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Philippe CHEVAUX http://sensartsmartiaux.

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Beaucoup de mystères entourent souvent les postures d’enracinement. Pendant très
longtemps, très peu d’explications étaient données aux élèves, et, c’était seulement à force
de pratique, de pratique et de pratique, qu’ils étaient censés finalement arriver à ressentir, au
bout de longues années, les effets de ces postures.

Bien sûr le maître était là pour les corriger, mais ne leur donnait souvent que des explications
au compte-goutte et parfois assez diffuses (ex: tenir un ballon dans les bras, sentir qu’on a
des racines dans le sol et la tête dans les étoiles, être le plus relâché possible, etc…)

Mes propos ne sont ici en aucun cas, une critique ou une remise en
question de ces pratiques, qui avaient, il faut le reconnaitre, entre autres
avantages, d’entraîner l’étudiant à la patience, la persévérance, le
centrage, la concentration, l’attention à ses ressentis et à son
positionnement, compétences fortes utiles à tout pratiquant d’art martiaux.

Le yiquan (prononcer « yitchuenne »)

C’est une discipline qui a été mise au point au début du 20ème siècle par Maître WANG
Xiangzhai. Il a retiré l’essence des meilleurs arts-martiaux chinois pour en faire un ensemble
de pratiques cohérentes sans formes prédéfinies et sans accrobaties.
Yiquan en chinois veut dire littéralement « la boxe, ou le poing de l’intention ».

Cette discipline porte donc une attention toute particulière à l’intention derrière
chaque mouvement.

Elle enseigne, de façon explicite, comment donner une cohérence entre l’intention, le
ressenti et le mouvement et faire en sorte que les trois aillent dans la même direction tout en
gardant une présence dans toutes les autres directions en même temps.

Maître Yao Chengguang a commencé à pratiquer le yiquan à l’âge de 8 ans, et continue


toujours aujourd’hui, plus de 50 après, à s’entraîner et l’enseigner quotidiennement dans son
école à Pékin, « Zongxun Wuguan » du nom de son père Maître YAO Zongxun, le
successeur direct de Maître WANG Xiangzhai.

Il est aussi le président de « Beijing Martial Arts Association Yiquan Research Institute »

Depuis de nombreuses années, avec une volonté constante de rendre le yiquan plus
accessible, il a décortiqué l’enseignement de son père en un système pédagogique très
riche, explicite, pratique et donc plus facilement utilisable à son plein potentiel, en
démystifiant toute l’aura « mystérieuse » qui pouvait exister autour de cette discipline.

Evidemment il n’empêche que pour avoir des résultats probants, il est de toute façon
nécessaire de s’entraîner régulièrement avec patience, application et persévérance, et de
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préférence avec un enseignant suffisamment qualifié qui puisse guider et corriger le
pratiquant.

L’auteur

Après plus de 20 ans de pratique des arts martiaux, l’auteur Philippe Chevaux, a eu la
chance, en 2009, de partir à Pékin apprendre le yiquan pendant 2 ans, à raison de 5,5 jours
par semaine, 7h par jour, aux côtés de Maître YAO Chengguang.

Les explications qui vont suivre sont tirées de son expérience et de son apprentissage de cet
enseignement. Ceci étant, il met l’accent sur le fait qu’elles ne pourront jamais se substituer à
un entraînement avec un professeur qualifié. Elles sont donc à prendre plus comme un guide
ou un support que comme un réel cours.

Postures d’enracinement

Postures d’enracinement, en mandarin, se dit « zhan zhuang » (prononcer djane djouang).

Zhan (站
站) = se lever, être debout
桩) = poteau/ pilier
Zhuang (桩

Donc zhan zhuang veut dire « être debout, se dresser comme un pilier / un poteau».

Le pilier est fermement ancrée dans le sol, un peu comme un arbre dont les racines sont
plantées en terre, d’où, par extension, la traduction courante en français de « postures
d’enracinement ».

