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LES CONSTRUCTIONS VERVIETOISES

Du XV° au xx°siècle

Et trois monographies :

L’ancien Hôtel de Ville – Le perron – L’Hôtel de Ville actuel

Par Maurice PIRENNE

114 Illustrations dont 100 de l’auteur

Verviers – G. LEENS, imprimeur-éditeur, rue du Collège 94

1927

A mon père, Henri PIRENNE qui fut échevin des Travaux de la Ville de Verviers de
1878 à 1896.

Ce sont les aspects successifs de Verviers, du XV° au XX° siècle, que j’ai
voulu évoquer dans les pages qui suivent.

J’avais d’abord placé dans le corps de mon travail l’étude du vieil Hôtel de
Ville, celle du Perron et celle de l’Hôtel de Ville actuel. Ces trois monographies
tenaient une place trop importante : elles détruisaient l’impression d’ensemble. Je les
ai donc retirées. Actuellement, une partie distincte est consacrée à chacun de ces
monuments. Je regrette de ne pas avoir eu les loisirs suffisants pour ajouter un
chapitre sur l’ancienne Eglise St-Remacle : on trouvera du moins, en note, plusieurs
choses concernant ce monument vénérable.

Qu’il soit bien entendu que mon histoire des Constructions Verviétoises n’est
qu’un travail d’amateur, entrepris assez inconsidérément. Pour le mener à bien, il eût
fallu un architecte doublé d’un historien, et je ne suis qu’un dessinateur qui regarde
quand il passe dans la rue.

J’ai eu la faiblesse de transcrire, par ci par là, quelques idées personnelles : je


ne les ai pas supprimées après coup, parce que ce ne sont pas des idées originales :
je veux dire que ce sont celles de beaucoup de personnes qui s’intéressent aux
choses de l’art : dès lors, il m’a semblé qu’il m’était permis de les écrire. Il en est de
même des quelques critiques que j’ai osé formuler.

Est-il nécessaire de faire la nomenclature des ouvrages consultés ? Je ne le


crois pas. Ce sont, en général, tous ceux de nos concitoyens qui, à diverses,
époques, ont été pris du désir de parler de leur ville natale.

1
Je dois cependant citer le livre de monsieur Emile FAIRON : « Les industries
au pays de Verviers »1. Ce livre m’a été d’une utilité primordiale. Dans cette
brochure, l’histoire de Verviers –car l’histoire de Verviers est-ce autre chose que
l’histoire de son industrie ?- est pour la première fois donnée au public, par un savant
qui connaît son sujet mieux que personne, avec clarté, ordre, et une grande richesse
de documentation inédite. Cet ouvrage fait, une bonne fois, table rase des légendes
qui obscurcissaient notre vue.

Dès l’abord, j’ai trouvé dans ce livre, -petit mais si dense, d’aspect modeste,
mais si important- quelque chose de solide sur quoi m’appuyer. Les phases de notre
vie économique qu’il expose si bien donnent l’explication des phases de notre
activité constructive, car il est évident que celles-ci découlent de celles-là. Ce n’est
pas seulement ce livre qui m’a guidé : son auteur lui-même a bien voulu lire mon
travail, me signaler des erreurs, me prêter son manuscrit sur l’administration
communale de Verviers et enfin, me fournir copie de plusieurs extraits d’archives du
dépôt de Liège, extraits du plus grand intérêt.

Mr Jules FELLER, chargé avec Mr E. FAIRON par la Commission de notre


Société d’Archéologie et d’Histoire d’examiner mon manuscrit, m’a, de son côté,
indiqué maintes corrections à apporter au style. A lui aussi tous mes remerciements,
que je prie Mr J. PEUTEMAN, le dévoué Président de notre Société, de bien vouloir
partager car, avec un soin scrupuleux, il a revu toutes les épreuves de ce travail et
m’a fait nombre de remarques judicieuses. Je tiens aussi à mentionner l’obligeance
extrême avec laquelle m’ont aidé dans mes recherches MM. Les Chefs des bureaux
de l’état-civil, des travaux et des archives communales.

J’émets ici le vœu de voit imprimer le manuscrit du docteur J. LEJAER :


« L’histoire de Verviers du XV° au XVII° siècle ». Ce copieux et minutieux travail,
résultat de recherches patientes dans notre dépôt d’archives, est une source
abondante où l’on peut puiser des renseignements inédits sur tout ce qui a trait au
Verviers des siècles en question.

Qu’il serait bien aussi de publier le manuscrit de DE SONKEUX, dans lequel le


brave homme ressuscite toute une période de l’histoire de notre ville !2

Sont joints à mon travail une série de vues du vieux Verviers dessinées in
extremis et des croquis de vestiges de diverses époques. Pas plus que le texte, ils
ne sont d’un architecte ; ce sont des dessins de paysagiste exécutés presque tous
d’après nature.

On trouvera aussi dans le courant de l’ouvrage quelques reproductions de


photogravures, lithographies et dessins d’entre ceux conservés au Musée

1
Cet ouvrage est en vente, au profit des aveugles de la guerre, aux guichets de la Bibliothèque
Communale. Prix : 2 francs.
2
Henri DE SONKEUX, boulanger de son métier, est né à Verviers en 1650 et mort en 1708 à
Namur. Voir sur H. DE SONKEUX et son frère Jean, qui fut bénédictin à St-Hubert, le chapitre CXCV
du Tome II des Notices de Nautet. Nautet possédait le manuscrit original de DE SONKEUX,
manuscrit devenu par la suite propriété de la Société d’Archéologie et d’Histoire : on en trouvera
une copie à la Bibliothèque Communale.

2
Communal. Il eût été intéressant d’en montrer beaucoup plus ; mais le livre serait
devenu trop coûteux.

PREMIERE PARTIE :

LES CONSTRUCTIONS VERVIETOISES DU XV° AU DEBUT


DU XX° SIECLE

CHAPITRE PREMIER : DU XV° AU DEBUT DU XVIII° SIECLE

I. AVANT LE XVI° SIECLE - ANCIENNETE DE VERVIERS – VERVIERS


BOURGADE RURALE

Verviers est habité depuis fort longtemps. Son nom, nous disent les
philologues, est très ancien1. Des poteries gallo-romaines ont été trouvées dans son
sol2 et « nous sommes autorisés à croire », écrit Mr FAIRON, « que la paroisse de
Verviers a existé avant le IX° siècle »3.

Il n’en persiste pas moins que Verviers, relégué dans son coin d’Ardennes, ne fut
pendant tout le Moyen-Âge qu’un pauvre petit village. Ses habitations se groupaient
à proximité de la Vesdre et du ruisseau de Mangombroux, mais à l’abris de leurs
inondations, sur la hauteur où se trouve aujourd’hui l’Hôtel de Ville. Les demeures
étaient faites en bois, argile et chaume.

Il ne reste naturellement pas plus de trace de ces cabanes primitives que des
arbres qui se dressaient aux alentours et des forêts qui faisaient tout leur horizon.

Une petite église, d’abord en bois, puis plus tard en pierre, fruste chapelle
romane4 : devant elle, sur la place, une halle, sorte de marché couvert aux forts
piliers de chêne ; en contrebas, sur le canal5 qui lui servait de biez, le moulin : voilà
tous les monuments de l’endroit. Il était habité par des bûcherons. Ils allaient couper
du bois pour les forges des environs où plusieurs trouvaient à s’employer. Entre-
temps, ils chassaient, pêchaient, s’occupaient de leurs bêtes.

1
Verviers semble bien être un Viroviacum d’origine celtique. Le quartier de Sommeleville porte un
nom qui rappelle une villa gallo-romaine ; mais on n’a découvert aucune trace de substructions de
cette villa (Note de Mr Jules FELLER).
2
Ces poteries sont conservées au musée Communal. Elles furent trouvées en 1908 sous les caves
du Bazar (Voir Chronique Société Verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, 1908, p15). On en a
trouvé aussi au pont des Couvalles.
3
« Certaines particularités relatives à la dîme, aux antiques processions banales à Stavelot et à
Liège et aux endroits d’usage dans les forêts, autorisent à croire que la paroisse de Verviers a
existé avant le IX° siècle ». E. FAIRON : « Industries au pays de Verviers », p8.
4
Nous ne possédons rien concernant ces églises primitives, mais ce que j’en dis est de toute
probabilité (voir « Anciennes églises et vieilles tours de village » par l’abbé J. CEYSSENS. Bulletin
des Commissions d’Art et d’Archéologie ; LXIII° année,2° fascicule).
5
Pour la grande ancienneté du canal, voir E. FAIRON, p8.

3
Tous les matins, le herdier sonnait du cor pour réunir les porcs des
particuliers, puis partait avec le troupeau. Il le menait paître sous les chênes et le
ramenait au coucher du soleil1.

Les Verviétois commencèrent à abandonner cette vie bucolique au début du


XV° siècle. C’est alors qu’ils créent2 chez eux l’industrie drapière ; elle prospéra si
rapidement3 qu’à la fin du siècle, Verviers, bourgade rurale, se trouva transformée en
bourgade industrielle.

II. LE XVI° SIECLE – VERVIERS BOURG INDUSTRIEL.

A) La première partie du XVI° siècle

Et pourtant Verviers conserve, malgré l’élan de sa jeune industrie, l’apparence


d’un village ardennais. La population ne cesse d’augmenter : on élève beaucoup de
nouvelles constructions, mais ces constructions restent semblables à celles des
siècles précédents. Faites en colombage, torchis et chaume, ce sont des sortes de
petites fermes avec étables pour le porc et la vache. Il n’y a pas encore de grosses
fortunes à Verviers : « l’extrême fractionnement des fouleries au XVI° siècle », écrit
Mr FAIRON (p16), « nous prouve que l’industrie drapière n’est pas encore
concentrée dans les mains de quelques capitalistes, mais qu’elle est exercée par de
nombreux artisans de fortune modeste ». Fortunes modestes, maisons modestes
évidemment.

Mais, première affirmation de la prospérité communale, la petite église


romane, devenue insuffisante, est, au début de ce siècle, reconstruite, plus grande,
en style gothique4.
1
On connaît le salaire du herdier ; entre autres choses, il avait droit à un cougnou le jour de la
Noël.
2
L’industrie drapière verviétoise n’est pas antérieure au XV° siècle. Mr FAIRON le prouve de la
page 5 à la page 9 de son livre. L’industrie drapière fut créée à Verviers pas ses habitants et non
importée par des étrangers.
3
Pour la brusque efflorescence de l’industrie drapière à Verviers au XV° siècle, voir le livre de Mr
FAIRON, p15.
4
La tour avait été commencée en 1447 : jusque là, le village avait été trop pauvre pour se la
payer. Au début du XVI° siècle, elle fut achevée, comme l’atteste le linteau d’une de ses fenêtres
portant le millésime MCCCCCVI : c’est alors que la flèche fut construite et que l’intérieur du
monuments fut agrandi et modernisé.
Le Musée Communal conserve encore quelques vestiges gothiques de la vieille église et la
plupart de ses pierres tombales des XVII° et XVIII° siècles (voir J. JUSTICE : « « Epigraphie
verviétoise »).
On peut voir aussi au musée quelques statues de la même provenance : entre autres, un
St-Laurent du XIV° siècle, très intéressant, et deux grandes statues en bois : Jésus bénissant et la
Vierge portant son fils ; œuvres du début du XVI° siècle. Les fonts baptismaux, du XVI° siècle, se
trouvent actuellement dans l’église St-Joseph. L’église paroissiale fut peinte à fresque au XVI°
siècle ; JS. RENIER, au moment de la démolition du monument a pu remettre au jour une peinture
représentant les saints Cosme et Damien, datée de 1539. Le dessin que J. RENIER en fit a été
reproduit dans le Bulletin de la Société d’Archéologie et d’Histoire (Tome II, 1882).
Sur l’ancienne église, voir Gustave RUHL : « Quelques mots sur l’église St-Remacle » et le
manuscrit LEJEAR : p160 et suivantes.
Le musée conserve une vue de l’église en 1830 par LION, dessin reproduit en lithographie
par JS. RENIER, et deux vues de l’intérieur dessinées au fusain par J. DEBATISSE au moment de la
démolition. L’église a aussi été photographiée à cette époque. On voit également l’ancienne église
sur la charmante lithographie de HOFFMAN, de Cologne, éditée par les frères Hahn vers 1840.

4
Sur la tour fut érigée orgueilleusement une flèche hardie, la plus haute de la
région.

Bientôt, après 1527, les magistrats firent édifier une nouvelle Halle, bâtiment
spacieux pour lequel l’argent ne fut pas épargné1. Une nouvelle église, un nouvel
Hôtel de Ville !

Ces deux monuments de pierre donnent au village un air d’importance et de


richesse. Au point culminant de l’endroit, ils s’élèvent, rendus plus importants encore
par le voisinage des modestes chaumières des artisans. Ceux-ci forment la presque
totalité de la population, mais quelques gros propriétaires, plus ou moins nobles,
possèdent des demeures qui attirent l’attention.

