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Réforme des retraites : pourquoi les


plus modestes devraient être moins
touchés par l’allongement de la
durée de travail
Les salariés les moins aisés devraient être moins concernés par le report de
l’âge légal de travail de 62 à 64 ans. Mais pour une raison assez injuste
socialement : ils sont déjà les plus nombreux à devoir attendre l’âge du taux
plein à 67 ans ou à bénéficier de l’invalidité ou de l’inaptitude à 62 ans.

par Luc Peillon


publié le 17 janvier 2023 à 20h47

Invitée samedi matin sur France Inter pour défendre la réforme des
retraites, Elisabeth Borne a réitéré un des arguments clés de l’exécutif : «Les
20 % des Français les plus modestes sont ceux auxquels on demande le moins
de travailler plus longtemps.» A la base de cette affirmation : l’étude
d’impact de la réforme, qui doit accompagner le projet de loi présenté lundi
23 janvier, explique la Première ministre. A défaut de pouvoir consulter ce
document, difficile, donc, de répondre précisément sur ce point. Pour
autant, plusieurs données d’ores et déjà disponibles laissent penser
qu’effectivement, les plus modestes ne seront pas forcément les plus
affectés par le report de l’âge légal de 62 à 64 ans.
Pour rappel, pour pouvoir partir à la retraite en France, il faut attendre, sauf
exceptions, l’âge légal de départ, actuellement fixé à 62 ans (à partir de la
génération 1955). Pour ensuite prétendre à une retraite à taux plein, il faut
réunir 43 années de cotisations (à partir de la génération 1973). A défaut,
une décote de 5 % par année manquante est appliquée sur le montant de la
retraite. Pour échapper à cette décote, il faut attendre l’âge d’annulation de
la décote, actuellement fixée à 67 ans. Au-delà de cet âge, exit la décote de 5
% par année manquante, mais la retraite restera calculée au prorata du
nombre de trimestres cotisés par rapport au nombre de trimestres de
référence. Ainsi, s’il manque deux années de cotisations pour une carrière
dite «complète», le montant de la retraite sera calculé sans décote, mais sur
la base de 41 /43e.

Or, à la différence de la réforme de Sarkozy de 2010, qui avait repoussé l’âge


légal de départ (de 60 à 62 ans), mais aussi l’âge d’annulation de la décote
(de 65 à 67 ans), le projet du gouvernement ne prévoit de décaler «que» l’âge
légal (de 62 à 64 ans). Et non pas l’âge d’annulation de la décote, qui
resterait fixé à 67 ans.

Raison socialement peu avouable


Dès lors, quel type de population, en fonction de son revenu, va être
concerné par ce report de deux ans de l’âge légal de départ ? A défaut
d’étude d’impact, la photographie actuelle, à l’âge de 30 ans, des salariés –
et futurs retraités – relevée par la Drees, donne une indication. «Compte
tenu des durées validées pour la retraite à l’âge de 30 ans […], les personnes à
plus bas salaires ne peuvent déjà plus, en majorité, espérer atteindre une
carrière complète, et donc une possibilité de départ au taux plein, avant l’âge
d’annulation de la décote [67 ans, ndlr], rappelle ainsi le chercheur à
l’Institut des politiques publiques Patrick Aubert dans un billet de blog.
Pour la génération née en 1962, a priori la première qui sera concernée par la
réforme, 58 % des personnes qui ne pourront pas atteindre le taux plein avant
67 ans (même dans l’hypothèse très optimiste où elles valideraient tous leurs
trimestres entre 30 ans et leur départ à la retraite) font partie du quart des
assurés qui avaient les plus bas salaires à 30 ans.» Et cette part devrait
continuer à progresser après leurs 30 ans, cette catégorie étant la plus
susceptible de connaître des ruptures de carrière par la suite.

En effet, une des hypothèses répandues veut qu’«une fois entrés sur le
marché du travail, la plupart des assurés valident de façon continue des
trimestres pour la retraite, sans interruption de carrière», rappelle Patrick
Aubert. Or, cette hypothèse sous-estime «le poids des carrières précaires et le
caractère très “haché” de celles-ci, qui impliquent que le fait d’avoir
commencé à cotiser jeune ne garantit pas forcément d’atteindre une carrière
complète plus tôt».

Bref, si les 25 % les plus modestes seraient moins touchés, en proportion,


par le report de 62 à 64 ans, c’est pour une raison peu avouable socialement.
A savoir parce qu’ils doivent d’ores et déjà patienter, pour une grande partie
d’entre eux, et du fait d’un manque de trimestres pour une carrière
complète, jusqu’à l’âge d’annulation de la décote à 67 ans. Age d’annulation
de la décote non modifié dans le projet de réforme. «Il s’agit là d’une
caractéristique structurelle du système de retraite français, lié au choix de
privilégier la complétude de la carrière comme critère justifiant un départ à
la retraite au taux plein plus tôt», remarque Patrick Aubert. Or, cette
caractéristique, ajoute-t-il, «pourrait d’une façon générale être interrogée, au
regard de ses propriétés anti-redistributives».

Travailler plus ou accepter une baisse de la


pension
Au sein de cette catégorie, environ 25 % devraient également connaître à la
fin de leur carrière – si l’on se base sur les chiffres de la génération 1950 –
un départ à 62 ans pour inaptitude ou invalidité. Un âge là aussi laissé
inchangé par la réforme. En revanche, les générations comprises entre 1962
et 1972 devant cependant cotiser entre un et trois trimestres de plus pour
une carrière complète, cette catégorie des plus modestes sera contrainte,
soit de travailler d’autant plus, soit d’accepter une baisse de leur pension
une fois arrivée à 67 ans (la décote est annulée mais pas la proratisation en
fonction du nombre de trimestres manquant).

Les catégories sociales réellement impactées par le report de l’âge légal de


62 à 64 ans devraient être, en réalité, les personnes à salaires intermédiaires
(revenus compris entre les 25 % les plus modestes et les plus 25 % les plus
aisés), qui constituent, rappelle Patrick Aubert, «la majorité de celles qui
peuvent encore espérer atteindre une carrière complète à, ou avant l’âge
d’ouverture des droits actuel (soit 62 ans), compte tenu de leur début de
carrière».

Pour les générations plus récentes (à partir de 1974), même chose : la moitié
de ceux qui doivent attendre aujourd’hui les 67 ans pour atteindre le taux
plein se compte parmi les 25 % les plus modestes. Cette génération (et celles
d’après) ne sera pas, en revanche, concernée par l’accélération de la hausse
de la durée de cotisation, puisqu’elle doit déjà cotiser 43 ans pour une
retraite à taux plein.
Pour Patrick Aubert, «il semble donc qu’on puisse affirmer que l’âge de départ
à la retraite ne sera pas modifié pour une partie importante des assurés les
plus modestes dans le cadre du projet de réforme, soit parce que ces assurés
conserveront la possibilité de partir à la retraite à 62 ans au titre de
l’inaptitude et de l’invalidité, soit parce qu’ils devaient déjà, de toute façon,
attendre 67 ans pour partir au taux plein». Les plus touchés par cette
mesure devant être les catégories intermédiaires de l’échelle des revenus,
«c’est donc davantage en ce qui concerne les inégalités entre ces catégories
intermédiaires et les classes plus aisées que les discussions sur le caractère
anti-redistributif ou non de la réforme pourraient se concentrer», conclut le
chercheur.

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