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Éditions Dergham
www.dergham.com
ISBN: 978-9953-579-55-9
À mes élèves
SOMMAIRE
1 Il pouvait l'avoir été avant, mais l'attestation écrite date de la 2 Alfred de Musset, La Nuit de Mai, in Poésies Nouvelles. Éd.
fin du quatrième millénaire, avec la création de l'écriture. de Cluny, 1947.
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LE VIN ET L’IVRESSE
10 DANS LES LITTÉRATURES ARABE ET FRANÇAISE
acquis à travers les siècles, forçant l’homme à le Si le vin fut utilisé en pharmacopée, c’est a
légitimer, à lui accorder une importance qui semble posteriori après qu’il eut acquis son prestige de
lui revenir de droit, l’ayant conquise ! Malherbe, régénérateur. En boire fut donc et le demeure, un
par exemple, en parle tout naturellement comme moyen de sortir de soi, de son quotidien, de sa
« second aliment » : routine de s’évader, de récupérer un paradis qu’on
croyait à jamais perdu, une « vie antérieure » etc.
Après le pain, vient le vin, second aliment
Et cela, la littérature le répète, depuis cinq mille
donné par le Créateur à l’entretenement
ans, à tel point que l’ivresse finit par devenir un
de ceste vie, et le premier célébré pour son
concept ne dépendant pas nécessairement de l’al-
excellence. Il est employé non seulement au
cool : on s’enivre « de vin, de poésie ou de vertu »,
vivre des hommes, mais aussi à la guérison
peu importe. Tout peut engendrer l’ivresse : une
de plusieurs maladies, avec admiration, pour
belle nature, une rencontre merveilleuse, un coup
la diversité de ses effets.
de foudre, un beau tableau, une forte colère etc.
Participant à la fois du divin et du sexuel, cela une voix même ; et nous trouvons chez Novalis,
n’est pas l’un de ses moindres paradoxes ! Sa vertu dans son roman Henri d’Ofterdinger la remarque
étant d’ajouter à la vie un charme qui lui est parti- suivante : « Son discours évoque la chaleur et le feu
culier. Car tout individu, même s’il n’est pas poète de ce vin du midi que j’avais apporté de Rome ». (2)
est, au moins, sensible à une certaine poésie des Et lorsque Musset, par exemple, parle du sacrifice
choses qui l’entourent. Nous le savons depuis la du pélican qui s’est ouvert la poitrine pour donner
découverte des objets d’art préhistoriques. En à manger à « ses petits, affamés » après une journée
vertu de ce penchant inné, qu’a l’homme envers de pêche infructueuse…, le pélican est
l’art, boire du vin ne fut jamais pour le consom-
Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur ! (3)
mateur – quoiqu’il le prétende parfois – un simple
accompagnement du repas, ou une banale tenta- Et quand Baudelaire parle des cheveux de Jeanne,
tive d’étancher sa soif. Un exemple nous est donné
(Il s’) enivre ardemment des senteurs confondues
pour confirmer cela, par Bernard Clavel dans son
De l’huile de coco, du musc et du goudron. (4)
roman L’Espagnol. Il s’agit d’un monsieur qui
débouche une bouteille qu’il veut boire avec un Nous trouvons également chez Rimbaud une très
ami. Sa femme apporte deux verres : belle allusion à une ivresse engendrée par un autre
vin :
Et toi ?
J’ai pas soif. Voilà que monte en lui le vin de la paresse,
Le patron qui levait déjà la bouteille arrête Soupir d’Harmonica qui pourrait délirer ;
son geste
Tu te fous de moi ? Est-ce que c’est par soif
2 Novalis, Œuvres Complètes I, Édition Gallimard, 1975.
qu’on boit ce vin-là ? (1)
3 Musset, ibid.
4 Baudelaire, La Chevelure, in Les Fleurs du Mal. Bibliothèque
1 Cité par Sophie Guermès, Le Vin et l’encre, Mollat, 1997. de la Pléiade, 1961.
PROLOGUE 11
le mal qu’il peut engendrer est d’ordre fatal, Des grappes, le germe nouveau. (3)
il échappe donc à la pénalisation, c’est un
Et si l’on ne tient pas compte de certaines lois
mal de théâtre, non un mal de tempérament.