Quelques tours2 dominent avec pittoresque les toitures du commun. Ces tours
n’avaient rien de monumental : c’étaient des édicules construits en colombage
comme le reste de la maison. On vient de démolir (en 1925), sur le Marché, au coin
formé par Crapaurue et la rue de Heusy, une maison qui fut, au XVI° siècle, une des
riches demeures de Verviers. Ses proportions, les ornements en bois sculptés avec
maîtrise et verve qui décorent les rampants d’un pignon resté debout sur la rue de
Heusy, le long dossier de banc gothique découvert à l’intérieur de la partie détruite 3,
indiquent que c’était là une maison sortant de l’ordinaire.

C’était celle de maître Laurent del court4, chirurgien, échevin de 1558 à 1575,
riche personnage allié à la noble famille des Stembert. Ses murs étaient faits avec
les matériaux traditionnels : bois et torchis, primitivement, sans doute, du chaume la
recouvrait.

Mais il semble que l’on a fait mieux : Verviers aurait possédé dès la première
moitié du XVI° siècle, une maison en pierre et en briques. Dans notre village, c’était
un fameux luxe pour un particulier.
Cette lithographie est divisée en 9 compartiments contenant chacun une église de Verviers. Dans le
compartiment du milieu se dresse St-Remacle avec le loup.
1
La cinquième partie du présent travail fait l’histoire de cette Halle-Hôtel de Ville.
2
La Bouverie, ferme louée à un seigneur d’Eupen pour servir de prison et de fourrière, possédait
une tour. Ce bâtiment était, croit-on, situé dans l’impasse Gouvy actuelle.
La Tour Quentin : Il en est souvent fait mention dans les écrits du XVII° et du XVIII° siècles. Les
Carmes l’habitèrent en 1665 en arrivant à Verviers. Elle devait dater du XVI° siècle car nous
savons que sa porte était décorée du linteau en accolade caractéristique de cette époque. Cette
porte, dernier vestige de la tour et de la maison fut démolie en 1875. Elle était située dans la rue
du Pont actuelle (qui primitivement s’appelait comme la rue joignante Secheval) là où se trouve
actuellement la troisième maison à partir du coin de la rue. Ces renseignements me sont fournis
par Mr Gustave RUHL qui a vu cette porte encore debout et en a fait un croquis reproduit dans
l’ouvrage de Mr DEL COURT VAN KRIMPEN : « La Famille Del Court Van Krimpen réfugiés de
Verviers en Hollande ; leur rôle dans l’industrie drapière en Hollande, … ».
La Tour du Marché : au XVI° siècle, Bertrand Delle Tour était propriétaire de la Tour du Marché
(voir Bulletin de la Société Verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, 1904. Inventaire des biens
meubles de maître Laurent del Court.
3
Le dossier en question et une partie du fenestrage ont été donnés au Musée de Verviers par la
Coopérative Ouvrière, propriétaire de l’immeuble démoli. La maison avait été modernisée vers
1830.
4
On trouvera dans le Bulletin de la Société Verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, 1904,
l’inventaire dressé en 1575 des biens meubles de maître Laurent del Court. Il habitait sur le Marché
une maison à trois étages, avec une étable contenant trois vaches, deux génisses et un pourceau.
La Tour Quentin appartenait à son frère, le commissaire Thomas del Court. Son beau-frère
Bertrand del Court était propriétaire de la Tour du Marché.

5
Et pourtant, l’on peut voir, dans la rue des Carmes, à la façade postérieure de
l’immeuble qui fait le coin de cette rue et de Crapaurue, deux fenêtres à linteaux de
pierre d’une accolade, d’un travail soigné. C’est le seul morceau architectural, en
pierre du XVI° siècle, encore en place dans notre ville.

La façade principale de l’immeuble en question, sur Crapaurue, est de la fin


du XVIII° siècle ou du début du XIX°. Or, ces fenêtres gothiques, là où elles sont, me
semblent si déroutantes, que je me demande, supposition hasardeuse, si elles ne
sont pas des fenêtres de notre ancien Hôtel de Ville remployés là. S’il n’en est pas
ainsi, quel richard peut avoir construit cette demeure unique en son genre ? Ce ne
peut être qu’un membre de la famille de Stembert 1 qui fut, au XVI° siècle, la plus
riche de Verviers.

B) La seconde partie du XVI° siècle

Pendant la seconde moitié du XVI° siècle, Verviers ne subit pas de grands


dommages des luttes qui désolèrent alors les Pays-Bas ; il sut même profiter, comme
l’expose Mr FAIRON (p18), de la ruine de ses concurrents.

Si bien que la diminution de vitalité causée par l’exil de ses nombreux


réformés fut facilement compensée. Les magistrats purent entreprendre pendant
cette période les travaux d’utilité publique que l’importance nouvelle de la bourgade
exigeait. Au début du siècle, trois ou quatre ponts de pierre enjambaient déjà le
canal : ils furent refaits plus solidement et l’on construisit deux nouveaux (en 1563
d’après DETROOZ) : le pont aux Lions2 et le pont de Sommeleville.

La Vesdre ne pouvait se passer, si ce n’est à gué, que sur un seul pont, le


pont alle Lexhe, situé à peu près où se trouve aujourd’hui le pont des Récollets. En
15603, un jour de crue, les eaux emportèrent l’antique pont de bois. L’Administration
le rebâtit en pierre.

En 1562, le Perron est complètement remis à neuf ; une annexe est construite
à la Halle pour servir de boucherie 4 et les bâtiments du moulin sont agrandis et
modernisés, comme l’atteste le linteau d’une porte de cave que l’on peut voir au coin

1
Jehan de Stembert, mort en 1578, seigneur de Villers (près d’Andrimont), châtelain de Soiron,
échevin de Verviers en 1549 et bourgmestre. Le Musée conserve la pierre tombale, très
intéressante, de son fils : Jean de Stembert, échevin et greffier, né en 1536 (voir Catalogue Renier,
n°9).
2
Le Musée possède un curieux lion de pierre s’appuyant sur un écusson portant les armes des de la
Mark (Erard de la Mark fut prince-évêque de Liège de 1506 à 1538). Renier affirma (Catalogue
Renier, n°106) que ce lion surmontait une colonne gothique et que cet ensemble resta placé au
milieu du parapet du pont au Lions jusqu’en 1794.
Voir aussi au Musée un fragment de lion en pierre trouvé en 1906 en creusant une tranchée pour le
gaz au pont aux Lions. Un lion identique se trouvait dans le parc de Hombiet, sur une colonne ;
mais en 1919, des vandales ont brisé la colonne en la renversant et le lion a disparu. Ces deux
lions, d’assez mauvaise facture, auraient-il servi à la décoration du pont lors de sa réfection en
1746 ? Avant cette date le pont s’appelait pont du Jeune Pierre ou pont Lejeune ; c’est après qu’on
l’a appelé pont au Lion ou aux Lions.
3
Cette date m’a été donnée par Mr FAIRON ; DETROOZ croyait (Tome II, p101) que le pont avait
été refait en pierre en 1496.
4
On trouvera la transcription de deux intéressants contrats concernant ces travaux dans la partie
de ce livre consacrée à l’ancien Hôtel de Ville et dans celle consacrée au Perron.

6
de la rue des Tuileries et du Mont du Moulin. Ce linteau porte sculptée une anille de
moulin avec la date 1567. C’est le millésime le plus ancien encore en place à
Verviers1. L’hôpital rustique de Sècheval fut aussi modernisé en 1572 2. En 1576,
s’élevèrent la maison pastorale3 près de l’église et la maison des vicaires sur le
Thier-Mère-Dieu4 . Enfin, l’eau de Mangombroux fut amenée rue de Heusy par une
sorte de canal en 1599.

III. Le XVII° siècle - Verviers Ville.

Si la révolution des Pays-Bas, au XVI° siècle avait laissé à Verviers sa


postérité, l’avait même augmentée, il n’en fut pas de même pendant la guerre de
Trente Ans (1618-1643). Chez nous, durant cette période, « les troupes
espagnoles », dit Mr FAIRON, « les soldats mutinés, les mercenaires de l’Empire, les
bataillons hollandais puis les régiments français viennent prendre, tour à tour, leurs
quartiers d’hiver et imposent d’onéreuses contributions qui ruinent les finances de la
communauté ».

Et cependant, au cours de ce siècle calamiteux, Verviers se transforme : il


abandonne son air de village pour prendre décidément l’aspect d’une bonne ville.

Trois causes contribuèrent surtout à ce changement :

1. La Contre-Réforme. Elle amena chez nous de nombreux ordres religieux qui


construisirent couvents et églises.
2. L’érection de Verviers en Ville. Avec, pour conséquence, la construction de
fortifications dont les portes du moins subsistèrent.
3. L’avènement du capitalisme à Verviers. Il créé de grosses fortunes et
occasionne la construction de bonnes maisons bourgeoises.
A ces trois causes principales, ajoutons-en une quatrième : les travaux d’utilité
publique exécutés par l’Administration Communale.

Pour ne pas mêler le tout d’une façon inextricable, reprenons, l’un après
l’autre, ces différents points :
1
Voir aussi, encastrée dans le soubassement d’une maison de la rue Coronmeuse (n°8), une pierre
portant en creux le dessin d’une anille (l’anille est une pièce en fer, scellée dans la meule
courante ; elle sert à suspendre l’arbre vertical ou fer de meule). Ce vestige lapidaire de l’ancien
moulin date du XVI° siècle ou du début du XVII° siècle étant donné l’âge probable de la maison qui
le porte.
2
Voir LEJAER, Chronique de le Société Verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, 1910.
3
C’est à partir de 1546 que la résidence à Verviers devint obligatoire pour ses curés (LEJAER,
Annales, p76).
4
Le Musée conserve une vue de la Maison des Vicaires, dessinée en 1830 par Lion. Une vierge en
bois était primitivement placée sur ce bâtiment, dans une niche. Voici ce qu’en dit JS. RENIER dans
son second Catalogue du Musée, n°113 : « Photographie de la statuette en bois de la Vierge et de
l’Enfant Jésus, placés en 1575 (d’après LEJAER, la maison était moins ancienne) pour l’extinction
d’une peste, dans une niche en pierre, trilobée, à la façade du grand bâtiment, dit le quartier des
Vicaires, parce qu’il était consacré à la demeure de ceux-ci. Elle s’élevait au-dessus de Thier-Mère-
Dieu, vis-à-vis de la maison de Grand’Ry ; à sa démolition, feu M.R. de Biolley la fit incruster dans
la tour de Hombiet (la niche et l’image), d’où les intempéries l’altérant, obligèrent à la descendre à
Verviers. Mr Henri Le Pas-Demortier l’acquit et conserve en sa demeure de Forge-Thiry cet
intéressant souvenir historique de notre cité : ce brave citoyen l’a fait complètement restaurer ».
Cette Vierge se trouve aujourd’hui dans la chapelle des Sœurs Dominicaines auxquelles elle fut
donnée par Mme veuve Le Pas.

7
1. La Contre-réforme, couvents et églises1.

Dans la première partie du siècle, deux ordres religieux vinrent fonder


chacune une maison à Verviers : les Récollets2 d’abord, puis les Sépulchrines3. En
outre, les sœurs hospitalières qui s’occupaient de l’hôpital devinrent contemplatives,
prirent le nom de Conceptionnistes et se construisirent un couvent4.

Dans la seconde moitié du siècle arrivèrent les Carmes 5, les


Récollectines6(note p. suivante) , les Capucins7(note p. suivante).

