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Repeuplements de lapins
de garenne : enseignements
des suivis par radio-pistage
J. Aubineau/ONCFS
Si les lâchers constituent une pratique de gestion cynégétique courante pour renforcer
les populations de lapins de garenne, leur efficacité réelle semble souvent assez faible du
point de vue des chasseurs, qui ne revoient généralement qu’une minorité
des animaux qu’ils ont lâchés quelque temps auparavant. Les lapins disparaissent-ils
vraiment et, si oui, pour quelle raison ? Mortalité ou dispersion ? Quels phénomènes sont
en cause ? Certaines techniques de lâcher permettent-elles d’obtenir de meilleurs
résultats ? Cet article fait le bilan des études menées sur les repeuplements de lapins
et en tire les principaux enseignements en termes de gestion cynégétique de ce gibier
si couru en France.
plus aussi abondant qu’avant dans la moderne : intensification dans les régions
Jérôme Letty1, Jacky Aubineau2, campagne. L’espèce accuse en effet un de fort potentiel agronomique ou au
Francis Berger3, déclin assez général en Europe depuis contraire déprise dans les zones plus
Stéphane Marchandeau1 quelques décennies. En France, ses défavorisées. Il en a résulté une réduction
ONCFS, CNERA Petite Faune Sédentaire de Plaine populations ont été largement décimées significative de la capacité d’accueil des
– 1 Nantes – 2 Chizé – 3 le Lardin-Saint-Lazare. suite à l’introduction du virus de la myxo- milieux pour le lapin et donc de la taille de
matose en 1952 ; puis plus récemment, ses populations, lesquelles se sont de
de manière moins uniforme, lors de plus en plus fragmentées. La diminution
La problématique l’émergence du virus de la VHD (maladie dramatique du nombre de haies, élément
du lapin de garenne virale hémorragique du lapin) en 1988, fixe du paysage favorable à la présence
alors qu’elles s’étaient bien reconstituées du lapin, en est une parfaite illustration.
Un déclin généralisé
entre-temps sans toutefois revenir au On estime ainsi que les remembre-
C
niveau initial. En particulier, il ne faut pas ments agricoles ont conduit à l’arrachage
ontrairement à une idée encore large- oublier que dans cet intervalle de temps, de 80 % des haies existant en France
ment répandue dans la société, le lapin l’habitat du lapin a été fortement bou- durant la seconde moitié du 20e siècle ;
de garenne (Oryctolagus cuniculus) n’est leversé par l’évolution de l’agriculture seuls 700 000 km de haies persistent
A. Roobrouck/ONCFS
dus adoptant transitoirement un compor-
tement erratique (dispersion, aller-
retour…) qui doit correspondre à une
phase d’exploration du nouveau terri-
toire, alors que, au contraire, d’autres
Lapin équipé de marques auriculaires d’identification individuelle et d’un s’éloignent apparemment très peu de la
collier émetteur pour permettre son suivi. garenne de lâcher (Letty et al., 2002a).
Le recours au radio-pistage
pour étudier le devenir Encadré 2 – Méthodes utilisées pour l’étude des repeuplements
des lapins lâchés Capture et transport : les lapins utilisés lors de ces études étaient, sauf exception, d’origine sau-
vage et généralement capturés par furetage des garennes, ou sinon à l’intérieur d’enclos d’ali-
Le CNERA PFSP de l’ONCFS a ainsi mentation. Les individus étaient ensuite pesés, sexés, marqués et vaccinés contre la myxomatose
et la VHD. L’effet de l’injection d’un tranquillisant entre la capture et le transport a en outre été
mené un programme de recherche
évalué lors d’un lâcher. Le transfert vers le territoire de lâcher s’effectuait ensuite en caisse de
sur la réussite des repeuplements de transport munie de compartiments individuels, et des quartiers de pommes ou de betteraves
lapins et conduit différentes études étaient distribués à chaque animal afin de diminuer les effets du stress et de la déshydratation.
et expériences à ce sujet, en ayant Des cages à volaille ont parfois aussi été utilisées pour le transport, les lapins étant alors
notamment recours au radio-pistage rassemblés à plusieurs par cage, notamment lors d’une étude visant à comparer l’effet de ces
deux types de stockage. En outre, une étude supplémentaire visant à contrôler le seul effet de la
des individus lâchés afin de recueillir de
manipulation (capture, stockage et transport) a consisté à relâcher les individus ayant subi ce
précieuses informations sur leur survie traitement dans leur propre garenne d’origine.
