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Le Pont des Arches à Liège

Michel Georges et Bertrand Huyghe

Centre de recherches archéologiques fluviales asbl 2004

1
Le pont des Arches à Liège
Avant d’entreprendre toute prospection, il est nécessaire de dresser un historique
du site. A cette fin, des contacts sont pris avec plusieurs personnes susceptibles de
guider notre travail de recherche.

Nous contactons la Direction des voies navigables et hydrauliques de la ville de


Liège, et une réunion est organisée rue Forgeur n° 2 à 4000 Liège.

A cette réunion participent :


Mr BERNIMOLIN : Ingénieur principal chef de service au M.E.T.
Mr ETIENNE : Ingénieur industriel principal au M.E.T.
Mr LEOTARD : Archéologue provincial du service des fouilles de
Liège.
Mr GEORGES: Membre du CRAF
Mr HUYGHE: Membre du CRAF
L’intérêt principal des participants se concentre sur le « pont des Arches » dans la
ville de Liège.
Plusieurs ponts auraient en effet existé à cet endroit, en pierre, en bois, et lors du
placement récent de pieux sur la rive gauche, des fragments de poteries auraient
été mis à jour lors des travaux.
Mais les divers travaux de dragage sur la rive gauche ne laissent plus présager
d’intéressantes découvertes de ce côté du fleuve.
Par contre, la rive droite n’a jamais été « explorée ». Celle-ci retient donc toute notre
attention.

Le « pont des Arches » offre en effet un intérêt historique évident :

Il se situait sur une des voies d’accès importantes de la ville de Liège.


Il est mis en évidence que, au cours des siècles différents ponts se sont succédé à
cet endroit avec des emplacements légèrement différents du pont actuel.
Il constituait une barrière facile à protéger contre d’éventuels agresseurs.

Nous prenons également contact avec Mme P. PIEYENS-RIGO, Chef du


Département Liège - Luxembourg des Archives Générales du Royaume.

2
Celle-ci nous informe de l’existence d’un mémoire à l’Université de Liège présenté
par Monsieur Erwin WOOS pour l’obtention d’une licence en Histoire : Le Quartier
d’Outremeuse à Liège, Genèse et évolution topographique d’un territoire urbain.
Contact est pris avec M. WOOS qui nous invite à venir consulter ses documents.

Mme PIEYENS-RIGO nous signale également que les Archives de l’Etat à Liège
conservent plusieurs plaquettes ou tirés-à-part essentiellement relatifs aux travaux
réalisés au XIXième siècle sur la rive gauche (percement de la rue Léopold). Les
Archives de l’Etat possèdent également une brochure publiée à Liège en 1655 et
intitulée Moyens et conditions à redresser le pont des Arches qui traite, entre autres,
de travaux sur la rive droite.

Mme PIEYENS-RIGO nous invite à venir consulter les ouvrages dans la salle de
lecture.

L’emplacement des différents ponts qui se sont succédé a varié dans le temps.
Ceux-ci ont en outre été bâtis soit en bois, soit en pierre, et parfois au moyen des
deux matériaux.
Il nous faudra dresser un plan fidèle du site, en surface et sur le fond de la Meuse.
Y situer les points remarquables, et localiser dans un premier temps tout objet posé
sur le fond.
Aucun travail de fouille ne sera entrepris pour le moment.
Les travaux de topographie s’étendront sur 25 mètres de part et d’autre du pont des
Arches, et sur la largeur comprise entre la première arche et la la rive droite (+ ou -
30 mètres).

3
HISTORIQUE DU PONT DES ARCHES.

Lorsque l’on remonte l’histoire de la ville de Liège, nous constatons l’apparition des
premières traces de présence humaine au sein de la ville vers 50.000 av.J.-C. Ces
traces sont visibles sur plusieurs sites dont les principaux sont la Place Saint
Lambert et les hauteurs de Walburge. Ces deux endroits ont certainement été
choisis pour leur situation naturelle. Il faut savoir que ces deux sites sont hors de la
plaine alluvionnaire de la Meuse et de l’Ourthe et qu’ils sont protégés des vents par
le plateau de la citadelle et par la hauteur du bois de Cointe. De plus un cours
d’eau, la Légia, leur apporte l’eau potable et fournit la force motrice nécessaire aux
moulins.

Liège à l’époque, ou du moins son site primitif, était constitué d’un chapelet d’îles
marécageuses, alimentées en alluvions par la Meuse et l’Ourthe, et régulièrement
submergées par d’importantes inondations.

