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Chapitre 2

Bases de la théorie de la mesure

Contents
2.1 Tribus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.2 Mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.2.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.2.2 Ensembles négligeables . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.2.3 Mesure de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.3 Fonctions mesurables . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.4 Mesures produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2.5 Exercices supplémentaires . . . . . . . . . . . . . 45
2.6 Appendix: Sur la dénombrabilité . . . . . . . . . 46

L’objectif de ce chapitre est de présenter les concepts de base de la théorie


de la mesure. Cette théorie est au fondement de la théorie des probabilités
et de l’analyse moderne. Le concept de mesure a été introduit par Borel
vers 1895. Il a été repris par Lebesgue qui a fondé dessus sa théorie de
l’intégration.
Quelle est la mesure de l’intervalle [a, b]? Spontanément, on a envie de
répondre que c’est b − a, ce qui est à la fois

• une bonne réponse en ce sens que le réel positif b − a représente ce


qu’on appelle la mesure de Lebesgue de l’intervalle [a, b];

31
• une mauvaise réponse car il y a d’autres façons de mesurer l’intervalle
[a, b].

Il ne faut pas penser qu’une mesure qui n’associerait pas au segment [a, b] le
nombre b − a serait une curiosité mathématique sans intérêt pratique; c’est
notamment dans le domaine des probabilités qu’on est amené à manipuler
constamment ce genre d’objets. La mesure de Lebesgue étant cependant la
mesure sur R la plus utile en analyse des EDP, ce sera sur elle que nous
mettrons l’accent dans ce cours.

Remarque 2.1. Dans ce chapitre on va être amené à manipuler des fonctions


à valeurs dans R = R ∪ {−∞, +∞}. On étend les opérations algébriques sur
R par les conventions

• ∀α ∈ R, α ± ∞ = ±∞ ;

• ∀α > 0, α × (±∞) = ±∞ ;

• 0 × (±∞) = 0.

On s’abstient en revanche, sous peine d’aboutir à une impasse, de définir


les opérations +∞ + (−∞) et +∞ − (+∞). Remarquons que R n’est pas
un espace vectoriel puisque les deux opérations ci-dessus sont interdites. En
conséquence, on ne peut pas définir la somme de deux fonctions valant +∞
et −∞ respectivement en un même point.

2.1 Tribus
Avant de donner une définition rigoureuse de la mesure, considérons un en-
semble X et admettons qu’une mesure est une fonction µ qui à une partie
A ⊂ X associe un “poids” positif noté µ(A). Avant d’aller plus loin, notons
que le choix de l’ensemble T des parties A qu’on “mesure” est crucial, et que
le choix trivial T = P(X) n’est pas forcément le plus adapté. En effet, nous
verrons plus tard que sur R par exemple, il n’existe pas de “mesure” définie
sur P(R) qui vérifie µ([a, b]) = |b − a|. Cela est dû au fait que l’ensemble
P(R) est trop “gros”. Nous ne chercherons donc pas à définir une mesure
sur tout l’ensemble des parties de X, mais seulement sur un sous-ensemble.
Ce dernier doit satisfaire certaines conditions, d’où la notion de tribu.

32
Définition 2.2 (Tribu ou σ-algèbre). Soit X un ensemble et P(X) l’ensemble
des parties de X. Une tribu est une famille T de parties de X (T ⊂ P(X))
vérifiant les propriétés suivantes :
1. ∅ est dans T (contient l’ensemble vide);

2. si A ∈ T , alors X \ A ∈ T (stable par complémentaire);

)n∈N est une suite de parties de X qui appartiennent toutes à T ,


3. si (An[
alors An est aussi dans T (stable par union dénombrable).
n∈N

Un élément de T est appelé ensemble mesurable. Le couple (X, T ) est appelé


espace mesurable.
Proposition 2.3. Soit A une tribu de X. Montrer que X ∈ A et que A est
stable par intersection dénombrable.
Exemple 2.4. Montrer que les ensembles suivants sont des tribus:
• T∞ = P(X)

• T0 = {∅, X}

• TA = {A, X \ A, ∅, X}, pour tout A ⊂ X.


