda-t-elle en se positionnant à califourchon sur moi.
Sa chevelure sombre retomba en cascade sur ses épaules et elle me gratifia
d’un petit sourire mutin qui me fouetta le sang.
Je pris son visage dans mes mains et caressai ses joues.
— Jamais je ne pourrai faire de mal à ce visage. Ce serait une tragédie.
Elle rougit et laissa reposer sa tête sur mes paumes.
— J’ai envie de toi, murmura-t-elle.
Une étincelle d’excitation éclaira son visage. C’est tout ce dont j’avais
besoin.
— Lève les bras.
Elle obtempéra sans broncher. Je retirai délicatement son T-shirt. À la vue
de son soutien-gorge j’eus l’impression d’être un ado qui découvrait une paire
de seins pour la première fois. Bon sang, ils m’avaient manqué, ceux-là.
— Je les veux dans ma bouche, mais il faut que je me rase, l’informai-je
sans réussir à détacher mon regard de sa poitrine.
— S’il te plaît, Mase. J’ai envie de sentir ta peau contre la mienne. Ça me
plaît. Sincèrement.
Elle allait me rendre fou. Moi aussi j’avais envie de voir les marques que je
laisserais sur sa peau. Je me sentais coupable d’avoir envie de lui faire le
moindre mal, mais ses supplications étaient irrésistibles.
Je dégrafai son soutien-gorge, libérant ses seins. Mon cœur se mit à battre à
tout rompre. Ces tétons parfaits avaient autant envie de moi que j’avais envie
d’eux.
Nom d’un chien. Je penchai la tête en avant pour en aspirer un dans ma
bouche en le faisant rouler sous ma langue. Les gémissements de Reese qui
s’agrippait à mes cheveux firent monter mon adrénaline en flèche. J’avais
envie de la mordre pour l’entendre hurler de plaisir. Mais c’était impossible.
Jamais je n’aurais fait quoi que ce soit susceptible de l’effrayer. Je voulais
qu’elle se sente chérie et en sécurité dans mes bras.
— Enlève ton T-shirt, m’invita-t-elle dans un gémissement.
Je ferais tout ce qu’elle voulait. Je laissai son téton ressortir de ma bouche
pour retirer mon T-shirt en un temps record. En quelques secondes mes lèvres
étaient de retour à leur place. Reese caressa doucement mon torse du bout des
ongles, puis recouvrit mes pectoraux de la paume de ses mains. Elle se laissa
aller en arrière en murmurant mon nom. À cet instant-là, j’eus l’impression
d’être un roi.
Autrefois, elle avait eu peur de tout ça. Jamais je ne prendrais pour argent
comptant le fait qu’elle me faisait confiance pour l’aimer et lui donner du
plaisir. La vie l’avait brisée une fois, et j’avais la ferme intention que cela ne se
reproduise pas. Je la protégerais envers et contre tout.
Ses hanches commencèrent à rouler et je réprimai une grimace. Ma bite
allait exploser dans mon jean. La pression de la fermeture Éclair mêlait la
douleur au plaisir.
Je lâchai son téton pour l’embrasser à pleine bouche et me délecter de sa
douceur. Elle poussa un gémissement et j’interrompis notre baiser pour poser
mon front contre le sien.
— Si on enlevait ton pantalon ? suggérai-je.
— Si on enlevait le tien ? répliqua-t-elle avec un petit sourire en coin, avant
de se relever.
Fasciné, je la regardai se tortiller lentement pour retirer son pantalon. Une
petite culotte en satin noir fit son apparition et la douleur à mon entrejambe
s’accentua. Je déboutonnai mon jean pour me soulager. Tout du long, je gardai
les yeux rivés sur Reese. Son jean glissa par terre ; elle le jeta sur le côté.
— Ta petite culotte, soufflai-je dans une sorte de grognement.
Elle rougit et son regard s’embrasa de désir tandis qu’elle la retirait
prestement. À présent elle était entièrement nue. Bon sang, je la voulais comme
ça dans mes bras pour toute l’éternité.
— Tu n’as pas enlevé ton jean, souligna-t-elle en fixant mon caleçon qui
dépassait.
— Je m’y employais, mais tu m’as déconcentré.
— Alors lève-toi, je vais t’aider, répliqua-t-elle en souriant d’un air
malicieux.
Si elle me l’avait demandé, j’aurais sauté d’une falaise. J’obéissais au doigt
et à l’œil à ce sourire.
Reese

Mase se leva et mes yeux se posèrent sur son ventre sculpté de muscles si
durs que je ne pus m’empêcher de les toucher.
— Tout ce que tu veux, m’assura Mase en me dévisageant comme si je
représentais tout pour lui.
C’était le Mase que je connaissais. L’homme en qui j’avais confiance. Celui
qui ne me ferait jamais de mal. Je me sentais coupable d’en avoir douté
quelques minutes plus tôt. Je n’avais jamais connu de relation saine et je n’étais
pas encore habituée à faire confiance. Jusqu’à maintenant.
Je parcourus l’espace qui nous séparait et tirai sur son jean jusqu’à me
rendre compte qu’il portait encore ses bottes. Je les adorais.
— Il va falloir les enlever, soulignai-je.
Il eut un petit sourire en coin, se pencha et les ôta en un tournemain.
— C’est fait.
Il me donnait l’impression de pouvoir demander n’importe quoi. C’était une
sensation enivrante, mais qui forçait l’humilité. Je continuai à tirer sur son jean
en ménageant des pauses pour admirer ses cuisses musclées et ses mollets
parfaitement dessinés.
Je me relevai en jetant un œil sur son caleçon. Je sentis le feu me venir aux
joues tandis que je le tirai lentement. J’entendis le souffle de Mase s’accélérer
et sentis un frisson d’excitation traverser tout mon corps. Me sentir au plus
près de lui – et a fortiori de son pénis – l’excitait. Pour moi aussi la sensation
était forte. Sachant qu’il aimait que je prenne mon temps, je fis une pause et
relevai les yeux sur lui après avoir suffisamment descendu son caleçon pour le
mettre à nu. Ses yeux brûlaient de désir.
Je penchai de nouveau la tête en avant et déposai un baiser sur son gland
tout gonflé.
— Putain, bébé, grogna-t-il.
Ça me plaisait. Non, j’adorais ça.
Je fis descendre son caleçon le long de ses jambes, puis me relevai et
caressai son ventre en remontant les mains jusqu’à son torse. Ses mains
reposèrent sur mes hanches.
— Je vais te porter jusqu’au lit, affirma-t-il en me tirant à lui.
— O.K., murmurai-je.
Il me souleva tout contre sa poitrine. J’enroulai mes jambes à sa taille et il
me transporta jusqu’à la chambre. Sa bouche recouvrit la mienne d’un baiser
avide. Puis il me déposa délicatement sur son immense lit.
J’écartai les jambes, les mains tendues vers lui, mes yeux rivés aux siens. Je
voulais qu’il m’enveloppe, qu’il me complète.
Mase se glissa aussitôt dans mes bras.
— Je t’aime, souffla-t-il avec ferveur tout en m’embrassant dans le cou. Je
t’aime tellement que ça me coupe la respiration. Tu es tout mon cœur, Reese.
Toute ma vie.
Il déposa une traînée de baisers le long de mon cou puis entreprit de
mordiller ma clavicule.
— Mase, lâchai-je dans un gémissement en soulevant mes hanches.
J’en voulais plus, je le voulais en moi, qui m’emplisse.
Il glissa une main entre mes jambes et son doigt fondit instantanément en
moi.
— Tu es trempée, bon sang, grogna-t-il.
Il retira son doigt qu’il porta à sa bouche pour le sucer. Puis il abaissa tout
son corps et je sentis son érection appuyer sur moi.
C’était ce dont j’avais besoin. Ce lien.
Il plongea lentement en moi. Les muscles de ses bras saillirent et il ferma
les yeux très fort. Je contemplai son visage magnifique. Sa mâchoire serrée, la
veine qui pulsait dans son cou. Tout un spectacle qui me faisait vibrer de
plaisir.
Une fois au plus profond de moi il rouvrit les yeux. Ils étaient porteurs
d’une telle émotion que je sentis les miens s’embuer. Il n’avait pas besoin de
me décrire ses sentiments pour moi – je les lisais sur son visage. Il était
entièrement à nu à ce moment-là, je le savais.
— Enroule tes jambes autour de moi, m’invita-t-il d’une voix rauque en
s’enfonçant plus profondément en moi. (Sa bouche effleura mon oreille et
j’obtempérai.) C’est si bon.
Je m’agrippai à ses épaules, prête à le sentir bouger en moi et à cette
sensation incroyable, plus qu’incroyable : je n’avais pas les mots pour décrire
mes sensations quand Mase me faisait l’amour.
— Écarte bien les cuisses pour moi, bébé. Laisse-moi t’aimer jusqu’à en
oublier mon nom.
Ces seuls mots suffirent à me transporter au bord de l’orgasme. Était-ce
possible ?
— C’est parfait, comme ça. Je vais te faire du bien. Je veux que tu grimpes
au septième ciel comme moi quand je suis en toi.
Je commençai à lui dire que j’y étais déjà, que je savais ce qu’il ressentait,
lorsque ses hanches se mirent en mouvement, me faisant instantanément perdre
la capacité de penser et de respirer. Il émit des grognements de plaisir et je
sentis des étincelles de chaleur se répandre en moi.
Lorsque le premier orgasme explosa en moi, il me souleva contre son torse
en me murmurant à quel point j’étais belle, et d’autres mots doux dont je ne me
souviens pas tant le rythme de son corps me propulsait déjà vers l’orgasme
suivant. À grands pas. Je le serrai contre moi comme si ma vie en dépendait.
Lorsque arriva le troisième orgasme, Mase poussa un cri et hurla mon
prénom tandis qu’il était lui-même secoué par sa propre vague de jouissance. Il
enfouit sa tête dans le creux de mon cou pour reprendre son souffle.
Son plaisir me fit trembler une ultime fois, après quoi nous nous
effondrâmes ensemble, nos cœurs battant à tout rompre.

C’est un coup à la porte d’entrée qui me sortit de mes rêves. J’ouvris


péniblement les yeux. Je jetai un œil dans la chambre obscure et au corps de
Mase lové contre moi. Après avoir fait l’amour trois fois de suite, nous étions
tous les deux tombés de fatigue.
Mase cligna des yeux en poussant un grognement.
— Mais qu’est-ce que…, marmonna-t-il de sa voix engluée de sommeil.
— Mase ! cria une voix de femme. (Je la reconnus aussitôt : Aida.) Ouvre.
J’ai apporté à manger.
— Merde.
Il s’extirpa du lit en grondant. Il gagna le placard dont il sortit un jean et un
T-shirt. Puis il se tourna vers moi avec un sourire satisfait.
— Tu as faim ?
J’avais sommeil et faim aussi, oui. Apparemment on avait sauté l’heure du
dîner. Je hochai la tête.
— Je vais chercher ta valise. Prends ton temps pour t’habiller. Je te prépare
une assiette, dit-il en déposant un baiser sur mes lèvres.
Sur ce il quitta la pièce et je restai alanguie dans les draps encore imprégnés
de son odeur.
De l’entrée j’entendis la voix d’Aida résonner dans toute la maison.
— T’en as mis du temps ! Je t’ai apporté à manger. Tu pourrais être un peu
plus reconnaissant.
— Merci, fit-il platement.
— Où tu vas ?
— Je vais porter sa valise à Reese, annonça-t-il tandis que le son de ses pas
se rapprochait de la chambre.
— Nom de Dieu, Mase. Tu aurais au moins pu ramasser ses sous-vêtements
avant de m’ouvrir la porte, rouspéta Aida.
Elle ne m’appréciait pas, c’était clair. Mase resta silencieux. Lorsqu’il ouvrit
la porte de la chambre, il leva les yeux au ciel en souriant. Il portait nos
vêtements ramassés par terre sous le bras et ma valise dans l’autre main.
— Ne fais pas attention à elle.
Il lâcha nos vêtements sur un fauteuil et me lança un clin d’œil.
— Habille-toi et viens manger.
Une fois Mase sorti je me redressai dans le lit, peu rassurée à l’idée de faire
face à Aida.
Je n’avais pas envie que sa cousine me déteste, mais j’étais à peu près sûre
de n’avoir aucun contrôle sur la situation.
Mase

Ma mère avait envoyé suffisamment de victuailles pour nourrir un


régiment. Je sortis deux assiettes du placard.
— Tu remercieras maman de ma part. Reese doit mourir de faim.
Aida se tenait de l’autre côté du comptoir, une main sur la hanche.
— Tu n’as sorti que deux assiettes. Reese ne mange pas avec nous ?
« Nous » ? Merde.
Aida n’avait pas l’intention de partir. Ce n’est pas que je n’aimais pas passer
du temps avec elle, mais pas forcément à cet instant précis. Reese venait juste
d’arriver. Je n’étais pas prêt à la partager.
— Euh, je me suis dit que tu avais déjà mangé.
Elle eut l’air vexé.
— Non, je voulais manger avec toi. On dîne toujours ensemble.
Merde. Ça s’annonçait mal.
J’aperçus du mouvement de l’autre côté du salon. Reese se tenait debout
dans un bas de pantalon coupé au genou et un T-shirt qui épousait parfaitement
son corps. J’avais envie d’être seul avec elle, mais Aida était là et je ne pouvais
pas lui faire de la peine.
Je souris à Reese.
— Viens manger. Je suis en train de te préparer une assiette.
Elle jeta un coup d’œil nerveux à Aida avant de ramener son regard sur
moi.
— Elle ne peut pas se servir toute seule ? lâcha Aida d’un ton désobligeant.
— Si, mais elle n’est pas obligée de le faire quand je suis là.
Ma riposte sembla agacer Aida, mais elle n’en rajouta pas. C’était quoi son
problème ? Pas étonnant que Reese ait l’air tendue. Aida n’était pas enjouée
comme à son habitude. Reese la découvrait sous un mauvais jour.
— Ça ne me gêne pas, je peux m’en occuper, intervint Reese en
s’approchant de moi.
Elle était soucieuse de plaire. Je reconnaissais bien là ma Reese ; peu sûre
d’elle, timide. Il était hors de question qu’Aida fasse ressortir ces traits chez
elle. Ça n’allait pas se passer comme ça.
— Je m’en occupe, bébé, insistai-je.
Elle s’approcha des placards.
— Je vais servir les boissons, dans ce cas. Aida, qu’est-ce qui te ferait
plaisir ?
Je jetai un œil à Aida, qui avait l’air encore plus irritée. Jusqu’à ce qu’elle
croise mon regard et qu’elle sourie.
— Du thé glacé, s’il te plaît.
Son sourire jurait avec son regard. J’allais devoir lui toucher deux mots.
Quelque chose ne tournait pas rond.
— Maman a préparé le thé, expliquai-je à Reese en faisait glisser la carafe
sur le comptoir. J’en prendrai, moi aussi.
Reese me sourit d’un air soulagé et servit trois verres.
— J’adore le thé de ta mère, ajouta-t-elle.
Et ma mère adorait Reese. J’étais surpris qu’elle ait envoyé Aida au lieu
d’apporter la nourriture elle-même.
Je fis glisser une assiette vers Aida puis portai celle de Reese jusqu’à la
table. Reese était en train de déposer les verres de thé. Je l’attirai vers moi pour
l’embrasser.
— Mange. Tu as besoin de recharger tes batteries, lui murmurai-je à
l’oreille avant de retourner me servir une assiette.
Aida me jeta un regard noir.
— Tu es obligé de faire ça devant moi ?
— On est sous mon toit, Aida. Je fais ce que je veux. Si ça ne te plaît pas tu
peux aller dîner chez ma mère.
J’en avais assez de son attitude. Elle n’était jamais comme ça. Je me
demandais quelle mouche l’avait piquée.
— Ce n’est pas poli, répliqua-t-elle.
— J’embrasse Reese quand je veux. Ce n’est pas la fin du monde.
J’empoignai plusieurs morceaux de poulet frit et du pain avant de regagner
la table sans demander mon reste.
Reese était assise, les mains sur les genoux, le regard planté dans son
assiette, l’air perdu.
— Tu ne manges pas ? m’inquiétai-je.
Elle leva les yeux sur moi.
— Je vous attendais.
Aida s’assit à côté de moi.
— Bon, on va toujours à la vente aux enchères de bovins demain ? Ça fait
une semaine que j’attends ça.
Je gardai les yeux posés sur Reese.
— Ça m’étonnerait. Je ne pense pas que Reese voudra se lever si tôt.
— Rien n’oblige Reese à y aller, réfuta Aida.
Elle commençait vraiment à me prendre la tête.
— Elle vient juste d’arriver. Je n’irai nulle part sans elle.
Je sentis la main de Reese se poser délicatement sur mon bras.
— Si tu as besoin d’y aller, je peux me lever tôt. Je ne veux pas t’empêcher
de faire quoi que ce soit.
Elle se donnait du mal pour arranger les choses. Je ne voulais pas qu’elle se
sente obligée de faire ça. Elle était ici chez elle. À sa place.
— J’ai besoin de t’avoir rien que pour moi, c’est ça qui m’empêche de faire
des choses. Demain j’ai l’intention de ne pas lever le petit doigt. Je te veux
seule dans cette maison avec moi.
Reese rougit et un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Puis elle baissa les
yeux sur son assiette.
— Est-ce que ça veut dire que tu n’iras pas au barbecue des Stout demain
soir ? Pourtant ta présence est attendue.
Les Stout étaient les propriétaires d’un des deux plus grands ranchs dans les
cent kilomètres à la ronde ; l’autre appartenait à ma famille. J’avais grandi
avec leur fils, Hawkins. Nous n’étions pas proches, mais nous savions qu’un
jour nous prendrions la relève de nos pères.
Je jetai un œil à Reese.
— Ça te botte, un barbecue texan ?
Elle opina du chef :
— Ça a l’air sympa.
L’idée d’être accompagné de Reese et de la présenter à tout le monde rendait
cette perspective plus supportable.
— On dirait bien que je viens de perdre mon cavalier. Avec qui je vais
danser, moi, maintenant ? se plaignit Aida d’un air boudeur.
Elle était exaspérante. Je m’apprêtai à répondre à son commentaire ridicule
lorsqu’elle laissa tomber sa fourchette sur son assiette et se leva.
— Tu ne veux pas de moi ici. Je dérange, asséna-t-elle en se dirigeant vers
la porte.
C’était quoi ce bordel ? Qu’était-il arrivé à ma petite cousine rigolote ?
Cette chouineuse insupportable, ça ne lui ressemblait pas du tout.
— Il faut que j’aille lui parler, avisai-je Reese. Je ne sais pas ce qui lui
prend.
Reese hocha la tête et me gratifia d’un sourire qui jurait avec l’expression
de son visage. Ça me contrariait. Il fallait que je rectifie le tir avec Aida afin
que Reese se sente plus à l’aise.
J’emboîtai le pas à Aida et la retrouvai en train de pleurer contre son pick-
up.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
Elle leva sur moi son visage baigné de larmes.
— Je ne… elle… tu n’as plus de temps pour moi maintenant qu’elle est là.
— Aida, ce n’est pas un concours. Ma vie et mon avenir appartiennent à
Reese. Elle fait partie de moi. On est indissociables. Je pensais que tu serais
heureuse pour moi, mais tu as à peine adressé la parole à Reese. Je veux que
vous soyez amies. Tu es ma famille, et elle le sera bien vite, elle aussi.
Aida essuya ses larmes en reniflant bruyamment.
— Donc on ne fera plus jamais rien ensemble, rien que toi et moi ?
J’essayai de comprendre ses larmes. J’avais toujours donné toute mon
attention à Aida chaque fois qu’elle nous rendait visite. Quand nous étions plus
jeunes, elle ne venait pas souvent, mais je la traitais toujours comme ma petite
sœur Harlow. Aujourd’hui les choses avaient changé : nous étions adultes, ce
n’était plus une petite fille. Je n’étais donc pas obligé de la laisser me suivre
partout, ni de la divertir non-stop.
— Si tu acceptais de lui laisser une chance, je suis sûr que tu t’entendrais
bien avec Reese. Elle est adorable. Tous les gens qui l’ont rencontrée sont fans.
Et on pourrait très bien faire des choses tous les trois. Je ne te coupe pas de ma
vie, mais tu dois comprendre qu’à partir de maintenant Reese est toute ma vie.
Aida renifla de plus belle avant de pousser un soupir.
— Tu n’auras plus de temps pour moi.
Elle avait raison. Je n’allais pas avoir le temps de tout laisser en plan pour
l’escorter partout.
— On est grands, maintenant, Aida. On n’est plus des gamins. Je ne suis plus
ce célibataire qui a le temps de faire tout ce que tu veux. C’est fini, ça.
Elle hocha la tête et sembla sécher ses larmes.
— O.K. Je comprends. Mais tu peux au moins essayer de ne pas m’ignorer ?
— Je ne t’ignore pas.
Aida sembla apaisée. Elle ouvrit la portière de son pick-up. Je la contournai
pour l’aider. Elle grimpa derrière la volant.
— Sois sympa avec Reese la prochaine fois, tu veux bien ? insistai-je avant
de fermer la portière et de retourner auprès de ma chérie.
Reese

Je terminai de dîner seule, puis débarrassai mon assiette et celle d’Aida


avant de retourner dans la chambre. Je ne savais pas si Mase en avait pour
longtemps et j’aurais bien aimé arrêter de ressasser ce qui était en train de se
passer. Je venais juste de faire la connaissance de la famille proche de Mase. La
haine de sa cousine allait-elle nous causer du tort ? Parce que j’étais sûre
qu’elle me détestait et je ne voyais pas comment y remédier. Harlow était si
gentille et généreuse envers moi, alors que c’était sa sœur. J’aurais pensé que
sa cousine se laisserait plus facilement apprivoiser.
Le jet d’eau brûlant me fit un bien fou. J’étais en train de refermer la porte
de la douche lorsque j’entendis Mase qui m’appelait.
Je m’apprêtai à ressortir pour lui répondre lorsque sa silhouette se détacha
dans l’encadrement de la porte. Il se dirigea droit sur la douche, les yeux rivés
sur moi comme si j’étais son dîner (et non pas l’assiette que j’avais laissée sur
la table).
Il ouvrit la porte de la douche, nos regards se croisèrent et il entreprit
aussitôt de se déshabiller.
— Je t’ai laissé à manger dans le salon, expliquai-je en le regardant retirer
son jean et son caleçon.
— Impossible de manger sachant que tu es nue et toute mouillée sous la
douche, répliqua-t-il en me rejoignant sous le jet d’eau chaude.
— Tu n’as pas mangé grand-chose, observai-je, le souffle court.
Il me gratifia d’un petit sourire en coin.
— Tourne-toi, Reese. Les mains contre le mur. Je veux embrasser mon
endroit préféré.
L’endroit en question était une petite tache de rousseur sous ma fesse
gauche. Une vraie obsession chez lui. Et quand il avait des envies coquines, il
commençait toujours par m’embrasser là.
Mon corps se mit à trembler d’anticipation. Je me tournai pour prendre
appui contre le mur et levai les fesses vers lui.
Il caressa ma tache de rousseur du doigt.
— J’adore. Ça me rend dingue, souffla-t-il.
Ses lèvres se posèrent sur le creux de mes reins et il déposa une traînée de
baisers sur mes fesses jusqu’à la tache de rousseur, qu’il entreprit de lécher.
— Ma petite tache de rousseur, murmura-t-il.
Mes jambes se mirent à flageoler et mon corps à trembler.
— Écarte les jambes, ordonna-t-il d’une voix qui me donna des frissons.
Je m’exécutai en priant pour ne pas m’effondrer par terre.
— Ma chatte, susurra-t-il avant que sa langue ne me goûte à cet endroit.
J’étais à lui. Tout en moi appartenait à Mase Colt Manning. Je criai son
prénom au contact de sa langue sur mon clitoris.
— Sois sage, bébé. Je déguste mon dessert.
— Mase, fis-je dans un gémissement.
— Oui, bébé ?
Son souffle réchauffait ma peau sensible, où mon pouls s’accéléra.
— Je ne tiens plus… debout, avouai-je.
Ses mains sur mes hanches me soulevèrent du sol avant de me retourner.
— Je te tiens, fit-il avant de se pencher pour draper une de mes jambes sur
son épaule.
À la vue de Mase dans cette position je poussai un gémissement.
— Laisse-moi te donner du plaisir, dit-il avec un regard féroce avant
d’enfouir son visage entre mes jambes.
J’agrippai ses épaules en poussant un cri tandis qu’il me faisait chevaucher
une nouvelle vague de plaisir.

J’ouvris lentement les paupières au moment où mon dos atterrit sur le


matelas. Je posai les yeux sur Mase. Son corps était sec, mais ses cheveux
encore mouillés. Son petit sourire satisfait me donnait envie de continuer,
même si je n’étais pas persuadée d’en être capable.
Il retira la couette, s’allongea à côté de moi puis nous recouvrit tous les
deux.
— Content de ton retour parmi nous, fit-il en me serrant contre lui. Ça
devait être un sacré orgasme, dis-moi.
Je fronçai les sourcils.
— En effet… mais…, balbutiai-je, incapable de me souvenir de l’après-
orgasme.
J’avais éclaté en un million de morceaux et Mase avait continué à me
caresser de sa langue jusqu’à ce que je n’en puisse plus. J’avais supplié, le
souffle court et puis… plus rien.
— Sois tu es épuisée, soit je suis carrément doué, affirma-t-il d’un petit air
fiérot.
— Que s’est-il passé ?
Mase m’embrassa sur le front.
— Tu es tombée dans les vapes après avoir crié mon prénom pendant ton
orgasme. C’était dément.
— Mon Dieu, soupirai-je. Je ne savais pas que c’était possible.
— Moi non plus, répliqua-t-il avec un grand sourire.
— Tu ne t’arrêtais plus et…
— Tu as le goût d’un petit pain à la cannelle et, quand tu jouis, on dirait de
la crème pâtissière. Impossible de m’arrêter. C’était trop bon.
J’enfouis mon visage contre sa poitrine. J’étais gênée et ravie à la fois.
Il émit un petit gloussement de rire et me serra contre lui.
— Je t’ai dit que cette chatte allait avoir raison de moi.
J’inspirai son odeur en me lovant dans ses bras.
— Dors, bébé. Tu es épuisée. Repose-toi.
— Je t’aime, murmurai-je en reculant la tête pour le regarder.
— Ce qui fait de moi l’homme le plus chanceux au monde.
Son regard me réchauffa. Je posai la tête contre sa poitrine et m’endormis
instantanément.
Mase

Le jour suivant j’appris qu’Aida et moi serions les seuls de la famille Colt à
la fête des Stout. Mon beau-père avait dû se rendre à Austin pour affaires et ma
mère l’avait accompagné. Elle m’avait appelé pour me demander de prendre
Aida avec nous. Elle ne voulait pas qu’elle fasse le chemin en voiture toute
seule. Je n’étais pas sûr qu’Aida était prête à se montrer gentille envers Reese,
mais je lui avais néanmoins proposé de venir avec nous.
Après avoir fait l’amour sur la table de la cuisine après le petit déjeuner,
puis sur le canapé pendant qu’on était censés regarder un film, puis sur le lit
quand elle était allée faire une sieste, Reese avait eu besoin de se reposer. Je
l’avais réveillée une heure avant le départ pour qu’elle ait le temps de se
préparer.
On frappa à la porte et, quand j’ouvris, le sourire d’Aida m’attendait. Elle
portait une robe rouge qui était sans doute hors de prix et une paire de talons
aiguilles, ce qui n’avait en réalité rien d’inhabituel pour ce genre de soirée. Les
Stout, immensément riches, gravitaient dans des cercles très fermés. Aida avait
l’air de bien meilleure humeur. Soulagé, je m’effaçai pour la laisser entrer.
— Reese sera prête dans quelques minutes, annonçai-je.
Au même instant, la porte de la chambre s’ouvrit sur Reese, habillée d’une
jupe en jean et d’une paire de bottes. Je n’avais d’yeux que pour ses jambes.
Nom de nom, ces jambes étaient incroyables. Et elles étaient à moi. Tous les
hommes allaient avoir les yeux rivés dessus.
Elle portait un joli petit chemisier blanc noué à la taille qui laissait voir sa
peau hâlée. Je levai les yeux sur son visage, le souffle coupé. Ses longs
cheveux noirs tombaient en cascade sur son épaule. Comme toujours, son
maquillage était réduit à sa plus simple expression. Hors de question que je la
perde de vue pendant la soirée.
— Tu es sublime, bébé. On devrait peut-être rester ici, proposai-je en toute
honnêteté.
Le visage de Reese s’illumina et elle eut un petit sourire en coin.
— Euh, ouais… j’imagine que le jean ça le fait aussi, commenta Aida d’une
voix hésitante.
Le visage de Reese se décomposa aussitôt, son front barré d’inquiétude. Je
savais que sa garde-robe était limitée. Elle ne possédait pas de robe de grands
couturiers comme les autres invitées du barbecue, mais aucune de ces femmes
ne lui arrivait à la cheville. Aucune robe ne pourrait rivaliser avec elle.
— Je croyais que c’était un barbecue. Je peux trouver quelque chose de plus
habillé. Je ne savais pas…
— Tu es parfaite. À tel point que je ne te quitterai pas d’une semelle de la
soirée, la rassurai-je.
Elle détacha les yeux d’Aida pour les poser sur moi, l’air incertaine.
— Il a raison. Ça fera l’affaire. Il faut y aller sinon on va faire une entrée un
peu trop remarquée, souligna Aida.
Je m’approchai de Reese pour la tirer vers moi.
— Tu es à tomber par terre. Je te le jure.
Je glissai une main sur le creux de ses reins pour l’accompagner jusqu’à la
porte.
Aida eut un petit sourire forcé puis tourna les talons à son tour.
— Elle est si élégante. Je devrais trouver quelque chose de plus habillé. J’ai
des chaussures à talons, insista Reese.
— Non, elle est trop habillée, la rassurai-je.
Reese, tendue, n’avait pas l’air de me croire sur parole.
Aida se hissa en premier par la portière passager de mon pick-up. Après
réflexion, je guidai Reese jusqu’à la portière conducteur et l’aidai à grimper
dans la cabine pour qu’elle s’assoie au milieu, à côté de moi. Je ne voulais pas
froisser Aida en lui demandant de descendre pour laisser monter Reese en
premier. Je montai derrière Reese et pris place au volant.
— Je suis trop loin de la radio, se plaignit Aida.
Je ne pensais pas qu’elle ait cherché intentionnellement à se retrouver assise
entre Reese et moi, mais je n’en étais pas sûr.
— Tant mieux, répliquai-je tant je détestais qu’elle soit aux commandes de
l’autoradio.
Une fois sur la route principale, je glissai une main sur la cuisse dénudée de
Reese que je serrai doucement. Ce geste sembla la rassurer.
— Qui est invité à cette soirée ? Les gens du coin ? s’enquit Reese.
— Tous ceux qui font affaire avec les Stout : banquiers, avocats, ranchers, et
les responsables des chaînes de restaurants qui possèdent une de leurs
franchises. Ils arrivent en avion du pays tout entier, précisa Aida d’un air très
satisfait.
Reese se raidit.
— Tu donnes aux Stout plus d’importance qu’ils n’en ont en réalité,
corrigeai-je en la fusillant du regard.
Elle se contenta de hausser les épaules.
— Ils ont de l’importance pour tous ceux qui n’ont pas la chance d’avoir
une légende du rock comme paternel.
— Mon père est rancher, rectifiai-je.
Je n’aimais pas le fait qu’elle mentionne Kiro. Je ne parlais pas beaucoup de
mon père biologique. Il ne faisait pas partie de ma vie ; mon beau-père m’avait
élevé. Mon seul lien avec Kiro était Harlow. Il avait joué un rôle bien plus
déterminant dans la vie de ma demi-sœur.
— Comme tu veux, Mase. Mais tu as la célébrité dans le sang, ce n’est pas la
fin du monde, contra Aida avec un petit sourire narquois.
Reese lissa sa jupe d’un air nerveux. Voilà qu’elle stressait pour ce foutu
barbecue. J’avais envie de laisser tomber. Hors de question de la forcer à faire
quoi que ce soit.
— On peut rentrer maintenant. Tu n’as qu’un mot à dire, lui confiai-je en
serrant de nouveau sa cuisse.
— Quoi ? Jamais de la vie ! Je ne veux pas rater cette soirée, s’insurgea
Aida d’une voix suraiguë qui dépassait les bornes.
— J’ai envie d’y aller, confirma Reese en s’appuyant contre moi.
— Dès que tu veux rentrer à la maison, il suffit de me le dire. Je ferai
raccompagner Aida, précisai-je en ignorant le regard noir de cette dernière.
Reese se laissa aller contre moi sans dire un mot.
L’immense portail de fer était grand ouvert et deux armoires à glace en
costume gardaient l’entrée. Je m’arrêtai pour baisser ma vitre.
— Nom ? s’enquit l’un d’eux.
— Mase Colt, annonçai-je en faisant l’économie du Manning, car la plupart
des gens me connaissaient sous ce patronyme.
Il hocha la tête.
— Bienvenue, monsieur Colt, vous pouvez avancer.
Je m’engageai sur la somptueuse allée en brique jusqu’à la façade d’une
demeure de deux étages bien plus imposante que la majorité des habitations de
la région. Le voiturier attendait, mais il était hors de question que je laisse un
gosse en smoking garer mon pick-up.
Il s’approcha avec son sourire factice.
— Je peux garer mon propre véhicule, l’informai-je.
Il eut l’air désorienté.
— Oh, très bien… c’est là-bas, mais ce n’est pas la porte à côté, fit-il en
montrant la gauche de la maison.
— Merci, répliquai-je avant d’aviser Reese et Aida. Vous pouvez descendre
ici, ça vous évitera de marcher.
Reese posa une main sur mon bras.
— Je reste avec toi. Ça ne me gêne pas de marcher.
— Je sors, annonça Aida en levant les yeux au ciel.
Le voiturier se précipita pour lui ouvrir et l’aider à sortir. La portière
refermée, je me dirigeai vers la zone de parking. Je n’avais jamais aimé laisser
mes clés à un parfait inconnu. J’étais quand même capable de garer ma
bagnole tout seul.
Reese

Le jardin où se tenait le barbecue semblait sorti tout droit des pages d’un
magazine. Des lanternes accrochées à d’immenses chênes jetaient leur lueur
dans la nuit tombante, et des guirlandes de lumière blanche recouvraient les
tables et les chaises capitonnées (qui n’avaient pas l’air à leur place en
extérieur) d’une voûte étincelante baroque.
Sur scène, un orchestre jouait dans tous les styles, de la musique country au
classique. Il y avait même une piste de danse englobée de la même canopée de
lumière qu’autour du buffet.
Mais c’est surtout l’élégance des femmes qui attirait l’œil. Aida avait vu
juste : ma jupe en jean détonnait. Même les hommes ne portaient pas de jean.
J’aurais dû me rendre compte que Mase avait opté pour un pantalon kaki coupe
droite avec ses bottes au lieu de son sempiternel jean. Et que sa chemise bleu
clair à col boutonné était bien plus habillée que ce qu’il portait d’habitude.
Pourquoi n’avais-je pas insisté pour me changer ?
Sa main posée sur le creux de mes reins me guida en direction de la foule.
Les gens devisaient en petits groupes, une coupe de champagne à la main. Des
diamants brillaient aux doigts, poignets, oreilles et cous des femmes. Était-ce
la première fois que Mase se rendait à ce genre de barbecue ? Il avait dû
participer à plus d’un. Pourquoi m’avoir affirmé qu’Aida était trop habillée ?
— Mase Colt, l’accueillit d’une voix grave un homme élancé aux larges
épaules et tempes grisonnantes. Ravi de te voir. Je n’étais pas là lors de la
dernière transaction. Hawkins m’a dit que tout s’était bien passé, comme
toujours.
— En effet. Mon père était content, acquiesça Mase.
C’était la deuxième fois de la soirée qu’on l’appelait Colt au lieu de Colt
Manning. Je ne l’avais encore jamais entendu faire l’économie de son dernier
patronyme.
L’attention de l’homme se porta sur moi. Un court instant, j’eus envie de me
cacher sous une table.
— Et je vois que tu as une femme magnifique à ton bras.
— Oui, monsieur, répondit Mase en maintenant sa main contre mon dos.
Voici Reese Ellis. Reese, voici Arthur Stout, un de nos partenaires
commerciaux et l’hôte de ce modeste barbecue.
Arthur émit un petit rire.
— En réalité, la faute revient à mon épouse. Elle voit toujours les choses en
grand. C’est un plaisir de vous rencontrer, Reese. Il était temps que Mase soit
accompagné. Un honnête homme a besoin d’une honnête femme à ses côtés.
Cela fait des années que j’explique cela à Hawkins, mais il fait la sourde
oreille.
— Lorsqu’il la rencontrera, vous n’aurez plus à le lui rappeler. Les choses
se feront naturellement.
L’affirmation de Mase fit battre mon cœur et irradier une sensation de
chaleur dans toute ma poitrine. Arthur Stout acquiesça avec un large sourire.
— C’est bien vrai. Dieu sait que ce fut le cas avec sa mère. Qu’elle repose
en paix. Elle a emporté une part de mon âme en quittant ce monde.
— Arthur, chéri, il faut que tu fasses la connaissance de Chantel, du country-
club. Je te racontais l’agréable moment que nous avions passé autour d’un thé,
l’autre jour, intervint une femme.
Elle avait l’air d’avoir quelques années à peine de plus que moi. Sa bague en
diamant chatoyait dans la lumière.
— J’arrive, ma chérie, répondit-il. Je dois y aller. Amusez-vous bien tous
les deux.
Je le regardai partir, puis tournai les yeux vers Mase, quelque peu perplexe.
— Piper est sa deuxième épouse. La première est décédée du cancer il y a
dix ans. Il a épousé Piper il y a quatre ans, expliqua Mase pour dissiper ma
confusion.
— Mais elle a l’air si jeune, murmurai-je en regardant la femme prendre le
bras du sexagénaire.
— Elle avait vingt-deux ans lorsqu’il l’a épousée. Son fils Hawkins a un an
de plus qu’elle.
Beurk.
Mase scruta mon visage et se mit à rire.
— Viens. Allons prendre un verre. Stout a lancé sa propre brasserie il y a
environ sept ans. Certains cidres devraient te plaire ; je sais que tu n’es pas trop
fan de bière.
Je l’accompagnai jusqu’au somptueux bar.
— Te voilà enfin ! J’ai croisé Aida un peu plus tôt, elle m’a dit que tu étais
arrivé. Je me demandais si tu n’étais pas allé te planquer après l’avoir déposée.
Mase se retourna en direction de la voix. Un homme séduisant aux cheveux
blonds courts et aux yeux d’un bleu pâle avançait vers nous.
— Aida n’a pas précisé que tu venais accompagné, poursuivit-il en
s’arrêtant devant nous pour me dévisager avec un petit sourire satisfait.
— Hawkins, répliqua Mase d’un ton plus tranchant qu’il n’avait utilisé avec
le père de ce dernier.
Hawkins sourit de toutes ses dents avant de tourner enfin son attention sur
Mase.
— Dis-moi que c’est une autre de te cousines, commenta-t-il.
Mase glissa une main autour de ma taille pour m’attirer contre lui.
— Non. Elle est avec moi.
Hawkins continuait de sourire.
— Reese, voici Hawkins Stout. Hawkins, voici Reese Ellis, enchaîna Mase
d’une voix agacée.
Hawkins me tendit la main.
— Enchanté, Reese Ellis.
Je glissai ma main dans la sienne, qu’il souleva aussitôt pour la porter à ses
lèvres et y déposer un baiser. Je me figeai, prise au dépourvu.
Mase se racla la gorge et Hawkins détacha son regard du mien pour toiser
Mase d’un air amusé.
— Du calme. J’ai compris, dit-il avec un petit sourire en coin avant de
reculer. Passez une belle soirée. Nous avons plusieurs bières inédites qui
pourraient vous plaire.
— On va au bar de ce pas, conclut Mase.
Hawkins me gratifia d’un ultime sourire avant d’aller saluer d’autres
convives.
Je m’apprêtais à dire quelque chose mais me ravisai. Comme Mase non plus
ne disait rien, je mis le cap sur le bar.
Il commanda une bière et j’optai pour un cidre à la myrtille. Une fois servis,
nous vîmes arriver Aida droit sur nous… ou sur Mase. Elle avait l’air
totalement bouleversée.
— J’ai besoin de toi, s’étrangla-t-elle.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit-il.
Elle me jeta un regard insistant avant de l’implorer de nouveau.
— Je ne peux pas en parler ici. Je t’en prie.
Mase hocha la tête.
— O.K. Tu veux aller où ?
— Un endroit où on soit seuls. C’est juste… je ne peux pas.
Elle posa une main sur sa bouche et plissa les yeux dans une attitude
dramatique. Je n’étais pas sûre de bien vouloir croire qu’il y avait un
problème.
Mase hocha la tête en direction de la maison.
— Rentrons.
Elle acquiesça. Mase posa une main sur mon dos pour me guider à
l’intérieur. Je savais bien que ce n’était pas l’idée qu’Aida se faisait d’être «
seuls ». Je m’apprêtai à protester lorsqu’elle remarqua que je leur avais
emboîté le pas.
Son visage se renfrogna aussitôt.
— Je ne peux pas en parler avec elle. Toi seulement.
Mase secoua la tête, prêt à en découdre.
— C’est Heath. Il est ici avec elle, expliqua Aida dans un sanglot.
Mase fronça les sourcils.
— Je sais que c’est dur, Aida, mais je ne peux pas laisser Reese toute seule.
Elle ne connaît personne.
J’avais une chance, infime, de m’attirer les bonnes grâces d’Aida.
— Mais si. J’ai un verre, je peux très bien m’asseoir dans une de ces jolies
chaises en attendant. Va avec elle. Elle est bouleversée.
Mase n’eut pas l’air convaincu. Aida sanglota de plus belle :
— Mase, je t’en prie. J’ai besoin que tu me tires de ce mauvais pas.
— Vas-y, répétai-je.
Mase finit par pousser un soupir avant de déposer un baiser sur mon front.
— Je reviens vite, murmura-t-il.
Je hochai la tête. Il emboîta le pas à Aida en direction de la maison. Je les
regardai disparaître à l’intérieur puis me retournai pour embrasser le décor de
la soirée du regard. J’étais dans un lieu plein d’inconnus, et encore personne
ne s’était assis. Peut-être les tables étaient-elles réservées au dîner.
Je m’avançai vers les ombres, hors de portée de la lumière des lampions.
De là j’apercevais la maison et pourrais voir Mase à son retour.
Ce n’est qu’une fois dans la pénombre, lorsque mes yeux s’accommodèrent
à l’obscurité que je me rendis compte que je n’étais pas seule. Je marquai une
pause. Était-ce un problème ? Peut-être devrais-je m’excuser et trouver un
autre endroit tranquille.
— Il vous délaisse pour une autre et vous vous cachez aussitôt dans le noir,
commenta une voix grave.
Je distinguai la silhouette d’un homme adossé à une botte de foin, une bière
à la main. Je le dévisageai rapidement pour voir s’il représentait un danger. En
premier je remarquai son jean, puis sa chemise blanche, semblable à celle que
portait Mase – sauf qu’il avait roulé les manches jusqu’aux coudes. Je notai
surtout ses yeux verts qui brûlaient intensément d’un feu intérieur.
— Vous avez décidé ?
Sa question me fit prendre conscience que je le regardai fixement.
— Quoi ? fis-je d’un air confus.
Il émit un grondement sourd qui ressemblait à un rire, la tête inclinée sur le
côté. Je m’aperçus qu’il avait les cheveux noués en queue-de-cheval. Malgré la
semi-pénombre, je remarquai ses mèches blondes. Il devait passer beaucoup de
temps au soleil.
— S’il était prudent de rester en ma compagnie ? C’est ce que vous vous
demandez, n’est-ce pas ?
Était-ce prudent, en effet ?
— À mon avis, c’est sujet à débat, affirma-t-il.
— Sujet à débat ?
Il avala une gorgée de bière en me scrutant avant de préciser :
— Si c’est prudent ou pas. (Il émit de nouveau un petit rire à peine
perceptible.) Vous avez un visage très expressif.
Comment pouvait-il voir mes traits dans l’obscurité ?
Il changea de position et croisa la cheville gauche sur la droite. Je jetai un
œil à ses bottes, qui n’étaient pas comme celles de Mase. On aurait plutôt dit
des rangers.
— Qu’est-ce que vous faites comme ça dans le noir ? demandai-je malgré
moi.
— Je sirote ma bière en paix, répondit-il en soulevant son verre.
Je hochai la tête. Ça se tenait. Peut-être qu’il n’aimait pas la foule lui non
plus.
— Et vous, qu’est-ce que vous faites comme ça dans le noir ?
Je jetai un œil à la maison ; aucun signe de Mase pour le moment.
— Je… mon ami est allé s’occuper de quelque chose. Sa cousine est toute
chamboulée.
Il me dévisagea en buvant sa bière. Son attitude me rendait nerveuse.
Comme s’il pouvait lire dans mes pensées.
— Alors qu’il sait pertinemment que vous êtes mal à l’aise au milieu d’une
foule d’inconnus. Un homme ne devrait jamais laisser une femme toute seule.
Il ne savait rien de la situation. Qui était-il pour juger ?
— Sa cousine est bouleversée. Je lui ai dit de l’accompagner.
— Ça ne change rien au fait qu’il n’aurait pas dû vous laisser.
Cet homme me déplaisait. Je préférais encore affronter la foule plutôt que
de rester planquée dans le noir avec lui.
— Évitez les suppositions si vous ne savez pas de quoi vous parlez, le
rabrouai-je vertement avant de retourner vers les lumières à temps pour
apercevoir Mase qui me cherchait des yeux.
Il descendait les marches à grandes enjambées et dépassa plusieurs
personnes qui tentèrent d’attirer son attention. Lorsque ses yeux se posèrent
enfin sur moi, il eut l’air soulagé.
Je le rejoignis rapidement en décidant de ne pas lui parler de cette
rencontre.
Mase

Aida en faisait des tonnes. Elle avait commencé à sortir avec Heath l’été
précédent, mais la relation avait plus compté pour elle que pour lui. Elle avait
rompu un an plus tôt parce qu’il l’avait trompée avec une de ses amies. Quand
elle avait commencé à fréquenter le cousin de Hawkins, je l’avais prévenue que
Heath Stout était un séducteur. Et voilà qu’un an plus tard elle donnait dans le
mélodrame ? Elle se doutait bien qu’il serait présent à la soirée.
Je détestais laisser Reese, mais je savais que c’était le seul moyen pour
qu’Aida se calme. Je cherchai Reese parmi la foule de convives. Elle n’était pas
là où elle était censée m’attendre. Plusieurs personnes m’interpellèrent, mais je
restai concentré sur elle. Lorsque je la vis enfin marcher vers moi, je poussai
un soupir de soulagement. Elle allait bien.
— Désolé, fis-je en l’attirant par la taille tout contre moi. Aida faisait sa
drama queen.
— Je t’en prie. Pas de problème. Je me suis un peu baladée.
Je jetai un œil à l’endroit dont elle était sortie et vis un homme surgir de
l’ombre. Il me regarda avec un petit sourire amusé, mais je ne le connaissais
pas. Il portait un jean, des rangers et une queue-de-cheval bien plus
impressionnante que la mienne.
— River, viens ici, je veux te présenter quelqu’un, gronda tout à coup
Arthur Stout.
En me retournant, je le vis agiter une main à l’attention de l’homme à la
queue-de-cheval tandis qu’il revenait vers moi. River le rejoignit sans se
presser. Lorsqu’il arriva à notre hauteur, Arthur le gratifia d’une grande claque
dans le dos.
— Mase, voici River Kipling. Il est le manager du Stout & Hawkins
Steakhouse à Key West. Après avoir ajouté des fruits de mer au menu, il est
désormais à la tête de notre franchise la plus performante. Je l’ai fait venir ici
pour qu’il fasse de même dans nos restaurants de Dallas. Il s’y connaît en fruits
de mer, expliqua Arthur. River, voici Mase Colt, notre principal fournisseur de
bovins à viande, en dehors de notre propre cheptel. Le ranch de Mase offre de
la qualité pure. Il faut absolument que tu ailles lui rendre visite pour voir
comment se déroulent ses opérations.
— De Key West à Dallas. C’est un sacré dépaysement, observai-je.
Je n’appréciai pas sa manière de zieuter du côté de Reese ni la manière
qu’elle avait de se raidir à côté de moi.
— Certains paysages valent particulièrement le détour, répliqua-t-il les yeux
rivés sur Reese.
Je n’appréciais vraiment pas ce genre de conneries.
— Attends-toi à une visite de River et moi la semaine prochaine. Il faut que
je lui présente plusieurs personnes. Maintenant finis ton verre et emmène-moi
cette jolie fille sur la piste de danse, ordonna Arthur avant de s’éloigner en
compagnie de River – qui jeta un ultime coup d’œil à Reese avant de tourner
les talons.
— Je ne l’aime pas, dit Reese avec fermeté.
— Qui ça ? fis-je en la dévisageant.
— Ce type, River. Il m’agace.
Je souris et me penchai pour l’embrasser. J’avais envie de ses lèvres. J’avais
également envie de la plaquer contre un mur avec sa jupe relevée à sa taille.
Les bottes pouvaient rester.
— Moi non plus je ne suis pas fan.
Deux heures plus tard, je m’étais efforcé de sourire et de bavarder avec tous
les invités que mon beau-père aurait voulu que je salue. Tout du long Reese
était restée bien à l’abri à mon côté. Je devais constamment réprimer ma colère
lorsque les hommes détaillaient ses jambes. Ce soir elle les mettait en
évidence, il fallait donc bien s’y attendre. Mais ça ne voulait pas dire que ça me
rendait jouasse.
À ma grande surprise, Reese choisit des travers de porc pour le dîner.
J’étais à peu près sûr qu’elle était la seule femme à en prendre. Le spectacle de
Reese en train de manger ses ribs était sexy comme pas deux et j’avais eu un
mal de chien à me concentrer sur ma propre assiette : mes yeux se rivaient sur
sa bouche et sa langue qui pourléchait la sauce sur ses lèvres.
Après le repas, prêt à partir, je recherchai Aida. Je voulais la laisser ici pour
ne pas avoir à la gérer plus tard une fois à la maison. J’avais de vastes projets
pour Reese et sa petite jupe… sans oublier ses bottes.
— Viens danser, m’incita Aida en refermant par surprise une main sur mon
bras.
— Je suis sur le départ, répliquai-je.
Elle fit la moue.
— Tu n’as pas dansé avec moi de toute la soirée. On danse toujours à ce
genre de fête.
Je m’apprêtais à réitérer mon refus lorsque Reese s’écarta
imperceptiblement de moi.
— Vas-y, danse. J’attends ici.
— Tu vois ? Elle s’en moque. Allons danser.
Aida était bien plus gaie que quand je l’avais laissée. Un peu trop. Ces
derniers jours, ses sautes d’humeur me donnaient le mal de mer. Je n’avais pas
l’habitude qu’elle reste dans les parages pendant si longtemps ; habituellement,
elle venait à raison de quelques jours d’affilée deux fois par an – exception
faite de l’été dernier où son séjour avait été un peu plus long.
Je n’avais pas envie de danser avec elle. Je n’avais même pas dansé avec
Reese, essentiellement parce que je ne voulais pas qu’elle panique à l’idée de
se retrouver au milieu de tous ces gens. À l’évidence elle ne se sentait pas à
l’aise au cœur d’une foule d’inconnus. Danser avec Aida me paraissait injuste.
— S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, supplia Aida en attirant l’attention
sur elle et en me traînant par la main. Après une danse on pourra y aller.
On partirait dès que je serais prêt.
— Vas-y, insista Reese en me poussant gentiment.
Nom d’un chien. Je n’en avais pas envie. Aida et moi avions appris à danser
avec ma mère quand on était gamins, ce qui amusait Aida. Elle n’aimait pas ce
qui me faisait plaisir à moi, comme la pêche, la randonnée et le camping.
C’était Harlow qui m’avait accompagné pour toutes ces activités. Aida avait
toujours été singulière ; elle voulait être le centre de l’attention.
Elle continua à m’implorer en me tirant le bras. Je voyais bien que je
n’allais pas m’en sortir.
— D’accord. Une danse, cédai-je.
Son visage s’illumina d’un large sourire. Je jetai un œil à Reese tandis
qu’Aida m’entraînait en avant :
— Je reviens tout de suite.
Reese hocha la tête en me souriant.
Ça sentait le mauvais plan.
Reese

— Il danse toujours comme ça avec sa cousine ? s’enquit une voix grave.


