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Gérard Jorland
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a première chose qui frappe quiconque étudie l’hygiène professionnelle au
L XIXe siècle, c’est la rémanence jusque tard dans le siècle comme traité de
référence de l’Essai sur les maladies des artisans de Bernardino Ramazzini
publié pourtant un siècle auparavant, en 1700, puis augmenté en 1713, traduit
du latin et commenté par Fourcroy en 1777 puis par Philibert Patissier en 1822 (1).
Il est encore cité en 1892 (2). En 1874, un texte allemand intitulé Die Krankheiten
der Arbeiter [les maladies des travailleurs] est toujours traduit par « les maladies
des artisans » (3). Comment expliquer la postérité de cette référence sur deux siè-
cles marqués par la révolution industrielle ? N’aurait-elle compté pour rien à cet
égard ?
L’Essai de Ramazzini est une compilation de toutes les observations médicales
concernant cinquante-deux professions, mise à jour et présentée par Fourcroy
comme un programme de recherche qui sera poursuivi tout au long du siècle sui-
vant : d’une part, poursuivre la compilation en consultant aussi les fabricants et les
ouvriers ; d’autre part, construire une systématique des maladies professionnelles
dont il esquisse les premières divisions. Il y en aurait deux classes, la première
regroupant les maladies causées par les molécules que les ouvriers respirent et qui
donnent lieu à autant d’ordres que de règnes auxquels elles appartiennent (minéral,
végétal, animal, les trois ensemble). La seconde classe comporterait toutes les mala-
dies causées par l’excès ou le défaut d’exercice de certaines parties du corps, cha-
cune déterminant un ordre, Fourcroy en distinguant provisoirement quatre : assis,
debout, yeux, voix. En d’autres termes, si les maladies de la première classe sont
les maladies professionnelles au sens strict, celles de la seconde classe sont bien
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G. JORLAND
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centaine d’articles publiés dans les trois premières séries des Annales d’hygiène
publique et de médecine légale (AHPML) entre 1829 et 1903, et des rapports
publiés sur ce sujet par le Conseil d’hygiène publique et de salubrité de Paris. Il ne
comprend ni les thèses ni les communications académiques ou les monographies, ni
non plus les traités ou les manuels, car ils feraient double emploi, soit qu’elles les
inspirent, soit qu’ils s’en inspirent. Pour que les faits qu’ils prétendent observer puis-
sent être tenus pour une représentation fidèle de l’hygiène professionnelle au
XIXe siècle, encore eût-il fallu les recouper avec d’autres sources, administratives,
patronales ou ouvrières. Les recoupements que j’ai tentés avec des sources adminis-
tratives, en l’occurrence les archives hospitalières dans le cas du saturnisme des
ouvriers cérusiers, ont montré une bonne concordance mais triviale dans la mesure
où les médecins hospitaliers concernés sont eux-mêmes les auteurs de ces articles.
Je n’ai pas fait de recoupements avec les sources patronales et ouvrières. Par consé-
quent, l’histoire que j’ai entrepris de reconstituer est celle de l’hygiène professionnelle
comme discipline médicale et non pas comme réalité industrielle. Si je me suis attaché
à en reproduire les statistiques, c’est pour deux raisons : la première, parce que les
médecins hygiénistes raisonnaient en ces termes, par conséquent ne pas le faire
aurait empêché de les comprendre – c’est d’ailleurs ce qui les distingue en propre
de leurs confrères du siècle précédent (6) ; la seconde, c’est que leurs séries de chif-
fres constituent l’une des sources de l’hygiène professionnelle au XIXe siècle, elles
peuvent donc servir de données à une étude d’ensemble.
(4) B.-P. LÉCUYER, « Les maladies professionnelles dans les Annales d’hygiène publique et de méde-
cine légale ou une première approche de l’usure au travail », Le Mouvement Social, juillet-septembre
1983, p. 45-69, à la p. 45. Cf. p. 50 : « On est assurément loin de l’usure au travail ».
(5) A. COTTEREAU, « L’usure au travail : interrogations et refoulements », Le Mouvement Social, juillet-
septembre 1983, p. 3-9, à la p. 4.
(6) Cf. A. FARGE, « Les artisans malades de leur travail », Annales ESC, septembre-octobre 1977,
p. 993-1006.
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L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
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l’occurrence, des maladies causées par l’inhalation de molécules végétales (8). Les
autres études de Parent-Duchâtelet réalisant ce programme, publiées sur les ulcères
aux jambes ou en préparation sur les yeux, relevaient des maladies de la seconde
classe (9). En revanche, l’étude de Mêlier en 1845 a été commanditée par le ministre
des Finances à la suite d’un compte rendu des rapports des médecins attachés aux
manufactures de tabac par le directeur de cette administration qui affirmait non seu-
lement l’innocuité de cette plante mais aussi qu’elle préservait de la dysenterie et de
la fièvre typhoïde (10). Chevallier contra aussitôt les conclusions de Mêlier sur la base
d’un rapport de la commission de salubrité de Bruxelles et de travaux anglais (11).
L’étude de 1866 est le fait d’un médecin de la manufacture de Lyon qui a eu l’idée
de comparer l’état sanitaire des ouvriers au moment de leur entrée dans la manu-
facture pour un stage à leur état au moment de leur embauche deux à quatre mois
plus tard. Les études de 1881 et 1882, dues respectivement à un professeur de
l’école de médecine de Nantes et au médecin de la manufacture de Lille, ont elles
aussi été commanditées par le ministre des Finances pour connaître l’influence du
tabac sur la mortinatalité et la mortalité infantile. La même problématique est reprise
dans une observation statistique minutieuse par un professeur de la faculté de méde-
cine de Nancy en 1897 (12). On voit donc que ce souci de la santé des ouvriers et
(7) B.-P. LÉCUYER, « Les maladies professionnelles... », art. cit., et « Collaboration de Claude Bernard
aux recherches du Dr Mêlier sur l’hygiène des travailleurs des manufactures de tabac », Revue française
d’histoire des sciences médicales, t. 27, 1983, p. 231-239.
(8) A.-J.-B. PARENT-DUCHÂTELET et J.-P.-J. d’ARCET, « Mémoire sur les véritables influences que le tabac
peut avoir sur la santé des ouvriers occupés aux différentes préparations qu’on lui fait subir » (1829), in
A.-J.-B. PARENT-DUCHÂTELET, Hygiène publique, Paris, Baillière, 1836, t. II, p. 559-606.
(9) A.-J.-B. PARENT-DUCHÂTELET, « Recherches sur la véritable cause des ulcères qui affectent fréquem-
ment les extrémités inférieures d’un grand nombre d’artisans de la ville de Paris », AHPML, 1re s., t. 4,
1830, p. 240-306, à la p. 244.
(10) F. MÊLIER, « De la santé des ouvriers employés dans les manufactures de tabac », AHPML, 1re s.,
t. 34, 1845, p. 241-300.
(11) J.-B.-A. CHEVALLIER, « Note sur les ouvriers qui travaillent le tabac en Belgique », ibid., p. 300-304.
(12) G. ÉTIENNE, « La mortalité infantile dans les familles ouvrières à la manufacture de tabacs de
Nancy », AHPML, 3e s., t. 37, 1897, p. 526-536.
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des ouvrières dans les manufactures de tabac émane aussi bien de l’administration
que de la curiosité scientifique.