Site primitif de Liège1

Cet endroit a donc été longtemps déserté par les premiers habitants de la contrée,
au profit du bassin fluvial mosan, et du quartier d’Outre-Meuse. Ce dernier

1
STIENNON J. & MAHAUX Ch. 1981. Liège, Mechelen (Cités de Belgique, Vol.3) p.9, fig.3.

4
relativement peu habité avant la construction du premier pont n’a semble-t-il pas
justifié de lancer un ouvrage au-dessus de la Meuse. Le trajet vers Outre-Meuse
devait s’effectuer en barque.

La ville de Liège est dès le Xe siècle entourée d’une première enceinte fortifiée,
construite par l’évêque Notger.1
Le développement de la ville motivera au fil des ans la nécessité d’une
communication plus rapide et moins hasardeuse vers Outre-Meuse.

PREMIER PONT.

L’origine de ce pont jeté entre les deux rives de la Meuse remonterait à la première
moitié du XIe siècle sous l’épiscopat de Reginard (1025-1038) selon le chanoine
Anselme.2
Peu de régions en Europe sont traversées par autant de ponts qu’en province de
Liège.
Dans la ville même, de nombreux cours d’eau aujourd’hui comblés sillonnaient le
quartier d’Outre-Meuse.
Cependant, avant 1840, la Meuse n’offrait qu’un seul point de traversée; le Pont des
Arches.
La cité elle-même pourvoyait aux dépenses occasionnées par les travaux de
construction; elle s’acquitta de cette mission durant des siècles, parfois en
s’imposant de lourds sacrifices financiers.

La rue du Pont, située sur la rive gauche et communiquant avec la place du Marché
est contemporaine, voire antérieure au premier pont des Arches. Elle a été créée
dans le prolongement exact du pont, et constituait l’unique voie de communication
directe entre le centre de la Cité et le quartier d’Outre-Meuse, dans lequel elle se
prolongeait par la chaussée des Prés.
Cet axe, d’après Th. Gobert, point de départ de la route Liège à Aix-la-chapelle
motiva le franchissement de la Meuse par un pont.3 D’autres voies d’accès vers Aix-

Notger a été installé sur le trône épiscopal en 972 par l’empereur Otton Ier.
2
« Et inter alia quae fecit insigna, pontem super Mosam magno sumptu extrurit. » (Monumenta
Germania Historia ss., t. VII. p. 210.)
3
GOBERT Th. Liège à travers les âges. Les rues de Liège., réimpresion de l’édition de 1924-1929,
t.IX, p.428.

5
la-chapelle existaient encore, et deux ponts franchissaient la Meuse, l’un à
Maastricht rejoignant la voie romaine Bavay-Cologne et l’autre à Visé (Visé - Gulpen
- Aix-la-Chapelle - Cologne - Mayence) . Ces deux voies étaient probablement
utilisées fréquemment. Le pavage au XIIIe siècle de cette nouvelle voie la rendit
plus praticable, et son emploi fut généralisé.
La fondation des deux paroisses Saint-Nicolas (Xe siècle) et Saint-Pholien (XIIe
siècle) rattacha définitivement le quartier d’Outre-Meuse à la Cité.1

Les frères Van Eyck nous restituent une vision précise de ce que devait être le pont
de Reginard à l’époque, dans le tableau La Vierge au chancelier Rolin. Toute
l’évolution topographique du quartier d’Outre-Meuse a été remarquablement
expliquée par E. WOOS qui s’est basé en partie sur la représentation de Liège dans
cette toile.2

La Vierge au chancelier Rolin ou la Vierge d’Autun des Frères Van Eyck.(66 x 62cm,
Paris- Musée du Louvre.) « On comprendra que les Van Eyck ont représenté le grand pont
de Reginard, caractéristique de la ville de Liège et que tout le monde avait encore en
mémoire plutôt qu’une passerelle anodine et provisoire. »3

1
WOOS Erwin, Le quartier D’Outremeuse à Liège - Genèse et évolution topographique d’un territoire
urbain - Mémoire (1993-1994).Université de Liège, Faculté Philosophie et Lettres, pp. 19 et suiv.
2
WOOS Erwin, op.cit. pp. 58 et suiv.
J.LEJEUNE, Les Van Eyck - Peintres de Liège et de sa cathédrale.
3
J. LEJEUNE, op. cita.,pp. 154 - 156.
Lejeune daterait le tableau entre 1409 et 1418, apès la forte crue des eaux de la Meuse de 1409 qui
renversa le pont des Arches.

6
Le Chroniqueur du XIVe siècle Jean d’Outremeuse crut qu’à l’origine la rue du Pont
formait elle-même un véritable pont bâti sur arcades et voûtes. Il est vrai que
certaines habitations de la rue Feronstrée et de la rue de la Boucherie reposaient
sur des voûtes et des arcades. Il en attribuait la construction à Ogier le Danois.1
Mais il ne coulait aucun cours d’eau à cet endroit, et il est possible que dans un
terrain détrempé, voire marécageux, il ait fallu asseoir certaines constructions sur
pilotis ou sur des arches en pierre.

