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G U I D E D U V I S I T E U R

Jacques
Du Broeucq
de Mons (1505-1584)

Maître Artiste
de l’empereur Charles Quint
© IRPA-KIK, Bruxelles
Portrait de Jacques Du Broeucq Architectus Montibus in Hannonia tel qu’A. Van Dyck l’a dessiné et fait graver par P. Pontius.

Architecte et sculpteur, Jacques Du Broeucq (1505-1584) est A la Salle Saint-Georges, vous êtes invités à pénétrer virtuelle-
aujourd’hui considéré comme l’un des artistes les plus impor- ment dans les trois impressionnants châteaux construis par Du
tants de la Haute Renaissance dans les Pays-Bas méridionaux. Dubroeucq à Boussu, Binche et Mariemont. Enfin, pour la pre-
Du Broeucq a réussi à adapter avec élégance et sans compromis mière fois depuis deux siècles, des gouaches issues des Albums
le langage de la Renaissance romaine à certaines traditions lo- De Croy conservés à Vienne, sont sorties exceptionnellement de
cales. Principalement actif en Hainaut, on lui doit notamment leur réserve autrichienne pour être présentées à Mons.
les châteaux de Boussu, Mariemont et Binche.
Enfin à Boussu, la Chapelle funéraire des Seigneurs et les ruines
Mons, capitale culturelle de la Wallonie, Chef lieu du Hainaut, du château vous accueillent et permettent de découvrir, côte à
se devait de célébrer le 500ème anniversaire de la naissance de côte, les œuvres sculpturales et architecturales du Maître.
cet artiste « montois », reconnu par la communauté scientifique
comme l’un des génies de son temps. Cette importante exposi- Je tiens à souligner l’excellente collaboration entre la Ville
tion présente l’œuvre de Jacques Du Broeucq sous une forme qui de Mons, la Commune de Boussu, la Communauté Wallonie-
se veut accessible à chacun. Bruxelles et la Région wallonne.
En soutenant ensemble cette manifestation, les pouvoirs pu-
Le visiteur peut découvrir son œuvre blics ont permis de donner un réel impact à ces expositions Du
à travers trois lieux d’exposition. Broeucq pour le plus grand intérêt des visiteurs.

A la Collégiale Sainte-Waudru, on pourra découvrir une évocation


grandeur nature du jubé (7 mètres de haut – 4 mètres de profon- Jean-Paul DEPLUS
deur) tel qu’il avait été conçu au XVIe siècle. Grâce à une signalé- Echevin de la Culture
tique et une mise en scène adaptée, les sculptures et reliefs de la Ville de Mons
Collégiale sont visibles comme dans leur espace d’origine.
Prélude

SUR LES PAS DE MAÎTRE JACQUES

On pense que Jacques Du Broeucq est né vers 1505 mais aucun Vers 1505 : naissance de Jacques du Broeucq
document n’en a laissé de trace. C’est pourquoi on célèbre cette
Entre 1530 et 1535 : séjour de l’artiste en Italie
année les 500 ans de sa naissance. Où est-il né ? Les historiens
ne s’accordent pas sur le sujet : certains situent sa naissance à 1534 : les chanoinesses décident d’ériger un jubé
Saint-Omer, dans le Nord de la France, et d’autres à Mons. Une à la collégiale Sainte- Waudru
chose est sûre : il réside à Mons dès 1539-1540, et ce, jusqu’à la 1539 : début de la construction du château de Boussu
fin de sa vie (il meurt en 1584 et est enterré dans le chœur de la
collégiale Sainte-Waudru). Pour façonner les sculptures du jubé, 1546 : début des travaux à Mariemont. Fourniture
il installe son atelier à l’École des «povres enffans», puis il achète d’un modèle pour le château de Binche.
une maison près de l’hôpital des sœurs grises. 1549 : fin des travaux du jubé.
1554 : les troupes d’Henri II incendient les châteaux de Boussu,
Binche et Mariemont. Du Broeucq entame leur restauration.
3 Parmi son personnel, Jacques Du Broeucq a 3 1555 : il devient «maître artiste de l’empereur»
pour ouvrier et pour élève, Jean de Bologne
1584 : mort de Jacques Du Broeucq
(ou Giambologna) : originaire de Douai,
l’artiste part ensuite pour Florence, à la Cour
des Médicis, où il se taille une belle renommée,
puisqu’il est considéré comme l’une des grandes
figures du maniérisme en Europe. Le 16e siècle en quelques traits
3 Christophe Colomb vient de découvrir l’Amérique. Le géogra-
phe Mercator, l’anatomiste André Vésale naîtront quelques
Ce sont d’abord les chanoinesses de Mons qui font appel à lui années après Jacques Du Broeucq. Mercator dessine la carte
pour doter leur Collégiale d’un jubé qui rompe avec la tradition du monde en 1539.
gothique. Puis les commandes vont ses succéder : Jean de Hennin- 3 Cette période est faite de conflits entre les grandes puissances

Liétard lui confie son premier grand chantier architectural : le châ- pour s’arroger l’un ou l’autre morceau intéressant de l’Europe.
teau de Boussu, qui sera admiré par tous ceux qui le visitent. Le Charles Quint se retrouve à la tête d’un immense empire. Mais
comte de Boussu, grand écuyer de Charles Quint, l’introduit ensuite les conflits entre les Pays-bas et la France sont incessants.
auprès de la sœur de l’empereur : Marie de Hongrie. Désignée par 3 C’est le début de la Réforme. Menée notamment par Luther

son frère comme gouvernante des Pays-Bas, elle veut élever une et Calvin, elle aboutit au Protestantisme. Et à son implacable
résidence urbaine à Binche et un pavillon de chasse à Mariemont. réplique du côté des Catholiques : l’Inquisition. Jacques Du
Ses grands chefs-d’œuvre sont donc concentrés sur une assez Broeucq ne sera pas épargné par cette ébullition… En 1572,
courte période, très féconde, puisque parallèlement, il travaille c’est le massacre de la saint Barthélemy.
aussi à d’autres chantiers et sculptures. Le départ de sa mécène 3 Sur le plan artistique, Léonard de Vinci vient de peindre «la