1
On peut trouver dans le manuscrit du Dr LEJAER une histoire détaillée des ordres religieux établis
à Verviers (p160 et suivantes).
2
Arrivée des Récollets en 1626 - Construction de l’église en 1646-50 - Pose de la statue de la
Vierge dans une niche sur la façade en 1664 - Miracle en 1692 - Construction d’une chapelle pour
la Vierge en 1702.
C’est le frère Antoine Robert qui a dressé les plans de cette chapelle. « Les bourgmestres et gens
de la Ville de Verviers, spécialement assemblés en corps au lieu accoutumé ayant vu et mûrement
considéré le plan et dessin dressé par le frère Antoine Robert, Récollet, d’une chapelle à faire en
l’honneur de Notre-Dame de la Miséricorde au frontispice de l’église des Révérends Pères Récollets
de cette ville leurs présentés par le Révérend Père gardien du dit lieu, n’y ont rien trouvé à dire, au
contraire, ont approuvé autant qu’en eux est, le bon dessin de cette entreprise, souhaitant qu’il se
puisse mettre au plus tôt à exécution, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Faits sur la maison de ville, dans la grande salle, le 6 décembre 1700.
Par ordonnance (signé) JB. Jodoci » (Note communiquée par Mr le Doyen Tschoffen).
L’église, à l’exception de la chapelle, fut détruite par le feu en 1810. Le mobilier actuel provient en
grande partie de l’ancienne église du Val-Dieu. La partie incendiée a été reconstruite en 1818 sur le
plan primitif par Henri Douha. En 1859, la chapelle de la Vierge fut remaniée à l’intérieur avec
goût. La façade qui était restée intacte jusqu’en 1893 fut alors dénaturée par la construction d’une
tour munie d’un carillon, œuvre de l’architecte Van Assche, de Gand. Sur cette église, voir J.
RENIER : « Historique du Couvent, du Collège et de l’église des Pères Récollets à Verviers »,
ouvrage contenant une vue de l’église telle qu’elle était en 1789.
3
Arrivée des Sépulchrines en 1635 - Construction d’une église rue du Collège en 1734.
Une Franquinet fut, au XVIII° siècle, abbesse de ce couvent. Sa pierre tombale peut se voir dans
l’église (J. PEUTEMAN, « Inscriptions et blasons verviétois, n°56). Son portrait est conservé au
Musée (Catalogue n°545 et 546). Le maître-autel porte les armes des Franquinet. L’église possède
de très belles boiseries Louis XIV, les plus belles de la ville.
4
Les Conceptionnistes s’installèrent en Crapaurue (cour Kaison) - Construction de leur église en
1709. Les couvent et église ont disparu, démolition en 1889.
5
Arrivée des Carmes en 1656. Ils construisirent une église en 1690. On peut en voir les plans au
Musée (don de Mr Crémer-de Monty). En 1721, construction d’une église plus grande : c’est l’église
encore debout aujourd’hui. Les chronogrammes de la façade donnent la date de 1721 sous les
niches des statues. L’une de celles-ci -la Vierge- est la copie d’une vierge de Robert Verburg (mort
en 1720), on peut voir l’original dans l’église St-Denis à Liège. L’église, de sobre mais de bonne
architecture, présente dans sa simplicité extérieure, tous les caractères des chapelles conventuelles
verviétoises. A l’intérieur, les lambris sculptés, les confessionnaux, la chaire de vérité, la tribune
des orgues, les trois autels, les stucs du plafond, conservent le bel ensemble créé au XVIII° siècle.
Le trésor de l’église possède de remarquables broderies du XVI° siècle que l’on croit provenir de
l’abbaye de Stavelot.
Voir sur cette église Gustave RUHL : « L’église St-Joseph à Verviers en 1912 » et SAUMERY : Tome
III. Les jardins du couvent étaient magnifiques.
Voir aussi les articles de Mr E. BURGUET et M. PIRENNE dans le « Courrier du Soir », n° des 2, 16
et 23 février, 2 et 22 mars et 5 avril 1924.
Le Musée conserve un registre, manuscrit enluminé, contenant tous les actes et lettres importantes
de la communauté de 1660 à 1693 (don Crémer-de Monty).
6
Les Récollectines bâtirent couvent et chapelle rue de Hodimont. La première messe fut dite en
1689.
7
Arrivée des Capucins en 1683 - Construction de l’église, avec les pierres des murs en démolition
de l’enceinte, en 1690 à Sommeleville. Brûlée en 1732 et rebâtie. Transformée au XIX° siècle en
fabrique, fut incendiée dans la seconde moitié du siècle. La Vierge que l’on voit encore dans une

8
Tous ces religieux, au début, se logent pauvrement, mais ils ne tardent pas à
s’imposer ; ils sont protégés par les bourgeois ; ils s’enrichissent et peuvent bientôt
construire des couvents, puis enfin élever des églises.

L’extérieur de celles-ci n’a rien de bien luxueux : cependant, conçues par des
moines cultivés, ce sont de sérieux monuments à la façade portant, dans des niches,
des statues sculptées à la mode nouvelle. Leurs grands toits d’ardoises à lucarnes
font, dans le paysage urbain, des masses imposantes qu’égaient de jolis campaniles1

2. Erection de Verviers en ville - Les fortifications2.

En 1651, lorsque Maximilien-Henri de Bavière octroie à Verviers le titre de


ville, ce n’est pas un titre vain, mais la consécration d’un fait. La population avait
bonnement triplé sur l’espace de cent ans ; en 1651, elle devait être d’environ 7.000
âmes.

Le prince-évêque avait exigé comme condition à l’érection de Verviers en ville


la construction par ses habitants d’une enceinte de murailles. Commencés en 1626,
les travaux durèrent une demi-siècle. Et lorsqu’enfin, non sans peine et à grands
frais, les murailles furent achevées, il fallut, sur l’ordre de Louis XIV, les démolir
(1671). On obtint cependant que les portes fussent épargnées. Leur masse de
moellons, portant, taillées dans la pierre, les armes du prince-évêque et celles des
bourgmestres du temps, conservèrent à la nouvelle ville un petit air de place forte3.

3. Le capitalisme - Maisons bourgeoises.

Fait d’importance exceptionnelle à tous égards, c’est pendant le XVII° siècle


que l’industrie textile de Verviers « entre définitivement dans sa phase moderne, ou
si l’on veut, capitaliste4 ». Conséquence : une différenciation se fait, chaque jour plus
prononcée, dans la manière de vivre des habitants. Deux classes se forment : d’un
côté les marchands, les manufacturiers capitalistes ; de l’autre, les salariés.

Capitalisme, c’est-à-dire : développement de l’industrie, création de grosses


fortunes, mais aussi population ouvrière plus dense gagnant par son travail juste ce

niche en Sommeleville a peut-être été placée par les Capucins ; c’est là tout près que se trouvait
l’église. Le maître-autel et les petits autels de l’ancienne église des Capucins sont ceux qui ornent
aujourd’hui l’église St-Joseph dont le maître-autel a vu, chose très regrettable, sa partie supérieure
qui encadrait un bon tableau du temps, être détruite dernièrement afin de laisser voir les fenêtres
du nouveau chœur gothique. D’après SAUMERY, les autels primitifs de l’église des Carmes étaient
très beaux.
1
Le seul de ces campaniles qui nous reste est celui de l’église des Carmes. Cette église est
condamnée à être démolie et remplacée par une nouvelle, exécutée dans l’inévitable imitation
gothique. Espérons qu’il faudra longtemps avant que l’on ait réuni la somme nécessaire à la
réalisation du projet dont l’exécution fera disparaître la vieille église. Elle est le plus ancien de nos
monuments ayant conservé son aspect primitif, à l’extérieur et à l’intérieur.
2
Voir sur ce sujet le travail du Dr LEJAER : « Les fortifications de Verviers ».
3
Les portes restèrent debout jusqu’au début du XIX° siècle. Ce fut la porte de Heusy qui disparu la
dernière en 1863. L’&administration Communale la fit démolir en suite d’une pétition signée par les
gens du quartier. Une partie des matériaux servit à construire l’abattoir actuel. Plusieurs portes
sont bien visibles sur les vues de Verviers dessinées par Leloup, d’après nature vers 1740. Ces
dessins sont conservés au Musée Communal.
4
Voir E. FAIRON, p19.

9
qui lui faut pour vivre : des pauvres. Ceux-là se logent comme ils peuvent ; ils
occupent, s’y entassant, les vieux logis délaissés dans le fouillis des ruelles.

La richesse des marchands drapiers, leur supériorité sur l’ouvrier, se


manifestent par la construction d’habitations nouvelles dans les rues principales.
Elles vont s’élever aux bonnes places, conférant à ces rues de la dignité.

L’avènement du capitalisme à Verviers y marque la fin de la période gothique,


du moyen-âge. L’égalité dans la médiocrité dont jouissaient encore les habitants au
XVI° siècle n’existera plus. Le XVIII° siècle, dans ses constructions patriciennes,
montrera la chose d’une façon frappante : ses maisons affirmeront non seulement,
entre les Verviétois, un différence de richesse mais aussi une différence de culture.
La différence se marque également au XVII° siècle, dans sa seconde moitié surtout,
mais d’une façon moins criante. C’est uniquement par leur travail plus soigné, par
leurs dimensions surtout, que les maisons des riches diffèrent alors de celles des
pauvres. Elles restent dans la tradition constructive des chaumières démolies pour
leur faire place. Elles sont bâties par des ouvriers du terroir, charpentiers ou maçons,
qui continuent à exercer leur métier, comme le leur ont appris leurs pères. Il ne s’agit
pas encore chez nous d’œuvres d’architectes, imitateurs des modes françaises.

Quelques-unes de ces maisons bourgeoises du XVII° siècle ont duré jusqu’à


nous. La maison Lambrette1 en est un excellent exemple. Elle est située rue des
Raines, une des plus belle rues du temps.

Sur un soubassement en pierre, la bâtisse se dresse, toute en bois de chêne


et torchis. Pour élever cet important immeuble, le charpentier a mis tous les soins :
les pièces de bois, après trois siècles, ne laissent voir aucun mouvement, aucun
hors-plomb.

La façade présente les caractéristiques des constructions antérieures : peu de


soucis de la symétrie, fenêtres à meneaux, croisillons de bois, torchis. Les chéneaux
sont supportés par des corbeaux d’un profil encore gothique, ornés sur leur flanc
d’une rosace en relief et portant jadis, à leur extrémité, un pendentif en forme de
gland allongé.

Restituons en imagination à cette maison ses petits carreaux enchâssés dans


du plomb, ses volets, ses lucarnes et nous aurons devant nous le type de la riche
demeure bourgeoise à Verviers pendant la première moitié du XVII° siècle.
De la même époque à peu près que la maison Lambrette est la maison située
rue Coronmeuse, n°8 ; celle-ci plus modeste mais très bien conservée 2. On peut voir
aussi deux maisons de ce type en Sommeleville.

Dans les ruelles, on en rencontre maints vestiges, mais elles deviennent de


plus en plus rares ; presque toutes celles ayant façade sur rue ont disparu ou du

1
Le propriétaire actuel est Mr CARRIER, entrepreneur. La maison possédait sur le derrière une cour
fermée par un corps de logis qui existe encore, assez bien conservé, rue des Vieillards. L’intérieur
de la maison de la rue des Raines est très intéressant. Elle fut classée par la Commission Royale
des Monuments parmi les constructions les plus remarquables du pays. Malheureusement, elle
s’abîme tous les jours un peu plus.
2
La façade postérieure de cette maison donnait sur la canal. Elle est construite en encorbellement.

10
moins ont été modernisées dès le XVIII° siècle. Assez fréquemment pourtant, leurs
corbeaux restent en place, seuls souvenirs de l’antique façade1.

Dans la seconde moitié du XVII° siècle, les bourgeois ont construit avec des
matériaux moins rustiques : l’emploi de la pierre et de la brique devient fréquent.
L’esprit constructif reste d’ailleurs le même ; en somme, dans ces nouvelles façades,
la pierre remplace les pièces de bois et la brique succède au torchis. Les spécimens
bien conservés de ces maisons sont devenus très rares à Verviers, cependant, la
maison Moulan, en Crapaurue, est arrivée jusqu’à nous sans avoir été trop
dénaturée. Nous y retrouvons les fenêtres à meneaux et les corbeaux, mais ici,
meneaux de pierre. Deux bandeaux moulurés coulent le long de la façade. La
maison est datée 1650, en relief, dans une pierre au-dessus de la porte. Le pignon
est fait en colombage à l’ancienne mode.

De nombreuses maisons de ce type existaient chez nous, plusieurs subsistent


encore mais la suppression des meneaux leur a fait perdre leur caractère.

Différents ancrages appliqués dans des pignons de briques datent quelques-


unes de nos maison du XVII° siècle2. Ces constructions en pierre et en briques,
sobrement décorées, d’une solidité qui s’affirme, ont un aspect sérieux et bonhomme
à la fois. Les marchands qui les ont fait bâtir, nouveaux riches, savaient beaucoup
mieux le wallon que le français. Ils étaient peu cultivés mais sains d’esprit. Ils étaient
croyants sans mysticisme, pratiques, intéressés, réalistes, durs pour eux comme
pour les autres. Leurs demeures, dépourvue de toute prétention à l’élégance, faites
selon la tradition avec des matériaux du pays par des gens du terroir,
raisonnablement, sans lésine, pour durer, se fermant bien car les temps ne sont pas
trop sûrs, s’accordaient avec le caractère de leurs propriétaires3.

