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Jordi Quoidbach
Ilios Kotsou
Delphine Nélis
Les compétences
émotionnelles
Maquette de couverture :
Le Petit Atelier
ISBN 978-2-10-081287-5
À Cécile
À Cornélie
À Caroline
Moïra MIKOLAJCZAK
référence à ce sujet.
Avec la collaboration de :
Jordi QUOIDBACH
Ilios KOTSOU
Delphine NÉLIS
REMERCIEMENTS XVII
AVANT-PROPOS XIX
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
11
Introduction 13
2.1
14
2.2
15
4.1
4.2
18
4.3
21
4.4
23
26
5.1.1 L’amygdale 26
5.2
Les substrats neuro-endocriniens
31
Conclusion 34
CHAPITRE 3
37
1.1
39
1.2
40
1.3
2.1
Les prérequis
42
2.2
48
biologiques 53
à l’action
55
Conclusion 57
CHAPITRE 4
(Delphine Nélis)
59
verbale 63
non verbale 65
XI
3.1
66
3.2
Les différents signaux non verbaux
67
67
3.2.2 Le regard
77
80
81
3.2.5 Le paralangage
82
3.2.6 La distance
85
Conclusion
87
CHAPITRE 5
89
1
91
1.1
91
1.2
92
92
des émotions
97
1.3
des émotions
98
1.4
et la non-expression
99
1.5
100
1.6
101
101
101
104
108
2.1
L’importance de l’écoute des émotions
108
2.2
109
109
l’évaluation
110
110
111
111
112
XII
Conclusion 114
CHAPITRE 6
115
1.1
117
1.2
118
1.3
120
1.4
En résumé
122
2
La dimension pratique du travail sur les besoins 125
2.1
125
2.2
126
2.3
127
2.4
130
Conclusion 132
CHAPITRE 7
(Moïra Mikolajczak)
133
1
Émotions fonctionnelles et dysfonctionnelles 136
4.1
141
4.2
141
4.3
142
4.4
La santé physique
143
4.5
La gestion des ressources matérielles
144
5.1
146
5.2
146
Conclusion 150
XIII
CHAPITRE 8
153
1.1
La régulation a priori
156
1.2
La régulation a posteriori
163
1.3
En résumé
183
2
2.1
184
2.2
185
Conclusion 190
CHAPITRE 9
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS POSITIVES
(Jordi Quoidbach)
193
1.1
195
1.2
199
2.1
202
XIV
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
2.2
2.3
218
Conclusion 219
CHAPITRE 10
et Jordi Quoidbach)
221
1.1
La perception et l’attention
224
1.2
La pensée divergente-convergente
225
1.3
Le jugement
226
1.4
228
1.5
230
1.6
1.7
La mémoire
231
1.8
232
3.1
235
3.2
235
Conclusion 236
CHAPITRE 11
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DES COMPÉTENCES
239
1.1
et ligne de base
242
1.2
244
XV
2.1
249
2.2
250
2.3
253
2.4
la méthode « PEACE »
254
2.5
256
Conclusion 258
CHAPITRE 12
259
BIBLIOGRAPHIE 267
305
307
REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
Après avoir été longtemps considérées comme des phénomènes perturbant
l’exercice de la raison, les émotions ont finalement acquis leurs lettres de
noblesse. Les recherches menées à la fin du XXe siècle ont en effet mis en
évidence que les émotions remplissent un ensemble de fonctions
indispensables à l’adaptation de l’être humain à son environnement. Les
émotions facilitent ainsi la détection du danger (ex. Öhman, 2001), préparent
l’organisme à faire face à une série de situations (ex. Frijda, 1986),
accélèrent et orientent les processus de prise de décision (ex. Bechara et
Damasio, 2005), guident les interactions sociales (ex. Keltner et Kring,
1998) et améliorent la mémoire des événements importants (ex. Luminet et
Curci, 2009 ; Phelps, 2006).
Comment concilier dès lors les recherches qui montrent que les émotions
sont fondamentalement adaptatives (ex. Damasio, 1994 ; Oakley et Johnson-
Laird, 1987) avec celles qui suggèrent que les émotions sont au cœur de
nombreux problèmes et désordres psychologiques (ex. Philippot, 2007 ;
Power et Dalgleish, 1997) ? La notion de compétence émotionnelle
réconcilie précisément ces points de vue. Ce qui détermine l’adaptation, ce
ne sont pas tant les émotions, mais ce que l’individu en fait (ou n’en fait
pas). Les individus capables d’identifier leurs émotions, d’en extraire la
valeur informative, de les réguler si elles sont inadaptées au contexte ( i.e.
ayant des compétences émotionnelles élevées) optimiseront leur adaptation à
l’environnement tandis que les autres l’hypothéqueront.
XX
Nous avons ainsi fait l’impasse sur les substrats neurobiologiques des
compétences émotionnelles, ne présentant que les notions de base
nécessaires à la compréhension de notre propos. Le lecteur désireux
d’approfondir le volet neurobiologique pourra consulter, par exemple,
l’ouvrage de Belzung (2007). De même, nous avons privilégié une
présentation générale des compétences émotionnelles, sans évoquer les
spécificités liées aux pathologies particulières. La grande majorité des
désordres psychologiques sont associés à un déficit des compétences
émotionnelles. Toutefois, leur remé-
Chapitre 1
LES COMPÉTENCES
ÉMOTIONNELLES :
HISTORIQUE ET
CONCEPTUALISATION1
compétences émotionnelles
» (aussi appelées
Xavier est marié depuis quinze ans et a deux enfants. Il a une belle situation,
une belle voiture et une belle maison. Certains diraient de lui qu’il a « tout
pour être heureux ». Néanmoins, depuis quelque temps, sa vie familiale
tourne au désastre.
Elle se sent dépassée par sa charge de travail, et reporte son stress sur son
fiancé, qui ne sait plus comment réagir. Leur relation se détériore de jour en
jour alors que Marc est la personne à qui Marie tient le plus. Tout serait si
simple si Marie arrivait à gérer son stress et à faire la paix avec son passé…
☞
Vincent a trente-cinq ans, il est physiquement très séduisant et, à défaut de le
qualifier de génie, son QI est sans conteste au-dessus de la moyenne. Il est
issu de la classe moyenne, ses parents sont professeurs et ses quatre frères et
sœurs ont une vie stable, sans problème particulier. Vincent a le don pour
séduire les femmes et, en ce sens, on pourrait dire que lui aussi « a tout pour
être heureux »… Seulement voilà, Vincent est accro à l’alcool et à la cocaïne
et il est seul car ses amis se sont éloignés de lui. Il fait actuellement face à
deux procès pour violence, vient de perdre son travail et n’a plus de voiture
suite à un énième accident où il est en tort… La vie de Vincent a toujours été
chaotique. Tout petit déjà, il accumulait les renvois, changeait d’école
chaque année et ne cessait de se chamailler avec ses frères et sœurs.
L’objectif de cet ouvrage est de fournir aux lecteurs une synthèse des
connaissances disponibles à ce jour sur les compétences émotionnelles.
tences émotionnelles. Nous découvrirons, d’une part, les processus qui sous-
tendent chaque compétence et, d’autre part, en quoi celles-ci sont
essentielles au bon fonctionnement de l’individu. À l’issue de la lecture, le
lecteur disposera donc d’un ensemble de connaissances théoriques sur les
compétences émotionnelles mais, également, d’une base pratique pour les
développer.
1 HISTORIQUE DE LA NOTION
DE « COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES »
HISTORIQUE ET CONCEPTUALISATION
raison, de processus évolués et de haut niveau, tandis que les émotions sont
volontiers associées à l’idée de passion, d’irrationalité et considé-
Selon lui, l’intelligence émotionnelle est aussi, si pas même deux fois, plus
importante que le QI dans la prédiction du succès professionnel et personnel
(Goleman, 1998, p. 34) ; en outre elle peut être apprise. Il n’en fallait pas
plus pour susciter l’enthousiasme. Comme le soulignent certains,
l’intelligence émotionnelle est un concept rassurant à bien des égards car elle
confirme ce que beaucoup pensent tout bas : la réussite est loin de dépendre
uniquement des capacités intellectuelles.
HISTORIQUE ET CONCEPTUALISATION
7
tences (voir tableau 1.1) semblent former le cœur autour duquel s’articulent
ou duquel découlent toutes les autres.
Tableau 1.1
émotions
les émotions d’autrui
Compréhension
d’autrui
Expression
socialement acceptable
Régulation
stress et leurs émotions (lorsque cel- émotions et le stress d’autrui les-ci sont
inadaptées au contexte)
Utilisation
des actions)
des actions)
Le troisième niveau est celui des dispositions (ou traits). Ce niveau réfère à
la propension de l’individu à se comporter de telle ou telle manière dans les
situations émotionnelles en général. Par exemple, l’individu a-t-il tendance à
réévaluer positivement les situations négatives ? Utilise-t-il régulièrement
cette stratégie ?
Ces trois niveaux de compétence interagissent entre eux mais ne sont que
modérément corrélés. Ainsi, les connaissances ne se traduisent pas toujours
en habilités, lesquelles ne sont pas toujours utilisées au quotidien. On peut
très bien savoir que la meilleure stratégie pour diminuer son stress avant un
examen est de réévaluer la situation positivement, et être pourtant totalement
incapable de réévaluer positivement sa propre session. De même, on peut
être capable de réévaluer positivement une situation si quelqu’un (ex. un
ami, un psy, un coach) nous le demande, et pourtant ne pas penser spontané-
L’utilité de distinguer ces trois niveaux n’est pas que théorique. Un tel
modèle a au moins deux grandes implications pratiques. La première
concerne le diagnostic. Les praticiens (recruteurs, coaches, formateurs ou
thérapeutes) confrontés à un individu ayant un déficit au niveau des compé-
HISTORIQUE ET CONCEPTUALISATION
Traits = dispositions
(Propension à se
comporter de telle ou
émotionnelle)
Habiletés
(Habileté à appliquer
ses connaissances en
situation émotionnelle et
à implémenter une
stratégie donnée)
Connaissances
(Complexité et étendue
du réseau conceptuel
émotionnel)
Figure 1.1
À présent que nous avons défini ce que l’on entend par compétences
émotionnelles et que nous avons exposé les implications pratiques d’une
telle définition, nous allons nous arrêter un instant sur la notion d’émotion.
Chapitre 2
LES ÉMOTIONS1
1 INTRODUCTION
14
expression de peur,
Afin de les illustrer, prenons l’exemple d’une frayeur survenant à la vue d’un
chien se précipitant sur nous.
LES ÉMOTIONS
15
Ces cinq composantes vont souvent de pair, mais pas toujours (voir encart
ci-dessous).
lation n’est toutefois pas parfaite car l’être humain a la possibilité d’agir sur
certaines composantes, comme par exemple la gestuelle ou l’expression
faciale.
On peut être très triste ou en colère, et masquer cette émotion aux yeux
d’autrui si le contexte n’invite pas à l’expression émotionnelle.
Selon Luminet (2002), les émotions sont des états relativement brefs (de
quelques secondes à quelques minutes) provoqués par un stimulus ou par
une situation spécifique (ex. je suis heureuse parce je vais me marier).
16
L’ affect est un terme plus général reprenant à la fois les émotions et les
humeurs.
« négatif ». Ces individus sont plus réactifs aux aspects aversifs des
situations et tendent à éprouver beaucoup plus d’affects négatifs que positifs.
Sur cette toile de fond négative, l’individu pourrait, à la suite d’une injustice
majeure dont il ne se remettrait pas immédiatement, être d’humeur colérique.
Sans être manifestement en colère, cette humeur diffuse va le rendre plus
réactif aux situations potentiellement génératrices de colère.
L’inverse est vrai également, mais dans une moindre mesure. Il faudra que
les émotions incongruentes1 avec l’état d’humeur soient plus intenses pour
avoir un impact en retour sur celui-ci.
Les premières situations ont trait à l’atteinte des buts. Il s’agit de l’ensemble
des situations pertinentes en regard des objectifs de l’individu. Les émotions
négatives apparaissent dans les situations qui menacent l’atteinte des buts.
La fonction des émotions positives n’est pas totalement établie, mais il
semblerait que la plupart d’entre elles apparaissent dans des situations où
l’individu réalise ses objectifs. Comme le souligne Gross (2007), 1. Une
émotion incongruente avec l’état d’humeur est une émotion qui n’a pas la
même valence que celui-ci (ex. émotion positive survenant sur une humeur
négative, émotion négative survenant sur une humeur positive).
LES ÉMOTIONS
17
ces objectifs peuvent être durables et essentiels à l’image de soi (ex. vouloir
être une bonne mère) ou transitoires et secondaires (ex. vouloir manger des
pâtes à la bolognaise ce soir). Ces objectifs peuvent être conscients et
complexes (ex. vouloir grimper les échelons dans son entreprise) ou
inconscients et simples (ex. vouloir retirer sa main d’une taque chaude). Ils
peuvent être largement partagés et compris au sein d’une même culture (ex.
vouloir réussir à l’école) ou particuliers et quelque peu mystérieux aux yeux
des autres (ex. vouloir acheter un tournevis de collection). Quels que soient
l’objectif et la situation, c’est leur signification pour l’individu qui donne
lieu à l’émotion. Si la personne, la situation, ou ce que cette situation signifie
pour la personne change, l’émotion changera également (ou disparaîtra).
Ces croyances sont implicites. Elles sont là pour nous permettre de donner à
la réalité un semblant de cohérence et de survivre sans sombrer dans la folie.
18
après avoir pris sa retraite alors qu’il n’avait jamais fumé, nous aurons une
émotion parce que cette histoire contredit la croyance selon laquelle le
monde est juste et que chacun y reçoit ce qu’il mérite. Finalement, si l’on
nous dit qu’en regard de l’humanité, ce n’est pas très grave si nous mourons
demain, nous aurons une émotion car cela contredit la croyance selon
laquelle nous sommes meilleur(e) et donc plus utile à la planète que la
majorité des gens.
En dépit des conceptions des stoïciens grecs, il semble peu probable que les
émotions soient une aberration de la nature (Matthews et al. , 2002). En
réalité et comme nous allons le voir ci-après, les émotions sont cruciales et
indispensables à notre survie et à notre adaptation.
Lorsque nous avons défini l’émotion, nous avons vu que l’une de ses cinq
composantes était la « tendance à l’action ». Le propre d’une émotion est
ainsi de faciliter certains comportements, tout en en inhibant d’autres (Frijda,
1986).
LES ÉMOTIONS
19
Tableau 2.1
Stimulus
Émotion
Comportement
Corrélat biologique
adaptative
déclencheur
de décider de la réaction
Peur
Protection
Menace
S’enfuir
appropriée. Simultané-
l’organisme à la fuite.
Obstacle,
Mordre,
Colère
Destruction
injustice
frapper
reusement.
Échec, perte
Pleurer,
Réinsertion/
d’une per-
Tristesse
appeler à
réflexion
sonne aimée
l’aide
ou d’un objet
séquences de la perte et de
Le dégoût s’accompagne
Objet/subs-
Vomir,
fréquemment de nausées,
tance
Dégoût
Rejet
immonde/per-
rejeter du
sonne nuisible
groupe
substances toxiques.
1. Les émotions de base sont les émotions que l’on retrouverait dans toutes
les cultures et qui auraient un pattern d’expression faciale et physiologique
relativement spécifique et distinctif.
20
La surprise provoque un
Objet nou-
S’arrêter,
Surprise
Orientation
veau, soudain
alerter
poser de davantage
ment inattendu.
La joie s’accompagne
accroissement de l’énergie
Atteinte d’un
Sauter de
Joie
Exploration
disponible. L’individu se
objectif
joie, explorer
s’assigne.
L’amour s’accompagne
Amour,
Affiliation,
Présence d’un
Partager,
tendresse reproduction
être cher
prendre soin
propices à la confiance en
l’autre et à la coopération.
Ensuite, s’il est vrai que l’émotion facilite certains comportements, il s’agit
bien de tendances à l’action, pas de prescriptions. Il est donc important de ne
pas confondre émotion et instinct. L’émotion crée une tendance en faveur
d’un certain type de comportement, l’instinct impose un certain type de
comportement. Au contraire de l’instinct, l’émotion permet une
accommodation particulièrement flexible à l’environnement, et ce via un
découplage du stimulus et du comportement1. Nous verrons plus loin que
c’est précisément ici que les différences individuelles prendront tout leur
sens. Ainsi, là où tel individu en colère se laissera emporter par les tendances
de réponse qui lui sont associées (frapper, détruire) et cognera sur son
adversaire, tel autre utilisera le temps de latence que la nature lui a imparti
afin de 1. Le cortex préfrontal (centre de la réflexion et du contrôle) a la
possibilité de modérer la projection amygdale (centre des émotions) – cortex
moteur (contrôle des réponses motrices).
LES ÉMOTIONS
21
Les études de Damasio (pour une synthèse, voir Damasio, 1994) sur les
patients présentant une lésion cérébrale au niveau des circuits neuronaux de
l’émotion1 montrent que les émotions sont indispensables aux processus de
décision. C’est l’accident tragique d’un certain Phineas Gage qui a permis de
mettre en évidence l’importance des émotions dans la prise de décision.
Nous avons dit « à première vue » parce qu’en dépit de son excellent
rétablissement physique général, Gage n’est plus le même. Il se ruine et perd
sa famille, ses amis et son travail. Malgré son intelligence, Gage est devenu
incapable de gérer son argent, de maintenir des relations sociales de qualité
et de conserver un emploi stable. Il décède le 21 mai 1861 (13 ans après
l’accident) des suites d’une crise d’épilepsie.
1. Ces lésions concernaient le cortex préfrontal ventro-médian, l’amygdale,
ou encore le cortex insulaire/somato-sensoriel.
22
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
Figure 2.1
LES ÉMOTIONS
23
Comment expliquer cet apparent paradoxe ? Aussi curieux que cela puisse
paraître, la réponse est à rechercher du côté des émotions. Le centre nerveux
des émotions ayant été touché chez ces patients, ceux-ci sont incapables de
traiter l’information émotionnelle et ne génèrent donc quasiment plus de
réponse physiologique en situation émotionnelle. Chez un individu
« normal », toute situation de choix constitue une situation émotionnelle,
surtout si l’une des options est risquée. Une option risquée déclenche donc
une réponse physiologique plus marquée (augmentation du rythme
cardiaque, mains moites, etc.) qu’une option sûre. Cette différence
d’activation physiologique peut être très marquée (ex. si l’on hésitait entre
sauter d’un pont et rester sur le bord) ou extrêmement légère et non
perceptible consciemment par l’individu (ex. si l’on hésite entre aller au
cinéma ou faire une ballade). La réponse physiologique représente un
indicateur du niveau de risque associé à chaque option. Ces réponses
physiologiques constituent donc un système automatique (il n’est pas
indispensable d’en être conscient pour qu’elles soient efficaces) permettant
d’accélérer le processus de choix (nous ne devons pas peser le pour et le
contre de chaque option pendant des heures) et de faire pencher la balance
en faveur des options biologiquement avantageuses.
24
conçu pour traiter un problème adaptatif particulier (ex. vigilance face aux
prédateurs, mise en sommeil, etc.). Pour ces auteurs, l’existence de ces
micro-programmes crée toutefois un problème adaptatif plus large dans
certaines circonstances : s’ils sont simultanément activés, ils peuvent
délivrer des ordres contradictoires. Prenons l’exemple de notre ancêtre
montant la garde durant la nuit devant sa grotte. Les programmes qui
président à l’endormissement (c’est la nuit) sont en conflit avec ceux
qu’appelle la vigilance par rapport aux prédateurs (il doit monter la garde).
Afin d’éviter ce type de problème adaptatif, l’humain doit être équipé de
programmes d’ordre supérieur qui coordonnent les sous-programmes (en
activent certains, et en désactivent d’autres) en fonction des demandes de
l’environnement. Selon Cosmides et Tooby (2000), les émotions constituent
de tels programmes. Ainsi, la peur que génère l’idée d’un possible prédateur
crée une priorité biologique : elle accélère le rythme cardiaque, empêchant
ainsi la mise en sommeil (on remarque tous qu’il est difficile de dormir si le
cœur bat la chamade parce que l’on a peur). La peur possède donc une
fonction adaptative : il eût en effet été désastreux pour nos ancêtres que les
signaux proprioceptifs activent la mise en sommeil alors qu’au même
moment, la vue d’un lion aurait exigé la mise en œuvre du programme de
fuite. Les émotions représentent donc une réponse fonctionnelle au problème
adaptatif posé par l’ orchestration des programmes d’ordre inférieur. Les
émotions orchestrent ainsi les réponses des différents systèmes (cognitif,
physiologique, etc.) afin que l’organisme puisse répondre de manière
optimale lors de la confrontation à certaines situations.