du savoir-vivre, l’on est remis à l’ordre : « Riches que
Le vin est socialisé parce qu’il fonde non
faites-vous des vins exquis, vous les avalez, mais vous
seulement une morale, mais aussi un décor ;
ne les savourez pas ! » dit Louis Mercier .(4)
il orne les cérémoniaux les plus menus de la
Dans le livre des Mille et une nuits, une des œuvres
vie quotidienne française, du casse-croûte
les plus représentatives de l’esprit arabo-persan, nous
(le gros rouge, le camembert) au festin ; de
trouvons l’affirmation suivante :
la conversation de bistrot au discours de
banquet. Il exalte les climats, quels qu’ils Ne boit le vin que celui qui est particuliè-
soient, s’associe dans le froid à tous les mythes rement jovial, hautement raffiné dans les
du réchauffement, et dans la canicule à toutes plaisirs de l’ivresse. (5)
les images de l’ombre, du frais et du piquant. (1)
Il arrive des fois qu’une certaine façon orgiaque
Le vin confirme par là, l’une de ses premières de boire, nous révolte, tant elle est grossière. Nous
caractéristiques : élément de convivialité, dépassant verrons cela en parlant des orgies romaines, mais
l’utile pour l’agréable. nous relevons déjà une page de Salambô décrivant
D’ailleurs, pour peu que le consommateur ait de une beuverie des mercenaires de Carthage qui sac-
l’imagination, il fait soumettre « l’art de boire » à des cagent la maison du général Hamilqar Barqa, boivent
caprices personnels. Voici deux exemples que les litté- et renversent tout, vin et objets de luxe… Cette façon
ratures arabe et française nous fournissent à ce sujet. d’agir peut être justifiée: les mercenaires n’ayant pas
Dans les deux cas, et à plusieurs siècles d’intervalles, le été payés se vengent du responsable :
poète exige naïvement que son vin soit foulé aux pieds :
Les soldats se pressant autour, s’y regardaient
Laisse ce qui a été pressé par tes mains. Par avec ébahissement et grimaçaient pour se
Dieu, donne-moi plutôt du vin foulé aux faire rire. Ils se lançaient, par-dessus les tables,
pieds ! (2) les escabeaux d’ivoire et les spatules d’or. Ils
avalaient à pleine gorge tous les vins grecs qui
Rémi Belleau, poète du XVIe siècle, impose à son
sont dans des outres, les vins de Campanie
vin la même caractéristique :
enfermés dans des amphores, les vins de
Sus, versez dedans le tonneau Cantabres que l’on apporte dans des tonneaux,
Et des pieds seulement y foulent et les vins du jujubier, de cinnamome et de
Des hommes nus et qu’ils écoulent lotus. Il y en avait des flaques par terre où
l’on glissait. La fumée des viandes montait
dans les feuillages avec la vapeur des haleines.
1 Roland Barthes, Le vin et le lait, in Mythologies, Éd. du Seuil,
1957. 3 Rémi Belleau, cité par Sophie Guermès.
2 Abu Nuwas (IXe siècle) 4 Cité par Sophie Guermès.
هلل درك من عصري األرجل... فدع الذي نبذت يداك وعاطين 5 طرب يكون ابلسكر يف افراحه راقي
َ ال يرشب الراح إلاّ من به
PROLOGUE 13
On entendait à la fois le claquement des Et s’il prend le coussin pour cuver son vin, je
mâchoires, le bruit des paroles, des chansons, lui donne aussi le mien. (4)
des coupes, le fracas des vases campaniens qui
Attention délicate que nous retrouvons chez le
s’écroulaient en mille morceaux, ou le son
même poète, quand, par scrupule religieux, son com-
limpide d’un grand plat d’argent. (1)
pagnon ne boit pas :
D’ailleurs, agir ainsi s’explique par une autre pro-
Si vous ne buvez pas avec moi, craignant la
priété du vin : enflammer les esprits, donner du cou-
damnation, je boirai seul. (5)
rage, permettre certaines incartades surtout quand il
s’agit d’une foule. Le prince-poète Ibn el Mu‘tazz ménage ses com-
Parmi les « lois » de la boisson, il en est celle de mensaux au point qu’il écrit un ouvrage sur l’art de
ne pas rester indifférent, quand on est en groupe et boire, vrai code du buveur ! Nous sommes au IXe
que l’on boit. Le poète libanais Béchara el Khoury siècle, ne l’oublions pas ! Cela ne prouve-t-il pas
(1885 –1968), trouve scandaleux de ne pas faire hon- chez les anciens arabes, une « culture du vin » assez
neur au vin : poussée?