Et tandis que les uns montrent la nocuité du tabac (13), les autres soulignent
l’accoutumance des ouvriers, et les uns comme les autres font valoir qu’il préserve
de certaines maladies (14). Ces divergences s’expliquent toutefois assez bien. D’une
part, la mécanisation a permis d’améliorer les conditions de travail dans les manu-
factures de tabac de sorte que les maux dont souffraient les ouvriers et les ouvrières
ne sont plus que passagers (15). D’autre part, ceux qui soutiennent la nocuité du
travail dans les manufactures de tabac, comme l’a fort bien relevé Bernard-Pierre
Lécuyer, le font moins par l’observation statistique que par conviction toxicologique :
Claude Bernard ayant établi que la nicotine était un poison violent dans certaines
circonstances, il leur paraissait invraisemblable qu’elle n’eût aucun effet à la longue
sur la santé des ouvriers qui la travaillaient (16).
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Mais si ces derniers avaient ainsi de bons motifs de croire en l’existence d’une
maladie professionnelle, ceux-là n’en avaient pas de moins forts pour ne pas y croire.
Ils étaient effarés par le délabrement physique et moral « des classes ouvrières » au
point de craindre une « dégénérescence de la race » puisque cela ne valait guère
mieux outre-Manche et outre-Rhin. Chevallier le formule dans nos propres termes
en 1845 : « Un fabricant a cependant déclaré que les ouvriers spécialement employés
à la confection des carottes ne pouvaient guère continuer ce travail que pendant
douze ou quinze ans, et qu’alors ils étaient des hommes usés » (17). Le médecin de
la manufacture de Lille décrit cette usure qui provient des conditions de vie qu’impose
le travail plus que des conditions de travail elles-mêmes : constitution chétive, dété-
riorée, mauvaise condition hygiénique au double point de vue de l’alimentation et de
l’habitation, affections diathésiques transmises par l’hérédité (18).
Or c’est la même description que fait Villermé des conditions de vie imposées
par le travail dans les manufactures textiles qui emploient un nombre plus consi-
dérable d’ouvriers et d’ouvrières : à la fin de la Monarchie de Juillet, l’industrie
cotonnière emploie selon lui 1 million d’ouvriers dont 150 000 enfants, l’industrie
lainière 500 000 ouvriers, l’industrie de la soie 300 000 ouvriers, le tissage
(13) D’après Parent-Duchâtelet et d’Arcet qui les tiennent pour illusoires : nausées, vomissements,
diarrhées, coliques, hémorragies, céphalalgies, sternutations, perte d’appétit, maigreur et émaciation,
fétidité de l’haleine, décoloration de la peau, affections aiguës et chroniques de la poitrine, cancers.
(14) Maladies épidémiques, phtisie, dysenterie, typhoïde, rhumatismes, névralgies, fièvres intermit-
tentes, gale, engelures aux mains.
(15) F. MÊLIER, « De la santé des ouvriers », art. cit., p. 251 et 276 ; É. BEAUGRAND, compte rendu de
Maladies des ouvriers employés dans les manufactures de tabac, par M. Ygonin, AHPML, 2e s., t. 27,
1867, p. 219-223, à la p. 223.
(16) F. MÊLIER, « De la santé des ouvriers », art. cit., p. 259 ; L. POISSON, « Note pour servir à l’étude
de la santé des ouvriers dans les manufactures de tabac », AHPML, 3e s., t. 6, 1881, p. 385-399, à la
p. 385.
(17) J.-B.-A. CHEVALLIER, « Note sur les ouvriers... », art. cit., p. 301 ; c’est moi qui souligne. Voir sur
cette question de l’usure au travail du tabac A.-J.-B. PARENT-DUCHÂTELET et J.-P.-J. d’ARCET,
« Mémoire... », art. cit., p. 596 et M. Ygonin d’après le compte rendu de É. Beaugrand, art. cit., p. 222.
(18) JOIRE, « Influence des émanations de tabac sur la santé des ouvriers dans les manufactures »,
AHPML, 3e s., t. 7, 1882, p. 219-223, à la p. 221.
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L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
400 000 ouvriers (19). Villermé écrit dans un texte on ne peut plus officiel puisque lu
en séance publique annuelle des cinq académies de l’Institut de France le 2 mai 1837 :
« Une quantité très considérable d’ouvriers des manufactures est habituellement dans
un état réel de souffrance [...]. Ils sont exténués de disette et de fatigues » (20).
Thouvenin, médecin hygiéniste belge, conclut son étude de 1846 dans les mêmes
termes : si « l’industrie, en général, n’exerce pas directement d’influence fâcheuse sur
la santé des ouvriers », les causes « de la détérioration de la classe ouvrière » sont le
« travail trop fatigant, proportionné aux forces, dès le jeune âge » (21). Un mémoire
couronné par la Société médicale d’Amiens, donc avalisé par la profession, présente
toujours le même tableau en 1863 : « L’ouvrier employé dans les filatures est assujetti
à un travail fatigant », auquel s’ajoute la fatigue d’un trajet de plusieurs kilomètres à
son domicile et que ne vient pas réparer une nourriture suffisante (22).
Cette usure au travail se manifeste de deux manières. D’une part, dans le rac-
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courcissement de la durée de vie des ouvriers (23), d’autre part dans les stigmates
corporels que laisse l’exercice prolongé d’une profession et dont le plus commun est
la fatigue professionnelle (24).
La table la plus citée en langue française tout au long du siècle est celle de
Lombard, établie pourtant dès 1835, sur le rôle de l’état civil de Genève de 1796 à
1830 (25). La durée de vie moyenne y varie selon les professions de 44 ans pour
les peintres à 69 ans pour les magistrats, autrement dit de plus d’un tiers. Et pour
Lombard, médecin à Genève, d’accord avec les hygiénistes français, cette différence
considérable s’explique avant tout par l’aisance des uns et la misère des autres.
L’aisance favoriserait la longévité en diminuant les souffrances physiques grâce à une
alimentation suffisante et à la protection contre les vicissitudes atmosphériques, c’est-
à-dire préserverait de l’usure d’un travail pas assez rémunérateur. L’aisance allonge-
rait la durée de vie encore grâce à l’éducation qu’elle dispense et qui « détourne des
excès grossiers » (26).
(19) Pierre Karila-Cohen me fait observer que l’enquête de 1840-1845 sur les établissements de plus
de dix salariés compte 700 000 ouvriers pour l’ensemble du textile et 245 000 pour le coton. Les chiffres
de l’époque ne sont guère que des ordres de grandeur, non seulement à cause des conditions de recueil
mais tout autant des fautes de transcription. Ils ont avant tout une valeur subjective.
(20) L.-R. VILLERMÉ, « De la santé des ouvriers employés dans les fabriques de soie, de coton et de
laine », AHPML, 1re s., t. 21, 1839, p. 338-420, aux p. 403-404. Il s’agit de la prépublication du cha-
pitre VIII du Tableau.
(21) THOUVENIN, « De l’influence que l’industrie exerce sur la santé des populations dans les grands
centres manufacturiers », AHPML, 1re s., t. 36, 1846, p. 16-46 et 277-296, et t. 37, 1847, p. 84-111,
à la p. 111.
(22) S. PICARD, « De l’hygiène des ouvriers employés dans les filatures », AHPML, 2e s., t. 20, 1863,
p. 258-281, aux p. 258-259.