Même si je n’avais croisé le bonhomme qu’une fois – ou deux,
techniquement – je savais de qui il s’agissait sans regarder.
— Oui, répliquai-je même si au fond je n’en savais rien.
Il faut dire que c’était vraiment quelque chose. J’ignorais que Mase dansait
si bien. Les gens s’étaient arrêtés de bavarder pour les regarder. D’une danse
ils étaient passés à deux.
— Il n’est pas très malin, commenta River Kipling d’un accent traînant.
Voilà qu’il remettait le couvert, à me casser les pieds. Je me retournai pour
le fusiller du regard. En pleine lumière il était bien plus séduisant que je ne
l’aurais pensé. Il avait un petit air insouciant, comme si la soirée qui se
déroulait autour de nous le laissait indifférent.
— Il est exceptionnel, rectifiai-je.
River secoua la tête en souriant.
— Tu es un drôle de numéro, Reese Ellis.
Je ne savais pas trop ce qu’il entendait par là, mais ça m’était égal. Il disait
du mal de Mase. Je ne l’aimais pas. Ça s’arrêtait là. Mais je ressentais le besoin
de défendre Mase :
— Ils aiment bien danser.
— Dans ce cas c’est avec toi qu’il aurait dû danser. Quel dommage de
t’avoir à son bras et de rater l’occasion de te faire tournoyer.
Mase ne m’avait pas invitée à danser. Je m’étais dit qu’il n’aimait peut-être
pas ça, mais il se donnait en spectacle avec Aida. Je le regardai la soulever du
sol et lui faire faire une sorte de pirouette. La foule de convives les applaudit.
— Elle danse mieux que moi, concédai-je. Je ne pourrais pas faire ce genre
de choses.
Je pensais que ça ferait taire River Kipling, mais j’avais tout faux.
— Ils ont de l’entraînement, mais ne prennent aucun plaisir. Serrer une
femme contre soi, sentir son corps effleurer le sien, l’excitation de savoir
qu’on n’a pas le droit de toucher comme on le voudrait. (Il ménagea une
pause.) Ça sert à ça, la danse.
Je voulais qu’il se taise. J’en avais assez qu’il me casse les oreilles.
J’essayais de me trouver une place dans l’univers de Mase. Ce type ne m’aidait
pas du tout en semant le doute dans ma tête. La chanson terminée, Mase secoua
la tête lorsque Aida le supplia de continuer.
Lorsqu’il se tourna vers moi, je le vis se raidir en apercevant River à côté
de moi.
— Je te parie qu’il va s’arrêter de danser maintenant. De rien ! ironisa
River.
Je le regardai s’éloigner. Il portait bien son jean, avec une jolie démarche
chaloupée. À part ça il était exaspérant.
— Il t’a ennuyée ? demanda Mase en me prenant dans ses bras.
J’en oubliai ce type agaçant.
— Non, il disait juste que vous dansiez très bien.
Mase eut un petit froncement de sourcils.
— Ouais, désolé, elle m’a fait rester sur deux chansons. Elle arrive, on va
pouvoir y aller.
Je hochai la tête.
Le rire d’Aida nous accompagna jusqu’à la voiture.
— J’adore danser ! s’écria-t-elle dans la nuit. Il faut qu’on fasse ça plus
souvent.
Mase resta silencieux. Il ouvrit la portière conducteur et me souleva pour
me déposer sur le siège comme si je ne pouvais pas y arriver seule.
— Je peux me débrouiller sans aide, tu sais, le taquinai-je.
Il se pencha vers moi :
— Auquel cas ta jupe va remonter et dévoiler ta petite tache de rousseur que
je ne pourrai pas lécher puisque Aida est avec nous.
Mon visage s’embrasa et je frissonnai en pensant au plaisir qu’il me donnait
lorsqu’il faisait ça.
— Oh, soufflai-je.
— Ouais, oh, répéta-t-il. Je rendrai visite à ma petite tache de rousseur dès
qu’on aura passé la porte d’entrée.
Cette perspective me coupa le souffle.
— O.K., fis-je.
— Il faut qu’on aille danser le week-end prochain, lança Aida en ouvrant la
portière passager pour se glisser dans le pick-up. (Mase prit place à côté de
moi.) Reese pourra venir nous voir. On dansera toute la nuit.
Il était hors de question que je regarde Mase et Aida danser toute la nuit,
mais je ne dis rien.
— Je suis content que tu te sois bien amusée, Aida, commenta Mase.
— J’ai adoré ! Personne ne danse aussi bien que toi.
Soudain je sentis son regard peser sur moi. Je tournai la tête ; elle me
regardait avec un petit sourire suffisant.
— J’imagine que Reese ne sait pas danser étant donné que tu ne l’as pas
invitée de la soirée, reprit-elle.
Ça faisait mal. Un peu.
La main de Mase se posa sur ma cuisse.
— Elle danse très bien.
— Oh… eh bien dans ce cas tu ne dois pas beaucoup aimer danser avec elle.
Ce n’est pas grave, Reese. On a passé nos vies entières à danser ensemble.
Entre nous la mécanique est bien huilée.
Je n’aimais pas sa manière de dire ça. Quelque chose clochait dans le ton de
sa voix.
— J’adore danser avec Reese. Lâche l’affaire, Aida.
Ça ne me rassurait pas pour autant. Je commençais à me dire qu’Aida avait
raison. Il ne voulait pas danser avec moi parce qu’il avait l’habitude de se
donner en spectacle, ce qui était inenvisageable avec moi.

Mase déposa Aida devant la maison de sa mère avec un « bonne nuit »


explicite qui signifiait qu’elle n’était pas la bienvenue chez nous. Je repensai à
ce qu’il m’avait dit sur ma tache de rousseur et me trémoussai discrètement sur
mon siège.
— Je ne t’ai pas proposé de danser à la soirée parce que j’avais peur que tu
n’en aies pas envie devant tous ces gens. Tu avais l’air nerveuse et je ne voulais
pas en rajouter. Mais rien au monde ne m’aurait fait plus plaisir.
Il avait attendu qu’Aida soit partie pour s’expliquer. J’appréciai l’attention.
Je ne voulais pas qu’elle sache à quel point leur danse m’avait intimidée. Je me
penchai vers lui et déposai un baiser sur son bras.
— Tu as raison. Ça m’aurait angoissée.
— Il n’y a rien de plus excitant que de sentir ton corps bouger contre le
mien. Si j’avais dansé avec toi, je n’aurais pas pu rester à la soirée. On ne
serait peut-être même pas arrivés au pick-up avant que j’aie posé la main sur
tes fesses pulpeuses.
Cette fois-ci j’éclatai de rire. Cette excuse me plaisait et avait le mérite de
me mettre de bonne humeur.
— Et si on rentrait pour que tu me montres exactement ce que tu veux que je
fasse ? Je me souviens qu’il était question que je me penche en avant…
Les yeux de Mase brillèrent de désir. Il m’entraîna hors de la voiture.
— Pas sûr de tenir jusqu’à l’intérieur, dit-il avant de m’embrasser à pleine
bouche.
Je m’accrochai à ses bras et me laissai fondre en lui. Ses baisers me
mettaient toujours les jambes en coton. Quand sa bouche recouvrait la mienne,
plus rien n’avait d’importance. Ses baisers remettaient tout d’aplomb.
Je poussai un petit cri de protestation lorsqu’il s’arracha à notre étreinte,
mais ses yeux brillaient d’excitation et de possessivité.
— Penche-toi en avant en te tenant au siège, ordonna-t-il d’une voix qui
multiplia les papillons dans mon ventre.
— Ici ?
Il me sourit avec malice.
— Il n’y a personne, c’est juste pour s’amuser, bébé, je te le jure.
L’expression qui se lisait sur son visage aurait pu me faire faire n’importe
quoi. Je me retournai et me mis en position.
— Putain, marmonna-t-il.
Ses mains glissèrent le long de mes cuisses et relevèrent ma jupe jusqu’à ce
que mes fesses soient entièrement dénudées. D’un doigt il caressa ma tache de
rousseur. Je ne pouvais pas la voir mais savais exactement où elle se situait. Il y
passait un temps considérable et la peau était encore un peu sensible après
avoir frotté la veille contre sa barbe naissante.
— Je n’aime pas quand tu es en jupe courte. J’ai toujours peur que tu te
penches en avant et que quelqu’un d’autre voie ce spectacle. Alors que c’est à
moi et que personne d’autre n’a le droit de poser les yeux dessus.
Je fermai les paupières et pris une profonde inspiration. Il allait me tuer
avec ses mots affriolants avant même d’avoir commencé.
— Écarte, ordonna-t-il.
Ses mains se posèrent sur mes cuisses pour les ouvrir, jusqu’à ce que je lui
sois entièrement ouverte. Je poussai un gémissement en sentant son doigt
caresser la moiteur entre mes jambes.
— Tu es trempée, murmura-t-il en déposant un baiser à l’intérieur de ma
cuisse. Et si douce.
— Oh mon Dieu, soufflai-je en sentant mes jambes trembler.
— Je ne suis pas Dieu, bébé, répliqua-t-il d’un ton amusé. (Je souris en
m’agrippant au siège.) Mais je m’apprête à nous emmener tous les deux au
paradis.
J’entendis le bruit de sa braguette.
Il allait me faire l’amour ici, dehors.
— Je sais que je t’ai dit que c’était pour jouer, mais tu es trempée et tu sens
la crème pâtissière. J’ai envie d’être en toi.
Sa voix était pleine de tendresse. Ses mains s’agrippèrent à ma taille et il
plongea lentement en moi en gémissant mon nom. Sentir Mase en moi était
incroyable. Je languissais constamment de cette sensation. Chaque fois qu’il
me lançait un sourire aguicheur ou que je voyais ses muscles se tendre sous
son T-shirt, je fantasmais sur ses bras bandés au-dessus de moi tandis qu’il me
labourait de coups de reins.
D’une main calleuse il me caressa les fesses.
— J’adore ça, grogna-t-il.
Et moi donc. La seule chose que j’aimais plus que ça était Mase lui-même.
Mase

Je travaillai très peu au ranch au cours de la semaine qui suivit. Quand je ne


passais pas le plus clair de mon temps avec Reese, il y avait Aida qui semblait
toujours avoir besoin de moi pour une raison ou une autre. Comme Reese
insistait, j’avais fini par emmener Aida faire sa promenade favorite à cheval
près du lac. Un autre jour, elle avait demandé à se rendre aux enchères de
bovins avec moi. J’avais l’intention d’y aller avec Reese, mais elle avait
préféré rester à la maison pour lire.
Je savais que Reese faisait tout son possible pour s’attirer les bonnes grâces
d’Aida, raison pour laquelle elle me poussait constamment à avoir des activités
avec ma cousine. Je n’étais pas sûr qu’Aida l’appréciait à sa juste valeur. À la
moindre occasion elle se plaignait de Reese et du temps que je passais avec
elle. J’en avais plus qu’assez. Aida allait devoir changer d’attitude sans quoi
j’allais lui interdire d’approcher Reese.
Si Aida croyait que c’était un concours, elle allait devoir comprendre
qu’elle l’avait perdu d’avance. Aida était ma cousine. Elle avait fait la même
chose avec Harlow la fois où leurs séjours respectifs s’étaient chevauchés.
J’avais consacré toute mon attention à Harlow et Aida l’avait mal vécu. Mais à
l’époque nous étions encore des gamins, et je n’avais pas fait attention à elle.
Aujourd’hui nous étions des adultes et son attitude était complètement dingue.
J’avais surtout peur que Reese finisse par s’ennuyer à rester tout le temps au
ranch. Ainsi lorsque Harlow me passa un coup de fil pour nous inviter au
premier anniversaire de Lila Kate quatre jours plus tard, j’étais bien content
d’avoir une excuse pour prendre la tangente avec Reese. Il était grand temps
qu’Aida rentre chez elle.
Blaire et Rush Finlay avaient organisé la fête de Lila Kate chez eux au bord
de la piscine et, comme leur maison était quasiment sur la plage, Harlow avait
choisi un thème hawaïen. Je n’avais même pas percuté que j’étais oncle depuis
un an. Le temps était passé à toute vitesse.
Reese était heureuse de retourner à Rosemary Beach, ce qui rajoutait à mon
inquiétude. Elle n’avait rien à faire ici au Texas. Quand nous n’étions pas
ensemble elle se retrouvait toute seule. Je détestais la savoir isolée ou triste. Il
fallait que j’y remédie. Peut-être pouvait-elle suivre une formation ou préparer
son certificat de fin d’études.
Même si je préférais ne pas m’en remettre à mon père – père biologique,
j’entends –, ma sœur n’était pas toujours très coopérative. Nous étions censés
nous rendre en Floride deux jours plus tard à bord du jet privé de Slacker
Demon. Le groupe de rock de notre père partait sans cesse en tournée, et pour
eux l’avion privé était indispensable. Pas pour moi. Je pouvais toujours
protester auprès de Harlow, mais je savais qu’elle aurait le dernier mot. Le jet
était déjà programmé pour prendre un invité de Blaire et de Rush à Dallas et
elle voulait que Reese en moi en profitions dans la foulée.
Je bouclai tout, de sorte à être prêt à partir avec Reese la veille de
l’anniversaire. Nous avions pour projet de passer quelques jours en ville après
la fête ; je savais que Reese voulait voir son Jimmy. Il avait été son ami le plus
proche et elle lui téléphonait au moins une fois par semaine.
Une Mercedes gris métallisé nous attendait à l’aéroport en Floride pour que
je puisse l’utiliser pendant la durée de notre séjour. Je savais que mon père
était derrière tout ça et que c’était davantage pour Harlow que pour moi. Elle
était la seule des trois rejetons de Kiro (avec moi et Nan, la demi-sœur de
Harlow) qu’il avait un tant soit peu élevée, raison pour laquelle Harlow le
considérait comme un père. Il l’adorait, mais il faut dire qu’elle était
particulièrement adorable. Moi aussi après tout je l’avais aimée plus que tout,
jusqu’à ce que Reese débarque dans ma vie. La seule personne qui vivait mal ce
favoritisme était Nan.
Reese caressa le revêtement intérieur en cuir beige de la Mercedes et sourit.
— Ouah. C’est impressionnant, cette voiture, fit-elle avec émerveillement.
Elle avait passé la journée à être époustouflée. Elle était restée ébahie
pendant cinq bonnes minutes devant le jet. Rien que de la voir explorer la
cabine de l’avion avec un émerveillement enfantin valait le déplacement. Même
si c’était grâce à Kiro.
— Je suis sûr que la voiture c’est le coup de Kiro, expliquai-je. Si j’avais
payé de ma poche, je nous aurais réservé un pick-up.
— Et il, euh… il sera là ? À la fête ? demanda-t-elle avec des pincettes
comme si elle avait peur de me poser la question.
Je hochai la tête.
— Pour rien au monde il ne voudrait rater l’anniversaire de sa petite-fille.
En tout cas pas la petite-fille que lui a donnée Harlow. Et elle n’en aura pas
d’autre. Harlow ne peut plus avoir d’enfant. Elle a failli mourir à
l’accouchement.
— Donc Harlow est sa préférée ?
J’éclatai de rire. C’était un sacré euphémisme.
— Harlow est le seul enfant que lui ait donné Emily, son épouse adorée. Il
vénérait Emily. Il la vénère encore, bien qu’elle ait souffert d’une lésion
cérébrale il y a des années de cela suite à un accident, et qu’elle ne puisse plus
parler ni faire quoi que ce soit toute seule.
— Et Nan ? demanda Reese en fronçant les sourcils.
Je poussai un soupir.
— Nous n’avons appris que récemment, il y a quelques années, que Nan
était notre sœur. Kiro ne l’avait pas reconnue et sa mère avait menti sur le père.
Un vrai foutoir. Et Nan est une vraie peste. Tu le sais. Tu as déjà eu affaire à
elle. Elle déteste Harlow parce que notre père l’adore. Le contexte familial est
compliqué.
— C’est triste, se contenta de commenter Reese.
Je lui jetai un coup d’œil.
— Comment ça ?
Elle leva vers moi son regard empreint de douleur.
— D’apprendre que ton père n’est pas vraiment ton père et que ton vrai père
ne veut pas de toi. Ça ferait du mal à n’importe qui. Et puis de voir que ce père
adore son autre fille et qu’il t’ignore complètement. Ça laisse des cicatrices.
Elle a dû avoir beaucoup de blessures dans sa vie.
Elle était vraiment en train de trouver des excuses à Nan ? Rien ne justifiait
la méchanceté. Et voilà que Reese était désolée pour elle, même après avoir été
sa femme de ménage et le témoin au premier chef de sa cruauté.
— Tu changeras peut-être d’avis si jamais tu passes plus de temps en sa
compagnie.
— Elle ne vient pas à la fête ?
J’en doutais fort.
— Avant de rencontrer Harlow, Grant a eu une histoire avec Nan. Quand
Grant est tombé amoureux de Harlow, ça n’a fait qu’attiser la haine de Nan
envers elle. Le fait que Nan ait donné son sang à Harlow quand elle a accouché
de Lila Kate a changé la donne, ou en tout cas montré qu’elle était humaine.
Mais je doute que cela suffise pour que Grant l’invite à l’anniversaire de sa
fille. En plus, Kiro et Nan ne s’entendent pas bien. Quand ils sont ensemble, ils
passent leur temps à se crier dessus.
Reese ne me posa plus aucune question, mais je voyais bien que les rouages
de son cerveau étaient en branle. Elle essayait de rassembler les pièces du
puzzle pour y voir plus clair. Le problème étant que cette partie de ma famille
était tout sauf claire. Kiro avait tout fait foirer depuis des lustres. Je me
préoccupais uniquement de Harlow et de sa fille. Et de Grant, parfois. Il s’était
montré digne de ma sœur, mais je l’avais encore à l’œil. Je le tuerais s’il
s’avisait de lui causer le moindre tort.
Reese

J’avais déjà fait des ménages dans des demeures somptueuses, mais rien de
comparable à celle-ci. La maison des Finlay était immense et sublime. Elle était
au bord de l’eau, et son allée était remplie de voitures de luxe. Nous logions
chez Grant et Harlow, mais ils étaient partis tôt pour tout préparer. Nous avions
proposé de garder Lila Kate, mais Grant avait répondu qu’elle serait difficile
s’il n’était pas dans les parages. Mase avait répondu que c’était surtout Grant
qui serait difficile. Le spectacle de Grant Carter et de sa fille en train de faire
ses premiers pas en se dandinant était adorable. Il lui tournait constamment
autour, prêt à la rattraper à tout instant. Quand elle tombait, il intervenait à la
vitesse de la lumière et vérifiait qu’elle n’avait rien avant de lui faire des
bisous sur ses petits genoux potelés.
— Kiro est arrivé. Il doit être avec Dean puisqu’ils ont pris la limousine,
constata Mase sans émotion.
Je m’apprêtais à faire la connaissance de deux légendes du rock. Mase était
blasé. Cela dit, Kiro l’avait ignoré la majeure partie de sa vie et je pouvais
comprendre qu’il n’ait pas des masses envie de le voir. Je n’étais pas sûre de
l’apprécier. À mes yeux, beaucoup de choses jouaient en sa défaveur.
Avant même que je n’aie pu poser un pied hors de la Mercedes, Mase l’avait
contournée pour m’aider à sortir. Je le laissais faire, étant donné que j’étais
chargée de la grande boîte à pois rose et marron qui contenait le cadeau de
Lila Kate. Nous avions fait les magasins à Dallas pour trouver le plus beau
cadeau. Nous étions tombés sur une paire de bottes de cow-boy roses assorties
d’un chapeau en cuir de la même couleur et Mase avait insisté pour les acheter.
C’était le cadeau idéal pour Lila Kate de la part de son oncle Mase.
Je lui avais acheté un cheval en peluche qu’elle pourrait emporter partout
avec sa nouvelle panoplie. Mase affirmait qu’il lui apprendrait à monter à
cheval, mais après avoir vu Grant surveiller sa fille, je n’étais pas sûre qu’il la
laisserait monter un jour sur une selle. C’en serait probablement trop pour lui.
— Allons faire la fête, lança Mase en me gratifiant d’un clin d’œil.
Il me prit l’emballage cadeau des mains et je lissai le devant de ma robe
jaune. C’était un luau, une fête hawaïenne, et j’avais revêtu ma plus belle robe
de plage et une paire de sandales à lanières. Harlow était habillée de la même
manière et cette fois-ci je n’avais pas peur de détonner.
— Il y a beaucoup de monde, constatai-je en regardant les voitures qui
arrivaient.
— Oui, Grant a vécu à Rosemary quasiment toute sa vie. Il connaît tout le
monde.
Mase frappa à la porte et une femme nous ouvrit avec un large sourire. On
aurait dit une égérie de Victoria’s Secret.
— Bonjour Mase, dit-elle avant de poser ses yeux d’un vert perçant sur moi.
Salut Reese, comment ça va ?
— Merci pour ton invitation, Blaire. Ça me fait très plaisir de te revoir.
Blaire s’effaça et nous fit signe d’entrer :
— Il faut absolument qu’on s’organise une journée entre filles un de ces
quatre : toi, Harlow, Bethy, Della et moi. Même si pour ça on doit prendre
l’avion pour le Texas, affirma Blaire avec détermination.
Je n’avais jamais eu de journée entre filles. Ça devait être sympa.
— Harlow est au bord de la piscine. Grant fait barboter Lila Kate en
compagnie de Rush et Nate. Sortez donc retrouver tout le monde. Pour l’instant
je m’occupe de l’accueil des invités. J’irai poser votre cadeau avec les autres.
Mase remercia Blaire puis posa une main sur le creux de mes reins pour me
guider à travers l’impressionnante demeure des Finlay jusqu’à un magnifique
patio à l’arrière et un escalier qui menait à une piscine sortie tout droit d’un
hôtel de luxe.
Il y avait des convives partout. Certaines femmes étaient en bikini, d’autres
en robes courtes comme moi. Les hommes en maillot de bain ressemblaient
tous à des top models. Je scrutai les visages pour voir si je reconnaissais
quelqu’un d’autre à part Harlow.
Mes yeux se posèrent sur quelqu’un que je ne m’attendais pas à voir ici. En
maillot de bain, il se prélassait sur une chaise longue, arborant un bronzage à
faire pâlir la plupart des autres gars, à croire qu’il vivait sur un bateau. Depuis
la soirée barbecue je me souvenais parfaitement de sa chevelure : brune avec
des mèches, tirée en une queue-de-cheval emmêlée. Même avec sa paire
d’Aviateur je sentais son regard peser sur moi. Qu’est-ce qu’il pouvait bien
foutre ici ?
— Mase, quel plaisir de te revoir, lança une voix féminine.
En me retournant je tombai sur le visage familier de Della Kerrington, que
j’avais déjà rencontrée ; sauf que cette fois-ci, elle portait un nouveau-né
emmailloté dans une couverture bleue.
— Et Reese, ajouta-t-elle avec un sourire sincère qui me mit instantanément
à l’aise. Je suis contente de vous voir.
Mase désigna le bébé d’un mouvement du menton.
— Félicitations. J’ai entendu dire que ce petit gars était né le mois dernier.
Della baissa les yeux sur l’enfant et sourit.
— Oui. Il est arrivé un mois en avance, mais il est parfait, et je ne me
souviens pas d’avoir été aussi heureuse. Il nous complète.
— Comment s’appelle-t-il ? demanda Mase.
— Cruz. Cruz Woods Kerrington.
— C’est cool comme nom, ça me plaît, la complimenta Mase.
— Moi aussi, et félicitations, ajoutai-je.
Della nous sourit chaleureusement.
— Merci à tous les deux. Je reviens te voir plus tard, Reese. Pour le
moment, je dois donner à manger à un petit garçon affamé, s’excusa-t-elle
avant de retourner à l’intérieur.
— Je l’aime bien, observai-je en la regardant s’éloigner.
— Ouep, c’est la meilleure chose qui soit arrivée à Kerrington. Avant elle
ce type était un vrai coureur de jupons, déclara Mase en me gratifiant d’un clin
d’œil.
Je ris et il glissa une main autour de ma taille pour me guider dans
l’escalier qui menait à la piscine. Je jetai un œil à la chaise où j’avais repéré ce
visage familier, mais il avait disparu. Bizarre.
— Regarde comme je saute, papa ! s’écria une petite voix.
Un adorable garçonnet se tenait au sommet d’une cascade en roche
artificielle. Il avait l’air bien trop petit pour être tout là-haut, mais son regard
brillait d’une lueur déterminée.
— Je te regarde. Fais voir, l’incita une voix d’homme du bassin.
Je m’inquiétais trop du bambin pour détacher mes yeux de lui et regarder
son père. Sa mère savait-elle qu’il était tout là-haut ?
Le garçonnet sourit de toutes ses dents d’un air qui me laissa à penser que
c’était un charmeur malgré son jeune âge. Puis il prit son élan, ramassa son
petit corps en boule et effectua deux saltos avant dans les airs avant de plonger
dans l’eau.
Tout le monde l’acclama, moi y compris. J’étais soufflée.
Sa petite tête émergea, rayonnant de fierté. Il était adorable.
— J’t’avais dit que j’en ferais deux, lança-t-il à Grant.
Puis il nagea jusqu’à lui et gratifia ce grand costaud tatoué d’un high five.
Même si Rush Finlay me tournait le dos, je savais exactement de qui il
s’agissait. Je l’avais déjà vu dans des magazines et à la télé. C’était le fils de
Dean Finlay. Il se retourna pour sourire à Grant qui gloussait de rire.
— Ne doute jamais des capacités de mon fils, ironisa-t-il.
Grant secoua la tête en riant. Rush Finlay avait rejoint l’échelle de la piscine
lorsqu’il leva les yeux sur Mase. Si je n’étais pas entièrement amoureuse de
Mase, je serais bien forcée d’admettre que je n’avais jamais vu d’homme aussi
beau. Mais Mase était incomparable. Rush devrait se contenter d’une seconde
place.
— Mase, lança Rush avec un sourire avant de sortir de l’eau.
Je dus détourner les yeux. Même sa manière de sortir de la piscine était
séduisante.
— Il est doué, ton gamin, commenta Mase.
— Un peu ouais, comme son père, répondit Rush.
— Et il aime bien le rappeler à tout le monde, renchérit Grant de la piscine.
Je me tournai enfin vers Rush Finlay. J’étais bien contente qu’il ait une
serviette autour de la taille. Même si elle ne cachait pas les gouttes d’eau qui
ruisselaient sur son torse.
Rush tourna son attention vers moi.
— Reese, fit-il en me surprenant à m’appeler par mon prénom. Ravi de te
rencontrer.
— Ravie moi aussi, parvins-je à marmonner.
Puis il se tourna vers Mase :
— Tu as vu Kiro ?
— Pas encore, répondit Mase en secouant la tête.
— Il est à l’intérieur avec Emily. Il préfère qu’elle ne reste pas trop au
soleil.
Mase écarquilla les yeux.
— Emily est ici ?
Rush passa une main dans ses cheveux courts gorgés d’eau avant de hocher
la tête.
— Ouais. Il ne voulait pas qu’elle rate l’anniversaire de sa petite-fille.
Ça alors. Après tout ce que Mase m’avait raconté sur la mère de Harlow, je
n’aurais jamais pensé que Kiro la laisserait sortir de son centre médical
spécialisé de Los Angeles, ne serait-ce que pour une journée.
— J’imagine qu’il se sent de l’emmener avec lui maintenant que le monde
entier est au courant de son existence, commenta Mase d’un air préoccupé.
— Mon père pense que c’est la dernière année que Kiro enregistre avec
Slacker Demon. Selon lui, Kiro est prêt à quitter le groupe. J’imagine que le
moment est venu pour tous les autres aussi. Après tout, ils sont ensemble
depuis vingt-cinq ans.
— Il est temps qu’ils prennent leur retraite, approuva Mase.
— Le monde de la musique n’est pas de cet avis, pourtant, pondéra Rush.
Mais s’ils sont tous prêts, alors c’est le moment. Je ne suis pas sûr que mon
père en soit là.
La conversation se poursuivit et je tournai mon attention vers les autres. Je
scrutai la piscine et le cabanon à proximité lorsque mes yeux accrochèrent de
nouveau la même paire d’Aviateur. Il était encore en train de m’observer.
Mase

Nous n’avions pas encore vu Harlow, mais nous savions à présent qu’elle
était sans doute en compagnie de ses parents. La présence d’Emily lui était
difficile. Elle avait passé la majeure partie de sa vie avec la certitude que sa
mère était morte. Lorsqu’elle avait découvert qu’elle était vivante, mais
incapable de communiquer ou de faire quoi que ce soit, elle avait eu beaucoup
de mal à gérer. Kiro avait-il seulement pensé aux sentiments de Harlow en
emmenant Emily avec lui ?
Agacé, je cherchai des yeux une personne à qui confier Reese pendant que
j’allais m’assurer que ma sœur allait bien. Si mon père lui gâchait cette
journée, j’allais me mettre en rogne. Ne pouvait-il pas penser à autre chose
qu’à lui-même, pour une fois ?
Je vis Blaire sortir de la maison et touchai le coude de Reese :
— Je vais vérifier que Harlow s’en sort malgré la présence de sa mère. Elle
n’a pas l’habitude et ça m’inquiète. Je te laisse quelques minutes avec Blaire.
Ça te va ?
— Bien sûr, acquiesça Reese.
En nous voyant approcher, Blaire nous rejoignit aussitôt.
— J’allais voir Harlow. Elle n’est pas dehors, et je sais qu’Emily est ici,
donc…
Ma phrase resta en suspens. Je savais que Blaire comprendrait mon
inquiétude. Elle hocha la tête.
— Vas-y. Ça me laisse le temps de faire la connaissance de Reese. On va
discuter autour d’un Mai Tai.
Je jetai un œil à Reese, qui m’encouragea d’un petit coup de coude.
— Ça va aller. File.
La sachant en sécurité, je regagnai la maison pour chercher ma sœur.
Je ne mis pas longtemps à la trouver. Elle se tenait dans la cuisine, les yeux
braqués au mur. C’est ce que je craignais. Harlow n’avait pas besoin de gérer
ce genre de conneries le jour de l’anniversaire de sa fille. Évidemment, c’était
sa mère, mais elle n’avait pas eu beaucoup de temps pour digérer le fait qu’elle
en avait une, et encore moins pour accepter le fait que notre père l’avait
secrètement tenue enfermée à l’écart du monde.
— Harlow, murmurai-je pour ne pas l’effrayer.
Elle se retourna, les yeux brillant de larmes contenues.
— Salut, dit-elle doucement.
— Je vais lui dire de partir. Il n’aurait pas dû te faire ça, assénai-je d’une
voix qui trahissait ma colère.
Elle secoua la tête.
— Non, ce n’est pas ça. Il m’avait prévenue qu’il l’amènerait. C’est plutôt…
ce n’est pas à cause d’elle que je pleure. Mais à cause de lui. Le voir en sa
compagnie me brise le cœur, Mase. Tu ne les as pas vus. Jusqu’à récemment,
j’ignorai tout de cette facette de notre père. Quand il est avec elle, tout prend
son sens. Lui-même prend tout son sens. Elle était tout pour lui, et il l’a perdue
dans des circonstances tragiques. Je le regarde, et je me dis… et si je ne m’en
étais pas sortie ? Et si j’étais morte en salle d’accouchement ? Et si Grant
s’était retrouvé à élever Lila Kate sans moi ? Aurait-il été capable de devenir
ce père aimant et merveilleux qu’il est aujourd’hui, ou aurait-il fait comme
Kiro ? (Elle renifla et essuya ses larmes.) Tu lui en veux terriblement, et je
comprends pourquoi. Je sais qu’il s’est mal comporté avec toi et ta mère. Mais
il était brisé et, pendant un temps, ma mère l’a sauvé, avant qu’il ne la perde. Il
ne sait pas être heureux. Il a perdu l’amour de sa vie.
Je m’apprêtai à répliquer que ce salaud avait des gosses et des
responsabilités, mais je me ravisai en voyant le visage de Reese passer en un
éclair devant moi. Je l’avais trouvée. Elle avait changé mon monde et, même
au bout de si peu de temps, je savais qu’elle représentait tout mon avenir. Et si
je devais la perdre ? Et si elle devait disparaître demain ? Comment ferais-je
face ? Est-ce que j’arriverais seulement à m’en relever ?
— Il est comment avec elle ? m’enquis-je.
J’avais besoin de croire que Kiro pouvait aimer de cette manière. Je voulais
malgré tout que l’homme qui m’avait donné la vie ait des qualités qui rachètent
ses torts. J’avais toujours été persuadé que c’était impossible.
Harlow sourit, les yeux emplis d’émotion.
— Il la traite comme la chose la plus précieuse au monde. Il lui brosse les
cheveux et lui raconte des histoires du passé. Il l’appelle son ange. C’est…
c’est magnifique. J’aurais aimé qu’il ait la chance de vivre sa vie avec elle. Je
pense qu’on aurait tous les deux grandi avec un père totalement différent.
Même Nan serait sans doute différente si ça avait été le cas.
L’amour pouvait-il détruire quelqu’un à ce point ? Je ne m’étais jamais posé
la question, mais plus d’une fois je m’étais demandé si Kiro avait une âme. Je
voyais sa manière de vivre et je me demandais comment ma mère avait pu
faire l’erreur grossière de coucher ne serait-ce qu’une seule fois avec cet
homme.
Mais s’il avait perdu son âme lorsqu’il avait perdu son avenir avec Emily,
alors il n’était plus un tel monstre à mes yeux. Ça le rendait humain – pas le
dieu du rock qu’on connaissait, mais un homme qui avait aimé de tout son être
et perdu cet amour.
— Il nous aime. Il t’aime. Il est fier de toi. Je l’ai entendu parler de toi à
Emily l’autre jour. Apparemment ma mère aussi t’aimait. Il lui racontait que tu
étais devenu un beau jeune homme et qu’elle serait fière du petit garçon qu’elle
avait adoré. Il ne sait pas partager ses émotions, mais Emily est tout pour lui.
Son seul lien avec le bonheur. Je veux qu’elle soit à ses côtés.
Je n’avais jamais entendu Kiro me dire qu’il était fier de moi. Je ravalai la
boule d’émotions qui comprimait ma gorge et hochai la tête.
— D’accord. Dans ce cas viens dehors avec moi. Profite de la fête de ta fille.
Célébrons la vie. La tienne et la sienne.
Harlow sourit et enroula ses bras à ma taille.
— Tu me donnes une autre raison d’aimer papa. Il m’a donné le meilleur
frère au monde.
Mes yeux ne me picotaient pas du tout… O.K., d’accord, un peu quand
même.
Reese

Blaire nous dégota un Mai Tai chacune avant de me guider vers deux
chaises longues. Elle montra du doigt la cascade en roche artificielle :
— Il ne faudrait pas rater le spectacle.
Je tournai mon attention vers la cascade en sirotant ma boisson. Nate Finlay
était de nouveau perché au sommet mais cette fois-ci il tenait la main d’un
homme plus âgé. Même sans voir sa silhouette élancée, je l’aurais reconnu à
son corps musclé recouvert de tatouages et aux bracelets en or à ses poignets.
— Dean Finlay, murmurai-je.
Je savais qu’il serait ici, mais je ne m’attendais pas à le voir comme ça.
— Ouep, fit Blaire d’un ton amusé.
Nate hurla : « Go ! » et ils plongèrent ensemble dans l’eau.
— Il essaie de convaincre Dean de faire des saltos avec lui, mais Dean
refuse. Il a peur de se casser quelque chose.
Je ris en pensant à l’image de Dean en train de faire des pirouettes dans une
piscine.
— C’était ma chaise, interrompit une voix dans mon dos.
Je la reconnus instantanément. Je n’étais pas sûre d’avoir envie de croiser
son regard. Je n’avais toujours pas compris ce qu’il faisait ici. J’attendais que
Mase se rende compte de sa présence et fasse quelque chose, en vain.
— Sois gentil, Captain. Si tu as envie de te joindre à nous, tu peux t’asseoir
là, répliqua Blaire en montrant une chaise de l’autre côté de la mienne.
Captain ? Je croyais qu’il s’appelait River Kipling. Ça ne ressemblait en
rien à Captain.
— Reese, voici mon frère Captain. Il passe son temps à faire le petit malin,
annonça Blaire.
Son frère ? Quoi ?
— Je ne fais pas mon petit malin, sœurette. Je dis juste ce que je pense. Je ne
tourne pas autour du pot. Inutile de gaspiller ma salive.
Blaire émit un petit gloussement avant de lever les yeux au ciel.
— En fait il est sympa une fois qu’on le connaît.
Pour l’avoir déjà rencontré, je n’étais pas d’accord avec le fait qu’il était
sympa. D’autant plus qu’il m’avait menti sur son nom.
— Je… euh.
Fallait-il dire à Blaire que je l’avais déjà vu ?
— Ce qu’elle veut dire, c’est qu’on s’est déjà rencontrés. On était tous les
deux à la soirée organisée par mon nouveau partenaire commercial. Cependant
je me suis présenté sous le nom de River Kipling. (Il se tourna vers moi.) C’est
mon vrai nom. Captain est un surnom.
Blaire écarquilla les yeux en se redressant dans sa chaise :
— C’est vrai ?
Je hochai la tête. J’eus envie d’ajouter qu’il s’était comporté comme un
imbécile, mais me ravisai. J’aimais bien Blaire. Je ne voulais pas insulter son
frère.
— Ton copain a dansé avec sa cousine depuis ? s’enquit Captain, River, ou
quel que soit son nom.
Décidément ce type ne me revenait pas. Je me fendis d’un sourire et secouai
la tête. Même s’ils avaient fait une sortie à cheval et un tour aux enchères de
bovins ensemble. J’avais incité Mase à aller aux deux dans l’espoir qu’Aida
devienne une copine, mais ça n’avait servi à rien. Elle continuait à me fusiller
du regard ou à me gratifier de petits sourires triomphants chaque fois qu’elle
quittait la maison seule avec Mase, comme si elle avait remporté une espèce de
concours. C’était vraiment bizarre.
— Ça ne m’aurait pas gêné de voir ça, commenta-t-il. J’ai posé des
questions sur eux à Hawkins, et il m’a répondu qu’Aida n’était pas vraiment la
cousine de Mase. C’est la nièce de son beau-père, et en plus elle a été adoptée.
On dirait bien qu’elle a des vues sur ton homme.
— Captain, ça suffit. Mase est dingue de Reese. Elle a déménagé à Dallas
pour vivre avec lui. Et il veille sur elle exactement comme Rush veille sur moi.
Ne va pas lui donner matière à s’inquiéter.
J’appréciai les mots de Blaire, mais si Captain disait vrai, alors… était-il
possible qu’Aida ressente plus pour Mase qu’un simple lien familial ? Voulait-
elle plus ? Cette idée me fit grincer des dents. Si c’était vrai, c’était
complètement tordu.
— Tu n’as pas vu sa cousine, insista Captain. Des longs cheveux blonds,
toute en jambes et en belles courbes. Un sacré spectacle.
Quoi encore ? Il essayait de me faire peur ? Pourquoi me détestait-il autant ?
Je ne lui avais rien fait. Il était grossier avec moi depuis le début.
— Et donc, Reese, tu fais quoi au ranch toute la journée ? demanda Blaire
pour changer de sujet.
Je couchais avec Mase, je me baladais, je faisais le ménage, à part ça rien de
spécial. Il fallait que je m’occupe. Je n’aimais pas vivre aux crochets de Mase.
J’avais envie de gagner de l’argent et de décrocher mon diplôme de fin
d’études secondaires. J’avais l’intention d’en parler à Mase à notre retour.
J’avais besoin d’un projet de vie.
— J’ai rendu visite à ma famille à Chicago pendant un mois et depuis mon
retour je passe du temps avec Mase autour du ranch. Je veux trouver un travail.
Je n’ai pas encore commencé à chercher, mais je pensais faire des ménages. Et
j’aimerais reprendre des études.
Je passai sous silence le fait que c’était en vue de passer mon bac, puis de
suivre un programme de formation universitaire en ligne, si j’en avais les
moyens.
— Ça te plaît, les ménages ? s’enquit Blaire.
Pas vraiment, mais pendant longtemps je n’avais pas pu prétendre à autre
chose. Maintenant que je lisais mieux, d’autres options s’ouvraient à moi. Je
m’inquiétais de ma capacité à me concentrer sur ma lecture et mon écriture une
fois sous pression dans le cadre d’un travail.
— Ce n’est pas le boulot de mes rêves, mais je le fais bien. Si je trouve autre
chose, je l’accepterai volontiers. J’ai envie de passer à autre chose.
Blaire sourit.
— Ouais, moi aussi j’avais envie de passer à autre chose quand je
m’occupais des voiturettes à boissons sur le terrain de golf. Je comprends tout
à fait.
— Reese.
La voix de Mase me parvint comme un véritable soulagement. Je levai les
yeux : il se tenait devant moi. Son regard glissa jusqu’à Captain.
— Kipling, c’est ça ? fit-il d’un air perplexe et un peu énervé.
— Colt, c’est ça ? Il paraît qu’en réalité c’est Manning, répliqua Captain en
dévisageant Mase d’un air blasé.
— Mase, voici mon frère Captain, dont le vrai nom est River Kipling,
expliqua Blaire.
— Ton frère ? répéta Mase en la regardant d’un air intrigué.
— Eh oui.
— « Le monde est petit » et toutes ces conneries, commenta Captain.
— Ouais, acquiesça Mase avant de me tendre la main. Merci, Blaire, d’avoir
tenu compagnie à ma chérie. Harlow va bien et ne va pas tarder à sortir pour
profiter de la fête de sa fille.
— Tant mieux, commenta Blaire, visiblement soulagée.
Je glissai ma main dans celle de Mase pour me relever.
— Ça m’a fait plaisir de discuter avec toi, dis-je à Blaire en évitant
soigneusement de croiser le regard de Captain.
Je crus entendre un petit rire grave suite à mon affront manifeste, mais je
l’ignorai.
— Je passerai au ranch la semaine prochaine avec Hawkins pour voir
l’exploitation bovine, lança Captain à Mase.
Ce dernier hocha la tête.
— À la semaine prochaine, alors.
Je voyais bien que je n’étais pas la seule à ne pas apprécier Captain River
Kipling.
Nous traversâmes le jardin et Mase me prit un autre verre. Lorsqu’il se
tourna pour me le tendre, je vis ses yeux se fixer sur quelque chose, ou
quelqu’un, derrière moi.
— Kiro, fit-il simplement.
Kiro. Kiro Manning. J’avais regardé Dean Finlay sauter d’un rocher avec
son petit-fils et maintenant Kiro Manning se tenait derrière moi.
— Content que tu aies pu venir. Harlow voulait que tu sois là, répliqua une
voix grave.
Mase le fusilla du regard avant de rétorquer :
— Je ne laisse jamais tomber ma sœur.
Derrière moi l’homme souffla et Mase se raidit. Je lui caressai doucement
le bras pour tenter de le calmer.
— Tu vas me présenter à ton amie ? s’enquit Kiro.
Mase posa les yeux sur moi et je me retournai enfin pour faire face à son
père. Il était exactement comme sur les photos que j’avais vues de lui, et se
mouvait de la même manière que dans ses clips. Mais il avait abandonné son
fils pendant des années. Je ne pouvais pas le lui pardonner.
— Kiro, voici Reese, ma petite amie. Reese, je te présente mon père, Kiro
Manning.
Kiro me sourit et secoua la tête.
— Ce gars ne présente jamais aucune fille comme sa petite amie. Tu dois
être exceptionnelle.
— C’est, euh, hum… ravie de vous rencontrer.
Kiro eut un petit sourire narquois. Il ressemblait tellement au petit sourire
de Mase que je le dévisageai d’un air fasciné.
— Il faut que j’aille trouver ma petite-fille et voir si je peux la prendre à
Grant suffisamment longtemps pour qu’elle rencontre Emily, affirma Kiro
avant de tourner les talons.
Le départ abrupt de son père ne sembla pas déranger Mase le moins du
monde. Bien au contraire, il me guida d’une main posée sur le creux de mes
reins :
— Allons manger un bout.
Mase

C’était chouette de passer du temps avec ma sœur et ma nièce, et elles


m’avaient manqué, mais j’avais hâte de rentrer au Texas avec Reese. Faire
l’amour sous le toit de ma sœur n’avait pas été très simple, et je voulais Reese
pour moi tout seul ; Harlow n’arrêtait pas de l’accaparer. Je savais que Reese
avait besoin de se faire des copines, parce qu’elle n’en avait jamais vraiment
eu, et je lui souhaitais d’en avoir, mais notre intimité me manquait.
Une fois de retour à la maison, je poussai un soupir de soulagement. Je pris
le sac des mains de Reese et le posai par terre. Je l’attirai tout contre moi.
J’avais été tenté de le faire dans l’avion, mais elle risquait d’être gênée à l’idée
que le steward nous entende, alors je l’avais laissée se pelotonner contre moi
pour dormir.
Mais à présent nous étions dans l’intimité de notre maison et je la voulais
nue.
— Déshabille-toi, fis-je en retirant mon T-shirt.
Reese se mit à rire en me voyant déboutonner mon jean.
— Je ne plaisante pas, bébé. J’ai envie d’être en toi maintenant.
Cette fois-ci elle ne rit pas, mais enleva son haut et sa jupe. Exactement ce
dont j’avais besoin.
— Je ne te laisserai pas sortir de cette chambre avant demain, au bas mot,
l’avertis-je.
Elle mordilla sa lèvre inférieure tout en finissant de retirer sa petite culotte.
Je ne me lasserais jamais du spectacle.
— Prouve-le-moi, me nargua-t-elle.
Je la soulevai pour la balancer sur mon épaule. J’assenai une claque sur ses
fesses et elle poussa un cri perçant. Une fois arrivé dans la chambre, je la
déposai au milieu du lit.
— D’abord on baise, ensuite on joue, lui promis-je.
Reese me gratifia d’un sourire polisson avant de rouler sur le côté pour se
jucher à quatre pattes les fesses en l’air. Je caressai des deux mains ses
rondeurs et l’arrière de ses cuisses.
— Tu voulais baiser ? Alors baise-moi, me provoqua-t-elle.
Ma douce jouait à la coquine. Je prenais carrément mon pied. Je me penchai
par-dessus son corps pour embrasser son épaule.
— Tu veux que je te baise comment, bébé ? Doucement ?
Reese secoua la tête.
— Non. Je veux que tu me baises comme tu en as envie.
Sa réponse était tendancieuse. Mais je commençai par embrasser sa tache de
rousseur, ce qui fit pousser à Reese des petits gloussements. Après quoi je
glissai une main jusqu’à la moiteur de son entrejambe.
— Tu es d’accord pour baiser en premier ? Tu es sûre ? demandai-je en
posant mes lèvres où mes mains venaient de la caresser.
— Oui, Mase. On baise d’abord, répéta-t-elle en poussant un gémissement.
Ses désirs étaient des ordres.
Je me positionnai derrière elle, agrippai ses hanches et me glissai en elle,
lentement d’abord, jusqu’à la pénétrer entièrement. Puis je pris mon plaisir
comme elle me l’avait demandé, mais ce n’est qu’après l’avoir entendue crier
mon prénom sans relâche en tremblant de tout son corps que je m’autorisai à
pousser mon propre cri de jouissance.