et leur comportement de dispersion Protocoles de lâcher : les lapins étaient introduits par groupes de 3 à 10 individus dans des
(Letty, 1998 ; Marchandeau et al., garennes artificielles réparties sur la zone de lâcher dont la surface allait de 5 à 50 hectares. Des
2000 ; Letty et al., sous presse). Cet enclos de pré-lâcher encerclant les garennes de lâcher ont de plus été utilisés lors de différents
article constitue une synthèse des résul- repeuplements, notamment pour tester l’effet d’une acclimatation de quelques jours avant que
les lapins aient véritablement accès au nouveau territoire ; un peu de nourriture était alors four-
tats obtenus, et des principaux ensei-
nie aux lapins dans ces enclos d’environ 50 m2. Les groupes de lâcher étaient composés de mâles
gnements à en retirer, en termes de ges- et de femelles, généralement sans tenir compte des liens de familiarité antérieurs, c’est-à-dire en
tion et de reconstitution des populations y associant des individus capturés sur la zone d’origine dans des garennes différentes, au moins
de lapins de garenne. pour la plupart d’entre eux. L’effet de la familiarité au sein du groupe de lâcher a cependant été
testé lors de plusieurs repeuplements, en n’associant dans ces groupes que des individus issus
Caractéristiques des lâchers de lapins de la même garenne d’origine, ou éventuellement de garennes contiguës. Plusieurs facteurs ont
été étudiés suivant un protocole expérimental et, selon les contraintes, les différentes modalités
Partant des nombreux constats d’échec de ces facteurs ont été réparties par garenne de lâcher (acclimatation, familiarité, manipulation,
rapportés par les gestionnaires, il était tranquillisant) ou non (conditions de stockage).
tout d’abord nécessaire d’avoir une idée Types de marquage et de suivi : chaque lapin était marqué d’au moins une bague auriculaire
plus précise des phénomènes se dérou- de type Top-Tag comportant une combinaison de couleurs (papier adhésif réfléchissant), permet-
tant une identification individuelle à distance par observation nocturne au phare et de recueillir
lant lors d’un repeuplement de lapins,
ainsi des données de présence-absence des individus. De plus, une partie des lapins âgés d’au
notamment en termes de mortalité et de moins 3 mois a été équipée d’un collier radio-émetteur d’environ 30 g, soit moins de 5 % du
dispersion des individus lâchés. Le radio- poids corporel de ces individus. Chaque collier, dont l’autonomie de fonctionnement était d’en-
pistage d’individus à l’aide de colliers- viron 6 mois, émettait sur une fréquence radio particulière, et le signal radio avait une portée
émetteurs a permis de recueillir de pré- maximale de 1,5 km. Le radio-pistage à l’aide d’un récepteur et d’une antenne directionnelle per-
mettait donc la plupart du temps de localiser très précisément le gîte diurne d’un individu, y com-
cieux renseignements sur leur survie et
pris s’il se trouvait à l’intérieur d’un terrier. En cas d’absence de signal, des recherches étaient
leur comportement dans les semaines et entreprises en périphérie du site d’étude afin de retrouver l’individu disparu. De plus, ces colliers
les mois suivant leur lâcher (encadré 2). étaient munis d’un indicateur de mortalité qui changeait le rythme du signal sonore après 5 heu-
Une forte mortalité initiale res d’immobilité. En plus de la localisation précise des individus, le radio-pistage permet donc la
et une faible dispersion plupart du temps de recueillir des données de survie-mortalité. Ces données ont été, d’une part,
cartographiées et, d’autre part, analysées suivant la méthode de capture-marquage-recapture
Un premier suivi de repeuplement hiver- (CMR).
nal (« Hiver-a1 », tableau 1) a révélé que Les différents protocoles d’étude sont détaillés dans le tableau 1.
la disparition rapide des lapins après le
Ces déplacements exploratoires initiaux, vital (figures 1 et 2). À noter qu’il n’y a ment une perturbation majeure pour les
ainsi que la mort ou la disparition pré- pas de différence flagrante entre mâles et lapins lâchés, de même que chez beau-
coce d’individus éloignés, expliquent femelles en ce qui concerne le taux de coup d’autres espèces (encadré 1 –
que la dispersion moyenne des individus survie ou le comportement de dispersion Letty et al., sous presse).