LES ÉMOTIONS
25
Vous vous souviendrez soudain du numéro de votre voisine que vous croyiez
avoir oublié, et vous vous rappellerez en un éclair de tous les endroits de
votre maison qui pourraient potentiellement servir de cachette.
DE L’ÉMOTION
5.1.1
L’amygdale
Ainsi, l’amygdale s’active chaque fois que l’être humain est confronté à un
stimulus potentiellement pertinent, qu’il soit aversif ou hédonique. Plus le
stimulus est pertinent (en d’autres termes, plus l’individu doit y faire atten-
Livre9782100532810.book Page 27 Mardi, 8. septembre 2009 4:24 16
LES ÉMOTIONS
27
Figure 2.2
2. Ex. biais attentionnel dans la détection d’un autre danger potentiel, tel un
complice ; remémora-tion rapide des informations utiles dans la situation,
etc.
28
L’amygdale est en effet en relation avec les différentes structures qui sont
responsables de l’augmentation des réflexes, des expressions faciales, de
l’activation du système sympathique (aboutissant à l’augmentation du
rythme cardiaque) et hypothalamo-hypophyso-surrénalien (aboutissant à
l’augmentation des réserves de glucose de l’organisme et sa distribution
privilégiée au cerveau et aux muscles). Nous reviendrons en détail plus loin
sur ces deux derniers systèmes.
d’activer l’amygdale.
Cortex sensoriel
Voie longue
Thalamus sensoriel
Amygdale
Voie courte
Stimulus potentiellement
Réponse émotionnelle
dangereux
Figure 2.3
29
dessus). Nous allons donc détecter plus rapidement les autres stimuli
menaçants, notre cœur va battre la chamade, et nous allons nous apprê-
Blagueurs, attention…
5.1.2
Le cortex préfrontal
Le cortex préfrontal est situé, comme son nom l’indique, derrière le front.
30
5.1.3
Le noyau accumbens
Des chercheurs (Olds et Milner, 1954) ont montré que si l’on stimulait le
nucleus accumbens chez un rat à chaque fois que ce dernier pressait un
levier, il ne s’arrêtait plus de le presser, pas même pour boire ou manger. Les
rats de cette expérience sont ainsi morts de faim et de soif, tout en étant
paradoxalement au comble de l’extase ! Sachant que des drogues telles que
la cocaïne ou les amphétamines sont de puissants stimulateurs du nucleus
accumbens, on comprend sans peine la puissance des addictions à ces
substances, ainsi que le fait que certains individus dépendants préfèrent
consacrer le peu d’argent qu’il leur reste à leur dose plutôt qu’à manger.
LES ÉMOTIONS
31
Le système (ortho)sympathique
1. Il est à noter que le rôle de la chair de poule n’est pas totalement compris
aujourd’hui. Certains prétendent qu’il s’agirait d’un mécanisme archaïque
permettant aux mammifères (et donc à l’être humain) d’apparaître plus large
face aux prédateurs. C’est ce qui expliquerait pourquoi on a la chair de poule
lorsqu’on a peur. Ce mécanisme n’est toutefois plus utile aux être humains,
qui ont perdu l’essentiel de leur pilosité au cours de l’évolution.
32
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
froid) ou psychologiques
(ex. examens)
Stimuli biologiques
Stress perçu
Système
nerveux
central
Hypothalamus
Stimulation du système
Libère la corticolibérine
nerveux périphérique
(CRH Cortico-Releasing
sympathique
Hormone)
L'hypophyse libère
l'ACTH (hormone
adrénocorticotrope) et
de la STH (hormone
somatotrope)
catécholamines
corticoïdes (gluco-
(adrénaline,
corticoïdes) [cortisol et
noradrénaline,…)
cortisone] et minérallo-
corticoïdes [aldostérone
et corticostérones]
– accélération du
– augmentation de
rythme cardiaque
– baisse de l'immunité
vaisseaux sanguins
– pilo-érection
– ralentissement de la
– dilatation des
bronches
– diminution de la
systèmes
motilité du gros
intestin
Figure 2.4
LES ÉMOTIONS
33
5.2.2
L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
1. « Combat » ou « fuite ».
34
sang sera ainsi plus sucré, ce qui permettra d’augmenter l’apport énergétique
aux tissus. Ensuite, le cortisol va mettre un ensemble de systèmes au repos,
afin de s’assurer que le sang (et donc l’énergie) soit distribué en priorité là
où l’individu en a le plus besoin : le cerveau (pour réfléchir tactiquement où
frapper et/ou où fuir) et les muscles (pour frapper ou courir). Parmi les systè-
Nous n’avons pas exposé l’ensemble des effets du cortisol mais cette brève
présentation laisse pressentir combien ces effets, tellement adaptatifs à court
terme, peuvent devenir nocifs si le stresseur se prolonge ou si le stress est
mal régulé (Selye, 1978). Parmi ces conséquences délétères, on retrouve,
entre autres, une altération de la glycémie (facteur d’aggravation du diabète),
des troubles gastro-intestinaux (ex. syndrome du colon irritable), une plus
grande sensibilité aux virus (en raison de la baisse d’immunité), et des
troubles sexuels – baisse du désir – (voir Thurin et Baumann, 2003 pour une
revue).
6 CONCLUSION
Dans ce chapitre, nous avons montré que les émotions étaient loin d’être
dysfonctionnelles et qu’elles avaient même une valeur adaptative. Nous
avons ainsi vu qu’elles constituaient une source d’information précieuse,
qu’elles facilitaient l’action en fournissant un guide de comportement,
qu’elles assistaient la prise de décision, et qu’elles nous permettaient d’agir
vite et bien dans toute une série de situations. Nous avons vu également que
les émotions nous permettaient de réagir face au danger avant même que
nous ayons consciemment perçu et analysé la nature de celui-ci.
Dans la seconde partie du chapitre, nous avons abordé la manière dont les
émotions sont représentées dans le cerveau. Nous avons ainsi expliqué le
rôle de l’amygdale, du nucleus accumbens (deux structures centrales dans la
génération des émotions négatives et positives) et du cortex préfrontal (struc-
LES ÉMOTIONS
35
Chapitre 3
L’IDENTIFICATION
DES ÉMOTIONS1
1 L’IMPORTANCE DE L’IDENTIFICATION
DE SES ÉMOTIONS
Claire, 35 ans
40
Il est difficile pour l’alexithymique de mettre des mots sur ce qu’il éprouve,
d’identifier et de distinguer les états émotionnels dans lesquels il se trouve.
Son vocabulaire émotionnel est plutôt limité. Quand il doit décrire son état
émotionnel, il donnera plutôt une impression générale de bien-être ou de
mal-être.
41
2.1.1
Le fait d’être ouvert à ses émotions, tant positives que négatives, est donc
une prémisse indispensable à tout processus d’identification. Le fait d’être
ouvert à ses émotions n’implique pas forcément de laisser perdurer une
émotion dysfonctionnelle. Être ouvert à ses émotions signifie simplement
accepter leur existence et en extraire la valeur informative avant de décider
de les utiliser ou de les réguler.
43
2. Tentative
1. Émotion
de suppression/
perçue comme
d'évitement
intolérable ou
ou de refoulement
inacceptable
3. Difficulté
de régulation
et amplification
de l'émotion
Figure 3.1
Nous l’avons vu dans cette section, l’ouverture aux émotions est la première
étape nécessaire à leur identification. Il s’agit toutefois d’une condition
nécessaire mais non suffisante. Certaines personnes peuvent être ouvertes à
leurs émotions et éprouver des difficultés par ailleurs. Disposer d’un
vocabulaire émotionnel suffisamment étendu – afin de pouvoir discriminer
finement entre les différentes émotions que l’on éprouve – est une autre
condition indispensable. Nous aborderons ce point ci-dessous.
44
2.1.2
La richesse du vocabulaire émotionnel
ment partagés pour désigner telle ou telle émotion ; ce qui compte, c’est que
l’individu ait à sa disposition un nombre suffisant de signifiants pour
désigner l’ensemble des nuances de sa vie affective. S’il ne dispose que de
quatre termes pour désigner ses émotions (ex. joie-tristesse-honte-colère), il
ne pourra identifier et distinguer que ces quatre émotions. En revanche, s’il
dispose d’un vocabulaire émotionnel riche et complexe, il sera en mesure de
discriminer finement entre une multitude d’états émotionnels distincts.
Dans cette section, nous présenterons le travail des principaux auteurs ayant
cherché à représenter et à nommer le nuancier émotionnel des êtres humains.
Si les nuanciers de Plutchik (1980) et de Feldman-Barrett et Russell (1998)
apparaîtront élémentaires aux lecteurs qui identifient facilement leurs
émotions, il faut garder à l’esprit qu’il n’en va pas de même pour les
personnes sévèrement alexithymiques. Ces dernières ont en effet de grandes
difficultés à discriminer entre différentes émotions de même valence (ex.
faire la distinction entre la colère, la peur ou la tristesse).
Tableau 3.1
Panksepp
Izard (1977)
Ekman (1992)
(1989)
Colère
Colère
Colère
Colère
Colère
Détresse
Dégoût
Dégoût
Peur
Dégoût
Joie
Joie
Joie
Attente
Joie ☞
45
☞ Peur
Peur
Peur
Panique
Peur
Surprise
Surprise
Surprise
Surprise
Tristesse
Tristesse
Mépris
Tristesse
Mépris
Acceptation
Honte
Honte
Anticipation
Intérêt
Intérêt
Détresse
Culpabilité
Amour
Comme nous venons de le voir, les émotions primaires sont peu nombreuses.
L’ensemble des autres émotions que nous ressentons sont appelées émotions
secondaires ou émotions complexes. Elles ne sont pas universelles et
résulteraient de la combinaison d’émotions primaires.
Comment identifier une émotion de base ? Ekman propose neuf critères afin
de détecter une émotion de base (Ekman, 1992 a) :
tent des intensités différentes d’une même émotion. Par exemple, l’irritation
(intensité faible), la colère (intensité moyenne) et la rage (intensité élevée).
Chaque émotion primaire peut être vue au milieu d’un continuum avec, aux
extrémités de ce dernier, la même émotion variant en intensité. Les émotions
secondaires résulteraient d’une combinaison d’émotions primaires. Par
optimisme
sérénité
amour
intérêt
acceptation
joie
agression
anticipation
confiance
extase
soumission
vigilance
admiration
irritation,
rage,
colère
stu terreur
peur
appréhension
agacement
fureur
péfaction
crainte, effroi
répugnance
détresse,
mépris
dégoût
chagrin
surprise
tristesse
distraction
ennui
déce
ption
remords
souci
Figure 3.2
Une autre approche consiste à considérer les émotions comme un point dans
un espace bidimensionnel (voir figure 3.3) (Feldman-Barrett et Russell, 1998
; Posner, Russell et Peterson, 2005). En général, deux axes suffisent à
représenter un grand nombre d’états émotionnels. Un premier axe est celui
de la valence. Elle désigne le degré selon lequel l’émotion est jugée plaisante
ou déplaisante (agréable/désagréable ; positive/négative). Le deuxième axe
correspond à l’activation physiologique1. Ce dernier se rapporte au niveau
de vigilance ou d’activation produit par l’émotion, c’est-à-dire le niveau de
sensations suscité par l’émotion. Ces dimensions sont indépendantes.
Par exemple, la joie se caractérise par une activation et une valence élevées.
Le stress est représenté par une valence négative et une activation plutôt
élevée. L’approche dimensionnelle permet de représenter facilement des
émotions nuancées mais également des transitions entre différents états
émotionnels.
1. Arousal en anglais.
47
ACTIVATION
tendu
alerte
nerveux
excité
stressé
joyeux
contrarié
heureux
DÉPLAISANT
PLAISANT
triste
content
déprimé
serein
ennuyé
détendu
épuisé
calme
DÉSACTIVATION
Figure 3.3
Ainsi, ces deux modèles peuvent nous aider à nommer l’émotion ressentie et
à évaluer son intensité. Si nous avons des difficultés pour identifier nos
émotions, nous pouvons essayer de décrire ces émotions selon les deux axes
Il est à noter que l’étendue du vocabulaire émotionnel est à la fois une cause
et une conséquence de l’aptitude à identifier ses émotions. Une personne qui
dispose d’un vocabulaire étendu sera plus à même de discriminer finement
entre différents états émotionnels. Mais la réciproque est vraie également.
Un individu qui parvient à faire la différence entre des états émotionnels
proches mais néanmoins distincts sera certainement plus à même de retenir
les signifiants associés.
48
quat. Les habitants de l’île de Tahiti (Levy, 1984) n’ont que très peu de mots
pour décrire les émotions liées à la tristesse.
49
respecté…
Identification
de l'émotion
ĆOLÈRE »
Modifications
biologiques :
Tendances à
augmentation du rythme
l'action : frapper,
cardiaque, bouffées
de chaleur, tension
détruire,
musculaire…
grommeler,…
Figure 3.4
50
rôle dans la différenciation des émotions (voir tableau 3.2). Tous ces
modèles varient quant au nombre de critères d’évaluation qu’ils proposent
mais la convergence des dimensions entre les différents modèles est
importante.
L’idée principale des théories de l’évaluation est que les émotions sont
produites et différenciées à partir de l’évaluation cognitive que l’individu fait
de la situation. C’est donc notre évaluation cognitive de l’événement qui
produit une émotion spécifique et c’est ce qui explique que deux individus
puissent ressentir des émotions différentes en réponse à une situation
identique. Le conflit peut provoquer de la colère chez un individu et de la
tristesse ou de la culpabilité chez un autre. L’objectif des théories cognitives
de l’évaluation est de déterminer les critères d’évaluation qui amènent un
individu à ressentir une émotion spécifique. L’évaluation de ces critères sera
différenciée pour chacun et amènera à une émotion particulière.
51
Tableau 3.2
Scherer
Frijda
Roseman
Smith/Ellsworth
Nouveauté
Changement
– Soudaineté
Activité
– Familiarité
attentionnelle
Familiarité
– Prévisibilité
Agrément
Valence
Agrément
intrinsèque
Importance
Focus
Appétitif/aversif
Certitude
– Pertinence
Certitude
Motivation
– Degré de certitude
Certitude
dans la prédiction
des conséquences
Présence
– Attente
Ouvert/fermé
Obstacle
– Opportunité
Urgence
Consistance
perçu/effort anti-
– Urgence
cipé
Potentiel de maîtrise
Action humaine
– Causalité : interne
Intention/soi-autrui
Action
– Causalité : externe
– Contrôle
Modificabilité
Contrôle
– Puissance
Contrôlabilité
Potentiel de contrôle
situationnel
– Ajustement
Pertinence des
Légitimité
– Standards externes
valeurs
– Standards internes
52
Tableau 3.3
Critères d’évaluation
Colère/Rage
Peur/Panique
Tristesse
Nouveauté
- Soudaineté
Élevée
Élevée
Basse
- Familiarité
Basse
Ouvert
Basse
- Prévisibilité
Basse
Basse
Ouvert
Agrément intrinsèque
Ouvert
- Pertinence
Ordre
Corps
Ouvert
- Degré de certitude
Très élevé
Élevé
Très élevé
dans la prédiction des
conséquences
- Attente
Dissonante
Dissonante
Ouvert
- Opportunité
Enrayée
Enrayée
Enrayée
- Urgence
Élevée
Très élevée
Basse
Potentiel de maîtrise
- Causalité : interne
Autrui
Autrui/nature
Ouvert
- Causalité : externe
Intentionnelle
Ouvert
Chance/négative
- Contrôle
Élevée
Ouvert
Très bas
- Puissance
Élevée
Très basse
Basse
- Ajustement
Élevé
Bas
Moyen
standards
- Standards externes
Bas
Ouvert
Ouvert
- Standards internes
Bas
Ouvert
Ouvert
53
2.2.2
54
55
2.2.3
56
Ces cinq stades se distinguent par les différents niveaux de conscience qu’ils
impliquent.
57
Cette mesure semble fidèle et elle montre des corrélations modérées avec
différentes mesures d’intelligence émotionnelle (Ciarrochi, Chan, Caputi et
Roberts, 2001). Le niveau de conscience émotionnelle prédit également la
capacité à reconnaître les émotions d’autrui, que ce soit à travers la
communication verbale ou non verbale (Lane et al. , 1996). Finalement, des
niveaux élevés de conscience émotionnelle sont associés à une meilleure
gestion du stress (Stanton, Kirk, Cameron et Danoff-Burg, 2000) et à une
activation plus importante du cortex cingulaire antérieur (Lane et al. , 1998).
4 CONCLUSION
ses émotions. Dans un premier temps, nous avons montré en quoi l’identifi-
58
cation de ses propres émotions était importante. D’une part, nous avons vu
que la capacité à identifier ses émotions était nécessaire au développement
de compétences émotionnelles plus complexes, telles que la régulation ou
l’utilisation des émotions. D’autre part, nous avons découvert que des
difficultés au niveau de la reconnaissance d’émotions peuvent avoir des
répercus-sions négatives dans différents domaines tels que la santé mentale,
la santé physique et les relations sociales. Dans la seconde partie de ce
chapitre, nous avons passé en revue les différents processus sous-jacents à
l’identification des émotions. Nous avons souligné l’importance d’être
ouvert aux émotions et de ne pas les réprimer. Nous avons également vu
qu’enrichir notre vocabulaire émotionnel nous permettait de décrire plus
efficacement ce que nous ressentions. Enfin, nous avons proposé d’utiliser
les différentes composantes de l’émotion (pensées, sensations
physiologiques et tendances à l’action) comme autant de clés afin de faciliter
l’identification de nos émotions.
Chapitre 4
L’IDENTIFICATION
DES ÉMOTIONS
D’AUTRUI1
1 L’IMPORTANCE DE L’IDENTIFICATION
62
63
Sachant que l’homme est un être social et que le support social joue un rôle
protecteur en regard de la santé mentale et physique (Bruchon-Schweitzer,
2002 ; Rosenthal, Hall, DiMatteo, Rogers et Archer, 1979), il est probable
qu’un déficit dans l’identification des émotions d’autrui aura des
conséquences qui dépasseront largement le cadre des relations sociales.
VERBALE
« tulit » ? Néanmoins, cet accord arbitraire nous est très utile car il nous
permet d’échanger de l’information.
Elle a un rapport plus direct avec ce qu’elle représente. Si une personne nous
demande l’heure en chinois (communication digitale), nous risquons de ne
rien comprendre. En revanche, si cette même personne nous montre son
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
64
Tableau 4.1
Type de communication
Canal
Exemple
Parole
Communication digitale
Verbal
Écriture
Expressions faciales
Mimiques
Gestes
Non verbal
Postures
Communication analogique
Mouvements corporels
Intonation de la voix
Paraverbal
Débit de paroles
Pauses
Silences
Il est à noter que ces deux modes de communication (voir tableau 4.1)
peuvent se compléter ou se contredire. Nous pouvons ainsi accepter
verbalement une requête alors que notre langage non verbal traduit une
réticence. La plupart des êtres humains peuvent efficacement travestir leur
communication digitale mais peu parviennent à travestir leur communication
analogique.
65
AU TRAVERS DE LA COMMUNICATION
NON VERBALE
Albert Mehrabian est mondialement connu pour ses travaux sur l’importance
des messages verbaux et non verbaux. Ceux-ci ont mené à la célèbre règle 7
% – 38 % – 55 % (Mehrabian, 1981). Selon Mehrabian, il y aurait
essentiellement trois éléments dans la communication : les mots, la voix et le
langage du corps. Dans une conversation, 7 % du message serait transmis
par les mots, 38 % du message serait transmis par le paralangage qui se
réfère à la dimension vocale mais non verbale de la parole (ex. intonation de
la voix, vitesse de débit, pauses) et 55 % par le langage corporel (ex.
expressions faciales, gestes, postures). Bien que les mots ne comptent que
pour un infime pourcentage, il est néanmoins nécessaire d’en tenir compte
pour pouvoir répondre de manière efficace. Les éléments non verbaux sont
particulièrement importants pour communiquer les émotions, spécifiquement
lorsqu’il y a une divergence entre les mots et le langage corporel.