Arthur Stout avait rendez-vous avec moi à la grange le jour même. Il avait
appelé la veille pour m’expliquer qu’il voulait faire l’acquisition d’un de mes
quarter horses âgés, le mieux dressé, pour le centre équestre que son épouse
gérait sur les terres du ranch. En temps normal, je n’échangeais que du bétail
avec les Stout, mais parfois sa femme avait besoin d’une monture fiable pour
ses cours. Arthur s’adressait toujours à moi et, en l’occurrence, j’avais deux
chevaux qui pourraient bien faire l’affaire.
J’avais embrassé Reese sous la couette avant de partir. Le soleil n’était pas
encore levé. Ça m’ennuyait de savoir qu’elle resterait la majeure partie de la
journée à la maison, à moins qu’elle ne décide de passer me voir. Elle n’avait
pas besoin de ce genre d’isolement. Aida était partie rendre visite à grand-mère
Colt pendant quelques jours en compagnie de ma mère et j’étais soulagé de ne
pas avoir à gérer tout ce drame pendant que j’essayais de trouver un moyen
d’offrir à Reese une vie bien remplie.
J’aperçus Arthur qui garait sa Ford F-450. J’époussetai la terre de mes
mains et m’approchai du véhicule pour l’accueillir. J’avais bouchonné et
brossé Buttercup et Rose pour qu’il les examine. Les deux auraient quatorze
ans cette année. L’âge parfait pour des débutants.
— Bonjour Mase, me lança Arthur en descendant la colline à ma rencontre.
— Bonjour, répliquai-je en reculant mon chapeau pour mieux le voir.
— C’est déjà l’après-midi pour un rancher, hein mon garçon ? s’exclama-t-
il en riant.
Il n’était que 9 heures du matin, mais il avait raison. On se levait
suffisamment tôt pour que 9 heures ressemble davantage au milieu de journée
des autres gens. Arrivé au sommet de la colline, il jeta un œil au manège et
hocha la tête :
— Beau travail. Les affaires doivent bien marcher pour toi. Je suis ravi de
voir ça.
— Oui, monsieur, les affaires sont florissantes.
— Tant mieux, tant mieux, dit-il en retirant son chapeau pour essuyer la
sueur de son front avec sa manche. Je suis venu voir ces chevaux dont je t’ai
parlé au téléphone, mais j’ai aussi une autre proposition pour toi. L’entreprise
de mon épouse est prospère et elle a besoin d’aide pour toute la partie
administrative du travail : les coups de fil, les mails, et aussi nettoyer la
sellerie, ce genre de choses. (Il ménagea une pause et coiffa de nouveau son
chapeau.) J’ai entendu dire que ta petite amie cherchait un travail. Elle m’a bien
plu, et je pense qu’elle s’entendrait bien avec Piper.
Où avait-il entendu dire que Reese cherchait un travail ? Elle ne m’en avait
pas parlé. En plus, je n’étais pas sûr d’avoir envie qu’elle bosse sur la
propriété des Stout. Pas avec Hawkins dans les parages.
— Je ne suis pas certain qu’elle cherche un travail. Elle ne m’en a pas parlé.
Je ne sais pas d’où vous tenez cette information, elle a plutôt envie de
reprendre ses études. Mais j’apprécie l’offre.
Arthur eut l’air déçu. Il hocha la tête :
— Compris. Je voulais juste vérifier. Piper a eu d’autres femmes en
entretien, mais elles étaient… plus âgées et elles l’ont traitée, euh, comme,
euh… disons que ça n’a pas fonctionné. Elle a besoin de quelqu’un de son âge.
J’acquiesçai d’un mouvement de tête. Mais je n’allais pas le laisser
entretenir cette idée.
— Vous êtes prêt à voir les championnes ? m’enquis-je en gagnant l’écurie.
Reese ne cherchait pas de travail. Sinon elle m’en aurait parlé, non ?
Reese

Je retapai les coussins du canapé une dernière fois avant de me remettre à


faire les cent pas dans le salon. J’avais passé la journée à faire le ménage en
réfléchissant à la manière d’annoncer à Mase que je voulais un travail. Je
voulais également passer mon examen et suivre un cours d’études supérieures
en ligne, mais pour faire tout ça, il me fallait un revenu régulier.
Rester enfermée toute la journée n’allait plus être possible. Même avec la
pause déjeuner de deux heures de Mase, j’avais besoin de m’occuper.
Annoncer à Mase que je voulais gagner de l’argent et me débrouiller de
manière indépendante n’était pas une mince affaire. Je sentais que ça pouvait
mal se passer. Il risquait de faire son homme des cavernes et d’insister pour
subvenir à mes besoins. Il fallait que je m’y prenne différemment. En insistant
sur le fait que j’avais besoin d’avoir un objectif. Je voulais sortir dans le
monde et faire quelque chose.
Mase était raisonnable. Il allait comprendre où je voulais en venir.
Avant que ma nervosité ne grimpe encore d’un cran, la porte s’ouvrit et
Mase entra. Il était sale, en sueur, et très sexy. J’adorais avoir mon cow-boy
attitré. À part son sourire radieux, il ne me fallait rien de plus, si ? Son sourire
semblait éclipser tout le reste. Avais-je réellement envie de le contrarier ?
Avais-je envie d’entamer une discussion ou de me lover dans ses bras et de
parler d’autre chose ? De choses qui lui faisaient plaisir.
Oui… non… argh ! Il fallait que je lui parle. Que je prenne le sujet à bras-le-
corps. C’était ma vie. Notre vie. Je devais trouver ma voie.
— Je veux trouver un travail, bafouillai-je de peur de ne jamais trouver le
courage de le dire. Je veux trouver un travail et passer mon diplôme et suivre
des cours en ligne.
Voilà. C’était dit.
Mase me dévisagea en silence. J’avais peur qu’il ne me pense ingrate ou
mécontente. Ce n’était pas le cas. Je l’aimais. J’adorais être avec lui. Mais
j’avais besoin d’autre chose que de rester constamment à la maison.
— Tu veux un travail ? répéta-t-il. Tu en as parlé à qui ?
Je secouai la tête.
— Personne à part toi.
Je ne pensais pas l’avoir mentionné à quiconque. À moins que je n’en aie
parlé à Blaire, ou Harlow ? Impossible de me rappeler.
— Pour quoi faire ?
— Je veux gagner de l’argent. Je ne veux pas que tu finances mes études
et… (je tendis les mains en avant) et tout le reste. Je veux participer. Rester ici
toute la journée… ça ne sert à rien. J’ai besoin de travailler. J’ai besoin de
décrocher mon diplôme.
Mase poussa un soupir et posa les mains sur les hanches, les yeux rivés sur
ses bottes. Il était contrarié. Je l’avais contrarié. Exactement ce que je voulais
éviter. Je m’apprêtais à lui présenter mes excuses lorsqu’il releva les yeux sur
moi.
— O.K. Je comprends. Est-ce que ça te tenterait de répondre au téléphone et
aux mails et de nettoyer des écuries ?
Quoi ? Il essayait de me donner du travail ? Ce n’est pas ce que j’avais en
tête. Il n’avait pas besoin de moi. Il créait un poste pour moi. Or j’avais besoin
de prendre davantage mon autonomie. J’avais besoin de cette certitude.
— Non, Mase. Tu ne peux pas créer un poste pour moi. Tu n’as pas besoin
d’aide. Je veux trouver un boulot à l’extérieur et rapporter de l’argent à la
maison.
Un petit sourire se dessina sur ses lèvres.
— Ce ne serait pas pour moi.
— Hein ?
Il retira ses bottes pleines de boue et les déposa près de la porte d’entrée
avant de se diriger sur moi.
— Piper, la femme d’Arthur Stout, donne des leçons d’équitation dans leurs
écuries. Elle cherche une assistante. Arthur m’a proposé le poste pour toi
aujourd’hui.
Il prit ma main dans la sienne comme s’il tenait un trésor inestimable.
— Il faudrait répondre au téléphone et prendre des notes. Donc écrire. Il
faudra réceptionner les e-mails et en rédiger. Je n’ai pas parlé de ta dyslexie à
Arthur. C’est à toi d’en parler à Piper si tu veux ce travail. Je pense que tu en es
capable. Je suis persuadé que tu peux devenir la meilleure assistante du monde
entier. Mais j’ai besoin de savoir si tu en es convaincue toi aussi.
Un boulot qui ne nécessitait pas de nettoyer des toilettes. Un travail
d’assistance. Dans un bureau. Ouah. C’était au-delà de mes espérances.
— Je lui en parlerai, le rassurai-je. Oui, ça m’intéresse. Ce serait un super
boulot à mettre sur mon CV.
— Je suis bien d’accord. Et je pense que tu es à la hauteur. Je déteste l’idée
de te savoir partie toute la journée, mais je veux que tu sois heureuse. Je veux
que tu aies tout ce dont tu rêves dans la vie.
Et moi je le voulais lui. C’était lui le plus important. Mais je voulais d’autres
choses aussi. C’était la première étape vers mon autonomie. J’enroulai mes
bras autour de sa nuque et l’attirai contre moi.
— Merci. Merci mille fois.
Mase m’embrassa les cheveux.
— Ne me remercie pas de vouloir te rendre heureuse. J’ai l’intention de te
garder ici. Je ferai ce qu’il faut.
Je souris en posant la tête contre sa poitrine.
— Je suis crade, dit-il en me caressant les cheveux.
— Ça m’est égal. Je t’adore comme ça. Mon cow-boy sexy.
Mase gloussa de rire.
— Cow-boy sexy, c’est ça ? (Je hochai la tête et il resserra son étreinte.) Si
je nous faisais des sandwichs avant de prendre une douche en ta compagnie
pour que ton cow-boy soit propre comme un sou neuf ?
Je reculai pour lui sourire.
— Quelle sorte de copine passerait ses journées à la maison sans préparer
le dîner ?
— Je n’ai rien senti, dit-il en regardant en direction de la cuisine.
— Parce que le poisson est enrobé de sa pâte et attend de passer à la friture
pour que tu le manges bien chaud, tout comme les beignets de maïs. Prépare-
toi un thé glacé. J’en ai à peine pour dix minutes. La salade de chou est prête
dans le frigo.
Son visage s’éclaira.
— Sérieusement ? Du poisson pané ? C’est super ! Je me lave les mains et je
mets la table.
Je passai un doigt sous son T-shirt poussiéreux.
— Si tu allais plutôt te doucher pour être tout propre pour le dîner ?
— Une douche avec toi ça me botterait plus, répliqua-t-il avec une moue qui
me donnait envie de le suivre.
— Tu profiteras mieux du dîner après une douche. On pourra toujours faire
des trucs cochons après manger.
— Continue comme ça et on ne va pas manger du tout.
Je courus dans la cuisine en riant pour m’occuper du poisson avant que
Mase ne s’occupe de moi.
— Très bien. Mais dans ce cas on fait des trucs cochons après. Tu l’as
promis.
Je le gratifiai d’un immense sourire avant de faire chauffer l’huile.

Comme à son habitude, Mase était parti tôt ce matin-là, mais il revint aux
alentours de 8 h 30 pour me réveiller. Piper avait été ravie d’apprendre que
j’étais intéressée par le poste. Elle m’attendait vers 11 heures. Heureusement,
elle ne vivait pas au rythme du ranch. Elle aimait bien dormir.
Mase m’embrassa et m’assura que j’allais très bien m’en sortir. Il viendrait
me chercher vers 10 h 40 pour m’accompagner au rendez-vous. Je n’avais pas
de voiture et en plus je n’étais pas sûre de me repérer dans les environs. Voilà
une autre question à laquelle je n’avais pas pensé. Comment faire pour me
rendre au travail tous les jours ? Car cette fois-ci je ne pourrais pas y aller à
pied.
Mase

Je n’avais pas pu me résoudre à déposer Reese et repartir aussitôt. Je


ressentais le besoin d’être avec elle quand elle rencontrerait Piper. Et puis
j’avais envie de lui tenir la main pendant tout le foutu entretien, mais c’était
impossible. Reese devait prouver à Piper qu’elle était à la hauteur et, si je lui
tournais autour à la bichonner, ça n’allait pas beaucoup l’aider.
À notre arrivée, Piper avait accueilli Reese d’un sourire sincère et s’était
montrée très amicale. Elle avait dû voir ma réticence à m’en aller, car elle
s’était tournée vers moi en me certifiant que Reese était entre de bonnes mains
et qu’elle m’appellerait plus tard. J’avais saisi l’allusion et j’étais parti.
J’étais rentré au ranch à contrecœur. Le pick-up de ma mère était dans
l’allée, ce qui voulait dire qu’Aida était de retour. Mais celui de Major était
garé juste à côté. Cela faisait au moins deux mois que je ne l’avais pas vu. Je
gagnai la maison. Il me fallait du thé glacé ou quelque chose dans ce goût-là
pour me changer les idées.
J’ouvris la porte moustiquaire, traversai la véranda puis la petite entrée qui
menait directement à la cuisine. Major était attablé devant une assiette pleine de
petits pains et de sauce de viande. Aida était assise en face de lui avec son air
renfrogné. Je jetai un œil à ma mère, qui s’affairait aux fourneaux devant ce
qui fleurait bon le bacon.
— C’est un peu tard pour un petit déjeuner, non ? lançai-je en retirant mon
chapeau pour l’accrocher au portemanteau à côté de la porte avant que ma
mère ne fasse des histoires.
Trois paires d’yeux se tournèrent vers moi.
— Son chouchou est à la maison. Faut bien qu’elle me nourrisse, plaida
Major avec un sourire niais.
Parfois je me demandais s’il était vraiment sérieux.
— Oh, arrête. Mais oui, Major est ici et il avait l’air affamé. Je sais
comment m’y prendre pour le remplumer, fit valoir ma mère.
Major avait exactement la même tête que la dernière fois que je l’avais vu. Il
n’était en aucun cas affamé.
— Mais bien sûr, ironisai-je en levant les yeux au ciel. Et ton deuxième
chouchou, il peut en avoir lui aussi ?
Je m’approchai de ma mère pour l’embrasser sur la joue, et elle me serra
les épaules du mieux qu’elle put.
— Tu es toujours mon numéro un, et tu le sais. Assieds-toi que je te
nourrisse, toi aussi. Et je veux tout savoir sur le nouveau travail de Reese.
— Reese a un travail ? s’exclama Aida les yeux ronds comme des
soucoupes.
— Tu l’as déjà mise au turbin ? Sérieux, mec, c’est quoi ton problème ? Une
femme comme ça est faite pour rester au pieu toute la journée. Aux petits
soins, commenta Major d’un air entendu.
— Major Colt, ça suffit. On ne parle pas comme ça à ma table, gronda ma
mère d’une voix sévère.
Il me gratifia d’un clin d’œil et plissa les lèvres pour envoyer un baiser à
ma mère avant d’avaler une nouvelle bouchée. Comme toujours, ma mère rit à
ses bouffonneries. Si ça avait été moi, je me serais déjà pris une gifle.
— Reese voulait un travail. Je ne l’ai pas obligée. Et Piper Stout lui en a
proposé un qui devrait lui plaire.
Major fronça les sourcils avant de siroter une gorgée de thé.
— Elle va bosser chez les Stout ?
Je hochai la tête.
— T’es complètement con… Enfin, je veux dire…
Il s’interrompit et leva les yeux sur ma mère qui le fusillait du regard.
— Je pense que Piper et elle s’entendront très bien.
Major haussa un sourcil.
— Je ne parlais pas de Piper. Tu te souviens de Hawkins, non ?
C’était ma grosse inquiétude, mais je faisais confiance à Reese. La question
n’était pas là. C’est juste que je ne voulais pas que Hawkins fasse quoi que ce
soit qui la mette mal à l’aise.
— S’il dépasse les bornes, je m’en occuperai. Mais je ne peux pas la garder
enfermée à l’écart du monde. Elle a besoin de vivre sa vie.
Major haussa les épaules, puis se remit à manger.
— Peu importe. Mais mec, ta meuf est canon.
Aida émit un petit rire, comme si elle trouvait le commentaire de Major
amusant. Major et moi nous tournâmes vers elle.
— Quoi ? Tu ne trouves pas ? l’interrogea Major.
Il était toujours en train de se prendre le bec avec Aida. En grandissant,
autant j’avais été le cousin adoré, autant Major avait été le cousin avec qui elle
se bagarrait tout le temps.
— Elle est grosse. Tu as vu ses fesses ? Ne le prends pas mal, Mase. C’est
juste que tu pourrais faire mieux, fit valoir Aida en me regardant avec un
sourire faussement désolé.
— Aida ! Reese n’est pas grosse. Je n’arrive pas à croire que tu puisses
avoir des mots si durs, riposta ma mère en lui jetant un regard désapprobateur.
Aida haussa les épaules.
— Désolée, je ne veux pas être méchante, mais elle est… elle est un peu trop
ronde.
Major éclata d’un rire sonore.
— Je suis tellement content d’être rentré. Personne ne m’a dit que j’étais en
train de rater ça, commenta-t-il en gloussant.
— Le fait est que le postérieur de Reese est ce qui a attisé mon intérêt en
premier lieu. Il est parfait, et il est à moi. Je ne veux plus jamais t’entendre la
critiquer. Tu m’as bien compris ?
Aida ouvrit les yeux tout grands et je me rendis compte que je ne lui avais
encore jamais parlé si durement. Mais elle avait commis une erreur. La cruauté
n’était pas acceptable. Si elle jouait ce petit jeu avec Reese j’allais me retourner
contre elle.
Major cessa enfin de rire.
— Reese a un corps de star du porno, Aida. Toi tu as le corps d’une top
model. Les femmes veulent ton corps. Les hommes celui de Reese. C’est aussi
simple que ça. Mais te voir si horriblement jalouse n’a pas de prix.
— Je ne suis pas jalouse ! se raidit Aida.
— Ne compare pas le corps de ma femme à celui d’une actrice de porno,
sinon on va devoir continuer cette discussion à l’extérieur de la cuisine de ma
mère et je me chargerai personnellement de te faire taire, sommai-je Major.
— Je ne suis pas jalouse d’elle ! insista Aida.
— Je faisais simplement une comparaison. C’est la meilleure qui m’est
venue à l’esprit, expliqua Major avec un haussement d’épaules.
— Arrête, ordonnai-je avant qu’il ne dise quelque chose d’impardonnable.
— Mase est mon cousin ! Pourquoi je serais jalouse de sa copine ? cracha
Aida avec colère.
Major tourna son attention vers Aida.
— Parce que tu as toujours été jalouse de toutes les personnes qui ont
détourné son attention de toi, qu’il s’agisse de moi, de Harlow, ou, merde
alors, d’un foutu canasson. Parce que depuis que tu as seize ans, que tes
hormones font effet et que tu t’es rendu compte qu’il n’y avait pas une goutte
de sang commun entre vous deux, tu es obsédée par Mase. Lui ne le voit pas,
parce qu’il ne te voit pas comme ça. Mais moi je le vois. Tu ferais tout et
n’importe quoi pour décrocher son attention. Le problème, c’est que tu n’as
pas de vision d’ensemble. Il te voit comme sa cousine et rien de plus.
Quoi ? D’où Major sortait-il tout ça ? Aida ne pensait pas à moi comme ça.
Aida se leva et sortit en courant de la cuisine sans dire un mot. Qu’est-ce qui
se passait, bordel ?
— Il fallait que quelqu’un crache le morceau, conclut Major avant de
s’adosser à sa chaise pour siroter son thé sucré.
— Je vais voir comment elle va, annonça ma mère en éteignant la
cuisinière. Servez-vous en bacon, tous les deux.
Ma mère passa la porte pour rejoindre Aida.
— T’en savais rien, pas vrai ? s’enquit Major.
Savoir quoi ? Qu’Aida ressentait un truc pour moi ? Mais non, merde !
— Je pense que tu te goures, répliquai-je.
— Que nenni, répliqua-t-il en rigolant. Ta mère m’a corrigé ou réprimandé
? Non. Elle a rejoint Aida. Elle aussi sait que j’ai raison. On l’a tous vu. Sauf
toi.
Merde. Mais qu’est-ce que j’étais censé faire de ça ? Je savais qu’Aida était
différente depuis que j’avais ramené Reese à la maison. Mais quand Aida
n’était pas dans les parages, je ne me préoccupais pas d’elle comme je pouvais
le faire avec Harlow. Nous n’étions pas aussi proches.
— Elle voulait tout le temps faire des choses avec toi et toi seulement. «
Emmène-moi danser, Mase. » « On va se promener à cheval, Mase ? » « Un
garçon m’a brisé le cœur, serre-moi dans tes bras, Mase. » C’était ridicule
toutes ces conneries, mais tu le faisais quand même sans jamais te rendre
compte de ce qu’elle avait en tête.
Je ne répondis rien, parce que… j’avais bien peur qu’il ne dise vrai.
— Merde alors, c’est une bonne chose qu’elle en ait eu après toi. Si ça avait
été moi, je l’aurais sautée. Je n’ai aucun sens moral. En plus, elle a été adoptée,
alors je ne suis pas vraiment de sa famille moi non plus. Et elle a une sacrée
paire de jambes.
Je secouai la tête et me levai. Je ne pouvais pas rester assis à écouter ça.
J’avais besoin d’être seul. De trouver la manière de lui parler à partir de
maintenant. Elle avait rendu les choses bien inconfortables. Il fallait qu’elle
rentre chez elle à présent. Je ne pouvais plus la savoir dans les parages en
présence de Reese. Pas avec tout ce merdier dans sa tête.
Reese

— Ton amoureux est un beau spécimen. C’est assez sexy de le voir en


homme des cavernes protecteur avec toi, observa Piper en me faisant un clin
d’œil.
Elle portait un jean moulant, des bottes d’équitation marron et une chemise
en flanelle nouée à la taille, dévoilant son ventre plat.
— Voici le bureau où tu travailleras, dit-elle en montrant une grande porte
de grange. Allons bavarder à l’intérieur.
— O.K., acquiesçai-je en me dirigeant vers le bureau.
J’étais nerveuse. Depuis que Mase m’avait lâché la main pour rentrer à la
maison, mon cœur battait la chamade et j’avais la gorge serrée. J’y étais :
c’était l’occasion de décrocher un boulot qui pourrait vraiment m’aider à aller
de l’avant.
La porte s’ouvrit et je pris un instant pour contempler les lieux. Le plafond
était en poutres apparentes, orné de grosses ampoules à filament style Edison
accrochées à de longs câbles qui jetaient une lumière flatteuse. Une
bibliothèque occupait le mur du fond tandis que trois grandes armoires à
dossiers paraient le pan gauche de la pièce. Un ordinateur avec un écran
immense trônait sur une table en bois blanchie à la chaux. Deux fauteuils de
cuir marron étaient séparés de l’autre côté du bureau par un petit tonneau qui
faisait office de table basse.
Piper prit place dans l’un des fauteuils et me fit signe de m’asseoir dans
l’autre.
— Donc, fit-elle en croisant les jambes. Mase a informé Arthur que tu
n’avais aucune expérience avec les chevaux ni le type de travail que je pourrais
exiger. En revanche, il a précisé que tu travaillais dur et qu’à son avis tu
pouvais tout faire quand tu t’attelais à la tâche. Mais j’ai envie d’en savoir plus
sur toi. De ce que tu penses être capable de faire. De ce que tu souhaites faire.
On y était. Il fallait que je lui parle de ma dyslexie. Inutile d’aller plus avant
si c’était un problème pour elle. Je serrai le poing sur mes genoux et pris une
profonde inspiration. Il n’y avait aucune honte à avoir. Je n’étais pas stupide.
J’avais appris à lire, et j’avais fait des progrès en écriture depuis que Mase
avait commencé à m’apprendre.
— Tout d’abord, il faut que je te dise que je suis dyslexique. (Je poursuivis
sans lui laisser le temps de répondre :) Avant de rencontrer Mase je ne savais
ni lire ni écrire. Il est arrivé dans ma vie et m’a aidée à identifier le nœud du
problème, puis à trouver un soutien. Je lui fais la lecture chaque jour, de même
que j’écris chaque jour dans mon journal, que Mase lit pour vérifier
l’orthographe. J’ai travaillé dur pour en arriver où je suis. Cependant, dans une
situation tendue, quand je me sens sous pression, je suis susceptible de mal
orthographier des mots, voire de rester pétrifiée, incapable d’écrire. Je
comprendrais si cela était incompatible avec ce que tu recherches. Cependant,
j’ai très envie de décrocher ce travail et je ferai tout mon possible pour te
satisfaire.
Piper resta silencieuse.
Je m’évertuai à ne pas trop me tordre les mains. J’étais nerveuse, encore
plus que d’habitude. Même si j’avais appris à vivre avec.
— Ce poste exige en effet beaucoup de lecture et d’écriture. Cependant, de
ce que je viens d’entendre, je pense qu’une employée motivée qui ne prend rien
pour acquis est la meilleure qui soit. J’aurai besoin que tu répondes au
téléphone, que tu prennes des notes, que tu répondes aux e-mails, et puis que tu
m’aides à la sellerie et à nettoyer les écuries. Si tu es prête à relever le défi, je
suis ravie de t’offrir le poste. J’aime les battantes, Reese Ellis, et tu m’as tout
l’air d’en être une.
Je sentis les larmes me picoter les yeux, mais je les ravalai aussitôt. Une
vague de soulagement me submergea, et je souris. C’était sans doute un de ces
immenses sourires nunuches, mais ça m’était égal. J’avais décroché le poste.
Moi. J’avais réussi.
— Merci, fis-je.
J’aurais aimé trouver les mots pour lui dire à quel point j’étais
reconnaissante.
Piper se pencha vers moi pour me tapoter le genou.
— Ne me remercie pas tout de suite. Tu peux encore détester le boulot, mais
j’espère bien que ce ne sera pas le cas.
Certainement pas, j’allais adorer. Parce que c’était quelque chose que j’avais
réussi toute seule.
Assise à mon bureau, seule, je cochai la troisième entrée sur la liste posée
devant moi. Piper avait tout passé en revue avec moi avant de me laisser une
liste de choses à faire dans la journée. Après son départ, j’avais poussé un
énorme soupir de soulagement. J’arrivais bien mieux à lire et à écrire quand
j’étais seule. Je pouvais me concentrer à cent pour cent.
Le point suivant de la liste m’indiquait de répondre aux e-mails. Les cours
d’équitation que proposait Piper provoquaient un engouement certain. J’avais
déjà reçu quatre coups de fil à ce propos. Lorsque j’ouvris la boîte mail, huit
messages de demande de renseignement m’attendaient.
J’étais plongée dans la lecture du premier lorsque la porte s’ouvrit après un
coup sec. Je levai les yeux en m’attendant à découvrir un visage familier, et
certainement pas celui qui se tenait devant moi, que je n’avais aucune envie de
voir. Ses cheveux emmêlés éclaircis par le soleil étaient tirés en arrière et
recouverts d’une casquette de base-ball à l’envers.
— Tu as décroché le poste, fit-il avec un sourire suffisant.
Comment était-il au courant ? Je hochai la tête en silence.
Captain pénétra dans le bureau avec un petit rire.
— Ça te plaît ? s’enquit-il comme s’il avait tous les droits de se planter dans
la pièce.
Je hochai à nouveau la tête.
Son sourire s’agrandit et une fossette se creusa sur son visage.
— Ton silence est un défi, Reese ? Parce que j’adore ça, les défis.
Purée, ce type avait décidé de me rendre dingue.
— En fait c’était une allusion pour que tu t’en ailles.
Captain me gratifia d’un sourire, s’approcha d’un des fauteuils en cuir et se
laissa tomber dedans. Il étira ses longues jambes qu’il croisa à hauteur des
chevilles.
— On m’a dit d’attendre Piper ici. Elle est avec un client. J’ai besoin d’une
signature pour des papiers et Arthur est à Austin pour la journée. C’est Piper
qui signe lorsqu’il est absent.
Super. J’ignorais que de voir Captain… River… ou quel que soit le nom
que j’étais censée lui donner faisait partie de ma description de poste.
Je tournai mon attention sur l’écran de mon ordinateur. Mais je sentais son
regard peser sur moi. J’avais du mal à me concentrer. On aurait dit qu’il tentait
de mémoriser le moindre de mes traits.
— Ton homme traîne toujours avec sa cousine ?
Je me raidis. Pourquoi s’obstinait-il à vouloir me faire croire que quelque
chose entre eux n’allait pas ? Je savais que Mase m’aimait. Je savais aussi qu’il
ne ressentait rien pour Aida. Même si l’inverse n’était pas forcément vrai.
— Non, mais ça ne te regarde pas.
— J’avoue que non. Mais j’aimerais être dans les parages le jour où il foire.
Il a quelque chose que je veux.
À l’écran, les mots se brouillaient et mon cœur se mit à battre à tout rompe.
De quoi parlait-il ? Mase avait quelque chose qu’il voulait ? Moi ? Il parlait de
moi ? Non. Il aimait me contrarier. Il ne flirtait pas avec moi. C’était juste un
pauvre con.
— Tu vas devoir attendre un moment. Mase ne commet pas d’erreur. C’est
l’homme le meilleur que je connaisse, rétorquai-je en fixant les mots distordus
à l’écran.
— Personne n’est parfait, chérie, lâcha-t-il d’une voix traînante.
Je n’appréciais pas qu’il m’appelle chérie. Et je détestais qu’il insinue que
Mase puisse faire des erreurs. Ou quoi que ce soit pour me faire du mal. Il
n’était pas comme ça. Ce n’est pas parce que Captain River Machinchose était
un abruti que tous les hommes étaient comme lui.
— Mase est parfait, répliquai-je d’une voix sèche.
Il ne répondit pas immédiatement et je tentai de prendre une profonde
inspiration et de me reconcentrer sur les mots. De faire comme s’il n’était pas
là.
— Il t’a sauvée ? C’est pour ça que tu lui fais confiance à ce point ? Tu avais
besoin d’un sauveur et il est arrivé pile poil au bon moment. C’est ça ?
Oui, il m’avait sauvée. Il m’aimait. Mais ça ne le regardait pas.
— Il a changé mon monde.
Captain poussa un soupir qui attira mon attention. Il se leva. J’espérais qu’il
allait partir. J’avais du travail. Il était en train de semer la pagaille.
— Moi aussi je peux changer ton monde, chérie. Mais j’attendrai mon tour,
affirma-t-il avant de passer la porte sans rajouter un mot.
Je gardai les yeux rivés sur la porte dans un mélange d’incrédulité, de
confusion et de colère. Il se prenait pour qui ? Et pourquoi s’intéressait-il à
moi ? Il ne pouvait pas se pointer dans une pièce et claquer les doigts à la
première fille venue. Qu’il se trouve quelqu’un d’autre.
Mase

Le sourire qui illumina le visage de Reese lorsque j’ouvris la porte du


bureau fit instantanément disparaître le manque et l’inquiétude. La voir sourire
de la sorte, assise derrière son beau bureau, valait tous les désagréments. Elle
était heureuse.
— J’ai réussi. Je suis allée au bout de toute ma liste, annonça-t-elle d’une
voix pleine de fierté.
Je m’approchai d’elle tandis qu’elle se levait pour attraper son sac à main.
Je l’attirai dans mes bras et inspirai son parfum avant de poser mes lèvres
sur les siennes. J’avais besoin de la goûter avant de prendre la route du retour.
Ses mains s’agrippèrent à mes bras. J’adorais quand elle faisait ça. Comme si
elle avait besoin de se tenir à moi.
Lorsque j’eus suffisamment rechargé mes batteries, je déposai un ultime
baiser sur ses lèvres et reculai pour contempler son visage.
— Je suis très fier de toi.
Elle rayonnait.
— Moi aussi je suis fière de moi.
Voilà. C’est tout ce dont j’avais besoin. Je concrétiserais tout ce dont elle
rêvait pour entendre ces mots sortir de sa bouche. Elle avait de quoi être fière.
Plus jamais je ne voulais la voir douter d’elle-même.
— On rentre ? demandai-je.
— Oui, approuva-t-elle en glissant son sac par-dessus son épaule.
Je posai une main sur le creux de ses reins. Nous franchîmes la porte,
qu’elle verrouilla avec une clé toute neuve avant de me lancer un coup d’œil.
— Piper a terminé plus tôt. Elle m’a dit qu’on se verrait demain, pas besoin
de lui dire que j’ai quitté le bureau.
Tant mieux. Plus tôt on arriverait à la maison, mieux ce serait.
Sur le chemin du retour, nous discutâmes de sa journée et de tous les e-
mails et appels téléphoniques qu’elle avait reçus. Elle était très enthousiaste,
comme si elle avait adoré chaque minute. Je laissai sa joie repousser mes
propres pensées sur la journée que j’avais traversée. Aida était restée
introuvable. Ma mère disait qu’il fallait lui laisser digérer la situation, qu’il
était temps qu’Aida passe outre le béguin qu’elle avait pour moi. Que Major ait
abordé le sujet était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Il fallait qu’elle
lâche prise et qu’elle aille de l’avant.
En attendant, je m’inquiétais de savoir où Aida avait bien pu aller. Elle était
jeune et naïve et susceptible de faire des bêtises. Le simple fait qu’elle craquait
sur moi en était la preuve. Je ne voulais pas qu’il lui arrive quelque chose à
cause de ça. Je m’en voudrais toute ma vie.
Lorsque nous arrivâmes dans l’allée, le pick-up d’Aida nous attendait.
J’allais visiblement devoir régler la question plus tôt que prévu. Mais je ne
voulais pas que Reese ait vent de notre conversation. Aida était assise la tête
posée sur le volant comme si elle pleurait. Super.
Je me garai puis jetai un œil à Reese qui regardait Aida fixement. Je ne
voulais pas qu’elle sache qu’Aida avait des sentiments pour moi. Il fallait que
j’y mette un terme afin qu’on puisse aller de l’avant. Il me fallait préserver les
émotions de Reese et la protéger avant toute chose.
— Il faut que je lui parle. Elle traverse une passe difficile et je suis le seul à
pouvoir l’aider à avancer, expliquai-je.
Je mourais d’envie de rentrer dîner avec Reese, puis de profiter d’un long
bain avec elle avant de me glisser sous la couette pour qu’elle nous fasse la
lecture. Mais ça n’allait pas être possible ce soir. Il fallait que je règle cette
affaire une bonne fois pour toutes.
— O.K. Je vais nous préparer le dîner.
Reese m’avait répondu d’une voix un peu lointaine, mais je m’imaginais
sans doute des choses. Je me penchai pour l’embrasser avant de descendre du
pick-up.
Reese sortit avant que j’atteigne sa portière.
— Va faire ce que tu as à faire, dit-elle en gagnant l’escalier sans se
retourner.
Ça ne ressemblait pas à Reese. Elle devait être fatiguée et avoir hâte de
rentrer. J’avais envie de la suivre. Merde, cette situation était vraiment foireuse.
Je m’approchai du pick-up d’Aida dont j’ouvris la portière conducteur.
— Pousse-toi, c’est moi qui conduis, ordonnai-je tandis qu’elle levait vers
moi son visage baigné de larmes.
Elle ne protesta pas. Elle se glissa de l’autre côté et je pris place derrière le
volant.
— Attache ta ceinture, ajoutai-je comme elle ne bougeait pas.
Je sortis de l’allée pour regagner la route principale. Il fallait qu’on parle,
mais j’allais le faire en conduisant. Je ne voulais pas me retrouver à la
regarder dans le blanc des yeux.
— Parle, Aida. Arrête de pleurer et parle-moi.
Elle renifla, puis s’essuya le visage.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Major a déjà tout expliqué.
Eh bien au moins ça avait le mérite d’être clair.
— C’est quoi ce bordel, Aida ? Sérieux ? Comment on en est arrivés là ?
Elle poussa un soupir tremblotant.
— Tu étais… tu es tout pour moi, Mase. Ça a toujours été comme ça. Tu es
là quand j’ai besoin de quelqu’un. On s’amuse bien. On rigole. On va bien
ensemble. Je ne vois pas comment tu fais pour ne pas t’en rendre compte.
Elle… elle ne va pas bien avec toi. Moi si. Je te connais tellement mieux
qu’elle.
Nom de Dieu. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Je me sentais pris
au dépourvu.
— Tu es ma cousine, Aida. Merde, on se voyait deux fois par an quand on
était gamins. Ce n’est pas comme si on était inséparables. À t’entendre on
faisait tout ensemble. Je ne vois pas comment tu as pu échafauder tout ça dans
ta tête. Je ne t’ai jamais donné la moindre raison de penser qu’il y avait quelque
chose entre nous, maintenant ou avant. On ne se voit quasiment jamais.
Aida poussa un soupir.
— Tu ne le vois pas. On a toujours eu ce lien. Je le sens. Je sais que toi
aussi. Reese a tout foutu en l’air. Tu crois l’aimer. C’est juste que tu as oublié
ce qu’on avait toi et moi.
Oui, j’aimais Reese. Je l’aimais comme un fou. Elle était tout pour moi. Et
ça n’était pas près de changer.
— Aida, Reese représente tout ce dont j’ai toujours rêvé sans même le
savoir. Te convaincre comme tu le fais qu’il y a, ou qu’il y a eu, quoi que ce
soit entre nous ne sert à rien. Tu as toujours été jalouse de l’attention que je
portais aux autres. Je le savais. Mais nous étions des gamins, et tu étais
difficile. Je n’y faisais pas attention. Aujourd’hui ça ne peut pas continuer.
Reese est la personne la plus importante de toute ma vie.
Aida poussa un nouveau sanglot.
— Pourquoi ça ne peut pas être moi ? Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ?
Pourquoi je ne peux pas être à sa place ? Je dois faire quoi pour gagner ton
amour ?
Nom d’un chien.
— C’est impossible. Ça ne marche pas comme ça. Reese est unique à mes
yeux. Un jour tu rencontreras un gars qui sera pareil pour toi, et personne ne
lui arrivera jamais à la cheville.
— Mais je n’ai jamais voulu personne d’autre que toi, avoua-t-elle d’une
voix triste.
— J’essaie de te comprendre, mais tu ne m’aides pas beaucoup. Je ne pige
pas, Aida. C’est malsain. Tu dois bien t’en rendre compte.
Elle se remit à pleurer sans faire de bruit pendant que je conduisais en
silence. Il fallait qu’elle affronte la vérité. Je vis apparaître au loin les lumières
de Fort Worth. J’espérais qu’un café était ouvert, parce que j’avais besoin de
quoi tenir le coup.
— Et si ça ne durait pas avec toi ? Si un jour elle s’en allait ? Ou si tu
arrêtais de l’aimer ? Tu ne connais pas l’avenir. Personne ne sait. Les gens se
séparent, divorcent. Comment tu feras quand tu ne l’aimeras plus ?
Rien de tout cela n’allait se passer, et qu’elle l’envisage me mettait en rogne.
— Ça n’arrivera pas. Ça ne me ressemble pas. Je ne baisse pas les bras.
Jamais je ne l’abandonnerai.
Aida appuya sa tête au siège et poussa un grognement frustré.
— Tu es une vraie tête de mule.
Je faillis éclater de rire. C’est moi qu’elle traitait de têtu ? Sérieusement ?
— Il faut que ça cesse, Aida. Je ne plaisante pas. Reese est avec moi. Elle fait
mon bonheur. C’est ma raison de me lever chaque matin. Elle me donne le
sourire. C’est tout. Rien ne changera ça.
Aida ferma les yeux tandis que je m’engageais dans un Starbucks drive-in.
J’aurais bien pris une bière, mais j’étais au volant, donc un café noir allait
devoir faire l’affaire.
— Tu veux quelque chose ?
— Non, fit-elle d’une voix boudeuse.
Je passai ma commande et nous restâmes assis en silence. Je récupérai ma
boisson et nous fîmes demi-tour en direction du ranch.
— Un jour elle va te quitter, et moi je ne serai plus là. Tu le regretteras. Je te
le jure, asséna Aida en regardant par la fenêtre.
La seule chose que je pouvais regretter était de ne pas avoir su décrypter les
signes avant-coureurs et d’avoir laissé la situation dégénérer à ce point. Il
fallait qu’Aida s’en aille. Sa visite était terminée. Et j’espérais bien qu’il se
passerait plusieurs années avant qu’elle ne revienne.
Lorsque j’arrivai enfin à la maison après avoir déposé Aida chez mes
parents, cela faisait plus de deux heures que j’étais parti. Aida avait eu envie de
discuter davantage, et je l’avais écoutée, mais je n’avais pas l’impression
d’avoir vraiment avancé sur la question. Elle continuait à me dire que je faisais
erreur. Je commençais à penser que ma cousine était instable mentalement.
Lorsque j’ouvris la porte, un fumet d’ail et de beurre me chatouilla les
narines. Dans la cuisine, une casserole de spaghettis mijotait sur le feu à côté
d’une assiette de tartines beurrées à l’ail.
Mais Reese n’était pas là.
Je me dirigeai vers la chambre. J’entendis sa voix en arrivant à hauteur de la
porte. Je me rendis compte qu’elle était en train de lire. Toute seule. Sans moi.
Elle venait de passer son tout premier jour au travail, et je l’avais laissée
seule. Au lieu de bouder comme on aurait pu s’y attendre, elle avait préparé le
dîner et elle poursuivait sa soirée. Mon estomac se serra. Je me sentais bien
con. J’aurais dû rester avec elle. J’aurais dû lui faire à manger. La serrer
contre moi pendant qu’elle lisait. Notre train-train à nous.
J’ouvris la porte et pénétrai dans la chambre, mes yeux se posant
instantanément sur elle. Elle était en boule sur notre lit, ses cheveux rassemblés
en une queue-de-cheval basse, vêtue d’un débardeur et d’un bas de pyjama. Elle
interrompit sa lecture pour me regarder. Puis elle sourit.
Ce sourire était tout ce que je voulais dans la vie. Ça et l’avoir avec moi
dans ce lit. C’était la perfection même.
— Je suis désolé, fis-je.
Il fallait que je m’excuse. Ma culpabilité et les regrets de l’avoir laissée
étaient en train de me ronger. Elle haussa les épaules.
— Ce n’est pas grave. Elle avait besoin de toi.
Mais Reese aussi avait besoin de moi. Jamais je ne voulais faire passer les
besoins de quelqu’un d’autre avant les siens.
— J’aurais dû rester ici avec toi. J’aurais dû te préparer à manger pendant
que tu me racontais ta journée. Et j’aurais dû être au lit avec toi pendant que tu
me faisais la lecture.
Reese posa son livre sur ses genoux.
— Ça m’aurait bien plu.
Ces mots prononcés avec une telle honnêteté me fendirent le cœur. Le temps
passé en compagnie d’Aida n’avait servi à rien, sinon à ce que je vide mon sac.
J’avais perdu mon temps. Et j’avais déçu Aida.
— Je dois me lever tôt. J’aimerais bien rester debout pendant que tu dînes et
te douches, mais Piper a besoin de moi au bureau à 8 heures demain. Elle a
calé des leçons tôt le matin. Il faut que je dorme.
Même si elle avait dit tout ça en souriant, la tristesse que je lisais dans ses
yeux me désarmait. Elle s’allongea et me tourna le dos, mettant un terme à
notre conversation.
J’avais merdé.
Reese

Quand mon réveil sonna à 6 h 30, je m’étirai de tout mon long. Les
événements de la soirée précédente et la tristesse avec laquelle je m’étais
endormie me revinrent à l’esprit. Mase était parti avec Aida pendant une
éternité. Je l’avais attendu pour dîner pendant plus d’une heure, avant d’avoir
trop faim et de manger seule, après quoi j’avais débarrassé, puis pris une
douche. Et il n’était toujours pas arrivé.
Quand l’heure était venue de prendre mon livre de lecture, je m’étais rendu
compte que c’était un phénomène récurrent. Aida avait besoin de lui, et il
accourait. Ça m’inquiétait. Ils n’étaient pas liés par le sang, mais ce n’est pas
lui qui me l’avait appris. Quelqu’un d’autre s’en était chargé.
Je secouai la tête, repoussai la couverture et me levai. Il fallait que je me
concentre sur ma journée de travail. Pas sur Mase. Ni sur Aida. Il fallait que je
trouve une solution à cette situation. J’espérais bien que mon attitude de la
veille avait envoyé le bon message. Il m’avait contrariée et je voulais qu’il en
ait conscience. Je ne passerais pas ma vie en seconde position derrière sa
cousine.
Lui était ma priorité. Pourquoi pas moi ?
Je me brossai les dents et m’habillai. Aujourd’hui, plutôt que de bouder
parce que Mase m’avait déçue la veille, j’allais faire mes preuves au travail.
Lorsque je sortis de la chambre, j’aperçus Mase debout devant les
fourneaux. Il me tournait le dos, mais je voyais bien qu’il était occupé à faire à
manger. Je traversai le salon pour me rapprocher de la cuisine.
Mase se retourna au moment où j’entrais et me gratifia de ce sourire qui me
faisait battre le cœur.
— Bonjour, beauté. Le petit déjeuner est quasi prêt.
Le petit déjeuner ? Habituellement on mangeait des céréales ou quelque
chose que Maryann, sa mère, nous avait apporté. Mase n’était-il pas censé
travailler aux écuries ?
— Assieds-toi, je vais te chercher un jus d’orange, m’invita-t-il en
s’essuyant les mains sur le torchon calé sur le devant de son jean.
Je restai interdite. Je ne comprenais toujours pas ce qui se passait.
Il s’immobilisa en voyant mon expression.
— Ça va ? s’enquit-il d’un air préoccupé.
Je hochai la tête et m’installai à table pendant qu’il me servait un verre de
jus d’orange.
— Le café sera bientôt prêt.
— Qu’est-ce que tu fais ? bafouillai-je.
Il fit glisser ce qui ressemblait à une omelette de la poêle dans une assiette et
se tourna vers moi.
— Je te prépare le petit déj. Je n’ai pas pu te faire à dîner après ton premier
jour de travail. Alors j’ai pensé me rattraper sur le petit déjeuner de ton
deuxième jour, même si ce n’est pas la même chose. Je n’ai pas fermé l’œil de
la nuit. Je t’ai regardée dormir. Je m’en voulais de t’avoir laissée toute seule.
Il s’approcha de moi avec un air sérieux. Il posa l’assiette devant moi puis
se pencha en avant pour plonger son regard dans le mien.
— Jamais je ne t’abandonnerai, et pourtant je l’ai fait hier soir. Ça ne se
reproduira plus. Tu es la personne la plus importante de ma vie.
Mon cœur, tout étourdi, s’emballa. J’étais en colère contre lui, mais ses
paroles la faisaient fondre comme neige au soleil. C’était Mase. L’homme en
qui j’avais confiance, que j’aimais. Je lui souris.
— Merci, murmurai-je.
Il se pencha vers moi et m’embrassa tendrement.
— Ne me remercie pas. Je ne le mérite pas, murmura-t-il contre mes lèvres.
Sois en rogne contre moi. Balance-moi des trucs à la figure. Merde, si tu veux,
donne-moi une beigne. Mais ne me remercie pas. Ça me tue.
Je pris son visage entre mes mains. J’adorais ce visage.
— Et si je t’aimais, plutôt ? répliquai-je en souriant.
Il ferma les yeux et se laissa aller entre mes mains.
— Ça me semble pas mal.
Je jetai un œil à l’assiette qu’il avait déposée devant moi. Son omelette au
fromage avait l’air divine, et suffisante pour trois personnes.
— Prends-toi une assiette et mange avec moi. Elle est énorme.
— C’est pas faux, fit-il en riant.
Au cours du petit déjeuner, je lui parlai de tout ce que j’avais eu envie de lui
dire la veille. Il me raconta sa journée, et pourtant j’eus l’impression qu’il
laissait quelque chose de côté. Ça se voyait dans ses yeux. Et à aucun moment il
ne m’expliqua pourquoi Aida était venue.
Ça me gênait.