(23) A. COTTEREAU, « Usure au travail, destins masculins et destins féminins dans les cultures ouvrières,
en France, au XIXe siècle », Le Mouvement Social, juillet-septembre 1983, p. 71-112, aux p. 78-87.
(24) Dans les mines par exemple, cf. E. DUCPÉTIAUX, « Du travail des enfants dans les mines et houillères
de la Grande-Bretagne et de la Belgique, de son influence sur leur santé et sur celle de cette classe
d’ouvriers », AHPML, 1re s., t. 29, 1843, p. 241-305.
(25) H. C. LOMBARD, « De l’influence des professions sur la durée de la vie », AHPML, 1re s., t. 14,
1835, p. 88-131.
(26) Ibid., p. 104.
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commentant un rapport d’une commission d’enquête anglaise en 1843, il décrivait
comment le corps se conforme aux conditions de travail : « partout dans la Grande-
Bretagne, les ouvriers des mines bien entretenues, suffisamment ventilées et sèches,
à galeries hautes et larges, sont bien conformés, et semblent, à la pâleur près, plus
forts, plus robustes, plus vigoureux, mieux portants que les ouvriers des autres indus-
tries [...], tandis que les ouvriers des mines mal ventilées, humides, à galeries étroites
et basses, où l’on ne peut cheminer que courbé ou bien en rampant, paraissent
débiles, mal portants, et sont souvent mal conformés » (29).
Le même thème est repris dans les mêmes termes à la fin du siècle par des
médecins militaires. Ainsi, l’un, ayant établi une statistique des conscrits de l’arrondis-
sement d’Évreux de 1872 à 1880 par profession, montre en 1892 que leur taille est
fonction du bien-être. Les ouvriers des manufactures ont la taille moyenne la plus faible,
la plus faible proportion de grandes tailles et la plus forte de petites tailles (30). L’autre,
étudiant l’état général de jeunes soldats de toutes professions, dont les effectifs varient
considérablement, de 21 bûcherons et fagotiers à 3 713 cultivateurs et laboureurs sur
un total de 10 672 sujets, établit en 1897 le classement suivant : la taille moyenne de
la population française étant 1,65 m, elle oscille dans ces 63 professions de 1,62 m à
1,68 m. Au-dessus de la moyenne se trouvent les étudiants, puis les propriétaires, les
bûcherons, les employés. La moyenne est atteinte par les cultivateurs, les négociants,
(27) Cette questions de la forte mortalité du corps médical a été soulignée tout au long du siècle. Cf.
CASPER, « De la durée vitale probable chez les individus qui exercent la profession de médecin », trad. de
l’allemand, AHPML, 1re s., t. 11, 1834, p. 375-384 et Compte rendu de « Influence de la profession et
de la position sociale sur la durée de vie », par le Dr Majer, AHPML, 2e s., t. 23, 1865, p. 229-231.
(28) L.-R. VILLERMÉ, « De la santé des ouvriers », art. cit., p. 397. Cf. THOUVENIN, « De l’influence... »,
art. cit., p. 17.
(29) L.-R. VILLERMÉ, « Enquête sur le travail et la condition des enfants et des adolescents dans les
mines de la Grande-Bretagne », Journal des économistes, t. 5, 1843, p. 268-302, à la p. 291, et « Quel-
ques considérations sur la stature, la conformation et la santé des enfants et des adolescents employés
dans les mines de houille de Grande-Bretagne », AHPML, 1re s., t. 30, 1843, p. 28-43.
(30) G. CARLIER, « Des rapports de la taille avec le bien-être », AHPML, 3e s., t. 27, 1892, p. 294-344,
aux p. 321-322.
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L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
les cochers et les valets de chambre, les fonctionnaires, les tisserands. Au-dessous de
la moyenne se trouvent les journaliers, divers ouvriers, divers artisans (31).
La taille n’est que l’un des stigmates du travail. Il en est d’autres, toutes les
déformations du corps qu’entraîne à la longue l’exercice d’une profession. C’est
Ambroise Tardieu, professeur de médecine légale à la faculté de médecine de Paris
et président du Comité consultatif d’hygiène publique de France, qui commence
l’étude systématique « des modifications et des déformations que produit invariable-
ment dans certaines parties déterminées du corps l’exercice des diverses profes-
sions » (32). Il passe en revue 40 professions dont il détaille les déformations
corporelles induites à la longue par leurs diverses opérations. Par exemple, les polis-
seuses sur écaille : « Cette opération s’exécute en frottant la plaque que l’on veut
polir avec la main imprégnée de vinaigre » de sorte que « la peau est non pas calleuse,
mais très rugueuse, grisâtre, fendillée, rayée, durcie par le frottement et probable-
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ment aussi par le vinaigre » (33). En 1862, Maxime Vernois, médecin consultant de
Napoléon III, étudie les stigmates de la main dans diverses industries et profes-
sions (34). En 1890, des médecins de Saint-Étienne font une communication à la
Société de médecine sur « la déformation thoracique des passementiers » (35).
C’est cette usure au travail qui préoccupe les médecins hygiénistes beaucoup plus
que les maladies professionnelles dont ils craignent qu’elles ne l’occultent. Ils en vien-
nent donc à dénier, le plus souvent, leur existence. Ainsi, pour Parent-Duchâtelet,
paradigmatique à cet égard, les ulcères aux jambes des ouvriers qui travaillent dans
l’eau (débardeurs, déchireurs, ravageurs) ne sont pas une maladie professionnelle mais
de l’usure au travail car ceux qui sont membres d’une société de secours mutuel, et
peuvent se reposer dès qu’ils ont un accident, ne développent pas d’ulcères (36).
De la même manière, Alphonse Chevallier, professeur à l’École de pharmacie, qui
prit la relève de Parent-Duchâtelet en hygiène professionnelle, attribua les maux gastri-
ques des ouvriers qui préparent les couleurs fines à la fatigue : un travail consécutif de
13 heures lui semblait bien trop fatigant pour ce genre de travail (37). C’est encore au
début du XXe siècle cette fatigue professionnelle qui est incriminée chez les
(31) MARTY, « Professions et développement physique », AHPML, 3e s., t. 37, 1897, p. 305-454, aux
p. 315-317.
(32) A. TARDIEU, « Mémoire sur les modifications physiques et chimiques que détermine dans certaines
parties du corps l’exercice des diverses professions, pour servir à la recherche médico-légale de l’identité »,
AHPML, 1re s., t. 42, 1849, p. 388-417, à la p. 389.
(33) Ibid., p. 415.
(34) M. VERNOIS, « De la main des ouvriers et des artisans au point de vue de l’hygiène et de la médecine
légale », AHPML, 2e s., t. 17, 1862, p. 104-190.
(35) FLEURY et REYNAUD, « La déformation thoracique des passementiers », AHPML, 3e s., t. 24, 1890,
p. 132-151, à la p. 136.
(36) A.-J.-B. PARENT-DUCHÂTELET, « Mémoire sur les débardeurs de la ville de Paris ou Recherches sur
l’influence que peut avoir sur la santé l’immersion longtemps prolongée des extrémités inférieures dans
l’eau froide » et « Recherches sur la véritable cause des ulcères qui affectent fréquemment les extrémités
inférieures d’un grand nombre d’artisans de la ville de Paris », in id., Hygiène publique, op. cit., t. II,
p. 607-643 et 644-695.