est parfois transitoirement plus élevée après le lâcher. Une forte mortalité initiale La faible dispersion après le lâcher s’est
juste après le lâcher que par la suite. Pas- et une faible dispersion semblent être confirmée au cours de chaque repeu-
sée cette phase d’instabilité initiale des caractéristiques assez générales des plement suivi (figure 2). Ainsi, parmi les
consécutive au lâcher, plus ou moins lon- lâchers de lapins, qui se sont par exem- 193 individus localisés en vie au moins
gue selon les cas, le taux de mortalité ple aussi vérifiées lors de repeuplements une fois après le lâcher, leurs gîtes étaient
redevient faible et la dispersion se stabi- effectués en Espagne (Calvete et al., toujours situés à moins de 300 m des
lise durablement à mesure que les indivi- 1997 ; Calvete & Estrada, 2004). Un garennes de lâcher pour 80 % d’entre
dus établissent leur nouveau domaine repeuplement constitue vraisemblable- eux, alors que seulement 2 % des lapins
Été - e
comme le principal problème – en tous
40 % Été - f cas le premier – lors d’un lâcher de
Été - c lapins, d’où l’importance d’en déterminer
20 % les causes. Parmi les 88 individus radio-
Hiver -
contrôle pistés, lors des différents repeuplements
0% réalisés (tableau 1), et morts de cause
0 10 20 30 40 50 60 naturelle durant le premier mois suivant le
Jours depuis le lâcher lâcher, la prédation était incriminée dans
69 % des cas, une mortalité apparem-
Figure 2 – Dispersion de lapins de garenne (sub-)adultes ment spontanée (cadavre trouvé intact
durant les 2 premiers mois après le lâcher lors de différents repeuplements ou signalé mort dans une garenne de
effectués en hiver ou en été dans l’ouest de la France (les lettres désignent lâcher) pour 26 % et les collisions routiè-
des zones d’étude et les chiffres des années – tableau 1) res pour 5 %. Parmi les prédateurs, le
Les courbes montrent l’évolution de la distance moyenne du gîte diurne par rapport
renard est l’espèce la plus fréquemment
à la garenne de lâcher des individus vivants localisés par radio-pistage
en cause, à parité avec le grand-duc
d’Europe en zone méditerranéenne. Les
Hiver - a1
300 autres cas de prédation peuvent être
imputés à différents mustélidés (fouine,
Distance moyenne séparant le gîte
Hiver - a2
250 putois, belette), chiens errants ou chats
de la garenne de lâcher (m)
Hiver - b harets.
200 Ce fort impact de la prédation doit
Hiver - c cependant être relativisé étant donné la
150 proportion assez importante des cas de
Été - d mortalité spontanée. Ceci laisse penser
100
qu’une part de la mortalité attribuée à la
Été - e
prédation pourrait être en réalité le fait de
50
charognards ayant éliminé des individus
Été - f
morts ou moribonds, et non pas des ani-
0
0 10 20 30 40 50 60 maux en parfaite condition physique.
Été - c
Une si grande part de mortalité sponta-
Jours depuis le lâcher
née n’est en fait pas très surprenante
suivis ont pu être localisé à plus de 1 km suivant le lâcher pourraient correspon- chez des animaux stressés par la cap-
de leur point de lâcher, l’éloignement dre à un comportement de « homing » ture, le transport et l’arrivée dans un
maximum constaté étant de 1,5 km. Ces (retour à la maison), ces individus endroit qui leur est totalement inconnu et
déplacements limités concordent d’ail- essayant de retrouver leurs repères habi- dans lequel ils ne savent, ni où s’abriter, ni
leurs avec ce que l’on sait du comporte- tuels ; de tels retours ont déjà été enregis- où se nourrir. Le stress est une réaction
ment spatial du lapin (Marchandeau et trés chez d’autres espèces (e.g. Letty et physiologique qui doit permettre à un
al., 2002 ; Marchandeau et al., 2003). al., sous presse). Par ailleurs, si les dépla- individu de faire face à une perturbation
La perte de contact radio avec quelques cements les plus importants se produi- ou à une menace, mais qui peut aussi
individus peut cependant s’expliquer par sent généralement durant la phase ini- avoir des effets néfastes en cas de pertur-
un éloignement plus important, au delà tiale du repeuplement, cela n’exclut pas bation chronique ou trop forte. Chez le
de la portée du signal. Les déplacements la possibilité d’une dispersion ultérieure lapin, l’existence du stress induit par la
erratiques souvent constatés chez cer- de certains individus hors de la zone de capture et le transport semble par exem-
tains individus dans les premiers jours lâcher. Par exemple, une femelle s’est ple accréditée par la mortalité de 2 %
J. Aubineau/ONCFS
au bout d’un mois, sans sur-mortalité ini-
tiale significative (3 individus non revus).
