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La Boîte à Merveilles est une œuvre riche en personnages surtout de sexe féminin. Aussi nombreux
soient-ils, ils demeurent tous proches les uns des autres par les liens qui les unissent, liens de
voisinage ou d’amitié, de rivalités ou de compassions, de circonstances ou d’échanges. Leur vie est
régie par les événements quotidiens où se côtoient le réel et le recours aux forces occultes, où les
faits semblent, pour le lecteur moderne, des faits sans conséquences et sans profondeurs, des faits
d’un jour, d’un moment, sans lendemain et par conséquent éphémères. Mais détrompons-nous, ce
sont des faits de société, de civilisation, d’époque. Un parcours de La Boîte à Merveilles laisse
entrevoir les dessous de la société marocaine de 1920.
Les paroles du voyant aveugle sont sans équivoque. « La blessure semble profonde, pourtant la
guérison est proche » (page208) dit-il à Lalla Aïcha. Quant à Lalla Zoubida, il lui confie sur le ton
de la solennité : « O ma sœur……..Souviens-toi que lorsque quelqu’un fait des vœux pour un absent,
l’ange gardien lui répond : Que Dieu te rende la pareille » (page 210)
La femme va donc chercher ce qui lui manque là où il est : les Saints qui servent d’intermédiaires
entre elle et Dieu. Elle y cherche secours et force. Elle y cherche protection et soutien. Elle y cherche
libération et réconfort et guérison du mal physique ou du mal moral dont le mauvais œil est la cause.
« Lalla zoubida, dit Lalla Aïcha, c’est Dieu qui m’envoie pour te secourir, t’indiquer la voie de la
guérison, je vous aime, toi et ton fils,…. » (Page 22) Lalla Zoubida ne peut pas refuser « Ma mère
promit de visiter Sidi Boughaleb et de m’emmener cet après-midi même » (page 22). Arrivées devant
le catafalque « chacune lui exposait ses petites misères, frappait du plat de la main le bois du
catafalque, gémissait, suppliait, vitupérait contre ses ennemis. » (page 26)
Le voyant aveugle n’a-t-il pas recommandé à Lalla Zoubida de visiter les sanctuaires des Saints, les
patrons de la ville ? « Les Saints de Dieu qui veillent sur cette ville t’accordent leur protection. Visite
leurs sanctuaires » (page 210) Lalla Zoubida ne se le fait pas répéter deux fois surtout à un moment
difficile de sa vie. Elle dresse un calendrier hebdomadaire des visites des Saints « Chaque Santon a
son jour de visite particulier : le lundi pour Sidi Ahmed ben Yahïa, le mardi pour Sidi Ali Diab, le
mercredi pour Sidi Ali Boughaleb… » (page 214-215)
L’aspect religieux de la Achoura se manifeste dans la mise à neuf du Msid : Il est passé à la chaux,
lavé à grande eau et éclairée de mille feux. Le sol est recouvert de nattes neuves. Chacun y a apporté
sa contribution en fonction des moyens de la famille, mais à la mosquée, rien n’est refusé.
L’embellissement du Msid pour le jour de la Achoura cède la place pour La Achoura elle-même que
les apprentis fkihs célèbrent avec leur maître « Ce matin, les objets les plus ordinaires, les êtres les
plus déshérités mêlaient leurs voix aux nôtres, éprouvaient la même ferveur, s’abandonnaient à la
même extase, clamaient avec la même gravité que nous, la grandeur et la miséricorde de Dieu,
créateur de toutes choses vivantes ….Les parents de certains élèves psalmodiaient avec nous….il
célébraient la Achoura au Msid comme au temps de leur enfance » (page 144)
Le lecteur ne peut ne pas remarquer le code de l’utilisation par les hommes de la porte d’entrée.
L’utilisateur de la porte commune doit annoncer son passage pour donner aux femmes le temps de
rentrer dans leurs chambres afin de ne pas être vues par les hommes, fussent-ils les locataires eux-
mêmes comme Maâlem Abdeslam, Driss le fabricant de charrues ou Allal le mari de Fatma Bziouya.
« – N’y a-t-il personne, puis-je passer ?….-Passe, Maâlem Abdeselam… » (page 246).