Cependant, une spacieuse habitation d’un genre tout différent fut, au XVII°
siècle, construite en Crapaurue. Ses proportions imposantes, sa porte cochère,
l’élévation de ses étages aux fenêtres sans meneaux encadrées de jambages,
1
Voir, rue de Heusy, n°8, une maison à trois étages ayant conservé tous ses corbeaux dont
quelques-uns possèdent encore le pendentif.
2
Rue Renier, maison datée de 1668 et maison, rue de la Paroisse, datée 1657. L’hôtel des
Ardennes (place du Palais), démoli récemment, portait la date de 1669. Voir au Musée une
cheminée en pierre datée de 1666 provenant de cet immeuble. La maison était aussi sans doute de
1666 mais le 6 final des ancres du pignon aura, je suppose, été mis à l’envers.
On trouvera au Musée quelques vestiges provenant des maisons du XVII° siècle, entre autres :
1. une pierre sculptée portant un écu surmonté d’un heaume et la date 1636. D’après JS.
RENIER, les meubles du blason, qui furent martelés en 1795, étaient celles de la famille
Bailoux, qui compta deux de nos bourgmestres ; cette pierre surmontait la porte de la
maison Chinval, actuellement démolie, rue de Heusy.
2. Un linteau de pierre daté 1652 et portant les initiales H.D.S. Il provient d’une maison
située dans une cour de la rue du Collège ; elle fut démolie pour faire place à la maison
Terfve (voir PEUTEMAN, « Inscriptions et blasons verviétois », 3 et 4).
3. Notons enfin une autre pierre, linteau de porte aussi, qui sert actuellement de première
marche à un escalier de cave de la maison Lambrette, rue des Raines. Cette pierre porte la
date 1635 et les mêmes initiales que la précédente, initiales surmontées d’un 4. Ce 4,
d’après certains archéologues, est une pièce héraldique que plaçaient les marchands sans
armoiries ayant épousé une femme noble au-dessus de leurs initiales ; d’après Mr Victor
TOURNEUR, ce signe est simplement une sorte de paraphe fréquent aux XVI° et XVII°
siècle
3
On rencontre aux environs de Verviers de nombreux spécimens de ces bonnes maisons du XVII°
siècle. Theux en conserve de remarquables. A Liège, la maison Curtius est le type monumental de
ce genre.

11
linteau et appui moulurés, sa chaîne d’encoignure, sa corniche, ses toits, le
belvédère qui les surmonte, lui donnent un air aristocratique. Cette maison -ce
château plutôt- fait (faisait) un contraste frappant avec la maison Moulan qui lui est
contiguë1. Et pourtant ce n’est pas longtemps après celle-ci qu’elle a été construite.
Mais cette maison exceptionnelle était, comme on s’en doute, la maison d’un
personnage qui, lui aussi, sortait de l’ordinaire. C’était celle d’un homme très riche,
évidemment, mais aussi d’un homme instruit, connaissant les pays étrangers, d’un
intellectuel : le fameux jurisconsulte Denis de Charneux, « de famille ancienne et
noble » écrit Detrooz2.

Note sur Denis Decharneux.

Detrooz écrit à propos de ce personnage : « Denis Desmarets de Charneux,


de famille ancienne et noble fut chargé du consulat en 1631. Après lui, son fils, neuf
fois, par le choix des représentants du peuple ; il eut pu être bourgmestre toute sa
vie s’il l’eut désiré tant l’on était content de son administration. Les vicomtes d’Outar
et de Menencourt descendent de cette famille ».

C’est ce fils, neuf fois bourgmestre, qui a fait construire la maison en


Crapaurue.

« Il fut engendré par Denis des Maret 3 en 1629. » écrit De Sonkeux dans ses
mémoires ; « il prit le nom de de Charneux après qu’on eut décapité un des Maret en
Liège en 1639 ». En septembre 1638, un Desmaret fut chef d’une conspiration dont
le but était de s’emparer de la citadelle de Liège afin de rétablir les franchises et la
liberté de la cité et de réduire les impôts. Découverts et pris après une courte
résistance, les conjurés furent châtiés et subirent la peine capitale. Le nom de ceux-
ci semble avoir survécu, car l’époque révolutionnaire les plaça au nombre des

1
On trouve à Liège plusieurs constructions de ce genre élevées au XVII° siècle, entre autres, rue
Féronstrée, la maison datant de vers 1660 du riche commerçant verviétois Lambert de Fays
(aujourd’hui propriété Van Zuylen). Lambert de Fays était cousin germain et beau-frère de Denis
de Charneux, avocat lui aussi très riche, qui se fit construire la maison de Crapaurue.
2
Après la mort de Denis de Charneux, la maison fut, dans la première partie du XVIII° siècle,
habitée par les Franquinet, qui lui firent subir des changements d’après le goût nouveau (le style
Louis XV). Sur l’épi du belvédère sont découpées dans le fer de la girouette leurs armoiries. Les
ardoises couvrant le côté est du belvédère portent la date 1769 : date de restauration. Les ancres
du pignon ouest attestent que ce fut bien Denis de Charneux qui fit bâtir la maison ; elles
montrent, plusieurs fois répétées, ses initiales D.C. entrelacées. Une salle du rez-de-chaussée
(actuellement magasin d’oranges) conserve un plafond richement décoré de stucs Louis XIV : ils
encadraient encore dernièrement de bonnes peintures, mais très noircies ; aujourd’hui on ne peut
plus les voir car elles furent détruites ou bien recouvertes par le badigeon uniforme qui fut appliqué
récemment dans la salle. Ce plafond est tout ce qui subsiste d’intéressant à l’intérieur de la maison
qui fut remaniée vers 1850. Le balcon est de cette époque. A noter que cet immeuble, par deux
fois au moins modernisé, en garde un air ambigu.
C’est dans cette maison qu’en 1703, Milord Marlborough, après avoir pris la ville de Limbourg
défendue par M. de Regnac, vint loger quand il repassa par Verviers (voir Bulletin de la Société
Verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, p466, 1919-1920).
3
Ce Denis des Marets fut enterré sous le nom de Denis de Charneux en l’église St-Martin à Visé. Il
était mort en 1663. Un joli cénotaphe portait ses armoiries (d’or à la croix engrêlée de gueules au
franc-canton fascé de sept pièces d’argent et d’azur au lion couronné de gueules brochant) et un
médaillon circulaire où son portrait et celui de son épouse (Dame Catherina Pernode, trépassée en
1640) étaient sculptés en bas relief. Ce petit monument, attribué à Delcour, a disparu à la suite de
l’incendie de l’église allumé par les Allemands le 14 août 1914 (voir C.J. COMHAIRE : « Cénotaphe
de l’église de Visé » - La Meuse, 4 février 1926).

12
martyrs de la liberté ». C’est Jean Renier qui relate ainsi la cause de la
condamnation de Desmaret en se basant sur la chronique manuscrite de Hinnisdal4.

« Ayant achevé toutes ses classes, Denis de Charneux fut désireux de voir les
pays étrangers. Il s’acquit le titre d’Ecuyer impérial et jurisconsulte dans laquelle il
était très profond » écrit De Sonkeux.

Il épousa sa cousine germaine, Anne de Fays, après avoir obtenu dispense du


Saint-Siège. Il eut sept enfants inscrits à l’état-civil de Verviers : Denis-François
(1661), Anne-Isabelle (1663), François-Renier (1664), Marie-Ida (1666), Marguerite-
Claire (1668), Herman-Joseph (1670) et Walter-Félix (1672). Les registres de l’état-
civil ne mentionnent que le mariage du premier ; les autres se sont mariés hors-ville.
Denis de Charneux possédait une maison à Soumagne ; c’est une sorte de ferme
qui, paraît-il, existe encore et que les gens du pays appellent Château Desmarets.
Dans l’église de Soumagne, on remarque une belle pierre tombale au nom de
Charneux.

Reprenons De Sonkeux qui, d’ailleurs, croit que Denis de Charneux n’a eu


que trois enfants : « Le premiers des enfants », dit-il, « fut marié contre le gré de son
père à la fille Persotte, le second mourut en âge d’adolescence et la fille fut mariée
au Seigneur Chevalier de Winkel, receveur général de Sa Majesté Catholique au
Pays d’Espagne. Donc, le dit Winkel étant mort, elle se remaria à un homme
mécanique valet du Révérend abbé de Cornelis-Munster qu’elle quitta et se retira
aux religieuses Conceptionnistes de Verviers et décéda le 22 juin 1700 ». Elle avait
alors 34 ans, sa mère était morte en 1675.

Le père vécut très vieux, il avait nonante ans quand, dans sa belle maison, il
rendit l’âme à Dieu. Il fut comme la plupart des notables de la ville, enterré dans
l’église des Récollets. Voici l’extrait le concernant du registre mortuaire de l’église :
« Denis de Charneux, écuyer du Saint-Empire romain, jadis bourgmestre et
commissaire. Mr le Mayeur a porté grand blason qui a été mis sur le corps mort. On
a porté 36 flambeaux de la maison mortuaire. 27 mai 1719. Enterré dans le chœur ».

Jamais, à Verviers, on n’avait vu enterrement si magnifique. Jamais 36


flambeaux n’avaient été portés. Le nombre habituel était quatre, douze, vingt-quatre
quelquefois ; seul le bourgmestre Charles Hasinelle avait été jusqu’à trente.

Dans un compte de notaire conservé à la Bibliothèque Communale, Mr


Angenot a trouvé que Denis de Charneux avait laissé 28.000 florins de revenu. Mr
Jules Peuteman possède son testament reçut quelques mois avant sa mort, en
février 1719, par devant le notaire Jean de Chesne : « On y voit que le testateur
ordonne que, lorsque son « âme sera sortie de son corps, le cœur en devera estre
tiré et transporté à l’église des religieuses conceptionnistes de la ville de Verviers,
ses bonnes voisines, et y estre déposé et inhumé sous une pierre sépulcralle au-
devant de l’image rayonnante de la Vierge ». Quant au corps du défunt, il devait être
ensépulturé dans l’église des Récollets, « auprès des os et cendres de ses feu père
et mère, femme et enfants ». Outre différentes rentes créées au profit de Marguerite
Franquinet, sa servante, et de Léonard le Loup, son valet, auxquels les héritiers
devront fournir un habit noir de la valeur d’au moins 100 florins Brabant, pour porter
4
Voir Bulletin de la Société Verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, 1903, p379.

13
le deuil de leur maître, de Charneux lègue à l’Hospice des Orphelins de la Ville deux
prairies qu’il possédait dans les Couvalles. Tout le reste de ses biens ira à des
cousins que le vieil avocat désigne »1.

Le testament ne fait pas mention de ses enfants et petits-enfants. Etaient-ils


tous morts ? C’est impossible ; il semble plutôt que le vieillard, forte tête mais
caractère difficile et opiniâtre, les a déshérités. Il y a apparence qu’il n’avait pas tiré
d’eux beaucoup de satisfaction. La réciproque d’ailleurs a peut-être été vraie. Après
lui, aucun de Charneux ne figure plus parmi les notables de la ville.

4. Travaux d’utilité publique - Etablissements de bienfaisance - Modernisation de


l’église paroissiale.

L’antique Bouverie, prison-fourrière, fut refaite en pierre en 1630 sur


l’injonction de l’officier du Franchimont qui, depuis 1615, se plaignait de ce que la
ferme tombant en ruine, n’était plus assez solide pour garantir la réclusion des
prisonniers2.

Ce travail, exécuté par ordre, semble avoir été le seul de quelques importance
qu’ait mené à bien l’Administration pendant la première moitié du siècle. Comment
aurait-on pu, avec des finances communales mises à mal par suite des incessants et
ruineux passages des troupes, trouver l’argent pour les travaux publics ?

Heureusement, la seconde moitié du siècle fut moins rude, et les magistrats


améliorèrent enfin, autant que faire se put, la voirie qui en avait grand besoin. En
plusieurs endroit fréquentés, le canal se passait encore rustiquement sur des
planches qui ne permettaient qu’à une ou deux personnes de marcher de front. Ces
passerelles furent transformés en ponts convenables. Le pont St-Laurent fut refait à
neuf avec un certain luxe en 16743. Mais la Vesdre ne pouvait toujours se passer que
sur un seul pont ; le pont alle Lexhe ; il était absolument indispensable d’en
posséder un autre. En 1674, l’Administration se décida enfin. Un second pont, en
dos d’âne, fut construit en bois à l’emplacement du pont d’al Cute actuel4.

Et « comme cette ville », écrit De SONKEUX, « était dans les rues sales,
remplies de cloaques et de vilains fumiers et inégales, il fut conclu au dit Conseil de
nettoyer et de paver, ce qui fut fait, commencé par la rue de Hodimont en l’an 1658,
1
Extrait du compte-rendu d’une communication fait par Mr PEUTEMAN à la Société Verviétoise
d’Archéologie et d’Histoire, le 5 févier 1924.
2
Renseignements fournis par Mr E. FAIRON. Il semble que des restes de l’ancienne prison existent
encore dans l’impasse Gouvy.
3
« Les bourgmestres firent construire un pont de pierre sous la rue de la Brassine au
commencement de Broux, au-dessus de la foulerie Paquette. Il fut commencé le jour de St-
Laurent, 10 août 1674 par Colas de Sart, maçon, sous le consulat de Thomas Jodocy et Christophe
Cloos. C’est pour ce sujet qu’on l’appelle pont St-Laurent. Auparavant, il était de bois à marcher
dessus deux personnes de front appelé le pont Quilin ». Extrait des mémoires de De SONKEUX.
Deux socles datés de 1674 et sculptés aux armes de T. Jodocy et de C. Cloos sont conservés au
Musée. « Ces socles furent trouvés en une fouille faite en Crapaurue dans la cour Verdenne,
derrière la maison Collet ou de Lhonneux », Catalogue Renier, 7 et 8.
Tout porte à croire que ces deux pierres décoraient jadis le pont St-Laurent.
4
Le 21 août 1674 fut aussi commencé un grand pont de bois proche l’hôpital nouveau (musée
actuel). « Il n’y avait, en ce passage d’eau, que de grosses pierres éloignées une de l’autre d’un et
demi pied. Quand la rivière était enflée, cela rendait le passage imparfait et il fallait faire de longs
détours. La charpenterie du dit pont fut faite par maître Jean Nicolet ». Extrait de De SONKEUX.