Ce résultat incite donc à penser que les
manipulations réalisées lors d’un repeu-
plement n’induisent pas un stress suffi-
sant pour expliquer à lui seul la survenue La construction d’une garenne artificielle doit se faire quand la terre n’est pas
d’une mortalité importante après le trop humide pour éviter tout problème de compactage.
lâcher. Ceci expliquerait qu’aucun effet
de l’injection du tranquillisant avant le vement les individus lâchés, afin de autre suivi mené en parallèle (« Hiver-j »,
transport n’ait été observé lors de la pre- réduire le niveau de cette perturbation et tableau 1) pourrait s’expliquer par le
mière étude. Cette idée se trouve d’ail- d’augmenter ainsi leurs chances de nombre trop élevé de lapins confinés
leurs confortée par les résultats de l’étude s’adapter à leur nouvelle situation. dans le parc d’acclimatation. Plus géné-
de l’effet des conditions de transport (en Nous avons donc testé un protocole de ralement, l‘acclimatation en parc de pré-
caisse individuelle ou en cage collective lâcher en parc d’acclimatation, le plus lâcher était censé favoriser l’installation
de 4 ou 5 individus) sur la survie après le souvent constitué d’un simple grillage définitive des lapins dans leur garenne
lâcher (« Hiver-b » et « -c », tableau 1). d’environ 1 m de hauteur entourant la de lâcher, mais cela ne s’est pas toujours
Aucune différence significative de survie garenne de lâcher, dans lequel des vérifié au cours de nos différentes études.
selon le traitement n’a en effet été lapins étaient maintenus entre 2 et En effet, quelques individus parvinrent à
constatée au cours de ces deux repeu- 9 jours, période apparemment la plus s’échapper avant même l’ouverture des
plements, ce qui suggère que les condi- critique en termes de mortalité initiale enclos et, parmi ceux maintenus en
tions de transport ne prédéterminent pas après le lâcher. enclos pendant la phase d’acclimata-
les chances de survie des lapins après le Lors d’une première étude comparant la tion, beaucoup quittèrent ensuite les
lâcher. survie d’individus lâchés avec ou sans garennes de lâcher durablement, voire
Finalement, s’il est indéniable que les acclimatation préalable, nous n’avons définitivement. De leur côté, Calvete &
manipulations liées à un repeuplement pas enregistré d’effet globalement signifi- Estrada (2004) ont enregistré un effet
occasionnent aux lapins un certain catif de l’acclimatation, même si toutes positif de l’acclimatation, une meilleure
niveau de stress, comme le montrent par les femelles lâchées après acclimatation survie et une dispersion réduite, dans un
exemple les observations réalisées sur survécurent durant les premiers jours, à la habitat caractérisé par un faible couvert
des individus maintenus en quarantaine différence des autres catégories d’indivi- végétal ; mais cet effet n’apparaissait plus
(voir plus haut), ce stress ne semble dus, dont la survie initiale fut néanmoins dans un habitat avec un couvert végétal
cependant pas insurmontable. En effet, comprise entre 78 % et 92 % (« Hiver-h », plus important. Finalement, l’effet en ter-
les résultats obtenus lors de l’étude de tableau 1 ; Letty et al., 2000). Cette diffé- mes de survie et de dispersion d’une
contrôle que nous avons réalisée en relâ- rence de survie initiale entre mâles et acclimatation en parc de pré-lâcher sem-
chant des animaux sur leur propre terri- femelles lâchés après acclimatation ne ble assez subtil et souvent peu flagrant
toire d’origine indiquent que le stress s’est d’ailleurs pas confirmée lors d’étu- sur le terrain.