Chaque situation est particulière et cette règle ne correspond pas à toutes les
situations que nous rencontrons. Pour certains spécialistes en communication
non verbale (Burgoon, Buller et Woodall, 1996), les recherches de
Mehrabian minimisent l’importance des mots. Selon eux, la proportion du
langage non verbal et verbal dépend du contexte. S’il n’y a pas de consensus
sur les pourcentages exacts, les spécialistes s’accordent toutefois sur le fait
66
La capacité à lire les messages non verbaux est dès lors essentielle. Elle
permet de mieux comprendre l’autre, et de s’adapter à nos interlocuteurs,
mais également à notre environnement. Imaginez que vous êtes en train de
marcher dans un bois avec un ami. Soudainement votre ami perçoit un
danger. Son comportement va changer immédiatement : ses yeux vont
s’écarquiller, il va reculer ou s’immobiliser, l’intonation de sa voix va
changer, etc. Ces manifestations non verbales vont vous communiquer la
présence du danger avant même qu’il ait eu le temps – ni même la nécessité
Lorsque nous communiquons, les messages non verbaux vont interagir avec
les messages verbaux de différentes façons. Le message non verbal peut
avoir six fonctions : il remplace, répète, complète, accentue, contredit ou
régule le message verbal (Knapp et Hall, 1992).
Les messages non verbaux peuvent tout d’abord se substituer à certains
messages verbaux. Notre culture nous fournit un répertoire de gestes et
d’expressions qui sont des équivalents de certains messages verbaux comme
67
3.2.1
68
69
Des dizaines d’années après The Expression of the Emotions in Man and
Animals et à la suite des travaux de Klineberg, les psychologues se sont à
nouveau penchés sur cette même question : « Les expressions faciales
émotionnelles sont-elles universelles ou spécifiques à chaque culture ? »
expression faciale donnée, cela ne signifie pas que l’émotion soit toujours
70
Depuis les premières études publiées sur les expressions faciales, les travaux
se sont multipliés plaidant en faveur du caractère universel des expressions
faciales. Différents arguments appuient cette hypothèse :
tiquement programmées.
– Des recherches menées sur les primates ont montré que les expressions
faciales qui sont universelles chez les humains le sont également chez les
singes (Chevalier-Skolnikoff, 1973 ; Hauser, 1993). Ces travaux plaident
également en faveur du caractère inné et biologique des émotions et de leurs
expressions.
Ekman pense que la peur et la surprise ont des expressions faciales distinctes
(Ekman, 1999). Cette distinction est uniquement rapportée dans les cultures
alphabétisées. Certains auteurs (Ekman et Friesen, 1986 ; Ekman et Heider,
1988 ; Matsumoto, 1992) ont aussi mis en évidence que le mépris (émotion
dans laquelle on se sent moralement supérieur à une autre personne) possède
une expression faciale universelle bien que cette évidence se vérifie
uniquement dans les cultures alphabétisées. La fierté répondrait également à
une expression non verbale se caractérisant par un petit sourire, la tête
légèrement inclinée vers l’arrière et les bras qui se soulèvent au-dessus de la
tête ou les mains sur les hanches (voir figure 4.1) (Tracy et Robins, 2004). Il
reste à déterminer le caractère universel ou non de l’expression non verbale
de la fierté. Selon Keltner, il existerait également une expression faciale
universelle de l’embarras (Keltner, 1995).
L’IDENTIFICATION DES ÉMOTIONS D’AUTRUI
71
Figure 4.1
rarement nos émotions de manière aussi intense dans la vie quotidienne (un
ensemble de contraintes sociales pèse sur l’expression de nos émotions), les
Tableau 4.2
http://www.neurologicalcorrelates.com »)
Émotion
Expression neutre
Tristesse
Visage tombant
Joie
Sourire
Éventuellement rire
Visage détendu
Pommettes relevées
☞
L’IDENTIFICATION DES ÉMOTIONS D’AUTRUI
73
Surprise
Sourcils levés
Yeux écarquillés
Bouche entrouverte
Peur
l’arrière
Sourcils levés
Dégoût
Visage fermé
Sourcils en « V »
Yeux plissés
Nez froissé
Pommettes relevées
Colère
sourcilière)
Bouche fermée
serrées
74
Ekman et al. (1972) ont comparé des individus japonais et américains. Des
données de l’anthropologie suggèrent que les Japonais ont des règles
d’expression différentes, notamment en ce qui concerne la non-expression
d’affects négatifs en présence d’une personne représentant l’autorité. Dans la
première partie de l’expérience, les sujets étaient seuls dans une pièce et
regardaient des extraits de films suscitant différentes émotions. Une caméra
enregistrait leurs expressions faciales pendant qu’ils regardaient les films.
Les expressions de dégoût, de tristesse, de peur et de colère étaient
exprimées de manière identique dans les deux groupes. Ces résultats plaident
en faveur du caractère universel des émotions.
75
ration de la mémoire de travail, etc. Des études ont rapporté que les
individus atteints de schizophrénie ont un déficit plus prononcé pour le
traitement des émotions négatives que pour le traitement des émotions
positives (Bryson, Bell, Lysaker et Zito, 1997). La présence d’anomalies
dans le traitement des expressions faciales émotionnelles se retrouve chez les
patients dépressifs. La reconnaissance chez ces individus serait biaisée par
leur humeur du moment. Ces déficits semblent s’améliorer après un
traitement par antidépresseurs (Bediou, Saoud, Harmer et Krolak-Salmon,
2008). Des difficultés dans le décodage des expressions faciales se
retrouvent également chez les alcooliques. Ces derniers auraient tendance à
surestimer l’intensité des expressions émotionnelles et commettraient plus
d’erreurs dans la reconnaissance des expressions de colère et de mépris
(Philippot et al. , 1999).
Les TED se caractérisent par des altérations au niveau des relations sociales,
du langage, de la communication verbale et non verbale. Les enfants atteints
de TED
Figure 4.2
77
l’avait mis en évidence pour la première fois. Lorsque notre sourire exprime
une joie sincère, le grand muscle zygomatique et le muscle orbicularis oculi,
situé autour des yeux se contractent (voir figure 4.2, photo de droite).
Lorsque nous sourions par politesse, l’ orbicularis oculi n’est pas contracté
(voir photo de gauche). Il n’est pas aisé de produire un vrai « faux sourire »,
parce qu’il est difficile de contracter volontairement l’orbicularis oculi.
Ekman soutient en outre que même si nous y arrivions, la contraction ne se
ferait pas au même moment de chaque côté de l’œil.
Des travaux en neurologie (Myers, 1976 ; Tschiassny, 1953) ont montré que
les expressions faciales volontaires et involontaires impliquaient des trajets
neuronaux différents. Des patients atteints de certains types de lésions
cérébrales sont incapables de sourire sur demande mais ils sont capables de
sourire lorsqu’ils sont joyeux. Des lésions dans d’autres régions du cerveau
produisent le pattern inverse. Le patient est capable de sourire sur demande
mais pas spontanément.
Qui d’entre nous n’a jamais dû sourire par politesse, que ce soit avec ses
collègues, avec ses proches, ou en réponse à une blague idiote d’un supérieur
hiérarchique ? Maintenant, vous connaissez une astuce qui vous permettra de
savoir si votre humour est réellement drôle ou non !
Une première clé pour identifier l’émotion d’autrui est donc l’expression
faciale. L’expression du visage nous renseigne sur l’état émotionnel de la
personne que nous avons en face de nous. Si nous demandons à une
personne comment elle va et qu’elle nous répond : « ça va fort bien, merci »
avec une expression faciale de tristesse (abaissement des commissures des
lèvres, sourcils obliques), nous pouvons supposer que la réponse de la
personne est en incohérence avec son expression faciale. Il est probable que
cette personne soit triste et que la norme sociale l’ait contrainte à répondre
positivement. Néanmoins, avant de juger définitivement, il nous faudra dès
lors partir à la recherche d’autres indices afin de confirmer notre hypothèse.
3.2.2
Le regard
78
d’Asperger. Ces deux groupes ont des scores inférieurs au RMET et leur
amygdale n’est pas activée lorsqu’ils complètent ce test, contrairement à des
personnes sans trouble particulier (Baron-Cohen et al. , 1999).
Figure 4.3
Figure 4.4
1. Préoccupé.
80
Figure 4.5
3.2.3
Les postures
Les postures et les gestes sont des indices non verbaux importants, ils sont
les premiers indicateurs perceptibles à l’approche d’autrui. Darwin décrivait
déjà certains mouvements et postures associés à des émotions spécifiques
(Darwin, 1872/1998 ; voir tableau 4.3). Par la suite, d’autres chercheurs ont
également spécifié des mouvements particuliers associés à diverses émotions
(ex. Bloch, Orthous et Santibáñez, 1987 ; Wallbott, 1998). Wallbott décrit
une série de mouvements accompagnant certaines émotions. Par exemple, la
colère s’illustrerait par le rehaussement des épaules, des mouvements laté-
2. Envieux.
81
Les gestes
Cette gestuelle est directement traduisible en mots. Elle est le plus souvent
émise de manière consciente et délibérée. Notons que ces gestes varient
d’une culture à l’autre. Par exemple, le geste signifiant OK (un rond avec les
doigts) fait référence à l’argent au Japon et à une obscénité en Grèce et au
Brésil. Le deuxième groupe fait référence aux gestes illustratifs. Ces
derniers renforcent les messages verbaux qu’ils accompagnent. Par exemple,
tout en disant non, tourner la tête de gauche à droite. Les gestes régulateurs
contrôlent, règlent ou coordonnent les propos des interlocuteurs. Hocher la
tête pour signifier à son interlocuteur de continuer son discours, diriger le
bras vers la personne qui doit prendre la parole. Il existe également des
peuvent être dirigés vers soi ou vers les autres. Par exemple, se frotter les
yeux parce que nous avons sommeil, retirer un cheveu de la veste de son
interlocuteur. La dernière catégorie regroupe les gestes affectifs, qui
communiquent une signification émotionnelle comme sauter de joie, tendre
les bras vers quelqu’un. Ces gestes peuvent être conscients et intentionnels
ou apparaître inconsciemment.
Tableau 4.3
Joie
secousses du corps
Tristesse
Fierté
Honte
ment, regard vers le bas
Colère, rage
Dégoût
loin ou se protéger
Mépris
3.2.5
Le paralangage
83
84
Les changements au niveau de la voix ont également été étudiés dans des
populations psychopathologiques, comme par exemple les personnes
dépressives. Les études montrent des différences entre un discours provenant
d’une personne non dépressive et un discours émis par une personne
dépressive.
Les dépressifs parlent à une intensité très basse (Eldred et Price, 1958 ;
Moses, 1954 ; Whitman et Flicker, 1966 ; Zuberbier, 1957) et leur discours
est ralenti (Zuberbier, 1957). Après une thérapie, l’intensité tend à
augmenter (Hargreaves et Starkweather, 1964). D’autres études (Moses,
1954
Newman et Mather, 1938) ont montré que les individus dépressifs ont
tendance à employer, de manière répétitive, les mêmes intonations (plutôt
basses), ce qui donne une impression d’un discours monotone. Au niveau de
l’articulation, elle est imprécise et molle. Le stress influencerait clairement
certains paramètres vocaux et en particulier provoquerait une augmentation
de la fréquence des mots dans le discours (Ekman, Friesen et Scherer, 1976 ;
Scherer, 1981).
2. Il a donné cet argent à Jacques. (Il a donné l’argent, il ne l’a pas prêté).
5. Il a donné cet argent à Jacques. (Le receveur est Jacques, pas Éric ou
Jean-Pierre).
85
3.2.6
La distance
86
Ces différentes distances ont été observées chez des individus américains
masculins et féminins de classe moyenne. Pour Hall, chaque culture humaine
définit de façon différente la dimension des bulles et des activités qui y sont
appropriées. Il n’y a pas de convention quant aux bonnes distances
interpersonnelles requises. Les distances d’interaction varient selon les
cultures. Les habitants des pays nordiques et les Japonais interagissent à des
distances plus grandes que les citoyens des pays latins. Le contact physique
est également beaucoup plus rare (Forston et Larson, 1968 ; Watson et
Graves, 1966).
Les distances varient aussi selon l’image que nous avons de l’autre. Si je
n’apprécie pas la personne que je dois rencontrer, lors de l’interaction,
j’aurai tendance à garder mes distances. Ce ne sera pas le cas si je pense que
la personne que je vais rencontrer est sympathique et chaleureuse. Les statuts
des interlocuteurs déterminent également la distance. Lors d’une interaction
avec notre patron ou avec un ami, la distance ne sera pas la même. Enfin, la
distance varie selon la tâche à accomplir. Les individus seront plutôt côte à
côte si la tâche nécessite une coopération, face-à-face s’il s’agit de
compétition (Hargie, 1997).
87
Lorsqu’une personne se sent anxieuse, elle aura tendance à juger les autres
comme plus agressifs (Feshbach et Singer, 1957). D’autres facteurs peuvent
entraver l’identification des émotions d’autrui (Flury et Ickes, 2001). Si
l’individu est incapable d’exprimer ce qu’il ressent, que ce soit par le
langage verbal ou non verbal, l’interlocuteur aura des difficultés à cerner son
état émotionnel. Il s’agira de faire preuve de motivation pour identifier les
émotions d’autrui. Si l’individu n’est pas motivé et attentif à autrui, son
identification ne sera pas optimale. Enfin, les soucis, le stress peuvent
accaparer l’individu, ce qui l’empêchera de décoder les émotions d’autrui
car ses pensées et son attention sont focalisées sur ses problèmes.
4 CONCLUSION
88
Nous avons présenté les caractéristiques des différentes émotions sur chacun
de ces indices non verbaux. Finalement, nous avons invité le lecteur à la
prudence ; les règles d’expression émotionnelle et/ou les objectifs de
l’individu à un moment donné influencent la manière dont les émotions sont
exprimées. Il importe donc de ne pas se fier à un seul indicateur, mais de
considérer l’ensemble des indicateurs disponibles. Lorsque cela est possible,
il convient toujours d’essayer de se voir confirmer verbalement l’impression
ressentie. C’est en effet l’une des seules manières de s’assurer que nous
n’avons pas projeté notre propre état émotionnel sur notre interlocuteur.
Chapitre 5
L’EXPRESSION
ET L’ÉCOUTE
DES ÉMOTIONS1
Nous conclurons cette première partie par quelques pistes pratiques pour une
expression plus adaptée.
92
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
Gross et ses collègues ont aussi observé que les individus ayant tendance à
éviter de manifester leurs émotions vivent et expriment moins d’émotions
93
– Revoir ce que l’on a écrit de temps en temps afin de voir comment notre
pensée a pu changer par rapport à nos émotions.
94
La majorité des études réalisées sur l’expression des émotions ont analysé
l’expression du stress ou d’autres émotions dites « négatives ». On a ainsi
observé, par exemple, que l’expression constructive de la colère était en
relation avec un meilleur contrôle de la douleur physique (Graham, 2008).
Nous n’allons que très brièvement aborder ici les bénéfices spécifiques de
l’expression des émotions positives, le concept d’émotions positives étant
abordé de manière extensive dans le chapitre 9. On peut néanmoins citer ici
plusieurs exemples significatifs :
95
– dans les relations de couple, lorsque l’un des partenaires exprime des
émotions positives et que l’autre y réagit de manière enthousiaste, on
observe un plus grand bien-être relationnel, plus d’intimité, ainsi qu’une
satisfaction mutuelle plus grande (Gable, Reis, Impett et Asher, 2004) ;
1.2.2
96
Personne A
Personne B
Besoin de partager
une émotion
Exprime des
Éprouve
émotions
de l'intérêt
Exprime encore
plus d'émotions
Reçoit compréhension,
Ressent de la
aide
compréhension
et soutien
et l'envie de soutien
Aime B davantage
Aime A davantage
Figure 5.1
97
1.2.3
Une littérature solide supporte l’idée que l’expression des émotions est béné-
fique mais les mécanismes qui expliquent ces bénéfices restent encore à
explorer. Plusieurs théories tentent d’y apporter une explication.
Plusieurs études se sont penchées sur cette théorie sans résultats probants
98
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
des émotions
La capacité à dissimuler ses sentiments peut également être utile dans un très
grand nombre de situations sociales (lors d’une présentation en public ou
lors d’une médiation dans un conflit). Cette idée est reprise dans les thèses
évolutionnistes sur la valeur adaptative du mensonge (de Waal, 1989).
99
et la non-expression
100
L’expression des émotions est définie par des règles. Celles-ci définissent ce
qui peut être exprimé, à qui, quand et dans quelles circonstances. Inté-
À l’âge scolaire, l’enfant a déjà intériorisé qu’il n’est pas bon d’exprimer
tout ce qu’il ressent. Cet apprentissage se développe en même temps que
celui du contrôle volontaire des expressions faciales et du mensonge
(Philippot, 2007). Par ces processus, l’enfant apprend ce qui, dans son
contexte social, est souhaitable, bienvenu voire attendu, en matière
d’expression des émotions. En fonction de ses expériences, il apprend aussi
à remplacer l’expression de certaines émotions, considérées comme
inacceptables, par d’autres qui sont admises. Il apprend à exprimer des
émotions qu’il ne vit pas réellement pour en tirer des bénéfices particuliers.
Par exemple, même s’il est insatisfait par le cadeau qu’il vient de recevoir à
son anniversaire, un enfant apprendra à feindre la joie plutôt que la
déception pour ne pas heurter un parent ou passer pour un capricieux. Autre
exemple : un garçon aura souvent tendance à manifester de la colère
lorsqu’il a peur car c’est ce qui est encore généralement attendu d’un homme
dans notre culture. En fonction de notre éducation et de nos expé-
101
■ En général
Je ME sens…
Je me sens en colère
Ou
Je me sens joyeux
Ou
Je me sens frustré
Ou
Je me sens apaisé
Ou
Je me sens triste
1.6.2
102
ment, une des fonctions de nos émotions est de faire passer un message, de
communiquer avec notre environnement. Lorsque nous n’exprimons pas
clairement ce que nous ressentons, nous privons nos interlocuteurs d’une
information essentielle pour nous comprendre et réagir en conséquence dans
la relation.
103
Application
Imaginons que vous ayez prêté votre appartement à un ami pendant les
vacances. À votre retour, vous le trouvez sens dessus dessous. Vous décidez
de lui en parler car cette situation vous a réellement mis hors de vous.
Jugement
Supposition
Supposition
Moralisation
Jugement
104
Parvenir à l’expression authentique des émotions n’est pas une chose facile :
ce n’est pas seulement une question de mots. Si l’on utilise une formule
toute faite pour s’exprimer, il y a toutes les chances que cela ne fonctionne
pas (Rogers et Farson, 1987). Cette attitude doit provenir d’une intention
sincère, qui transparaîtra aussi au travers du langage non verbal.
Exemple
Les quelques étapes que nous venons de décrire permettent d’utiliser les
émotions afin de créer des relations plus saines et plus harmonieuses à long
terme. Une relation authentique est possible dès lors que l’individu est
connecté à ses émotions, qu’il peut les conscientiser, les vivre et les
communiquer (Rogers, 1983).
1.6.3
105
de leurs effets néfastes. Non seulement cela clarifie l’esprit, mais cela aide
également à acquérir et à retenir de nouvelles informations et facilite les
processus de résolution de problèmes (Pennebaker, Kiecolt-Glaser et Glaser,
1997). Écrire peut nous aider à mieux nous connaître, à comprendre les
messages de nos émotions et à prendre soin de nos besoins de manière plus
efficace. En nous appuyant sur les travaux de Pennebaker, nous proposons
ici quelques points de repères sur l’utilité que peut avoir la tenue d’un
journal.
Que se passe-t-il en moi maintenant ? Qu’est-ce qui est important pour moi
maintenant ?
Exprimer par écrit son vécu aide à le clarifier. L’écriture permet d’identifier,
de discriminer dans nos expériences de vie les événements qui nous ont
marqués. Écrire rend ce que nous ressentons plus concret et plus précis. Cela
nous permet de prendre du recul. Même quand nous croyons ne pas savoir ce
que nous ressentons, il est possible d’écrire sans réfléchir. L’écriture finit par
faire sens, sans qu’on l’ait anticipé, « comme si » notre main ne nous appar-
tenait pas vraiment et savait mieux que nous. Une autre variante possible est
d’écrire comme si nous nous adressions à quelqu’un en qui nous avons entiè-
rement confiance.