Les postures n’ont de sens et d’utilité que si elles sont accompagnées d’une intention
particulière.
La sensation que l’on recherche dans les postures est celle d’une résistance dans tout le
corps qui s’apparente à celle de l’eau. Elle s’obtient sur des micromouvements, en utilisant
des forces antagonistes.
Cette résistance est ce que l’on appelle la force multidirectionnelle, la fameuse « force
interne » (内功 nei gong) dont sont gorgées beaucoup d’histoire d’arts martiaux en Chine.

Cette force ne peut être ressentie qu’en atteignant un état d’équilibre entre relaxation et
tension, autant au niveau physique que mental.

Les mouvements doivent donc se faire en utilisant plus l’intention que la force, et l’intention
elle-même ne doit pas non plus être trop tendue. Comme disait Maître Yao, l’intention c’est
« en même temps il y en a, et en même temps il n’y en n’a pas ».

Comme l’énergie suit l’intention, en yiquan on se concentre sur l’intention et non sur une
circulation d’énergie liée à la respiration. La respiration est donc naturelle et calme.

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Il existe deux types de postures :

• Les postures dites de santé (yangsheng zhuang). Yangsheng peut se traduire par
« nourrir la vie »
• Les postures dites de combat (jiji zhuang).

Dans la tradition chinoise, la culture de la santé du corps est ancrée très profondément. On
la retrouve donc naturellement dans les arts martiaux aussi.

Un combattant, pour être efficace et avoir des chances de survie doit être d’abord en bonne
santé. Si le corps est faible et fragile, il ne pourra pas faire grand-chose.

Un des premiers objectifs de l’entraînement martial est de renforcer le corps et la santé. Cet
entraînement peut être effectué en parallèle de la partie martiale, mais c’est une étape
nécessaire. D’ailleurs l’entraînement plus spécifiquement martial a aussi pour but de
renforcer la santé et le corps.

Nous allons donc commencer par une des plus importantes postures de santé :

Cheng bao zhuang (撑抱桩


撑抱桩)
撑抱桩
Cheng = étendre/étirer
Bao = enlacer/embrasser/porter
Zhuang = posture d’enracinement

En pratiquant yangsheng zhuang (les postures de la santé), vous pouvez imaginer n’importe
quelle belle scène de nature que vous avez déjà vu ou dans laquelle vous vous êtes déjà
trouvé. Cela peut être par exemple, se tenir au sommet d’une montagne avec un vue
splendide sur les alentours, se prélasser doucement dans une rivière ou en bord de mer en
sentant doucement la résistance de l’eau, ou encore marcher dans une forêt au calme ou
dans une prairie avec des fleurs qui parfument l’air, etc…

Vous développerez graduellement la sensation d’être naturellement relâché, et très


confortable comme si vous vous trouviez réellement dans ces magnifiques environnements
naturels reposants.

En fait, vous ne devez pas avoir la sensation de pratiquer mais plutôt de


vous reposer et d’en profiter.

Au début, vos muscles ne seront pas capables de se relâcher pendant une longue période
en tenant ces postures statiques.
C’est tout à fait normal.
Vous avez besoin de votre imagination pour vous aider à atteindre cet état de relaxation et
aussi pour apprendre à contrôler vos activités mentales. Petit à petit vous apprendrez à

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utiliser ces activités mentales pour contrôler votre force. Graduellement, vous apprendrez à
ajuster et harmoniser les aspects de tension et relaxation dans le mental et dans les muscles.

L’état de tension-relâchement du mental est des plus importants.

Plus tard, si vous voulez utiliser l’explosion de la force, vous pourrez contrôler vos muscles
en les tendant et les relâchant très rapidement, presque en même temps.

Toute activité musculaire est contrôlée par le système neurologique, et le système


neurologique est affecté par l’activité mentale. C’est pourquoi l’entraînement mental est si
important.