La matinée était passée en coup de vent. Piper enchaînait les leçons


d’équitation, et je dus l’aider à bouchonner les chevaux et nettoyer l’écurie. La
veille, elle m’avait expliqué comment faire et j’avais pris le coup de main
rapidement. Arrivée à la mi-journée, je me sentais bien rodée.
Je n’avais pas apporté un déjeuner très conséquent et je mourais de faim.
Mon sandwich à la dinde et ma pomme n’allaient pas suffire. J’avais envie d’un
bon gros hamburger avec une assiette de frites. Non pas que mes fesses en
avaient besoin. Mais j’en avais envie. Et peut-être même de cookies au
chocolat. J’allais devoir faire preuve d’inventivité et avaler mon sandwich en
imaginant que c’était un plat délicieux.
— Tu as de quoi déjeuner ? me demanda Piper en passant la tête dans
l’encadrement de la porte.
— Oui, confirmai-je.
— Bien. Prends ta pause. Je vais déjeuner à la maison avec Arthur. Je te vois
cet après-midi.
Je hochai la tête et elle referma la porte derrière elle. Avec un soupir je
sortis mon sachet en papier et le posai sur le bureau. Demain je me préparerais
un énorme casse-croûte. Quelque chose de délicieux. De merveilleux.
La porte s’ouvrit de nouveau et je levai la tête, m’attendant à voir Piper,
mais ce n’était pas ma boss. C’était quelqu’un d’autre. Quelqu’un que je n’avais
pas envie de voir.
— Piper vient de sortir pour déjeuner, annonçai-je d’un ton plus agacé que
nécessaire.
Captain sourit et je remarquai une fois encore sa fossette.
— J’ai apporté le déj, lança-t-il en brandissant un grand sachet en papier,
bien plus grand que le mien.
— Je n’ai rien demandé, rétorquai-je sèchement.
Mon attitude ne le dissuada en rien. Il entra dans le bureau et referma la
porte derrière lui.
— Certes, mais j’étais en train de commander le mien quand je me suis dit :
et si tu faisais un truc sympa pour quelqu’un aujourd’hui, Captain ?
Il posa le sachet sur mon bureau. Une odeur alléchante vint titiller mes
narines. Bien plus appétissante que la perspective de mon sandwich.
— Alors quand j’ai commandé le meilleur burger de tout le Texas, j’ai
décidé d’en prendre deux et de t’en apporter un. J2 de ton travail, je me suis dit
que ça se fêtait.
Il m’avait apporté un hamburger. Il plaisantait ? Ce type savait lire dans les
pensées ?
Lorsqu’il disposa la boîte en carton devant moi, j’étais déjà en train de
saliver. Ça sentait divinement bon. Il était gentil. Qui étais-je pour refuser le
déjeuner de mes rêves ?
— Je m’attendais à des commentaires narquois. Potentiellement la menace
de me ramasser le burger dans la figure. Ce genre de choses, observa Captain
de son ton suffisant.
Choses que j’aurais dû faire, mais j’avais faim. À présent, l’idée de manger
mon sandwich à la dinde me déprimait.
— Pour faire passer la pilule, je t’ai pris une part de gâteau à la fraise,
ajouta-t-il.
Pas de cookies au chocolat, mais un substitut sympa. Captain ouvrit la boîte
à ma place.
— O.K., tu as gagné, je meurs de faim.
C’est alors qu’il éclata de rire. Un vrai rire. Pas suffisant ni déplaisant. Et ce
rire me plut. Il était moins agaçant que son attitude globale.
— Eh bien merci. J’ai réussi ma B.A., je vais pouvoir reprendre mon
activité d’emmerdeur pour le reste de la journée.
Cette fois-ci, ce fut moi qui éclatai de rire.
Lorsqu’il tira une chaise pour s’installer, je compris qu’on allait déjeuner
ensemble. Je n’étais pas trop sûre d’apprécier. C’était presque trop intime.
Nous n’étions pas amis. Nous n’étions rien.
— Mange, Reese. Je ne vais pas passer par-dessus la table pour te sauter
dessus. Je mange avant que ce soit froid, c’est tout.
Bien. O.K.
Je le regardai mordre dans son hamburger. Ça avait l’air délicieux. Je
repoussai de côté mes remords et fis de même.
Nous mangeâmes en silence, et je décidai que tout allait bien et que je
n’étais pas mal à l’aise. Ce hamburger était la meilleure chose que j’aie jamais
mangée. Les frites aussi assouvissaient tous mes fantasmes. J’avais quasi fini
lorsqu’il reprit la parole.
— Tu es restée toute seule chez toi hier soir ? Pendant que ton homme
buvait un café en compagnie de sa cousine ?
Il était allé prendre un café avec elle ? Je croyais qu’elle était en pleurs. Ils
étaient restés tard dehors dans un café ?
— Elle était bouleversée. Il a essayé de la réconforter, répliquai-je en
repoussant ma nourriture.
Je n’avais plus faim. Même la perspective de la tarte aux fraises ne me disait
plus rien.
— Euh, elle n’avait pas l’air très bouleversée quand je l’ai vue. Je l’ai même
vu rire, lui. Quel dommage de t’avoir laissée seule. Après ton premier jour de
travail. Il aurait dû être avec toi.
— Arrête, coupai-je en me levant pour mettre de la distance entre nous.
Je ne voulais pas l’entendre exprimer mes propres peurs à voix haute.
J’avais déjà suffisamment de mal à les savoir dans ma tête.
Il referma la boîte et se laissa aller dans sa chaise en me fixant du regard.
— Tu n’aimes pas trop voir la vérité en face, hein ?
— La vérité ne me pose aucun problème, rétorquai-je d’une voix forte.
Voilà qu’il me mettait de nouveau en colère. Il faisait ça bien.
— Alors pourquoi quand je te dis ce que j’ai vu et à quel point je trouve ça
mal tu te mets en rogne ? Je ne fais qu’énoncer les faits. L’homme qui a la
chance de t’avoir sous son toit devrait y rester bien au chaud avec toi.
Non, non, non. Je n’allais pas écouter ça. Il disait tout ça pour me faire
douter de Mase. Je n’allais pas céder. J’avais déjà douté de lui une fois par le
passé et j’avais failli tout gâcher.
— Il était désolé de m’avoir laissée. Il s’est excusé plusieurs fois de suite et
il m’a préparé le petit déjeuner ce matin. Mase est un homme bon. Il m’aime.
Arrête d’essayer de me faire douter de lui.
Captain se leva sans me quitter des yeux. Il ne souriait plus, et n’avait plus
son petit air prêt à débiter des remarques déplacées. C’est la première fois que
je lisais une expression sincère sur son visage.
— Je n’essaie pas de te contrarier. J’essaie de te monter que tous les
hommes ne sont pas ce qu’ils ont l’air d’être. Personne ne l’est, chérie. J’en ai
trop souvent été le témoin. Et la première fois que j’ai croisé ton regard, j’y ai
lu une douleur que je comprenais. Avant même que tu n’ouvres la bouche pour
enchanter mon âme dure et amère, j’avais déjà envie de te protéger. C’est plus
fort que moi.
J’étais bouche bée. Il fallait qu’il s’en aille. Ça n’avait plus rien d’un
déjeuner innocent.
— Pars, s’il te plaît, fis-je en montrant la porte.
Il ne protesta pas. Il se contenta de hocher la tête, de tourner les talons et de
sortir.
Je restai les yeux rivés sur la porte fermée pendant plusieurs minutes. Cet
homme était dangereux. Je ne pouvais pas le laisser m’approcher. Je ne voulais
pas de son honnêteté. Je ne voulais pas de ses vérités. Je voulais Mase.
Mase

Quelque chose turlupinait Reese. Depuis que j’étais allé la chercher dans
l’après-midi, elle semblait lointaine. Son sourire ne collait pas avec son
regard. Et puis elle donnait l’impression de s’accrocher à moi. Non pas que ça
me dérange. Mais elle ne me laissait pas la quitter d’une semelle. On avait pris
une douche ensemble avant de faire l’amour dans la salle de bains, puis de se
reposer sur le canapé, serrés l’un contre l’autre.
À présent elle était assise sur mes genoux, un bras autour de mes épaules, la
tête sur ma poitrine. La culpabilité de la nuit dernière me taraudait encore.
Pourquoi se comportait-elle si différemment ? Avait-elle peur que je
l’abandonne de nouveau ? Avait-elle l’impression qu’il fallait qu’elle s’agrippe
à moi ? J’adorais ça, mais je ne voulais pas qu’elle le fasse parce qu’elle s’en
sentait obligée.
Je voulais qu’elle sache que j’étais à elle pour toujours. Inutile de me suivre
comme mon ombre. Je n’irais nulle part. Je caressai ses cuisses nues du bout
des doigts en pensant à tout ce qu’elle avait traversé pour en arriver là.
Elle avait tellement évolué que je ne me pardonnerais jamais si mes
agissements stupides lui mettaient des bâtons dans les roues. Elle était à moi,
mais j’étais tout autant à elle. Personne d’autre ne pourrait me posséder de cette
façon.
— Je t’aime, murmurai-je dans ses cheveux.
— Moi aussi, je t’aime, répondit-elle en dessinant un cœur sur ma poitrine
du bout des doigts.
— Je ne te quitterai plus, promis-je.
Il fallait qu’elle me croie. Elle resta silencieuse, à tracer des cœurs sur ma
poitrine.
— Je t’appartiens, Reese. Sache-le, bébé. Sache que je t’appartiens.
Elle interrompit ses dessins et inclina son visage vers moi.
— Et si un jour tu n’étais plus à moi et que tu n’y pouvais rien ?
Que voulait-elle dire ?
— Je peux te jurer que ça ne changera jamais. Personne d’autre ne me
conviendrait mieux que toi. Personne ne me complète comme toi. Personne
n’aura jamais cette place.
Elle sourit et déposa un baiser sur ma poitrine.
— J’ai envie de te croire.
Eh ben merde alors. Moi aussi j’avais envie qu’elle me croie. Il me semblait
que c’était le cas. Est-ce que la pagaille de la nuit dernière avait remis ça en
doute ? L’avait fait douter de moi ?
Je pris son visage entre mes mains de sorte qu’elle me regarde droit dans
les yeux.
— Tu vois cet homme face à toi ? Il t’aimera jusqu’à son dernier souffle.
C’est toi et personne d’autre, Reese. Toi.
Elle se laissa aller dans mes bras.
— O.K.
O.K. ? Ha ! C’est tout ce qu’elle allait dire ? O.K. ?
— Ce « O.K. » veut dire que tu me crois ?
Elle hocha la tête.
— Je te crois. Je te crois tout le temps.
Je l’attirai contre mon torse pour la serrer fort. C’était ma place. Avec elle
je serais toujours chez moi. Le moment était venu de passer à l’étape suivante
et de lui prouver que j’étais sérieux. Pour toujours.

Ce matin-là, Reese bavardait au téléphone avec son père. Elle n’était pas
attendue au travail avant 9 heures, et elle l’avait appelé pour prendre de ses
nouvelles. Elle n’avait pas trop l’habitude de faire ça. Il allait sans doute lui
demander bientôt de leur rendre visite et il me faudrait préparer le ranch pour
mon absence. Hors de question qu’elle y retourne sans moi.
— Oui, j’adore y aller. Piper, ma boss, est vraiment super. Et j’ai appris à
bouchonner les chevaux, expliqua-t-elle d’une voix enjouée.
Son enthousiasme me donna le sourire. Au début, je n’avais pas trop su quoi
penser quand son père avait débarqué dans sa vie. J’avais peur qu’il n’ait des
arrière-pensées. Mais ce n’était pas le cas. Il souhaitait sincèrement faire la
connaissance de sa fille. Je ne m’étais pas aperçu à quel point Reese en avait
besoin. Les horreurs de son passé semblaient s’estomper, même si elles
feraient toujours partie d’elle. Mais elle refusait qu’elles définissent sa vie. Sa
mère et son beau-père ne lui servaient pas d’excuse pour ne pas aller de
l’avant. Reese croyait en elle.
Après l’avoir déposée au travail, je me rendis chez ma mère. Je ne lui avais
pas parlé depuis l’incident avec Aida. Je savais que son pick-up était parti, mais
je ne posai aucune question. J’étais plus que soulagée de la savoir loin.
En revanche le pick-up de Major était de nouveau là. Il avait été absent la
veille, mais apparemment il n’avait pas quitté la ville. Je me garai et gagnai la
maison.
Major était encore attablé.
— Tu t’es cru où ? Dans un bed and breakfast ? ronchonnai-je en allant
embrasser ma mère et me servir une tasse de café.
— Fais pas la tronche. Il y en a tout plein pour toi aussi, répondit-il la
bouche pleine.
— Bonjour mon fils, m’accueillit ma mère.
— Bonjour, m’man.
— Reese est au travail ? s’enquit-elle.
Je hochai la tête en avalant une gorgée brûlante.
— Tu lui as dit que ta cousine en pinçait pour toi ? enchaîna Major.
Si je n’avais pas été chez ma mère, je lui aurais mis mon poing dans la
gueule.
— Major, le mit en garde ma mère.
Il leva les deux mains en l’air.
— Je demande, c’est tout.
— Aida est rentrée chez ses parents. Elle a arrêté l’université en plein
semestre, et ils vont l’obliger à y retourner cet été. Son père n’est pas très
content qu’elle ait tout plaqué pour venir ici, expliqua ma mère. Mais elle est
jeune et elle va apprendre. Laissons tout cela derrière nous.
— Donc tu n’as rien dit à Reese, insista Major en souriant de toutes ses
dents.
Je le fusillai du regard par-dessus ma tasse de café.
— Moi non plus je n’aurais rien dit. C’est super flippant quand tu y
réfléchis.
— Tu vas la fermer, oui ? grognai-je.
Il se leva pour aller déposer son assiette vide dans l’évier.
— Mais oui je vais la fermer. Le boulot m’attend.
— Le boulot ? répétai-je, surpris.
— Ouais. Je travaille sur la construction de l’extension du restaurant Stout
& Hawkins. Le nouveau type qui chapeaute le projet, River Kipling, m’a
embauché. Si la franchise réussit aussi bien que celle de Key West, Arthur
l’enverra à Rosemary Beach pour en construire une autre, et j’irai avec lui.
Histoire de me lever une de ces bombasses dont j’arrête pas d’entendre parler.
La perspective de River Kipling déménageant en Floride, loin de Reese,
était très agréable.
Reese

Une heure après mon arrivée, Piper pénétra dans le bureau avec deux tasses
de café.
— Bonjour, lança-t-elle gaiement.
Aussi bizarre que ce soit de l’imaginer mariée à Arthur, un homme qui
aurait pu être son père, j’aimais bien Piper. Elle avait les pieds sur terre, et je
l’avais vue donner ses cours d’équitation aux enfants : elle était gentille. Je
culpabilisais d’avoir pensé qu’Arthur l’avait épousée pour sa beauté et sa
jeunesse et qu’elle l’avait épousé pour son argent. Piper ne dégageait pas ce
genre d’ondes.
— Bonjour, répondis-je en prenant la tasse qu’elle me tendait. Merci. J’en ai
bien besoin.
— Une bonne tasse de café ça fait toujours du bien, dit-elle en prenant place
sur un des fauteuils en cuir. Alors, dis-moi, comment ça se passe pour toi ?
J’adorais mon travail. J’avais l’impression d’être productive.
— Ça me plaît beaucoup.
Piper prit une gorgée et me sourit par-dessus le rebord de sa tasse.
— Tant mieux. Je suis très satisfaite de ton travail. Tu te donnes à cent pour
cent. Tu travailles avec application et détermination. Les employés comme toi,
ça ne court pas les rues. J’espère pouvoir te garder pendant un moment.
— Merci, répliquai-je en sentant ma poitrine se gonfler de fierté.
J’avais eu tellement peur de ne pas être à la hauteur. Et voilà qu’elle se disait
impressionnée par mon travail. J’en étais capable. Mase avait raison. Il croyait
en moi, il fallait que j’en fasse de même.
— Maintenant que tu m’as prouvé que tu pouvais gérer le quotidien, j’ai
besoin d’ajouter une tâche à ta liste. Mon mari a fait venir quelqu’un pour
gonfler le menu en incluant des fruits de mer à son grill de Dallas, comme il
l’a déjà fait avec succès à Key West. River Kipling. Il a besoin d’aide pour
gérer ses reçus et ses factures. Jusqu’à ce que l’extension du restaurant soit
terminée, Arthur va avoir besoin d’utiliser mes meubles classeurs pour
organiser tout ça. Je vais donc te demander de classer la paperasse que
rapporte River, qui te sollicitera à l’occasion pour passer des coups de fil de sa
part quand il est sur site.
Oh, non. Comment lui dire que je ne voulais pas travailler avec River ? Elle
venait de m’annoncer que je faisais du bon boulot et qu’elle voulait me garder.
Je ne pouvais pas refuser. Et puis il n’allait passer que ponctuellement au
bureau. Ce n’était pas une catastrophe.
— O.K., bien sûr, répondis-je d’un ton incertain.
Elle me gratifia d’un sourire approbateur et avala une dernière gorgée de
café avant de se lever.
— Il sera là avant le déjeuner pour tout passer en revue avec toi. Je lui ai dit
que tu l’attendrais.
Aujourd’hui ? Déjà ? J’avais besoin de plus de temps. Mais je hochai la tête.
Je ne pouvais pas faire autrement.
— Super. Bien, au travail. J’ai un élève qui arrive dans cinq minutes. Passe
une belle matinée, Reese.
Je lui marmonnai sans doute une réponse du même acabit, je n’étais pas trop
sûre. J’avais l’esprit préoccupé par River… ou Captain. Il fallait que j’en parle
à Mase. Il devait être au courant que je voyais River plus fréquemment – et puis
quoi ? Il serait furax, et je perdrais sans doute mon poste.
Or j’aimais bien mon boulot. Je n’arriverais pas à trouver mieux. L’avoir
sur mon CV allait m’ouvrir de nouvelles portes.
Au bout d’un moment je réussis à me détacher suffisamment de Captain
pour me concentrer sur mes e-mails et mes appels téléphoniques. Je
bouchonnai deux chevaux pour Piper et lui apportai une tasse de café. Au
moment où j’allais prendre ma pause déjeuner, alors que Piper venait de partir
pour retrouver son mari, la porte du bureau s’ouvrit. Je n’eus pas besoin de
lever le nez pour savoir de qui il s’agissait.
La même tignasse en queue-de-cheval, l’éternel sourire de petit malin. Je lui
jetai à peine un coup d’œil avant de replonger sur l’écran de mon ordinateur
pour terminer un message. Ou en tout cas essayer.
— Cette mesure te dérange ? demanda-t-il avant de déposer un sac sur mon
bureau.
Impossible de l’ignorer ; Piper m’avait demandé de l’aider. Je m’obligeai à
lever les yeux sur lui.
— Qu’est-ce que tu as pour moi ? m’enquis-je en grimaçant intérieurement.
Il eut un petit sourire en coin.
— D’abord, j’ai la meilleure bouffe mexicaine de tout Dallas rien que pour
toi. Après manger, on passera à la suite.
Il m’avait encore apporté le déjeuner. Ça n’avait plus rien d’amical, je le
savais. Il essayait de flirter avec moi. Mais j’étais avec Mase, et ça n’allait pas
marcher.
— J’ai déjà mangé, prétendis-je.
Captain secoua la tête comme si je le décevais.
— Je n’aime pas trop les menteuses.
Argh. Ce type me gonflait.
— Parlons boulot. Tu as besoin que je classe quoi ?
Je refusai de rentrer dans son petit jeu.
Il ouvrit le sac dont il sortit les tacos les plus délicieusement parfumés de la
planète. Il en déballa un dont il prit une bouchée avant de s’asseoir en face de
moi. Qu’est-ce qu’il essayait de faire ? De me torturer ?
— C’est ma pause déjeuner. Je pensais partager avec toi, mais si tu veux
faire semblant que tu as déjà mangé, ça ne devrait pas te déranger que je mange
devant toi. Je meurs de faim.
Super. J’essayai de respirer par la bouche pour ne pas sentir le fumet divin
de sa nourriture, mais trop tard. J’en avais envie. Je posai les yeux sur l’écran
de mon ordinateur et relus la même phrase trois fois de suite : chaque fois elle
voulait dire quelque chose de différent. Il me troublait, et je n’aimais pas ça.
— Tu peux me passer un autre taco ? fit-il.
Je levai les yeux ; il était en train de froisser l’emballage du premier.
— Je n’étais pas au courant que ma nouvelle tâche consistait à te nourrir.
Débrouille-toi, ripostai-je.
Ma réaction le fit rire. Du coin de l’œil, je le vis se lever et sortir un autre
taco du sac. Il resta debout à le déballer, puis le déposa pile devant moi avant
d’en prendre un autre pour lui et de se rasseoir.
— Sont tellement bons, commenta-t-il.
J’essayai de ne pas regarder son offrande. Pourquoi était-il si déterminé à
me donner à manger ? Pourquoi apportait-il toujours des mets délicieux ?
Pourquoi pas des choses que je détestais ? Ça simplifierait pourtant bien les
choses.
— Mange, Reese. Ce n’est pas une demande en mariage ; c’est un putain de
taco, sans déconner.
Je lui lançai un regard noir avant de céder et de mordre dans le taco. J’évitai
son regard, et il évita de jubiler. Nous restâmes assis en silence, et je terminai
mon taco malgré le pincement de culpabilité qui accompagnait chacune de mes
bouchées.
— Un autre ? s’enquit Captain.
Le mal était fait, autant en prendre un deuxième. Nous n’échangeâmes
aucune parole. Il n’y eut aucun accrochage. Le moment était calme, comme le
serait, je l’espérais, notre relation professionnelle.
Il nettoya les restes de notre festin avant de sortir une grande enveloppe
qu’il posa devant moi.
— Voici un premier lot tout mélangé, plein de factures. Je vais faire en sorte
de te les faire suivre tous les deux jours pour que cela ne se reproduise pas.
Sinon, tu as un téléphone portable ? Je vais avoir besoin de t’envoyer des SMS
pour que tu passes certains coups de fil pour moi.
J’avais effectivement un portable, mais je n’étais pas sûre d’avoir envie
qu’il m’envoie des textos. Je le fixai en silence.
Il poussa un soupir et haussa un sourcil en me gratifiant d’un regard
exaspéré.
— Tu préfères un texto ou que je vienne te voir chaque fois que j’ai besoin
que tu passes un coup de fil ?
Je lui donnai mon numéro illico et il rigola.
— Je viendrai lundi pour passer en revue d’autres éléments qui auront
besoin d’être classés séparément.
Je hochai la tête. Pouvait-il partir maintenant ?
Il me sourit, puis tourna les talons.
— J’ai bien aimé notre déjeuner, lança-t-il avant de sortir du bureau.
Il avait systématiquement le dernier mot. C’était agaçant.
Mase

— Vendredi soir. Allez, mec. Ça bottera Reese, un bon honky tonk. Ça fait
mille ans qu’on n’y est pas allés tous les deux. Boire un coup, faire une petite
partie de billard, danser un peu… Ce sera sympa, me harcela Major qui s’était
assis sur un piquet de clôture tandis que je dressais Bingo, mon nouveau
quarter horse.
J’étais sûr et certain que Reese n’apprécierait pas ce type de bar. J’ignorai
donc la proposition de Major pour la cinquième fois d’affilée.
— Tu n’as pas un truc à faire ? répliquai-je, agacé qu’il me tourne autour.
— Je ne commence pas avant deux heures. Hé, on pourrait faire un bowling.
Je vous mettrai une raclée à tous les deux.
Je le fusillai du regard. Je n’allais pas m’emmerder au bowling.
— Tu t’ennuies ? C’est ça ? C’est déjà fini avec Cordelia ?
Il fronça les sourcils comme s’il ne comprenait pas ma réaction.
— Cordelia ? Merde alors, ça fait plus d’un mois que je ne l’ai pas vue.
C’est pas comme si j’étais parti pour l’épouser. C’était un bon coup, c’est tout.
Je levai les yeux au ciel et me remis au travail. Parfois c’était impossible
d’avoir une conversation avec lui.
— Je vais te manquer, une fois en Floride. Tu le sais. Tu ferais bien de
profiter de ton Major pendant qu’il est encore là.
— Je te vois assez comme ça. Tu es tout le temps dans la cuisine de ma mère
à t’empiffrer.
— Ooooh, tu es jaloux parce qu’elle m’aime plus ?
— Non… et sinon tu ne couches toujours pas avec la nouvelle copine de ton
père ?
Je pensai que cette réponse le mettrait en rogne. Après tout, Major avait
contribué à la fin du mariage précédent de son père en couchant avec sa belle-
mère.
Il se contenta de rire.
— Pas encore.
Si je ne l’avais pas aussi bien connu, je me serais dit qu’il plaisantait.
Malheureusement, il était sans doute très sérieux.
— Reese se plaît à son boulot ? demanda-t-il en descendant d’un bond du
piquet, le signe peut-être qu’il allait enfin me laisser tranquille.
— Elle s’éclate. Piper est super avec elle.
— Tant mieux, je n’aurai à botter les fesses de personne, observa-t-il avec
un sourire en coin.
Je ne réagis pas. Je savais trop bien à quel point il essayait de me rendre fou.
— Va bosser, ordonnai-je.
— Ce n’est pas encore l’heure.
— Pointe-toi en avance.

J’avais pour projet d’acheter une bague le lendemain, ou tout du moins d’en
trouver une que j’aimerais bien voir sur la main de Reese. Je ne voyais pas
trop à quoi elle allait ressembler, mais je voulais qu’elle soit parfaite. Comme
Reese.
Tout en bossant pendant la journée, je réfléchis à divers scénarios pour ma
demande en mariage. Je voulais marquer le coup d’une manière inoubliable.
Elle méritait ce qu’il y avait de meilleur. J’allais le lui offrir. Pour toujours.
Ces pensées m’aidèrent à tenir la journée même si Reese me manquait
beaucoup. Chaque jour j’avais hâte d’aller la chercher au travail. Comme 17
heures approchaient, je consultai l’heure, de plus en plus impatient.
Lorsque j’ouvris la porte de son bureau, elle se tenait les fesses en l’air,
penchée sur un rayonnage bas de son placard. Le jean qu’elle portait lui allait
comme un gant.
— Ne bouge pas, ordonnai-je en m’approchant parderrière pour glisser une
main sur la rondeur de son postérieur.
Elle inclina la tête sur le côté et me regarda en riant.
— Bien le bonjour à vous aussi.
— Ma copine a un bien joli derrière, répliquai-je en le caressant tandis
qu’elle restait penchée en avant pour moi.
— Merci, mais si je reste dans cette position, je vais attraper une crampe.
Je retirai la main de ses fesses et reculai à contrecœur. Lorsqu’elle se
redressa, je l’agrippai par les hanches et attirai son postérieur contre moi.
— Mmmmm, lui murmurai-je à l’oreille. Tu m’as manqué.
Elle se laissa fondre contre moi.
— Toi aussi tu m’as manqué.
Je glissai les mains sur son T-shirt et soupesai ses seins lourds dans mes
paumes.
Elle appuya sa tête contre ma poitrine et poussa un gémissement doux qui ne
fit que m’encourager. D’un petit coup sec, j’abaissai les bonnets en dentelle de
son soutien-gorge et fis rouler ses tétons entre mes doigts.
— C’est si bon, murmurai-je avant d’embrasser sa tempe.
— Je suis tout à fait d’accord, dit-elle le souffle court.
La sentir contre moi tout alanguie et pleine de désir ne m’aidait pas
vraiment à garder mon sang-froid. Je m’imaginai déjà la cambrer par-dessus
le bureau et nous propulser dans une vague de plaisir. Je fis glisser mes mains
vers le bas, mais elle les agrippa pour les maintenir en place.
— Arrête, dit-elle en appuyant mes mains contre sa poitrine. J’ai besoin de
ce boulot.
Et moi c’était d’elle que j’avais besoin, mais on pouvait faire ça dans mon
pick-up avant de rentrer à la maison.
— J’ai envie de retirer ton jean et de plonger en toi, bébé. Il faut qu’on y
aille, alors.
Ses mains sur posèrent sur sa taille et elle entreprit de déboutonner son jean.
Qu’est-ce que ça voulait dire ? Reese aimait le sexe, mais elle n’était pas du
genre à l’initier dans un endroit public comme ici, où quelqu’un risquait
d’entrer. Y compris sa boss.
— Piper est partie retrouver Arthur pour une réunion de travail. Il n’y a
personne, expliqua-t-elle en tortillant les hanches pour baisser son jean.
Son jean tomba sur ses chevilles, puis elle plaça les deux mains sur le bord
du bureau, rejeta ses cheveux en arrière et me lança un coup d’œil.
— J’ai envie de toi maintenant.
Ça ne lui ressemblait pas, mais je n’allais pas me plaindre. Son joli cul
frétillant m’attendait. Jamais de la vie je ne lui dirais non. Si quelqu’un entrait,
je la couvrirais ; peu important si on voyait mes miches.
Elle écarta les jambes aussi grand que son jean le permettait et leva les
fesses en l’air. Aucun homme n’aurait pu détourner le regard : le spectacle de
la beauté et du sexe en un.
Je défis rapidement mon jean avant de prendre à pleines mains ses seins qui
se balançaient librement.
— Tu mouilles ? demandai-je en l’embrassant sur le dos.
— Ma culotte est trempée.
Putain.
D’une main je pris position avant de plonger en elle d’une poussée rapide.
Elle se cambra sous moi. Ses seins emplirent mes mains et je me mis à
coulisser lentement en elle, en jouissant de sa chaleur étroite et de ses
gémissements étouffés.
J’embrassai tous les endroits que je pouvais atteindre dans son dos tandis
que mes mains malaxaient ses tétons.
— Mase, haleta-t-elle. Oh mon Dieu.
Je ne vais pas mentir ; j’adorais ça quand elle m’appelait « mon Dieu ».
— Ma petite chatte brûlante, soufflai-je en accélérant mes coups de reins.
Bientôt elle porterait au doigt une alliance proclamant au monde entier
qu’elle était à moi. Cette pensée fit rugir l’homme des cavernes qui
sommeillait en moi et je sentis ma bite palpiter en elle. Je voulais la faire
mienne. La marquer et que personne d’autre ne la touche jamais.
— Oui, gémit-elle. Plus fort.
J’intensifiai mes coups de boutoir et ses poings se serrèrent sur le bureau
tandis qu’elle criait mon prénom. Ses parois se refermèrent sur mon sexe et je
me sentis me raidir par spasmes tandis que je jouissais en elle, son prénom aux
lèvres.
Il nous fallut plusieurs minutes pour reprendre notre souffle. Lorsque le
monde refit surface autour de nous, je souris en la voyant étendue sur le
bureau, contentée.
— Je n’arrive pas à croire qu’on a fait ça, dit-elle à bout de souffle.
— Honnêtement, moi non plus. Mais tu m’en vois ravi.
Elle rit et cacha son visage dans ses mains.
— Moi aussi.
Ma poitrine se serra d’émotion, et je laissai glisser ma main le long de son
dos. C’était ma femme.
Reese

Les jours suivants s’écoulèrent sans que j’aie à gérer la présence de Captain.
Faire l’amour dans mon bureau avait été imprudent, mais j’avais besoin
d’associer le lieu à Mase. La fois prochaine, quand Captain poserait de la
nourriture sur le bureau, je me rappellerais qu’à ce même endroit Mase
m’avait prise. C’était notre coin à nous à présent. Dans mon esprit, ça
dégageait complètement Captain. Je pouvais même sentir l’odeur de Mase en
entrant dans le bureau. Il avait marqué ce territoire, et ce sentiment me plaisait.
Me donnait confiance en moi. J’avais l’impression qu’il était ici avec moi.
Captain ne donna aucun signe de vie le vendredi, et je poussai un soupir de
soulagement à la fin de ma semaine de travail. Plus de déjeuners, plus de
commentaires visant à me faire douter de Mase, plus de flirt. Je pouvais
profiter de mon boulot sans sa présence agaçante.
Mase et moi venions d’arriver à la maison quand Major surgit à notre
hauteur, habillé d’un jean, d’un T-shirt noir moulant, d’une paire de bottes et
d’un chapeau de cow-boy.
— Vous serez prêts dans combien de temps ? lança-t-il comme si nous
avions des projets.
Je jetai un œil à Mase.
— Je t’ai dit qu’on n’irait pas avec toi, répliqua-t-il d’un air renfrogné.
Major ne se laissa pas déstabiliser.
— Mais j’ai trois billets pour le concert de Pat Green chez Billy Bob ce
soir, dit-il en brandissant les tickets. Vous ne pouvez pas me laisser y aller seul.
Sérieusement, c’est Pat Green. Alors habillez-vous et en route.
J’ignorais qui était Pat Green, mais la réaction de Mase m’informa qu’il le
savait. Il semblait hésiter. Il finit par se tourner vers moi :
— Ça te dit un concert ce soir ? Ou tu préfères rester ici ?
Je voyais bien qu’il avait envie d’y aller, et honnêtement, ça avait l’air
sympa. Je ne savais pas qui étaient Billy Bob ou Pat Green, mais j’étais
partante. Je hochai la tête.
— Ouais, j’aime bien aller à des concerts.
En réalité je n’avais jamais mis les pieds à un concert, mais je m’abstins de
le préciser.
— Et tu vas adorer Pat Green. Il n’y a pas mieux en live, à part peut-être
Robert Earl Keen. Allez mettre des fringues sur vos jolis petits culs, insista
Major tandis que Mase lui jetait un regard noir.
Major rigola et gagna la maison d’un pas nonchalant.
— Quand on fait abstraction des conneries qu’il débite, il est tolérable,
commenta Mase d’un air agacé.
Je ris. J’aimais bien Major. Il était drôle.
— Il ne me dérange pas.
Mase n’eut pas l’air très convaincu alors que nous regagnions la chambre.
— Et pas de coups fourrés là-dedans. Le concert nous attend. En plus c’est
pas juste si j’ai le son mais pas les images, conclut Major derrière nous.

Nous dégustâmes un délicieux repas au café Billy Bob avant de prendre nos
places. Je n’avais pas les affaires de cow-girl pour aller avec les deux cow-
boys qui m’accompagnaient, mais je portais quand même des bottes et un jean.
J’avais noué une chemise en flanelle pour dévoiler mon ventre, tel que j’avais
vu Piper le faire, mais Mase l’avait dénouée en secouant la tête avant de la
remettre dans mon pantalon.
L’endroit ne ressemblait en rien à l’idée que je me faisais d’un honky tonk.
Nous en avions parlé dans la voiture en chemin et Mase m’avait précisé que ce
n’était pas à proprement parler un honky tonk, mais plutôt un grand bâtiment
renfermant un restaurant, un magasin et une immense scène. Il y avait tant de
choses à voir que je n’arrivais pas à tout digérer, même si je remarquai bien
vite que j’étais une des rares à ne pas porter de chapeau de cow-girl.
Une fois à nos places, Mase s’assit entre Major et moi. Il y avait deux sièges
vides à côté de moi, et le reste de la rangée se remplit rapidement. Mase et
Major partirent nous chercher à boire, et je m’installai pour contempler le
public. Plusieurs filles portaient leur chemise telle que j’avais essayé de le
faire. Je souris en pensant aux penchants possessifs de Mase ; j’aimais bien
qu’il ait envie de me garder pour lui tout seul.
Quelqu’un se glissa sur le siège à côté de moi et en levant les yeux je
reconnus immédiatement son regard vert et son sourire insupportable. Que
faisait-il ici ? Mon expression devait être transparente, car il se mit à sourire
de toutes ses dents.
— Ça alors, quel hasard de te voir ici, fit-il de sa voix traînante comme s’il
n’y était pour rien.
Une femme aux boucles blondes et au sourire démesuré s’appuya contre lui,
me dévoilant un décolleté impressionnant dans son débardeur argenté brillant.
— Salut, moi c’est Kingsley, me salua-t-elle en posant une main sur la
jambe de Captain.
Le savoir accompagné me donna envie de pousser un soupir de
soulagement. J’aurais préféré qu’il laisse Kingsley s’asseoir à côté de moi.
— Enchantée, moi c’est Reese, répliquai-je en souriant avec sincérité.
J’étais tellement heureuse de sa présence, elle n’avait pas idée.
— Reese, ce n’est pas un prénom de garçon ? s’enquit-elle en gloussant. Je
n’ai jamais entendu une fille porter ce nom.
Je préférai passer sous silence l’existence de la célèbre actrice Reese
Witherspoon et me contentai de hausser les épaules.
— Eh bien voilà qui est fait, répliquai-je avant de tourner de nouveau mon
attention sur le public en espérant que notre conversation était terminée.
— Je ne savais pas que tu étais fan de Pat Green, commenta Captain.
Je lui adressai malgré moi un petit sourire forcé.
— Je ne le connais pas du tout. Mais Mase l’aime bien, alors voilà.
Captain émit un petit son réprobateur.
— Un homme devrait inviter sa femme là où elle a envie d’aller.
Je serrai les poings sur mes genoux. Voilà qu’il recommençait.
— C’est le cas. J’avais envie de venir ce soir. J’aime bien écouter de la
musique et c’est la première fois que je vais à un concert.
Au début il ne dit rien, mais mon répit fut de courte durée :
— Donc c’est ton premier concert ? De toute ta vie ? s’enquit-il d’un ton
incrédule.
Je hochai la tête en évitant son regard.
Kingsley lui posa une question que je n’entendis pas et, comme elle
enchaînait en bavassant, je compris qu’elle essayait de retenir son attention.
Heureusement qu’elle était là. Si Mase et Major arrivaient vite avec les
boissons, je pourrais bientôt m’appuyer contre Mase et me sentir à l’abri du
harcèlement constant de Captain.
— Pat Green joue de la country assez populaire. Il est texan. Je pense que ça
devrait te plaire, m’assura Captain. Ses concerts sont de qualité.
Je me tournai vers lui.
— De toutes les places que compte cette immense salle, comment as-tu fait
pour atterrir pile à côté de moi ? demandai-je.
Captain prit son petit air suffisant.
— À ton avis ils viennent d’où les billets de Major ? répliqua-t-il d’un ton
nonchalant.
J’en étais sûre.
— Si j’avais su que tu n’étais jamais allée à un concert, j’aurais choisi
quelque chose de plus important, ajouta-t-il.
Je laissai son commentaire faire son chemin. Que voulait-il dire par là ? Ce
n’est pas comme s’il avait acheté ces billets dans le seul but de me faire venir
ici. Il ne pouvait pas savoir qui Major allait inviter… si ?
J’allais lui poser la question lorsque je repérai le chapeau de Mase, puis son
long corps musclé vêtu de jean qui marchait vers moi. Il était à moi, cet
homme qui faisait régulièrement tourner les têtes des filles. Pas facile à croire,
mais c’était vrai.
— Désolé, ça a mis longtemps. Il y avait beaucoup de monde, s’excusa-t-il
en se laissant tomber à côté de moi en me tendant mon soda.
Il n’avait pas encore remarqué Captain. Mais Major, qui l’avait vu, leva la
main en souriant :
— Salut River, Kingsley. Super les places, mec, merci !
Je sentis Mase se raidir à côté de moi. Puis il tourna la tête, regarda Captain,
son rancard, puis moi. Je m’appuyai contre lui en souriant pour le rassurer. Il
posa un bras sur mes épaules et je me laissai aller contre lui, ce qui sembla
apaiser sa tension.
— C’est River qui m’a donné les billets. Kingsley est responsable du service
au restaurant. Ça fait pas longtemps qu’ils sont ensemble, expliqua Major à
Mase.
Ce dernier se contenta de hocher la tête. Je savais qu’il n’aimait pas
beaucoup l’idée d’être à un concert grâce à des places payées par Captain. Il
caressa mon bras du bout des doigts en me serrant contre lui. Il avait les yeux
rivés à la scène vide, en pleine réflexion.
Captain se leva et descendit l’escalier, vraisemblablement pour aller
chercher à boire. Je souris à Mase.
— J’ai hâte que ça commence.
Il déposa un baiser sur mon nez.
— Moi aussi. Une des chansons me fait penser à toi. L’entendre alors que tu
es à côté de moi sera un instant inoubliable.
J’aimais qu’il pense à moi en écoutant une chanson. Je pris une gorgée de
soda et décidai de me détendre. Nous allions passer un beau moment. Inutile de
laisser Captain gâcher la soirée. En plus, Mase ne l’appréciait pas en raison de
quelques commentaires malpolis. Il ne savait pas tout. Il finirait pas oublier la
présence de Captain.
Lorsque les lumières s’éteignirent et que la scène s’illumina, tout le monde
se mit debout en applaudissant. Des sifflements et autres cris de joie emplirent
l’atmosphère. Mase se leva, me prit la main et me plaça devant lui avant
d’enrouler ses bras autour de moi. Je me laissai aller contre sa poitrine. Plus
rien n’avait d’importance.
J’étais tout enveloppée par Mase et la musique était géniale. Major chantait
en chœur à côté de nous, et je fus surprise de constater qu’il avait une très jolie
voix. Pas une fois je ne tournai les yeux en direction de Captain et Kingsley.
Pour moi, ils n’étaient pas là.
Sur scène, Pat Green se mit à parler d’une chanson et autour de moi tout le
monde devait la connaître car les acclamations reprirent de plus belle.
— C’est la prochaine, me murmura Mase à l’oreille. Ma chanson pour toi.
Je tendis aussitôt l’oreille, me redressai et attendis le début de la mélodie.
Mase me caressait le bras, serré contre moi, et effleura mon oreille de ses
lèvres en me susurrant les paroles. L’entendre chanter pour moi me faisait
tourner la tête.
All I’m looking for is you.
Ces mots firent palpiter mon cœur dans ma poitrine et je me retournai pour
le dévisager.
You came upon me wave on wave.
Il chantait avec une telle intensité dans le regard que je le serrai contre moi
en priant pour que cet instant dure à jamais. Lui et moi ici, ensemble, et Mase
qui chantait pour moi. La soirée était parfaite.
Mase

Lundi matin, après avoir déposé Reese au travail, je m’arrêtai à l’écurie et


aperçus un visiteur totalement inattendu. En me regardant, on ne se doutait pas
du tout que mon père était une légende du rock, contrairement à Rush Finlay. Il
avait le look. Même avec un bambin de trois ans, il ne ressemblait pas du tout à
un papa. Et ça ne changerait sans doute jamais.
Mais que pouvait-il bien faire à se pointer comme ça à mon ranch ? Je
descendis du pick-up et refermai la portière derrière moi pour le rejoindre. Il
remonta ses lunettes de soleil au sommet de son crâne et me sourit.
— Tu vas toujours bosser aussi tard ? plaisanta-t-il avec un petit sourire.
— J’ai emmené Reese au travail. Je ne m’attendais pas à te trouver ici à mon
retour.
Il haussa les épaules.
— J’ai déposé Blaire et Nate qui rendent visite à son frère. Je me suis dit
que j’allais leur laisser du temps en famille et voir comment ça se passait par
ici.
J’en avais presque oublié que Captain était le frère de Blaire. Le souvenir de
lui assis à côté de Reese au concert me mettait encore en boule.
— On dirait bien que tu connais le frangin de Blaire et que tu meurs d’envie
de lui refaire le portrait, commenta Rush avec un petit rire amusé.
— Il bosse avec un de mes partenaires commerciaux. Il s’est permis
quelques commentaires sur Reese qui ne m’ont pas trop plu.
— Du Captain tout craché. C’est une grande gueule. La première fois que je
l’ai rencontré, il m’a fait remarquer que j’avais mis Blaire enceinte avant de
l’épouser, et que j’avais fait les choses à l’envers. Ça m’a mis dans une de ces
colères. Et puis j’ai fini par m’habituer à lui.
J’étais peut-être trop dur envers lui. Ce n’était pas comme s’il tournait
autour de Reese. C’est moi qui étais susceptible et possessif ; je donnais sans
doute une importance démesurée à l’impression qu’il me faisait quand il était
en présence de Reese.
— Je garderai ça à l’esprit, répondis-je. Alors comme ça tu es venu m’aider
à réparer mes clôtures ?
Je savais très bien que Rush Finlay n’était pas là pour effectuer des tâches
manuelles.
— Je vais passer mon tour. Je voulais savoir si Harlow t’avait parlé de Kiro
ces derniers temps.
Hein ? Je secouai la tête.
Rush poussa un soupir et hocha la tête comme s’il s’était attendu à ma
réponse.
— La mère de Harlow n’est pas en grande forme et il le vit super mal. Une
vraie cata. Mon père m’a expliqué que Kiro n’a pas eu le droit d’approcher
Emily pendant trois jours parce que son système immunitaire était diminué par
les médicaments. Kiro s’est pris une telle biture que mon père a dû le coller
sous la douche pour nettoyer tout le vomi avant de le mettre au lit. Il picole dès
le réveil. Il gueule sur tout le monde. Harlow est la seule à qui il parle. Elle
s’inquiète pour lui. Je me disais que tu voudrais être au courant.
Merde. Putain de merde ! Harlow n’avait pas besoin de ça. Et pourquoi ne
m’avait-elle pas appelé ? Je jetai contre le mur le fourrage que j’avais
transporté depuis mon pick-up en poussant un juron.
— Mon père dit qu’on ne pige pas. Qu’on n’a pas connu Kiro du temps
d’Emily. Il dit que c’est comme si je perdais Blaire. Merde, je ne peux même
pas imaginer. Si Kiro aime Emily comme j’aime Blaire, alors, mon pote, ça
fait vingt-trois ans qu’il nage en pleine douleur.
Je comprenais bien que Kiro aimait Emily. C’était évident. Mais sa fille
avait un problème cardiaque, nom de Dieu. Un an plus tôt, la naissance de Lila
Kate et la survie de Harlow avaient été un vrai miracle. Elle n’avait pas besoin
de ce genre d’emmerdes. Jamais il ne pensait aux autres, obnubilé qu’il était
par sa propre souffrance.
— Harlow ne devrait pas encaisser ça, observai-je avec colère.
Mon cerveau tournait à mille à l’heure. Il fallait faire quelque chose. Je ne
pouvais pas la laisser faire face toute seule. Et il fallait aussi que je voie Kiro.
Il y en avait assez de ses conneries. Un jour, Emily allait mourir. Elle avait
dépassé les espérances des médecins. Kiro devait se préparer.
Rush hocha la tête :
— Elle a Grant. Il est fou d’inquiétude. Elle pleure beaucoup. Je me suis dit
qu’il fallait te tenir au jus. Harlow a besoin de toi. Elle a besoin que tu gères
votre paternel.
Il avait raison.
— Merci de me l’avoir dit. Je ne sais pas pourquoi elle ne m’a pas appelé.
Ni Grant, d’ailleurs, ce qui me mettait en rage ; il aurait dû me prévenir.
— Elle dit que tu vas t’énerver contre Kiro et que ça ne servira à rien. Elle a
demandé à Grant de ne pas t’appeler, raison pour laquelle Grant est venu me
voir à la place. Mais elle ne lui a pas interdit de me demander de te le dire.
Bon sang. Je devais accorder plus de crédit que ça à mon beau-frère.
— Il faut que je prépare mon sac et que je prévienne ma mère et mon père
de mon départ. Merde ! Reese a un nouveau boulot. Elle ne va pas vouloir
poser des congés et honnêtement, je ne veux pas qu’elle voie tout ce merdier
avec Kiro. C’est complètement taré. Inutile de la traîner là-dedans.
— Je te laisse gérer tout ça. On décolle à 18 heures ce soir si tu veux venir
avec nous. On a le jet.
— Merci. À ce soir, alors.
— Fils de star, c’est vraiment la merde, conclut-il en remontant la colline.
J’aurais pu dire qu’il comprenait, mais ce n’était pas entièrement vrai. Son
père à lui, c’était Dean Finlay. Dean n’avait jamais fait des conneries comme
Kiro. Dean avait été un père aimant, présent – la plupart du temps. Dean ne
trempait pas constamment dans des situations de dingue. Rush n’avait pas la
moindre idée de ce que cela pouvait faire d’être le fils de Kiro Manning.
Oui, c’était la merde. Une vraie merde noire. Tout le temps.
Reese