principale, Marie de Hongrie, en 1556, et la disparition de Jean de Cène», avant l’ouverture du siècle; Michel Ange entreprend en
Hennin-Liétard contribueront à ralentir son activité. Mais avant 1508 les fresques du plafond de la chapelle Sixtine. Botticelli,
de partir, Marie de Hongrie obtient pour son architecte attitré le Giorgone, Jérôme Bosch meurent quand Du Broeucq est en-
titre de «Maître artiste de l’Empereur»! Peu d’hommes peuvent se core un enfant. Érasme écrit «Éloge de la Folie», Machiavel
targuer d’avoir un tel statut : il n’est attesté que pour deux autres «Le Prince» et Thomas More «Utopie». Breughel naît en 1524.
artistes, Jean Mone, sculpteur lui aussi, et Pierre Coecke d’Alost, Le compositeur Roland de Lassus, autre grand montois dont la
peintre et entrepreneur. renommée a dépassé nos frontières, naît en 1532.

SUR LES PAS DE MAÎTRE JACQUES 3 


LA RENAISSANCE…
Depuis le début du XVe siècle, Florence, Rome vivent un bouillonnement artistique incroyable, en rupture avec
l’époque médiévale. Une créativité qui déborde par la suite, peu à peu, sur toute l’Europe : pour les artistes, il est de
bon ton de parcourir l’Italie à la rencontre des maîtres,
à la découverte de leurs œuvres.
C’est ce que fait Jacques Du Broeucq - même si on a peu de traces de ce périple. A son retour,
il s’attache à adapter ce nouveau langage artistique venu d’Italie aux traditions locales.
Aujourd’hui, il est considéré comme l’un des artistes les plus importants de la Haute-Renaissance dans les Pays-Bas
du sud. Mais déjà à l’époque, certains comparaient son jubé au portail de Reims
et d’autres disaient que le château de Boussu était plus beau que celui de Chambord!
Il est pourtant encore méconnu parce que ses œuvres principales ont été détruites…

Cette triple exposition vous invite à découvrir les innovations qu’ils a apportées dans l’art
de notre région, et l’influence qu’il a eue sur d’autres artistes.

MAIS QU’EST-CE
QU’UN JUBÉ ?
Avant de proclamer l’épître et l’évangile, l’offi-
ciant montait à une tribune d’où il chantait : «Jube
Dominum benedicere» («Seigneur, veuillez me bé-
nir») pour demander la bénédiction du Seigneur.
C’est à cet endroit qu’était élevé un ensemble déco-
ratif, sorte de clôture monumentale destinée à sépa-
rer le chœur - réservé aux chanoinesses, officiants
et laïcs membres du chapitre - du reste de l’édifice,
accessible à tous.
On l’appelle aussi un doxal.
De nombreuses églises de France et des Pays-Bas
possédaient un jubé dès la fin du 12e siècle, mais
Jacques Du Broeucq y a apporté tout l’art de l’expres-
sion qu’il avait glané lors de son voyage en Italie : le
jubé de Mons est donc le premier jubé renaissant du
Nord des Alpes.

 3 SUR LES PAS DE MAÎTRE JACQUES


Jacques Du Broeucq

DU BROEUCQ, LE SCULPTEUR
SON CHEF-D’ŒUVRE : LE JUBÉ DE LA COLLÉGIALE

7,5m de hauteur, 4,5m de profondeur, 12 m de largeur côté nef Entre elles, des scènes d’albâtre représentant divers moments
(celui du public) : le principal «meuble» de la Collégiale, le Jubé, de la Passion du Christ, de son entrée à Jérusalem à la descente de
était impressionnant! Et tout à fait novateur par sa conception ar- croix; on ne les possède plus toutes aujourd’hui.
chitecturale, par les matériaux utilisés et surtout par son iconogra-
phie, c’est-à-dire les scènes qu’il représente. Tant et si bien qu’il Trois «tondi» ou reliefs ronds représentent la création, le ju-
était cité, dans un dicton célèbre - pour les Montois tout au moins gement dernier (juste au-dessus de l’ouverture centrale) et le
- aux côtés des cathédrales d’Amiens, de Reims et de Beauvais. triomphe de la religion. Ils retracent ainsi en trois tableaux l’his-
toire de l’humanité tout en symbolisant la Sainte Trinité.
Suite à la Révolution française, il a été complètement démem-
bré, et aujourd’hui, on peut en voir certaines pièces et sculptures Du côté du chœur, celui que seules les chanoinesses voient, la
disséminées dans la Collégiale. L’évocation qui en est faite pour pièce centrale est le tableau de la Résurrection au-dessus de la-
l’actuelle exposition permet de mieux se rendre compte de l’am- quelle se trouve la statue du Christ «Salvator mundi», sauveur du
pleur de l’œuvre. monde, entourée de part et d’autre de l’Ascension et de la Pentecôte
ainsi que des statues, plus petites, de Moïse et de David.
En 1534, les «damoiselles» du chapitre de sainte- Waudru
(voir encadré 2) demandent à Jacques Du Broeucq d’imaginer et Enfin, le jubé étant profond, les côtés permettaient également de
de réaliser un jubé pour la Collégiale : en s’adressant à lui, qui développer une iconographie; elle poursuit l’histoire de la Passion.
vient de revenir d’Italie où il s’est imprégné de l’air nouveau qui y
souffle sur l’art, elles savent qu’il va innover.
Et c’est ce qu’il fait : l’art renaissant, c’est la redécouverte de
© Michel Lefrancq - SOFAM

l’esthétique et des idées de l’Antiquité.