Explication de la posture cheng bao zhuang

1. Commencer avec les deux pieds écartés de la largeur des épaules. Les centres de la
plante des pieds sont « creux » (ce qui est le cas naturellement, donc il n’y a rien de
spécial à faire). Les orteils agrippent légèrement le sol (on reviendra un peu plus tard là-
dessus donc on ne va pas s’y attarder trop pour l’instant).
Le corps entier se tient droit sans s’incliner ni vers l’avant, ni vers l’arrière. Il doit être
confortable et est naturellement étiré. La tête est comme suspendue et soulevée par un
fil attaché au sommet du crâne qui s’en va très haut dans le ciel. En même temps on
doit avoir la sensation de porter légèrement quelque chose sur la tête (mais sans le
supporter vraiment, sans utiliser de force). Les genoux sont légèrement pliés et comme
si ils étaient légèrement tirés vers le haut. La colonne vertébrale est naturellement
droite et étirée. Les épaules ne doivent pas être soulevées. Au niveau des fesses on a
la sensation d’être assis sur un tabouret haut ou sur le coin d’une table. Le dos, la taille
et l’arrière des jambes ont comme la sensation d’appuyer légèrement sur un arbre ou
un mur derrière soi.

Cheng bao zhuang – face Cheng bao zhuang - profil

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2. Lever doucement les mains devant le torse, paumes vers l’intérieur à hauteur des
épaules, en imaginant qu’il y ait des petites boules de coton entre chaque doigt. Les
mains sont légèrement en creux, comme si elles tenaient un ballon à l’intérieur. La
distance entre les extrémités des doigts de chaque main est d’environ 2-3 largeurs de
poing. Vous pouvez aussi imaginer que chacun des doigts sont reliés par des ressorts
(les pouces entre eux, les indexes entre eux, les majeurs, etc…). Cela va créer une
sensation de légère tension entre les doigts de chaque main. Les deux mains sont à
environ 30 cm de la poitrine.
Imaginez soutenir un ballon en papier entre les mains, les bras et le torse. Le ballon
repose légèrement contre les bras, le torse, le ventre, les mains et les doigts. Sentez sa
rondeur. Si vous le serrez trop fort il va s’aplatir, si vous perdez la sensation du contact,
il va s’envoler. Vous devez donc constamment tester cette sensation comme quoi vous
avez le ballon entre les bras, le torse et le ventre.
Vous pouvez aussi vous imaginer tenir un ballon du même style entre les cuisses, les
genoux et les mollets et avoir cette même sensation entre les jambes. Il est important
de noter qu’il ne faut utiliser que le mental pour imaginer tout ce qui a été décrit ci-
dessus, pas la force. Cette remarque est valable aussi pour toutes les visualisations qui
vont suivre.

Quelques exemples de positions de mains :

Trop tendu Trop tendu Pouce trop tendu Trop relâché

Correct Correct

3. Relâchez les épaules et ouvrez légèrement les aisselles, comme si vous teniez des
petites balles en dessous. Imaginez que vos coudes et vos mains reposent sur quelque
chose de solide (comme par exemple des planches en bois flottant sur une eau calme
et immobile). Vous pouvez aussi vous imaginer être debout avec de l’eau plus ou moins
jusqu’à la taille, le ballon flottant sur l’eau supportant vos coudes et vos mains. Relâcher
les bras autant que possible en gardant cette position sans utiliser de force inutile. Juste
la quantité nécessaire pour garder vos bras soulevés en face de vous.
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4. Desserrez les mâchoires, ouvrez un peu les lèvres en souriant légèrement (en souriant
mais sans vraiment sourire). Relâcher le visage et les muscles du cou. La respiration
est naturelle, constante et calme. Le regard est fixé au loin légèrement au-dessus du
niveau des yeux (fixer sans fixer). Imaginez regarder très loin, derrière un brouillard, où
les objets sont indistincts. La tête reste droite sans bouger ni vers l’avant ni vers l’arrière.
Vous pouvez imaginer aussi retenir une petite boule sous le menton. Avec la même
sensation que pour le ballon entre les bras et les jambes: ni trop serré ni trop lâche. Il
est préférable de ne pas faire face au soleil ni à un vent fort. Soyez calme et écoutez
attentivement, comme si vous étiez capable d’entendre le son très faible d’une goutte
d’eau qui tombe au sol ou sur une branche d’arbre. Mais sans pour autant être tro
concentré.