(37) J.-B.-A. CHEVALLIER, « Note sur la santé des ouvriers qui préparent les couleurs fines », AHPML,
2e s., t. 9, 1858, p. 342-344.
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reposer, ils ne l’étaient pas moins de la nécessité de réguler cette concurrence par
des lois qui s’imposent à tous.
Ils ont commencé par le travail des enfants parce qu’ils craignaient qu’à laisser faire,
avec des taux de survie toujours plus courts à mesure que l’on descend l’échelle sociale,
l’existence même de la population ouvrière fût en péril. En 1839, la mortalité infantile
serait de 50 % avant la deuxième année contre 29 ans dans les classes supérieures ; en
Allemagne, vers 1865, sur 1 000 nouveau-nés, il n’en mourait que 57 les cinq premières
années dans les classes supérieures contre 345 dans les classes inférieures (41).
Ils ont aussi commencé par le travail des enfants pour une autre raison. Leur
credo malthusien les a convaincus que la seule manière qu’ont les ouvriers d’amé-
liorer leur sort est de limiter le nombre de leurs enfants. Mais pour qu’ils ne fassent
pas d’enfants, encore faut-il que les enfants ne soient pas un supplément de salaire
indispensable pour maintenir les parents en vie, quitte à y perdre la leur. Comme
on ne peut pas augmenter les salaires sans inciter les ouvriers à faire plus d’enfants,
et donc augmenter la demande de travail dans des proportions telles que les salaires
ne finissent par baisser, il vaut mieux raréfier la demande d’emploi en interdisant le
travail des enfants de sorte que, ceux-ci n’étant plus des gagne-pain mais au contraire
des bouches à nourrir, les couples ouvriers réduisent leur taux de fécondité et voient
ainsi leurs salaires augmenter, et avec eux leur durée de vie moyenne. Lorsque
s’amorce au mitan du siècle la baisse de la natalité, une génération avant l’Angleterre
et deux avant l’Allemagne, les médecins hygiénistes adaptent leur modèle malthusien.
Pour que les femmes puissent s’occuper de leurs enfants, notamment les allaiter au
sein, et qu’ainsi diminuent la mortinatalité et la mortalité infantile, ils font pression
(38) LESPINASSE, « Les sapeurs-pompiers de Paris. Causes professionnelles de maladies. Hygiène pro-
phylactique », AHPML, 3e s., t. 50, 1903, p. 5-36.
(39) P. REILLE, « La fatigue professionnelle », AHPML, 3e s., 1903, t. 50, p. 553-555, à la p. 554.
(40) F. MÊLIER, « De la santé des ouvriers », art. cit., p. 294.
(41) L.-R. VILLERMÉ, « De la santé des ouvriers », art. cit., p. 405 : « Mais comment admettre que notre
état de société offre réellement des conditions dans lesquelles la mort dévore la moitié des enfants avant
leur deuxième année accomplie ? Quelles privations, quelles souffrances cela ne fait-il pas supposer ! » ;
THOUVENIN, « De l’influence... », art. cit., p. 290 ; compte rendu de Majer, « Influence de la profession »,
art. cit., p. 229.
78
L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
pour la limitation du travail des femmes, ce qui limiterait d’autant la demande d’emploi
et ferait en conséquence monter les salaires.
La loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants ne fut pas appliquée faute
d’inspecteurs pour y veiller (42). Une nouvelle loi dut être votée le 19 mai 1874. Or,
bien que des inspecteurs départementaux fussent institués (43), des dérogations
furent accordées sur avis du Comité consultatif des arts et manufactures composé
d’ingénieurs et d’industriels (44). Seule la loi du 28 mars 1882 sur l’obligation de
l’instruction primaire fera refluer le travail des enfants (45). Enfin, une nouvelle loi
fut votée le 2 novembre 1892, incluant les femmes dans le dispositif de limitation
du travail. Néanmoins des dérogations furent accordées sur avis du Comité consultatif
des arts et manufactures (46). Parallèlement, des projets de loi furent déposés pour
limiter le temps de travail des hommes à dix heures mais n’aboutirent pas (47).
Cette mesure prophylactique contre l’usure au travail ne fut pas entièrement
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efficace. Si, malgré les dérogations, le travail des enfants, des filles et des femmes
fut effectivement limité, il ne s’ensuivit pas d’augmentation de salaire par raréfaction
de la demande d’emploi car le patronat mit en œuvre une politique d’immigration
massive à partir des pays frontaliers, Belgique et Italie surtout.
Maladies professionnelles
et protestations ouvrières
(42) En 1859, un médecin anglais argumentait que le travail de la laine, grâce à l’emploi d’huile, étant
un facteur de « régénération » des ouvriers, au contraire du travail du coton, facteur, lui, de dégénéres-
cence, il convenait d’admettre les enfants à 11 ans au lieu de 13 pour un travail de 13 heures dans les
manufactures de laine. THOMSON, « De l’influence exercée par les manufactures de laine sur la santé »,
traduit de l’anglais et analysé par le docteur Beaugrand, AHPML, 2e s., 1859, t. 12, p. 282-287.
(43) O. du MESNIL, « Travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie », AHPML,
3e s., t. 3, 1880, p. 177-179.
(44) H. NAPIAS, « Dispositions prises dans les différents pays de l’Europe pour protéger la santé des
enfants travaillant dans l’industrie », AHPML, 3e s., t. 4, 1880, p. 168-175.
(45) V. du CLAUX, « Le travail des enfants dans les manufactures », AHPML, 3e s., t. 12, 1884,
p. 379-383.
(46) « Travail des enfants, des filles mineures et des femmes », AHPML, 3e s., t. 31, 1894, p. 276-281.
(47) H. NAPIAS, « L’inspection hygiénique des fabriques et ateliers », AHPML, 3e s., t. 10, 1883,
p. 412-425, à la p. 420.
79
G. JORLAND
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la bibliographie dans son introduction à l’Essai de Ramazzini. Les maladies saturnines
touchent, outre les ouvriers qui fabriquent la céruse, tous ceux qui l’utilisent, les
peintres bien sûr, les dessinateurs en broderies et les ouvrières en dentelles de
Bruxelles (49) ou les polisseurs de meubles laqués (50). L’affection est si fréquente
que les médecins hygiénistes la diagnostiquent dans toute manipulation du plomb :
dans l’imprimerie (51), chez les broyeurs de couleurs et les ouvriers en papiers peints,
entre autres (52), ou parmi les ferblantiers, plombiers, chaudronniers, miroitiers, cha-
peliers, serruriers... (53). Jules Arnould fait état de 111 professions exposées au
80
L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
saturnisme (54). La colique de plomb était tellement répandue que les médecins
hygiénistes créèrent une nouvelle entité nosologique, « la colique métallique » regrou-
pant avec elle la colique de cuivre qui s’avéra controuvée, non sans qu’un médecin
y vît un prodrome de la phtisie (55).