14
puis le Wirxhas du moulin l’an 1659, Crapaurue l’an 1660 par Colas de Sart et la rue
des Récollets par des ouvriers liégeois ; la Brassine (Place Verte) par des liégeois et
Colas de Sart fut commencé l’an 1662 et de suite Sècheval, Sommeleville et la rue
de Heuzier ».

La distribution d’eau fut elle aussi perfectionnée. Les fontaines qui


alimentaient les différents quartiers furent réparées ou remises à neuf et l’on en
éleva une nouvelle près de la porte de Heusy1.

En 1655, d’importants travaux avaient été exécutés à l’Hôtel de Ville. En suite


d’une ordonnance du prince-évêque enjoignant à notre cité d’établir une halle aux
draps à l’Hôtel de Ville, le rez-de-chaussée dut être complètement transformé.
Certains textes anciens semblent même dire que, en 1655, l’Hôtel de Ville fut
reconstruit, mais cela n’est pas exact comme nous l’expliquerons plus loin.

Des établissements de bienfaisance furent édifiés. L’un surtout, par ses vastes
proportions et sa sérieuse architecture, vint donner une physionomie nouvelle au
bord de la rivière, près de la porte d’Andrimont. C’est là qu’il fut construit, en 1661-
1668, par les mambours des pauvres pour servir de refuge aux vieillards des deux
sexes : on l’appelait l’Hôpital nouveau, grand bâtiment en pierre et en briques
possédant un rez-de-chaussée éclairé par des hautes fenêtres en plein-cintre et un
étage plus bas aux fenêtres à meneaux. Son toit d’ardoises à lucarnes portait un
campanile car l’hospice possédait une chapelle2.

En 1675, un orphelinat -l’Orphelinat St-Joachim- fut fondé par Louis de Le


Zaack3, chaussée de Heusy croit-on.
1
Fontaine surmontée d’une boule de pierre portant les armes de la ville. Le dessin du monument
avait été commandé à Delcour (voir Dr J. LEJAER, p343). A vrai dire, il n’est pas certain que cette
fontaine fut élevée à cette place. Ce qui en restait a été démoli lors de la disparition du « trou
Navê ». En voir des vestiges au Musée ; une pierre porte la date 1771.
2
Ce bâtiment abrita les vieillards de la ville jusqu’en 1880. Ils furent dès lors logés à Andrimont
dans l’hospice actuel. Peu après, le vieil hospice resté vide fut confié à Jean Renier pour y exposer
ses collections : c’est l’origine du Musée Communal. Malheureusement, en 1909, en suite des legs
Deru-Jamoye, ce vieux bâtiment qui jusque là avait conservé intact tout son caractère fut
complètement modernisé à l’extérieur et à l’intérieur.
La façade primitive portait les armes des bourgmestres Theunus Bertrand, 1661 et Antoine
Pingray, 1663, avec leurs armoiries (le Musée les conserve : voir Catalogue Renier, 166, 168) ;
dans le haut se trouvait une baie pour le tire-balle (on peut encore voir cette baie à encadrement
de chêne dans les combles du musée ; l’encadrement porte la date 1665). Contre le mur de cette
façade fut construite, en prolongement de l’édifice, une nouvelle chapelle en 1721. C’est la façade
actuelle, mais aujourd’hui bien défigurée. Elle portait encore en 1909 une niche avec
chronogramme « reCtores xenoDoChIVMAVgent » (les régents agrandissent l’hospice).
Dans cette niche figurait une statue en bois de Ste-Elisabeth de Hongrie, statue déposée
aujourd’hui dans le vestibule de l’hospice d’Andrimont.
Dans l’intérieur du monument, encastrées dans le mur du milieu, subsistent quelques pierres
portant les armoiries et noms des bienfaiteurs de l’hospice. On conserve au Musée une partie des
petits vitraux armoriés sauvés de la destruction des anciennes fenêtres.
Le maître-autel de la chapelle encadrait une des bonnes toiles du peintre liégeois Carlier. Cette
toile, transportée d’abord à l’hospice actuel, vient de rentrer au Musée. Etant donné la date de la
mort du peintre -1675-, il est probable qu’elle fut commandée pour la chapelle primitive.
Pour de plus amples détails sur l’édifice et son histoire, voir SAUMERY : « Délices du Pays de
Liège », tome III, 1° partie, p260 ; J. PEUTEMAN, « Inscriptions et blasons verviétois » et surtout
le 2° Catalogue Renier.
3
Voir au musée la pierre tombale de ce prêtre ; elle porte une inscription latine disant « Louis de
Lezaak, prêtre jubilaire, promoteur de la maison des Orphelins à Verviers et en partie fondateur de
l’hospice, en fut pendant 40 ans, à titre gratuit, le desservant ». Il mourut le 26 septembre 1724.

15
Nous avons vu plus haut que l’église paroissiale avait été, au début du XVI°
siècle, agrandie et mise au goût du jour. Elle ne l’était plus du tout à la fin du XVII°
siècle et, de nouveau, elle était devenue beaucoup trop petite. Encore une fois, elle
fut agrandie et modernisée1. Le chœur fut démoli et refait dans de plus vastes
proportions ; le reste du bâtiments fut aussi transformé ; les anciennes fenêtres
gothiques furent remplacées par de grandes fenêtres en plein cintre ; un campanile
vint surmonter le chœur et, continuant à se conformer au style alors en honneur : le
style jésuite. Le curé Bilstain et après lui son neveu et successeur le curé Lemoine 2
déployèrent un grand zèle à transformer la décoration intérieure et à renouveler le
mobilier. Avant eux, l’église était encore à peu près complètement gothique ; ils
s’efforcèrent d’en bannir ce style3. Il ne fallait pas que l’église paroissiale continuât à
1
Auparavant, l’église avait déjà reçu des embellissements et des transformations. Une longue
pierre provenant de l’ancienne église fut, lors de la construction de l’école des Frères allemands
(école devenue aujourd’hui bureaux de l’Hôtel de Ville) encastrée dans la cage d’escalier : elle
porte cette inscription « Hble Bertrand Lowijs laisné jadict Bourgmestre et Commissaire de Vervier
et Dmelle Ida de la Montagne sa compagne ont fait mettre cette verrière à la réparation de ceste
église. Priez Dieu pour eux. 1653. »
L’ancienne école porte aussi, au-dessus d’une de ses fenêtres, une pierre aux armoiries d’Antoine
Bertrand bourgmestre, pierre provenant de la vieille église. Le Musée conserve deux pierres du
même genre aux armoiries de Bilstein et Closset : « Elles firent partie des linteaux des fenêtres de
St-Remacle, du côté sud, données par des habitants lors des restaurations de l’église en 1693. »
Catalogue Renier, p12 et 13.
2
On peut voir les portraits de Bilstain et de Lemoine figurant à genoux comme donateurs dans
deux tableaux peints par Hubert Daniel dit Follet de Verviers. Ces tableaux se trouvent dans l’église
St-Remacle actuelle.
3
Voici ce qu’écrit DE SONKEUX à propos de ces travaux : « Le maître-autel était de petite et basse
structure, ressemblant plutôt à un estal de boutique de mercier qu’à une table où on doit immoler
une victime si sacrée (il veut parler de l’ancien autel gothique). Il était posé où est maintenant la
balustrade des communiants. Le curé Lemoine fit rallonger le chœur de l’église du côté du levant
comme il se voit aujourd’hui et construire un très bel autel (c’est celui qui se trouve aujourd’hui
dans l’église de Stembert). La table (c’est-à-dire je crois le tableau) d’autel qui représente la sainte
Trinité fut érigée et assise la veille de la Pentecôte, 29 mai 1700. Le chœur garni de beaux sièges
pour les choristes et la sacristie remplie de très beaux ornements de diverses couleurs, de
chasubles, de chapes à servir selon les temps et solennités. Il fit démolir l’autel Ste-Catherine qui
était difforme à l’église et y fit replacer l’autel de Notre-Dame de Pitiez l’an 1669 et fit bâtir une
chapelle en forme d’un chœur pour les confrères de Notre-Dame. Les bancs, que les séculiers s’en
servent à l’église les fit tenir une autre posture à les mieux ranger et fit embaucher et couvrir les
parois de bois de blanc polly et y fit mettre les armoiries de qui voulait que cela a illustré
admirablement l’église. Il fit ériger trois sièges confessionnaux où il n’y en avait qu’un. L’escalier
par où l’on montait à la galerie, qui était dans l’église, il le fit mettre hors d’icelle dans le lieu où il
est aujourd’hui ». Les petites stalles de l’église sont aujourd’hui à l’église de Wegnez. C’est un
Carme -Frère Joseph- qui fut l’auteur des plans du chœur du XVII° siècle.
L’église fut désaffectée en 1838. Elle fut vendue. Son clocher fut abattu. Jusqu’au jour de sa
démolition, elle servit de magasin à laine. Elle mesurait 18,5 mètres de largeur et, du chœur au
parvis, 24 mètres.
La première pierre de la nouvelle église paroissiale fut posée en 1839. Peu de chose de l’ancienne
église fut jugé digne de figurer dans la nouvelle. Les deux autels qui se trouvent de chaque côté de
la porte d’entrée en proviennent, l’un d’eux contient un triptyque de Douffet, célèbre peintre
Liégeois. Les deux statues, d’allure décorative, qui se trouvent aussi à proximité de l’entrée -St-
Lambert et St-Sévère- avaient été achetées en 1703 (DE SONKEUX) à Robert Verbeur de Liège ; ce
Verbeur est sans doute Robert Verburg, de Liège, mort en 1720.
Deux autres statues en bois, de grandeur naturelle -St-Remacle et St-Lambert-, après la
désaffectation de l’église, furent déposées dans les deux niches de la façade de l’église Notre-Dame
des Récollets. Elles y restèrent jusqu’au jour où l’on construisit une tour à cette église. On les
déposa alors au Musée (voir aussi au Musée divers vestiges lapidaires du XVII° siècle : armoiries,
pierres tombales et une belle table de bronze, monument funéraire à la mémoire d’Edmond Fion,
mort en 1738, et de son épouse Jeanne de Xhorez, morte en 1735 (voit Catalogue Renier, n°74).
Cette table de bronze est l’œuvre du fondeur Levache qui signa le beau mortier que possède Mr le
pharmacien Wirth, de notre ville. Ce mortier porte cette inscription : « Pierre Dutz m’a fait faire par

16
paraître rustique, démodée ; il ne fallait pas qu’elle fut éclipsée par celle des
Récollets dont le bel et nouvel intérieur, le grand et brillant autel, éblouissaient les
fidèles. Tout fut remis à la mode même, en partie, la vieille tour.

Récapitulons : les portes de la ville, les nombreux couvents et leurs chapelles,


l’agrandissement de l’église paroissiale, la transformation de l’Hôtel de Ville, la
construction d’établissements de bienfaisance, de grandes maisons bourgeoises,
l’exécution de nombreux travaux d’utilité publique vinrent, au XVII° siècle, changer
l’aspect de notre cité. Verviers a fait peau neuve ; le village d’Ardenne qu’il était
encore au XVI° siècle, est décidément oublié ; à la fin du XVII° siècle, il est devenu
une bonne ville.

IV. Un coup d’œil sur Verviers au début du XVIII° siècle 1.

Avant de pousser plus loin notre étude, jetons un coup d’œil d’ensemble sur le
Verviers du début du XVIII° siècle. A ce moment, il conserve l’aspect d’une cité du
XVI° siècle mais de gros bourgs qu’il était encore en 1600, il est, comme nous
l’avons dit, devenu une bonne ville2. L’agglomération s’étire le long de la rivière, des
Grandes Rames au faubourg d’Espagne (Hodimont).

Entrons en ville par le pont de l’Hôpital nouveau (le pont d’Al Cute). Au lieu
des grosses pierres sur lesquelles jadis on passait l’eau qui les recouvrait les jours
de crue, obligeant ainsi à de longs détours, nous trouvons maintenant un solide pont
de bois en dos d’âne. Malgré les nombreuses fouleries, l’eau de la Vesdre a gardé
sa pureté ; les ouvriers vont y pêcher les jours de fête. Ils y jettent l’épervier.