Lorsque la porte du bureau s’ouvrit juste après 14 heures, je savais déjà que
c’était lui. Mon corps entier se raidit en levant les yeux sur Captain. Son regard
brillait d’une certaine lueur lorsqu’il entra dans la pièce de son pas nonchalant.
— Bonjour, Reese. J’ai des documents et des factures pour toi, annonça-t-il
en se laissant tomber dans le fauteuil en cuir le plus proche de mon bureau.
— O.K., répliquai-je.
Je m’étais déjà résignée à ne pas l’interroger sur les billets de concert.
— Le concert a eu l’air de te plaire, commenta-t-il comme s’il pouvait lire
dans mes pensées. (Une fois encore. Mais comment faisait-il ?)
— C’était un excellent concert, observai-je, même si je n’avais aucun
élément pour comparer.
Il eut un petit sourire en coin.
— Tu dis ça maintenant. Attends de voir un groupe comme U2 en live. Là tu
verras ce que c’est qu’un excellent concert.
Je ne voyais même pas qui était U2. J’ignorai donc sa remarque.
— Les factures ? fis-je en tendant la main pour en finir avec cette
conversation.
Il émit un petit rire :
— Tu ne m’aimes pas beaucoup, Reese. Pourquoi donc ?
Je n’avais pas la réponse, si ce n’est qu’il me rendait nerveuse. Et qu’il
flirtait avec moi. Eh bien si en fait, j’avais la réponse :
— Tu flirtes. Je n’aime pas ça.
Il me scruta un moment, puis son air amusé se mua en expression sérieuse.
Il se pencha en avant, les coudes sur ses genoux. Son visage s’était rapproché
du mien et le bureau entre nous faisait office de gardefou.
— Je ne flirte pas avec toi, Reese. Quand je le ferai, tu verras la différence.
Oh. O.K. Pourtant ça y ressemblait beaucoup. M’étais-je trompée ? Étais-je
en train de lire de travers ses tentatives pour être amical ? Non. Il avait eu ce
commentaire sur le fait qu’il voulait ce qui appartenait à Mase.
— Tu as eu certains commentaires… sur moi…
Ma voix resta en suspens et je me sentis rougir. Il haussa les épaules.
— Je suis sincère. Je me moque de ce que peuvent penser les autres. Si j’ai
un truc à dire, je le dis. Ça ne veut pas dire que je flirtais, ma belle.
Il était tellement déroutant. Agacée, je serrai le poing sur mes genoux.
— O.K. Très bien, dans ce cas oublions tout ça et au travail. Qu’est-ce que tu
m’as apporté ?
Il plongea une main dans sa poche arrière et en ressortit une enveloppe en
papier kraft.
— Tiens. (Puis il se leva pour regagner la porte.) Si tu as des questions,
appelle ou envoie un SMS, dit-il sans se retourner.
Lorsque la porte se referma derrière lui, je me laissai retomber sur ma
chaise en poussant un soupir de frustration. J’avais réussi à passer pour
l’emmerdeuse de service. Il avait joué la carte de la sincérité et retourné le
propos en me faisant passer pour une imbécile.
Je décidai de me débarrasser de cette sensation en ouvrant l’enveloppe. Elle
contenait de la paperasse et des factures, en trop grand nombre pour que j’aie
le temps de tout traiter dans la journée. Il me restait beaucoup de choses à faire
pour Piper. Elle partait le lendemain, et j’allais devoir nourrir les chevaux en
plus de les bouchonner et de nettoyer les écuries. Piper avait récemment
remercié l’employée des écuries parce qu’elle n’arrêtait pas de passer des
coups de fil personnels pendant ses heures de travail. Elle n’avait pas encore
embauché de remplaçante.
Des journées bien chargées m’attendaient et j’allais finir tard. Je
m’apprêtais à appeler Mase lorsque son nom apparut à l’écran. Je souris à la
perspective d’entendre sa voix.
— Salut. J’allais t’appeler.
— Salut bébé, j’ai un problème. Je déteste t’annoncer ça par téléphone, mais
je suis en train de faire mon sac et de boucler deux trois trucs avant de décoller
à 18 heures.
Quoi ? Il partait ?
— Que se passe-t-il ? demandai-je en m’inquiétant de le voir s’en aller au
pied levé.
— C’est Kiro. La mère de Harlow a des ennuis de santé et Kiro pète les
plombs. Il réagit comme à chaque fois et Harlow se retrouve toute seule face à
ce merdier. Elle n’a pas besoin de ça ; son cœur… bref je t’ai déjà raconté. Il
faut que j’aille m’occuper de lui, que je le calme et que je rassure ma sœur. Je
partirais bien avec toi, mais ça ne va pas être beau à voir. Kiro… n’est pas dans
son état normal. Il est complètement azimuté. Mais je n’ai pas envie de te
laisser. Je me sens vraiment tiraillé.
De mon côté je ne pouvais pas partir. J’avais du boulot par-dessus la tête,
sans oublier que Piper s’absentait et comptait sur moi.
— J’ai beaucoup de travail. Je dois assurer pendant l’absence de Piper. Vas-
y. Va aider Kiro et tiens-moi au courant.
— Je t’aime. Tu vas me manquer. J’appellerai chaque soir. Ma mère m’a dit
qu’elle assurerait tes trajets en voiture et qu’elle passerait te prendre à 17
heures ce soir ; je serai déjà parti à l’aéroport.
— Moi aussi je t’aime. Ne t’inquiète pas pour moi. Tu vas me manquer,
mais ta famille a besoin de toi. Tu penses que Maryann peut passer me
chercher plutôt à 18 heures ? Je vais finir plus tard aujourd’hui.
— Oui, d’accord, répondit-il après un temps d’hésitation. Je n’aime pas
l’idée que tu finisses tard.
J’avais envie de le serrer dans mes bras et de sentir ses baisers sur mes
lèvres. Mon cœur se serra. Mais je n’allais pas lui dire qu’il me manquait déjà.
Il avait suffisamment de choses à régler de son côté. Je n’allais pas en rajouter.
— Tout va bien. J’ai beaucoup de paperasses à classer, c’est tout. Fais un
bon voyage et appelle-moi en arrivant.
Il poussa un soupir.
— Bon sang, je déteste te quitter comme ça.
Moi aussi je détestais ça.
— Ça va passer vite. Tu vas me manquer, mais je serai là à ton retour.
— Je t’aime tellement, dit-il avec ferveur.
— Et moi donc, répliquai-je.
Mase

Le jet privé nous emmena en Floride. Je n’allais pas m’y attarder, car il
fallait que je file à Los Angeles pour m’occuper de Kiro. Mais d’abord j’allais
discuter avec Harlow ; elle était au courant de tout. Et puis je voulais la
rassurer : j’allais gérer la situation. Je ferais tout mon possible pour qu’elle
arrête de se faire un sang d’encre.
Grant ouvrit la porte avant que je n’aie le temps de frapper. Je lui avais
annoncé mon arrivée par texto depuis l’aéroport. Il avait l’air stressé.
— Merci d’être venu, murmura-t-il.
Je hochai la tête :
— La prochaine fois, préviens-moi plus tôt, d’accord ?
Grant inclina la tête en direction de l’arrière de la maison.
— Elle est sur la terrasse au téléphone avec Dean pour avoir des nouvelles
de Kiro. Lila Kate est déjà au lit.
Je posai mon sac par terre et traversai la maison.
J’aperçus Harlow assise sur une chaise, le téléphone au bout de son bras
ballant le long de son corps. Elle avait le menton posé sur ses genoux repliés.
— Il ne répond pas, dit-elle d’un air triste.
Elle ne m’avait pas regardé, et pensait que j’étais Grant.
— Je pars à L.A. ce soir. Dès que je sais comment il va, je t’appelle,
affirmai-je.
Au son de ma voix elle releva la tête brusquement et fit volte-face. Ses yeux
s’emplirent instantanément de larmes.
— Je lui ai demandé de ne rien te dire, dit-elle d’une voix étranglée.
— Il a tenu promesse. C’est Rush qui m’a mis au courant. Et c’est toi qui
aurais dû le faire, répliquai-je en m’approchant d’elle pour prendre ses petites
mains dans les miennes.
— Tu vas te mettre en colère contre lui. Il n’a pas besoin de ça. Il souffre,
protesta-t-elle dans un sanglot.
J’en avais conscience. Et si Harlow n’était pas là, je lui aurais mis une
rouste. Mais jamais je n’aurais fait de peine à ma sœur.
— Je ne me mettrai pas en colère. Je sais qu’il est au plus mal. Je vais lui
parler. Voir si je peux l’aider à y voir plus clair et à lâcher la vodka. Il faut
qu’il trouve un moyen de faire face sans sombrer dans l’alcool. Sinon il va
replonger dans la drogue. Il faut que quelqu’un y mette un frein et on sait tous
les deux que Dean n’en est pas capable.
Harlow posa son front sur ses genoux.
— Il l’aime tellement. Je ne peux même pas l’imaginer, Mase. Je ne sais pas
comment il supporte de voir la femme qu’il adore prisonnière à ce point dans
son propre corps. Ça me fend le cœur. Je veux qu’il soit heureux. Ça fait si
longtemps qu’il ne l’a pas été.
Si un des enfants de Kiro devait pleurer sur son sort, c’était bien Harlow.
Elle l’aimait d’une manière qui m’échappait. Le père qu’elle connaissait était
tellement différent du Kiro que je fréquentais. J’étais content qu’il chérisse
Harlow. Je le détesterais au dernier degré et je me laverais les mains du
bonhomme s’il ne lui portait pas une telle adoration. À mes yeux ça le
rachetait. Il aimait ma petite sœur. C’était un argument suffisant pour le
protéger de sa propre bêtise.
— Il s’accroche à Emily depuis si longtemps. Ça le secoue. Il a l’impression
de la perdre une nouvelle fois. Mais c’est lui-même qu’il va perdre si personne
ne le rappelle à la raison. Je ne vais pas être dur avec lui, mais je vais le forcer
à voir les choses dans leur contexte. Il en a besoin, Harlow.
Elle renifla en hochant la tête, puis essuya une larme qui s’était échappée sur
son visage.
— Je l’aime, dit-elle à mi-voix.
Je la serrai contre moi.
— Je sais. C’est pour ça que je vais faire tout ce que je peux pour le sauver
de lui-même.
Elle s’accrocha à moi et nous restâmes ainsi jusqu’à ce que ses sanglots
tarissent. Lorsqu’elle s’écarta, elle passa sa manche sur son visage.
— Où est Reese ?
Reese. J’avais été contraint de la laisser. Je détestais ça. J’avais besoin d’elle.
— Elle a décroché un nouveau boulot et sa boss va s’absenter. Elle doit la
remplacer. Et, honnêtement, je ne veux pas qu’elle voie Kiro dans cet état.
Harlow me gratifia d’un sourire triste.
— Je suis désolée que tu aies été obligé de la laisser derrière toi.
Pas autant que moi. Je tendis la main pour caler une de ses mèches de
cheveux derrière son oreille.
— Elle me manque. Je ne vais pas te mentir. Mais dans l’immédiat, Kiro a
besoin d’aide. Et pour toi, je vais faire le nécessaire pour qu’il en ait.
Harlow poussa un soupir et se laissa retomber sur sa chaise.
— Il t’aime toi aussi, tu sais. Il est fier de toi. Il ne le dit pas, mais il est fier
de l’homme que tu es devenu. Que tu ne sois pas comme lui.
Je n’étais pas comme lui parce que j’avais été élevé par un homme bien.
Mais je m’abstins de le dire à Harlow. Je me contentai de hocher la tête, parce
qu’elle avait besoin de mon soutien.
Elle rit et serra ma main dans la sienne.
— Tu es d’accord avec moi parce que tu ne veux pas me contrarier. Tu es
pire que Grant. Je sais que tu ne me crois pas. Je ne sais pas si tu me croiras un
jour. Mais je connais papa. Je sais qu’il t’aime.
Son rire me donna le sourire. La tension qui enserrait ma poitrine se
relâcha un peu.
— Je veux que tu me promettes que tu vas arrêter de t’inquiéter. Et de
pleurer. Repose-toi, profite de Lila Kate, et épargne le pauvre Grant. Il se fait
un sang d’encre pour toi.
Harlow jeta un œil à la maison, et un sourire fin éclaira son visage.
— J’ai de la chance de l’avoir. Il est merveilleux. Grâce à lui mon monde
est plus lumineux.
Tant mieux.
— Dans ce cas, concentre-toi là-dessus. Sa lumière et tout le bazar. Et arrête
de t’inquiéter.
Harlow rit de plus belle, et je sentis qu’elle allait mieux. Je pouvais la
laisser pour aller voir Kiro, sachant qu’elle était désormais dans un meilleur
état d’esprit.
La porte s’ouvrit et Grant passa la tête dans l’entrebâillement.
— C’est bien son rire que je viens d’entendre ? s’enquit-il d’une voix pleine
d’espoir.
— Tout à fait. J’apporte un peu de féerie, tu comprends. Tu devrais en
prendre de la graine, répliquai-je en me levant. (Je déposai un baiser sur le
front de Harlow.) Je t’adore.
Elle me serra dans ses bras.
— Moi aussi je t’adore.
Grant s’approcha d’elle et Harlow se leva pour se pelotonner contre lui. Il
lui caressa le dos et cala sa tête sous son menton.
— Merci, dit-il en me regardant comme si je venais de résoudre tous les
problèmes de la planète.
— La prochaine fois tu m’appelles quoi qu’elle en dise. Inutile qu’elle
s’inquiète. Elle est têtue, mais tu peux l’être encore plus. J’ai bien vu. J’étais là
quand tu t’es planté devant la porte de l’hôpital en refusant de bouger tant que
ta femme ne sortait pas vivante de la pièce.
À ce souvenir, une lueur de peur mêlée de soulagement traversa son regard.
— C’est bien noté, acquiesça-t-il.
Harlow me sourit.
— Tu lui apprends à se retourner contre moi.
Je haussai les épaules.
— Quand il est question de ta santé et de ton bonheur, petite sœur, je fais
tout le nécessaire. Pareil pour lui.
Harlow déposa un baiser sur le menton de Grant. Il tourna son attention vers
elle et je devins instantanément invisible. J’avais commencé à lui dire que
j’allais me mettre en route pour Los Angeles lorsqu’elle me regarda enfin.
— Tu ne partiras pas ce soir. Tu vas passer la nuit ici et tu verras ta nièce au
réveil. Tu prendras le petit déjeuner avec nous. J’ai envie de passer du temps
avec toi avant que tu partes voir papa.
Je voulais rentrer auprès de Reese le plus vite possible, mais j’étais épuisé,
et elle avait raison : il fallait que je voie Lila Kate. Je hochai la tête et Grant
gloussa.
— Quoi ? fis-je.
Il eut un petit sourire en coin.
— C’est marrant de voir que toi aussi tu lui obéis au doigt et à l’œil.
Je n’étais pas de cet avis, mais j’adorais Harlow et j’avais du mal à lui dire
non.
En plus, si je voyais Kiro alors que j’étais épuisé, ça n’allait servir à rien.
Autant faire plaisir à Harlow et être vraiment efficace auprès de Kiro le
moment venu.
Reese

La nuit dernière le lit avait semblé bien vide sans Mase. Je n’avais réussi à
m’endormir que très tard et m’étais réveillée fatiguée. Je me préparai donc un
bon café pour remplir la Thermos de Mase avant l’arrivée de Maryann.
Lorsque j’entendis son pick-up, j’attrapai rapidement mon déjeuner et la
Thermos pour la rejoindre. En arrivant à la hauteur du véhicule, je m’aperçus
que Major était au volant. Je passai la tête par la portière passager.
— C’est toi qui m’accompagnes ? m’enquis-je pour m’assurer qu’il n’était
pas venu chercher Mase.
Il me gratifia de son sourire qui donnait toujours l’impression qu’il cachait
quelque grand secret.
— Ouep. Maryann n’a pas pu venir : un des veaux a eu des complications.
Elle m’a demandé d’aller te chercher.
Je grimpai dans le véhicule et posai mes affaires sur le siège avant
d’attacher ma ceinture.
— Merci.
— Je t’en prie. Mais je vais être honnête avec toi. Elle m’a promis un bon
gueuleton, alors…
J’éclatai de rire. Mase se plaignait tout le temps parce que Major dévorait le
garde-manger de sa mère. De ce que j’avais entendu dire, Major n’avait pas
vraiment de mère, et il me faisait un peu de peine. Cela étant, il avait quand
même couché avec sa belle-mère. Peut-être ne méritait-il pas vraiment ma
compassion.
— Tu as causé à Mase ?
— Oui. Il a appelé hier soir quand il a atterri en Floride pour me dire qu’il
allait voir Harlow.
Major poussa un long soupir.
— Cette famille est naze.
Mase était le fils d’une célébrité. Il n’était pas censé avoir une vie normale.
Mais visiblement c’était pire que ce que j’imaginais.
— Il a l’air inquiet, me contentai-je d’ajouter.
Major me jeta un œil avant de regagner la route principale.
— On peut dire ça, oui. Mais il s’inquiète uniquement pour Harlow. Si elle
n’était pas là, il n’en aurait rien à foutre de Kiro. Cet homme lui a peut-être
donné la vie, mais il n’est pas son père.
J’étais de cet avis, même si ça me rendait triste de me dire qu’il n’avait pas
avec son père biologique la même relation que pouvait avoir Harlow. Kiro
avait raté l’opportunité d’apprendre à connaître l’homme extraordinaire
qu’était son fils.
— Et le boulot, comment ça se passe ? Ça te plaît ou tu es prête à tout
plaquer ?
J’ouvris la Thermos en bâillant.
— Ça me plaît. J’adore travailler avec Piper.
Il hocha la tête d’un air approbateur :
— C’est bien. Dommage que tu n’aies pas pu partir avec Mase, du coup.
Oui, c’était bien dommage.
— Tu penses qu’il va bientôt faire sa demande ?
Sa demande ? Quoi ? Je reposai la Thermos en fronçant les sourcils.
— Quelle demande ?
Major me regarda comme si je plaisantais. Puis il rigola en levant la main
gauche.
— « Veux-tu m’épouser » ? Ce genre de demande.
Oh… Oh ! Je n’avais pas encore songé à ça. Bien entendu, j’envisageais
mon avenir avec Mase, mais je ne m’attendais pas à un mariage dans
l’immédiat. Nous avions à peine commencé à vivre ensemble.
Mon silence fit rire Major.
— Visiblement pas, fit-il.
Je le dévisageai en me demandant ce qu’il pouvait bien attendre de moi.
Heureusement, nous arrivions au ranch des Stout et la conversation allait
bientôt prendre fin. Une fois arrivée aux écuries, je serais débarrassée. Je
n’avais pas de réponse à lui donner, si ce n’est que j’en doutais.
Le pick-up s’immobilisa et il se tourna vers moi.
— Par curiosité, tu ne dis rien parce que tu ne veux pas qu’il fasse sa
demande ou parce que tu penses qu’il n’a pas envie de la faire ?
Je décidai de m’inspirer des principes d’honnêteté de Captain.
— Je pense qu’il n’est pas prêt. Ça ne fait pas longtemps qu’on est ensemble.
S’il était vraiment prêt à m’épouser, il me l’aurait déjà demandé. Je pense qu’il
attend qu’on ait un peu vécu ensemble.
Major opina du chef avant de hausser les épaules.
— Peut-être, dit-il avant d’incliner le bord de son chapeau comme le faisait
souvent Mase. Bonne journée, Reese.
Je sortis du pick-up avant que Major ne me pose d’autres questions
indiscrètes.

Au bout de deux heures de travail j’avais bu l’intégralité de la Thermos et


j’attaquai une nouvelle tasse de la cafetière du bureau. J’étais à genoux par
terre, en train de plancher sur un dossier pour Piper, lorsque la porte s’ouvrit
sur Captain.
J’avais décidé d’être polie aujourd’hui. Il m’avait affirmé qu’il ne flirtait
pas avec moi, je n’avais donc pas besoin d’être sur la défensive. Nous étions
appelés à travailler ensemble pendant un moment, et j’avais besoin d’y arriver
sans ressentir le besoin d’être sur mes gardes. D’autant plus que je n’étais pas
d’un naturel impoli. Ça me demandait des efforts.
À la lumière de cette décision, je le saluai en souriant.
— Bonjour.
Je vis la surprise se peindre sur son visage. Je n’allais pas le laisser dire
quelque chose d’« honnête » et tout gâcher.
— Je finis de chercher un dossier pour Piper et je suis à toi, expliquai-je en
me replongeant dans mes recherches.
— Je me suis trompé de bureau ? ironisa Captain.
Je savais qu’il allait y aller de son commentaire. C’était obligé. Il était
comme ça. Je le gratifiai d’un autre sourire.
— Du tout. J’essaie juste de simplifier les choses. Je n’ai aucune raison
d’être sur la défensive avec toi si tu ne flirtes pas.
Le dossier fit enfin son apparition. Je me redressai et époussetai mon jean
avant de regagner mon bureau.
— Tu as d’autres documents à classer pour moi ?
Il inclina la tête pour me scruter. Zut alors, c’était censé simplifier les
choses et voilà qu’il corsait le tout.
— Pas aujourd’hui. J’ai besoin de voir un reçu que je t’ai déposé la semaine
dernière. Si tu m’indiques le tiroir, j’irai le repêcher.
Je hochai la tête.
— O.K. Le deuxième tiroir contient les fichiers classés par date sur le reçu.
Il continuait à me regarder comme s’il ne savait pas trop quoi faire de moi.
Il finit par opiner du chef et partir en quête de son reçu. J’en profitai pour
m’asseoir et trouver les informations dont j’avais besoin pour envoyer un
SMS à Piper. Je pris plusieurs photos des documents dont elle avait besoin et
les lui envoyai dans la foulée.
Le moment était venu de répondre aux mails sur les cours d’équitation, mais
Captain était encore là, ce qui me gênait un peu. Si je sentais son regard peser
sur moi, j’allais faire des erreurs en écrivant.
Je décidai de me verser une autre tasse de café, même si la caféine me
rendait déjà bien nerveuse. Cette nuit il fallait que je dorme. Peut-être avec un
T-shirt de Mase ? Son odeur pourrait m’aider à trouver le sommeil.
— Je l’ai trouvé, annonça Captain en brandissant un morceau de papier.
Merci. C’est très bien organisé.
Je hochai la tête. J’en étais assez fière. Avant Mase, je n’aurais jamais pu
classer les papiers par date. C’était grâce à lui.
Captain s’approcha de moi sans me quitter du regard.
— Deux dates étaient mélangées. Je les ai reclassées. Je suis sûr qu’à force
de déchiffrer des dates on a les yeux qui tricotent un peu.
Merde. Je sentis mon visage s’empourprer. Je me sentais très accomplie
alors qu’en réalité j’avais fait des erreurs. Il avait fallu que Captain s’en rende
compte.
— Pas la peine de prendre cet air coupable. C’était juste l’affaire de deux
tickets de caisse.
Mon visage rougit de plus belle. Je voulais qu’il s’en aille. Il me fallait un
instant pour me ressaisir. Après quoi j’allais passer au crible tous les fichiers.
Je ne voulais pas que Piper tombe sur quoi que ce soit qui la fasse douter de
mes capacités. J’étais fière de mon travail. Je le faisais correctement. En tout
cas c’était l’impression que j’avais.
— Reese, regarde-moi, poursuivit Captain d’une voix que je trouvais
autoritaire, et je levai les yeux sur lui. On dirait que tu vas pleurer. Merde, si
j’avais su que ça allait te contrarier à ce point, je ne t’aurais rien dit. C’était une
erreur involontaire.
Les larmes picotaient mes yeux, je détestais ça. Je ne voulais pas me sentir
fragilisée. Et je ne voulais pas que Captain voie mon point faible.
— Je te le jure, si tu pleures pour ça, je vais me fâcher tout rouge. Pourquoi
tu te mets dans cet état ?
Peut-être à cause de l’épuisement mélangé à la quantité de caféine que
j’avais ingérée. En tout cas, j’étais à fleur de peau. Et puis Mase me manquait. Il
me protégeait et, en son absence, il fallait que je fasse preuve de force. Avant
de le rencontrer, j’étais forte. Pourquoi est-ce que je craquais maintenant ?
— Reese…
— Je suis dyslexique, bafouillai-je.
Il se tut un moment, puis une lueur traversa ses yeux et pour la toute
première fois Captain eut l’air désolé. Mais je ne voulais pas de sa compassion.
— J’apprends à me débrouiller avec et j’ai fait beaucoup de progrès. J’ai
horreur de faire ce genre d’erreurs. Ça me rappelle trop avant. Je ne veux plus
jamais ressentir ça.
Je me préparai aux excuses de Captain en serrant les dents. Je n’en voulais
pas, mais j’étais sûre qu’elles ne tarderaient pas à venir.
— Ferme le bureau et suis-moi. Je veux que tu rencontres quelqu’un, me dit-
il comme si j’allais lui obéir au doigt et à l’œil.
Je secouai la tête.
— J’ai du travail.
Il fronça les sourcils.
— D’accord, alors après le boulot.
Je n’irais nulle part avec Captain.
— Ça ne va pas être possible.
— À cause de Mase. (Ce n’était pas une question. Il énonçait un fait.) Alors
je te l’amènerai.
Qui ça ? J’allais poser la question lorsque Captain tourna les talons pour
regagner la sortie. Il se retourna une dernière fois :
— Jamais plus je ne veux te voir pleurer pour ça. Tu devrais être fière de ce
que tu as accompli. Merde, c’était une simple erreur, même moi j’aurais pu la
faire. Ne te laisse pas définir par tes points faibles, Reese. Jamais. Ce sont tes
points forts qui doivent te définir.
Sur ces mots, il disparut.
Mase

Dean Finlay ouvrit la porte de la demeure qu’il partageait avec Kiro à


Beverly Hills.
— Il est déjà dans le coaltar pour ce soir. Je t’ai fait préparer une chambre,
m’annonça-t-il. C’est un bon gros salaud le matin ; sa nouvelle habitude.
Le sale carafon du bonhomme ne me faisait pas peur.
— Je m’occuperai de lui. Faut qu’il arrête ses conneries. Il est tellement
égoïste.
J’étais en colère qu’il fasse de la vie de Harlow un véritable enfer, sans
parler de celle de Dean, son meilleur ami. Hormis Harlow, Dean était la seule
autre personne qui l’aimait.
— Tu ne te rends pas compte de ce qu’elle représentait pour lui. À moins de
l’avoir vécu avec eux, tu ne peux pas comprendre, Mase. Il était un homme
différent grâce à elle. L’accident a créé quelqu’un d’autre qui nous était
totalement inconnu. Ça a détruit son âme. C’est le genre de choses dont on ne
se remet jamais.
J’en avais assez d’entendre que la perte d’Emily lui donnait le champ libre
pour être un trou du cul de calibre international.
— Tu sais ça parce que tu as connu ce genre d’amour ? Parce que je ne te
vois pas trop agir comme lui.
Dean poussa un profond soupir et secoua la tête.
— Je n’ai jamais été amoureux à ce point. Après avoir vu le bouleversement
de Kiro quand il l’a perdue, je n’ai laissé personne m’approcher. Il était hors
de question que je souffre comme ça.
Je ne savais pas ce qui était le pire : aimer et perdre ou ne jamais connaître
ce genre d’amour. Sans Reese la vie me semblait vide, sans intérêt. Si je la
perdais, deviendrais-je comme mon père ? J’aimais à penser que non, mais je
n’étais pas sûr qu’un homme sans âme puisse vraiment devenir autre chose. Si
c’était le cas, pouvais-je lui pardonner ? Pouvais-je le comprendre et ne pas le
haïr en raison de ce qu’il faisait subir à ma sœur ? Avait-elle déjà fait ce pas ?
Elle avait Grant, mais aussi Lila Kate. Je ne voulais pas penser à l’éventualité
qu’elle les perde.
— Ne juge pas ce que tu ne connais pas, plaida Dean en me donnant une tape
dans le dos. Allez, va te reposer. Ce ne sera pas du luxe. Il ne va pas être
jouasse de te voir.
Il avait raison. Kiro allait faire la gueule en me voyant arriver. Il ne voulait
pas qu’on se mêle de ses affaires. Il préférait s’apitoyer sur son propre sort.
Mais demain, quand je lui ferais face, je savais déjà que je le percevrais
différemment. En me souvenant que ce pourrait être moi si j’avais perdu
Reese. Le monde sans elle serait incompréhensible.

J’avais réglé mon réveil à 9 heures pour être prêt à affronter mon père.
J’aurais besoin d’un café avant toute chose. La veille, Harlow n’avait pas arrêté
de me trouver des raisons de me retenir à Rosemary Beach. J’avais fini par lui
dire que je l’adorais mais qu’il fallait que j’y aille. J’avais hâte de retourner
auprès de Reese et pour cela il fallait d’abord que je voie Kiro.
En approchant de la cuisine j’entendis deux voix. Je reconnus celle de Dean
mais pas celle de la femme ; elle avait un accent. En pénétrant dans la pièce
baignée de lumière, je vis une dame plus âgée s’activer aux fourneaux pendant
que Dean, assis à table, sirotait son café en feuilletant un numéro de Rolling
Stone. Il leva les yeux et me sourit.
— Bonjour, mon grand. Tu t’es levé avant lui. Ouf, fit-il.
— Café ? m’enquis-je.
La dame s’essuya les mains sur son tablier et se précipita sur la cafetière.
— Je m’en occupe, l’interrompis-je. Si vous voulez bien m’indiquer les
tasses.
Elle me sourit nerveusement avant de jeter un œil à Dean.
— Marlana est nouvelle, expliqua-t-il. Marlana, voici le fils de Kiro. Inutile
de le servir. Il n’est pas du tout comme son père.
Elle tourna les yeux vers moi d’un air tendu puis sortit une tasse du placard
avant de retourner prestement à sa poêle à frire. La pauvre femme devait
affronter mon dingo de paternel. Pas étonnant qu’elle soit stressée comme pas
deux.
Je me versai une tasse de café avant de m’asseoir en face de Dean.
— Tu veux un journal ? Normalement il y en a un à côté de la porte d’entrée
et Marlana l’apporte dans la cuisine. Je ne sais même pas pourquoi on le reçoit
étant donné que ni lui ni moi ne le lisons.
— Je vais le chercher, s’empressa Marlana en sortant à toute vitesse de la
pièce.
Je n’avais pas besoin du journal, mais je n’avais pas eu le temps de la
retenir. Dean haussa les épaules.
— Elle a très envie de bien faire. Espérons que Kiro ne la fera pas fuir.
— Mon objectif est de lui remettre les idées en place avant de repartir.
— On n’atteint pas toujours ses objectifs. N’oublie pas que cet homme vit
uniquement pour Emily. Et qu’il est vraiment en train de la perdre.
Mon cœur se serra. Je n’arrêtais pas de penser à Reese.
— C’est à en regretter de tomber amoureux, pas vrai ? lança Dean en
plongeant de nouveau le nez dans son magazine.
Il avait tort. Jamais je ne regretterais les sentiments que j’éprouvais pour
Reese. Elle m’avait ouvert les yeux sur le monde de manière inouïe. Elle avait
changé ma vie. Elle m’avait offert le bonheur véritable. Je secouai la tête.
— Non, je ne regrette pas. (Dean leva les yeux.) Avant Reese, j’ignorais que
le monde pouvait être plein de rêves. Qu’on pouvait se lever le matin heureux
de respirer. Qu’un seul sourire d’elle me donnerait le sentiment d’être un roi.
L’aimer vaut… vaut tout. Une vie dans la peur d’aimer ne vaut pas la peine
d’être vécue.
Il reposa son magazine en fronçant les sourcils, puis continua à siroter son
café. Il n’avait pas l’air de me croire. En réalité, il était tout aussi triste que
Kiro. Il n’avait jamais connu de véritable émotion, à l’état brut. Il ignorait à
quel point l’amour d’une femme pouvait être épanouissant.
Je voyais bien qu’il avait envie de réagir, mais il se ravisa.
— Kiro ne va pas émerger avant deux bonnes heures. Je te suggère de ne
pas le réveiller. Sans quoi ça va corser ta visite.
— Très bien. Je vais manger un bout et appeler Reese.
Dean reposa sa tasse.
— Marlana prépare des pancakes et des saucisses. Enfin, c’est ce qu’elle
faisait jusqu’à ce qu’elle courre chercher ton journal. Franchement, elle est
trop vieille pour s’activer dans tous les sens.
Sur ces mots il sortit de la cuisine de sa démarche chaloupée qui me faisait
penser à mon père. J’avais compris depuis bien longtemps que seules les stars
du rock étaient capables de rouler des mécaniques comme ça.
Marlana revint en traînant des pieds et déposa le journal devant moi.
— Le petit déjeuner est bientôt prêt, m’assura-t-elle avant de retourner aux
fourneaux.
Je dépliai le journal, même si je me contrefoutais de son contenu. Mais elle
était allée me le chercher et je ne voulais pas la blesser.
Reese

La veille, j’avais appelé Maryann pour qu’elle passe me chercher une heure
plus tôt afin de ne pas être là au retour de Captain. Plus j’y pensais, plus je
regrettais de lui avoir parlé de ma dyslexie. Pourquoi réussissait-il toujours à
me faire dire des choses ?
Mase m’avait appelée en arrivant à Los Angeles. Nous avions discuté tandis
qu’il se rendait chez son père à Beverly Hills. Je sentais bien qu’il était tendu à
l’idée de ce qu’il allait trouver sur place et je me sentais coupable de ne pas
être à ses côtés.
Pour rattraper mes heures de la veille, j’étais arrivée plus tôt au bureau ce
matin. J’étais tellement épuisée que j’avais fini par mieux dormir. Si tout se
passait bien aujourd’hui, Mase allait rentrer à la maison.
Piper aussi allait rentrer et je voulais m’assurer que tout serait nickel pour
son retour. Je passai en revue les chevaux et balayai la poussière qui avait
recouvert les sols pendant la nuit. Puis je retournai au bureau.
Le reste de la matinée passa rapidement. J’étais impatiente que Mase
m’appelle, mais je parvins à me concentrer sur mon travail pour tout boucler
et prendre de l’avance.
Après le départ de Piper pour le déjeuner, la porte s’ouvrit sur un petit
garçon qui devait avoir dix ans à tout casser. Au début, je crus qu’il s’agissait
d’un élève de Piper dont les parents étaient en retard. Jusqu’à ce que Captain lui
emboîte le pas.
Quoi ?
— Je suis content de te trouver. Henry et moi avons fait la route hier mais tu
étais partie plus tôt.
Il avait organisé la visite d’un gamin ? J’étais perdue.
— Euh, oui, j’ai fini en avance, mentis-je avec un pincement de culpabilité.
— Ce n’est pas grave. Henry et moi nous sommes arrangés pour revenir
aujourd’hui. On a même apporté des fajitas au bœuf du restaurant. Le père de
Henry est chef cuisiner chez Stout & Hawkins à Dallas. C’est devenu mon pote.
Je voulais lui présenter une autre de mes amies.
À quoi jouait-il ? Il m’apportait encore à manger en prétextant de la visite
d’un gamin pour que je me tienne à carreau ? Captain était insensé. Il affirmait
qu’il ne flirtait pas et voilà qu’il me faisait un coup comme ça.
— Mon père fait les meilleurs fajitas au bœuf du monde, renchérit Henry
avec fierté. (Il était chou.) Il t’en a fait des spéciaux. Avec sa sauce secrète.
— Oh, merci. Ça sent divinement bon, lui répondis-je tandis que Captain
disposait les mets devant moi.
— On peut faire un pique-nique ? C’est plus rigolo de manger dehors. En
plus ici ça sent le caca de cheval, commenta Henry en fronçant le nez.
Captain éclata de rire et se tourna vers moi.
— Ça te conviendrait, Reese ?
Comme si j’allais dire non à un petit garçon. Il le savait. Bon sang, ce
type…
— Bien sûr, répliquai-je la mâchoire serrée avant de me forcer à sourire et
de ramasser la boîte que Captain avait déposée devant moi.
— Super. Je vais chercher la couverture dans mon pick-up, annonça-t-il.
Il sortit aussitôt du bureau, nous laissant Henry et moi les mains chargées de
nourriture.
— Il a une couverture dans son pick-up ? m’étonnai-je.
— Ouep, fit Henry en secouant la tête. On regarde les étoiles quand mon
père finit très tard.
Donc Captain veillait sur ce gamin pendant que son père travaillait. Je ne
m’attendais pas à cela. Ça ne collait pas avec l’image que j’avais de Captain.
— Kingsley est venue avec nous l’autre soir. Elle avait pris des milkshakes
et on a regardé le ciel. Mais elle n’a pas beaucoup aimé : elle n’arrêtait pas de
se plaindre.
Ce qui en disait long sur elle. J’espérais que Captain épargnerait dorénavant
sa présence à Henry. Il n’avait pas besoin de ça. Je me demandais qui était sa
mère : elle n’avait pas l’air présente dans le tableau, mais je n’osais pas poser
la question.
— C’est bon. On te suit, Henry. Trouve-nous un coin pique-nique de
premier choix, annonça Captain en revenant.
Je ne lui avais jamais vu le sourire dont il gratifia Henry. Il était sincère. Ni
forcé ni calculé. Un sourire dénué de malice.
Henry s’éloigna des écuries et s’arrêta hors de portée de leur odeur. Il
hocha la tête pour nous informer qu’on pouvait s’installer là et sa chevelure
hirsute lui tomba dans les yeux. J’avais envie de lui caler ses mèches derrière
ses oreilles, mais je n’étais pas sûre qu’il apprécie.
Captain étendit la couverture, me prit la nourriture des mains et la disposa
par terre tandis que Henry l’imitait. Captain sortit une cannette de sa poche
arrière et la lança à Henry. Puis il se tourna vers moi.
— J’en ai pris une pour toi aussi, dit-il en me la tendant.
— Merci, parvins-je à articuler.
Je m’assis en tailleur, la boîte de nourriture sur les genoux.
— Ça ne va pas être simple de manger des fajitas comme ça. Mais au moins
ça ne sent pas mauvais et c’est plus rigolo, observa Henry en me souriant.
— Tu as raison. Ça sent bien meilleur et c’est sympa comme tout. En plus, je
déjeune dans mon bureau tous les jours, alors ça change.
Henry dévisagea Captain.
— Elle est mieux que Kingsley. Elle sait s’amuser, elle au moins.
J’évitai de regarder Captain en me concentrant sur mon repas. Il fallait que
je tienne le coup. J’en toucherais deux mots à Captain dès que Henry serait
reparti. Je me demandais ce qu’il pouvait bien avoir derrière la tête en
l’amenant ici. Essayait-il de me manipuler ?
Je me méfiais de lui. Et la situation me donnait bien raison.
Je mordis dans ma fajita. Je sentais le regard du garçon peser sur moi. Il
guettait ma réaction.
— Hummm, c’est délicieux. La meilleure fajita du monde. Tu as raison, ton
père est sacrément fort.
Henry eut un immense sourire, puis se pencha à son tour sur son repas.
Je sentais aussi le regard de Captain, mais je refusais de le lui rendre.
J’allais déjeuner et être sympa avec Henry, mais à partir de maintenant je
fermerais la porte du bureau à double tour en l’absence de Piper. Fini les
interruptions intempestives de Captain.
— Si tu racontais à Reese le livre que tu es en train d’écrire, Henry ?
suggéra Captain. (Henry le regarda d’un air timide.) Elle va adorer, promis,
l’encouragea-t-il.
Le garçonnet finit par braquer ses grands yeux marron vers moi. Les taches
de rousseur qui parsemaient son nez le rendaient plus mignon que jamais.
— En novembre, j’ai gagné le tournoi d’orthographe de mon école. Puis
j’ai participé à la compétition de l’État que j’ai gagnée elle aussi. J’irai au
concours national en mai.
Eh bien, il y avait de quoi être fier. À son âge, je n’étais même pas capable
d’écrire mon prénom correctement.
— C’est génial ! le complimentai-je. Tu dois être drôlement doué.
Henry jeta un regard à Captain avant de poursuivre.
— C’est pour ça que j’écris un livre : parce que je suis dyslexique. C’est
quand on ne voit pas toujours les mots et les nombres comme les autres gens,
précisa-t-il en me scrutant.
La raison de la visite de Henry prenait enfin tout son sens. Elle n’avait rien
d’une combine. Je hochai la tête.
— Je sais ce qu’est la dyslexie, confirmai-je.
Il sembla soulagé de ne pas avoir à s’expliquer.
— La plupart du temps, personne ne s’occupe des enfants dyslexiques et ils
pensent qu’on ne peut rien y faire. J’ai envie de leur dire que ce n’est pas vrai
du tout. Avec mon père, on a épelé tous les mots qu’on pouvait pendant des
mois avant les concours d’orthographe. Je suis sûr et certain que les gens qui
sont dyslexiques peuvent faire tout ce qu’ils ont envie de faire. Il faut
simplement qu’ils croient en eux.
Je sentis l’émotion serrer ma gorge. Ce petit garçon allait vivre sa vie
pleinement. Personne ne lui dirait jamais qu’il était stupide et il aurait
l’opportunité de terminer le lycée et d’étudier à l’université. Je ne connaissais
pas son père, mais je l’aimais déjà. Parce que Henry ne subirait jamais ce que
j’avais subi. Je reposai ma fajita en retenant mes larmes.
— C’est merveilleux, Henry. Les enfants et les adultes qui souffrent de
dyslexie ont bien besoin d’entendre ce message. D’être inspirés par ton
histoire.
Henry souriait de toutes ses dents.
— C’est bien ce que je me dis, oui. Si mon père ne m’avait pas répété plein
de fois que je pouvais réussir tout ce que j’entreprenais, je n’aurais même pas
essayé de participer au concours. Mais j’en avais envie, et il m’a convaincu de
le faire.
Je souhaitais le même soutien à tous les enfants. Ça me brisait le cœur de me
dire que ce n’était pas le cas, que certains grandiraient en pensant qu’ils
n’étaient pas normaux. S’entendre dire qu’ils étaient capables de tant et plus
ferait des miracles pour leur amour-propre.
— Ton père a l’air d’être un homme à part, observai-je.
— Oui, c’est le meilleur.
Une fois encore, pas un mot sur sa mère.
Le moment était venu de dire à Henry que j’étais dyslexique moi aussi.
Pourtant je ne partageais jamais ça avec personne. C’était douloureux pour
moi. Mais ce petit bonhomme allait faire face au monde entier. Il était fier de
lui malgré ses difficultés. Il n’y avait aucune honte à être dyslexique.
— Henry, dis-je tandis qu’il levait les yeux. Moi aussi je suis dyslexique.
Il écarquilla imperceptiblement les yeux, puis un immense sourire illumina
son visage.
— Je savais que tu étais spéciale, répliqua-t-il. Comme moi.
Ses mots pénétrèrent dans mon cœur et je sus qu’ils y resteraient pour
toujours.
Mase

L’heure du déjeuner était largement passée lorsque Kiro arriva en titubant


dans la salle de télévision où j’étais assis avec Dean qui jouait à la Xbox.
J’avais menacé à plusieurs reprises de réveiller Kiro, mais Dean m’avait
prévenu en secouant la tête que cela risquait d’aggraver la situation.
Lorsque Kiro posa ses yeux injectés de sang sur moi, il se figea.
— Putain, marmonna-t-il avant de gagner le bar.
C’était à moi de jouer maintenant. Je me levai.
— Je suis venu parler, Kiro. Je préfère le faire quand tu es sobre.
Il tenta de me repousser sur le côté, mais sa gueule de bois l’affaiblissait
trop. Je ne bougeai pas d’un iota.
— Tu es chez moi, bordel. Dégage de mon chemin !
Je ne bronchai pas.
— Eh bien Harlow est ma sœur, et tu la contraries, tu la stresses, et tu la fais
chialer. Donc ça me regarde, bordel. Alors pose ton cul et écoute-moi.
Comme prévu, la mention du nom de Harlow le fit sortir de sa torpeur.
— Ma petite chérie a un problème ? s’inquiéta-t-il en passant une main dans
ses cheveux ébouriffés.
— Elle se fait du mouron pour toi. Elle t’aime. Et tu la bouleverses en te
comportant comme tu le fais. Pense à son cœur, Kiro. Il ne faudrait pas qu’il
lui arrive quoi que ce soit sous prétexte que tu n’es pas capable de te démerder
dans ta vie.
Il secoua la tête.
— Non, il ne peut rien arriver à ma petite chérie. J’ai besoin d’elle. Je ne
peux pas la perdre, souffla-t-il d’une voix brisée qui contrastait avec l’attitude
de poivrot qui était la sienne en débarquant dans la pièce.
— Alors ressaisis-toi. Remets-toi d’aplomb. Tu crois qu’Emily voudrait te
voir réagir comme ça ? Tu crois que ça la rendrait heureuse ?
— Tu ne parles pas de ma Emmy ! hurla-t-il en me repoussant avec force.
Tu ne comprends pas ! Tu ne piges pas, bordel. C’est mon cœur. (Il se figea,
pencha la tête en arrière et contempla le plafond.) Elle a dérobé mon cœur.
Avec son visage d’ange. Innocent et si doux. Elle aura toujours mon cœur.
Avec elle ma vie était parfaite. (Il tourna vers moi son regard hanté.) Parfaite !
Parfaite, putain ! Mais c’est fini. Je suis fini. Et si je perds ce qu’il me reste
d’elle, je ne veux plus vivre. Je ne pourrai pas encaisser la douleur.
Ses yeux n’avaient rien de ceux qu’on voyait en couverture des magazines,
ce regard de star du rock qui possédait le monde entier. Il n’avait plus cette
nonchalance caractéristique. Plus maintenant. Il était en morceaux.
Kiro Manning n’était plus et à sa place errait un homme qui s’apprêtait à
larguer les amarres avec le monde. S’il avait été un bon père pour moi, si je
l’avais aimé comme Harlow pouvait l’aimer, je n’aurais sans doute pas pu
rester devant ce triste spectacle. Ma poitrine se serrait devant cet homme alors
que j’avais passé la majeure partie de ma vie à me demander s’il en avait
quelque chose à foutre de moi.
— Harlow a besoin de toi. Lila Kate a besoin d’un grand-père, affirmai-je
d’une voix neutre pour lui rappeler que la vie continuait malgré la perte
d’Emily. S’il t’arrive quoi que ce soit, Harlow sera anéantie. Elle t’adore. Tu
pourrais vraiment lui infliger ça ? Tu ne peux pas trouver en toi la force de
surmonter ça et d’être le père dont elle a besoin ?
Kiro tituba jusqu’au canapé, auquel il s’adossa avant de se prendre la tête
dans les mains.
— Elle est en train de partir. Je ne sais pas si je pourrai continuer sans elle.
J’adore ma fille chérie. On l’aime tous les deux. C’est devenu une femme et
une mère magnifique. Je suis fier d’elle. Mais moi je ne lui ai donné aucune
raison d’être fière de moi.
J’étais plutôt de cet avis, mais je savais que Harlow ne le partageait pas. Je
décidai donc de parler en son nom, puisqu’elle n’avait pas la possibilité
d’affronter la situation elle-même.
— Tu te trompes. Elle est fière de toi. Elle a toujours été fière de toi. Et
quand elle s’est rendu compte que tu étais resté aux côtés de sa mère à travers
tout ça, ça l’a chamboulée. Elle sait que tu aimes sa mère. Et quand elle l’a vu
de ses yeux, elle a ressenti encore plus de fierté. Elle a découvert une facette de
toi qu’elle ignorait. Comme nous tous.
Kiro se frotta le visage et poussa un grognement frustré avant de laisser
retomber ses mains le long de son corps.
— C’est Dean qui t’a appelé ? Je n’ai pas besoin de ce genre de conneries
pour le moment, fiston. Pourquoi je ne pourrais pas gérer ça de la seule
manière que je connaisse ?
À savoir en se bourrant la gueule et en donnant des soucis à Harlow.
— Parce que ta manière fait du mal à ma sœur, et donc me touche. Dean ne
m’a pas appelé. C’est Rush qui m’a rendu visite. Grant s’inquiète pour sa
femme. Il protégera Harlow du mieux qu’il peut. Tu peux quand même
comprendre ça ? Ta fille est entourée d’autant d’amour que tu en donnes à
Emily.
En entendant le nom d’Emily, Kiro tressaillit de douleur.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que je joue aux superhéros ? Je n’ai
rien d’un Superman, bordel. Je ne vais pas commencer maintenant juste parce
que tu viens jusqu’ici pour l’exiger.
Décidément, Kiro avait des œillères. Il souffrait, et ne voyait rien d’autre
que sa souffrance. Il était en train de perdre Emily et ne pouvait rien entrevoir
de plus. J’avais envie de le secouer comme un prunier. À la place, je serrai les
poings le long de mon corps et pris une profonde inspiration pour me calmer
les nerfs.
— Tu veux que Harlow vous perde tous les deux ? Tu crois qu’elle tiendra
le choc ? Tu veux lui briser le cœur ? Tu veux faire partie de la vie de ta petite-
fille ? Tu as la chance de devenir l’homme qu’Emily aurait voulu que tu sois.
On sait très bien tous les deux que tu n’as pas été le père qu’elle espérait pour
Harlow. Tu ne peux pas la sauver, mais tu peux lui offrir la seule chose qu’elle
souhaite réellement. Que tu sois le meilleur des grands-pères de la planète
pour Lila Kate.
— C’est moi le meilleur grand-père de la planète. Va falloir qu’il prenne la
seconde place, intervint Dean tout en continuant à jouer sur sa Xbox.
Sérieusement ? Ce type ne se rendait donc pas compte de l’importance de
cette conversation ?
— Va chier, connard, marmonna Kiro.
— Je remets juste les pendules à l’heure, insista Dean.
L’ombre d’un sourire effleura les lèvres de Kiro.
— Je veux faire la fierté d’Emily. Elle adore Lila Kate. Son visage
s’illumine chaque fois que Harlow nous rend visite avec elle. Si elle le pouvait,
elle serait la meilleure grand-mère de toute la planète.
— Ce sur quoi je ne te contredirai pas. Emily était à part, acquiesça Dean.
— Est à part, corrigea Kiro. Elle est à part, bordel.
Dean laissa tomber sa télécommande pour se tourner vers Kiro.
— Elle est à part, Kiro. Mais on sait bien tous les deux qu’elle n’est plus la
même. Emily a changé le jour de l’accident. Elle est prisonnière de ce corps,
dans l’incapacité de fonctionner, depuis vingt-trois ans. Tu es resté à ses côtés
plus longtemps qu’aucun médecin ne l’aurait cru possible. La maintenir dans
cet état, c’est égoïste, mec. Moi aussi elle me manque. Elle a fait de toi un
homme meilleur. Mais lui aussi s’est perdu il y a vingt-trois ans. Ton fiston a
raison. Tu ne peux pas la sauver. Mais bon sang, tu peux encore la rendre fière
de toi. Tu ne veux donc pas qu’elle soit heureuse de cette vie avec toi ? Bien sûr
que si ! Tu ferais n’importe quoi pour elle. Alors fais ça. Fais ça bordel. Pour
elle.
C’était inutile d’en rajouter. Dean avait tout dit. À la perfection. Il avait vécu
dans un monde où mon père avait aimé une femme et avait connu le bonheur. Il
savait certaines choses que j’ignorais. Voir Kiro à travers les yeux de Dean
était très révélateur.
— Elle voudrait que je sois fort. Elle attend ça de moi, concéda Kiro, les
yeux plantés sur le sol.
Dean et moi restâmes silencieux. Lui laissant le temps de digérer. Dean
s’était levé du canapé, et nous échangeâmes un regard par-dessus la tête baissée
de Kiro. Nous voulions tous les deux que notre message fasse mouche.
— Je veux qu’il y ait un paradis. Pour elle. Où elle pourra danser et rire.
Elle a le plus beau des rires. Je veux un endroit où elle puisse tout avoir. Dites-
moi qu’à la fin de cette vie ça continue, que ce n’est pas tout, qu’une autre vie
l’attend après celle qu’on lui a volée.
Je déglutis avec difficulté, la gorge nouée par l’émotion. Seigneur, je
n’avais jamais souhaité voir ça. Kiro s’était comporté comme un connard
pendant la majeure partie de ma vie, mais personne ne méritait de pâtir d’une
telle souffrance.
Dean s’approcha de lui pour le serrer dans ses bras.
— Il y a un paradis, mec. Il y en a forcément un pour les anges. Et Emily
était un ange. Le tien. Ça ne s’arrête pas à cette vie.
Kiro ferma les yeux et hocha la tête.
— Tu as raison. Tout va bien se passer pour mon ange. Bientôt elle pourra
danser à nouveau.
Dean me jeta un regard en hochant la tête. Kiro allait s’en sortir. Un chemin
difficile l’attendait, mais il ferait le nécessaire pour qu’Emily soit fière de lui.
C’était le seul objectif qui lui permettrait de relever la tête. Jamais il ne l’aurait
déçue.
Reese

J’étais au lit, mon téléphone à la main, en train d’attendre l’appel de Mase,


lorsque la photo des bottes de cow-boy apparut enfin à l’écran.
— Salut, fis-je en me redressant, surexcitée à l’idée d’entendre sa voix.
Une fois Mase rentré, je lui raconterais l’épisode du pique-nique avec
Henry et Captain ; au téléphone ça serait trop compliqué.
— Salut, bébé. Je rentre demain matin. J’ai passé la journée avec Kiro. On a
avancé cet après-midi quand il s’est enfin levé, mais il reste très lunatique. J’ai
décidé de rester pour m’assurer qu’il allait bien. Tu me manques.
— Tu me manques toi aussi. Je suis contente que ça aille mieux pour lui. Ce
n’était pas trop dur ? demandai-je.
J’aurais tant voulu être à ses côtés dans cette épreuve.
— Ce n’était pas facile, mais je pense mieux le comprendre maintenant. Il ne
sera jamais mon père, j’en ai déjà un. Mais aujourd’hui j’ai ressenti pour lui
quelque chose que je n’avais jamais ressenti : de la compassion.
Mase était un homme plein de compassion. J’imaginais mal à quel point son
père avait dû être au plus mal pour éveiller ce sentiment chez son fils. Je savais
qu’il n’avait pas été très présent dans la vie de Mase, mais tout de même.
— Alors ce voyage t’aura aidé, toi aussi, observai-je.
— Je crois, oui, acquiesça-t-il. Mais j’ai envie de rentrer auprès de toi.
— J’en ai très envie moi aussi.
— Tout va bien ? Le boulot se passe bien ?
— Oui, très bien. J’ai dîné avec tes parents.
— Tant mieux. Je t’aime, et avant que tu me répondes que tu m’aimes plus
encore, sache que c’est impossible.
Je tirai la couverture sous mon menton, le sourire aux lèvres.
— Ça m’étonnerait.
Il eut un petit rire :
— Je prends le premier avion demain. Attends-toi à de la compagnie pour le
déjeuner.
Un nœud se forma dans mon estomac, me rappelant l’autre convive qui
s’immisçait toujours à mes repas de midi. J’allais devoir en parler à Mase à
son retour. Je n’avais pas envie de perdre mon travail, mais je ne voulais pas
non plus cacher quoi que ce soit à Mase.
— J’ai hâte, je t’aime, conclus-je.
Nous raccrochâmes et je restai allongée à fixer le plafond, me demandant
comment Mase réagirait en apprenant que Captain passait régulièrement me
voir pendant mes pauses. Il n’avait rien fait de mal, en réalité, mais est-ce que
de mon côté j’apprécierais qu’une femme apporte ses déjeuners à Mase et les
déguste en sa compagnie ? Non. La réponse était absolument négative. Je serais
jalouse.
Il fallait que j’en parle à Mase. C’était une évidence.

