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Réforme des retraites : pourquoi les

plus modestes devraient être moins


touchés par l’allongement de la durée
de travail
Les salariés les moins aisés devraient être moins concernés par
le report de l’âge légal de travail de 62 à 64 ans. Mais pour une
raison assez injuste socialement : ils sont déjà les plus nombreux
à devoir attendre l’âge du taux plein à 67 ans ou à bénéficier de
l’invalidité ou de l’inaptitude à 62 ans.

Invitée samedi matin sur France Inter pour défendre la réforme des
retraites, Elisabeth Borne a réitéré un des arguments clés de l’exécutif :
«Les 20 % des Français les plus modestes sont ceux auxquels on demande
le moins de travailler plus longtemps.» A la base de cette affirmation :
l’étude d’impact de la réforme, qui doit accompagner le projet de loi
présenté lundi 23 janvier, explique la Première ministre. A défaut de
pouvoir consulter ce document, difficile, donc, de répondre précisément sur
ce point. Pour autant, plusieurs données d’ores et déjà disponibles laissent
penser qu’effectivement, les plus modestes ne seront pas forcément les plus
affectés par le report de l’âge légal de 62 à 64 ans.

Pour rappel, pour pouvoir partir à la retraite en France, il faut attendre,


sauf exceptions, l’âge légal de départ, actuellement fixé à 62 ans (à partir de
la génération 1955). Pour ensuite prétendre à une retraite à taux plein, il
faut réunir 43 années de cotisations (à partir de la génération 1973). A
défaut, une décote de 5 % par année manquante est appliquée sur le
montant de la retraite. Pour échapper à cette décote, il faut attendre l’âge
d’annulation de la décote, actuellement fixée à 67 ans. Au-delà de cet âge,
exit la décote de 5 % par année manquante, mais la retraite restera calculée
au prorata du nombre de trimestres cotisés par rapport au nombre de
trimestres de référence. Ainsi, s’il manque deux années de cotisations pour
une carrière dite «complète», le montant de la retraite sera calculé sans
décote, mais sur la base de 41 /43e.

Or, à la différence de la réforme de Sarkozy de 2010, qui avait repoussé


l’âge légal de départ (de 60 à 62 ans), mais aussi l’âge d’annulation de la
décote (de 65 à 67 ans), le projet du gouvernement ne prévoit de décaler
«que» l’âge légal (de 62 à 64 ans). Et non pas l’âge d’annulation de la
décote, qui resterait fixé à 67 ans.

Raison socialement peu avouable


Dès lors, quel type de population, en fonction de son revenu, va être
concerné par ce report de deux ans de l’âge légal de départ ? A défaut
d’étude d’impact, la photographie actuelle, à l’âge de 30 ans, des salariés –
et futurs retraités – relevée par la Drees, donne une indication. «Compte
tenu des durées validées pour la retraite à l’âge de 30 ans […], les
personnes à plus bas salaires ne peuvent déjà plus, en majorité, espérer
atteindre une carrière complète, et donc une possibilité de départ au taux
plein, avant l’âge d’annulation de la décote [67 ans, ndlr], rappelle ainsi le
chercheur à l’Institut des politiques publiques Patrick Aubert dans un billet
de blog. Pour la génération née en 1962, a priori la première qui sera
concernée par la réforme, 58 % des personnes qui ne pourront pas
atteindre le taux plein avant 67 ans (même dans l’hypothèse très optimiste
où elles valideraient tous leurs trimestres entre 30 ans et leur départ à la
retraite) font partie du quart des assurés qui avaient les plus bas salaires
à 30 ans.» Et cette part devrait continuer à progresser après leurs 30 ans,
cette catégorie étant la plus susceptible de connaître des ruptures de
carrière par la suite.

En effet, une des hypothèses répandues veut qu’«une fois entrés sur le
marché du travail, la plupart des assurés valident de façon continue des
trimestres pour la retraite, sans interruption de carrière», rappelle Patrick
Aubert. Or, cette hypothèse sous-estime «le poids des carrières précaires et
le caractère très “haché” de celles-ci, qui impliquent que le fait d’avoir
commencé à cotiser jeune ne garantit pas forcément d’atteindre une
carrière complète plus tôt».

Bref, si les 25 % les plus modestes seraient moins touchés, en proportion,


par le report de 62 à 64 ans, c’est pour une raison peu avouable
socialement. A savoir parce qu’ils doivent d’ores et déjà patienter, pour une
grande partie d’entre eux, et du fait d’un manque de trimestres pour une
carrière complète, jusqu’à l’âge d’annulation de la décote à 67 ans. Age
d’annulation de la décote non modifié dans le projet de réforme. «Il s’agit
là d’une caractéristique structurelle du système de retraite français, lié au
choix de privilégier la complétude de la carrière comme critère justifiant
un départ à la retraite au taux plein plus tôt», remarque Patrick Aubert.
Or, cette caractéristique, ajoute-t-il, «pourrait d’une façon générale être
interrogée, au regard de ses propriétés anti-redistributives».

Travailler plus ou accepter une baisse de la pension


Au sein de cette catégorie, environ 25 % devraient également connaître à la
fin de leur carrière – si l’on se base sur les chiffres de la génération 1950 –
un départ à 62 ans pour inaptitude ou invalidité. Un âge là aussi laissé
inchangé par la réforme. En revanche, les générations comprises entre 1962
et 1972 devant cependant cotiser entre un et trois trimestres de plus pour
une carrière complète, cette catégorie des plus modestes sera contrainte,
soit de travailler d’autant plus, soit d’accepter une baisse de leur pension
une fois arrivée à 67 ans (la décote est annulée mais pas la proratisation en
fonction du nombre de trimestres manquant).

Les catégories sociales réellement impactées par le report de l’âge légal de


62 à 64 ans devraient être, en réalité, les personnes à salaires
intermédiaires (revenus compris entre les 25 % les plus modestes et les plus
25 % les plus aisés), qui constituent, rappelle Patrick Aubert, «la majorité
de celles qui peuvent encore espérer atteindre une carrière complète à, ou
avant l’âge d’ouverture des droits actuel (soit 62 ans), compte tenu de leur
début de carrière».

Pour les générations plus récentes (à partir de 1974), même chose : la


moitié de ceux qui doivent attendre aujourd’hui les 67 ans pour atteindre le
taux plein se compte parmi les 25 % les plus modestes. Cette génération (et
celles d’après) ne sera pas, en revanche, concernée par l’accélération de la
hausse de la durée de cotisation, puisqu’elle doit déjà cotiser 43 ans pour
une retraite à taux plein.
Pour Patrick Aubert, «il semble donc qu’on puisse affirmer que l’âge de départ à la retraite
ne sera pas modifié pour une partie importante des assurés les plus modestes dans le cadre
du projet de réforme, soit parce que ces assurés conserveront la possibilité de partir à la
retraite à 62 ans au titre de l’inaptitude et de l’invalidité, soit parce qu’ils devaient déjà, de
toute façon, attendre 67 ans pour partir au taux plein». Les plus touchés par cette mesure
devant être les catégories intermédiaires de l’échelle des revenus, «c’est donc davantage en
ce qui concerne les inégalités entre ces catégories intermédiaires et les classes plus aisées
que les discussions sur le caractère anti-redistributif ou non de la réforme pourraient se
concentrer», conclut le chercheur.

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