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L'architecte des Lumières 25/02/2022 15:58

L'architecte Boullée est l’un des plus grands architectes du 18e siècle, dont
la pensée est imprégnée de la philosophie des Lumières.
des Lumières
Ayant relativement peu construit, l’artiste s’impose comme
théoricien et pédagogue, durant la Révolution, mais déjà bien
avant 1789 à l’époque où les idées de progrès influençaient la
politique des arts de la monarchie française, sous Louis XV et
Louis XVI. Avec son confrère Claude-Nicolas Ledoux, qui lui
est un grand constructeur, également théoricien visionnaire,
Boullée souhaitait que l’architecture agisse sur les sentiments
et la conscience morale des citoyens.

L’exposition du fonds de dessins de Boullée, légué par l’artiste


lui-même avant sa mort à la Bibliothèque nationale,
accompagnée du manuscrit d’un Essai sur l’art, propose une
lecture plastique, esthétique, historique et symbolique de
l’œuvre, saisie en son temps. Elle permet de mieux
comprendre une œuvre redécouverte au 20esiècle après une
longue période de désintérêt et d’oubli.

L’œuvre dessinée de Boullée est généralement comprise


comme une architecture utopique, dont le caractère
irréalisable, concrètement, s’associe à une vision politique et
sociale déterminée par l’idée de progrès. Mais elle donne à
réfléchir sur un idéal de création artistique mis au service du
public, donc de la société. Sous le rapport de la poésie et de
l’utopie de l’art, il s’agit de redonner à cette " architecture de
papier " sa dimension métaphoriques et de considérer les
projets de monuments comme autant d’emblèmes d’une
aspiration au bien-être de l’humanité. La moralisation de l’art,
en architecture, comme en peinture, en sculpture ou au
théâtre, est le ressort de cette volonté de régénération
artistique.

Par les effets qu’il emprunte à l’art de la peinture ou de la


scénographie, par le commentaire imagé du texte qui explicite
le parti adopté dans ses programmes d’édifices, Boullée
revendique pour l’architecte le statut d’artiste à part entière.
Comme les autres formes d’expression, l’architecture doit se
donner la possibilité de "mettre la nature en œuvre" et de
l’exprimer avec force ou nuances, pour mieux toucher la
sensibilité.

L'homme de métier

Né et mort à Paris, Étienne-Louis Boullée (1728-1799)


poursuit une carrière exclusivement parisienne, sans même
effectuer le voyage que firent à Rome la plupart des artistes
célèbres de son temps.

Fils d’un architecte-expert, Boullée s’oriente d’abord vers la


peinture avant d’étudier l’architecture à la demande de son
père auprès de Legeay et de Blondel. Remarquable
dessinateur et pédagogue, il enseigne très tôt lui-même
l’architecture. Ses qualités et la réputation qu’acquièrent ses
premières œuvres, lui permettent d’accéder à l’Académie
Royale d’Architecture en 1762. Son influence y est
considérable et le conduit à négliger sa carrière de praticien.

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Ses débuts s’annoncent toutefois prometteurs. Sa clientèle


privée se recrute dans la société des hauts financiers,
proches du pouvoir. À Paris, entre 1752 et 1775, Boullée
réalise plusieurs décors intérieurs prestigieux pour des hôtels
particuliers (hôtel Tourolle, hôtel d’Evreux, actuel palais de
l’Elysée) et pour l’église Saint-Roch. À l’exception de l’hôtel
Alexandre et du palais de l’Elysée, ainsi que de rares
boiseries remontées dans des musées ou d’autres locaux au
19esiècle, ses hôtels sont aujourd’hui détruits.: maison de
Thun et de Pernon à la Chaussée d’Antin, de Monville à la
Ville-l’Evêque et le fameux hôtel de Brunoy dont la façade,
conçue comme un Temple de Flore, dominait un jardin
largement ouvert sur les Champs-Elysées.