La tribu grossière T0 ne présente aucun intérêt. La tribu discrète T∞ est
celle qu’on considère en général pour les ensembles finis. Par contre, comme
nous allons le montrer, elle est trop grosse pour qu’on puisse définir dessus
la mesure de Lebesgue sur R.

Définition - Proposition 2.5 (Tribu engendrée). Soit S ⊂ P(X). On


appelle tribu engendrée par S l’ensemble
\
σ (S) := T. (2.1.1)
T tribu
S⊂T

C’est la plus petite tribu contenant S.


Exercice 2.6 (Démonstration de la proposition 2.5).
1. Montrer que si A et B sont des tribus de X, alors A ∩ B est aussi une
tribu de X.

33
2. Montrer que l’intersection de (2.1.1) n’est pas vide et vérifier que σ(S)
est bien une tribu.

3. Montrer que σ(S) est la plus petite tribu contenant S.

4. Montrer que si S ⊂ S ′ alors σ(S) ⊂ σ(S ′ ).


Exemple 2.7. On a
σ({A}) = TA .
À un espace vectoriel normé (et plus généralement à un espace topologique),
on peut associer une tribu “naturelle” qui jouera un rôle essentiel dans la
suite.
Définition 2.8 (Tribu borélienne). Soit X un espace vectoriel normé. La
tribu borélienne sur X est la tribu B(X) engendrée par l’ensemble des ouverts
de X:
B(X) = σ ({O, O ouvert de X}) .
Un élément B de la tribu borélienne B(X) est appelé un borélien de X.
Exemple 2.9. [0, 1] ∩ Q est un borélien de R.
Exercice 2.10. Le but de cet exercice est de montrer que B(R) = σ({]a, b[; a, b ∈ Q}).
Ce résultat est aussi valable en dimension supérieure.
1. Montrer que σ({]a, b[; a, b ∈ Q}) ⊂ B(R).

2. Soit Ω un ouvert de R. Montrer Ω = ∪ a,b∈Q ]a, b[.


]a,b[⊂Ω

3. Déduire que B(R) ⊂ σ({]a, b[; a, b ∈ Q}).


Nous discuterons de la relation entre B(X) et P(X) à la fin de la section
suivante (voir remarque 2.24).

2.2 Mesure
2.2.1 Définition
“Une mesure” joue le rôle de volume. C’est pour cela qu’on souhaite qu’elle
soit additive: si A et B sont des ensembles disjoints, alors la mesure de A ∪ B
doit être égale à la somme des mesures de A et de B.

34
Définition 2.11 (Mesure). Soit T une tribu sur X. Une mesure (positive)
sur T est une application µ : T −→ R+ vérifiant les conditions suivantes
1. µ(∅) = 0;
2. Si (An )n∈N est une suite d’ensembles de T deux à deux disjoints, alors
!
[ X
µ An = µ(An ).
n∈N n∈N

Le triplet (X, T , µ) est appelé espace mesuré.


Exemple 2.12. 1. L’application A 7→ card(A) est une mesure sur (N, P(N)).
2. Soit (X, T ) un espace mesurable et a ∈ X. L’application δa définie
pour tout B ∈ T par

1 si a ∈ B
δa (B) =
0 sinon
est une mesure sur (X, T ) appelée mesure de Dirac.
Exercice 2.13. Soit (X, T , µ) un espace mesuré. Soit A, B ∈ T tels que
µ(A) < ∞
1. Montrer que si A ⊂ B, alors µ(A) ≤ µ(B).
2. Montrer µ(A ∪ B) = µ(A) + µ(B) − µ(A ∩ B).
3. Montrer que si A ⊂ B alors µ(B \ A) = µ(B) − µ(A). (Attention! Ceci
n’est pas vrai en général.)
4. Montrer que pour (An )n∈N une suite d’éléments de T
!
[ X
µ An ≤ µ(An ).
n∈N n∈N