Octave du Mesnil, qui s’alarme au début de la Troisième République de l’inci-
dence du saturnisme (56), ne parvint pas à faire classer la fabrication des meubles en
laque : le ministre s’y est refusé en s’appuyant sur l’avis de l’institution antagoniste du
Comité consultatif d’hygiène de France, le Comité consultatif des arts et manufactures,
pour qui la législation sur les établissements incommodes, insalubres et dangereux
entendait protéger le voisinage et non les ouvriers. Et pourtant l’ordonnance de 1815
range les fabriques de céruse dans la 3e classe des établissements incommodes pour
la seule raison que les émanations en sont nuisibles à la santé des ouvriers (57). C’est
le seul cas d’une industrie classée pour cause de maladie professionnelle. Les médecins
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hygiénistes ont donc invoqué sa jurisprudence mais en vain. La fabrication et l’utili-
sation de la céruse ont été interdites au début du siècle suivant sous la pression des
peintres (58). Mais cette suppression ne fut possible que parce qu’il existait une solu-
tion technique, la substitution du blanc de zinc au blanc de plomb. Préconisée par les
médecins hygiénistes depuis la moitié du XIXe siècle, elle ne sera effective qu’un demi-
siècle plus tard lorsque les ouvriers purent se faire entendre.
Une troisième maladie professionnelle, la nécrose de la mâchoire des ouvriers
et des ouvrières qui fabriquent les allumettes chimiques, illustre parfaitement ce point.
L’industrie des allumettes au phosphore était récente, elle remontait aux années
1830 et employait encore peu de monde au milieu du siècle : 1 500 à 1 800 per-
sonnes à Paris et en banlieue, la fabrique la plus importante employant 200 à
250 personnes, 150 à Lyon, 70 à Marseille, mais 700 à Sarreguemines, 100 à
Saintines dans l’Oise et 80 au Mans. La population ouvrière était aux trois quarts
composée de femmes et d’enfants et un quart seulement d’hommes ; les salaires y
étaient assez élevés : 3 à 5 F par jour pour un homme, 2 à 3 F pour une femme,
75 centimes à 1,25 F pour un enfant à Paris contre 3 à 3,25 F pour un homme et
1 à 1,50 F pour une femme en province, quand le salaire minimum est de 1,50 F
pour un homme. 10 % de la population ouvrière exposée aux émanations de phos-
phore est atteinte de nécrose. Or, dès 1856, le rapport du Comité consultatif
d’hygiène publique (auquel ces chiffres sont empruntés), commandité par le ministre
de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, préconisait la substitution du
(54) J. ARNOULD, Nouveaux éléments d’hygiène, Paris, Baillière, 3e éd., 1895, p. 1066-1067.
(55) Rapports généraux des travaux du Conseil de salubrité pendant les années 1840 à 1845,
op. cit., p. 328-329 ; J.-B.-A. CHEVALLIER et BOYS de LOURY, « Mémoire sur les ouvriers qui travaillent le
cuivre et ses alliages », AHPML, t. 43, 1850, p. 337-373, et t. 44, p. 27-48 ; P. de PIETRA SANTA, « De
la non-existence de la colique de cuivre », ibid., 2e s., t. 9, 1858, p. 328-342 ; A. TRÉBUCHET, Rapport
général, op. cit., p. 130 ; PERRON, « Des maladies des horlogers produites par le cuivre et l’absorption
des molécules cuivreuses », AHPML, 2e s., t. 16, 1861, p. 70-104 ; C. PATIN, Rapport général, op. cit.,
p. 80-92.
(56) O. du MESNIL, « Des accidents saturnins », art. cit., p. 335-336.
(57) H. NAPIAS, « L’inspection hygiénique », art. cit., p. 414-415.
(58) G. JORLAND, « Hygiénisme et maladies professionnelles », art. cit., p. 100.
81
G. JORLAND
phosphore rouge, qui venait d’être découvert à Vienne, où cette industrie employait
plus de 3 000 ouvriers, au phosphore blanc (59).
Le Conseil de salubrité s’était alarmé dès le début des risques d’incendies pro-
voqués par le mélange du chlorate de potasse et du phosphore qui rendait les allu-
mettes spontanément inflammables. La multiplication des sinistres le conduisit à en
réglementer la fabrication et la distribution en 1845 (60). L’année suivante, des infor-
mations en provenance d’Allemagne qui faisaient état de nécrose des mâchoires chez
les ouvriers conduisirent à la formation d’une commission d’enquête qui ne releva
aucun cas dans les fabriques parisiennes et se contenta de préconiser une bonne
ventilation, sans se cacher néanmoins « l’intérêt que peuvent avoir les fabricants de
dissimuler la vérité » (61), de sorte que le Conseil de salubrité décida de poursuivre
l’enquête. C’est aussi l’année où apparaît la rubrique « Hygiène professionnelle » dans
les comptes rendus de ses travaux. Dans un rapport, Cadet-Gassicourt décrit les
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premiers cas de nécrose, mais faute d’un autre procédé de fabrication, le Conseil ne
propose rien d’autre que la constitution d’une commission composée de chimistes
et de médecins afin d’en rechercher un (62).
Bien que la solution existât donc au moment où Tardieu écrit son rapport, en
1856, elle ne fut pas appliquée. En effet, en 1889, Paul Brouardel, chargé par le
préfet de police d’une enquête à la suite des plaintes d’ouvriers de la Compagnie des
allumettes chimiques atteints de nécrose phosphorée, ne pouvait que déplorer que
les conclusions du rapport Tardieu n’aient pas été suivies d’effet. On s’est contenté
de prescrire par circulaire ministérielle que les ouvriers devaient être astreints aux
mêmes soins de propreté que les cérusiers (63). Bonnie Gordon a montré comment
seul le combat des ouvrières a pu imposer la substitution des procédés de fabrication
à la fin du siècle (64). Entre-temps, cette industrie avait été nationalisée (1872) et,
outre la nécrose des os maxillaires, les médecins hygiénistes avaient identifié d’autres
maladies professionnelles provoquées par les vapeurs de phosphore : l’avorte-
ment (65) et l’albuminurie phosphorée (66).
(59) A. TARDIEU, « Étude hygiénique et médico-légale sur la fabrication et l’emploi des allumettes chi-
miques », AHPML, 2e s., t. 6, 1856, p. 5-54.
(60) Rapports généraux des travaux du Conseil de salubrité pendant les années 1829 à 1839
inclusivement, Paris, Imprimerie de Lottin de Saint-Germain, 1840, p. 166-168, 216-217 et 246-247 ;
... pendant les années 1840 à 1845 inclusivement, op. cit., p. 59-60, 103-105, 161, 200-203, 267,
290-295.
(61) ... pendant les années 1846 à 1848 inclusivement, op. cit., p. 54-55, à la p. 54.
(62) A. TRÉBUCHET, Rapport général, op. cit., p. 147-149. Sur un écho des préconisations de Tardieu
mentionnées ci-dessus, cf. p. 523-527.
(63) P. BROUARDEL, « Hygiène des ouvriers employés dans les fabriques d’allumettes chimiques »,
AHPML, 3e s., 1, t. 21, 1889, p. 193-210, aux p. 209-210.
(64) B. GORDON, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République : la victoire des
allumettiers français sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement Social, juillet-septembre
1993, p. 77-93.
(65) J.-B.-A. CHEVALLIER, « Mémoire sur les allumettes chimiques préparées avec le phosphore ordi-
naire et sur les dangers qu’elles présentent sous le rapport de la santé des ouvriers, de l’empoisonnement
et de l’incendie », AHPML, 2e s., t. 15, 1861, p. 254-337.
(66) F. ARNAUD, « Recherches sur l’urologie du phosphorisme chronique », AHPML, 3e s., t. 35, 1896,
p. 192-223.