Tacite en l’an 69 parle du « pons Mosae » sur la Meuse. La ville de Liège n’existant
pas encore à cette époque, il n’y avait aucune raison d’édifier un pont à cet endroit.
De plus la route militaire allant de Tongres en Germanie traversait la Meuse
beaucoup plus en aval.

Le prince évêque Reginard, régnant sur la principauté de 1025 à 1038 décida de


construire un pont « tout de pierre ». Il reliait la chaussée des Prés à la rue du Pont.
Aujourd’hui encore, ces deux rues se situent dans le prolongement l’une de l’autre
des deux côtés de la Meuse.
Le nom de « Pont des Arches » provient du fait que les arcs en pierre remplaçaient
les poutres de bois rectilignes et non cintrables.2 Le peuple cependant l’appelait « le
pont » tout simplement.
Ce pont fut conçu et construit avec sept arcades « massives et bien hautes » pour
la facilité de la navigation.

1
« Ogier fit faire un grand pont comenchant à Richeron Fontaine empres les Henneurs et duroit
jusques à pied du chasteau de Cornillon, allant tout droit la voye pour aller à pont d’Amecour, et
comprendoit les cawes estranges qui descendoient et encor descendrent à Liège. Et fut fait ce pont sur
arches de pierres fort et bien massoné et dessus des grandes bars et terrastres moult puissantes...
(Chroniques de Liège)
2
« On lui donna le nom de Pont des Arches parce que les ponts de bois ne pouvant avoir des arcures,
celui-ci pour la commodité de la navigation, en avoit sept bien massives, fort larges et bien hautes,
ainsi qu’il est aisé à remarquer de ce qui reste au fond de la Meuse. » (Moyens et Conditions à
redresser le Pont des Arches; Liège, 1663; p. 78)

7
Le pont des Arches peint par Van Eyck dans La Vierge d’Autun et identifié par Jean
Lejeune,op.cit. Dessin d’Armand Silvestre.1

Achevé en 1034, ce premier pont de pierre était placé sur la Meuse beaucoup plus
obliquement qu’à l’heure actuelle. Une pente raide y menait.
La culée du nouveau pont rive gauche fut placée tout à l’entrée de la rue du Pont.
Une porte défensive surmontée d’une tourelle était située à l’entrée du pont. Celle-ci
unissait les deux parties des murs de la première enceinte de la Cité, et avait pour
but de garder le pont des Arches par le corps de garde de la Compagnies des
Arbalétriers. Côté Outre-Meuse, sur la rive droite, l’aboutissement du pont se situera
au début de la rue Chaussée des Prés, au même endroit que la culée actuelle.
Ce pont était bordé latéralement de maisons d’artisans et de commerçants et
constituait une véritable rue. Les propriétaires de ces maisons étaient dans la
plupart des cas des notables.
Le départ du pont se serait situé jadis à l’angle de l’impasse du Vieux Pont et du
quai de la Goffe (aval rive gauche). Une habitation dite « Maison de la Cloche » fut
construite sur la culée du pont transformée en cave.
Cette habitation fut détruite en 1882. D’importants vestiges y furent découverts en
1911.
La dernière arche de la rive droite aurait été construite en bois, matériau facilement
démontable en cas de menace d’invasion. La rue Chaussée des Prés, transformée
en nouveau quartier se para de nombreuses et riches habitations destinées en
grande partie à la noblesse et aux membres de la haute magistrature. L’antipathie
des classes laborieuses se manifestait parfois par des scènes violentes, et le

1
GOBERT Th., op.cit.,IX, fig. 2476.

8
peuple empruntait le pont des Arches pour aller piller les riches demeurant en
Outre-Meuse.
Ces derniers afin de se prémunir de ces dangereuses incursions firent dresser de
leur côtés une porte massive crénelée précédée d’un pont-levis1. Cette dernière
était munie de murs longeant la Meuse en amont et en aval. A la fin du XVe siècle,
ces murs étaient encore debout en Pecherue (amont rive droite), ce qui n’était plus
le cas en Tannerue (aval rive droite).

Il est probable qu’avant de s’implanter sur la rive droite du fleuve, les tanneurs
étaient installés dans l’île de Fèvres. La première trace des tanneurs sur la rive
droite remonterait à l’an 1280. Poussés sans doute hors de la ville pour les
nuisances qu’ils produisaient, ils s’installèrent en aval du pont des Arches.