En passant le pont, on remarque sur des sortes de paliers3 construits en pierre


dans la montagne au-dessus du chemin des Tailles, des rames 4. Des hommes
s’occupent à y tendre des pièces de drap. Ces rames sont plantées autour de la ville,
et même en pleine ville, en beaucoup d’endroits ; elles deviennent tous les jours plus
nombreuses. Verviers, vu des hauteurs, en prend un air particulier qui frappe
l’étranger : elles caractérisent de suite le genre d’activité industrielle de la cité5.

Le pont se termine tout près de la porte de l’ancienne enceinte. La porte de


l’Hôpital nouveau est encore debout mais les murailles sont démolies. On a pourtant
conservé les solides murs construits le long de la rivière. Ils abritent contre les
inondations les jardins potagers et les prairies plantées d’arbres à fruits sous
lesquelles paissent les vaches de l’Hôpital nouveau. Au-dessus des pommiers
apparaît la bâtisse avec, au rez-de-chaussée, ses six grandes fenêtres en plein
cintre et, à l’étage, ses fenêtres à meneaux munies de volets. Sur son toit d’ardoises
s’alignent les lucarnes et se dresse le campanile.

Pierre Levache, 1772 ».


1
Il ne faut pas chercher dans cette esquisse une chronologie scrupuleuse.
2
En 1715, d’après DETROOZ, Verviers compte 3.000 familles.
3
Ces paliers existent encore.
4
Pièces de bois dressées sur lesquelles on mettait sécher les draps.
5
Voir les vues de Verviers par LELOUP au Musée. Remacle LELOUP, dessinateur et graveur né à
Spa en 1708, mort en 1794.

17
La porte de la ville franchie, nous voyons des maçons en train d’agrandir
l’hôpital en construisant une chapelle en prolongement de son pignon est (1721).

Notre rue des vieillards n’était alors qu’un sentier. Il se faufilait entre les
clôtures -haies ou barrières- de prairies qui s’étendaient jusqu’à la Vesdre et les
murs en moellons percés de portes s’ouvrant sur les jardins d’habitations dont la
façade donnait sur la rue des Raines. Celle-ci n’est pas encore pavée mais plusieurs
maisons lui donnent déjà bon air. Bientôt elle va devenir la rue aristocratique.

Traversons-la. Voici le moulin. En passant sur le vieux pont de pierre qui


enjambe le canal, nous voyons à gauche tourner la grande roue du moulin ; à droite,
dans l’eau courante que surplombent des maisons en encorbellement, des ouvriers
en train de laver des paquets de laine. Le mont du Moulin gravi, débouchons enfin
sur la place du Marché. C’est ici le cœur de la ville.

Autour de la place, sur le sol mouvementé d’où par endroit le rocher affleure,
les maisons se plantent, sans souci de l’alignement : les vieilles, en colombage sous
leur toit de chaume -ce sont les plus nombreuses- ; les modernes : en pierres et
briques, couvertes d’ardoises1.

Des volets, des petits carreaux, des barreaux de fer aux fenêtres à meneaux,
des marches devant les portes, des pavés dur et inégaux. Au milieu, l’Hôtel de Ville
se dresse, isolé mais familier, bonhomme, sans prétention à l’élégance. Noirci,
démodé, il reste cependant imposant par sa masse et sa solidité.

Des poules grattent dans un tas de fumier ; on entend grogner un cochon ; un


bœuf de Jalhay, attelé par la tête, attend que sa conductrice en barada2 ait fini de
discuter le prix de ses fagots avec le patron d’une auberge. Au-dessus d’eux se
balance la belle enseigne peinte par maître Follet.

Deux bourgeoises, sur un seuil, viennent d’entamer une conversation


palpitante. L’une d’elle est accourue chez sa voisine pour lui conter la grande
nouvelle : la fille du riche avocat Mr de Charneux, dont on peut voir de là, en
Crapaurue, la magnifique maison surmontée de son belvédère, vient de se retirer
aux Conceptionnistes. Oui, elle quitte son mari, le beau valet qu’elle a voulu, malgré
son père, épouser à tout prix et avec qui elle était partie. Veuve du chevalier de
Winkel, puis épouse d’un valet qu’elle abandonne pour entrer au couvent à peine
âgée de trente ans, quelles aventures !3 Quel interminable sujet de conversation !
Quelle aubaine pour les commères du temps !

Les éternels gamins polissonnent autour du Perron. L’un d’eux enfourche un


des lions de pierre décrépits qui supportent la colonne4. Puis ils iront tripoter dans
l’eau de Mangombroux qui coule au milieu de la rue de Heusy 5 ; à moins qu’ils ne se

1
Il y avait sur le Marché plusieurs bonnes maisons bourgeoises, c’est dans l’une d’elles que « le 25
juillet 1672, le bourgmestre Jean de Herve traite magnifiquement, en sa maison sur le Marché,
Ferdinand, comte de Linden, nouvellement élu gouverneur de Franchimont » DE SONKEUX, p16.
2
« Barada » ou « tchapê à gordène (courtine) » note de Mr J. FELLER.
3
Ceci se passa vers 1690.
4
Il s’agit de l’ancien Perron, le nouveau fut construit en 1732.
5
Le ruisseau de Mangombroux coulait par la rue du Pont mais un petit canal détournait une partie
de son eau le long de la rue de Heusy, puis elle descendait Crapaurue.

18
mettent à discuter au sujet des têtes de maures qui soutiennent la bordure en bois
sculpté de la vieille maison qui fait le coin de Crapaurue.

De la place, vers le nord, par une éclaircie, on voit, gravissant la montagne de


Hombiet et s’y détachant nettement, les stations du chemin de le Croix que le sieur
Crosset vient d’y faire placer1 et, plus à gauche, sur les Heids, au-dessus des Gris-
Chevris, une grosse maison-ferme en moellons s’élevant au milieu des prairies : la
« ferme du Curé2 ».

Toutes les collines sont déboisées tant de nouvelles constructions en


charpentes ont depuis longtemps consommé tous les arbres proches de la ville. Si
l’on regarde vers le sud, au-dessus des maisons apparaît le toit de l’église des
Carmes. Dans son charmant campanile tout neuf, on voit remuer les cloches. Elles
tintent. C’est la même voix, qu’aux moments calmes, nous entendons encore en
passant par là sortir, plaintive dirait-on,du petit clocher aujourd’hui délabré, misérable
et condamné à la démolition.

Mais, derrière l’Hôtel de Ville, pointe la flèche de la paroisse ; elle domine tout,
portant son coq d’or haut dans le ciel. Les hirondelles le sillonnent, nombreuses ;
leurs nids sont à l’aise aux coins des grands corbeaux des toits. La ville est vivante,
paisible pourtant. En plein centre subsistent des vergers, des haies : des branches
d’arbres dépassent des murs. Les bruits sont fraternels ; c’est la voix de l’homme,
celle des animaux, celle des outils traditionnels : marteau du forgeron, scie du
charpentier, le long du canal le tic-tac des moulins des fouleries et, dans tous les
coins, la battement des métiers à tisser.

Les cloches tintent, à tout bout de champ on rencontre des moines, des
nonnes ; la Vierge des Récollets fait encore des miracles. Enfin, au cœur de la cité,
entre la tour gothique de l’église et l’Hôtel de Ville ; le cimetière. Sous les croix de
tous âges sont venus chercher le repos éternel ceux du ban depuis des siècles.

1
« Du pèlerinage ai lieu nommé Hombiet ou Hobiet . Un certain Crosset fit bâtir, au
commencement du XVIII° siècle, 7 chapelles bien solides et de pierre bien taillée, de distance en
distance sur cette haute montagne… Outre ces 7 chapelles, il en fit construire tout au sommet de
cette montagne une huitième beaucoup plus considérable avec un quartier pour un ermite et fit
placer un crucifix à chaque extrémité de la montagne », DETROOZ, p158.
Les 7 chapelles se voient nettement sur les dessins de Leloup.
Une belle pierre sculptée, du XVI° siècle, se trouve encore actuellement au-dessus de la montagne
de Hombiet. Elle supportait jadis une croix de bois, mais il ne paraît pas que ce fut sa destination
primitive. Jean Renier, dans son histoire d’Andrimont, dit qu’elle portait la croix finale du calvaire.
C’est possible, mais en tout cas ce n’est pas une des pierres taillées commandées par Crosset au
XVIII° siècle. Elle est beaucoup plus ancienne, elle doit dater du début du XVI° siècle.
2
Cette ferme fut sans doute construite par Thomas de Bilstain, curé de Verviers et Andrimont
(1647 à 1691). La bâtisse conserve, dans la cour, au-dessus d’une porte charretière, une date et
une devise sculptées dans la clé de voûte : « 1678 - Mihi vivere est et mori lucrû » (vivre et
mourir, pour moi, sont également bien).
Une autre pierre, ancien linteau brisé, se voit aussi dans la cour, encastrée dans les pavés. Elle
porte cette inscription : « In domin-confido » (J’ai confiance en le seigneur ».
Au XVIII° siècle, le quartier-maître de cette ferme a été richement transformé. Donnant sur le
jardin, une sorte de balcon Louis XV porte dans son grillage en fer forgé ces initiales entrelacées
E.M.P.V. Dans le jardin, on remarque aussi un socle gothique du XVI° siècle. Il supporta jadis un
cadran solaire, mais en réalité, c’est une base de pilier. Je ne vois pas d’impossibilité à ce que ce
soit la base d’un des piliers de notre ancien Hôtel de Ville construit en 1527.

19
Ce bon vieux temps avait son amertume. Des guerres incessantes ne laisse
pas d’année sans amener dans la ville des troupes de passage, des nationalités
différentes mais toutes composées de soudards grossiers, arrogants et pillards.

Périodiquement, les épidémies -petite vérole, choléra- fauchaient la


population. L’industrie avait ses crises. Les chômages affamaient les prolétaires. Les
difficultés douanières causaient bien des tracas aux fabricants. Ils sont riches. Les
plus intelligents, les plus travailleurs, les plus intelligemment travailleurs des artisans
du bourg ont fait fortune et leurs fils sont devenus de gros bourgeois qui veulent
conserver leur argent. La lutte pour l’argent est sans répit. Ces bons bourgeois
certes sont croyants et traditionalistes, ils ne sont pas comme nous accablés
d’anarchie intellectuelle, mais leur sécurité d’esprit ne laisse que plus d’activité à
leurs passions. Les éternelles passions les agitent, l’ambition ronge ces parvenue ;
voyez les démêlés des Nizet et des Lepas pour l’obtention de la Régence. Leurs
partisans n’y vont pas de main morte : saccages de maisons, meurtres1. Pour les
anciens artisans devenus salariés, tout le progrès est vain : misérables ils végètent,
relégués dans les ruelles. Elles ont gardé leurs vétustes maisons de torchis, ces
ruelles si étroites que des bornes ont dû être plantées le long des murs pour les
préserver du choc des charrettes.

Les ouvriers passent des journées de douze heures au service du fabricant


qui sait calculer ce qu’il faut leur payer au juste pour qu’ils puissent subsister sans
par trop s’affaiblir2. Pour les vieux devenus incapables de travailler, c’est le recours à
l’assistance publique et la mendicité. L’homme du peuple, ne sachant pas lire, ne
sachant rien que son métier, était rude, superstitieux, naïf, soumis à son sort et
résigné. Il vivait au jour le jour, sans jalousie, sans penser que son sort pourrait
jamais s’améliorer. Etait-il au fond si malheureux ? Quoi qu’il en soit, en comparaison
avec aujourd’hui, que d’infirmités ! Que d’abrutissement ! Les mendiants traînaient
dans les rues, croupissaient aux porches des églises, montraient leurs difformités
variées, repoussantes et pittoresques.

En Crapaurue, un valet tient un fort cheval de selle devant le perron d’une


bonne maison : c’est la demeure d’un de nos marchands drapiers. Le voici ; il
enfourche la bête. Il part en voyage aux foires de Hollande ou d’Allemagne. Jadis
son père y allait aussi, mais à pied, le havresac au dos.

Les gamins accourus regardent les adieux qu’il fait à sa jeune femme et à ses
nombreux enfants. On leur jette quelques liards. Justement vient à passer un
bourgmestre ; il découvre sa perruque et souhaite bon voyage. Le régent est
soucieux : c’est monsieur Franquinet. Il se rend à la Maison de Ville où l’attend son
confrère Renate Godard pour discuter ensemble la grave affaire de l’impôt des 24
patards3.

Cela se passe en 1721. A ce moment, la fortune de nos fabricants est


devenue imposante. Ils vont pouvoir se créer des relations, se frotter à la bonne
compagnie. Ils arrivent à placer noblement leurs filles. Ils font faire des études à leurs

1
Voir manuscrit LEJAER.
2
J’anticipe peut-être un peu : au commencement du XVIII° siècle, l’exploitation du prolétariat n’est
pas arrivé à son apogée qui fut atteinte dans la première partie du XIX° siècle.
3
Sur cette affaire, voir DETROOZ, tome II, chapitre XXVI.