Pour montrer le caractère sublime du vin, poètes
Le savoir-vivre, quand le vin fait son orgie
et écrivains français et arabes, trouvent des images
dans le verre, t’impose de ne pas rester sobre. (2)
ahurissantes d’originalité :
Abu Nuwas, quant à lui, s’inquiète de ce que le
C’est en marquant ainsi les saisons, qu’il
vin est bu parfois par des gens qui ne le méritent pas :
(le vin) trouve le plus étonnant des arts, l’art
Certaines personnes boivent le vin, sans en de vieillir. (6)
être dignes. (3)
Déjà du temps de la Jahilia (l’Antiquité
Ce poète est très entiché d’une certaine façon de préislamique), un code spécial était observé
boire en société. Son art de vivre se manifeste d’ail- lors d’une décision de se venger d’un affront
leurs de différentes façons, dont celle de ménager son ou d’un assassinat. Le vengeur s’imposait un
commensal s’il commence à sentir le poids du vin sacrifice : celui de ne plus boire, pour mener
absorbé et qu’il n’en peut plus : à bien ce « devoir ». Tel est le cas du poète
al Mouhalhal, mort en 531, qui jure de ne
Je ne dirai pas à mon commensal qui est déjà
pas boire de vin, de renoncer même à tout
soul et dont les yeux sont troubles:
ce qui lui revient, tant qu’il n’a pas vengé son
– Prends encore ce vers, sinon je ne boirai
frère Koulayb, assassiné traîtreusement:
plus, quand le verre est de trop pour lui.
J’écarte le verre au moindre clin d’œil qu’il fait.
4 وق���د أخ���ذ ال��ش�راب مبقلتيه ول��س��ت ب��ق��ائ��ل ل��ن��دمي ص��دق
ف��ي��أخ��ذه��ا وق���د ثقلت عليه ت���ن���اوهل���ا وإال مل أذق���ه���ا
1 Gustave Flaubert, Salambô, Garnier, 1954.
وارصف����ه����ا ب��غ��م��زة ح��اج��ب��ي��ه ول��ك�ني أدي����ر ال��ك��أس عنه
2 اذا امل��دام��ة عربدت ادب ال�شراب دف��ع��ت وس����اديت أي��ض��ا ً إليه وإن م��د ال��وس��ادة لنوم سكر
يف كأس�ك أن ال تكون الصايح 5 خوف العقاب رشبهتا وحدي ان كنمتا ال ت�ش�رابن ميع
3 واخل���م���ر ق���د ي�ش�رهب���ا معرش ل��ي��س��وا اذا ع���� َدوا ابكفائها 6 Bachelard, ibid.
LE VIN ET L’IVRESSE
14 DANS LES LITTÉRATURES ARABE ET FRANÇAISE
Je m’engage à abandonner toutes les richesses en interprétant les œuvres des uns et des autres. Ainsi,
et tous les plaisirs, Rabelais dira :
En désertant les prostituées, le vin et les
Maintenant que non rire, mais boire est
habits de luxe. (1)
le propre de l’homme, je ne dis pas boire
Il ne faut pas que cette idée de vengeance nous simplement et absolument, car ainsi boivent
scandalise outre mesure. Il s’agit d’une époque où, les bêtes : Je dis boire vin bon et frais (…)
même l’idée d’état n’existait pas. La Tribu devait venger
Qu’on admette ou pas cette assertion du Quint
un affront ou une mort violente, et c’est le plus proche
livre, on ne peut que constater la place éminente du
parent du mort qui s’en chargerait. Cette coutume
vin, chez l’un des plus grands humanistes du XVIe s.
resta vivace en Europe jusqu’à une époque très avancée :
Ailleurs, dans Gargantua, le frère Jean avait déclaré
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel péremptoirement au Prieur du Couvent : « Jamais
outrage ! homme noble, ne hait le vin ». Si l’on inverse la pro-
position l’on aura : le vin ne doit être bu que par des
dit le vieux Don Diègue à son fils.
gens nobles de caractère et généreux, comme le dit
Tel est aussi le cas d’Imrou’ el Qais, qui, après la
Hafez Ibrahim (1871 – 1932), poète égyptien, parlant
mort de son père assassiné par Bani Assad, jura de
du vin depuis le pressoir jusqu’au buveur généreux :
ne pas manger de viande, ni de boire le vin, ni de se
soigner par les onguents et les parfums, avant de s’être Pressé subrepticement des joues du plus bel
vengé. Quand il eut accompli ce « devoir », « le vin, astre du ciel, tu sommeillas au fond d’un baril,
dit-il, me devient agréable, après m’en être abstenu Où tu restas, avant Noé, une éternité,
pour une noble cause » (2). subissant le passage du temps.
Dans le domaine des réactions par rapport au vin, Jusqu’à ce que Dieu permît ta transfiguration
ce sont les mêmes quand il s’agit de citer ses bienfaits par la main des généreux et des poètes. (3)
ou ses méfaits. Mais, parce que prohibé par l’Islam,
Encore une allusion métaphorique à l’origine
le vin exerce sur les peuples d’orient des sentiments
divine du vin !
marqués de fascination et de refus à la fois. Passion du
Retour au frère Jean, dont l’intervention intem-
vin d’une part, peur de la damnation de l’autre, peur
pestive – pour venir raconter au prieur le saccage du
aussi des châtiments infligés au buveur. Les poètes
vignoble – eut lieu au beau milieu de l’office qui fut
hésitent et boivent quand même, tant l’attrait de la
troublé et qui mit le prieur en colère :
boisson est fort !