82
L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
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Ce sont encore ces deux mêmes facteurs, la protestation des ouvriers et l’exis-
tence d’une solution technique leur acquérant la sympathie des médecins hygiénistes,
qui se retrouvent dans la maladie des mouleurs. Le moulage dans les fonderies de
cuivre se faisait jusqu’au milieu du siècle avec du poussier de charbon, lequel occa-
sionnait des maladies respiratoires chez les fondeurs, lorsqu’un ancien ouvrier ima-
gina de lui substituer la fécule de pomme de terre en 1853. Les ouvriers voulant
l’imposer à leurs patrons, des conflits s’ensuivirent dans lesquels les médecins hygié-
nistes prirent d’abord le parti de ces derniers. Ainsi Chevallier, dans un rapport au
Conseil de salubrité du département de la Seine cette même année, « se prononça
énergiquement contre les prétentions des ouvriers fondeurs, auxquels on ne pouvait
reconnaître le droit de forcer les patrons, en invoquant l’hygiène publique, d’employer
tel ou tel procédé de fabrication » (69). Et il cita Ramazzini pour leur répondre que
la poudre de farine et d’amidon n’est pas moins dangereuse.
Une nouvelle commission fut néanmoins nommée par le Conseil pour déter-
miner, à la demande du préfet de police, si le poussier de charbon était effectivement
nocif et si la fécule de pomme de terre était au contraire inoffensive et devait lui être
substituée. Elle conclut que le poussier de charbon était bien nocif, mais à cause non
pas des poussières charbonneuses dont ni les charbonniers ni les ouvriers qui fabri-
quent le noir de fumée ni les mineurs ne se plaignent, mais du sable auquel elles sont
(67) J.-B.-A. CHEVALLIER, « Essais sur les maladies qui atteignent les ouvriers qui préparent le vert
arsenical et les ouvriers en papiers peints qui emploient dans la préparation de ces papiers le vert de
Schweinfurt ; moyens de les prévenir », AHPML, 1re s., t. 38, 1847, p. 56-78 ; P. de PIETRA SANTA,
« Existe-t-il une affection propre aux ouvriers en papiers peints qui manient le vert de Schweinfurt ? »,
AHPML, 2e s., t. 10, 1858, p. 339-356 ; J.-B.-A. CHEVALLIER, « Recherches sur les dangers que présen-
tent le vert de Schweinfurt, le vert arsenical, l’arsénite de cuivre », ibid., 2e s., t. 12, 1859, p. 49-107 ;
M. VERNOIS, « Mémoire sur les accidents produits par l’emploi des verts arsenicaux, chez les ouvriers
fleuristes en général, et chez les apprêteurs d’étoffes pour fleurs artificielles en particulier », ibid., 2e s.,
t. 12, 1859, p. 319-346 ; H. CHARVET, « Étude sur une épidémie qui a sévi parmi les ouvriers employés
à la fabrication de la fuchsine », ibid., 2e s., t. 20, 1863, p. 281-311 ; H. NAPIAS, Manuel d’hygiène
industrielle, Paris, Masson, 1882, p. 318-329.
(68) Rapports généraux des travaux du Conseil de salubrité pendant les années 1829 à 1839,
op. cit., p. 66-67 ; A. TRÉBUCHET, Rapport général, op. cit., p. 150-151.
(69) A. TRÉBUCHET, ibid., p. 132-133. Rapport général, op. cit., p. 142.
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G. JORLAND
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Commerce et des Travaux publics qui nomma une commission composée pour
moitié de membres du Comité consultatif d’hygiène publique et pour moitié du
Comité consultatif des arts et manufactures pour l’examiner.
Dans son rapport, la commission atteste l’existence d’une maladie profession-
nelle, à laquelle elle donne un nom, « la maladie des mouleurs », et « qui serait carac-
térisée anatomiquement par le dépôt d’une grande quantité de poussière de charbon
dans les poumons et l’obstruction consécutive des voies aériennes » (72). Si les char-
bonniers ne sont pas affectés, c’est parce qu’ils travaillent à l’air libre et ne sont donc
pas exposés à inhaler des poussières, quand l’immunité des mineurs est tout simple-
ment controuvée. Substituer la fécule au poussier revient certes à remplacer une
poussière minérale par une végétale, mais celle-ci est moins nocive parce qu’utilisée
en plus petite quantité. Le rapport conclut que si la substitution n’est pas possible
par voie réglementaire sans nuire à l’industrie, il convient de la favoriser et d’imposer
entre-temps une bonne ventilation et le tamisage pour réduire l’utilisation du poussier
qui devra être pur. Ces conclusions firent l’objet d’une instruction pour les ouvriers
fondeurs en cuivre (73).
Toutefois Maxime Vernois, membre d’une commission du Conseil de salubrité
du département de la Seine chargée en 1855 de vérifier que le règlement était bien
appliqué, ce qui n’était pas le cas « par la faute des ouvriers » (74), publia trois ans
plus tard une étude dans laquelle il concluait non seulement à l’innocuité des pous-
sières de charbon mais encore à leur action préservatrice, les dépôts de charbon
dans les poumons lui apparaissant comme une conséquence et non comme la cause
des maladies pulmonaires (75). Entre-temps, les protestations ouvrières s’étaient
84
L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
éteintes parce que le nouveau procédé compliquait leur tâche ou diminuait leur salaire
à la pièce.
Toutes ces maladies professionnelles se caractérisaient par l’inhalation de pous-
sières ou de vapeurs, et ressortissaient donc des quatre ordres de la première classe
établie par Fourcroy. Plus, évidemment, que la postérité d’un auteur, c’est la pré-
gnance de la révolution chimique sur l’hygiène que cela traduit, de sa découverte
fondatrice que l’oxygène est le gaz indispensable de la respiration et donc de la vie,
qui se traduit par les mesures hygiéniques de base, la ventilation et la désinfection
guytonienne de l’air. Autrement dit, si ces maladies professionnelles ont été prises
en compte par les médecins hygiénistes, c’est non seulement parce que les ouvriers
eux-mêmes les signalaient à leur attention, mais aussi parce qu’ils disposaient d’un
modèle théorique qui les rendait évidentes. D’où une tendance à la généralisation
qui les a conduits à chercher si la phtisie n’était pas elle aussi une maladie
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professionnelle.
Les deux textes de référence furent celui de Benoiston de Chateauneuf et celui
de Lombard, publiés l’un et l’autre dans la première moitié de la décennie 1830. Le
premier étudia une « fabrique », au sens où l’on entendait le terme à l’époque,
Meusnes dans le Loir-et-Cher, dont les trois cents familles fabriquaient des pierres à
fusil en taillant du silex dont ils inhalaient continûment les poussières (76). Autrefois,
la vie probable était de 18 ans et la vie moyenne de plus de 24 ans ; depuis, la vie
probable a été réduite à 5 ans et la vie moyenne à guère plus de 19 ans. Et la cause
de cet excès de mortalité était la phtisie devenue endémique. Toutefois, cette étio-
logie de la phtisie étant controversée, Benoiston reprit la question à nouveaux frais
en relevant, comme Parent-Duchâtelet pour les ulcères des jambes chez les artisans,
dans les registres du Bureau central des admissions aux hôpitaux parisiens les entrées
et les décès de phtisie par profession de 1817 à 1827. Il répartit ces professions en
7 classes selon qu’elles exposent aux poussières végétales (boulangers), minérales
(plâtriers) ou animales (chapeliers), à des vapeurs nuisibles (peintres) ou à l’humidité
(blanchisseuses), à un exercice pénible (porteurs d’eau) ou une attitude gênante (cor-
donniers). Et il trouva que ce n’était pas tant l’inhalation des poussières que la position
contrainte du corps qui exposait à la phtisie (23 ‰ contre 54 ‰), bref que la phtisie
n’était pas tant une maladie professionnelle que de l’usure au travail, une consomp-
tion due au labeur excessif (77).