5. Vous pouvez garder les yeux ouverts ou les fermer, en fonction de ce qui vous
correspond le mieux.

Toutes les consignes ci-dessus sont à appliquer sans effort excessif. Vous pouvez d’ailleurs
les appliquer graduellement, en vous focalisant d’abord sur certaines, et quand vous vous en
souvenez suffisamment vous pouvez en rajouter petit à petit.

Afin d’aider le débutant à mieux comprendre comment utiliser la visualisation pendant la


pratique des postures voici quelques exemples :

a. Imaginez-vous comme un géant aussi grand qu’une montagne se tenant debout au


milieu de la mer ou d’un lac. Sentez la pression de l’eau qui vous pousse de l’avant vers
l’arrière.
Prenez le temps de bien faire attention à cette sensation.
Sentez cette eau qui vous passe à travers le corps, les bras, les doigts. Imaginez vos
doigts de pieds qui s’agrippent au sol (juste imaginez, vous ne devez pas utiliser de force
réelle) pour ne pas que l’eau vous emporte. En même temps, sentez la pression de l’eau
derrière vous, dans votre dos, sur la taille, à l’arrière des bras et des jambes, alors que
vous reculez légèrement. Faites une petite pause.
Ensuite, imaginez que l’eau vous pousse cette fois-ci de l’arrière vers l’avant. De la
même façon, sentez la pression de l’eau qui vous pousse sur tout l’arrière du corps et en
même temps la résistance sur le torse, le ventre, les jambes. Faites une petite pause, et
recommencez : l’eau vous pousse d’avant en arrière, puis d’arrière en avant, encore et
encore, doucement, naturellement, calmement et confortablement. A chaque fin de
course, une petite pause. Vous pouvez aussi imaginer bouger légèrement de façon
volontaire votre corps, en avant et en arrière en sentant la résistance de l’eau. Dans tous
les cas, ce que vous voulez c’est sentir une résistance, comme de l’eau, sur tout le corps
(les épaules, les bras, les mains, les doigts, le torse, la taille et les jambes) en vous
imaginant des mouvements de corps en avant et en arrière. Encore une fois, n’utilisez
que l’intention, l’imagination, et non la force.

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b. Imaginez-vous à bord d’un bateau naviguant en pleine mer, debout sur le pont. Le pont
bouge légèrement de haut en bas sous un soleil qui vous réchauffe gentiment avec une
petite brise. Vous pouvez sentir la résistance du vent qui souffle sur tout votre corps ainsi
que le mouvement de haut en bas. Vous vous sentez bien.

c. Vous pouvez aussi vous imaginez être un géant qui se dresse en haut d’une haute
montagne, admirant les autres sommets, des ruisseaux, des rivières, des lacs, des forêts.
La vue est magnifique et vous vous sentez bien et heureux, serein et sans soucis.

d. Vous pouvez encore vous imaginer debout dans un jardin paradisiaque avec des arbres
magnifiques tout en feuilles, d’autres tout en fleurs. Des fleurs aux couleurs chatoyantes
dégagent un doux parfum reposant, et un ruisseau coule paisiblement tout près,
débouchant sur un lac d’eau cristalline. Au loin, une majestueuse montagne apporte du
relief en se reflétant dans l’eau. Vous pouvez entendre les oiseaux qui chantent
tranquillement. L’air et frais, il fait encore doux, le soleil se lève et colore le ciel d’un
rouge flamboyant qui embrase les quelques nuages éparses. Vous vous sentez heureux,
radieux, confortable.

Encore une fois, ce ne sont que des exemples d’activité mentale utilisable en pratiquant
yangsheng zhuang (les postures de santé).

Vous pouvez imaginer n’importe quel environnement qui vous procure calme et sérénité.

Rappelez-vous toutefois de le faire naturellement et sans effort excessif. L’apprentissage


se fait pas à pas, une chose à la fois. Vouloir en faire trop d’un coup dans un laps de temps
trop court n’amènera pas au résultat voulu. Cela risque même de vous apporter de la
déception, de la crispation et de la tension, et peut-être même l’abandon. Sans forcer,
examinez constamment et observez attentivement vos expériences et vos ressentis.

12/03/2012

Philippe Chevaux, auteur du blog:

Les sens des arts martiaux

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