D’ailleurs, sur le plan de la littérature et de l’art, Que fait cet ivrogne ici ? Troubler ainsi le
poètes et artistes arabes et français, ont bien des choses service divin !
communes, tout en gardant chacun sa spécificité Oui, mais le service du vin, dit le moine (à qui
propre. C’est cela que nous allons essayer de prouver l’usage du vin semble avoir donné de l’esprit !)
Nous trouvons ce même calembour chez Laurent Dans son Gargantua, le même Rabelais raconte
de Médicis. En effet, dans son livre Le Désir du Vin, que Picrochole, roi falot qui a déjà conquis – en rêve –
Jean-Robert Pitte raconte qu’en 1647, ce prince toute l’Europe, se dirige au Moyen-Orient, toujours
signe lui-même un symposio dans lequel il met en par l’imagination. Là, une chose l’inquiète :
scène de nombreux grands buveurs ecclésiastiques – Que boirons-nous dans ces déserts?
qui ne se privent ni de vin, ni d’user du plaisant – Nous avons déjà pourvu à tout.
calembour. Cela leur permet, sous l’épithète divine, Dans la mer de Syrie vous avez neuf mille
d’aller à la boisson sans vergogne : Parlare divino et quatorze grands navires ( ! ) chargés du meilleur
parlare di vino. Et puisqu’il s’agit de Rabelais, nous vin du monde ; ils sont arrivés de Jaffa (...)
reproduisons un poème du Quint Livre, un calli-
gramme déjà qui évoque la forme de la bouteille. Nous savons, d’ailleurs, que Rabelais lui-même
C’est la pontife Bacbuc présentant Panurge devant était un grand buveur !
la Dive Bouteille : Dans le même livre au chapitre 19 le sophiste
Janotus Bragmardo déclare : « si nous perdons le vin,
Ô nous perdons tout sens et loi ».
Bouteille Concernant le Frère Jean, ce n’est pas le seul
Pleine toute moine célébré par la littérature, pour son amour
De mistères, excessif du vin. Nous pouvons placer avec lui, le Père
D’une oreille Tuck, ami de Robin des Bois, le Père Chancer dans
Je t’escoute : les Contes de Canterbury, le truculent Père Gaucher
Ne differez des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, réputé
Et le mot profères pour avoir réinventé un élixir incomparable « en
Auquel pend mon cueur ! mélangeant cinq ou six espèces de simples ». Faut-il
En la tant divine licqueur, enfin oublier Dom Pérignon, inventeur selon les uns
Qui est dedans tes flans reclose, du vin de Champagne? D’ailleurs le meilleur vin, au
Bachus, que fut d’Inde vaincqueur, Moyen Âge, se faisait dans les couvents et les premiers
Tient toute vérité enclose. consommateurs étaient les moines.
Vin tant divin, loing de toy est forclose Nous trouvons même chez les historiens amateurs
Toute mensonge et toute tromperye, de vin, des témoignages poétiques sur le vin, comme
En joye soit l’âme de Noé close cette réelle petite ode, chantant la bonté du vin :
Lequel de toy nous fist la tempérye.
De Reims à la Moselle commencent la vraie
Sonne le beau mot, je t’en prye,
vigne et le vin ; tout esprit en champagne, bon
Qui me doibt oster de misère.
et chaud en Bourgogne, il se change, il s’adoucit
Ainsi ne se perde une goutte
en Languedoc, pour se réveiller à Bordeaux. (1)
De toy, soit blanche, ou soit vermeille,
Ô bouteille
Pleine
1 Jules Michelet, Histoire de France, Édition Rencontre,
De mistères. […]
Tome I, Lausanne, 1963.
LE VIN ET L’IVRESSE
16 DANS LES LITTÉRATURES ARABE ET FRANÇAISE
Toutes ces déclarations constituent des manifestes le concret et l’abstrait, le réel et l’onirique, le banal et
à la gloire du vin. Quand on voit par ailleurs la place que le sublime. Il provoque les rêves selon la situation et
le jus de la treille occupe dans les littératures depuis la les fantasmes du buveur : On rêve de conquêtes, de
plus haute antiquité – comme nous allons le montrer – richesses, de belles femmes, de pouvoir etc.
l’on est tout naturellement incité – après bien d’autres –
Nous buvons, elle (2) nous métamorphose en
à essayer de tracer l’itinéraire fabuleux de cette boisson
rois, en lions et la rencontre (le défi) ne nous
à travers les siècles. Ce ne sera pas un récit exhaustif,
effraie guère (3)
loin s’en faut, mais une tentative d’en relater les diffé-
rentes aventures, quand les documents le permettent. dit un poète de la Jahilia, Hassân Ben Thabet.