20
fils. On en voit plusieurs acheter des titres de noblesse. Voilà une aristocratie
verviétoise. Elle va suivre la mode des grandes villes, chercher à se tenir à la
hauteur.

En architecture, Liège au XVIII° siècle imite Paris ; Verviers imitera Liège : les
styles Louis XV et Louis XVI vont régner chez nous comme ils règnent sur le monde.
A la fin du XVIII° siècle, Verviers aura encore une fois changé d’aspect.

CHAPITRE SECOND : LE XVIII° SIECLE - LES STYLES FRANÇAIS

Considérations générales.

La maisons verviétoise du XVII° siècle est la même, à part le genre de


matériaux (pierres et briques), que celle du XVI° siècle (en bois et en torchis) ; et
celle-ci n’est en somme que la cabane primitive agrandie et perfectionnée. Jusqu’au
début du XVIII° siècle, nos maîtres maçons, nos maîtres charpentiers, illettrés le plus
souvent mais instruits par une expérience séculaire, excellents constructeurs,
exercèrent leur métier sans penser à autre chose qu’à faire des habitations solides et
confortables (il s’agit du confortable du temps évidemment) ; on ne leur demandait
rien d’autre. La maison, déclarent aujourd’hui certains esthètes, étant une machine
où habiter, elle doit être construite uniquement dans un but pratique.

Ingénument, nos ancêtres se conformaient à ce principe. Dans nos bâtisses


antérieures au XVIII° siècle, les matériaux apparaissent, la construction s’affirme ; on
voit toutes les pièces de la machine. Si la façade semble porter quelques éléments
décoratifs, ce n’est qu’en apparence : ces éléments décoratifs ne sont que des
parties indispensables auxquelles furent données des formes agréables, créées
dans le pays et toujours rationnelles : corbeaux, bandeaux, peintures, dessins
formés par les clous des portes… Cette architecture rationnelle n’avait rien d’un parti
pris ; un bel épi en fer forgé, des sculptures en bois, chefs d’œuvre d’un maître
ouvrier, enrichissaient quelquefois le sommet d’un toit ou les rampants du pignon à la
demeure d’un notable.

Cette manière ancestrale de bâtir eut à la fin du XVII° siècle, à vrai dire, des
exceptions plus ou moins radicales : les couvents et leurs chapelles, les
transformations de l’église paroissiale, le château de Denis de Charneux ; mais il
s’agit là de constructions conçues par des moines étrangers à la ville et par un
intellectuel qui a beaucoup voyagé.

Ceux-ci n’ignorent pas que la façon de bâtir de nos maçons n’est que la
tradition gothique s’attardant dans une ville sans culture et que, depuis longtemps, ce
mode rustique et sans noblesse –disent-ils- est remplacé dans les grandes villes par
quelque chose de bien plus digne. Là-bas, on ne se contente plus d’élever de
bonnes maisons, on veut aussi de belles maisons. Des architectes savants les
construisent, non plus selon la tradition locale, mais d’après les majestueux modèles
créés jadis à Rome.

« Le XVIII° siècle fut pour le Pays de Liège comme pour les Pays-Bas une
époque de repos bienfaisant et de restauration économique 1 .» Les styles français,
1
« Histoire de Belgique » de H. PIRENNE, tome V, p339.

21
décoratifs, luxueux, aristocratiques, conviennent à cet état nouveau de sécurité et de
richesse. Liège les adopte avec enthousiasme et Verviers, de son mieux, va imiter la
capitale. Ce qui frappait surtout l’œil dans nos maisons du XVII° siècle, c’étaient
leurs fenêtres à meneaux vitrées dans des carrés de plomb. De ces fenêtres, le
XVIII° siècle n’en veut plus : il les lui faut à la française, c’est-à-dire à deux ouvrants
vitrés dans des carrés de bois. L’ancienne fenêtre était en somme plus solide et plus
pratique mais la nouvelle donne aux façades quelque chose de plus ouvert, de plus
élégant. Dès que la nuance fut sentie, le dégoût pour les meneaux devint général.
Toutes les habitations que l’on va construire seront tributaires de l’innovation et, petit
à petit, les vieilles demeures vont être mises à la mode par la suppression des
meneaux de leurs fenêtres.

I. EPOQUE DE LA REGENCE – LINTEAUX APPAREILLES.

C’est à la fin du règne de Louis XIV que l’on éleva chez nous les premières
maisons à fenêtres sans meneaux. Dans ces nouvelles bâtisses, le meneau vertical
(qui supportait le milieu du linteau) étant supprimé, il fallut pour conserver de la
solidité à la partie supérieure de la fenêtre employer dans sa construction une série
de claveaux. Comme je viens de le dire, c’est à la fin, tout à la fin du règne de Louis
XIV que les linteaux appareillés furent employés pour la première fois à Verviers,
mais c’est du temps de le Régence que leur usage y devint général.

Pendant cette période, on a construit chez nous de nombreuses bâtisses


parmi lesquelles plusieurs ont de très grandes proportions 1. On en trouve quelques-
unes rue des Raines et il y en a deux très caractéristiques : l’une en thier Mère-Dieu2,
l’autre rue de Limbourg3. Cette dernière surtout est un type remarquable. Elle
conserve son toit à trois rangs de lucarnes et tous ses volets aux fenêtres. Voilà une
digne maison et une maison très verviétoise : je dis verviétoise car ce genre
d’habitation se trouve chez nous plus que partout ailleurs. Elles sont en pierres et
briques. On est frappé par leur aspect sérieux. Les corbeaux, franchement
apparents, sont fait d’une pièce de bois sans aucun ornement. Le seul ornement des
façades –rectilignes d’ailleurs- consiste en bossages. Certaines possèdent un
fronton triangulaire au tympan percé d’un œil de boeuf4.

Symétriques, monotones et imposantes, on peut voir dans ces vastes


demeures un essai d’atteindre à la noblesse du style Louis XIV. Ce sont encore en
tout cas des maisons de constructeurs. Les grandes fenêtres sans meneaux y sont
résolument adoptés mais le sérieux des bâtisses du XVII° siècle reste intact. Au point
de vue constructif, elles sont de meilleure qualité que celles que l’on va élever par la
suite.

1
Le grand nombre de ces maisons semble indiquer à cette époque une ère de prospérité
exceptionnelle. Ce genre de maisons, si communes à Verviers, est assez rare à Liège. Hodimont en
possède une quantité. Ce bourg, à la suite de la longue guerre douanière, a dû fort s’agrandir.
Plusieurs industriels verviétois avaient transporté leur industrie au-delà de l’eau (voir E. FAIRON).
2
N° 18. Cette maison fut celle de JJ. Fyon, bourgmestre de Verviers, membre de l’Etat-Tiers,
colonel d’un régiment des volontaires franchimontois et maître des postes impériales, l’un des plus
zélés promoteurs de la révolution de 1789. Sa popularité fut très grande.
3
Maison Louis Simonis, n°31.
4
L’ancien Hôpital, rue de Limbourg, construit en 1737, a ses fenêtres en plein cintre fait de
claveaux ; aucune maison bourgeoise à Verviers n’adopta ce genre de fenêtres.

22
Sur les moins anciennes de nos maisons du temps de la Régence, on
remarque quelques velléités décoratives aux claveau des linteaux. Celui qui fait clef
s’orne d’une moulure rectiligne à sa partie supérieure puis ses coins se coupent en
courbe, sans moulure ou avec moulure, et les claveaux qui le touchent ont aussi leur
coin libre arrondi. Ce sont là des signes précurseurs de l’introduction du style Louis V
à Verviers.

II. LE LOUIS XV.

Le Louis XV est le triomphe de la lie courbe. Désormais, on adoptera le cintre


surbaissé pour les linteaux. Ils sont faits d’un arc bombé portant une clef et sera
ornée1 car le Louis V est aussi le triomphe du décoratif. Toute la façade s’anime et
s’égaie. Les impostes de portes s’enrichissent de motifs découpés dans le bois avec
fantaisie et grande variété ; l’ouvrant, lui aussi, s’agrémente de sculptures. Les
pierres sont moulurées, les lucarnes au fronton sinueux se flanquent d’ailerons aux
contours arrondis. Le fer forgé, travaillé avec art, pare les balcons –qui sont une
nouveauté-, les appuis de fenêtre, les rampes du perron des portes, les grilles des
cours et les jardins. La gaieté facile de ce style, son pimpant, son laisser-aller, furent
une révélation. Il ne doit rien à l’imitation, il est absolument original ; étant sans
pédanterie, il est aisé à comprendre. Chez nous pas plus qu’ailleurs on n’a résisté à
son charme.

Ce n’est cependant pas à Verviers qu’il faut en chercher des exemples


typiques, du moins à la partie extérieure des maisons. On n’y trouvera ni la fantaisie
exagérée fréquente dans certaines villes allemandes, ni cette élégance dans le
caprice qui distingue les maisons françaises. Les Verviétois ne résistent pas au
charme des nouveautés, mais ils les adoptent avec sérieux et une certaine réserve ;
comme une bourgeoise qui suit la mode sans exagération, en personne raisonnable
qui entend bien tenir son rang et qui ne veut pas avoir l’air d’une paysanne mais qui
n’a pas le temps de s’occuper beaucoup de sa toilette. Elle n’a pas sous la main
d’ailleurs les grandes couturières ni toujours l’argent pour les payer. En personne
économe, elle se contente souvent de faire remettre ses vieilles robes à la mode.

Les maisons du temps de la Régence furent conservées intactes par leurs


propriétaires, du moins à l’extérieur : seule la décoration intérieure et le mobilier
furent mis au goût du jour. Mais plusieurs habitations furent construites dans le style
nouveau. C’est encore dans la rue des Raines que nous trouvons les principales : la
maison Biolley-Piron, la maison Delcour, la maison Lemaire 2 ; il y a aussi, en
Sommeleville, la maison Sommer dont l’aile gauche a été démolie lors de l’ouverture
de la rue Biolley.
1
Dans les bâtisses sans prétention, la clef n’est pas ornée.
2
La maison Lemaire (76 rue des Raines) est une maison Louis XV, mais peu caractéristique. Ses
fenêtres sont à linteaux bombés non décorées. Le fronton triangulaire qui surmonte l’immeuble
porte une guirlande de style plutôt Louis XVI. Cependant, l’encadrement de la porte est
franchement Louis XV. L’asymétrie de la façade dont la porte n’est pas dans l’arc du fronton est
assez singulière. Cette maison conserve comme un vestige de la décoration primitive, à l’intérieur
au premier étage, un morceau de plafond décoré de stucs portant un écu à lambrequins fleuris
(écartelé ; aux 1° et 4° : à un lion, aux 2° et 3° : à cinq fusées). Deux heaumes surmontent le
blason, l’un porte comme cimier un lion, l’autre une fusée. Ce sont les armoiries de la famille de
Fromenteau ou Froidmanteau qui fit construire la maison dans la seconde partie du XVIII° siècle. A
noter que ce plafond n’a rien de spécialement Louis XV, il fait plutôt penser aux ornements en stuc
de la fin du XVII° siècle.

23
Nos vieux quartiers en conservent beaucoup, de proportions plus modestes ;
ce ne sont pas les moins caractéristiques. Malheureusement, le rez-de-chaussée,
qui en étaient la partie la plus décorée, a presque toujours été modernisé pour les
besoins de l’un ou l’autre commerce (entre autres rue de Heusy, n°21-22). Les
constructions Louis XV de la rue des Raines étaient sans doute considérées alors
comme les plus belles de la ville ; elles indiquaient que leurs propriétaires occupaient
le premier rang et affirmaient leur supériorité sur la masse des petits bourgeois logés
encore à l’ancienne mode. Et pourtant, elles sont loin de pouvoir rivaliser avec les
façades des élégants hôtels de la noblesse liégeoise, et leur intérieur manque de
cette belle ordonnance que les architectes de la capitale savaient créer.

Les hôtels verviétois sont des hôtels bourgeois. Sont-ce des architectes qui
les ont édifiés ? On est plutôt tenté de croire qu’ils sont surtout l’œuvre de maîtres
maçons s’inspirant de ce qu’ils ont vu faire à Liège ou ailleurs. Il faut prendre garde
d’exagérer la transformation de la physionomie de la ville. Elle est réelle, mais
Verviers, malgré tout, conserve un aspect pittoresque plutôt qu’élégant. Pendant le
XVIII° siècle, quantité de maisons en colombage persistent, les toits de chaume
restent fort nombreux ; on en rencontrera encore en pleine ville au XIX° siècle 1. Il n’y
a pas à Verviers que des Crésus ; beaucoup ne peuvent suivre la mode et certains
bourgeois conservateurs s’obstinent à garder inchangée la maison paternelle aux
fenêtres à meneaux. Les gens distingués du temps dédaignent cette rusticité. Du
moins chez eux ils comptent bien n’en conserver trace ; si, pas encore par
l’ordonnance, du moins par le luxe qui se déploie dans leur demeure.