À 10 heures du matin, j’étais déjà nerveuse. J’avais hâte de voir Mase. Il ne


s’était absenté que quelques jours, mais chaque fois que la porte du bureau
s’ouvrait, mon cœur faisait un bond. Et chaque fois que Piper entrait dans la
pièce, je souriais pour cacher ma déception. Il m’avait annoncé son retour
pour le déjeuner.
Il restait donc deux heures à attendre.
Je m’apprêtais à passer quelques coups de fil lorsque la porte s’ouvrit.
Avant que je n’aie pu m’enthousiasmer, le visage de Captain apparut, et le mien
se décomposa. Ce n’était pas lui que j’espérais voir.
— Ne fais pas cette tête. Je ne suis pas si moche que ça, ironisa-t-il avec un
petit sourire en coin.
Je choisis de lui répliquer d’un ton tout à fait professionnel :
— Je peux t’aider ?
Captain s’assit dans un des fauteuils en cuir en face de moi en haussant un
sourcil. Je n’avais pas envie qu’il prenne ses aises. Plutôt qu’il me dise ce dont
il avait besoin et qu’il s’en aille. Et vite.
— Tu as une pause pour le déjeuner ? s’enquit-il en s’adossant au fauteuil et
en croisant sa cheville droite sur son genou gauche pour se mettre à l’aise.
— Non, répondis-je sèchement.
Il eut l’air amusé.
— Je croyais qu’on avait fait la trêve. Qu’on allait être amis. Tu n’es pas
très engageante.
Je n’avais jamais dit que nous allions être amis.
— J’ai donné mon accord pour travailler avec toi. Pas pour déjeuner avec
toi.
— Tu as apprécié le pique-nique hier, contra-t-il.
— J’ai apprécié Henry, rectifiai-je.
Il hocha la tête comme s’il connaissait déjà la réponse.
— Je savais qu’il te plairait. C’est un chouette gosse.
Je comprenais pourquoi il me l’avait présenté. C’était gentil de sa part.
J’appréciais le geste, mais pour autant je n’étais pas à l’aise à l’idée de
dépasser le cadre strictement professionnel en sa compagnie. Il avait une façon
de me regarder qui me faisait dire qu’il en voulait plus. Quoi qu’il en dise.
— Pourquoi ne conduis-tu pas ? m’interrogea-t-il en me tirant de mes
pensées.
— Parce que jusqu’à très récemment je n’étais pas capable de lire et
d’écrire correctement. Je ne pouvais pas passer le code.
Il glissa une main dans sa poche arrière, en retira deux fascicules et se
pencha pour les déposer sur le bureau. Le premier était un manuel pour passer
le code dans l’État du Texas. Le second pour passer le permis.
— Maintenant tu sais lire, tu peux potasser ça.
Je pris les manuels. J’avais eu l’intention de me les procurer. La perspective
de passer le permis m’effrayait mais, les livres en main, j’avais déjà un peu
moins peur. Captain me les avait apportés sans même que je lui dise que je ne
savais pas conduire. Pourquoi avait-il toutes ces attentions pour moi ?
— Je n’attends pas de remerciements. Lis-les. Tu peux réussir, Reese. J’en
suis persuadé.
Il ne voulait pas de remerciements. Je baissai les yeux sur les manuels. Je ne
savais pas trop quoi dire. Il se mettait en quatre pour m’aider. Rien ne
l’obligeait à penser à moi. Ni à me venir en aide. Mais il le faisait et je ne
savais pas trop comment y mettre un terme.
— Merci, dis-je car il le méritait. J’avais l’intention de m’en occuper.
Il hocha la tête.
— Tant mieux. Je suis content que tu fasses un pas dans ce sens.
Je m’apprêtais à répondre lorsque la porte s’ouvrit et je vis apparaître le
visage de Mase. Mon cœur fit un bond en le voyant, mais lorsque ses yeux se
fixèrent sur Captain, mon estomac se noua instantanément.
— Qu’est-ce que tu fous ici ? fulmina-t-il en entrant dans la pièce qu’il
emplit de sa présence.
Captain reposa les deux pieds par terre et se leva. Il était de la même taille
que Mase.
— Je suis passé déposer quelque chose pour Reese, répliqua-t-il d’un air
détaché.
— Ce n’est pas l’impression que ça donne, coupa Mase. (Se yeux glissèrent
vers moi.) Il te dérange ?
Question piège. Si je disais non, je ne disais pas toute la vérité à Mase. Mais
en posant les yeux sur les manuels posés sur mon bureau, je savais bien que je
ne pouvais pas lui jeter Captain en pâture.
— Tout va bien, Mase. Il pensait que je pourrais avoir besoin de ça et il est
passé me le déposer. Rien de plus, expliquai-je.
Je jetai un œil rapide à Captain, qui parut surpris de ma réponse. Mase
fronçait les sourcils – à cause de moi, de ma réponse, je ne savais pas trop.
— Et il passe souvent te déposer des choses dont il pense que tu pourrais
avoir besoin ? asséna Mase d’une voix dure.
Il n’était pas content et ce n’est pas comme ça que je souhaitais lui présenter
ma relation avec Captain.
— Je lui apporte le déjeuner deux fois par semaine, c’est tout, intervint
Captain.
La lueur dans le regard de Mase ne me disait rien qui vaille. Pourquoi
Captain avait-il dit ça ?
— Tu fais quoi ? articula Mase en fusillant Captain du regard.
— Je lui apporte de la paperasse à classer, et parfois de quoi manger. C’est
toujours mieux que ces vilains sandwichs à la dinde qu’elle se prépare.
Mase était immobile. J’avais peur de sa réaction.
— Je pense qu’il est temps que tu partes, conclut-il d’une voix tranchante.
Captain me lança un regard.
— On dirait bien, ironisa-t-il en me gratifiant d’un clin d’œil.
Bon sang, il m’avait fait un clin d’œil avant de passer devant moi avec son
petit sourire suffisant. J’avais envie de le trucider.
Mase se tourna vers moi. Il me fixa en silence pendant plusieurs secondes.
J’essayai plusieurs fois d’ouvrir la bouche pour m’expliquer, mais aucun son
ne sortit.
— Et d’après toi, ça n’était pas utile de me dire qu’un autre gars t’apportait
ton déjeuner ? Ou qu’il te rendait visite fréquemment ?
J’avais eu l’intention de le lui dire. Le soir même. J’avais tout planifié.
— Je n’étais pas… j’étais… je n’ai pas…
Il leva une main pour m’intimer le silence.
— Laisse tomber. Je vais m’épargner ça. Je viens juste de traverser un sacré
bordel émotionnel, je n’ai pas besoin de ça pour le moment. J’ai besoin qu’on
me foute la paix, lâcha-t-il avant de sortir de mon bureau en trombe.
Je restai plantée là, les yeux rivés sur la porte qui avait claqué derrière lui,
les larmes roulant sur mes joues. Qu’avais-je fait ?
Mase

Je sentais mon cœur tambouriner dans mes oreilles tandis que je descendais
de mon pick-up pour regagner les écuries à grandes enjambées. J’avais
interrompu quoi entre eux, bordel ? Ma réaction était-elle exagérée ? J’avais
laissé à Reese l’occasion de s’expliquer, et elle s’était mise à bafouiller,
incapable d’être claire. J’avais même eu l’impression qu’elle défendait cette
espèce de connard.
Si je lui faisais confiance ? Oui ! Je n’avais jamais eu de raison de me
méfier. C’était ma Reese à moi. Elle était si adorable. Comment on en était
arrivés là, bon sang ? C’était quoi son problème à ce fils de salaud, pour qu’il
s’imagine qu’il pouvait lui apporter son déjeuner ? Il savait qu’elle était prise.
À quoi ça rimait ?
Il voulait ce qui m’appartenait. Je balançai une selle contre le mur en hurlant
un flot d’injures. Ce n’est pas ce que je souhaitais trouver en rentrant à la
maison. J’aurais voulu embrasser Reese et la serrer contre moi pour respirer
son parfum. Mais elle cachait quelque chose. Je le voyais bien dans ses yeux.
Putain de merde. Étais-je aveugle à ce point ? Elle était toute perdue quand
je l’avais rencontrée, mais ça ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas envie
d’explorer des choses. Avais-je juste servi à sa guérison ? Avait-elle des vues
sur d’autres ? Cette seule pensée me rendait malade. Je ne voulais pas qu’elle
s’intéresse à d’autres mecs.
En plus cette espèce de connard était loin d’être moche et il le savait. Il
utilisait sa belle gueule pour l’impressionner. Et elle mordait à l’hameçon. Ça
marchait. Je m’adossai au mur et pris une profonde inspiration. J’étais son
premier en tout. Elle n’avait jamais laissé personne d’autre l’approcher d’aussi
près.
Étais-je égoïste de ne pas la laisser partir, si c’est ce qu’elle voulait ? La
traitais-je comme une possession au mépris de ses besoins ?
— Putaaaaaaaain ! hurlai-je tandis que la douleur me transperçait la
poitrine.
Je me complaisais dans ma réaction excessive. Étais-je mentalement épuisé
après avoir géré Kiro ? La scène tournait sans cesse dans ma tête.
— Je l’ai plantée sur place, murmurai-je.
Je ne lui avais pas laissé la possibilité de me suivre pour m’expliquer. Je ne
lui avais même pas laissé un seul instant pour rassembler ses pensées. Elle
avait eu l’air aussi surprise que moi.
Je ne pouvais pas la laisser toute seule à se faire du mouron toute la journée.
Elle n’avait rien fait de mal. Évidemment, elle ne m’avait pas dit que ce trou du
cul de River, Captain, ou je ne sais quoi Kipling lui apportait son déjeuner.
Mais exiger une réponse de sa part et partir en trombe alors qu’elle n’arrivait
pas à s’exprimer n’était pas la solution.
C’était Reese. Ma Reese à moi. Il y avait forcément une raison pour qu’elle
n’ait rien dit. Peut-être avait-elle peur que je réagisse exactement tel que je
venais de le faire. Ou que je l’oblige à quitter son boulot. Elle adorait son
travail. Il faisait sa fierté, et la voir s’épanouir face aux encouragements
évidents de Piper était un vrai bonheur.
Il fallait que j’y retourne. Je fonçai vers la porte, mais Major me coupa dans
mon élan. Il me dévisagea comme si j’avais perdu la tête.
— Dégage, grognai-je en le poussant.
Mais il m’agrippa les épaules.
— Elle n’est pas ici, dit-il d’une voix agacée.
— Quoi ? m’écriai-je en le repoussant.
— Elle a appelé Maryann. Ta mère est allée la chercher.
Reese.
— Merde. Elle va bien ? m’enquis-je avant de le contourner pour regagner
la maison de ma mère.
— Elle pleurait tellement fort que tante Maryann comprenait à peine ce
qu’elle racontait. Elle a couru jusqu’à la porte, m’a montré du doigt et m’a dit :
« Va dire à mon fils qu’il a intérêt à arranger la situation. »
Il fallait que je fasse quelque chose. Reese pleurait. Tout ça à cause de mon
sale caractère.
— Mais qu’est-ce que tu as foutu ?
— River Kipling était dans son bureau. Il lui apporte à déjeuner de temps en
temps. Elle ne m’en a jamais parlé.
Major émit un sifflement grave.
— C’est un beau parleur. Mais Reese a fait quelque chose de mal ?
— Elle ne m’en a jamais parlé ! hurlai-je, mourant d’envie d’en découdre.
— Merde alors, Mase. Si elle pensait que tu allais réagir comme ça, je ne
peux pas lui en vouloir. Jamais tu ne te mets dans cet état. Je ne t’ai jamais vu te
ridiculiser comme ça de toute ma vie. C’est quoi ton problème, putain ?
Ça ne me ressemblait pas. Je ne perdais pas la boule pour des broutilles. Je
faisais gaffe, je pesais le pour et le contre. Je prenais des décisions mûrement
réfléchies. Je n’étais pas cette espèce de mariolle qui pétait les plombs à tout-
va.
— Arrête de hurler et écoute-toi un peu. Tu te comportes comme un dingue
pour un rien. Il lui apporte à manger, et alors ? Elle baise avec lui, oui ou non ?
Non. Je peux te la donner, la réponse. Elle t’aime. Toi. Ressaisis-toi.
Ressaisis-toi. Les mots repassaient dans ma tête. Ceux-là même que j’avais
dits à Kiro. Parce qu’il perdait la tête pour une femme.
Je me comportais comme… mon père. Toute ma vie je m’étais efforcé
d’imiter l’homme qui m’avait élevé. Un homme droit dans ses bottes. Un
homme prudent et réfléchi, tout en étant fort. Et en un clin d’œil voilà que
j’étais devenu l’homme dont le sang courait dans mes veines.
Je ne voulais pas être comme lui. Mais je le comprenais. Je n’avais pas
perdu Reese, et pourtant je devenais fou. Et si un jour je devais effectivement la
perdre ? Pourrais-je m’en remettre ? Deviendrais-je l’homme à qui je
ressemblais au lieu d’être celui qui m’avait tout appris ?
— Il faut que je la voie, murmurai-je avec impuissance.
— Ouais, eh bien ta mère va bientôt rentrer avec elle, et à ta place j’éviterais
d’être là quand elle débarque. Elle n’est pas vraiment fière de toi.
Moi non plus je n’étais pas fier de moi. J’avais fait faux bond à Reese, et à
moi-même. Tout ça, ce n’était pas moi.
Le pick-up de ma mère se détacha à l’horizon. Je partis en courant dans sa
direction. Je n’allais pas attendre que Reese vienne à moi. Il fallait que je la
voie tout de suite. Ma mère s’arrêta en me voyant approcher. J’éludai son
regard, les yeux rivés sur Reese. Son visage était tout rouge et marbré d’avoir
tant pleuré. Tout cela à cause de moi.
Jamais je n’aurais pensé me haïr à ce point.
Reese

Quand les larmes avaient commencé, je n’avais plus pu m’arrêter.


Après le départ de Mase, les sanglots m’avaient secouée jusqu’à me plier en
deux. Il m’avait quittée. J’avais tout gâché. Je ne pouvais pas perdre Mase.
Ma première réaction avait été d’appeler Maryann. Rester au bureau m’était
impossible. Tout comme de dire à Piper ce qui m’arrivait. Elle s’était absentée
pour la journée, je pourrais toujours m’excuser plus tard. Pour le moment, il
fallait que je retrouve Mase.
Maryann sortit d’un bond de son pick-up et me rejoignit en courant.
— Que se passe-t-il ? s’enquit-elle en me serrant dans ses bras.
Je m’accrochai à elle de toutes mes forces en pleurant de plus belle. La
moindre manifestation d’amour maternel avait raison de moi. Je n’en avais pas
l’habitude, et tellement besoin. L’étreinte de Maryann redoubla la puissance de
mes larmes. J’avais déçu son fils. Elle me réconfortait alors qu’elle ne savait
même pas ce que j’avais fait.
— Chuuut, allons, ça ne peut pas être aussi grave que ça. Rentrons à la
maison, tu vas me raconter. Je connais mon fils : quand il saura à quel point tu
es bouleversée, il sera furieux contre lui-même.
Oh non. Il était déjà furieux. Contre moi.
Maryann me guida jusqu’à son pick-up et je grimpai à bord sans discuter.
Une fois derrière le volant, tandis qu’elle quittait le ranch des Stout, elle me
jeta un coup d’œil :
— Tu veux me raconter ce qui s’est passé ?
Allait-elle me haïr elle aussi ? Probablement. Je me haïssais déjà moi-
même. J’aurais dû tout dire à Mase après la première fois. Je n’aurais pas dû en
faire un secret.
— J’ai laissé Cap-… River Kipling m’apporter à déjeuner à plusieurs
reprises. Je ne lui avais rien demandé, c’est lui… (Un sanglot m’interrompit.)
Il débarquait, avec le déjeuner, et on mangeait ensemble. La plupart du temps, il
m’énervait au plus haut point. Mais je dois classer tous les documents qu’il
apporte au bureau.
— Et Mase est en colère parce que River t’apporte à manger ?
— Non… oui. Il est en colère parce que je ne lui en ai pas parlé. J’avais
peur de sa réaction. Et je n’arrêtais pas de dire à River d’y mettre un terme.
Parfois il m’apportait juste de la paperasse, mais deux fois il est venu avec le
déjeuner. J’aurais dû le dire à Mase.
Au début Maryann resta silencieuse. Je pensai qu’elle était en colère contre
moi, elle aussi.
— Apprécies-tu River Kipling autrement qu’en tant qu’ami ?
Je secouai la tête avec véhémence :
— Non ! Je ne l’apprécie même pas comme ami. Il est trop sûr de lui et
refuse de voir que je ne veux pas de lui dans mon bureau. J’aime Mase.
Maryann hocha la tête.
— Je sais ça, ma chérie. Il semblerait que mon fils se soit laissé déborder
par sa jalousie. Ça ne lui ressemble pas, en même temps, ça veut vraiment dire
que tu n’es pas comme les autres filles qu’il a connues. Laisse-lui le temps de
se calmer et il rectifiera le tir.
— Il était tellement en colère contre moi, murmurai-je.
— Non, il avait peur de te perdre. Il était terrifié à l’idée de ne pas être à la
hauteur. Il n’était pas en colère contre toi.
Il avait peur de ne pas être à la hauteur ? Il avait plus de jugeote que ça.
Pourtant le regard qu’il m’avait adressé était plein de colère, ça ne faisait
aucun doute. Mais je n’osais pas contredire sa mère. Mase n’allait pas être
content de me voir. J’avais des comptes à lui rendre. Ce n’est pas en restant
muette et toute stressée que j’allais sauver notre couple.
— Je n’aurais jamais dû me mettre à travailler, déplorai-je en songeant que
rien de tout cela ne serait arrivé si j’étais restée à la maison.
Maryann émit un petit son réprobateur.
— Ne commence pas, ma belle. Tu mérites d’avoir une vie. Ton monde
n’est pas censé tourner autour de Mase. Il peut représenter la part la plus
importante de ton univers, mais tu as besoin de vivre ta vie, Reese. Tu as
besoin de te sentir accomplie et de laisser ton empreinte sur cette terre. J’aime
mon fils, mais je ne veux pas que tu abandonnes tes rêves pour lui.
Je laissai ses paroles faire leur chemin, mais elles ne faisaient pas le poids.
— Mais il est présent dans tous mes rêves, contrai-je.
Elle hocha la tête.
— Et c’est bien normal. Mais ce sont tes rêves à toi. Tu peux les contrôler,
contrairement à sa jalousie. Il le sait. Il faut juste qu’il se remette les idées en
place.
Nous franchîmes la grille du ranch et je m’essuyai le visage en prévision de
notre affrontement. J’avais l’habitude de le voir sourire, avoir envie de moi. Je
ne savais pas comment faire face à un Mase qui ne voulait même pas poser les
yeux sur moi.
— Le voilà, annonça Maryann en ralentissant. Je vais m’arrêter puisque cet
idiot a décidé de me foncer dessus en courant.
Je levai les yeux : Mase arrivait à toute vitesse. Je me sentis prise de
panique. Allait-il me demander de partir ? Oh mince. Et s’il m’empêchait de
pénétrer sur sa propriété ? Il fallait que je m’explique.
Maryann contourna le pick-up pour rejoindre son fils. Je m’agrippai à mon
siège comme s’il allait ouvrir ma portière et m’extirper du véhicule.
Mase lança un regard à sa mère. Maryann lui dit quelque chose, puis lui
asséna une claque derrière la tête avant de regagner la maison et de me laisser
seule. Je ne voulais pas qu’elle s’éloigne.
Mase s’approcha du pick-up à grandes enjambées et ouvrit ma portière en
grand. Je fermai les yeux très fort en m’accrochant de toutes mes forces à la
ceinture de sécurité, qui m’offrait un semblant de protection.
Une main chaude caressa mon visage. J’ouvris les yeux. Mase me
dévisageait d’un regard intense. Ses yeux n’avaient plus aucune trace de la
colère que j’avais vue plus tôt. Il avait l’air… désolé. Inquiet.
— Je suis vraiment désolé, murmura-t-il. Sincèrement désolé, bon sang.
Des larmes de soulagement emplirent mes yeux, quand bien même je
pensais les avoir toutes pleurées.
— Je ne… je ne l’apprécie même pas. J’ai essayé de le faire partir. Je me
montre désagréable avec lui. Mais il s’en moque.
Mase se pencha pour m’embrasser tendrement. Il décrocha ma ceinture de
sécurité.
— Je n’en doute pas, acquiesça-t-il doucement. J’ai été stupide. Je l’ai laissé
m’énerver, et je t’ai fait porter le chapeau. J’étais jaloux, Reese. Tu es à moi et
je ne peux pas te perdre, bébé.
Je serrai Mase dans mes bras, le visage enfoui dans son cou. Je pris une
profonde inspiration. J’étais de nouveau en sécurité. Il était là. Il n’était pas en
colère contre moi.
— Je suis désolée. J’aurais dû te le dire. J’avais peur que ça te mette en
colère.
Il passa une main dans mes cheveux, enroulant les longues mèches à ses
doigts.
— Comme quoi tu avais raison, observa-t-il d’un ton amusé.
Je hochai la tête.
— N’empêche que j’aurais dû te le dire. Il dit qu’il ne flirte pas, mais je ne
sais pas à quoi il joue. Je lui ai demandé de me laisser tranquille.
Mase prit une profonde inspiration.
— J’ai envie de le tuer.
Dans l’immédiat, c’est plutôt moi qui avais envie de le tuer. Il l’avait fait
exprès.
— Je pense que je ferais mieux d’arrêter de travailler. Comme ça je n’aurais
plus à le voir.
Mase resta silencieux. Je restai dans ses bras, heureuse de son étreinte. Je
ferais tout ce qu’il fallait pour garder ça.
— Non. Tu adores ton travail. Je ne laisserai pas ma peur et ce trou du cul te
priver de ça. Mais à partir de maintenant, c’est moi qui t’apporterai ton
déjeuner.
Je levai les yeux sur lui en souriant.
— C’est vrai ?
Il prit mon visage dans sa main.
— C’est vrai. Et je t’apporterai les petits plats de ma mère. Ça sera mille
fois mieux que la merde des restaurants qu’il t’apporte. (Un petit rire
m’échappa, et il sourit.) Tu es magnifique, Reese, à l’intérieur comme à
l’extérieur. Il va falloir que je prenne l’habitude de voir les autres hommes
lorgner sur ce qui m’appartient. Ce sera plus fort qu’eux.
Je sentis mes joues chauffer et posai la tête sur son épaule.
— Je ne pense pas que ce soit le cas. Captain est tout simplement… agaçant.
— Tu l’appelles Captain. Tu sais qui il est ?
— C’est le frère de Blaire Finlay. Il était à l’anniversaire de Lila Kate. C’est
là que j’ai découvert son surnom.
Mase fronça les sourcils.
— Je ne l’ai pas vu ce jour-là.
— Parce qu’on a discuté quand tu étais à l’intérieur avec Harlow. Et puis il a
disparu. Je me suis dit qu’il avait dû rentrer dans la maison.
— Mais il t’a trouvée et t’a parlé, insista-t-il d’un ton agacé.
— J’étais avec Blaire, soulignai-je.
— Quand même, ce mec est une vraie tête de nœud.
Hier encore j’aurais protesté. Mais après ce qu’il avait fait aujourd’hui, je
pouvais difficilement le nier. Ce n’est pas pour rien qu’il avait parlé de nos
déjeuners à Mase. Il n’y avait rien d’innocent à cela.
River « Captain » Kipling venait de devenir mon ennemi.
Mase

J’avais déposé Reese au bureau après un long baiser langoureux, après quoi
j’avais mis le cap sur ce connard de River Kipling. J’avais passé un coup de fil
à Arthur pour lui demander où le trouver. Il m’avait informé qu’il était dans les
bureaux de la chaîne de restaurants Stout & Hawkins.
Je franchis l’entrée principale et souris à la réceptionniste. J’avais besoin de
son aide.
— Bonjour, fis-je en inclinant le bord de mon chapeau.
— Bonjour, répondit-elle d’un ton un peu trop guilleret.
— Arthur m’a dit que je pourrais trouver River Kipling dans les parages ce
matin. Savez-vous où il est ?
Elle ne demanda même pas de pièce d’identité. Elle hocha la tête et montra
la porte.
— Prenez par là : le troisième bureau sur la droite.
Je la gratifiai d’un clin d’œil et me mis en route pour mettre la main sur ce
salopard.
Je ne pris même pas la peine de frapper à la porte. J’entrai en coup de vent
et refermai derrière moi. River était à son bureau. Lorsqu’il leva les yeux sur
moi, je lus une lueur de défi dans son regard. J’allais mettre un terme à ses
conneries.
— Je t’attendais plus tôt, annonça-t-il en se laissant aller contre son dossier
d’un air satisfait.
— Je me suis d’abord occupé de Reese. J’ai été absent pendant quelques
jours et j’avais besoin de retrouver ma femme, répliquai-je en insistant sur le «
ma ».
Il eut un petit sourire narquois.
— Tu es venu revendiquer ton bien comme un putain d’homme des
cavernes ?
Nom de Dieu, je détestais cette tête de con.
— Je suis ici pour protéger Reese. C’est mon boulot. À cause de toi elle
était prête à faire une croix sur un job qu’elle adore. Je ne te laisserai pas tout
gâcher. Elle a surmonté plus de saloperies que tu ne peux l’imaginer. Elle n’a
pas besoin que tu viennes la chambouler.
Il avait presque l’air pris de remords.
— Elle a surmonté sa dyslexie. Elle a affronté ses démons. Elle va bien. Elle
n’a pas besoin qu’on lui colle aux basques pour la protéger du monde. Elle a le
droit d’avoir des amis, non ?
Elle lui avait dit pour sa dyslexie ? J’étais fier d’elle. Jusqu’ici elle ne s’était
confiée qu’à Piper et à moi.
— Sa dyslexie l’a empêchée d’avancer pendant longtemps. Mais elle a
traversé bien pire que ça. Ne va pas croire que tu la connais. C’est faux. Et si
elle veut que je la protège, je le ferai. De tout et de tout le monde. Elle n’a pas
eu ça la majeure partie de sa vie, mais elle l’aura pour le restant de ses jours.
River fronça les sourcils, se pencha en avant et s’accouda au bureau.
— Tu ne lui rends pas justice en partant du principe que sous prétexte
qu’elle a eu la vie dure en grandissant elle n’est pas assez forte pour prendre
soin d’elle. Je sais pertinemment que ça a fait d’elle une personne encore plus
forte. J’ai eu la même vie qu’elle.
Je détestais vraiment ce salaud.
— Quoi ? La vie a été dure avec toi ? Tu as reçu deux ou trois baffes ? Tu as
fini par partir quand tu as été assez grand pour mettre les bouts ? Eh bien tant
mieux pour toi. Ce n’est pas de cet enfer-là que je parle. Ne t’approche pas
d’elle. Tu as de la paperasse à classer ? Tu lui apportes et basta. C’est moi qui
assurerai les déjeuners.
River avait l’air de peser mes paroles, décidant de la réponse à leur
apporter. Ses reparties pleines d’esprit semblaient s’être taries.
— J’essayais d’être sympa, c’est tout, dit-il en haussant les épaules. Vous
vous mettez trop la rate au court-bouillon avec cette affaire, tous les deux. La
confiance joue un rôle primordial dans une relation.
Si je lui collais mon poing dans la figure, j’allais finir en taule. Je me
demandais si le jeu en valait la chandelle.
— Ton côté « sympa » lui a valu de finir en larmes hier. À gros sanglots. Ce
que tu as fait hier n’avait rien de sympa. C’était un coup bas, après quoi tu l’as
plantée là à se démerder toute seule. Un ami ne ferait pas ça. Tu n’es qu’un
connard. Aucune femme ne mérite un tel manque de respect.
Il ne dit rien. Il fallait que j’en profite pour partir avant qu’il ne réplique
quelque chose qui me retienne. Un jour j’aurais l’occasion de lui botter le cul.
Mais ce n’était ni le moment ni le lieu.
J’ouvris la porte et sortis sans demander mon reste.

L’heure du déjeuner avait sonné. J’arrivai dans le bureau de Reese avec le


pain de viande, le gombo et les pommes de terre à la crème de ma mère.
Lorsque j’ouvris la porte, Reese leva les yeux sur moi et me sourit comme si
j’étais la seule et unique personne au monde. J’avais à peine franchi le seuil
qu’elle se précipitait vers moi.
— Salut bébé, lançai-je en tenant la nourriture à bout de bras pour
embrasser les plus belles lèvres du monde.
— Hum, quel parfum divin.
— Oui, c’est ma mère qui l’a fait.
Elle me regarda par-dessous ses cils ourlés et sourit.
— Je parlais de toi, mais c’est vrai que le repas aussi sent bon.
— Fais gaffe, ou je reprends un peu de ce que j’ai eu ce matin avant de te
laisser déjeuner, l’avertis-je en repensant à la douche que nous avions prise
ensemble.
— J’ai un four à micro-ondes, répliqua-t-elle en reculant contre le bureau.
Je la regardai retirer son T-shirt.
— Putain, soufflai-je en déposant le repas sur une chaise. Tu es sûre ?
Elle hocha la tête.
— Piper s’est absentée, m’assura-t-elle en dégrafant son soutien-gorge qui
glissa le long de ses bras. Et je suis en jupe. Ce serait dommage de ne pas en
profiter.
Je pris son visage entre mes mains et happai son adorable bouche avant
qu’elle ne me fasse totalement perdre la tête. Quand Reese décidait de me
séduire, il n’en fallait pas beaucoup. Son désir était la chose la plus sexy au
monde.
Et son goût était enivrant.
Elle commença à se tortiller et j’interrompis notre baiser pour baisser les
yeux. Elle avait retiré sa petite culotte et remonté sa jupe. Elle haletait.
— Tu m’as manqué, murmura-t-elle.
Moi aussi, elle m’avait manqué, même si nous nous étions retrouvés dans la
douche cinq heures plus tôt. Je n’allais pas me plaindre. Je glissai une main
entre ses jambes jusqu’à sa chaleur moite. Elle était plus que prête.
J’avais commencé à me mettre à genoux lorsqu’elle m’agrippa aux épaules.
— Non. Je te veux en moi. Il faut faire vite et j’ai envie de toi, dit-elle à bout
de souffle.
Après hier, je me demandais si c’était sa manière d’effacer ce mauvais
souvenir. Quoi qu’il en soit, je ferais tout ce qu’elle pouvait bien me demander.
Je déboutonnai mon jean tandis qu’elle se penchait en arrière, les yeux rivés
sur moi, les mains à plat sur le bureau, et mettait sa magnifique poitrine en
évidence. Je baissai mon jean et pris ses seins dans mes mains.
— Je les adore, soufflai-je avec révérence.
— Hmmmm, fit-elle.
Elle laissa tomber sa tête en arrière, dévoilant son cou. Je n’allais pas tenir
longtemps si elle s’offrait comme ça à moi. J’enroulai une de ses jambes sur
mon bras et fis glisser ses fesses au bord du bureau. Elle m’était entièrement
ouverte et me dévisageait de son regard brûlant de désir.
Je la pénétrai lentement tandis que son sexe minuscule m’enserrait à la
perfection.
— C’est toujours aussi bon, grognai-je.
— Oui, acquiesça-t-elle en soulevant les hanches pour que je m’enfonce au
plus profond d’elle.
Elle poussa un cri lorsque mon sexe l’emplit totalement.
— Reese, murmurai-je à bout de souffle. Regarde-moi.
Elle obtempéra. Je me mis à bouger au rythme régulier qui nous offrirait à
tous deux une jouissance plus rapide que je ne l’aurais souhaité.
— Oh Seigneur ! hurla-t-elle les lèvres entrouvertes.
J’accélérai la cadence, enivré par ses cris de plaisir.
— C’est ce que tu veux ?
— Oui, murmura-t-elle en s’agrippant à mes bras.
— Dis-moi que cette chatte m’appartient, Reese, ordonnai-je en
m’immobilisant en elle.
— Elle est à toi, confirma-t-elle en souriant et en se tortillant sous moi.
Je souris à mon tour en secouant la tête.
— Non, bébé, je veux t’entendre dire que cette chatte m’appartient.
Je déposai un baiser sur la pointe de ses seins.
— Cette chatte t’appartient, Mase, dit-elle à mi-voix.
À ces mots, ses yeux avaient brillé d’excitation.
— C’est ça. Elle est à moi, répétai-je en saisissant ses hanches pour la
pénétrer de longs coups de boutoir.
Elle se mit à crier mon prénom en me griffant les bras. Ses cris me firent
aussitôt jouir. Rien ne serait jamais aussi excitant que Reese hurlant mon
prénom.
Reese

Lorsque le week-end arriva, tout était rentré dans l’ordre. Captain n’avait
pas remis les pieds dans mon bureau. Il avait fait porter des dossiers par Major
deux fois, et j’avais pu souffler un peu.
Aujourd’hui Mase allait voir deux chevaux qu’il pensait acheter. J’avais
décidé de faire les courses. Maryann se rendait en ville pour faire quelques
achats et avait proposé de me déposer au supermarché et de repasser me
prendre une heure plus tard.
C’est la première fois que je faisais les courses sans Mase, et j’avais un peu
peur d’oublier ce qu’il voulait. Je savais bien qu’il ne m’en ferait jamais le
reproche, mais j’avais envie de bien faire les choses. J’aimais l’idée de
prendre soin de lui.
Après avoir passé une bonne dizaine de minutes à choisir les bons fruits et
légumes, je gagnai les autres allées. Ça n’exigeait pas de moi trop de lecture.
Cela faisait des années que je m’occupais des courses, et j’avais l’habitude de
repérer les articles grâce à leur emballage et leur étiquette.
— La petite pute a bien grandi.
Son murmure me glaça le sang. Je connaissais cette voix. Cela faisait des
années que je ne l’avais pas entendue, mais je l’aurais reconnue entre mille. Je
restai figée, incapable de me retourner.
— Alors, on dit pas bonjour à son papa ? insista Marco.
Ce n’était pas mon père. C’était le mari de ma mère, mais pas mon père :
mon tortionnaire.
— Si tu t’approches, je vais hurler de toutes mes forces, l’avertis-je sans me
retourner.
Je ne voulais pas voir son visage. Les cauchemars dans lesquels il
apparaissait avaient tout juste commencé à s’estomper. Je haïssais ce visage.
Son rire grave et menaçant me transperça d’un frisson d’horreur.
— Mais non, tu ne crieras pas. Tu ne veux quand même pas que tout le
monde découvre que tu es une vraie petite salope ? Parce que je vais le leur
dire. Comment tu m’as séduit. Comment tu voulais coucher avec ton beau-père.
Je parie que ton petit copain plein de thune ne sait même pas que tu es une vraie
putain. À moins qu’il aime ça, dit-il en me touchant les cheveux.
Un jet de bile remonta dans ma gorge. J’allais vomir. J’essayai de retrouver
ma voix, mais j’étais figée de terreur. Comme quand j’étais enfant.
— Peut-être bien qu’il aime les petites salopes débiles. Avec un gros cul et
des gros nibards. Ça doit être son truc.
Je fermai les yeux. Non. Il ne pouvait pas me faire ça. Je ne le laisserais pas
faire. J’étais plus forte à présent. J’avais grandi. La petite fille n’était plus là.
— J’ai mis un moment à te trouver. Mais ça fait une semaine que je
t’observe. Je sais où tu vis, où tu travailles. Tu es trop conne pour conduire
toute seule. Ça ne m’étonne pas.
Mon corps se recouvrit de sueur froide. Que faisait-il ici ? Pourquoi
voulait-il me retrouver ?
— Ta mère est morte. Enfin, c’est pas comme si tu en avais quelque chose à
foutre. Après tout, tu t’es enfuie. Espèce de bonne à rien, poursuivit-il en
refermant la main sur mes cheveux qu’il tira violemment en arrière.
Il fallait que je m’échappe. Mais j’étais incapable d’émettre le moindre son.
Ça devait être un cauchemar. Il n’était pas vraiment là. Ça n’était pas vrai. Il
fallait que je me réveille.
— Même pas une petite larme pour ta mère ? Les salopes dans ton genre
n’en ont rien à foutre de leur mère. Mais ton beau-père, tu l’aimais, pas vrai ?
vociféra-t-il en me tirant les cheveux.
— Lâche-moi, parvins-je à articuler sous l’emprise de la terreur.
Il éclata de rire.
— J’ai mis un moment à te trouver, gamine. Je ne vais pas te laisser en si
bon chemin. Tu lui as dit que c’est moi qui t’avais eue en premier ? Que ce
corps m’appartenait ? Que tu te pavanais avec tes fringues moulantes pour
m’inciter à te toucher ?
Mon estomac se retourna. Je me penchai en avant, écrasée par la nausée. Il
tira ma tête en arrière d’un coup de poignet.
— Si tu sors d’ici avec moi, je ne lui dirai rien de tes sales petits secrets, me
murmura-t-il à l’oreille.
Son haleine empestait une odeur de lait tourné. Je plaquai la main sur ma
bouche de peur de vomir sur le sac de courses. Je ne pouvais pas hurler tout en
bataillant pour empêcher mon estomac de rendre tout son contenu. Je fermai
les yeux et priai pour que Dieu, s’il existait, me sauve. Je n’étais pas prête à ça.
Et peut-être y avait-il un dieu parce que je sentis soudain que Marco lâchait
mes cheveux. Je fis volte-face. Captain, le visage crispé par la fureur, avait
refermé la main sur le bras de Marco. Je voyais enfin son visage. Il avait
considérablement vieilli.
— Tu vas dégager d’ici sans te retourner et je te laisserai vivre, affirma
Captain d’une voix intraitable sans hausser le ton.
Marco tenta de dégager son bras en rétorquant d’une voix haut perchée :
— Tu veux te faire arrêter pour agression ?
Captain n’eut pas l’air intimidé. Il continuait de dévisager Marco comme
s’il s’agissait de la créature la plus vile de la planète.
— Pousse un cri et tu ne reverras jamais le lever du soleil. Ne me cherche
pas, le vioque. Ne me cherche pas, articula-t-il.
Captain ne plaisantait pas. Il n’y avait pas l’ombre d’un sourire sur son
visage. On aurait dit l’expression d’un homme sans âme. Il voulait s’assurer
que Marco voie bien à quel point il était intransigeant.
Je reculai.
— Ramasse tes courses, Reese, m’ordonna Captain. Je vais raccompagner
ce tas de merde à l’extérieur. Il ne reviendra pas. Je te le promets, affirma-t-il
sans détacher le regard de Marco.
Puis il se mit en marche, la main fermement agrippée à son bras.
Je les regardai gagner la porte d’entrée. Puis je sortis mon téléphone pour
appeler Mase. J’allais m’effondrer et je n’étais pas sûre d’avoir la force de
sortir d’ici.
Mase

J’étais arrivé au ranch en dépassant toutes les limites de vitesse possibles et


imaginables. Ma mère était allée chercher Reese après m’avoir appelé pour me
raconter ce qui s’était passé. Je l’avais gardée en ligne tout en envoyant un
SMS à ma mère pour qu’elle fonce au supermarché. Reese avait à peine trouvé
la force de me dire qu’elle avait vu son beau-père.
Et que River Kipling était intervenu pour le faire partir.
Elle était terrifiée et je n’avais qu’une envie : la prendre dans mes bras pour
la réconforter. Si j’avais pensé une seule seconde que ce déchet d’humanité
allait venir à ses trousses, je ne l’aurais jamais quittée d’une semelle.
Je n’arrêtais pas d’envisager le pire des scénarios. Et si River ne s’était pas
pointé ? La peur me consumait. Je ne pouvais pas me permettre de penser à ça.
Je détestais River, mais sur ce coup-là je lui devais une fière chandelle.
Le pick-up de ma mère s’immobilisa devant le ranch juste avant moi, et je
restai derrière elle jusqu’à ce qu’elle ait fini de se garer. Puis je descendis d’un
bond pour rejoindre Reese. Lorsque j’ouvris la portière, elle s’élança vers moi
et m’agrippa de toutes ses forces, secouée de gros sanglots.
Ma mère n’était pas au courant des détails de l’histoire, mais en voyant la
réaction de Reese elle n’eut aucun mal à comprendre. Je lui jetai un œil par-
dessus la tête de Reese.
— Je la ramène à la maison, annonçai-je.
Pour l’explication, il faudrait attendre. Ma mère hocha la tête et se dirigea
vers sa maison, nous laissant seuls.
— Je suis désolé, bébé, murmurai-je.
Je la serrai tout contre moi, écrasé par un sentiment d’impuissance. Ses
sanglots redoublèrent de violence. Si son beau-père avait été devant moi, je
l’aurais tué. Je voulais le voir mort. Il avait souillé sa vie et il était venu
rouvrir de vieilles blessures. Ce sale connard.
En levant les yeux j’aperçus un autre pick-up qui s’approchait de nous. Je
reconnus le véhicule de River Kipling. Même si je ne l’appréciais pas, je
comprenais le besoin de venir prendre des nouvelles de Reese. Il avait été
témoin de la scène. Il l’avait sauvée. J’allais devoir trouver le moyen
d’accepter sa présence.
Il immobilisa son pick-up et Reese sursauta lorsqu’il ouvrit puis claqua sa
portière. Elle était effrayée. Il fallait que je la mette à l’abri à l’intérieur.
— Ça va aller ? s’enquit River en gardant ses distances.
J’allais faire tout le nécessaire. Elle avait déjà vaincu ses terreurs. Elle
pouvait le refaire.
— Je m’en occupe, l’assurai-je.
Mais je ne pouvais pas en rester là. Il méritait plus.
— Merci. Pour ce que tu as fait.
Il ne releva pas. Il avait les yeux rivés sur le dos de Reese, les mâchoires
serrées.
— Je l’ai entendu. J’étais dans l’allée d’à côté et je l’ai entendu. Est-ce que…
c’est lui qui lui a fait vivre un enfer ?
Je me contentai de hocher la tête.
River fit de même, puis tourna les talons et regagna sa voiture. Il partit sans
dire un mot.
Je soulevai Reese dans mes bras pour l’installer dans mon pick-up. Il lui
fallait le refuge de la maison.

