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Introduction

Simon Vouet en Italie


Un champ de recherche
en histoire de l’art

Olivier BONFAIT & Hélène ROUSTEAU-CHAMBON


[ISBN 978-2-7535-1364-8 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]

Pendant longtemps, l’histoire de la peinture française commençait avec le


[« Simon Vouet en Italie », Olivier Bonfait et Hélène Rousteau-Chambon (dir.)]

retour de Simon Vouet (1590-1649) à Paris, en 1627, qui sonnait comme le


célèbre apostrophe de Boileau :
Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, / Fit sentir dans les vers une
juste cadence, / D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la
muse aux règles du devoir.

Avec son premier grand tableau d’autel pour le retable de Saint-Nicolas-des-


Champs, les grandes tapisseries réalisées dans les ateliers royaux narrant dans un
récit à la fois épique et champêtre la geste biblique et les amours des dieux, les
tableaux illustrant par des allégories savantes les vertus de la royauté au Louvre ou
à Saint-Germain-en-Laye, l’école de Paris était née, et l’art de la peinture quittait
les rives du Tibre pour fleurir sur les berges de la Seine. L’artiste avait su en plus
assurer sa renommée dans la capitale par la faveur de quelques grands bien en cours
en plus de celle du prince, la mise en place d’une équipe de graveurs qui diffuse
ses œuvres avec privilège du roi, un atelier d’où sortent la plupart des peintres qui
firent la gloire de l’atticisme parisien et de la monarchie, de Le Sueur à Le Brun.
Sa rivalité avec Poussin nuisit quelque peu à sa fortune critique, mais dans les
salles du musée du Louvre, ce sont naturellement les tableaux peints entre 1627
et 1649, de l’Allégorie de la Richesse peinte pour le roi à La Présentation au temple
donnée en 1641 par le cardinal de Richelieu à la maison professe des jésuites que
les visiteurs pouvaient admirer, et qui établirent la renommée de l’artiste, surtout à
partir du moment où l’on accepta d’accorder à Poussin le statut d’un génie solitaire.
Le Vouet italien était vu à la lueur de Véronèse, car l’on savait par Félibien
qu’il avait accosté en Italie par Venise, puis, plus tard, redécouverte du Caravage
aidant, à travers le spectre de la peinture naturaliste pleine de contrastes d’ombre
et de lumière du peintre lombard. Excepté l’article de Louis Desmonts de 1912,

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il a fallu attendre les recherches de Jacques Thuillier pour voir émerger dès 1965
un Vouet italien plus complexe, cherchant sa voie entre la marque de Caravage
ou de la manfrediana methodus et les demandes d’une peinture faste de la part
des Barberini et de leur entourage. Ce Vouet caravagesque, magnifiquement mis
en contexte dans l’exposition Les caravagesques français de Jean-Pierre Cuzin et
d’Arnauld Brejon réalisée en 1973, avait été aussi inséré dans le monde des artistes
romains, et de sa réorganisation par le biais de l’Accademia di San Luca, grâce aux
recherches dans les archives de Jacques Bousquet et de Noëlle de la Blanchardière.
Mais les documents positifs, ici, ne suffisaient point et la chronologie proposée
lors de l’exposition de 1990 brouillait plutôt les pistes pour la période italienne.
Alors que cette rétrospective Vouet (due à Jacques Thuillier avec la collaboration
de Barbara Brejon et de Denis Lavalle) et que le colloque organisé par Stéphane
Loire avaient permis de structurer les grandes lignes de l’évolution stylistique et de
la carrière du Vouet parisien, la période italienne restait en fait un champ en friche.
Un champ singulièrement fécond pour l’histoire de l’art et, en quelque sorte,
[ISBN 978-2-7535-1364-8 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]

un case-study remarquable car les découvertes de tout ordre venaient bouleverser


les études. À la différence de la plupart des autres peintres caravagesques, l’homme
Vouet est quelque peu connu : contrats, lettres, voyages, mentions d’archives attes-
[« Simon Vouet en Italie », Olivier Bonfait et Hélène Rousteau-Chambon (dir.)]