■ Préparer un entretien
Lorsque nous voulons parler à quelqu’un mais que la charge affective risque
d’être trop forte, écrire avant la rencontre peut s’avérer être d’une grande
utilité. Cela nous permet de mieux nous comprendre et de clarifier ce que
nous voulons exprimer. De cette façon, face à la personne, nous serons
capables de communiquer de manière plus juste et plus sereine et, si nous
perdons un peu nos moyens, les notes prises pourront nous aider.
Un journal peut aussi nous servir à noter une idée, une citation, une phrase
qui nous touche particulièrement. Il n’y a pas de règles précises pour un
jour-
nal de bord, chacun peut l’utiliser de la manière qui lui convient le mieux.
106
Dans le but d’exprimer nos émotions et de les gérer, nous pouvons nous
entraîner à les identifier et à les nommer. Cela permet de prendre une
distance par rapport à l’émotion et de se sentir capable d’agir plutôt que de
subir (Greenberg, 2002).
Le tableau 5.1 ci-après n’est pas exhaustif mais permet d’élargir son
vocabulaire émotionnel. Avoir un lexique plus étendu aide à préciser sa
pensée et à trouver les mots qui correspondent le mieux à l’expérience
vécue.
107
Tableau 5.1
Joie
Joie (suite)
Colère
Tristesse
Dégoût
Surprise
Peur
agréable
heureux
agacé
abattu
amer
alerte
affolé
allègre
hilare
contrarié
accablé
dégoûté
abasourdi
alarmé
amusé
jouette
crispé
affecté
désabusé
atterré
angoissé
béat
joueur
de mau-
affligé
désen-
baba
anxieux
bien dis-
jovial
vaise
anéanti
chanté
confondu
apeuré
posé
joyeux
humeur
atterré
désillu-
confus
choqué
charmé
radieux
courroucé
attristé
sionné
consterné
craintif
captivé
ravi
enragé
bouleversé
écœuré
décon-
déconcerté
comblé
réjoui
écœuré
cafardeux horripilé
certé
dérouté
confiant
regonflé
en colère
chagriné
incom-
énervé
consterné
modé
ébahi
désorienté
de bonne
revigoré
enragé
déchiré
ulcéré
ébaubi
déstabilisé
humeur
riant
exaspéré
défait
ébouriffé
effaré
décon-
rieur
excédé
déprimé
embar-
effarouché
tracté
satisfait
fâché
désabusé
rassé
épouvanté
délivré
serein
frustré
désen-
stimulé
furieux
chanté
épaté
peur
ébloui
stupéfait
haineux
désespéré
époustouflé
horrifié
égayé
surexcité
irrité
désolé
estomaqué
inquiet
émerveillé
touché
mécontent
ému
étonné
intimidé
émoustillé
vibrant
nerveux
éploré
étourdi
mal à
ému
vivant
remonté
lugubre
frappé
l’aise
en extase
vivifié
malheu-
interdit
mal assuré
enjoué
reux
interloqué
paniqué
en harmo-
maussade
médusé
sur le qui-
nie
mélancoli-
pantois
vive
enchanté
que
penaud
terrifié
encouragé
morose
quinaud
transi
enjoué
navré
renversé
tremblant
enthou-
nostalgique
saisi
siaste
peiné
sidéré
épanoui
sombre
sot
euphorique
soucieux
soufflé
exalté
taciturne
stupéfait
excité
stupéfié
folâtre
stupide
fou
suffoqué
gai
surpris
gaillard
guilleret
108
Être capable d’écouter les émotions d’autrui est une compétence sociale très
importante. Selon Carl Rogers, une écoute adaptée contribue à la création
d’une relation positive : elle aide l’interlocuteur à ne pas rester en position
défensive, ce qu’il ferait s’il se sentait critiqué, évalué ou moralisé. L’écoute
s’avère un moyen efficace de montrer que l’on respecte quelqu’un et, à
l’instar d’autres comportements, elle est contagieuse (Rogers et Farson,
1987). Les études en psychologie du développement montrent que les
enfants régulent mieux leurs émotions et acquièrent des attitudes plus
constructives lorsque les parents ont une attitude d’acceptation et
d’encourage-ment face à leurs émotions négatives. Les effets sont opposés
lorsque les parents dénigrent, disqualifient, punissent ou lorsque les
émotions négatives de l’enfant induisent un stress chez les parents (Denham,
1998 ; Denham et al. , 2008). Il a aussi été constaté que, quand les parents
répondent de manière agressive, minimisent ou punissent les émotions de
l’enfant, les enfants expriment des émotions négatives plus intenses avec
leurs pairs (Fabes, Leonard, Kupanoff et Martin, 2001). Ces effets délétères
du déni, de la disqualification ou encore de la minimisation des émotions se
retrouvent dans les théories de la gestion des émotions en relation d’aide
(Porter et Dutton, 1987 ; Rogers, 1951 ; Rogers et Dymond, 1954).
109
Exprimer son vécu émotionnel implique que notre interlocuteur soit capable
d’écouter et d’accueillir notre message. Or, il est fréquent que l’entourage
exprime une certaine résistance. Des études réalisées sur des patients cancé-
reux ont montré qu’une majorité de ceux-ci ont l’impression que leurs
proches refusent, d’une manière ou d’une autre, d’entendre leurs difficultés.
Sur base des travaux de Rogers, Porter et son équipe (Porter et Dutton, 1987)
se sont penchés sur les difficultés à écouter les émotions d’autrui lors de nos
interactions. À l’aide d’enregistrements de centaines d’entretiens conduits
dans le cadre de relations thérapeutiques, ces chercheurs ont analysé les
comportements et attitudes typiques des relations interpersonnelles. Ainsi,
selon Porter (Porter et Dutton, 1987), nous pouvons typiquement réagir de
six façons différentes lorsqu’un interlocuteur nous fait part de son vécu
émotionnel : proposer des solutions, juger, interpréter, consoler, investiguer,
et comprendre ( i.e. écouter les émotions). À l’exception du dernier, ces
2.2.1
Face à quelqu’un qui vit une émotion, l’une des attitudes les plus courantes
consiste à proposer directement des solutions ( Il faut, vous devriez, si j’étais
vous, dans cette situation, je…). C’est un mode d’intervention très présent
dans les entreprises et autres organisations axées sur les résultats.
L’orientation vers les solutions est un mode d’intervention extrêmement utile
s’il est 1. Le terme « mode d’intervention » est plus complet que celui de
comportement. Il fait référence
110
2.2.2
Une deuxième attitude courante est de juger la personne qui expose son
problème. La moralisation constitue l’une des formes les plus subtiles et les
plus communes de jugement. Ce dernier définit l’autre par rapport à une
règle. Nous avons recours en permanence au jugement pour évaluer le
monde qui nous entoure. L’attitude d’évaluation est souvent moralisatrice, de
type « Je sais ce qui est bon, à privilégier et ce qui est mauvais, à éviter ou à
proscrire ». Elle renvoie à nos perceptions, à nos a priori et à nos idées
toutes faites sur les situations et sur les gens.
Juger est utile, en tant que fonction, puisque les catégories bâties à partir de
notre système de valeurs nous permettent de reconnaître rapidement les
situations, pour mieux nous y adapter. Cela s’avère néanmoins très destruc-
teur dans le domaine des relations, en particulier face à quelqu’un qui vit une
émotion. Le jugement est souvent vécu comme une agression qui menace
l’identité de la personne et il provoque des réactions défensives (contre-
attaque, fuite, communication fermée). Une telle attitude a rarement pour
effet de permettre à la personne de se sentir comprise dans son ressenti et
renforce plutôt les émotions négatives. Une écoute sans jugement se
distingue par l’absence de commentaire personnel (approbation ou
désapprobation) ou de connotation morale.
2.2.3
Le mode d’intervention orienté vers l’interprétation : dire à l’autre quelles
sont ses raisons d’agir
111
2.2.4
Ce type d’intervention trouve son origine dans notre malaise face aux
émotions de l’autre et dans notre tendance à nous identifier à son ressenti.
Ce type d’intervention part d’une bonne intention mais son efficacité est
limitée. En disant à l’autre que « ça va aller », on nie la gravité du problème
et, ce faisant, l’émotion correspondante. Cela peut donner l’impression à
l’autre que l’on minimise sa souffrance. L’effet peut être aussi de le
déresponsabiliser, de le pousser à se sentir victime et de le priver ainsi de ses
possibilités de prise de conscience et de meilleure compréhension de la
situation. Ce mode d’intervention peut rassembler des comportements très
différents, qui ont cependant tous en commun l’intention de consoler. Être à
l’écoute du vécu de quelqu’un implique de comprendre ce qu’il vit sans
s’identifier à lui.
2.2.5
Pour éviter ces possibles dérives, il apparaît plus efficace, face à une
émotion, d’intervenir sur un mode d’orientation basé sur la compréhension
(Rogers et Farson, 1987).
112
2.2.6
Exemple
Expression de l’interlocuteur :
« Il n’y a plus rien qui va, je suis vraiment nul, je vais faire échouer le projet
…»
« Tu me dis que tu te sens nul et que tu vas faire échouer le projet, c’est cela
?»
Reformulation du vécu :
113
Proposition 2 : « Déçu ? »
Cette grille d’analyse est bien sûr loin d’être exhaustive et représente une
simplification de la diversité des interactions possibles. Elle permet
cependant de prendre un certain recul par rapport à notre manière d’interagir
avec quelqu’un qui vit une émotion, en identifiant notamment les attitudes
qui peuvent être vécues comme une minimisation ou une disqualification de
l’émotion par l’interlocuteur.
Par ailleurs, une écoute véritable des émotions, telle qu’envisagée ici, peut
sembler passive car elle peut donner l’impression de ne pas agir. Pourtant,
cette écoute a un impact important et représente un véritable catalyseur de
changement. Selon Rogers (Rogers, 1961 ; Rogers et Dymond, 1954), une
personne qui vit une situation émotionnellement difficile peut passer par
différentes phases, si elle est écoutée de manière empathique :
– Au début, la personne se définit de façon plutôt négative, elle vit mal ses
émotions.
114
– Elle perçoit ensuite que son interlocuteur ne la juge pas et elle peut
commencer à explorer plus librement ses sentiments. Elle peut commencer à
accepter son ressenti.
Un interlocuteur qui se sent compris sera plus disposé à appliquer les outils
de régulation émotionnelle que nous aborderons notamment aux chapitres 6,
8 et 9.
3 CONCLUSION
L’expression et l’écoute des émotions sont les deux facettes d’une même
compétence clé qui concerne les processus de communication et se trouve
donc au cœur de nos vies.
Chapitre 6
LA COMPRÉHENSION
DES ÉMOTIONS1
1 LA PERSPECTIVE THÉORIQUE
Depuis les organismes les plus simples, tous les êtres vivants ont des besoins
à satisfaire pour survivre et se développer. La plupart des plantes ont besoin
d’eau, de sels minéraux, de lumière pour survivre. Si ces besoins ne sont pas
118
satisfaits, les plantes meurent sans état d’âme. Les êtres humains ont
également des besoins physiologiques indiscutables, comme se nourrir, boire
ou dormir. L’insatisfaction de ces besoins engendrera chez l’être humain un
ensemble d’émotions (ex : anxiété, frustration, colère…), visant à stimuler la
satisfaction des besoins et à augmenter ainsi les chances de survie.
À la différence d’organismes plus simples, les besoins physiologiques ne
sont pas les seuls paramètres indispensables à notre équilibre. Au-delà de la
satisfaction des besoins biologiques, notre ajustement requiert également la
satisfaction de besoins psychologiques (ex. relationnels et affectifs).
L’insatisfaction de ces besoins engendrera une émotion, afin d’augmenter la
probabilité qu’ils soient satisfaits et de restaurer ainsi notre équilibre.
Perception et
évaluation
Facilitation à l'action
Besoins
Émotion
Situation déclenchante
Information
Figure 6.1
L’interaction émotion/environnement
119
Tableau 6.1
Besoin
État du besoin
Joie
Partage, échange
Satisfait
Tristesse
Partage, échange
Menacé
Contentement
Sécurité, protection
Satisfait
Peur
Sécurité, protection
Menacé
Colère
Croissance
Menacé
Fierté
Croissance
Satisfait
La théorie de l’autorégulation
120
Valeur de
référence
COMPARATEUR
Input :
perception
Impact sur
Output :
l'environnement
Comportement
Influences extérieures
Figure 6.2
La théorie de l’autorégulation
121
Besoins physiologiques
Figure 6.3
La pyramide de Maslow
Dans la théorie des besoins de David McClelland, fondée sur les travaux de
Murray (1938), trois types de besoins sont liés à la motivation au travail : les
besoins de réalisation, de pouvoir et d’affiliation (McClelland, 1958).
122
1.4 En résumé
Tout en nous démarquant du principe de hiérarchisation, nous postulons, à la
suite de Maslow, Max-Neef, Ryan et Deci, que les besoins biologiques et
psychologiques :
123
répondre à nos besoins. Les besoins sont donc pour nous à un niveau
conceptuellement supérieur à celui des buts.
Parmi ces études, celle de Timmerman et Acton sur les relations entre
insatisfaction des besoins et désordres alimentaires émotionnels a montré
que moins une personne était satisfaite dans ses besoins fondamentaux, plus
elle avait de chance de s’engager dans des comportements boulimiques
(Timmerman et Acton, 2001). Les recherches montrent aussi que plus les
individus satisfont leurs besoins fondamentaux, moins ils ont de chances de
consommer des stupéfiants (García-Aurrecoechea, Díaz-Guerrero et
Medina-Mora, 2007), plus ils sont motivés à réussir académiquement (Faye
et Sharpe, 2008) et plus ils rapportent un niveau élevé de bien-être, tant
personnel que relationnel (Bettencourt et Sheldon, 2001 ; Patrick, Knee,
Canevello et Lonsbary, 2007).
Selon d’autres chercheurs, un grand nombre de difficultés et de pathologies
psychologiques trouvent leur origine dans la non-réalisation de ces besoins
(Ryan et Deci, 2005 ; Ryan, Deci, Grolnick et La Guardia, 2006). La notion
de besoin est également centrale dans la gestion des conflits. Pour de
nombreux auteurs, l’origine des conflits se trouve dans l’insatisfaction des
besoins fondamentaux. Un travail sur ces besoins apparaît comme un
élément central de la résolution des conflits (Burton, 1990 ; Kelman, 1996) .
124
Tableau 6.2
Besoins
Être
Avoir
Faire
Interagir
fondamentaux
(qualités)
(choses)
(actions)
(situations)
Subsistance
Environnement
et mentale
travail
habiller, se
social et de vie
reposer,
travailler
Protection
Environnement
lité, autonomie
système de
nifier, prendre
social, foyer
santé, travail
Affection
Espaces
l’humour,
relations avec la
d’intimité et de
générosité,
nature
faire l’amour,
rencontres
sensualité
exprimer son
vécu
Compréhen-
Esprit critique,
Littérature,
Analyser,
Écoles, familles,
sion
curiosité,
professeurs,
étudier, méditer,
universités,
intuition
éducation
investiguer
communautés
Participation
Réceptivité,
Responsabilités,
Coopérer,
Associations,
dévouement,
devoirs, travail,
contredire,
fêtes, églises,
sens de
droits
exprimer son
voisinages
l’humour
opinion
Loisir
Imagination,
Se relaxer,
Paysages,
tranquillité,
d’esprit
s’amuser, se
nature, espaces
spontanéité
rappeler
intimes, espa-
ces de solitude
Création
Imagination,
Compétences,
Inventer,
Espaces
audace, inventi-
outils, travail,
construire,
d’expression,
vité, curiosité
techniques
travailler,
ateliers, public
composer,
interpréter
Identité
Sens de l’appar-
Langage, reli-
tenance, estime
gions, travail,
développer,
vie quotidienne
de soi, consis-
coutumes,
s’engager
tance
valeurs, normes
Liberté
Partout
sion, estime de
cord, choisir,
soi, ouverture
prendre des
d’esprit
risques,
développer sa
conscience
125
Dans cette partie pratique, nous verrons comment utiliser ces concepts afin,
d’une part, de mieux accueillir nos émotions et, d’autre part, de prendre soin
de ce qui les motive, c’est-à-dire nos besoins fondamentaux. Nous le ferons
à partir de trois compétences de base : (1) la capacité à accueillir nos
émotions, (2) la capacité à reconnaître nos besoins et (3) la capacité à agir
pour satisfaire nos besoins.
– Géraldine vient d’emménager dans une maison commune avec trois autres
personnes. Depuis le début, elle a d’énormes difficultés avec Marc, un des
colo-cataires. Elle a l’impression que celui-ci la méprise et essaye de la
diminuer devant les autres. Ce soir elle se trouve au salon, Marc rentre et lui
dit : « Tiens, tu as une vraiment une drôle de tête ce soir ! »
126
– Bert vient de se faire convoquer par son directeur, Albert. Celui-ci lui
annonce qu’il est licencié, parce que ses résultats ne sont pas à la hauteur de
ce que l’entreprise attend, surtout dans ce contexte économique difficile.
ment depuis un an. Elle se sent très fatiguée et réagit à fleur de peau. Son
collè-
gue Pierre vient de lui faire un commentaire sur le dernier rapport qu’elle a
défendu en réunion. Elle le prend mal et lui répond en haussant le ton. Il
s’ensuit un échange vif qui débouche sur un conflit.
Envisager les émotions négatives comme ayant une fonction positive (nous
renseigner sur nos besoins) est un moyen puissant de se réconcilier avec
elles. La démarche d’accueil des émotions sans jugement est un processus
clinique bien connu qui, pour utiliser le langage paradoxal cher à l’école de
Palo Alto, permet « d’éviter l’évitement » (Fisch, Weakland et Segal, 1982).
L’évitement, s’il peut être fonctionnel face à une menace physique externe
(j’évite un quartier dangereux ou une route où la circulation est par trop
chaotique), s’avère inefficace face aux émotions. Comme l’évitement nous
empêche de prendre conscience du message porté par nos émotions, un
cercle vicieux risque de s’instaurer : non seulement l’émotion persiste et se
renforce, mais la situation ne se règle pas et le mal-être interne augmente
(Philippot, 2007). Accueillir les émotions permet de mieux connaître nos
besoins importants. Savoir que celles-ci nous parlent de nos besoins nous
permet de les accepter plus facilement. Cela nous permet donc aussi de
mieux vivre nos émotions.
127
Émotion perçue
Tentative de
Échec de la
comme intolérable,
suppression de
suppression
inacceptable
l'émotion
Affect négatif
Émotion perçue
Rétablissement
Accueil de
comme tolérable,
naturel de
l'émotion
acceptable
l'humeur
Figure 6.4
Dans notre exemple, il serait intéressant que Géraldine, après avoir pris le
temps d’identifier son émotion (la colère), se pose la question des besoins
sous-jacents à ce sentiment. Peut être a-t-elle besoin de respect et d’estime
d’elle-même et qu’elle sent ces besoins menacés par le comportement de
Marc ?
128
Exemple 2 (complexe)
Émotion
Besoins
Événement
déclencheur
Figure 6.5
129
Seligman, un des pères de la psychologie positive, pense que notre cerveau a
tendance à fonctionner de manière négative (2005). Pour lui, notre système
attentionnel s’oriente d’abord vers les aspects négatifs de l’environnement
afin d’affronter rapidement les dangers. Lors d’un épisode émotionnel, nous
avons tendance à nous focaliser en priorité sur le déclencheur de l’émotion,
qui correspond à un processus négatif relié à l’évitement (« que faire pour
éviter le danger ? ») plutôt que sur nos besoins, qui correspondent davantage
à un processus d’approche (« que faire pour les satisfaire ? »).
Identifier nos besoins n’est pas facile car c’est un raisonnement auquel nous
ne sommes pas habitués. Nous cherchons le plus souvent la « cause »
INT
Situation
déclenchante
RPRÉTA Émotion
TION Besoins
Figure 6.6
130
– Qu’est-ce qui est réellement important pour moi dans cette situation ?
