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Un carrefour de cultures
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François 1er et ses portraits


Un carrefour de cultures
Bruno Mottin

e portrait le plus célèbre de François 1er est celui peint par Jean Clouet

L vers 1520, peut-être avec la participation de son fils François. La


représentation dérive du Portrait de Charles VIII, peint par Jean Fouquet
vers 1445-1450 : portrait à mi-corps, le visage de trois quarts, dans un
espace confiné. Il appartient en cela pleinement à l’art français, mais
il relève aussi, plus largement, d’une ambiance culturelle commune au nord
de l’Europe, par son support de bois de chêne, composé de X planches de bois
raidies par deux traverses horizontales (en Italie, on aurait utilisé du peuplier),
la nature de sa préparation, composée de craie et de colle (l’Italie aurait utilisé
le gypse), et la précision de son rendu jusqu’au moindre détail. Clouet est d’ail-
leurs d’origine flamande, comme de nombreux artistes travaillant en France
à l’époque. Pour peindre l’épée du roi, ses broderies d’or et le collier de l’ordre
de Saint-Michel, il n’a pas employé l’or, dont l’usage était devenu désuet, mais
a étendu un jaune à base de plomb et d’étain au-dessus d’une couche brune,
suggérant indirectement l’éclat du métal. Un métal précieux est pourtant pré-
sent en abondance dans le tableau, de façon totalement inattendue. Un pré-
lèvement dans le rideau de damas rouge a montré que ce rouge grenat était
constitué d’une laque rouge translucide, posée sur mince feuille d’argent re-
couvrant tout le fond. Le peintre a-t-il voulu exploiter le léger miroitement du
métal ? a-t-il cherché à harmoniser le blanc du vêtement avec le fond d’ar-
gent ? Ou bien a-t-il voulu faire une allusion discrète au caractère divin de la
royauté, comme cela avait été affirmé plus nettement vers 1350 dans le por-
trait du roi Jean le Bon qui se détache sur un fond d’or ?

Ci-dessus :
Jean Fouquet,
Portrait de Charles VII, vers 1445-1450
Peinture sur bois, 85 x 70 cm
(Paris, musée du Louvre)
Ce portrait peint par l’artiste français
Jean Fouquet, a probablement servi
de prototype au François 1er peint
quatre-vingt ans plus tard : même
cadrage, même visage de trois quart,
fond de tissu équivalent, mains posées
sur un meuble au premier plan.
Ci-contre :
Portrait de François 1er, revers.
Le tableau est peint sur x planches
de chêne, disposées verticalement et
réunies par deux traverses horizontales.
L’inscription date du 19e siècle.

Page ci-contre :
Jean Clouet, Portrait de François Ier,
roi de France, vers 1530
Peinture sur bois, 96 x 74 cm
(Paris, musée du Louvre)

24 S ecrets d ’ a r ti s tes
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Page ci-contre :
Portrait de François 1er, détail du costume.
Les effets de soyeux du tissu, les brode-
ries de fils d’or et les bijoux sont peints
avec une méticulosité qui révèle les ori-
gines nordiques de l’artiste. L’or est sug-
géré au moyen d’une couche brune
rehausée d’un pigment de jaune de
plomb et d’étain.

Ci-contre : France, Portrait de Jean le Bon,


roi de France, avant 1350.
Peinture sur bois, 60 x 45 cm
(Paris, musée du Louvre).
La feuille d’argent dissimulée sous le
damas rouge du Portrait de François 1er
ennoblit discrètement le tableau,
s’inspirant peut-être de tableaux plus
anciens où l’image du roi se détache sur
une feuille d’or, rappelant que
sa fonction est de droit divin.

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coupe sur prélèvement manquante

Ci-contre : Portrait de François 1er,


détail du fond.
Le fond de damas rouge est peint au
moyen de glacis de laque rouge déposés
sur une feuille d’argent. On remarque
que l’ombre du roi se détache sur le
tissu.

Page ci-contre : Portrait de François 1er,


prélèvement dans le tissu rouge.
Ce prélèvement de quelques microns
d’épaisseur montre que la couche rouge
est une laque translucide déposée sur
une mince feuille d’argent.
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Page ci-contre :
Le Titien, Portrait de François 1er, 1538.
Peinture sur toile, 109 x 89 cm
(Paris, musée du Louvre).

Ci-contre : Benvenuto Cellini,


Médaille de François 1er, 1537.
Bronze, diamètre 8.4 cm
(Paris, musée du Louvre)
Cette médaille a servi de modèle à Titien
pour peindre son portrait du roi.
Elle a été ciselée par le sculpteur et orfèvre
Benvenuto Cellini lors de son premier séjour
à la cour du roi de France, en 1537.

Ci-contre en haut : Le Titien,


Portrait de François 1er, 1538.
Peinture sur toile (Leeds, Harewood House)
Une version du portrait du roi conservée dans
une collection privée anglaise est a souvent été
considérée comme une étude préparatoire du
Titien pour le portrait devant être envoyé au
roi. L’image diffère du portrait du Louvre :
le roi est sans chapeau, son front est dégrani,
son vêtement à chemise blanche dégage
davantage le cou.

Ci-contre en bas : Radiographie du Portrait de


François 1er du musée du Louvre.
La radiographie du tableau du Louvre met en
évidence la liberté et la rapidité d’exécution du
peintre. Elle montre que l’artiste a d’abord
répété sa première composition, puis a choisi
d’ajouter un béret, d’épaissir la chevelure et de
modifier le vêtement : le tableau de Paris dérive
donc bien de la version anglaise.

Issu du nord, François 1er s’est cependant résolument tourné vers l’Italie, qu’il
connaît et dont il admire l’extraordinaire floraison artistique au point de tout
faire pour attirer les plus grands artistes de la péninsule et en collectionner
massivement les œuvres. Il n’a pas toutefois pas posé pour son portrait peint
par le Titien, célèbre peintre vénitien. C’est le cadeau d’un courtisan et poète,
l’Arétin, qui a fourni au peintre une médaille ciselée par le fameux Benvenuto
Cellini lors de son premier séjour à la cour de France, en 1537. Le Titien a d’abord
peint une ébauche du portrait, en inversant la médaille et en supprimant la
couronne de laurier qui donnait à l’image un caractère de buste à l’antique. On
supposait que cette ébauche correspondait à un tableau aujourd’hui conservé
dans une collection privée anglaise (illustration 10). La radiographie du tableau
du Louvre en apporte la preuve, car on y remarque une première composition,
dissimulée sous la composition actuelle, qui prend point par point les détails
de la version anglaise. La radiographie démontre combien la touche et libre et
le portrait rendu vivant. Le pinceau n’est plus minutieux et analytique ; la pein- radiographie manquante
ture est étendue en longues touches nerveuses qui définissent synthétique-
ment la psychologie du modèle. La couleur est chaude, la gamme chromatique
étendue, le génie du peintre est là tout entier dans la version Vénitienne
d’une Renaissance qui se caractérise par son ouverture sur le monde, ses ren-
contres entres princes, mécènes, érudits et artistes, sa succession de trouvailles
géniales dans des domaines et des lieux variés.

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