Intendant des bâtiments du comte d’Artois, contrôleur des


bâtiments des Invalides, puis de l’École Militaire, où il construit
un manège, Boullée aménage la Bourse de la rue Vivienne et
la prison de la Force. Ses premiers grands projets, irréalisés,
concernent d’importants chantiers qui seront confiés à
d’autres architectes : l’hôtel de la Monnaie, l’hôpital de la
Charité, le palais Bourbon.

L'architecte du roi

Les académiciens s’honoraient du titre d’architecte du roi.

Très écouté comme théoricien, surtout après la mort de son


maître Jacques-François Blondel (1774), principal professeur
à l’Académie, Boullée eut une influence considérable sur les
jeunes architectes de la dernière génération du 18e siècle,
formés à l’Académie ou, à titre privé, dans son agence.
Certains d’entre eux ont fait une grande carrière, jusqu’au
début du 19e siècle : Chalgrin, Brongniart, Gisors, Pâris, le
Nantais Crucy, le Bordelais Combes et le fameux ingénieur
Durand.

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Bien des sujets de concours furent formulés et corrigés par


ses soins, tandis que ses propres dessins servaient de
modèle aux candidats au Grand Prix annuel, sur des sujets
souvent inspirés par l’actualité des chantiers royaux. Liés au
pouvoir monarchique dont il sollicite le symbole, dans une
vision régénérée et mégalomane, ses projets pour l’Opéra, la
Bibliothèque, le pont Louis XVI, l’église de la Madeleine, le
Muséum, le Palais de Justice, le Palais Municipal, forment sur
le papier la cohorte des monuments idéaux d’une grande
capitale rêvée par l’un des architectes les plus progressistes
du siècle des Lumières.

L'architecte révolutionnaire

Boullée peut être qualifié " d’architecte révolutionnaire "à un


double titre. D’abord comme artiste, il critique l’architecture de
son temps et propose des solutions audacieuses,
progressistes et volontairement provocantes par rapport à la
tradition admise. Ensuite, il est acteur de la pensée et de la
politique artistiques revendiquées par la Révolution et ses
nouvelles institutions.

Professeur aux Écoles centrales, nommé membre de


l’Académie des Beaux-arts à la fondation de l’Institut de
France (1795), Boullée participe activement au jury des
concours artistiques de l’An II (1794), institués par la
Convention Nationale et le Comité de Salut Public

À partir de 1789, Boullée élargit les programmes de ses


projets aux monuments suscités par l’actualité révolutionnaire
(Assemblée nationale, palais municipal, cimetière,
monuments commémoratifs, etc.). Il médite alors la
composition de son Essai sur l’art et prépare le legs de ses
dessins à la nation. L’influence de son " architecture
parlante ", aux côtés de l’œuvre de Ledoux, s’observe dans
certains discours politiques, comme celui du député Armand-
Guy Kersaint Sur Les monuments publics prononcé le 15
décembre 1791, publié l’année suivante.

Le pédagogue, le théoricien

Boullée fait partie d’une génération d’architectes-philosophes


persuadée que l’architecture participe directement à l’essor du
grand mouvement de pensée qui bouleverse l’époque." Il faut

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concevoir pour effectuer, nos premiers pères n’ont bâti leurs


cabanes qu’après en avoir conçu l’image. C’est cette
production de l’esprit, c’est cette création qui constitue
l’architecture. (…) L’art de bâtir n’est donc qu’un art
secondaire, qu’il nous paraît convenable de nommer la partie
scientifique de l’architecture ", écrit-il dans l’introduction de
son Essai sur l’art.

Formé à la philosophie sensualiste par les écrits de Locke et


de Condillac, influencé par ses lectures de Montesquieu, de
Rousseau et de Voltaire, Boullée assigne à l’art des vertus
éducatives absolues. L’architecture construite, à travers un
style monumental épuré, doit montrer un caractère analogue à
sa destination et susciter des sentiments bénéfiques. La
théorie du sublime, révélée à travers les écrits d’Edmond
Burke ou les gravures de Piranèse, justifie et le gigantisme et
la mise en scène" pittoresque " des projets de Boullée
présentés comme des tableaux.