Lombard élargit la base statistique de Benoiston pour déterminer quelles pro-
fessions sont productrices et lesquelles sont préservatrices de phtisie, pour déterminer
ensuite ce qui les rend telles (78). Il procède donc à rebours : au lieu de partir des
caractéristiques des professions pour déterminer lesquelles prédisposent à la phtisie
et lesquelles en préservent, il part de cette dernière distinction obtenue par l’excès
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G. JORLAND
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Quoi qu’il en soit de ces résultats, dénués de valeur non pas tant à cause des
techniques statistiques bien frustes mises en œuvre que du fait que les statistiques ne
sont pas la bonne technique d’observation en la matière mais le microscope auquel
répugnent les médecins, toutes les études d’hygiène professionnelle citées jusqu’à
présent, sans exception, traitent cette question du type d’influence que les profes-
sions exercent sur la phtisie (80). La prégnance de ce paradigme fut telle qu’il perdura
bien après que la bactériologie eut émergé. Si Pasteur en 1881 puis Talamon et
Fraenkel en 1884 ont identifié et étudié le pneumocoque comme agent de la pneu-
monie, le patron d’une usine d’engrais à Nantes fut tenu pour responsable d’une
épidémie de pneumonie parmi ses ouvriers, attribuée par des médecins experts,
notamment un professeur de l’école de médecine de Nantes, aux poussières déga-
gées lors de la réduction à la meule des phosphates du noir et des scories des fours
de déphosphoration. Il fut condamné en 1893 par le tribunal de Nantes puis par la
Cour d’appel de Rennes pour ne pas avoir assuré une bonne ventilation de ses
ateliers. Paul Brouardel eut beau témoigner en sa faveur que la pneumonie était
causée par un micro-organisme et que les poussières n’y jouaient aucun rôle, ce
témoignage « d’un des princes de la science » fut tout simplement rejeté (81).
En revanche, une autre maladie professionnelle a bénéficié des progrès de la
bactériologie, le charbon des ouvriers qui travaillent les peaux et les poils d’animaux
(mégissiers, criniers, etc.). Tandis que, sous le Second Empire, on se souciait de
savoir si ces professions préservaient ou prédisposaient à la phtisie ou de la fatigue
qu’elles occasionnaient, l’occurrence de pustule maligne, bien que souvent mortelle,
(79) A la fin du siècle, Henri Napias établit exactement la même corrélation mais observe que les
poussières minérales sont les plus dangereuses (« Les revendications ouvrières au point de vue de
l’hygiène », art. cit., p. 701).
(80) On peut y ajouter VILLERMÉ fils, « Note sur la santé de certains ouvriers en aiguilles, et, à cette
occasion, sur la tenue des registres de l’état civil », AHPML, 1re s., t. 43, 1850, p. 82-88 ; PEACOCK,
« Phtisie des tailleurs de pierres meulières françaises », ibid., 2e s., t. 15, 1861, p. 199-202 ; EULENBERG,
« Observations statistiques et prophylactiques sur les ouvriers exposés aux poussières siliceuses », AHPML,
2e s., t. 19, 1863, p. 218-220 ; G. PATÉ, « La phtisie des faienciers », art. cit.
(81) P. BROUARDEL, « De la responsabilité des patrons dans certains cas de maladies épidémiques »,
AHPML, 3e s., t. 29, 1893, p. 5-46.
86
L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
restait rare et donc ne préoccupait guère (82), tout changea avec la vaccination
pasteurienne du cheptel français à partir de 1881. Car si les troupeaux furent immu-
nisés et donc la contamination des hommes empêchée, des cas continuèrent de se
présenter chez les ouvriers qui travaillaient les peaux d’origine étrangère. Les conseils
d’hygiène s’en préoccupèrent aussitôt et proposèrent des mesures prophylactiques
à l’instigation de Pasteur – désinfection à l’étuve des peaux pour autant que cela ne
compromettait pas leur usage industriel, enquêtes consulaires sur les marchés où
elles se négociaient – et thérapeutiques inspirées de la technique même du vaccin
atténué, à savoir l’inhalation d’oxygène (83).
Des professions plus récentes ont donné lieu à des maladies professionnelles
non répertoriées, si l’on se souvient, une fois encore, que le traité de référence, celui
de Ramazzini, date du début du siècle précédent. Ainsi des chemins de fer. Une
controverse s’est déclenchée sur l’existence ou non d’une maladie des mécaniciens
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caractérisée par la surdité et la dépression nerveuse (84). Ainsi encore des chauffeurs
et mécaniciens des bateaux à vapeur qui souffraient d’une chaleur excessive (85).
Ainsi enfin de la machine à coudre qui favoriserait l’onanisme des ouvrières.
Dans un mémoire lu à l’Académie des sciences en 1870, un médecin fait état
d’une enquête menée pendant deux ans auprès de 661 femmes, dont la plupart ne
comprennent pas la pertinence de la question, huit seulement déclarant que l’ona-
nisme était possible avec la machine à coudre « mais qu’il fallait y mettre de la bonne
volonté » (86). Si l’onanisme n’apparaissait donc pas comme une maladie profes-
sionnelle, la fatigue excessive des ouvrières attira cette remarque du médecin : « On
relaye les chevaux de poste tous les 20 km, ceux d’omnibus toutes les 2 heures, [...]
mais l’industriel ne relaye jamais une ouvrière mécanicienne » (87).
(82) BEAUGRAND, « Recherches historiques et statistiques sur les maladies des ouvriers qui préparent
les peaux en général et sur celles des tanneurs en particulier », AHPML, 2e s., t. 18, 1862, p. 241-280 ;
Rapport général sur les travaux des conseils d’hygiène publique et de salubrité du département de
l’Aisne pendant l’année 1866, Laon, Imprimerie de H. de Coquet et G. Stenger, 1868, p. 62-92.
(83) A. LE ROY des BARRES, « Le charbon (pustule maligne-œdème malin) observé à Saint-Denis chez
les criniers et les mégissiers (1875-1890) », AHPML, 3e s., t. 23, 1890, p. 496-548, et compte rendu
par O. du Mesnil de son Le charbon observé à Saint-Denis chez les Criniers et les Mégissiers
(1890-1893), ibid., 3e s., t. 31, 1894, p. 560-563. Rapports généraux des travaux du Conseil de
salubrité pendant les années 1840 à 1845, op. cit., p. 184-185, où il s’agit du charbon contracté par
les équarrisseurs que l’on soigne à la manière de la morsure rabique par cautérisation ; Rapport général...
depuis 1890 jusqu’à 1894, op. cit., p. 305-332 ; Rapport sur les travaux du Conseil central d’hygiène
publique et de salubrité de Nantes, 1895, p. 70-88.