5. (Continuité croissante) Soit (An )n∈N une suite d’éléments de T [crois-


sante pour l’inclusion (i.e. A0 ⊂ A1 ⊂ A2 ⊂ · · · ). Soit B = An .
n∈N
Montrer que
µ(B) = lim µ(An ).
n→+∞

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6. (Continuité décroissante) Soit (An )n∈N une suite d’éléments
\ de T décroissante
pour l’inclusion telle que µ(A0 ) < ∞. Soit B = An . Montrer que
n∈N

µ(B) = lim µ(An ).


n→+∞

Définition 2.14 (Mesure finie, mesure σ-finie). Soit (X, T , µ) un espace


mesuré.
• Si µ(X) < ∞, on dit que la mesure µ est finie.
• Si µ(X) = 1, on dit que la mesure µ est une probabilité.
• S’il existe (An )n∈N ∈ T N telle que
[
X= An et ∀n ∈ N, µ(An ) < ∞,
n∈N

on dit que la mesure µ est σ-finie.

2.2.2 Ensembles négligeables


Les ensembles de mesure nulle jouent un rôle important dans la théorie de la
mesure et de l’intégration. Nous donnons ici quelques définitions à retenir.
Définition 2.15. Soit (X, T , µ) un espace mesuré. Un ensemble A ⊂ X est
dit négligeable s’il existe B ∈ T tel que A ⊂ B et µ(B) = 0.
Exemple 2.16. L’union dénombrable d’ensembles négligeables est négligeable.
Définition 2.17. On dit qu’une propriété est vraie presque partout si elle
est vraie en dehors d’un ensemble négligeable.
Remarque 2.18. En probabilité, on utilise l’expression presque sûrement
plutôt que presque partout.
Exemple 2.19. Soit (X, T , µ) un espace mesuré et soit f, g deux fonctions
définies de X → R. On dit que f = g “presque partout” s’il existe A ∈ T
tel que
{x ∈ X, f (x) 6= g(x)} ⊂ A et µ(A) = 0.
Définition 2.20 (Espace complet). On dit qu’un espace mesuré (X, T , µ)
est complet si tout ensemble négligeable est mesurable.
On peut toujours compléter un espace mesuré. Dans la suite on considérera
souvent des espaces complets.

36
2.2.3 Mesure de Lebesgue
Un mesure très importante est celle qui correspond à la notion de longueur
sur R, de surface sur R2 et de volume sur R3 . C’est la mesure de Lebesgue.
Théorème 2.1 (Mesure de Lebesgue). Il existe une unique mesure positive
λ sur (Rd , B(Rd )) telle que pour tout ai ≤ bi ∈ R, 1 ≤ i ≤ d,

λ(]a1 , b1 [×...×]ad , bd [) = Πdi=1 |bi − ai |.

Cette mesure est appelée mesure de Lebesgue.


Exercice 2.21. Montrer que ∀x ∈ R, λ({x}) = 0. En déduire que λ(Q) = 0.
La spécificité de la mesure de Lebesgue tient au fait que c’est la seule (à une
constante multiplicative près) qui soit invariante par translation. C’est ce
qu’on prouve à la proposition 2.22 et à l’exercice 2.23.
Proposition 2.22. La tribu borélienne B(Rd ) et la mesure de Lebesgue λ
sur Rd sont invariantes par translation : pour tout borélien B ∈ B(Rd ), et
pour tout a ∈ Rd , le translaté de B

τa (B) = x ∈ Rd , x − a ∈ B


est un borélien et λ(τa (B)) = λ(B).