Dans sa première version, et sur différentes vues de Liège, le pont des Arches est
donc représenté par une grosse tour décentrée vers l’Outre-Meuse, la dernière
arche constituée d’un pont-levis et d’une partie de bois. Cette dernière partie fut
démolie à plusieurs reprises lors de différents conflits. En 1256, le lignage
DESPREZ et les échevins de Liège en conflit avec les partisans de Henry de Dinant
se réfugièrent en Outre-Meuse non sans avoir « declaweir et detachier » les
planches du pont des Arches. En 1312, le scénario se reproduit à l’occasion du
tragique épisode du Mal Saint-Martin .

Le quartier d’Outre-Meuse n’était donc pas en contact direct avec la ville, et


l’absence de fortifications rive droite, ne faisait pas courir grand danger à la Cité.
Jean d’Outremeuse pour sa part ne signale pas l’existence d’un pont-levis mais d’un
tablier réalisé partiellement en planches et en madriers.

Selon J de Hemricourt, chroniqueur (mort en 1409) : « Au delà de la grande tour et


de son pont-levis, une infrastructure légère pouvait au besoin être rapidement
détruite ».
Malheureusement, les crues et les glaces, aidées par la surcharge de nombreuses
constructions qui y avaient été construites des deux côtés sur toute sa longueur

1
Selon Hemricourt, cette porte avait été construite par les De Prez: « Et avoient bonne fermeteit de
leur costeit et bon pont leviche et assez bonne porte et forte par devers eaz alencontre de cheaz de
Liège, et encors (1390) y est ly fermeteit al devant de Peixheuruwe; mais ilh y at ja bin long temps que
tot at asteis remis a unk et ly fermeteit abattue, guy estoit solont Mouze alle devant de Tanneuruwe.
(Miroir des Nobles de Hesbaye, p.209)

9
emportèrent le pont lors de la débâcle de glaçons dans la nuit du 24 au 25 février
1409.1

DEUXIEME PONT.

Le second pont fut reconstruit par la cité de Liège2 sous « Jean de Heinsberg,
évêque de Liège et comte de Looz (1424 - 1446). Il comprenait sept arches de
pierre comme le précédent.

Le pont des Arches qui dura de 1446 à 1643 restitué par Ch. Rémont d’après la vue
de Liège gravée par Maréchal 1618
Extrait de : Auguste Hock, Liège, au XVe siècle.

Le cours de la Meuse ayant changé entre-temps suite aux différentes crues et


légers remaniements des berges, les architectes décidèrent de ne plus l’orienter tel
qu’il était auparavant, mais de lui redonner une direction perpendiculaire au courant.

1
Une pièce de monnaie frappée à l’effigie ”d’Albert de Rethel prévôt 1191-1194” porte au verso le
bélier passant sur un pont de bois, généralement considéré comme le rite officiel d’inauguration. Un
pont de bois semble donc avoir été inauguré vers 1193. Etait-ce un pont provisoire?
Histoire numismatique de l’évéché et principauté de Liège par le comte de Renesu Breidlach -
Bruxelles 1830 - Planche 50.
2
Sceau de la Cité : Sancta Legia Deigratia
Romane Ecclesiae Filie
S. Lamb’tus
Sainte Liège pour la Grâce de Dieu, fille de l’Eglise romaine Saint-Lambert.

10
L’aboutissement rive droite resta inchangé en face de la rue des Prés1, mais le
départ rive gauche se situa plus en amont en face de la rue Neuvice.
Le passage d’une rive à l’autre pendant les années de constructions eurent lieu au
moyen d’un pont de bois. Les troubles politiques, l’état précaire des finances de la
cité retardèrent la construction du nouveau pont.

Extrait de la vue de Liège de G. BRAUN et F. HOGENBERG dans « Theatrum


urbium et civitatum orbis terrarum », t.II, Cologne 1574.
Vue lontaine du quartier d’Outre-Meuse. Le pont des Arches à gauche, et dans la
prolongation, la rue des Prez, l’église et le pont Saint-Nicolas.

Après 22 ans de construction, ce nouveau pont fut inauguré le 12 juillet 1446 par le
passage de la procession générale “allant du Monastère de Notre-Dame du Val des
escoliers” en Outre-Meuse dans le but d’attirer les bénédictions du Ciel sur la
nomination des nouveaux Bourgmestres2.
Malheureusement, le Conseil de la Cité, oublieux des enseignements du passé, et
croyant la rivière calmée à jamais accordèrent des permis de bâtir des maisons sur
le pont, qui redevint comme auparavant et sur toute sa longueur, une véritable rue.3
Une chapelle dédiée à Sainte Barbe, patronne des bateliers fut érigée au milieu du
pont à la demande des Maîtres de la Cité. Vers Outre-Meuse, on éleva une porte
flanquée de tourelles rondes: « bâtisse massive dite Mâle Governe »4
La ville fit détruire la « Mâle Governe » en 1612, celle-ci entravant la circulation et
nuisant à la solidité du pont.