(84) P. de PIETRA-SANTA, « Étude médico-hygiénique sur l’influence qu’exercent les chemins de fer sur
la santé publique », AHPML, 2e s., t. 12, 1859, p. 5-49 ; lettre de Duchesne au rédacteur en chef des
Annales d’hygiène, ibid., p. 469-472. P. de PIETRA SANTA, compte rendu de Note sur l’influence
exercée par les chemins de fer sur la santé des employés, AHPML, t. 15, 1861, p. 476-477. BEZ,
« Les maladies des employés de chemin de fer, d’après les récents travaux allemands », AHPML, 3e s.,
t. 11, 1884, p. 331-343.
(85) J.-A. GUÉRARD, « Hygiène des ouvriers chargés du service des moteurs à vapeur », AHPML, 2e s.,
t. 40, 1870, p. 345-365.
(86) E. DECAISNE, « La machine à coudre et la santé des ouvrières », lu à l’Académie des sciences dans
la séance du 16 mai 1870, AHPML, 2e s., t. 34, 1870, p. 105-117 et 327-342, à la p. 334.
(87) Ibid., p. 115.
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des ouvriers et des ouvrières.
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L’HYGIÈNE PROFESSIONNELLE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
que les ouvriers n’avancent trop les doigts ou les mains dans les machines en mou-
vement, installer des interrupteurs faciles à actionner en cas d’accident.
Les médecins hygiénistes n’auront de cesse que ces mesures de précaution
soient imposées et contrôlées par l’administration, ce qu’ils obtinrent avec la loi du
9 avril 1898 engageant la responsabilité patronale en cas d’accident du travail (92).
Commentant le rapport de leurs collègues de Troyes, les rédacteurs des Annales
d’hygiène publique et de médecine légale définirent ce qui allait demeurer la doc-
trine de la profession : c’est à la société de protéger les ouvriers contre leur propre
incurie.
A la différence des maladies professionnelles qui ne sont pas toujours évitables,
les accidents du travail le sont toujours, ils doivent donc être évités, c’est une question
d’humanité : « Certains fabricants ne verront-ils donc jamais dans leurs ouvriers que
des machines inertes ? S’en débarrasseront-ils toujours lorsque ces malheureux ne
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pourront plus travailler, avec cette indifférence qui fait jeter de côté une mécanique
devenue par accident impropre au service ? » (93).
Même antienne à propos des machines à vapeur. Cette fois, c’est une commis-
sion du Conseil de salubrité du Nord nommée par le préfet à la demande du maire
de Lille, sous la Seconde République, qui publie un rapport sur les accidents qu’elles
ont provoqués (94). Pour 130 machines installées au chef-lieu du département, trans-
mettant leur mouvement à des ateliers employant 8 000 ouvriers, les médecins esti-
ment à 100 par an le nombre d’accidents, soit 12,5 pour mille ouvriers dont le
cinquième sont mortels ou mutilants. Ces accidents ne proviennent pas des machines
elles-mêmes, de défauts de conception ; à cet égard, comme il y a un risque d’explo-
sion et d’incendie, la législation sur les établissements insalubres s’applique et le
contrôle ex ante est effectif. Ils viennent de sa disposition dans l’atelier et de l’impru-
dence des ouvriers. Ce sont donc les mêmes préconisations qui sont données : revêtir
les arbres verticaux, les rouages, les contre-arbres et les engrenages. Mais la législa-
tion en la matière reste complètement à faire, contrairement à la Grande-Bretagne.
Ce souci d’éviter les accidents du travail se traduit positivement chez les hygié-
nistes par l’invention de dispositifs de sécurité. Par exemple, d’Arcet invente un
harnais destiné à empêcher les ouvriers de tomber dans les immenses cuves bouil-
lantes des savonneries. Pour l’opération dite de « liquéfaction » ou de « madrage »,
destinée à homogénéiser le savon qui ressort grainé de la cuisson, l’ouvrier se tient
pieds nus sur un madrier posé en travers de la chaudière où il plonge un râble,
c’est-à-dire un manche de 6 mètres de long terminé par une planche. Il doit mélanger
à la masse de savon la lessive faible versée petit à petit sur toute la surface de cuite :
(92) G. DESOUCHES, « Loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Projet d’évaluation de diminution
de valeur ouvrière », AHPML, 3e s., t. 48, 1902, p. 227-241. A. DUCHAUFFOUR, « Accidents du travail.
Évaluation des invalidités permanentes d’après les conciliations intervenues au tribunal civil de la Seine »,
ibid., p. 314-341.
(93) LHOSTE, GRÉAU et PIGEOTTE, « Rapport fait au CS établi près de l’administration municipale de la
ville de Troyes sur les accidents auxquels sont exposés les ouvriers employés dans les filatures de laine et
de coton », AHPML, 1re s., t. 12, 1834, p. 5-30, aux p. 28-29.
(94) LOISET, « Accidents occasionnés par les appareils mécaniques dans les ateliers industriels »,
AHPML, 1re s., 1850, t. 43, p. 261-289.
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les accidents du travail n’a été entreprise en France, à ma connaissance, que ce soit
en général ou sur un organe particulier. Celles que j’ai pu relever dans ce corpus
sont faites d’après des sources allemandes (96). La situation est la même à cet égard
que pour les maladies professionnelles. Mais dans ce cas, c’est l’étanchéité du droit
de propriété, tout particulièrement industrielle, qui empêche l’administration, même
à des fins de santé publique, d’enquêter dans les usines. Les seules sources disponibles
sont les registres d’hôpitaux, mais elles ne sont que partielles, beaucoup d’ouvriers
se faisant soigner en ville. Par ailleurs, les sources allemandes étaient les statistiques
des sociétés de secours mutuel et de l’assurance impériale. Rien de tout cela n’existait
en France ou de manière, là encore, très partielle.
Mépris des ouvriers de la part des élites, notamment médicales ? Incontestable-
ment. Mais qui n’exclut pas l’humanité, par vocation, et donc ne peut tout expliquer.
Plus profondément, il faut y voir un effet de structure politique : l’instabilité institu-
tionnelle de la France du XIXe siècle qui connut pas moins de huit régimes en un siècle,
interrompus violemment par des révolutions ou des guerres. L’instabilité institution-
nelle est un élément de longue durée, il caractérise au moins tout le XIXe siècle fran-
çais, sinon toute la vie politique française depuis la Révolution jusqu’à la première
élection présidentielle au suffrage universel sous la Cinquième République, hier autre-
ment dit. On le voit clairement dans le travail législatif de santé publique : les mêmes
projets sont conçus, abandonnés, repris les uns comme les autres faute de continuité
institutionnelle suffisante. La loi sur le travail des enfants n’en est qu’un exemple.
C’est cette faiblesse structurelle de l’État français, contrairement au credo dominant,
que met en évidence l’étude de la santé publique au XIXe siècle, d’autant plus nette-
ment lorsqu’on fait une étude comparative des mêmes mesures hygiéniques répon-
dant aux mêmes problèmes posés par l’industrialisation et l’urbanisation, en
Angleterre, en Allemagne ou en Belgique.
(95) J.-P.-J. d’ARCET, « Description de l’appareil à employer dans les grandes savonneries pour empê-
cher les ouvriers de tomber dans les chaudières, lors des opérations ayant pour but de liquéfier et de
marbrer les cuites de savon », AHPML, 1re série, t. 21, 1839, p. 123-126, à la p. 126.
(96) E. GOLEBIEWSKI, « Les accidents du travail en Allemagne », AHPML, 3e s., t. 47, 1902, p. 97-112.
P. REILLE, « L’œil et les accidents du travail », ibid., 3e s., t. 49, 1903, p. 311-337.
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