- Il donne à son jubé la forme d’un arc de triomphe à la romaine


- il parvient à faire vivre ses personnages, ses animaux, ses ta-
bleaux grâce à l’expression des visages et des mouvements
- il respecte les lois de l’équilibre, la pureté de la forme, l’har-
monie des proportions
- ses statues ne sont plus confinées dans des niches mais sem-
blent en mouvement et contribuent à donner un rythme archi-
tectural
- l’utilisation du marbre noir de Dinant donne un caractère so-
lennel à la pièce et tranche avec la pierre bleue du bâtiment La Résurrection (C44R) – détail (Mons, collégiale Sainte-Waudru).
- l’albâtre, matière de prédilection de Du Broeucq pour ses
statues, leur donne une luminosité une transparence tout en 3 L’albâtre est une pierre plus facile 3
nuances
- l’iconographie tourne autour d’un thème unique : à travailler que le marbre ;
la Passion du Christ elle nécessite moins de dépense
- les statues ne représentent plus des saints comme c’était la
coutume à l’époque médiévale
physique et permet de soigner
davantage les détails. Mais Jacques
Du côté de la nef, le public se trouve face à trois arcs, soutenus Du Broeucq appréciait surtout
par des piliers, dont l’arc central sert d’entrée vers le chœur. Sept
statues les surplombent. Les quatre vertus cardinales : justice, ses qualités de transparence
prudence, force et tempérance. Les trois vertus théologales : foi, et de brillance…
espérance et charité.

DU BRŒUCQ, LE SCULPTEUR 3 
ESSAI DE RESTITUTION
DES 4 FACES DU JUBÉ

N1R
N2S N3R N4R N9S N14R N15R N16S N17R
N18S

N20S

N22S

N24S
N19R N21R
N23R

N25S-N28S N29S-N32S
LN49R
LS45R

LS46R LS47R LN50R LN51R

LS48R LN52R
C33S

C34S

C35R C36R C37R C38R

C39R C40S C41R

C42R C43R

C44R

 3 DU BRŒUCQ, LE SCULPTEUR
N 1 R – Entrée du Christ à Jérusalem (?) N 23 R – TRIOMPHE DE LA RELIGION C 40 S – SALVATOR MUNDI
(1542-avant1545) – environ (1540-1541 ? –avant 1545) – diam. environ 110 9 février 1548 – 159 cm.
70 x 120 cm. Non conservé. cm. (Transept sud.) (Chapelle du bas-côté sud.)

N 2 S – FOI N 24 R – PRUDENCE C 41 R – PENTECOTE


(1543-avant 1544), environ 1544 – environ 170 cm. (Chœur.) Août 1547 – 94,5 x 84 cm. (Transept nord.)
180 cm. (Chœur.)
N 25 S – N 28 S – Quatre statuettes C 42 R – COMPARUTION DU CHRIST DEVANT CAÏPHE
N 3 R – Couronnement d’épines ( ?) (1542-avant 1545) – environ Peu après le 6 novembre 1545 – 32,5 x 119,5 cm.
(1542-avant 1545) – environ 50 cm. (Deux statuettes conservées, voir N25S et (Chapelle de la Sainte-Croix, retable factice.)
70 x 120 cm. Non conservé. N28S.)
C 43 R – CHRIST REVETU DE SA ROBE
N 4 R – ECCE HOMO N 25 S – MELCHISEDECH (?) Après le 3 février et avant le 6 avril 1546 – 32 x
Peu après le 1er octobre 1546 – 71 x 119 cm. 65 cm.
(Chœur, maître- autel.) N 28 S – AARON (?) (Chapelle Notre-Dame de Toute Puissance,
(1542-avant 1545) – 51,5 cm et 47,5 cm. (Trésor prédelle factice de l’autel.)
N 5 S – Statuettes de la collégiale.)
(1543-avant 1545) – environ C 44 R – RESURRECTION
30 cm. Non conservées. N 29 S – N 32 S – Quatre 13 avril 1547 – 192 x 250 cm. (Transept nord.)
statuettes de saintes.
N 9 S – CHARITE Non conservées, non réalisées ( ?). LS 45 R – Mise au tombeau ( ?)
(1543-1544) – environ (Avant 1545) – environ 66 x 114 cm. Non conser-
180 cm. (Chœur.) N 29/32 R – RELIEF DE SAINTE WAUDRU vée.
(1542 ? –avant 1545) – 72,5 x 113 cm. (Chapelle
N 10 S – N 13 S – Statuettes Notre-Dame de Toute Puissance – retable LS 46 R – CHRIST DEPOUILLE DE SA ROBE
(1543-avant 1545) – environ factice.) 3 février 1546 – 32,5 x 117 cm.
30 cm. Non conservées. Voir N5S – N8S. (Chapelle de la Sainte-Croix, retable factice.)
C 33 S – MOÏSE
N 14 R – PILATE SE LAVE LES MAINS 9 février 1548 – 88 cm. (Trésor.) LS 47 R – CHRIST CLOUE SUR LA CROIX
1er octobre 1546 – 71 x 117 cm. (Chœur, maître- 6 avril 1546 - 32,5 x 117 cm.
autel.) C 34 S – DAVID (Chapelle de la Sainte-Croix, retable factice.)
9 février 1548 – 90 cm. (Trésor.)
N 15 R – Crucifixion ( ?) LS 48 R – PORTEMENT DE CROIX
(1542-avant 1545) – environ C 35 R – NOLI ME TANGERE 23 janvier 1545 – 170 x 130 cm. (Transept sud.)
70 x 120 cm. Non conservée. Entre le 3 avril et le 8 septembre 1545 – 33 x 71
cm. LS 49 R – DERNIERE CENE
N 16 S – ESPERANCE (Chapelle Notre-Dame de Toute Puissance, (1544 ?) – 66 x 114 cm. (Chœur, maître-autel.)
(1543-1544) – environ 170 cm. (Chœur.) prédelle factice de l’autel.)
LN 50 R – CHRIST AU JARDIN DES OLIVIERS
N 17 R – Descente de croix ( ?) C 36 R – INCREDULITE DE SAINT THOMAS 8 septembre 1545 – 31,5 x 119 cm.
(1542-avant 1545) – environ Entre le 3 avril et le 8 septembre 1545 – 33 x 72 (Chapelle de la Sainte-Croix, retable factice.)
70 x 120 cm. Non conservée. cm.
(Chapelle Notre-Dame de Toute Puissance,
prédelle factice de l’autel.) LN 51 R – BAISER DE JUDAS
N 18 S – FORCE 6 novembre 1545 – 32 x 72 cm.
1544 – environ 180 cm. (Chœur.) (Chapelle Notre-Dame de Toute Puissance,
C 37 S – ELECTION DE MATTHIAS prédelle factice de l’autel.)
N 19 R – CREATION Entre le 3 avril et le 8 septembre 1545 – 28 x 99
(1540-1541 ? –avant 1545) – diam. Environ 110 cm.
(Chapelle de la Madeleine, prédelle factice de LN 52 R – FLAGELLATION
cm. (Transept sud.) 23 janvier 1545 – environ 170 x 130 cm. (Transept
l’autel.)
sud.)
N 20 S – TEMPERANCE
1544 – environ 170 cm. (Chœur.) C 38 R – MORT D’ANANIE ET DE SAPHIRE
8 septembre 1545 –
28,5 x 97,5 cm.
N 21 R – JUGEMENT DERNIER (Chapelle de la Madeleine, prédelle factice de
(1540-1541 ? –avant 1545) – diam. environ 110 l’autel de la Madeleine.)
cm. (Transept sud.)
C 39 R – L’ASCENSION
N 22 S – JUSTICE Août 1547 – 93 x 90 cm.
1544 – environ 170 cm. (Chœur.) (Transept nord.)