Lorsque nous avons compris quel était le besoin en jeu, se pose alors la
question de la manière d’en prendre soin. Pour ce faire, il est fondamental de
distinguer les besoins des moyens mis en place pour les satisfaire. Alors que
les besoins sont universels mais limités, les moyens sont illimités mais
contextuels et culturellement influencés (le besoin de reconnaissance est un
besoin universel, et on pourrait imaginer une multitude de moyens pour y
répondre : une promotion, les remerciements du responsable, le
développement de nos propres compétences, etc.). Comme il y a de
nombreuses façons de satisfaire un besoin, il est bon de laisser notre
créativité s’exprimer pour choisir le moyen le plus efficace ou le plus
accessible, au lieu de se focaliser sur un moyen impossible à mettre en
œuvre. (Chantal a besoin de repos et aimerait partir en vacances,
malheureusement sa situation professionnelle ne le lui permet pas pour
l’instant. De quelle autre manière pourrait-elle répondre à ce besoin ?) Dans
le cas où nous ne trouvons pas le moyen qui apporte-rait un bien-être
concret, nous pouvons travailler sur nos pensées et nos croyances, comme
nous le verrons au chapitre 7.
131
à être en moins bonne santé mentale que ceux qui se centrent sur des
paramètres intrinsèques (intimité, développement personnel) (Kasser, Ryan,
Zax et Sameroff, 1995). D’autres études ont également montré que lorsque
leurs besoins sont contrariés, les individus orientés vers des buts
extrinsèques ont tendance à se tourner vers des substituts (comme le tabac et
l’alcool) plutôt que d’être conscients de l’importance de ces besoins
(Williams, Cox, Hedberg et Deci, 2000).
Avoir assez
Changer de
d'argent pour ne
travail,
pas devoir
d'habitation, etc.
y penser
LIBERTÉ
Ne pas travailler
Travailler à son
propre compte
(Besoin)
Partir en
Travailler sa
vacances
confiance en soi
sac à dos
Figure 6.7
132
3 CONCLUSION
Chapitre 7
INTRODUCTION
À LA RÉGULATION
DES ÉMOTIONS1
Tout d’abord, notre espérance de vie est trois fois plus longue que celle de
nos prédécesseurs, ce qui fait autant d’épisodes émotionnels en plus.
Bref, la vie quotidienne nous fournit notre lot d’émotions et certaines d’entre
elles doivent être régulées. En effet, aussi fonctionnelles soient-elles, les
émotions peuvent incontestablement nous amener à avoir des paroles ou à
poser des actes regrettables (Gross, 2008). C’est le cas, par exemple, lorsque
l’ennui nous conduit à procrastiner au lieu d’avancer ou lorsqu’un accès de
colère à l’encontre d’un agent communal ne fait qu’aggraver notre situation.
Le présent chapitre constitue une introduction à la régulation émotionnelle.
Nous y découvrirons quand les émotions doivent être régulées, quelles sont
les différentes formes de régulation et pourquoi il est si important d’être
capable de réguler ses émotions. Nous tenterons également d’expliquer
pourquoi certains individus parviennent relativement aisément à réguler
leurs émotions, alors que d’autres se retrouvent littéralement submergés par
ces dernières.
136
1 ÉMOTIONS FONCTIONNELLES
ET DYSFONCTIONNELLES
dire quand elles sont en désaccord avec nos objectifs ou qu’elles sont
inappropriées au contexte.
(2) Il existe d’autres situations dans lesquelles l’émotion doit être régulée
parce qu’elle ne concorde pas avec les règles d’expression émotionnelle.
Entre les « je ne sais pas lire le formulaire, les caractères sont trop petits » et
les
« vous ai-je dit que mon fils cadet, vous savez celui qui est parti en France,
etc. », vous perdez patience et vous sentez monter en vous la colère. Votre
cœur s’accélère, votre tension grimpe, le feu vous monte aux joues et vos
poings se crispent. Vous préparez une remarque cinglante à l’attention de
cette personne.
Pourtant au dernier moment, vous pincez vos lèvres et vous vous abstenez.
Vous réalisez qu’un accès de colère ne ferait qu’aggraver la situation, pour
vous, pour la cliente et pour l’employé.
137
notons que c’est l’inverse dans les entreprises de pompes funèbres et d’huis-
siers de justice – (Hochschild, 1983). On retrouve de telles différences de
normes entre les familles. Alors que certaines familles valorisent
l’expression des émotions, ces dernières constituent un sujet tout à fait tabou
dans d’autres. Il existe aussi des familles dans lesquelles il est permis
d’exprimer des émotions positives (joie, intérêt, enthousiasme) mais où
l’expression d’émotions négatives (ex. tristesse, colère, peur) est proscrite.
Dans d’autres familles, c’est l’inverse.
138
2 L’OBJET DE LA RÉGULATION
ÉMOTIONNELLE
Comme nous l’avons suggéré dans les lignes qui précèdent, ce que l’on
entend par « régulation émotionnelle » ne se limite pas simplement à « se
défaire de ses émotions négatives ». En réalité, la régulation émotionnelle
recouvre l’ensemble des processus par lesquels l’individu va modifier son
émotion. La régulation émotionnelle peut servir à modifier différents
paramètres (Gross et Thompson, 2007).
• Le type d’émotion
Le cas le plus classique de régulation est de tenter de passer d’une émotion
négative à une absence d’émotion, voire à une émotion positive. Par
exemple, essayer de transformer l’ennui (pour une tâche, une conversation)
en intérêt. Ceci étant dit, on choisit aussi parfois, mais plus rarement, de
changer de type d’émotion au sein de la même valence1 affective. C’est le
cas lorsque l’on essaye de convertir sa tristesse ou sa déception en colère
après avoir été trompé par son (sa) partenaire.
• L’ intensité de l’émotion
• La durée de l’émotion
DE RÉGULATION ÉMOTIONNELLE
Bien que les individus tentent le plus souvent de se défaire de leurs émotions
négatives, la régulation émotionnelle ne se limite pas aux émotions
négatives. Il arrive ainsi que l’on doive réduire l’intensité d’émotions
positives, par exemple diminuer la joie liée à la réussite d’un examen en
présence d’un ami qui a échoué.
Tableau 7.1
Diminuer
Augmenter
Émotion
sentimentale, etc.
obtenu une promotion qu’un collè- mum du dernier jour des vacan-
un cours, etc.
Les deux formes de régulation les plus fréquentes sont la diminution des
émotions négatives et l’augmentation des émotions positives (Gross,
Richards et John, 2006). La diminution des émotions négatives est la forme
de régulation la plus fréquente ( id.). Nous la pratiquons dans de nombreuses
situations, certaines tout à fait banales comme le stress des embouteillages
ou celui d’avoir perdu nos clés, d’autres dont les enjeux sont beaucoup plus
importants comme une rupture sentimentale ou la colère d’avoir été traité
injustement. Dans toutes ces situations, nous essayons de diminuer
l’intensité de nos émotions négatives afin de maintenir un fonctionnement
normal.
négatives.
140
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
Ce peut être (a) par pur hédonisme, lorsque nous essayons de prolonger un
moment de bonheur, (b) pour répondre à des contraintes sociales comme
lorsque nous nous efforçons de trouver drôle la dernière blague racontée par
notre collègue ou (c) pour soutenir la performance, lorsque nous tentons
d’augmenter son intérêt pour un cours ou une tâche. Le chapitre 9
141
4 L’IMPORTANCE DE LA RÉGULATION
ÉMOTIONNELLE
Nous avons vu que les émotions devaient être régulées lorsqu’elles ne sont
pas en accord avec les normes en matière d’expression émotionnelle ou
lorsqu’elles ont des conséquences négatives pour le bien-être de l’individu,
pour sa performance ou pour autrui.
Les individus qui gèrent mal leurs émotions ont moins d’amis, ont des
relations sociales et conjugales de moindre qualité, et rencontrent plus
fréquemment des conflits interpersonnels (ex. Lopes et al. , 2005 ; Schutte et
al. , 2001). Ces personnes sont aussi moins appréciées par leurs pairs (ex.
Gross, 2002). Tout cela est relativement logique : si nous nous mettons
constamment en colère envers nos proches, si nous sommes perpétuellement
tristes, si nous ne parvenons pas à contrôler notre jalousie, les gens finiront
par nous tourner le dos !
Les étudiants qui éprouvent des difficultés à gérer leurs émotions réussissent
significativement moins bien à l’école et à l’Université (ex. Gumora et
Arsenio, 2002 ; Leroy et Grégoire, 2007). Deux processus participent sans
142
Les personnes qui gèrent bien leurs émotions sont ainsi plus performantes
dans les tâches qu’elles doivent effectuer. Ainsi, les équipes hospitalières
dans lesquelles les infirmier(e)s ont de bonnes capacités à gérer leurs
émotions prodiguent des soins de meilleure qualité et respectent plus
volontiers les normes d’hygiène de l’hôpital (Quoidbach et Hansenne, 2009).
La capacité à gérer ses émotions joue également un rôle majeur dans les
professions de service. Les vendeurs qui gèrent bien leurs émotions voient
leurs clients plus satisfaits et plus enclins à refaire appel aux services de
l’entreprise (Grandey, 2003).
Finalement, les recherches ont montré que les personnes qui gèrent mal leurs
émotions ont statistiquement plus de risques de se retrouver au chômage que
les autres (Mikolajczak, Luminet, Leroy et Roy, 2007). Il y a, ici aussi, au
moins deux explications possibles à cet effet : l’une est relative à l’obtention
d’un travail, l’autre concerne la perte de son travail. Les personnes qui ont
du mal à gérer leur anxiété (ex. lors d’un entretien d’embauche) éprouvent
plus de difficultés à obtenir du travail. Celles qui ont du mal à gérer leur
colère ont plus de difficultés à garder leur emploi (altercations avec le
supérieur, les clients, etc.).
143
4.4 La santé physique
La raison est simple : les émotions ont une contrepartie biologique. Lorsque
l’on est en colère, on ne se dit pas simplement « je suis en colère » mais on
éprouve physiquement cette colère : on a le cœur qui s’accélère, les muscles
des bras et des mains qui se crispent, les joues en feu, etc. Ces
manifestations sont le résultat de changements au niveau de l’activité de
différents neuro-transmetteurs et de la libération de certaines hormones.
144
Figure 7.1
145
« gagner 10 000 €, c’est chouette, mais en perdre 10 000 est une catastrophe
».
Nous allons donc tâcher d’éviter les pertes plutôt que de maximiser les
gains.
facteurs environnementaux.
146
Ainsi, 5-HTT expliquerait que certains aient plus vite peur que d’autres et
COMPT expliquerait pourquoi certains ont du mal à réguler cette peur (voir
point 7. ci-dessous : « Réactivité et régulation ») (Lonsdorf et al. , 2009).
Nous avons dit plus haut qu’une personne avec un allèle court pouvait gérer
ses émotions de manière efficace si les facteurs environnementaux lui étaient
favorables. De la même manière, une personne possédant l’allèle long pourra
mal gérer ses émotions si les facteurs environnementaux lui sont
défavorables.
réactivité émotionnelle
147
Il est à noter que nous parlons ici des facteurs qui vont façonner les capacités
d’un individu à réguler ses émotions dans l’absolu. Nous ne parlons pas des
événements qui, au cours de la vie, vont faciliter ou au contraire dégrader la
capacité d’un individu à gérer ses émotions. Il va de soi, par exemple,
qu’une accumulation d’événements de vie difficiles rendra la gestion des
émotions difficile chez toute personne en raison de l’épuisement de ses
ressources (Baumeister, 2002).
6 UNE CONFIGURATION
ET UN FONCTIONNEMENT PARTICULIERS
DU CERVEAU
Davidson, 1998).
Livre9782100532810.book Page 148 Mardi, 8. septembre 2009 4:24 16
148
Figure 7.2
( Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ed/BrainLobes-
Labelled.jpg)
Les hémisphères gauche et droit du cortex préfrontal correspondraient à
deux systèmes fondamentaux, chacun sous-tendant différentes formes de
motivations et d’émotions. L’hémisphère gauche du cortex préfrontal
faciliterait les comportements appétitifs et générerait des affects liés à
l’approche, comme par exemple l’enthousiasme, la fierté. À l’inverse,
l’hémisphère droit du cortex préfrontal faciliterait le retrait des sources de
stimulation aversives et générerait des affects liés à l’évitement, comme la
peur ou le dégoût.
149
7 RÉACTIVITÉ ET RÉGULATION
ÉMOTIONNELLE
Même s’il est possible qu’elle leur sauve un jour la vie, cette hyper-vigilance
a beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages car elle génère de très
nombreuses fausses alertes (Stein, 2003). L’amygdale des personnes
anxieuses crie beaucoup plus vite au danger et génère donc davantage
d’émotions à réguler ;
150
Les individus qui éprouvent le plus de difficultés à gérer leurs émotions sont
ceux qui ont à la fois une réactivité émotionnelle élevée et des capacités de
régulation faibles. Diminuer sa réactivité par rapport aux situations
émotionnelles est possible mais au prix d’un travail important. Le chapitre 6
8 CONCLUSION
151
approfondira les stratégies les plus efficaces (et, brièvement, les plus délétè-
présentera les stratégies les plus efficientes (et, brièvement, les plus délétè-
Chapitre 8
LA RÉGULATION
DES ÉMOTIONS
NÉGATIVES1
156
ceux qui souhaitent les réguler, mais qui en sont incapables. On peut en effet
souhaiter sincèrement se défaire d’une émotion négative et ne pas y arriver.
FONCTIONNELLES
1.1.1
La sélection de la situation
157
Figure 8.1
158
à détailler ici trois biais de prédiction majeurs : les biais d’impact, les biais
de projections et les biais de mémoire1. Nous sommes tous victimes de ces
biais. Ceci dit, les recherches montrent que les individus les plus sensibles à
ces biais sont également ceux qui ont le plus de difficultés à gérer leurs
émotions (Dunn, Brackett, Ashton-James, Schneiderman et Salovey, 2007).
Les biais de mémoire. Nos prédictions du futur sont très largement basées
sur nos souvenirs du passé (Quoidbach, Hansenne et Mottet, 2008 ; Sudden-
dorf et Corballis, 2007). Cependant, notre mémoire est loin d’être parfaite et
les biais qui affectent nos souvenirs affectent par conséquent également nos
prédictions (Karney et Coombs, 2000 ; Wirtz, Kruger, Scollon et Diener,
2003).
159
C’est le cas d’un exposé oral ou d’une session d’examen par exemple.
Éviter ces situations parce qu’elles déclenchent des émotions négatives serait
hautement dysfonctionnel car cela équivaudrait à se priver de la possibilité
d’obtenir la promotion ou le diplôme convoité. Ce serait donc se rendre la
vie plus difficile, ce qui générerait à long terme plus – et non moins –
d’émotions négatives.
160
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
Les règles de décision. Dans bon nombre de cas, nous basons nos choix sur
des règles de décision (« ne pas gaspiller », « rechercher la diversité ») plutôt
que sur nos prédictions affectives.
Ainsi, par exemple, dans une étude sur la règle « ne pas gaspiller », des
chercheurs ont demandé à des participants d’imaginer qu’ils avaient, par
erreur, réservé deux week-ends de ski aux mêmes dates : un week-end à 100
dollars dans le Michigan et un week-end à 50 dollars dans le Wisconsin. Ne
pouvant effectuer les deux voyages en même temps ni se faire rembourser,
les participants étaient forcés de choisir entre les deux destinations. Malgré
le fait que les chercheurs avaient dit préalablement aux participants que le
voyage au Wisconsin était de loin le plus agréable, la majorité des
participants choisissaient le Michigan (destination pour laquelle ils avaient
dépensé le plus d’argent) (Arkes et Blumer, 1985).
( i.e. le prix) plutôt que sur le plaisir que leur apportera l’expérience (la
prédiction affective) pour prendre leur décision (Hsee, Yu, Zhang, Xi et Bay,
2003).
De la même manière, nous aurons souvent tendance à baser nos choix (de
partenaire, de travail) sur des attributs observables ou mesurables et néglige-
161
rons souvent les attributs moins mesurables qui sont pourtant beaucoup plus
importants pour notre bien-être.
■ Résumé
1.1.2
L’évaluation de la situation1
162
Si une même situation peut donner lieu à des émotions différentes chez des
individus différents, aucune situation n’a donc, intrinsèquement, le pouvoir
de déclencher une émotion1.
L’émotion dépend donc, non pas de la situation en tant que telle, mais de la
perception que l’individu en a. Une situation a priori négative, telle que la
vue d’une énorme tarentule, peut ainsi ne déclencher aucune émotion chez
un passionné d’arachnoïdes. De même, une situation a priori neutre peut
induire des émotions fortement négatives si elle est évaluée comme une
menace. Une convocation chez son supérieur hiérarchique (événement
neutre tant qu’on ne s’y est pas rendu) fera ainsi craindre d’emblée le pire à
certains.
D’autre part, leur philosophie de vie leur permet de prendre du recul vis-à-
Avant de conclure, il est à noter que cette section peut être mise en lien avec
le chapitre 6 parce que l’automatisation de réévaluations répétées aboutira à
une évaluation spontanée différente et, par là même, à un niveau de
réactivité différent.
163
164
gies qu’il est nécessaire pour l’atténuer. Ces stratégies peuvent être mises en
place simultanément ou successivement.
Figure 8.2
165
Les recherches n’ont, en effet, pas encore montré que certaines d’entre elles
soient préférables à d’autres1. La seule chose importante est de vérifier si la
situation peut ou non être modifiée.
1.2.1
La gestion de la situation
stress.
166
167
moins souvent… et Monsieur pourrait se dire que tant que son épouse est
inhibée, elle ne sera pas tentée d’aller voir ailleurs. Le même raisonnement
pourrait être effectué dans le second cas de figure. Madame pourrait se dire
que l’éjaculation précoce diminue le risque que son époux la trompe. De son
côté, Monsieur pourrait finalement y trouver son compte et se dire qu’on est
bien moins fatigué le lendemain après des relations sexuelles de cinq
minutes qu’après avoir batifolé pendant une heure…
1.2.2
La ré-orientation de l’attention
» et «
voir tout en
rose ». Comme nous l’avons vu plus haut, ce mécanisme est adaptatif dans la
mesure où il permet un traitement plus rapide de la menace en situation de
danger. Néanmoins, si fonctionnelle soit-elle, cette torche attentionnelle
n’aide évidemment pas à la restauration d’une humeur positive puisqu’elle
maintient l’individu dans un état morose. L’individu qui n’y prend pas garde
risquera donc facilement de tomber dans un état de rumination dans lequel il
ressassera encore et encore la situation – n’en percevant que les aspects
168
– La distraction externe, qui consiste à faire autre chose, par exemple une
activité qui procure du plaisir (faire du sport, regarder la télévision, lire,
sortir, etc.).
Ne vaut-il pas mieux affronter les problèmes plutôt que s’en distraire ?
La question est loin d’être triviale et fait encore aujourd’hui débat parmi les
psychologues. Alors que certains avancent que la distraction est une stratégie
hautement délétère, d’autres soutiennent qu’il s’agit au contraire d’une
stratégie extrêmement efficace. Une manière de solutionner le débat est de
considérer les preuves scientifiques à l’appui de l’une et l’autre conceptions.
Les partisans de la vision dysfonctionnelle avancent comme principal
argument
rement efficace pour (1) les problèmes mineurs (ex. nous passons une
excellente soirée au restaurant en compagnie de notre conjoint(e) mais notre
voisine de table nous regarde avec mépris) ; (2) les problèmes insolubles (ex.
la fête annuelle du quartier bat son plein en face de notre maison et le bruit
nous empêche de dormir ; nous avons préparé et répété au mieux notre
présentation orale du lendemain mais nous sommes encore anxieux) ; (3) les
événements suscitant des émotions intenses
169
☞
Le changement cognitif
170
■ La réévaluation de la situation
Par définition, si une situation donne lieu à une émotion, c’est que nous la
percevons d’une certaine manière. Réévaluer la situation correspond à
modifier la perception que nous en avons. Une telle réévaluation requiert un
effort cognitif. Il faudra d’ailleurs un certain temps avant que ce processus
ne s’automatise (voir point 1.1.2, « L’évaluation de la situation »).
Néanmoins, les efforts de l’individu qui essayera systématiquement
d’appliquer cette stratégie seront récompensés. Tout processus suffisamment
répété finit par s’automatiser, même s’il est extrêmement complexe. Les
automobilistes en savent quelque chose : ils apprennent à conduire au prix de
temps, d’efforts et de sueur mais, peu après, ils conduisent en mode
purement automatique et parviennent même à téléphoner simultanément !
– Cela allait peut-être de soi pour mon patron que le reste du projet était bon.