La cour est propriété commune et tout un chacun peut l’utiliser surtout pendant les circonstances
exceptionnelles imprévues : fêtes, mariages, circoncisions, ou simple réception d’invités le temps
d’un déjeuner comme ce fut le cas du repas offert aux aveugles « Le jeudi suivant, Rahma pour
remercier Dieu de lui avoir rendu sa fille, organisa un repas pour les pauvres. Toutes les femmes de
la maison lui prêtèrent leur concours. Lalla Kanza, la Chouafa, aidée de Fatouma la plus dévouée et
la plus fidèle de ses disciples, lavèrent le rez-de-chaussée à grande eau, étendirent par terre des tapis
usés » (page 50-51). Toutefois la Chouafa, elle, l’utilise de manière régulière « …elle s’offrait, une
fois par mois, une séance de musique et de danses nègres» (page 4)
Le mari absent pour un certain temps, toute la vie de la famille se trouve affectée et bouleversée par
ce vide laissé comme si tout a été réglé d’avance, par un commun accord, sur un acte notarié pour
que tout gravite autour de l’homme. Pourtant, les femmes jouissaient de leur liberté, et le lecteur n’a
aucunement le sentiment qu’elles manquaient de quelque droit : le droit d’abord de dire et le droit de
faire ensuite. Au contraire, les hommes sont souvent absents de leurs maisons laissant les femmes
libres de leurs mouvements, de leurs déplacements ; Lalla Zoubida règne en maîtresse dans sa maison
: il lui arrivait de tenir tête à son mari : l’achat de la lampe à pétrole, le refus de porter les bracelets
d’or, les scènes de la dispute avec Rahma et l’impuissance du mari à la faire taire…
Maâlem Abdeslam est tisserand de djellabas pour hommes. Comme les djellabas ne se portent que
pendant l’hiver, il a l’idée de se convertir dans la confection des haïks pour femmes : en effet, les
femmes ne peuvent sortir de chez-elles sans s’être enveloppées dans leurs haïks. Maâlem Abdeslam
suit donc la tendance et comme la tendance est plutôt féminine, il opte pour le vêtement de la femme,
obéissant ainsi au principe de l’offre et de la demande.
Si abderrahman est, lui, coiffeur, mais il exerce d’autres activités parallèles au métier de coiffeur. Il
pratique la saignée « Si Abderrahman retira les ventouses, alla les vider derrière un rideau. Sur la
nuque du client paraissaient deux boursouflures sanguinolentes » (page 136) ; et la médecine
traditionnelle « Demande aux gens de ta maison de faire frire dans du beurre un oignon blanc
finement haché. Mélange à cet oignon frit deux cuillérées de miel, de l’anis et des grains de sésame…
» (page131) ; il circoncit les petits garçons « Je n’aimais pas Si Abderrahman. Je savais qu’il serait
chargé de me circoncire. Je redoutais ce jour » (page 129), on fait appel à ses services pendant les
fêtes « Il vint, selon l’usage, accompagné de ses deux apprentis, placer les invités et faire le service
pendant le repas » (page 129); c’est un homme à donner des conseils « …mon père eut recours à ses
soins et fait grand cas de ses avis et recommandations » (page 129)
Le salon de coiffure est un lieu de rencontre où l’on ne vient pas seulement pour se faire raser, mais
également pour s’informer ou faire circuler une nouvelle. La nouvelle du moment gravite autour d’un
éventuel remariage de Moulay Larbi attendu que sa femme est stérile « Ce qui m’étonne, c’est qu’il
n’a point d’enfants. Peut-être a-t-il une femme trop âgée ? » (page 132)
Les lecteurs de l’époque moderne, surtout les jeunes d’entre eux, sont sans doute insensibles à la
richesse ethnographique de la Boîte à Merveilles. Traditions, mœurs, pratiques situées entre le
religieux et le profane, entre l’obscur et le rationnel, entre l’archaïque et le moderne constituent le
quotidien du Marocain de l’époque que raconte l’œuvre de Séfrioui. Le lecteur est redevable à cet
auteur de lui avoir fait revivre cette époque, racontée dans un langage plus proche de l’arabe
dialectale que du français.