DU BRŒUCQ, LE SCULPTEUR 3 
Il aura fallu plus de deux siècles pour terminer la construction de la Collégiale Sainte-Waudru. Le chantier débute en 1450 : les
chanoinesses rasent leur ancienne église pour opter pour une architecture plus «contemporaine», en style gothique flam-
boyant. En 1506, le chœur est terminé, et 20 ans plus tard, les travaux du transept prennent fin. Les ouvriers poursuivent donc
la construction de la nef en style gothique, selon les plans d’origine, lorsque Jacques Du Broeucq réalise, dès 1534-35, son
jubé monumental tout à fait novateur, bien ancré quant à lui dans la Renaissance. Il faudra attendre la fin du siècle pour que
la nef soit terminée, mais il reste encore à construire la tour de 190 mètres de haut, prévue en façade : entamé, le chantier est
arrêté en 1637 et vers 1690, on donne à la base de la tour une toiture «provisoire»… on décidera finalement d’abandonner le
projet : les bombardements de Louis XIV en 1691 ont entraîné trop de dépenses …
Pendant ce temps, le nouveau beffroi a vu le jour en 1669. Il restera le plus haut bâtiment de la ville…

LA RÉSURRECTION LA CRÉATION

Au cœur du chef-d’œuvre que constitue le jubé, la Résurrection C’est également l’une des œuvres phares de Du Broeucq. Pour la
tient le haut du pavé. C’est d’ailleurs la seule sculpture que Du première fois, la forme du tondo est exploitée pour créer une com-
Broeucq ait signée dans cet ensemble, alors qu’il n’y avait que les position concentrique : isolé du reste du relief par un mouvement
chanoinesses - les commanditaires - qui la voyaient… giratoire qui renforce la forme ronde de la sculpture, Dieu insuffle
En une seule scène, tant de choses sont dites! Un véritable «des- la vie à toute la création. Particulièrement à Ève, personnage prin-
sin animé» : le contraste est frappant entre les soldats terrorisés, cipal mais décentré, selon l’habitude de l’artiste.
se sauvant, se cachant, et le Christ qui apparaît serein, triomphant, Autre originalité : il inscrit ses personnages non pas sur une sur-
plein de vigueur aussi. On a l’impression que, s’appuyant sur son face plane, mais concave, ce qui lui permet de rendre la profondeur
pied, il est prêt à décoller… et de jouer sur les perspectives.
L’artiste recourt à toutes les gradations du relief : très discret Comme dans l’ensemble des sculptures de Du Broeucq, le moin-
lorsqu’il évoque en arrière-plan le temple à coupole de Jérusalem, dre détail est soigné : un peu d’observation, et l’on est transporté
de plus en plus souligné au fur et à mesure que l’on en vient au dans un monde animal et végétal évoquant le Paradis terrestre.
sujet même de la sculpture : en «ronde-bosse», les soldats et le Des animaux du monde entier célèbrent la création, du lapin au
Christ sont presque des statues flanquées sur le bas-relief! porc-épic, du dromadaire au singe. Une grande diversité qui mon-
Observez les boucliers derrière lesquels les soldats tentent de tre combien Jacques Du Broeucq était un artiste de la Renaissance,
se cacher : ils sont d’une finesse telle qu’ils en deviennent pres- ayant une connaissance encyclopédique! Car nombreux sont les
que translucides : la lumière de la Résurrection semble franchir animaux qu’il a sculptés sans les avoir sans doute jamais vus en
tous les obstacles! Du Broeucq a ici merveilleusement joué avec chair et en os…
la caractéristique principale de l’albâtre qui apporte de la lumino- Dans d’autres reliefs, on est étonné de voir le nombre d’instru-
sité, de la transparence à ses œuvres. D’autant plus que dans son ments de musique de l’époque, les détails architecturaux ou vesti-
emplacement original, le relief se trouvait face à l’est : lorsque le mentaires, la variété des plantes et des fleurs...
soleil l’éclairait, cette transparence était encore exacerbée…
Tous ces éléments tout à fait innovants ont fait la renommée de
la «Résurrection» pendant longtemps…
© Michel Lefrancq - SOFAM

© Michel Lefrancq - SOFAM

fig. 95 La Résurrection (C44R) (Mons, collégiale Sainte-Waudru). La Création (N19R), (Mons, collégiale Sainte-Waudru).