Démonstration. Par définition des boréliens, on a B ∈ σ(ouverts de Rd ),
d’où
τa (B) ∈ τa σ(ouverts de Rd ) .
" 
" 
Par
" définition de ladtribu
 engendrée, il est facile de montrer que τa σ(ouverts de Rd ) =
σ τa (ouverts de R ) . Or les ouverts de Rd sont invariants par translation,
donc
τa (B) ∈ σ ouverts de Rd = B(Rd ).
" 

D’autre part, pour αi , βi ∈ R, 1 ≤ i ≤ d, on a

λ◦τa (]α1 , β1 [×...×]αd , βd [) = λ (]α1 + a1 , β1 + a1 [×...×]αd + ad , βd + ad [) = Πdi=1 |βi −αi |.

Il s’en suit que λ ◦ τa = λ par unicité de la mesure de Lebesgue.


Exercice 2.23. Soit µ : B(R) → R+ une mesure invariante par translation
telle que α = µ([0, 1[) ∈ R∗+ .

37
1. Montrer que pour tout x ∈ R, on a µ({x}) = 0.

2. Le but de cette question est de montrer que

µ = αλ.

(a) Montrer que pour tout q ∈ N∗ , on a µ([0, 1/q[) = α/q. Déduire


que pour tout r ∈ Q+ , on a µ([0, r[) = αr.
(b) Montrer que pour tout x ∈ R+ , on a µ([0, x[) = αx.
(c) Conclure.

Remarque 2.24. La tribu borélienne est suffisamment grande pour contenir


les ensembles communément rencontrés en pratique (en particulier les ou-
verts, les fermés et les réunions dénombrables d’ouverts et de fermés) si bien
qu’il est rarissime qu’on ait à se demander si telle ou telle partie de Rd est
mesurable ou non pour cette tribu. On peut se demander si B(R) = P(R) et
si on peut étendre la mesure de Lebesgue à P(R). Voici quelques éléments
de réponse:
• La tribu borélienne n’est pas complète. Elle est strictement incluse dans
la tribu de Lebesgue, qui est la plus petite tribu complète contenant la
tribu borélienne. Le mesure de Lebesgue peut être étendue de manière
unique à la tribu de Lebesgue.

• Si on admet l’axiome du choix “Étant donné une famille d’ensembles


S
(Ei )i∈I , alors pour tout i ∈ I on peut choisir un xi ∈ Ei et i∈I {Ei }
est un ensemble”, alors la tribu de Lebesgue est strictement inclue dans
P(R) et on ne peut pas prolonger la mesure de Lebesgue en une mesure
sur P(R) (voir l’exercice 2.25).

• Si on renonce à l’axiome du choix, il n’y a plus de contradiction à


supposer que tout ensemble est mesurable pour la mesure de Lebesgue.
Exercice 2.25 (Ensemble non mesurable). On chercher à construire un en-
semble non mesurable pour la mesure de Lebesgue sur R. On considère
l’intervalle I = [0, 1[ (de mesure de Lebesgue égale à 1) et on note ∼ la
relation d’équivalence sur I définie par x ∼ y ⇔ x − y ∈ Q. Soit
maintenant A un sous-ensemble de I construit en prenant un point et un
seul dans chaque classe d’équivalence de la relation d’équivalence ∼ (c’est là
qu’intervient l’axiome du choix).

38
[
1. Montrer que I = Ar avec Ar = {r + y − [r + y], y ∈ A}, où la
r∈Q∩[0,1[
notation [x] désigne la partie entière de x. Supposons que les ensem-
bles Ar soient mesurables.

2. Soient r, r′ ∈ Q ∩ [0, 1[. Montrer que si r 6= r′ , Ar ∩ Ar′ = ∅. En déduire


que X
λ(Ar ) = λ(I) = 1.
r∈Q∩[0,1[

3. En utilisant l’invariance par translation de la mesure de Lebesgue, mon-


trer que λ(Ar ) est une constante indépendante de r.