1
On écrit généralement chaussée « des prés », comme si cette dénomination venait de ce qu’autrefois
cette partie de la ville n’était que tous « prés ». Ce nom tient en réalité de la famille « De Prez » qui
possédait ce terrain en alleu.
HENAUX Ferd., 1859. NOTICE sur le PONT DES ARCHES DE LIEGE, Liège, F. Renard, p.10.
2
Les délices du pays de Liège (1738) Tome I - p.93.
3
« En ce temps, le Pont des Arches formoit une espece de rue, par les maisons qui bordoient ses
deux costez. (Loyens, Recueil héraldique des Bourguemestres de la Noble Cité de Liège.)
4
GOBERT Th. op. cit., t.V, p.26

11
Vue de Liège près de Cointe. XVIe siècle.
Plume et lavis d’aquarelle. Ecole allemande (Liège, collections artistiques de
l’Université).1

Le 18 juin 1626, l’ingénieur GALLE exposait ses craintes relatives à la chute


prochaine du pont.2 En effet, en plus des surcharges des constructions qui le
couvraient et pour lesquelles il n’était pas prévu, il était miné par le dessous parce
que certaines concessions comprenaient en outre le droit de creuser des caves
dans les piles !1

1
STIENNON J. & MAHAUX Ch. 1981. Liège, Mechelen (Cités de Belgique, vol. 3) p. 9, fig 28.
2
Reconstruction du Pont des Arches - Rapport de M. Remont, Architecte de la ville de Liège (1856)

12
Vue du pont des Arches vers 1630
Extrait de LIEGE de Gerrardus Alzenbach

Les fondations étaient affouillées et minées par les eaux, de plus la mauvaise
orientation du pont par rapport au courant donnait une prise considérable à la
Meuse.2
3
En 1643 une crue exceptionnelle due au dégel emporta le pont, inonda la ville
basse et une partie de la ville haute.4
Un pont de bateaux provisoire à péage fut réalisé pour rétablir les communications
entre les deux rives.

TROISIEME PONT.

En 1643 Fernand de Bavière était prince évêque à Liège, Maximilien-Henri lui


succéda en 1650.
La cité décida de reconstruire le pont en 1645 « mais prenant la Meuse plus en droit
fil ».5

1
Loyens - Recueil héraldique des Bourgmestres de la Noble Cité de Liège.
.2 «Faut aussy notter que le pont des Arches est déffaillant en sa structure et que le maistre qui l’at
basty dvoit estre ignorant de la navigation pour n’avoir pas considéré le fil et courant de l’eau... Les
piliers sont faicts en esquier (équerre) avec le dit pont, monstrent et opposent leurs flancs au courant,
le desrompant de son droict fille, tellement que les pointes ou nez des pilliers fabricquez à dessein de
partie et diviser l’eau esgallement et plus facillement ne peuvent servir à l’effect prétendu, mais bien au
contraire, à cause qu’ils opposent directement leurs joues ou costez de leurs faces... Faut supposer
que le vieux pont faisant une lingne droite avec la « rue de Saint-Nicolas (Chaussée des Prés) et la rue
du Pont, devoit estre encore plus mal basty, comme il appert par ses vieilles ruinnes »
GOBERT Th. op. cit., p.439.
3
« La rivière de Meuse fut plus grande que jamais l’an 1643, ce qui causa grand préjudice à la ville par
la ruine du Grand Pont des Arches avec plusieurs maisons et des personnes noiées dans le Meuse.
(Abrégé de l’Histoire de Liège, édit. de 1677)
4
Les délices du pays de Liège ,1738, t. I , p.93.
5
Narré sommaire des structures du Pont des Arches - Liège 1663.