 3 DU BRŒUCQ, LE SCULPTEUR
LES VERTUS LE RELIEF DE SAINTE-WAUDRU

Elles présentent les traits typiques du maniérisme renaissant : Dans l’une des petites chapelles sur la droite du chœur, on trou-
une pose raffinée, une silhouette relativement plus longue que les ve un autel qui fut construit à peu près en même temps que les
canons classiques, l’abondance de détails vestimentaires notam- œuvres de Du Broeucq : il témoigne du fait qu’à cette époque, la
ment. A chaque vertu ses attributs : parmi les sept statues, pourrez-
mode était encore beaucoup au gothique. Un peu plus loin, vous
vous retrouver qui est qui ? découvrirez l’autel de sainte-Waudru, que l’on doit à Du Broeucq :
la différence est frappante!
Le relief est composé de deux fragments qui ont malheureuse-
SAINT BARTHÉLEMY ment été séparés mais qui ne forment qu’une seule scène. On n’a
pas encore pu déterminer avec certitude si cet élément apparte-
Certains détails ne trompent pas : dans ses sculptures, Jacques nait à l’autel situé à droite du jubé.
Du Broeucq laisse transparaître son penchant pour le protestan- Le retable met en scène la construction d’un édifice, avec les
tisme.A cette époque très troublée sur un plan religieux, alors ouvriers, l’architecte, les tailleurs de pierre, munis de leurs attri-
que les Protestants font l’objet d’une Inquisition sans merci, à buts professionnels. En bas à gauche, on trouve la scène princi-
Mons, le Duc d’Albe (Catholique) fait emprisonner tous ceux qui pale : l’architecte interrompt son travail pour recevoir plusieurs
sont soupçonnés d’avoir collaboré avec les troupes de Guillaume femmes. On peut lire cette évocation de deux façons, en y voyant
d’Orange (Protestant). D’autres sont exécutés, Du Broeucq est sainte-Waudru elle-même, accompagnée de ses filles, en train
gracié à condition d’abjurer et de sculpter une statue de saint- de faire construire son église, ou Marie de Hongrie, sa sœur
Barthélemy pour la Collégiale Sainte-Waudru. Il ne retrouvera Eléonore, reine de France, et sa suite dialoguant avec l’architecte…
toute sa liberté de mouvement qu’en 1575… Jacques Du Broeucq lui-même ???

Sur le plan esthétique, cette œuvre plus tardive, moins manié- Impossible ici de passer en revue toutes les sculptures : à vous de
riste que les sculptures du jubé, est importante parce qu’elle mon- poursuivre l’observation en essayant de retrouver les caractéristi-
tre bien l’évolution du maître. ques que nous venons d’aborder, et d’en admirer toute la richesse…

© Michel Lefrancq - SOFAM

Retable dit de sainte Waudru (restitution) (N29-32R ?) (Mons, collégiale Sainte-Waudru).


Saint Barthélemy (Mons,
collégiale Sainte-Waudru).

3 On entend par vertus cardinales les quatre valeurs 3


© Michel Lefrancq - SOFAM

qui constituentles pivots de la religion tandis que


les théologales, directement liéesà Dieu sont considérées
comme les plus importantes pour le Salut.
Situées du côté nef, les Vertus indiquaient ainsi aux fidèles
le cheminà suivre pour se rapprocher de Dieu…

DU BRŒUCQ, LE SCULPTEUR 3 
Du Broeucq, l’architecte

LES CHÂTEAUX DE BOUSSU, BINCHE


ET MARIEMONT…TROP TÔT DISPARUS
En ce 16e siècle, l’architecture religieuse à Mons est encore très Ailleurs dans les Pays-Bas, la Renaissance s’est déjà installée,
gothique : la construction de la collégiale Sainte-Waudru enta- dans les milieux de la cour puis dans les grandes villes comme
mée au siècle précédent se poursuit selon les plans d’origine; la Bruges et Anvers.
chapelle du Béguinage est elle aussi un joyau d’art gothique et Mais les construction les plus significatives et les plus vastes en
c’est ce même style qui est utilisé pour un nouvel édifice religieux style nouveau seront celles de Jacques Du Broeucq : les châteaux
comme l’église Sainte-Elisabeth, édifiée dès 1525. Le gothique de Boussu, de Mariemont et de Binche marquent nettement la
aura encore des adeptes bien plus tard : cette chapelle Saint- rupture avec l’architecture du Moyen-Age.
Georges dans laquelle nous nous trouvons, date de 1601…
Du côté de l’architecture civile, deux courants s’illustrent : le
gothique toujours vivant, que l’on peut encore trouver par exem- BOUSSU : LA NAISSANCE D’UN STYLE…
ple au «Blan Lévrié» (1530), tandis qu’un autre courant plus no-
vateur intègre des éléments renaissants venus d’Italie, mais en Œuvre célèbre à cause de sa rare architecture, le palais de Boussu
intervenant d’abord dans des détails ornementaux, sans toucher est la plus belle demeure qu’on puisse voir en tous les Pays-Bas,
à l’architecture elle-même… une demeure digne d’un roi…
© Michel Lefrancq - SOFAM
© IRPA-KIK, Bruxelles

Luc Petit de Valenciennes,


Monument funéraire
de Jean de Hennin-Liétard et
d’Anne de Bourgogne, détail
(Boussu, chapelle
des Seigneurs).

C’est ainsi que Loys Guichardin, auteur de «la description des


Pays-Bas» dès 1567, qualifie le château de Boussu.
Jean de Hennin-Liétard, premier comte de Boussu, est devenu
l’un des seigneurs les plus riches et les plus influents : il accom-
pagne Charles Quint en toute circonstance, est présent sur les
champs de bataille à Pavie, à Rome, et même lorsque Charles
reçoit la couronne impériale du pape Clément VII. Il est nommé
premier et grand écuyer de l’empereur. Aux faîtes de sa carrière, il
décide de construire un grand château, sur l’emplacement de ce-
lui de ses ancêtres. Ayant parcouru l’Italie, il veut un palais comme
ceux qu’il y a vus, conforme à cette esthétique nouvelle.
C’est à Jacques Du Broeucq qu’il fait appel : l’artiste se voit con-
fier son premier grand travail architectural au moment même où il
Mons, Le Blan Levrié – dessin de Léon DOLEZ, 1870 exécute dans son atelier montois ses œuvres sculpturales les plus
(Bibliothèque de l’Université de Mons-Hainaut).
importantes : celles du jubé de la Collégiale…
Jacques Du Broeucq réalise à Boussu ce qui deviendra le mo-
nument le plus important de la Haute- Renaissance dans les
Pays-Bas : il y adapte à la fois le classicisme provenant directe-