4. Conclure.

2.3 Fonctions mesurables


Définition 2.26 (Fonction mesurable). Soient (X, T ) et (Y, S) deux espaces
mesurables. Une fonction f : X −→ Y est dite mesurable si ∀B ∈ S on a

f −1 (B) ∈ T . (2.3.1)

Remarque 2.27.

1. Notons que la mesurabilité d’une fonction dépend des tribus considérées.


En fait, étant donné une fonction f , on peut toujours associer à l’ensemble
de départ une tribu qui rende f mesurable (voir exercice 2.31). Quand
il y a un risque de confusion, on précise les tribus pour lesquelles la
mesurabilité est considérée.

2. En analyse, nous traiterons souvent des fonctions définies sur Rd , muni


de la tribu borélienne. Toutes les fonctions qu’on manipule usuellement
sont mesurables. La mesurabilité est la règle plutôt que l’exception. Ce
n’est pas le cas en probabilités. La mesurabilité dans ce cas est liée à
la notion d’information.

3. Pour prouver la mesurabilité d’une fonction, il suffit en fait de vérifier


que la condition (2.3.1) est satisfaite pour tout B dans un ensemble

39
qui engendre la tribu S. En particulier quand la fonction est à valeurs
réelles, la mesurabilité est regardée par rapport à la tribu borélienne et
nous avons la proposition suivante.

4. Attention, l’image directe d’un ensemble mesurable par une fonction


mesurable n’est pas forcément mesurable (voir exemple 2.30).

5. En probabilités, les fonctions mesurables sont appelées variables aléatoires.

Proposition 2.28. Soit (X, T ) un espace mesurable. Une fonction f :


X −→ R est mesurable si

∀α ∈ R, f −1 (]α, +∞]) = {x ∈ X, f (x) > α} ∈ T .

Exemple 2.29. Les fonctions continues de R dans R sont mesurables puisque


l’image réciproque de tout ouvert par une application continue est un ouvert,
donc un borélien.

Exemple 2.30. Soit X = {x, y, z} et notons S = σ({x}) = {∅, X, {x} , {y, z}}.
On considère la fonction f : (X, P(X)) → (X, S) définie par f (t) = t, ∀t ∈ X.
La fonction f est bien mesurable mais f ({y}) = {y} ∈ / S.

Exercice 2.31 (Tribu engendrée par une fonction). Soit X un ensemble et


soit f une application de X dans R. On note Tf = {f −1 (B), B ∈ B(R)}.

1. Montrer que Tf est une tribu sur X.

2. Montrer que f est mesurable sur (X, Tf ).

La notion de fonction mesurable est stable par les opérations élémentaires de


l’analyse.

Proposition 2.32. Soit (X, T ) un espace mesurable. Soit f et g deux fonc-


tions mesurables de X à valeurs dans R, et α et β deux réels. Alors les fonc-
tions |f |, f g, max(f, g) et min(f, g) sont mesurables. Il en est de même pour
les fonctions αf + βg et f /g sous réserve que celles-ci soient bien définies.

Exercice 2.33 (Démonstration de la proposition 2.32). Soit f et g deux


fonctions mesurables d’un espace mesurable (X, T ) dans R.

40
1. Montrer que

(max(f, g))−1 (]α, +∞]) = f −1 (]α, +∞]) ∪ g −1 (]α, +∞]).

En déduire que la fonction max(f, g) est mesurable. Montrer de même


que min(f, g) est mesurable.

2. Supposons que f + g est bien définie. Montrer que pour tout α ∈ R


["
(f + g)−1 (]α, +∞]) = f −1 (]q, +∞]) ∩ g −1 (]α − q, +∞]) .

q∈Q

En déduire que la fonction f + g est mesurable.

3. Montrer que pour tout α ∈ R, αf est mesurable. En déduire que la


fonction αf + βg pour α et β réels est mesurable si elle est bien définie
(c’est-à-dire si pour tout x ∈ X, on n’a jamais (αf, βg) = (+∞, −∞)
ou (αf, βg) = (−∞, +∞)).