La première chose qui nous frappe, c’est que le vin Un certain Ibn Chéhab renchérit sur la même
remonte à la préhistoire et baigne – comme il se doit – idée :
dans la légende, au point qu’en parler, c’est faire, le plus
souvent, un récit fabuleux et magique. L’on se surprend, Décante le vin et donne-le moi pur à boire
racontant plutôt la légende du vin. Nous sommes sidé- dans la nuit noire ;
rés devant cette extraordinaire traversée plus proche de La Quintessence pure est en lui, et ne goûte
la fiction que de la réalité. C’est d’ailleurs, cette péré- la belle vie que celui qui s’enivre ;
grination entre mythe et réalité, qui fera le charme du Il exorcise la mélancolie et fait de son buveur
récit et en constituera, en quelque sorte, la meilleure un roi puissant.
définition. Car peut-on oublier que le vin se présente Un autre poète de la même époque, al Monakhal
d’abord comme une chose concrète, un liquide anodin al Yachquri, ira plus loin encore :
en apparence, provenant du jus du raisin écrasé, foulé
du pied dans une cuve spéciale ou une auge creusée Quand je suis soul, je me prends pour le
dans la roche, une liqueur apparemment innocente, seigneur du Khawanarq et du Sadir. (Palais
mais qui, une fois fermentée puis absorbée, « monte de rois avant l’Islam)
à la tête » et transporte le buveur dans un monde de Quand je me dessoule, je me retrouve berger
délice, supraterrestre. Le vin opère comme un philtre gardien de la chamelle et de la brebis.(4)
magique, pas la peine d’en chercher un autre: Nous pourrions emprunter le mot de La Fontaine
Bois le Vin ! Tu recevras la vie éternelle : « Je suis gros Jean comme devant. »
Le vin est le seul philtre qui puisse te rendre Ces deux palais seront plus tard évoqués avec
ta jeunesse. nostalgie par un poète abbaside Abou l-‘Atahia, qui
Divine saison des roses et des vins et des pleure sur une belle époque où le vin coulait :
amis sincères
Jouis de cet instant fugitif qui est la vie.(1) 2 Le vin, en arabe, est tantôt du genre masculin, tantôt du
féminin. Nous avons choisi, le plus souvent, de le placer au
Le vin est donc à la base, un intermédiaire entre féminin lors des traductions (la boisson).
3
ُون�شرهب��ا ف��ت�ترك��ن��ا م��ل��وك�ا ً وأس������دا ً م���ا ي�نه�نه��ن��ا ال��ل��ق��اء
1 Robaïat, Omar el Khayyam, No 43. Franz Toussaint, traduc- 4 ف�������إذا س����ك����رت ف��إن�ني رب اخل���ورن���ق وال��س��دي��ر
tion du persan, Édition D’art H. Piazza, août 1923. وإذا ص�ح�ـ�ـ�ـ���وت ف��إن�ني رايع ال�شـ��ـ��وهي��ة وال��ب��ع�ير
PROLOGUE 17
LE VIN EN MÉSOPOTAMIE,
EN ÉGYPTE, PERSE, PALESTINE
21
LE VIN ET L’IVRESSE
22 DANS LES LITTÉRATURES ARABE ET FRANÇAISE
immodérément jusqu’à se perdre dans une gigan- Un peu plus tard, les hiéroglyphes confir-
tesque saoulerie (1). ment l’ancienneté du vin. Nous voyons les peuples
N’oublions pas que les hommes ont conçu les d’Égypte réserver le vin au roi et à sa cour, puis aux
dieux à leur image, et non le contraire. Ce sont grands prêtres et aux soldats défenseurs du pays.
des êtres vivants, possédant un corps, des pul- Les vendanges – les documents l’attestent – se fai-
sions, des passions… Ils mangent, boivent, font saient dans la joie. Les ouvriers du « grand prêtre »
l’amour, s’adonnent impunément à tous les excès, s’adressent à lui, mort – car il peut les entendre – en
engendrent, peuplent le ciel et la terre de leurs pro- ces termes :
génitures, jouissent d’un pouvoir illimité qu’ils exer-
Bois, enivre-toi, ne cesse de faire ce que tu
ceront arbitrairement sur l’homme, après l’avoir
aimes et que le vin t’advienne comme tu
créé. Avec tout cela, immortels. Quand les hommes
le souhaites, Ô Grand des cinq maîtres des
seront créés, les dieux veilleront surtout à les rendre
sièges, Pétosiris. (4)
dépendants et fragiles, les limitant par l’âge, les
maladies et la mort. Cela les empêchera de se révol- La Perse, pays où prospère la vigne depuis tou-
ter contre le dur labeur imposé, comme l’avaient fait jours, connut le vin assez tôt, probablement au IIIe
les petits dieux, menaçant la vie tranquille que les millénaire, ou même avant. Mais la Perse est immense
grands dieux menaient. Il faut donc partir de l’idée et l’entité perse n’est pas la même à travers l’histoire.
que l’homme a été créé pour le service des dieux : L’on peut dire que le vin était connu dans certaines
construire des digues, planter les céréales et les parties, et venu assez tard vers d’autres. Mais bien-
fruits, presser le raisin pour servir le vin aux dieux, tôt, les perses connurent la passion du vin. Ils l’ap-
puis mourir et passer la tâche à ses fils : préciaient tellement, qu’il devint matière d’échange
diplomatique entre les rois puisque Cambyse (VIe s.