 3 LES CHÂTEAUX DE BOUSSU, BINCHE ET MARIEMONT… TROP TÔT DISPARUS


Mieux que toutes les descriptions du monde : prome-
nez-vous à travers le châtelet et la galerie d’entrée
du château dans la vidéo qui défile sous vos yeux…
Un gigantesque bâtiment de cent mètres de côté, en-
touré de quatre grandes tours couronnées de toitures
à bulbe. Pour y arriver, un châtelet lui aussi encadré
de deux tours et muni d’un pont-levis. Les quatre
ailes donnant du côté de la cour centrale sont reliées
par une galerie à colonnades. Plusieurs textes font
état d’écuries pouvant accueillir plus de 300 chevaux!
Un vaste bâtiment sert de basse-cour.
Le tout est construit en briques mêlées de pierre bleue.
Aujourd’hui, le seul élément conservé est constitué Boussu, château de Nédonchel, façade sud – carte postale de 1901.
de la ruine du châtelet : c’est un témoin unique de ce
prestigieux palais! L’élément principal en est l’arc de
triomphe en pierre.

ment d’Italie, et particulièrement de Rome, et le maniérisme qui Le château de Boussu accueille à plusieurs reprises avec fastes
se développe à la cour de François 1er, à Fontainebleau. Il utilise l’empereur Charles Quint. Philippe II y séjourne lui aussi et en sera
des matériaux de grande qualité, provenant aussi bien d’ateliers tellement marqué qu’il envoie son architecte Gaspar de Vega pour
de pierre de la région - de la pierre d’Ecaussinnes ou du marbre s’en inspirer. Mais en 1554, quelques jours après la visite de Charles
rouge de Rance, notamment - que d’Italie par exemple, comme le Quint qui vient de reprendre la guerre contre la France, les troupes
prestigieux marbre de Carrare. françaises emmenées par le jeune roi Henri II assiègent le château
Les nombreuses descriptions d’époque attestent de la somp- et le brûlent en partie. Contrairement à Binche et Mariemont, la
tuosité des décors intérieurs. «Toutes sortes d’artisans», écrit destruction ne sera pas complète et Jacques du Broeucq poursuit
Guichardin en signalant d’importantes collections de peintures et les travaux peu après. Mais il fera par la suite l’objet d’autres at-
d’œuvres d’art, «chacun en son art, y trouvent ici de quoi s’émer- taques destructrices…
veiller». La partie la plus riche est la salle d’Apollon, où se trouve
une statue d’Hercule en argent, haute de près de quatre mètres!!!
Charles Quint l’avait reçue de François 1er et l’offrit à son tour à son
grand ami Jean de Hennin-Liétard…
Les jardins sont également décrits comme splendides, avec des
grottes et des points d’eau : des jardins typiques de la Renaissance
comme à Fontainebleau ou Mantoue.

Un grand seigneur des Pays-Bas, le duc Charles de Croÿ, confie à l’atelier du peintre Adrien de Montigny la réalisation de
gouaches illustrant ses propriétés mais aussi les provinces où il a exercé une fonction. Ce travail colossal entrepris en 1590 et
terminé vers 1610 comporte plus de 2500 œuvres présentées sous forme d’albums : c’est une véritable mine d’informations sur
nos villes, villages et châteaux à cette époque. Dans ces albums, cinq gouaches représentent le château de Boussu. Ce sont
surtout grâce à elles que nous pouvons nous représenter aujourd’hui ce que fut cette résidence seigneuriale. Elles sont con-
servées à la bibliothèque nationale de Vienne, mais nous avons pu exceptionnellement faire venir quelques unes d’entre elles
pour cette exposition commémorative. Vous pourrez également au cours de l’exposition découvrir le château de Mariemont sur
une autre gouache réalisée par Adrien de Montigny et celui de Binche, grâce à une photo issue de ces peintures.

Douze de ces gouaches représentaient les chevaux offerts en différentes occasions à l’Empereur Charles-Quint. Les historiens
s’accordent à dire qu’elles évoquent les peintures de chevaux qui décoraient le château, rendant ainsi hommage à la fonction de
grand écuyer qu’exerçait Jean de Hennin-Liétard. On peut retrouver de telles fresques de chevaux au château d’Oiron, en France,
propriété du grand écuyer de François 1er. La source commune de ces deux œuvres est probablement la Sala dei Cavalli (salle
des chevaux) du palais du Té à Mantoue, due à Julio Romano : toujours cette influence des grands artistes italiens…

LES CHÂTEAUX DE BOUSSU, BINCHE ET MARIEMONT… TROP TÔT DISPARUS 3 


Binche, fête du 28 août 1549 Binche, fête du 30 août 1549
dans la grande salle du château dans la sallette du château
d’après un dessin anonyme d’après un dessin anonyme
à l’aquarelle à l’aquarelle
(Bruxelles, Bibliothèque (Bruxelles, Bibliothèque
royale de Belgique). royale de Belgique).