171
Comme le suggère cet exemple, nos émotions sont souvent le fruit d’une
perception partielle ou distordue de la réalité. C’est ce que soutenaient déjà
Aaron Beck et Albert Ellis en leur temps (Beck, 1976 ; Ellis, 1974), et c’est
également l’idée défendue par David Burns, un célèbre professeur de Stan-
ford. Ce dernier a mis en évidence différents processus de distorsion de la
réalité, que nous résumons dans le tableau 8.1 (Burns, 1999). Selon Burns,
nous serions beaucoup plus heureux si nous faisions systématiquement la
chasse à nos distorsions cognitives.
Tableau 8.1
Explication
Exemple
La pensée du « tout ou
rien »
ou blanc ou en mode « ça
dysfonctionnelle, tant au
passe ou ça casse ! ».
ma présentation, à l’excep-
raisse négatif.
Le filtre mental
hors contexte, en occultant par cette remarque et j’ignore des faits plus
importants et
favorables.
réelle.
Le rejet du positif
positives en se disant
172
hâtives
Exagérer l’importance de
La catastrophisation et
qualités.
Le raisonnement émo-
personne détestable » ou :
tionnel
traité(e) injustement. »
sera entièrement de ma
Se sentir responsable des
La personnalisation
sites au hasard
manager ».
objectivement
» potentiellement stressant
2. Relativiser
« Comparée à la guerre, aux soldats qui se battent en Irak, aux personnes qui
meurent de faim, ma situation est-elle vraiment si pénible ? »
173
de situation comme une mer agitée. Vous vous trouvez au milieu de l’océan
et avez l’impression d’être submergé(e) par les vagues, etc. Celles-ci vous
apparaissent hautes et hostiles et vous ne voyez qu’elles. Vous avez
l’impression que vous ne vous en sortirez jamais. Essayez toutefois, l’espace
d’un instant, d’imaginer que vous montez à bord d’un avion et que vous
prenez de la hauteur. Vous survo-lez à présent l’océan. Que voyez-vous ? En
réalité, vous voyez un peu de remous à un endroit précis mais, globalement,
la mer vous apparaît calme…
Le second précepte : « À quelque chose malheur est bon » est, au fond, assez
proche du premier. Il indique que, contrairement à l’impression qui se
dégage lorsque l’on est au cœur d’une situation que l’on estime négative, la
plupart des événements, si noirs ou douloureux soient-ils, comportent un
aspect positif. Ce dicton, qui s’accorde parfaitement avec les recherches
scientifiques menées à ce sujet, nous encourage également à nous décentrer
du négatif et à regarder le bon côté des choses : quel est le point positif de la
situation ? Quel bénéfice puis-je en retirer ? Si mon supérieur me fait une
remarque, ce n’est certes pas très gai ; mais le positif, c’est que cela me
donne l’occasion de m’améliorer. De même, se disputer avec son conjoint
n’est jamais agréable mais ce peut être l’occasion de mettre certaines choses
au point afin d’éviter des difficultés plus graves à l’avenir. Qu’on ne s’y
trompe pas, toutefois. Alors qu’elle peut paraître simple à effectuer « à froid
», la recherche des points positifs « à chaud » requiert un effort cognitif
important. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, les émotions
négatives attirent l’attention sur les éléments négatifs de la situation
174
rent leur famille et nombre d’entre eux ne revinrent jamais. Les paysans
furent ravis de garder leur fils près d’eux et de pouvoir lui choisir une
magnifique épouse, ce qui aurait été difficile en présence de concurrents
valides. La présence de leur fils à leurs côtés leur donna la force de travailler
jusqu’à leur mort.
■ L’acceptation
175
; Langer, 1989
Dialectical Behavior
1.2.4
Il faut, en réalité, distinguer deux stratégies dans cette famille, selon que
l’interlocuteur est ou n’est pas la cause de l’émotion. La littérature désigne
sous le nom de « partage social » le partage d’émotions avec un interlocuteur
qui n’est pas à l’origine de l’émotion (ex. lorsque l’on raconte à une amie la
dernière dispute que l’on a eue avec notre conjoint, ou lorsque l’on rediscute
entre amis d’un accident auquel on vient d’assister). Nous désignerons sous
le nom d’« expression clarificatrice » le partage de l’émotion avec la
personne qui en est la cause (ex. lorsque l’on dit à un ami/son conjoint que
l’on s’est senti(e) blessé(e) par son comportement).
Votre voisin, tétanisé, lui a donné tout son argent et l’individu s’est ensuite
enfui…
Vous calmez votre voisin et restez à ses côtés jusqu’à l’arrivée de la police.
Vous retournez chez vous très remué…
Ces derniers jours, vos soupçons s’étaient toutefois portés ailleurs et vous
venez de découvrir le pot aux roses : votre partenaire a « craqué » pour
quelqu’un d’autre. Vous avez eu une violente dispute avec lui/elle et vous
êtes à présent complètement dévasté(e), etc.
Tant les événements positifs que les événements négatifs suscitent ce besoin
de parler. Par ailleurs, le partage social est d’autant plus marqué (plus
impératif, plus fréquent et impliquant un plus grand nombre de personnes)
que l’émotion causée par l’événement est forte (Rimé, Finkenauer, Luminet,
Zech et Philippot, 1998).
Le partage social est un excellent outil de régulation parce qu’il prolonge les
émotions positives et diminue les émotions négatives (Rimé, 2005, 2007).
177
178
ta place, je n’aurais même pas osé sortir de chez moi de peur que le voleur
revienne… C’est dire comme tu es courageux ! »
179
■ L’expression clarificatrice
Étant donné qu’elle n’était pas vraiment visée et qu’elle ne trouvait pas du
tout cet homme attirant, elle n’a pas jugé bon de mettre outrancièrement ses
limites. Dans ce cas, l’expression des émotions du mari a permis à l’épouse
de lui expliquer que sa jalousie était compréhensible, mais qu’elle n’avait
pas lieu de perdurer. Dans le second cas de figure, l’épouse pourrait
reconnaître que son comportement prêtait à confusion et qu’elle aurait dû
mettre plus clairement ses limites. Elle pourrait promettre d’essayer d’éviter
l’ambiguïté la prochaine fois. Dans le troisième cas de figure, l’épouse
pourrait dire à son mari qu’il n’a qu’à l’accepter comme elle est et que, tant
qu’elle ne le trompe pas, il n’a rien à dire. Dans ce dernier cas, il incombera
sans doute au mari d’utiliser une autre stratégie de régulation !
180
1.2.5
■ La relaxation dirigée
181
■ La relaxation personnelle
182
Tableau 8.2
De nombreux sons ont des propriétés relaxantes. Bien que certains sons aient
des propriétés relaxantes particulières, les goûts varient selon les individus.
Une musique qui n’est pas appréciée ne sera pas relaxante.
183
1.3 En résumé
Les stratégies présentées dans les sections qui précèdent constituent autant
d’outils de gestion émotionnelle ayant fait preuve de leur efficacité.
Néanmoins, chaque individu aura des affinités particulières avec certaines
straté-
gies plutôt que d’autres. L’essentiel est cependant d’avoir plusieurs stratégies
à sa disposition, afin de pouvoir faire face au plus grand nombre de
situations possibles. De manière générale, il est à noter que la régulation
émotionnelle sera d’autant plus efficace qu’elle intervient tôt. La métaphore
des chutes du Niagara1 illustre bien ce point. Lorsque le bateau se trouve
loin de la chute, il a tout le loisir de modifier sa trajectoire et de rejoindre le
bord. Plus il se rapproche de la chute, plus il devient difficile à maîtriser.
Juste avant la chute, il atteint un point irréversible au-delà duquel il n’est
plus maîtrisable et est condamné à tomber. Il en va de même avec nos
émotions. Si nous ne régulons pas notre colère rapidement, nous atteignons
un point de non-retour au-delà duquel il devient très difficile de la maîtriser.
DYSFONCTIONNELLES
184
Les individus qui n’anticipent pas les émotions que telle ou telle situation
pourrait induire et/ou qui ne prennent pas ces émotions en compte au
moment de leur décision courent le risque d’éprouver des émotions
particulièrement pénibles par la suite. Il existe trois formes dysfonctionnelles
de régulation a priori.
2.1.1
La confrontation dysfonctionnelle
2.1.2
L’évitement dysfonctionnel
nes à court terme mais susceptibles d’amener des bénéfices à long terme
(Luminet, 2002). Il est ainsi néfaste d’éviter de se confronter à ses examens
sous prétexte qu’ils induisent des émotions négatives. Il en va de même avec
les phobies. Éviter l’objet de sa phobie (ex. araignées) ou les lieux qui y sont
liés (ex. caves, greniers, certains pays) permet de réduire les manifestations
d’anxiété à court terme mais augmente drastiquement l’anxiété lors de la
confrontation inattendue avec l’objet ou la situation phobogène, et conduit à
se priver de certaines possibilités (ex. visiter certains pays).
185
2.1.3
La procrastination
La procrastination renvoie au fait de remettre à plus tard des tâches qui
devraient être effectuées immédiatement (ex. différer l’étude d’un cours, la
préparation d’un exposé, la résolution d’un problème, etc.). La
procrastination constitue une stratégie de réponse à l’ennui (ex. ne pas
arriver à se mettre au travail lorsque la tâche est ennuyante) ou au stress (ex.
reporter à plus tard afin d’éviter de se confronter au problème). Elle peut
également provenir d’une gestion déficiente des impulsions (ex. lorsque l’on
remet une tâche à plus tard parce qu’on lui préfère une activité qui procure
une gratifi-cation immédiate) (Cornil, 2008 ; Steel, 2007).
2.2.1
La gestion de la situation
■ L’impuissance acquise
L’impuissance acquise désigne l’état d’un individu qui pense qu’il n’a aucun
contrôle sur la situation et que toute tentative de solution sera vaine.
1993).
186
2.2.2
L’orientation de l’attention
■ La rumination
■ Le déni
2.2.3
Le changement cognitif
■ La catastrophisation
187
2.2.4
■ La suppression expressive
■ Le retrait social
188
Le retrait social comme stratégie de régulation est utilisé par les individus
pensant qu’ils parviendront à mieux gérer leur émotion en se mettant
temporairement à l’écart (ex. s’en aller afin d’éviter d’exploser de colère). Il
s’agit d’une stratégie fonctionnelle dès lors que l’individu met réellement ce
retrait à profit pour laisser l’émotion retomber, prendre distance par rapport à
la situation et réfléchir. Il vaut ainsi parfois mieux sortir de la pièce
qu’exploser de colère sur son enfant ou s’énerver sur son conjoint et dire des
choses que l’on pourrait regretter. Notons que si le retrait est clairement plus
fonctionnel que la violence physique/verbale ou l’abus d’alcool, il comporte
le risque de blesser ou d’offenser l’interlocuteur, qui peut se sentir rejeté ou
privé de la possibilité de discuter (DeLongis et Preece, 2002 ; Repetti, 1992).
Dans de telles situations, il vaut mieux prévenir l’interlocuteur des raisons
pour lesquelles on s’éloigne temporairement et du temps que ce retrait est
supposé durer (ex. « j’ai besoin de prendre l’air pour me calmer, je reviens
dans deux heures »).
■ L’expression inadéquate
■ L’agression verbale
189
2.2.5
Toutefois, celui qui n’y prend pas garde pourra être tenté de recourir à ce
type de stratégie de plus en plus fréquemment et de tomber, tôt ou tard, dans
l’abus.
■ L’abus d’alcool
Nous ne parlons pas ici de l’abus d’alcool festif, c’est-à-dire des soirées un
peu trop arrosées qui suivent une bonne nouvelle. L’abus d’alcool comme
stratégie de régulation désigne une consommation excessive d’alcool en vue
d’oublier un problème ou d’anesthésier les émotions qu’il engendre. Si cette
stratégie est relativement inoffensive lorsqu’elle est utilisée exceptionnelle-
ment, elle est délétère lorsque l’alcool est l’une des stratégies de régulation
privilégiées de l’individu. L’abus d’alcool endommage la santé mentale et
physique à long terme (ex. Single, Rehm, Robson et Van Truong, 2000). Il
altère en outre significativement la performance au travail (Mangione et al. ,
1999).
■ L’abus d’anxiolytiques
Tout comme l’alcool, les anxiolytiques sont inoffensifs dès lors qu’ils sont
utilisés occasionnellement ou durant de courtes périodes, par exemple pour
combattre l’anxiété liée à une opération chirurgicale ou à la suite d’un
événement qui dépasse momentanément les ressources de l’individu (ex.
agression). L’utilisation d’anxiolytiques de manière prolongée n’est pas
recommandée, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, en dépit de
leur effet myorelaxant (détente musculaire), les anxiolytiques, à l’instar de la
relaxation classique, n’induisent pas de modification des pensées. Ils doivent
dès lors être conjugués avec l’application d’autres stratégies de régulation
(ex. modification de la situation ou réévaluation positive). La dépendance
aux anxiolytiques provient souvent de l’adoption par l’individu d’une
position passive : il attend que le médicament fasse effet. Et cette attente
dépasse
191
Tableau 8.3
Stratégies généralement
Stratégies généralement
régulation
fonctionnelles
dysfonctionnelles
(prévisibles) pourraient
provoquer et :
raient provoquer et :
– confrontation à
Régulation a priori
à long terme ;
– évitement de situations
– procrastination.
Régulation
a posteriori
Modification
Modification directe
Impuissance acquise
de la situation
ou indirecte
Ré-orientation
Distraction
Rumination
de l’attention
Déni
Changement cognitif
Réévaluation de la situation
Catastrophisation
Acceptation
saires
Partage social
Retrait social
Expression clarificatrice
Expression inadéquate
Agression verbale
Techniques physio-
Relaxation dirigée
Abus d’alcool
relaxantes
Relaxation personnelle
Abus d’anxiolytiques
Chapitre 9
LA RÉGULATION
DES ÉMOTIONS
POSITIVES1
POSITIVES
Figure 9.1
De nombreuses études montrent que les personnes de bonne humeur (qui ont
par exemple été exposées au préalable à une séquence vidéo amusante)
résolvent plus facilement et plus rapidement ce genre de problème que les
197
198
Opportunités
Émotions
Construction
Satisfaction
positives
de ressources
dans la vie et
Survie
• Événements
• Joie
• Connaissances
positifs
• Intérêt
• Compétences
• Activités
• Gratitude
• Support social
agréables
• Fierté
• Santé
• Capacité à
•…
prendre du
plaisir
Figure 9.2
Mécanisme adaptatif des émotions positives
199
Comparés aux personnes maussades ou neutres, les gens heureux sont plus
sociables, plus énergiques, plus charitables, plus coopératifs et sont plus
appréciés des autres. On apprendra donc sans surprise que les gens heureux
ont davantage de chances de se marier et de le rester. Dans une étude où ils
suivaient des étudiantes sur plusieurs années, des chercheurs de l’université
de Californie ont notamment montré que les filles qui souriaient sur la photo
de fin d’année étaient, en comparaison avec les autres filles de leur
promotion, proportionnellement plus nombreuses à être mariées à vingt-sept
ans et, à cinquante-deux ans, à être satisfaites de leur mariage et ce,
indépendam-
200
Les gens plus heureux ont également un réseau d’amis plus étendu et
bénéficient d’un support social plus important. Ainsi, 26 % des gens qui
disent avoir moins de cinq amis proches se considèrent comme très heureux
alors que ce nombre passe à 40 % pour les personnes qui ont plus de cinq
amis (Myers, 20001).
Une étude a montré que les étudiants qui se disaient heureux en première
année d’Université avaient, seize ans plus tard (aux alentours de trente-cinq
ans), des salaires significativement plus élevés que leurs condisciples moins
heureux. Cet effet était, par ailleurs, indépendant du statut socio-économique
initial des étudiants (Diener, Nickerson, Lucas et Sandvik, 2002).
Enfin, les émotions positives renforcent notre système immunitaire : les gens
heureux sont en meilleure santé et vivent plus longtemps ! La célèbre
201
Figure 9.3
Pourcentage de sœurs ayant atteint l’âge de 75, 85 et 95 ans sur base des
émotions exprimées dans leur lettre de motivation à 20 ans Savoir tirer le
meilleur profit de nos émotions positives, c’est donc non seulement agréable,
mais c’est aussi améliorer bien d’autres aspects de notre vie : énergie,
confiance et estime de soi, efficacité relationnelle, productivité au travail,
santé mentale et même physique.
Enfin, le dernier bénéfice, et non des moindres, des émotions positives, c’est
qu’en devenant plus heureux nous faisons profiter notre partenaire, notre
famille, notre communauté et la société dans son ensemble, des avantages
que nous-mêmes tirons de cette situation. Des chercheurs de la presti-gieuse
Harvard Medical School ont récemment trouvé que le bonheur se répandait
dans les réseaux sociaux de la même manière qu’un virus (Fowler et
Christakis, in press).
Dans une étude considérant le bonheur de cinq mille personnes sur une
période de 20 ans, ces chercheurs ont montré que lorsqu’une personne
devient plus heureuse, cet accroissement de bonheur se propage dans son
réseau social jusqu’à trois degrés de séparation. Ainsi le bonheur déclenche
une réaction en chaîne : lorsque le degré de bonheur d’une personne
augmente significativement, ses amis vivant dans un périmètre d’environ 2
kilomètres ont 25 % de chance de devenir plus heureux aussi. Les amis de
ses amis ont quant à eux environ 10 % de chance de devenir plus heureux et
les amis des amis de ses amis environ 5,6 %a ! Comparativement, la
probabilité d’être durablement plus heureux après une augmentation
financière de 5 000 dollars (environ 3 500 euros) par an se chiffre à 2 %.
Notre bonheur peut ainsi dépendre des fluctuations émotionnelles de
personnes que nous ne connaissons même pas ! Pour paraphraser Boris Vian
: « Le bonheur de tous est fait du bonheur de chacun. »
moins facilement.
Livre9782100532810.book Page 202 Mardi, 8. septembre 2009 4:24 16
202
203
2.1.1
La modification de l’environnement
Enfin, ces participants ont été jugés plus jeunes que leur âge par un panel de
juges indépendants.
2.1.2
204
2.1.3
Qui parmi nous n’a jamais « pesté » à répétition contre un robinet qui ferme
mal, une lampe qui ne fonctionne plus ou un ordinateur capricieux, sans
pourtant se résoudre à régler définitivement le problème, si ce n’est après
des semaines, des mois voire des années ? L’être humain a certes une
capacité d’adaptation hors du commun, mais le revers de la médaille, c’est
qu’il est également capable de laisser perdurer des situations légèrement
désagréables pendant très longtemps. Petit à petit, ces situations peuvent
affecter notre moral, parfois même de manière inconsciente. Quand on
regarde tous les bénéfices que nous procurent les émotions positives, le jeu
n’en vaut pas la chandelle ! Les recherches montrent que la capacité d’agir
rapidement sur nos petites contrariétés est reliée au bien-être (Billings et
Moos, 1981) et à la santé (Penley et al. , 2002). Alors, dans la mesure du
possible, appelons rapidement le plombier, remplaçons sans tarder nos
ampoules usagées et ache-tons une clé USB pour sauvegarder nos fichiers
importants. Bref, simplifions-nous la vie en prenant l’habitude de faire
régulièrement le point sur nos petites contrariétés quotidiennes. Dans bon
nombre de cas, celles-ci peuvent être réglées en une demi-journée.
2.1.4
Avez-vous jamais été à ce point absorbé par ce que vous étiez en train de
faire – en écrivant, en dessinant, en surfant sur Internet, en jouant aux
échecs, ou tout simplement en discutant – que vous en avez totalement perdu
la 1. Voir à ce sujet le point « modification de la situation » (chapitre 8).
205
rience de flow. Le flow (en français : « flux, courant ») est cet état de
concentration et de maîtrise d’une activité passionnante dans laquelle nous
sommes profondément absorbés jusqu’à oublier le temps qui passe et
l’environnement extérieur. Lorsque nous sommes dans un état de flow, nous
nous sentons généralement forts et efficaces, au top de nos capacités.
Complètement inconscients de ce qui nous entoure, nous faisons les choses
pour le simple plaisir de les faire.