J’étais adossé à la tête de lit, Reese dans mes bras. Sa tête reposait contre ma
poitrine et sa respiration s’était calmée. Elle dormait depuis plus d’une heure et
je n’avais pas bougé.
Et je resterais dans cette position pendant des semaines, bon sang, pendant
des mois si nécessaire. Je la tiendrais le temps qu’il faudrait. Je voulais qu’elle
se sente à nouveau en sécurité. Je n’allais pas laisser la peur prendre le dessus.
J’aurais tant aimé effacer cet homme de sa mémoire pour qu’elle ne soit plus
jamais dans cet état.
Une fois qu’elle aurait repris ses esprits, j’appellerais la police. Il lui fallait
une ordonnance restrictive. Ensuite je renforcerais la sécurité du ranch. Je
toucherais un mot à Piper pour m’assurer qu’elle ne soit jamais seule aux
écuries. Mieux encore, j’allais lui apprendre à tirer. Elle aurait un pistolet.
On frappa à la porte, et ma mère m’appela à voix basse. Je n’osais pas
parler de peur de réveiller Reese. Ma mère franchit la porte entrouverte. Ses
yeux étaient pleins d’inquiétude.
— Qui était cet homme ? murmura-t-elle.
— Son beau-père.
— Oh Seigneur, non, souffla-t-elle, les larmes aux yeux.
— Ouais, acquiesçai-je à mon tour pour confirmer ce qu’elle pensait.
Elle se couvrit la bouche pour étouffer un sanglot.
— Oh, Mase, tu étais au courant ?
Je hochai la tête.
— Elle m’en a parlé avant qu’on…
Ma mère comprit où je voulais en venir.
— Tu restes ici et tu prends soin d’elle. J’apporterai à manger. Ton père
s’occupera des écuries.
— Merci.
Nous savions l’un comme l’autre que je n’irais nulle part de toute façon. Ma
place était à côté de Reese.
Ma mère déposa un baiser sur le front de Reese, puis sur le mien.
— Aucune fille ne devrait vivre une telle horreur, murmura-t-elle.
— Je me sens si impuissant, avouai-je.
Je voulais régler tous ses problèmes. Je voulais tout effacer. Mais comment
réparer son passé ?
Ma mère me passa une main dans les cheveux.
— Tu es ce dont elle a besoin. Ne te sens pas impuissant. Sois là pour elle.
— D’accord. Je suis là.
Ma mère hocha la tête puis tourna les talons et sortit de la pièce.
Après son départ, la maison replongea dans le silence. Je continuai à faire la
liste dans ma tête de tout ce que j’aurais à faire pendant qu’elle se reposait.
J’allais la protéger, faire tout ce qui était en mon pouvoir, et plus encore.
Reese émit un petit cri, et je resserrai mon étreinte en lui murmurant à
l’oreille :
— Je suis là, tu es en sécurité. Dors, ma chérie.
Elle se calma instantanément au son de ma voix. C’est tout ce que j’avais à
faire pour le moment. Le reste allait devoir attendre. Je m’en occuperais bien
vite.
En une seconde tout mon univers s’était retrouvé menacé. J’aurais dû être
avec elle. Je repoussai les cheveux qui tombaient sur son visage et contemplai
la magnifique femme étendue dans mes bras. Malgré toute la douleur qu’elle
avait connue elle était tout aussi belle à l’intérieur. Douce, honnête. Elle était à
moi. Je l’avais trouvée. Elle était faite pour moi. C’est elle qui changerait mon
monde. Rush avait raison : elle était tout ce dont je pouvais rêver.
Qui eût cru que Rush Finlay pouvait être aussi sage ? C’était lui le fils d’une
rock star subversive, alors que moi je m’étais rangé des voitures. Pourtant
c’est lui qui avait prononcé les paroles les plus honnêtes que j’avais jamais
entendues de toute ma vie.
Captain

Un motel délabré à la périphérie de Fort Worth au Texas.

J’avais attendu toute la nuit. J’étais un homme de parole. Je jetai un œil au


tableau de bord de l’Escalade noire que je conduisais. Il restait quelques
minutes avant le lever du soleil. Je m’étais garé à l’arrière du bâtiment, à l’abri
des regards du bureau d’accueil. Non pas que cela changeât grand-chose. Le
veilleur de nuit, un vieux bonhomme, avait éclusé une bouteille de tequila
pendant la nuit en compagnie d’une prostituée, juste avant de reprendre son
poste et de dûment tomber dans les vapes.
J’avais vérifié toutes les chambres. Trois seulement étaient occupées. Deux
se situaient près de l’accueil, mais aucun des clients n’était rentré suffisamment
sobre pour espérer ouvrir un œil avant midi. Le motel bordait une route
déserte, ce qui me facilitait la donne.
Je me saisis du seul accessoire dont j’avais besoin et le glissai dans l’étui
sous ma veste en cuir.
Puis j’empoignai le téléphone portable, un modèle jetable, et envoyai un
simple SMS :

Le soleil est levé.

Puis j’appuyai sur « Envoyer ».


Sans attendre la réponse, je descendis du véhicule et gagnai la chambre que
j’avais surveillée toute la nuit. La peinture de la porte s’écaillait. Le 4 du
numéro 45 manquait à l’appel. Partout les couleurs étaient passées. Je reculai
d’un pas et d’un coup de pied ouvris la porte.
Je refermai derrière moi sans prendre la peine d’allumer la lumière.
— C’est quoi ce bordel ? s’exclama une voix groggy.
Le vieux salopard se redressa dans son lit. Je ne dis pas un mot. Il ne
méritait pas de réponse. Je n’étais pas ici pour lui faire la conversation. C’est
plutôt lui qui allait répondre à mes questions. Je pris place sur une chaise à côté
de la fenêtre. Il avait déjà tiré les rideaux, je n’eus même pas à le faire.
— J’appelle la police, prévint-il d’une voix qui trahissait sa peur.
Je sortis le flingue de ma ceinture et dégommai le téléphone qui explosa en
une pluie de bouts de plastique.
— Putain de merde ! hurla-t-il en faisant un bond.
J’étais bien content que ses sous-vêtements m’épargnent la vision de son
outillage tout flasque.
— Ce truc a un silencieux, s’exclama-t-il et c’est alors qu’il me reconnut.
(Ses yeux perçants s’arrondirent et il leva les deux mains.) Je n’ai rien fait
d’autre. Vous m’avez dit que je pourrais vivre si je partais. Je n’ai pas quitté
cette chambre d’hôtel.
Il se mit à bredouiller. Je m’adossai pour le dévisager. La peur était en train
de le terrasser.
— Vous avez dit…
— J’ai dit que si vous partiez, je vous laisserais revoir le lever du soleil,
rectifiai-je avant d’entrouvrir un rideau. Voilà qui est fait, conclus-je en
laissant retomber le tissu.
— Je vais partir. Je ne reviendrai jamais, plaida-t-il.
Je posai le pistolet sur mes genoux et jetai un regard noir à cet homme qui
avait fait des choses atroces qu’il ne pourrait jamais défaire. Des choses qui
faisaient de lui un moins-que-rien. Des choses impardonnables.
— Je sais que vous ne reviendrez jamais, affirmai-je d’un ton neutre.
— Elle ment. Ça a toujours été une menteuse. Cette salope vous a raconté
des craques. Elle a volé sa propre mère. Elle lui a brisé le cœur…
— Vous feriez mieux de vous taire maintenant, l’interrompis-je. (Je fis
glisser le canon du pistolet le long de ma cuisse.) Si vous haussez encore le
ton, je vous ferai taire. De manière définitive.
— Qu-qu-qu’est-ce que vous voulez ? bredouilla-t-il.
— Que justice soit faite. Je veux que Reese vive la vie qu’elle mérite. Je
veux que chaque salopard dans votre genre macère dans son propre sang. C’est
tout ce que je veux.
Il recula en secouant la tête.
— Elle a menti. Tout ce qu’elle a raconté, c’est des bobards. C’est une
manipulatrice. Elle utilise son corps pour faire faire aux hommes tout ce
qu’elle veut.
— Savez-vous qui est son vrai père ? demandai-je en m’imprégnant de la
peur qui se lisait dans ses yeux.
Il secoua la tête.
— Non. Le gars a mis sa mère en cloque et s’est tiré. Je les ai sauvées. J’ai
pris soin d’elles. C’est moi qui ai mis un toit sur leur tête. J’ai pris soin de la
gamine et elle n’a jamais été reconnaissante. Elle voulait plus.
Le gars se raccrochait aux branches. Quand ils savaient que leurs dernières
minutes sur terre s’égrenaient, les types disaient toujours n’importe quoi pour
essayer de sauver leur peau. J’avais l’habitude. On me l’avait faite des tonnes
de fois.
— Pourquoi avoir traqué Reese jusqu’ici ? Elle est partie de chez elle quand
elle avait seize ans.
Il fallait que je le sache. Si quelqu’un d’autre était sur le coup, il fallait que
je sois au courant et que je mette tout le monde hors d’état de nuire. Même si
d’après mes recherches il n’y avait que cette raclure.
— Sa mère, elle avait des papiers avec un fonds fiduciaire pour Reese. Elle
n’a jamais dit de qui ça venait. Je n’ai pas reconnu le nom. On a fait tout notre
possible pour encaisser l’argent, mais c’était impossible. On a bataillé pour
élever cette gamine, elle nous devait bien ça. Sa pauvre mère est morte
d’épuisement. Je n’ai pas pu payer ses frais médicaux, même pas pu lui offrir
un enterrement décent. Cet argent m’appartient. Reese me doit ça. Elle le doit à
sa mère.
Il était donc au courant pour le fonds fiduciaire. Ceci expliquait cela.
— Sa mère est morte quand ?
— Il y a un mois.
Il m’avait répondu d’un air moins terrifié. Il devait avoir l’impression de
m’amadouer. Si seulement il savait.
— Donc cette salope est morte. C’est une bonne nouvelle, rétorquai-je en
braquant le pistolet sur sa tête.
Je m’étais levé. Je me délectai à présent de l’expression d’horreur qui se
lisait dans ses yeux.
— Vous ne pouvez pas… je vous ai d-dit ce qu’elle a fait. Ce qu’elle me
doit, balbutia-t-il.
— Reese ne vous doit rien. Vous lui avez volé son innocence et vous avez
transformé la vie d’une fillette en cauchemar. Sans parler du fait que vous
l’avez convaincue qu’elle était stupide. Vous avez marqué sa vie d’une manière
qui ne s’effacera jamais. Son passé ne disparaîtra jamais. Elle le porte en elle.
Elle devra y faire face pendant le restant de ses jours.
Il secoua la tête.
— C’est elle qui voulait, commença-t-il.
Pour moi la coupe était pleine.
La balle quitta le pistolet en silence et, pendant une fraction de seconde,
j’eus le plaisir de lire dans les yeux de Marco qu’il avait compris que son
heure était venue. Il tomba sur le sol dans un bruit sourd. Je rengainai mon
arme. Le sang commença à suinter du trou sur son front, recouvrant son visage
pour former une flaque sur le sol. Ses yeux grands ouverts étaient vides.
Ce serait le dernier salopard que j’expédierais dans l’au-delà. Ma mission
était accomplie. Il était temps de passer à autre chose. Éliminer l’homme qui
avait fait du mal à Reese était le meilleur moyen de refermer ce chapitre de
mon existence.
Quand tout avait commencé, je n’avais pas prévu de tomber amoureux
d’elle. Je savais que son cœur était pris. Mais c’était difficile de ne pas l’aimer.
— Bienvenue en enfer, fils de chien, lançai-je en guise de conclusion en
laissant tomber la petite carte imprimée qu’on m’avait envoyée ce matin.
Après quoi je sortis par la porte défoncée et regagnai la voiture. Une fois
sur la route en direction de l’agence de location pour rendre l’Escalade, je
sortis le téléphone jetable et appuyai sur le seul et unique numéro que j’avais
appelé.
— Cap, me salua la voix ferme à l’autre bout de la ligne sécurisée.
— C’est fait, répondis-je.
Un soupir de soulagement me parvint.
— C’est fini, dit-il.
Je sentais l’émotion dans sa voix. Et je la comprenais.
— Ouais, c’est fini.
Nous raccrochâmes et je laissai tomber le téléphone sur le siège à côté de
moi.
Bosser pour DeCarlo allait me manquer. Il m’avait offert une vie alors que
je n’étais encore qu’un gosse sans repères. Je lui devais beaucoup. Pour la
première fois j’eus l’impression de lui avoir remboursé toute ma dette.
L’homme qui avait physiquement et sexuellement abusé de la fille de DeCarlo
était à présent mort. Reese allait vivre la vie que son père lui souhaitait. Il
n’avait plus besoin que je la prenne constamment en filature pour s’assurer de
sa sécurité. Elle était entre de bonnes mains.
Je ne doutais pas une seconde que Mase allait lui offrir une vie de reine.
Reese

Mase me garda à la maison au cours des deux journées suivantes. J’avais


fini par penser qu’il était encore plus secoué que moi par les événements. Il me
suivait partout comme mon ombre et Maryann nous apportait à manger. Si je le
laissais me garder cloîtrée chez lui, c’était autant pour lui que pour moi. Je
savais que nos boulots respectifs nous attendaient, mais je n’avais pas le cœur à
quitter la maison.
Plus d’une fois Mase me suggéra d’appeler mon père. Il pensait qu’une
conversation avec lui, ou ma nonna, ou Raul, me ferait du bien, mais j’en étais
incapable. J’avais peur qu’en entendant leurs voix je me remémore la vie
qu’on m’avait dérobée. Le souvenir de ce que j’avais vécu sans eux était
encore trop à vif. Pardonner à mon père le temps qu’il avait mis à me
retrouver devenait plus compliqué après avoir revu Marco.
Mase ne me pressa pas. Nous étions en train de regarder un film quand il
évoqua l’idée de se rendre à Rosemary Beach pendant une semaine. Je savais
qu’il essayait de me faire changer d’air. À Rosemary Beach j’avais été en
sécurité mais, en vérité, Marco aurait très bien pu me retrouver là-bas aussi. Et
s’il m’avait retrouvée plus tôt ? Avant que je rencontre Mase ? Cette pensée me
tourmentait.
Mes cauchemars revenaient en force. J’avais envie d’être forte et de
retourner travailler, mais j’en étais incapable. Pas pour le moment. Je ne savais
pas où était Marco, et je ne pouvais même pas envisager d’être éloignée de
Mase. Je haïssais le fait que je le laissais m’infliger ça. Il était en train de
piétiner mon conte de fées. Tout comme il l’avait fait avec mon enfance et mon
innocence.
Tant que Marco ne serait pas sous les verrous, j’aurais peur de reprendre le
cours de ma vie.
Le mardi matin arriva lorsque je dis enfin à Mase que je voulais aller à
Rosemary Beach. Il ne perdit pas une minute. En quelques heures les bagages
furent bouclés et un avion affrété à notre attention. Mase s’occupa de Piper et
m’assura qu’elle s’inquiétait plus pour moi que pour mon poste.
J’aimais le Texas. J’adorais y vivre avec Mase. Mais Marco l’avait souillé.
Il me l’avait volé. Je le haïssais. Si seulement je n’avais pas eu aussi peur ; si
seulement j’avais crié. Si seulement je l’avais frappé, ou si j’avais réagi, il ne
serait pas libre à l’heure qu’il est. Et je ne vivrais pas dans la peur.
À notre atterrissage, Grant Carter nous attendait à bord d’un 4 × 4 gris
métallisé. Il en descendit en nous apercevant.
— Merci d’être venu nous chercher, lui dit Mase tandis que Grant lui prenait
un sac.
— Vous êtes de la famille, mec. Pas besoin de me remercier. (Son regard se
posa sur moi.) Content de te voir, Reese. Harlow a organisé ton séjour dans le
moindre détail. Ta visite lui fait super plaisir.
La sincérité de son sourire avait du mal à cacher son inquiétude. Ces gens se
souciaient de moi. J’en eus les larmes aux yeux. Jamais je n’avais eu de vraie
famille. Celle sur laquelle j’aurais dû pouvoir compter m’avait laissée tomber,
m’abandonnant à une vie de cauchemars. Ce constat n’allait pas m’empêcher
d’être en relation avec tous ses membres, mais je ne pourrais jamais
véritablement pardonner à mon père.
Mais cette autre famille, celle de Mase, était solidaire. Tout le monde était
prêt à ouvrir sa porte et à m’accueillir à bras ouverts, à m’accepter. Par
miracle je réussis à ne pas pleurer. À la place, je souris à Grant.
— Merci. J’ai hâte de passer du temps avec Harlow moi aussi.
Mase posa une main sur le creux de mes reins pour me guider vers le
véhicule. Une fois les bagages chargés, Grant prit place au volant et Mase
m’attira contre lui en prenant mon visage dans le creux de sa main.
— Tu es ma famille, Reese. Ce qui fait d’eux ta famille. Personne au monde
n’est plus important que toi à mes yeux, et c’est pour ça que ma sœur t’adore.
Tu dois l’accepter. Ce n’est pas une raison pour pleurer.
— Je n’ai pas pleuré, protestai-je.
Un fin sourire se dessina sur ses lèvres.
— Certes, mais tu as failli. J’ai regardé ton visage. Je connais toutes tes
expressions, bébé.
Avec un petit rire, je me laissai aller contre sa main en souriant.
— Je t’aime, Mase Manning.
— Ce qui fait de moi l’homme le plus chanceux du monde.
Chez les Carter, la table était recouverte de petits fours et de bonbons.
Harlow nous accueillit. Lila Kate était accrochée à sa jambe et scrutait tout le
monde d’un air intrigué. Dès que Grant franchit la porte, elle lâcha sa mère en
poussant un cri et leva les bras vers son père.
— Ma fille chérie ! s’exclama Grant.
Il largua un sac dans l’entrée et souleva la version miniature de Harlow. Lila
Kate lui tapota les joues des deux mains, le visage illuminé d’un énorme
sourire.
— Papa ! annonça-t-elle à la cantonade.
— Elle boude chaque fois qu’il part le matin. Quand il rentre, c’est le
meilleur moment de toute sa journée, expliqua Harlow en souriant à sa fille et
à son mari.
— C’est parce que c’est sa chouchou à son papa, dit-il d’un air fiérot en
embrassant ses petites joues potelées.
— Ça c’est sûr, acquiesça Harlow. (Puis elle se tourna vers nous :) Je me
suis un peu laissée emporter quand j’ai préparé le goûter.
— Je meurs de faim. Ça a l’air délicieux, répliqua Mase en prenant sa sœur
dans ses bras.
Il lui murmura quelques mots à l’oreille et elle le serra fort en guise de
réponse. En les voyant ainsi je m’interrogeai sur Nan. Pourquoi ne voulait-elle
pas de cette proximité avec eux ?
— Veubisqui, lança Lila Kate en tapotant le visage de son père.
— Je vous rejoins dans une minute. Allez-y et commencez sans moi. Lila
Kate veut un biscuit. C’est notre rituel quand on rentre à la maison, expliqua
Grant.
Il embrassa Harlow tendrement sur la bouche, lui murmura qu’il l’aimait
puis emmena Lila Kate dans la cuisine.
Harlow le regarda s’éloigner comme si elle le voyait pour la première fois.
Lorsqu’elle se retourna vers nous, elle avait les joues toutes rouges. Ils
vivaient le conte de fées dont je rêvais.
Mase

Harlow avait emmené Reese faire les magasins avec les filles. Au départ,
Reese n’avait pas voulu me quitter et je n’avais pas l’intention de la forcer.
Mais devant l’enthousiasme de Harlow, elle avait fini par se détendre. Au final,
elle m’avait assuré que tout allait bien. J’avais dit à Harlow que je ne voulais
pas qu’elles quittent Rosemary Beach ; je voulais être à proximité en cas de
besoin. Harlow m’avait promis qu’elles ne s’éloigneraient pas. L’objectif était
juste que Reese se change les idées.
J’étais en route pour jouer au golf avec Grant et Rush au Kerrington
Country Club lorsque mon téléphone sonna. Le numéro qui s’affichait était
inconnu et je ressentis illico un sentiment de peur détestable. Je n’aurais pas dû
laisser Reese partir sans moi.
— Allô ? répondis-je la gorge nouée.
— Mase Manning ? s’enquit une voix masculine.
— Oui.
— Je suis l’inspecteur Northcutt de la police de Fort Worth. On a retrouvé
Marco Halls.
Une vague de soulagement me submergea. Ils l’avaient trouvé. Ce salopard
n’était plus dans la nature.
— Nous avons porté plainte et Reese à une ordonnance restrictive. Quelle
est la prochaine étape ?
J’étais prêt à mettre un terme à cette affaire. Je voulais le voir derrière les
barreaux.
— Il est mort, annonça Northcutt.
Je pris une profonde inspiration, le temps de digérer l’information. Ce fils
de chien était mort. Nom de Dieu.
— La femme de chambre du motel où il logeait l’a découvert ce matin. Il
était mort depuis deux jours. Personne n’était au courant. Il avait réglé la
chambre en avance et avait demandé à ne pas être dérangé ; il était censé partir
aujourd’hui.
— Comment est-il mort ? demandai-je avec un profond sentiment de
soulagement, car plus jamais il n’approcherait Reese.
— Blessure par balle à la tête. Une seule balle. Vous étiez bien entendu le
premier suspect, mais nous sommes allés interroger vos proches. Nous avons
parlé à Mme et M. Colt, ainsi qu’à Major Colt, qui nous ont informés que
Reese et vous-même n’aviez pas quitté la maison pendant deux jours et que
vous veniez de partir pour Rosemary Beach en Floride pour rendre visite à
votre sœur. Nous allons vérifier ces déclarations, mais vous n’êtes plus
suspect. Cet homme semblait avoir bien des ennemis. L’enquête préliminaire
montre qu’il était impliqué dans un trafic de drogue. Il devait sans doute de
l’argent. Toute information sur lui pourra nous être utile.
— Bien sûr. Mais Reese ne l’avait pas vu, ni lui ni sa mère, depuis ses seize
ans, lorsqu’ils l’ont jetée dehors. Quand elle est tombée sur lui au
supermarché, elle le revoyait pour la première fois. Ça l’a vraiment secouée.
Nous ne savons rien sur lui si ce n’est ce qu’il faisait à Reese quand elle était
plus jeune.
— C’est bien ce que nous pensions. Ce crime n’a rien d’impulsif. Il a été
soigneusement planifié et dissimulé. Tout indique un tueur à gages. Ce qui
signifie que nous pourrions ne jamais savoir…
Sa voix resta en suspens. Le ton de sa voix me laissa entendre qu’il ne
voulait pas savoir. Il avait la déposition de Reese, qui expliquait ce que cet
enfoiré lui avait fait.
Mais un tueur à gages ? Qui avait-il bien pu se mettre à dos ? Des gens qui
étaient au courant pour Reese ? Qui pensaient qu’elle détenait quelque chose
d’important ? Mon sang ne fit qu’un tour. La peur revenait en force.
— Si c’était un tueur professionnel, est-il possible qu’il soit à la recherche
de Reese, pensant qu’elle sait quelque chose ?
Il fallait que je la mette à l’abri. Où qu’elle soit, il fallait que je la retrouve.
Le détective se racla la gorge.
— Il y avait quelque chose sur la scène du crime qui nous laisse à penser
que Reese n’est pas en danger. Quelque chose qui le relie au trafic de drogue.
Nous avons déjà croisé cette carte de visite, dit-il à voix basse.
— De quoi voulez-vous parler ? (J’écartai le téléphone de ma bouche et
jetai un œil à Grant :) Je dois aller chercher Reese. Maintenant.
Il hocha la tête et effectua un demi-tour avec son pick-up.
— Nous avons trouvé une carte. Elle ne comportait pas d’empreinte, et elle
était imprimée avec les mots : « Pour ma petite fille. »
Je fermai les yeux en poussant un soupir. Que s’était-il passé ? Ce salopard
s’en était pris à la fille de qui cette fois-ci ?
— De retour à Fort Worth, nous vous demanderons de bien vouloir venir
répondre à des questions tous les deux.
— Oui, bien sûr. Il n’y avait aucune empreinte nulle part ?
— Comme je le disais, il s’agit d’un travail de professionnel. Aucune trace.
À part cette note. Et… (Il ménagea une pause.) Il s’agit d’une carte de visite qui
explicite les raisons de cette mort. Nous l’avons déjà vue. Plus d’une fois.
L’encre et la confection sont identiques. Nous l’avons analysée. Mais je ne peux
pas vous en dire plus.
Une carte de visite. Voilà la seule chose qui me signifiait que Reese était en
sécurité. L’auteur de l’assassinat de Marco n’avait aucune raison de s’en
prendre à Reese. Je doutais même que quiconque ait fait le lien entre elle et le
passé de Marco.
Je raccrochai au moment où nous arrivions à hauteur du café devant lequel
Harlow et Reese nous attendaient. Reese avait l’air inquiète. Je voulais la sentir
tout contre moi pendant que je lui racontais ce que je venais d’apprendre. Elle
s’approcha du pick-up à grands pas.
— Que se passe-t-il ?
Je l’attirai contre moi en prenant une profonde inspiration pour calmer les
battements de mon cœur.
— Que se passe-t-il ? répéta-t-elle contre ma poitrine.
Tout allait bien. Elle était là. Elle était en sécurité. Et quelqu’un d’autre avait
pris le soin d’assurer sa sécurité pour toujours.
— Il est mort, annonçai-je. Marco est mort.
Elle recula et me dévisagea dans un mélange de choc et d’espoir.
— Quoi ? murmura-t-elle.
— Il est mort, répétai-je.
Je décidai de ne pas rentrer dans les détails. Pas pour le moment.
— Oh mon Dieu, souffla-t-elle avant d’être secouée d’un sanglot. Il est parti.
Parti pour toujours ?
Je hochai la tête. Je comprenais son émotion.
— C’est fini, bébé.
Je pris sa tête entre mes mains en remerciant le ciel de l’avoir mise à l’abri.
Et de me l’avoir donnée.
Reese

Ma tête allait exploser et j’avais envie de rentrer à la maison. L’inspecteur


chargé de l’enquête sur Marco m’avait interrogée sur tout. Ma mère, mon vrai
père, la famille de mon père. J’avais dû lui raconter exactement ce que Mase et
moi avions fait pendant les deux jours qui avaient suivi l’agression de Marco
au supermarché. Me remémorer tout cela était difficile, mais j’avais essayé de
donner le plus de détails possible.
Je culpabilisais de leur avoir dit que Captain avait escorté Marco en dehors
du magasin. Je ne voulais pas l’impliquer dans cette histoire. Mais la police
avait déjà des déclarations de témoins, et Captain avait déjà été interrogé. Quel
que soit son alibi, il était solide.
À la fin de l’entretien, le détective me gratifia d’une tape paternelle sur le
dos. J’espérais qu’ils n’attraperaient jamais la personne qui avait tué Marco.
J’étais heureuse qu’elle leur ait échappé. On m’avait montré une petite carte de
visite frappée des lettres « Pour ma petite fille » en me demandant si je pouvais
identifier son propriétaire. Je n’avais jamais vu cette carte de ma vie et elle me
fendait le cœur. C’était ma faute si une autre petite fille avait été maltraitée par
Marco. Avant Mase, je n’avais jamais raconté à personne ce qui m’était arrivé.
À cause de mon silence, Marco avait eu toute latitude de continuer à terroriser
des fillettes.
Mase me serra contre lui en descendant du pick-up.
— Il te faut un long bain moussant. Après quoi je te ferai un massage. La
journée est finie. Tout ça, c’est fini. Tu peux vivre ta vie sans lui maintenant.
J’acquiesçai. Il avait raison. C’était fini. Ma vie commençait à présent.
Marco et ma mère n’étaient plus de ce monde et ne reviendraient jamais. Avec
eux, le souvenir de la vie que j’avais endurée allait disparaître, lui aussi.
— Je veux voir mon père, répliquai-je.
Il fallait que je lui dise certaines choses. Des choses que je n’avais pas pu lui
confier avant parce que j’étais heureuse d’avoir une famille. Mais pour
pouvoir vraiment aller de l’avant, j’allais devoir dire à mon père ce que je
ressentais. Et que je lui pardonnais.
— Quand ça ? Je peux nous trouver un vol.
— Pas tout de suite. Mais bientôt. Rentrons à la maison. J’ai besoin qu’on
reprenne le fil de notre vie.
— Tout ce que tu voudras, bébé.

Pendant les deux semaines qui suivirent, la vie reprit son cours. Mase
m’apportait le déjeuner chaque jour et Captain n’avait jamais remis les pieds
au bureau. Soit il me laissait des documents dans un dossier sur la table à
l’extérieur de la pièce, soit il envoyait Major. J’étais moins à cran et le
traumatisme qui m’avait terrassée lorsque Marco avait réapparu était en train
de s’estomper.
Ce fut un dimanche après-midi que tout bascula. De nouveau.
Mase et moi avions passé la matinée à traîner ensemble à la maison, après
quoi il était allé jeter un œil aux écuries. Après l’épisode de Marco au
supermarché, nous manquions non seulement de nourriture mais aussi
d’essuie-tout et de shampooing. Je passais la salle de bains en revue pour
vérifier qu’il ne fallait rien d’autre lorsque je tombai sur la boîte de tampons
neuve que j’avais achetée le mois précédent.
Les yeux rivés dessus, je tentai de me souvenir à quelle date auraient dû
arriver mes règles. Je sortis ma plaquette de pilule de l’armoire à pharmacie.
Deux semaines. J’aurais dû les avoir deux semaines plus tôt.
Je reposai la plaquette d’une main tremblante et retournai m’asseoir dans la
chambre pour reprendre mes esprits. Les deux dernières semaines avaient été
mouvementées. Au milieu de tout ça, je n’avais pas pensé à mes règles. Et
j’avais oublié de prendre la pilule le lendemain de l’incident avec Marco.
Sauf que le jour d’après j’en avais pris deux. Nous n’avions même pas
couché ensemble ce soir-là. J’étais dans un sale état. Ça ne collait pas. Je ne
pouvais pas être enceinte.
Je posai une main sur mon ventre en imaginant un instant que c’était le cas.
Que je portais le bébé de Mase. Un sentiment de joie me traversa, rapidement
remplacé par une sensation de malaise. Mase ne m’avait pas encore demandé
de l’épouser. Il n’était pas prêt à avoir une famille. Je ne pouvais pas lui
imposer ça. Il comptait sur moi pour prendre la pilule, et je lui avais fait faux
bond.
Comment pourrais-je devenir mère sans en avoir eu une moi-même ? Je
n’avais pas d’exemple. Celle que j’avais eue n’avait rien de recommandable
pour un enfant. Les mains sur mon ventre, je savais qu’il me fallait consulter
un médecin. Sans Mase. Inutile de paniquer pour rien, mais comment aller chez
le médecin sans prévenir personne ?
Piper. J’allais demander à Piper de m’y emmener. Je lui faisais confiance et
je savais qu’elle comprendrait. C’est ce que je pensais, en tout cas.
Je rangeai la boîte de tampons sur l’étagère et terminai ma liste de courses.
Je n’allais pas me préoccuper de ça pour l’instant. Il y avait une chance pour
que je ne sois pas enceinte. J’étais peut-être simplement en retard. J’allais
m’accrocher à cet espoir.
— Salut bébé, lança Mase en passant la porte d’entrée.
Je retournai dans le salon munie de ma liste. Jamais je ne me lasserais de le
voir avec son jean poussiéreux, son chapeau de cow-boy et ses bottes. Parfois,
j’avais du mal à croire qu’il était à moi. Il s’approcha de moi en souriant.
— Si tu continues à me regarder comme ça tu ne risques pas d’aller au
supermarché.
Je voyais très bien ce qu’il avait en tête. C’était tentant, mais j’avais trop
peur à présent. Même si je n’étais pas enceinte, je risquais peut-être de faire
une bêtise après avoir oublié de prendre ma pilule. Je tapotai sa poitrine en
croisant les doigts pour que l’inquiétude ne se lise pas sur mon visage.
— Il faut que je fasse les courses, soulignai-je.
Il baissa la tête et happa mes lèvres dans un baiser brûlant qui me fit tout
oublier.
— Tout ce que tu voudras, murmura-t-il en me donnant une claque sur les
fesses avant d’ajouter : bon sang, j’adore ce cul.
Je brandis la liste de course :
— Priorités, rétorquai-je en allant chercher mon sac à main.
— Moi aussi j’ai des priorités, dit-il d’un air amusé.
Était-il possible d’aimer quelqu’un aussi fort que j’aimais cet homme ?
Était-ce seulement raisonnable ?
Mase

Reese m’appela pour m’informer que Piper l’invitait à déjeuner le mardi


suivant. J’étais content qu’elle s’entende bien avec elle. Je voulais qu’elle se
fasse des amis. Notre vie allait se construire ici et c’était important que Reese y
trouve sa place. Je voulais qu’elle s’y plaise autant que moi.
Lorsque l’heure du repas arriva, je mis le cap chez ma mère pour manger
un bout. Le pick-up d’Aida était garé devant. Je m’arrêtai : je n’étais pas sûr de
pouvoir faire face à une dose de drame.
Nous ne nous étions pas quittés en bons termes et je ne savais pas trop
pourquoi elle était revenue. Pour autant, je n’avais pas envie de la prendre à
partie devant Reese plus tard. Reese venait de traverser un mois suffisamment
compliqué.
Je poussai un soupir. Pourvu qu’elle ne me gâche pas mon déjeuner.
Lorsque j’ouvris la porte de la cuisine, ma mère m’accueillit avec un sourire
désolé. Elle m’attendait : je l’avais appelée pour lui dire que je passerais
déjeuner seul aujourd’hui.
Je me tournai à contrecœur vers Aida. Elle était assise à table en face de
mon beau-père.
— Papa, saluai-je. Aida.
— Tu as la liste que je dois donner à Johnson ? Il va passer dans l’après-
midi.
Mon père était au courant de tout le drame avec Aida et tentait de maintenir
le cap en parlant des affaires du ranch.
— Ouais, je te l’apporterai après le déjeuner, confirmai-je. (Puis j’allai
embrasser ma mère et prendre l’assiette qu’elle était en train de servir.) Je
m’en occupe, va t’asseoir.
— Désolée, articula ma mère en silence.
Elle non plus ne s’attendait pas à la visite d’Aida. Je hochai la tête et
terminai de remplir mon assiette avant de prendre place à table.
Et comme ça ne servait à rien d’ignorer Aida, je décidai de briser la glace :
— Alors, qu’est-ce qui t’amène par ici, Aida ? lançai-je avant de prendre
une bouchée de pommes de terre à la crème.
Elle se raidit et m’adressa un regard nerveux. Nous n’avions jamais été
comme ça ensemble. Quel dommage qu’elle ait gâché notre amitié.
— Vous me manquiez. J’avais envie de passer voir comment vous alliez.
Je hochai la tête et pris une autre bouchée.
— Tu es prête à reprendre les cours ? s’enquit ma mère d’un ton un peu trop
enjoué.
Aida haussa les épaules.
— Pas vraiment. Je ne sais pas trop ce que je veux faire et ça ne me dit rien
d’aller à l’université.
— Eh bien pourtant ce serait très utile. Tu as besoin de construire des bases
solides pour pouvoir faire ce que tu veux, intervint mon beau-père.
Aida hocha la tête. Elle n’allait pas le contredire.
— Ma mère dit la même chose, dit-elle d’un air boudeur.
— C’est la vérité, insista mon père.
Je me concentrai sur mes côtes de porc. Je n’avais rien à ajouter à cette
conversation.
— Je pensais que j’allais te trouver fiancé, commenta Aida.
J’arrêtai de mâcher un instant. Qu’est-ce qu’elle sous-entendait ? Je pris une
longue gorgée de thé glacé puis me tournai vers elle.
— Pas encore, fis-je.
Un sourire satisfait se dessina sur son visage. Elle prenait ça comme un bon
signe pour elle ? Quand même pas. On avait déjà fait le tour de la question.
— Ne parlons pas de la vie intime de Mase. Lorsqu’il sera prêt à se fiancer,
il le fera, intervint ma mère avec un sourire qui jurait avec ses yeux.
Aida l’agaçait, elle aussi.
— Je me demandais juste s’il avait décidé de lui passer la bague au doigt,
insista Aida en haussant les épaules.
Elle prit une gorgée d’eau sans me quitter du regard. Je ne voulais pas me
justifier, mais je ne voulais pas non plus qu’elle s’imagine qu’il lui restait un
espoir.
— Lorsque Reese sera prête, je peux t’assurer que je lui ferai ma demande.
Je lui laisse le temps. Elle vient de traverser une période difficile, contrai-je
d’une voix contrariée.
Mon père s’éclaircit la gorge.
— Ta mère n’arrête pas de me tanner pour avoir des chèvres. Je pensais
commencer à accoupler mes chèvres naines. Si tu me retrouvais sur la façade
Est pour qu’on réfléchisse à ça ?
Changement de sujet. Merci, papa. Je hochai la tête.
— Très bonne idée. Ça me plaît.
— Oh, chouette, se réjouit maman en souriant à mon beau-père.
Il lui lança un clin d’œil et elle rougit comme une jeune écolière. C’était une
des raisons pour lesquelles j’aimais le bonhomme. Il apportait à ma mère tout
l’amour qu’elle méritait. Kiro ne l’avait jamais aimée, et c’était tant mieux : ce
que lui avait offert la vie était mille fois mieux que si elle était restée avec lui.
Et moi aussi j’avais une vie bien meilleure que si j’avais grandi avec Kiro.
— J’ai deux appaloosas qui arrivent dans trente minutes. Il faut que je file
aux écuries. Ça ne te gêne pas si j’emporte la dernière côte de porc et un verre
de thé avec moi ? demandai-je à ma mère en me relevant.
Elle se leva d’un bond, attrapa une serviette en papier, enroula une galette et
me la tendit.
— Prends ça aussi.
— D’accord. Merci pour le déjeuner, c’était délicieux.
Elle hocha la tête. Je prononçais toujours cette phrase en quittant la table.
Elle m’avait appris ça très tôt : toujours remercier la cuisinière et signifier
qu’on avait apprécié son repas.
— Je peux venir voir les chevaux ? s’enquit Aida.
— Tu restes ici et tu manges. Laisse ce garçon tranquille, Aida, trancha mon
père.
Soulagé, je décrochai mon chapeau dans l’entrée et le coiffai avant de
regagner la sortie. J’avais survécu au déjeuner et Aida n’avait pas été trop
pénible. Je priais juste pour qu’elle parte avant que Reese ne rentre à la
maison…
Reese m’avait manqué pendant le déjeuner. J’adorais la serrer dans mes
bras au milieu de la journée. Ça me donnait du cœur à l’ouvrage. Je sortis mon
téléphone de ma poche pour l’appeler. À défaut je voulais entendre sa voix.
Reese

Je jetai un œil à mon téléphone. Les bottes de Mase s’affichaient à l’écran.


Je ne pouvais pas répondre. Pas encore. Pas pour le moment.
Piper ne m’avait posé aucune question lorsque j’étais ressortie du cabinet du
médecin. Elle m’avait laissée me rasseoir en silence. Pourtant je lui devais une
explication. Elle m’avait décroché un rendez-vous en urgence avec son
docteur. Sans poser de question. Puis elle m’y avait accompagnée pendant mes
heures de bureau.
J’activai le mode silencieux du téléphone, le reposai sur mes genoux et
tournai les yeux vers la route.
— Ma puce, cet homme t’aime. Il te vénère. N’aie pas peur de le lui dire. Il
va être aux anges, dit-elle en me tapotant la jambe.
Piper n’était pas bête. Elle avait bien compris pourquoi j’avais besoin de
voir le docteur, et ce qu’il m’avait appris, sans avoir besoin d’y mettre des
mots. Ça devait être évident. Je tournai la tête vers elle.
— Il ne m’a pas demandée en mariage. Je ne fais qu’ajouter du stress à son
existence. Comment faire pour lui annoncer ça ?
Piper fronça les sourcils.
— De ce que j’ai pu voir, Mase Colt se met en quatre pour faire ton
bonheur. Il a tellement peur de te perdre qu’il ne te lâche pas d’une semelle. Il
ne va certainement pas accueillir ça comme une mauvaise nouvelle, crois-moi.
Elle ne savait pas tout. Elle n’avait aucune idée de mon passif. Mase
m’aimait, je le savais, mais il n’était pas prêt à aller plus loin. Il voulait qu’on
vive ensemble et qu’on profite de l’instant présent. Il ne planifiait pas l’avenir.
Et voilà que je me retrouvais porteuse d’un avenir.
— J’ai besoin de me faire à l’idée. Je le lui dirai. Je ne suis pas encore prête,
expliquai-je.
Piper poussa un soupir.
— C’est toi qui décides, mais il va vouloir savoir.
C’était vrai. Je le savais. Mais serait-il heureux ? Est-ce que je n’allais pas
lui rajouter un poids ? Je voulais que ce bébé soit choyé. Je voulais qu’il ou
elle ait la vie que je n’avais jamais eue. Je voulais donner à mon enfant
l’existence que Mase avait connue.
— Ne traîne pas trop. Plus tu attendras, plus ce sera dur de le lui dire,
conclut Pipe.
Je hochai la tête. Elle avait raison. J’allais devoir le lui dire bientôt. Mais
d’abord, il fallait que je m’assure d’avoir un point de chute s’il n’était pas prêt.
Il n’était plus uniquement question de moi à présent. Désormais j’étais
responsable d’une autre vie.
Le moment était venu de rendre visite à mon père.

Mase avait rappelé à mon arrivée au bureau. Cette fois-ci j’avais décroché,
car si je continuais à l’ignorer, il allait finir par venir à la grange. Je n’en
doutais pas une seconde. Je lui avais dit que j’avais passé un agréable moment
au déjeuner et qu’il me manquait. Il avait eu l’air satisfait et nous avions
raccroché.
Me retrouver assise dans son pick-up après le travail était une tout autre
affaire. Il y avait cet énorme secret entre nous, et je culpabilisais de le tenir à
l’écart. Il m’avait embrassée et serrée contre lui en arrivant chez Piper. Je me
sentais tellement en sécurité dans ses bras.
La culpabilité était comme un poids mort dans mon ventre. J’avais peur de
ressortir perdante.
— Au cas où elle serait encore là quand on arrivera au ranch, je préfère te
prévenir qu’Aida est ici. Elle était chez ma mère pour le déjeuner, m’annonça
Mase en me jetant un coup d’œil pendant qu’il conduisait.
Je n’étais pas d’humeur à voir Aida. Le timing n’était pas idéal.
— O.K. Elle a dit pourquoi elle était venue ? m’enquis-je en prenant soin de
ne pas avoir l’air trop agacée par la nouvelle.
Il haussa les épaules.
— À mon avis, elle s’ennuie. Il n’y a pas vraiment de raison.
— Oh, fis-je.
Quoi qu’il en soit, le moment était venu de rendre visite à mon père. La
présence d’Aida n’avait aucune importance. Je pris la balle au bond :
— On peut aller chez mon père ? Je crois que je suis prête.
Mase posa un bras sur mes épaules et enroula une mèche de cheveux autour
de ses doigts.
— Je réserverai le vol ce soir. Tu veux l’appeler pour le prévenir de notre
arrivée ?
Je hochai la tête.
Il se pencha pour déposer un baiser sur mon front.
— Tout ce que tu voudras, bébé. Tu n’as qu’à demander.
Cette fois-ci, lorsqu’il me surnomma « bébé », mes mains se posèrent sur
mon ventre. Comment faire pour le lui dire ?
— Ma mère a envoyé les restes du déjeuner à la maison. On peut manger un
bout et réserver les billets. Tu es prête à partir quand ?
— Après-demain. Il faut d’abord que je prévienne Piper et que je termine
certains dossiers aux bureaux.
— Parfait. Ça me laisse le temps de boucler les choses de mon côté.
Nous nous engageâmes dans l’allée. Le pick-up d’Aida était garé là, et Aida
était assise sur les marches de la véranda. Plus possible de l’éviter, je n’avais
plus le choix.
Mase serra mon épaule.
— Désolé.
Avant que je n’aie eu le temps de descendre de mon siège, Mase était déjà là
pour me prendre la main. Je le laissai m’aider et me serrer contre lui tandis
que nous regagnions la maison. Aida se leva en nous voyant arriver. Elle avait
les yeux rougis par les larmes, et sa lèvre inférieure tremblait.
— Je voulais vous présenter mes excuses à tous les deux, bredouilla-t-elle
en reniflant. Je ne voulais pas vous causer d’ennuis. Je suis revenue ici pour
vous dire que j’étais désolée. (Et s’adressant directement à Mase :) Tu me
manques. Notre amitié me manque. Je veux retrouver mon cousin.
Je sentis le corps de Mase se détendre.
— J’ai toujours été là, Aida. C’est toi qui as changé la donne. Tu ne pouvais
pas accepter Reese, alors qu’elle fait partie de moi.
Aida hocha la tête. Une larme coula le long de son visage parfait.
— Je sais. J’étais jalouse. Je n’avais encore jamais eu à te partager. Je suis
désolée. (Et se tournant vers moi :) Je suis sincèrement désolée. Je n’avais pas
l’intention de craquer comme ça.
— Si tu peux accepter Reese et comprendre qu’elle fait partie de ma vie à
présent, alors on pourra de nouveau être amis. Je te considère comme ma
petite cousine depuis toujours. Je tiens à toi. Je veux que tu sois heureuse. Mais
je ne tolérerai jamais que tu fasses du mal à Reese. Jamais.
Aida prit une mine boudeuse. Mais avec ses lèvres charnues, c’était difficile
de savoir.
— Je ne lui ferai pas de mal. Je le promets. Moi aussi je veux que tu sois
heureux.
— Alors oublions le passé et recommençons depuis le début, conclut Mase.
Aida le gratifia d’un immense sourire.
— Vraiment ?
Mase hocha la tête.
— Vraiment.
J’avais envie de la croire. Mais au fond de mes tripes quelque chose me
disait que ce n’était pas sincère.
Mase

Reese était préoccupée. Je n’arrivais pas à savoir par quoi et, quand
j’essayai d’aborder le sujet, elle se refermait comme une huître. J’étais presque
soulagé d’arriver à Chicago. J’espérais qu’elle avait simplement besoin de
voir sa nouvelle famille et qu’elle était très tendue à l’idée de parler de son
passé à Benedetto. Je voulais m’assurer que c’était la raison de sa nervosité.
J’avais l’habitude qu’elle me parle et qu’elle se confie à moi. Elle avait
changé : comme si elle avait érigé un mur et qu’elle refusait de me laisser
passer. Ça me foutait carrément la trouille. Si c’était à cause de la visite d’Aida
chez mes parents, je pouvais très bien la renvoyer chez elle. Mais j’avais
besoin que Reese me dise ce qui n’allait pas. Je me sentais totalement démuni.
Benedetto nous retrouva au retrait des bagages et à ma grande surprise
Reese l’accueillit en le prenant dans ses bras. Je m’attendais qu’elle soit plus
réservée tant qu’elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler.
— Tu m’as manqué, dit-il d’un air ravi en la serrant contre lui.
— Toi aussi, tu m’as manqué, répliqua-t-elle. Merci de nous accueillir au
pied levé.
Benedetto fronça les sourcils.
— Ne t’excuse jamais de me rendre visite. Tu es chez toi dans ma maison.
Quand tu veux, passerotta.
Sa grand-mère aussi l’appelait passerotta, et elle m’avait expliqué que ce
terme affectueux signifiait « petit moineau ».
— Nonna a hâte que tu arrives, ajouta-t-il en prenant sa valise. (Puis se
tournant vers moi :) Ravi de te revoir, Mase.
— De même, monsieur.
Je pris ma valise et posai une main dans le dos de Reese.
— Je suis heureux que tu sois ici, poursuivit Benedetto. La dernière fois,
quand tu es parti, Reese pensait constamment à toi. Ce n’était pas facile pour
elle.
— J’ai eu beaucoup de mal à la laisser, acquiesçai-je.
Ma réponse sembla satisfaire Benedetto, qui nous guida vers son Escalade
gris métallisé, que son chauffeur avait garée le long du trottoir.
— Asseyez-vous tous les deux à l’arrière. Je vais m’asseoir devant avec
Hernaldo, nous convia Benedetto. Raul voulait venir te chercher, mais il avait
cours cet après-midi. Il a hâte de vous revoir, tous les deux.
Reese ressemblait énormément à son frère Raul. C’était d’ailleurs étrange
de le regarder dans les yeux et d’y retrouver Reese. Son frère n’avait ressenti
aucune amertume à perdre son statut de fils unique. Bien au contraire, il avait
accueilli avec joie la perspective d’avoir une grande sœur et semblait
sincèrement heureux de passer du temps avec elle.
— Moi aussi j’ai hâte de le voir, acquiesça Reese.
Je savais qu’elle le pensait. Aussi forte que soit la douleur que lui causait
encore son père, elle adorait son frère.
— Bien entendu, Nonna va requérir toute ton attention. Elle a déjà
commandé le dîner. Et à coup sûr elle sera sur son trente et un, expliqua-t-il à
Reese avec un clin d’œil qui la fit rire.
Elle se tourna vers moi. J’aurais tant aimé qu’elle grandisse dans cet
environnement, entourée du soutien de cette famille aimante. En tout cas, elle
l’avait à présent et c’était une bonne chose.
— J’ai parlé avec Nonna la semaine dernière, enchaîna Reese. Elle m’a
demandé quand j’allais revenir.
Benedetto opina du chef.
— Oh oui, elle trépigne d’impatience depuis que tu as annoncé ta visite.
La conversation se poursuivit dans le 4 × 4. Reese était assise tout contre
moi, sa main dans la mienne. C’était peut-être cela qui l’avait préoccupée.
J’espérais qu’elle réussisse bien vite à briser le mur du silence qu’elle avait
érigé entre nous.
Il ne fallut pas longtemps pour franchir le portail en fer forgé de la
propriété DeCarlo. Lors de ma première visite, j’avais dû ravaler ma colère à
l’idée que Reese avait passé sa vie à lutter pour sa survie tandis que son père
biologique habitait dans le luxe le plus total. Mais petit à petit, la joie qui se
lisait sur le visage de cet homme alors qu’il faisait la connaissance de Reese
avait fini par avoir raison de mon amertume. J’étais persuadé qu’il n’avait pas
su où la chercher. Ce qui l’avait maintenu à l’écart n’avait plus d’importance
aujourd’hui. Il tenait désormais une place dans sa vie.
Nonna ouvrit la porte d’entrée en grand, le visage rayonnant de bonheur.
— Je vais aider ton père. Va voir ta grand-mère, l’incitai-je en déposant un
baiser sur ses lèvres.
Elle pivota aussitôt les talons et se précipita vers sa grand-mère.
— Elle fait du bien à sa Nonna, observa Benedetto derrière moi.
— Et sa Nonna le lui rend bien, répliquai-je.
Il hocha la tête, mais son visage se barra d’inquiétude.
— J’aurais aimé qu’elle ait toujours eu cette famille. Mais j’ai fait ce que
j’ai pensé être le mieux.
Il s’était trompé. Ce qu’il avait pensé être le mieux s’était révélé un vrai
cauchemar.
— C’est à Reese de partager son passé avec vous. Mais je vais être sincère :
rien n’aurait pu être pire que la vie à laquelle elle a survécu.
Benedetto se raidit, le visage empreint de douleur. En savait-il plus qu’il ne
voulait bien le laisser croire ? Comment était-ce possible ?
— J’ai commis beaucoup d’erreurs dans cette vie, observa-t-il tandis que
Nonna emmenait Reese à l’intérieur. Mais, cette erreur-ci, je ne pourrai jamais
me la pardonner. J’emporterai cette partie souillée de mon âme dans la tombe.
Il était au courant. C’était obligé.
— Rentrons. Hernaldo déposera les bagages dans les chambres, conclut-il.
Nous gagnâmes la maison en silence. Je repassais ses mots en boucle dans
ma tête. Comment savait-il que Reese avait souffert ? Qui avait pu l’en
informer ? Elle était venue jusqu’ici pour lui en parler et se défaire de ce
fardeau. S’il était déjà au courant, pourquoi ne pas le lui dire ?
— Savoir ma fille avec un homme qui est prêt à sacrifier sa vie pour la
protéger me réconforte. Elle t’aime, et je vois bien que tu l’aimes. Mais je veux
que tu comprennes : si à un moment tu cesses de l’aimer ou n’es plus en
mesure de la protéger, je veux que tu l’amènes ici. Est-ce clair ?
Jamais je n’abandonnerais Reese. Quelles que soient les circonstances.
— Je comprends. Mais ce jour n’arrivera jamais. Reese est toute ma vie.
Mon avenir.
Benedetto hocha la tête.
— Bien. C’est ce que je voulais entendre.
Reese