© IRPA-KIK, Bruxelles

© IRPA-KIK, Bruxelles
BINCHE ET MARIEMONT, D’AUTRES PROJETS DE DU BROEUCQ
POUR LES BEAUX YEUX DE MARIE…

«Chouchou» de Charles Quint, Jean de Hennin-Liétard a des La renommée de Jacques Du Broeucq est fondée sur deux piliers
contacts privilégiés avec sa sœur, Marie de Hongrie, qui de- : l’architecture civile mais aussi l’architecture militaire. La géné-
vient gouvernante des Pays-Bas. Le seigneur de Boussu lui pré- reuse pension que Marie de Hongrie lui a donnée n’est pas uni-
sente l’architecte dont il est si satisfait : Jacques Du Broeucq…. quement justifiée pour ses travaux à Binche ou à Mariemont.
Rapidement, le Montois devient l’architecte attitré de la régen- Il fit un modèle de la citadelle de Gand pour y construire un
te….avant qu’elle ne lui obtienne le titre tant convoité de «Maître nouveau palais impérial, des modèles de nouvelles villes- fortes
artiste de l’Empereur», en 1555. comme Mariembourg ou Philippeville.
Marie de Hongrie souhaite un palais en ville, à Binche, et un pa- Lorsque Marie de Hongrie quitte les Pays-Bas pour l’Espagne,
villon de chasse, sur les hauteurs des bois de Morlanwelz, auquel lorsque son grand protecteur Jean de Hennin-Liétard meurt, il
elle donnera son nom : Mariemont, ou le mont de Marie… Ils de- perd ses grands mécènes. Mais il sert encore comme «consul-
vront avoir la magnificence de la Renaissance italienne et chanter tant» sur le plus grand chantier civile de l’époque : la construction
la gloire de la dynastie Habsbourg. de l’Hôtel de ville d’Anvers.
Il nous reste donc peu d’éléments sur ces palais. Parmi les témoi-
gnages, les récits de plusieurs écrivains et les dessins anonymes
qui nous sont parvenus de ces éblouissantes fêtes données en août
1549, alors que le château de Binche n’était pas encore achevé. UN MAÎTRE DONT ON S’INSPIRE…
Charles Quint veut faire reconnaître Philippe II comme son
successeur et a invité toute l’aristocratie européenne dans la Le château de Boussu s’inscrit dans la lignée des grands «châ-
résidence de sa sœur Marie de Hongrie : pendant neuf jours, les teaux-résidence» des anciens Pays-Bas. L’importance de Boussu
princes, les nobles, les seigneurs venus d’Espagne, d’Italie et des comme résidence seigneuriale ne fait d’ailleurs aucun doute aux
Pays-Bas participent à une succession de banquets, de ballets yeux des visiteurs du 16e siècle. Ainsi, Gaspar de Vega, l’architecte
costumés et de tournois. de Philippe II d’Espagne, raconte au roi que le château de Boussu
Admirez plutôt la grandeur de cette salle des fêtes et ses dé- est l’édifice le mieux travaillé qu’il a vu au cours de son voyage à
cors somptueux… Pénétrez également dans le pavillon de chasse travers la France, les Pays-bas et même l’Angleterre. Ce qui veut
- mais non moins monumental palais - de Mariemont grâce à la dire qu’il l’a préféré au château de Chambord, notamment!
magie de la restitution par ordinateur… Gaspar de Vega va plus loin : il imite cette architecture qu’il a tant
aimé dans les châteaux qu’il construit en Espagne pour Philippe II,
à Valsain, près de Ségovie, au Pardo près de Madrid et à Aranjuez.
La vie de ces palais fut de bien courte durée : à Binche, on En Espagne, ce n’est que lors de la construction de l’Escorial dans
commence les fondations en 1545 et l’aménagement intérieur les années 1560 que l’influence de la Renaissance italienne pren-
se poursuit jusqu’en 1554. Mais cet été-là, les troupes du Roi de dra le pas sur la Renaissance, version Du Broeucq!!!
France dévastent le Hainaut. Les deux puissances se disputent De même, dans le Luxembourg, à Clausen, on ressent vrai-
encore les États Bourguignons. Marie de Hongrie a fait incendier ment que l’architecte, inconnu, a été inspiré par Jacques du
plusieurs châteaux français parmi lesquels la demeure préférée du Broeucq pour dessiner l’architecture des jardins du gouverneur
roi. La revanche est immédiate : Henri II ordonne que les châteaux du Luxembourg de l’époque…
de Binche et de Mariemont soient eux aussi incendiés… Jacques
Du Broeucq y fera encore par la suite des travaux de restauration.

 3 LES CHÂTEAUX DE BOUSSU, BINCHE ET MARIEMONT… TROP TÔT DISPARUS


UN LANGAGE ARCHITECTURAL NOUVEAU

Dorique Ionique Corinthien

`
Toscan Composite

Pour un architecte de la Renaissance, il est très important de maîtriser le nouveau «langage» architectural, avec sa «grammaire» et
son «vocabulaire» : c’est l’italien Sebastiano Serlio qui l’a vulgarisé en publiant des traités, rapidement connus dans nos régions.
Ce langage est basé sur le système des cinq ordres classiques, inspirés de l’Antiquité :
- le dorique, le plus simple à la base
- le toscan, forme encore simplifiée du dorique grec, né à la Renaissance…
- l’ionique, et son chapiteau orné de deux volutes latérales
- le corinthien, caractérisé par ses rangs de feuilles d’acanthe entre lesquelles s’élèvent des volutes
- le composite, rassemblant plusieurs de ces styles, comme son nom l’indique. Une invention de la Renaissance

Observez dans l’exposition, les témoignages de ces différents styles, provenant des œuvres de Du Broeucq
Mais l’architecte renaissant habitant les Pays-bas se doit aussi d’adapter ce système aux coutumes locales : c’est ce que réussit
particulièrement bien Jacques Du Broeucq.
© IRPA-KIK, Bruxelles

Jean BRUEGHEL 1er, Vue de Mariemont depuis le nord-est, 1611 (Munich, Alte Pinakothek).

LES CHÂTEAUX DE BOUSSU, BINCHE ET MARIEMONT… TROP TÔT DISPARUS 3 


FOCUS SUR BOUSSU
Boussu, chapelle funéraire
des seigneurs, tombeau de
Jean de Hennin-Liétard et
d’Anne de Bourgogne.