tent de sa rapide insertion dans la haute société romaine et de ses liens avec la
famille Barberini. Ses rapports avec les milieux des lettrés sont documentés aussi
bien par des portraits de poètes, dessinés, gravés ou peints, dont celui du plus
célèbre de l’époque, Giambattista Marino, que par des descriptions littéraires de
ses œuvres. De plus, le marché de l’art à Rome et le petit monde des amateurs,
collectionneurs ou critiques ont fait l’objet de nombreuses et intéressantes études
depuis une dizaine d’années. Enfin, ses voisins peintres (Antiveduto Gramatica,
Baburen, mais aussi Lanfranco, Régnier ou Tournier), ses compagnons d’ateliers
(Mellan, Jacques et Pierre Lhomme, Mellin) sont maintenant beaucoup mieux
connus, alors que l’importance – à tous points de vue – de sa production romaine
était attestée par de très nombreux tableaux sortant des réserves des musées ou
apparaissant sur le marché de l’art avec une attribution à Vouet ou à son entourage.
Deux découvertes récentes mettent en évidence les changements fondamentaux
dans le champ de cette recherche : l’une est l’hypothèse, très vraisemblable, lancée
par Gianni Papi, de l’identification du Maître du Jugement de Salomon, jusque-là
considéré comme un caravagesque français (donc en rapport avec Vouet) avec le
peintre espagnol Ribera lors de son séjour à Rome ; l’autre est la découverte, par
Rosella Vodret, au dos d’une Diseuse de bonne aventure connue de tous les historiens
de l’art et attribuée à Gramatica d’une inscription prouvant que la toile avait fait
partie de la collection dal Pozzo et qu’elle était la première œuvre de Simon Vouet
actuellement connue. À l’évidence, le dossier du Vouet italien était à réouvrir.

C’est ce qu’ont fait avec une grande clairvoyance intellectuelle les organisa-
teurs de l’exposition Simon Vouet (Les années italiennes 1613/1627) présentée à
Nantes puis à Besançon entre novembre 2008 et juin 2009. Dominique Jacquot
et Adeline Collange ont eu le courage de présenter une exposition « ouverte », avec
de nombreuses œuvres inédites ou proches de Vouet et des propositions nouvelles

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pour la chronologie, plutôt qu’une présentation définitive, qu’un catalogue clos,


alors que le corpus vouetien n’est pas sans problème tant d’attribution que de
datation. Tout de suite, ils ont généreusement souhaité qu’un colloque organisé par
des universitaires prolonge les réflexions suscitées par cette exposition et permettent
d’aborder en parallèle, ou devant les œuvres, d’autres questions, connexes peut-être,
mais importantes pour comprendre l’art et la carrière de Vouet. Grâce aux aides
des équipes du CRHIA (EA1163) et du CEMERRA (JE 2422), des universités
de Nantes et de Provence (alors Aix-Marseille 1), de l’INHA, et de soutiens insti-
tutionnels, il fut possible d’organiser un colloque international, dont le contenu
fut validé par un conseil scientifique, du 6 au 8 décembre 2008 à Nantes (archives
départementales et musée des beaux-arts). Profitant de la réunion exceptionnelle
d’œuvres présentées au musée, cette rencontre entre chercheurs de haut niveau (de
Keith Christiansen à Jean-Pierre Cuzin, pour ne citer le nom que de personnes
présentes au colloque mais qui ne figurent pas dans les actes), visait à questionner
l’artiste, ses œuvres et son milieu, par des communications et des débats, dans une
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formule balançant entre le séminaire et le colloque. Ces discussions avaient donc


pour but de comprendre la culture artistique de Vouet, en comparant sa propre
évolution artistique avec le parcours de peintres dont il était proche, en situant sa
[« Simon Vouet en Italie », Olivier Bonfait et Hélène Rousteau-Chambon (dir.)]

démarche artistique au sein du milieu romain et italien, en ayant aussi l’ambition,


face aux nombreux problèmes d’attributions posés par la peinture caravagesque
française dans le sillage de Vouet, de tester une autre manière de faire l’histoire de
l’art, dans l’échange d’opinions au lieu du connaisseurship en solitaire.
Ces entretiens savants furent d’autant plus réussis et fertiles que le colloque avait
commencé par une rencontre informelle à l’INHA le mercredi 5 décembre, dans
le cadre du programme RETIF (Répertoire des tableaux italiens des collections
publiques en France) autour de problèmes d’attributions concernant les peintres
caravagesques, et qu’un système de bourse avaient permis que de jeunes étudiants
non nantais viennent assister à ce colloque et que se croisent ainsi générations et
institutions.
Une des preuves les plus éclatantes de cet esprit d’échanges intellectuels fut la
journée du samedi 8 décembre, passée pour sa plus grande moitié à discuter très
librement devant les œuvres dans l’exposition, au sujet de leur attribution, leur
datation, mais aussi de leur iconographie sous la conduite de Stéphane Loire et
avec naturellement les deux commissaires. De ces entretiens sortirent plusieurs
comptes rendus de l’exposition 1, et (en partie), la magistrale synthèse que propose
dans ce volume Stéphane Loire sur les questions d’attribution et de datation pour
la période italienne de Simon Vouet, qui dresse un parcours cohérent de l’artiste,
ainsi que les très utiles réflexions proposées par Dominique Jacquot, en postface
en quelque sorte, à cette exposition et ce colloque. L’après-midi fut l’occasion,
dans un séminaire clos, de discuter librement de découvertes, qui sont présentées
ici en appendice.
Mais ce colloque souhaitait couvrir l’ensemble des questions liées à Simon Vouet
en Italie, de sa formation dans le milieu caravagesque à son éclatante réalisation
pour la basilique Saint-Pierre de Rome, de sa fortune auprès des poètes à sa place
dans le monde de l’art romain, et ce volume rassemblant les actes est bien un