4. En utilisant les résultats précédents, montrer que f+ = max(f, 0) et


f− = −min(f, 0) sont mesurables ; en déduire que |f | est une fonction
mesurable.

5. Montrer que la fonction f g est mesurable.

6. Montrer que si f ne s’annule jamais, la fonction 1/f est mesurable ;


en déduire que sous la condition que g ne s’annule pas, f /g est aussi
mesurable.
La notion de fonction mesurable a en outre le bon goût d’être stable par
passage à la limite dénombrable.

Proposition 2.34. Soit (X, T ) un espace mesurable. Soit (fn )n∈N une suite
de fonctions mesurables de X dans R. Alors
1. les fonctions f (x) = inf fn (x) et f (x) = sup fn (x) sont mesurables ;
n∈N n∈N

2. les fonctions l(x) = lim inf fn (x) et l(x) = lim sup fn (x) sont mesurables ;
n∈N n∈N

3. si la suite de fonctions (fn )n∈N converge simplement vers une fonction


f , alors f est mesurable.

41
On rappelle qu’on dit que (fn )n∈N converge simplement vers f si ∀x ∈ X,
fn (x) −→ f (x).
n→+∞

Preuve.

1. Pour prouver la mesurabilité de f , il suffit de remarquer que


−1 [
f (]α, +∞]) = fn−1 (]α, +∞]) ∈ T
n∈N

(une union dénombrable d’ensembles mesurables est mesurable). Ce


résultat permet de conclure aussi à la mesurabilité de f puisque f = − sup(−fn (x)).
n∈N

2. Il résulte de ce qui précède que les fonctions


 
l(x) = lim inf fn (x) = sup inf fn (x)
n∈N N ∈N n≥N

et  
l(x) = lim sup fn (x) = inf sup fn (x)
n∈N N ∈N n≥N

sont aussi mesurables.

3. Soit (fn )n∈N une suite de fonctions qui converge simplement vers une
fonction f . On a alors

f (x) = lim inf fn (x) = lim sup fn (x) ;


n∈N n∈N

la fonction f est donc mesurable de par le point 2.

Exemple 2.35. Voici quelques exemples de fonctions mesurables. Soit (X, T )


un espace mesurable.

1. Les fonctions caractéristiques d’ensembles mesurables. Soit en effet


A ∈ T et 1A sa fonction caractéristique (on dit encore indicatrice)
définie par 
1 si x ∈ A,
1A (x) =
0 si x ∈
/ A.

42
On a 
 ∅ si α ≥ 1,
−1
1A (]α, +∞]) = A si 0 ≤ α < 1,
X si α < 0.

Comme les ensembles ∅, A et X appartiennent à la tribu T , la fonction


1A est mesurable.

2. Les fonctions étagées, qui sont par définition les combinaisons linéaires
finies de fonctions caractéristiques d’ensembles mesurables. Une fonc-
tion étagée e peut donc s’écrire sous la forme
N
X
e(x) = αi 1Ai (x)
i=1

où les fonctions 1Ai sont mesurables en vertu du point 1 ci-dessus. Il


résulte de la proposition 2.32 que la fonction étagée e est bien mesurable.

3. Les limites simples de fonctions étagées sont donc aussi mesurables;


ceci découle de la proposition 2.34.

Nous venons en fait d’exhiber toutes les fonctions mesurables, comme le


prouve le théorème suivant.

Théorème 2.36. Toute fonction mesurable est limite simple d’une suite de
fonctions étagées. En outre

1. si f est bornée, la convergence est uniforme;

2. si f est positive, la suite en peut être choisie croissante et composée de


fonctions positives.

Preuve. Supposons pour commencer que f est positive. Pour tout n ∈ N et


tout entier 1 ≤ k ≤ 22n , on pose
 
n −1 k−1 k
Ak = f , .
2n 2n

On pose également
An∞ = f −1 ([2n , +∞]) .

