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Invitée samedi matin sur France Inter pour défendre la réforme des
retraites, Elisabeth Borne a réitéré un des arguments clés de l’exécutif : «Les
20 % des Français les plus modestes sont ceux auxquels on demande le moins
de travailler plus longtemps.» A la base de cette affirmation : l’étude
d’impact de la réforme, qui doit accompagner le projet de loi présenté lundi
23 janvier, explique la Première ministre. A défaut de pouvoir consulter ce
document, difficile, donc, de répondre précisément sur ce point. Pour
autant, plusieurs données d’ores et déjà disponibles laissent penser
qu’effectivement, les plus modestes ne seront pas forcément les plus
affectés par le report de l’âge légal de 62 à 64 ans.
Pour rappel, pour pouvoir partir à la retraite en France, il faut attendre, sauf
exceptions, l’âge légal de départ, actuellement fixé à 62 ans (à partir de la
génération 1955). Pour ensuite prétendre à une retraite à taux plein, il faut
réunir 43 années de cotisations (à partir de la génération 1973). A défaut,
une décote de 5 % par année manquante est appliquée sur le montant de la
retraite. Pour échapper à cette décote, il faut attendre l’âge d’annulation de
la décote, actuellement fixée à 67 ans. Au-delà de cet âge, exit la décote de 5
% par année manquante, mais la retraite restera calculée au prorata du
nombre de trimestres cotisés par rapport au nombre de trimestres de
référence. Ainsi, s’il manque deux années de cotisations pour une carrière
dite «complète», le montant de la retraite sera calculé sans décote, mais sur
la base de 41 /43e.
En effet, une des hypothèses répandues veut qu’«une fois entrés sur le
marché du travail, la plupart des assurés valident de façon continue des
trimestres pour la retraite, sans interruption de carrière», rappelle Patrick
Aubert. Or, cette hypothèse sous-estime «le poids des carrières précaires et le
caractère très “haché” de celles-ci, qui impliquent que le fait d’avoir
commencé à cotiser jeune ne garantit pas forcément d’atteindre une carrière
complète plus tôt».
Pour les générations plus récentes (à partir de 1974), même chose : la moitié
de ceux qui doivent attendre aujourd’hui les 67 ans pour atteindre le taux
plein se compte parmi les 25 % les plus modestes. Cette génération (et celles
d’après) ne sera pas, en revanche, concernée par l’accélération de la hausse
de la durée de cotisation, puisqu’elle doit déjà cotiser 43 ans pour une
retraite à taux plein.
Pour Patrick Aubert, «il semble donc qu’on puisse affirmer que l’âge de départ
à la retraite ne sera pas modifié pour une partie importante des assurés les
plus modestes dans le cadre du projet de réforme, soit parce que ces assurés
conserveront la possibilité de partir à la retraite à 62 ans au titre de
l’inaptitude et de l’invalidité, soit parce qu’ils devaient déjà, de toute façon,
attendre 67 ans pour partir au taux plein». Les plus touchés par cette
mesure devant être les catégories intermédiaires de l’échelle des revenus,
«c’est donc davantage en ce qui concerne les inégalités entre ces catégories
intermédiaires et les classes plus aisées que les discussions sur le caractère
anti-redistributif ou non de la réforme pourraient se concentrer», conclut le
chercheur.