induit par ces manipulations affecte en des ultérieures (Letty et al., 2002b ; Letty Mais la nouveauté du territoire n’est pas
fait très peu les lapins. Ceci suggère que et al., 2005a). En outre, l’absence d’effet le seul problème pour les individus intro-
le principal problème pour la survie des d’une acclimatation de 9 jours sur la sur- duits. Ceux-ci sont bien évidemment
lapins lors d’un repeuplement est plutôt vie après le lâcher a été constatée à une aussi tributaires de la qualité de l’environ-
l’arrivée en « terre inconnue ». autre occasion (« Hiver-i », tableau 1 et nement dans ce territoire (structure du
Nouveauté et qualité du territoire figure 4). Lors de ce repeuplement, l’ac- paysage, type de végétation, préda-
d’accueil : deux facteurs importants climatation semble avoir seulement teurs, parasites…). La qualité de l’environ-
La confrontation à un nouvel environne- retardé la mortalité, notamment celle due nement peut varier d’un territoire à l’autre,
ment est connue pour être une autre à la prédation, et les taux de survie se y compris au sein d’un même type d’ha-
source potentielle de stress. Ce doit être sont finalement avérés équivalents avec bitat, et il n’est pas toujours évident de
notamment le cas pour des individus ou sans acclimatation. Il faut cependant déterminer quelles sont les caracté-
déplacés sous la contrainte et dont il est noter que la dispersion est apparemment ristiques environnementales nécessaires
peu probable qu’ils parviennent à plus réduite et plus progressive après ou favorables à la réussite d’un repeu-
échapper à la perturbation, a priori défi- acclimatation que sans (figure 5), ce qui plement. Ainsi, nous avons parfois des
nitive, que constitue un tel changement pourrait contribuer dans certains cas à difficultés à expliquer certaines différen-
de territoire. En conséquence, une solu- réduire les risques de mortalité. La disper- ces de survie ou de comportement entre
tion pourrait être d’acclimater progressi- sion plus brutale constatée lors d’un des territoires pourtant équivalents en
Garenne de lâcher
Autres garennes
Mâle
Mâle
Femelle
Femelle
Femelle
Femelle
Femelle
révélé une cohésion sociale après le groupes sociaux et ne favorisent pas nous permet d’ores et déjà de tirer une
lâcher particulièrement plus solide entre l’émergence d’un éventuel effet favora- première série d’enseignements pré-
individus familiers qu’entre non familiers, ble de la familiarité. En outre, et de cieux pour leur réussite. En effet, bien
certains individus familiers réalisant aussi manière plus générale chez le lapin, un que les résultats de nos expériences ne
des déplacements initiaux assez impor- tel effet de la familiarité n’est peut-être soient pas toujours très concluants –
tants (figure 3). Lors d’un repeuplement pas très fort vu la faible espérance de vie comme c’est souvent le cas lorsqu’on
ultérieur, le radio-pistage d’un groupe de de l’espèce et, en corollaire, le fort taux mène des études de terrain, par exemple
7 lapins issus d’une même garenne a jus- annuel de renouvellement naturel des en raison de facteurs environnementaux
tement permis de confirmer que la cohé- individus au sein des groupes sociaux. que l’on ne contrôle pas ou qu’on ne par-
sion sociale entre individus familiers était Sans compter que des interactions vient pas à identifier – au moins dispo-
loin d’être absolue après un lâcher négatives, agressives ou compétitives sons-nous d’un faisceau d’indices sou-
(« Été-c », tableau 1). En effet, bien que ce doivent aussi exister entre individus vent convergents qui nous permettent
groupe social fût introduit dans une seule dominants et dominés au sein de ces de cerner certains problèmes majeurs et
garenne entourée par un enclos d’accli- groupes sociaux, et davantage encore de proposer des solutions.
matation, tous les individus s’en étaient entre individus de garennes contiguës. Le premier des problèmes affectant le
rapidement évadés et s’étaient ensuite Tout ceci ne plaide donc pas en faveur succès des lâchers de lapins est l’exis-
plus ou moins éloignés les uns des d’un effet significatif de la familiarité lors tence d’une mortalité initiale souvent
autres, notamment les deux mâles, une d’un lâcher de lapins, même si les grou- forte, alors que dans le même temps la
femelle quittant même définitivement la pes considérés comme familiers que dispersion des individus est générale-
zone de lâcher bien plus tard (voir plus nous avons transférés ne correspon- ment assez limitée, la plupart d’entre eux
haut – figure 6). La force de la cohésion daient peut-être pas exactement aux ne s’éloignant guère au-delà de 300 m
sociale semble ainsi se dissiper rapide- véritables groupes sociaux ; par exem- de leur garenne de lâcher. Ainsi, lors
ment après le lâcher, probablement en ple, quelques individus de ces groupes d’une tentative de repeuplement, lors-