Quand les dieux ont créé les hommes
avant J.-C.), offrira au roi d’Éthiopie une outre de
Ils leur ont assigné la mort,
vin, que l’éthiopien apprécia fort.
Mais la vie éternelle, ils l’ont gardée pour eux. (2)
Il faut ajouter qu’avec le vin, le roi de Perse avait
Dans la version babylonienne de l’épopée de offert à l’Éthiopien de somptueux vêtements et des
Ǧilgameš, cette idée est plus explicite encore : parures qu’il dédaigna.
Seuls les dieux vivent à jamais sous le soleil. Mais lorsqu’il en fut au vin, et qu’il sut
Quant à l’homme ses jours sont comptés comment on le fabriquait, ce breuvage
Quoi qu’il fasse ce n’est que du vent. (3) l’enchanta (…), sur ce point, dit-il, les
Éthiopiens s’avouaient inférieurs aux
1 Nous verrons que les héritiers directs des Mésopotamiens, Perses. (5)
les arabes, se soulaient. Hérodote raconte sur les Perses des histoires
2 L’Épopée de Ǧilgameš, l’homme qui ne voulait pas mourir,
amusantes et incroyables :
traduite par Jean Bottéro, Éd. Gallimard, 1992.
3 Les dieux vivaient entre autres sur terre. Cette formule « sous
4 Cité par Jean-Robert Pitte, Le désir du vin, Éd. Fayard, 2009.
le soleil », nous la trouvons fréquemment dans l’Ancien
Testament. 5 Hérodote, L’Enquête, (III–22).
PETITE HISTOIRE
DU VIN DE SUMER À LA GAULE 23
Ils ont l’habitude de décider quand ils sont d’hectolitres de bière, contre seulement 300 millions
ivres, des questions les plus importantes. Les d’hectolitres de vin ? (3)
décisions prises en cet état leur sont soumises Beaucoup plus tard, vint l’Ancien Testament,
le lendemain, quand ils ont retrouvé leur puisque l’exode ne peut se situer avant 1250–1230.
lucidité, par le maître de maison chez qui ils Ce livre fait remonter le vin à Noé, personnage dont
délibèrent. Si à jeun, ils les adoptent encore, parlent les tablettes cunéiformes datant du IIIe mil-
ils les appliquent ; sinon ils les rejettent. lénaire, sous le nom d’Atrahasis, le super sage. Ce
Inversement, lorsqu’ils ont d’abord étudié que l’Ancien Testament nous dit peut se résumer
une question à jeun, ils la reprennent quand dans les imprécations que lancent les prophètes
ils sont ivres. (1) contre les rois qui perdent leur temps à boire, ou
cette constatation qu’Isaïe fait ou souhaite d’une
Strabon abonde dans le même sens :
ville détruite : Babylone ? Tyr ? Samarie ? ou quelque
Ils (les Perses) mènent leurs plus importantes autre pays ennemi ?
délibérations en buvant du vin. (2)
Le vin est en deuil, la ville languit, tous les
De toute façon, les Perses ont eu eux aussi, leur cœurs joyeux gémissent.
légende de la création de l’homme, autour d’un ban- La joie des tambourins a cessé, le bruit des
quet bien arrosé. plaisirs est fini ;
Si on ne peut prendre ce « témoignage » à la On ne boit plus de vin en chantant (…)
lettre, il peut servir à prouver que les Perses connais- On se lamente dans les rues ; plus de vin,
saient le vin depuis assez longtemps, et qu’ils toute la joie a disparu, du pays est bannie la
croyaient – comme les grecs plus tard – que l’ivresse joie…
était un phénomène mystérieux qui fait éclater chez
Ce furent aussi des historiens comme Hérodote
l’homme, les forces obscures. Être ivre, c’est ressem-
qui nous fournirent de précieux renseignements sur
bler aux dieux.
l’apparition et la consommation du vin au Proche-
Avant de continuer le récit, disons que si au
Orient. Mais quand ce dernier (Ve s. avant J.-C.)