13
Extrait de la vue de Liège d’après M.MERIAN « Topographia Westphaliae »
s.d. (ed. fac-similé Bâle, 1961)

Après de lourds travaux destinés à débarrasser le Meuse des anciennes piles


écroulées, les travaux commencèrent an avril 1648. En octobre 1648 la première
pierre fut posée. Malheureusement, huit jours plus tard, une crue bloqua les travaux
de reconstruction qui ne reprirent qu’en juin 1649.
En 1651, les deux premières piles rive droite n’étaient toujours pas achevées.
Après discussion entre deux projets, et pour en limiter le coût, la Cité choisit le
même emplacement, mais il fut décidé d’effectuer des travaux destinés à redresser
le cours de la Meuse, et d’équiper le pont d’un ferme éperon destiné à dévier les
flots et briser les glaces.
Le pont était formé de six arches ayant respectivement pour ouverture à partir de la
rive gauche: 15m50, 15m90, 18m90, 18m90, 14m05 et 13m30. Les voûtes étaient
en plein cintre, excepté la première et la dernière qui étaient surbaissées. Le pont
développait une longueur totale de 129m60.1
Une autre source nous signale que « Sa longueur, entre les deux culées, était de
quatre cent soixante-cinq pieds, et sa largeur de quarante-six pieds, les arches
étaient au nombre de six, toutes d’ouverture inégale, variant de quarante-cinq à
soixante-deux pieds; les voûtes étaient en plein cintre, excepté la première et la
dernière, qui étaient surbaissées; leur hauteur de clef allait de vingt-quatre à
soixante pieds... »2
Faute de subsides, sa reconstruction ne fut reprise que vers 16553, et il fut livré à la
circulation en 1657. La population déchanta quand elle apprit que ce pont serait
soumis à péage pour permettre de rembourser l’argent avancé. L’opinion publique
s’y opposa violemment. Il fut néanmoins mis en adjudication, et l’adjudicataire fit

1
GOBERT Th. op. cit., p.445)
2
HENAUX Ferd., op. cit., p. 10.
3
Reconstruction du Pont des Arches - Rapport de M. Remont, Architecte de la ville de Liège (1856)

14
élever aux extrémités du pont une baraque avec un commis pour exiger le péage.
Des bourgeois refusèrent de l’acquitter. Quelques soldats allemands délégués par
le Prince vinrent prêter main-forte aux commis.
Les premiers passants n’osèrent s’enhardir à franchir le pont sans péage. Mais leur
nombre ayant augmenté; ils se précipitèrent sur les commis, les mirent en fuite à
coup de pierres, et jetèrent les baraques dans la Meuse.1
Suite à ces événements, le passage fut déclaré entièrement libre pour les
bourgeois.
La cité nomma une Compagnie Comptoir qui assura la direction de cette entreprise
et le maniement des fonds.

« Maximilian Henry, par la grâce de Dieu, Archevêque de Cologne, prince Electeur


du St - Empire romain... déclare:
« Les Bourgmestres de notre cité de Liège, d’un commun consentement du conseil,
des maîtres et commissaires, auraient obtenu que le surcroit des biens, rentes, et
de tous revenus des Trente - deux Métiers, déduites les charges, et gages
ordinaires, devrait être appliqué à la structure du Pont des Arches, et être affecté
jusqu’à l’entier refournissement des formes [...] afin que le pont fut plus ferme et
stable, comme aussi notre agrément [...] ne désirant rien plus que l’union, paix et
repos de nos bourgeois, comme aussi l’avancement de la structure du Pont tant
nécessaire. » (daté du 3 décembre 1654)

Suivent encore les renseignement suivants:


« L’illustre chapitre de la Cathédrale, Abbayes et les chapitres collégiaux,
monastères et couvents opulents de la cité et du voisinnage, considéreront la piété
et utilité de cet ouvrage, jointe à la nécessité pour éviter les naufrages, noyement de
personnes et autres évidents dangers, comme aussi les bonnes volontés, et
résolution de toute la bourgeoisie, représentée par les Métiers qui ne peuvent suffire

1
« Mais le peage ne dura guere, car il y eut des grands murmures entre la Bourgeoisie, disant qu’ils
avoient paié plus de six ponts semblables depuis sa reedification, et qu’on les vouloit encor faire paier
leurs passages malgré tous les impôts qu’on avoit mis a cet effect passez tant d’années, et les rentes
at revenus des Trente-deux Mestiers qu’on at encor prins disant encor que c’estoit pour l’achèvement
du Pont des Arches... Ce que les estudiants s’attroupèrent un jour vers le soir avec quelques
manouvriers avec eux et jetterent les dittes baraques en bas du pont » (Chroniques de Liège.)
Le repreneur « s’alla poser soub quelques baraques dressées expres, appuyé de quelques soldats
allemans que l’on luy donna pour son asseurance, afin de contraindre le peuple passant et repassant
de payer l’impôt ordinaire d’un gigot aux bourgeois, d’un liard aux estrangers, comme encore sur les
bâteaux et les bêtes; et le monde voulut passer à l’ordinaire sans payer fut par luy arrêté, ce qui fit
esmouvoir premier les garçons, puis le peuple, qui, nonobstant sa garde, après plusieurs injures luy
donnerent la chasse à coups de pierres, et la nuit venue sa baraque fut renversée dans la Meuse. »
(Sommaire historial de Liège, Ms. de la Bibliothèque publique de Liège n°174, fol.922)