raison d’un comportement territorial ont pu involontairement nous échapper. que les chasseurs ne revoient plus d’ani-
exclusivement lié à la garenne d’origine maux quelques jours après le lâcher, il ne
et qui n’a donc plus lieu d’être après le Bilan et perspectives faut pas y voir un déplacement des
transfert. De plus, les fortes mortalité et pour les lâchers de lapins lapins vers d’autres secteurs, mais plus
dispersion souvent constatées très tôt sûrement une forte mortalité. La phase de
après le lâcher contribuent à bouleverser L’ensemble des études que nous avons mortalité consécutive au lâcher n’est
profondément la composition des menées sur les repeuplements de lapins finalement pas très surprenante et paraît
dans une certaine mesure inévitable ter un peu – au moins un an – pour garennes de lâcher tout en permettant
puisqu’elle semble principalement in- laisser aux individus introduits une par la suite aux jeunes, voire à d’éven-
duite par l’arrivée dans un nouveau terri- chance de se reproduire efficacement. tuels individus dominés, de disperser
toire, perturbation majeure pour les indi- Parmi les solutions qui paraissent promet- hors des enclos et d’aller coloniser les
vidus. Et une acclimatation temporaire en teuses en termes de réussite de repeu- alentours. Une captivité aussi prolongée,
enclos ne permet apparemment pas plement de lapins, les lâchers en été de qui semble tendre vers une forme d’éle-
d’atténuer sensiblement l’effet négatif de jeunes individus âgés de 2 à 3 mois vage, pourrait toutefois ne pas être sans
cette perturbation, au moins sur la survie. retiennent particulièrement notre atten- conséquences sur la santé des lapins
Toutefois, bien que des zones d’ombre tion. Le repeuplement que nous avons introduits. Mais l’espèce semble pouvoir
persistent quant à certains facteurs envi- mené avec des jeunes issus d’élevage a tolérer de telles conditions de vie, assez
ronnementaux impliqués dans le déter- en effet donné de très bons résultats en proches de celles d’un parc d’élevage,
minisme de cette mortalité, il semble tout termes de survie et de dispersion. Les d’autant plus qu’elle se contente souvent
de même possible d’augmenter la survie conditions environnementales sont vrai- d’un domaine vital très réduit. Quant au
des lapins lâchés, et donc les chances semblablement très favorables en été, et succès reproducteur des lapins après un
de réussite du repeuplement, notam- les jeunes sont probablement les indivi- lâcher et à un possible impact négatif
ment en choisissant les individus a priori dus les plus aptes à surmonter la rude des perturbations liées à un repeuple-
les mieux adaptés, en se plaçant dans épreuve du changement de territoire ; ment sur celui-ci, cela demeure de
les meilleures conditions et en menant d’autant plus qu’ils possèdent par défini- grandes inconnues du fait des difficultés
en parallèle une gestion durable et cohé- tion la plus longue espérance de vie et d’étude en nature de ce paramètre
rente de l’environnement. Mais, même en donc le plus fort potentiel reproducteur. démographique chez cette espèce
prenant toutes ces précautions, le taux L’élevage semi-extensif de lapins de (Letty et al., 2005b). Mais les études
de survie deux mois après le lâcher sem- garenne en parc de 1000 à 2000 m2 conduites en parcs d’élevage semi-
ble le plus souvent n’être que de 60 à apparaît alors comme une solution com- extensif devraient permettre d’apporter
70 %, et il ne faut pas oublier que les sur- plémentaire efficace, pour une société certaines réponses à ces questions.
vivants demeurent ensuite soumis au de chasse dynamique, pour produire en Les repeuplements de lapins sont donc
taux normal de mortalité naturelle. Pour conditions semi-naturelles et sous aujourd’hui des opérations relativement
compenser ces pertes, et vu le faible contrôle sanitaire les jeunes lapins de bien maîtrisées dont le succès nécessite
rayon de dispersion des lapins lors d’un souche sauvage voués à repeupler un cependant certaines conditions préala-
repeuplement, le gestionnaire devra territoire. Une autre solution potentielle- bles que les gestionnaires devront res-
donc prendre particulièrement soin de ment intéressante serait de conserver les pecter (encadré 3). Ces lâchers se révè-
concentrer l’effort de lâcher sur une zone individus lâchés en enclos d’acclimata- lent malheureusement nécessaires de
de quelques hectares, dans le but de tion, notamment dans le but de les pré- manière chronique dans bien des situa-
fonder un noyau de population de taille server des prédateurs, jusqu’à ce qu’ils tions défavorables (qualité de milieu
suffisante pour qu’il soit démographique- commencent à s’y reproduire (Berger et médiocre, passages répétés d’épidé-
ment viable. Quant au prélèvement par al., 1998). On pourrait ainsi espérer fixer mies), au moins pour permettre le main-
la chasse, il lui faudra être sage et patien- les individus reproducteurs sur les tien de la chasse au lapin, pratique à