Liège possède alors une foule de sculpteurs sur bois d’une habileté
incomparable et de ferronniers d’élite. Les richards de chez nous les font travailler
pour eux. Ils veulent leurs meilleures œuvres. La maison Biolley-Piron renfermait
plusieurs salles décorées de boiseries, œuvres de virtuoses 2. La porte de cette
maison –qui donnait jadis sur les jardins situés derrière elle3- était surmontée du
riche balcon en fer forgé qui s’effrite aujourd’hui lamentablement. Il avait été créé à
force de patience par un artiste rompu aux finesses du métier. Ce grillage de luxe est
caractéristique du goût du temps pour la décoration touffue.

L’orphelinat des filles, rue du Collège, est une construction du XVII° siècle
transformée au XVIII°. La façade ne manque pas d’intérêt mais l’intérieur surtout est
remarquable. Le vestibule, la cage d’escalier et le salon forment un ensemble
unique.

On s’était mis à porter tous les soins vers l’embellissement de l’intérieur. Nos
fabricants voulurent posséder des salons, pièces de luxe inconnues à Verviers
jusque là. Ces salons faisaient l’orgueil de leurs propriétaires : ils rivalisaient de
richesse, ils l’étalaient. Ils y donnaient des fêtes qu’illuminait l’éclat des bougies
fichées dans des lustres de verre ou dans les appliques accrochées aux murs tendus
1
En 1778, l’Administration Communale exempte d’impôts ceux qui changent leur toit de paille en
toit d’ardoises (RENIER, « Administration Communale », p66).
2
Les boiseries d’un salon de cette maison ont été achetées au complet par le Musée du
Cinquantenaire. La salle y est reconstituée ; portes, lambris, volets, cheminée sculptés en Louis XV
fleuri. La cheminée est en marbre et surmontée d’un encadrement de bois contenant un bouquet
peint à l’huile. En dessous se trouve une petite glace.
3
Aujourd’hui, rue des Vieillards.

24
de soies persanes. Sous le plafond décoré de stuc, parmi les meubles à rocailles ;
fauteuils, chaises, buffets, consoles peints en tons clairs, rehaussés d’or, nos
nouvelles aristocrates admiraient, dans les miroirs surmontant la cheminée de
marbre (encore une nouveauté), leurs robes à paniers, tandis que leurs époux, en
culotte, habits de couleur tendre, jabots de dentelle et perruques poudrées,
s’essayaient aux belles manières.

III. LE LOUIS XVI.

Cependant, le style Louis XVI s’était créé en France en réaction contre la


fantaisie débridée du Louis XV. Le nouveau style revient à l’imitation de l’art antique.
Il cherche la distinction, la pureté et le calme. Bannie la ligne courbe dont on était
saturé : la ligne droite revient à l’honneur. Les maisons construites au moment où
régnait le style Louis XVI sont caractérisées, aux environs de notre ville, par leurs
linteaux droits portant une clef. Ce genre de linteau est rare à Verviers : beaucoup de
nos maisons construites à la fin du XVIII° siècle possèdent des linteaux droits sans
clef, mais certains motifs Louis XVI –spécialement la guirlande aux extrémités
retombantes- les datent1.

Le peuple admirait sûrement le style Louis XV dont la richesse pittoresque


l’éblouissait. Il ne comprit plus rien du tout au style Louis XVI. Pour comprendre
celui-ci, il faut une certaine culture dont l’illettré du XVIII° siècle était absolument
dépourvu. L’apparition du nouveau style marque la différence de mentalité, cette fois
radicale, existant entre les deux classes de la société. Les bourgeois se sont affinés,
ils se haussent au ton de la capitale. Les ouvriers, relégués dans les ruelles et les
cours, vivent entre eux, ignorants de tout, formant des sortes de cités où se
conservent des meurs et des goûts primitifs.

Comme nous le verrons plus loin, J.B. Renoz construisit en 1775-1777 le


nouvel Hôtel de Ville en style Louis XVI 2. Ce monument, très admiré, servit en
quelque sorte de modèle pour les constructions qui s’élevèrent dès lors dans notre
ville jusqu’à la révolution3. Il semble bien que les plus importantes furent l’œuvre d’un
jeune architecte disciple de Renoz : Henri Douha, d’origine liégeoise. La vie
d’architecte de Henri Douha se répartit sur le XVIII° et la XIX° siècles. Comme j’ai
séparé ces deux époques dans mon étude, il faut bien que je coupe en deux la
notice biographique concernant les Douha.

J’intercale ici la première de ces parties :

LES DOUHA AU XVIII° SIECLE.

« L’Hôtel de Ville de Verviers est reconstruit par Arnold Rouha sur les plans de
l’architecte Renoz », écrit A. de Ryckel. La chose n’est pas tout à fait exacte : Arnold
1
Voir aussi une maison dans ce genre –à part le rez-de-chaussée-, fort bien conservée, en
Crapaurue n°91.
2
C’est le seul monument important construit à Verviers dans la seconde partie du XVIII° siècle par
l’Administration Communale.
3
La maison situé à mi-côte de la montagne « aux Dardanelles » au-dessus de la rue Raymond est
un joli type de maison Louis XVI. Elle fut sans doute construite peu après l’Hôtel de Ville. Les tuiles
rouges qui la recouvrent aujourd’hui lui enlèvent beaucoup de son cachet. A l’époque où elle a été
bâtie, dans le bois aimé des rossignols, à quelque distance des portes de la ville, c’était une
élégante maison de campagne.

25
Douha n’était que maître maçon comme le stipule le registre de l’état-civil. Il vint à
Verviers surveiller les travaux de construction du nouvel édifice.

Arnold Douha naquit à Liège ; il séjourna à Verviers tout le temps que dura la
construction de l’Hôtel de Ville1. Jugeant que chez nous il pourrait mieux gagner sa
vie qua dans sa ville natale, il décida de se fixer à Verviers. Il était alors marié à
Jeanne Ramoux et le ménage avait un fils âgé d’une vingtaine d’années : Henri
Douha, né à Ans-Glain en 1755. Le père avait sans doute veillé à ce que son fils fit
des études d’architecture, peut-être sous la direction de Renoz ; en tout cas, le jeune
homme devint un bon architecte. Il se fixa comme son père à Verviers ; une sorte
d’association dut exister entre le père et le fils : elle dura longtemps, lorsque le vieux
Douha mourut en 1813, son fils avait 58 ans.

Henri Douha dut être le premier architecte résidant à Verviers. Il habitait au


Mont du Moulin, sa maison existe encore. C’est là qu’il est mort le 6 novembre 1829
âgé de 74 ans ; la maison portait alors le n° 1097 2, aujourd’hui n° 14. Il était veuf
d’Elisabeth Ramoux. C’était un personnage : il fut « choisi comme un des candidats
pour la Cour de Justice, désigné par Damseaux le 1° septembre 1791 »3.

Detrooz, qui fut sans doute de ses amis, en fait le plus grand éloge : « A
Laurenty je joindrai Henri Douha, excellent architecte qui a infiniment mérité du piblic
de Vervier pas les beaux édifices qu’il a bâtis. Avant lui, rien n’était de plus mauvaise
architecture et plus mesquin que ceux que l’on construisait. Douha a tout changé ;
depuis lui, la ville s’est embellie extraordinairement ».

Venant après le panégyrique du peintre Laurenty 4, d’une exagération naïve,


cet éloge serait sujet à caution si aucune œuvre de Douha ne nous était connue.
D’autre part, Detrooz est bien sévère pour les constructions élevées avant l’arrivée
de Douha ; pourtant il a raison s’il veut dire que Henri Douha est le premier qui
construisit chez nous des maisons dont le souci d’élégance, la tenue, dénotent
qu’elles sont l’œuvre d’un architecte et non plus d’un maître maçon.

Œuvres de Henri Douha.

Sa demeure, au Mont du Moulin, est une vieille maison qu’il a remaniée.


Douha lui donna un air imposant en décorant sa façade sud d’un fronton supporté
par deux pilastres à jolis chapiteaux Louis XVI, le tout reposant sur un soubassement
en bossages. On sait qu’il avait exécuté des plans pour une nouvelle église
paroissiale. Une maquette en plâtre de ce projet de monument se trouvait à l’Hôtel
de Ville à l’époque de la République.

Il semble bien qu’il fut l’architecte de la maison du vicomte Alf. Simonis, rue du
Collège, quoique J.S. Renier l’attribue à Renoz. La grande maison de Biolley, en
Sommeleville, est aussi probablement de lui. Le docteur Lejaer affirmait qu’elle avait

1
« Pendant la construction de l’Hôtel de Ville, Arnold Douha, surveillant de travaux, logeait chez
Mathieu Dehalleux qui comptait 15 sous par jour pour la nourriture et le logement », manuscrit
LEJAER, p538.
2
De ce temps-là, les numéros ne changeaient pas à chaque rue.
3
LEJAER, « Annales », p177.
4
Qui d’ailleurs ne manquait pas de talent et est aujourd’hui trop oublié.

26
été construite au XIX° siècle par Balat 1. Je crois pour ma part qu’elle fut édifiée par
Douha et que, après coup, Balat vint y apporter des modifications. La façade de ce
vaste hôtel est purement Louis XVI.

Plusieurs autres maisons verviétoises de ce style furent sans doute exécutées


aussi par Douha, je n’ai malheureusement sur elles aucune indication.

Dans la façade de sa demeure, dans celles des hôtels Simonis et Biolley,


l’influence de Renoz est sensible. Elle l’est moins dans le château que Douha
construisit à Forge-Thiry en 1871 pour Edmond Fion, le frère du fameux J.J. Fion de
la révolution. Cette élégante demeure, aujourd’hui démolie, a fait place à une
construction moderne en style Renaissance. « Le château de Juslenville, bâti en
1871 sur les plans de l’architecte Douha de Verviers, est d’une forme gracieuse mais
sans luxe d’architecture et remarquable surtout par ses jardins », écrit Schayes2.
Cette belle maison de campagne et son vaste et pittoresque jardin constituaient jadis
une des curiosités les plus appréciées des environs de Spa. Plusieurs lithographies
en conservent le souvenir.

H. Douha, après la révolution, sous l’Empire et sous le régime hollandais (il


est mort en 1829) continua à exercer sa profession chez nous. Nous le retrouverons
donc plus tard.

CHAPITRE TROISIEME – LE XIX° SIECLE.

I. LE STYLE EMPIRE

Rien ne fut construit pendant la période révolutionnaire. Les riches avaient


quitté la ville. Les couvents vidés de leurs occupants purent être utilisés à des fins
diverses. Les gens d’ailleurs mouraient comme des mouches : pendant l’hiver 1795,
période néfaste entre toutes, 3.000 morts vinrent encombrer le cimetière. La
population n’était plus que de 9.000 habitants. Il n’y eut donc alors que trop de
maisons.

Sous l’Empire, la prospérité rentra chez nous et, sous le régime hollandais,
notre ville s’enrichit de plus en plus. En 1830, Verviers comptait 30.000 habitants.

Les architectes, constructeurs des nombreuses maisons qui s’élevèrent à


Verviers sous l’Empire et le régime hollandais, adoptèrent naturellement le style
régnant, c’est-à-dire le style Empire. Celui-ci n’est, en somme, que la continuation du
style Louis XVI, mais c’est un Louis XVI épuré, au point que sa grâce se transforme
en sévérité.

Le style Empire devient résolument antique, grec et romain, surtout grec.


L’ordre dorique fut adopté à peu près exclusivement avec l’ordre toscan, succédané
du dorique. L’ancien théâtre, la loge des philadelphes, l’église Ste Anne, les anciens

1
Balat, architecte du roi, né en 1818, mort en 1895. Auteur du grand escalier et d’une salle de bal
de style Louis XIV au palais royal. Balat est aussi l’auteur du Musée des Peintures Anciennes
construit en 1876. Léopold 1° logea dans la maison de Biolley en 1832. Balat ne pouvait
évidemment pas l’avoir construite à cette date.
2
SCHAYES, « Histoire de l’architecture en Belgique ».

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bureaux d’octroi de la rue de la Grappe et de la rue d’Ensival 1 sont des exemples de
ce style Empire qui avait comme idéal le temple grec. Le fronton triangulaire, la
colonne et le pilastre, les linteaux droits sans clef, voilà les éléments caractéristiques
de ce style à Verviers.

C’est d’après lui que l’on a construit chez nous au XIX° siècle jusque vers
2
1840 . Plus la date des bâtisses se rapproche de nous, moins le style est pur.

1
Celui-ci est un joli monument. On remarquera ses colonnes à cannelures purement doriques. Il
est malheureusement enlaidi par des affiches.
2
Ces maisons construites surtout sous le régime hollandais, sans grandes prétentions, sont-elles
bien du style Empire ? Cette attribution est peut-être abusive, mais il faut bien faire un groupe de
toutes les constructions du premier tiers du XIX° siècle et lui mettre une seule étiquette afin de ne
pas tomber dans trop de subdivisions.

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