15
à cette dépense très grosse; Et partant seront très instemment requis d’y vouloir
subvenir. »
« Le Caffier sera obligé de tenir le Registre, contrats faits avec les ouvriers, achats
matériaux. »
« Nul particulier ne pourra empêcher que la Compagnie, et ouvriers du Pont,
viennent à user des lieux, places, rivages, propres à décharger et mettre en forme
tous matériaux nécessaires à rebâtir le Pont. » signé G. DU SART.
« Ordonnance à M. le Comte de Mérode Grand Mayeur pour rendre libre le Rivage
des Merniers sur Meuse, afin que le quai puisse être poursuivi, la liberté de
commerce entretenue, et place donnée aux matériaux destinés à la fabrique du
Pont des Arches. » signé L. DE TORNACO le 3 juillet 1655.1

En 1663, l’apurement des comptes de la Compagnie des Ponts étant terminée,


celle-ci fut dissoute et le Conseil en témoignage de sa reconnaissance, décerna à
chacun des membres du Comptoir, une médaille en or.
L’inauguration du pont eut donc lieu en 1663, bien que le pont ait été livré à la
circulation dès 1657 au grand contentement de la population.
Aucune raison connue ne justifie l’écart entre ces deux dates.
Cependant les princes de Bavière régnant à cette époque sur la principauté
oublièrent que le ‘Liégeois’ préférait une direction paternelle plutôt qu’une main de
fer. L’érection du nouveau pont des Arches fut une nouvelle cause de crise aiguë.
La cité de Liège craignant de voir ériger sur le pont des constructions comme
précédemment, mais surtout des fortifications, s’engagea à ne plus délivrer de
permis de bâtir sur le pont et à interdire de créer des caves dans le pont des
Arches. Pour matérialiser cette décision, une dalle gravée fut posée au centre du
parapet amont avec l’inscription:

il est interdit debastir svr le pont


permis a vn chacvn de s’y opposer et demolir
selon l’article final des moyens establis
povr la strvctvre par les ss. bovrgem (est) res
fovllon et beeckman
l’an 16552

1
Moyens et Conditions à redresser le Pont des Arches, op. cit.
2
GOBERT Th. op. cit.,IX, p. 448.

16
Il était préconisé entre autres « une visite annuelle des grands piliers quand la
Meuse sera au plus bas. »
« De ne plus déverser de gravats, terres de caves, ruines de maison, cendres et
ordures aux rivages et dans les canaux des rivières de notre cité. »
Enfin, la libération de l’espace et la protection des murs est demandé :
« Plus de traite de fer et de bois sur la muraille et couverture du quaye »1
Cependant, Maximilian Henri de Bavière, voulant tenir en respect le quartier
turbulent d’Outre-Meuse et transgressant audacieusement la défense de bâtir sur le
pont, y fit élever un fortin en 1685 qui servit quelquefois de prison provisoire.
Constituée d’une grosse tour carrée et crénelée qui occupait toute la largeur du
pont, elle fut armée de huit canons, et une garde allemande y fut placée. Cette tour
carrée d’environ 12 mètres de côté fut baptisée Dardanelle par les Liégeois2. Cette
construction ne contribua pas à renforcer la sympathie populaire pour le Prince
Maximilian Henri.

Le pont des Arches et la Dardanelle. Détail de la vue de Liège dessinée par Remacle
Le Loup et gravée par Godin (1781).
Liège, Université, Collections artistiques.3

Celle-ci était percée en son milieu d’un passage voûté assez large permettant la
circulation. Elle était munie d’une porte que l’on fermait la nuit, dès le couvre-feu.

1
Moyens et conditions à redresser le pont des Arches à Liège (chez Jean Van Hilff Imprimeur juré de
son Altesse Sérénissime, demeurant en Pierreuse proches les Pères Minimes) 1655.
2
Allusion au fameux détroit des Dardanelles.
3
GOBERT Th. op. cit., IX, fig. 1075.

17
Une inscription gravée sur une pierre, et placée au dessus de la clef de voûte
rappelait à chaque Liégeois « l’origine » et la date de ce monument :

DIsCIte paCate sVb prInCIpe VIVere CIVes


seDItio poenIs nVLLa Carere soLat1
La Dardanelle subsista plus de 100 ans.
La Révolution Française fournit à la population l’occasion de faire disparaître cette
tour par un recès2 de la cité daté du 19 mars 1790, et celle-ci fut démolie le 23 mars
1790.
« Les Seigneurs Bourgmestre et Conseil Maïtres et Commissaires de la noble cité
de Liège [...] ne peuvent souffrir davantage qu’en mépris des intentions précises de
la cité et des citoyens bienfaisants qui ont fait bâtir ce pont et qu’à la honte du bon
peuple on laisse subsister cet ouvrage tyrannique de Maximilian Henri. »

Dès 1815 Liège réorganisa sa structure en perçant de larges avenues, créant de


nombreuses places, boulevards et squares, en profitant de l’espace laissé par les
nombreuses églises et couvents détruits, et en comblant des bras de Meuse
abandonnés et infectés.
De grands travaux furent entrepris pour améliorer le cours de la Meuse, renforcer
ses digues et par là même diminuer l’effet catastrophique des inondations.
Le pont du XVIIième siècle ne supporta pas longtemps ce remembrement, et il fut
démoli en 1859.