Proche-Orient, la quantité de vin consommé dans
et Julien l’Africain (IIe s. avant J.-C.) prétendent –
l’antiquité était, de loin, inférieure à celle de la
l’historien grec – que la vigne n’existe presque pas
bière, que dirons-nous lorsque nous apprenons
en Mésopotamie, le second – Julien l’Africain –
qu’aujourd’hui, le monde consomme 1400 millions
que Dionysos avait quitté « le pays » parce qu’on ne
buvait que de la bière, ils se trompent grossièrement
1 Hérodote, L’Enquête, (I–133) Bibliothèque de la Pléiade, et nous laissons à Jean Bottéro, le soin de leur oppo-
1964. On pourrait en lisant cette histoire rapportée par ser un démenti cinglant : « En fait, les deux auteurs
Hérodote, penser à la boutade de Bernard Shaw : « L’alcool ont un peu parlé à tort et à travers, comme nous pou-
est un produit très nécessaire… Il permet au parlement de
vons nous en assurer en mettant le nez dans notre
prendre à onze heures du soir des décisions qu’aucun homme
ne produirait à onze heures du matin ».
2 Cité par Pierre Briant, Histoire de l’Empire Perse, de Cyrus à
Alexandre, Éd. Fayard, 1996. 3 Jean-Robert Pitte, Désir du vin, Éd. Fayard, 2009.
LE VIN ET L’IVRESSE
24 DANS LES LITTÉRATURES ARABE ET FRANÇAISE
documentation indigène ». (1) D’autre part, dans son régulièrement. Ce qui veut dire qu’il l’était bien plus
livre Les Phéniciens, l’Antique Royaume de la pourpre, avant et que l’écriture n’a pu en témoigner avant
Gerhard Herm est encore plus catégorique quant 3200. Il proviendrait selon les assyriologues, de la
à l’existence du vin en Mésopotamie, et le rôle des région qu’ils appellent Syro-Arménienne, riche en
phéniciens dans son introduction en Grèce : vignes depuis plusieurs millénaires et gardant, dans les
amphores retrouvées, les traces du tanin. D’ailleurs,
(...) Quant à son compatriote Dionysos
l’Ancien Testament semble corroborer cette thèse,
(l’auteur parlait d’Adonis), on ne sait trop ce
puisque l’Arche de Noé s’est arrêtée sur le sommet
qui se passa pour lui ; la tradition demeure
d’Ararat. Et c’est là, que le patriarche aurait planté la
ambiguë.
première vigne, fait le vin et se serait enivré !
Il vint avec le vin qui n’a pas été découvert
De Zagros et de l’Anatolie, des outres étaient
par les Grecs, mais par les habitants de l’Asie
transportées à dos d’ânes, de chevaux et de mulets,
Mineure et du Proche-Orient. Depuis le
tandis que des jarres par voie fluviale, en descen-
Liban, où il a encore des crus excellents, il
dant l’Euphrate, servaient au transport du vin, pour
passa en Crête, puis gagna l’Hellade dont les
le compte de la Mésopotamie. Un peu plus tard, le
habitants n’avaient connu jusqu’alors que la
vin provenait de Phénicie (Syrie, Liban, Palestine).
pénible ivresse de la bière. (2)
D’ailleurs à propos du vin du Liban, « il était, selon
Ce préjugé de la quasi inexistence du vin en Pline l’Ancien, réputé à Béryte » (4). Que dire alors
Mésopotamie resta tenace jusqu’à la découverte des d’une inscription retrouvée récemment sur une
tablettes au début du XIXe siècle. Ce furent des tombe pharaonique de 3560 av. J.C, qui parle d’un
preuves irréfutables. Tout devint évident. Si Hérodote « vin noir du Mont-Liban » ? (5)
nie l’existence de la vigne en Mésopotamie, c’est qu’il Une autre attestation irréfutable de l’ancienneté
n’avait pas eu les moyens de constater les choses de du vin du Liban, nous vient d’une œuvre écrite vers
visu. Sa visite à Babylone était trop limitée dans l’es- 1720 av. J.-C. Le Conte de Sinouhê. Ce dernier, occu-
pace et dans le temps. pait à la cour des Pharaons vers 1791 av. J.-C. de très
« Les tablettes, dit André Finet, révélèrent la pré- grands postes, mais il dut s’exiler à la suite d’intrigues
sence de la vigne au Ve millénaire. Et l’on buvait du de cour. Il se dirigea, non sans peine et grands dan-
vin couramment à partir du IIIe millénaire. La vigne gers, vers Byblos que les égyptiens connaissaient bien.
était plantée au sud Anatolien, à Nizip et Gazientep, Il s’y installa pour un certain temps, puis, prenant
en Syrie occidentale, aux environs de Homs, de Hama l’est par rapport à Byblos, il arriva à une plaine ver-
et au Liban » (3). Quant aux tablettes elles disent – à doyante (probablement la Béqaa), où « il trouva, dit
partir du IVe millénaire – qu’il était consommé le récit, des figuiers et des vignes et plus de vin que
d’eau. Le miel abondait ainsi que l’huile ». (6)
1 Jean Bottéro, La plus vielle histoire du vin, Revue l’Histoire,
No 228, janvier 1999. 4 Cité par Samir Kassir, Histoire de Beyrouth, Éd. Fayard, 2003.
