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LES BEAUX-ARTS
L'Ecole de Fontainebleau
L'influence de certains souverains, de quelques princes sur
l'évolution de l'art est décisive. Pour ne parler que de la France
c'est Louis X I V qui élève la digue qui p r o t é g e r a notre pays du
raz de m a r é e baroque qui, parti d'Italie, va submerger l'Europe
centrale et, a p r è s l'Espagne, gagnera l'Amérique du Sud. Tout
r
au contraire, grâce à F r a n ç o i s P , le m a n i é r i s m e italien p é n é t r e r a
en France et Fontainebleau deviendra, avec Rome, le foyer artis-
e
tique le plus actif du x v i siècle. Pour ces deux rois, i l n'est pas
douteux que l'édification des palais de Versailles et de Fontai-
nebleau ne soient des actes politiques destinés à assurer leur
prestige.
er
François I a grand besoin de le r é t a b l i r a p r è s qu'il ait é t é
fait prisonnier à Pavie. Libéré, i l é p r o u v e le besoin d'affirmer
son a u t o r i t é et l'admiration que suscitera dans le monde la
richesse de Fontainebleau, l'immense d é v e l o p p e m e n t qu'il donne
à la modeste construction remontant à Saint-Louis l'aideront
puissamment.
Il a d é c o u v e r t , au cours de ses deux campagnes d'Italie,
l'extrême raffinement de cet art. Il est de mode à cette é p o q u e
d'opposer une civilisation qui remonte à la Rome antique à la
rudesse de nos m œ u r s . Dans l'éloge funèbre du roi que Galland
prononce en 1547, i l ne craint pas de proclamer que nous étions
« comme souches, busches ou pierres non polies », alors que,
r
grâce à François P faisant appel aux artistes italiens, c r é a n t
le Collège de France, p r o t é g e a n t les poè tes de la Pléiade « par
sa magnificence et bénignité de nature maintenant sommes ré-
duits à toute modestie et honnête civilité ». Evidemment i l exagère.
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Dans le domaine qui nous occupe, i l y avait, au xv* siècle, une école
picturale française d o m i n é e par Jean Fouquet qui ne devait rien à
l'Italie et à l'influence de laquelle sont également i m p e r m é a b l e s ,
sous les Valois, Clouet, Corneille de Lyon et autres admirables
portraitistes.
Ce courant nordique n'est pas absent du Grand-Palais où figure
er
à la place d'honneur ce chef-d'œuvre qu'est le François I , roi
de France peint vraisemblablement vers 1540 par Jean Clouet.
Cette exposition s'intitule l'Ecole de Fontainebleau mais, par son
ampleur, elle d é b o r d e largement le groupe d'artistes a p p e l é s par
le premier des Valois, puis par le premier des Bourbons pour
faire de Fontainebleau une demeure v é r i t a b l e m e n t royale au seuil
d'une forêt où ces grands chasseurs trouvaient un gibier abon-
dant. Elle p r é s e n t e sous ses multiples aspects l'art qui s'est
e
développé en France au x v i siècle et au d é b u t du x v i f . E l l e n'est
d'ailleurs pas la seule qui nous permette d'avoir une vue d'en-
semble sur une des p é r i o d e s les plus fécondes de l'art puisqu'on
peut c o m p l é t e r cette visite par celle du Salon C a r r é du Louvre
er
o ù se trouve actuellement réunie la Collection de François I
et par celle, naturellement, du c h â t e a u de Fontainebleau où, sur
l'initiative d'André Malraux, on s'est efforcé de rendre leur splen-
er
deur aux galeries édifiées par F r a n ç o i s I et ses successeurs.
C'est là, d'ailleurs, qu'il avait été un moment question d'organiser
l'exposition que nous voyons actuellement à Paris.
Il y a longtemps que les historiens d'art souhaitaient une
confrontation qui leur permettrait peut-être d'éclaircir les mys-
tères qui entourent encore cette Ecole et ce n'est pas sans quel-
que dépit que nous avons vu Naples prendre, i l y a vingt ans,
l'initiative de mettre en l u m i è r e les rapports entre Fontainebleau
et le maniérisme italien. Nous avons longtemps attendu mais
notre satisfaction aujourd'hui est totale, m ê m e si les salles sans
m y s t è r e du Grand-Palais conviennent mal à cet art complexe. I l
n'en est pas d'autres qui auraient été en mesure d'accueillir ces
sept cents pièces de peinture, sculpture, dessin, gravure, tapis-
serie, vitrail, manuscrit, c é r a m i q u e , émail, reliure. Car l'art
bellifontain est essentiellement décoratif, les peintures des ga-
leries fameuses ne sauraient ê t r e s é p a r é e s des stucages qui les
entourent et cette immense confrontation entre des techniques
t r è s diverses était indispensable si on voulait tenter de trouver
un chemin dans ce dédale.
r
Le goût personnel de François r était beaucoup plus éclectique
que l'exposition du Grand-Palais pourrait le laisser croire. C'est pour-
quoi il faut se féliciter de voir réunis au Louvre, soit en originaux,
soit en reproductions, les peintures, dessins, sculptures de sa col-
lection personnelle. Certes i l y a là des œ u v r e s des Bellifontains,
Rosso, Primatice, le Maître de Flore, mais ils ne dominent pas.
A l'exception des Clouet, les Français sont rares. E n revanche, tous
les grands noms de la peinture italienne sont là car le roi avait à
Rome et à Florence des d é m a r c h e u r s comme l'Arétin et Délia Palla
qui a c h e t è r e n t pour lui les plus hauts chefs-d'œuvre de R a p h a ë l ,
Michel-Ange, Andréa del Sarto, Perugin, Bronzino et firent venir en
France Benvenuto Cellini qui exécuta en 1537 la médaille repré-
sentant le roi qui servira de modèle pour le célèbre portrait de
r
François I'' par Titien.
Avant d'appeler en France les artistes que nous avons n o m m é s ,
il avait t e n t é sans succès d'y attirer Michel-Ange. Il r é u s s i r a avec
Léonard de Vinci dont on sait qu'il mourra au c h â t e a u de Cloux en
1519. Citer les toiles de Vinci actuellement réunies dans le Salon
Carré c'est nommer quelques-uns des plus célèbres tableaux du
monde, la Joconde, la Belle Ferronnière, la Vierge aux Rochers, le
Bacchus, la Vierge et Sainte Anne, Saint Jean-Baptiste, la d e r n i è r e
et la plus m y s t é r i e u s e des œ u v r e s de Léonard.
Ainsi Paris rend-il hommage au roi qui fut à l'origine de ce
vaste mouvement artistique qui, sous le nom d'Ecole de Fontaine-
bleau, transcende le m a n i é r i s m e et annonce les fastueuses c r é a t i o n s
du siècle suivant.
GEORGES CHARENSOL