© Michel Lefrancq - SOFAM

LA CHAPELLE DES SEIGNEURS

Comme c’était l’habitude dans la noblesse, les seigneurs de que sur les quatre enfants, les trois garçons près de leur père,
Boussu se sont fait construire, accolée à l’église paroissiale, et la petite fille près de sa mère, on peut admirer la légèreté et
une chapelle où enterrer leurs morts. Au début du 16e siècle, l’élégance de ces sculptures. Plus haut encore, la composition
l’église et la chapelle funéraire de style roman sont démolies a été très soignée; autour du retable de Dieu le Père, deux lé-
et remplacées par des édifices en style gothique hennuyer. gionnaires.
C’est là que Jacques Du Broeucq élève le mausolée de celui Signalons que les deux statues de Jean de Hennin-Liétard et
à qui il doit une grande partie de sa carrière : Jean de Hennin- de son épouse détruites lors des guerres de religion de 1572 (
Liétard, le comte de Boussu, et son épouse Anne de Bourgogne. la bataille d’Hautrage) ne sont pas de Du Broeucq. Le travail a
D’une hauteur de 5,95m et d’une larguer de 3,90m, ce mauso- été confié à l’un de ses élèves, Luc Petit, de Valenciennes, ce
lée de marbre, qui occupe le fond de la chapelle est un véri- qui explique qu’elles sont moins raffinées.
table monument d’architecture, presque un bâtiment dans le Le gisant maniériste en albâtre, attribué pour sa part à
bâtiment. On y ressent toute la maîtrise de Du Broeucq des Jacques Du Broeucq, a été restauré au début des années 90 par
différents ordres antiques. En s’arrêtant sur les Vertus ainsi l’Institut royal du Patrimoine artistique.

 3 FOCUS SUR BOUSSU


LE CHÂTEAU ET SON PARC
En parcourant l’exposition consacrée à l’œuvre architecturale
de Jacques Du Broeucq, à la salle Saint-Georges, vous avez dé-
couvert les trois principaux châteaux qu’il a dessinés : ceux de
La chapelle des Seigneurs de Boussu recèle plusieurs Boussu, de Binche et de Mariemont, sous forme de peintures,
autres monuments funéraires, s’étalant sur plusieurs siè- d’évocations, d’objets découverts lors des fouilles.
cles et racontant à leur façon l’histoire des «grands hom- Pour mieux appréhender ce que fut le château de Boussu, rien de
mes» de cette famille. Le plus ancien est le bas-relief en tel qu’une petite visite sur le site, à la rencontre des ruines de l’édi-
pierre bleue consacré à Thierry de Hennin-Liétard, mort à fice. Le porche d’entrée est considéré par les spécialistes comme le
Venise en 1430, lors de son retour de pèlerinage en Terre plus bel arc de triomphe de la Renaissance hors d’Italie…
sainte. Le mausolée le plus récent, celui de Maximilien
II, date du 17e siècle et sert également de maître-autel. Depuis quelques années,
Deux urnes funéraires datent du 19e siècle. le parc a été aménagé pour la promenade.
Profitez-en…
Les galeries de la chapelle accueillent un musée d’art
religieux. On y trouve notamment toutes les pièces d’or-
fèvrerie au poinçon de Mons qui ont été offertes par les
seigneurs de Boussu à la paroisse Saint-Géry, lors de
leur «Joyeuse» Entrée». La première œuvre que l’on connaisse de Du Broeucq se situe
non à Mons ou à Boussu mais dans la cathédrale de Saint-Omer
Pour l’exposition consacrée à Jacques Du Broeucq, en France. Il s’agit d’un monument funéraire à la mémoire d’Eus-
plusieurs vitrines ont été ajoutées aux œuvres perma- tache de Croÿ qui fut Évêque d’Arras. C’est l’une des rares œuvres
nentes de la chapelle. Vous y découvrirez quelques-uns que Du Broeucq ait signée. Le gisant qui y est sculpté présente une
des nombreux objets trouvés lors des différentes cam- étonnante similitude avec celui du monument funéraire de Hennin-
pagnes de fouilles ainsi que différents objets et docu- Liétard à la chapelle des Seigneurs de Boussu. Ces deux gisants
ments concernant les seigneurs de Boussu... comptent parmi les rares transis maniéristes.

Parmi les sculptures que l’on trouve dans la On peut y voir la mort telle qu’elle était Quelques années plus tard, le gisant que
chapelle, «l’homme à moulons» est tou- perçue au Moyen-Age : l’homme y appa- sculpte Du Broeucq pour cette même cha-
jours très remarqué par les visiteurs : daté raît torturé, appréhendant la mort, envahi pelle est de plein pied dans la Renaissance :
du premier quart du 16e siècle, ce transi en par la peur de l’enfer… l’homme y est apaisé, il a repris le dessus,
pierre blanche d’Avesnes peinte représente est remis au centre de la création…
un cadavre en état de putréfaction.
© IRPA - KIK, Bruxelles

Monument funéraire de Jean de Hennin-Liétard – détail : le transi (Boussu, chapelle des Seigneurs).

FOCUS SUR BOUSSU 3 


DES FOUILLES TRÈS RICHES
D’ENSEIGNEMENT

Étant donné que les trois principaux édifices dessinés et cons-


truits par Jacques Du Broeucq avaient été détruits avant même
d’être achevés, il restait peu de traces de son oeuvre architec-
turale. Seul moyen d’en savoir plus : fouiller les anciens sites.
Depuis une quinzaine d’années, un chantier de fouille a
donc été entamé au château de Boussu. Elles ont dès le début
révélé de nombreuses informations sur l’architecture comme
sur la sculpture du Maître. D’année en année, le plan au sol
du château se complète et l’on se rend compte visuellement
de l’importance de cette résidence renaissance, avec ses
ailes de 100 mètres de long.
Parmi les pièces extraordinaires dégagées lors des fouilles,
la découverte de deux cariatides monumentales très manié-
ristes sera déterminante : elle prouve, tout comme la goua-
che de la grande salle de Binche, que l’influence maniériste
ne s’est pas arrêtée au nord de la Loire, à Fontainebleau, mais
qu’elle a pénétré les Pays-Bas…
Plus globalement, les fouilles menées à Boussu et les
études qui les ont accompagnées révèlent que Jaques Du
Boussu, partie supérieure
Broeucq a fait la synthèse entre deux grands courants de d’une caryatide en pierre blanche d’Avesnes.
la Renaissance : le classicisme romain - que l’on retrou-
ve par exemple dans la parfaite symétrie de la façade du
château - et le maniérisme - très marqué dans les déco-
rations intérieures.

Boussu, vue générale du « boulevard » devant le châtelet (vers le nord) (2001).

Claire BORTOLIN
Inspiré de textes de Krista De Jonge et de Marcel Capouillez
 3 FOCUS SUR BOUSSU Avec la collaboration de Michel De Reymaeker et Benoît Van Caenegem

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