Une communication directe avec la place St-Lambert en fut le motif principal.


D’autres causes furent que le trop grand nombre de piles rendait difficile la
navigation devenue plus intense sur la Meuse. De plus, le pont n’étant pas
perpendiculaire au courant, engendrait de nombreux naufrages de bateaux qui
allaient se fracasser sur les piles à l’époque des crues. Enfin, lors des débâcles, les
plaques de glaces, au lieu d’être brisées par les becs précédant les piles en amont,
heurtaient violemment les faces latérales, menaçant de les ébranler.
Ce troisième pont présentait en plus un profil en dos d’âne, et les pentes de son
tablier étaient si fortes qu’il fallait parfois un renfort de chevaux pour hâler les
charrettes sur la première moitié du pont. A la descente, des gamins faisaient le

1
« Bourgeois, apprenez à vivre sous le prince: nulle sédition ne peut rester sans châtiment. » (1684)
GOBERT Th. op. cit., p.444.
2
Acte dans lequel les assemblées politiques de l’Empire germanique consignaient leurs délibérations
avant de se retirer.

18
métier de mettre aux roues un bâton en guise de frein, en réclamant des charretiers
« deux aidans po l’mèteu d’clapètes. »1

Le pont des Arches qui fut utilisé de 1657 à 1860. A l’arrière plan, l’église
St-Pholien en Outre-Meuse.
Liège, Université, Collections artistiques.1

Dessin daté de 1818.

1
GOBERT Th. op.cit., p.451.
L’explication du terme clapète nous est expliquée dans le Dictionnaire Liégeois de J. Haust:
HAUST J. 1979. Le dialecte wallon de Liège, Dictionnaire Liègeois, 2me partie, Liège, Vaiilant-
Carmanne. S.A., p. 150.
(t. rural) bâton ou branche servant à enrayer une roue et clap’tant en retombant d’un rai sur l’autre
dans une descente rapide.

19
Liège, Université, Collections artistiques.2

QUATRIEME PONT.

Ce quatrième pont fut inauguré en 1860, en présence du roi Léopold Ier.


Il fut construit perpendiculairement à la rivière entre la chaussée des Prés et la
future rue Léopold. Pour la dernière fois, la culée de la rive gauche remontait le
fleuve.

« Plan de la reconstruction du pont des Arches à Liège présenté par M.

1
GOBERT Th. op.cit., IX, fig. 2479.
2
GOBERT Th. op.cit., IX, fig. 2482.

20
HOUBOTTE... » en 1858 et projet de traversée à travers le quartier de la Madelaine.
On peut observer que la culée rive gauche remonte encore vers l’amont.1

Les pentes raides de la chaussée de l’ancien pont furent considérablement


adoucies. Il comportait cinq arches surbaissées en pierre de taille. Huit statues
ornant les becs de piles et dues au ciseau du sculpteur Prosper Drion, ont été
placées par après.
Peu avant la guerre, en 1906, la largeur de 7 mètres de la chaussée s’avéra
insuffisante vu le trafic. L’Administration des Ponts et Chaussée décida alors de
porter la largeur du tablier à 10 mètres au moyen de dalles amovibles en béton
armé.
Le quatrième pont des Arches fut démoli par l’Armée Belge le 6 août 1914, trois
jours après la déclaration de guerre de l’Allemagne.

CINQUIEME PONT.

Le pont de bois qui fut maintenu de 1919 à 1930.2

1
GOBERT Th. op.cit., IX, fig. 2483.

2
GOBERT Th. op.cit., IX, fig. 2489.

21
Jusqu’en 1928, un pont provisoire en bois fut installé sur les restes des piles du
pont dynamité en 1914. A partir de 1927, les derniers vestiges du pont furent
enlevés afin de permettre la construction du sixième pont. Il fut achevé pour
l’Exposition Internationale de 1930. Les statues du quatrième pont entreposées au
Musée des Beaux-Arts, furent replacées sur les nouvelles piles.
Celui-ci comportait également cinq arches.
Malheureusement, il subit également le sort de son prédécesseur et fut dynamité en
1940.

SIXIEME PONT.

Le pont actuel construit en 1947, photo prise du quai des Tanneurs.1

Une fois la dernière guerre terminée, le sixième pont fut construit et ouvert à la
circulation en 1947. Le nombre des arches fut réduit à trois. Ce pont est toujours en
place actuellement.

1
GOBERT Th. op.cit., IX, fig. 2492.

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