L’architecture doit donc " parler ". Le langage est en quelque


sorte le matériau de l’édifice, ou de sa représentation, qui
devient " un grand livre ouvert à l’instruction publique " :
L’architecture a un effet sur les sens à portée pédagogique.
L’école de l’architecture est une école de la raison et du
progrès, où se fondent d’une manière dialectique les
nouvelles connaissance sur la nature et l’histoire des mœurs,
depuis les origines de la civilisation jusqu’aux découvertes
scientifiques récentes où, par exemple, brille le génie de
Newton.

L’Antiquité demeure la source des modèles architectoniques,


par la beauté formelle qu’inspire le système des ordres et la
logique constructive qu’il permet. Mais l’imitation de la nature
exige une démarche scientifique qui rationalise leur emploi
dans un nouvel équilibre où les volumes élémentaires - cube,
sphère, pyramide - ont pour rôle d’impressionner la
perception. Le symbole des programmes traités s’y révèle
alors conforme à la " simplicité " des volumes, nouvelle valeur
assignée au renouveau classique, depuis le milieu du
18esiècle, dans la sculpture ou la peinture, comme le
montrent les œuvres contemporaines de Jacques-Louis David
(Serment des Horace, 1785, Louvre).

L'artiste

" Ed io anche son pittore " [Moi aussi je suis peintre]. Cette
devise de Boullée, placée en exergue de son Essai sur l’art, est
empruntée à une célèbre exclamation du Corrège découvrant
l’œuvre de Raphaël. C’est une conviction fondamentale de
l’architecte, qu’il partage avec son confrère Ledoux, une idée
selon laquelle la pensée et l’image du bâtiment sont aussi
importantes que sa construction. L’un comme l’autre
consacreront autant d’énergie à transmettre à la postérité leur
pensée et leurs dessins qu’à réaliser leurs projets. Toutefois,
contrairement à Boullée, Ledoux conduira d’innombrables
chantiers.

Jusqu’à un certain point, il existe une parfaite analogie entre


l’architecture et la peinture : " L’art de produire des images en
architecture provient de l’effet des corps et c’est ce qui en

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constitue la poésie. C’est par les effets que produisent leurs


masses sur nos sens que nous distinguons les corps légers des
corps massifs et c’est par une juste application, qui ne peut
provenir que de l’étude des corps, que l’artiste parvient à donner
à ses productions le caractère qui leur est propre "

La peinture demeure néanmoins un art de stricte imitation, à la


différence de l’architecture, vraiment " sublime " parce qu’elle est
" seul art par lequel on puisse mettre la nature en œuvre ".
Boullée, comme ses confrères Le Camus de Mézières, De Wailly
ou Ledoux, combat ici la vieille tradition qui excluait (encore au
milieu du 18e siècle, dans les écrits théoriques de l’abbé Batteux)
l’architecture des arts libéraux, sous prétexte qu’elle n’imitait pas
la nature et qu’elle était un art mécanique, utile.

À cet égard, Boullée partage complètement la conception de


l’artiste démiurge, ouvrier de la nature, que décrit Ledoux :
" L’architecte n’a-t-il pas un pouvoir colossal ? Il peut dans la
nature dont il est l’émule, former une autre nature ; il n’est pas
borné à cette partie de terrain trop étroite pour la grandeur de sa
pensée ; l’étendue des cieux, de la Terre est son domaine ; il peut
assujettir le monde entier aux désirs de la nouveauté qui
provoque les hasards sublimes de l’imagination ". Rappelant
l’émulation séculaire à laquelle se livrent certains artistes et
écrivains, Boullée précisait : " Les moyens de mettre la nature en
œuvre qui appartiennent à l’architecture proviennent de pouvoir
en certains cas effectuer ce que la poésie ne peut que décrire " .

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