43
Ces ensembles étant mesurables,
22n
X k−1
en (x) = 1Ank (x) + 2n 1An∞ (x)
k=1
2n

définit une fonction étagée positive sur l’espace mesurable (X, T ). On vérifie
facilement que
• la suite de fonctions étagées positives (en )n∈N est croissante ;
• pour tout x ∈ X,
( 1
0 ≤ f (x) − en (x) ≤ n si f (x) < 2n ,
2
en (x) = 2n si f (x) ≥ 2n .

Il est donc clair que la suite (en )n∈N converge simplement vers f , et uni-
formément sur X si f est bornée.
Si f n’est pas positive, on construit comme précédemment deux suites crois-
santes (e+ −
n )n∈N et (en )n∈N de fonctions étagées positives qui convergent sim-
plement vers f+ = max(f, 0) et f− = −min(f, 0) respectivement. La suite
de fonctions étagées (en )n∈N définie par ∀n ∈ N, en = e+ −
n − en converge
simplement vers f .

2.4 Mesures produits


Définition 2.37 (Tribu produit). Soient (X1 , T1 ) et (X2 , T2 ) deux espaces
mesurables. On appelle tribu produit et l’on note T1 ⊗ T2 la tribu engendrée
par les ensembles produits {A1 × A2 A1 ∈ T1 , A2 ∈ T2 }:

T1 ⊗ T2 = σ({A1 × A2 , A1 ∈ T1 , A2 ∈ T2 }).

De la même façon, il est possible de définir une mesure produit sur un produit
d’espaces mesurés.
Théorème 2.38 (Mesure produit). Soient (X1 , T1 , µ1 ) et (X2 , T2 , µ2 ) deux
espaces mesurés σ-finis. Alors, il existe une unique mesure µ1 ⊗ µ2 sur (X1 ×
X2 , T1 ⊗ T2 ) telle que pour tout A1 ∈ T1 et A2 ∈ T2 ,

µ1 ⊗ µ2 (A1 × A2 ) = µ1 (A1 )µ2 (A2 ).

44
Cette mesure est elle aussi σ-finie et elle est appelée mesure produit de µ1 et
µ2 .
Théorème 2.39 (Tribu et mesure produits sur Rd ). On a

B(Rp+q ) = B(Rp ) ⊗ B(Rq ).

De plus, si on note λr la mesure de Lebesgue sur Rr pour tout r ∈ N∗ , alors

λp+q = λp ⊗ λq .

2.5 Exercices supplémentaires


Exercice 2.40 (Tribu engendrée par les singletons). Soit X un ensemble
infini et S = {{x} , x ∈ X}. On note P(X) l’ensemble des parties de X et
σ(S) la tribu engendrée par S.
1. Supposons que X est dénombrable. Montrer que σ(S) = P(X).

2. Supposons que X est non dénombrable. On note A l’ensemble des


parties de X au plus dénombrables et B = {Ac , A ∈ A}. Montrer que
σ(S) = A ∪ B.

3. Dans cette question, on prend X = R. Soit f la fonction de (R, σ(S))


dans (R, B(R)) définie par f (x) = x pour tout x ∈ R. Montrer que f
n’est pas mesurable.

Exercice 2.41 (Mesure atomique, mesure diffuse, mesure σ-finie). Soit (X, T )
un espace mesurable tel que {x} ∈ T pour tout x ∈ X.

• Une mesure µ sur T est diffuse si µ ({x}) = 0 pour tout x ∈ X.

• Une mesure µ sur T est purement atomique s’il existe S ∈ T


tel que µ(S c ) = 0 et µ ({x}) > 0 si x ∈ S.

1. Montrer que la mesure de Dirac (cf. exemple 2.12) est une mesure
purement atomique. Montrer que la mesure de Lebesgue sur R est
diffuse.

45

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