2 Gerhard Herm, Les phéniciens, Éd. Fayard, 1976. 5 Cité par le Guide des vins du Liban, Zawaq, Commerce du
3 André Finet, Le vin, il y a cinq mille ans, in Initiation à l’Orient Levant et Tamyras, 2012.
Ancien, présentée par Jean Bottéro Éd. du Seuil, 1992. 6 Raconté par Gerhard Herm, ibid.
PETITE HISTOIRE
DU VIN DE SUMER À LA GAULE 25
Que Sinouhê existât réellement ou pas, n’a aucune 2350, c’est être de mauvaise foi puisque les tablettes
importance. Le récit est là et l’auteur décrit les villes en parlent à partir de 3200 !
phéniciennes et les modes de vie avec beaucoup de Il arrive même souvent que les textes citent
précision, comme s’il y avait vécu suffisamment pour conjointement la bière et le vin à l’occasion d’un
tout connaître. banquet offert par le roi ou toute autre personnalité ;
Concernant les hébreux, c’étaient des migrants deux de ces textes se terminent par la mise en relief
sémites, venus entre autres de Mésopotamie, vers du seul vin. Quand le roi Ashurnasirpal II (883–859)
2000 avant J.-C. ; installés en Palestine, et acquérant eut achevé la construction de son palais à Nimrud, il
peu à peu une entité distincte. Ils l’obtiendront après invita 69.574 personnes (ouvriers, artisans, ingénieurs,
l’exode, vers 1250 ; la traversée de la mer Rouge, – grands du royaume) au plus grand banquet connu,
« ‘Abara » en arabe et probablement le même mot en qui dura dix jours au cours desquels on servit 100.000
langue juive, – leur ayant donné leur nom. L’Ancien litres de bière et autant de vin ! Le récit, fait par le roi,
Testament parlera souvent du vin. Il en sera question se termine par une phrase qui ne cite que le vin :
au chapitre Le vin et la religion, un peu plus loin. Les heureux peuples de tous les pays, ainsi
Retour en Mésopotamie pour y retrouver les pré- que les gens de Kahlu, je les ai régalés
cieux documents sur le vin. pendant dix jours, je les ai abreuvés de vin,
Quand on voit par exemple, le roi de Lagash baignés, oints et honorés et je les ai renvoyés
Uruinimgina faire graver sur une stèle l’inscription chez eux dans la paix et dans la joie. (2)
suivante, datant de 2350 : « J’ai fait construire un cel-
lier dans lequel depuis “la montagne”, on apportait le En marge de l’histoire du vin, ce texte nous révèle
vin par grands vases… », l’on n’a plus besoin de prou- un côté humain – quoique paternaliste – de ce poten-
ver que Julien l’Africain, disait « n’importe quoi ». Car tat, qui ne nous laisse pas indifférents.
construire un cellier suppose que l’habitude du vin et Son fils et successeur, Šalmanassar III (858 – 824)
le fait de se préoccuper des conditions de sa conserva- « entra à Babylone, après avoir défait ses ennemis,
tion, viennent de plus loin. On a d’ailleurs retrouvé, offrit des sacrifices au dieu Marduk… ». Le récit se
datant aussi de 2350, des lettres faisant état d’un com- termine par la phrase suivante :
merce prospère du vin : l’une contenant un accusé de Pour les gens de Babylone et de Barsippa, les
réception de quantités de ce produit, une autre où protégés, les awêlu des grands dieux, il prépara
l’on se plaint contre le manque d’envoi. Ce fragment
de lettre écrite par un marchand probablement et
2 Georges Roux, La Mésopotamie, Éd. du Seuil, 1995. Certain
adressée à son agent commercial, raconte l’arrivée « à
historien du vin cherche à diminuer l’énormité du banquet
Sippar d’un bateau chargé de vin. Achète-m’en pour
quand on le partage sur dix jours. Si le roi invite en moyenne
dix sicles et en me l’apportant viens me rejoindre en près de 7.000 personnes par jour, et que 200.000 litres de bière
Babylonie » (1). Prétendre comme certain auteur que et de vin sont consommés (20.000 litres par jour – repas), cela
la première allusion au vin en Mésopotamie est de reste énorme. Je me demande pourquoi cet historien, s’il ne
veut pas s’ébahir devant cet astronomique événement – le mot
n’est pas suffisant – qu’il relate le fait sans commentaire ou qu’il
1 André Finet, ibid. Le sicle valait entre six et douze grammes critique l’événement comme insensé quand, probablement,
d’argent. des gens dans le royaume de ce potentat avaient faim.