Nonna m’avait gardée tout l’après-midi, jusqu’à ce que Raul rentre et


décrète que c’était son tour de passer du temps avec moi. Je me sentais bien
avec eux et j’avais repoussé bien loin de mon esprit la conversation que j’étais
censée avoir avec mon père. À bien des égards, Benedetto était encore un
inconnu. Il dégageait un mélange de puissance et de douceur. Je savais qu’il
était content de m’avoir trouvée, mais je n’avais pas la sensation de bien le
connaître, tel que ça commençait à être le cas avec Nonna et Raul.
J’avais peur de lui parler de ma grossesse. Il m’apparaissait comme un
homme très traditionnel. Même si je savais qu’il n’avait eu qu’une passade
avec ma mère avant de me laisser derrière lui, il attendait beaucoup de sa
famille. Comment réagirait-il en me sachant enceinte alors que je n’étais pas
fiancée ? Serait-il déçu ?
J’avais eu l’intention de lui parler de l’empreinte que mon passé avait
laissée en moi. À quel point j’avais du mal à lui pardonner de m’avoir
abandonnée à ma mère. Mais à présent cela ne semblait plus aussi important. Il
me fallait penser au bébé. À cet enfant que je ne laisserais jamais subir les
horreurs que j’avais vécues. Je voulais lui offrir amour et protection. Si Mase
n’était pas prêt, je devais m’assurer d’être la bienvenue quelque part. Que
quelqu’un prendrait soin de nous.
À la fin du dîner je me tournai vers mon père.
— J’aimerais te parler, dis-je à voix basse tandis que les autres bavardaient
encore.
Raul racontait à Mase le dernier match de base-ball auquel il avait participé.
Benedetto me sourit chaleureusement.
— Bien sûr. Allons dans la bibliothèque.
Il se leva et je l’imitai en jetant un œil autour de moi. Tout le monde allait se
rendre compte que nous sortions de table pour discuter en privé. Je ne voulais
pas attirer l’attention sur nous. Surtout face à Mase, qui pensait que j’allais
parler à mon père d’un tout autre sujet.
— Je vole ma fille pendant quelques instants. Vous vous battez tous pour
l’avoir, et moi aussi je veux en profiter. Je vous invite à déguster un cocktail au
salon pendant que nous discutons en tête à tête, annonça Benedetto en me
tendant le bras.
— Espèce de vieux bouc, rétorqua Nonna d’un air malicieux.
Je lançai à Mase un sourire rassurant. Je ne voulais pas qu’il nous suive. Il
fallait que je m’en occupe seule.
— S’il te pompe l’air, n’oublie pas que tu peux toujours t’en sortir en disant
que tu ne te sens pas bien. Ça passe comme une lettre à la poste, plaisanta Raul
tandis que nous nous dirigions vers la bibliothèque.
— Ce gamin est persuadé que je gobe cette excuse chaque fois qu’il me la
sert. Je sais très bien que, quand il me dit qu’il ne se sent pas bien, il a déjà
décroché de la conversation. Alors à quoi bon le forcer à rester ?
Je ris. En les voyant se chamailler tous les deux, je me dis qu’il y avait bon
espoir pour que je sois un bon parent, moi aussi. Que j’avais en moi la capacité
d’être la mère que méritait mon enfant. Qu’un jour, dans vingt ans, on
plaisanterait tous les deux en chérissant nos souvenirs.
Benedetto ouvrit la porte de la bibliothèque. L’odeur du cuir et des livres me
submergea. J’eus envie de l’inspirer à pleins poumons. Auparavant les livres
me terrifiaient. Je les évitais comme la peste de peur qu’on me demande de
lire. Aujourd’hui, j’avais envie de tous les ouvrir pour découvrir les trésors
qu’ils détenaient.
— Assieds-toi, je vais nous servir un verre. Tu veux un martini ?
Je secouai la tête.
— Une eau pétillante, ça ira.
Benedetto me dévisagea. Au lieu de se diriger vers le bar derrière les deux
grandes portes en chêne, il me toisa.
— Pas d’alcool ?
— Non.
Il poussa un soupir, puis un sourire se dessina sur ses lèvres.
— Passerotta, tu vas faire de moi un grand-père ?
Il n’avait pas l’air déçu. Il avait l’air… plein d’espoir.
Je hochai la tête, attendant la suite de sa réaction.
Il applaudit et laissa échapper un éclat de rire.
— Fêtons la nouvelle. Pourquoi ne pas nous l’avoir dit en arrivant ? On
aurait pu préparer un dessert de fête. Nonna va être aux anges.
— Mase n’est pas encore au courant, intervins-je et son sourire s’estompa.
— Ah bon ? Pourquoi tu ne lui as rien dit ?
Parce que… et s’il me quittait ? S’il n’était pas prêt ?
— Ce n’était pas prévu. Il ne m’a pas encore demandé de l’épouser. Il n’est
pas prêt, expliquai-je d’une voix qui trahissait ma peur.
— Cet homme t’aime, Reese. Il t’adore. Il affronterait une armée pour toi.
Pourquoi voudrais-tu qu’il ne se réjouisse pas de savoir que tu portes son
enfant ?
Je me laissai tomber dans le canapé en cuir.
— Il dit que je suis son avenir, mais il n’en parle jamais vraiment. Avoir un
enfant ne fait pas partie de ses projets. Je vais le lui dire, mais s’il n’est pas
prêt, je… je ne pourrai pas rester avec lui.
Benedetto vint s’asseoir en face de moi.
— S’il n’est pas prêt, tu viendras me voir. Nonna, Raul et moi ferons le
nécessaire pour que ton bébé ne manque de rien. Mais ça ne sera pas le cas. Tu
feras de cet homme le plus heureux du monde quand tu lui annonceras la
nouvelle. Il te veut pour toujours, passerotta. Ce sera l’assurance dont il a
besoin. Il a peur de te perdre, encore plus que tu n’as peur de le perdre. Ça se
voit dans ses yeux.
Je voulais tellement qu’il ait raison. Je voulais que Mase et moi partagions
la joie et l’excitation de cette vie que nous avions créée. Si seulement je
pouvais être sûre qu’il allait réagir comme ça.
— Promets-moi de le lui annoncer bientôt. Aie confiance en moi. Aie
confiance en lui. Donne-lui la chance de prouver qu’il t’aime et qu’il a envie de
ça avec toi.
— Et s’il ressent l’obligation de faire quelque chose dont il n’a pas envie ?
Comme de me demander de l’épouser ? S’il en avait eu envie, il l’aurait fait
depuis le temps, non ? Il a été élevé par une femme qui lui a appris à distinguer
le bien du mal ; je ne veux pas qu’il fasse sa demande parce qu’il pense que
c’est la bonne chose à faire.
Benedetto opina du chef.
— C’est bien compréhensible. Les hommes ont parfois le pire timing du
monde pour faire leur demande en mariage. Cependant, rien ne t’oblige à
accepter si tu as le sentiment qu’il n’est pas sincère. Laisse-le attendre. Quand
tu seras sûre qu’il t’aime et qu’il te veut comme épouse pour aucune autre
raison si ce n’est qu’il ne peut pas vivre sans toi, alors tu pourras lui dire oui.
Mais pas avant.
C’était une bonne idée. Ce n’est pas parce qu’il se sentait obligé de faire sa
demande que je devais me sentir obligée d’accepter. Rien ne nous obligeait à
être mariés, d’ailleurs. Aucun manuel n’édictait d’être mariés pour être
parents.
— O.K. Je le lui dirai. Et s’il me demande en mariage, je dirai non. Pour le
moment.
Benedetto sourit et me tapota la main.
— Et te voir tourner ce garçon en bourrique sera pour moi une source de
divertissement sans fin. Je rate trop de choses quand tu es au Texas, je déteste
ça.
— Merci, soufflai-je.
Son expression redevint sérieuse et je décelai quelque chose dans son
regard qui me serra le cœur. Il semblait souffrir.
— Je n’ai pas été le père que tu méritais. Je n’ai pas été à la hauteur. Je ne
me pardonnerai jamais de t’avoir déçue. Mais sache que je ferai usage du
temps qui me reste sur cette terre pour ne plus jamais te faire faux bond. Je ne
peux pas changer ton passé, passerotta. Sinon, je l’effacerais entièrement. Mais
c’est impossible. Je peux faire uniquement ce qui est en mon pouvoir. Et
j’utiliserai chaque once de ce pouvoir pour m’assurer que ta vie est pleine de
soleil et de joie.
Les larmes me montèrent aux yeux et j’essayai de battre des paupières pour
les ravaler. Je n’avais pas besoin de lui raconter mon passé. Son regard me
disait qu’il était déjà au courant. Je ne savais pas exactement de quoi, mais il
savait quelque chose. Et ça me suffisait.
Mase

Il était tard lorsque Reese regagna enfin la chambre. J’avais résisté à


plusieurs reprises à l’envie d’aller voir comment elle allait : elle avait besoin
d’être seule avec son père. C’était l’occasion de guérir de toute la colère et la
douleur qu’elle portait à son endroit.
Lorsqu’elle entra j’étais assis au bord du lit. Son sourire me rassura aussitôt
et je me précipitai vers elle pour vérifier que tout allait bien.
— Te voilà, fis-je en la serrant dans mes bras pour me délecter de son
parfum.
— Oui, désolée, il est tard. On a parlé bien plus longtemps que ce que
j’aurais pensé.
— Du passé ? m’enquis-je en reculant pour la dévisager.
— Oui et non. On a aussi parlé de choses joyeuses. De son enfance,
comment il a rencontré ma mère. Ce genre d’anecdotes. Des choses que
j’ignorais ou que je ne comprenais pas.
— Ça t’a fait du bien ?
J’avais envie de l’aider. Je ne pourrais jamais effacer son passé, mais je
voulais qu’elle réussisse à refermer ce chapitre de son existence.
— Oui, ça m’a beaucoup aidée. (Elle ménagea une pause.) Mais ce n’est pas
de cela que je voulais lui parler. C’est une autre raison qui m’a fait venir ici.
La nuance d’incertitude et d’inquiétude dans sa voix ne me plaisait pas du
tout. Les murs qu’elle avait érigés étaient sur le point de s’effondrer et j’avais
peur de découvrir la raison pour laquelle elle les avait construits. De quoi
pouvait-elle donc bien s’entretenir avec son père qu’elle ne pouvait pas me
dire à moi ?
— Mase, je… tu vois, euh, je…
Elle poussa un soupir frustré avant de serrer les yeux très fort et de prendre
une inspiration. Ça n’avait pas l’air facile pour elle, ce qui me terrifiait. Que
pouvait-il donc bien y avoir de si dur à m’annoncer ?
— Reese ? Bébé, je peux encaisser tout ce que tu auras à me dire. Je suis là.
Parle-moi.
Elle hocha la tête et rouvrit les yeux.
— O.K. Je veux que tu saches que ce n’était pas prévu et que ce n’est pas un
piège. Jamais je ne ferais une chose pareille. Je n’attends rien. Je… j’ai besoin
que tu me croies. Je ne veux pas que tu t’imagines que c’était fait exprès.
Elle bafouillait, de plus en plus nerveuse.
— Je suis enceinte.
Ses yeux s’arrondirent d’un coup comme si elle n’arrivait pas à croire
qu’elle l’avait énoncé à voix haute.
C’était ça qui lui faisait si peur ? Elle attendait mon enfant ? Je la regardai
avec émerveillement, avant de laisser mes yeux glisser sur son ventre plat.
Nous avions créé une vie, à l’intérieur d’elle. Elle la portait. Notre bébé.
— Je te jure que je n’attends rien du tout. Si tu n’es pas prêt, Benedetto dit
que je peux habiter chez lui. Donc ne va pas penser…
— Attends, quoi ? fis-je en relevant les yeux. Habiter chez lui ? Mais pour
quoi faire ? On a une maison. Notre chez-nous. Avec le bébé. Tu habiteras avec
moi. Vous habiterez tous les deux avec moi.
Ses épaules s’affaissèrent dans un soupir. J’espérais que c’était de
soulagement. Pourquoi s’était-elle imaginé que j’allais la mettre dehors ? Ça
me dépassait. Bon sang, ne comprenait-elle donc pas que quand je disais
qu’elle était tout mon avenir, je le pensais vraiment ?
— Il n’y a pas de pression. C’est arrivé, et c’est ma faute. J’ai oublié de
prendre ma pilule ce jour-là… quand j’ai vu Marco. J’en ai pris deux le
lendemain quand je m’en suis rendu compte, mais apparemment ça n’a pas
marché. Je ne veux pas que tu ailles penser que tu es obligé de faire quoi que ce
soit si tu n’es pas prêt.
Cette femme, que je vénérais, allait avoir mon enfant. Comment diable
allait-elle s’imaginer que je sentais la moindre pression ?
— Reese, bébé, je t’aime. Et je pèse mes mots. Quand je te dis que je t’aime
et que tu es tout mon monde, je le pense. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Tu
m’as donné ton cœur et je croyais que tu m’avais également donné ta
confiance. Apparemment, je ne t’ai pas encore entièrement, et c’est ma faute. Je
n’ai pas été à la hauteur. Je n’ai pas fait le nécessaire pour que tu comprennes à
quel point tu es importante à mes yeux. Tu es enceinte de mon enfant, Reese. La
femme que j’aime porte mon bébé en elle. Tu ne comprends pas à quel point je
suis aux anges ? Tu es à moi. (Je m’approchai et posai la main sur son ventre.)
Ça, c’est à moi. Et jamais je ne vous abandonnerai.
Reese posa la tête sur ma poitrine dans un petit sanglot. Je la serrai tout
contre moi. Elle avait peur que les gens ne se retournent contre elle, comme si
c’était inévitable et qu’elle n’en attendait pas moins de tout le monde. Sauf
Benedetto. Elle lui avait fait confiance. Elle le lui avait dit. Pourquoi lui
accordait-elle cette confiance qu’elle me refusait à moi ? Qu’avait-il fait de
mieux que moi ? Où avais-je fait erreur ?
Une fois que j’aurais récupéré la bague que j’avais trouvée la semaine
dernière et qui était en train d’être retaillée, je lui prouverais que j’étais à elle.
Merde alors, j’étais à elle depuis le matin où elle avait chanté comme une
casserole en me remuant son postérieur sous le nez. Sur le moment je ne le
savais pas encore, mais c’était déjà le cas.
— Je suis désolée de ne pas te l’avoir dit immédiatement. J’étais tellement
surprise, et je ne savais pas comment tu allais réagir. Je ne voulais pas te mettre
le couteau sous la gorge.
Je pris son visage dans ma main.
— Dans cette vie, tu seras toujours ma priorité. Mon but est de te rendre
heureuse. Ne doute plus jamais de moi. Promets-le-moi, implorai-je.
J’avais besoin de savoir que, la prochaine fois, elle viendrait me voir au
lieu de s’adresser à son père. Elle hocha la tête.
— O.K. Je te le promets.
J’embrassai délicatement ses lèvres. J’avais envie de la voir nue et de passer
en revue chaque centimètre de son corps pour voir ce qui avait changé. Ses
hanches s’étaient-elles élargies sans que je m’en rende compte ? Son ventre
poussait-il ? Ses seins étaient-ils plus sensibles ?
— Je voudrais que tu fasses quelque chose pour moi, dis-je en m’écartant à
contrecœur de ses lèvres.
— Quoi ? demanda-t-elle le souffle court.
— Mets-toi toute nue. Je veux te regarder dans le détail et voir s’il y a déjà
des changements, affirmai-je avec un large sourire.
Elle rougit.
— Tu es sérieux ?
J’opinai du chef.
— Très.
Je vis le désir brûler dans son regard. Elle aimait l’idée que je la touche
partout. En portant une attention particulière à tous les endroits qu’elle adorait
me voir embrasser.
— Je consacrerai une attention toute particulière à tes tétons délicats,
précisai-je en glissant une main vers sa taille.
— Oh ? fit-elle en se laissant aller contre moi.
— Hum-hum. D’autres zones ont besoin de mon expertise ? m’enquis-je en
posant une main sur ses fesses.
— Ahhh… oui, souffla-t-elle en se cambrant.
— Dans ce cas, je propose qu’on te déshabille pour trouver à quel endroit
déposer mes baisers. Ça risque de prendre des heures.
Reese leva les deux mains et me fixant du regard. Toute la confiance que j’y
lus me donna envie de me tambouriner la poitrine en poussant des
grognements. C’était ma femme. Jamais je ne la laisserais tomber.
Reese

À notre départ de Chicago, Nonna était déjà occupée à tricoter une


couverture pour bébé. Mon père avait vu juste. Elle était aux anges. Raul aussi
était ravi. Il s’était surnommé Tonton Raul pendant tout le reste de notre séjour.
Mais, après trois jours, je savais que le moment était venu de rentrer pour
annoncer la nouvelle aux parents de Mase.
Mase était devenu protecteur à l’excès. Je n’arrêtais pas de lui assurer que je
pouvais me déplacer et que je n’avais pas besoin de repos – mon ventre ne se
voyait pas encore. J’espérais ne pas souffrir de nausées matinales, parce que je
n’étais pas sûre qu’il le gérerait très bien.
Sans compter qu’il avait hâte que je retourne chez le médecin pour pouvoir
m’accompagner. Il avait un million de questions à lui poser, pour lesquelles je
n’avais pas la réponse. La seule chose dont il ne parlait jamais ? De mariage.
Ce qui me troublait. Je ne voulais pas qu’il demande ma main parce qu’il se
sentait obligé de le faire. Mais son silence à ce sujet m’inquiétait. Je réussis à
me convaincre que c’était à cause de mes hormones et que tout allait bien.
Même s’il ne me demandait jamais en mariage, il avait envie de moi. Et il nous
voulait tous les deux. Je n’étais pas obligée de porter une alliance ni son
patronyme pour être à lui.
À présent, le plus urgent était de rentrer à la maison et de l’annoncer à ses
parents. Maryann arriva avec un gâteau au chocolat et j’avais préparé le café.
Je voyais bien le malaise dans le regard de son beau-père, qui contrastait avec
l’enthousiasme dans celui de sa mère. J’avais envie qu’il leur annonce la
nouvelle et qu’on passe à autre chose. Je voulais qu’ils soient heureux de
l’apprendre, mais j’avais peur qu’ils n’aient le sentiment que j’avais piégé
Mase. J’étais particulièrement anxieuse à ce propos.
— Merci d’être venus et d’avoir apporté un gâteau. Le voyage a été long et
Reese a besoin de repos, annonça Mase.
Je lui décochai un froncement de sourcils agacé. Il me faisait passer pour
une petite nature. C’est lui qui avait insisté pour que je me détende en leur
présence.
— On n’est jamais invités, c’est une belle surprise, répliqua Maryann en me
souriant.
Elle était tellement heureuse d’être ici que je culpabilisais de ne pas l’inviter
plus souvent. Je ferais dorénavant le nécessaire pour qu’ils viennent
régulièrement.
— Je prendrais bien du gâteau, lança Charlie. Bavardons autour d’un bon
goûter. Maryann ne m’a pas laissé toucher une seule miette.
Elle leva les yeux au ciel avant d’administrer une claque sur l’épaule de son
mari.
— Mais quel malpoli ! Ils ont quelque chose à nous annoncer.
Charlie haussa les épaules.
— Ben ils tournent autour du pot. Bon, le mariage c’est pour quand ? Voilà.
Et maintenant si on mangeait du gâteau ?
Je me figeai. Le souffle coupé, je sentis mon estomac se nouer. Je ne pensais
pas qu’ils s’attendaient qu’on leur annonce quoi que ce soit. À côté, le dire à
Mase avait été simple. Ils n’allaient pas être heureux d’apprendre ma grossesse
si nous n’étions pas mariés.
Mase me prit par la taille en scrutant ma réaction. Il savait bien lire mes
émotions. C’était sa manière à lui de me rassurer, mais en l’occurrence ça ne
fonctionnait pas. Je n’étais pas rassurée. J’étais terrifiée.
— Nous allons avoir un bébé, annonça Mase avec fierté.
J’avais envie de me cacher sous la table. Charlie me dévisagea et Maryann
applaudit en poussant un cri de joie.
— Je le savais ! Je le savais !
Mon regard glissa de Charlie à Maryann. Elle était aux anges. Une bouffée
d’air emplit mes poumons. Au moins sa mère était-elle heureuse.
— Tu fais un peu les choses à l’envers, fiston, non ? finit par lancer Charlie.
Exactement les mots que je redoutais. La main de Mase se resserra sur ma
taille.
— Je n’étais pas au courant qu’il fallait faire les choses dans un ordre
précis. Je suis un adulte. C’est ma vie.
— Charlie, c’est une merveilleuse nouvelle. Nous savions bien qu’ils
allaient se marier. Quelle importance si le bébé vient avant la demande en
mariage ?
Oh Seigneur. J’allais vomir. Il n’avait jamais parlé de demande. Elle
anticipait quelque chose qui n’était pas du tout d’actualité.
— Il l’a fait venir ici sans lui faire sa demande. Il a eu tout le temps de le
faire. Pas vrai, Mase ? C’est bien dommage que cette pauvre petite soit traitée
comme ça. Je pensais t’avoir élevé mieux que ça.
Je sentis mes genoux flancher. Si Mase ne m’avait pas serrée contre lui, je
ne suis pas sûre que j’aurais tenu le choc. Son beau-père disait à voix haute tout
ce qui m’avait hantée, en prenant Mase à partie. Est-ce que ça allait le faire fuir
? Le faire changer d’avis ?
— Je l’ai fait venir ici parce que je ne pouvais pas vivre sans elle. Mes
intentions ont toujours été de vivre le restant de mes jours à ses côtés. En
avançant étape par étape.
— Eh bien tu as raté les étapes, riposta Charlie. Ta mère peut être aussi
enthousiaste qu’elle le veut, mais moi je vois les choses en grand. Cette fille
mérite la bague au doigt si elle est enceinte. Elle a besoin de cette garantie. Tu
as eu une mère célibataire pendant les premières années de ta vie. Tu sais
mieux que quiconque à quel point c’est important d’être à la hauteur pour ton
gamin. Fais le nécessaire.
Ses mots sonnaient comme un ordre.
À côté de moi, Mase s’était tendu, et Maryann avait l’air choquée par la
réaction de Charlie. Sans voix, j’arrivais à peine à respirer.
— Je ne veux pas de gâteau. Je rentre à la maison, conclut Charlie en
regagnant la porte.
— Je suis désolée. Il est… il a ses idées sur la manière de faire les choses. Il
ne pense pas à mal. Il est content pour le bébé. Laisse-lui du temps, tempéra
Maryann.
— Il a une drôle de manière de le montrer, s’offusqua Mase.
Maryann le prit dans ses bras, puis se tourna vers moi et m’embrassa sur la
joue avant de m’attirer contre elle.
— Je n’aurais pas pu rêver meilleure mère pour mes petits-enfants. Merci,
me murmura-t-elle à l’oreille.
Je faillis éclater en sanglots. Sa joie et son acceptation m’apportaient un
soutien considérable.
— Je vous laisse le gâteau. Il faut que j’aille remonter les bretelles de mon
époux, conclut-elle en gratifiant son fils d’un sourire désolé.
Mase resta silencieux. Sa mère finit par tourner les talons et quitter la
maison. Je ne savais pas quoi lui dire.
— Il a tort. Il est vieux jeu. Ne fais pas attention à lui, affirma Mase.
Même si je n’avais pas le cœur à ça, je savais bien qu’il fallait que je
réponde. Que je clarifie un point : je n’attendais pas d’alliance. Et encore
moins étant donné les circonstances.
— Je ne veux pas de bague. Ce bébé n’est pas là pour t’obliger à faire quoi
que ce soit. Jamais je ne te mettrai la pression pour que tu m’épouses. Je veux
que tu comprennes que je ne t’épouserai pas si tu me le demandes maintenant,
pas si tu le fais sous prétexte que je suis enceinte. Le bébé pourra porter ton
nom de famille. Ce n’est pas nécessaire qu’on soit mariés pour ça. Mais… ne
tiens pas compte de tout ce qu’il a pu dire.
Mase fronça les sourcils.
— Jamais je ne te demanderais de m’épouser parce que je me sens obligé de
le faire, rétorqua-t-il avec sincérité.
Je poussai un soupir de soulagement, puis hochai la tête.
— Tant mieux.
Mase

La pierre en morganite rose pâle, en forme de larme et montée sur une


bague en or rose était sertie d’un halo de diamants. Elle était exceptionnelle.
Elle était sortie du lot parmi la myriade de bagues qu’on m’avait montrées. Sa
simplicité m’avait semblé parfaite. Je la voyais déjà au doigt de Reese. C’était
inutile de chercher plus loin.
La faire retailler n’avait pas été une mince affaire : les diamants couraient
tout le long de l’anneau, et il avait fallu plusieurs semaines pour obtenir le
résultat escompté. Tenir le produit fini entre mes mains était à la fois
surexcitant et terrifiant. Tout était question de timing et j’avais peur de tout
foirer royalement.
Reese insistait pour que je ne fasse pas ma demande sous le prétexte qu’elle
était enceinte. Si seulement j’avais eu l’opportunité de lui donner cet anneau
une semaine plus tôt. Mais je n’avais pas pu et tout ce qui me restait était la
preuve que je l’avais achetée trois semaines plus tôt. L’affaire était délicate. Je
ne voulais pas que le souvenir de nos fiançailles soit entaché par mes
supplications pour qu’elle me croie. Je voulais que ce soit spécial. Un instant
qu’elle chérirait à jamais.
Ma mère était au courant pour la bague – je lui en avais fait part quand je
l’avais trouvée – et elle savait donc que j’avais projeté de faire ma demande
avant l’annonce de sa grossesse. Charlie aussi était dans le secret. Et ma mère
avait fait le nécessaire pour qu’il se rende compte à quel point ses propos
avaient été déplacés. Étant donné les excuses qu’il m’avait présentées ce matin
dans les écuries, ma mère n’avait pas dû y aller avec le dos de la cuiller.
Je glissai le petit boîtier de velours noir dans la poche de mon jean et me
mis en marche vers la maison. Il fallait que j’organise tout ça, et il ne me
restait que trois heures avant d’aller chercher Reese au travail. Ma mère allait
m’aider, et même Charlie serait de la partie. Il fallait que je réussisse à
coordonner le tout.
Reese

La porte de mon bureau s’ouvrit après un coup bref. En levant les yeux je
vis entrer Aida. Je ne l’avais pas vue depuis notre retour. Et apparemment ma
chance venait de me quitter puisqu’elle débarquait ici.
— Bonjour Aida, la saluai-je tandis qu’elle prenait place de l’autre côté de
mon bureau.
— J’ai pensé qu’on pourrait parler en privé. J’aimerais te dire un certain
nombre de choses. Des choses que tu dois entendre, parce que, de ce que je
vois, tu n’es pas très futée.
Son insulte me fit l’effet d’une gifle. J’avais bien souvent entendu ces mots
dans ma vie.
— J’ai entendu dire que tu étais enceinte, mais je vois que tu ne portes
toujours pas de bague. Mase ne fait pas sa demande. Ça devrait t’éclairer. S’il
était amoureux de toi comme il le prétend, vous seriez fiancés. (Elle me lança
un sourire glacial.) Quand un homme veut une femme, il le fait savoir au
monde entier. Tu ne peux pas en dire autant, n’est-ce pas ? Réfléchis un peu à
ça, Reese. Pense à toutes ses belles paroles qui ne sont pas suivies d’actes. Ce
n’est pas en lui mettant le grappin dessus avec un bébé que ça va marcher.
Mauvais plan, fit-elle en se levant et en balançant ses cheveux par-dessus son
épaule.
Je n’avais rien à dire. Je refusais de croire un traitre mot de sa diatribe,
même si c’était difficile. D’autant plus que Charlie avait en gros dit la même
chose. Étais-je vraiment stupide ?
— Quand il en aura marre de toi et qu’il passera à autre chose, je l’attendrai.
Je l’attends depuis que je suis toute petite. Ce n’est pas toi qui me l’enlèveras. Il
s’est égaré, c’est tout. Mais c’est moi qui l’aurai au final. Alors profite du peu
d’attention qu’il te porte encore.
Elle me lança un sourire triomphant avant de quitter mon bureau en claquant
la porte.
Je restai sans bouger, les yeux rivés sur la porte. Mase m’aimait. Je le
savais. Dans ce cas pourquoi ses mots me faisaient-ils mal ? Pourquoi la
laissais-je me blesser ? Elle était en colère parce que Mase était avec moi. Ça
n’allait pas chercher plus loin. Je n’allais pas me laisser déstabiliser. C’était
hors de question.
Et pourtant ce fut le cas tout le reste de la journée.

Lorsque je sortis du bureau pour retrouver Mase à la voiture, je fus surprise


de découvrir Charlie au volant de son pick-up. Mase n’avait encore jamais
envoyé son beau-père à sa place. Après l’épisode de la soirée précédente, je
n’étais pas très à l’aise à l’idée de monter à bord avec lui. Je m’étonnais que
Mase l’ait envoyé me chercher.
Je pris place sur le siège passager, mon sac à main serré contre moi.
— Merci de venir me chercher, le remerciai-je malgré mon malaise.
Charlie hocha la tête.
— Avec plaisir. D’autant plus qu’il faut qu’on cause une minute. J’ai dépassé
les bornes hier.
C’était le moins qu’on puisse dire. Mais je me dispensai de commenter.
Il fit marche arrière avant de regagner la route principale. Les articulations
de mes mains avaient viré au blanc tant je m’agrippais à mon sac, les yeux
rivés sur le tableau de bord.
— Il semblerait que j’aie parlé sans connaître tous les détails. J’ai porté un
jugement hâtif sur Mase, il ne méritait pas cela. Il a toujours été extrêmement
sérieux, et j’avais l’impression qu’il te manquait de respect. Je ne voulais pas
qu’il commette une erreur et qu’il fiche tout en l’air. Reste que je n’avais pas
mon mot à dire, et je lui ai présenté mes excuses, ce qui lui a permis de
m’expliquer un certain nombre de choses. J’ai eu tort. J’espère que tu sauras
me pardonner.
Je hochai la tête.
— Oui, bien sûr.
Je n’étais pas en colère contre lui, plutôt gênée. Mais j’étais contente qu’il se
soit excusé auprès de Mase.
— Bien, tant mieux. Je suis ravi, dit-il en ralentissant pour franchir le
portail du ranch des Colt. Maryann n’est vraiment pas fière de moi. Il va falloir
que je me rattrape auprès de ma femme. Mais sachant que Mase et toi, vous ne
m’en voulez pas, je pense que j’ai une chance.
Maryann aimait Charlie. Elle passerait rapidement l’éponge, cela ne faisait
pas l’ombre d’un doute. Je savais à quel point il était facile de pardonner à
l’homme qu’on aime. Notamment s’il était sincèrement désolé.
— Oh, autre chose, poursuivit Charlie en se garant devant la maison. Mase
m’a laissé ceci pour toi. Je pense qu’il a besoin que tu ailles chercher quelque
chose dans les écuries. Je te laisse descendre ici.
Je pris l’enveloppe blanche qu’il me tendait.
— Euh, d’accord. Merci, fis-je en me demandant de quoi il pouvait bien
s’agir.
J’ignorais comment étaient organisées les écuries et le soleil était déjà en
train de se coucher. L’idée de regagner la maison à travers toute l’étendue du
ranch dans le noir ne me plaisait pas particulièrement.
Charlie hocha la tête puis sortit de la voiture. Je l’imitai. J’ouvris
l’enveloppe qui contenait la copie d’un reçu. La date était entourée en rouge.
Elle remontait à trois semaines. L’article et le prix avaient été barrés, mais le
nom du magasin était visible : Tiffany.
Je m’étais mise en route vers les écuries lorsque j’aperçus la lueur
vacillante de plusieurs bougies sur ma gauche. Je m’arrêtai : le sentier qui
menait chez nous était illuminé par des lumignons disposés dans des bocaux.
Ils étaient des centaines à scintiller dans le soleil couchant. C’était magnifique.
Que se passait-il ? Je m’apprêtais à ranger le reçu dans l’enveloppe lorsque
j’aperçus un autre papier. Une note écrite par Mase : « Suis les bougies. »
Perplexe, j’empruntai le chemin. Arrivée à la première bougie, je
remarquai des pétales de rose éparpillés sur le sol. J’en ramassai un en
souriant. À quoi jouait-il ?
Je poursuivis le sentier jonché de pétales rouges, blancs et roses. J’aperçus
enfin la maison, avec une boîte étroite posée au bout du chemin. Elle était
emballée dans du papier argenté et surmontée d’un gros nœud rose irisé. Mon
nom était écrit en lettres majuscules sur le devant d’une petite carte.
Je déballai délicatement la boîte. Elle contenait le tout premier livre que
j’avais lu à Mase : un livre pour enfants que m’avait donné mon professeur.
J’avais eu du mal à le déchiffrer au début, mais j’avais fini par progresser.
Mase m’avait encouragée en me donnant le sentiment que je pouvais tout
réussir. C’était la première fois de ma vie que j’avais cru en moi.
Je serrai entre mes mains les souvenirs si chers attachés à ce livre et
poursuivis le sentier illuminé de bougies. Une fois arrivée à la porte, je
découvris un autre paquet emballé tout comme le premier. Il portait également
mon nom. Je posai le livre sur la chaise de la véranda et ouvris délicatement
l’emballage. Il contenait un morceau de verre brisé. En le découvrant, le
souvenir du jour où j’avais rencontré Mase me revint, lorsqu’en tombant je
m’étais ouvert la main en cassant le miroir de Nan, chez qui je faisais le
ménage. Mase logeait chez elle à ce moment-là. Il avait pris soin de moi
comme personne d’autre ne l’avait fait auparavant.
En ouvrant la porte d’entrée, je tombai nez-à-nez avec Mase. Il se tenait dans
le salon, décoré lui aussi de bougies. Mase avait troqué ses vêtements de travail
poussiéreux contre un jean et une chemise en flanelle.
— Je l’ai gardé, m’annonça-t-il.
Je fronçai les sourcils en me demandant à quoi il faisait référence.
— Le miroir. J’en ai gardé un morceau. Sur le moment je ne sais pas
pourquoi j’ai fait ça. Mais quand j’ai nettoyé la pièce, j’en ai conservé un bout.
Je voulais me souvenir de toi. Je ne m’attendais pas à te revoir. Alors j’ai pris
un morceau de miroir.
C’était fou. Je serrai la boîte qui le contenait entre mes mains.
— J’ai gardé le livre, aussi, continua-t-il. Quand tu as réussi à le lire, j’ai
appelé ton professeur pour qu’il me le vende. Je voulais me souvenir de toi en
train de me le lire. À quel point tu étais timide au départ et comment avec
chaque nouvelle phrase, chaque jour, tu prenais de plus en plus d’assurance. Je
n’avais jamais rien vu d’aussi beau.
J’avais l’impression que mon cœur allait exploser. Je posai la main sur ma
poitrine de peur qu’il ne s’échappe.
Mase s’avança vers moi et me tendit une feuille de papier. On aurait dit un
reçu.
— Normalement je ne devrais pas te montrer ça, mais j’ai besoin que tu
voies la date et que tu comprennes ce que cela veut dire. Les circonstances ont
fait qu’il a fallu attendre trois semaines.
Je pris le reçu de ses mains, mais avant même que j’aie eu le temps de poser
les yeux dessus, Mase s’était déjà mis à genoux.
Non. Ça n’était pas possible. Je ne voulais pas de ce scénario. Je le lui avais
dit. Je commençai à secouer la tête tandis que les larmes me picotaient les yeux.
Je ne voulais pas que toute cette douceur soit gâchée par un mauvais souvenir.
— J’ai besoin que tu regardes le reçu, s’il te plaît, bébé, insista Mase en
levant les yeux vers moi.
J’avais l’estomac noué. Ma gorge me brûlait, et j’avais le regard embué. Il
ne m’avait donc pas écoutée ? Je ne voulais pas l’obliger à faire quoi que ce
soit. Je clignai des yeux pour me concentrer sur la lecture du reçu. Une fois
encore, la date était encerclée en rouge, comme sur l’exemplaire précédent.
C’était le même reçu. Cependant, cette fois-ci, seul le prix était barré : l’intitulé
de l’article était lisible.
Bague en morganite rose taille poire sur anneau en or rose.
Je déchiffrai les mots une seconde fois en les murmurant à voix basse. Il
s’agissait du reçu d’une bague qu’il avait achetée trois semaines plus tôt.
— Elle était parfaite pour toi. Mais elle n’était pas à la bonne taille,
murmura Mase.
Je posai les yeux sur lui : il tenait la bague dans sa main droite.
— J’ai dû la faire retailler pour que tu puisses la porter, expliqua-t-il d’une
voix douce.
— Oh, fis-je étranglée par l’émotion.
— Reese Ellis, tu es arrivée dans ma vie que tu as illuminée de mille feux.
Tout ce qui était terne est devenu éclatant. Tu m’as changé. Tu as donné du sens
à ma vie. Je t’en prie, offre-moi tout ce que je peux espérer de cette vie en
acceptant de devenir ma femme.
Mes joues étaient inondées de larmes. Il avait raison. Les choses étaient
censées se dérouler de la sorte. Jamais je n’aimerais un autre homme comme
j’aimais Mase.
— Oui, parvins-je à répondre au milieu de mes sanglots.
Mase me passa la bague au doigt et se releva pour m’embrasser.
C’était le plus beau des contes de fées.
Épilogue

Mase

Reese n’avait pas particulièrement insisté pour qu’on se marie avant


l’arrivée du bébé, mais je voulais qu’elle prenne le nom de Colt Manning avant
de lui donner naissance. Pour former une famille. De celles qu’elle et moi
n’avions pas connues au début de notre vie.
Harlow était arrivée à Dallas pour trouver une robe de mariée en
compagnie de ma mère et de Reese. Le lendemain, Reese, Harlow et moi irions
à L.A. pour annoncer le mariage et la grossesse à Kiro. Il avait cessé de boire
comme un trou, mais l’état d’Emily empirait, et Harlow s’inquiétait pour lui. Je
ne voulais pas qu’elle lui rende visite sans moi, et je voulais lui annoncer la
nouvelle pour Reese et moi. Je n’avais pas l’intention de faire ça par téléphone.
Je n’étais même pas sûr qu’il soit touché par l’annonce de la grossesse ou
du mariage, mais c’était mon père. Je me devais de le mettre au courant. Et puis
je faisais au mieux pour Harlow.
Mon père arrêta son pick-up devant les écuries et me tendit mon courrier,
comme il le faisait la plupart du temps quand il allait relever nos boîtes aux
lettres.
— Tu as pas mal de choses aujourd’hui, me lança-t-il.
— Merci, fis-je en récupérant une pile d’enveloppes.
— Je t’en prie. C’est calme par ici depuis que Major s’est installé à
Rosemary Beach et qu’Aida est partie. J’ai plus de temps maintenant que je ne
suis plus obligé d’écouter ta mère me raconter tout le foin qu’ils ont fait.
Je ris en passant en revue mon courrier.
— Ouais, Major a l’habitude de mettre l’ambiance. Comment réagit Oncle
Chap depuis que Major bosse dans la restauration ?
Mon père secoua la tête.
— On ne peut pas dire qu’il soit fier de lui, mais au moins il a décroché un
boulot. De toute façon Chap ne se remettra jamais du fait que son fils a couché
avec sa propre épouse. Je ne sais pas à quoi il pensait quand il a épousé une
femme de quatre ans de plus que son fiston.
J’étais du même avis.
— Ça ne doit pas être facile d’être le fils de Chap.
Je n’avais jamais envié Major. Son père Chapman Colt était un sacré dur à
cuire. Clairement pas mon oncle préféré.
Mon père émit un petit grognement.
— Sans doute. Bon, j’ai des trucs à faire. Je te vois plus tard. Va falloir
qu’on se débrouille pour le dîner vu que les femmes font les magasins.
Je hochai la tête en souriant.
— On va s’en sortir.
Il fit reculer son pick-up et je retournai à mon courrier. Une enveloppe en
particulier attira mon attention. Je rangeai les autres dans la poche de mon
blouson pour l’ouvrir. L’enveloppe blanche ne comportait pas l’adresse de
l’expéditeur. Elle avait été postée depuis Chicago et était adressée à mon nom.
J’en sortis une grosse liasse de papiers pliés en deux. Et une petite note qui
tomba par terre. J’ouvris les documents en premier et mes yeux tombèrent
immédiatement sur les mots « Fonds fiduciaire » en haut de la page. Sous le
nom complet de Reese.
Reese détenait un fonds fiduciaire d’une valeur de dix millions de dollars,
qu’elle pourrait toucher l’année de ses vingt et un ans. Perplexe, je poursuivis
ma lecture. C’est alors que le nom de Benedetto DeCarlo apparut. C’était lui
l’auteur de tout ça. Tout du long, il avait su où se trouvait la mère de Reese,
puisqu’il avait constitué ce fonds fiduciaire. Je ne savais pas trop comment
annoncer la nouvelle à Reese. Était-ce le moyen qu’avait choisi Benedetto pour
me demander de l’aider à le lui dire ?
Je me baissai pour ramasser la note qui était tombée de l’enveloppe. La
petite carte carrée me semblait familière. Je l’avais déjà vue quelque part.
Je la retournai. L’inscription disait : « Pour ma petite fille. »
Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier l’équipe d’Atria. La brillante Jhanteigh


Kupihea. Je ne pourrais pas rêver d’éditrice plus exceptionnelle. Son
optimisme et son travail font de mes livres les meilleurs possible. Merci,
Jhanteigh, d’être géniale. Merci à Ariele Fredman, non seulement pour ses
idées brillantes mais aussi pour son écoute. Merci à Judith Curr de nous
donner une chance, à mes livres et à moi. Et merci à toutes les personnes chez
Atria qui ont contribué à la production de ce livre. Je vous aime tous.
Merci à mon agent, Jane Dystel. Elle est toujours là pour m’aider dans
toutes les situations. Je suis reconnaissante de l’avoir à mes côtés dans ce
nouveau monde, en constante évolution, de l’édition. Merci à Lauren Abramo
qui gère mes droits étrangers. Je ne pourrais pas même entrevoir de partir à la
conquête du monde sans elle.
Merci à mes amies qui m’écoutent et me comprennent comme personne :
Colleen Hoover et Jamie McGuire. Vous êtes avec moi depuis le début. Savoir
que je peux vous appeler à n’importe quel moment quand j’ai besoin de
conseils ou d’une oreille n’a pas de prix.
Merci à mes lectrices bêta, Natasha Tomic et Autumn Hull. Vous êtes
fantastiques et savez parfaitement mettre le doigt sur ce qui manque. Merci de
réussir à tenir le rythme de mon agenda surchargé. Être les lectrices bêta de
quelqu’un qui est constamment en train d’écrire un livre n’est pas une tâche
facile.
Merci à Abbi’s Army menée par Danielle Lagasse et Natasha Tomic. Ces
deux dames dirigent un groupe de lecture qui soutient tout ce que
j’entreprends. Elles transforment chaque nouvelle sortie de livre en véritable
succès et, quand j’ai besoin d’un petit remontant, je peux toujours rendre visite
au groupe qui me redonnera le sourire. Il me rappelle jour après jour
pourquoi j’écris des livres. J’adore tous ces visages.
Et surtout, merci à ma famille. Sans son soutien, je ne serais pas ici. Mon
mari, Keith, s’assure que j’aie ma dose de café et s’occupe des enfants quand je
m’enferme pour tenir mes délais. Mes trois enfants sont tellement
compréhensifs, mais quand je ressors de mon tunnel d’écriture, ils exigent et
obtiennent toute mon attention. Mes parents, qui me soutiennent depuis le début.
Y compris lorsque j’ai décidé d’écrire des histoires plus torrides. Mes amis,
qui ne me détestent pas quand je ne les vois pas pendant des semaines pour me
plonger dans l’écriture. Ils constituent le meilleur groupe de soutien au monde
et je les aime profondément.
Mes lecteurs et lectrices. Je ne pensais pas en avoir tant. Merci de découvrir
mes livres, de les apprécier et de les recommander autour de vous. Sans vous
je ne serais pas ici. C’est aussi simple que cela.
Table des matières

Couverture
Page de titre
Du même auteur
Page de copyright
Dédicace
Chapitre 1 : Reese
Chapitre 2 : Mase
Chapitre 3 : Reese
Chapitre 4 : Mase
Chapitre 5 : Reese
Chapitre 6 : Mase
Chapitre 7 : Reese
Chapitre 8 : Mase
Chapitre 9 : Reese
Chapitre 10 : Mase
Chapitre 11 : Reese
Chapitre 12 : Mase
Chapitre 13 : Reese
Chapitre 14 : Mase
Chapitre 15 : Reese
Chapitre 16 : Mase
Chapitre 17 : Reese
Chapitre 18 : Mase
Chapitre 19 : Reese
Chapitre 20 : Mase
Chapitre 21 : Reese
Chapitre 22 : Mase
Chapitre 23 : Reese
Chapitre 24 : Mase
Chapitre 25 : Reese
Chapitre 26 : Mase
Chapitre 27 : Reese
Chapitre 28 : Mase
Chapitre 29 : Reese
Chapitre 30 : Mase
Chapitre 31 : Reese
Chapitre 32 : Mase
Chapitre 33 : Reese
Chapitre 34 : Mase
Chapitre 35 : Reese
Chapitre 36 : Mase
Chapitre 37 : Captain
Chapitre 38 : Reese
Chapitre 39 : Mase
Chapitre 40 : Reese
Chapitre 41 : Mase
Chapitre 42 : Reese
Chapitre 43 : Mase
Chapitre 44 : Reese
Chapitre 45 : Mase
Chapitre 46 : Reese
Chapitre 47 : Mase
Chapitre 48 : Reese
Épilogue
Remerciements

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