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ouvrage de synthèse, mais à plusieurs voix et laissant des questions ouvertes sur
le Vouet romain.
Il reprend dans son plan l’organisation du colloque 2. Il permet ainsi de suivre
la formation de Vouet et ses échanges avec les peintres romains contemporains,
d’aborder de deux manières très différentes les principales étapes, Gênes et Milan,
de son voyage de 1620-1621 dans le nord de la péninsule, si important dans
son évolution artistique. Est examiné également comment Vouet se situe dans le
milieu artistique romain et peut combiner une approche naturaliste de certains
sujets encore fort en avant dans la décennie 1620 (si l’on admet pour le Saint
Jérôme et l’ange de Washington sans doute peint pour les Barberini une datation
vers, ou tout juste après, 1624) tout en adoptant, quand nécessaire, un style plus
conforme aux attentes des lettrés ou un langage intégrant les nouveaux codes
visuels de l’iconographie savante.

En plus des discussions d’attributions, de datations, de lectures des œuvres,


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quelques fils conducteurs parcourent tous les textes réunis ici.


Dans le parcours artistique du peintre, la grande commande pour la basilique
Saint-Pierre de Rome (une gloire exaltant les mystères de la Passion de plus de
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sept mètres de haut placée derrière la Pietà de Michel Ange) et les problèmes plas-
tiques que posait sa réalisation ont peut-être fait plus évoluer Vouet que le voyage
à Gênes et à Milan, avec un cours passage par Bologne. De plus, un déséquilibre
toujours très net apparaît entre la très abondante production des années 1622-
1626 et le faible nombre d’œuvres réalisées avant 1620, alors que le peintre est
déjà un artiste confirmé.
D’emblée, il semble que le rapport au mouvement caravagesque soit une
confrontation critique pour Vouet qui cherche à développer ce style vers d’autres
horizons, tant plastiques qu’intellectuels. Après 1621, la découverte de Lanfranco
et du grand langage émilien, puis plus tard du langage fluide de Pierre de Cortone
ou des « poésies » de Poussin le pousse à de nouvelles tentatives artistiques.
Cette capacité de Vouet à capter les modes picturales, les courants artistiques
ou esthétiques qui se diffusent à Rome aussi bien par les œuvres peintes que par
l’estampe ou les débats dans les cercles de lettrés ou chez les collectionneurs, cette
intelligence à proposer ces nouveautés artistiques dans un langage toujours puis-
samment synthétique et superbement rythmé font de Vouet un peu un Picasso
de la Rome des années 1620. Le peintre paraît avoir su aussi très bien orchestrer,
par l’estampe ou l’écrit, sa propre promotion.
Artiste pensionné par le Roi de France sans doute dès ses débuts en Italie, prince
de l’Académie de Saint-Luc en 1624, Vouet a su créer autour de lui plus qu’un
atelier, une galaxie, qui va de l’inscription de ses traits dans les albums d’Ottavio
Leoni à la diffusion de ses œuvres par la gravure, des cercles de commanditaires
au petit groupe d’artistes français rassemblés autour de lui lors de l’enregistrement
des états des âmes en 1624. Pour son œuvre, il convient de distinguer entre cata-
logue et corpus, et comprendre le fonctionnement de l’atelier non selon le schéma
classique du maître et d’élèves exécutant, mais plutôt comme une « coopérative »
de production, pour reprendre la juste expression de Philippe Malgouyres. Vouet

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« e dintorni » peuvent proposer sur le marché (ou l’inonder et le structurer) une
production en série reprenant des formules à la mode, comme les figures de femmes
à mi-corps dans des costumes soigneusement drapés en couleurs souvent éclatantes,
ou des têtes-visages masculins rapidement brossées.
Comme l’exposition, ce volume se veut un livre ouvert, rassemblant et problé-
matisant les connaissances, incitant à de futures recherches, proposant des pers-
pectives pour un des plus intéressants cas d’études en histoire de l’art : Simon
Vouet en Italie.

Notes
1. RYKNER D., « Vouet et la recherche : débats autour des tableaux romains », www.latribu-
[ISBN 978-2-7535-1364-8 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]

nedelart.com, 17 décembre 2008 ; BREJON DE LAVERGNEE A., « Simon Vouet. Nantes


and Besançon », The Burlington Magazine, 151, 2009, p. 187-189.
2. Deux communications manquent malheureusement dans les actes, celle d’Annick Lemoine
(Vouet, Regnier, Valentin : les pratiques de l’image), et celle de Francesca Cappelletti (Roma,
[« Simon Vouet en Italie », Olivier Bonfait et Hélène Rousteau-Chambon (dir.)]

1620-130. Fortune e sfortune della pittura caravaggesca).

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