La clé pour vivre des expériences de flow est de s’engager dans des activités
parfaitement équilibrées entre compétence personnelle et exigence de la
tâche (voir figure 9.5). Une tâche trop compliquée (vouloir jouer les
morceaux de Jimmy Hendricks alors que l’on est à son premier cours de
guitare) entraînera très souvent de la frustration ou de l’anxiété. À l’inverse,
une tâche trop simple (ex. jouer Jeux interdits pour le guitariste émérite) sera
mortellement ennuyeuse.
Figure 9.5
Expériences de flow
206
S’engager dans des activités (travail, maison, hobbies…) qui mobilisent nos
compétences et notre expertise.
Trop souvent nos pensées ne sont pas directement dirigées vers ce que nous
faisons, et notre attention est perturbée par des pensées parasites (« quelle
heure est-il ? », « quand mange-t-on ? », « dure journée hier au boulot ! »).
Avec un peu d’entraînement et d’effort, il est possible d’augmenter notre
contrôle sur nos facultés attentionnelles. Nous pouvons apprendre à repérer
nos pensées automatiques et à recentrer notre attention sur la tâche que nous
effectuons.
4. Le lieu de travail est par essence un lieu de prédilection pour déployer nos
compétences et être amené à vivre le flow. Nul besoin pour cela d’être
musicien, chirurgien ou homme d’affaires. Les recherches montrent en effet
qu’il est possible d’envisager son travail de trois manières différentes et que,
contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ces optiques dépendent
largement de l’individu et non uniquement de la profession considérée. On
peut ainsi considérer son travail : 1˚ comme une obligation purement
alimentaire, 2˚ comme une étape dans un plan de carrière ou 3˚ comme une
vocation (Wrzesniewski, McCauley, Rozin et Schwartz, 1997). Ainsi, on
trouvera aussi bien parmi les chirurgiens que parmi les éboueurs des
personnes qui considèrent leur job comme ennuyeux et purement alimentaire
(« j’en ai marre de devoir tout expliquer à ces patients »,
207
« ramasser les poubelles est vraiment dégradant, heureusement que cela paye
bien… ») ou des personnes qui le trouvent au contraire important et porteur
de sens (« sauver des vies », « maintenir les rues propres et servir ses
concitoyens »).
2.1.5
La gratitude
Exprimer de la gratitude est une stratégie très efficace pour atteindre le
bonheur. La gratitude peut prendre de nombreuses formes selon les contextes
et les personnes : c’est l’émerveillement, c’est la reconnaissance, c’est
prendre conscience de l’abondance dans laquelle nous vivons, c’est
remercier quelqu’un d’important dans notre vie, remercier Dieu ou la Vie en
général, etc. C’est aussi savourer les choses et ne pas les prendre pour
acquises. La gratitude est un antidote contre les émotions négatives (Froh,
Sefick et Emmons, 2008 ; Sheldon et Lyubomirsky, 2006 ; Wood, Maltby,
Gillett, Linley et Joseph, 2008). Elle protège de l’envie, de la jalousie, de
l’hostilité, du stress et de la tristesse. Communément associée au fait de dire
« merci » à quelqu’un qui nous fait un cadeau, la gratitude est en fait
beaucoup plus large. La gratitude, c’est par exemple remercier ce vieil ami,
cet ancien professeur, ce collègue qui nous a soutenu ou conseillé dans les
moments difficiles ; c’est chérir les bons moments passés avec notre famille,
c’est passer en revue tous les aspects positifs de notre existence et en
remercier la vie, autrement dit porter notre attention sur la part de chance
que nous avons, en mesurant combien notre sort pourrait être moins
enviable.
208
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
Par ailleurs, les personnes chez qui l’ont induit de la gratitude s’engagent
plus volontiers dans des comportements pro-sociaux, même à l’égard de
parfait inconnu (Bartlett et DeSteno, 2006).
2.1.6
L’activité physique
Après quatre mois, les chercheurs ont constaté que les trois groupes
montraient une amélioration dans des proportions équivalentes : l’activité
physique avait exactement la même efficacité que les antidépresseurs ! Mais
ce n’est pas tout.
Six mois plus tard, les patients qui s’étaient remis de leur dépression
montraient un taux de rechute significativement plus bas dans le groupe «
activité physique »
209
2.1.7
La méditation
Pratiquer la LKM
1. S’installer dans une position confortable et fermer les yeux. Le dos est
droit sans être trop tendu ni courbé.
210
7. Imaginer une personne que nous ne connaissons pas bien et pour laquelle
nous éprouvons des sentiments relativement neutres (un nouveau collègue,
une personne récemment rencontrée, une connaissance…) et rediriger les
émotions positives offertes et reçues vers cette personne tout en lui
souhaitant d’être en sécurité, d’être heureuse et d’être en bonne santé.
9. Visualiser enfin nos émotions positives s’étendre à tous les êtres humains
en leur souhaitant d’être en sécurité, d’être heureux et d’être en bonne santé.
2.2.1
211
Figure 9.6
212
chez les individus qui en souffrent une impossibilité de bouger les muscles
faciaux. Ces personnes ont ainsi en permanence une expression neutre sur le
visage. Bon nombre de ces patients déclarent qu’ils sont incapables de
ressentir les émotions. Ils peuvent seulement les penser. « Je pense de
manière heureuse ou triste… mais je ne me sens pas réellement heureux ou
triste » déclare ainsi un homme souffrant du syndrome de Mobius (Cole,
1998, p. 127). On constate donc que l’incapacité d’exprimer physiquement
une émotion influence la capacité à la ressentir.
Malgré ces limites, les résultats de cette première étude n’en demeurent pas
moins surprenants !
213
2.2.2
Être présent
Les parents disent à leurs enfants d’être sages pour obtenir des cadeaux à
Noël. Les professeurs disent à leurs élèves d’étudier beaucoup afin d’avoir
de bonnes notes, d’aller à l’Université et de trouver un bon travail. Les
managers incitent leurs employés à se surpasser afin d’obtenir des
promotions et des augmentations. Les retraités disent à leurs amis qui
travaillent toujours que les années dorées de la retraite ne sont plus bien
loin… Il semble que nous vivions et que nous savourions très rarement le
moment présent, pensant que ce qui compte le plus est pour le futur : « Je
serai tellement heureux le jour de ma promotion », « Si je fais tout ça, c’est
pour pouvoir acheter ma maison l’année prochaine », etc. Bien souvent, nous
postposons notre bonheur immédiat, en tâchant de nous convaincre que
demain sera meilleur qu’aujourd’hui.
Figure 9.7
Mais l’habileté à savourer les expériences présentes positives de notre vie est
un des ingrédients les plus importants du bonheur (Bryant, 1989 ; Meehan,
Durlak et Bryant, 1993). La plupart des gens comprennent réellement ce que
savourer veut dire après l’arrêt soudain d’une douleur ou après
avoir eu extrêmement peur. Quand nous avons horriblement mal à une dent
214
Comme pour toutes les stratégies visant à augmenter le bonheur, il faut faire
preuve d’efforts et de motivation afin de savourer l’instant présent.
215
Les recherches montrent cependant que prendre quelques minutes par jour
pour réapprendre à apprécier une activité agréable que nous avons l’habitude
d’« expédier » rapidement (ex : manger notre sandwich de midi, prendre une
douche, marcher jusqu’à l’arrêt de bus, écouter la radio en voiture, etc.)
permet d’augmenter significativement le sentiment de bonheur et de réduire
les symptômes dépressifs (Seligman, Rashid et Parks, 2006).
2.2.3
216
Dans une autre étude, sur les couples cette fois, les chercheurs ont également
montré qu’il pouvait être particulièrement bénéfique de se souvenir
conjointement des moments heureux. Ils ont demandé à des couples de se
souvenir ensemble le plus précisément possible d’un grand moment de rire
commun. Cette simple manipulation suffisait à augmenter significativement
le niveau de satisfaction des couples par rapport à leur relation (Bazzini,
Stack, Martincin et Davis, 2007).
2.2.4
Le partage social
Comment avons-nous réagi la dernière fois que notre partenaire (ou qu’un
ami) nous a annoncé une bonne nouvelle ? Étions-nous excités et
enthousiastes ou au contraire avons-nous ignoré, minimisé ou critiqué cet
événement positif ? La réussite et la chance des autres peuvent parfois nous
mettre mal à l’aise, nous rendre jaloux (« pourquoi est-ce lui qui a gagné ce
voyage et pas moi ? ») ou nous angoisser (« cette promotion signifie-t-elle
que je la verrai moins ? »).
Apprenons à nous réjouir des bonnes choses qui arrivent à nos proches.
217
Le fait de partager ses propres succès avec ses proches est par ailleurs
associé à un niveau élevé d’émotions positives et de bien-être (Langston,
19941). Ne minimisons pas notre bonne fortune, nos efforts, nos forces ou
notre ingéniosité. Les recherches montrent que, loin d’être un péché mortel,
l’émotion de fierté est associée à de nombreuses conséquences positives2.
Dans une étude récente, Williams et DeSteno (2009) ont ainsi induit de la
fierté authentique chez certains participants en prétendant que leur
performance lors d’une tâche d’acuité visuelle était absolument hors du
commun. Dans une seconde partie de l’expérience, les sujets devaient
résoudre un problème en groupe. Les résultats montrent que les participants
fiers avaient davantage d’influence et étaient plus appréciés par les autres
membres du groupe que les participants contrôles (humeur neutre).
1. Signalons bien sûr qu’il convient d’éviter de tomber dans la vantardise. Si
promouvoir une image particulièrement positive de soi peut être efficace
lorsque nous rencontrons quelqu’un pour la première fois, cette stratégie
s’avère délétère pour les relations avec des personnes plus proches (Tice,
Butler, Muraven et Stillwell, 1995).
218
Le focus négatif peut lui aussi être opposé, dans une certaine mesure, au fait
d’être présent. Ce comportement consiste à orienter son attention sur les
éléments négatifs ou non optimaux d’une situation. Certaines personnes
semblent en effet particulièrement habiles à « tiquer » sur LE détail négatif
d’un événement agréable (ex. lenteur du service lors d’un excellent repas
entre amis). Si l’orientation systématique de l’attention vers le négatif est
connue pour être une des caractéristiques les plus saillantes de la dépression
(ex. Teasdale, 1983), les formes moins extrêmes de focus négatif sont
également nuisibles à nos émotions positives. Ainsi, la simple tendance à
maximiser les situations, c’est-à-dire à rechercher systématiquement le «
meilleur coup » possible (ex. visiter 30 appartements avant de choisir le
meilleur, rechercher assidûment le job idéal, etc.) est négativement reliée aux
émotions positives, à l’optimisme, à l’estime de soi et à la satisfaction dans
la vie (Schwartz et al. , 2002).
219
3 CONCLUSION
Il peut en effet servir de base au lecteur intéressé pour mettre en place des
interventions et/ou plans de développement personnel afin d’augmenter la
fréquence, l’intensité et/ou la durée de ses propres émotions positives.
Chapitre 10
L’UTILISATION
DES ÉMOTIONS1
1 L’INFLUENCE DE L’HUMEUR
Dans les chapitres précédents, nous avons déjà réfuté une vision dichotomi-
que de l’être humain, dans laquelle les émotions et les cognitions seraient
indépendantes. Dans les lignes qui suivent, nous appuierons notre propos et
montrerons que les processus cognitifs « froids » et désincarnés n’existent
pour ainsi dire pas. Les émotions exercent en effet une influence
considérable sur notre pensée. Elles influencent ce que nous percevons, ce
dont nous nous souvenons, la manière dont nous traitons l’information et
dont nous interprétons les événements, les jugements que nous posons et les
décisions que nous prenons.
224
Les émotions influencent tant ce sur quoi nous allons diriger notre attention
que la manière dont nous allons percevoir ce qui fait l’objet de notre
attention.
« voient tout en noir ». Il est à noter toutefois que ces biais sont plus
manifestes chez les individus qui régulent mal leurs émotions que chez ceux
qui les régulent bien. Lorsqu’ils sont d’humeur négative, ces derniers ont en
effet – à cause ou en conséquence de leurs aptitudes supérieures de
régulation – une tendance à transformer rapidement les biais congruents avec
l’humeur en biais incongruents. Focaliser son attention sur des stimuli
positifs quand on est d’humeur maussade facilite en effet la régulation de
l’humeur.
Ensuite, les émotions influencent la manière dont nous allons percevoir les
choses. Dans une étude expérimentale prototypique du genre, des chercheurs
(Fredrickson et Branigan, 2005) ont présenté à des participants différentes
formes telles que celle représentée sur la figure 10.1 ci-dessous.
Les sujets devaient décider laquelle des deux formes du bas était la plus
similaire à la forme du dessus. En réalité, il n’existe pas de bonne réponse
car l’une (celle de gauche) est similaire par sa forme globale (c’est un
triangle) tandis que l’autre (celle de droite) est identique au niveau du détail
(elle est composée de carrés). Notons que les positions respectives des
formes étaient contrebalancées dans l’étude, de sorte qu’une réponse à droite
ne signifiait pas toujours une réponse « détail ». L’étude a montré que les
participants chez qui l’on avait induit une humeur positive avaient tendance
à considérer les choses dans leur globalité (et choisissaient donc les
triangles) tandis que les individus chez qui l’on avait induit une humeur
négative avaient tendance à percevoir les choses dans le détail (et
choisissaient donc les carrés).
Figure 10.1
☞
226
1.3 Le jugement
L’humeur influence tant les éléments sur lesquels nous fondons notre
jugement que la nature de ce jugement (positif ou négatif).
227
Cette influence de l’humeur sur le jugement ne concerne pas que notre vie,
nos relations ou nos biens matériels, mais également nous-mêmes. Dans une
étude à ce sujet, des individus étaient filmés durant une interaction avec un
comparse et seuls les individus ayant émis un nombre équivalent de
comportements positifs et négatifs (évalués par des juges indépendants)
étaient retenus pour la seconde partie de l’étude. Ces participants-là faisaient
ensuite l’objet d’une induction d’humeur positive ou négative puis devaient
visionner leur interaction et juger leur performance. Les résultats indiquent
que les individus d’humeur positive se jugent plus sympathiques et plus
compétents que les individus d’humeur négative (Forgas et al. , 1984).
Il est à noter que l’humeur exerce un effet d’autant plus puissant que la
personne ou la chose à juger requiert un traitement long et complexe de
l’information (Forgas, 1994). Ainsi, si l’on vous demande de vous former
une opinion à propos de couples moyennement attractifs mais bien assortis
(partenaires de même niveau d’attractivité) et de couples d’attractivité
moyenne mais mal assortis (un partenaire beau et un laid), l’effet de
l’humeur sur le jugement sera beaucoup plus puissant dans le cas des
couples mal assortis (Forgas, 1993). Ceci s’explique par le fait que les
couples mal assortis sont plus « surprenants » et que, pour donner sens à une
telle situation, nous devons davantage faire appel à nos propres expériences
et souvenirs. C’est comme lorsque nous devons juger la relation que nous
entretenons avec notre partenaire : un tel jugement est complexe et demande
de faire la synthèse d’un grand nombre d’expériences stockées en mémoire.
Dans ce cas, l’humeur exercera une influence importante sur notre jugement
parce qu’elle influencera fortement la nature des événements rappelés. Les
personnes d’humeur positive se souviendront d’événements plus agréables et
se formeront donc une meilleure impression de leur couple que les personnes
228
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
Coupable
Juan Garcia
Humeur
Humeur
John Garner
positive
neutre
Induction d'humeur
Figure 10.2
Les résultats montrent qu’alors que le jugement des participants est préservé
en condition neutre, il est fortement biaisé lorsque les participants sont
d’humeur positive : les participants d’humeur positive jugent la culpabilité
du suspect plus probable lorsque celui-ci est d’origine hispanique.
229
leurs amis, d’être victimes d’un crime, de divorcer dans les cinq ans ou
encore de vivre une guerre atomique que les participants chez qui l’on induit
une humeur positive (Mayer, Gaschke, Braverman et Evans, 1992). De
manière générale, les personnes d’humeur négative surestiment les risques
tandis que les personnes d’humeur positive les sous-estiment.
Outre son influence sur la perception des risques, l’humeur influence aussi la
prise de risque. Néanmoins, la direction des effets n’est pas claire à ce jour.
Selon certaines études, l’humeur positive augmenterait la prise de risque
tandis que l’humeur négative la diminuerait (Spies, Hesse et Brandes, 1997 ;
Yuen et Lee, 2003). Étant donné que d’autres études obtiennent des résultats
radicalement opposés (Mittal et Ross, 1998 ; Leith et Baumeister, 1996), il
semble que les effets soient plus complexes qu’attendus. Des études récentes
(voir encart ci-après) sur l’effet des émotions spécifiques fournissent une
première piste d’explication à ces résultats mitigés. Elles devront toutefois
être complétées par des recherches ultérieures.
Tout dépend de vos émotions ! Des chercheurs (Lerner et Keltner, 2001) ont
ainsi trouvé que les personnes anxieuses ou chez qui ils ont induit une
émotion de peur préfèrent largement le programme A, c’est-à-dire celui où
l’incertitude est la plus faible. À l’inverse les personnes de nature colérique
ou chez qui on induit de la colère, choisissent majoritairement le programme
B, plus incertain. Il est intéressant de noter que la joie provoque le même
effet que la colère : les personnes heureuses choisissent également le
programme B. Comment cela se fait-il ?
230
L’humeur influence aussi nos choix et, comme pour les jugements, ceux-ci
tendent à être congruents avec notre état émotionnel. Ainsi, les personnes
d’humeur négative ont-elles tendance à choisir des musiques et des films
tristes alors que les personnes de bonne humeur préfèrent écouter des
musiques et regarder des films gais (Synder, 1988 communication
personnelle à Bower, cité dans Bower, 1991). Il en va de même lorsque l’on
demande à des individus ayant subi une induction d’humeur d’indiquer
combien de temps ils comptent consacrer à différents types d’activités la
semaine suivante. Les personnes temporairement joyeuses rapportent vouloir
consacrer davantage de temps à des activités légères et plaisantes tandis que
leurs pairs temporairement déprimés prévoient de consacrer plus de temps à
des activités sérieuses, lourdes et solitaires. Finalement, les individus de
bonne humeur préfèrent la compagnie d’individus de bonne humeur, et vice
versa (Wenzlaff et Prohaska, 1989).
231
ment sur papier une liste de mots. Les mots étaient des homophones dont le
sens était soit neutre (ex. cent), soit négatif (sang). Les participants
maussades retranscrivaient – et donc interprétaient – beaucoup plus
fréquemment les mots dans leur sens négatif que les participants n’ayant pas
subi d’induction d’humeur (ex. Halberstadt, Niedenthal et Kushner, 1995 ;
Richards, Reynolds et French, 1993).
1.7 La mémoire
L’humeur exerce une double action sur la mémoire : elle affecte tant la
nature du rappel ( mood-congruent memory) que la qualité de celui-ci (
mood-dependent memory).
Notons que, comme pour l’attention, ces biais sont plus manifestes chez les
individus qui régulent mal leurs émotions que chez ceux qui les régulent
bien. Lorsqu’ils sont d’humeur négative, ces derniers ont en effet tendance à
transformer rapidement les biais congruents avec l’humeur en biais incon-
232
Outre son influence sur les éléments rappelés, l’humeur influence également
la qualité du rappel. La mémoire est meilleure lorsque l’humeur au moment
du rappel concorde avec l’humeur au moment de l’encodage (Ucros, 1989 ;
voir Eich et Macaulay, 2000 pour une revue). En d’autres termes, on se
rappelle plus facilement une information quand on est dans le même état
d’humeur au moment du rappel que celui dans lequel on était lorsque l’on a
mémorisé l’information. Se remettre dans l’état d’humeur de l’encodage est
donc utile pour faciliter le rappel.
Les pages qui précèdent pourraient laisser croire que l’humeur positive est
toujours bénéfique. Même si c’est souvent vrai, c’est loin d’être toujours le
cas. Nous venons de voir qu’être d’humeur négative pouvait faciliter le
rappel d’informations encodées dans un état maussade. Ainsi, si nous étions
déprimé(e) le jour où nous avons étudié notre examen de philo, mieux vaut
nous remettre dans le même état d’humeur le jour de l’examen. Nous
améliorerons ainsi la qualité de notre performance.
233
Il est à noter que si notre répertoire de pensées et/ou d’actions est plus
étendu lorsque nous sommes d’humeur joyeuse, la qualité de nos pensées
n’est peut-être pas proportionnelle à leur nombre. Une étude suggère en effet
que lorsqu’il s’agit d’être persuasif, les personnes d’humeur négative
produisent des arguments de meilleure qualité que les personnes d’humeur
positive (Forgas, Ciarrochi et Moylan, 2000). Ces résultats sont en accord
avec l’idée que les émotions négatives favorisent un traitement analytique et
systématique de l’information. Les individus d’humeur maussade trouvent
peut-être plus facilement les failles du raisonnement de l’autre et
construisent sans doute leur argumentation à partir d’une analyse plus
systématique de la question.
2 L’INFLUENCE DE L’HUMEUR
Tout d’abord, on observe que les personnes chez qui on a induit une humeur
positive sont plus communicatives, plus chaleureuses, plus à l’aise et plus
constructives en situation sociale que les personnes chez qui l’on a induit
une humeur négative (Forgas, 2002 ; Forgas et Gunawardene, 2000).
1. Il est à noter que cette colère doit se limiter au ring, sous peine de
gaspiller de l’énergie utile par
ailleurs.
234
Ces effets sont également saillants dans la vie quotidienne. Combien de fois
nos proches ne font-ils pas les frais de notre mauvaise humeur lorsque nous
avons eu une mauvaise journée ? Ce qui est intéressant, toutefois, c’est que
la majorité des participants de ces études n’avaient pas conscience de
l’influence de leur humeur sur leur comportement.
En dépit des effets exposés ci-dessus, l’humeur positive n’a pas que des
effets bénéfiques. Lorsqu’il s’agit de formuler une requête, les personnes
d’humeur positive sont beaucoup plus directes – voire même parfois impo-
lies – que les personnes d’humeur négative, qui sont beaucoup plus circons-
pectes et courtoises dans leur demande. Ces effets apparaissent être d’autant
plus puissants que la demande est complexe (Forgas, 1998, 1999).
3 DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE…
235
Supposons que nous ayons plusieurs tâches à réaliser à l’approche des fêtes,
par exemple décorer le sapin et la maison pour le réveillon, faire notre
comptabilité et rédiger une lettre condoléances pour un(e) ami(e) qui a perdu
un proche. Les recherches présentées ci-dessus suggèrent que nous devrions
privilégier la décoration de la maison si nous sommes de bonne humeur et
réserver la comptabilité et la lettre de condoléances pour un moment où nous
serons moins gais. L’humeur négative nous permettra d’être plus
systématique et consciencieux dans l’établissement de nos comptes ou d’être
plus en phase avec l’état émotionnel de notre ami(e) endeuillé(e) et de
trouver ainsi les mots justes.
Nous avons vu ci-dessus que les émotions biaisaient la pensée. Cet effet
n’est pas toujours problématique, cependant. Il est normal que notre
jugement soit biaisé en défaveur d’un candidat à l’embauche qui se
comporterait étrangement durant l’entretien. En outre, dans des
circonstances où l’on doit juger sur base d’un minimum d’informations
objectives et où bon nombre de candidats ont un profil équivalent, les
émotions ont une valeur informative indéniable. On « sent » mieux tel ou tel
candidat (ce candidat suscite plus d’émotions positives que les autres) et ce
que l’on appelle « l’intuition »
236
4 CONCLUSION
Dans ce chapitre, nous avons vu que les émotions influençaient tant nos
pensées que nos comportements. Nos émotions colorent notre perception,
notre mémoire, notre jugement, etc., pour le meilleur et pour le pire. De
manière générale, les émotions provoquent des biais de congruence, de sorte
que nous tendons à percevoir prioritairement les stimuli positifs lorsque nous
sommes heureux et les stimuli négatifs lorsque nous sommes malheureux. Il
en va de même avec nos souvenirs, nos choix, nos interprétations et nos
jugements. Nous avons noté toutefois que ces biais dits « biais de
congruence avec l’humeur » se muaient fréquemment en biais
d’incongruence chez les personnes ayant des aptitudes de régulation élevées.
237
Tableau 10.1
Humeur
Thématique
Conseils
d’activités
privilégiée
Organiser
une fête,
conduire un
Créativité
Positive
brainstorming
dans une
équipe…
Travail de
groupe,
demande
Coopération
Positive
d’aide,
appel à la
générosité…
Faire adhérer
autrui à des
Manipulation
arguments
Positive
simplistes ou
d’analyse
fallacieux…
Acheter une
nouvelle TV,
Évaluation de la
mener un
Négative
qualité
entretien
personne ou d’un objet lorsque nous
d’embauche…
Corriger un
Travail
de précision
une déclara-
d’orthographe !
tion d’impôt
Demande
Demander une
Neutre
délicate
augmentation
Résolution de Positive et
Négociation
conflit
négative
Étudier,
Positive
Mémoire
passer
et
un examen
négative
238
LES COMPÉTENCES ÉMOTIONNELLES
du public cible.
humoristique, un PowerPoint
Convaincre
Positive
un auditoire,
Persuasion
et
faits précis.
vendre
négative
L’inverse est vrai également ! Si notre
un produit
Investir
en bourse,
Émotions
Évaluation
miser tous
spécifi-
des risques
ses jetons
ques
au poker
Chapitre 11
VERS UN
DÉVELOPPEMENT
DURABLE DES
COMPÉTENCES
ÉMOTIONNELLES1
1 LA NATURE DU CHANGEMENT
Pourtant certains individus y arrivent, et souvent on les entend dire que telle
personne, telle expérience ou tel livre a profondément transformé leur vie.
de manœuvre.
242
243
244
motivation et neuro-plasticité
En effet, ces chercheurs tombent dans un piège classique que l’on peut
typiquement qualifier d’« erreur de la moyenne » : ils concluent que le
changement est impossible car, en moyenne, les personnes ne changent pas.
Mais si l’on regarde les données dans le détail, on s’aperçoit qu’un certain
nombre de personnes changent pourtant.
Pour certains ces structures se fixaient de manière définitive à trois ans, pour
d’autre à sept ans mais, dans l’ensemble, le cerveau se « figeait » tôt ou tard
durant le développement. Ces conceptions ne faisaient que renforcer le doute
des scientifiques quant à la capacité de l’individu à changer durablement sa
personnalité, son estime de soi ou son niveau général de bien-être.
Ces conceptions ont cependant été balayées vers la fin des années quatre-
vingt-dix avec l’avènement de l’IRMf (ou imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle).
Ces dix dernières années, un nombre grandissant d’études ont montré que le
cerveau d’un individu évoluait jusqu’au jour de sa mort. Ce phénomène est
connu sous le nom de « neuro-plasticité ».
Ainsi, par exemple, dans une de ces études, le professeur Maguire et son
équipe de l’University College London ont passé le cerveau de seize
chauffeurs de taxi londoniens au scanner. Leurs résultats montrent que
certaines parties de l’hippocampe (zone du cerveau dédiée à la navigation
dans
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DES COMPÉTENCES…
245
l’espace) de ces chauffeurs sont plus larges que celles des participants
contrôles et qu’il existe une relation directe entre le nombre d’année d’expé-
Ces recherches ont par la suite été répliquées de nombreuse fois sur des
musiciens (Gaser et Schlaug, 2003 ; Munte, Altenmuller et Jancke, 2002),
des patients en cours de psychothérapie (Linden, 2006), des personnes prati-
quant la méditation (Brefczynski-Lewis, Lutz, Schaefer, Levinson et
Davidson, 2007)…
Les résultats sont unanimes : le cerveau humain est conçu pour apprendre
sans cesse. Il apparaît donc qu’à force d’entraînement, nous pouvons
véritablement transformer notre cerveau.
Voies peu
renforcées
Voies
renforcées
Figure 11.1
246
Parallèlement, toujours comme pour une rivière, une voie neuronale peu
utilisée finit par rétrécir (se remplir de terre). Ce phénomène se produit donc
aussi bien pour nos voies neuronales « positives » que « négatives », pour
nos bonnes et nos mauvaises habitudes.
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DES COMPÉTENCES…
247
Le défi de ce livre est de nous aider à créer et/ou à fortifier nos voies
positives, celles qui nous rendent plus heureux, plus à l’écoute de nos
émotions, plus énergiques, plus optimistes, tout en déforçant les voies qui
nous freinent dans nos relations, nous amènent à nous concentrer sur le
négatif ou diminuent notre estime de nous-mêmes.
Nul besoin donc de se retirer vingt ans dans les montagnes du Tibet, pour
modifier l’anatomie de son cerveau !
248
2 COMMENT CHANGER ?
Entre 1800 et 1930, l’accent était mis sur le travail acharné et la persévé-
1. Traduction libre.
249
3 stratégies possibles
2.1.1
La stratégie de remédiation
Qu’il s’agisse d’un énième divorce provoqué par la même raison que les
précédents, de licenciements répétés pour un manque d’esprit d’équipe
persistant, d’échecs successifs dus à un trac insurmontable, une ou plusieurs
compétences émotionnelles spécifiques insuffisamment développées sont
souvent à l’origine de souffrances et de problèmes récurrents.
250
2.1.2
La stratégie d’excellence
2.1.3
La stratégie de polyvalence
Après avoir déterminé la direction globale que nous voulons prendre, il nous
faut nous poser une deuxième question cruciale : voulons-nous réellement
changer ?
Bien sûr, consciemment, nous voulons tous mieux vivre avec nos émotions,
être plus heureux ou plus efficaces dans nos relations, mais il est important
de « poser également cette question à notre inconscient ». Car, parfois,
conscient et inconscient ne sont pas pour ainsi dire… sur la même longueur
d’onde.
Tableau 11.1
généralement changer
changement
Rigidité
Constance/Fiabilité
Crédulité
Loyauté
Sévérité
Sérieux
Perfectionnisme
Motivation/ambition
Tracas/anxiété
Responsabilité
Culpabilité
Empathie/sensibilité
Se relaxer plus
Tout critiquer
Réalisme
Bonheur
FORCES
FORCES
FREINS
LEVIERS
Vers le changement
ÉQUILIBRE
Figure 11.2
Dynamique du changement
VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DES COMPÉTENCES…
253
Prendre un moment pour lister l’ensemble des traits que nous voulons
changer, tout en recherchant les caractéristiques positives associées (les
« bénéfices cachés ») que nous voulons conserver, est un premier pas vers le
changement. Cela nous permet de faire tomber les barrières mises en place
par notre inconscient.
« Le plus petit changement effectué au sein d’un système rigide entraîne une
réaction en chaîne qui finit par modifier le système tout entier » (Paul
Watzlawick).
sentation des situations et des problèmes. Par le jeu des rétroactions et des
réactions en chaînes, nous augmentons lentement mais sûrement nos compé-
tences émotionnelles.
254
Qui sont «
les autres
améliorer une
Souvent, nous nous fixons des objectifs trop flous, trop généraux, ou
simplement inadaptés, lesquels conduisent à une moindre performance
(Latham, 2001 ; Locke, 1968).
Doran, 1993
255
Tableau 11.2
Positif
Tel le skieur qui doit se concentrer sur son chemin plutôt que sur les arbres à
éviter, des objectifs négatifs (éviter les arbres) sont généralement plus
difficiles P
Enjoué
Quel est l’enjeu ? Qu’est-ce que nous gagnons à réaliser cet objectif ? En
quoi nous est-il utile, nécessaire ou agréable ?
Contrôlable
Un objectif sous contrôle, c’est un souhait sur lequel nous avons prise ou sur
C
256
Situer l’action dans le temps et fixer des échéances permet de savoir si l’on
s’engage dans le court ou le long terme, et de doser son énergie en fonction
de la durée. Espérons-nous des résultats dès le lendemain, dans une semaine
E
La réflexion sur des dates butoirs permet par la suite de suivre la réalisation
de nos objectifs, ce qui entretient notre motivation. Cette réflexion sur les
délais mène à la structuration de notre plan de développement personnel.
Chacun d’entre nous a des besoins, des intérêts, des valeurs, des ressources
et des affinités personnelles qui lui sont propres. Ainsi, une stratégie de
régulation ou une technique de communication bénéfique pour une personne
peut se révéler inefficace voire contre-productive pour une autre. Par
exemple, une personne extravertie pourra facilement prolonger la durée de
ses émotions positives en les partageant avec autrui. Cet exercice pourra, au
contraire, se révéler particulièrement stressant pour une personne introvertie.
257
258
Pas du tout
Relativement
Beaucoup
« OBLIGATION ».
(CULPABILITÉ + OBLIGATION).
3 CONCLUSION
Chapitre 12
LES PERSPECTIVES
D’AVENIR DANS
LE DOMAINE
DES COMPÉTENCES
ÉMOTIONNELLES1
Dans le premier chapitre, nous avons défini l’objet de ce livre, à savoir les
compétences émotionnelles. Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus
définitif sur le nombre et la nature des principales compétences
émotionnelles, nous avons vu que cinq compétences semblaient cruciales
pour l’adaptation du sujet à son environnement : (1) l’identification des
émotions, (2) l’expression des émotions, (3) la compréhension des émotions,
(4) la régulation des émotions et (5) l’utilisation des émotions. Les
recherches futures devront examiner dans quelle mesure ces cinq
compétences émotionnelles forment un tout cohérent (par ex. si ces cinq
compétences émotionnelles sont les plus déterminantes de l’adaptation du
sujet à l’environnement ou si d’autres compétences émotionnelles doivent
être ajoutées au modèle ; si ces compé-
263
rentes stratégies dans différents contextes devrait être réalisée à cette fin.
Ensuite, une attention particulière devrait être portée aux modérateurs de ces
effets. Il n’est pas impossible, par exemple, que la réévaluation cognitive soit
plus facile à mettre en pratique – et donc plus efficace – pour les individus
ayant un QI élevé comparativement à ceux ayant un QI faible. De même,
l’efficacité du partage social pourrait varier en fonction du degré
d’extraversion de l’individu.
questions restent encore sans réponse. Quelles sont les stratégies les plus
efficaces ? Le sont-elles pour tout le monde ou est-ce que certaines
différences individuelles viennent ponctuer leur effet ? L’effet des émotions
positives authentiques est-il le même que celles que nous cultivons
stratégiquement ?
Le dixième chapitre s’est focalisé sur la manière dont nous pouvions utiliser
nos émotions. Nous y avons découvert que nos émotions influençaient la
manière dont nous pensons et agissons. Nous avons vu qu’il existait un
certain nombre de circonstances dans lesquelles nous pouvions tirer parti de
nos émotions – tant positives que négatives – et nous avons appris comment
utiliser celles-ci afin d’optimiser notre pensée et nos comportements. Cette
compétence étant l’une des moins étudiées, de nombreuses questions restent
sans réponse. Par exemple, quels sont ses substrats neuronaux ? La capacité
à utiliser ses émotions implique-t-elle une connaissance explicite des effets
des émotions sur la pensée et le comportement ?
265
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304
acceptation 174
veaux 9
accueil 126
connaissance 8
adaptation 13
conscience émotionnelle 56
cortex préfrontal 26
cortisol 143
créativité 225
alexithymie 40
croyances fondamentales 17
amygdale 26
apprentissage 100
auto-détermination 122
D
autorégulation 119
déclencheur 128
axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
disposition 8
33
distance 85
bénéfices
– cachés 253
– secondaires 166
besoins 117
émotions
– primaires 44
bien-être 142
– secondaires 45
évitement 126
buts 119
évolution 195
expérience subjective 15
expression
changement 241
– clarificatrice 179
communication
– des émotions 91
– analogique 63
– digitale 63
– faciales 67
306
pensée 14
flow 204
– convergente 225
– divergente 225
perception 224
gestes 81
– du risque 228
gratitude 207
performance 141
priming 203
habileté 8
humeur 202
I–J
regard 77
fonctionnelle 244
intelligence émotionnelle 4
intuition 235
– a posteriori 162
jugement 102
– a priori 156
répression 15
résilience 197
mindfulness 102
modèle de Scherer 48
S
modification
– biologique 14
savourer 210
– comportementale 15
sourire de Duchenne 76
– expressive 15
système 253
– sympathique 31
tendance
– à l’action 14
neuro-plasticité 244
– à l’évaluation 229
théorie de l’élargissement et
de la construction 196
théories de l’évaluation 49
objectifs 254
vocabulaire émotionnel 44
paralangage 82
writing paradigm 94
Allen L.B. 42
Eich E. 224
Argyle M. 77
Ellis A. 171
B
Ellsworth P. 74
Bagby R. 40
Emmons 207
Bastin P. XX
Feldman-Barrett L. 46
Baumann N. 143
Fisch R. 126
Folkman S. 161
Bonanno G.A. 92
Friesen P. 76
Friesen W. 74
Bruchon-Schweitzer M. 166
Frijda N.H. 18
Furnham A. 7
Gardner H. 5
Cook M. 77
Cosmides L. 24
Goleman D. 5
Côté S. XX
Gottman J.M. 98
Csikszentmihalyi M. 205
Grégoire J. 141
Damasio A. 13
H
Darwin C. 68
Hall E. 85
Hall J. 66
308
Hochschild A. 137
I–J
Plutchik R. 45
Porcelli P. XX
Jacobson E. 180
Porter E. 109
Janoff-Bulman R. 17
K
Rimé B. 96
Kahneman D. 144
Rogers C. 91
Kauhanen J. XX
Russell J.A. 46
Kennedy-Moore E. 98
Knapp M.L. 66
Kotsou I. 125
Saarni C. 6
Salovey P. 5, 144
Schwartz G.E. 56
Segal L. 126
LeDoux J.E. 27
Suls J. XX
Leroy V. XX
Taylor G. 40
Tellegen A. 243
Thorndike E.L. 5
Lykken D. 243
Tooby J. 24
U–V
Maslow A. 120
Matsumoto D. 137
Matthews G. 7
Max-Neef M. 122
Viswesvaran C. XX
Mayer J.D. 5
Mikolajczak M. 142
Murray H. 120
Wallbott H.G. 83
Watson J.C. 98
N
Watzlawick P. 63
Nolen-Hoeksema S. 168
Parker J. 40
Pennebaker J.W. 93
Petrides K.V. 7
Zeidner M. 7
Document Outline
Liste des auteurs
Table des matières
Chapitre 1 - Les compétences émotionnelles : historique et
conceptualisation
1 Historique de la notion de « compétences émotionnelles »
2 Vers une définition des compétences émotionnelles
Chapitre 2 - Les émotions
1 Introduction
2 Qu’est-ce qu’une « émotion » ?
3 Les déclencheurs de l’émotion
4 Les fonctions des émotions
5 Les bases neurobiologiques de l’émotion
6 Conclusion
Chapitre 3 - L’identification des émotions
1 L’importance de l’identification de ses émotions
2 Les processus sous-jacents à l’identification des émotions
3 Différents niveaux de conscience émotionnelle
4 Conclusion
Chapitre 4 - L’identification des émotions d’autrui
1 L’importance de l’identification des émotions d’autrui
2 Identifier les émotions d’autrui au travers de la communication
verbale
3 Identifier les émotions d’autrui au travers de la communication
non verbale
4 Conclusion
Chapitre 5 - L’expression et l’écoute des émotions
1 L’expression des émotions
2 L’écoute des émotions d’autrui
3 Conclusion
Chapitre 6 - La compréhension des émotions
1 La perspective théorique
2 La dimension pratique du travail sur les besoins
3 conclusion
Chapitre 7 - Introduction à la régulation des émotions
1 Émotions fonctionnelles et dysfonctionnelles
2 L’objet de la régulation émotionnelle
3 Les différentes formes de régulation émotionnelle
4 L’importance de la régulation émotionnelle
5 Les sources de différences entre les individus
6 Une configuration et un fonctionnement particuliers du cerveau
7 Réactivité et régulation émotionnelle
8 Conclusion
Chapitre 8 - La régulation des émotions négatives
1 Les stratégies de régulation fonctionnelles
2 Les avatars de la régulation émotionnelle : les stratégies
dysfonctionnelles
3 Conclusion
Chapitre 9 - La régulation des émotions positives
1 L’importance des émotions positives
2 Les stratégies de régulation des émotions positives
3 Conclusion
Chapitre 10 - L’utilisation des émotions
1 L’influence de l’humeur sur les processus cognitifs
2 L’influence de l’humeur sur les comportements
3 De la théorie à la pratique…
4 Conclusion
Chapitre 11 - Vers un développement durable des compétences
émotionnelles
1 La nature du changement
2 Comment changer ?
3 Conclusion
Chapitre 12 - Les perspectives d’avenir dans le domaine des
compétences émotionnelles
Bibliographie
Index des notions
Index des auteurs